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Femina 20080309 - Tes enfants me gonflent

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De nombreuses familles vivent recomposées,pour le meilleur et le pire... Mais comment fairepour que l'air soit respirable lorsqu'on ne peutplus voir les gosses de l'autre, même en peinture?

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TES ENFANTS' ME GONFLENT! De nombreuses familles vivent recomposées, pour le meilleur et le pire... Mais comment faire pour que l'air soit respirable lorsqu'on ne peut plus voir les gosses de l'autre, même en peinture? TEXTE STÉPHANIE MILLIQUET

aris, ambiance feutrée autour d'un café, une ...... dizaine de femmes entre 30 et 40 ans vident leur ....iIII , sac. Bienvenue au «club des marâtres». Nathalie,

......,.. la trentaine, élancée, parle d'un air détaché. C'est une habituée. Les mots filent calmement entre ses lèvres rouge carmin: «Il y a dix ans, j'ai ren­contré un homme avec trois filles, presque ados.»

«Ah! le mauvais lot!» lance sa voisine, une petite brune dans la quarantaine. Les autres s'y mettent aussi: «Mon mari s'en fiche que ses filles me pourrissent la vie, il trouve que tout est normal». <<je parie qu'il dit que c'est toi qui as un problème», souffle une autre marâtre. L'assemblée acquiesce, échanges de clins d'œil complices: le coup a l'air classique.

Drôle d'idée que de créer un espace de discussion spécial marâtres? On a beau avoir des copines, des mamans, des confi­dentes, une sorte de tabou bien-pensant plane sur la tête des belles-mères: quand on en est une, on est priée de trouver que les enfants de son homme sont d'adorables petits anges. Et si ce n'est pas le cas? Tant pis, on fait semblant. c'est donc pour délier ces lan­gues trop longtemps muselées que Marie-Luce Iovane-Chesneau a fondé ce club pas comme les autres. Elle sait de quoi elle parle: belle-mère, elle vit la belle-mèritude au quotidien et cosigne tout prochainement un livre de réflexion sur le sujet Belle-Mère ou Marâtre, quelle Place pour la Femme du Père? (Ed. de l'Archipel). L'autre auteur de l'ouvrage est le docteur en psychologie Michel Moral, spécialisé dans les relations des familles recomposées.

UN LIVRE Belle-mèritude Dans la famille recomposée, quel statut a la marâtre? C'est la question qu'abordent Michel Moral et Marie-Luce lovane-Chesenau dans Belle-Mère ou marâtre, quelle Place pour la Femme du Père? disponible mi-mars. (Ed. de l'Archipel).

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fantille Alors, comment se débrouillent ces femmes qui n'avouent pas que ça ne marche pas avec les gosses de l'autre? «Lorsque j'ai demandé de l'aide à mon entourage, ne sachant plus comment me positionner par rapport à mes belles-filles, personne n'a pu me répondre, raconte Marie-Luce Iovane-Chesneau. On me disait: «Tu n'es pas la mère, ça n'est pas à toi d'intervenir», ou «Tu savais bien qu'il avait des enfants.» En discutant avec des copines dans la même situation, je me suis rendu compte que je n'étais pas seule et qu'il y avait un réel besoin de mode d'emploi.»

La place du père... Alors, dure dure la vie de famille recomposée? Ces dernières années, on l'a surtout décrite comme un grand clan joyeux et nomade, choisi plutôt que subi. Or, ces femmes qui le vivent au quotidien ne seraient-elles pas en train de casser cette image fleur bleue? Admettre que la recomposition d'une famille ne se fait pas sans accrocs reste chose délicate. Pire, avouer à son homme qu'on ne s'en sort pas avec ses gosses, relève pratique­ment de l'impossible. <<Je ne pouvais quand même pas lui dire que ses enfants m'insupportent!» s'exclame Diane, belle-mère de deux jeunes adultes. Comment faire pour en parler quand même? Avec un homme qui a tout sauf envie d'entendre cela? Jean-Claude Métraux, pédopsychiatre à Lausanne, voit passer moult familles en difficulté. Il note que «le père est souvent pris

AVOUER À SON HOMME QU'ON NE S'EN SORT PAS DU TOUT AVEC SES GOSSES RELÈVE PRATIQUEMENT DE L'IMPOSSIBLE.

entre les attentes de son enfant et celles de sa compagne. Il aura tendance à négliger cette dernière, pour se consacrer à l'enfant qu'il ne voit qu'un week-end sur deux. Il aimerait définir son rôle de père.»

L'important est donc que les adultes puis­sent se mettre d'accord entre eux et tenir un discours commun face à l'enfant: «Vous n'êtes pas obligés de vous aimer, mais de

vous respecter!» C'est le genre de petite phrase qui remet les pendules à l'heure en cas de tensions. Cela évite de se retrouver, comme Marie, face à un petit bout de 4 ans et de lui dire les yeux dans les yeux: «Tu me détestes,je te déteste, mais nous n'y pou­vons lien, va falloir faire avec!» Et le médecin de préciser qu'«il ne faut pas avoir honte si les relations ne se nouent pas comme on l'aurait souhaité. C'est une situation nouvelle qui n'est pas simple et qui nécessite qu'on prenne les choses en main.»

En Suisse, un mariage sur deux se solde par un divorce. Bien qu'il n'y ait pas de statistique qui les recense, les familles recom­posées sont nombreuses. Et chacune a son lot de désagréments à gérer. Mais les belles-mères sont unanimes, la plus grand obsta­cle, c'est leur statut. Ou plutôt leur absence de statut. Marie-Luce Iovane-Chesneau enchaîne: «La difficulté pour une femme, c'est son positionnement au sein de la famille recomposée. L'idée reste bien ancrée que la mère est le parent principal. Le père étant moins parent, c'est à la belle-mère que revient l'autotité pour les petits tiens du quotidien. Le papa, lui, se cantonne à des activités récréatives.» Marâtre de deux petits garçons, Anne raconte toute l'ambiguïté de son rôle lorsqu'elle interrompt une partie de cache-cache entre son conjoint et ses enfants en ctiant: «A table!» Quoi qu'elle fassè, la belle-mère semble avoir un rôle plus ingrat. C'est à elle que reviennent souvent les tâches gâche­plaisir liées à la gestion ménagère, alors qu'un beau-père aura tendance à rester dans un regish-e plus ludique ou fmancier avec l'enfant de sa nouvelle compagne.

Un peu d'autorité «Yen a marre de cette vision où ce sont toujours les enfants qui souffrent alors que la plupart du temps, les beaux-parents sont bienveillants et cherchent un équilibre dans cette nouvelle famille!» s'exclame Marie-Luce Iovane Chesneau. En effet, les enfants n'ont, a priori, aucune raison de se montrer très coopéra­tifs avec «la nouvelle» et sont bien capables de lui mener la vie dure. Selon Michel Moral, «si les enfants sont parfois hostiles à la marâtre, c'est qu'ils pensent que leurs parents vont se remettre ensemble. Ou alors, les filles peuvent développer un sentiment de rivalité face à une femme qui a su séduire leur père.»

Evidemment, les belles-mères se donnent beaucoup de peine: sympas, de bonne volonté, dynamiques et bienveillantes... Alors où est le problème? «Souvent du côté du père», rétorque le psy­chologue. Plusieurs cas de figure sont des classiques: l'homme éprouve un gros sentiment de culpabilité, soit parce qu'il a aban­donné la mère de ses enfants, soit parce qu'il n'a pas su la rendre heureuse et qu'elle a fini par partir. Conséquence: «Le père est plutôt laxiste, d'autant plus qu'il ne voit ses enfants le plus sou­vent qu'un week-end sur deux.» Et pour une belle-mère, qui de surcroît est chez elle, avoir une horde de hooligans en culotte

(suite en page 30)

PETIT VADEMECUM POUR LES BELLES-MÈRES CET LES BEAUX-PÈRES.J

• Oser demander: «Montre­moi l'album de famille.»

L'enfant a besoin que l'on

reconnaisse cette période

de sa vie. Il ne le proposera

pas spontanément pour ne

pas blesser.

• Ne pas comme"re l'erreur de ne s'intéresser qu'au

cadet quand un enfant naît

dans le nouveau couple.

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• Ne jouez pas le rôle de bonne copine. L'enfant

analysera cela comme de la

démagogie et perdra la consi­

dération qu'il a pour vous.

• Mettez-vous à sa place. Demandez-vous si tel mot ne

va pas le blesser comme il

vous aurait blessée à son âge.

• Ne le comparez pas à ses demi-frères ou à ses demi-

sœurs. La rivalité, la concur­

rence, il n'a pas besoin de ça

en cette période où sa place

est si difficile à trouver.

• Si cet enfant était le vaire, vous supporteriez, sans

doute, ses défauts. Pensez-y

avant de condamner.

• Utilisez l'humour et le

conseil positif plutôt que la

réprimande.

• Considérez-vous comme ..un partenaire éducatif du

papa, que vous soutenez

sans vouloir le remplacer.

Si vous représentez un

modèle positif auquel

l'enfant peut s'identifier sans

trahir son parent biologique,

la relation sera positive et la

reconstruction de la famille

bien plus solide.

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Alice, 50 ans, 3 enfants, en coupledepuis quatye ans avec un homme aJ,Unt deux filles de 9 et 7 ans «J'AI CHOISI UN HOMME,

"' PAS UN PERE!» <<Je ne supporte pas ses filles car elles sont mal éduquées, elles mangent comme des cochonnes, s'essuient avec le revers de la manche! Je rêvais de jolies petites filles et je me retrouve face à deux miss cracra pas féminines pour deux sous. Lorsque j'ai ren­contré mon ami,j'ai choisi un homme, pas un père. Je n'ai pas envie de gâcher ma relation pour des divergences d'opinion L L quant à l'éducation de ses filles. J'ai été très •• claire à ce sujet dès le début et, d'un com­

mun accord, nous avons décidé de garderMOI QUI RÊVAIS DE JOLIES PETITES nos appartements respectifs. De plus, mes FILLES, JE ME fils ont déjà un père et je ne voulais pas leur RETROUVE FACE À DEUX MISS imposer l'homme que j'aime. Je n'ai pas le CRACRA PAS droit d'imposer mes valeurs à des filles quiFÉMININES.

ne sont pas les miennes. Elles ont déjà une vie difficile suite à la rupture de leurs parents, alors si en plus elles doivent se taper mes remarques ... Leur éducation, c'est entre lui et son ex, moije ne veux rien avoir à y faire. Je le vois bien quand nous sommes les quatre: il est partagé entre elles et moi. Le soir, il bâcle la fin de l'histoire, les met au lit sans douche. Je ne veux pas de ça, car ces moments sont très importants. Ils les construisent entre eux pour la vie. Mais ça demande beaucoup de courage d'être sincère et dire ce qu'on pense à l'autre.»

Jeanne, 35 ans, unfils d'une pyemièyeunion et un deu~ieme avec son conjoint «J'EN VEUX A MON AMI DE MAL AIMER MON FILS» «Quand mon fils a rencontré mon conjoint, il avait 2 ans. Tout se passait à merveille. Mon homme en faisait des tonnes, lui fabri­quait des épées en bois... Il avait un rôle de tonton, ne prenant que les bons moments. J'ai accouché du deuxième enfant lorsque Yvan avait 5 ans et demi, et les choses se sont gâtées peu après. Il a fallu commencer à expliquer, négocier. Ce n'était plus un «petit». Et c'est ainsi que le combat de coqs a commencé. Le ton est monté très vite, avec d'incessants conflits de pouvoir. Yvan essayait de s'affirmer et mon ami a fini par dire ton fils, alors que c'est juste un gosse qui cherche des limites. Mais comme il MON AMI A FINI

PAR DIRE «TON»n'est pas le sien, il ne le tolère pas. Mon fils a fini FILS, ALORS QUE par penser que mon homme lui préférait l'en­ C'EST JUSTE UN

GOSSE QUI ,fant que nous avions eu ensemble. A un certain COMME LES stade, la violence physique et verbale était inac­ AUTRES, CHERCHE

DES LIMITES.ceptable et j'ai voulu partir, avec les deux enfants. Mais je n'ai pas pu... nous avons fini par conclure un pacte: je m'occupe de l'éducation de mon fils aîné avec son père biologique et mon compagnon n'intervient pas. Mais au fond de

.moi, je lui en veux, car un enfant ne peut pas prendre sur lui.»

Diane, 47 ans, 2 filles d'un pyemiey lit, puis unfils ae 6 ans avec son conjoint actuel, pèye dIe deux enfants «JE SUIS INDIFFERENTE "' A MA BELLE-FILLE»

«Au début, je ne voulais pas être le substitut de la mère des enfants de mon compagnon. J'avais peu d'exigences et c'était une erreur. Je faisais beaucoup pour eux sans leur demander d'aide. Je faisais la lessive, les repas, comrt1e si c'était mes enfants. Elsa avait 15 ans et était très attachée à son père. Pour moi, il est impossible de prendre l'homme sans les enfants. On ne peut pas faire fi de la vie antérieure de L L l'autre. Ma relation avec Elsa était simple, mais •• elle a commencé à se croire à l'hôtel et c'est la

ELLE SE CROIT À raison de notre discorde. Je ne sais jamais ce L'HÔTEL, C'EST LA

RAISON DE NOTREqu'elle fait ni quand elle est là. Dans une famille DISCORDE. JE NE

recomposée, l'essentiel c'est que le conjoint qui SAIS JAMAIS CE QU'ELLE FAITest le parent biologique se positionne. L'enfant NI QUAND ELLE

doit savoir jusqu'où il peut aller avec sa belle­ EST LÀ. mère. C'est très important pour le couple, il faut pouvoir dire elle n'est pas votre mère mais il faut la respecter. Mon ami refuse d'intervenir. Alors je n'en parle plus, mais je ne m'investis plus dans la relation avec Elsa. Je ne lui demande plus comment va sa vie. Cela fait plus d'une année que je me suis détachée d'elle. Elle m'a fait la gueule pendant deux mois. Ça ne me touche plus, je ne la regarde plus avec les mêmes yeux. Je me fiche de ce qui lui arrive et elle me le rend bien.»

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courte qui déferlent dans son foyer sans pouvoir lever le petit doigt pour les dompter, c'est désagréable. Michel Moral poursuit: «Elles se plaignent de ne pas avoir de délégation de l'autorité, de ne pas pouvoir faire valoir leurs propres règles, même quand il s'agit de choses toutes simples comme d'ôter ses chaussures en entrant. Ces femmes n'ont pas la possibilité de sévir.» De son côté,]ean-Claude Métraux souligne que «l'enfant doit sentir que le père est le garant de la règle sinon il aura l'impression que celui-ci est faible ou que la belle-mère est difficile. Les adultes doivent donc se concerter mais le père reste le porte-parole légitime.» La place de la belle-mère est donc bien étroite: la loi ne lui reconnaît pas de statut et le père, se sentant coupable, délègue peu son autorité et tend à sur­protéger ses mômes. «La nouvelle se retrouve donc là à faire la cuisine et tenir compagnie au père», ajoute Michel Moral.

A chaque âge ses peines

L L

leur hostilité à l'encontre de leur belle-mère. Elle est considérée comme une rivale car c'est elle qui a su conquérir le père. <<Je trouvais l'attitude d'Elsa à l'égard de son père incroyable, elle passait son temps à se vautrer sur ses genoux. Cette fusion était très étonnante!» soupire Diane.

Et même lorsque le couple formé par le père et la belle-mère affiche une sexualité intense, les enfants essayeront de les sépa­rer, débarquant par exemple dans leur chambre au milieu de la nuit en hurlant qu'ils ont soif...

LES FILLES MANIFESTENT PLUS D'HOSTILITÉ À LEUR BELLE­MÈRE, QU'ELLES VOIENT COMME UNE RIVALE.

La relation entre belle-mère et beaux-enfants s'établit différem­ment en fonction de l'âge de ceux-ci. Ainsi, lorsque les enfants sont petits, le lien peut se faire rapidement. «D'autant plus qu'il me semble qu'un père encombré de sa progéniture attire un cer­tain type de femmes, assez maternelles, qui voient en cet homme de la stabilité», note Michel Moral. En revanche, si les enfants sont adultes, il y a souvent des problèmes car la belle-mère peut être soupçonnée d'en vouloir à l'héritage familial.

La préadolescence et l'adolescence sont les âges les plus chao­tiques. Si les garçons sont plongés dans leurs jeux vidéo et restent relativement indifférents, les filles manifestent plus violemment

La reconnaissance de l'autre s'il y a autant de situations que de familles recompo­sées, «l'important, insiste]ean-Claude Métraux, c'est la reconnaissance des difficultés qu'éprouve chacun des protagonistes, au moins en ce qui concerne les adultes». La famille recomposée devra s'adapter aux inévitables changements qui découlent de cette situa­

tion. C'est cette capacité d'adaptation qui sera décisive. Le nuage rose, sur lequel surfent tous les nouveaux couples, a tendance à leur dissimuler les complications susceptibles de survenir. Si les choses s'enveniment, des tensions peuvent rapidement apparaître. «Il ne faut pas s'adresser à l'autre en termes de reproche, poursuit le spécialiste, mais essayer de se mettre à sa place et ainsi éviter que l'enfant soit à nouveau pris en tenailles dans un conflit de couple.» Familles, je vous haime...

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