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BRUIT

Fanzine Katapulpe (Le bruit)

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Fanzine réalisé dans le cadre du cours «Design d'édition» à l'Université Laval.

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Page 1: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

BRUIT

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CONCERTO POUR CABINET

Mon gars dans les bras, je sonne chez Sophie. Elle m’ouvre.

- Vite ! Enlève tes bottes et suis-moi ! Nina va faire de la musique !

Le mien a huit mois, la sienne en a vingt. Nous la suivons jusqu’à la salle de bain.

- On en est l’apprentissage de la propreté. Il faut la regarder faire

ses commissions, pour que ça marche. Elle a besoin qu’un public l’écoute

faire de la musique, des « gloubelou belou belou » et des « ploup ». Ça la met en confiance.

Sourire niais, Nina trône sur le cabinet. Agenouillée, les yeux plissés, Sophie l’incite à forcer.

- Encourage-la ! Ça va être pareil avec ton gars, dans quelques mois !

Je ne peux le nier. Sauf que moi, j’agrandirai la salle de bain pour

y ajouter une mezzanine où j’inviterai parents et amis. Et à l’entracte,

je servirai du jus de pommes et des brownies.

Denis Bégin

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Lune rouge /// UNE GROSSE LUNE ROUGE SE TIENT À LA FENÊTRE

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Fabrice Levadou /// LA FIN DE LA FUREUR

Louba-Christina Michel /// CARRELAGE BLANC

Julien Péger /// SILENCE

Cédric Citharel /// INSOMNIE

Ludovic Arfi /// THE SOUND OF SILENCE

Marie-Claude Nadeau /// TANGO

Guillaume Siaudeau /// LA NUIT OÙ LA MER A DISPARU

C. Reney /// COURIR PLUS VITE QUE LE BRUIT

Annik Cayouette-Brousseau /// LE POÈTE-HORLOGER

Lune rouge /// UNE GROSSE LUNE ROUGE SE TIENT À LA FENÊTRE

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Comment t’expliquer ça ? C’est un vide. Un vide qui t’aspire, oppressant. Une envie de hurler, souvent. Mais parfois je dois avouer que c’est terriblement apaisant, aussi. D’une absolue tranquillité. Enfin c’était bien mieux avant, c’est sûr, qu’est-ce que tu crois ?

La bombe est le tout dernier bruit que j’ai entendu. Ensuite les gens se sont mis à courir, à gesticuler, leurs visages déformés par la peur. Des hommes étaient en pleurs, des femmes, hébétés. Les gyrophares des ambulances balayaient l’obscurité. J’avais un éclat de verre planté dans le bras, du verre de la vitrine du disquaire, au coin. Le disquaire, ouais, quelle ironie ! Tous ces disques brûlés. Toute la musique que j’ai perdue, moi, pour toujours.

Imagine-toi dans l’espace, tiens, à flotter dans une capsule et voir en bas la terre imploser et disparaître sous tes yeux dans un silence qui ne veut plus finir. Pas tout à fait le silence, d’ailleurs. Il y a un son. Un bruit blanc. Un sifflement très léger. Je ne suis pas sûr qu’il existe vraiment. Ce n’est peut-être qu’une création de mon esprit. Sa conception à lui du silence. Ou alors un cri. Le refus désespéré qu’il en soit ainsi.Et il y a eu des morts, ouais. Je devrais peut-être considérer que j’ai eu de la chance mais je ne peux m’y résoudre, tu comprends ?

FABRICE LEVADOU, j’ai 37 ans et je vis près de Bordeaux en France. J’ai été professeur d’anglais et je suis en disponibilité depuis plusieurs années. Actuellement, je suis caviste. Je vends du vin (de Bordeaux principalement) dans une boutique.

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Je ne m’y suis pas habitué tout à fait encore, tu sais, quand quelqu’un vient me parler dans la rue, je lève les yeux, je dis « quoi ? » et la personne répète mais ça ne sert à rien. Alors je finis par lui dire que je n’entends pas. Je montre mon oreille, la gauche, je ne sais pas pourquoi, et je dis que je n’entends pas.

Il va falloir que j’apprenne ce langage, là, avec les mains, mais j’hésite encore. Il ne sert à communiquer qu’avec ceux qui sont comme moi. Il nous exclue autant qu’il nous rassemble. J’ai l’impression que si je m’y mets, si je suis les leçons, ce sera terminé. J’aurai définitivement accepté. Je ne pourrai plus revenir en arrière. Pourtant je sais, je sais bien, l’espoir n’est pas une perspective. Les regrets stériles, plutôt, oui. Que cette bombe ait explosé. Qu’elle ait existé. Et les morts. Il y avait des cadavres sur le trottoir. Il y avait des morceaux de chair dans des flaques de sang, des corps méconnaissables. Je n’étais pas prêt à contempler tout ça.

J’ai revu les autres. Une seule fois. C’est terminé maintenant. On n’avait pas grand-chose à se dire. Clarisse pleurait. Réduits au silence, eux aussi.

Mes sens vont gagner en acuité à ce qu’il paraît, enfin ceux qui me restent. Déjà mon attention est plus grande, aux odeurs et aux images, mes repères fondamentaux.

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Je suis tout particulièrement sensible aux regards. Ils semblent me dire un peu de ce qui se cache derrière les crânes et derrière ces mots que je n’entends plus. Cette fille, par exemple, avec son manteau bleu-marine, assise de l’autre côté de la rue, son regard figé, braqué sur moi. Elle semblait abrutie par le choc, elle ne bougeait plus. Bien vivante, pourtant, et ses yeux dans les miens. Il me semblait entendre ce qu’elle pensait alors et j’y étais particulièrement attentif, malgré ce morceau de verre planté dans mon bras. Ils l’ont extrait sur place. Des équipes d’urgentistes partout dans la rue embarquaient les plus touchés puis s’occupaient des autres, sur le trottoir. Ils ont désinfecté. Pas grave. Un pansement. « Ça va ? Comment vous sentez-vous ? » J’entends plus rien, j’ai dit. J’entends plus rien.

Ils m’ont aidé à me relever. Ils voulaient qu’on se regroupe dans une tente de fortune, dégager la chaussée pour s’occuper des morts. De l’autre côté de la rue, la fille au manteau bleu-marine me regardait encore. Un hurlement dans mon cerveau coupé du monde.

On était dans un bar. Clarisse pleurait, oui, et les autres ne savaient pas quoi dire. Tim et Bernie, Antoine. Les mots leur manquaient. Pourtant ils s’étaient fait une spécialité des discours. La brutalité absolue de ce qui venait de se passer avait mis fin à tous nos débats.

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J’ai repensé alors à l’une de nos premières sorties adolescentes sur les toits du quartier Saint-Pierre. Trop bu encore, on courait presque sur les tuiles déjà humides de la rosée nocturne. On prenait des risques inconsidérés, pour rien. Pour voir un peu si on allait mourir. On a fini assis, nos jambes en travers des gouttières de zinc, à vider ce qui restait de whisky dans nos sacs et Antoine a dit : « Merde. En face, là. Regardez. Le commissariat. »

Bernie, Antoine et moi. Clarisse et une autre fille. Les lampadaires auréolés d’une brume orange. Les jambes dans le vide. On cherchait les limites. On voulait se faire remarquer, faire du bruit. Glisser à moitié ivres sur les toitures de tuiles ne nous paraissait pas représenter un risque trop grand. La notion même de risque nous était complètement étrangère. Tout acte de destruction était gratuit. La subversion était notre excuse. La provocation à l’ordre bourgeois de notre ville, notre déguisement. On voulait surtout voir jusqu’où on était capables d’aller.

J’ai toujours voulu impressionner Clarisse. Elle n’est pas pour rien dans tout ce que j’ai fait, sans qu’elle en soit responsable de quelque manière. C’est bête, les garçons.

À quinze mètres au-dessus du sol, les pieds dans le vide, sans bien savoir pourquoi, j’ai délogé une tuile et je l’ai jetée de toutes mes forces en hurlant.

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La vitre de la fenêtre du commissariat a explosé. Une sirène s’est déclenchée. On a détalé. Je me souviens qu’Antoine a glissé le long d’une toiture et s’est cassé la cheville dans un chéneau, on l’a porté jusque dans la rue.

Je riais en bas, sur le trottoir. Je n’ai jamais eu vraiment peur, c’est ça le problème.

Il y a deux jours, je suis allé marcher en ville. J’avais quelques courses à faire mais surtout je voulais me retrouver au milieu de la foule, imaginer les sons, les voix, coincé dans mon presque-silence, regarder l’agitation et l’excitation du début de week-end. Mais après une heure environ à déambuler, je me suis assis sur un banc et je me suis mis à pleurer. Les gens ressemblaient trop, sans doute, aux cadavres de la rue Neuve.Toi qui crois un peu en Dieu, peut-être verras-tu cela, ce handicap soudain, comme une divine punition. Une inévitable conclusion à toutes les bêtises que j’ai faites jusqu’ici sans bien y réfléchir. Mais laisse-moi te dire comment tout s’est terminé. J’ai marché encore, tourné dans des rues que je connais par cœur jusqu’à en avoir mal aux cuisses, concentré sur le petit sifflement, ce dernier son qui me nargue et m’entête et finira

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peut-être par me rendre dingue. Sur la place du Parlement, il y avait déjà du monde qui mangeait en terrasse. Des gamins jouaient au ballon contre la fontaine. Un type avec une guitare en bandoulière s’époumonait devant quelques touristes. Moi, j’ai assez de souvenirs pour presque entendre tout ça, aujourd’hui, la balle sur les pavés, les accords plaqués sur le manche de l’Epiphone, le brouhaha joyeux des discussions. C’est pas si mal, je me suis dit, de savoir quel bruit ça fait. Je peux vivre avec ça, peut-être. Retiré du monde. En sachant.

Le silence est trompeur.

J’ai cru quelques instants m’y terrer à loisir. J’ai cru pouvoir m’y rendre tout à fait inaccessible.

Comme si, en étant privé du bruit que font les hommes, je pouvais par là-même me soustraire à eux. Dans mon cocon insonorisé, ce calme absolu, toute la rage que j’avais arborée aux yeux du monde, ma fureur, la prétention de renverser je ne sais quel tyran impalpable et toute l’abnégation clamée à tort et à travers se sont évanouis. Emportés dans un souffle comme la poussière des façades de la rue Neuve. Mais trop tard, bien sûr, trop tard.

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Puis je l’ai aperçue, de l’autre côté de la place. Ce même regard. Ses yeux comme chevillés aux miens. La fille au manteau bleu-marine. Celle du jour de l’explosion. Elle s’avançait vers moi et je n’avais plus la force de bouger. Et elle était jolie, cette fille. Terriblement. Ressurgie de l’enfer de cet attentat pour mettre fin à mon mensonge. Pour m’empêcher de prétendre que tout pouvait peut-être continuer comme avant.

J’ai regardé ses lèvres qui bougeaient. Elle répétait toujours la même chose, sans s’énerver, ses yeux dans les miens pour me tenir là, immobile et impuissant.

« C’est toi. »

Des larmes s’accrochèrent quelques secondes à ses cils puis dégoulinèrent en cascade sur ses joues. Son menton me désigna d’un mouvement sec. Afin que le doute ne fût plus permis.

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« C’est toi. »

«C’est toi, la bombe. »

Ses larmes me tordent les tripes, encore.Ses sanglots assourdissants.

C’est terminé.

Ce commissariat dont j’avais brisé les vitres quelques années plus tôt, je n’aurais jamais pensé y mettre un jour les pieds.

Des gens sont morts.

C’est moi, la bombe.

Je n’entends plus rien.

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LE POÈTE-H

ORLO

GER

Je m’appelle ANNIK CAYOUETTE-BROUSSEAU, je suis originaire de la belle région de Bellechasse et j’habite la Vieille Capitale depuis bientôt 5 ans. Passionnée de littérature depuis ma tendre enfance, je complète présentement un baccalauréat en études littéraires à l’Université Laval et je partage ma passion en occupant un emploi de libraire depuis quelques années. Étant avide de connaissances, je touche à tout ce qui a trait aux arts, à l’histoire et aux causes sociales et environnementales. Ainsi, l’écriture est pour moi un passe-temps, mais aussi un moyen de m’exprimer sur divers sujets qui me touche.

TIC.TAC. 11h39. L’horloge.

Moi, Émily. Toi, Simon. Elle et lui. Nous. Je rêve

que je suis éveillée. Les Fab Four à la radio Encore. J’ouvre la fenêtre.

Je sens le vent. Une brise fine qui rappelle ton odeur. Je ferme les yeux. Un banc apparaît.

Je m’y assois. Ma main caresse ta tête, toi couché sur mes genoux. Mes doigts trépignent d’impatience

et d’anxiété. Si je pouvais prendre tes cheveux d’Émile Nelligan ou d’Arthur Rimbaud, je le ferais.

Je les étalerais un à un devant ma solitude désastreuse. J’en ferais un tapis perse. Tissé serré. Noué.

Je le contemplerais, avec peur. Je l’avalerais jusqu’au dernier fil. J’en recracherais un poème. Un beau. Rempli d’amour, de passion. Haine et peine tapies dans l’ombre. Un poème

carburé aux sentiments qui vous expulsent les tripes. En quelques mots. Sauvagement. Je me prendrais même à écrire

« Je t’aime », là sur du papier. J’oserais le dire. Haut et fort. Je le tatouerais. Entre deux taches d’encre, on pourrait sentir un battement cardiaque. Non. Je refuse. Je ne peux pas.

J’ouvre les paupières. Stop. Suffit. J’ai déjà mal. J’entends déjà le violoncelle ciller. L’archet frotte

les cordes en prenant soin de les embrasser totalement. Un cri strident émerge.

Ça vous écorche les tympans et l’aorte. Le fluide vital

gicle partout. Flaques existentielles. Eleanor Rigby est morte.

En 1966. Seule.

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12h. Douze coups. Douze poignards. Plantés dans une cantatrice lubrique. L’horloge grand-mère sonne. Accrochée sur l’épine dorsale et soudée entre deux cervicales, telle une protubérance. Elle ronge la moelle. Elle occupe l’espace. Vorace. Elle couine et gémit. Quand je l’entends, je pense à toi. Ça résonne dans ma tête. TIC. TAC. TIC. TAC. Ça me fait penser au bruit de mon existence. TIC. Je vis. TAC. Je meurs. Alternance permanente. Unique certitude. Ici, juste là. Les minutes et les années passent. Peu à peu. Le rythme ralentit. La cadence s’essouffle. La blessure s’agrandit. La mélodie s’estompe. La chanson est presque terminée.

Mais toi, mon poète. Celui qui possède le temps. Celui qui répare les horloges. Tu en prends une. Tu la regardes, l’analyses, la dévores de tes yeux de chat boulimique. TIC. TAC. Tu te rends compte qu’elle fonctionne tout croche. Elle est détraquée cette horloge. Débile. Brisée. Finie. Son bois est sec, fendu. Plus ciré. Son mécanisme mal foutu. Plus huilé. Ses aiguilles sont tordues, son pendule égratigné. Plus fonctionnelles. L’horloge n’est plus entraînée à tourner, à vivre. Elle s’épuise peu à peu. Se consume. S’effrite. Se décompose. Bientôt, une colonie de mites s’en fera un régal. Elles la dévoreront de l’intérieur en s’empiffrant de sa chair. Tu le sais.

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12h46. Passionnément, tu lui insuffles le meilleur.

Confiance. Tu sens que tu vas y parvenir. Tout n’est pas perdu. En vain. Tu inspires. Tu ajoutes

de nouvelles pièces. Répares, rafistoles. Un ou deux fignolages. Une ou deux

bricoles ici et là. Tu as fait ce que tu as pu. Tu en es convaincu. Tu pourrais le jurer.

Courage. Un sourire se dessine. Une larme coule et s’évapore. Voilà. Ça y est. On entend à nouveau un faible

TIC, puis un TAC. Un joli bruit au loin. Régulier. Doux. Calme. Le poète-horloger a réussi sa mission.

Un applaudissement à peine audible. TIC. TAC.

À12h18, tu te mets à la tâche.

Décidé. Tu l’ouvres, la décortiques. Tu la scrutes

à la loupe en espérant y trouver un trésor. C’est une vieille horloge.

Tu humes l’odeur de son passé. Une fragrance d’eau de Cologne

et de pot-pourri à la fraise. Son histoire est parsemée de nœuds qu’on peut voir dans

le grain de sa peau. Patient. Armé. Tu bouches ses failles, retires ses craintes, une à une.

Avec tes mains fines et écorchées, tes ongles sales. Les paumes pétries par le labeur. Une rivière au front.

Tes efforts sont récompensés. Un espoir s’y cache. En dessous de plusieurs couches de vernis craqué

et de sang séché. Tout petit. Menu. Infime. Tu attrapes cette lueur

et l’aspires.

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Il est 13h15

et tu es là. Dans mes pensées. Je t’admire.

Je te dessine. Une molécule à la fois. Je caresse tes cheveux.

Encore et toujours. Les secondes coulent dans mes veines. Les mots

défilent devant moi. Un morceau de Rachmaninov dans l’âme. TIC. TAC.

Je suis en retard. Ma vie m’attend. Le violoncelle grince. Je ne l’écoute pas. Je suis sourde. Et toi,

tu répares des horloges. Toi, Simon. Moi, Émily. Lui, elle. Qu’à la troisième personne. Ma vie grince.

Je ne l’écoute pas. Je suis sourde.

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Mon nom est Julien Péger. J’ai vingt ans et j’étudie présentement en littérature (profil créations littéraires et médiatiques), après avoir fait, l’année dernière, un certificat sur les œuvres marquantes de la culture occidentale. Je viens tout juste de terminer deux livres que je compte envoyer très prochainement à des éditeurs potentiels. Il s’agit d’une œuvre fantastique, nettement influencée par mon parcours de réflexions en philosophie. J’ai comme projet de travailler en tant que scénariste dans le domaine des jeux vidéo.

La place à côté de moi est vide, elle vl’a toujours été… ou presque. Il n’y a eu que François, mais c’était il y a deux ans déjà et il est parti maintenant : l’école l’a renvoyé pour possession de drogue. Le trajet est long, d’autant plus long, je suppose, que je suis coincé avec mes seules réflexions. Et, comble du malheur, je suis dans les derniers à débarquer du bus. Je le suis dans plusieurs aspects de ma vie, en fait. Je suis tout juste sur le point de m’endormir, écrasé par une fatigue centenaire, quand vient finalement le moment de descendre. Mon quartier est tranquille, une banlieue de bourgeois qui ne demande pas mieux que la paix. Mais, libéré du brouhaha de l’autobus, mon esprit semble vouloir combler le vide en le remplissant d’une autre sorte

LE GRONDEMENT de l’autobus m’endort, mais chaque fois que j’appuie ma tête sur la fenêtre, un nid-de-poule fait sauter le véhicule, et mon front, immanquablement, se heurte douloureusement contre la vitre. Tout le monde parle autour de moi. Tout le monde rit. Ils se racontent leur journée. Je ne vois pas en quoi cela les intéresse : chaque journée à l’école revient au même. C’est cent quatre-vingts jours qui n’en valent qu’un, long et pénible. Deux filles, assises sur le banc juste derrière moi, jacassent comme de vraies pies. Malgré moi, je connais l’essentiel de leurs ébats sexuels du mois. Le nombre de gars qui sont passés sur elles… c’en est dégoûtant. Elles savent sûrement que je les entends, mais elles s’en fichent complètement. Deux gars en avant de moi, des « stars » de l’équipe de football, parlent de la fête qui les attend vendredi. Comment peuvent-ils en être si enthousiastes ? Ils fêtent tous les vendredis et samedis de chaque fin de semaine de l’année. Les autres conversations, je ne les capte que par intermittence : elles s’entrecoupent dans mon oreille et annulent toute forme de sens. J’ai toujours trouvé drôle cette étrange ambiance sonore que représente la captation d’autant de voix simultanément. On devine qu’il s’agit de paroles articulées par des humains de façon logique, mais ce qu’on entend n’est qu’une suite interminable de sons inintelligibles. On retombe aux premiers moments de notre vie, lorsque notre esprit est encore libre de tout langage et n’y comprend pas plus qu’un animal.

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- Ton père est revenu plus tôt du travail, me dit ma mère. Il soupera avec nous, pour une fois.

de bruit, plus ahurissant, plus grinçant et désagréable encore : celui de mes pensées. J’entends des rires dans ma tête, ceux d’Alex et d’Éric. J’entends leurs propos, et admire presque le talent qu’ils ont d’en inventer d’aussi cinglants chaque jour. J’entends le rire des autres, aussi, ceux qui ne sont pas assez doués pour m’attaquer de front, mais qui se régalent bien du spectacle. Aujourd’hui plus que jamais, l’école ressemblait à une arène de gladiateur. Seulement, j’étais le gladiateur qu’on jetait sans armes dans la fosse, Alex et Éric étaient les lions. Et la foule criait, aboyait « Encore! Encore! ». Ils m’avaient déjà dévoré dix, cent, mille fois, et cette fois-ci ils m’avaient jusqu’au cou dans leur gueule, mais ce n’était pas assez. Il leur en fallait

plus. Il leur en faut toujours plus. Une autre musique, stridente, surgit dans ma tête : Isabelle. D’elle je ne perçois rien, sinon le terrible silence qui s’est posé sur ses lèvres, qui s’y pose toujours lorsque je suis près d’elle. Préfèrerais-je qu’elle ait du mépris? L’indifférence est peut-être la pire des attitudes à l’égard de quelqu’un. Au moins, quand on méprise, on reconnaît l’existence de l’individu. Et à travers ce tumulte qui bouillonne dans mon esprit, comme autant d’instruments désaccordés qui joueraient un air atonal, la réponse vient d’elle-même. C’est aujourd’hui, je le sais. Bon Dieu! Il s’est passé tant de choses alors que je n’ai marché qu’une centaine de pas, pour arriver enfin chez nous. Dès mon entrée, ma mère me demande comment a été ma journée. Je lui réponds avec détachement qu’il s’est passé la même chose qu’hier. Mais elle est dans la cuisine: elle fait cuire des légumes dans la poêle et on dirait que vingt serpents à sonnette remuent leur queue en même temps pour éloigner le danger. Elle n’entend donc pas grand-chose et, de toute façon, elle s’attend à ce genre de réponse de ma part. Julien joue du piano, dans le salon. Je remarque pour la première fois

que la mélodie n’est qu’une affaire de culture. C’est un préjugé de croire qu’une suite de notes forme quelque chose de cohérent et même, parfois, d’agréable. Les animaux ont raison. Ils entendent la même chose que nous, mais comprennent que ça n’a aucun sens, qu’il n’existe en fin de compte rien hormis plusieurs fréquences différentes qui pénètrent nos oreilles, font vibrer nos tympans, qui à leur tour font bouger les osselets, et ainsi de suite, jusqu’au signal décodé par notre cerveau.

Mon père est policier. Mais peut-être est-il du genre à croire qu’il est dans un film et qu’il peut changer le monde. Il donne tout pour son métier et néglige trop souvent sa famille. Peu importe… La ligne du destin m’apparait soudainement plus évidente que jamais. Oui, c’est bien aujourd’hui. Ma mère me parle, mais l’exaltation envahit mon âme comme une symphonie qui enterre tout. Je ne lui réponds même pas. Avec la plus grande précaution, je monte dans la chambre de mes parents. Il n’y a personne. Je prends la clé qu’ils ont tenté de me cacher pendant près de dix ans. Avec elle j’ouvre le coffre qui contient l’instrument de prédilection de mon père. L’arme s’y trouve. Mon cœur bat fort, mais je ressens une étrange paix intérieure. « C’est aujourd’hui », que je me répète.

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Sans donner d’autres explications que: « je vais faire un tour, m’man. Je reviens tantôt. », je prends la voiture et je fonce vers la pointe, sorte de petit bout de terre qui s’élance vers le fleuve. Je demeure un instant dans la voiture : à la radio joue Stairway to Heaven... puis je sors. Je ferme alors mes yeux, le vent glisse sur ma peau, comme s’il m’évitait. Au loin, je capte le bruit ambiant de la ville. Celui-ci, je pourrais le fuir, si je le désirais. Mais la cohue qui règne dans mon esprit, jamais. La mélodie est trop insupportable, elle doit cesser. Je l’ai supporté trop longtemps, mais elle n’a fait qu’amplifier avec les années. Je suis étrangement calme, très calme. Je regarde l’objet froid et métallique - comme la mort sûrement - que je tiens dans ma main. Lentement, je pointe le fusil contre ma tempe : on dit que c’est la façon la plus sûre de ne pas manquer sa chance. La musique prend alors toute son ampleur, comme si elle voulait me causer un dernier grand mal, comme si elle voulait me rappeler que tout ceci était précisément de

sa faute. Les rires tout-puissants d’Alex et d’Éric, ainsi que de tous les autres, retentissent comme une dernière moquerie. Et en dernier, le visage d’Isabelle me revient en tête, avec son fatal mutisme. J’appuie sur la détente. Un bruit infernal retentit, le bruit de l’explosion. Il envahit tout mon être, il fait taire tous les autres, jusqu’à l’affreuse mélodie des rires. Il comble le vide que créa Isabelle.

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Et alors, le Bruit cesse tout entier. Enfin vient l’éternel Silence.

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IL Y A DES BRUITS CHARMANTS.//

Le bruit des bulles de champagne, celui d’un baiser fougueux,

une fermeture éclaire qui s’ouvre, une jupe qui gl isse

sur des jambes avant de toucher le sol, des draps froissés par de délicieuses et angéliques cuisses,

des sensations prêtes à se déployer, à exploser, pour venir

arroser l ’âme de délicats éclats de peinture orgasmique,

réjouissante, éblouissante. C’était i l y a tout juste cinq minutes.

Pendant qu’el le se dirige vers la salle de bain, joyeuse et féline,

je reçois un coup de téléphone. Une urgence, je dois m’occuper

d’une patiente. Un bisou mouil lé, un « je t’aime » lancé et je sors

de son appartement. Je la quitte... déjà. Dehors, il fait nuit, une légère brume

se mélange à l’obscurité et la fraîcheur

de l’hiver me pince les joues. Ma voiture

a du mal à démarrer. Lorsqu’enfin le moteur

se met en marche, j ’entends au loin une détonation, comme un gros

pétard. Décidément, les parents du quartier devraient mieux s’occuper

de leurs enfants. Je prends la direction de l’hôpital sur les chapeaux

de roues, i l ne faut pas perdre de temps. Sur le trajet, je pense

à Lise, à notre étreinte fantastique, au parfum de sa peau,

à ses soupirs entrecoupés précédents l’extase. El le me chamboule.

Une fois arrivé, mes collègues m’informent de la situation. I l va fal loir

opérer madame Fenucci que je suis depuis quelques semaines

dans mon service d’oncologie. Cela se présente mal. Je me prépare

pour le bloc. L’opération est longue et complexe, je tente tant bien

que mal de ne pas me laisser submerger par la fatigue. Au final, c’est

un franc succès, un petit miracle. Je rentre chez moi vers

4h30, exténué mais satisfait, je m’endors profondément.LUD

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T H E S O U N D O F S I L E N C E / /

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IL Y A DES BRUITS AGAÇANTS.// Des volets qui claquent, une craie sur un tableau, la fraise du dentiste. Ce qui m’extirpe de mon sommeil est un mélange de braillements d’enfants et de marteau piqueur en furie. À peine les yeux ouverts et encore énervé de ce désagréable réveil, on sonne à la porte. Cela insiste, « Police ! ». Je me lève, trois hommes en tenue. L’air désolé, ils m’annoncent que Lise est morte et que je dois les suivre pour répondre à quelques questions. Je suis décomposé, effondré, démoli. Il y a des nouvelles qui sont inconcevables, vraiment inconcevables. Elle me quitte... déjà. Au commissariat, j’en sais plus sur les circonstances, on lui a tiré dessus, une balle en pleine tête. Je me souviens alors du bruit que j’avais pris pour un pétard. On me dit que des témoins m’ont vu quitter l’appartement à l’heure du crime, l’air pressé. Je leur explique que c’était pour rejoindre l’hôpital. On me dit que des voisins ont entendu des cris bien avant la détonation... j’ai honte de leur indiquer que c’était des cris certes, mais que tout allait bien... nous faisions juste l’amour.Je vois dans les yeux des policiers une certaine méfiance. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer, j’ai fermé la porte à clé derrière moi en partant et Lise n’aurait jamais ouvert à quelqu’un si tard. Je réalise alors que son assassin devait déjà être dans son appartement, caché dans l’ombre, à attendre son heure. Mais pourquoi ? Il n’y a pas eu de vol, elle n’avait pas d’ennemi, les policiers n’ont trouvé aucun indice. Il n’y a pas de suspect... à part moi. Et c’est moi qui suis poursuivi. Au procès, des bruits courent, des rumeurs sur la fin supposée de mon couple avec Lise. Certaines de ses amies évoquent des disputes... rien de plus classique étant donné nos caractères bouillants, mais il n’y a jamais eu de violence, nous nous aimions trop pour cela. Et puis je n’avais aucun mobile pour commettre ce crime, il n’y a pas la moindre preuve contre moi. S’assemble pourtant le puzzle de ma culpabilité, seconde après seconde, il faut toujours un coupable. Dans ce contexte, ma défense fut un brouhaha inaudible.

Échec et matons.

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IL Y A DES BRUITS TRAUMATISANTS.//

CEUX DE LA PRISON DANS LAQUELLE JE SUIS. DES TROUSSEAUX

DE CLÉS, DES PAS MARTELANT LE SOL, DES PORTES S’OUVRANT

ET SE REFERMANT AVEC FRACAS, DES HURLEMENTS LUGUBRES

ET DÉCHIRANTS À TOUTE HEURE. CELA ME PÈSE. C’EST

WUNE HISTOIRE DE SON, UNE HISTOIRE À LA CON. ON A FRANCHIT LE MUR

ET ME VOILÀ ENFERMÉ ENTRE QUATRE MURS. CE N’EST PAS

MA PLACE. « TOUT EST BRUIT POUR CELUI QUI A PEUR » DISAIT

SOPHOCLE. J’AI PEUR, PEUR POUR MOI, PEUR CAR LE VÉRITABLE

ASSASSIN EST EN LIBERTÉ, PEUR DE LA SUITE, PEUR DE TOUT.

LA VIE EST JUSTE INJUSTE. DES FLOCONS DE BONHEUR OÙ

L’ILLUSION COULE, UNE SUCCESSION DE PASSIONS. PASSONS

SUR LES DÉCEPTIONS. FINALEMENT, TOUT FOND. POUR OUBLIER

LA CACOPHONIE CARCÉRALE QUI ME REND DINGUE, JE TENTE

DE ME CONCENTRER SUR L’ÉCHO DE MES SANGLOTS.

JE NE VEUX PLUS RIEN ENTENDRE DE TOUT CELA,

DE CETTE BARBARIE HUMAINE À LAQUELLE JE ME SENS ÉTRANGER.

PRISON

MARTELANT

FRACAS HURLEMENTS

ENFERMÉ

PEUR

ASSASIN

ILLUSION

DÉCEPTIONS

CACOPHONIEDINGUE

SANGLOTS

BARBARIEÉTRANGER

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Je

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ÉTRANGER

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CARRELAGE BLANC

Louba-Christina Michel est née à Chandler en Gaspésie en 1987. Elle vit depuis trois ans à Sherbrooke où elle étudie au baccalauréat en études littéraires et culturelles et au certificat en arts visuels. Elle écrit depuis toujours et peint depuis trois ans. Elle a dernièrement découvert la nouvelle littéraire, ce genre lui donne l’impression de peindre des tableaux avec des mots et des images fortes. Carrelage blanc s’inscrit dans cette vague colorée. Dans cette nouvelle, le rouge et le blanc se confrontent.

Page 27: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

Travail au pointillisme impeccable. Points rouges

sur fond blanc. Sur le carrelage de la cuisine,

des gouttes de sang.Elle. Émotive. Expressive. Extrême. Borderline.

Pour elle, c’est tout ou rien. Pour se sentir en vie,

elle crie. Tue le silence de son rire aigu. Se mord

les joues, les mains, jusqu’au sang. Ne pleure

pas. Se pince les bras, les cuisses, jusqu’au

bleu. Ne vit pas. Elle est invisible pour elle-même.

Inexistante. Comme un point rouge, au centre

d’une grande toile blanche.

Quand il vient chez elle, elle le supplie de la

blesser. Une morsure. Un coup, une gifle au visage.

Une baise animale. Pas de respect. Après l’amour,

le vide. Plus de cigarettes. Pas de vin. Jamais

de marijuana. Et la maudite mélancolie qui prend

toute la place. Elle hurle. Lui crie après. Le brusque.

Il se ferme sur lui-même. Et fini par retourner chez lui.

Elle reste seule. Insatisfaite. Et souffre. Dormir. Dormir

pour oublier. Pour mourir, un peu. Disparaître. Dormir

un après-midi. Toute une journée. Ou un week-end

entier. Si ce n’est pas toute une vie.

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Les jours se ressemblent et passent à un rythme lent. Six mois. Un an. Deux ans.

Aujourd’hui, c’est le tout premier

jour du printemps. En elle se dessine

un sentiment d’explosion. Elle s’exprime

fort. Rigole bruyamment. S’esclaffe. Il aime

la voir heureuse. L’entendre rire. Mais

elle le gêne, lui fait honte. Lui casse les

oreilles. Crie sans arrêt. Pour un tout et pour

un rien. Il aime le calme. Il veut garder

intacte sa bulle fragile. Il ne sait plus quoi

faire. Cherche une issue.

Sur le carrelage de la cuisine, des gouttes de sang. Statufiée devant son silence, elle hurle. Plus fort que jamais. Et lui, il rit. Mais rit. D’un rire fou. Il rit et pleure de rire. Rit si fort, qu’il enterre son cri strident. Les gouttes sur le sol s’embrassent. Le points rouges se touchent. La couleur vive prend de plus en plus d’espace sur le sol.

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Son rire s’étouffe. Son hurlement se tait. Elle se terre dans son mutisme. Bouche béante, elle le fixe. Sur le sol, à leurs pieds, une marée égyptienne s’étend. Il la regarde. Droit dans les yeux. La regarde. Puis ne la voit plus. Vacille. Et s’écroule. Sans bruit. Ses lèvres continuent de sourire. Le sang coule. Elle le regarde, immobile. Toujours muette.

Sur le carrelage de la cuisine, un homme baigne dans son sang. Le silence pèse lourd sous la lumière de la petite pièce. Le cercle de sang se fait de plus en plus grand, en son centre l’homme. Blanc. Paisible. Pur. Funambule sur le plancher froid, elle s’effondre. Genoux nus dans l’océan magenta, elle pose sa bouche sur ses lèvres glaçons. Il est loin déjà.

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Sur le carrelage de la cuisine, un homme vide de sang et sa femme muette. De ses mains, coule le sang brûlant. Sur son chandail blanc, les empreintes de ses mains salies. Esquisse en vain, pour nettoyer la mort. Sur son jeans cyan. Sur ses pieds. Tout ce sang. Sur son visage, du sang. Sur ses paupières.

Sur ses lèvres. Sur ses papilles, du sang. Elle boit. Et boit, jusqu’à plus soif. Vampire sans larmes. Elle boit le liquide vermeil. En elle, pour une dernière fois, son amoureux. En elle, encore une fois, la mort. L’œuvre d’art aux points s’est tracée sur la toile de céramique. Le sang ne coule plus.

Son cellulaire. 9-1-1. Ses doigts glissent sur chaque touche. 9-1-1. On décroche. Elle reste muette. Pas un son ne sort de sa gorge. Pas un cri de son ventre. Pas un appel à l’aide de sa tête. On raccroche. Le cellulaire doré disparaît dans la marée visqueuse.

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Portrait cramoisi d’un Roméo et d’une Juliette. Blancs. Sanglants. Elle couche son visage rouge sur sa poitrine dure. Et appel le sommeil. De tout son être. L’éternel. Elle attend. La faim, le désespoir, le sang. Quelque chose la prendra.

Elle range la table après le dîner. Chantonne.

Danse. Énergique. Bruyante. Dérangeante.

Il aime la voir heureuse. « Mais si elle pouvait

baisser le ton un peu. » Il lui dit, une fois, deux

fois, trois fois de se calmer. Elle chante encore

plus fort. Personne ne lui dira jamais quoi

penser et comment agir. Elle est libre. Libre

de crier. Libre de s’exprimer. Agressé, il ne peut

en supporter davantage. Un avertissement.

Insuffisant. Une infinité de reproches. Rien

à faire. Elle continue. Ne le respecte pas.

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Il prend la paire de ciseaux traînant sur la table blanche de la cuisine immaculée. L’ouvre. Approche une des deux lames de son oreille droite. Et l’enfonce. Le plus creux possible. Blanc. Il retire la lame. Approche l’autre lame de son oreille gauche. Et répète le geste. Chancelle. Et rit. Rit. Laissant tomber sur le sol, la paire de ciseaux souillée. Elle se tourne. Le voit. Arrête de chanter. Enfin! Elle hurle. Comme jamais. Elle est belle. Belle comme un tableau de Munch.

Sur le carrelage de la cuisine, des gouttes de sang.Marée rouge sur fond blanc.

Dans la cuisine blanche. Une lumière enlace le couple.

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Une ouate épaisse m’enveloppe, mes paupières sont pesantes

comme des panneaux de grange, je n’arrive pas à les soulever, cette impuissance me plonge dans le néant,

j’ai le sentiment vague, peut-être, je ne sais pas,

qu’il y a de la vie autour, je ne sais pas non plus si j’en fais partie. Mes jambes sont des masses de plomb. Mon corps est accroché à des fils.

Ce petit sursaut de conscience ne dure

que quelques secondes, le temps de sentir,

je n’en suis pas certain, la chaleur d’une main sur mon bras, d’entendre des voix qui arrivent à peine à percer

l’espace cotonneux où je flotte, des voix étouffées où

les syllabes s’emmêlent sans que j’arrive à en déchiffrer le code.

Au bout d’un moment qui me semble une éternité, je remonte à la surface. La bouche pâteuse, je suis au bord de la nausée,

mon ventre, est-ce le mien, est un gros ballon,

protégé d’une tente. Que m’est-il arrivé, un accident.

Je bouge quelques doigts, cherche à avaler, est-ce que je respire, une ombre s’approche de moi, appelle quelqu’un, ce quelqu’un qui est-ce,

l’effort demandé est trop grand, je coule de nouveau,

juste au moment où une petite inquiétude, comme une étincelle, me traverse, suis-je en train de mourir.

Jeannine St-Amant vit à Québec et détient une maîtrise en

psychopdagogie. Passionnée de littérature, elle se laisse toucher par

les auteurs qui savent présenter l’autre versant de certains mondes.

Elle écrit depuis quelques années en cherchant à traduire en mots

simples des réalités qui peuvent émouvoir. C’est à l’école des ateliers de Mme Esther Croft, pendant plusieurs automnes consécutifs, qu’elle se mit à la recherche d’une voix qui pourrait être la sienne. pseudonyme :Lune rouge

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Il me semble être un noyé sans aucune branche à laquelle se raccrocher,

le prochain plongeon me gardera-il prisonnier. Se lève alors, minuscule, faiblarde, cette envie de savoir. Et là j’entends, venant d’un autre continent : « tout a bien été »

Au pied de mon lit, comme une sentinelle, des anges peut-être,

est-ce qu’ils ont des ailes, mes trois fils, je rêve sans doute, il me faut demeurer en surface coûte que coûte,

je ne veux plus de cette eau vaseuse qui pourrait m’engloutir, j’ai au fond de la gorge un goût de métal.

Je n’y arrive pas, je sombre une troisième fois, cette fois est la plus effrayante, je me débats, mais à quoi donc me cramponner, je tente de distinguer des bruits, des odeurs,

je perçois un souffle, quelque chose qui gonfle et se dégonfle, des grésillements, comme une vieille télé,

des ondes qui se mélangent, des sons insolites qui disparaissent et reviennent, et cette fois, un message un peu plus clair:

« ouvrez vos yeux si vous entendez… » Commence alors une lutte terrible contre l’engourdissement,

où sont mes enfants, où suis-je, et ce souffle, est-ce qu’il vient de mon ventre, il me semble être une grosse roche, ma fille est là,

pourquoi est-elle ici, est-ce donc si grave.

Je garde les yeux fermés encore un peu, pour me reposer,

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bousculent

tremblent

vision

tenter de me reposer,

une envie de pleurer m’étouffe,

je vois ma mère, je crois que c’est elle,

elle a traversé l’épaisseur de mes ténèbres, peut-être,

je ne sais pas, une vision de mon esprit sans doute,

je le sais maintenant, oui, c’est une vision de mon esprit,

je suis donc entre deux mondes, et première lueur de lucidité,

ma mère, elle est morte il y a déjà quelques années,

mais c’est bien qu’elle soit là quand même.

Débute alors un défilé de scènes,

comme dans un film usé,

où les voix se cassent et les images tremblent,

les flash se présentent en désordre,

un garçon blond qui passe les journaux, on m’appelait Ti-Blond,

des balles de tennis que j’attrape et retourne,

mon père, plus jeune que moi, qui joue de l’accordéon,

les images se bousculent, défilent à une vitesse vertigineuse,

je n’arrive plus à suivre,

une route se fait et se défait, la même, longue,

un garage, des tracteurs, des pelles qui grincent sur l’asphalte,

mes sœurs, j’ai des sœurs, des femmes, est-ce que je les

reconnais, un autre petit garçon, ce n’est pas moi,

il me regarde en riant, en se dandinant,

ça il me semble que c’était hier,

comment arrêter le cinéma,

démêler le vrai du faux.

J’ouvre les yeux, c’est la nuit,

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des araignées phosphorescentes marchent au plafond,

une plus grosse cherche à descendre le long du mur en face,

elle grossit on dirait, s’efface, je dirige mon regard ailleurs,

une grosse lune rouge se tient à la fenêtre.

Il faut que je réponde à leur question,

ceux qui sont là, que je leur dise que je refuse de m’abîmer une

autre fois, il y a trop de vase.

Mon cœur bat, je respire,

je ne suis donc pas mort, j’ai échappé au fond boueux du lac,

lentement, je suis ma respiration.

On s’approche de moi, on verse entre mes lèvres

une bonne eau fraîche,

je sais où je suis, je vais vivre,

tout s’est bien passé, je les entends,

je les vois, papa on est là,

je m’agrippe à cette conscience plus claire maintenant,

comme à une bouée.

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INSOMNIE

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Ancien diplomate, ancien militaire, Cédric Citharel a quitté le service public pour tenter de vivre de sa plume. Installé au Mexique, il a déjà collaboré avec quelques magazines et publie régulièrement des chroniques chez ‘Vents contraires’. Il a participé à plusieurs recueils de nouvelles ayant des sujets aussi variés que la psychose ‘Psychose – TheBookEdition’, le chocolat ‘Chocoplume – Éditions Maruja Sener’ ou les créatures légendaires ‘Aux racines du cauchemar – Popfiction – 2011’. Il travaille actuellement sur un roman d’espionnage et compte ensuite revenir à ses premières amours, le fantastique et la science-fiction.

Je ne cherchais même plus à dormir. Je tournais

et retournais dans mon lit sans vraiment savoir à quoi

penser. Alors, j’ai fait la seule chose qui me restait

à faire. J’ai fermé les yeux et j’ai attendu. Un bourdonne-

ment métallique a soudain retenti dans la cuisine.

Un truc lancinant, entre le ronronnement d’un chat

et le vrombissement d’un moteur. Le rythme était

régulier, la chose était probablement tapie dans un coin

de la pièce, froide et immobile. Ça a duré vingt bonnes

minutes pendant lesquelles je me suis juré que

la prochaine fois que j’achetais un réfrigérateur,

je choisirai le plus silencieux. Puis, ça s’est arrêté.

Il était deux heures du matin. J’ai continué à attendre.

Au bout d’une bonne heure, j’ai failli m’endormir.

Je suis sûr que j’y serais arrivé s’il n’y avait pas eu

cette série de craquements dans l’escalier.

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Quelqu’un montait à l’étage ? Non, bien sûr. J’étais seul

dans cette vieille maison. C’était le bois qui travaillait.

Le bois a sur nous un immense privilège. On dit de lui

qu’il travaille quand il ne fait rien d’autre que de craquer

sous les assauts du temps et du vent. Le bois ne cesse

de travailler qu’une fois mort et réduit à l’état

de bûches dans la cheminée. Et encore, même dans

ces circonstances aussi dramatiques il conserve

un certain panache. Il termine sa vie de bois mort

en flambant et en crépitant. En pensant à ça,

je me suis dit que je devais changer la bûche dans

la cheminée. Demain. Peut-être.

Comme je ne trouvais toujours pas le sommeil.

J’ai continué à organiser ma journée du lendemain

et à réfléchir à ce que je pourrai faire pour l’occuper.

Ça ne m’a pas aidé à m’endormir, mais une fois rassuré

sur l’emploi du temps à venir, j’ai réussi à me détendre

un peu. Je m’apprêtais à tomber dans les bras

de Morphée quand j’ai entendu hurler.

Un cri inhumain, tout droit sorti des enfers,

me vrilla les tympans. C’était comme une plainte

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de haine et d’horreur poussée par un nourrisson

fou et déchaîné. Ça faisait longtemps que le chat

du voisin n’avait pas vociféré avec autant d’ardeur.

Les chats vivent la nuit, ce qui habituellement ne

les empêche pas d’être de joyeux compagnons.

Mais là, c’était quand même dur. Je connais bien

le chat du voisin, et d’habitude je l’aime bien. Mais

pendant qu’il hurlait et crachait toute sa haine de notre

monde, je n’ai pas pu m’empêcherde m’imaginer

lui faire subir les pires tortures. Au moins, il aurait

su pourquoi il criait l’animal.

Il y a des bruits qui bercent, pour peu qu’ils soient

réguliers. Ce chat semblait sciemment pousser

des feulements rageurs aux moments où on s’y

attendait le moins. Ensuite, il s’arrêtait quelques

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minutes, pour reprendre son souffle avant la sérénade

suivante. Je ne sais pas contre quoi ou contre

qui il vociférait, on n’entendait que lui. Il était fou,

ou affrontait un ennemi silencieux et particulièrement

discret. Un rat peut-être. Ça ne crie pas un rat.

Ça fait du bruit en marchant, mais ça n’a pas

de voix. Tout le contraire des chats. Les chats se

déplacent silencieusement mais peuvent réveiller

tout le quartier en gueulant.

J’étais assez fier. Dans mon insomnie, j’avais trouvé

ce qui opposait chats et rats depuis la nuit des temps.

Cette pensée me fit sourire, jusqu’à ce que ce maudit

greffier se mette à hurler de plus belle. Je me suis

efforcé de ne plus prêter attention à ses miaulements.

Ça n’a pas fonctionné.

Alors, je me suis résigné. J’ai attendu que ça passe.

C’était une stratégie comme une autre. Le vacarme

a duré longtemps, des heures peut-être, et puis

d’un coup, ça s’est arrêté. Mais je n’ai pas baissé

la garde. Je ne voulais pas m’endormir trop vite.

Cette maudite bestiole aurait profité de mon manque

de vigilance pour me faire sursauter dans mon lit

en se remettant à hurler.

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Je ne pourrais pas dire avec précision à quel

moment j’ai cessé de tendre l’oreille ; à quel moment

j’ai oublié cette sale bête. Ce que je sais, c’est que

j’ai dû m’endormir peu de temps après. Enfin, quand

je dis : « m’endormir », c’est un peu exagéré. À l’approche

de l’aube, on ne s’endort pas, on rêve éveillé. On pense

à un truc. Ce truc devient autonome, prend vie ; et sans

même s’en rendre compte, on se retrouve en train

de rêver. Ce n’est même pas reposant.

De toute façon, ça n’a pas duré longtemps ;

une demi-heure, une heure, tout au plus. Le temps

d’un songe absurde, probablement. J’aurais bien aimé

m’en souvenir mais le réveil a été trop brutal.

Une sonnerie aiguë, persistante, m’a fait chuter

du monde éthéré dans lequel je venais de m’immerger.

J’ai rebondi sur mon sommier, avant de fondre

sur le réveille-matin, les nerfs en pelote, le cerveau

vide et bouillonnant.

Dehors, les oiseaux gazouillaient bêtement.

La journée commençait mal.

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T A N G O{ {

Une main glisse sur la peau tiède de son dos. Maryse ferme les yeux au passage

du frisson. L’odeur de Marc. Celle de l’amour, enfin. Du vin et des draps

qui seront froissés bientôt. Grincement du plancher de l’autre côté

de la cloison. Maryse retient une grimace, espère de toutes ses forces

que le vieux violoniste d’à côté ne gâchera pas tout, encore une fois.

Elle tend l’oreille. Silence.

La jeune femme reporte son attention sur les boucles brunes qui chatouillent

son ventre. Sur l’homme qui fait courir ses lèvres sur son corps. Marc croise

son regard, la prunelle incendiaire. « Maryse… » Il n’a pas commencé

sa phrase, pas achevé son soupir, qu’une longue note claire résonne

en provenance de l’appartement voisin.

Dans les veines de Maryse, une décharge électrique se déclenche.

Une vague de colère. « Cette fois, c’en est trop. Il ne va tout de même

pas recommencer à me casser les oreilles ! Pas aujourd’hui.

Pas avec lui ! »

Marie-Claude Nadeau termine son baccalauréat en création littéraire

à l’Université Laval. Cette herboriste-massothérapeute-boulangère-

parolière-littéraire sculpte son chemin au fil des souffles du vent avec

comme seule marque incrustée dans sa boussole : le désir foudroyant

du bonheur. Les mains dans la terre du jardin, les mains qui massent,

les mains mordues par les cordes de son violoncelle ou de sa basse,

les mains dans les mots, dans le pain. Elle se veut terre à terre : encrée.

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{

{

Page 45: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

L’occupant du 26 B de l’avenue des Cigognes se nomme Joseph Pépin.

Ancien professeur de violon, cet homme chauve et souriant passe désor-

mais tout son temps entre les quatre murs de briques

de son appartement. Quand la propriétaire du bâtiment avait mentionné

ces détails à la visiteuse de vingt-sept ans, Maryse avait considéré

la présence du vieil homme comme un élément rassurant

dans un voisinage qui lui était étranger.

Toutefois, elle n’avait pu ignorer bien longtemps que l’amour vibrant que

portait son voisin à son violon transcendait la notion de couvre-feu

et traversait allègrement espace et murs.

Elle était en train d’emménager lorsqu’elle avait entendu

les premières notes. L’homme était doué, aussi avait-elle d’abord cru

qu’une radio diffusait de la musique classique quelque part

dans son appartement vide. Au fil des efforts, elle s’était cependant rendue

compte que les gammes du violoniste suivaient le même rythme

que ses pas lourds alors qu’elle s’échinait à grimper ses boîtes jusqu’au

deuxième étage. Si elle ralentissait ses mouvements, les coups d’archet

se faisaient plus lents; lorsqu’un regain d’énergie lui faisait grimper

les escaliers à toute vitesse, la musique résonnait, vive et légère,

en de petits sons concis.

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L’embarras ressenti au cours de son déménagement inhabituellement

musical fut ravivé lors d’une soirée d’anniversaire, quelques semaines

plus tard. La fête allait bon train quand la clameur festive d’un rigodon,

qu’elle cru d’abord n’entendre que dans sa propre tête, s’avéra en fait

émaner de la cloison mitoyenne entre le 26 A et le 26 B.

Plusieurs autres événements de la vie de Maryse se retrouvèrent

ainsi agrémentés d’une musique de circonstance interprétée

par son voisin de pallier, si bien qu’elle finit par s’habituer

à la concordance étrange entre sa propre existence et le répertoire

musical choisi par ce dernier.

La jeune femme ne croisait pratiquement jamais le Professeur Pépin.

Tout au plus avait-il eu l’occasion de lui dire qu’il préférait

qu’on le nomme ainsi, un soir, au détour du balcon. Elle l’apercevait

parfois posté à sa fenêtre, violon sur l’épaule, le regard perdu

dans une nostalgie qui le faisait sourire. Ces instants-là, elle se surprenait

à envier la sérénité qui imprégnait le visage et la musique de son voisin.

Coincée entre la tension engendrée par sa carrière de publiciste

et l’impression d’approcher la trentaine sans avoir trouvé le bonheur,

Maryse se sentait plus seule que jamais.

L’hiver suivant, emmurée dans sa solitude, Maryse en eut assez

de se bercer au son réconfortant du violon.

Page 47: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

Les mêmes mélodies revenaient sans cesse en boucle, à l’instar

des idées noires qui tournoyaient dans sa tête. La jeune femme

entreprit de nouer de nouvelles amitiés dans sa ville d’adoption et passa

le plus clair de son temps dans des boîtes de nuit. Un soir, elle invita

un homme à monter chez elle sur un coup de tête et sous l’impulsion

d’étancher un peu cette soif de chaleur humaine qui l’étreignait.

À peine les deux amants s’étaient-ils rejoints sur le lit

que le voisin entama une suite de sons aigus et discordants.

Maryse tenta d’ignorer la musique saccadée et criarde

qui envahissait sa chambre, mais les corps étaient maladroits,

l’étranger en elle presque violent. Elle s’éveilla le lendemain

dans un lit désert, avec l’impression d’être souillée, le cœur

en bouillie et une migraine naissante que n’aidaient en rien

les staccatos rieurs qui résonnaient chez le Professeur.

Durant plusieurs mois, le même phénomène s’était reproduit.

Chaque fois que sa détresse l’amenait à introduire un homme

dans son lit, le résultat s’avérait catastrophique et plus douloureux

encore que la solitude elle-même. Maryse aurait voulu hurler des

injures à son voisin. Elle aurait voulu lui jeter à la figure le vide

béant qui l’habitait et qui semblait grandir par la faute

de l’échec de ses tentatives amoureuses.

Page 48: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

Tous les sens de Maryse sont crispés. Comment a-t-elle pu

oublier tout ce calvaire ? L’inviter chez elle, comme ça,

le feu au ventre. Les crissements du violon vont tout gâcher,

retirer l’oxygène à l’étincelle naissante qu’elle sent pourtant naître

entre elle et Marc.

Une paume chaude sur sa main moite. Maryse sort de la brume opaque

de ses pensées. Marc s’est étendu à côté de son corps raide. Son sourire

en coin. Ses lèvres. Soudain, Maryse réalise qu’aucun son strident

n’irradie du mur ouest de son appartement. Le violon joue de longues

notes douces qui vont et viennent en vagues infinies. La vibration

ronronnante des cordes dissout la tension des muscles de la jeune femme

à demi nue. Apaisée. Son regard trouve celui de Marc. La flamme enfle.

{

Pourtant, dès qu’elle formait le projet d’aller sonner à la porte voisine,

des notes tendres s’élevaient dans l’air, comme l’odeur chaude du chocolat.

La jeune femme finit par se résigner. Elle s’accoutuma à son existence

solitaire. Lentement, une facette plus calme, plus posée d’elle-même

émergea. Puis, elle rencontra Marc. Avec lui, tout était différent.

Plus profond. Leur relation s’était établie petit à petit, si bien

qu’ils s’étaient à peine touchés… jusqu’à ce soir.{

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Dans le 26 B de l’avenue des Cigognes, des tangos lascifs

ont résonné toute la nuit. Quand il est sorti sur son balcon

au petit matin, Joseph a croisé sa voisine

qui partait travailler, un sourire sur les lèvres.

- Eduardo Arolas, a-t-il dit, accompagnant sa voix enrouée d’un

lent geste en direction de la taille de la jeune femme. C’était

vraiment un grand compositeur de tango.

Maryse n’a rien ajouté. Elle est partie travailler.

Six mois plus tard, sans qu’elle n’ait la chance de lui dire

au revoir, le Professeur Pépin quittera son appartement pour

un condo confortable sous le soleil de Buenos Aires. Les mains

sur son ventre rebondi, c’est en regardant un des déménageurs

transporter avec soin le caisson d’un violon qu’elle prendra la

décision d’appeler son fils Édouard.

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2011

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LA NUIT OÙ LA MER A DISPARU/// J’étais avec Joe /////////////////////////

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LA NUIT OÙ LA MER A DISPARU/// J’étais avec Joe /////////////////////////

J’ai commencé à travailler là-bas au début de l’été 72. Il avait déjà été interné depuis

quelques mois. J’avais exercé plusieurs postes à la con avant d’atterrir dans cet hôpital

psychiatrique. Rien de très original, si ce n’est que j’avais toujours eu une peur bleue

des hôpitaux et que l’éther me faisait vaciller et tomber à la renverse une fois sur deux.

On ne se servait pas beaucoup d’éther ici, les couloirs ressemblaient plus à une maison

de retraite qu’à un hôpital et j’avais terriblement besoin de fric. Ce sont surement

les trois seules raisons pour lesquelles je suis resté.

Page 52: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

Joe. Il s’appelait Joe. Ou on l’appelait Joe. Enfin c’est comme ça qu’on me l’a présenté :

« Tu verras, il est très gentil, mais depuis qu’il est là, il passe son temps à rabâcher que la mer

l’appelle et qu’elle a besoin de lui ». Un barjot de plus, j’ai pensé, jusqu’à ce que je lui apporte

à manger un soir. Je me souviens parfaitement de son corps posté devant la fenêtre grillagée,

qui ne s’est pas retourné quand je suis entré. Il a juste levé la main en disant « Ne faites pas

trop de bruit, elle m’appelle, vous l’entendez ? » Je n’entendais strictement rien, pas le moindre

glissement de nuage. Il faisait déjà sombre, et la nuit avait commencé de grignoter le ciel.

Il m’a proposé de m’asseoir, puis on a échangé quelques mots. Chaque sujet déviait vers

ce bruit qui l’obsédait. Il voulait clairement que nous nous rendions tous les deux vers la plage

comme deux évadés s’en iraient vers une terre promise. Il faut croire qu’être entouré de fous

fait réfléchir autrement, puisqu’il n’a pas mis très longtemps à me convaincre. Le temps de voir

passer deux ou trois corbeaux devant la fenêtre et il enfilait déjà son manteau.

Page 53: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

Je savais que je me fourrais dans un sale pétrin. Mais ça a toujours été, plus on est de

fous, plus on rit. C’est ce que je me suis dit à ce moment là.

On est sorti sans avoir trop de difficulté, en évitant les surveillants de nuit qui venaient

de prendre leur service. Il n’y a pas moins vigilant qu’un surveillant de nuit. J’ai toujours pensé

qu’il faudrait créer des postes de surveillants des surveillants. Joe était excité et j’avais

du mal à le suivre. Parfois je le retenais par le bras avant qu’il ne s’engage dans un couloir

comme il se serait jeté dans la gueule d’un loup. Il trottinait et ses charentaises faisaient

de petites mosaïques sur le carrelage blanc de l’hôpital. Tout était décousu chez lui.

Du pantalon de son pyjama aux discours qu’il tenait sur la vie à l’extérieur. Une fois dehors,

il a tenu à me montrer deux écureuils en train de creuser un parterre de fleurs. Je n’ai rien vu

d’autre que la nuit pleine dans laquelle nos ombres se noyaient agréablement.

« Vous entendez le bruit ? » J’entendais vaguement le petit bruit que fait la mer quand

Page 54: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

elle se retire, mais rien de très explicite. Je lui disais « Oui ». Simplement « oui », sans

en rajouter. Quand on décidait d’accompagner un fou dans sa folie, il fallait s’accoutrer

des mêmes parures. Alors que nous marchions sur le sentier qui menait à la plage, j’avais

l’impression de suivre un guide. Dire que la folie le faisait voir clairement dans le noir serait

m’avancer, il n’empêche que Joe était sur ce sentier aussi à l’aise qu’un danseur de tango

sur une piste de danse. Nous avons marché ainsi une demi-heure environ. Les bruits

de nos pas renvoyant la balle au ressac. Il m’a dit en marchant que plus nous approchions

du but final, plus il se sentait les oreilles d’un léporidé.

Page 55: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

Et moi je restais derrière lui aussi sourd qu’un pot dans une chambre insonorisée.

Nous avons enfin débouché du sentier, et du haut de la dune la mer est apparue. Immense.

Pleine du ressac dont il rabattait mes oreilles incompétentes. Puis il m’a dit tout bas

« Regardez-là ».Nous sommes restés en contemplation devant les flux et reflux de la mer

quelques minutes, et Joe s’est mis à courir. Je l’ai suivi dans sa nuit, marquant le sable

des empreintes qui nous perdraient. Il s’est agenouillé et m’a dit « Vous l’entendez maintenant,

hein ? ». Je me suis encore contenté d’un « Oui ». Un oui qui validait sa folie et faisait naître

la mienne. Alors il a fouillé dans sa poche, en a sorti deux petits tubes de plastique, et m’en

a tendu un. Puis Joe s’est penché, et a commencé à boire la mer à la paille

Page 56: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

Je n’ai jamais connu ni entendu mon père. Et j’ai toujours adoré quand ma mère Lili

me racontait dans quelles circonstances extraordinaires elle avait accouché

de moi. Je n’avais qu’à porter délicatement ma main sur son ventre pour qu’aussitôt, et à

chaque fois, elle s’élance dans cette histoire, mon histoire. Tel un chef d’orchestre dirigeant

ses musiciens, elle gesticulait généreusement avec ses deux mains, et sans laisser de vide,

me racontaitla symphonie à trois mouvement que fut sa plus belle histoire d’amour.

Lili ne débutait que rarement par le même préambule, c’était selon son humeur

du moment. Parfois elle allait de la description du magasin de disque

de Trois-Rivières, là où pour la première fois elle avait entendu l’homme

qui allait devenir mon « père ». Ou alors, si le temps le permettait, elle sortait

le fameux « long jeu » de sa pochette jaune, et comme pour imiter une aiguille

plantée dans un vinyle, elle pointait et tournait son doigt sur le disque tout

en suivant les sillons finement gravés. C’était d’ailleurs dans l’une de ces pochettes

de 33 tours qu’était précieusement conservé mon étrange certificat de naissance,

ou alors ce qu’on pourrait appeler le ticket d’admission de ma vie.

Mais je me souviens que bien des fois, faute de temps, elle épargnait ces multiples détails

et contait sans cérémonie l’inoubliable soirée du 3 avril 1957...

À 19h30, c’était l’ouverture des portes. Elle était placée directement à l’avant-scène.

À 20h00, la vibration de la première note se faisait entendre, et elle se trouvait même

si proche qu’elle pouvait observer les détails de ses lèvres quand il chantait.

À 21h10 - c’était mon moment préféré - la frénésie était à son paroxysme, et l’Auditorium

d’Ottawa était en plein milieu d’un orgasme « rock and rollien ». Et pour mieux me faire sentir

le rythme qui sortait des amplis, ma mère agitait ses deux index de chaque côté

de ses oreilles, puis arrêtait soudainement en refermant ses poings comme si elle venait

d’attraper le son. Puis venait alors le tant attendu refrain.

Lili, elle, était accoudée sur le haut-parleur, et même s’il faisait trop chaud, elle avait gardé

par exprès son joli manteau rouge à col d’astrakan. Elle priait de ses deux mains pour

qu’il la remarque enfin.

C.Reney. Études en arts visuels, en arts d’impression, et en sculpture à l’UQAM, Reney a surtout

travaillé comme peintre scénique pour différentes productions québécoises. Son intérêt pour l’écriture

l’amène à publier une petite BD à compte d’auteur intitulée « La terreur noir pâle : voyage sur fond

de bitume ou comment se rendre en symbolie ». Cette dernière s’est méritée le prix de meilleure BD

francophone alternative lors d’EXPOZINE 2008 à Montréal.

COURIR PLUS VITE QUE LE BRUIT

Page 57: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

« Love me tender, love me sweet, never let me go. You have made my life complete,

and I love you so... » Et c’est là qu’elle affirmait en pointant son index sur sa poitrine

et en regardant fièrement vers son ciel : « Il m’a regardé droit dans les yeux, il m’a choisie

moi, Lili Rousseau ! »

Finalement, elle portait ma main à son cou, me serrait contre elle et chantait un ou deux

autres couplets. Ma main vibrait tout doucement sur son pharynx. Elle me racontait

comment tout à coup son ventre s’était rempli de bonheur et enchaînait

avec son incroyable accouchement à côté du haut-parleur. Elle mimait

l’incoercible chute des graves, et moi, je m’imaginais naître.

Mes premiers questionnements sont arrivés vers l’âge de 12 ans.

Pouvais-je avoir été mis au monde le soir même de ma conception ?

Pourquoi pas. Et est-ce que toutes les mamans devaient nécessairement

attendre neuf mois pour donner des bébés ? Ma mère m’assura que non.

D’ailleurs comment pouvais-je douter une seule seconde des dires de ma propre

mère ? Alors afin de statuer une fois pour toutes sur mes origines, j’en suis venu

à la seule hypothèse possible que ma mère avait été mise enceinte par le haut-parleur juste

à côté d’elle ! Qui plus est, j’avais confirmé ma théorie dans un livre sur la physique du son.

Ma mère était ce qu’on appelait dans le jargon scientifique : une enceinte acoustique.

Et il fallut bien plus que les cours de bio pour briser ma crédulité que mon père biologique

était subtilement passé par l’ampli.

Aujourd’hui c’est mon anniversaire. J’ai 54 ans, et ma mère vient de mourir. Je ne saurai

jamais vraiment si Lili me racontait cette histoire pour m’en cacher une autre bien plus triste.

Car le bruit courait que ma mère avait été violée dans l’arrière-boutique d’un magasin

de disques neuf mois avant le concert. Et selon sa soeur Rita, c’était « Love me tender »

qu’elle avait été forcée d’écouter lors de son agression. Alors Lili ? En te murmurant

« I’ll be yours through all the years, ‘till the end of time », est-ce qu’Elvis a vraiment sauvé

ton âme ce jour-là ? T’aurait-il réchappé à son insu d’une enfance souillée et d’un souvenir

irréparable? Et quand tu me racontais sans cesse notre accouchement « rock-ambolesque »

le soir du concert, cela rendait-il ma présence plus supportable ? Ou voulais-tu simplement

mettre un baume réconfortant sur le fait que j’étais né... sourd ?

COURIR PLUS VITE QUE LE BRUIT

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Le fanzine remercie :

Jean-François Bouffard, Nadia Deschamps-Berger, Juli Dutil, Marie-Andrée Gilbert,

Marie-Pier Huot, Carole Juneau, Thérèse Laflleur, Sylvie Vallières, Antoine Tanguay,

Caroline Tard, Sylvie Vallières, Élaine Walsh.

Prochain numéro : RUELLE

Pour de l’information sur le fanzine, un abonnement ou l’achat de numéros antérieurs,

visitez notre site : www.katapulpe.com

Page 60: Fanzine Katapulpe (Le bruit)

La conception graphique de ce 11e numéro-école s’est effectuée dans le cadre du cours Design d’édition du programme de Baccalauréat design graphique de l’Université Laval à l’hiver 2012. Les vingt-cinq étudiants participant au cours ont d’abord pris connaissance de tous les textes. Ils devaient respecter le format et la signature de Katapulpe et tenir compte des spécificités d’impression (laser noir pour les pages intérieures et laser couleur pour la couverture et l’endos de la couverture). Les étudiants devaient concevoir en équipe de trois ou quatre personnes la mise en page des dix textes, l’éditorial, la table des matières, les couverts et les illustrations. L’utilisation de banques d’images n’était pas recommandée. Ce cours comporte plusieurs objectifs pédagogiques généraux et spécifiques. En voici quelques-uns liés à ce projet :

• Initier à la pratique du design d’édition en assurant l’intégration des aspects conceptuel, formel et technique (synthèse forme fonction et procédés de fabrication).• Apprendre à coordonner et planifier les différentes étapes d’un projet, en établir l’échéancier et en assurer les relations avec les différents intervenants concernés à l’étape de la production.• Développer le goût de la recherche, de l’exploration, de l’analyse et de la critique relativement à ce champ d’étude.

Parmi les 8 propositions, la sélection du fanzine pour diffusion en 250 copies s’est effectuée en tenant compte de la qualité des concepts et des images, de la lisibilité des textes, de la typographie, de la relation entre les images et les textes ainsi que des fils conducteurs graphiques entre les divers textes. Le projet a suscité plusieurs questions qui ont animé des discussions fort intéressantes, entre autres liées aux droits d’auteur, aux relations entre les textes et les images, à l’influence des images sur l’interprétation des textes, à la lisibilité des textes, aux rôles et fonctions de la couverture, à son lien avec les pages intérieures, à la séquence des pages et des textes, aspect qui soulève des problématiques surtout lorsque le document est produit par plusieurs personnes.

Je remercie Denis Bégin, les auteurs des textes ainsi que les lecteurs pour cette ouverture à l’exploration visuelle et à la réflexion.

Sylvie Pouliot, professeure