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Année 2009-2010 LICENCE III DROIT DES LIBERTÉS FONDAMENTALES Fiche n° 2 : Les sources internes de protection des libertés fondamentales DOCUMENTS : Doc. n° 1 : J. IMBERT, « L'origine idéologique des principes de 1789 » in Les Principes de 1789, PUAM, Marseille, 1989, pp.11s. Doc. n° 2 : Trib. Civ. Seine, 22 janv. 1947, Gaz. Pal. 1947, 167. Doc. n° 3 : CE, 7 juillet 1950, Dehaene, Rec. p. 426 Doc. n° 4 : CE, 7 juin 1957, Condamine, RDP 1958, pp.58s. Doc. n° 5 : CE, 12 février 1960, Société Eky, Rec. p. 101 Doc. n° 6 : CC, 16 juillet 1971, Liberté d’association, n° 71-44 DC Doc. n° 7 : CC, 11 et 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, n° 2001-455 DC Doc. n° 8 : CE, référé, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres, n° 245697 Doc. n° 9 : CE, 28 décembre 2005, Préfet de Haute-Savoie, req. n° 274204 Doc. n° 10 : B. MATHIEU, « La portée de la Charte pour le juge constitutionnel », AJDA 2005, p. 1170 Doc. n° 11 : CE, 19 juin 2006, Association eau et rivières de Bretagne Doc. n° 12 : CC, 19 juin 2008, Loi relative aux OGM, n° 2008-564 DC Doc. n° 13 : CE, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, req. n° 297 931.

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Année 2009-2010

LICENCE III

DROIT DES LIBERTÉS FONDAMENTALES

Fiche n° 2 :

Les sources internes de protection des libertés

fondamentales

DOCUMENTS :

Doc. n° 1 : J. IMBERT, « L'origine idéologique des principes de 1789 » in Les Principes de 1789,

PUAM, Marseille, 1989, pp.11s. Doc. n° 2 : Trib. Civ. Seine, 22 janv. 1947, Gaz. Pal. 1947, 167. Doc. n° 3 : CE, 7 juillet 1950, Dehaene, Rec. p. 426 Doc. n° 4 : CE, 7 juin 1957, Condamine, RDP 1958, pp.58s. Doc. n° 5 : CE, 12 février 1960, Société Eky, Rec. p. 101 Doc. n° 6 : CC, 16 juillet 1971, Liberté d’association, n° 71-44 DC Doc. n° 7 : CC, 11 et 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, n° 2001-455 DC Doc. n° 8 : CE, référé, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres, n° 245697 Doc. n° 9 : CE, 28 décembre 2005, Préfet de Haute-Savoie, req. n° 274204 Doc. n° 10 : B. MATHIEU, « La portée de la Charte pour le juge constitutionnel », AJDA 2005, p.

1170 Doc. n° 11 : CE, 19 juin 2006, Association eau et rivières de Bretagne Doc. n° 12 : CC, 19 juin 2008, Loi relative aux OGM, n° 2008-564 DC Doc. n° 13 : CE, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, req. n° 297 931.

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Doc. n° 1 : J. IMBERT, « L'origine idéologique des principes de 1789 », in Les Principes de 1789, PUAM, 1989, pp. 11 s. 1. - DU DROIT NATUREL AU CONTRAT SOCIAL A deux reprises, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen fait référence aux droits naturels de l'homme. Son article II proclame que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme », tandis que l'article IV prévoit que "l'existence des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». Dans quelle tradition intellectuelle les Constituants ont-ils puisé ces idées ? A - La notion de droit naturel des origines au XVIe siècle La notion de droit naturel est née dans l'Antiquité -notre ami Henri Moral décrit par ailleurs l'influence qu'elle a exercée sur les hommes de la Révolution. C'est Aristote, sans faire preuve de grande originalité par rapport aux autres penseurs grecs, qui a contribué à répandre dans le monde occidental ce « lieu commun d'avocat » la distinction entre le droit naturel et le droit légal positif. L'un des postulats fondamentaux de la doctrine philosophique et politique d’Aristote est qu'il existe un droit « de par nature" la nature prévoit un ordre dans l'univers et dans l'univers social. Le juste est d'abord le rapport conforme à ce plan de la nature : nous constatons en effet que la nature a préconstitué des institutions juridiques telles que la puissance paternelle ou maritale, la domination politique des élites instruites, l'esclavage, la propriété privée. Puisque la nature a fait les grandes personnes plus fortes et plus avisées que les enfants, n'indique-t-elle pas ce rapport juste, qu'est la puissance paternelle ? Puisqu'elle a fait des races diverses, les Grecs supérieurs aux barbares, n'a-t-elle pas voulu l'esclavage ? Le droit doit s'inférer d'abord et avant tout de la nature. Cicéron, héritier de la tradition grecque, reprend l’idée d’une loi commune à tous les êtres, d'une loi "par nature" et l’applique à la politique, en fait un précepte fondamental devant lequel tous les gouvernements doivent s'incliner « Nul amendement n'y est permis ; ni le Sénat ni le peuple ne peuvent se dispenser d'y obéir ». Les commandements de cette droite raison conforme à la nature, répandue dans tous les êtres, toujours d'accord avec elle-même, ne peuvent en aucun en être modifiés par le droit positif ; le droit naturel est une loi non écrite mais innée (non sricpta sed nata lex) qui s'impose à tous. Si le droit naturel ne paraît pas avoir tenu une grande place dans les doctrines des juristes romains du deuxième au sixième siècle de notre ère, il connaît un essor nouveau avec les Pères de l'Eglise Déjà, pour saint Paul, la loi naturelle était inscrite dans le cœur de chacun c'est elle qui explique que les peuples sans lois vivent comme s'ils avaient des lois. Lactance, saint Augustin le réfèrent à cette « droite raison », qui vient de Dieu et qui est partout et toujours identique la nature n’est-elle pas création de

Dieu et ne suit-elle pas sa loi ? En une formule, heureuse, saint Augustin considère que la loi naturelle prescrit de ne pas faire ce que l’on ne voudrait pas supporter soi même. Et saint Paul n'avait-il pas déclaré : non est servus neque liber … omnes enim vos unum in Christo ? L'esclavage, considéré par Aristote comme faisant partie du droit naturel en sera expulsé chez les auteurs chrétiens. Isidore de Séville, mort en 636, tente une définition du droit naturel dont le contenu, jusqu'à lui, était resté assez flou « le droit naturel est commun à toutes les nations, du fait qu'il tient partout de l'instinct de nature, et non d'une constitution quelconque : ainsi l'union de l'homme et de la femme, l'accueil et l'éducation des enfants, la commune possession de toutes choses et la singulière liberté de tous, l'acquisition de ce qui est pris dans le ciel. sur la terre et à la mer, la restitution de la chose confiée en dépôt,. l'action de repousser la violence par la force ». Cette définition allait connaître un grand succès, dans la mesure où Gratien la reproduit, vers 1140, dans son Décret qui sera le fondement du droit canonique ultérieur. Certes, Saint Thomas, un siècle après, en revient aux auteurs anciens et considère que les principes essentiels du droit naturel sont les suivants : discerner le bien du mal, faire le bien, fuir le mal, ne pas nuire à ceux parmi lesquels on doit vivre, tendre à une vie où se réalise la nature rationnelle de l'homme et qui est la vie en société. Mais tous les penseurs médiévaux qu'ils soient théologiens ou canonistes enseignent la suprématie de la loi naturelle sur la loi positive, . qui ne doit être que son reflet. Dans la lignée de saint Thomas d'Aquin, certains penseurs du XVIe siècle, comme le dominicain Vitoria ou le jésuite Suarez, rappellent que les droits de l’homme sont universels, et n'hésitent pas à s'élever contre les préceptes du droit positif. Ainsi, alors qu'il est de bon ton de dénier la personnalité des individus colonisés, Vitoria considère qu'ils sont dotés de droits inhérents à leur nature d’homme et en particulier qu'ils peuvent et doivent jouir du droit de propriété. B - Le droit naturel et l'état de nature Le jurisconsulte hollandais, Hugo De Groot dit Grotius (1583-1645) adopte le concept médiéval de droit naturel. mais en accentue fortement la laïcité. Dans une formule célèbre (que d'autres avaient déjà lancée avant lui), il affirme que le droit naturel est fondé sur la seule raison et qu’il ne serait pas différent même si l'on supputait la non-existence de Dieu (esti daremus Deum non esse). Et son originalité nie se borne pu à laïciser le droit naturel, il construit sur la base de la raison humaine, tout un ensemble de règles internationales, dont le succès est indéniable. Dans la liguée de Grotius, se développe une nouvelle « école de droit naturel » traduisant certes « l'intention du créateur", mais en dehors de toute révélation directe, et considérant que chaque être humain est doté de «certaines propriétés naturelles ». Lentement les théoriciens successeurs de Grotius vont construire un système entier de droit naturel public et privé, assez

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éloigné des conceptions qui avaient imprégné le moyen âge. Ainsi, dans son De jure naturae et gentium (1672), considère que la polygamie n'est pas absolument contraire à la nature, tout en ajoutant : que « le règlement le plus honnête, le plus avantageux et le plus propre à maintenir la paix dans la famille, c'est que chacun n'ait qu'une femme à la fois ». Et puisque le mariage n’est qu'un contrat comme les autres, il peut lui aussi être rompu : Pufendorf admet donc le divorce pour adultère, désertion malicieuse et même l'incompatibilité d'humeur. Dans la même optique, Barbeyrac, philosophe et juriste français, émigré à la suite de l’Edit de Nantes (1674-1744) réfute les arguments en faveur de l'indissolubilité du mariage ne que les scolastiques avaient voulu tirer du droit naturel. A peu près à la même date, Thomasius, farouche adversaire de la doctrine d'Aristote, professe qu'en « raison naturelle », le mariage peut être rompu pour de multiples causes (il ajoute à la liste de Pufendorf le refus de devoir conjugal, la stérilité, les mauvais traitements) mais aussi que les époux sont en droit de fixer la durée de leur union. Tandis que l'école du droit naturel le dégageait de tout credo particulier, se développait un autre mouvement intellectuel qui allait mettre l'individu au premier plan, un individu dégagé de toutes les fantasmagories religieuses, à l’origine de l'anxiété humaine. L'anglais Hobbes n'hésite pas à écrire : « La crainte d'une puissance invisible, qu'elle soit une fiction de l'esprit ou que l'on se l'imagine d'après les traditions publiquement admises, est la religion ». C - De l'état de nature au contrat social Hobbes s'interroge sur les origines de la société, à laquelle préexistait l'état de nature. Dans cet état de nature, dans cette situation présociale, chacun est un concurrent pour son semblable : homo homini lupus. Et la loi de nature, qui n'est qu'un égoïsme foncier, va pousser l'homme à sortir du chaos primitif : d’une part certaines de ses passions -et notamment la crainte de la mort - l'inclinent à la paix ; d'autre part, la raison - qui n'est encore qu'un calcul intéressé- va lui suggérer des propositions pacifiques sur lesquelles il pourra s’accorder avec les autres hommes (ainsi « ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît »). L'homme, qui n'est pas « naturellement » un être social, vient à la société par intérêt : il crée au-dessus de lui, par un « contrat social », pour sa protection, un être artificiel beaucoup plus grand et plus fort que lui, le « Léviathan », du nom d’un monstre emprunté à la Bible, nom que Hobbes donne à Etat. Par un étrange paradoxe, c'est l'individu qui, par un acte librement consenti est à la base du pacte social ; mais, ce faisant, abandonne son droit individuel illimité, inhérent à l’état de nature ; il renonce aux droits qu'il tenait de cet état de nature pour jouir du reste, notamment de la paix. L'autorité absolue de État se trouve fondée bizarrement sur l'individualisme utilitaire ; elle ne doit plus rien aux préceptes chrétiens, ni à rattachement personnel au monarque, ni même à la « volonté générale » du peuple, telle que Rousseau la concevra plus tard. De là découle l'ambiguïté fondamentale de la pensée de Hobbes : il a bâti le type même de l'État totalitaire, tout puissant, impérieux, titulaire d'une « souveraineté absolue sans préjugé » ; d'une part il a construit cet Etat sur la

volonté de l'individu, en faveur de l'intérêt personnel judicieusement compris. Et d’autre part, même dans son Léviathan absolutiste, il laisse à l'individu de larges domaines de liberté, vides de lois, où chaque sujet peut à sa guise agir ou ne pas agir ; chacun est libre quand les lois se taisent, et la liberté dont il jouit alors est cette partie de la liberté naturelle, de l'état de nature, à laquelle les lois de l'Etat n'ont pas touché. Le meilleur connaisseur de Hobbes a pu dire de lui qu’il était le « philosophe de la liberté ». Dans le tableau qu'il brosse, Hobbes ne s'intéresse guère aux aspects du pouvoir politique : peu importe que l'on vive en démocratie ou en monarchie car, quel que soit le régime. l'autorité souveraine reste la même, « sous toutes ses formes » ... mais ce pouvoir sans limite n’est pas incompatible avec la liberté des sujets, qui résulte du silence de la loi : l'autorité de l'Etat peut être considérée comme une puissance « libératrice » de l'homme. On comprend dès lors qu'un auteur contemporain ait pu affirmer que « l’exégèse de Hobbes ne finit pas d'osciller entre les pôles du libéralisme et du totalitarisme ». Le Léviathan de Hobbes date de 1651 ; moins de vingt ans après (an 1670) paraît le Traité théologico-Politique de Spinoza qui part lui aussi de l' « état de nature ». Mais, contrairement à son prédécesseur le grand philosophe néerlandais proclame que, lors de l'établissement de la vie en société, « personne n'entend se dépouiller absolument de son droit. Naturel … Les sujets, par conséquent retiennent toujours certains droits qui ne peuvent leur être enlevés sans grand péril pour l'Etat ». Et Spinoza suggère le régime politique le plus apte à sauvegarder les prérogatives innées de l’individu, c'est la démocratie, le système constitutionnel « le plus voisin de l’état naturel », « le moins éloigné de la liberté que la nature reconnaît à chacun » : « dans cet état, en effet, nul ne transfère son droit naturel à un autre, ... il le transfère à la société dont lui-même fait partie ; et dans ces conditions tous demeurent égaux comme ils l'étaient auparavant dans l'état de nature ». La démocratie est certes un gouvernement absolu ou le plus proche de l'absolu, mais en même temps le plus favorable à la liberté : la conciliation du pouvoir et de la liberté pleinement assurée par la démocratie.. Ni Hobbes, ni, Spinoza n'eurent autant d'influence sur les penseurs français que celui que Voltaire qualifiait (un peu à la légère) d' « hercule de la métaphysique » : John Locke dont l'Essai sur l'entendement humain et l'Essai sur le gouvernement civil parurent en 1690. Locke se réfère lui aussi à l'état de nature pour justifier le contrat qui crée la société. Mais, alors que Hobbes Considérait cet état de nature comme une guerre perpétuelle (la guerre de tous contre tous), Locke affirme que, dès l’état de nature, l'homme est doué de raison, et cette lumière de la raison « enseigne à tous les hommes, s'ils veulent bien la consulter. qu'étant tous égaux et indépendants, nul ne doit nuire à un autre par rapport à sa vie, à sa santé, à sa liberté, à son bien ». Dans cet état présocial, chacun est maître absolu non seulement de sa personne mais aussi de ses biens - la propriété est en quelque sorte « le droit naturel type » et les hommes de 1789 ne l'oublieront pas.

Mais si, dans l'état de nature les hommes sont bien, ils vont cependant passer à l’état de sociétés organisées pour être mieux. En effet, dans l'état de nature, les violations du droit naturel ne sont pas

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sanctionnées ; la liberté et la propriété de chacun sont à tout prendre fort précaires : on ne connaît alors que la justice privée, exercée par la victime, ses parents ou ses amis. L'appel de la raison pousse chacun à s'unir aux autres, pour sortir de cet état d'instabilité. Et si l'individu adhère au contrat social, c'est essentiellement pour garantir son bonheur, pour assurer son droit de propriété « Tout gouvernement n'a pas d'autre fin que la conservation de la propriété ». Et que cède l'individu dans le pacte social ? Tout simplement le droit qu'il avait jusque là de réprimer lui-même les infractions à la loi naturelle ... ; désormais chacun reconnaît un pouvoir de contrainte, indépendant de lui et supérieur à lui, chargé de réprimer les violations de la loi. Partant de ces prémisses, Locke en tire quelques conséquences fondamentales. En premier lieu, puisque dans le contrat originel, l'homme n'a entendu abandonner que « le minimum nécessaire à sa sécurité », il le fait pour être assuré d'un certain nombre d’avantages, « en rapport avec les sacrifices qu'il consent ». Donc nul gouvernement absolu ne saurait être légitime car, n'en déplaise à Hobbes, nul homme ne serait assez fou pour consentir à une situation pire que celle de l'état de nature. « C'est une erreur de croire que le pouvoir suprême ... peut faire ce qu'il veut disposer arbitrairement des biens des sujets ou leur en enlever une partie à son gré ». En Second lieu puisque le corps politique se trouve institué par une série de consentements individuels (exprès ou tacites), il ne peut être mené que par la décision du plus grand nombre : sans se rallier à la conception « démocratique » de Spinoza, Locke n’en pose pas moins la règle inéluctable de la majorité. Et c’est conformément aux désirs de cette majorité que seront promulguées les lois, véritables remparts de la liberté : « Où il n'y a point de loi, il n'y a pas de liberté, car la liberté, c'est être libre de la contrainte et de la violence d'un autre, ce qui est impossible là où il n'y a pas de lois ». Cette conception n'aboutit cependant pas à confier tout le pouvoir à une assemblée législative, et Locke suggère une distinction qui sera reprise et explicitée par Montesquieu (et qui animera les constituants de la révolution française) : le pouvoir législatif est « l'âme qui donne forme, vie et unité à l'Etat », mais il est discontinu, intermittent (assemblée non permanente). Il faut donc, à ses côtés, un exécutif, «pouvoir confié au prince pour qu'il pourvoie au bien public dans les cas qui relèvent de circonstances imprévues et indéterminées et qu'on ne peut de ce fait régler sûrement par des lois fixes et immuables ». « Le bien de la société exige que diverses matières soient laissées à la discrétion du pouvoir exécutif ». En troisième lieu, poursuivant son raisonnement jusqu'à ses dernières limites, Locke justifie « le droit à la résistance » qui figurera à l'article deux de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789. En effet le souverain, qu'il s'agisse du législatif ou de l'exécutif, ne détient l'autorité que comme un dépôt confié en vue de certaines fins : protection de la vie, de la liberté. de la propriété des gouvernés. Souverain « actuel » il peut être détrôné par le peuple, souverain « potentiel » qui lui a confié le pouvoir : « la loi de nature vaut comme règle éternelle pour tous les hommes, aussi bien pour le législateur que pour les autres ». Le droit d'insurrection

dérive de l'état de nature : « Le Peuple, en vertu d'une loi qui précède toutes les autres lois positives et qui est prédominante … s'est réservé un droit qui appartient généralement à tous les hommes sur la terre, à savoir le droit d'examiner s'il y a juste motif d'en appeler au ciel ». Conclusion logique, mais dangereuse pour la stabilité sociale : n'est-ce pas en un certain sens, si ce droit de résistance à l'oppression est reconnu, encourager de perpétuels désordres et risquer l'anarchie ? Locke répond en trois points à cette objection : l'inertie naturelle du peuple ne le porte à s'insurger qu'à la dernière extrémité ; par ailleurs, lorsque le fardeau de l'absolutisme devient insupportable, il n’est plus de théorie de l'obéissance si insidieuse qu'elle puisse être, qui tienne ; enfin l'ordre extérieur n'est pas tout et l'on ne saurait le payer de n'importe quel prix ni, sous prétexte de paix, se résigner à la « paix du cimetière ». L’œuvre de Locke devait être vulgarisée en France Par le Club de l'entresol puis par les Lettres philosophiques (ou Lettres anglaises ) publiées par Voltaire en 1734. Son mérite essentiel a été d'orienter les penseurs français dans le sens de l'individu : ce n’est plus l'Etat, la collectivité, qui se trouve placé au centre de la réflexion politique, mais l'individu dont il importe d'envisager la protection. Si les écrits de Locke ont été la «Bible politique des Anglais du XVIIIe siècle (y compris des émigrés en Amérique, qui s'en souviendront dans leurs « Déclarations »), ils furent également le catéchisme des philosophes français de la même époque catéchisme auquel les gloses, les interprétations et les compléments allaient donner une vie nouvelle. II. - DU CONTRAT SOCIAL AU TRIOMPHE DE L'INDIVIDUALISME Au XVIIIe siècle, l’idée de contrat en germe chez les sophistes grecs, remise en vogue par quelques penseurs médiévaux, portée au pinacle par Hobbes puis Locke, devient un lieu commun de la philosophie politique. Et pourtant, à l'exception de quelques auteurs dont le plus célèbre est Jean-Jacques Rousseau, les penseurs analysent moins la notion de contrat social que les buts vers lesquels il tend : assurer à chaque citoyen, la liberté et la sûreté, dans un climat d'égalité entre les hommes. L'individu devient le contre de la réflexion politique ; l'individu-roi affirme son primat sur la société, qu'il s'agisse de la société politique, de la société corporative, de la société familiale. L'Assemblée constituante de 1789 traduira cet objectif dans la fameuse Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui figurera par la suite en tête de la constitution de 1791, allant jusqu'à affirmer que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme ». Cette phrase n'est-elle pas l'écho de la pensée de John Locke, pour qui le gouvernement est « confié sous cette condition, et pour cette fin que chacun aura et possédera en sûreté ce qui lui appartient en propre » (et Locke entend par là aussi bien la vie, la santé l'intégrité de la personne que la disposition des biens) ? Parmi les novateurs dont s'inspireront les hommes de 1789, aucun ne discute plus cette prise de position de principe, qui pourtant remet en cause des vérités considérées comme immuables jusque là. Les

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« Lumières » du XVIIIe siècle considèrent que ces prémisses sont acquises ; elles vont porter leur effort sur les moyens d'assurer à chaque homme le maintien de ses droits naturels fondamentaux, sur leur définition exacte, sur leurs limites nécessaires. Quelles aspirations légitimes -ou considérées comme telles- les Constituants vont-ils retenir ? Liberté. égalité, sûreté, propriété, figureront en bonne place dans les textes officiels qui préciseront leur portée : il nous faudra voir quelles réalités politiques et sociales elles recouvrent. Un thème « consubstantiel au siècle » ne figurera cependant pas dans la liste des droits naturels dressée en 1789 : le thème du bonheur de l'homme déjà évoqué par Aristote, mais dont on n'avait jamais parlé avec autant de passion qu’au XVIIIe siècle dans tous les pays européens. En France, Voltaire répand ses Epîtres sur le bonheur en 1738 ; en Allemagne paraît Die Glückgeligkeit de Lessing en 1753 ; en Italie, Verri publie Della Felicita en 1763 ; en Angleterre, Ferguson se penche sur le problème Of happiness en 1782, etc.. Une des règles de la vie n'est-elle pas la quête du bonheur, considérée par certain comme un « droit » ou un « devoir » ? Dans son premier Discours aux sorbonniques (1750), Turgot proclame : « La nature a donné à tous les hommes le droit d'être heureux » ; et Diderot lui fait écho : « Il n'y a qu’un devoir, c'est d'être heureux ». Outre Atlantique, l'élan vers le bonheur est le même : la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis (4 juillet 1776) affirme sans ambages que «parmi ces droits (inaliénables de l'homme) se trouvent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur. L'Assemblée constituante, moins hardie ou plus prudente, ne fera en 1789 aucune allusion à ce thème : trop de conceptions divergentes figuraient à ce sujet au palmarès des « Lumières ». Le bonheur était-il prosaïquement terrestre (santé, fortune, loisirs) ? Était-il le résultat de la pratique de la vertu, dans la frugalité ou dans le luxe ? Était-il individuel ou social ? En présence de réponses contradictoires à ces questions fondamentales, sans doute valait-il mieux s'abstenir, malgré l'exemple américain que les hommes de 1789 connaissaient pourtant bien ... Ce n'est qu'en 1793 que les conventionnels, en rédigeant une nouvelle Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, oseront poser comme principe fondamental, dans l'article premier, que « le but de la société est le bonheur commun ». A - La passion de l'égalité Un livre récent est tout entier consacré au développement de l’idée de l'égalité dans la France du XVIIIe siècle : l'auteur y montre comment cette notion a, peu à peu, dérivé du domaine de la spéculation métaphysique ou de la déclamation moralisatrice dans celui de la revendication sociale ou du projet institutionnel. Deux auteurs du siècle des Lumières semblent avoir eu une audience favorable : Morelly et Rousseau. Le premier conçoit l'égalité comme l’un des postulats de l'état de nature : « Il est à croire que le Créateur avait établi une parfaite égalité entre tous les individus du genre humain ... ; à est toujours parmi les hommes, sinon une égalité de condition, au moins une égalité de nature ». Ailleurs, il affirme : « toute inégalité entre les hommes n'est qu'apparence - tout est égal dans l'essence de l'humanité ».

L'influence de Jean-Jacques Rousseau devait être beaucoup plus considérable. Son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1754) est étayé par une solide érudition dont Jean Starobinski a décelé les sources depuis Platon et Plutarque jusqu'aux philosophes de l'Ecole du droit naturel. Cette « genèse » philosophique repose sur un postulat : l’homme est naturellement bon, c'est la société qui le corrompt. Lorsque fut instauré le droit de propriété, une première inégalité a surgi, celle des riches et des pauvres ; vient ensuite une deuxième étape, l'institution des gouvernements, opérée à l'instigation des riches, soucieux d'assurer leur propriété, d'où une nouvelle inégalité, celle des puissants et des faibles. Cependant, si Rousseau préconise un retour à l'égalitarisme primitif il est loin de provoquer l'adhésion de ses contemporains. Voltaire lui répond : « On n'a jamais employé tant d'esprit à nous rendre bêtes. Il prend l'envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage ». En d'autres passages, Voltaire est encore plus catégorique : «L’égalité est à la fois la chose la plus naturelle et en même temps la plus chimérique ». L'inégalité sociale et politique va de soi : « Nous sommes tous également hommes, mais non membres égaux de la société », etc. Le « Discours » n'était qu'une « genèse » ; la pensée de Rousseau va s'amplifier et prendre une toute autre dimension dans son oeuvre la plus achevée (encore qu’incomplète) : Du contrat social (1762), dont le succès est indéniable, dont l’audience sera immense. Les politologues du XXe siècle ont disserté avec passion (et subtilité) sur la nature et sur les conséquences du « contrat social » : qu'il suffise ici d'en montrer les grandes orientations, qui aboutissent à privilégier l'égalité entre les humains. Quel est donc ce « contrat social » qui se forme entre les individus ? Non un contrat entre humains isolés (comme le voulait Hobbes) mais un contrat entre les individus et le souverain comme chez Pufendorf dont Rousseau critique âprement la thèse, qui n'est qu'une capitulation en face du despotisme). C’est un pacte de chacun envers tous, selon la formule assez sibylline à « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ». Sans insister sur le mythe de la « volonté générale » dont le terme sera retenu dans la Déclaration de 1789 (« la loi est l'expression de la volonté générale »), les conséquences qu'en tire J.-J. Rousseau en sont très claires. Pour dégager cette « volonté générale », le moyen est fort simple, il suffit de faire l’addition des voix : « Il n’est pas toujours nécessaire que la volonté générale soit unanime, mais il est nécessaire que toutes les voix soient comptées ». Si l'Etat est composé de dix mille citoyens, chacun a pour sa part la dix-millième partie de l'autorité suprême. Ainsi, la condition même du contrat (adhésion de chacun) et les modalités selon lesquelles est fixée la volonté générale (addition des avis) aboutissent à une stricte égalité : chacun acquiert sur les autres exactement le même droit qu'il cède sur soi. Tous les citoyens s'engagent sous les mêmes conditions et doivent jouir des mêmes droits. Dans cet esprit d'égalité, l'Etat s'efforcera d'éviter chez les citoyens les trop gros écarts de fortune « Que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre et nul assez pauvre pour être

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contraint à se vendre ». Cette égalité civile, bien loin de détruire l'égalité naturelle, aboutit au contraire à la compléter, à la moraliser - les hommes, « pouvant être inégaux en force et en génie, deviennent tous égaux par convention et de droit ».

Parmi les nombreux adeptes de Rousseau, on comptera Sieyès qui, quelques années après, annoncera comme une vérité d'évidence : « la nature arrête de ne départir le bonheur aux hommes que dans l'égalité ». et la liberté ne saurait être fondée que « sur des droits qui appartiennent à tous » ... Le moyen par excellence d'assurer l'égalité entre les membres de la société est la loi, dont l'objet doit toujours être général : « j'entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière ». Les auteurs de la Déclaration de 1789 ne diront pas autre chose à la loi : doit être la même pour tous ... Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics », etc. Mais Rousseau est plus subtil que ne le pensent certains. Il n'ignore pas les critiques virulentes qui sont dirigées contre la masse du peuple, en particulier par Voltaire : « quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu », ou encore « il est à propos que le peuple soit guidé, non pas qu'il soit instruit ». Et Jean-Jacques lui-même admet des bornes à l'égalité parfaite, lorsqu'il continue son propos sur la loi – « Ainsi, la loi peut bien statuer qu'il y aura des privilèges, mais elle n'en peut donner nommément à personne ; la loi peut faire plusieurs classes de citoyens ... mais elle ne peut nommer tels et tels pour y être admis ». Ainsi, la loi peut tronçonner l'égalité et l'Assemblée constituante ne s'en privera pas : le droit de suffrage ne sera accordé qu'à une minorité de Français. Les femmes écartées malgré l'intervention de Robespierre ; les jeunes gens aussi ; seuls les citoyens « actifs » (c'est-à-dire les plus fortunés (sont exclus entre autres les domestiques) jouiront de tous leurs droits politiques ... L'égalité, préconisée par Rousseau et adoptée par les constituants, était donc en définitive inégalitaire. C'était celle qu'avaient conçue les loges maçonniques du XVIIIe siècle français, où disparaissait la vieille « société d'ordres » au profit d'une institution « égalitaire » : à la hiérarchie traditionnelle (noblesse, clergé, tiers-état) avait succédé une société de « notables », le « bas-tiers » étant cependant exclu ou se réunissant à part. Les conséquences des plaidoyers en faveur de l’égalité ne doivent pas être sous-estimées : le 24 décembre 1789, l'Assemblée constituante reconnaissait les droits politiques des protestants (déjà acquis en fait) en déclarant qu'ils seraient désormais admissibles à tous emplois. La mainmorte et la servitude personnelle, abolies en principe dans la nuit du 4 août le furent en fait par le décret du 15 mars 1790. Mais l'égalité des droits ne devait être reconnue aux juifs qu’en 1791 (la Constituante, saisie d'un projet en leur faveur, avait ajourné la discussion le 24 décembre 1789) ; malgré les troubles et les révoltes dans les colonies, il ne fut pas question de supprimer l'esclavage : l'égalité restait encore inégalitaire en 1789. B - L'aspiration à la liberté

« Chaque siècle, écrit Diderot à la princesse Dashkoff en 1771, a son esprit qui le caractérise. L'esprit du nôtre semble être celui de la liberté ». Mais que de réalités diverses -sociales, politiques, économiques- se cachent sous « cet indomptable esprit de liberté que rien n'a pu vaincre » (Malesherbes). Chacun connaît le principe fondamental voté en août 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Mais la mise en oeuvre du principe s’adapte aux circonstances - et aux objectifs plus ou moins avoués des Constituants. Ainsi, au nom de la liberté individuelle à laquelle un homme raisonnable ne peut renoncer pour l’avenir, l'émission de vœux monastiques est suspendue le 28 octobre 1789 … et les ordres et congrégations supprimés en 1790. A l’inverse -comme il vient d'être signalé- les hommes de 1789 ne voient aucun inconvénient à ce que l'esclavage soit maintenu dans les colonies (il ne sera aboli que par la Convention). Sans viser à l’exhaustivité, quelques aspects positifs de la liberté individuelle doivent être soulignés. a) La théorie de la liberté politique, telle que la retiendront les hommes de 1789, s'inspire à la fois de Montesquieu et de J.-J. Rousseau. Locke, pour assurer la liberté politique, avait déjà préconisé un partage des pouvoirs en distinguant le pouvoir législatif de l'exécution et du fédératif. Montesquieu affine les propos de Locke : l’abus du pouvoir n'est empêché que si, « par la disposition des choses, le pouvoir arrêta le pouvoir ». Il faut donc prévoir non un pouvoir unique et concentré, mais une certaine distribution de pouvoirs séparés : l'expression clanique « séparation des pouvoirs » retenue dans la Déclaration de 1789 et que Montesquieu n'emploie d'ailleurs jamais, est bien faible et bien plate pour rendre compte de la complexité d'une notion si pleine. Il n'y a point de liberté quand sont réunis dans les mêmes mains l’exécutif et le législatif : « on peut craindre que le même monarque ou le même Sénat fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement ». Mais il n'y a point de liberté non plus -et ici Montesquieu se démarque de Locke- quand le judiciaire est confondu avec le législatif ou l'exécutif. « Si (la puissance de juger) était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire, car le juge serait législateur ; si elle était jointe à la puissance exécutive, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur ». Cette distinction fondamentale entre les trois pouvoirs étant respectée, peu importe le régime politique et le souci de la liberté n'appelle pas nécessairement la démocratie : « Comme dans les démocraties, précise Montesquieu, le peuple parlait faire à peu près ce qu'il veut, on a mis la liberté dans ces sortes de gouvernement et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple ... mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l'on veut ». C'est sous un tout autre angle que J.-J. Rousseau aborda le problème de la liberté politique. Lui aussi s'inspire de Locke, mais enferme la conception anglaise dans le carcan de la « volonté générale ». Dans une formule assez « alambiquée » dont nous ne donnons que l'essentiel, Locke affirmait que « la liberté de l’homme en société consiste à ne relever d'aucun autre pouvoir législatif que celui qui a été établi dans la République ». Il s'opposait à

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son compatriote Filmer (« la liberté pour chacun de faire ce qui lui plaît, de vivre comme il l'entend et de n'avoir les mains liées par aucune loi ») . Pour J.-J. Rousseau, la convention initiale donne naissance à une forme d'association réalisant un double résultat : d'une part, mettre la personne et les biens de chacun sous la protection commune, d'autre part, faire que « chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant ». Mais ce double résultat n'est atteint qu'à la condition que chacun « mette en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ». Or cette « volonté générale », comme nous l'avons signalé en traitant de l'égalité, se décèle par l'addition des voix. Dans cette optique, la « volonté générale » se dégage par les voix de la majorité, tandis que ce que la minorité a retenu pour son compte ne saurait donner qu'une fausse idée de la « volonté générale ». Donc en bonne logique (selon Rousseau), lorsqu'un citoyen est dominé par sa volonté particulière, lorsqu'il refuse d'obéir à la « volonté générale », il fait tout le contraire d'un acte de liberté, puisqu'il s'insurge contre leur volonté qui est la sienne autant que celle de tout autre. Par conséquent, ramener cet insurgé par la force ce n'est pas faire violence à sa liberté, c’est tout simplement « le forcer à être libre ». Dans un autre ouvrage, Rousseau fait dire au vicaire savoyard : « Je ne suis pas libre de ne pas vouloir mon propre bien, je ne suis pas libre de vouloir mon mal » ... Rousseau insiste sur cet apparent paradoxe : « Quand donc l’avis contraire au mien l’emporte, cela ne prouve autre chose sinon que je m'étais trompé, et que ce que j'estimais être la volonté générale ne l'était pas. Si mon avis particulier l’eût emporté, j'aurais fait autre chose que ce que j'avais voulu, c’est alors que je n'aurais pas été libre. En définitive, (et nous citons encore Rousseau) ainsi limitée par la volonté générale, « la liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui » : c'est ce que traduiront les constituants de 1789 dans l'article 4 de la Déclaration des droits. Si Rousseau insiste sur la définition théorique de la liberté, d'autres penseurs du XVIIIe siècle s'attacheront à déceler les contours concrets de cette notion, à cerner les moyens législatifs de la mettre en oeuvre dans la réalité quotidienne. b) La liberté économique n’est pas expressément visée dans les textes de 1789, mais inspirera l’une des phrases du préambule de la constitution de 1791 : « il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers », suite logique de la loi d'Allarde votée le 2 mars. Il est évident que cette décision prenait ses racines dans un mouvement relativement récent d'opinion, illustré par de nombreux physiocrates. Représentatif de cette tendance, Bigot de Sainte-Croix avait publié en 1775 un Traité de la liberté générale du commerce et de l'industrie, qui démontre les abus des anciennes communautés et jurandes. L’année suivante, Turgot avait publié un édit qui dans son préambule, rappelait que les communautés sont contraires au « droit naturel » : l'édit avait été rapporté mais son idée directrice reste vivante en 1789. c) La liberté religieuse a suscité, pendant les siècles qui ont précédé la Révolution infiniment plus de discussions et de combats que la liberté économique. Plusieurs

tendances se sont fait jour, qui doivent être schématiquement rappelées. Pour certains (et leur opinion prévaut sous l'Ancien Régime français), subsiste le dogme de la religion d'Etat. Pour Hobbes, le protestant en tant que chrétiens aussi bien qu'en tant que citoyens, les hommes n'ont qu'un seul souverain, qui est à la fois le Souverain civil et le pasteur suprême. Locke allait renverser cette assertion, avec sa Lettre sur la tolérance (1689) et son traité Reasonableness of Christianity (1695). Sa tolérance se limite d'ailleurs aux croyants : Locke la refuse aux athées. Il croit à la révélation, qui a eu le mérite de présenter sous une forme simple des enseignements que l'intelligence humaine n'aurait peut-être jamais découverts. Un courant différent se fait jour dans la première moitié du XVIIIe siècle : celui de la religion naturelle : le livre de Wollasto paru en 1722 connaît un grand succès et vante la Religion of nature, et pour Tindal quelques années après, ridée rune révélation est à proprement parler inconcevable, puisque la religion de l'Evangile n’est que la vraie religion ordinaire de la raison et de la nature Les penseurs anglais ont une influence certaine sur Voltaire : nettement antichrétien avant son séjour en Grande-Bretagne, il continue certes à dénoncer les superstitions chrétiennes mais préconise une « religion universelle », un déisme (ou théisme) dont la religion serait épurée des sacrements et des rites, des pasteurs et des prêtres. « Cette religion pure est aussi ancienne que le monde » et « les attributs infinis de l’Etre suprême sont des abîmes où nos faibles lumières s'anéantissent »… Les idées de Voltaire et de ses amis transparaissent dans le préambule de la Déclaration de 1789, proclamée « en présence et sous les auspices de l'Etre suprême ».

Rousseau, quant à lui, préconise une « religion civile », dont les dogmes « doivent être simples » : « l'existence de la Divinité puissante, intelligente. bienfaisante ... la sainteté du contrat social et des lois ». En face de ces dogmes positifs, un seul dogme négatif : « c'est l'intolérance ». Ainsi, par un cheminement différent Voltaire et Rousseau deviennent les champions de la tolérance, précédés et accompagnés dans leur lutte par de nombreux penseurs, tel Barbeyrac qui, dès 1728, avait dénoncé l'intolérance, « honte pour la nature humaine », tel Turgot qui en 1753 et 1754 avait publié deux Lettres sur la tolérance dans lesquelles il enseigne que « les hommes peuvent juger de la vérité de la religion et c’est précisément à cause de cela que d'autres n'en doivent pu juger pour eux ». Toutes ces opinions aboutissent à une idée force, héritée de l' « Ecole du droit naturel » : « la liberté de conscience -écrivait Vattel dans son Droit des gens en 1758- de droit naturel et inviolable. Il est honteux pour l'humanité d'avoir à le démontrer ». Les constituants de 1789 retiendront la leçon : « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». d) La liberté de la presse n'était-elle pas la conséquence logique de la liberté d'opinion ? Elle était, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, d'autant plus facile à revendiquer que la censure officielle était tournée de plus en plus facilement : l'indulgence de la répression ne se borne pas à la France et la tendance à la liberté de la presse est un « phénomène européen ».

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Néanmoins, la censure reste encore redoutable ; des brochures sont saisies ; le Parlement de Paris n'hésite pas à condamner au feu le n° 116 des Annales de Linguet. Même le sage Malesherbes rappelle les censeurs à l’ordre : « L'annonce d'un ouvrage contraire à la religion, aux mœurs et aux principes de gouvernement … sont des délits très graves », écrit-il après la publication de l'Émile de Rousseau. L'abbé Galiani s'exclame : « Dieu vous préserve de la liberté de la presse ! ».

Voltaire, Rousseau et surtout Diderot dans sa célèbre Lettre ... sur le commerce de la librairie, revendiquent avec insistance la liberté de la presse : leur programme est développé dans l'Encyclopédie (articles « libelle » et « presse » par le chevalier de Jaucourt.

L'abbé-académicien Morellet, enfermé à la Bastille en 1760 à la suite d'un libelle (il y restera peu grâce à l'intervention de Malesherbes) écrit pendant son incarcération un Traité de la liberté de la presse qui ne paraîtra, que plus tard. La proclamation de la liberté de la presse en Virginie (1776), puis l’alliance entre la France et les Etats-Unis deux ans après stimulent les adversaires de la censure. Leurs aspirations seront satisfaites par l'article la de la Déclaration de 1789.

Comme la presse, le théâtre n'était pu libre sous l'Ancien Régime. Les censeurs se montraient indulgents vis-à-vis de la morale exprimée dans les pièces, mais rigoureux dès que la politique royale était mise en cause. Suard, le dernier censeur de la monarchie, accepte une pièce que la Comédie française avait refusé de jouer, la considérant comme indécente. Mais il interdit le « Charles IX » de Marie-Josèphe Chénier : ni le 14 juillet, ni la Déclaration des droits ne le rirent revenir sur sa décision. Ce West qu'en janvier 1791 que fut enfin accordée la liberté au théâtre ! C - La revendication de la « sûreté »

Parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » l'Assemblée constituante range la sûreté. Depuis 1789, ce mot a changé de sens : nous préférons maintenant parier de liberté personnelle ou individuelle. Cette liberté physique de l'individu subissait encore, à la fin de l'Ancien Régime, de multiples atteintes contre lesquelles protestent vigoureusement tous les philosophes et les publicistes.

Au premier rang de ces abus figurent les arrestations et emprisonnements arbitraires. Certes, on a rétabli récemment la vérité sur les fameuses lettres de cachet et l’on sait qu'elles étaient souvent délivrées à la demande des familles, qui désiraient éviter la publicité d'un jugement. Si les emprisonnements pour raison politique sont relativement peu nombreux, ils ont frappé quelques personnages célèbres. Lorsque philosophes et pamphlétaires réclament la suppression des lettres de cachet, chacun pense pieusement à leur grande victime, Voltaire. Celui-ci, lors du premier séjour à la Bastille en 1717, crée le verbe « embastiller » dans une petite pièce en vers sur sa détention (ce qui ne l'empêchera pas, en 1730, de rédiger à l'intention du lieutenant-général de police une demande de lettre de cachet contre « la nommée Travers »). L'attaque la plus virulente contre les procédés arbitraires vient de Mirabeau qui, pendant les quarante deux mois de sa détention à Vincennes, rédige son Essai sur les lettres de cachet et les prisons d'Etat, violente

satire contre les emprisonnements despotiques. Tous les penseurs, à la veille de la Révolution, pensent comme Linguet : « Au moins, quand il y a un procès établi, on connaît la nature de l'accusation ... on suit les progrès de la procédure ..., l'inquiétude a des bornes et la douleur des consolations ». Le principe d'une procédure protectrice de l'individu se traduit dans l'article 7 de la Déclaration de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrite … ».

Un autre abus sévissait dans la justice criminelle d'Ancien Régime, celui des peines dites « arbitraires », « qui dépendent de la prudence des juges ». Les ordonnances royales, quand elles sanctionnent une infraction (délit, crime) sont vagues et laissent une grande latitude aux magistrats judiciaires. Dans son Discours sur l'administration de la justice criminelle, l'avocat général Servan se lamente : « Avons-nous mieux déterminé les peines que les délits ? Non sans doute, et le premier vice entraîne le second. C'est une espèce de maxime que les peines sont arbitraires en ce royaume, et cette maxime est accablante et honteuse ». Un exemple typique de l'arbitraire des peines nous est donné par l'ordonnance de 1666 à propos des « blasphèmes énormes », où le roi décrète : « voulons que les dits crimes soient punis de plus grandes peines que celles ci-dessus, à l’arbitrage du juge ». Ni « l'énormité » du blasphème, ni les sanctions applicables ne sont précisées. Or, pour ce motif, le jeune chevalier de La Barre fut condamné par le Parlement de Paris à « avoir la tête tranchée et être son corps mort et sa tête jetés au feu ». Voltaire s'intéresse à l'affaire et publie deux opuscules : Relation de la mort du chevalier de La Barre puis, quelques années après, Le cri du sang innocent (il est vrai que son Dictionnaire philosophique avait été placé près du bûcher de l'infortuné chevalier). La condamnation fit sandale, à cause de la disproportion entre le crime et la peine infligée. Tous les publicistes prônent le principe de la légalité des peines, en France et à l'étranger. Un jeune milanais de vingt-six ans, Beccaria, publie, en 1764, un Traité des délits et des peines où, parmi les réformes qu'il souhaite. Il réclame l'instauration de peines fixes et pan en guerre contre l’obscurité des lois. Deux ans après, Voltaire en publie un commentaire qui assure le succès des idées nouvelles (contre lesquelles s'insurgent encore quelques criminalistes). Ne nous étonnons pas si, dans l'article 8 de la Déclaration de 1789 les Constituants prévoient que « nul ne peut être puni qu'en vertu d’une loi » et que « la loi ne doit établir que les peines strictement et évidemment nécessaires ». « Sûreté », c'est aussi la sécurité, la nécessaire protection de l'individu contre les empiétements illicites d'autrui. Aucun des philosophes, aucun des constituants ne nie la nécessité d'une force publique qui assure la tranquillité des citoyens. Mois comment concilier cette aspiration à la sûreté avec l'exigence de la liberté ? « Renoncer à sa liberté » n'est-ce pas « renoncer à sa qualité d'homme » ? La solution, d'ordre technique, nous est présentée non pas par Hobbes le totalitaire, mais par Rousseau le démocrate : l'aliénation, dans sa conception, se fait « au profit d'une instance par rapport à laquelle le sujet est en situation d'infériorité donc se présente comme totalité à

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laquelle chacun participe égalitairement ». Il faut donc, et ce sera l'article 7 de la Déclaration de 1789, que « tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi obéisse à l'instant » et ainsi toute infraction sera sanctionnée, pour le plus grand profit de la sûreté de chacun. D - L'essor de la propriété C'est très tardivement -dans le dernier tiers du XVIIIe siècle- que l'abolition du régime féodal fait l'objet de discussions passionnées. Un profond mouvement d'opinion revendiquait depuis longtemps la protection de la propriété (et il faut entendre par ce mot essentiellement la propriété foncière), et tous les penseurs s'inspiraient plus ou moins du raisonnement de Locke : « Le fin capitale et principale, en vue de laquelle les hommes s'associent dans des républiques et se soumettent à des gouvernants, est la conservation de leur propriété mal protégée dans l'état de nature ». Il serait fastidieux d'énumérer la longue suite de citations toutes plus ou moins héritées de Locke : à la veille de la Révolution, il n’est pas exagéré d'affirmer que la propriété est considérée comme le « droit naturel type » ; seuls échappent à l'engouement Mably, qui a pu être considéré comme un précurseur des socialistes, et ceux qu'inspiraient les invectives de Rousseau contre la propriété individuelle et héréditaire : ils sont rares. Mais aucun des philosophes ne semble être sorti du de la théorie : il est symptomatique que jamais n'est proposé une définition précise de la propriété. Seuls, au XVIIIe siècle, les juristes dissertent à loisir, s'attardant longuement sur la distinction entre le domaine éminent et le domaine utile : le premier appartient au seigneur, le second au vassal ou tu tenancier. Feudistes, notaires, greffiers, huissiers sont ralliés sans complexe à ce morcellement de la propriété. et ce n'est pas dans leurs rangs qu'il faut chercher des novateurs ... Or, il est évident que les tenanciers supportent de plus en plus mal les séquelles du régime féodal, d'autant qu'au milieu du XVIIIe siècle, le recouvrement des redevances dues au seigneur s'effectuait avec plus de rigueur que dans le passé. Les physiocrates partagent les aspirations des tenanciers et l'un des plus illustres, Turgot, envisage dans ses projets de réformes la destruction graduelle des droits féodaux. Il n'y parviendra pas, mais il conseille à son premier commis des finances d'écrire une brochure sur ce sujet : Boncerf met en relief les Inconvénients des droits féodaux. Comme l'intéressé pouvait s'y attendre, le Parlement de Paris tient le livre pour « injurieux aux lois et coutumes de France, aux droits sacrés … de la Couronne, et au droit de propriété des particuliers ». C'était assurer le succès de la brochure, d'autant plus que Voltaire y voyait « un excellent petit livre en faveur du peuple », avis partagé par bon nombre de philosophes. Quelques années après le pamphlet de Boncerf, Letrosne publie en 1779 un imposant ouvrage : De l'administration provinciale et de la réforme de l'impôt qui contient une remarquable Dissertation sur la féodalité, qu'il suggère d'abolir dans l'intérêt public. Letrosne ne se fait guère d'illusions : « Nous n'avons guère d'espérance, constate-t-il, d'être jamais délivré du joug de la féodalité ». Et beaucoup partageaient son scepticisme. C'était compter sans la réaction des paysans :

dès le printemps 1789, un mouvement antiseigneurial crée le désordre ; des nobles furent maltraités et parfois tués, des châteaux pillés et incendiés ; des seigneurs furent contraints de livrer leurs archives que les paysans brûlèrent. Ces révoltes s'amplifient et deviennent plus graves en juillet 1789, surtout après la prise de la Bastille. On connaît la suite : pour arrêter les révoltes, des députés de la noblesse proposent les « grands sacrifices » que réclamait le patriotisme. Un obscur député du tiers-état de Bretagne provoque l’enthousiasme par son discours : « dites-lui (au peuple) que vous reconnaissez l'injustice de ces droits acquis dans l'ignorance et les ténèbres ». Et dans la nuit du 4 août, l'Assemblée constituante vote le principe de la suppression du régime féodal, dont les modalités seront fixées par la suite. Conformément aux vœux des physiocrates, la propriété devenait « inviolable et sacrée » (ce que confirme le dernier article de la Déclaration de 1789, adopté sans discussion) et toute atteinte à la propriété devait être réprimée avec la dernière sévérité, comme un sacrilège. La constitution de 1791 rendra les ministres « responsables ... de tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle ». La doctrine des physiocrates permettait cependant une atteinte au droit de propriété individuelle : l'expropriation pour cause d'utilité publique, déjà connue sous l’Ancien Régime. Il ne fallait pas, par exemple, que les propriétaires, abusant de leur droit de propriété, soient libres de ne pas cultiver leurs champs : l'Etat devait pouvoir les exproprier sous réserve d’une « juste et préalable indemnité », comme le prévoit la fin de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Tous les textes qui viennent d'être cités ne visent que la propriété individuelle. Or il existait une sorte de propriété collective : les biens du clergé, évalués au quart ou au cinquième de la propriété foncière du royaume. Plusieurs théoriciens du XVIIIe siècle considéraient que l'Eglise n'en était que l'administrateur : elle n'en était ni propriétaire ni usufruitière et la propriété de ces biens appartenait à la nation. S'appuyant sur ce principe, les Constituants mettaient le 3 novembre 1789 les biens du clergé à la disposition de la nation, à charge de celle-ci de subvenir à tous les frais du culte ...

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Doc. n° 2 : Trib. Civ. Seine, 22 janv. 1947, V…c/ Dame B…et œuvre X « Le Tribunal, Attendu que par testament olographe du 1 juin 1944, la dame Marie B…,veuve B…, a légué à sa petite fille Micheline B… tous ses bijoux, son argenterie, ses meubles et ses fourrures nets de tous droits ; que dans un post-scriptum, elle a ajouté : « Si ma petite fille épousait un juif, je révoque le legs fait à son profit et j’en dispose au profit de l’œuvre X… ; Attendu que la dame B… est décédée le 30 décembre 1944 ; Attendu que cette condition doit être réputée non écrite aux termes de l’article 900 code civil ; Attendu qu’en effet, non seulement cette clause porte atteinte à la liberté qu’a la légataire d’épouser la personne qu’elle aura choisie, mais elle heurte également les règles d’ordre public, telles qu’elles résultent de l’ordonnance du 9 août 1944, relatif au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire et de la Constitution de la République française du 27 octobre 1946 ; qu’en effet ce dernier texte a déclaré que le Peuple français proclamait à nouveau que tout être humain, sans distinction de race de religion ou de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; Attendu que la clause susvisée viole tous ces principes. (…) Par ces motifs déclare nulle comme illicite la condition insérée dans le testament de la dame B… »

Doc. n° 3 : CE, 7 juillet 1950, Dehaene

« Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux ; Sur le rapport de la 3e sous-section de la section du Contentieux ; Vu la requête présentée par le sieur Dehaene (Charles), chef de bureau à la préfecture d'Indre-et-Loire, ladite requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 10 mars 1949 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil d'annuler : 1° un arrêté du préfet d'Indre-et-Loire en date du 13 juillet 1948 le suspendant de ses fonctions ; 2° un arrêté du préfet d'Indre-et-Loire en date du 30 juillet 1948 lui infligeant un blâme; Vu la constitution de la République française ; Vu les lois du 19 octobre 1946, du 27 décembre 1947 et du 28 septembre 1948 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 ; En ce qui concerne la mesure de suspension : Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la mesure de suspension, dont le sieur Dehaene a été frappé le 3 juillet 1948 a été rapportée le 20 juillet 1948, antérieurement à l'introduction du pourvoi ; qu' ainsi la requête est, sur ce point, sans objet; En ce qui concerne le blâme : Considérant que le sieur Dehaene soutient que cette sanction a été prise en méconnaissance du droit de grève reconnu par la constitution; Considérant qu'en indiquant, dans le préambule de la constitution, que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », l'assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des

intérêts professionnels, dont la grève constitue l'une des modalités, et de la sauvegarde de l'intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte; Considérant que les lois des 27 décembre 1947 et 28 septembre 1948 qui se sont bornées à soumettre les personnels des compagnies républicaines de sécurité et de la police un statut spécial et à les priver, en cas de cessation concertée du service, des garanties disciplinaires, ne sauraient être regardée, à elles seules, comme constituant, en ce qui concerne les services la réglementation du droit de grève annoncée par la constitution ; Considérant qu'en l'absence de cette réglementation, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ; qu' en l'état actuel de la législation il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l'étendue desdites limitations; Considérant qu'une grève qui, tel qu'en soit le motif, aurait pour effet de compromettre dans ses attributions essentielles l'exercice de la fonction préfectorale porterait une atteinte grave à l'ordre public; que dès lors le gouvernement a pu légalement faire interdire et réprimer la participation des chefs de bureau de préfecture à la grève de juillet 1948.

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Considérant qu'il est constant que le sieur Dehaene, chef de bureau à la préfecture d'Indre-et-Loire a, nonobstant cette interdiction, fait grève du 13 au 20 juillet 1948; qu'il résulte de ce qui précède que cette attitude, si elle a été inspirée par un souci de solidarité, n'en a pas moins constitué une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire, qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en lui

infligeant un blâme le préfet d'Indre-et-Loire a excédé ses pouvoirs; Décide : Article premier : La requête susvisée du sieur Dehaene est rejetée.

Doc. n° 4 : CE, 7 juin 1957, Condamine Vu la requête présentée pour le sieur Condamine (Henri), ci-devant Yaoundé (Cameroun), ladite requête enregistrée au Secrétariat du Conseil d'Etat le 3 août 1948 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir un arrêté en date du 17 juillet par lequel le Haut-Commissaire de la République française au Cameroun lui a enjoint de quitter immédiatement ce territoire, ensemble le décret du 15 juin 1927 et la circulaire ministérielle n°11759 relative aux discriminations raciales, sur lesquels est fondé l'arrêté attaqué ; Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ; Vu la loi des 2 et 17 mars 1791 ; Vu la Constitution e la République Française ; Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 ; le décret du 30 septembre 1953 ; Ouï Mme Cadoux, Auditeur, en son rapport Ouï Mr Colar de La Noue, avocat du sieur Condamine, en ses observations Ouï M. GuIdner, Maître des Requêtes, Commissaire du Gouvernement, en ses conclusions ; Sur les conclusions tendant à l’annulation du décret du 15 juin 1927 et de la circulaire du 15 décembre 1947 : Considérant que le décret susvisé du 15 juin 1927 a été publié au Journal officiel de la République Française du 21 juin 1927 ; que par suite, les conclusions sus-analysées de la requête du sieur Condamine, qui a été enregistrée au Secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 3 août 1948 ont été présentées tardivement et ne sont dès lors pas recevables ; Considérant que la circulaire n°11759 du 15 décembre 1947 présente le caractère d'une simple

instruction d'ordre intérieur ; qu'elle n'est dès lors pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat au Contentieux ; Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté, en date du 17 juillet 1948, par lequel le Haut-Commissaire de la République Française au Cameroun a enjoint au sieur Condamine de quitter immédiatement le territoire du Cameroun : Considérant, d'une part, que, si le requérant se prévaut, à l'appui de ses conclusions, de l'illégalité dont serait entaché le décret du 15 juin 1927 en application duquel a été pris l'arrêté contesté, il se borne à soutenir que ce décret méconnaîtrait les articles 8, 9 et 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme, à laquelle se réfère le préambule de la Constitution, et la loi du 2 et 17 mars 1791 ; qu’il résulte de l'examen du décret précité du 15 juin 1927 que ses prescriptions ne sont contraires à aucune des dispositions ainsi invoquées par le sieur Condamine ; Considérant, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction que les faits qui ont motivé l'expulsion de l'intéressé soient matériellement inexacts ; que l'appréciation à laquelle s'est livré le Haut-Commissaire ne saurait être discutée devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux ; Décide : Article premier. La requête du sieur Condamine est rejetée ; Art. 2. Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre de la France d'Outre-mer.

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Doc. n° 5 : CE, Sect. 12 février 1960, Soc. Eky

« Sur le pourvoi n° 46.923 dirigé contre les dispositions de l’article 136 du code pénal édictées par l’ordonnance du 23 décembre 1958 : -Cons que l’ordonnance susvisée a été prise par le gouvernement en vertu de l’article 92 de la Constitution, dans l’exercice du pouvoir législatif ; que dans ces conditions elle ne constitue pas un acte de nature à être déférée au Conseil d’Etat par la voie du recours pour excès de pouvoir ; Sur le pourvoi N°46.922 dirigé contre les dispositions des articles R30 alinéa 6, R.31, dernier alinéa, R32 dernier alinéa, et R33 du Code pénal, édictées par le décret du 23 décembre 1958 ; Sur les moyens tirés de la violation de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et de l’article de la Constitution : - Cons. que si l’article 8 de la déclaration des Droits de l’Homme de 1789 à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution pose le principe que : « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit », l’article 34 de la Constitution, qui énumère les matières relevant du domaine législatif, dispose que la loi fixe « les règles concernant la détermination des crimes et délits et les peines qui leurs sont applicables » ; que ni cet article ni aucune disposition de la Constitution na prévoit que la matière des contraventions appartient au domaine de la loi ; qu’ainsi il résulte de l’ensemble de la Constitution et,

notamment des termes précités de l’article 34 que les auteurs de celle-ci ont exclu dudit domaine la détermination des contraventions et des peines dont elles sont assorties et ont, par conséquent, entendu spécialement déroger sur ce point au principe général énoncé par l’article 8 de la déclaration des droits ; que dès lors la matière des contraventions relève du pouvoir réglementaire par application de l’article 37 de la Constitution ; Cons. que, d’après l’article 1ER du Code pénal, l’infraction qui est punie de peines de police est une contravention ; qu’il résulte des articles 464, 465 et 466 dudit Code que les peines de police sont l’emprisonnement pour une durée ne pouvant excéder deux mois, l’amende jusqu’à un maximum de deux cent mille francs, et le confiscation de certains objets saisis ; que les dispositions attaquées des articles R 30 et suivent du Code pénal punissent d’une amende de deux mille à quatre mille francs et d’un emprisonnement de trois jours au plus et, en cas de récidive, de huit jours, ceux qui auront acceptés, détenus ou utilisés des moyens de paiement ayant pour objet de suppléer ou de remplacer des signes monétaires ayant cours légal ; que les infractions ainsi visées, se trouvant punies de peines de simple police, constituent des contraventions ; que, dès lors, c’est par une exacte application de la constitution que le gouvernement, par voie réglementaire, les a définies, et a fixé les peines qui leurs sont applicables ; (…)

Doc. n° 6 : CC, 16 juillet 1971, Liberté d’association, n° 71-44 DC

Vu la Constitution et notamment son préambule ; Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ; Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée ; Vu la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ; 1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote des deux assemblées, dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours de la session du Parlement ouverte le 2 avril 1971 ; 2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le

principe de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ; 3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations non déclarées, les dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation, soumis au

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Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution, ont pour objet d'instituer une procédure d'après laquelle l'acquisition de la capacité juridique des associations déclarées pourra être subordonnée à un contrôle préalable par l'autorité judiciaire de leur conformité à la loi ; 4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil constitutionnel leur faisant référence ; 5. Considérant qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions précitées

soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ; 6. Considérant, enfin, que les autres dispositions de ce texte ne sont contraires à aucune disposition de la Constitution ; Décide : Article 1er - Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant les dispositions de l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901 ainsi que les dispositions de l'article 1er de la loi soumise au Conseil leur faisant référence. Article 2 - Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution. Article 3 - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Doc n° 7 : CC, 11 et 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, n° 2001-455 DC SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE PORTÉE A LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE PAR L'ARTICLE 107 ET PAR LE CHAPITRE 1ER DU TITRE II * En ce qui concerne l'article 107 : 43. Considérant que l'article 107 de la loi déférée modifie l'article L. 321-1 du code du travail en remplaçant la définition du licenciement économique issue de la loi n° 89-549 du 2 août 1989 par une nouvelle définition ainsi rédigée : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail, consécutives soit à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise " ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu'elles s'appliquent non seulement dans l'hypothèse d'une suppression ou transformation d'emploi mais également en cas de refus par un salarié d'une modification de son contrat de travail ; qu'en vertu de l'article L. 122-14-4 du même code, la méconnaissance de ces dispositions ouvre droit, en l'absence de cause réelle et sérieuse du

licenciement, à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois ; 44. Considérant que les requérants soutiennent que cette nouvelle définition porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ; qu'en limitant, par la suppression de l'adverbe " notamment ", la liste des situations économiques permettant de licencier, " le législateur écarte des solutions imposées par le bon sens comme la cessation d'activité " ; que la notion de " difficultés sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen " va permettre au juge de s'immiscer dans le contrôle des choix stratégiques de l'entreprise qui relèvent, en vertu de la liberté d'entreprendre, du pouvoir de gestion du seul chef d'entreprise ; que les notions de " mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise " ou de " nécessités de r»organisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise " constituent des " formules vagues " dont la méconnaissance sera néanmoins sanctionnée par les indemnités dues en l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ; 45. Considérant que le Préambule de la Constitution réaffirme les principes posés tant par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que par le Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'au nombre de ceux-ci, il y a lieu de ranger la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ainsi que les principes économiques et sociaux énumérés par le texte du

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Préambule de 1946, parmi lesquels figurent, selon son cinquième alinéa, le droit de chacun d'obtenir un emploi et, en vertu de son huitième alinéa, le droit pour tout travailleur de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ; 46. Considérant qu'il incombe au législateur, dans le cadre de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, d'assurer la mise en oeuvre des principes économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties ; que, pour poser des règles propres à assurer au mieux, conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d'obtenir un emploi, il peut apporter à la liberté d'entreprendre des limitations liées à cette exigence constitutionnelle, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; 47. Considérant, en premier lieu, que la nouvelle définition du licenciement économique résultant de l'article 107 de la loi déférée limite aux trois cas qu'elle énonce les possibilités de licenciement pour motif économique à l'exclusion de toute autre hypothèse comme, par exemple, la cessation d'activité de l'entreprise ; 48. Considérant, en deuxième lieu, qu'en ne permettant des licenciements économiques pour réorganisation de l'entreprise que si cette réorganisation est " indispensable à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise " et non plus, comme c'est le cas sous l'empire de l'actuelle législation, si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, cette définition interdit à l'entreprise d'anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants ; 49. Considérant, en troisième lieu, qu'en subordonnant les licenciements économiques à " des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen ", la loi conduit le juge non seulement à contrôler, comme c'est le cas sous l'empire de l'actuelle législation, la cause économique des licenciements décidés par le chef d'entreprise à l'issue des procédures prévues par le livre IV et le livre III du code du travail, mais encore à substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise quant au choix entre les différentes solutions possibles ; 50. Considérant que le cumul des contraintes que cette définition fait ainsi peser sur la gestion de l'entreprise a pour effet de ne permettre à l'entreprise de licencier que si sa pérennité est en cause ; qu'en édictant ces dispositions, le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi du maintien de l'emploi ; que, dès lors, les

dispositions de l'article 107 doivent être déclarées non conformes à la Constitution ; * En ce qui concerne l'ensemble du chapitre 1er du titre II : 51. Considérant que l'article 99 de la loi déférée modifie l'article L. 321-3 du code du travail pour préciser que la procédure de consultation du comité d'entreprise prévue par le chapitre premier du titre II du livre III ne peut être engagée qu'après l'achèvement de la procédure de consultation prévue par les premier et deuxième chapitres du titre III du livre IV du code du travail ; que l'article 101 remplace le deuxième alinéa de l'article L. 432-1 du même code par six alinéas qui disposent que la consultation du comité d'entreprise au titre du livre IV comporte deux réunions et que le comité d'entreprise peut recourir à l'assistance d'un expert-comptable ; que l'article 106 insère dans le même code un article L. 432-1-1 qui prévoit qu'en cas de projet de cessation totale ou partielle d'activité d'un établissement ou d'une entité économique autonome ayant pour conséquence la suppression d'au moins cent emplois, les parties peuvent faire appel, en cas de divergence importante, à un médiateur ; qu'enfin, l'article 116 modifie les deux derniers alinéas de l'article L. 321-7 du même code pour prévoir qu'à l'issue de la procédure de consultation au titre du livre III, le plan de sauvegarde de l'emploi définitivement arrêté est transmis par l'employeur à l'autorité administrative compétente qui peut en constater la carence éventuelle ; que, dans cette hypothèse, l'employeur est tenu d'organiser une réunion supplémentaire du comité d'entreprise en vue d'un nouvel examen du plan de sauvegarde de l'emploi ; 52. Considérant que les requérants soutiennent que ces dispositions conduiraient à un allongement excessif des procédures de licenciement collectif pour motif économique, qui constituerait une atteinte manifeste à la liberté d'entreprendre ; 53. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il incombe au législateur, dans le cadre de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, d'assurer la mise en oeuvre des principes économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties ; que, pour définir les conditions et garanties de mise en oeuvre du droit pour tout travailleur de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, il peut apporter à la liberté d'entreprendre des limitations liées à cette exigence constitutionnelle à la condition qu'il n'en résulte pas

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d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; 54. Considérant que le législateur a encadré de façon précise les différentes phases de la procédure de licenciement collectif pour motif économique dans laquelle on ne saurait inclure, comme le soutiennent les requérants, la durée du congé de reclassement prévu à l'article L. 321-4-3 du code du travail dans sa rédaction résultant de l'article 119 de la loi déférée ; qu'ainsi, les deux réunions du comité d'entreprise prévues par l'article L. 432-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 101 de la loi déférée, sont séparées par un délai d'au moins quinze jours et d'au plus vingt et un jours lorsque le comité d'entreprise a désigné un expert-comptable ; que, de même, dans l'hypothèse où il est fait appel à un médiateur en vertu de l'article L. 432-1-3, dans sa rédaction résultant de l'article 106 de la loi déférée, le médiateur doit être saisi au plus tard dans les huit jours suivant l'issue de la procédure d'information et de consultation prévue au livre IV du code du travail ; que la durée de sa mission ne peut, à défaut d'accord entre les parties, excéder un mois ; que les deux parties disposent d'un délai de cinq jours pour lui faire connaître par écrit leur acceptation ou leur refus de sa recommandation ; qu'en vertu de l'article L. 321-7, dans sa rédaction résultant de l'article 116 de la loi déférée, l'autorité administrative compétente dispose d'un délai de huit jours pour constater la carence éventuelle du plan de sauvegarde de l'emploi ; que, dans cette hypothèse, le comité d'entreprise dispose d'un délai de deux jours ouvrables suivant la notification du constat de carence pour demander une réunion supplémentaire ; qu'en aménageant ainsi les délais des procédures de consultation du comité d'entreprise, le législateur n'a pas porté à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi ;

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Doc. n° 8 : CE, référé, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres, n° 245697

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “Saisi d’une demande « i ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale...” ;

Considérant qu'au soutien de leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions législatives précitées, les organisations requérantes font valoir que le préfet de la Haute-Vienne s’abstiendrait de prendre les mesures nécessaires, d’une part, pour assurer, notamment en procédant à des réquisitions de locaux inoccupés, en attribuant à l’ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN les crédits nécessaires au bon accomplissement de sa mission d’accueil et en réservant des chambres de manière permanente dans des établissements hôteliers, l’hébergement des familles, en particulier de celles qui sont composées de personnes réfugiées, se présentant au centre d’accueil géré par cette association et, d’autre part, pour assurer le suivi sanitaire et médical de celles de ces familles dont un enfant présente un signe de primo-infection ;

Considérant, d’une part, que, si, dans une décision du 29 juillet 1998, le Conseil constitutionnel a qualifié d’objectif de valeur constitutionnelle la « possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent », il n’a pas consacré l’existence d’un droit au logement ayant rang de principe constitutionnel ; que les stipulations relatives à l’accès des particuliers au logement qui sont contenues dans certaines conventions internationales ratifiées par la France ne créent

d’obligations qu’entre les Etats parties à ces conventions et ne produisent pas d’effet direct à l’égard des personnes privées ; qu’ainsi, les organisations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, ou lesdites conventions garantiraient l’exercice d’un droit au logement qui présenterait le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant, d’autre part, qu’il ne résulte pas de l’instruction que les agissements du préfet de la Haute-Vienne aient pu porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit de mener une vie familiale normale garanti à toute personne ;

Considérant, enfin, que les organisations requérantes n’apportent aucune précision au soutien de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de la Haute-Vienne d’assurer un suivi médical et sanitaire des familles dont un enfant présente des signes de primo-infection ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les organisations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande présentée sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

Article 1er : La requéte de l’ASSOCIATION DE REINSERTJON SOCIALE DU LIMOUSIN et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN, à la MAISON DES DROITS DE L'HOMME, au MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L’AMITIE ENTRE LES PEUPLES, au SECOURS CATHOLIQUE, à AMNESTY INTERNATIONAL et au COLLECTIF 87.

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Doc n° 9 : CE, 28 décembre 2005, Préfet de Haute-Savoie, req. n° 274204 Vu la requête, enregistrée le 12 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler le jugement du 16 octobre 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 12 octobre 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. Ali A ; 2°) de rejeter la requête présentée par M. A devant le tribunal administratif de Grenoble ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Constitution ; Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ; Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mlle Maud Vialettes, Maître des Requêtes, Rapporteur, - les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ; Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, en vigueur à la date de l'arrêté litigieux : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police, peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, ressortissant turc, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la

notification de la décision du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, en date du 24 juin 2004, refusant de renouveler la carte de séjour temporaire que le préfet du Jura lui avait délivrée pour la période du 20 septembre 2002 au 19 septembre 2003 et l'invitant à quitter le territoire français ; qu'il était ainsi dans le cas visé au 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite à la frontière d'un étranger ; Considérant, d'une part, qu'il est constant qu'à la date à laquelle le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a refusé de délivrer le titre de séjour sollicité par M. A, son précédent titre de séjour était déjà expiré ; Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit:/(...) 3° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant. Les années durant lesquelles l'étranger s'est prévalu de documents falsifiés ou d'une identité usurpée ne sont pas prises en compte. » ; qu'aux termes de l'article 8 du décret du 30 juin 1946: « L'étranger déjà admis à résider en France qui sollicite le renouvellement d'une carte de séjour temporaire présente à l'appui de sa demande : (...)7° S'il relève des dispositions de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, les pièces justifiant que ces dispositions lui sont toujours applicables » ; qu'il en résulte que pour apprécier le bien-fondé de la demande de renouvellement de carte de séjour temporaire présentée par M. A, il appartenait au PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE de se livrer à un nouvel examen de sa situation au regard des dispositions de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; Considérant, par suite, que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 12 octobre 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. A, sur ce que sur ce que « le titre de séjour accordé à M. A par le préfet du Jura sur le fondement de l'article 12 bis 3° de l'ordonnance du 2 novembre subsistant, le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ne pouvait se livrer à un

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nouvel examen de la condition de séjour de 10 ans dans le cadre d'une demande de renouvellement de titre de séjour présentée au titre de l'article 12 bis 3°» ; Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés, en première instance, par M. A ; Sur l'exception tirée de l'illégalité du refus de titre de séjour : Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, qui a produit des bons de commande falsifiés comme seuls justificatifs de sa présence en France au cours des années 1994, 1996 et 1997, ne remplissait pas la condition d'une résidence habituelle depuis au moins dix ans au moment où le préfet a refusé de lui délivrer le titre dont il sollicitait le renouvellement sur le fondement du 3° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 alors en vigueur ; que si les dispositions de l'article 12 quater de cette ordonnance imposent au préfet de consulter la commission du titre de séjour lorsqu'il envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour à un étranger relevant de l'une des catégories mentionnées aux articles 12 bis et 15 de cette ordonnance, il résulte de ce qui précède que M. A ne pouvait prétendre, comme il le soutient, à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 3° de l'article 12 bis et qu'ainsi, le PREFET DE POLICE n'était pas tenu de soumettre son cas à la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande et n'a, en prenant cette décision, en tout état de cause, pas commis l'erreur de droit alléguée ; Considérant, par suite, que l'exception tirée de l'illégalité de la décision du 24 juin 2004 doit être écartée ; Sur les moyens tirés de l'illégalité de l'arrêté de reconduite à la frontière : Considérant que le principe posé par les dispositions du cinquième deuxième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes desquelles : « Chacun à le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ne s'impose au pouvoir réglementaire, en l'absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français ; que, par suite, M. Burkan ne saurait, en tout état de cause, pour

critiquer la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué, invoquer ce principe indépendamment desdites dispositions ; Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et alors que M. A a son épouse et ses enfants qui résident en Turquie, que l'arrêté attaqué ait méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à demander l'annulation du jugement du 16 octobre 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 12 octobre 2004 ordonnant la reconduite à la frontière de M. A ; D E C I D E : -------------- Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble du 16 octobre 2004 est annulé. Article 2 : La demande de M. A devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée. Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, à M. Ali A et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire

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Doc. n°10 : B. Mathieu, « La portée de la Charte pour le juge constitutionnel », AJDA 2005, p 1170 C'est par le coup d'éclat de 1971 que le Conseil constitutionnel a donné à la Constitution sa complétude en considérant que les textes auxquels se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 - la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946 - avaient eux-mêmes valeur constitutionnelle. Le constituant, en « adossant » la Charte de l'environnement à la Constitution, au moyen d'une référence inscrite dans ce même Préambule de la Constitution de 1958, donne à la démarche, alors jugée hardie, du Conseil constitutionnel une forte légitimité a posteriori. Pourtant l'introduction dans le champ constitutionnel d'un texte qui a pour ambition, non seulement de reconnaître une exigence constitutionnelle, mais aussi d'en développer les potentialités, d'en expliquer la philosophie, rompt avec l'évolution prudente de la jurisprudence constitutionnelle qui assimile progressivement de nouvelles normes de référence (dignité, sécurité juridique, liberté personnelle...) en les fondant sur le développement de normes constitutionnelles expresses. La Charte traduit un choix différent en introduisant dans la Constitution, à la fois de nouveaux sujets, ou objets, de droit et de nouveaux droits et de nouvelles exigences. La Charte ouvre à l'imagination des saisissants un champ original et étendu qui conduira probablement le Conseil à jouer un rôle modérateur. Ainsi de manière habile, bien que dépourvue substantiellement de fondement, il a été soutenu que le traité portant Constitution pour l'Europe était contraire aux dispositions de la Charte relatives au principe de précaution (décision du 24 mars 2005).

Le bouleversement tient également au fait que le constituant a choisi d'inscrire, au même titre que la souveraineté et les droits de l'homme, la protection de l'environnement au fondement de l'ordre juridique constitutionnel national. Ce nouveau triptyque, ou plutôt trépied, pose la question des rapports entre la protection de l'environnement et les droits de l'homme. Le Préambule de 1946 reconnaît des principes particulièrement nécessaires à notre temps au sein desquels la protection de l'environnement aurait trouvé une place naturelle. L'exposé des motifs, que constituent les considérants liminaires de cette Charte, témoigne d'une philosophie ambiguë et d'un certain bricolage conceptuel. En effet, il renvoie à des considérations scientifiques (et banales) sur le lien entre l'humanité et son environnement. Ainsi s'établit un rapport triangulaire entre l'homme, la nature et la science qui fait naître un certain nombre d'objets constitutionnels dont il faut, a priori, considérer qu'ils sont les destinataires d'une protection et non des sujets titulaires de droits. Il en est ainsi de l'humanité, de l'environnement, défini comme le patrimoine commun des êtres humains, de l'être humain lui-

même, défini comme le maître de ce patrimoine commun et sur l'identité duquel les débats en matière de bioéthique ont suscité bien des controverses, de la diversité biologique, du développement durable, des sociétés humaines, des générations futures et des autres peuples. Précisément, le cinquième considérant met sur le même plan la protection de la biodiversité, de l'épanouissement de la personne et des progrès des sociétés humaines. Ainsi la personne, c'est-à-dire l'individu, se trouve absorbée dans un ensemble qui l'intègre sans le privilégier. La notion de progrès auquel il est fait ici référence renvoie à une vision linéaire, teintée de scientisme, de l'évolution de l'humanité vers une amélioration constante de sa condition. C'est cette conception qui justifie, par ailleurs, en matière de bioéthique que le droit soit assez largement asservi aux besoins de la science. Alors que face à ce « progrès » la protection de la dignité et de la liberté personnelle de l'individu s'imposent comme une urgente nécessité, il est à souhaiter que le Conseil trace les limites de cette déclaration d'intention et la cantonne dans le rôle qui est le sien.

Il n'en reste pas moins que l'on peut considérer ce texte comme un vivier potentiellement considérable pour un juge constitutionnel confronté à des situations que l'on ne peut aujourd'hui imaginer. De ce point de vue, il appartiendra au Conseil constitutionnel, probablement souvent sollicité, de maintenir la distinction entre les sujets de droit, les êtres humains, et ces objets constitutionnellement protégés que sont l'humanité, les générations futures, ou la biodiversité, sauf à ouvrir une boîte de Pandore où la représentation des droits et des intérêts de ces pseudo-sujets de droit justifierait toutes les manipulations.

Si le Conseil devra se montrer prudent face à l'utilisation de ces déclarations générales qui, produits de compromis, portent des potentialités contradictoires, il devra également préciser les limites et la portée des droits et des exigences expressément reconnues par ce texte. (…)

Au-delà de ce cadre général, c'est l'analyse de chacun des principes contenus dans le texte de la Charte qui permet d'établir quelques éléments d'analyse prospective sur l'utilisation qui pourra en être faite par le Conseil constitutionnel et donc de la contrainte qu'ils feront peser sur le législateur. L'on retiendra, de ce point de vue, une typologie de ces principes en fonction de leur nature normative.

I. Les principes déclaratifs, formulation d'exigences de portée incertaine

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Les principes déclaratifs se trouvent pour l'essentiel dans les considérants qui précédent le texte de la Charte. Mais certains des articles de la Charte peuvent être lus en ce sens.

Ainsi, l'article 8 pose le principe de l'éducation et de la formation à l'environnement comme éléments contribuant à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte. Il est difficile de voir dans cette formulation une véritable portée normative. Il en est de même de l'article 9 relatif à la recherche et à l'innovation dans leur rapport avec l'environnement. Cependant ce n'est pas tant la liberté de la recherche qui est ici reconnue qu'un encadrement, une finalisation au service de la préservation et de la mise en valeur de l'environnement.

Il n'est cependant pas impossible que le Conseil puisse déceler dans ces formules sibyllines des objectifs constitutionnels qui imposent au législateur de prendre en compte les exigences environnementales dans une législation relative à l'enseignement ou à la recherche. En tout état de cause la puissance normative de telles affirmations est très faible.

De même l'article 10 précise que la Charte inspire l'action européenne et internationale de la France. Cette formule est dépourvue de portée juridique directe. Cependant l'on peut imaginer que le Conseil s'appuie sur cette disposition pour faire valoir qu'un traité contient des dispositions manifestement contraires à la protection de l'environnement, ou pour justifier de l'atteinte portée à telle ou telle exigence constitutionnelle.

II. Les objectifs constitutionnels, instruments d'encadrement du pouvoir normatif

Les textes relatifs aux droits particulièrement nécessaires à notre temps formulent essentiellement des droits de créance qui sont juridiquement qualifiés d'objectifs constitutionnels. Un certain nombre de droits reconnus par la Charte de l'environnement peuvent être considérés comme relevant de cette catégorie. On les trouve essentiellement dans le corps des articles, mais certains des considérants liminaires peuvent servir de support à de tels droits.

Ainsi, les deux derniers considérants sont rédigés de manière plus volontariste et se prêtent mieux à servir d'ancrage à des règles ou à des exigences juridiques.

Il en est ainsi de l'affirmation selon laquelle « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Cette analyse renvoie, au-delà de sa formulation solennelle, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui fait de la protection de l'environnement un but d'intérêt général susceptible

de justifier des limitations apportées à certains droits constitutionnels (nos 85-189 DC, 2000-441 DC et 2002-464 DC). Dans la conciliation opérée entre les droits et les exigences, cette formulation, comme l'ensemble de la Charte elle-même, ne peut que renforcer la pondération accordée à la protection de l'environnement. On peut également considérer que le développement durable accède au rang d'objectif constitutionnel de la même manière que la préservation de la capacité des générations futures ou celle des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins.

Si l'on admet que ces préoccupations ainsi constitutionnalisées constituent autant d'objectifs constitutionnels, leur utilisation peut répondre à deux logiques. D'une part, l'on peut imaginer que le Conseil constitutionnel sanctionne des dispositions législatives qui iraient à l'encontre de ces objectifs ou les méconnaîtraient. A l'inverse, le juge pourra justifier que le législateur porte atteinte à d'autres exigences constitutionnelles au nom de la poursuite de ces objectifs, et l'on songe bien évidemment aux principes constitutionnels relatifs aux droits économiques, notamment la liberté d'entreprendre. En ce sens la Cour d'arbitrage belge a jugé que c'est au législateur qu'il revient d'apprécier si, et dans quelle mesure, le souci de protéger l'environnement justifie d'imposer des sacrifices aux opérateurs économiques (décision 7/95 du 2 février 1995). La poursuite d'un objectif de protection de l'environnement pourra ainsi justifier des dérogations au principe d'égalité (cf., en matière fiscale, arrêt 70/2001 de la Cour d'arbitrage belge). A contrario, la prise en compte d'un intérêt environnemental ne justifie pas que d'autres exigences soient ignorées. C'est ainsi que la Cour constitutionnelle autrichienne a jugé qu'une loi de protection de la nature qui ne prévoit pas une mise en balance d'intérêts divergents est contraire à la Constitution (décision 256/98 du 25 juin 1999). On relèvera que la prise en compte des objectifs de protection de l'environnement peut conduire le juge à apprécier des décisions qui ne concernent pas directement l'environnement. Ainsi la Cour constitutionnelle slovaque a été amenée à apprécier la constitutionnalité de la décision d'autoriser le survol du territoire national par des appareils militaires participant aux opérations aériennes de l'OTAN au regard des exigences constitutionnelles relatives à la protection de l'environnement. (décision U-I-87/99 du 8 juillet 1999).

L'article premier proclame que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ». Il s'agit d'un droit créance qui comme tel rentre dans la catégorie des objectifs constitutionnels. En l'état actuel de la jurisprudence constitutionnelle, il n'a pas vocation à devenir un droit subjectif dont un individu pourrait exiger le respect vis-à-vis d'une personne physique ou morale, publique ou privée. L'on pourrait de ce point de vue établir un parallèle avec le traitement constitutionnel du droit à la

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protection de la santé (B. Mathieu, La protection du droit à la santé par le juge constitutionnel, Cah. Cons. const. 1999, n° 6, p. 59). La tentation sera forte de lire cette disposition comme formulant un droit subjectif. Cependant l'imprécision de la formulation et l'impossibilité matérielle de concrétisation complète de ce droit seraient source d'insécurité juridique. On relèvera, en ce sens, que le projet de « Constitution » pour l'Europe établit, en matière de droits fondamentaux, une distinction entre les droits et les principes, cette dernière catégorie étant assimilable aux objectifs constitutionnels. De ce point de vue la protection de l'environnement est un objectif de l'Union (art. I-3 ; II-97 et Préambule de la Charte des droits fondamentaux).

L'article 6 de la Charte traduit l'objectif constitutionnel de développement durable fixé par les considérants. En ce sens la protection et la mise en valeur de l'environnement doivent être conciliées avec le développement économique et social. On relèvera à ce titre que le développement économique accède au statut d'objectif constitutionnel, distinction qu'aucun texte ne lui reconnaissait expressément.

C'est en se fondant sur cet article 6 que le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, qu'il appartient au législateur d'opérer la conciliation des principes énoncés. Mais le Conseil vérifie la réalité de la prise en compte des exigences liées à la protection de l'environnement.

III. Des droits et devoirs subjectifs dont il appartient au législateur de fixer les conditions d'exercice

Il s'agit des droits à l'information et la participation à l'élaboration des décisions et du droit à réparation.

L'article 7 de la Charte reprend les principes de participation et d'information et les formules sous forme de droits subjectifs. Il s'agit d'abord d'un droit d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques.

La portée de ce droit à l'information fait l'objet de controverses. Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme a refusé de se fonder sur l'article 10 de la Convention relatif à la liberté d'expression, pour imposer aux Etats des obligations positives de collecte et de diffusion de l'information en matière d'environnement. Cependant, elle a indiqué que des atteintes graves à l'environnement peuvent nuire à la vie privée et familiale et que dans cette hypothèse pèse sur les pouvoirs publics une obligation de diffuser l'information (CEDH 19 février 1998, Guerra c/ Italie, RFDA 1999, p. 795, chron. H. Labayle et F. Sudre). Dans le même sens la Cour constitutionnelle

slovaque a évoqué le droit des citoyens d'obtenir des informations complètes en matière d'environnement (22 novembre 2001, BJC 2001, p. 563).

Dans la présente Charte, ce droit est limité par le fait qu'il ne vise pas les informations détenues par les personnes privées et qu'il ne s'étend pas au droit à recevoir ces informations en dehors d'une démarche volontaire. Surtout ce droit s'exerce dans les conditions et limites fixées par la loi.

Le deuxième droit reconnu par cet article est le droit à la participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Ce droit à participation à la décision s'inspire manifestement des pratiques de « démocratie délibérative ». Il s'agit d'une technique procédurale qui vise à faire intervenir les destinataires de la décision dans la détermination du contenu de cette décision. Il ne s'agit que d'une participation à l'élaboration des décisions et non d'une participation à la décision elle-même. Le principe doit être considéré comme ayant une portée essentiellement procédurale. L'exercice de ce droit est également soumis à l'intervention du législateur et au respect des limites qu'il lui appartient de fixer.

S'agissant du droit à réparation, si la Charte ne fait pas référence au principe pollueur-payeur, elle prescrit dans son article 2 un devoir : celui de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. La mise en oeuvre de ce devoir est d'autant plus incertaine que le droit constitutionnel français ne contient pas de devoirs, sauf celui de travailler, inscrit dans le Préambule de 1946. On peut cependant estimer que la formulation retenue par la Déclaration de 1789 selon laquelle la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui contient aussi le devoir de ne pas nuire à autrui. C'est en ce sens que le Conseil constitutionnel a érigé sur ce fondement le principe de responsabilité pour faute en exigence constitutionnelle. Telle pourrait être la portée de la formulation ici retenue. Cependant l'article 4 prive cette disposition d'effet direct, en prévoyant que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». Sur ce fondement, le législateur pourra établir toute forme de réparation, directe ou par la voie de taxes ou de prélèvements et justifier de l'élargissement du droit pénal de l'environnement, le caractère nécessaire des peines formulé par l'article 8 de la Déclaration de 1789 résultant de cette nouvelle exigence constitutionnelle.

On peut également observer que le principe de prévention, qui peut être source de responsabilité, est inscrit implicitement dans la Charte aux articles 2 et 3, ne porte pas seulement sur les personnes publiques.

On relèvera que ces droits et devoirs conditionnés par l'intervention du législateur sont la traduction des

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objectifs constitutionnels formulés par le texte. Ainsi le Conseil constitutionnel pourrait indirectement censurer une disposition législative pertinente qui, ne prévoyant ni droit à l'information, ni droit à la participation, ni mécanisme de prévention ou de réparation, ignorerait de ce fait les objectifs dont cette Charte est porteuse. Par ailleurs, la rédaction du Préambule de 1946, qui proclame que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », n'a pas empêché le Conseil constitutionnel de faire une application directe de ce principe en tant que principe constitutionnel.

IV. Un principe d'effet direct, le principe de précaution Le projet de Charte de l'environnement apporte une nouvelle définition du principe de précaution : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation du dommage ainsi qu'à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques encourus. » En vertu de ce texte, l'ensemble de la politique législative devra tenir compte de cette exigence. Dans ce cadre, le législateur n'est pas soumis à un quelconque « cliquet antiretour » qui lui interdirait de moduler les effets environnementaux de ses décisions. Cependant toute mesure législative devra tenir compte des impacts qu'elle peut avoir sur l'environnement et le législateur ne pourra se montrer moins protecteur qu'à condition d'invoquer un objectif d'intérêt général, il ne pourra pas non plus descendre en dessous d'un certain seuil de protection sauf à priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En ce sens, la Cour constitutionnelle hongroise a jugé qu'une réduction du niveau de protection de la nature assurée par les normes juridiques existantes n'est constitutionnelle que si elle est inévitablement nécessaire pour l'exercice d'un autre droit fondamental et à la condition qu'elle soit proportionnelle au but visé (décision 28/1994 du 20 mai 1994). En revanche, le législateur bénéficiera d'une liberté plus grande pour justifier d'atteintes à des exigences constitutionnelles (notamment droit de propriété, liberté d'entreprendre, liberté contractuelle...) dans le cadre d'une mise en oeuvre du principe de précaution. L'application du principe de précaution entraînera nécessairement un alourdissement des contraintes législatives pesant sur les entreprises et une grande prudence dans la délivrance d'autorisations d'activités potentiellement dangereuses. Le législateur pourrait également être soumis à l'obligation de ne pas supprimer ou affaiblir les mesures répressives qui existent ou qui seront prises afin de ne pas priver de garanties légales une exigence constitutionnelle. S'agissant de la responsabilité civile, la combinaison des exigences de

l'article 1382 du code civil, constitutionnalisées par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 22 octobre 1982, n° 82-144 DC), et de l'extension du champ de la faute que porte le principe de précaution est susceptible d'élargir considérablement les exigences constitutionnelles en la matière en restreignant la faculté pour le législateur d'établir des systèmes d'exonération ou de limitation de responsabilité. S'agissant du champ d'application du principe de précaution, l'article 5 vise exclusivement un dommage affectant l'environnement. Cependant la rédaction du texte présuppose la reconnaissance d'un principe général de précaution dont la portée n'est constitutionnellement définie que dans le domaine environnemental. Dans cette situation, l'effort serait faible, qui consisterait, pour le Conseil constitutionnel, à tirer du texte constitutionnel la reconnaissance d'un principe général de précaution susceptible de s'appliquer dans d'autres domaines. La démarche serait un peu similaire à celle qui a conduit le Conseil constitutionnel à tirer de la condamnation de l'asservissement et de la dégradation de la personne humaine opérée lors de la Seconde Guerre mondiale (Préambule de 1946), la reconnaissance du principe constitutionnel, de portée très générale, de dignité de la personne humaine (Cons. const. 27 juillet 1994, n° 94-343-344 DC, RFDA 1994, p. 1019, chron. B. Mathieu). L'extension de ce principe au domaine de la santé humaine pourrait, au surplus, s'appuyer sur l'article 1 du même projet de Charte qui lie la protection de l'environnement et celle de la santé. La Charte vise spécifiquement les autorités publiques. On relèvera que ce terme peut viser notamment le juge et le législateur, qui, dans l'exercice de leurs compétences, devront respecter les exigences relatives à ce principe. Ainsi le Conseil constitutionnel devra veiller non seulement à ce que la loi mette en oeuvre des procédures propres à assurer le respect du principe de précaution, mais encore qu'il soit lui-même précautionneux dans la délivrance d'autorisations générales. Le risque est, de ce point de vue, que le juge constitutionnel soit incité à renforcer le contrôle de l'opportunité, au travers du contrôle de proportionnalité, de certaines dispositions législatives. En effet, quels que soient la prévisibilité et le degré du risque, la décision est prise au regard des bénéfices potentiels ou établis qui en constituent la contrepartie. Tout est alors échelle de valeurs (une meilleure alimentation de populations défavorisées au risque de la santé ou la vie d'un individu) ou de choix collectifs (la préservation de sites naturels ou de la biodiversité ou une agriculture plus efficace et donc plus rentable...). Le choix est essentiellement politique. Si cette considération ne résulte pas directement de l'article 5 de la Charte, elle est directement prise en compte par l'article 6 qui indique que « les politiques publiques [...] prennent en compte la protection et la mise en valeur de l'environnement et les concilient avec le développement économique et social ».

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Si l'on examine la portée constitutionnelle de ce principe, on peut observer que la Cour d'arbitrage belge a avalisé une attitude prudente du législateur. Elle a ainsi considéré que, « bien qu'il n'y ait aucune unanimité au sein du monde scientifique pour reconnaître la nocivité particulière du PVC pour l'environnement, le législateur a pu raisonnablement considérer sur la base de données qui lui sont connues que les récipients en PVC entraînent davantage de problèmes d'environnement que d'autres récipients ». (Cour d'arbitrage belge 7/95 du 2 février 1995). La même Cour a également admis que le législateur prononce le démantèlement d'une exploitation du gravier en considérant qu'« à supposer que le débat relatif à l'environnement aboutisse plus tard à une révision des conclusions actuelles, il lui sera toujours loisible de revenir sur cette mesure au lieu de la poursuite de l'exploitation des gravières au risque de conduire à des dégradations irréversibles » (Cour

d'arbitrage belge 35/95 du 25 avril 1995). La question essentielle est de savoir si le Conseil constitutionnel choisira de traiter le principe de précaution comme constitutif d'obligations procédurales ou d'obligations substantielles. L'analyse de la jurisprudence administrative française comme celle de la Cour de justice des communautés européennes, qui n'opèrent qu'un contrôle restreint des mesures prises sur la base d'obligations textuelles similaires, pourrait l'inciter à s'inscrire dans la première logique. Ainsi le principe de précaution doit essentiellement s'analyser comme faisant peser sur le législateur une obligation de s'informer sur les incertitudes scientifiques qui entourent les décisions qu'il prend et prévoir des procédures pertinentes s'agissant des décisions prises par les autres autorités publiques. (…)

Doc. n° 11 : CE, 19 juin 2006, Association eau et rivières de Bretagne

[…] Sur la légalité interne :

Considérant que, lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en oeuvre des principes énoncés aux articles 1, 2 et 6 de la Charte de l'environnement de 2004, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, la légalité des décisions administratives s'apprécie par rapport à ces dispositions, sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la charte de l'environnement, quelles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de cette charte ; qu'ainsi la légalité de l'arrêté attaqué doit être appréciée au regard des dispositions du code de l'environnement qui imposent aux installations classées des sujétions destinées notamment à la protection de l'eau ;

Considérant que l'arrêté attaqué fixe des règles techniques communes auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles ou de gibier à plumes et de porcs soumis à autorisation au titre de la réglementation des installations classées, et qui faisaient auparavant l'objet de trois arrêtés différents ; que l'article 16 de l'arrêté attaqué prévoit notamment que la distance d'isolement minimale entre habitations et zones d'épandage par injection directe dans le sol, est fixée à 15 mètres, alors que la

réglementation antérieure ne prévoyait pas une telle modalité d'épandage ; que le 4°) de l'article 18 de l'arrêté attaqué maintient la distance d'isolement des berges des cours d'eau à 35 mètres, et porte cette distance à 10 mètres si une bande de 10 mètres enherbée ou boisée et ne recevant aucun intrant est implantée de façon permanente, ce qui constitue également un nouveau cas de figure et non une réduction de la distance d'isolement par rapport au droit antérieurement applicable ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en relevant ces distances pour la technique d'épandage par injection directe dans le sol ou lors de la mise en place de bandes enherbés ou boisées, l'arrêté ministériel attaqué ait commis une erreur manifeste d'appréciation ; que l'article L. 211-1 du code de l'environnement, applicable aux installations classées, pose un principe de gestion équilibrée de l'eau, qui doit permettre de concilier différentes exigences, dont celle de l'agriculture ; qu'ainsi la disposition critiquée de l'arrêté n'est pas contraire à cet article ; que les obligations posées par la directive 2000/60 CE, du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire de protection des eaux, ne trouvent pas à s'appliquer dans la matière régie par l'arrêté attaqué et ne peuvent donc être utilement invoquée à son encontre ;

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Considérant que le 4°) de l'article 18 de l'arrêté attaqué maintient une distance de 200 mètres en ce qui concerne la distance d'isolement avec les lieux de baignade, et confie au préfet la possibilité de réduire cette distance à 50 mètres pour l'épandage de composts réalisés conformément aux prescriptions de l'article 17 ; que cette disposition a été légalement édictée sur le fondement de l'article L. 512-5 du code de l'environnement, en vertu duquel les arrêtés du ministre fixent également les conditions dans lesquelles certaines de ces règles peuvent être adaptées aux circonstances locales par l'arrêté préfectoral d'autorisation ;

Considérant, en revanche, que les articles 4 et 18 de l'arrêté attaqué fixent à 500 mètres, sauf dérogation liée à la topographie et prévue par l'arrêté d'autorisation, les distances d'implantation des bâtiments d'élevage et d'isolement des épandages, en amont des piscicultures mentionnées à la rubrique 2130 de la nomenclature des installations classées ; que ces dispositions ont pour effet de supprimer les distances en cause dans le cas des piscicultures qui ne sont pas soumises à la réglementation des installations classées, ou de les porter de 500 mètres à 35 voire 10 mètres, lorsqu'elles sont assimilables aux berges de cours d'eau, qui bénéficient de distances d'isolement particulières ainsi qu'il a été dit plus haut ; qu'en supprimant toute distance particulière d'implantation des bâtiments d'élevage et d'isolement des épandages dans le cas des piscicultures ne relevant pas de la nomenclature des installations classées, l'arrêté attaqué n'assure pas la protection des intérêts mentionnés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; que les requérants sont ainsi fondés à demander l'annulation de l'arrêté dans cette mesure ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante et les associations

intervenantes ne sont fondées à demander l'annulation de l'arrêté attaqué qu'en tant qu'il exclut au 4ème alinéa du 1. de son article 4 et au 3ème alinéa du 4. de son article 18 les piscicultures qui ne sont pas concernées par la rubrique 2130 de la nomenclature des installations classées ;

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros que demande l'association EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

-------------- Article 1er : L'intervention de l'association de défense des eaux et des vallées et de l'association Sources et rivières du Limousin est admise.

Article 2 : Le 4ème alinéa du 1. de l'article 4 et le 3ème alinéa du 4. de l'article 18 de l'arrêté du 7 février 2005 du ministre de l'écologie et du développement durable sont annulés en ce qu'ils comportent les mots « soumises à autorisation ou déclaration sous la rubrique 2130 de la nomenclature des installations classées ».

Article 3 : L'Etat versera à l'association EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE, au ministre de l'écologie et du développement durable, à l'association de défense des eaux et des vallées et à l'association Sources et rivières du Limousin.

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Doc. n° 12 : CC, 19 juin 2008, Loi relative aux OGM, n° 2008-564 DC

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Vu la Constitution et en particulier la Charte de l’environnement de 2004 ; Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu la directive 90/219/CEE du Conseil du 23 avril 1990 modifiée relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés ; Vu la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 modifiée relative à la dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil ; Vu le règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés ; Vu les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes n° C-429/01 du 27 novembre 2003 et n° C-419/03 du 15 juillet 2004 ; Vu le code civil ; Vu le code de l’environnement ; Vu le code pénal ; Vu le code rural ; Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 2 juin 2008 ; Vu les observations en réplique des députés requérants, enregistrées le 9 juin 2008 ; Le rapporteur ayant été entendu ; 1. Considérant que les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la

loi relative aux organismes génétiquement modifiés ; qu’ils contestent la régularité de sa procédure d’adoption ainsi que la conformité à la Constitution de ses articles 2, 3, 6, 7, 8, 10, 11 et 14 ; (…) - SUR LES ARTICLES 2, 3 ET 6 : 15. Considérant que l’article 2 de la loi déférée insère, dans le code de l’environnement, un article L. 531-2-1 portant sur les principes généraux relatifs au recours aux organismes génétiquement modifiés ; que l’article 3 modifie les articles L. 531-3 à L. 531-5 de ce même code, et y insère un article L. 531-4-1, relatifs au Haut conseil des biotechnologies ; que l’article 6 introduit, dans le code rural, les articles L. 663-2 et L. 663-3 relatifs aux conditions techniques visant à éviter la présence accidentelle d’organismes génétiquement modifiés dans d’autres productions ; 16. Considérant que, selon les auteurs des saisines, le deuxième alinéa de l’article 2 de la loi déférée, ainsi que ses articles 3 et 6, dénaturent le sens et la portée du principe de précaution ; qu’en outre, le deuxième alinéa de cet article 2 méconnaîtrait l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi et serait entaché d’incompétence négative ; qu’enfin le cinquième alinéa de ce même article ne respecterait pas l’exigence constitutionnelle de transposition des directives ; . En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de précaution : 17. Considérant que, selon les requérants, les dispositions des articles 2 et 6 de la loi se limitent à prévenir le seul risque de dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans les cultures voisines et à en réparer les conséquences économiques, sans exiger le respect de conditions techniques propres à assurer plus spécifiquement la préservation de l’environnement ; qu’en outre, la définition imprécise des pouvoirs du Haut conseil des biotechnologies par l’article 3 de la loi manifesterait la carence du législateur dans la définition des exigences procédurales résultant

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du principe de précaution ; que, dès lors, au regard du « risque... grave et irréversible » que présenterait pour l’environnement la culture d’organismes génétiquement modifiés, la loi ne parerait pas à la réalisation d’un dommage éventuel à l’environnement et, partant, méconnaîtrait le principe de précaution imposé par l’article 5 de la Charte de l’environnement ; 18. Considérant qu’aux termes de l’article 5 de la Charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par l’application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » ; que ces dispositions, comme l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, ont valeur constitutionnelle ; qu’elles s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif ; que, dès lors, il incombe au Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 61 de la Constitution, de s’assurer que le législateur n’a pas méconnu le principe de précaution et a pris des mesures propres à garantir son respect par les autres autorités publiques ; 19. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 531-2-1 inséré dans le code de l’environnement par l’article 2 de la loi déférée : « Les organismes génétiquement modifiés ne peuvent être cultivés, commercialisés ou utilisés que dans le respect de l’environnement et de la santé publique, des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées “sans organismes génétiquement modifiés”, et en toute transparence. La définition du “sans organismes génétiquement modifiés” se comprend nécessairement par référence à la définition communautaire. Dans l’attente d’une définition au niveau européen, le seuil correspondant est fixé par voie réglementaire, sur avis du Haut conseil des biotechnologies, espèce par espèce » ; 20. Considérant qu’aux termes de l’article L. 663-2 du code rural, tel qu’il résulte de l’article 6 de la loi déférée : « La mise en culture, la récolte, le stockage et le transport des végétaux autorisés au titre de l’article L. 533-5 du code de

l’environnement ou en vertu de la réglementation communautaire sont soumis au respect de conditions techniques notamment relatives aux distances entre cultures ou à leur isolement, visant à éviter la présence accidentelle d’organismes génétiquement modifiés dans d’autres productions... - Les conditions techniques relatives aux distances sont fixées par nature de culture. Elles définissent les périmètres au sein desquels ne sont pas pratiquées de cultures d’organismes génétiquement modifiés. Elles doivent permettre que la présence accidentelle d’organismes génétiquement modifiés dans d’autres productions soit inférieure au seuil établi par la réglementation communautaire » ; 21. Considérant, d’une part, que ces dispositions fixent les principes qui encadrent les conditions techniques d’introduction dans l’environnement de végétaux génétiquement modifiés après qu’ils ont été légalement autorisés ; qu’il ressort des articles L. 533-2, L. 533-3 et L. 533-5 du code de l’environnement, tels qu’ils sont modifiés par la loi déférée, que « toute introduction intentionnelle dans l’environnement d’un organisme génétiquement modifié, pour laquelle aucune mesure de confinement particulière n’est prise pour en limiter le contact avec les personnes et l’environnement », est soumise à un régime d’autorisation préalable ; que cette autorisation est délivrée par l’autorité administrative préalablement soit à une dissémination volontaire qui n’est pas destinée à la mise sur le marché, soit à la mise sur le marché du produit génétiquement modifié ; qu’elle est donnée après avis du Haut conseil des biotechnologies « qui examine les risques que peut présenter la dissémination pour l’environnement » ; qu’en outre, l’article L. 532-2 impose que toute utilisation d’organisme génétiquement modifié qui peut présenter des dangers ou des inconvénients pour l’environnement soit réalisée de façon confinée ; que ces dispositions ont pour objet d’interdire la culture en plein champ d’organismes génétiquement modifiés qui, en l’état des connaissances et des techniques, pourraient affecter de manière grave et irréversible l’environnement ; que, dès lors, le fait que les conditions techniques auxquelles sont soumises les cultures d’organismes génétiquement modifiés autorisés n’excluent pas la présence accidentelle de tels organismes dans d’autres productions, ne constitue pas une méconnaissance du principe de précaution ;

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22. Considérant, d’autre part, que l’article 3 de la loi institue le Haut conseil des biotechnologies chargé d’éclairer le Gouvernement sur toutes questions intéressant les organismes génétiquement modifiés ou toute autre biotechnologie et de formuler des avis en matière d’évaluation des risques pour l’environnement et la santé publique que peut présenter le recours aux organismes génétiquement modifiés ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’article L. 531-3 du code de l’environnement ne se limite pas à prévoir que cet organisme consultatif peut se saisir d’office de toute question concernant son domaine de compétence, mais qu’il énumère précisément les cas dans lesquels l’avis du Haut conseil doit être recueilli et organise ses attributions ; qu’en outre, le deuxième alinéa de l’article L. 531-2-1 du code de l’environnement prévoit que « les décisions d’autorisation concernant les organismes génétiquement modifiés ne peuvent intervenir qu’après une évaluation préalable indépendante et transparente des risques pour l’environnement et la santé publique... assurée par une expertise collective menée selon des principes de compétence, pluralité, transparence et impartialité » ; que les dispositions de l’article 9 de la loi instituent les conditions d’une surveillance continue, par l’autorité administrative, de l’état sanitaire et phytosanitaire des végétaux et de l’apparition éventuelle d’effets non intentionnels des pratiques agricoles sur l’environnement ; qu’il ressort enfin des articles L. 533-3-1 et L. 533-8 du code de l’environnement qu’en cas de découverte de risques pour l’environnement, postérieurement à une autorisation, l’autorité administrative peut prendre les mesures appropriées allant jusqu’à la suspension ; que, par l’ensemble de ces dispositions, le législateur a pris des mesures propres à garantir le respect, par les autorités publiques, du principe de précaution à l’égard des organismes génétiquement modifiés ; 23. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les dispositions des articles 2, 3 et 6 de la loi déférée ne méconnaissent pas l’article 5 de la Charte de l’environnement ; . En ce qui concerne les griefs tirés de l’incompétence négative et de la méconnaissance de l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi :

24. Considérant que les requérants soutiennent qu’en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir la notion du « sans organismes génétiquement modifiés », le premier alinéa de l’article L. 531-2-1 précité du code de l’environnement n’est pas conforme à l’article 34 de la Constitution ; qu’en outre, cet alinéa méconnaîtrait l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ; 25. Considérant, d’une part, qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu’il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ; 26. Considérant, d’autre part, qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux « de la préservation de l’environnement » ; 27. Considérant qu’en adoptant les dispositions précitées, le législateur a entendu permettre la coexistence des cultures génétiquement modifiées et des cultures traditionnelles ou biologiques ; qu’à cet effet, il a décidé d’instituer des seuils de présence fortuite ou techniquement inévitable de traces d’organismes génétiquement modifiés autorisés, en deçà desquels les produits ne seront pas regardés comme génétiquement modifiés ; 28. Considérant qu’il ressort des travaux parlementaires qu’en faisant référence à la « définition communautaire », le législateur a entendu qu’en l’état actuel du droit, le pouvoir réglementaire prenne en considération, sans être tenu de le retenir, le seuil d’étiquetage fixé par les articles 12 et 24 du règlement 1829/2003 susvisé et par l’article 21 de la directive 2001/18/CE lorsque la présence d’organismes génétiquement modifiés autorisés est fortuite ou techniquement inévitable ; qu’ainsi, le législateur a fixé une limite

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au seuil de tolérance de présence fortuite ou techniquement inévitable de traces d’organismes génétiquement modifiés ; qu’il a exigé que les seuils soient fixés espèce par espèce, sur avis du Haut conseil des biotechnologies ; qu’il a imposé que cette fixation respecte « la liberté de consommer et de produire avec ou sans organismes génétiquement modifiés, sans que cela nuise à l’intégrité de l’environnement et à la spécificité des cultures traditionnelles et de qualité » ; 29. Considérant qu’en encadrant ainsi le renvoi à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer les seuils susmentionnés et en faisant référence au droit communautaire, le législateur n’a ni méconnu l’étendue de sa compétence ni porté atteinte à l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ; . En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l’exigence constitutionnelle de transposition des directives : 30. Considérant qu’aux termes du quatrième alinéa de l’article L. 531-2-1 du code de l’environnement, résultant du cinquième alinéa de l’article 2 de la loi déférée : « Les conclusions de toutes les études et tests réalisés dans ces laboratoires sont mises à la disposition du public sans nuire à la protection des intérêts énumérés aux I de l’article L. 124-4 et II de l’article L. 124-5 et à la protection de la propriété intellectuelle lorsque l’organisme génétiquement modifié ne fait pas encore l’objet d’une protection juridique à ce titre » ; 31. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, ces dispositions n’ont pas pour objet d’assurer la transposition de la directive 2001/18/CE ; que, par suite, le grief tiré de leur incompatibilité manifeste avec cette directive doit être rejeté ; - SUR L’ARTICLE 7 : 32. Considérant que l’article 7 de la loi déférée insère, dans le code rural, un article L. 671-15 dont le 3° réprime de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 EUR d’amende le fait de détruire ou de dégrader une culture autorisée en application des articles L. 533-5 et L. 533-6 du code de l’environnement ; que le cinquième alinéa de cet article L. 671-15 porte le maximum de la peine à trois ans

d’emprisonnement et 150 000 EUR d’amende lorsque la culture détruite a été autorisée en application de l’article L. 533-3 du même code ; 33. Considérant que, selon les requérants, d’une part, les peines encourues pour ce délit sont manifestement disproportionnées au regard des infractions commises, en particulier compte tenu de l’absence d’exigence d’élément moral qui permet l’application de ces incriminations à des destructions accidentelles ; que, d’autre part, elles introduiraient une différence non justifiée par rapport au délit de destruction du bien d’autrui prévu par le code pénal ; que, dès lors, elles méconnaîtraient tant le principe de nécessité des peines que le principe d’égalité devant la loi pénale ; 34. Considérant que l’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires... » ; qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » ; que l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ; que, dès lors, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue ; 35. Considérant, en premier lieu, qu’en l’absence de précision sur l’élément moral de l’infraction, le principe énoncé à l’article 121-3 du code pénal selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre s’applique de plein droit ; que, dès lors, ne pourront être condamnées pour le délit prévu au 3° de l’article L. 671-15 du code rural que les personnes qui ont agi volontairement et dans la connaissance que des organismes génétiquement modifiés étaient cultivés sur les parcelles en cause ; 36. Considérant, en second lieu, qu’il ressort des travaux parlementaires que le législateur a entendu, par la création d’un délit spécifique, répondre à des destructions répétées de cultures d’organismes génétiquement modifiés autorisés et, ainsi, assurer, par une peine dissuasive, la

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protection de ces cultures, en particulier celles consacrées à la recherche ; qu’en outre, la création d’un registre national rendant publiques la nature et la localisation des parcelles où sont cultivés des organismes génétiquement modifiés augmente le risque de destruction volontaire de ces cultures ; que, dans ces conditions, les peines d’emprisonnement établies par l’article L. 671-15 du code rural, qui, d’ailleurs, n’excèdent pas celles encourues, en application des articles 322?2 et 322-3 du code pénal, en cas de délit de destructions, dégradations et détériorations aggravées du bien d’autrui, et les peines d’amende instituées par ce même article, au demeurant comparables à celles prévues par les articles L. 536-3 à L. 536-7 du code de l’environnement pour les délits commis en matière de dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés, ne méconnaissent ni le principe de nécessité des peines ni le principe d’égalité devant la loi pénale ; - SUR L’ARTICLE 8 : 37. Considérant que l’article 8 de la loi déférée introduit dans le code rural les articles L. 663-4 et L. 663-5 qui instituent un régime de responsabilité de plein droit de tout exploitant agricole mettant en culture un organisme génétiquement modifié dont la mise sur le marché est autorisée, pour le préjudice économique résultant de la présence accidentelle de cet organisme génétiquement modifié dans la production d’un autre exploitant agricole ; qu’aux termes des alinéas 2 à 4 de l’article L. 663-4 du code rural, cette responsabilité est engagée lorsque sont réunies les conditions suivantes : « 1° Le produit de la récolte dans laquelle la présence de l’organisme génétiquement modifié est constatée est issu d’une parcelle ou d’une ruche située à proximité d’une parcelle sur laquelle est cultivé cet organisme génétiquement modifié et a été obtenu au cours de la même campagne de production ; « 2° Il était initialement destiné soit à être vendu en tant que produit non soumis à l’obligation d’étiquetage mentionnée au 3°, soit à être utilisé pour l’élaboration d’un tel produit ; « 3° Son étiquetage est rendu obligatoire en application des dispositions communautaires

relatives à l’étiquetage des produits contenant des organismes génétiquement modifiés » ; 38. Considérant que, selon les requérants, ce régime d’indemnisation des exploitants cultivant sans organisme génétiquement modifié « en cas de contamination de leur production », qui est soumis à des conditions « manifestement trop restrictives » et est fondé sur « la seule dépréciation du produit contaminé en raison d’une différence de prix » méconnaît la liberté d’entreprendre de ces exploitants et n’assure pas la réparation de l’atteinte à leur droit de propriété ; 39. Considérant que l’article L. 663-5 du code rural, tel qu’il résulte de la loi déférée, prévoit que les dispositions de l’article L. 663-4 du même code ne font pas obstacle à la mise en cause « de la responsabilité des exploitants mettant en culture un organisme génétiquement modifié, des distributeurs et des détenteurs de l’autorisation de mise sur le marché et du certificat d’obtention végétale » sur tout autre fondement que le préjudice constitué par la dépréciation du produit de la récolte ; que ces dispositions, qui simplifient l’indemnisation d’un préjudice économique, ne limitent pas le droit des exploitants agricoles ayant subi un dommage d’en demander la réparation sur un autre fondement juridique, indépendamment des conditions prévues par l’article L. 663-4 précité, ou pour d’autres chefs de préjudice ; que, dès lors, ces dispositions n’apportent aucune limitation au principe de responsabilité qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 et n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté d’entreprendre ou au droit de propriété ; - SUR L’ARTICLE 10 : 40. Considérant que l’article 10 de la loi déférée insère dans le code rural un article L. 663-1 dont le dernier alinéa est ainsi rédigé : « L’autorité administrative établit un registre national indiquant la nature et la localisation des parcelles culturales d’organismes génétiquement modifiés. Les préfectures assurent la publicité de ce registre par tous moyens appropriés, notamment sa mise en ligne sur l’internet » ; 41. Considérant que les sénateurs requérants font valoir qu’en créant un registre national ne comportant pas « les informations relatives aux études et tests préalablement effectués sur les

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OGM concernés », le législateur n’a pas assuré la correcte transposition de la directive 2001/18/CE et a donc méconnu l’article 88-1 de la Constitution ; que les députés requérants soutiennent que, pour le même motif, le législateur a violé l’article 7 de la Charte de l’environnement ; . En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l’exigence de transposition des directives : 42. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences » ; qu’ainsi, la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle ; 43. Considérant qu’il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l’article 61 de la Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu’il exerce à cet effet est soumis à une double limite ; 44. Considérant, en premier lieu, que la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; 45. Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu’il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer ; qu’en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ; 46. Considérant que l’article 31, paragraphe 3, de la directive 2001/18/CE exige des États

membres qu’ils établissent des registres destinés à recenser et à rendre publique la localisation de la dissémination des organismes génétiquement modifiés, opérée au titre de la recherche ou de la mise sur le marché, sans exiger que ces registres comportent des informations relatives aux études et tests préalablement réalisés sur ces organismes génétiquement modifiés ; 47. Considérant qu’il s’ensuit que la disposition contestée qui institue, sur le plan national, un tel registre en vue de le rendre public n’est pas manifestement incompatible avec la directive 2001/18/CE et n’est dès lors pas contraire à l’article 88-1 de la Constitution ; . En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement : 48. Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » ; 49. Considérant que ces dispositions, comme l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, ont valeur constitutionnelle ; qu’il ressort de leurs termes mêmes qu’il n’appartient qu’au législateur de préciser « les conditions et les limites » dans lesquelles doit s’exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques ; que ne relèvent du pouvoir réglementaire que les mesures d’application des conditions et limites fixées par le législateur ; 50. Considérant que les avis du Haut conseil des biotechnologies sur chaque demande d’autorisation en vue de la dissémination d’organismes génétiquement modifiés sont publics, conformément aux articles L. 531-3 et L. 531-4 du code de l’environnement ; que le registre national indiquant la nature et la localisation des parcelles culturales d’organismes génétiquement modifiés est accessible au public ; que, par suite, en ne prévoyant pas que ce registre devrait comporter les informations relatives aux études et tests préalablement réalisés sur les organismes génétiquement modifiés autorisés, le législateur n’a pas dénaturé

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le principe du droit à l’information qu’il lui appartient de mettre en œuvre ; - SUR L’ARTICLE 11 : 51. Considérant que le I de l’article 11 de la loi déférée modifie l’article L. 532-4 du code de l’environnement ; que son II y insère un article L. 532-4-1 ; que son III modifie son article L. 535-3 ; que le I et le II ont trait au contenu des dossiers constitués par l’exploitant et mis à la disposition du public dans le cadre de la procédure d’agrément pour l’utilisation confinée d’organismes génétiquement modifiés ; que le III, applicable à l’introduction d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement à des fins de recherche ou de mise sur le marché, a trait à la protection du secret des informations confidentielles ou affectant les droits de la propriété intellectuelle ; que le troisième alinéa de l’article L. 532-4-1 et le second alinéa du II de l’article L. 535-3, tels qu’ils résultent des neuvième et treizième alinéas de l’article 11, disposent, dans les deux cas, que : « La liste des informations qui ne peuvent en aucun cas rester confidentielles est fixée par décret en Conseil d’État » ; 52. Considérant que les sénateurs requérants font valoir qu’en créant une clause de confidentialité au bénéfice des exploitants d’organismes génétiquement modifiés et en renvoyant à un décret en Conseil d’État le soin de fixer « la liste des informations qui ne peuvent en aucun cas rester confidentielles », l’article 11 « n’assure pas une correcte transposition de la directive en ce qu’il contrevient à l’objectif général de celle-ci qu’est l’information et la consultation permanentes du public » ; que les députés requérants soutiennent, quant à eux, que le législateur n’a pas exercé une compétence qui lui est confiée par l’article 7 de la Charte de l’environnement ; . En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l’exigence de transposition des directives : 53. Considérant que, si la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle, il ressort de la Constitution et notamment de son article 88-4 que cette exigence n’a pas pour effet de porter atteinte à la répartition des matières entre le domaine de la loi et celui du règlement telle qu’elle est déterminée par la Constitution ;

54. Considérant que l’article L. 535-3 modifié du code de l’environnement se borne à reprendre les dispositions de l’article 25 de la directive 2001/18/CE à l’exception de celles de son paragraphe 4 ; 55. Considérant que le renvoi au décret en Conseil d’État opéré par le législateur pour fixer la liste des informations qui ne peuvent en aucun cas rester confidentielles ne peut être regardé, par lui-même, comme ayant manifestement méconnu la directive 2001/18/CE et, par suite, comme n’ayant pas respecté l’article 88-1 de la Constitution ; . En ce qui concerne le grief tiré de l’incompétence négative : 56. Considérant qu’en vertu de l’article 7 de la Charte de l’environnement, le droit de toute personne d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques s’exerce « dans les conditions et les limites définies par la loi » ; qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » et « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » ; qu’elle détermine les principes fondamentaux « de la préservation de l’environnement » ; 57. Considérant qu’en se bornant à renvoyer de manière générale au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des informations qui ne peuvent en aucun cas demeurer confidentielles, le législateur a, eu égard à l’atteinte portée aux secrets protégés, méconnu l’étendue de sa compétence ; que, dès lors, le renvoi au décret en Conseil d’État opéré par le troisième alinéa de l’article L. 532-4-1 et le second alinéa du II de l’article L. 535-3 , tels qu’ils résultent des neuvième et treizième alinéas de l’article 11 de la loi déférée, est contraire à la Constitution ; . En ce qui concerne les conséquences de l’inconstitutionnalité des dispositions déférées : 58. Considérant que la détermination des informations qui ne peuvent en aucun cas être considérées comme confidentielles est exigée, en matière d’utilisation confinée d’organismes génétiquement modifiés, par l’article 19 de la

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directive 90/219/CE susvisée et, en matière de dissémination volontaire de tels organismes, par l’article 25 de la directive 2001/18/CE ; que, par suite, l’établissement des listes énumérant ces informations découle de l’exigence constitutionnelle de transposition en droit interne des directives communautaires ; que la déclaration immédiate d’inconstitutionnalité des dispositions contestées serait de nature à méconnaître une telle exigence et à entraîner des conséquences manifestement excessives ; que, dès lors, afin de permettre au législateur de procéder à la correction de l’incompétence négative constatée, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2009 les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité ; (…) D É C I D E : Article premier.- Sont déclarés contraires à la Constitution, à compter du 1er janvier 2009, le troisième alinéa de l’article L. 532-4-1 et le

second alinéa du II de l’article L. 535-3 du code de l’environnement, tels qu’ils résultent des neuvième et treizième alinéas de l’article 11 de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés. Article 2.- Les articles 2, 3, 6, 7, 8, 10 et 14, ainsi que le surplus de l’article 11 de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés ne sont pas contraires à la Constitution. Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française. Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 juin 2008, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Guy CANIVET, Jacques CHIRAC, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE et Valéry GISCARD d’ESTAING, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER et M. Pierre STEINMETZ.

Doc. n° 13 : CE Ass., 3 octobre 2008, Commune d’Annecy

Conseil d'État Assemblée

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 4 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la COMMUNE D'ANNECY, représentée par son maire ; la COMMUNE D'ANNECY demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler le décret n° 2006-993 du 1er août 2006 relatif aux lacs de montagne pris pour l'application de l'article L. 145-1 du code de l'urbanisme ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 12 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Constitution, notamment son Préambule et l'article 34 ; Vu le code de l'environnement ; Vu le code de l'urbanisme ; Vu le code de justice administrative ; […]

Considérant que le décret du 1er août 2006, pris pour l'application de l'article L. 145-1 du code de l'urbanisme, issu de l'article 187 de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, introduit de nouvelles dispositions dans la partie réglementaire du code de l'urbanisme, relatives à la « délimitation, autour des lacs de montagne, des champs d'application respectifs des dispositions particulières à la montagne et des dispositions particulières au littoral », aux termes desquelles : « (...) Article R. 145-11. - La délimitation du champ d'application, autour des lacs de montagne de plus de mille hectares, des dispositions du présent chapitre et des dispositions particulières au littoral figurant au chapitre VI du présent titre est effectuée soit à l'initiative de l'Etat, soit à l'initiative concordante des communes riveraines du lac. / Article R. 145-12. - I. - Lorsque la délimitation est effectuée à l'initiative de l'Etat, le préfet adresse aux communes riveraines du lac un dossier comprenant : / a) Un plan de délimitation portant sur l'ensemble du lac ; / b) Une notice exposant les raisons, tenant au relief, à la

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configuration des lieux, bâtis et non bâtis, à la visibilité depuis le lac, à la préservation sur ses rives des équilibres économiques et écologiques ainsi qu'à la qualité des sites et des paysages, pour lesquelles la délimitation proposée a été retenue. / L'avis des communes est réputé émis si le conseil municipal ne s'est pas prononcé dans le délai de deux mois à compter de l'envoi du projet au maire. / II. - Lorsque la délimitation est effectuée à l'initiative des communes, celles-ci adressent au préfet le dossier prévu au I du présent article, accompagné de la délibération de chaque conseil municipal. / Article R. 145-13. - Le dossier, accompagné des avis ou propositions des conseils municipaux, est soumis à enquête publique par le préfet dans les conditions prévues par les articles R. 123-7 à R. 123-23 du code de l'environnement. / A l'issue de l'enquête publique, le préfet adresse au ministre chargé de l'urbanisme le dossier de délimitation ainsi que le rapport du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête et une copie des registres de l'enquête. / Article R. 145-14. - Le décret en Conseil d'Etat approuvant la délimitation est publié au Journal officiel de la République française. Il est tenu à la disposition du public à la préfecture et à la mairie de chacune des communes riveraines du lac. Il est affiché pendant un mois à la mairie de chacune de ces communes. » ; Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ; Considérant que l'article 34 de la Constitution prévoit, dans la rédaction que lui a donnée la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que « la loi détermine les principes fondamentaux (...) de la préservation de l'environnement » ; qu'il est spécifié à l'article 7 de la Charte de l'environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la même loi constitutionnelle que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. » ; que ces dernières dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, et à l'instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ; Considérant que les dispositions précitées, issues de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, ont

réservé au législateur le soin de préciser « les conditions et les limites » dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ; qu'en conséquence, ne relèvent du pouvoir réglementaire, depuis leur entrée en vigueur, que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur ; que, toutefois, les dispositions compétemment prises dans le domaine réglementaire, tel qu'il était déterminé antérieurement, demeurent applicables postérieurement à l'entrée en vigueur de ces nouvelles normes, alors même qu'elles seraient intervenues dans un domaine désormais réservé à la loi ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, depuis la date d'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, une disposition réglementaire ne peut intervenir dans le champ d'application de l'article 7 de la Charte de l'environnement que pour l'application de dispositions législatives, notamment parmi celles qui figurent dans le code de l'environnement et le code de l'urbanisme, que celles-ci soient postérieures à cette date ou antérieures, sous réserve, alors, qu'elles ne soient pas incompatibles avec les exigences de la Charte ; Considérant, d'une part, que l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui se borne à énoncer des principes dont la portée a vocation à être définie dans le cadre d'autres lois, ne saurait être regardé comme déterminant les conditions et limites requises par l'article 7 de la Charte de l'environnement ; Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 145-1 du code de l'urbanisme : « (...) Autour des lacs de montagne d'une superficie supérieure à 1 000 hectares, un décret en Conseil d'Etat délimite, après avis ou sur proposition des communes riveraines, en tenant notamment compte du relief, un secteur dans lequel les dispositions particulières au littoral figurant au chapitre VI du présent titre s'appliquent seules. Ce secteur ne peut pas réduire la bande littorale de 100 mètres définie au III de l'article L. 146-4. Dans les autres secteurs des communes riveraines du lac et situées dans les zones de montagne mentionnées au premier alinéa, les dispositions particulières à la montagne figurant au présent chapitre s'appliquent seules. » ; que ces dispositions n'avaient pas pour objet de déterminer les conditions et limites d'application

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des principes d'accès aux informations et de participation du public s'imposant au pouvoir réglementaire pour la délimitation des zones concernées ; qu'en l'absence de la fixation par le législateur de ces conditions et limites, le décret attaqué du 1er août 2006, dont les dispositions, qui prévoient, outre la mise en oeuvre d'une enquête publique, des modalités d'information et de publicité, concourent de manière indivisible à l'établissement d'une procédure de consultation et de participation qui entre dans le champ d'application de l'article 7 de la Charte de l'environnement, a été pris par une autorité incompétente ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE D'ANNECY est fondée à demander l'annulation du décret attaqué ; Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à la COMMUNE D'ANNECY d'une somme de 3 000 euros au titre des frais engagés par elle et non compris dans les dépens ; DECIDE : Article 1er : Le décret du 1er août 2006 est annulé. Article 2 : L'Etat versera à la COMMUNE D'ANNECY une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE D'ANNECY, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire

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