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Extrait de la publication… · thie, acupuncture, hypnose, remèdes de grand-mère… M’agrippant d’une main au rebord de sa bannette pour ne pas être envoyée valdinguer contre

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Le Continent inconnu

Vers le sud

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Géraldine Danon

Le Continent inconnuVers le sud

© Flammarion, Paris, 201387, quai Panhard-et-Levassor

75647 Paris Cedex 13Tous droits réservés978-2-081 - -613313

À mon père, à Loup.

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Sommaire

Prologue. Antarctica...................................... 15

1. Tempête en mer australe ........................... 172. Antarctica ................................................... 273. Les quarantièmes rugissants ...................... 394. Les cinquantièmes hurlants ....................... 555. Nuits de veille............................................ 756. Les soixantièmes solitaires ........................ 817. L’île du bout du monde ............................ 938. La dame blanche........................................ 1139. Baie Marguerite ......................................... 127

10. La fleur australe......................................... 13711. Des bases au bout du monde .................... 15512. À la recherche de la porte de sortie ......... 16913. Drôle d’endroit pour une rencontre .......... 183

14. Cap au nord ............................................... 19315. Déception ................................................... 207

Épilogue. Tempête sur le cap Horn ................ 213Annexes ............................................................ 217Glossaire ........................................................... 223

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« D’où vient cette étrange attirance de ces régionspolaires, si puissante, si tenace, qu’après en êtrerevenu on oublie les fatigues, morales et physiquespour ne songer qu’à retourner vers elles ? D’où vientle charme inouï de ces contrées pourtant désertes etterrifiantes ? Est-ce le plaisir de l’inconnu, la griseriede la lutte et de l’effort pour y parvenir et y vivre,l’orgueil de tenter et de faire ce que d’autres ne fontpas, la douceur d’être loin des petitesses et des mes-quineries ? Un peu de tout cela, mais autre choseaussi. J’ai pensé pendant longtemps que j’éprouveraisplus vivement, dans cette désolation et cette mort, lavolupté de ma propre vie. Mais je sens aujourd’huique ces régions nous frappent, en quelque sorte,d’une religieuse empreinte. Sous les latitudes tem-

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pérées ou équatoriales, la nature a fourni son effort ;dans un grouillement de vie animale et végétale,intense, inlassable, tout naît, croît et se multiplie,agit et meurt pour s’entraider à la reproduction, pourassurer la perpétuité de la vie. Ici, c’est le sanctuairedes sanctuaires, où la nature se révèle en sa formi-dable puissance comme la divinité égyptienne s’abrite

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Le Continent inconnu

dans l’ombre et le silence du temple, à l’écart detout, loin de la vie que cependant elle crée et régit.L’homme qui a pu pénétrer dans ce lieu sent sonâme qui s’élève. »

Jean-Baptiste Charcot,Le Français au pôle Sud.

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Prologue

Antarctica

Les îles s’y dénomment Désolation, Déception.L’océan y est « glacial ». On le surnomme terraincognita, ou encore « le continent inhumain ». Il battous les records. C’est le continent le plus froid : destempératures de -80° C y ont été enregistrées. Leplus sec : il y pleut moins qu’au Sahara. Le plusinaccessible : il se situe à plus de 1 000 kilomètresd’Ushuaia, la ville la plus australe du monde età 6 000 kilomètres d’Auckland, notre port de départ enNouvelle-Zélande. Le plus vieux : on a trouvé sousla glace des roches datant de 3,8 milliardsd’années. Le plus désert : il n’y pas de vie sur leplateau antarctique, ni homme, ni bête, ni plante,tout se concentre sur les côtes et sur les îles suban-tarctiques. Le plus tardivement découvert : ce n’est

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qu’en 1840 que les hommes poseront pour la premièrefois le pied sur le continent lui-même.

« L’homme n’y est pas le bienvenu », résumeJean-Christophe Victor. C’est l’Antarctique, notredestination.

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Tempête en mer australe

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Une mer comme je n’en ai jamais vu se déchaîneautour de nous. Gris d’acier sous un ciel de tempête,démente, comme décidée à nous engloutir une foispour toutes. Le vent souffle à 45 nœuds*,1 des défer-lantes de près de 10 mètres se fracassent sur notrebateau. La voilure est au plus bas. Il faut préservernotre embarcation. La coque rebondit sur chaquevague, le gréement* tremble, les voiles faseyent etsouffrent sous les rafales. L’eau submerge le pont,s’infiltre par les joints des hublots fatigués. Elle sedéverse dans le cockpit et risque de rentrer dans lacabine. L’équipage souffre, le corps meurtri par lesmouvements saccadés et incessants, répétés des mil-liers de fois en une journée. Il n’y a pas de répit à

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ce matraquage, à ces coups portés. Comme desboxeurs, nous encaissons. Debout, assis, allongés,nous sommes ballottés en tous sens, malmenés. Nosnerfs sont à vif et nos estomacs pâtissent de ce tour-billon infernal. Nous sommes en pleine mer australe,

1. Les termes suivis d’un astérisque sont définis dans le glos-saire. (N.D.E.)

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à des jours de navigation de la terre habitée la plusproche. Des hurlements se font entendre, comme sides femmes, ou plutôt des esprits échappés de l’autremonde, joignaient leurs lamentations dans la tem-pête. Des ultrasons, des gémissements, des crisfurieux, qui ne cessent ni ne faiblissent, me réson-nent aux oreilles, obsédants, angoissants. Ces fan-tômes rugissants nous accompagnent depuis quenous avons franchi le 40e parallèle.

Mon fils Loup, onze ans, est malade comme unchien. Il vomit, refuse de s’alimenter, ne tient mêmeplus debout. Sanglé dans une toile antiroulis, danssa bannette*, il ne pleure ni ne se plaint, mais ses jouespâles et ses yeux abattus parlent pour lui. Silencieux,renfermé sur son mal, il a sur le visage une résigna-tion mutique que je reconnais, avec un pincement aucœur, comme étant celle des marins. Mon petit gar-çon a du courage et de l’endurance. Il alterne despériodes de veille fiévreuse et de courts sommes agi-tés. Rien ne le soulage. J’ai essayé tous les remèdespossibles, rien n’y a fait. Médicaments, homéopa-thie, acupuncture, hypnose, remèdes de grand-mère…

M’agrippant d’une main au rebord de sa bannettepour ne pas être envoyée valdinguer contre les murs,je tente de glisser entre ses lèvres une pipette deDoliprane pleine de sirop de pêche, pour l’hydrater

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un peu. Il avale une gorgée puis détourne le visageet ferme les yeux.

Les filles, Laura (cinq ans) et Marion (trois ans) dor-ment elles aussi, amarrées comme leur frère pour nepas tomber de leur bannette. Je passe devant celled’Antoine, notre jeune équipier, je m’arrête un ins-tant, il gît, l’œil hagard rivé au plafond.

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Tempête en mer australe

Je remonte à la timonerie* :« Alors ? me demande Philou, à la barre, sans quitter

des yeux la mer démontée. — Pareil, j’espère qu’il ne va pas vomir le sirop. »Pas besoin d’en dire plus. Loup ne s’amarine pas.

Il a beau avoir trois ans de mer derrière lui, du sangde marin dans les veines (il est le fils de TitouanLamazou), mon petit garçon ne se remet pas de cettetempête qui nous malmène depuis le début de la tra-versée. Il n’a pas quitté sa bannette depuis que nousavons levé l’ancre en Nouvelle-Zélande, il y a huitjours. Son estomac ne supporte aucune nourriture, ilrejette même l’eau, il vomit de la bile en gémissant.Sa peau, dorée par des mois passés sous le soleilfranc de Polynésie, est maintenant terreuse. Son corpssouple et musclé par ses plongées incessantes meparaît à présent fragile. Je souffre pour lui. Philoume jette un bref regard. Il connaît mon angoisse etla partage : si Loup ne s’amarine pas, nous nousdétournerons pour regagner, tant que c’est encorepossible, la terre la plus proche. Ce sera la Polyné-sie, qui se trouve à 3 000 kilomètres, vent portant,soit environ dix jours de navigation. Retarder pluslongtemps pourrait être dangereux pour la santé demon fils. Nous attendrons jusqu’à demain pour endécider.

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Je retourne auprès de Loup et caresse son front.Il dort et paraît plus paisible. Je décide de m’accor-der quelques minutes de repos quand une petite voixmonte de la bannette voisine : « Maman ? »

Bon, la sieste ne sera pas pour tout de suite. Jerejoins mes filles, un livre de contes de fées à lamain, et commence à lire tant bien que mal, alors

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que notre bateau bondit, rebondit, se cabre et secouche sous les assauts répétés de l’océan en folie.

J’ai peine à croire qu’il y a peu de temps encore,nous dînions de dorades pêchées par Philou en find’après-midi, sous un ciel limpide tacheté d’alto-cumulus légers, en plein cœur des Tuamotu. Je medemande si nous allons devoir interrompre ce voyagevers l’Antarctique, alors que nous l’avons préparédepuis des années. Mais nous n’hésiterons pas : lasanté des enfants est évidemment notre priorité.

Depuis trois ans maintenant, nous vivons enfamille sur notre bateau, Fleur Australe. Ce voilierde 20 mètres conçu pour les navigations polaires parPhilippe Poupon, mon marin de mari, nous a déjàconduits victorieusement à travers le passage du Nord-Ouest jusqu’en Alaska, le long des côtes améri-caines, à travers le Pacifique, d’île en île par toutela Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, l’Australie puisla Nouvelle-Zélande. Tout cela, nous l’avons accom-pli tous les six : Philippe, moi, et les quatre enfantsqui forment notre famille. Nina, la fille de Philippe,qui voyageait avec nous, est repartie vers la Franceaprès la traversée du Pacifique, vers sa mère et verssa vie d’adolescente. Nous la regrettons tous beau-coup, et en particulier Loup qui est très proche d’elle.

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Une famille qu’on ampute d’un de ses membres levit toujours douloureusement. Ce nouveau voyagevers le Grand Sud est la suite logique de l’aventuredécidée, il y a trois ans : du pôle Nord au pôle Sud.À l’époque, le bateau était encore au chantier à LaRochelle et je mettais au monde nos deux filles,Laura et Marion.

Tempête en mer australe

Chaque jour en mer nous a apporté son lot d’enchan-tements. Nous avons aperçu des ours polaires, desaurores boréales, des baleines, des requins, des îleset des volcans. En Polynésie, la température à bordde la Fleur, conçue pour le froid, est montée à desdegrés extrêmes, nous avons plongé dans des lagonsparadisiaques… Loup passait ses journées, lorsquenous n’étions pas en pleine navigation, à plonger, àpêcher, à pagayer sur son kayac. Il nage comme unpoisson. Sa connaissance de la faune est impression-nante, il connaît le nom de tous les poissons, enparticulier des requins, ses préférés, et de tous lesoiseaux qui passent au-dessus de nous. Les cheveuxtrop longs, en bataille devant les yeux, il a menépendant des mois l’existence merveilleuse, parfoissolitaire mais exaltante, d’un petit aventurier, gonfléde joie de vivre. Ses sœurs, échevelées et taquines,le suivent toute la journée. Elles aussi sont commedes poissons dans l’eau. Elles n’ont rien connud’autre que notre bateau, hormis quelques escalesplus ou moins longues. Ces fillettes, qui ont faitleurs premiers pas en mer, ont le pied résolumentmarin, elles sont devenues insensibles au mal de merquelles que soient les conditions. Ce n’est malheu-reusement pas le cas du pauvre Loup. La vie à bord

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est d’ordinaire bien réglée, chacun vaque à ses occu-pations : les enfants aident Philou à faire la lessivesur le pont tandis que je prépare mon fameux gâteauau chocolat dit « gâteau à la gîte », qui ressort inva-riablement du four complètement de travers, la par-tie la plus épaisse pas assez cuite, l’autre un peusèche, et le milieu parfait.

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Le Continent inconnu

Avant d’entreprendre cette longue et difficiletraversée de la Nouvelle-Zélande jusqu’en Antarc-tique, nous avons fait quelques escales ensoleillées.De la Polynésie, que nous avons sillonnée jusqu’àses îles les plus reculées, nous avons filé jusqu’enrépublique du Vanuatu. Ces îles lumineuses etl’accueil chaleureux que nous y avons reçu nous ontenchantés. Les divins alizés* nous ont encore portésjusqu’en Nouvelle-Calédonie avant de traverserl’anticyclone* et de subir notre première grossedépression* en arrivant sur Sydney. Quelques joursdans le désert australien à la découverte des kan-gourous ont vite fait de rendre le sourire à notrepetite tribu. Puis nous avons récupéré les cours duCNED car vivre sur un bateau ne signifie pas êtreen vacances à perpétuité. Loup, qui n’a jamais misles pieds au collège, a conservé son année d’avanceet suit le programme d’un élève de cinquième. Ila travaillé tout l’automne, et ne s’est interrompuqu’en décembre, au début de cette traversée versl’Antarctique, beaucoup trop agitée pour qu’il puisseétudier ou lire. Nous avons encore trois semainesde mer environ, la seule période possible pour lanavigation dans ces eaux est l’été austral qui com-mence le 21 décembre.

Nous avons aperçu notre premier albatros entre

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Sydney et Auckland, fin septembre, après un groscoup de vent. Il nous a ouvert les portes du GrandSud. La Nouvelle-Zélande a été notre dernière étape.Nous y avons peaufiné notre équipement pour lefroid et fait subir un grand toilettage à la Fleur, ainsique quelques travaux avant d’affronter les mers hos-tiles. Nous en avons profité pour aller nous prome-

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Tempête en mer australe

ner quelques jours sur l’île du Sud, en caravanecette fois, avant de retrouver notre nouvel équi-pier, Antoine, un jeune scientifique, rencontré lorsde notre escale en Nouvelle-Calédonie. Il a quelquesexpériences en navigation et une grande envied’aventure. Je pense qu’il sera servi. L’Antarctique,le continent inconnu, nous attend.

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N° d’édition : L.01EBNN000297. N001Dépôt légal : septembre 2013

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