Extrait Robert Musil

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Robert Musil - Extrait de l Homme sans qualité - Premier Tomme

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Et si le regard d'Arnheim avait pu anticiper sur quelques annes, il aurait dj pu constater que milleneuf cent vingt annes de morale chrtienne, une guerre catastrophique avec des millions de morts et touteune fort de posies allemandes dont les feuilles avaient murmur la pudeur de la femme, n'avaient pas puretarder, ne ft-ce que d'une heure, le jour o les roes et les cheveu! des femmes commenc"rent raccourciret olesjeunesfilleseuropennes, laissant tomer desinterditsmillnaires, apparurent uninstant nuescomme des ananes peles#$laurait vu encoreien d'autres changements qu'il et peine cru possiles#%'important n'est pas de savoir ce qu'il en restera ou non, pour peu que l'on se figure les efforts considraleset proalement vains qu'il et fallu pour provoquer de pareilles rvolutions dans les circonstances de la viepar la voie consciente du dveloppement intellectuel, celle qui passe par les philosophes, les peintres et lespo"tes, au lieu de suivre le chemin des tailleurs, de la mode et du hasard& on peut mesurer cela l'immensepouvoir crateur de la surface, compar l'enttement strile du cerveau#'ans doutelaviea-t-elletoujours suivi cechemin, et perptuellement reconstruit l'homme del'e!trieur vers l'intrieur& mais avec cette diffrence, jadis, que l'on se sentait olig de produire aussi dansl'autre sens, c'est--dire de l'intrieur vers l'e!trieur# %e chiendugnral lui-mme, auquel Arnheimadressait maintenant une pense amicale, n'et jamais t en mesure de comprendre une autre volution, carl'hommestaleetdociledusi"clepassaformcefid"lecompagnonsonimage& maissoncousin, lesauvage s(rrhapte, qui passe des heures danser, comprendrait tout# )uand il hrisse ses plumes et gratte laterre de ses griffes, il na*t proalement davantage d'+me que lorsqu'un savant assis son ureau joint unepense la suivante# En fin de compte, toutes les penses proviennent des articulations, des muscles, desglandes, des (eu!, des oreilles et des confuses impressions d'ensemle que le sac de chair dont elles fontpartie prouve son propre sujet# %es si"cles passs ont peut-tre commis une grande erreur en donnant tropde valeur l'intelligence et la raison, au! convictions, au! caract"res et au! concepts& c'est comme si onvo(ait dans le greffe et les archives l'essentiel d'un minist"re, sous prte!te qu'ils ont leurs ureau! dans le+timent principal, alorsqu'ilsnesont quedesofficessecondaires, recevant toutesleursinstructionsdel'e!trieur#Et soudain, enfivr peut-tre par les lgers s(mpt,mes de dissolution que l'amour suscitait en lui,Arnheimdcouvrit dans quels parages il fallait chercher la pense rdemptrice qui drouillerait cescomplications# Elle tait lie, comme par un courant de s(mpathie, l'ide de la - circulation accrue .# /n nepouvait dnier cette poque nouvelle une circulation accrue de penses et d'e!priences# Arnheim imaginaitlecerveaudel'poqueremplacparles(st"medel'offreet delademande, lepenseurlaorieu!parlecommer0ant souverain& il savourait involontairement le spectacle saisissant d'une norme productiond'e!priences vcues, s'associant et se dissociant en toute liert, d'une sorte de pouding nerveu! dont chaquepartie tremlait la moindre secousse d'un tam-tam gant qu'il suffisait d'effleurer pour en tirer d'infiniesrsonances# 'i ces images s'accordaient asse1 mal, cela provenait de l'tat dans lequel elles jetaient Arnheim&il lui semlait qu'on pouvait aussi comparer ce genre de vie un rve o l'on se trouve la fois assister del'e!trieur toutes sortes d'vnements e!traordinaires, et demeurer silencieu! en plein centre, avec un moirarfi dans le vide duquel tous les sentiments rillent en leu comme dans des tues incandescents# %a viepense, pour ainsi dire,-autour.del'hommeet, rienqu'endansant, lui credesassociationsqu'il doitpnilement glaner,sansotenircemerveilleu!effet de2alidoscope, lorsqu'il recourt laraison,Ainsidonc, tout en virant jusqu'au! vingt e!trmit de ses doigts et orteils, Arnheim mditait en homme d'affairessur la lire circulation intellectuelle et ph(sique des temps venir# 'ans doutedispose-t-on, l'tat deveillecomme enrvedelafacultd'imprgner unesried'vnements d'une motion ine!plicale et ouleversante3 mais c'est seulement quand on a quin1e ou sei1eans et qu'on va encore l'cole# Acet +ge-l, il ( a aussi en l'homme, chacun le sait, de grandsouillonnements, destumultesstimulants, d'informes e!priences& lesmotionssont vives, maisencoreconfuses& l'amour et la col"re, le onheur et le mpris, toutes les astractions morales en un mot, sont desvnements virants qui tant,t s'ploient jusqu'au! confins du monde, tant,t se ratatinent et se rduisent rien& la tristesse, la tendresse, la grandeur, la magnanimit sont les hautes votes d'un ciel vide# )ue se passe-t-il alors4 5u dehors, du monde articul surgit une forme toute faite 6un mot, un vers, un rire satanique& ouencore 7apolon, 8sar, le 8hrist& ou peut-tre simplement les pleurs verss sur la tome des parents9 3 alors,dansunerencontrefoudro(ante, -l'oeuvre.na*t# 8etteoeuvred'l"vedepremi"reest trait pourtrait, onl'oulietropsouvent, l'e!pressiondusentiment prouv, laco:ncidenceparfaitedel'intentionet delaralisation, la parfaite insertion des e!priences d'un jeune homme dans la vie du grand 7apolon# ;ourtant,cette association du grand au petit semle n'tre pas rversile# /n en fait l'e!prience dans le rve commedans la jeunesse, quand on a prononc en dormant un grand discours et qu'on russit par malheur en saisirles derniers mots au rveil3 ceu!-ci sont fort loin de se rvler aussi e!traordinaires qu'ils taient d'aordapparus#