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    44 Pdagogie collgiale Vol. 15 no2 Dcembre 2001

    V OUS AVEZ LA PAROLE

    La place de lenseignant dans la rforme :expression dun malaise

    Marcel Faulkner

    Professeur de sociologieCgep Saint-Jean-sur -Richelieu

    UNMALAISENous vivons dans une re de soumission, librement consen-

    tie, mais dont certaines sphres de lactivit humaine consti-tuent des zones de protection de lidentit personnelle. Pourcertains groupes, dont nous sommes, la vie professionnellereprsente une telle zone de libert tolre o lesprit dinitia-tive, le contrle sur la tche, lautovaluation du travail, lepartage avec les pairs, une supervision souple reposant sur la

    reconnaissance de lexpertise mutuelle et le statut social re-connu garantissent un certain contrle sur le travail et sur lasatisfaction de participer une mission sociale valorise.

    Mais, depuis quelque temps, une impression se dgage deplus en plus nettement leffet que ce qui rendait notre travailintressant et satisfaisant samenuise au profit de nouvellesproccupations caractre principalement administratif quigrugent nos nergies, nous incitent des dmarches extrme-ment laborieuses, alourdissent notre tche, assombrissent lave-nir de notre profession, sans garantie dun meilleur rendement.Plusieurs personnes ont la vision dun rouleau compresseurqui savance sur elles, dautres manifestent une certaine fata-

    lit devant les changements qui simposent, enfin les derniresaffichent une rsistance passive saccompagnant quelquefoisde soupirs de rsignation ou dun haussement de ton impuis-sant. Bref, plusieurs dentre nous ne reconnaissent plus le dy-namisme qui rgnait il y a quelques annes dans notre collge.

    Pourtant, plusieurs collaborateurs sagitent et semblent trsoccups. Beaucoup de textes circulent, plus que nous ne pou-vons en lire, comme si la machine stait affole. La vritsemble tre dans le mouvement. Mais la prudence, la rigueur,lefficacit et lefficience y trouvent-elles leur compte ? Fai-sons-nous les bons choix ou obissons-nous des envolesadministratives commandes den haut ?

    O se situe notre place dans cet engrenage qui semble en-cercler notre institution, vient chambouler le cadre de notretravail, veut nous faire parler de comptences plutt que dob-jectifs, instaure des politiques dvaluation tous azimuts, affi-che des slogans dimputabilit en mme temps que de dcen-tralisation, affirme lautonomie des tablissements en mmetemps quil impose une commission dvaluation de lensei-gnement collgial ?

    Lobjectif de ce texte nest pas de dgager une logique mani-feste ou implicite tout cela. Son but est plus modeste.Dabord, exprimer un malaise latent mais qui se manifeste deplus en plus souvent loccasion dune conversation, dunerencontre dpartementale, ou autrement. Ensuite, soulever desquestions parce que les rponses manquent. Des questions surce qui se met en place actuellement, mais par-dessus tout, surnotre rle de professionnel de lenseignement et des objectifsque ce rle nous amne poursuivre. Enfin, ce texte ne visepersonne en particulier, ni aucune des instances et composan-

    tes du collge, convaincu que je suis que chaque personne quiy uvre tente du mieux quelle peut de livrer la marchan-dise .

    LVALUATIONINSTITUTIONNELLE la suite de la cration de la Commission dvaluation de

    lenseignement collgial, les collges, et notre tablissementne fait pas exception, se sont lancs dans la production dunesrie de politiques dvaluation portant tantt sur les lves,tantt sur les programmes, tantt sur les employs. Dabordjustifis au nom de limputabilit des tablissements et du droitde regard de lautorit publique sur la gestion de ses program-mes et de lutilisation des fonds publics, ces lments dunepolitique dvaluation institutionnelle devenaient loutil demesure ou de contrle de la Commission dvaluation de len-seignement collgial. Plusieurs craignaient une possible com-paraison des tablissements mais, finalement, il est apparu queces valuations devaient plutt servir une dcentralisationdes responsabilits du ministre de lducation vers les coll-ges qui pourraient mettre ventuellement leurs propres di-plmes. Pour les collges moins mritants, le Ministre les

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    mettrait lui-mme. Les diplmes du ministre auront-ils, dansun tel scnario, une valeur moindre ? Et quen serait-il de lqui-valence des diplmes entre les collges ? Veut-on substituer un rseau national, des tablissements vocation diffrencieet de qualit ingale ? Bref, on semble assister une dcentra-lisation des responsabilits et une centralisation du pouvoir

    de sanctionner... les collges.

    COMPTENCESETPROGRAMMESAprs maints balbutiements, vint lapproche par compten-

    ces qui, en se greffant lapproche programme, devait mar-quer une re nouvelle et une meilleure qualit de lenseigne-ment. Sans reprendre les dbats sur les avantages ou inconv-nients de lune ou lautre des approches, il nen demeure pasmoins quelles furent imposes quasi dautorit. Naurait-il past sage de procder une validation de ces dmarches avantde les appliquer dans limprovisation ? Certains experts affir-ment que cette validation a dj t faite ailleurs. Alors quels

    en sont les rsultats ? Sont-ils exportables ? Si oui, quellesconditions ?

    Mais, encore aujourdhui, beaucoup dentre nous attendentla dmonstration de la supriorit de ces approches. Avec unpeu de recul, celles-ci apparaissent souvent comme un sys-tme dagencements formalis et une contrainte sur nos prati-ques professionnelles, o limportance de la structure et de sacohrence thorique semble lemporter sur celle du contenu.Nest-ce pas une forme de taylorisation de lenseignement parle dcoupage et la segmentation que ces approches impliquent ?Si tel est le cas, en quoi sont-elles avantageuses ? Et pour qui ?

    LARUSSITESCOLAIREAvant mme limplantation gnralise de ces approches

    prsumes prometteuses, le ministre de lducation lance unecampagne de promotion de la russite scolaire assortie dunfinancement conditionnel lacceptation des plans de russiteque commissions scolaires, collges et universits doivent luisoumettre. Dj, avant son annonce, presque tous les collgesavaient mis en place des services de support lenseignement,

    voire des programmes de mise niveau. Sans que lon ait euloccasion dvaluer lefficacit de lensemble de ces mesuresde soutien, certaines dentre elles apparaissaient coteuses auxyeux de plusieurs eu gard aux rsultats obtenus. Quimporte,il faut aller de lavant. Conscients que nous ne pouvons agirsur les vritables facteurs de la russite scolaire qui sont essen-

    tiellement de nature socioculturelle1

    , dautres moyens sontproposs ou mis en place pour assurer une meilleure perfor-mance des lves ..., tandis que de son ct, le ministre delducation normalise les rsultats ses propres tests de fran-ais ! Et pourtant, aux dires mmes de la Fdration des cgeps,un grand nombre dlves ne savent pas crire.

    Llaboration de ces nouvelles mesures a t loccasion delclosion dune approche de plus en plus psychologique de la russite scolaire, o un nouveau langage mdical sert decaution labsence de garantie de rsultat. On parle de plusen plus de dpistage prcoce, de diagnostic, de plan dinter-vention, de pronostic, o lenseignant-mdecin devient le prin-

    cipal responsable de la gurison de llve-malade. Et si le maltait ailleurs ?

    Parce que notre approche-client envoie un message de priseen charge de llve par ltablissement quil frquente, il mesemble que lon assiste une dresponsabilisation de plus enplus prononce de llve lgard de sa propre russite sco-laire. Les exemples ne manquent pas dlves en situationdchec qui sadressent aux services pdagogiques ou nous-mmes en affirmant : Il faut que je passe, quest-ce que tupeux faire ? .

    PLANSDERUSSITEETPLANSDEREDRESSEMENTAu mme moment, le collge annonce au ministre de ldu-cation que son taux moyen de russite augmentera de 10 %environ ! Lobjectif vis deviendra-t-il le nouveau barme denos valuations ? Cela risque fort darriver puisque des sub-ventions y sont assorties. Dj, des professeurs affirment de-voir justifier les taux dchec de leurs lves ! Incidemment, leMinistre a indiqu notre collge que ses objectifs de rus-site manquaient dambition !

    Les plans de russite scolaire saccompagneront ventuelle-ment de plans de redressement pour les tablissements moinsperformants aux yeux du ministre qui se donne ainsi un nou-veau moyen de contrle tout en parlant de dcentralisation.Et gare aux collges rcalcitrants qui pourraient tre confronts des comparaisons dfavorables susceptibles de faire fuir saclientle. Qui, et en vertu de quoi, a dcid dintroduire unprincipe de comptition entre les collges ?

    1. Campeau, R., La russite scolaire au collgial : entre la solutionpolitique et lacharnement pdagogique ,Pdagogie col lgiale,vol. 14, no4, mai 2001, p. 27-31.

    On semble assister

    une dcentralisation des responsabilits

    et une centralisation

    du pouvoir de sanctionner

    les collges.

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    PLANSCADREDECOURSEnfin, dernire dcouverte bureaucratique voir le jour :

    un document traitant des plans cadre de cours et des plans decours. Quiconque ayant parcouru le document est saisi de ver-tige la vue de la dmarche propose et de la multiplicit desniveaux dautorit suggrs. Mais, par-dessus tout, se profileune dresponsabilisation des enseignants et des dpartements

    au profit dune volont exacerbe dharmonisation et duneuniformisation assortie dune forme de contrle extra-dpar-tementale. On rpondra quil est normal que les dpartementsperdent de leur autorit puisque nous avons adopt une ap-proche programme. Cest une vision des choses parmi dautrespossibles. Il suffirait de statuer que les disciplines contributivessont prcisment des disciplines contributives un programme,dont les disciplines de base regroupes en dpartement de-meurent responsables et matres duvre. Cela viterait beau-coup de problmes dont les tensions inter-dpartementalesqui se manifestent dj. Cela aurait pour effet galement das-surer aux dpartements et aux enseignants le maintien de leursresponsabilits collectives et professionnelles.

    DESOMBRESPRDICTIONSNul administrateur en gestion des ressources humaines

    nignore le fait quune organisation confronte de trop nom-breux dfis, tant assujettie des orientations multiples sur-tout lorsquelles semblent contradictoires se place dans unesituation de vulnrabilit. Des orientations ou des valeurs malfondes ou faiblement partages ne peuvent assurer une adh-sion suffisante latteinte dobjectifs ambitieux. Sans recher-cher une unanimit impossible, un large consensus sur desorientations claires demeure un gage de russite. Sinon, descomportements ou des attitudes dysfonctionnels apparatrontet compromettront la mission vritable de ltablissement. la fatigue, lanxit et au stress dj visibles chez certainsdentre nous, sajouteront des comportements de retrait, dedmotivation et de dsengagement. vouloir trop encadrer,on risque de tuer lesprit dinitiative ; vouloir trop normali-ser, on risque doublier la finalit poursuivre. y regarderattentivement, plusieurs de ces symptmes ne sont-ils pas djmanifestes ? Do le malaise...

    CONCLUSION la lecture partielle et imparfaite de notre situation se d-

    gagent deux mouvements de centralisation. Un premier mou-vement vers le ministre de lducation qui se donne de plusen plus doutils de contrle sur les collges, tout en proposantune dcentralisation de certaines responsabilits. Un deuximemouvement comparable se dessine au collge o lon assiste un renforcement des services administratifs et la multiplica-tion des politiques de gestion et de procdures dencadrementau dtriment de nos responsabilits dpartementales et pro-fessionnelles.

    Ce texte ne prsente quune vision incomplte et person-nelle de notre situation de travail. Il na pas la prtention dtreobjectif ni exhaustif. Plusieurs autres aspects nont pas t prisen compte et dautres perspectives danalyse pourraient treaussi pertinentes. la relecture, il mapparat comme un cridu cur. Mais enfin...

    Compte tenu de la fuite en avant qui me semble tre en-clenche depuis quelques annes, ny a-t-il pas lieu de saccor-

    der quelques moments de rflexion ? Pourquoi pas une jour-ne pdagogique syndicale ? la gestion au jour le jour, nest-il pas temps de nous donner loccasion dune reprise en mainsde nos responsabilits ? luniformisation qui sannonce, auxmcanismes de contrle qui se mettent en place, un systmebureaucratique qui alourdit notre travail sans garantie demeilleurs rsultats, nest-il pas temps de raffirmer notre vo-lont de conserver le contrle collectif sur notre travail, fac-teur essentiel au maintien dune motivation suffisante lexer-cice de notre profession... qui demeurera toujours un art quisexerce dans une classe avec des lves... ?

    [email protected]

    Marcel FAULKNERenseigne la sociologie depuis 27 ans auCgep Saint-Jean-sur-Ri chelieu. La sociologie du t ravail et lesdisciplines connexes constituent son centre di ntrt profession-nel. Il a uvrpendant quelques annes la di rection de sonsyndicat local denseignant-e-s et il consacre ses loisirs prsiderun organisme sans but lucrat if dans le secteur des services de lasantet des servi ces sociaux.

    Qui, et en vertu de quoi,

    a dcid dintroduire

    un principe de comptition

    entre les collges ?

    vouloir trop encadrer, on risque

    de tuer lesprit dinitiative ;

    vouloir trop normaliser, on risque

    doublier la finalit poursuivre.