Ferhat Abbas demain se lèvera le jour. Bibliotheque Numerique Algerie IMN

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AVERTISSEMENT

Demain se lvera le jour a t crit par mon cher et regrett pre durant sa rsidence surveille sous le rgime boumediniste, et peaufin dans les dernires annes de sa vie. Son criture a t annonce par mon pre ds 1981 dans la nouvelle dition du Jeune Algrien, mais la maladie l'a empch de le publier en temps voulu. Il me confia le manuscrit en insistant sur la chose la plus importante ses yeux, que ce livre soit publi quand un systme vraiment dmocratique sera install en Algrie, et que le mot libert ait pris tout son sens. L'heure est donc venue de tenir cette promesse. Dans cet ouvrage, il voulait exprimer sa propre vision de l'avenir de son pays compte tenu de son engagement et de l'exprience acquise tout au long d'un combat politique men contre toutes les injustices, aussi bien durant la priode coloniale que pendant le rgne du pouvoir personnel, aprs l'indpendance. En dpit d'un ge avanc, et bien que trs malade, les ides qu'il dveloppe tout au long de ces pages sont les preuves d'un raisonnement lucide et sont le reflet d'une clairvoyance prmonitoire que les tragiques vnements qui ont traumatis notre pays bien aprs qu'il nous ait quitts lui aient donn raison.

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Il n'a jamais perdu l'espoir de voir le peuple algrien vivre un jour dans un pays libre, dmocratique, o tous auraient les mmes droits et les mmes devoirs. Profondment attach la foi de nos aeux, mon pre fut le Rpublicain et le Moderniste que l'on sait, imprgn d'un humanisme qui tient la fois des valeurs fondamentales de l'Islam et de celles que la civilisation occidentale reprsente le mieux. Homme de dialogue, humble comme le sont tous les tres qui craignent Dieu et respectent les lois de la vie, il sut galement conserver jusqu'au bout l'enthousiasme premier du militant qu'il ne cessa jamais d'tre, dnonant avec la mme vigueur l'arbitraire, l'injustice, l'autoritarisme et le sort injuste qui tait fait son peuple et son pays. Sa clairvoyance et la sensibilit extrme qui tait la sienne, lui firent craindre jusqu' la fin de sa vie la survenue d'vnements graves et de nouvelles tragdies pour son pays. Aussi tenait-il ce que les nouvelles gnrations puissent nourrir l'gard de leur pays le sentiment d'un patriotisme vrai et libel de la dmagogie, qu'elles aient le sens du travail et de la responsabilit, et qu'elles croient aux vertus de l'ducation, du savoir scientifique et de l'ouverture sur le monde. Il rappelait toujours les vertus de la tolrance, de la libert et de la responsabilit. Tel est le message que mon cher et regrett pre voulait transmettre comme un dernier testament et un ultime appel aux femmes et aux hommes de son pays, qui n'ont d'autre ambition que celle de construire un pays rconcili avec luimme. Mme Lela Benmansour, universitaire algrienne, a permis, par ses articles nombreux travers la presse nationale,

et par la publication de son livre Ferhat Abbas. L'injustice, faire mieux connatre aux jeunes Algriens, le combat nationaliste et la pense de mon pre. Son ouvrage document, et son engagement pour cette noble cause, la dsignent actuellement comme la personne la plus apte prsenter ce livre publi aujourd'hui titre posthume. Abdelhalim Abbas

PRFACE

Lorsque Abdelhalim Abbas, fils du regrett et illustre Ferhat Abbas me demanda d'crire la prface de cet ouvrage Indit de l'homme politique algrien, publi aujourd'hui titre posthume, j'ai d'abord prouv un sentiment de surprise que ce grand homme ait laiss derrire lui un manuscrit d'une Valeur certainement inestimable. Cette sensation soudaine de le savoir parmi nous, comme s'il n'tait jamais parti. Et ensuite une motion intense imaginant cet homme, pour lequel je n'ai que respect, admiration et reconnaissance pour le combat prodigieux qu'il a men durant prs d'un demi sicle pour que vive libre la patrie algrienne, en train d'crire les dernires phrases, les derniers mots, lui qui a toujours crit, lui dont l'criture a t l'essence mme de sa vie. Ecrire, et encore crire jusqu'au bout, jusqu' la dernire heure, l'Algrie, son pays, et ce peuple algrien, son peuple qu'il avait en idal. crire encore, jusqu' ce que la vie s'arrache de ce corps qui s'est tant dmen pour la cause nationale, depuis les annes tudiant jusqu' ce 24 dcembre 1985, jour de son dcs. Puis, l'motion a laiss place une curiosit lgitime de connatre la teneur du prcieux manuscrit. Je n'ai pu bien sr ne pas essayer d'en arracher quelques mots mon discret interlocuteur, qui conserva durant 25 ans ce vritable trsor, que son regrett pre lui avait confi, lui recommandant de

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le publier dans son pays, lorsque la libert d'expression serait retrouve. Lorsque Abdelhalim Abbas me demanda donc d'crire la prface de ce livre de Ferhat Abbas, publi titre posthume, je trouvais qu'il m'accordait l un honneur trop grand, immense mme, et je me demandais si finalement cet ouvrage ncessitait une prface du fait qu'un crit de Ferhat Abbas n'a nul besoin d'tre prsent. Mais engage l'crire, je me demandais ds lors si je serais la hauteur. Car comment accoler ma plume celle de celui qui est connu pour l'excellence de son expression franaise qui laissait admiratifs les mieux nantis en ce domaine, les Franais eux-mmes. Lui, dont les articles de presse, lettres, discours, rapports, manifeste, et autres crits en tout genre et en tout domaine, adresss aux plus grands de ce monde, dpassaient par la profondeur de la rflexion, la matrise des questions traites, la vision moderniste et lointaine, tout ce qui pouvait tre pens ou crit son poque. Ces crits qui sont aujourd'hui plus que jamais d'actualit. Ce n'est pas pour rien que tout un chacun le qualifiait de visionnaire, et ce n'est pas pour rien que son nom est ce jour synonyme du savoir, connu et reconnu audel des frontires algriennes. Cette plume qui se rvla ds 1919, alors que Ferhat Abbas est tudiant en pharmacie, g peine de 20 ans, dcouvrant l'injustice vcue par son peuple et qu'il s'engagea dnoncer et combattre. L'on ne peut que s'tonner et s'exclamer, admiratif, de dcouvrir ce jeune Algrien qui en peine 10 ans d'cole, est dj une plume d'excellence sous le pseudonyme de Kamel Abencrages, dans les journaux les plus prestigieux de son poque, tels que L'Ikdam de l'mir Khaled, Le Trait d'Union de Victor Spielmann ou Attakadoum du docteur

Benthami. Ce qui tient du prodige, et ce qui laissa sans voix le colonat qui savait ds lors qu'avec ce jeune homme exceptionnel et la tte brle, il fallait dsormais compter. Un jeune homme exceptionnel en effet, qui fut prsident de l'Association des tudiants d'Afrique du Nord, portant la toque d'astrakan symbole de son identit musulmane et clin d'il celui qu'il a toujours admir, Kemal Atatrk qui construisit la grande Turquie moderne. Car ce jeune tudiant avait les yeux rivs vers ce grand pays dont il rvait pour son peuple le mme destin : la dmocratie. C'est ce mme tudiant devenu pharmacien, install dans la ville de Stif en 1933, class parmi les meilleurs lments de sa promotion, qui publie cet ouvrage clbrissime Le Jeune Algrien (1931), dnonant les abus de l'administration coloniale et dfendant son peuple avec ses tripes, qui dcide de l'engager directement en politique pour mieux dfendre sa communaut. C'est dans sa ville d'adoption, Stif, dans l'Est algrien qu'il devient lu de son peuple auprs de l'administration coloniale. Il est successivement conseiller municipal, conseiller gnral, dlgu de l'Assemble algrienne. Son aura dpassera l'Est algrien pour s'tendre sur le territoire national, et mme en France mtropolitaine o son nom se murmurait dj. Il se rapproche par la suite de la fdration des lus du Constantinois dirige par le docteur Bendjelloul, pour devenir la plume de prestige de son organe de presse L'Entente franco-musulmane (1935-1942), journal hebdomadaire o les articles et ditoriaux de Ferhat Abbas tonnaient comme des canons contre l'injustice. Mais humaniste et pacifiste, Il dfendait l'galit des droits, ne voulant pas confondre le petit peuple pied-noir avec le gros colonat. Il soutint le projet Blum-Viollette qui devait justement permettre la reprsen-

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tacivit des lus indignes au parlement franais, mais les maires d'Algrie feront capoter le projet de l'espoir qui sera dfinitivement enterr en 1938. 1938 est une date cl dans l'itinraire politique de Ferhat Abbas, qui d'une part cre son premier parti politique l'Union Populaire Algrienne (UPA), et d'autre part, et c'est le plus important, il signe sa rupture avec l'lite politique franaise d'Algrie. Dsormais l'homme cherche le moyen de librer son peuple du joug colonial, en d'autres termes l'indpendance du pays pure et simple. L'idal d'galit est bel et bien mort dans l'esprit de Ferhat Abbas en mme temps que l'enterrement du projet Viollette, mais l'homme politique est oblig de mnager l'lite indigne attache encore cet idal, et obsd qu'il tait lui-mme par une autre question de taille: comment parvenir cette indpendance sans effusion de sang ? Il tenta d'abord de l'viter, en menant diverses tentatives auprs des gouvernants politiques franais successifs, vritable croisade, mais le colonat qui activait en Mtropole mme russit rendre caduques toutes ces tentatives. C'est en 1941, qu'il adresse un dernier recours, un rapport, sorte de mise en demeure avant l'effusion de sang, au Marchal Ptain, gouvernant de l'heure de la France, alors que cette dernire est sous occupation allemande. Ce rapport qui dresse non seulement un bilan politique, conomique et social de l'Algrie sous colonisation franaise o l'indigne est l'enfant pauvre, mais aussi un programme politique, conomique et social pour l'Algrie de demain d'o l'injustice serait bannie. De par sa haute qualit, ce rapport pourrait servir de base de travail nos tudiants d'aujourd'hui tant il tait avantgardiste. Ce rapport est malheureusement rest sans rponse, mais qu' cela ne tienne, cet homme politique prodigieux regorge

d'ides fcondes. Emerge alors l'ide du Manifeste qu'IL R D I G E L U I - M M E et rend public en 1943, et qui runira autour de lui toutes les tendances politiques indignes, Oulma et Messali y compris, car il vhicule l'ide d'indpendance via l'autonomie sans effusion de sang, ce qui a sduit au-del de l'esprance. Avec le Manifeste, Ferhat Abbas, l'homme politique qui se rvla d'envergure, venait de prendre ses litres de noblesse. Mais il paya par trois mois de prison dans le Sud algrien, d'avoir russi cet exploit. Le Manifeste donnera naissance en 1944 l'association des Amis du Manifeste et de la Libert (AML). Cette AML qui devient, selon les propos mme du prsident Abdelaziz Bouteflika, une vritable carte d'identit nationale. En son sein, ce J'accuse l'Europe qui met l'Occident face ses responsabilits de cette colonisation qui engendra l'injustice. C'est cette mme anne 1944 que Ferhat Abbas cre son propre journal Egalit qui prendra pour titre en 1948 La Rpublique algrienne, qui sera dans une premire tape le journal du Manifeste et dans une seconde celui de l'UDMA, parti cr par Ferhat Abbas en 1946, et qui peut tre considr comme le plus grand journal indigne, par la qualit du contenu, la pagination et la longvit (il dura exactement Il ans et 3 mois). En dehors de celle de Ferhat Abbas, ses plumes furent de prestige, entre autres celles de Mohammed El Aziz Kessous et Ahmed Boumendjel (rdacteurs en chef successifs). Ce journal n'avait de ce fait, rien envier la presse coloniale, mais pouvait mme tre class parmi les grands titres de la presse mondiale. Si le contenu traitait en priorit de la question algrienne, il s'intressait nanmoins tous les soubresauts du monde. La question de l'mancipation de la femme algrienne y tait majeure. D'ailleurs, le grand homme a eu le courage d'ouvrir le dbat sur cette

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question pineuse qui lui tenait cur ds l'anne 1938 : sortir la femme algrienne de la servitude en commenant par ouvrir les portes des coles aux petites filles. Ce qui l'poque tait une gageure. Mais la question politique prenait le pas, et Ferhat Abbas dont les ditoriaux d'une violence inoue contre le colonat taient le plus souvent censurs lui valurent de passer devant les tribunaux et d'tre condamn la prison en 1952. Ce sont les vnements douloureux du 8 mai 1945 et ses milliers de morts indignes qui sonnrent le glas de l'idal d'galit. Ferhat Abbas qui reculait l'chance du bain de sang, ne pouvait se relever indemne en voyant son peuple mourir un jour de fte, celui de la fin de la guerre mondiale, et celle du nazisme. La flamme nationaliste qui vivait en son cur depuis ses annes tudiant, n'a fait que se l'aviver et dterminer l'homme que dsormais la lutte arme tait invitable. De plus, accus tort par l'administration coloniale, d'avoir provoqu ces vnements, Ferhat Abbas subira luimme l'arbitraire par 11 mois de prison, mis en sret, prt tre excut. Mais il a t prouv que ses mains taient nettes de sang. Libr, il est plus dtermin que jamais en dcoudre avec le colonat. Comme dit prcdemment, il cre en 1946 son parti, l'Union Dmocratique du Manifeste Algrien (UDMA), qui sera national par le nombre fulgurant d'adhsions et la Rpublique Algrienne Dmocratique et Sociale est effective dans les textes du parti. la fin de la deuxime guerre mondiale, les lus indignes peuvent dsormais accder au parlement franais. Ferhat Abbas est dput, il peut dsormais plaider, l-bas, en France, comme il l'a toujours souhait et revendiqu, la cause de son peuple. Il ne sera pas le seul car tous les lus des partis natio-

nalistes indignes (UDMA et M T L D ) , et mme les indpendants, y seront reprsents. Mais c'est dj trop tard, car le mouvement national bouillonne, l'attente a t trop longue et les promesses toujours non tenues. En 1948, deuxime date cl dans son itinraire politique, Ferhat Abbas lance un Appel au peuple algrien qui est une vritable dclaration de guerre la France. La Rpublique algrienne sera cre dans l'autonomie ou par la lutte arme, de toute manire elle sera cre car l'tat algrien est la formule de l'avenir, martle l'homme illustre, dans sa presse, et longueur de colonnes. Le 1 novembre 1954 ne le surprit pas, comme il le dit luimme, tant il tait prpar l'ventualit de la lutte arme, dans le cas o la France refuserait l'autonomie. Il dissout sans regret son parti, l'UDMA, et adhre et rejoint le Front de Libration Nationale ( F L N ) sans hsitation. Au congrs de la Soummam, le 20 aot 1956, il est dsign pour siger au Conseil National de la Rvolution Algrienne (CNRA). En 1957, il est membre du Comit de Coordination et d'Excution ( C E E ) . A la mme poque, il parcourt le monde pour expliquer les raisons de la guerre d'Algrie. En 1958, troisime date cl de l'itinraire politique de Ferhat Abbas, il est lu l'unanimit par les hommes de Novembre, prsident du Gouvernement Provisoire de la Rpublique Algrienne (GPRA). Le CNRA le maintient ce poste jusqu'en aot 1961. l'indpendance du pays en 1962, ses collgues l'ont port la prsidence de l'Assemble nationale constituante. Un itinraire politique des plus glorieux au service de sa patrie men d'arrache-pied et avec abngation de 1920 1962.e r

En 1963, il dmissionne de la prsidence de l'assemble nationale, refusant de soutenir l'atteinte la dmocratie. En effet, l'indpendance est confisque successivement

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par les deux premiers prsidents de l'Algrie indpendante, Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene, qui instaurent le parti unique et par la suite la dictature. Ce qui ne pouvait que rvolter Ferhat Abbas le dmocrate qui a donn sa vie pour que son peuple puisse vivre dans la libert et la dignit dans son propre pays. Cette contestation des plus lgitimes lui valut la prison dans le Sud algrien et la rsidence surveille, sous le rgne des deux hommes prcits, passeport et biens confisqus. Dans le petit intermde de ces deux oppressions, il put raliser en 1966, son vu le plus cher : se rendre en plerinage La Mecque, lui qui crivit en 1935 dans L'Entente : L'Islam est dans mon cur comme une mosque de granit... Priv de sa libert durant prs de vingt ans, l'homme illustre reprend sa plume et se remet crire. Cette criture, comme dit plus haut, qui tait l'essence mme de sa vie. Aprs avoir donn son peuple Le jeune Algrien en 1931 et La nuit coloniale en 1962, il publie vers la fin de sa vie trois ouvrages qui auront un succs considrable, Autopsie dune guerre (1980), Le Jeune Algrien (rd. 1981) et L'indpendance confisque (1984). la mort de Houari Boumediene d'une terrible et foudroyante maladie en 1978, la rsidence surveille est leve et Ferhat Abbas retrouve la libert. Il est alors g de 80 ans. Le 30 octobre 1984, il est dcor de la mdaille du rsistant par le nouveau prsident algrien, Chadli Bendjedid. Une dcoration qui n'avait plus sa raison d'tre, puisqu'elle est arrive la fin de la vie de l'homme, 22 ans aprs l'indpendance du pays, et aprs prs de vingt ans d'arbitraire, Ferhat Abbas priv de sa libert. Mais nanmoins cette dcoration apporte la confirmation de l'injustice subie par cet homme, et

reconnat par l-mme la faute de ses deux geliers, Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene. Ferhat Abbas ne pourra jouir longtemps du bonheur d'une vie libre. Bien malade, consquence des terribles preuves qui lui ont t infliges, il quitta ce monde le 24 dcembre 1985, entour des siens son domicile, Kouba, sur les hauteurs Alger. Mais l'homme illustre pouvait-il partir, nous quitter, sans nous laisser un dernier message ? Assurment non, la preuve en est. Dans cet ouvrage exceptionnel, publi titre posthume et laiss pour la postrit, l'homme politique algrien rappelle ses compatriotes que le prsent ne saurait impunment ignorer le pass, raison pour laquelle, tout en soulignant qu'il n'est pas question pour lui de se substituer aux historiens, il juge ncessaire nanmoins de brosser un rappel historique de l'Algrie arabo-berbre avec les diffrentes occupations trangres jusqu' cette fin du X X sicle o les indignes ont mis fin la colonisation franaise. Une priode historique prcise-t-il, qui devait ouvrir l'Algrie la dmocratie. Mais ce ne fut malheureusement pas le cas. La dclaration du 1 novembre 1954 et le Congrs de la Soummam ont t trahis par Ben Bella et Boumediene.e e r

Gouverner c'est prvoir, or l'ducation scientifique a t ignore alors que c'est d'elle que vient le salut. Cet ouvrage qu'il appelle cahier et qui se veut un programme politique pour l'Algrie de demain, est destin, dit-il, son fils, aux jeunes de la nouvelle gnration, de la postindpendance, aux hommes et aux femmes de son pays, avec l'espoir qu'un jour une assemble nationale constituante,

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librement lue par le peuple pourra l'examiner, le critiquer et peut-tre en retenir quelque chose... De ce programme politique, nous retenons l'essentiel qui est de faire l'tat dmocratique, pour une Algrie rpublicaine. Ce sont ensuite les relations extrieures du pays, sa diplomatie, avec les tats voisins, la foi au grand Maghreb uni, l'Afrique noire, l'Europe, le Vatican et les Nations Unies. Le monde arabe et bien sr la Palestine qui aura une place de choix. Le castrisme, quant lui, est lamin. Et l'on se dit que c'est quand mme extraordinaire, lorsque nous savons qu'en ce dbut septembre 2010, Fidel Castro lui-mme vient d'annoncer la faillite de son systme politique. La question religieuse que Ferhat Abbas ne pouvait passer sous silence, le musulman fervent qu'il a toujours t croit inexorablement, comme il l'a toujours cru et dfendu que les trois religions monothistes doivent travailler ensemble pour la paix dans le monde. En optimiste comme il l'a toujours t, il encourage son peuple avoir foi dans le pass et esprance dans l'avenir. En dveloppant ce programme, o tout est pass en revue, Ferhat Abbas revient sans cesse sur l'ducation, qui est une question prioritaire, et c'est travers elle qu'il pense que ce n'est que dans la mesure o les gnrations montantes se concentreront sur l'tude des sciences exactes que le renouveau interviendra et que notre pays changera de visage. Mais cet ouvrage, vritable programme politique, conomique et social pour l'Algrie de demain, se veut aussi un procs du boumedinisme, qui, selon Ferhat Abbas, a dpersonnalis le pays, le voulant l'image des dmocraties populaires, une culture copie, laquelle le peuple algrien tait hostile.

Le mal fait l'Algrie est immense. Le pays pourra-t-il un jour se relever ? s'interroge-t-il. Tout est possible, il suffit d'y croire et de se retrousser les manches, car rien ne se fera sans travail. Et c'est alors l'apologie du travail pour celui qui a toujours donn sans jamais chercher prendre. Ce livre publi titre posthume, dernier message de l'homme illustre son peuple avant le dernier voyage, et qui se voulait, un adieu aux Algriens et ses amis du Maghreb et de France, rend, au contraire, Ferhat Abbas, plus prsent que jamais dans son pays, prs de ce peuple qu'il avait en idal. Et sa pense clairvoyante, une voix couter et mditer avec le plus grand respect, non seulement pour la gnration actuelle, mais aussi pour toutes celles venir.L E I L A BENAMMAR BENMANSOUR

Docteur en Information et Communication Auteur de Ferhat Abbas. L'injustice (Alger-Livres ditions. Alger. 2010)

NOTE GNRALE DE L'DITEUR

Le lecteur ne doit pas perdre de vue que le regrett Ferhat bbas a rdig cet ouvrage durant la priode o Houari Boumediene l'avait plac en rsidence surveille (1976-1979). Pour ce motif, on devra lire et comprendre les observations et jugements que l'auteur met sur les vnements, les hommes et les institutions la lumire du contexte national ou international auquel ils sont lis. Ferhat Abbas se rfre trs souvent des donnes d'histoire trs immdiate. A titre d'exemple, quand il voque le FLN d'aprs-guerre, on doit entendre par l le parti-alibi, l'appareil politicobureaucratque d'Etat, tel qu'il fonctionnait depuis l'indpendance du pays jusqu' la mort de Boumediene, et non pas le parti tel qu'il devait apparatre aprs les multiples transformations qu'il subira depuis l'avnement de Chadli Bendjedid jusqu' ses crises et convulsions les plus rcentes.A. R.

AVANT-PROPOS

Presque tous les hommes sont esclaves faute de savoir prononcer la syllabe non.Sbastien Chamfort

Celui qui voudrait jouer au rformateur seule fin d'arriver au pouvoir mriterait de se heurter des obstacles et de dprir son tour. Ibn Khaldoun (El Moqaddima)

Je suis au soir de ma vie. Ce livre est le dernier acte de ma vie politique. C'est un adieu l'Algrie, mes amis du Maghreb et tous ceux que j'ai aims et servis durant ma longue carrire. Et aussi un adieu mes amis franais de France et d'Algrie, et particulirement ceux qui ont vcu nos cts durant notre terrible guerre de libration, souvent au pril de leur vie. J'ai vcu un demi-sicle sous le rgime colonial. J'en ai subi les contrecoups autant si non plus que mes autres compatriotes. Je n'appartiens pas la chevalerie arabe, ni la noblesse maraboutique, pas mme la bourgeoisie. En 1830, la tribu des Beni Amrane, laquelle j'appartiens tait installe sur une belle plaine la sortie de Jijel, terre qu'elle partageait avec ses cousins les Beni Hassne. Cette

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plaine au climat tempr s'tendait jusqu' la rivire Oued Djendjen qui limite la commune de Taher. Les Beni Amrane taient des agriculteurs. Ils le sont rests. Leurs terres, la lisire d'une belle fort propre l'levage, sont propices la culture des crales, aux plantations de vergers et d'oliviers. Les fruits, mme de nos jours, y sont abondants. Ds que les colons commencrent s'installer, les Beni Amrane, comme toutes les tribus implantes sur de bonnes terres, bien irrigues, ont t dpouills, appauvris et rduits la misre. En 1871, parce qu'ils ont fait cause commune avec l'insurrection du Bachagha Mokrani, ils furent expropris et dplacs Fedj M'Zala o la colonisation les recasa sur des terres rocailleuses, si diffrentes de leurs anciennes terres. Dans leur douar d'origine furent crs deux centres de colonisation : Strasbourg et Duquesne, peupls d'europens. Les Beni Amrane ne restrent pas Fedj M'Zala. Ils revinrent chez eux louer leurs bras et tenter de survivre. cette poque, mon pre avait environ 16 ans. Il raconte : J'ai travaill, me dit-il, raison de 1,50 franc la journe de 15 heures. Avec mes frres plus gs que moi, nous nous tions regroups autour de notre vieux pre et attendions que l'orage s'apaise amenant des jours meilleurs. Le destin frappa ma porte quand un gros colon, homme politique influant m'envoya son fils an, Charles Danier de Vigie, un jeune homme de mon ge, pour m'annoncer que son pre dsirait m'associer son entreprise. Une autre vie commena pour moi et pour les miens. Je parcourais les marchs la recherche du beau btail, des fruits et des lgumes.

C'tait un commerce lucratif qui nous permit de changer de condition sociale. l'ge de 25 ans, Damier, toujours conseiller gnral de la rgion, nie fit nommer Cad la mairie de Strasbourg. C'tait au moment o les oprations de recensement et de l'tablissement de l'tat civil pour l'indigne dbutaient. Cet tat civil, provoqua un immense clat de rire en Algrie. En effet, les Algriens n'en voyaient pas l'utilit. Ils taient connus, dsigns et nomms mais seulement l'chelle de la tribu, puis dans le cadre d'une communaut moins grande et enfin au niveau de la famille. Chacune de celle-ci possdait un nom qui la dsignait spcifiquement. Ma famille, par exemple rpondait au nom de Ben Daoui (au pluriel, les Douaoua). Aussi bien, lorsque les Cads demandrent leurs administrs de se choisir un nom, ceux-ci rpondirent ds souvent par de l'ironie et des moqueries. A la suite de quoi, nous trouvons aujourd'hui des noms originaux, tels que Demagh el Atrous (la tte de bouc), Chab edderagh (celui qui a le bras blanchi), Boudra (celui qui a le bras long), etc. Cependant certaines familles abordrent ce problme avec srieux. J'ai crit par ailleurs comment l'opration s'tait passe pour les miens. Mon pre proposa grand-pre d'adopter pour nous le nom patronymique de Daoui ou de Bendaoui. Grand-pre refusa net : Notre famille, dit-il, portera le nom de mon grand-pre ABBAS. C'tait un homme d'un grand humanisme, charitable, pieux et ayant le sens de la justice. Ainsi, un de ses fils, un de mes oncles, fut tu dans une rixe. Nous le vengerons avertirent les siens. Nous n'en ferons rien, rpondit grand-pre ABBAS, ce fut une rixe : C'est Dieu dire qui avait raison, qui avait tort. Ainsi fut-il fait et grand-pre prit le nom de Abbas Ahmed.

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Mon pre avait le sens de la solidarit du clan. Deux colons nostalgiques abandonnrent leurs lots de terre et rentrrent en France. Ces lots taient d'une superficie de 20 hectares chacun. Pre aida sa sur racheter un lot. Lui-mme s'octroya le deuxime, dit terre de Rekkikat et y installa ses frres. C'est l qu'ils vcurent et o nous continuons voir leurs petits-fils et les enfants de ces petits-fils qui y vivent encore. l'indpendance, certains de mes neveux de la branche directe et deux de mes surs m'ont demand de vendre cette terre. J'ai refus: Ce que mon pre a fait ne sera pas dfait de mon vivant. l'exemple de ma famille, d'autres habitants avaient rachet des petites parcelles de terre pour s'y fixer et difier un foyer. Peu peu entre colons et indignes des relations moins violentes s'tablirent. La vie fut plus forte que le malheur, imposant sa rsignation et son silence. Et ailleurs ? L'installation de la colonisation fut partout identique. Sur tout le territoire algrien, les tribus riches avaient subi le contre coup de la dfaite, avaient t dpouilles et appauvries. Celles qui avaient guerroy durant des dcades contre une des plus puissantes armes d'Europe avaient t rduites une poussire d'individus contraintes de se convertir en domestiques, en ouvriers agricoles aux salaires de famine, en khamms, ou en soldats de l'Empire. L'tat colonial s'appropria les forts et appliqua la population un code forestier d'une extrme rigueur : Pour une chvre surprise en pacage interdit, l'amende s'levait au-del de cent mille francs. C'est l'antiquit romaine que nous demanderons le mot de la fin : Malheur aux vaincus !

En 1890, mon pre quitta le douar Beni Siar pour celui de Chahna, beaucoup plus important. Ce douar abritait les Beni Affer, tribu pauvre, violente, indiscipline et turbulente. Le douar comptait plusieurs crimes par an et plusieurs nefram. Ces affrontements collectifs se produisaient particulirement en t au moment de la distribution et de la rpartition des eaux pour l'arrosage des vergers et des potagers car souvent il y avait contestation. Et aussi en hiver, l'poque de la cueillette des olives car il arrivait qu'un olivier appartienne deux familles qui s'accusaient alors mutuellement de fraude. Mon pre administra avec fermet et tenta de mettre fin cette violence. Il pensa que la cration d'coles coraniques pourra modifier ces murs. Son secrtaire tait un taleb instruit, pieux, actif. Avec l'aide des Djema et des Oukafs, il fit venir d'autres talebs et ouvrir des coles coraniques dans les nombreux hameaux. Lui-mme fit btir sa propre cole. Elle fut largement frquente. C'est dans cette mechta que nous sommes ns et avons grandis. Ma mre leva une famille de treize enfants. Six taient plus gs que moi, six plus jeunes. Nous nous sommes mutuellement aids et sommes rests unis Filles et garons allrent apprendre le Coran et s'initier la morale de l'Islam. Les horaires de l'cole coranique taient rudes. Nous nous levions l'aube pour sortir vers huit heures. Nous reprenions 1 heure, aprs la prire du Dohar et sortions 16 heures. Le mercredi aprs-midi, le jeudi et le vendredi taient journes de cong. Cette premire jeunesse resta grave dans ma mmoire : les jeux avec les enfants de mon ge, nos luttes d'enfants, les piges aux oiseaux, la cueillette des mres le long des haies, le maraudage dans les vergers, la course aux rivires lorsque les parents s'absentaient, l'automne l'initiation aux labours

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derrire une charrue archaque tire par un buf et surtout, l'odeur du btail et des tables si particulire qui parvient encore jusqu' moi. Au printemps, nous nous faisions une fte de la naissance des petits veaux. Eux aussi participaient nos jeux. dix ans j'ai quitt ces beaux lieux de ma premire jeunesse. Je descendis au village o une cole indigne de langue franaise venait d'ouvrir ses portes. Un autre environnement m'accueillit, d'autres jeux, d'autres matres qui nous venaient tous de la grande Kabylie et qui nous taient si dvous. Dois-je encore le dire ? Nous devons tout notre pre qui n'a jamais cess de nous entourer de son affection, de son autorit et de ses conseils. Il a t toute sa vie d'une activit dbordante. Ne sachant ni lire, ni crire, il tait passionn d'instruction : Instruisez-vous, nous disait-il, c'est le seul bien que je vous laisserai.

Maroc, la bourgeoisie franaise nous a privs de notre personnalit et de notre me et ainsi nous neutralisa. Son ambition tait d'entreprendre une uvre au-dessus de ses moyens : arracher l'Orient musulman une partie de sa chair pour en faire une terre d'Occident, une Algrie franaise d'o nous tions exclus. l'Algrie devint la proprit du dernier venu qui nous appliqua l'administration directe, la politique du peuplement europen et sa prpondrance sur l'indigne. Pour rendre la tche plus aise, on a fait mentir nos manuels scolaires. Des crivains et des journalistes accrditrent la thse d'une Algrie, en 1830, musulmane, anarchique, pauvre, inorganise et vacante. Pourtant, les officiers franais qui ont chevauch tout le long du pays, notamment Saint-Arnaud, al lestent du contraire. Le racisme des Franais d'Algrie n'tait pas identique celui de l'Afrique du Sud. Ce que les colons n'ont jamais admis est le fait que nous revendiquions pour chapper aux lois d'exception et nous lever leur niveau. Cette revendication les rendait haineux et mchants car ils avaient conserv de l'Arabe une peur viscrale venue du Moyen-ge, peur attise par la crainte de nous voir bnficier des mmes droits qu'eux. Lorsque les fusils se turent, la vie reprit ses droits. L'indigne se mouvait travers le pays, dans sa vie quotidienne, souvent sans histoires. Son admission l'cole franaise, bien que difficile et trs limite, le rendait moins vulnrable. Personnellement, j'ai quitt l'cole primaire en mars 1914 pour me rendre au collge de Skikda (ex-Philippeville) o une bourse d'internat venait de m'tre attribue. J'y suis rest jusqu'au baccalaurat.

L'Europe a colonis les autres continents au nom de la loi de la jungle et de ses intrts. Le plus fort a asservi le plus faible. Elle a dtruit des civilisations dignes de ce nom et rduit nant des peuples. Ceux qu'elle a domins ont t exploits, dpouills de leurs richesses, dstabiliss et dtourns du cours naturel de leur histoire. En Algrie, cette colonisation a t diabolique. Nous avons t pigs au nom de je ne sais quelle annexion qui ne s'est rellement jamais ralise ni dans les faits, ni dans les esprits. Contrairement ce qui s'est pass en Tunisie et au

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Puis, aprs le service militaire, je fis mes tudes de Pharmacie la facult d'Alger. Parce que sans doute je venais de la campagne et que j'avais t rarement en contact avec les Franais, j'ai eu le plus grand respect pour mes matres. C'tait des hommes cultivs et pleins de savoir. Il en fut de mme pour mes professeurs de Facult. En Islam, l'tudiant s'attache beaucoup ceux qui l'aident devenir un homme. Le peu que je sais, je le dois cet enseignement. Aussi, ai-je conserv cette culture un attachement sans failles. Aujourd'hui que j'ai quitt la scne politique, je partage mon temps entre mon pays et la France o je retrouve certaine de mes habitudes d'autrefois, la presse d'opinion, la critique des hommes au pouvoir, le thtre, la littrature, etc., qui font dfaut chez nous. Je m'intresse aux problmes qui se posent au pays o je sjourne, c'est naturel : le chmage, la condition ouvrire, les difficults d'une production industrielle et agricole que la concurrence aggrave... Mais depuis la dcolonisation, un racisme violent entretenu par une certaine frange de jeunes et de moins jeunes franais ternit le visage de la France. L'migration nord-africaine est prise partie et devient une cible facile pour des crimes gratuits. Cependant, si les grandes puissances europennes, la France, l'Angleterre, la Belgique, la Hollande, n'taient pas venues chez nous, notre immigration ne serait pas chez elles. Elle est le reflet de l'occupation de nos pays. Et souvent nous nous sommes rendus en Europe pour dfendre les colonisateurs contre leurs ennemis. En France, je suis chez moi comme mon regrett ami Jacques Chevallier tait chez lui en Algrie.

Je retrouve de l'autre ct de la Mditerrane des compatriotes avec lesquels j'entretiens des relations amicales ainsi que certains franais d'Algrie en compagnie desquels nous voquons les jours passs, sans animosit et sans amertume. Mais c'est en Algrie que je me sens vivre et c'est dans mon pays que je souhaite finir mes jours.

Je ne pouvais quitter ce monde sans voquer une fois de plus le rgime colonial. Si j'ai pris en exemple ma tribu et ma famille, c'est parce que ce qui nous est arriv a t le sort de

tons.Install pharmacien Stif, la population de cette rgion me fit confiance et ft de moi un lu de la rgion, conseiller gnral, conseiller municipal, dlgu financier, dput, conseiller l'assemble algrienne. ces diffrents titres, j'ai parcouru l'Algrie. Partout, j'ai retrouv la mme exploitation de notre peuple, les injustices qui l'avaient frapp, la misre dans laquelle il se dbattait. Le Parti du Peuple Algrien (PPA), qui se prtendait tre un parti frre, enferm dans son dogmatisme et sa clandestinit, pensait qu' l'Union Dmocratique du Manifeste Algrien (UDMA), et l'association des Oulmas, nous n'tions que de simples notables, n'apprhendant pas les problmes de l'Algrie profonde. Il nous abreuva l'poque d'insultes, d'injures et de calomnies. Mme aujourd'hui, aprs une indpendance que nous avons arrache ensemble, ils n'oublient pas de nous traner dans la boue. En novembre 1984, certains PPA nostalgiques rdigrent un numro

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spcial d'Algrie Actualit, o ils faisaient le pangyrique de leur ancien Dieu, Messali Hadj, comme si celui-ci n'avait pas plant un poignard dans le dos du F L N et de l'ALN durant toute la guerre d'Algrie. A cette poque, ils l'avaient svrement condamn. Aujourd'hui, ils retournent leurs vestes. Le numro ne fut pas autoris paratre. Nombre de ces PPA occupent des situations lucratives. Ils exhibent leurs fortunes comme autrefois notre peuple grenait sa misre. Cette promotion sociale ne leur suffit pas. Ce qu'ils veulent, c'est diriger le pays, seuls, sans se rendre compte qu'ils en sont incapables. En ralit, lorsqu'il a fallu rveiller nos masses et leur faire admettre qu'elles avaient droit au bien-tre, la libert et la dignit, nous avons t bien souvent plus efficaces qu'eux. Nous avons attaqu de face et sur la voie publique les institutions coloniales avec leurs propres lois, chose plus difficile et plus ardue qu'une attitude de pseudo-clandestinit et de refus. Ni l'administration, ni le gouvernement gnral, ni l'ostracisme des gros colons matres de l'opinion publique n'ont t pargns. Nous avons entam leurs positions et branl leurs convictions de race suprieure. Fallait-il encore se battre ! Je suis pass trois fois devant les tribunaux correctionnels, une fois en Cour d'Assises et j'ai failli comparatre devant un tribunal militaire. Je me suis bagarr comme un chiffonnier avec des administrateurs de communes-mixtes qui brimaient des pauvres gens. En 1935, j'ai prsent au Procureur de la Rpublique une ptition d'ouvriers qui rclamaient leurs salaires leur employeur. Le colon mis en cause vint me trouver au caf de France, Stif, o je me trouvais et m'agressa. En 1937, me trouvant la mairie de Ras el Oued (ex-Tocqueville), le maire, un notable

maonnique, furieux de voir son protg le Dr Smati perdre les lections se rua sur moi et me frappa. Reprsenter un peuple de paysans, pauvres, illettrs, incapables de se dfendre n'est pas une sincure. Il faut accepter de vivre dangereusement et tre toujours disponible. Le paysan n'a pas d'heure. Il frappe votre porte tout moment, Toujours pour exposer un problme capital ses yeux. l'ai vcu des annes dans cette atmosphre. Elle cra entre les paysans et moi des liens indescriptibles. Vingt ans aprs l'indpendance, les mmes visites se poursuivent presque au mme rythme qu'autrefois. Je ne suis plus qu'un vieillard malade, mais ils continuent venir me voir. Avez-vous besoin de quelque chose ? Non, nous venons prendre de tes nouvelles et te voir nous aider supporter les nouvelles injustices !

En juillet 1962, l'indpendance acquise, nous nous sommes comports comme un peuple sous-dvelopp et primitif. Nous nous sommes disputs les places et nous avons tourn le dos aux valeurs et aux vertus qui nous ont conduits la victoire. J'ai vu nos murs dgnrer en traumatisant l'Algrie musulmane comme elle ne l'avait t durant la guerre. Notre Rpublique Algrienne a t affuble d'un appendice, celui de dmocratie populaire, ce qui veut dire en clair qu'elle n'est ni dmocratique, ni populaire. Nous submes deux dictatures, celle de Ben Bella, puis peu aprs celle de Boumediene. Ben Bella prit pour modle de chef d'tat Fidel Castro, son rgime totalitaire, son pouvoir personnel et son idologie communiste. L'Algrie ne s'est pas reconnue et sombra dans l'inquitude et le dsordre, les

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passe-droits, le systme D, l'arrivisme et les fortunes mal acquises. Le 19 juin 1965, son ministre de la dfense le dposa avec l'appui de l'arme et se proclama Chef d'tat au mpris de toute lgalit et de toute lgitimit. Boumediene eut le temps de dpecer ce qui restait de l'Algrie musulmane. Il ruina l'agriculture en contraignant les paysans abandonner leurs terres par une Rvolution agraire mal initie, les attirant en ville la recherche de leur pain grce au mirage d'une industrie industrialisante. Le commerce devint la proie de quelques-uns, proches du rgime. Tout ce qui a motiv notre insurrection a t sabot : le respect des droits de l'homme, celui des liberts individuelles et de la dignit du citoyen, le retour du fellah la terre, le respect de la proprit prive. Nous nous sommes installs dans le provisoire et la mdiocrit et avons cess de travailler. Dans leur majorit, les Algriens ont confondu l'indpendance et Etat-providence. Tout un chacun se mit attendre les ptrodollars. Or voici qu'apparat aux portes mme d'Alger le terrorisme politique, qui n'hsite pas tuer, frapper des innocents et engager notre pays dans une voie semblable celle du malheureux Liban. La tuerie de l'Arbaa est grave. Nous sommes gagns par le dmon individualiste et la course vers le nouveau pouvoir qui veut s'imposer par la terreur. La violence devient le recours des dsesprs et des laisss pour compte de notre socit socialiste. Nous sommes tous concerns par ce drame. Il ne relve pas uniquement du gendarme, mais de la vigilance et de la cohsion du peuple lui-mme. En particulier, les anciens moudjahidine doivent en premier lieu ragir. Par leurs sacrifices,

ils nous ont restitu le pays de nos anctres. Une fois de plus, leur devoir est de sauvegarder son unit nationale. Halte la guerre civile ! J'ai failli cder la panique en apprenant cette nouvelle. Je suis cependant d'un temprament optimiste. Durant ma longue carrire, je n'ai pas connu le dcouragement. Une cause juste reste juste jusqu' son dnouement. Nous avons pris un retard mortel. Arriverons-nous en bonne sant la fin de ce sicle ? Ne confondons pas dmocratie, libert avec intolrance et dsordre public. Il est temps qu'un pouvoir fort et juste en mme temps s'arme de bonnes lois, mobilise nouveau le pays et nous contraigne balayer devant nos portes. Que nous rserve l'an 2000 ? O va notre civilisation ? Gardons-nous d'mettre la moindre opinion. L'Avenir appartient Dieu et ceux qui le feront. Peut-tre le lecteur permettra-t-il mon ge d'exprimer un souhait : celui de voir les gnrations de demain vivre de leur travail, s'entourer de bien-tre et vivre en paix. C'est mon vu le plus cher. Ferhat Abbas Alger, mars 1985

IFAIRE L'TAT DMOCRATIQUEUne constitution qui garantit la libert et la scurit des citoyens et des lois gales pour tous

Rhabiliter la cit musulmaneL'lment prcieux clans les rouages de l'humanit, ce n'est pas l'tat, c'est l'individu.Albert Einstein

On imagine mal l'volution de l'Algrie hors du contexte nord-africain. Si depuis juillet 1962, les gouvernements algriens qui se succdent restent impuissants entraner les masses dans leur sillon et sortir l'Algrie du provisoire, c'est parce qu'ils veulent arracher noire pays la communaut maghrbine et lui imposer des options contraires leurs aspirations. Il n'est pas question d'crire ici un manuel d'histoire. Il s'agit d'autre chose. Mon propos est de tirer un enseignement du pass, pour mieux dominer le prsent. Le prsent ne saurait impunment ignorer le pass. Lorsqu'on viole la conscience des masses populaires, on peut s'attendre des retours rie flamme dangereux et des

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convulsions mortelles. Il ne faut pas jouer avec le feu, si on veut viter l'incendie. Dans un livre du Marchal Juin , crit en collaboration, le pass de la Berbrie est ainsi rsum : Deux mille huit cent vingt quatre annes se sont coules depuis la fondation de Carthage. L'histoire de l'Afrique du Nord, et en particulier celle de l'Algrie, s'tend sur cette longue priode. On peut la diviser en huit grandes tapes : carthaginoise de 860 146 av. J . - C , soit 714 ans ; romaine de 114 av. J.-C. 429, soit 575 ans ; vandale de 429 529, soit un peu moins d'un sicle ; bysantine de 525 647 soit 122 ans ; arabe de 647 1070, soit 423 ans ; islamo-berbre, de 1070 1492 soit 422 ans; barbaresque de 1492 1830, soit 338 ans; franaise de 1830 1962 soit 132 ans ; la neuvime tape entre dans l'histoire .1 2

Au contre rgna la dynastie Abdelwadide. Ayant pour capitale Tlemcen, son royaume s'tendit sur l'Oranie et la partie Ouest de l'Algrois. Tunis et Tlemcen, les royaumes des Hafides et des Abdelwadides s'puisent trs tt dans des intrigues de palais. Leurs territoires se morcellent entre tribus et princes rivaux. Les deux royaumes, contrairement celui de Fs, se dsagrgent, particulirement au Maghreb central. Un tat nat Figuig ; un roi rgne Tns ; un autre roi, celui de Koukou, rgne sur la Kabylie ; un roi s'installe Touggourt; des tribus indpendantes forment une fdration dans le Hodna et d'autres entrent en conflit, dans des luttes interminables. Cette anarchie rveille les convoitises de l'Espagne chrtienne et entretient l'esprit des croisades. L'Espagne occupe presque tous les ports nord-africains : Tripoli, Tunis, Djidjelli,. Bougie, Alger, Cherchell, Tns, Mers el Kebir, Oran, etc. Cette nouvelle menace de l'Europe sur le Maghreb central et oriental fait peur aux populations d'Alger. Celles-ci appellent alors leur secours les frres Barberousse dont la rputation est devenue trs grande en Mditerrane. Les frres Barberousse, grands marins, arrivent chasser les Espagnols. Ils occupent ce que fut le royaume des Abdelvvadides, agrandi de la province d'Alger. Ils lui rattachent galement la province de Constantine qui, avant eux, relevait de l'autorit du royaume de Tunis. Ils s'installent Alger et fondent la Rgence d'Alger. C'est partir de cette Rgence que le mot Algrie entre dans l'histoire. 1830, la France coloniale occupe le pays.

Jusqu' l'avnement des frres Barberousse, ce tableau est valable pour l'ensemble de la Berbrie. Dans un rcent livre, j'en ai rsum moi-mme les diffrentes tapes. Ce qu'il faut retenir de ce pass commun la Berbrie, c'est le fait qu'il faut attendre la dfaite dfinitive des Arabes en Espagne (1492) pour que notre Maghreb se scinde en trois tats. En effet, le dmembrement de l'empire des Mouwahidine donna naissance trois dynasties. A Tunis s'installa la dynastie des Hafides. Son royaume s'tendait du Constantinois, jusqu' Bougie. La dynastie des Mrinides occupa le Maroc. Fs en fut la capitale. Cette dynastie aura pour successeur d'abord la dynastie saadienne qui islamisa la Mauritanie et l'Afrique noire (1594) et ensuite l'actuelle dynastie Alaouite (1640).

1. Alphonse Juin, Histoire parallle, La France en Algrie 1 8 3 0 - 1 9 6 2 , Librairie acadmique Perrin, Paris, 1 9 6 3 . 2. Alphonse Juin, op. cit.

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1927, l'historien . F. Gautier crivait propos du Maghreb et des puissances trangres qui l'ont successivement occup :1

En 1962, le pays est libr la suite d'une longue; guerre, mene par les Algriens eux-mmes. Un lment nouveau tait intervenu. !

Aussi loin que nous remontions dans le pass, nous voyons ici une cascade ininterrompue de dominations trangres. Les Franais ont succd aux Turcs, qui avaient succd aux Arabes, qui avaient succd aux Byzantins, qui avaient succd aux Vandales, qui avaient succd aux Romains, qui avaient succd aux Carthaginois. Et notez que le conqurant, quel qu'il soit, reste matre du Maghreb jusqu' ce qu'il en soit expuls par le conqurant nouveau, son successeur. Jamais les indignes n'ont russi expulser leur matre. Ils ont laiss couler sur eux le torrent ininterrompu des conqutes, impuissants, on pourrait presque dire indiffrents .2

On voudrait interroger les morts pour clairer la route des vivants. Mais l'Histoire est capricieuse, et n'obit que rarement nos vux. L'tude du Maghreb nous permet cependant d'en appeler ce qu'on pourrait appeler. Les constantes de cette partie de l'Afrique : 1 La tendance l'unit a t de tous les temps. Depuis M assinissa Jugurtha, depuis les anhadja aux Almoravides et aux Almohades, l'objectif primordial des rois et des dynasties a toujours t de mettre fin aux luttes tribales et de raliser l'unit de la Berbrie et du Maghreb arabo-berbre ensuite.o

Cette observation valable hier, ne l'est plus aujourd'hui. En cette fin de X X sicle, ce sont bien les Indignes, les Marocains, les Tunisiens, les Algriens, qui ont mis fin la colonisation franaise. Seule la Libye a t libre par l'intervention anglaise.e

Nous vivons donc une priode historique exceptionnelle. Si l'historien Gautier vivait de nos jours, il serait contraint de modifier son jugement. De notre temps, l'indigne a pu expulser son matre. Faut-il encore le rappeler ? Cela n'a t possible que parce que le Maghreb appartient, depuis le V I I sicle, une grande patrie, qui dborde les frontires territoriales : El Oumma El Islamia.e

2 Sur le plan humain, le brassage des ethnies a t constant. De la Tripolitaine au Maroc, les tribus se dplaaient et se fixaient au gr des fortunes guerrires. Avec l'islamisation, l'amalgame racial s'accentua. Du Sud au Nord, de l'Est l'Ouest, nomades et citadins se mlangent, se marient, se succdent et ne forment plus qu'un seul et mme type humain : le Maghrbin, faonn par l'Islam. 3 En embrassant l'Islam, le Maghreb n'en a pas moins conserv son particularisme et son got inn pour l'extrmisme et le schisme. A l'poque chrtienne, il avait donn naissance au donatisme. Devenu musulman, il donne refuge aux Kharidjites, la dynastie des Fatimides, etc.

1. . F. Gautier, Les sicles obscurs du Maghreb, Payot, Paris, 1927. 2. Ibid.

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4 Les Berbres, constamment soumis des puissances trangres, ne s'attachrent aucune des civilisations importes, except l'Islam, en tant que religion et civilisation. A la fin de chaque domination, sans tre acquis au nouveau venu, ils se dressent contre l'ancien occupant, et jettent son uvre par-dessus bord. telle enseigne qu'ils ne conservrent que peu de choses des Carthaginois, des Romains, des Vandales, des Byzantins. Un clou chasse l'autre. Depuis 1962, il semblerait que l'Algrie veut illustrer cette vieille tradition. Libre de la colonisation franaise, elle tourne le dos l'enseignement de l'histoire pour copier sur les dmocraties populaires un modle de socit marxiste et collectiviste, de la mme faon qu'elle passa dans l'Antiquit de la civilisation carthaginoise la civilisation romaine pour les renier ensuite toutes les deux. En d'autres termes, notre pays devenu indpendant repart zro, n'ayant rien appris et n'ayant rien retenu du sicle pass sinon l'exploitation du gaz et du ptrole dcouverts dans le Sahara. Aussi bien, depuis 1962, les Algriens dmolissent-ils plus qu'ils ne construisent. Et ce qu'ils construisent reste branlant, sans prise sur les masses parce que improvis et sans appui historique. Ce schma est sans doute trop simple mais on ne peut l'ignorer sans tomber dans l'aventurisme. Pour clairer davantage la situation prsente, il convient de reprendre les propos du prsident Bourguiba , cit par1

Jean Daniel , au sujet de la Tunisie et qui est aussi valable pour tous les pays nord-africains :1

C'est vrai que les civilisations s'effondrent et que pour renatre elles ont besoin d'un choc. Je n'ai aucune gne reconnatre qu'avant la France, la Tunisie tait une sorte d'espace vide, sans ralit et sans me. Quand il y a une place vide, l'histoire est l pour nous dire que la puissance suprieure et voisine s'empresse de l'occuper. Disons que ce travail historique a incomb la France .2

Ce que nous devons l'Occident, c'est de nous avoir ouvert les yeux sur la culture scientifique et sur le respect des liberts essentielles de l'homme. En cela, la rvolution franaise, celle des tats-Unis, celle de l'Angleterre et la dclaration universelle des droits de l'homme sont l'image de la rvolution musulmane. travers les premires, nous avons redcouvert la seconde. Pour nous musulmans engags qui demandons l'Islam le sens de la vie et la raison d'tre de l'homme sur la terre, le respect de la dmocratie, le respect de la personne humaine, la loi gale pour tous, l'tude et la connaissance des sciences exactes, sont parties intgrantes de la foi. Les valeurs sociales, politiques et spirituelles de l'Islam sont parfaites. Ce qui l'est moins c'est leur application par les hommes. L'enseignement du livre est une chose ; sa projection dans les socits en est une autre. Quoiqu'il en soit, il est superflu et infamant d'emprunter l'Europe industrielle son socialisme marxiste et totalitaire1. Jean Daniel, Le temps qui reste, Gallimard, Paris, 1984. 2. Jean Daniel, op., cit.

1. Habib Bourguiba, premier prsident de la Rpublique tunisienne (1957)

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pour rgnrer notre socit et garantir aux travailleurs leur travail, leur pain et leur dignit. C'est une preuve d'indigence et de mconnaissance totale des principes sociaux de l'Islam. Nous avons vu que les rgimes socialo-communistes, de l'URSS aux dmocraties populaires, n'ont cess de combattre les religions et l'Islam en particulier. La concentration capitaliste en Europe et la socit laquelle elle a donn naissance relvent l'une et l'autre de structures trs compliques. Peut-on en modifier l'armature sans dtruire les liberts de l'homme et la socit ellemme ? Certainement oui. Des recherches doivent tre constamment entreprises dans ce sens. Un juste quilibre entre le capital et le travail n'est pas impossible. Quant au socialisme marxiste-lniniste conu pour remdier une situation dtermine en donnant naissance une socit plus quitable, son application s'est rvle catastrophique. Il a suffit moins d'un sicle pour dmontrer que Karl Marx fut un faux prophte. La socit sans Dieu, sans classes, sans tat est une simple vue de l'esprit, un rve, une utopie. Les expriences vcues dmontrent que le socialisme que nous retrouvons en Afrique est un retour en arrire. Nous revenons la socit fodale o une minorit de nouveaux nobles est tout et la masse des citoyens, rien. Un tel systme est appel disparatre ou se modifier profondment. Quoiqu'il en soit ce socialisme n'est pas le vtement rv pour l'Algrie. On ne transplante pas un arbre de Moscou pour le planter sur nos hauts plateaux. Il crvera. En tout tat de cause, chez nous, dans les milieux spcifiquement algriens, la concentration capitaliste ne s'est pas

ralise. Ce n'est pas en additionnant les petites fortunes et les grandes misres, des uns et des autres, qu'on forme une classe de capitalistes et une classe proltarienne. En se basant sur la lutte des classes pour promouvoir le socialisme, le pouvoir risque de tourner clans le vide, parce que nous n'avons ni bourgeoisie capitaliste, ni proltaires au sens europen du terme. J'ai dit ailleurs ce qui advint lorsqu'on joue avec les mots dont on mconnat le sens exact . Lorsqu'un problme est nonc en termes ambigus, il devient insoluble.1

De tous les temps, les peuples ont eu leur mot dire. fortiori notre poque. Le peuple algrien ne s'est pas libr par ses propres moyens pour redevenir un peuple asservi, maniable merci. Une politique qui ne tient pas compte du contexte historique, est voue, par la force des choses, l'chec. On se souvient qu' son arrive Tunis, en 1962, Ben Bel la s'est cri par trois : Nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes ! Une telle profession de foi est par trop simpliste. C'est pourquoi il faut la complter. Ethniquement, nous sommes essentiellement des arabo-berbres. Mais le problme est devenu secondaire. Ce qui compte, chez nous, c'est notre appartenance avec toute l'Afrique du Nord la civilisation musulmane. L'Islam est donc le facteur essentiel et dominant. Il a plus de poids que la race. Un enfant, un petit berger de chez nous, me l'a rappel il y a quelques annes, avec beaucoup d'apropos:

1. Voir ce niveau mon ouvrage L'indpendance confisque publi aux ditions Flammarion, Paiis, 1984.

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En 1922, je faisais mon service militaire Djidjelli et je jouais au football dans 1 quipe locale. Un jour, nous nous rendmes Constantine pour y disputer un match. Sur la route, au cours d'une halte, un petit berger, d'une douzaine d'annes, s'approcha de nous. Es-tu un arabe ou un kabyle ? lui demanda un coquipier franais. Et l'autre de rpondre, sans la moindre hsitation Ana Meslem (Moi, je suis musulman) ! Cet enfant, mieux que ne l'a fait Ben Bella, a donn la mesure de la ralit algrienne, celle qui donne notre pays son caractre spcifique et immuable. L'Algrie est musulmane comme Cuba est marxiste. Si notre peuple est jeune, notre civilisation est ancienne. C'est par le rveil de cette civilisation que l'Algrie nouvelle mergea du Moyen-ge pour entrer dans les temps modernes. Mettre le pass en marche est la dynamique la plus sre pour retrouver un souffle nouveau et repartir vers d'autres horizons. Si nous nous en tenions aux directives de la guerre de libration, la route suivre serait trace par l'Appel du 1 novembre 1954 et par la charte de la Soummam de 1956. Par leur contenu idologique et leur libralisme politique, l'un et l'autre sont entrs dans l'histoire de notre pays. Les sacrifices et le sang de notre peuple les ont sanctifis.e r

pas dcele bien que de nombreux indices permettaient de l'entrevoir depuis longtemps. Les militants qui occupaient dj des places dans les rouages de l'tat, ont t renforcs par le retour de ceux qui se trouvaient en France. Les lments les plus actifs parmi eux s o n t ceux qui oprent au Ministre du Travail et des Affaires Sociales. Ce sont eux qui ont conu tous les textes, applicables dans ce secteur et notamment le Code de Gestion dans les Entreprises Socialistes. Cette position leur a permis de prendre en mains l'Union Gnrale des Travailleurs Algriens (UGTA). Et ils esprent coiffer brve chance l'Union Nationale des Femmes Algriennes (UNFA). Quant au prsident de l'Assemble des Travailleurs de la S O N I P E C , il a dj ouvert le cycle des confrences sur le thme : la Charte Nationale et les tches actuelles des Syndicats. Il a fait une analyse de la situation dans le plus pur style marxiste.1

C'est partir de la confrence de la jeunesse, en mai dernier , que l'activit des communistes a dbord de la clandestinit.2

Le parti communiste d'Algrie retrouva ses anciens cadres. C'est dans ces conditions qu' la veille de la confection d'une troisime Charte, la situation se caractrisait par une nouvelle pousse communiste en direction des travailleurs et des tudiants. Cette pousse n'est pas un phnomne spontan, mais une opration rflchie et mene avec mthode et discrtion. Elle s'est dveloppe, en filigrane; le F L N ne l'a

De son ct, le gouvernement envisage de confier la direction du F L N au colonel Mohammed Salah Yahyaoui. Celuici arrivera-t-il l'arracher aux militants communistes dont le dynamisme et la foi sont bien connus ? Je ne le crois pas. Le mal est fait et le pourrissement ira en s'accentuant. On ne rcolte que ce que l'on a sem. l'heure actuelle, le F L N est un parti pig, double tte. Il a cess d'tre un rassemble1. Socit Nationale des Industries dos Peaux et Cuirs. 2. L'auteur crit en 1976, du fond de sa rsidence surveille. (N.d..)

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La nouvelle Charte projete sera-t-elle le dpart d une re nouvelle ? Chacun de nous se souvient de la dclaration solennelle de Boumediene : Le dbat sera ouvert toutes les opinions et toutes les ides dans le respect le plus total. Nous avons alors vu comment cette dclaration s'est traduite dans les faits. Il est clair que Boumediene pensait qu'aprs 11 ans de rgne, de bourrage de crne, de mise en condition du peuple avec l'appui de la radio et de la tlvision, l'Algrie tait entirement acquise au pouvoir personnel et la Rvolution Stalinienne. Il s'aperut bien vite que les victoires remportes contre le peuple sont des victoires phmres. Alors il se ravisa et se mit tricher, comme le colonialisme d'hier. Comment un rgime vicieux pouvait-il recourir la vertu du suffrage universel, sans perdre la partie ? Le pouvoir personnel, hypocritement, tout en disant donner la parole au peuple, lui impose frauduleusement ses propres conceptions. Tout se passe comme si Boumediene, auteur d'un coup d'Etat contre Ben Bella, ralise un autre coup d'tat contre le peuple lui-mme. La Charte et la Constitution sont deux vtements faits sur mesure pour lui-mme. Il s'en revt et continue gouverner seul.

moyens dmocratiques, d'imposer le retour la lgitimit rpublicaine et au respect de la volont populaire ? L'Algrie n'est pas sortie du tunnel. Depuis 1 9 6 2 , elle se dbat dans des contradictions insurmontables. Nous vivons dans un provisoire dangereux. La Charte n'est pas la Charte. la Constitution n'est pas la Constitution. Le Gouvernement n'est pas le Gouvernement. L'Assemble Nationale n'est pas l'Assemble Nationale. Tout est falsifi, tout est truqu. Le malaise populaire est grandissant. Il sufft d'une tincelle p o u r que l'incendie ravage une fois de plus notre malheureux pays. Le journal El Moudjahid, porte-parole du rgime, nous dit que tout va bien. Il nous parle de socialisme, de notre amiti avec l'Angola communiste, avec Cuba, avec les pays rvolutionnaires. Il nous parle des ractionnaires, des agents de l'imprialisme, de bourgeois, de militants engags, et que sais-je encore. Personnellement, je n'en crois rien. De plus une question se pose : Qui doit arbitrer, entre les bourgeois et les rvolutionnaires, sinon le peuple lui-mme ? Si le peuple ne se dtermine pas lui-mme, qui peut le faire objectivement sa place ? C'est cette question que tout Algrien conscient doit rpondre.

Le pouvoir corrompt. Sinon il s'apercevrait que notre peuple est malheureux parce qu'il a perdu le droit de s'interroger et de disposer de son destin. Est- il possible, par les

II

POUR UNE ALGRIE RPUBLICAINE

Lorsqu'on tmoigne devant les responsables d'un pays, la seule valeur du tmoignage est la sincrit. Ne cachez pas votre tmoignage, dit le Coran; quiconque le cache se rend coupable l'gard de Dieu. En la circonstance, je n'ai rien cacher. Je dis ce quoi je crois. Je n'appartiens pas la catgorie des hystriques du nationalisme, ni celle de ceux qui pratiquent le nationalisme du tube digestif. Avant d'tre algrien, je suis musulman. Le nationalisme dpend du hasard de la naissance. La foi religieuse requiert le combat intrieur, le doute et l'adhsion consciente et raisonne. Etre musulman algrien pose des problmes. Notre peuple ne semble pas prt vivre en son temps, En 1962, il venait d'arracher son indpendance. Il laissa perdre sa libert. Semblable un oiseau apprivois, il se laissa enfermer dans sa cage par une dynastie qui apportait avec elle un schisme pseudo -rvolutionnaire.

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En 1965, une nouvelle dynastie, se rclamant du mme schisme, chassa la premire. Elle fortifia les barreaux de la cage et poursuivit son rgne. Ne nous faisons pas d'illusions. Le changement, le renouveau, ne viendront que d'institutions rpublicaines et librales grce quoi la cage sera brise et notre peuple libr pourra voler de ses propres ailes. L'Algrie s'attaquera alors aux vrais problmes : sortir du Moyen-Age et de ses servitudes ; accder aux temps modernes par la culture, la science moderne, la technique ; s'armer pour viter le retour des rgimes d'oppression d'o qu'ils viennent ; construire un Maghreb uni pouvant avoir une meilleure vision des problmes mondiaux et une plus grande audience internationale. En aot 1954, je me trouvais Paris. Reu par le ministre de l'intrieur, M. Franois Mitterrand, je lui ai demand de faire quelque chose pour viter le pire. Il me demanda : Que pouvons-nous faire ? Consulter notre peuple par des lections libres lui ai-je rpondu. C'est la mme revendication que je formule aujourd'hui aussi solennellement l'adresse des nouveaux matres qui nous gouvernent. Aucune personne, aucun groupe de personnes, aucun parti ne peut se substituer la volont gnrale librement exprime. C'est pourquoi, il faut commencer par le commencement : consulter le peuple. cet gard, il faut lire au suffrage universel libre et direct, une Assemble Nationale Constituante. Toutes les opinions pourront s'exprimer. Le peuple pourra dsigner les constituants de son choix. N'oublions pas que c'est bien la premire fois dans son histoire que l'Algrie s'est libre elle-mme. ce titre, se

donner une constitution de son choix est un droit doublement mrit. Aussi bien proposerai-je l'Assemble Constituante ainsi lue d'interroger le peuple une deuxime fois, en lui demandant d'tablir des sortes de cahiers de dolances, l'exemple des cahiers des tats gnraux de 1789 en France, o tout un chacun consignerait ses propres ides sur le devenir du pays. Villes, villages, hameaux, hommes, femmes, tudiants, ouvriers, commerants, paysans, feront parvenir l'Assemble dans un dlai de six mois leurs cahiers de revendications. Ces cahiers seront attentivement examins par les constituants qui trouveront leur tche facilite. Cette double consultation est ncessaire un peuple traumatis par plus de sept ans de sacrifices, de peur, de silence, de discipline froce. Ce peuple a besoin de se dfouler, de s'exprimer, de revendiquer, de dire ce qu'il a sur le cur. Qui, depuis les premiers khalifes lectifs a demand aux musulmans d'exprimer leurs conceptions de l'tat, des institutions, des lois ? La dmocratie est un apprentissage continuel, une patiente discipline de soi-mme. C'est cette dmocratie qu'il convient d'initier l'Algrie. L'ge de la faim est dsormais dpass en Afrique du Nord. Il suffit de gouverner, en profondeur et en direction des masses dshrites. Par contre, pauvres ou riches, nous sommes affams de libert et de dignit. Nous en avons assez de vivre sous un rgime paternaliste. Chacun de nous a quelque chose dire. Il doit pouvoir le dire sans risquer de coucher en prison. Les marxistes eux-mmes, longtemps partisans de l'autoritarisme optent pour la libert. Dans sa dclaration des

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liberts, le secrtaire gnral du parti communiste franais, M. Georges Marchais, a fini par convenir qu'il n'y a pas de socialisme sans libert. Sa dclaration porte sur les cinq points suivants : I - Les liberts individuelles et collectives 2- Les droits conomiques et sociaux (o l'on peut lire le passage suivant : Aucune mention relative aux options politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses d'un salari ou d'un fonctionnaire, ne doit figurer dans son dossier.) 3- Les droits la culture et l'information 4- Les droits politiques et institutions dmocratiques o il est dit que le respect du verdict du suffrage universel est un impratif pour tout gouvernement. 5- Les garanties judiciaires1

La nouvelle position du parti communiste franais est partage par les communistes italiens, espagnols et belges. L'Eurocommunisme s'loigne de l'URSS considre jusqu' ce jour comme le modle des pays socialistes. Les communistes algriens finiront-ils par adopter le libralisme de leurs voisins ? Finiront-ils par respecter le suffrage universel ? On le souhaiterait. L'Algrie, en tant qu'unit nationale et patrie territoriale vient de natre la vie publique. Il en rsulte que notre peuple manque de traditions tatiques. Nous avons crer du neuf, en partant des institutions lgues par la rgence turque et par la colonisation franaise. L'originalit de cette cration consiste lever notre peuple au rang de nation souveraine. Le souvenir des servitudes du pass, celles de la dynastie Abdelwadide, des Turcs et des Franais-s'il n'est pas extirp de notre conscience-rduirait nant nos efforts prsents. Le nouveau dpart ne viendra que de la libre disposition de chaque citoyen algrien, obissant la loi de la majorit. Mes aeux ont servi les Fatimides et les Beni Hammad. Ils se sont opposs aux nomades et aux Boni Ililal. Grand-pre s'est soumis l'autorit des Turcs. Moi-mme j'ai pass la plus grande partie de ma vie sous la domination coloniale. Mon (ils connatra-t-il un rgime de libert ? C'est pour lui, pour les hommes et les femmes de sa gnration que je rdige aujourd'hui ce cahier avec l'espoir qu'un jour une Assemble Nationale; Constituante librement lue par le peuple pourra l'examiner, le critiquer et peut-tre en retenir quelque chose.

C'est l une grande volution. Elle a t confirme rcemment par la dclaration commune des partis communistes italien et franais. Dans son dernier congrs, le parti communiste franais est all plus loin, puisqu'il a rpudi la dictature du proltariat : Le pouvoir, a dit son secrtaire gnral, se constituera et agira sur la base des choix librement exprims par le suffrage universel. Et puis il a ajout : Contrairement tout cela, la dictature voque automatiquement les rgimes fascistes de Hitler., Mussolini, Salazar et Franco, c'est dire la ngation mme de la dmocratie. Si Georges Marchais avait ajout le nom de Staline la brochette des dictateurs, son volution n'en aurait t que plus complte.

1. Le Monde 17 mai 1975.

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Le jour n'est pas loin o le pouvoir personnel, accul la faillite comprendra que la raison de tous vaut mieux que la raison du pouvoir. Alors, il finira par o il aurait du commencer : prendre en considration la volont gnrale et respecter la souverainet du peuple, seuls fondements lgitimes de la Rpublique. La devise Par le peuple et pour le peuple ne serait plus une simple fiction.

Pour amliorer les rapports de la Chrtient et de l'Islam, l'Algrie doit crer une ambassade auprs du Saint-Sige. 4 Le droit syndical sera reconnu tous les travailleurs et toutes les professions, y compris la fonction publique. Les syndicats seront libres, sans attaches avec l'tat. Un syndicat ne peut vritablement dfendre les syndiqus s'il est dirig par l'tat. Le droit de grve sera reconnu tous les travailleurs. Il sera rgi par la loi. Ni dictature de l'tat, ni anarchie sociale. 5 La famille, garante de la scurit de l'enfant, de sa sant, de son ducation est la cellule sociale de base. Elle doit bnficier de la protection des pouvoirs publics et de leur soutien. 6 Le systme ducatif doit tre orient vers la cration d' hommes nouveaux. L'atavisme, hrit des tyrannies mdivales devra disparatre. Les squelles de la contrainte coloniale seront extirpes, jusqu'aux racines, de la conscience populaire. L'enfant prfigurera le futur citoyen, digne et responsable. Il est malheureusement vrai que par nature le parti unique est rfractaire l'panouissement complet de l'homme ! 7 La constitution doit assurer la sparation des trois pouvoirs, le Lgislatif, l'Excutif et le Judiciaire. Cette sparation est un facteur de l'quilibre de l'Etat. La confusion des pouvoirs mne l'arbitraire. 8 La culture doit mettre en relief les valeurs morales et spirituelles de l'Islam, tout en respectant les autres philosophies. La tolrance doit tre la rgit;. Nul ne doit tre perscut pour sa croyance.

Des lois gales pour tousL'Islam est par sa nature une religion galitaire. Le rgime algrien fait souvent le procs de l'imprialisme international, celui des tats-Unis, quelques fois celui de l'Europe occidentale. Il en oublie son propre imprialisme, celui qu'il fait peser sur les masses populaires, considres comme des citoyens de seconde zone. L'Algrie ne changera de visage que lorsque la constitution et les lois rempliront les conditions suivantes : 1 La scurit et la libert des citoyens doivent tre garanties. La loi doit tre la mme pour tous. 2 La loi doit assurer les liberts essentielles de l'homme : libert d'expression, de runion, de croyance, de pense... 3 Le culte doit relever des Assembles de croyants. Il doit tre gr par eux. En aucun cas, il ne doit devenir, entre les mains du gouvernement, un instrument du pouvoir. L'Islam, le Judasme et le Christianisme doivent bnficier de l'appui de l'tat. Ils doivent tre respects.

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La scurit, a crit Michel Jobert , c'est le grand rve des faibles et des opprims individus comme nations - C'est aussi la libert de penser et d'agir, de se dterminer sans pression et menaces, et la scurit c'est toujours le respect de la scurit d'autrui .1 2

se noie dans le dtail et en oublie l'essentiel. La paperasse est devenue son lot. C'est par tonnes que le papier va la poubelle...! L'hmorragie financire ne peut tre jugule. Il est urgent que l'tat revienne une meilleure rpartition des tches, en limitant les siennes aux secteurs principaux : ptrole, gaz, mines, transports, routes, travaux hydrauliques, fermes exprimentales, enseignement, sant publique, formation professionnelle, etc. Notre indpendance conomique passe par la rentabilit. L'Etat socialiste se croit riche parce qu'il a spoli tout le inonde, sans dbourser un sou. Il se trompe. Tant que le gaspillage sera sa loi, il ne pourra pas pargner ni investir autre chose que l'argent du gaz et du ptrole. Le triomphalisme satisfait de lui-mme, est un simple mirage qui se dissipera lorsque les puits de ptrole se tariron t. Malheur aux gnrations futures !

Ces grands principes sont ceux de l'Islam, sont ceux de la charia. Devenus la pierre angulaire sur laquelle repose l'tat, il nous sera alors possible de mobiliser, clans l'enthousiasme, notre peuple pour le travail. Ce peuple prendra conscience de lui-mme, individuellement et collectivement. Il difiera une socit expurge des princes qui nous gouvernent, des fodaux, des colonels et autres affairistes.

S'en tenir aux secteurs clefsLorsqu'un tat ne dispose pas de cadres valables en nombre suffisant, il doit les rserver aux secteurs importants. La mauvaise gestion perturbe toute l'conomie, comme un mauvais fruit pourrit toute la cargaison. Dans son impatience et sa prcipitation, le pouvoir rvolutionnaire a voulu embrasser sans discernement, toutes les activits et les arracher au secteur priv. Dans le domaine agricole comme dans l'industrie, il a multipli les expriences. Il a voulu tre restaurateur, htelier, coiffeur, leveur de bestiaux, marchand de volailles, producteur de lait, maon, distributeur de vhicules, de pices dtaches, etc., etc. Il1 Michel Jobert, h o m m e politique franais. Ministre des Affaires trangres ( 1 9 7 3 - 1 9 7 4 ) sous la prsidence de Georges Pompidou. Ministre du Commerce sous celle de Franois Mitterrand. Il dmissionne en 1984. 2 Ibid, Mmoire d'avenir, Grasset, Paris, 1974.

Stabiliser la fonction publiqueLes Algriens qui s'orientent vers la fonction publique ne sont pas en gnral des hommes qui veulent s'enrichir. Ils sont attirs par la scurit de la carrire, et accessoirement le dsir de servir. Ces cadres sont l'armature de l'Etal. Or depuis 15 ans, leur statut n'existe pas. les fonctionnaires restent la merci de la bonne humeur des ministres et du pouvoir. Pas de critres pour la nomination, pas de tableau d'avancement.

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Rcemment, avec la constitution d'un nouveau gouvernement une douzaine de secrtaires gnraux de ministres se sont trouvs sans emploi. On dit qu'ils sont pays depuis deux ans, sans rien faire. Et beaucoup de fonctionnaires sont dans leur cas. Il faut croire que l'tat est riche. Aprs deux annes, le pouvoir avisera. Ainsi certains ministres ont perdu leur ministre et le secrtaire gnral. Qui va initier le ministre sa fonction ? Qui va assurer la continuit du travail ? Quant aux socits nationales, chaque changement de prsident directeur gnral correspond au changement du personnel. L'exprience acquise par les anciens cadres ne sert rien. Il faut toujours partir zro et recommencer. En d'autres termes, le rgime totalitaire est par dfinition arbitraire. Or, ce ne sont pas les ministres qui font l'tat. Ce sont les grands clercs de l'Administration. Il est donc indispensable de les protger par un statut qui assure leur avancement et leur stabilit. Les jeunes qui s'orientent vers la fonction publique, l'enseignement, la Magistrature ne pensent pas s'enrichir mais servir. Leurs traitements, leurs retraites, leur statut doivent leur assurer scurit et dignit. Si non, le recrutement ne se fera que parmi les mdiocres.

Pour une possible Rvolution ruraleSous la domination franaise, l'volution de l'Algrie a t ingale. De trs grandes rgions sont restes trangres tout progrs. Ce sont ces rgions et leurs populations dshrites qu'il fallait saisir bras le corps et les sortir du Moyen-ge o elles continuent de vgter. Il est possible de raliser leur niveau une grande rvolution rurale. Pour cela nous devons, pour de longues annes, conjuguer inlassablement trois verbes : nourrir, instruire, construire. Pour les nourrir, il faudra amliorer leur condition de paysans, les maintenir cote que cote sur leur terre et leur apporter, chez eux, le renouveau. Il n'est pas ncessaire de le rpter, parce que les faits parlent d'eux-mmes : la rforme agraire est un chec cuisant. Ceux qui l'ont conue sont des ignorants qui ne connaissent rien la terre. La terre est une femme. Il faut l'aimer et l'pouser pour la fconder. Lorsqu'on la livre des attributaires fonctionnaires, qui la traitent par-dessus la jambe, elle devient avare, strile, improductive. Or la production agricole est un objectif prioritaire. Mme chez les communistes. Lorsque nous nous sommes rendus Pkin en 1960, j'ai retenu de nos entretiens avec le prsident Mao Ts Toung trois recommandations.1

1. Mao Ts Toung ( 1 8 9 3 - 1 9 7 6 ) , h o m m e d'Etal chinois, l'un des principaux fondateurs de la Rpublique Populaire de Chine. Son petit livre rouge o il explique sa pense a t distribu dans toute la Chine et dans les pays du tiersmonde.

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1 En matire conomique le peuple doit marcher sur ses deux pieds: l'agriculture et l'industrie. 2 Dans une premire tape, l'industrie doit tre subordonne l'agriculture. Avant de fabriquer des automobiles, il faut d'abord fabriquer des pelles, des pioches, des charrues, des tracteurs, des engrais. Pour travailler, le peuple doit d'abord tre nourri. C'est trs important. 3 Faire travailler l'homme passe avant l'utilisation des outils agricoles. Tant que le travail peut-tre fait par la main de l'homme, viter de se servir du matriel. La technique peut attendre. Pas les hommes rduits au chmage. Ces recommandations ne sont pas en contradiction avec les principes de la socit musulmane. Nous pouvions en faire notre profit. Hlas ! Nous avons omis de le faire ! Nous avons inond l'agriculture d'un matriel perfectionn, achet trs cher, rduisant plus de deux millions de ruraux au chmage. Et nous avons sacrifi notre agriculture une industrialisation htive, improvise et sans cadres. En toute chose, il faut commencer par le commencement. Le changement peut devenir effectif et conduire une rvolution profonde, la condition de tenir compte du caractre de notre peuple, de son particularisme et du respect de sa religion. Donner nos paysans et aux travailleurs de la terre, leurs moyens d'existence, une autre dimension que celle de leur misre quotidienne est une chose possible. Ce qui compte en pareil cas c'est l'efficacit. Peu importe, a dit un ministre chinois, que le chat soit rouge ou noir. L'essentiel est qu'il attrape les souris.

Si la terre algrienne est en train de mourir c'est parce qu'elle a t livre un collectivisme pratiqu par des Irresponsables. Elle a t enferme, comme l'industrie, dans une rglementation abusive. Or l'agriculture dpend de tant de facteurs (pluies, scheresse, gele, grle, etc.) qu'elle est redevable l'initiative de l'agriculteur lui-mme. La bureaucratie est synonyme de sabotage. Aprs le sicle de la colonisation, on trouve en Algrie trois catgories de fellahs : 1 Ceux qui ont amlior leur proprit et leurs moyens d'existence. 2 Ceux qui se sont cramponns au sol, malgr la vie misrable qu'ils ont mene. 3 Ceux qui ont tout perdu et qui ont t dracins. Ils sont devenus khamms, des ouvriers agricoles ou qui sont alls vers les villes pour y trouver du travail. La premire catgorie doit tre touche par la rforme. Selon la valeur des terres, la proprit doit tre ramene une superficie raisonnable et rentable. Pour les terres crales, il faut des fermes de 200 300 ha, c'est--dire de 100 150 ha labourables chaque anne. Le reste servant l'levage et au fourrage. L'Algrie n'est pas la Beauce. Il faut compter une bonne rcolte tous les 3 ans. On remdie aux mauvaises annes par l'levage (le mouton, la vache, la jument). C'est par l'levage que l'agriculture peut tenir le coup en cas de scheresse ou de gele. Autre sujet. Le pouvoir a interdit les investissements dans l'agriculture. C'est une erreur. Quand un mdecin, un avocat, un pharmacien, un commerant place son argent

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dans l'agriculture, il le fait souvent fond perdu. Les Arabes disent : L'argent gagn l'ombre est dvor par le soleil. Ceux qui profitent de ces investissements, ce sont gnralement les paysans en place. Ils sont les matres et travaillent comme ils veulent. Ils donnent au propritaire ce qu'ils veulent. En tout tat de cause, l'argent investi reste en Algrie. Il ne s'en va pas en Suisse ou ailleurs. Les paysans de la deuxime catgorie mritent que l'tat aille leur secours. Ce sont des gens vaillants, de vrais paysans. Leur proprit doit tre agrandie pour devenir rentable. On doit leur construire des logements dcents, avec adduction d'eau. Leurs enfants doivent pouvoir aller l'cole. Les paysans dracins comptent deux catgories de gens. Ceux qui ont perdu leurs terres par le jeu, la boisson, la dbauche. Ceux-l sont irrcuprables. Les autres, ceux qui n'ont pas eu de chance ni de possibilits sont dignes d'intrt. Mais faut-il encore qu'un choix trs srieux se fasse parmi eux. Ce sont ces anciens paysans qui peuvent se substituer aux anciens colons et prendre en mains les exploitations existantes. Faut-il encore modifier le statut de l'autogestion et la soustraire la bureaucratie parasitaire. Pour que ces hommes retournent la terre, il convient que cette terre leur appartienne. En les groupant par cinq ou dix, ou vingt, selon l'importance de l'exploitation, l'tat leur accorde des crdits et les laisse travailler pour leur propre compte et selon leur comptence. Si le rendement est nul et si la proprit prive priclite, le bail est rsili. Il sera tabli au profit d'autres travailleurs.

Si au contraire, la proprit s'est enrichie, l'tat leur accorde, un bail plus avantageux. Le revenu de ces auto-gestion-locations et impts sera investi dans des rgions dshrites ou dans des terres arables, non mises en valeur. Actuellement, pendant que les travailleurs, installs sur les anciennes fermes des colons, mangent leur faim, ceux qui vivent dans l'arrire pays, mendient leur subsistance. Ce n'est pas quitable. Que la terre grasse travaille pour la terre maigre et participe au financement de sa mise en valeur. Par ailleurs, des plaines fertiles qui sont restes longtemps incultes comme celles de la plaine de Sidi Okba (100 000 ha); la plaine de Barika (100 000 ha); la plaine de Bou SadaDjelfa (50 000 ha), la plaine d'El Bayad-An Sefra (50 000 ha) attendent des capitaux et des bras pour tre transformes en vritable Californie. Elles pourraient, pour le moins, tre l'quivalent des terres d'Agadir, au Maroc. l'ore du Sahara, l'association du soleil et de l'eau convient aux plantes fourragres, la luzerne par exemple. L'levage devient possible. Au sud de la ligne Tiaret, Bordj Bou Arrridj, Stif, Ain Beida, nous pourrions, comme en Argentine, former une race viande. Des btes venant du croisement du Charolis et d'Aberdeen Angres et groupes dans des parcs de 10 ha permettraient de fournir de la viande mme l'Europe. En matire d'agrumes, l'introduction de l'avocatier en Algrie serait trs rentable. Il remplacerait le clmentinier et l'oranger dont la culture s'est trop dveloppe autour de la Mditerrane.

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Dans une deuxime tape, les paysans assurs de leur avenir, finiront par se regrouper en coopratives de travaux. Ils mettront alors en commun les moyens de production pour les utiliser rationnellement. Ils coordonneront la commercialisation l'chelle de la cooprative de vente pour rduire au minimum les fonds d'investissement et le prix de revient. Ce processus finira par s'imposer, avec le temps et l'exprience, comme une volution progressiste invitable. Je dis que le dmarrage de l'Algrie nouvelle se situe au niveau de l'agriculture. Nous devons tout mettre en uvre pour amliorer qualitativement et quantitativement notre production agricole. L'agriculture nous procure des richesses renouvelables. Il nous incombe de trouver les voies et moyens propres assurer la couverture de nos besoins alimentaires par notre propre production. Cela se traduira par une conomie importante en devises. Apprenons compter et conomiser. Le socialisme dynastie de la dynastie qui nous gouverne n'est pas un second Coran.

On les retrouve dans les bidonvilles, autour des grandes cits. Ils trouvent du travail dans les usines. Mais personne ne les remplacera dans le bled. La terre devient nue et inculte. Cette politique est une aberration. Il faut y remdier dans les plus brefs dlais. Un phnomne social est en cours. Il risque de coter cher l'Algrie. Ce sont les paysans beaucoup plus que les citadins qui font un pays, un peuple. Sans paysans, il n'y a pas de nation. Le civisme et l'amour du pays naissent sous le sabot du cheval et du buf, derrire le sillon du laboureur, et l'ombre du verger plant et entretenu par la succession des gnrations.

Protger la terre. Dvelopper la fort. Construire des barrages.L'agriculture ne saurait s'amliorer sans la dfense de la terre. Celle-ci est menace par deux flaux : l'rosion et la scheresse. C'est l une tche qui relve des pouvoirs publics et de la planification. C'est une uvre constante et de longue haleine. Tous les ans, des milliers d'hectares de bonnes terres sont perdus. Le dboisement favorise cette perte. D'o la ncessit de donner au service de la restauration des sols des crdits suffisants pour engager une lutte sans merci, en rapport avec le pril qui menace le pays. Pratiquement, ce reboisement doit s'effectuer en fonction des besoins d'autres industries, telle que l'industrie papetire et celle du bois de construction. Il suffit de choisir des plants appropris.

Arrter l'exode ruralLa rvolution agraire a eu entre autres consquences, celle de provoquer l'exode de fellahs vers les villes. Cependant ces fellahs avaient rsist la pousse des terres coloniales. Ils ont coll au sol durant un sicle, malgr mille difficults. C'est dans ces conditions, que durant la guerre d'Algrie, ils ont pu nourrir et abriter les maquisards. L'indpendance les a dpouills.

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II convient aussi de faire l'ducation de nos populations de montagne. Elles doivent planter et non labourer. Lorsque le sol prsente une certaine inclinaison, les labours facilitent l'rosion. Leur ducation serait plus aise s'ils arrivaient se persuader que la fort les fait vivre. Sans doute, nos forts ne valent pas celles de l'Europe, ni celles de l'Afrique noire mais elles sont exploitables. En dehors du lige, le chne vert et d'autres arbres peuvent fournir du bois de construction et d'ameublement. Mais combien de scieries ont t installes dans la presqu'le de Collo, Jijel, dans l'Edough, dans l'Ouarsenis ? Par ailleurs, l'bauche de pipes est une industrie nglige. Pour rconcilier le montagnard avec la fort, il faut l'intresser sa conservation, sinon il lui restera hostile. Les incendies qui se produisent chaque anne sont en rapport direct avec cette hostilit. Quant la scheresse, elle est un danger permanent. Il pleut suffisamment en Algrie, mais irrgulirement. Les pluies sont mal rparties. Il n'est pas rare que du mois de mai septembre, il ne tombe pas une seule goutte d'eau. D'o la ncessit d'emmagasiner l'eau. Et en mme temps de rgulariser les cours des rivires et des ruisseaux. Aprs Delouvrier et le plan de Constantine, annonc par le gnral De Gaulle, le pouvoir en Algrie parle de la construction de mille villages. C'est de mille barrages qu'il faut d'abord parler. L'irrigation des terres, en cas de scheresse, et l'alimentation en eau potable, des villes et des villages, est une ralisation prioritaire. En Algrie, l'eau c'est la vie.

Or, quinze ans aprs l'indpendance, la plupart de nos villages et de nos villes manquent d'eau. Et nos rivires continuent charrier, certaines priodes, des flo