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PARCOURS Ce document reprend certains textes de salle, notamment pour les œuvres citées. Des rubriques « EN SAVOIR PLUS » aident les enseignants à approfondir leurs recherches. PREAMBULE : LA CONCURRENCE DE LA VIE MODERNE « L’existence des hommes créateurs modernes est beaucoup plus condensée et beaucoup plus compliquée que celle des gens des siècles précédents. La chose imagée reste moins fixe, l’objet en lui-même s’expose moins que précédemment. Un paysage traversé et rompu par une auto ou un rapide perd sa valeur descriptive mais gagne en valeur synthétique [...] L’homme moderne enregistre cent fois plus d’impressions que l’artiste du XVIIIe siècle ; par exemple, à tel point que notre langage est plein de diminutifs et d’abréviations. » Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, Les réalisations picturales actuelles, 1914, p.40 SOUS-PARTIES CONTRASTE ET FRAGMENTATION, LES ANNEES CUBISTES ŒUVRES-CLES La couseuse, 1909 La Noce, 1911-1912 Les toits de Paris, 1912 MÉCANIQUE DE LA GUERRE ŒUVRES-CLES La Partie de cartes, 1917 Dessins de guerre ESTHÉTIQUE DE LA MACHINE ŒUVRES-CLES Les hélices, 1918 Le pot à tisane, 1918 La roue rouge, 1920 Elément mécanique, 1924 Fernand Léger fait très tôt le constat de l’état de contraste et d’intensité que représente la vie moderne : le spectacle du paysage urbain en pleine mutation, le bruit et la vitesse des machines et des automobiles, la couleur des réclames sur les murs, les produits manufacturés qui envahissent les vitrines, etc. Cette démultiplication des sensations représente par sa puissance esthétique une concurrence directe pour les artistes. Marquée d’abord par l’esthétique cubiste, la peinture de Fernand Léger rompt avec les conventions artistiques et cherche à transcrire ce morcellement de la vision et le rythme syncopé d’une société en plein essor. Se renouvelant tout au long de sa carrière, elle répond à la saturation des images, par une recherche d’efficacité visuelle et d’audace colorée, guidée par l’esthétique du contraste maximal.

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PARCOURS Ce document reprend certains textes de salle, notamment pour les œuvres citées. Des rubriques « EN SAVOIR PLUS » aident les enseignants à approfondir leurs recherches.

PREAMBULE : LA CONCURRENCE DE LA VIE MODERNE « L’existence des hommes créateurs modernes est beaucoup plus condensée et beaucoup plus compliquée que celle des gens des siècles précédents. La chose imagée reste moins fixe, l’objet en lui-même s’expose moins que précédemment. Un paysage traversé et rompu par une auto ou un rapide perd sa valeur descriptive mais gagne en valeur synthétique [...] L’homme moderne enregistre cent fois plus d’impressions que l’artiste du XVIIIe siècle ; par exemple, à tel point que notre langage est plein de diminutifs et d’abréviations. » Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, Les réalisations picturales actuelles, 1914, p.40

SOUS-PARTIES CONTRASTE ET FRAGMENTATION, LES ANNEES CUBISTES ŒUVRES-CLES La couseuse, 1909 La Noce, 1911-1912 Les toits de Paris, 1912 MÉCANIQUE DE LA GUERRE ŒUVRES-CLES La Partie de cartes, 1917 Dessins de guerre ESTHÉTIQUE DE LA MACHINE ŒUVRES-CLES Les hélices, 1918 Le pot à tisane, 1918 La roue rouge, 1920 Elément mécanique, 1924 Fernand Léger fait très tôt le constat de l’état de contraste et d’intensité que représente la vie moderne : le spectacle du paysage urbain en pleine mutation, le bruit et la vitesse des machines et des automobiles, la couleur des réclames sur les murs, les produits manufacturés qui envahissent les vitrines, etc. Cette démultiplication des sensations représente par sa puissance esthétique une concurrence directe pour les artistes. Marquée d’abord par l’esthétique cubiste, la peinture de Fernand Léger rompt avec les conventions artistiques et cherche à transcrire ce morcellement de la vision et le rythme syncopé d’une société en plein essor. Se renouvelant tout au long de sa carrière, elle répond à la saturation des images, par une recherche d’efficacité visuelle et d’audace colorée, guidée par l’esthétique du contraste maximal.

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 Fernand  Léger,  Contraste  de  formes,  1913  Huile  sur  toile,  100  x  81  cm  Donation  de  M.  et  Mme  André  Lefèvre  en  1952  numéro  d’inventaire  :  AM  3304  P  Collection  Centre  Pompidou,  Paris  Musée  national  d’art  moderne  -­‐  Centre  de  création  industrielle  ©  Centre  Pompidou,  MNAM-­‐CCI/Jacques  Faujour/Dist.  RMN-­‐GP  ©  Adagp,  Paris,  2017  

Contraste de formes « En cherchant l’état d’intensité plastique, j’applique la loi des contrastes […]. J’organise l’opposition des valeurs, des lignes et des couleurs contraires… » Dans cet ensemble d’une quarantaine d’œuvres réalisées entre 1913 et 1914, les sujets traditionnels - personnages, paysages, natures mortes - sont brutalement décomposés en volumes géométriques, jusqu’à l’abstraction. L’impression de fragmentation et de rythme se ressent dans l’exécution rapide de la peinture, qui laisse visible le grain de la toile. D’AUTRES ŒUVRES La Noce Avec La Noce, présentée au Salon des Indépendants en 1912 où elle fait sensation, le jeune peintre affirme sa propre version du cubisme. Son format exceptionnel pour l’époque et son traitement radical en font une œuvre-manifeste. Un cortège nuptial défile verticalement autour d’un couple de mariés, dans un espace brouillé par des formes vaporeuses. La fragmentation des formes et la multiplication des points de vue font voler en éclats la perspective classique. La scène se distingue des grilles monochromes de Georges Braque et Pablo Picasso en conservant la puissance du volume et de la couleur.

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Dessins de guerre Mobilisé dès août 1914, Fernand Léger est retenu loin de ses pinceaux pendant trois ans. Les dessins qu’il réalise sur des supports de fortune à proximité immédiate du front rendent compte de son quotidien. L’artiste ne cherche pas à dépeindre la violence absurde des combats, dont il est témoin en tant que brancardier, mais plutôt à croquer les activités des soldats à Verdun. Certains de ces dessins, consacrés aux hommes jouant aux cartes ou aux éléments mécaniques, annoncent les sujets que Léger reprendra par la suite. La Partie de cartes Fernand Léger peint cette œuvre exceptionnelle des années de guerre lors de sa convalescence dans un hôpital à Paris, à la fin de l’année 1917. Elle inaugure son retour à la peinture et à la vie civile, après trois années terribles passées au front. Réminiscence de la vie quotidienne dans les tranchées, cette scène rend hommage par son thème et son traitement géométrique à Paul Cézanne. Cette image d’une humanité robotisée marque l’aboutissement de ses recherches cubistes et les débuts de la période dite mécanique, qui dure jusqu’au milieu des années 1920. Les Hélices À son retour à la vie civile, Léger réalise de petites toiles éclatantes de couleur, à partir d’objets transformés en mécaniques joyeuses. Le motif de l’hélice, qui apparait déjà dans certains dessins de guerre, rappelle la fascination de l’avant-garde devant cette forme mécanique parfaite. Lors de sa visite au Salon de l’Aviation, accompagné par Constantin Brancusi et Marcel Duchamp ce dernier ne constate-t-il pas : « C'est fini la peinture. Qui fera mieux que cette hélice ? » Elément mécanique « J’aime les formes imposées par l’industrie moderne, je m’en sers, les aciers aux mille reflets colorés plus subtils et plus fermes que les sujets dits classiques », écrit Léger à son marchand Léonce Rosenberg. Jouant des effets de frontalité, de contraste et de dynamisme, l’engrenage composé d’un montage de lignes et de courbes se déploie verticalement, comme une figure puissante sur un fond uni. Version définitive d’un thème exploré longuement, cette grande toile est emblématique de sa période dite mécanique, entre 1917 et 1925. EN SAVOIR PLUS FERNAND LEGER ET LA GUERRE1 « Il n’y a pas plus cubiste qu’une guerre comme celle-là qui te divise plus ou moins proprement un bonhomme en plusieurs morceaux et qui l’envoie aux quatre points cardinaux. » Fernand Léger, Lettre à Jeanne, 28 mars 1915 Dès 1914, Fernand Léger participe à la première guerre mondiale qui, malgré les espoirs d’en finir avec un vieux monde à bout de souffle, restera une période extrêmement meurtrière, avec neuf millions de soldats morts sur le front. L’injustice planant entre les artistes préservés comme Pablo Picasso ou Juan Gris et les autres, jeunes peintres, poètes, écrivains, français ou étrangers, mobilisés pour la guerre, ce drame humain sans

                                                                                                               1  Source : Fernand Léger. Un correspondant de guerre à Louis Poughon, 1914-1918, Cahier du Musée National d’Art Moderne, Editions Centre Pompidou, 1990, p.6

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précédent influencera à tout jamais leur démarche artistique et leur rapport à l’humanité. En 1914, Fernand léger obtient un ordre de mobilisation générale en qualité de sapeur réserviste. Il sera envoyé dans le sud de la France, puis sur le front de la Marne où il exercera la fonction de brancardier. En 1915, Fernand Léger est blessé et obtient une permission de six jours. Il reviendra avec du matériel de dessin. C’est à cette date qu’il recommence à dessiner. La même année son ami Cendrars est gravement blessé, subissant une amputation de la main droite. En 1916, dès le mois de janvier Fernand Léger rentre à Paris lors de sa seconde permission. Il apprend que Guillaume Apollinaire est blessé à son tour. Fernand Léger quitte l’Argonne pour se retrouver près de Bar-le Duc. D’octobre à décembre, il participe à la grande « Noria » de Verdun, bataille qui durera 300 jours et 300 nuits, la plus sanglante des batailles. La « Noria » sur la Voie Sacrée sert à acheminer 2,5 millions de soldats français. En 1917, Fernand Léger est envoyé au front en Champagne, secteur moins exposé. Il obtient sa cinquième permission en juillet qui se prolonge par un séjour à l’hôpital de Villepinte, souffrant d’une asphyxie lors d’un bombardement. Le marchand d’art Léonce Rosenberg cherche à le rencontrer, ils signent un contrat dès le mois de décembre. Il réalise cette même année, sa très célèbre toile La partie de cartes. En 1918, au mois de mars, il obtient son retour à la vie civile. Le 11 novembre est signé l’Armistice, Guillaume Apollinaire est inhumé le même mois au cimetière du Père Lachaise. En février 1919, une exposition est consacrée à Fernand Léger à la galerie « L’effort moderne » chez Léonce Rosenberg. Extrait d’une lettre écrite à son ami Louis Proughon, avocat de formation, ami d’enfance et exempté de service militaire lors de la mobilisation.2 VERDUN 14-12-16 « Mon cher ami, (…)On quitte Verdun demain matin 5 heures pour aller au repos, on espère un mois. C’est les grandes vacances. Je pense aussi être à Paris dans peu de temps pour 8 jours. Je quitte Verdun avec plaisir tout de même. J’avoue que c’est peut-être là que j’ai encaissé les plus fortes émotions de ma vie. J’y ai fait des dessins je crois intéressants. (…). J’ai plus de résistance que je n’aurais cru. Je suis en parfaite santé malgré une hygiène de vie plutôt déplorable et des fatigues auxquelles rien ne m’avait préparé. Je me décerne le qualificatif de costaud. Tu permets ?(…) Verdun, ça c’est vraiment la guerre, c’est maximum quand je revois tout cela, surtout les premiers jours. Je me demande comment j’ai pu réaliser ce tour de force de rester 2 mois : c’est le moral qui m’a soutenu(…). Au revoir, mon cher Louis, au plaisir de te revoir et de causer de tout cela devant une bonne table. Ton vieil ami. F.Léger. » La lettre est le seul moyen de communication entre les soldats et leur famille, amis, compagne, épouse, durant la première guerre mondiale. Certaines sont écrites au front, d’autres au cantonnement. Une moyenne de mille lettres par soldat a été recensée, certains en écrivaient plusieurs par jour pour garder le contact avec leurs proches.

                                                                                                               2  Source : Fernand Léger. Un correspondant de guerre à Louis Poughon, 1914-1918, Cahier du Musée National d’Art Moderne, Editions Centre Pompidou, 1990, p. 74-75  

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PARTIE 1 : LETTRE ET POÉSIE, LA DYNAMIQUE DE L’ÉCRITURE « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières Portraits des grands hommes et mille titres divers » Guillaume Apollinaire, Zone, 1913 « Les exemples de rupture et de changement survenus dans l’enregistrement visuel sont innombrables. Je prendrai les plus frappants comme exemple. Le panneau-réclame imposé par les nécessités commerciales modernes, coupant brutalement un paysage, est une des choses qui ont fait le plus tempêter les gens dits…de bons goût. Il a même fait naitre cette stupéfiante et ridicule société qui s’intitule pompeusement La Société de protection des payages. » Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, Les réalisations picturales actuelles, 1914, p.41 « Sur les boulevards deux hommes transportent dans une voiture à bras d’immenses lettres dorées ; l’effet est tellement inattendu que tout le monde s’arrête et regarde. Là est l’origine du spectacle moderne. » Fernand Léger, Le spectacle, lumière, image, objet-spectacle, juillet 1924 SOUS-PARTIES TYPOGRAPHIE ŒUVRES-CLES Nature morte, 1914 Le Typographe, 1919 POÉSIE URBAINE ŒUVRES-CLES Le Disque, 1918 Les Disques dans la ville, 1920 Le Pont du remorqueur, 1920 Nature morte ABC, 1917 Signaux, lettres, pictogrammes, autant de reflets de cette nouvelle poésie de la ville moderne, ponctuent les peintures de Fernand Léger dès les années 1920. L’artiste partage avec les poètes de l’avant-garde une même fascination pour le renouvellement des formes de la communication visuelle qu’apportent la publicité et la typographie. De Guillaume Apollinaire à Blaise Cendrars, de Vladimir Maïakovski à Paul Éluard, Fernand Léger entretient tout au long de sa vie des liens d’amitié avec de nombreux poètes. De là, naîtront des ouvrages conçus en collaboration, où le texte se mue en rébus, la lettre en matériau plastique. Lui-même doté d’un grand talent d’écriture, Léger n’hésitera pas à prendre la parole, publiant des textes variés, articles théoriques, récits de voyages ou écrits poétiques.

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Fernand  Léger,  Le  Cirque  Médrano,  1918

Huile  sur  toile,  58  x  94,5  cm  Legs  de  la  Baronne  Eva  Gourgaud,  1965  numéro  d’inventaire  :  AM  4316  P  Collection  Centre  Pompidou,  Paris  Musée  national  d’art  moderne  -­‐  Centre  de  création  industrielle  ©  Centre  Pompidou,  MNAM-­‐CCI/Jacques  Faujour/Dist.  RMN-­‐GP  ©  Adagp,  Paris,  2017  

  Le Cirque Medrano Léger exprime sa passion pour l’ambiance colorée des spectacles du cirque Médrano, fréquenté alors par les peintres et les poètes. Fragments urbains, acrobates et animaux sont saisis entre deux demi-disques, dans un mouvement circulaire rythmé par les contrastes de formes et de couleurs. Parmi de multiples signaux abstraits apparait l’affiche du spectacle, « MEDRA » pour Medrano, et « 8h1/2 », l’heure de la représentation. D’AUTRES ŒUVRES Nature morte Unique dans l’œuvre de Léger, cette étonnante composition est considérée comme le premier exemple d’un usage artistique du tampon encreur. Le peintre détourne cinq tampons administratifs pour créer une nature morte avec bouteille et verre. Il n’est pas indifférent qu’elle soit réalisée sur une feuille à en-tête de la revue Les Soirées de Paris, dirigée par Guillaume Apollinaire. Provenant de la collection du poète, défenseur du cubisme et inventeur des poèmes visuels (Calligrammes), elle montre le plaisir qu’a Léger à dessiner avec des lettres, même si ce « jeu de mots » se révèle plus pictural que littéraire.

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La Fin du monde filmée par l’ange N. D. Illustré de 22 dessins de Léger, cet ouvrage conçu comme un scénario signe l’une de ses collaborations majeures avec son ami, le poète Blaise Cendrars. Ces compositions tourbillonnantes jouent sur la typographie, l’esthétique publicitaire et déclinent la lettre sous toutes ses formes, en caractères d’imprimerie, au pochoir ou plus librement pour former des images. Se trouve ici pour la première fois la dissociation de la couleur et du dessin que Léger explorera plus tard dans ses peintures. Le Typographe Travaillant à l’édition de La Fin du Monde filmée par l’ange N. D., Fernand Léger fréquente les ateliers d’imprimerie, qui lui inspirent la série du Typographe. Un artisan est ici assis à sa table de travail devant des caractères rouges et blancs. Léger considère que la révolution typographique a transformé la perception humaine, devenue plus précise et plus rapide. La lettre « R » évoque surtout les caractères de la rue, construits sur le principe du pochoir. Transformés en motifs plastiques, les fragments de lettres, aplats colorés et formes abstraites s’entrechoquent gaiement. Nature morte ABC Les trois premières lettres de l'alphabet deviennent ici le sujet même du tableau. Référence au nom d'un music-hall parisien fréquenté par les artistes, ABC peut aussi être lu comme une dédicace « A Blaise Cendrars ». Dans son recueil L'ABC du cinéma (1926), le poète ami de Léger fait l'éloge de la publicité « la plus belle expression de son époque, la plus grande nouveauté du jour, un Art ». Le peintre, qui partage cet engouement, imagine une typographie spécifique dans laquelle les trois lettres monumentales s’imbriquent dans une composition géométrique abstraite. Les Disques dans la ville Cette peinture majeure mêle dans une même image deux thèmes chers à Fernand Léger, la machine et le paysage urbain. Elle s’inspire des panneaux publicitaires de la place de Clichy, que le peintre admire lors de ses promenades dans la capitale avec Blaise Cendrars et Darius Milhaud. Les formes circulaires, évoquant les rouages mécaniques ou la pellicule de cinéma, sont associées à des éléments d’architecture ou de signalétique urbaine, des poutrelles métalliques et des lettres isolées qui créent un instantané dynamique de la grande ville moderne par effet de contraste. La Ville En 1952, l’éditeur Tériade sollicite Blaise Cendrars et Fernand Léger pour réaliser un livre illustré sur Paris. Dans les lithographies réalisées par le peintre, les lettres rythment le paysage urbain. Aux clins d’œil autobiographiques à son quartier – Léger dépeint la Ruche, la Coupole et Montparnasse – s’ajoutent les références aux motifs qui ont marqué sa peinture. La collaboration est interrompue par la mort de Léger en 1955. Les illustrations ne seront finalement publiées aux côtés du texte de Cendrars qu’en 1987. EN SAVOIR PLUS LA POÉSIE AU DÉBUT DU XXème SIECLE Fernand Léger sera proche de poètes tels que Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Yvan Goll, René Char, Paul Eluard, Vladimir Maïakovski.

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Au début du XXème siècle, deux grandes tendances ou périodes se distinguent.3 Tout d’abord l’Esprit Nouveau avec un renouvellement de la forme insufflé par Guillaume Apollinaire et Blaise Cendrars. Le poète prend toutes les libertés, recherche une écriture nouvelle : il peut explorer le calligramme selon Guillaume Apollinaire (poème dont l’écriture représente un dessin), abandonner la ponctuation, imaginer des vers libres. Les thèmes abordés sont la ville, la modernité, le quotidien, etc. Il existe une véritable porosité entre ce renouveau poétique et les avancées de la peinture (début du cubisme). Puis apparaît la Poésie surréaliste, la poésie étant le genre littéraire privilégié des Surréalistes, sous l’impulsion d’André Breton. Ce mouvement, né en 1924 en réaction à la première guerre mondiale, dénonce la condition de l’homme en perte de repère dans un monde qui n’a plus de sens. Les recherches de Freud sur la psychanalyse influenceront les Surréalistes qui tentent d’atteindre l’inconscient. En lien avec le rêve, l’écriture automatique, l’association d’idées, l’opposition d’images (« la terre est bleue comme une orange », Paul Eluard) sont autant de procédés d’écritures utilisés par les poètes Surréalistes. Les thèmes de l’amour, la femme, l’engagement seront chers à Paul Eluard, Louis Aragon ou André Breton. Liberté de Paul Eluard, poème très engagé sera diffusé par avion aux résistants.4 BLAISE CENDRARS5 Blaise Cendrars ou Frédéric-Louis Sauser, est un écrivain, poète et journaliste, né en septembre 1887 à La Chaux-de-Fond en Suisse (lieu de naissance de Le Corbusier). Blaise Cendrars est un pseudonyme choisi pour la métaphore entre l’écriture et l’incandescence. « Ecrire c’est brûler vif, mais aussi renaitre de ses cendres » Blaise Cendrars. D’autres pseudonymes seront sa signature : Freddy Sausey, Frédéric Sausey, Jack Lee, Diogène. Blaise Cendrars publie ses premiers poèmes dès 1912 avec Les Pâques puis La Prose du Transsibérien après un grand voyage en Transsibérien, train reliant la Russie à la Chine. Toute sa vie sera sous le signe du voyage, de la découverte, de l’altérité, de l’itinérance. Dès la première guerre mondiale, il souhaite s’engager comme volontaire dans la Légion Etrangère, bien que de nationalité suisse, pour participer à ce conflit sans précédent. En 1915, perdant le bras droit dans un tir de mitraillettes, lors de la bataille de Champagne, il se retire du front et séjourne à l’hôpital. Démobilisé, il obtient la naturalisation française en 1916. « Que faire, que dire quand on était un écrivain qui commençait tout juste à se faire connaître, qui s’était forgé une place dans le milieu de l’avant-garde européenne et qui est menacé de ne plus être qu’un ancien combattant ? »6 Blaise Cendrars fréquente à Paris des artistes tels que Sonia et Robert Delaunay, Marc Chagall, Alexander Archipenko, Amedeo Modigliani, Guillaume Apollinaire, Fernand Léger. En 1918, n’en pouvant plus de ses souvenirs destructeurs de guerre, il écrit J’ai tué, premier livre illustré par Fernand Léger. Dans Dix-neufs poèmes élastiques, de 1919, il rend hommage à Marc Chagall et à Léger. Ce handicap le tourne progressivement vers le cinéma. Il devient l’assistant d’Abel

                                                                                                               3SOURCE :  Le surréalisme en poésie http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/surréalisme/95026

 4  https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/paul-eluard/ 5  http://www.bnf.fr/documents/biblio_cendrars.pdf  6  1917, Catalogue de l’exposition, sous la direction de Claire Garnier et de Laurent Le Bon, 2012, article de Michèle Touret, p.106  

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Gance pour J’accuse et La Roue. Son ami Fernand Léger collaborera à ce dernier film pour la réalisation d’une affiche. En 1921, Blaise Cendrars passe à la réalisation mais sans grand succès. Passionné par l’Afrique, il écrit Anthologie nègre, dont la Création du monde sera adapté par les ballets suédois, avec des décors et des costumes de Fernand Léger. En 1926, son roman L’Or devient un succès international, confirmé par Moravagine, roman d’aventure. Dès 1930, il devient journaliste, grand reporter, correspondant de guerre en 1939. À partir de 1943, il revient sur ses souvenirs obsédants de guerre avec des récits autobiographiques tels que L’homme foudroyé, La main coupée. Il décède à Paris le 21 janvier 1961. LA MODERNITÉ POUR BLAISE CENDRARS ET FERNAND LEGER À partir de 1918, débute une grande amitié et une belle collaboration artistique entre Blaise Cendrars et Fernand Léger. Leur point de rencontre, comme l’écrit Anne Valley dans son article sur la Modernité, dans le catalogue de l’exposition7, est d’avoir connu la guerre, d’avoir rencontré « le peuple de France ». Ces deux hommes sont très proches, pour eux, être moderne, c’est explorer le tissu urbain d’après-guerre où tout se « précipite violemment ». Ils partagent ensemble le goût de l’itinérance : « Aller flâner, sous prétexte, d’aller au peuple » disait Baise Cendrars. Leur zone de prédilection est le quartier Kremlin-Bicêtre, là où s’éveille la nuit, une population hétérogène, étrangère et marginale, une manière pour eux de s’encanailler, de faire un voyage dans les marges urbaines. L’authenticité de la vie moderne se trouve là, entre réalité et spectacle. Comme le souligne Anne Valley, cette immersion dans les zones populaires était, déjà au XIXème siècle, pour Victor Hugo ou pour Charles Baudelaire, une expérience sensorielle et inspirante. LES ANNÉES 1920 : OUVERTURE À D’AUTRES CHAMPS DE CRÉATION De 1908 à 1910, Fernand Léger, peintre associé à la mouvance cubiste, s’installe à La Ruche8, une cité d'artistes située dans le quinzième arrondissement de Paris, où il fait la connaissance des sculpteurs Ossip Zadkine, Alexander Archipenko, Jacques Lipchitz, et se lie d’amitié avec le peintre Robert Delaunay et les écrivains Blaise Cendrars, Guillaume Apollinaire. Fernand Léger n’est pas un solitaire et ce brassage de rencontres et d’échanges se poursuit après la guerre, dans la frénésie des « années folles » et de ses créations collectives. Il partage avec ses contemporains un besoin de distraction, dans les années d’après-guerre. Passionné de spectacles, il va fréquemment au bal populaire, au cinéma ou au cirque avec Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars ou Max Jacob. Pour Fernand Léger, le music-hall est un lieu de créativité, d’invention, et de synthèse des arts dans lequel il retrouve ses idées. Bien plus qu’un lieu de divertissement, c’est une matière première où puiser son inspiration. Il mène une réflexion similaire à propos du cirque, lieu de la prise de risque, de l’excitation et de la peur, avec ses couleurs en liberté et ses numéros qui se succèdent : le cirque comme métaphore du monde moderne. Dans les années 1920, période propice au bouleversement de l’ordre établi, à la négation du « goût bourgeois » et à l’abolition des frontières entre les arts, il approche des personnalités d’horizons différents : l’architecte Le Corbusier, le compositieur Darius

                                                                                                               7  Fernand Léger, Catalogue de l’exposition, sous la direction de Ariane Coulondre, 2017, article d’Anne Valley, p.39  8 La Ruche, baptisée ainsi pour évoquer l'activité intense des artistes qui y vivent et y établissent leur atelier, est née en 1900 de la générosité du sculpteur Alfred Boucher (1850-1934) qui achète aux enchères le pavillon des vins de Gironde conçu par Gustave Eiffel pour l’Exposition Universelle de 1900, et l’installe 2, passage Dantzig, dans le quinzième arrondissement de Paris, au cœur du quartier Montparnasse.  

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Milhaud ou Arthur Honegger, le danseur Jean Börlin, le directeur de compagnie Rolf de Maré, le cinéaste Marcel L’Herbier. Conscient de la dimension restrictive de la peinture de chevalet pour exprimer une vision globale du monde moderne, il utilise les techniques et les supports les plus divers et multiplie les collaborations. Dès 1921 et jusqu’en 1950, impliqué dans un réseau d'amitiés artistiques, il participe à une dizaine de créations, en concevant des affiches, des décors et des costumes pour la scène (ballets, cirques, opéras) et le cinéma, en participant à des expériences cinématographiques ou en réalisant lui même un film : le Ballet mécanique. En se confrontant à d’autres champs artistiques et en nourrissant son art de ce dialogue, Fernand Léger relève le défi de la peinture au XXème siècle : la rendre aussi puissante que la vie moderne.

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PARTIE 2 : CINÉMA, L’IMAGE MOBILE ET LE GROS PLAN « Le cinéma et l’aviation vont bras dessus bras dessous dans la vie, ils sont nés le même jour…La Vitesse est la loi du monde. Le Cinéma est gagnant parce qu’il est vite et rapide. Il est gagnant parce qu’il fait sauter des tas de chiffons à retardement comme le programme et le rideau. Le drame ou la comédie s’avalent d’un seul coup, sans fermer l’œil, il s’encadre dans le rythme actuel tout naturellement. » Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, A propos du cinéma (1930-1931), p.163 « Le cinéma, c’est l’âge de la machine. Le théâtre, c’est l’âge du cheval.» Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, A propos du cinéma (1930-1931), p.165 « La raison d’être du cinéma, la seule, c’est l’image projetée. Cette image qui, colorée, mais immobile, captive toujours les enfants et les hommes, voilà qu’elle remue. On a suscité l’image mobile, le monde entier est à genoux devant cette merveilleuse image qui bouge. » Fernand Léger, 1922 « Le cinéma personnalise « le fragment », il l’encadre et c’est un « nouveau réalisme » dont les conséquences peuvent être incaculables. Un bouton de faux col, placé sous le projecteur et grossi cent fois, devient une planète irradiante. Un lyrisme tout neuf de l’objet transformé vient au monde, une plastique va s’échafauder sur ces faits nouveaux, sur cette nouvelle vérité. » Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, A propos du cinéma (1930-1931), p.168 SOUS-PARTIES LA RÉVÉLATION CHARLOT ŒUVRE-CLE Charlot cubiste, 1924 LES EXPÉRIENCES FILMIQUES DE LÉGER ŒUVRES-CLES La roue, Abel Gance, 1922 L’Inhumaine, Marcel L’Herbier, 1924 Le Ballet mécanique, 1924 LE RÈGNE DE L’OBJET ŒUVRES-CLES Composition à la main et aux chapeaux, 1927 Nature morte au masque de plâtre, 1927 Le miroir, 1925 Nature morte (Le mouvement à billes), 1926 Feuilles et fruits, 1927 Fasciné par le personnage mécanique de Charlie Chaplin qu’il a découvert pendant la guerre, Léger oppose l’art neuf du cinéma à l’ancien modèle théâtral. Conscient du caractère populaire du septième art, il voit dans le film la possibilité d’une représentation dynamique, transfigurée par le rythme du montage et les effets de cadrage. Le peintre compose les affiches et décors de plusieurs films d’Abel Gance et de Marcel L’Herbier, avant de coréaliser en 1924 le Ballet mécanique, premier film sans scénario. Les potentialités infinies du gros plan et des angles de vues inédits sont exploitées en retour dans ses peintures, qui font des objets de la vie courante les nouveaux acteurs des intérieurs contemporain

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           Fernand  Léger,  Charlot  cubiste,  [1924]  Éléments  en  bois  peints,  cloués  sur  contreplaqué,  73,6  x  33,4  x  6  cm  Dation  en  1985  numéro  d’inventaire  :  AM  1985-­‐402  Collection  Centre  Pompidou,  Paris  Musée  national  d’art  moderne  -­‐  Centre  de  création  industrielle  ©  Centre  Pompidou,  MNAM-­‐CCI/Georges  Meguerditchian/Dist.  RMN-­‐GP  ©  Adagp,  Paris,  2017  

Charlot cubiste « Homme-image » né avec le cinéma, Charlot revient à plusieurs reprises dans l'œuvre de Léger sous la forme d’un arlequin désarticulé. Au début des années 1920, le peintre écrit le scénario d’un dessin animé, Charlot cubiste. Plusieurs versions tridimensionnelles du Charlot ont été conçues, sans doute pour ce film d’animation resté inachevé. L’assemblage modulable des planches de bois peintes permettait de décomposer et recomposer le corps-puzzle de la marionnette, qui revient, sous forme de clin d’œil, en 1924 dans le générique du Ballet mécanique. D’AUTRES ŒUVRES L'Inhumaine, extraits du film Marcel L’Herbier offre pour la première fois à Fernand Léger l’occasion de créer en trois dimensions, en lui confiant la réalisation de décors pour son film L’Inhumaine, vitrine de la modernité artistique. Dans la séquence finale du film, où le laboratoire futuriste imaginé par le peintre est en ébullition pour ressusciter l’héroïne, le réalisateur joue des éléments du décor grâce aux éclairages contrastés, à un montage heurté de plus en plus rapide. Le générique du film, qui reprend une composition peinte par Léger en 1918, met également en mouvement ses motifs mécaniques.

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La Ligne générale Arrivé à Paris en 1929, Serguei Eisenstein dit son admiration pour le Ballet mécanique, « jamais surpassé ». Des échos aux trouvailles de Léger se retrouvent dans La Ligne générale du cinéaste russe, qui reprend par exemple l’usage des lettres et des chiffres. Leur amitié réciproque résonne également sur le plan des convictions politiques, comme le révèle leur correspondance entre 1931 et 1935. Composition à la main et aux chapeaux Réponse du peintre aux moyens du cinéma, cette grande composition met en scène les personnages principaux de son film : la découpe d’un profil féminin, quatre cuillères, trois panamas, deux bouteilles, une machine à écrire, etc. Les successions verticales ou horizontales d’objets, qui scandent la composition, renvoient non seulement au montage des plans cinématographiques, mais aussi à la répétition des photogrammes sur la pellicule du film. Dreams that money can buy Réalisé en exil aux Etats-Unis, Dreams that money can buy rassemble sept séquences oniriques que le cinéaste allemand Hans Richter confie à des artistes, dont Fernand Léger. Avec une fantaisie proche du surréalisme, le peintre emploie, à la place des acteurs, des mannequins de vitrines. Son tableau La Grande Julie, représentation d’une jeune mariée dansant et faisant du vélo, semble s’animer sur les paroles d’une chanson populaire. Cet intérêt pour la mise en mouvement des objets et le dynamisme de la roue renouent avec les thèmes du Ballet mécanique. EN SAVOIR PLUS CHARLIE CHAPLIN9 « La force des « mimes » comme Charlot et B.Keaton, c’est leur admirable ignorance et leur puissance d’instinct. Ils ont senti qu’ouvrir la bouche est stupide du moment qu’elle ne parle pas, et par cela ils sont devenus plus populaires. » Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, A propos du cinéma (1930-1931), p.167 Charles Spencer Chaplin, né en 1889 à Londres, est acteur, réalisateur, scénariste, producteur, compositeur. Ses parents qui se séparent alors qu’il a à peine deux ans, sont des artistes issus du music-hall. Il connait une enfance difficile. Habitué à la pauvreté, il fréquente des foyers d’accueil avec son demi-frère Sydney. Dès l’âge de 10 ans, Charles se tourne vers une troupe de danseurs de claquettes pour enfants. Plus tard, il intègre la troupe Le Casey’s Club et devient un virtuose en matière d’imitation. Puis la Compagnie Karno le repère et l’embauche pour ses talents exceptionnels de comique. À 24 ans, il connaît Hollywood, engagé par la Keystone Comedy Company. Cette même année, il crée son personnage de Charlot, ses costumes, son maquillage, sa démarche. 1918 est l’année de la consécration. Connu dans le monde entier, il ouvre son propre studio et devient un an plus tard co-fondateur de la United Artists, maison de distribution indépendante. Les films tels que l’Emigrant (1917), Charlot soldat (1918), le Kid (1921), la Ruée vers l’or (1925), affirmeront son style et apporteront une nouvelle dimension créative au burlesque.

                                                                                                               9  http://www.charliechaplin.com/fr/articles/22-Biographie  

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Les progrès cinématographiques évoluent très rapidement. Bien que la technique des films sonorisés apparaisse, Charlie Chaplin souhaite conserver l’identité du cinéma muet et son langage universel, qui lui donnent une notoriété internationale. Les Temps modernes (1936) ne connaissent qu’un accompagnement musical. Sa première expérience de dialogues sonorisés apparaît en 1940 avec le Dictateur qui obtient un grand succès. Le film s’affirme plus politique, parodiant Hitler et Mussolini. Mais la popularité de Charlie Chaplin connaît quelques écueils en raison de ses liaisons avec des femmes très jeunes et des problèmes de reconnaissance de paternité. De plus, les autorités américaines voient en lui un ennemi, l’accusant de sympathiser avec le régime communiste. En 1952, alors qu’il doit se rentre à Londres pour présenter Les Feux de la Rampe, le gouvernement américain le menace de lui retirer son visa. Suite à ces tensions et accusations, il décide de s’établir en Suisse et, tout en poursuivant une activité professionnelle et artistique toujours très dense, il abandonnera définitivement le personnage de Charlot. Il décède en 1977.

FERNAND LÉGER ET LE CINÉMA10 Après la guerre de 1914-1918, Fernand Léger, grand admirateur de Chaplin et d’Eisenstein, noue des liens étroits avec le cinéma. En 1918, il illustre le livre de Blaise Cendrars La Fin du monde filmée par l'Ange N.D, conçu comme une suite de plans cinématographiques, et renoue avec le groupe de la revue Montjoie!11 fondée en 1913 par

                                                                                                               10 SOURCES Exposition Léger et le spectacle, du 1er juillet au 2 octobre 1995, Musée national Fernand Léger, Biot : http://www.grandpalais.fr/fr/system/files/field_press_file/dp_leger_et_le_spectacle.pdf Fernand Léger, Fonctions de la peinture, 1965, Éditions Denoël-Gonthier. Édition revue et augmentée, établie, présentée et annotée par Sylvie Forestier, Éditions Gallimard Paris, 2004. Site du Musée national Fernand Léger à Biot : http://musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/fleger/l-le-musee-national-fernand-leger Laurent Véray « Un cinéma d'artistes », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 26 mars 2017. URL : http://www.histoire-image.org/etudes/cinema-artistes La Cinémathèque Française, Ballet Mécanique : www.cinematheque.fr/catalogues/restaurations-tirages/film.php?id=62284#restauration La Cinémathèque Française, Ciné-ressources-Fiches personnalisées, Marcel L’Herbier : http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=13914 La Cinémathèque Française , Ciné-ressources-Fiches personnalisées, Abel Gance : http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=9114 Centre Pompidou Paris. Dossier documentaire, Le mouvement des images : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-mouvement_images/ENS-mouvement-images.htm Centre Pompidou Paris. Dossier documentaire, Fernand Léger : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Leger/ENS-leger.html Centre Pompidou-Metz. Dossier Découverte, Hans Richter : http://www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/images/dossiers/2014.05-RICHTER.pdf Catalogue de l'exposition Fernand Léger, Le beau est partout, du 20 mai au 30 octobre 2017, Centre Pompidou-Metz. Textes : La Roue, Dreams that Money Can Buy, Ballet mécanique, de François Albera. Composition à la main et aux chapeaux,1927, de Ariane Coulondre.

 11 La revue Monjoie ! fondée en 1913 par Ricciotto Canudo (1878-1923), « organe de l'Impérialisme artistique français, gazette bi-mensuelle illustrée » est une revue ouverte aux écrivains (Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Léon-Paul Fargue, Jacques Dyssord) mais de nombreux créateurs vont y contribuer, comme Fernand Léger, Igor Stravinsky, Albert Gleizes, Raymond Duchamp-Villon. Dans les locaux de la revue, Canudo organise les « Lundis de Montjoie! », temps d'échanges littéraires, artistiques et poétiques, qui réunissent notamment Robert Delaunay, André Dunoyer de Segonzac, Erik Satie, Fernand Léger, Blaise Cendrars, André Salmon, Marc Chagall, etc.

 

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l’intellectuel et critique italien Ricciotto Canudo. Ce dernier publie en janvier 1923, le Manifeste des sept arts, dans lequel il proclame : « Nous avons besoin du Cinéma pour créer l’art total vers lequel tous les autres, depuis toujours, ont tendu ». Fernand Léger est persuadé que le septième art (terme inventé par Canudo) peut devenir un art social moderne grâce à la fascination du public pour le mouvement des images projetées. La Roue, Abel Gance, 1922 Réalisateur : Abel Gance Assistant-réalisateur : Blaise Cendrars Scénariste : Abel Gance Directeurs de la photographie Léonce-Henri Burel, Marc Bujard, Maurice Duverger Compositeur de la musique originale : Arthur Honegger En 1921, Fernand Léger entre en contact avec Abel Gance, grâce à Blaise Cendrars, assistant réalisateur sur le film La Roue, et propose plusieurs projets d’affiches. Arthur Honegger compose la musique de la première version du film (d’une durée de presque neuf heures) dont l’un des morceaux est resté connu sous le nom de Pacific 231. Dès sa sortie, le film frappe les esprits par son caractère novateur. Il s’agit d’un mélodrame psychologique, très réaliste dans sa description de la vie des cheminots, et tourné majoritairement en extérieur. Mais Fernand Léger admire surtout le travail du cinéaste qui a su imposer la machine, en l'occurrence la locomotive, comme personnage principal du film.12 Les innovations sont également plastiques. Abel Gance multiplie les effets visuels pour présenter cet « acteur-objet » : gros plans, fragments mécaniques fixes ou mobiles, surimpressions, et adoption d’un montage extrêmement rythmé. Plus que tout autre, ce film symbolise l’avant-garde du début du XXème siècle et sa fascination pour les objets manufacturés. Abel Gance (1889-1981) Abel Gance, après des études de droit, s'oriente vers le théâtre puis fonde avec quelques amis la société Films Français en 1911, la même année que La digue, son premier film. De 1911 à 1917, il exploite les possibilités techniques qu'offr le cinéma en réalisant une quinzaine de films qui le font connaître du public français. Au sortir de la Première Guerre Mondiale, c’est avec son plaidoyer pacifiste, J'accuse (1919), que les caractéristiques de l'œuvre d’Abel Gance se dessinent, en particulier son goût pour la démesure et la grandiloquence. La Roue (1922) son film sur la vie des cheminots, multiplie les inventions au service de ses ambitions : la surimpression (collage de fonds type « carte postale », pour remplacer un décor naturel), l'écran panoramique, la stéréophonie. En 1925, il crée un film à grand spectacle considéré comme son chef-d’œuvre, Napoléon, fresque historico-lyrique mettant en scène des milliers de figurants mais interrompu faute de financement. L'arrivée du cinéma parlant freine considérablement la carrière d'Abel Gance. Il réalise son dernier film en 1962, Cyrano et d'Artagnan, avant de se tourner vers la télévision.

L’Inhumaine, Marcel L’Herbier, 1924 Deux ans avant l’Exposition des Arts décoratifs qui se tient à Paris en 1925, Marcel L’Herbier, jeune cinéaste d’avant-garde, réunit pour son film L’Inhumaine, les nouvelles tendances artistiques françaises, en une « synthèse des arts » et en écho aux théories du critique d’art et scénariste Ricciotto Canudo.

La distribution est un véritable « manifeste des Arts déco » : Décors extérieurs, architecture : Robert Mallet-Stevens (1886-1945)                                                                                                                12 Fernand Léger, article « La Roue, sa valeur plastique », 1922

 

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Le laboratoire de l’ingénieur Norsen,: Fernand Leger (1881-1955) Décors intérieurs : Alberto Cavalcanti (1897-1982) Le jardin d’hiver : Claude Autant-Lara (1901-2000) Le mobilier : Pierre Chareau (1883-1950), Michel Dufet (1888-1985) et Jean Lurçat (1892-1966) Sculptures : Joseph Csaky (1888-1971) Costumes : robes signées Paul Poiret (1879-1944). Verrerie : René Lalique (1860-1945), Jean Luce (1895-1964) Orfèvrerie : Jean Puiforcat (1897-1945) Danse : Les Ballets Suédois de Rolf de Maré (1888-1964), avec en vedette Jean Börlin (1893-1930) Musique : Darius Milhaud (1892-1974) Aucun décor n’est peint en deux dimensions dans le film, les effets de volume étant privilégiés. La maison de l’ingénieur a été dessinée par Robert Mallet-Stevens, Fernand Léger conçoit et fabrique l’intérieur du laboratoire du jeune savant Einer Norsen, joué par Jaque Catelain. La table de la salle à manger, créée par Alberto Cavalcanti, est entourée d’eau où barbotent des cygnes. L’Inhumaine est à la fois un conte, un film d’avant-garde et d’anticipation : l’histoire et celle d’une célèbre cantatrice, Claire Lescot, ayant de nombreux admirateurs parmi lesquels un jeune ingénieur. Il se meurt d’amour pour elle, sans l’émouvoir.

L’Inhumaine est projeté sur le pavis du Centre Pompidou-Metz, le 5 juillet 2017 à 22:30 Le projet d’affiche pour L’Inhumaine, de Fernand Léger Il s’agit d’une esquisse en noir et blanc de 1923, une composition faite de formes géométriques assemblées, de signes plastiques renvoyant à la mécanisation et aux machines de l’ingénieur Norsen. Le titre du film, comme réalisé au pochoir, apparait en surimpression sur des éléments de rouages et de leviers, avec des lettres dont la taille diminue dans le sens de la lecture. L’affiche renvoie aussi à la fragmentation et au rythme des images tournées par Marcel L’Herbier. Le projet de Fernand Léger n’a pas été retenu par le distributeur qui a préféré les propositions de Djo Bourgeois et Erik Aaes.

L’Inhumaine, le décor, le laboratoire de l’ingénieur En contribuant au décor de L’Inhumaine, Fernand Léger passe pour la première fois à la troisième dimension. Arrivé avec six aquarelles représentant des formes abstraites, et sans donner davantage d’explication, c’est en ouvrier qu’il revient le lendemain pour construire lui même les pièces de bois de son décor, transposant dans l’espace les compositions mécaniques et les motifs que l’on voit dans ses tableaux. Il ne s’agit pas d’un décor illusionniste, mais d’une succession de plans étagés dans la profondeur, avec des éléments peints en aplats puis mis en mouvement. De la même manière, le générique du film reprend une composition peinte par Léger en 1918, avec là aussi, ses formes mécaniques en mouvement. Marcel L’Herbier (1888-1979) Marcel L’Herbier, issu d'une famille d'architectes, intéressé par la littérature, la danse et la musique, découvre sa vocation de réalisateur au service cinématographique de l’armée, lorsqu’il s’engage en 1916. Conscient du potentiel de ce nouveau médium, il multiplie les expérimentations et crée une esthétique nouvelle qui fait de lui un des chefs de file du cinéma français d'avant-garde des années 1920 (il est le premier a utilisé le flou artistique en 1917, s’intéresse au travail sur la lumière et les ombres, les anamorphoses et les surimpressions). Avec les cinéastes Louis Delluc et Germaine Dulac, il constitue une école impressionniste s'opposant à l'Expressionnisme allemand. Après ses premiers films sous

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l’égide de la Gaumont (premier long métrage, Rose-France, 1919) il crée sa propre société de production, Cinégraphic, en 1923. C’est donc en toute indépendance qu’il réalise Don Juan et Faust (1922), L'Inhumaine (1923), et L'Argent (1928), adapté de l'œuvre d'Emile Zola. Avec l’arrivée du cinéma parlant, Marcel L’Herbier abandonne ses recherches formelles pour des œuvres plus « classiques » : des films policiers en 1930 puis du cinéma d’évasion et des comédies sous l’occupation. En 1936, il participe à la création de la Cinémathèque Française puis fonde l'Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) en 1943. En 1953, il délaisse le grand écran pour la télévision et réalise de nombreuses émissions culturelles sur le cinéma. Le Ballet mécanique, Fernand Léger, 1923-1924 Film cinématographique 35 mm, noir et blanc, muet (noir et blanc coloré, sonore, dans la version Moritz) Durée : 16' Réalisation : Fernand Léger Co-réalisation : Dudley Murphy Photographies : Man Ray et Dudley Murphy Musique : George Anthiel Avec la participation de Kiki de Montparnasse et Katherine Murphy Entre 1922 et 1925, de sa participation au tournage de La Roue d’Abel Gance à son travail de décorateur sur L’Inhumaine de Marcel L’Herbier, Fernand Léger mène une réflexion en direction du cinéma. Il consacre au film d’Abel Gance, un article dans la revue Comédia, dont le titre a valeur de manifeste : Essai critique sur la valeur plastique du film d’Abel Gance, La Roue, 1922. C’est donc bien l’aspect plastique qui retient l’attention de Fernand Léger et qui l'amène à s’intéresser au cinéma, comme un moyen de renouveler la peinture en la confrontant à la modernité de son époque. Dans un entretien avec Dora Vallier en 1954, il confie : « En 1923, je fréquentais des copains qui étaient dans le cinéma et j’ai été tellement pris par le cinéma que j’ai failli lâcher la peinture. Cela a commencé quand j’ai vu les gros plans dans la « La Roue » d’Abel Gance. C’est le gros plan qui m’a fait tourner la tête. Alors à tout prix j’ai voulu faire un film et j’ai fait Ballet mécanique ».13 Ballet mécanique se prépare entre l’automne de 1923 et celui de 1924, Fernand Léger travaillant sur L’Inhumaine de Marcel L’Herbier à cette même période. Réalisé en collaboration avec le cinéaste américain Dudley Murphy, spécialisé dans la synchronisation entre images et musique, et avec la participation de Man Ray, il s’agit d’un film expérimental, le « premier film sans scénario ». Léger revendique cette particularité et s’en explique en 1925 par une formule résumant la parfaite cohérence entre son œuvre de peintre et son travail de cinéaste : « L’erreur picturale, c'est le sujet. L’erreur du cinéma, c’est le scénario ».14 En se démarquant du cinéma narratif, son film est conçu comme une pure expérience visuelle. Fernand Léger ne s’intéresse pas plus aux acteurs qu’au scénario. En faisant de l’objet usuel le sujet central de son œuvre, il évite la narration sans être abstrait. En libérant l’objet de sa signification courante, anecdotique ou symbolique, il met en avant sa valeur plastique. Fernand Léger va donc faire de son film une œuvre « manifeste », y investissant ses problématiques picturales tout en explorant d’autres voies, liées au médium cinématographique.

                                                                                                               13 Dora Vallier, La Vie dans l’œuvre de Léger, entretien avec Fernand Léger, Cahiers d’Art, II, 1954 p.160. Dans une émission radio de la RTF du 14 avril 1954, Léger redit qu’« à ce moment-là, [il a] failli lâcher tout car [il était] très emballé par l’histoire de La Roue »

 14 Fernand Léger, Peinture et cinéma, Les Cahiers du mois, n°16/17, « Cinéma », Paris, 1925, p.107

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C’est en effet après avoir travaillé les contrastes dans sa peinture que Fernand Léger réalise ce film. La règle du contraste plastique est le principe organisateur de toute son œuvre, car pour lui, il définit la vie moderne. Dès 1913, il recherche une opposition systématique des éléments picturaux, que ce soit les valeurs, les lignes, les formes ou les couleurs. En 1924, il utilise le même principe au cinéma, en déclinant les différents types d’opposition possibles (plan fixe pour filmer des objets animés, en mouvement pour donner vie aux objets inanimés, des passages lents et rapides, des repos et des intensités, des ombres et de la lumière, etc). Interpelé par le film La Roue, d’Abel Gance, Fernand Léger préconise l‘utilisation du cadrage en gros plan qui est, pour lui, «la seule invention cinématographique».15 En isolant un fragment de l’objet, un détail, on métamorphose alors l’objet familier. En 1925, il écrit : « le cinéma personnalise le fragment, il l’encadre et c’est un nouveau réalisme dont les conséquences peuvent être incalculables ».16 Le montage du film ne s’appuie pas sur une logique narrative, mais sur une succession d’éléments hétéroclites : éléments vestimentaires (canotiers, souliers), ustensiles ménagers (casseroles, batteurs), machines (pistons, engrenages), personnages (lavandière, Kiki de Montparnasse, jeune femme au bouquet), figures géométriques (cercles, triangles), chiffres et mots. Le tout est entraîné dans des rythmes calculés au nombre de photogrammes, des variations de vitesse, et des insertions brusques d’éléments qui disparaissent aussi rapidement qu’ils sont apparus. La répétition obsessionnelle de certains motifs est utilisée pour « étonner le public, puis lentement l'inquiéter et puis pousser l'aventure jusqu’à l’exaspération ».17 Léger teste sur un échantillon de spectateurs, les effets de ces montages répétitifs qui rapprochent le corps humain de la machine. D’autres exploitations des possibilités optiques du cinéma sont expérimentées, comme l’utilisation d’un prisme placé devant l’objectif, ce qui aboutit à une division kaléidoscopique de l’image et amène à voir autrement un monde bien réel. Le générique se termine comme il a commencé, par quelques secondes d’animation de la marionnette «cubiste» de Charlot, cette fois-ci, désarticulée. Le film ne connait pas de succès commercial, mais Léger ne manque pas une occasion pour le présenter au public et n’hésite pas à le « retoucher » comme il le ferait d’une de ses toiles : modifications du montage, insertion de reproductions de certains de ses tableaux, colorisation. Ballet mécanique a été considéré par Léger comme une « œuvre ouverte », et plusieurs versions du film existent. Les innovations de ce film ont très vite influencé le travail des cinéastes avant-gardistes, en particulier Serguei Eisenstein qui reprend le jeu sur les objets dans Octobre, 1927, et l’usage des chiffres et des lettres dans La Ligne générale, en 1929. Il témoigne que « Léger, dont le métier est la peinture, a néanmoins compris ce qu’il y avait d’essentiel dans le cinéma, le point de vue formel ».18 Après la période des contrastes de formes, le nouveau réalisme constitue un engagement décisif dans l’évolution picturale de Fernand Léger. Ses expériences cinématographiques l’amènent à transférer la force plastique des objets et le principe du cadrage en gros plan dans ses peintures, comme on peut le voir dans Composition à la main et au chapeau de 1927, une toile qui multiplie les références au film Ballet mécanique.

                                                                                                               15 Fernand Léger, article Autour du Ballet mécanique (1924-1925), repris de FdP, Éditions Gallimard Paris, 2004 p. 137 16 Léger, « À propos du cinéma », Plans n° 1, 1931, p.84 ; repris de FdP, p. 168  17 Fernand Léger, article Autour du Ballet mécanique (1924-1925), repris de FdP, Éditions Gallimard Paris, 2004 p. 138

 18 Maurice Henry, Eisenstein est passé à Paris, Mon Ciné, vol.9, n° 423, 27 mars 1930, p.6.

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Dreams that Money Can Buy, Hans Richter, 1948 Film 16 mm couleur, sonore Co-producteur : Kenneth Macpherson Assistant directeur : Miriam Raeburn Photographie : Arnold Eagle Direction musicale : Louis Appelbaum Compositeurs : John Cage, Darius Milhaud, Paul Bowles Hans Richter, peintre, sculpteur et cinéaste d’origine allemande, contraint de quitter l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, s’installe aux États Unis en 1941 pour y enseigner et se consacrer au cinéma. Avec des amis proches, européens exilés comme lui - Fernand Léger, Marcel Duchamp, Max Ernst - ou des américains installés en Europe - Alexander Calder, Man Ray - il réalise Dreams that Money Can Buy (Rêves à vendre), un film à séquences s'articulant autour d’une trame narrative. Mêlant des influences surréalistes et dadaïstes, le fil conducteur du scénario est l’exploration de l’inconscient à travers le rêve. Les sept histoires successives répondent chacune à une logique différente, en lien avec l’univers de son metteur en scène. Ce film est un film sur l’art, avec des oeuvres d’art : les artistes y introduisent leurs œuvres (peintures, sculptures, photographies) qui sont tantôt des accessoires, tantôt de véritables acteurs de leur scénario, parfois montrées dans un but symbolique, d’autres fois pour elles-mêmes. C’est ainsi que Max Ernst réalise Desire inspiré d’un de ses collages (Une semaine de bonté,1934) où l’artiste apparaî lui-même dans « son rêve ». Pour The Girl with the Prefabricated Heart, Fernand Léger s’appuie sur un de ses projets de film non abouti, une histoire d’amour insatisfait entre deux mannequins dans une vitrine. On y retrouve les références à la mécanisation de la vie moderne qui sont récurrentes chez Fernand Léger, et en particulier dans Ballet mécanique que Hans Richter admire. Une œuvre de Léger (Julie, la belle cycliste, 1945) fait également partie du décor du bureau de Joe, le personnage central. Le script de Man Ray, Ruth, Roses and Revolvers, vient d’une histoire qu’il publie dans View en 1944 et qu’il accompagne dans la séquence d’une photographie éponyme. Une œuvre de l’artiste figure également dans le bureau de Joe : un autoportrait de l’œil de Man Ray. Discs de Marcel Duchamp est un montage alterné de ses « rotoreliefs » et de l’image d’une femme nue descendant un escalier, en référence à une autre de ses oeuvres. Avec Ballet et Circus d’Alexander Calder, le cinéma capte le mouvement de ses mobiles et les animations de son cirque. Il est important de souligner la place conséquente faite à la bande son dans le film. Chaque séquence est mise en musique par un compositeur majeur : John Cage pour Discs, Darius Milhaud pour Ruth, Roses and Revolvers ou encore Paul Bowles pour Desire et Ballet. Réalisé grâce à la contribution financière de Peggy Guggenheim, qui sollicite Hans Richter pour faire de ce film une anthologie du cinéma d’avant-garde, Dreams that Money Can Buy remporte un prix à la biennale de Venise en 1947. Estimé économiquement peu viable, il peinera à être diffusé en salle. LE CINÉMA D’AVANT-GARDE Selon Dominique Païni, c'est Germaine Dulac (1882-1942) réalisatrice, productrice et scénariste française qui, en 1932, définit l'expérimentation avant-gardiste au cinéma en des termes proches de ce qui se crée et s'invente encore aujourd'hui au nom de l'expérimental. (Le mot avant-garde a donc été remplacé dans le texte ci-dessous par expérimental).

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« On peut qualifier d'expérimental tout film dont la technique utilisée, en vue d'une expression renouvelée de l'image et du son, rompt avec les traditions établies pour chercher dans le domaine strictement visuel et auditif des accords pathétiques et inédits. Le film expérimental ne s'adresse pas au simple plaisir de la foule. Il est à la fois plus égoïste et plus altruiste. Egoïste, puisque manifestation personnelle d'une pensée pure ; altruiste, puisque dégagé de tout souci autre que le progrès. Le film expérimental d'inspiration sincère a cette qualité primordiale de contenir en germe, sous une apparence parfois inaccessible, les découvertes susceptibles d'acheminer les films vers la forme cinématographique des temps futurs. L'expérimentation naît à la fois de la critique du présent et de la prescience de l'avenir ». Dominique Païni, le temps exposé ou le cinéma de la salle au musée, Cahiers du Cinéma-essais 2002 p.5

FOCUS Dessin et photographie « Une photographie, c’est le même principe que le tableau. Il faut composer et chercher un équilibre stable. […] Le résultat doit être objectif, précis et saisissant de netteté, la clarté et l’incisif. Le Beau est partout autour de nous, il fourmille, mais “il faut le voir”, l’isoler, l’encadrer par l’objectif. » Préface pour Paris, 80 photographies de Moï Ver 1931 Assistant photographe à son arrivée à Paris, Fernand Léger cultive toute sa vie une curiosité pour la photographie. À la fin des années 1920, des élèves du Bauhaus qui fréquentent son académie – tel Moï Ver - lui révèlent les recherches photographiques menées en Allemagne. En 1930, le peintre se lie d’amitié avec la designeuse Charlotte Perriand. Les clichés pris par Perriand des objets qu’ils ramassent à l’occasion de promenades en forêt ou sur les plages normandes sont contemporains d’une série de dessins que Léger expose en 1934. Attentifs à la poésie des objets les plus modestes, leurs regards convergent sur les mêmes motifs, scrutés par l’objectif, la plume ou le crayon. Monumentaux et dépouillés, ces objets équivoques témoignent d’une sensibilité nouvelle aux formes naturelles, loin de l’esthétique de la machine.

CHARLOTTE PERRIAND, UNE ARTISTE MAJEURE DU XXème SIECLE19 Après des études à l'Union Centrale des Arts Décoratifs de Paris, Charlotte Perriand (1903-1999) se fait remarquer au Salon d’automne de 1927 en exposant un ensemble de mobilier en acier chromé et aluminium anodisé, intitulé «Bar sous le toit», qu’elle crée pour son appartement-atelier de la place Saint-Sulpice. La même année, elle sollicite un entretien pour un apprentissage à l’atelier de Le Corbusier et de son cousin, Pierre Jeanneret. Accueillie par « Ici on ne brode pas de coussins » 20 , elle débute une collaboration de dix ans avec les deux architectes, qui aboutira à des projets très innovants dans le domaine de l’équipement de la maison. Avec Le Corbusier, elle propose une nouvelle approche de l’habitat, rationnelle, ouverte, flexible, toujours en rapport harmonieux avec l’homme et son milieu. Dans l'aménagement d'intérieur, elle poursuit l’expérimentation de matériaux modernes, industriels, comme les nouveaux bois contreplaqués et le tube d'acier.

                                                                                                               19

Sources Centre Pompidou Paris.Dossier documentaire, Charlotte Perriand du 7 décembre 2005 au 27 mars 2006 : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-perriand/ENS-perriand.htm Exposition Charlotte Perriand, 1903-1999, De la photographie au design, Du 07 avril 2011 au 18 septembre 2011, Petit Palais http://www.petitpalais.paris.fr/expositions/charlotte-perriand-1903-1999 Beaux Arts Magazine N°322, avril 2011 Exposition Charlotte Perriand, Fernand Léger : une connivence, 29 mai au 27 septembre 1999, Musée national Fernad Léger http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/charlotte-perriand-fernand-leger-une-connivence 20 In Charlotte Perriand, Une vie de création, Editions Odile Jacob, 1998

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En 1930, elle rencontre Fernand Léger et une relation d’amitié de 25 ans s’instaure, une connivence21 qui s’éteindra à la mort du peintre, en 1955. Avec celui qu’elle surnomme « le grand ours de Normandie »22 les collaborations sont régulières, notamment au sein de l’Union des Artistes Modernes (UAM). Présidée par l’architecte Robert Mallet Stevens, la première exposition collective de l’UAM a lieu en juin 1930 au Musée des Arts Décoratifs, à Paris. Ses membres, en s’éloignant de la conservatrice Société des Artistes Décorateurs, issue d’une tradition française plus ornementale, proposent un esprit moderniste et fonctionnaliste, dans un style sobre et épuré. Ils revendiquent une filiation avec toutes les avant-gardes qui, depuis la fin du XIXème siècle, défendent une collaboration de l’art, de l’industrie et du travail manuel (Arts and Craft en Grande Bretagne, De Stijl en Hollande, Deutscher Verkbund puis le Bauhaus en Allemagne). Abolissant la différence entre arts majeurs et arts mineurs, artistes et artisans, tous les métiers artistiques sont représentés : le textile avec Sonia Delaunay, l’ameublement avec Charlotte Perriand, Eileen Gray, la reliure avec Rose Adler, Pierre Legrain, la peinture avec Fernand Léger, Etienne Cournault, l’architecture avec Pierre Chareau, Le Corbusier, Robert Mallet Stevens, Jean Prouvé, René Herbst, etc. Les collaborations entre membres du l’UAM sont nombreuses, en particulier dans le domaine de l'aménagement intérieur, réalisant ainsi une véritable synthèse des arts. Pour Charlotte Perriand l’UAM comme les CIAM (Congrès Internationaux d'Architecture Moderne)23 sont des mouvements de combat pour une réflexion commune sur un nouvel art de vivre. L'utilisation de matériaux modernes issus de l'industrialisation est une façon de rendre le progrès accessible au plus grand nombre. Les théories novatrices des CIAM, en particulier celles énoncées dans la Charte d’Athènes de 1933 pour un style dit « international », apportent le principe de modularité et la préfabrication des éléments. Jusqu’au début des années 1930, les créations de Charlotte Perriand renvoient donc à une esthétique industrielle traduisant « l’esprit moderne », malgré la crise boursière de 1929 qui touche la France et voit son activité économique chuter et le taux de chômage s’accroître. Aux formes géométriques succèdent alors des formes libres et douces. Un retour à la nature que Charlotte Perriand partage avec son ami Fernand Léger, avec qui, elle parcourt les côtes françaises, à la recherche de toutes sortes d'objets « ennoblis par la mer »24, une glane d'objets à caractère poétique qu’elle qualifie « d’art brut »25. Elle poursuit sa quête de formes inattendues avec Pierre Jeanneret, en privilégiant cette fois les sites marqués par le désenchantement de la société industrielle : décharges, zones d’entrepôts, etc. Elle, qui encourage « d’avoir l’oeil en éventail »26, attentif à tout, aux êtres et aux choses, elle fixe ses rencontres à l’aide de la photographie, se constituant ainsi un véritable répertoire de formes pour ses créations de mobilier. La photographie devient aussi un outil de militantisme, lorsqu’en 1936, invitée à participer à l’Exposition de l’habitation, Charlotte Perriand, membre de l’Association des artistes et écrivains révolutionnaires ( l’AEAR27 ) propose un photomontage de seize mètres de long sur le thème : « La grande misère de Paris » .

                                                                                                               21  Charlotte Perriand, Fernand Léger : une connivence est le titre de l’exposition qui s’est tenue au musée Fernand Léger de Biot, du 29 Mai 1999 au 27 Septembre 1999. Charlotte Perriand y rend hommage à son ami et artiste, avec qui elle aima travailler « dans un flot de couleur et d’humour ».  22  In Charlotte Perriand, Une vie de création, Editions Odile Jacob, 1998  23  A partir de 1928, une trentaine d'architectes européens se rassemblent sous l'appellation CIAM (Congrès Internationaux d'Architecture Moderne) afin de promouvoir une architecture et un urbanisme fonctionnels et d’apporter une réponse au développement hasardeux des villes. Les figures les plus emblématiques en sont, autour de Le Corbusier, Pierre Jeanneret, André Lurçat, Walter Gropius, Gerrit Rietveld, Ludwig Mies van der Rohe, José Luis Sert, Alvar Aalto, etc.  24  In Charlotte Perriand, Une vie de création, Editions Odile Jacob, 1998  25  In Charlotte Perriand, Une vie de création, Editions Odile Jacob, 1998  26  In Charlotte Perriand, Une vie de création, Editions Odile Jacob, 1998  27  L'Association des Ecrivains et des Artistes Révolutionnaires (AEAR) est créée en 1932 sous l'impulsion de Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef de l'Humanité. Elle rassemble de nombreux intellectuels et artistes proches du parti

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Désirant interpeller l’opinion et les pouvoirs publics, elle collecte des clichés auprès des photographes membres de l’AEAR - François Kollar, André Kertész, Henri Cartier Bresson, etc - sur lesquels beaux quartiers, immeubles de banlieue et insalubrité se côtoient, montrant ainsi le développement anarchique de la capitale. En 1940, alors que Fernand Léger part pour les États-Unis, Charlotte Perriand est invitée par le ministère impérial du commerce et de l’industrie japonais comme conseillère en art industriel. Lors de ce premier séjour, elle s'imprègne de la philosophie et de l'art de vivre japonais. Avec l'entrée du pays dans le conflit mondial, elle quitte le Japon dans l'urgence. Elle y revient en 1953 pour organiser une exposition collective avec Fernand Léger et Le Corbusier intitulée Synthèse des Arts, association des arts plastiques avec l'équipement intérieur de l'habitation.

Après avoir fait le tour du monde, Charlotte Perriand effectue de nombreux voyages au Brésil, entre 1962 et 1969. Elle y découvre des formes inédites et des nouveaux matériaux auprès des architectes Oscar Niemeyer et Lucio Costa. Elle fréquente l'intelligentsia brésilienne : Jorge Amado, Burle Marx, etc.

Originaire de Savoie, passionnée par la montagne, elle met ses recherches sur l'habitat collectif et l'aménagement d’intérieur au service de la création de complexes de sports d’hiver, coordonnant une équipe d'architectes, d'urbanistes, d'ingénieurs et de graphistes. Lorsqu’elle arrête cette collaboration de vingt ans (1969-1989), elle a quatre-vingt- six ans. « Ni architecte, ni décoratrice, ni designer : en fait, je suis une marginale, je me sens en dehors »28 c’est ainsi que se présente celle qui a révolutionné l’architecture d'intérieur. Afin de répondre aux besoins des occupants, tout en permettant à chacun d’être le concepteur de son lieu de vie, en toute liberté, elle propose un mobilier conçu pour être utilisé indépendamment de la fonction initiale des espaces : invention du meuble en kit, adaptable par le client, du concept de cuisine intégrée, ouverte sur le séjour (qu’elle expérimente pour la Cité Radieuse de Marseille, construite par Le Corbusier de 1947 à 1952), normalisation d’éléments de rangement, invention de la salle de bain préfabriquée, de WC suspendus, etc. Si certaines de ses idées ne remportent pas toujours le succès escompté, sans doute trop novatrices pour leur temps, elles sont aujourd’hui d’une confondante actualité.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         communiste et représentatifs de « la littérature et de l'art non-conformiste » comme Louis Aragon, Henri Barbusse, Andre Breton, Robert Capa, Robert Desnos, Max Ernst, Paul Eluard, André Malraux, etc.  28  In Charlotte Perriand, Une vie de création, Editions Odile Jacob, 1998  

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PARTIE 3 : CIRQUE ET DANSE, L’APOGÉE DU SPECTACLE POPULAIRE « Allez au cirque. Rien n'est aussi rond que le cirque. C'est une énorme cuvette dans laquelle sedéveloppent des formes circulaires. Ça n'arrête pas tout s'enchaîne. La piste domine, commande, absorbe. Le public est le décor mobile, il bouge avec l'action sur la piste. Les figures s'élèvent, s'abaissent, crient, rient. […] Vous quittez vos rectangles, vos fenêtres géométriques, et vous allez au pays des cercles en action... » Fernand Léger, Le cirque, 1949 SOUS-PARTIES LES BALLETS SUÉDOIS ŒUVRES-CLES Skating ring, 1922 La création du monde, 1923 Les trois musiciens, 1930 LE CORPS EN MOUVEMENT ŒUVRES-CLES La danse, 1929 Composition aux trois figures, 1932 Les danseuses aux clés, 1930 Les Grands Plongeurs noirs, 1944 LE CIRQUE, AU « PAYS DES CERCLES EN ACTION » ŒUVRE-CLE Cirque, 1950 Passionné de spectacles, Léger collabore avec des metteurs en scène, chorégraphes, compositeurs. Tout au long de sa vie, il participe à une dizaine de créations, conçoit des décors et des costumes pour des ballets et des opéras et rêve de créer un espace scénique en mouvement. C’est au cirque en particulier que le peintre puise son inspiration. Ami des Fratellini, il est un spectateur assidu du cirque Médrano tout autant que du music-hall et des revues de cabaret. Léger trouve dans ces loisirs populaires la métaphore de la vie moderne, où le corps humain est intégré dans un spectacle total de couleurs et d’émotions.

 Danseuses,  projet  de  rideau  pour  Skating  Rink,  1924  Crayon,  gouache,  et  encre  noire  sur  papier  contrecollé  sur  carton    22,5X30,5  cm  Collection  Adrien  Maeght  

En 1922, Fernand Léger réalise les décors et costumes de Skating Rink, spectacle des Ballets suédois créé au Théâtre des Champs Elysées sur un argument du poète Ricciotto Canudo. Les danseurs, ménés par Jean Börlin forment des éléments constitutifs et mobiles du décor, devant un grand rideau coloré. Dès cette première

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expérience de la scène, Léger pose les grands principes implicites de sa collaboration avec les chorégraphes : c’est sa peinture qui, avant la danse, traduit le mouvement. D’AUTRES ŒUVRES La Création du Monde La Création du monde, créé au Théâtre des Champs-Élysées en 1923, est la seconde collaboration de Fernand Léger avec la compagnie des Ballets suédois. Inspiré de l’Anthologie nègre (1921) de Blaise Cendrars, l’argument évoque l’histoire des origines de l’humanité. Léger affirme la primauté de son univers plastique. Trois figures de divinités monumentales forment des décors mobiles. Les corps des danseurs sont masqués par le dispositif scénique inventé par le peintre, au profit des costumes conçus comme des sculptures. La Danse, 1929 À la fin des années 1920, le thème de la danseuse devient récurrent dans la peinture de Léger. L’apparition de ces figures souples accompagne un adoucissement très net de ses recherches picturales, qui s’éloignent de la géométrie du monde industriel. Précédée de nombreuses études, La Danse forme l’aboutissement le plus classique de cette recherche. Léger reprendra ce motif l’année suivante sur un mode plus abstrait dans Composition I, un projet de décoration qu’il réalise à Lausanne pour un collectionneur privé. La Danse, 1942 Reflet de son intérêt constant pour l’univers chorégraphique, La Danse signe l’aboutissement des recherches plastique de Léger au tournant des années 1940. Les personnages opèrent une progressive schématisation tandis que la couleur s’autonomise vis-à-vis du motif perdant sa fonction descriptive et illustrative. L’utilisation libre d’aplats de couleurs que lui inspire la vision des enseignes clignotantes sur les passants à New York souligne le mouvement cadencé des danseurs. Les Grands Plongeurs noirs Dans les années 1940, la vue de plongeurs dans le port de Marseille et dans une piscine de New York inspire à Fernand Léger des représentations dynamiques de corps affranchis de la gravité. Les grands plongeurs noirs, peint en exil aux États-Unis, décline le sujet de manière abstraite, à travers un assemblage de silhouettes planes aux tons purs. La proximité entre le thème des acrobates et celui des plongeurs suggère l'influence directe de l'esthétique du cirque. Cirque, 1950 Imaginé au début des années 1920, le livre Cirque ne voit le jour qu’en 1950, écrit et illustré par Fernand Léger lui-même. Associant des planches aux couleurs vives à de puissants dessins en noir et blanc, ce livre-testament fait revivre avec spontanéité les souvenirs d'enfance du peintre à Argentan et du cirque Medrano à Paris. Métaphore de l’existence pour Léger, le cirque condense en un spectacle total l’esthétique moderne, alliant le risque, la vitesse et la couleur.

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PARTIE 4 : MUR ET ARCHITECTURE, UN NOUVEL ESPACE POUR LE PEINTRE Espace et couleur : « Comment créer un sentiment d'espace, de rupture des limites ? Tout simplement par la couleur, par des murs de différentes couleurs. L'appartement que j'appellerai "rectangle habitable" va se transformer en "rectangle élastique" [...] La couleur est un puissant moyen d'action, elle peut détruire un mur, elle peut l'orner, elle peut le faire reculer ou avancer, elle crée ce nouvel espace.» Fernand Léger, 1933 A propos de la peinture murale : « Chez les peintres primitifs, les artistes de la Renaissance , l’œuvre était liée au mur. Les temps modernes ont abandonné le mur pour l’œuvre d’art mobile. Un tableau moderne est un objet valable en soi, absolument indépendant du milieu où il fut créé. Un tableau réalisé à Paris orne un mur de Tokyo. Demain, il sera vendu et partira peut-être à Lisbonne. Cet art moderne est d’essence spéculative et voyageuse. Peut-on revenir à l’art mural ? Peut-on entrevoir dans l’avenir un architecte chef d’orchestre édifiant le monument nouveau, expression de nos besoins et de nos désirs ? (…) Cela demanderait à l’architecte moderne un sens de l’équilibre et de la mesure jamais réalisé ; il devra lui-même indiqué au peintre l’endroit où il doit agir dynamiquement ou statiquement, au sculpteur de même. Ce sera un chef conscient des nécessités plastiques qu’exige la création de ce monument. » Fernand Léger, in Fonctions de la peinture, L’architecture moderne et la couleur, ou la création d’un nouvel espace vital (1946), p. 244-245

SOUS-PARTIES LE DÉCOR AU PREMIER PLAN ŒUVRES-CLES Sous les arbres, 1921 L’arbre, 1921 LES COMPOSITIONS MURALES DES ANNÉES 1920 ŒUVRES-CLES Le Balustre, 1925 Peinture murale, 1924 Paysage animé, 1924 VERS LE MONUMENTAL, L’EXPOSITION INTERNATIONALE DE 1937 ŒUVRES-CLES Le transport des forces, 1937 Projet de camouflage pour la Tour Eiffel, 1937 LA PEINTURE DANS L’ESPACE ŒUVRES-CLES Projet décoratif pour un centre d’aviation populaire, 1940 Série de 10 gouaches, Maquettes de vitraux pour l’église d’Audincourt, 1946 La Fleur polychrome, 1950 Fleur et chandelier, 1951 Apprenti-architecte en Normandie avant de devenir peintre, Léger entretient un rapport particulier avec l’architecture. Dès les années 1920, il cherche à intégrer ses compositions peintes dans l’espace architectural. Il réalise des « Compositions murales » abstraites et conçoit des peintures pour le Pavillon de l’Esprit Nouveau de Le Corbusier et pour l’ambassade française de Robert Mallet-Stevens de l’Exposition internationale des Arts décoratifs. Le peintre est mu par le désir de faire entrer la couleur dans la vie, en s’affranchissant du cadre. Fernand Léger collabore à plusieurs reprises avec des architectes (Le Corbusier, Charlotte Perriand, Robert Mallet-

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Stevens, Paul Nelson) cherchant à créer un art mural collectif et populaire. Après-guerre, il imagine des projets d’architecture polychrome. Dès les années 1930, sa peinture de chevalet évolue elle-même vers des dimensions monumentales, exprimant une nouvelle vision de l’espace.

Fernand  Léger,  Le  Transport  des  forces,  1937  Huile  sur  toile,  491  x  870  cm  FNAC  2015-­‐0477  Centre  national  des  arts  plastiques  ©  Adagp,  Paris,  2017  /  CNAP  /  photographe  :  Yves  Chenot  

 

Le Transport des forces Le Transport des forces est emblématique des grandes commandes passées par l’État aux artistes modernes pour l’Exposition internationale des Arts et Techniques dans la vie moderne de 1937. Par ses dimensions exceptionnelles, ce panorama industriel juxtapose dans un grand collage visuel des poteaux électriques, un arc-en-ciel, une cascade et une usine. Célébration du progrès technique, il décore le hall du Palais de la Découverte, nouvellement créé. L’immense composition, exécutée d’après une gouache de Léger par trois de ses élèves (Elie Grekoff, Asger Jorn et Pierre Wemaëre), témoigne également du rôle accordé à son atelier pour ses projets monumentaux. D’AUTRES ŒUVRES Paysage animé Réalisé à son retour d’un voyage en Italie en 1924, Paysage animé représente deux personnages – parfois vus comme Léger et son marchand d’art Léonce Rosenberg – dans un paysage urbain évoquant l’architecture italienne traditionnelle. Défiant les principes de la perspective classique, dont il récuse l’imitation servile, Léger explore les qualités découvertes dans l’art de la Pré-Renaissance : géométrie rationnelle et clarté des motifs. Le Pont Le Pont illustre l'origine architecturale du répertoire de formes abstraites et géométriques qui prédomine dans la peinture de Fernand Léger au début des années 1920. Réduits à des formes simples et des aplats colorés, les éléments constructifs s'organisent suivant un étagement vertical. Le cadre urbain moderne, à travers des motifs de colonnes, fenêtres, murs et dallages, s’oppose au modelé des collines

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ondoyantes. Cette recherche de contraste maximal se double d’une ambiguïté spatiale, suggérant le passage continu entre intérieur et extérieur. Le Balustre / Composition Invité en 1925 par Le Corbusier dans le Pavillon de l’Esprit nouveau construit pour l’Exposition des arts décoratifs, Fernand Léger accroche d’abord une toile abstraite, Composition (1924). Puis il la remplace par Le Balustre, dans laquelle le vocabulaire de l’architecture classique est isolé et transformé en motif monumental. Suivant l'esthétique puriste, les lignes géométriques de la colonne sur fond de rectangles de couleurs pures font directement écho au langage architectural moderniste que Le Corbusier élabore au même moment. Projet de décoration pour un centre d’aviation populaire En 1939, le ministère de l’Education nationale confie à Léger le projet de décoration d’un centre d’aviation populaire dans le bassin de Briey, qui reste inabouti en raison du contexte politique. Soucieux d’élaborer un art mural, l’artiste mêle dans ses esquisses couleurs vives et formes abstraites. Les éléments courbes, souvenirs de ses expérimentations biomorphiques des années 1930, s’opposent selon la loi des contrastes chère à Léger, aux motifs géométriques verticaux et à celui du cercle, évoquant la cocarde tricolore, insigne de l’aviation française. EN SAVOIR PLUS FERNAND LÉGER ET LE CORBUSIER (VOIR CHAPITRE 5) ROBERT MALLET-STEVENS (1886-1945) Robert Mallet-Stevens fait ses études à l‘École spéciale d’architecture où, influencé par les réalisations de Joseph Hoffman et de la Sécession viennoise, il défend une vision rationnelle et sans ornement de l’architecture, anticipant le style dit « international ». Dans les années 1920, il dessine des vitrines et des magasins en tentant des expériences novatrices en matière d’éclairage, la lumière traitée comme un matériau à part entière. L’exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris en 1925, avec la réalisation collaborative de pavillons et d’aménagements (au côté de Fernand Léger, Robert Delaunay, les frères Martel) marque un tournant dans la carrière de Mallet-Stevens. Ses premières commandes architecturales sont des villas bourgeoises : un projet inachevé pour le couturier Paul Poiret en 1922, puis la villa de Noailles à Hyères en 1923-1928 pour laquelle le Comte et la Comtesse de Noailles s’adressent à Robert Mallet-Stevens, après avoir consulté Mies Van der Rohe et Le Corbusier.

L’Inauguration en 1927 d’un ensemble d'habitations pour la rue qui porte aujourd’hui son nom, dans le XVIème arrondissement de Paris, met en avant les principes simples qui unissent les six bâtiments de l’impasse, véritable manifeste d’architecture définit ainsi par Mallet Stevens : « surfaces unies, arrêtes vives, courbes nettes, matières polies, angles droits, clarté, ordre. C’est ma maison logique et géométrique de demain ». Passionné par le septième art, Mallet-Stevens, qui participe à une vingtaine de films, révolutionne la conception du décor, enrichissant son vocabulaire formel constitué de lignes pures et géométriques, de la sublimation du noir et du blanc, de superposition de cubes et décrochements.

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En dépit de l'importance de sa contribution à la construction d'une pensée architecturale moderne, le travail de Mallet-Stevens tombe peu à peu dans l'oubli après sa disparition en 1945. FOCUS Peintre, professeur, voyageur De ses nombreux voyages, Léger publie de formidables récits. Résidant à Paris dès le début du siècle, il se ressource régulièrement dans sa Normandie natale et visite les régions françaises. Soucieux de développer son réseau artistique à l’étranger, l’artiste parcourt très tôt l’Europe, de la Scandinavie au bassin méditerranéen (Italie, Espagne, Grèce). Il se rend à plusieurs reprises aux États-Unis mais échoue à se rendre en Union soviétique. Sa longue activité de professeur lui apporte également des attaches artistiques internationales. Dès 1924, Léger enseigne la peinture, avant d’ouvrir en 1934 sa propre école, l’Académie de l’art contemporain, assisté par Nadia Khodossievitch, qui deviendra sa seconde épouse, et par Georges Bauquier, son bras droit. Pendant trois décennies, son atelier demeure un lieu cosmopolite, accueillant des artistes aux profils variés, dont beaucoup de femmes. Parmi les centaines d’élèves s’y croisent dans les années 1920 Tarsila do Amaral, Florence Henri ou Maria-Elena Vieira da Silva ; dans les années 1930, Louise Bourgeois, Nicolas de Staël, Asger Jorn, Pierre Wemaëre ; dans les années 1940-1950, Aurélie Nemours, Sam Francis, William Klein, Bernard Lassus ou encore Serge Gainsbourg. Un Ipad dans l’exposition permet de lire les témoignages d’élèves de Fernand Léger

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EPILOGUE : FERNAND LÉGER ET L’ENGAGEMENT POLITIQUE

« Je veux parler des loisirs – l’organisation, la création des loisirs pour les travailleurs – c’est, je crois, le point le plus capital de cette causerie. Tout en dépend. A aucune époque de notre monde, les travailleurs n’ont pu accéder à la beauté plastique pour ces mêmes raisons qu’ils n’ont jamais eu le temps nécessaire ni la liberté d’esprit suffisante. Libérer les masses populaires, leur donner une possibilité de penser, de voir, de se cultiver et nous sommes tranquilles, elles pourront à leur tour, jouir pleinement des nouveautés plastiques que leur offre l’art moderne. » Fernand Léger, « Le nouveau réalisme continue », 29 mai 1936 (2e débat) « À aucune époque de notre monde les travailleurs n'ont pu accéder à la beauté plastique pour ces mêmes raisons qu'ils n'ont jamais eu le temps nécessaire ni la liberté d'esprit suffisante. Libérer les masses populaires, leur donner une possibilité de penser, de voir, de se cultiver et nous sommes tranquilles, elles pourront à leur tour, jouir pleinement des nouveautés plastiques que leur offre l'art moderne. La classe ouvrière a droit à tout cela. Elle a droit, sur ses murs, à des peintures murales signées des meilleurs artistes modernes, et si on lui donne le temps et les loisirs, elle saura s'y installer et y vivre elle aussi et les aimer. » Fernand Léger, 1936 ŒUVRES-CLES Les constructeurs, 1950 La Partie de campagne (deuxième état), 1953 Liberté, 1953 Le goût de l’artiste pour les spectacles de la rue ou le monde industriel s’inscrit dans une profonde empathie pour les milieux populaires, leurs loisirs et leurs conditions de vie. La prise de conscience politique de Fernand Léger, parfois qualifié de « paysan de l’avant-garde », est progressive, issue de l’expérience de fraternité qu’il vit dans les tranchées pendant la guerre. Dès l’époque du Front populaire, son engagement se manifeste à travers des conférences en faveur du progrès social et de l'éducation où il exprime également son refus de la propagande et de l'art officiel. Exilé aux États-Unis, il envoie en 1945 sa demande d'adhésion au Parti communiste depuis New York. Les dernières années de sa carrière sont marquées par des prises de position engagées et de grandes séries de tableaux alliant un vocabulaire moderne à des sujets populaires, tels que la partie de campagne ou les travailleurs.

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Fernand  Léger,  Liberté,  1953  Encre,  gouache  et  graphite  sur  papier,  33,6  x  16  cm  Donation  Louise  et  Michel  Leiris,  1984  numéro  d’inventaire  :  AM  1984-­‐589  Collection  Centre  Pompidou,  Paris  Musée  national  d’art  moderne  -­‐  Centre  de  création  industrielle  ©  Centre  Pompidou,  MNAM-­‐CCI/Service  de  la  documentation  photographique  du  MNAM/Dist.  RMN-­‐GP  ©  Adagp,  Paris,  2017  

Liberté J'écris ton nom Quelques mois après la mort de Paul Éluard en 1952, Fernand Léger lui rend hommage en illustrant son poème Liberté (1942), devenu le symbole de la Résistance. Il conçoit un livre-objet et décline en plusieurs exemplaires sur toile une composition où des plages de tons purs s’immiscent librement entre les strophes du poème imprimé. Plusieurs études du portrait du poète montrent les hésitations de Léger concernant l ’emplacement des bandes colorées, indépendantes du dessin. La première présente un portrait non stylisé du poète qui semble davantage obéir aux canons du réalisme socialiste. D’AUTRES ŒUVRES Les Loisirs « J’ai voulu marquer un retour à la simplicité par un art direct, compréhensible pour tous, sans subtilité », affirme Fernand Léger à son retour d’exil après la guerre. La série des « Loisirs » répond au défi du réalisme, alors au cœur des débats artistiques. À partir d’un motif développé aux États-Unis dès 1943, elle mêle ses souvenirs des jeunes Américaines aux maillots colorés, à l’iconographie du cirque et à l’imaginaire nostalgique du Front populaire. Comme sur une photographie de famille, un groupe d’acrobates et de cyclistes prend la pose sur un fond azur uni, composant une image idéale du peuple pour le peuple. La Partie de campagne Image emblématique du « dernier Léger », La Partie de campagne reprend un thème classique de la peinture tout en évoquant l’atmosphère des photographies d’Henri Cartier-Bresson, ou du film de Jean Renoir, sorti en 1946. Le peintre, âgé de soixante-douze ans, y exalte une société fraternelle et apaisée où l’homme s’intègre avec simplicité et harmonie dans la nature. Le paysage bucolique, ponctué de motifs-signes

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(un arbre, un rocher, des collines et des nuages) et traité en aplats vifs, reste marqué par l’esthétique du constraste, loin de tout sentimentalisme. Les Constructeurs Les Constructeurs (état définitif) marque l’aboutissement d’une série consacrée à la classe ouvrière travaillant sur les chantiers. La composition emprunte classicisme et monumentalité à la peinture d’histoire tout en s’inscrivant dans la société contemporaine, l’immédiat après-guerre de la reconstruction. L’œuvre rappelle le souhait du peintre de redonner à l’art une fonction sociale en créant une image compréhensible par tous. Pour autant, la liberté formelle de cette puissante composition révèle la distance prise avec le réalisme socialiste. Exposée en 1951 à la Maison de la pensée française, liée au parti communiste, la toile connait une réception mitigée. Elle suscite des critiques positives dans la presse de gauche, mais sera refusée par la CGT, à laquelle le peintre souhaitait en faire don, au nom de l’incompréhension des militants et des ouvriers. EN SAVOIR PLUS FERNAND LEGER DANS UN CONTEXTE SOCIAL EN PLEINE EVOLUTION29 Fernand Léger est un artiste engagé sensible à la condition des classes ouvrières. Son ambition est de faire un art accessible à tous et notamment aux ouvriers qui n’ont pas le temps de se divertir au musée. Il expose ses Constructeurs dans la cantine des usines Renault avec la volonté d’amener l’art aux travailleurs. L’artiste a beaucoup de respect pour le travail moderne, se considérant lui aussi comme un peintre-ouvrier (grands thèmes des Loisirs et des Constructeurs) L’avènement du Front Populaire. La période de 1934 à 1936 est marquée par la formation de l’Union de gauche. En effet, l’extrême droite connaît une montée importante suite à un scandale financier et organise une manifestation à Paris contre le gouvernement Daladier. Les partis de gauche prenant conscience d’un danger fasciste, déjà visible en Italie et en Allemagne, décident de se rassembler. Malgré certaines réticences des communistes, le PCF et la SFIO signent le 27 juillet 1934 un pacte d’unité d’action contre le fascisme. Un rassemblement populaire de grande envergure est organisé le 14 juillet 1935 à Paris, 500 000 manifestants défilent de Bastille à Nation, regroupant 99 organisations et partis de gauche. L’union de la gauche a un projet électoral très clair : battre la droite aux élections de 1936. Un programme est publié le 12 janvier 1936 aux revendications modérées aux yeux des communistes : respect du droit syndical, prolongation de la scolarité obligatoire, mesures en faveur des chômeurs, agriculteurs, petits commerçants, retraités, réduction du temps de travail sans réduction de salaire. Aux élections de 1936, la France connaît la victoire du Front Populaire. Pour la première fois de son histoire la France porte au pouvoir un gouvernement socialiste. Léon Blum devient président et fait voter les accords de Matignon, face à la tension ouvriers/patronat : création d’une convention collective de travail, augmentation des salaires, reconnaissance de la liberté syndicale, nominations de délégués ouvriers.

                                                                                                               29  Source : site Larousse/encyclopédie http:/wwwlarousse.fr/encyclopédie/divers/Front_populaire/120463

 

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La naissance des congés payés Léon Blum, dans un climat économique et social complexe, fait passer une loi considérée comme une grande avancée sociale de l’histoire du XXème siècle : la semaine de travail passe de 48h à 40h et les salariés disposent de deux semaines de congés payés. Dans un souci d’organisation des loisirs, il crée le sous-secrétariat aux sports et aux loisirs et met en place un organisme de tourisme populaire favorisant le développement d’expérience éducative. En 1937, Léon Blum engage ces réformes mais est contraint de démissionner, subissant une pression sociale et économique de plus en plus délétère. 1938 est l’année de la rupture du Front Populaire, qui, malgré ses difficultés aura participé à l’émancipation des classes ouvrières et sera à l’origine d’acquis sociaux définitifs (convention collective, semaine de travail hebdomadaire réduite, congés payés). Dès 1936, près de 600 000 ouvriers peuvent profiter de ces congés.30 La destination la plus attractive est le bord de mer et d’importantes vagues migratoires ont lieu en France, pendant la période estivale, impulsée par les congés payés. Les stations balnéaires étaient jusqu’alors réservées à la bourgeoisie et aux familles aisées. D’année en année, les semaines de congés ont augmenté : à partir de 1955, une troisième semaine est concédée aux travailleurs, puis la quatrième en 1962, une cinquième dans les années 1980.  

                                                                                                               30  A noter que employés de banques, de commerces et de bureau bénéficiaient déjà des congés payés, seuls les ouvriers n’y avaient pas droit.