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1 FICHES DE PRESENTATION. -Version en langue française. - Filière : Relations Internationales et Stratégie Sujet du mémoire : L’externalisation du Bâtiment Travaux Publics et de l’intendance du combattant par l’armée américaine en opérations extérieures de 1990 à 2009. Grade, nom, prénom du rédacteur : Sous-Lieutenant SIMON Gaëtan Directeur de mémoire : M. Pierre DRAI Jury : Date de soutenance: Résumé du mémoire : Les États-Unis, après la Seconde Guerre Mondiale ont développé aux côtés de leur armée un puissant complexe militaro-industriel. La fin de la guerre froide et pis le tournant du 11 septembre ont accéléré l’externalisation des fonctions de défense dont le BTP et l’intendance du combattant. Ces secteurs, vitaux pour le travail des forces armées en opération, ont fait l’objet d’un transfert de compétence progressif entre l’armée et des entreprises contractantes spécialisées dans ces prestations. Cette évolution a été permise grâce à la mise en place d’un cadre législatif favorable prolongé par des liens étroits et parfois polémiques entre le monde politique et le monde des entreprises. Cette externalisation pose des problèmes d’ordre politiques, économiques, juridiques, éthiques et opérationnels. L’externalisation massive de ces fonctions est dénoncée par certains comme un abandon de souveraineté dans le domaine régalien de la défense si bien que la frontière déjà ténue entre externalisation, la sous- traitance de fonctions de défense, et privatisation, c’est -à-dire la possibilité pour des entreprises de se placer en concurrence des forces armées, tend à ne plus être lisible. En outre, l’externalisation de ces fonctions favorise l’externalisation de nouveaux secteurs de plus en plus sensibles. Très fortement engagé dans ce phénomène les États-Unis doivent désormais reprendre le contrôle et réguler le travail d’entreprises devenues omnipotentes. Mots clés : Armée- État- Externalisation- États-Unis DoD- LOGCAP- Halliburton- entreprises contractantes- logistique

FICHES DE PRESENTATION. - Les Moniblogsmoniblogs.lemoniteur-expert.com/files/memoire.simon.btp.st.cyr.pdf · Le Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP), outil privilégié de

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FICHES DE PRESENTATION.

-Version en langue française.

-

Filière : Relations Internationales et Stratégie

Sujet du mémoire : L’externalisation du Bâtiment Travaux Publics et de l’intendance du

combattant par l’armée américaine en opérations extérieures de 1990 à 2009.

Grade, nom, prénom du rédacteur : Sous-Lieutenant SIMON Gaëtan

Directeur de mémoire : M. Pierre DRAI

Jury :

Date de soutenance:

Résumé du mémoire :

Les États-Unis, après la Seconde Guerre Mondiale ont développé aux côtés de leur

armée un puissant complexe militaro-industriel. La fin de la guerre froide et pis le tournant du

11 septembre ont accéléré l’externalisation des fonctions de défense dont le BTP et

l’intendance du combattant. Ces secteurs, vitaux pour le travail des forces armées en opération,

ont fait l’objet d’un transfert de compétence progressif entre l’armée et des entreprises

contractantes spécialisées dans ces prestations. Cette évolution a été permise grâce à la mise en

place d’un cadre législatif favorable prolongé par des liens étroits et parfois polémiques entre

le monde politique et le monde des entreprises. Cette externalisation pose des problèmes

d’ordre politiques, économiques, juridiques, éthiques et opérationnels. L’externalisation

massive de ces fonctions est dénoncée par certains comme un abandon de souveraineté dans le

domaine régalien de la défense si bien que la frontière déjà ténue entre externalisation, la sous-

traitance de fonctions de défense, et privatisation, c’est-à-dire la possibilité pour des

entreprises de se placer en concurrence des forces armées, tend à ne plus être lisible. En outre,

l’externalisation de ces fonctions favorise l’externalisation de nouveaux secteurs de plus en

plus sensibles. Très fortement engagé dans ce phénomène les États-Unis doivent désormais

reprendre le contrôle et réguler le travail d’entreprises devenues omnipotentes.

Mots clés : Armée- État- Externalisation- États-Unis DoD- LOGCAP- Halliburton- entreprises

contractantes- logistique

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- Version en langue anglaise.

Class : International Affairs & Strategy

Dissertation subject : The US Army reliance on outsourcing building construction and soldier

logistics in overseas operations from 1990 to 2009.

Rank, Last name, First name : Second Lieutenant SIMON Gaëtan

Dissertation director: Mr Pierre DRAI

Jury :

Date of presentation :

Summary of dissertation :

After World War II, the United States of America developed alongside its army a

strong military-industrial complex. The end of the Cold War era and moreover the impact of

the 9/11 terrorist attacks have created a trend to outsource defense branches such as heavy

construction and other forms of logistical support. These sectors, crucial to the troops on the

ground have been increasingly diverted from Army control to that of private companies. Such

an evolution has been made possible through favorable legislation and with closed and

polemical relations between politicians and the private sector. This arising trend of military

outsourcing raises many concerns on political, economic, judicial, ethical and operational

issues. Some experts even blame outsourcing for being a loss of sovereignty in the federally

founded domain of defense. Due to this loss of sovereignty, the border between outsourcing

(outsource defense functions) and privatization (the ability for a company to compete with the

armed forces) is so thin that this situation is becoming confused. Moreover, outsourcing these

functions fosters the increasing reliance on outsourcing for the foreseeable future of the

Army. Highly committed to this trend, the United States should regulate outsourcing

activities and to heighten their discretion on the nature and availability of government

contracts.

Key words: US Army- Government- Outsourcing- United States DoD- LOGCAP- Halliburton-

contractors- logistics

3

AVERTISSEMENT.

« Les idées et opinions émises dans ce mémoire n’engagent que la responsabilité de son

auteur, et ne reflètent en aucun cas celles du directeur de séminaire ou des Écoles de Saint-

Cyr Coëtquidan. »

Précisions apportées par les Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan :

Ce mémoire est le fruit des travaux de l’élève. Dans le cadre d’un archivage et d’une

éventuelle publication, les Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan attirent votre attention sur le fait

qu’il ne s’agit pas d’une version corrigée du mémoire. Ce dernier est donc susceptible de

contenir des fautes d’orthographe ou de syntaxe ainsi que certaines imprécisions.

4

REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer ma reconnaissance et mes remerciements à :

M. Pierre DRAI, mon directeur pour ce mémoire,

au colonel DELETRAZ pour sa disponibilité et son écoute,

à mes camarades sous-lieutenants en stage à West Point pour l’émulation

intellectuelle et physique tout au long du stage,

et aux cadets de l’académie militaire de West Point pour leur aide.

5

SOMMAIRE

Introduction.

I Externaliser, transférer le BTP pour améliorer l'outil de défense.

a- Dès 1990, une volonté de faire pièce aux monopoles.

1. Le précédent de la circulaire de l'OMB lance le débat.

2. L'administration Reagan et les agences gouvernementales emboîtent le pas.

3. Une décennie d’expérimentations concluantes sur les bases américaines.

b- L'armée américaine en mutation à la fin de la guerre froide.

1. La baisse des effectifs de l'armée américaine, la volonté de réaliser des

économies.

2. L’adoption des logiques managériales : le souci de l’efficacité.

3. La nécessité de se recentrer sur "le cœur du métier".

c-Des entreprises remarquablement liées aux milieux politiques, l’effet « revolving

door ».

1. L’historique interdépendance de la guerre et de l’économie : le précédent de la

guerre froide, le tournant du 11 septembre 2001.

2. Une intense activité de lobbying.

3. Le cas de Dick Cheney et de Halliburton : une illustration éloquente de la

revolving door et du lobbying.

II Des entreprises devenues des acteurs principaux dans les conflits.

a-Des contrats importants à moyen terme par leur valeur et l’ampleur des tâches

confiées.

6

1. Le Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP), outil privilégié de

l’externalisation du BTP et du soutien aux troupes engagées.

2. Des entreprises indépendantes dans le cadre du contrat et le problème de

l’estimation des dépenses.

3. Haliburton et le problème des appels d’offre.

b. Des entreprises puissantes sur les théâtres à la tête d’une formidable logistique.

1. Une volonté de prépositionnement géographique et stratégique à long-terme.

2. L'armée de plus en plus dépendante à l'égard de ces entreprises.

3. Des infrastructures hors-normes, des capacités démultipliées, les succès de la

première logistique mondiale.

c- Une frontière du plus en plus ténue entre l‘externalisation des fonctions de soutien

et la privatisation de fonctions de sécurité opérationelles

1. L’emploi des sociétés militaires privées pour assurer la sécurité des installations

2. Le complexe militaro-industriel à la tête de la sécurité de l’US Army, une

situation inédite

III L'externalisation, la nécessaire régulation d’un secteur devenu livré à lui-même.

a- Les entreprises et le personnel engagé face aux questions juridiques.

1. La question de la main d’œuvre locale : entre intégration à la population et

exigence de sécurité.

2. Le contractor face à la justice et au droit international public.

3. Une présence fantomatique: la question des pertes.

b- Des partenariats public–privé glissant vers une privatisation lente et passive d'une

activité régalienne.

7

1. Le transfert des compétences et l’abandon de fonctions régaliennes.

2. Des critiques de plus en plus vives au sein des forces armées américaines.

c- Le nécessaire retour de l’État dans le contrôle des activités externalisées.

1. Les fraudes sur les contrats et des pratiques peu vertueuses.

2. Le GAO souligne la nécessité pour de DOD de reprendre la main rapidement.

Conclusion générale.

8

Table des principales abréviations.

BTP : Bâtiment Travaux Publics.

DMZ : zone démilitarisée lors de la guerre du Vietnam.

DoD : Department of Defense, ministère de la défense américain.

GAO : Government Acountabilty Office, organe d’audit et de contrôle du

Congrès américain.

KBR : Kellog Brown & Root, filiale d’ingénierie de Halliburton.

LOGCAP : Logistics Civil Augmentation Program.

MOOTW : Military Operation Other Than War.

MPRI: Military Professional Ressources Incorporated.

OMB: Office of Management and Budjet.

ONU: Organisation des Nations Unies.

OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

PMC : Private Military Company.

RMA : Révolution dans les Affaires Militaires.

SMP : Sociétés Militaires Privées.

TT : Think Tank.

US Army : United States Army, armée de terre des États-Unis.

VBR : Vinnell Brown & Root.

9

« Une des choses les plus essentielles que vous ayez à faire avant le combat, c’est

de bien choisir le lieu de votre campement »

Sun TZU

L’Art de la Guerre

10

INTRODUCTION

La fin de la guerre froide a provoqué d’innombrables changements dans les

affaires militaires des pays occidentaux. Ces derniers ont réduit le format de leurs

armées et préparé leur forces à des engagements différents que ceux prévus contre le

bloc soviétique. Les États-Unis ont aussi cherché à adapter leur force militaire en

réduisant leur format et en contrôlant leurs dépenses. Des penseurs militaires se sont

aussi fait les défenseurs d’une armée centrée sur ses seules prérogatives combattantes en

affirmant que le soutien ne doit pas revenir à un soldat, sa mission étant de combattre.

Le recours au secteur privé pour soutenir l’effort de guerre n’est pas nouveau et n’est

pas l’apanage des forces armées américaines. Pendant la Seconde Guerre Mondiale,

Chrysler, Ford et Chevrolet ont converti leurs sites de production d’automobiles en

usines d’armement. En France, Citroën a aussi assuré ces fonctions durant la Première

Guerre Mondiale. Pendant la guerre du Vietnam, de 1962 à 1972, le Pentagone a versé

des millions de dollars à Brown & Root pour qu’elle construise des routes, des ports et

des bases de la zone démilitarisée (DMZ) jusqu’au delta du Mékong. Néanmoins, le

conflit obéissait à une logique de front et d’arrière, aujourd’hui cette logique s’est

édulcorée, la logistique suit le soldat américain au plus près. Assurer le soutien et la

gestion de ces bases est un phénomène complètement nouveau. Les entreprises opèrent

sur les théâtres avec les troupes et assurent le soutien jusque sur les lignes. Là où il y a

un soldat de l’armée américaine, il y a du soutien et des employés d’entreprises privées.

Le cas du BTP est le plus éloquent puisque ce sont des civils qui ont en charge la

construction des bases, des shelters, des routes, la maintenance des installations, la

reconstruction des théâtres puis la gestion de cet ensemble d’infrastructures. Ces

compétences autrefois réservées à l’Army Corps of Engineers sont désormais assurées

par des entreprises comme Haliburton et sa filiale KBR.

Si les années 1990 marquent la montée en puissance de ce phénomène

d’externalisation de la logistique américaine, le 11 septembre 2001 constitue une

charnière majeure avec la « war on terror » permanente des États-Unis et les conflits

afghans et irakiens qui ont suivi. Les entreprises ont suivi la logique stratégique de

prépositionnement sur le long terme en installant des bases géantes en Turquie, au

Kosovo ou encore au Koweït. Cette montée en puissance des entreprises correspond à

l’importance croissante du BTP en opération. Les projections sont longues et les soldats

sont déployés par période de 6 à 18 mois, il est donc nécessaire d’assurer l’ensemble

11

des services sur le théâtre même, en plus des bases présentes en périphérie dans les pays

amis, ce travail est l’intendance du combattant chargé de loger et nourrir le soldat en

plus de gérer l’ensemble de ses formalités quotidiennes.

Nous développerons le sujet : l’externalisation du bâtiment travaux publics et de

l’intendance du combattant par l’armée américaine1 en opération extérieure de 1990 à

2009.

La volonté de faire des économies, d’avoir une main d’œuvre flexible et de recentrer

l’armée sur ses prérogatives combattantes a poussé et justifié l’externalisation du

soutien et du BTP. Elle a permis à l’armée américaine d’améliorer et de massifier le

soutien aux troupes via les contrats qui la lient aux entreprises. Au-delà, il s’agit de

reconstituer un foyer avec les conditions de vie d’une ville des États-Unis dans chaque

base pour adoucir le quotidien des soldats engagés. La professionnalisation étant passée

par là, l’armée souhaite fidéliser ses soldats dont la formation est coûteuse2. La notion

de rusticité et d’aguerrissement s’estompe au profit de la reproduction de « l’american

way of life » sur les théâtres de projection. Des énormes sommes d’argent ont été

versées aux entreprises pour les prestations rendues, les contrats sont établis pour

plusieurs années et leur objet est très large. Le secteur que représentent les activités de

soutien aux forces armées est en pleine expansion, la valeur d’entreprises comme

Halliburton a plus que doublé en à peine dix ans. Nous étudierons leurs relations avec le

monde politique pour comprendre ce développement et décrypter les critiques qui

découlent de liens parfois opaques.

Une biographie détaillée se trouve à la fin de ce mémoire, mais les principales

sources utilisée lors de sa rédaction proviennent de sites internet de Think tank, de

journaux et d’organismes officiels. Quelques articles en Français aussi, du monde

diplomatique qui permettent d’avoir un regard extérieur sur notre sujet. A cela

s’ajoutent quelques livres, mais la littérature sur le sujet reste limitée.

Si les États-Unis apparaissent comme les précurseurs de l’externalisation et des

relations privilégiées entre le secteur public et privé, que cela les place à la tête d’une

redoutable machine logistique, les limites de ce phénomène apparaissent clairement : de

nombreux militaires déplorent un abandon de compétence, les contrats sont opaques et

favorisent les surfacturations, les relations qu’entretiennent certains hommes politiques

vis-à-vis de ces entreprises ont parfois des airs de corruption, le contrôle du travail

1. Armée américaine entendue dans le sens US Army, c’est-à-dire exclusivement armée de terre.

2 . CHATTERJEE Pratap, Halliburton’s Army, Nations Book, New York, 2009, 284 p., p10.

12

demandé est lâche. En outre il demeure de nombreux problèmes à résoudre : quelle

place occupe ces entreprises sur les théâtres de guerre ? Comment maintenir un contrôle

strict du travail et des pratiques de l’entreprise ?

Une question centrale demeure problématique : l’externalisation du BTP et des

services de soutien afférents –fonctions jadis exclusivement régaliennes- constitue t-

elle un transfert ou un abandon de compétence ? Quels sont les succès et les méfaits

d’une telle politique ?

Pour répondre à ces questions nous étudierons l’exemple de l’US Army de 1990 à

2009 aux États-Unis, sur les théâtres de guerre et ses implantations à travers le monde.

Dans notre première partie, nous montrerons que l’externalisation du BTP obéît au

désir d’améliorer l’outil de défense, émane d’une vision libérale de l’économie et

s’inscrit, à petite échelle, dans la transformation de la stratégie globale américaine. A la

fin des années 1980, la volonté de faire pièce aux monopoles et de laisser s’exprimer la

libre concurrence pousse l’armée à multiplier les études de coûts. La fin de la guerre

froide accélère la restructuration de l’US Army pour s’adapter à des conflits différents,

(diminuer les effectifs en conservant sa puissance de projection), elle est aussi

l’occasion pour les penseurs militaires d’amener l’idée de concentrer l’armée sur ses

prérogatives combattantes et d’intégrer des éléments de logique managériale comme le

« ready-to-go » et le « juste-à-temps ». L’effet « revolving door » et des entreprises

remarquablement bien liées au monde politique ont contribué à développer rapidement

et massivement ce phénomène d’externalisation.

Dans la deuxième partie, nous analyserons la situation de ces entreprises devenues

des acteurs majeurs sur les théâtres en mettant en lumière le système qui les lie à

l’armée par l’intermédiaire de contrats importants sur la durée et par les sommes

engagées. Ce point pose la question de l’évaluation des coûts et de leur ré-estimation en

cours de contrat. Les entreprises, en étant aussi proches du terrain et massivement

présentes (deuxième contingent présent en Irak loin devant l’armée britannique),

deviennent des acteurs puissants sur le théâtre. Elles ont en charge des infrastructures

gigantesques structurantes à l’échelle régionale, sont à la tête de la première logistique

mondiale et ont acquis une indépendance forte eu égard à des prérogatives. Ce

phénomène peut inclure deux problèmes : le risque de dépendance de l’armée vis-à-vis

de ces acteurs non-étatiques et un engrenage dans la privatisation de la guerre, la

frontière entre externalisation du soutien et la privatisation de fonctions de combat

13

opérationnelles est de plus en plus ténue dans les conflits Irakien (2003) et Afghan

(2001).

Dans notre troisième partie, nous montrerons la nécessité pour l’État américain de

reprendre la main auprès des entreprises en assurant un contrôle accru des pratiques et

du travail réalisé. L’externalisation pose le problème du statut des civils engagés sur un

théâtre de guerre et leur positionnement vis-à-vis du droit international public et de la

justice. Leur présence pourtant massive est quasi fantomatique car l’État n’a pas à

rendre compte des pertes subies par les entreprises. Les critiques au sein des forces

armées et de nombreux penseurs de la chose militaire sont de plus en plus vives sur ce

qu’ils considèrent comme un abandon de compétences. Ainsi le GAO et d’autres

organes d’audit recommandent un contrôle des contrats, des pratiques des entreprises

sur le terrain et du personnel engagé dans ces entreprises dans un souci de sécurité de

ces fonctions de défense indispensables.

14

I Externaliser, transférer le BTP pour améliorer l'outil de défense.

Entre la fin des années 1980 et 2001, les jalons de l’externalisation du BTP et des

services contigus se mettent en place. On multiplie les études de coûts, de nombreux

acteurs de la vie politique, militaire et entrepreneuriale interviennent en faveur d’une

armée débarrassée des tâches du soutien logistique considérées comme ingrates. C’est

aussi l’apogée de l’effet « revolving door » avec des décideurs politiques très liés au

milieu de l’entreprise, le cas le plus éloquent est Dick Cheney avec Halliburton et KBR.

Une telle situation est aussi l’héritage d’une culture libérale forte, dès 1980 on

marque le désir de laisser la libre concurrence s’exprimer et de mettre fin à des

situations de monopoles.

A. Dès 1990, la volonté de faire pièce aux monopoles.

1. Le précédent de la circulaire de l’OMB lance le débat.

La fin de la Seconde Guerre Mondiale inaugure la constitution et le poids important

d’un nouveau complexe militaro-industriel. Ces entreprises vont œuvrer pour multiplier

les partenariats entre le secteur public et privé. Un nombre croissant d’acteurs militaires,

industriels et scientifiques contribuent dès lors à fixer les grandes orientations

stratégiques des États-Unis. Cette réunion a été baptisée « Triangle de fer3 » pour

désigner ce groupe de pression composé des chefs militaires et d'agences

gouvernementales, des responsables des industries de l'armement et des parlementaires

des commissions sur la Défense qui se disputent le budget militaire.

L’US Office of Management and Budjet (OMB) déclare dans une circulaire, publiée

en 1966 et réactualisée en 1967, 1979 et en 1983, que le gouvernement ne doit pas

concurrencer ses citoyens4. Cette note promulgue la politique nationale d’entière libre

concurrence et le droit individuel de concourir aux appels d’offres pour fournir le

3 . T. Adams, The New Mercenaries and the Privatization of Conflict, Parameters 29 (1999) (2), pp. 103–116.

4 . US Office of Management and Budjet, Circular N° A-76, 1983, p.1.

15

service le plus efficace possible. Elle inaugure la tendance à abandonner

progressivement l’idée que la logistique de défense est une prérogative du seul ressort

de l’État. Les agences gouvernementales sont soumises au processus A-76 et doivent

impérativement effectuer des études comparatives de coûts avant d’externaliser une

activité ou quoi que ce soit. En outre, elles doivent fournir chaque année un inventaire

des études comparatives de coûts (secteur privé-secteur public) à l’OMB. Néanmoins,

les agences sont exonérées de ces études de coûts si l’externalisation ne menace pas

plus de 10% des postes d’employés gouvernementaux. A partir de cette date et jusqu’en

1994, 2200 opérations d’externalisation ont été menées. L’étude des conséquences sur

le personnel civil du Department Of Defense (DOD)5 met en lumière que 30 100

d’entre-eux ont été déplacés, mis à la retraite ou transférés sur d’autres sites à un rang

inférieur ou égal. Cette même étude montre qu’aucune dégradation dans la qualité des

services rendus n’a été constatée. Ces études sont le premier bilan positif d’une

politique limitée mais engagée d’externalisation. La seule critique que lève l’étude de la

RAND est la difficulté de fixer avec précision les coûts des contrats et le problème de

l’augmentation des prix en cours de réalisation. Ce dernier rapport conclue même en

déclarant qu’en plus de générer des économies, l’externalisation est en train d’être

considérée par les managers comme un moyen supérieur d’obtenir des résultats de

qualité.

La circulaire de l’OMB préconise enfin la mise en place d’étude de coûts (cost

studies) afin de déterminer l’entreprise qui remportera le contrat. Le public est alors mis

en concurrence avec le secteur privé. Cette mise en concurrence déstabilise le secteur

public qui apparaît moins performant, moins concurrentiel et perd ses marchés au profit

du secteur privé. On entre dans un cercle infernal entre la dégradation d’un secteur et le

renforcement absolu de l’autre.

Pour mieux comprendre les motifs de l’externalisation de la logistique de l’US Army,

il est intéressant et pertinent de s’attacher aux motivations des entreprises6 qui ont

externalisé une partie de leurs activités. On trouve en premier lieu la volonté de réaliser

des économies d’échelle supposées qui vont dans le sens de l’intérêt des entreprises qui

souhaitent se recentrer sur leur cœur de métier. La réduction ou le transfert

5 . ROBBERT Albert, GATES Susan, Outsourcing Of DOD Commercial Activities/ Impacts on Civil Service

Employees, RAND, National Defense Research Institute, 1997. 6. Le guide de l’externalisation, http://www.cat-logistique.com/externalisation.htm, visité le 23 septembre 2009

16

d'investissements comme des surfaces de stockage, ou bien une réduction des frais fixes

de l'entreprise est cité comme un des arguments principaux dans les cas où une

externalisation entraîne aussi un transfert de la main d'œuvre à un prestataire.

L’abaissement des coûts et le fait de passer des coûts fixes, en partie, à des coûts

variables assure une souplesse et une capacité d’adaptation à celui qui externalise. Cette

transformation de coûts fixes en coûts variables est un élément important dans le

souhait de réduction des investissements. La perception que l’activité externalisée sera

mieux connue et mieux maîtrisée, vient d'une meilleure connaissance et lecture des frais

logistiques en amont, ces dépenses étant désormais passées au crible. De très nombreux

responsables logistiques d’entreprises industrielles ayant eu recours à l’externalisation

ont constaté que cette dernière leur permettait de prendre conscience et ensuite de

mieux contrôler les vrais coûts logistiques. La connaissance spécialisée du prestataire

est un autre avantage de l’externalisation : quelle que soit la prestation logistique

concernée, l’atout des prestataires est précisément qu’ils disposent d’une compétence

qui est leur métier et qu’il leur est plus facile de valoriser en réalisant des économies

d’échelle. L’accroissement de flexibilité et de souplesse que procure l'externalisation

permet une meilleure adaptation aux changements.

En 1985, après la circulaire de l’OMB, le premier volet du programme LOGCAP est

lancé. Les objectifs de ce premier jet sont modestes : tirer parti de la main d’œuvre

civile disponible et se préparer à des situations de crises, en clair avoir une réserve

permanente d’employés civils prêt à servir en tout temps et en tout lieu. « De 1979 à

1994, le Department of Defense (DoD) a mené plus de 2000 appels d’offre en utilisant

le processus de la circulaire A-76. Les organismes gouvernementaux et les entreprises

privées ont remporté chacun 50% de ces études de concurrence. Les coûts engagés ont

diminué de 31%, soit 1,5 milliards de dollars économisés par an. »7 Deux aspects ont

été pris en compte pour juger de l’efficacité du processus A-76 : déterminer si ce

dernier a permis de réaliser des économies et si la quantité et la qualité du travail

demandées sont au moins égales à ce qu’elles étaient en étant assurées par des employés

du gouvernement.

7. DoD Reform Act, Chapter 3, disponible sur www.defenselink.gov

17

2. L’administration Reagan et les agences gouvernementales emboîtent le

pas.

Les mandats du président Reagan ont été marqués par une augmentation du budget

de la Défense et par la mise en place de politiques novatrices tant au niveau des

équipements qu’au niveau des restructurations pour moderniser les forces armées. Le

DOD doit donc s’efforcer de réaliser des économies pour financer les projets les plus

coûteux et les plus ambitieux. Sur le plan économique, les idées de Ronald Reagan

reprennent la philosophie de la circulaire de l’OMB, l’État ne doit pas livrer de

concurrence à ses citoyens. Ronald Reagan plaidait pour un État minimum sauf en

matière de Défense. Sa politique économique fondée sur la théorie moderne de l’offre

(supply-side economics) recommandait d’externaliser les fonctions logistiques militaires

et de les confier à des entreprises afin de réaliser des économies en n’ayant plus la

charge directe du personnel civil et une force logistique toujours prête à l’emploi,

flexible et adaptable. « Fondamentalement, cette transformation se trouve portée par

une certaine conception du rôle de l'État ; il n'a pas à faire mais à diriger8. »

Son successeur George Bush poursuit cette politique d’ouverture des fonctions de

défense aux entreprises privées. Son administration, sous la houlette de Dick Cheney,

Secrétaire d’État à la Défense, demande d’étudier et de mettre en œuvre la privatisation

des fonctions courantes de l’armée. En 1992, le Pentagone dirigé par Dick Cheney, paie

3,9 millions de dollars Brown & Root afin de fournir, sous forme d’un rapport

confidentiel, une étude sur la manière dont les entreprises privées pourraient aider à

assurer la logistique de l’armée américaine sur des zones de guerre potentielles dans le

monde entier. La même année, le Pentagone lui a versé de nouveau cinq millions de

dollars afin qu’elle mette à jour son rapport. A la fin de l’année 1992, Brown & Root a

décroché son premier contrat quinquennal afin d’assurer le soutien logistique du Corp

Of Engineers de l’US Army. Ce contrat l’a amené à travailler en Somalie, à Haïti et au

Kosovo. « Lors de la première guerre du Golfe la part des contractants présents sur le

théâtre par rapport aux troupes engagées était de un pour cinquante, en 1996, en Bosnie,

ce ratio était passé à un pour dix »9. Après la mise en place d’un appareil législatif

favorable, la décennie 1990 a permis la mise en œuvre massive de l’externalisation des

services et surtout du soutien de l’US Army. En 2003, le Congressional Research

8 . D. King, The New Right, The Dorsey Press, Chicago (1987).

9. Anonyme, Privatizing Government, disponible sur www.gnp.org

18

Service a dressé un bilan de l’externalisation au sein du DoD. Cette étude en s’appuyant

sur la circulaire A-76 de l’OMB de 1999 met en relief l’impact de la réforme Fédéral

Activities Reform Act (FAIR Act) de 1998. Cette loi fixe un cadre aux agences

gouvernementales en leur donnant le droit d’externaliser, après des procédures d’étude

de la concurrence, des activités qui ne sont pas intrinsèquement régaliennes. Cette étude

montre qu’au début des années 1990, 60% des appels d’offres étaient remportés par

l’agence gouvernementale originelle qui se reconfigurait ensuite pour accroître son

efficacité, 40% des contrats étant remportés par le secteur privé ou une tierce agence

gouvernementale. Dès 2002, cette tendance s’est inversée. Le DoD a été la première

institution à utiliser la circulaire A-76 pour effectuer des études de coûts et privilégier la

concurrence pour les contrats fédéraux.

3. La décennie 1990, des expériences concluantes sur les bases

américaines.

La décennie 1990 a été une période d’expérimentations et de montée en puissance de

l’externalisation du soutien de l’US Army. La construction de la base de Bondsteel au

Kosovo, est l’exemple le plus probant de cette volonté de tester sur le terrain

l’externalisation. Elle est l’une des plus grosses bases militaires américaines construite

depuis la guerre du Vietnam, et une des plus importantes du monde.

En juin 1999, après l’intervention des forces de l’OTAN en ex-Yougoslavie, l'armée

américaine a saisi 500 hectares de terre agricole dans le sud-ouest du Kosovo, à

Uroševac, près de la frontière macédonienne, et a commencé à y construire un camp. Le

camp Bondsteel est le point central d'un réseau de bases connu sous l’appellation de "la

grande dame". En moins de trois ans, cette base est passé de l'état de modeste

campement à celui de base ultramoderne, elle peut abriter jusqu'à 7.000 soldats, soit

75% des troupes stationnées au Kosovo. Le camp compte 25 km de routes goudronnées,

environ 300 bâtiments, il est protégé par 14 km d'enceinte en terre et béton, 84 km de

barbelés et 11 miradors. Ce centre reproduit les standards de vie d’une ville américaine

avec ses centres commerciaux, ses salles de sport ouvertes jour et nuit, une chapelle,

une bibliothèque et un hôpital. Le lieu a été choisi en raison de ses possibilités

19

d'extension. Selon certaines sources10

qui nécessiteraient confirmation, il pourrait être

appelé à remplacer la base d'Aviano en Italie. Plusieurs raisons peuvent justifier ce

choix: l’embauche par Brown & Root d’un personnel bon marché et une projection des

forces armées américaines plus aisées, enfin un contrôle accru des flux d’hydrocarbures.

Le colonel de l’US Army Robert Mc Lure précise dans un bulletin d’information de

l’arme du génie11

que les plans de la base étaient établis bien avant les premières

frappes de l’OTAN. Cet exemple illustre l’importance de la base avancée sur le terrain,

à la fois forteresse, base arrière logistique et outil de prépositionnement à long terme.

D’abord, le génie de l’US Army a pris le contrôle de 320 km de routes et de 75 ponts

dans les environs de la future base à des fins militaires, puis planifié un projet

comprenant des logements de troupes, des zones d'atterrissage pour hélicoptères et des

magasins de munitions. Le colonel Mc Lure explique que la brigade du génie avait reçu

pour instruction « d'imbriquer les infrastructures avec celles du fournisseur Brown &

Root Services, de construire non pas un mais deux camps de base (l'autre étant le camp

Monteith) pour recevoir un total de 7 000 hommes. » Toujours selon Mc Lure, « au plus

fort de la construction, environ 1 000 expatriés (d'anciens personnels de l'armée)

embauchés par Brown & Root Services et plus de 7 000 Albanais du Kosovo vinrent

prêter main-forte aux 1 700 hommes du génie. » Du début juillet à octobre 1999, les

travaux furent poursuivis nuit et jour, sept jours sur sept. Désormais Brown & Root

Services assure la maintenance totale du camp, soit, entre autres, la fourniture de 2 500

m3 d'eau par jour, de l'électricité nécessaire à une ville de 25 000 habitants, le lavage de

1 200 sacs de linge, le service de 18 000 repas par jour, et 95 % des services de liaisons

ferroviaires et aériennes. « Quand des soldats américains arrivent à Bondsteel, ils ont

toutes les chances d'y être accueillis par un employé de Brown & Root qui les conduira

à leurs logements et à leurs postes. »12

G. Cahlink écrit dans le Government executive

Magazine de février 2002 que « les soldats de la paix disent en plaisantant qu'il manque

quelque chose à leur tenue camouflée ; la mention offert par Brown & Root explique un

sergent qui, comme plus de 10 000 militaires dans la région, dépend totalement de

l'entreprise basée à Houston, depuis son petit déjeuner jusqu'aux pièces détachées pour

les blindés. »

10

. http://www.kosovojesrbija.fr/fr/les-enjeux-analyses/bondsteel-la-puissance-americaine-au-coeur-de-leurope-et-le-petrole-de-la-caspienne.html, consulté le 25 septembre 2009 11

. Id. 12

. Id.

20

Outre l’exemple de Bondsteel, en 1992, Brown & Root a construit et entretenu les

bases de l'US Army en Somalie, ce qui lui a rapporté 62 millions de dollars. En 1994, la

construction de bases et le soutien logistique de 18 000 hommes à Haïti lui a permis de

doubler ses gains annuels (133 millions de dollars). En 1999, la société s’est vu attribuer

un contrat de cinq ans, d'une valeur de 180 millions de dollars, pour construire des

installations militaires en Hongrie, Croatie et Bosnie mais Bondsteel constitu le contrat

le plus important. Le succès de cette implantation pousse les américains à multiplier les

constructions de bases dans un objectif de prépositionnement. Ce dernier est d’autant

moins consommateur en personnel militaire que la gestion de ces bases est ensuite

laissée aux entreprises prestataires comme KBR. A ce sujet, le 5 juin 2001, le Secrétaire

à la Défense Donald Rumsfeld confirme cela en expliquant aux troupes stationnées à

Bondsteel quel rôle elles jouent dans la stratégie économique du nouveau gouvernement

« Combien devrions-nous dépenser pour les forces armées ? Mon opinion est qu'il ne

s'agit pas de dépenses mais d'investissements. Vous ne tirez pas sur notre puissance

économique, vous la préservez. Vous ne pesez pas sur notre économie, vous êtes le

socle de sa croissance. » Ainsi la direction de l’audit du congrès américain, General

Accountability Office (GAO)13

a estimé à 2,2 milliards de dollars la marge bénéficiaire

réalisées par Brown & Root sur le seul contrat balkanique pendant les opérations

militaires en construisant des égouts, des cuisines, des douches et en assurant le lavage

du linge des 20 000 GI’s14

présents.

Depuis lors, la base de Bondsteel n'a cessé de se développer, elle est désormais le fer

de lance et le modèle des bases américaines en Irak et en Afghanistan.

B. L’armée américaine en mutation à la fin de la guerre froide.

1. La baisse des effectifs de l’armée américaine, la volonté de réaliser des

économies.

La fin de la guerre froide a marqué dans la pensée stratégique militaire la fin de

l’utilisation d’une armée conventionnelle nombreuse déployée pour des combats de

13

. L’équivalent de la cour des comptes française. 14

. Government issue, soldat de l’armée américaine.

21

haute intensité. « Le système militaro-industriel structuré à partir de l’équilibre de la

guerre froide se trouve affecté, comme d’autres domaines de l’action publique, par le

mouvement de déréglementation. »15

La multiplication, dans les années 1990, des

opérations autres que la guerre (Military Operations Other Than War, MOOTW) a

modifié les règles héritées de la guerre froide, les Nations Unies ont mené, de 1990 à

1999, 31 opérations de maintien de la paix (peacekeeping operations). Ces changements

ont poussé les États-Unis à réduire de manière drastique les effectifs de leur armée en

commençant par les fonctions de soutien. «La phase de mutation de l’industrie de

défense avait été planifiée à la fin de la guerre froide (US Congress 1991), mais

l’incertitude des évolutions stratégiques globales a retardé les reconfigurations. […]

Avec la systématisation de l’exploitation des connaissances tirées de retours

d’expériences, parfois douloureuses, des missions militaires d’un nouveau genre et de

nouveaux besoins opérationnels sont apparus. Ils portent sur les compétences civiles,

sécuritaires ou nécessitent une plus grande adaptabilité à un environnement stratégique

et opérationnel plus volatile. L’évolution des missions et des répercussions sur le tissu

industriel sont très visibles depuis le début de la nouvelle ère stratégique, au lendemain

du 11 septembre 2001. »16

Les forces armées des États Unis ont connu un dégraissage important, ainsi de 1989

à 2003 le nombre de militaires d’active est passé de 2,2 millions à 1,4 millions

d’hommes, parallèlement l’industrie de défense passe de 1 300 000 à 547 000 salariés.

Le budget de la Défense ne représentait plus que 3,3% du PIB contre 6,5% en 198417

.

L’US Army en 2002 comptait dans ses rangs 480 000 militaires et 220 000 employés

civils.

La baisse des effectifs de l’US Army et des forces armées américaines en général a

amené de nombreux militaires qualifiés à chercher un emploi. Cette double conjecture

d’offre (des entreprises développant leur capacité pour répondre aux contrats du DoD)

et de demande (ces militaires, en fin de contrat, à la recherche d’un emploi) a permis au

secteur de répondre rapidement aux besoins d’externalisation de l’US Army. L’objectif

n’est pas de remplacer la masse salariale civile par son équivalent dans le privé mais

d’effectuer une refonte totale des pratiques et de la gestion du soutien. Ainsi tout en

15

.MAKKI Sami, Externaliser la défense: la politique américaine, EHESS, 12 février 2007. 16

. MAKI, id. 17

. Sources wikipedia.org, consulté le 02 octobre 2009

22

diminuant les effectifs à charge, on souhaite avoir moins de personnel pour une

meilleure productivité en réalisant des économies. Cette proposition peut paraître

irréaliste en raison du caractère simple voire simpliste du raisonnement, mais elle est

vraie. En effet, les agences gouvernementales n’ont plus à supporter les charges liées à

la couverture sociale, aux pensions et aux assurances. En plus, le phénomène de mise en

concurrence est censé exercer mécaniquement une pression sur les prix et augmenter la

qualité et la productivité. Si l’externalisation a pu paraître comme une solution magique

ou une recette miracle pour certains, elle a suscité un enthousiasme important tendant,

dans quelques cas, à de la mauvaise foi. Par exemple cette étude qui donne des chiffres

pour le moins obscurs et invérifiables : « l’Institut de Gestion Logistique (Logistics

Management Institute), un groupe de réflexion militaire, prétend que les entrepreneurs

LOGCAP (Logistics Augmentation Program) ont employé 24 pour cent de personnes en

moins tout en restant 28 pour cent moins chers »18

. Cet exemple illustre la bataille

idéologique autour de l’externalisation de certaines fonctions logistiques menée, entre

autres, par des think tanks tels que ce dernier.

Si dès 1980 l’administration Reagan a marqué la volonté de réduire une

administration jugée trop couteuse et incontrôlable, les efforts les plus significatifs ont

été portés par l’administration Clinton. « Dans les années 1990, la National

Performance Review de l’administration Clinton, proposait une réforme du système

fédéral d’achat. Un glissement s’est alors produit, de la recherche d’un gouvernement

plus efficace et moins cher (works better and costs less) à la création d’une structure

fédérale qui travaille plus efficacement en réduisant son champ d’activités (works better

and does less). Les nouveaux partenariats public-privé ont été établis afin de pouvoir

dégager des fonds pour moderniser les forces armées et acquérir de nouveaux systèmes

d’armes19

. Le DoD avait prévu d’économiser six milliards de dollars entre 2001 et 2003

puis 2,5 milliards chaque année suivante. Ces prévisions ont été surestimées, les

économies réalisée étaient de 20 à 30% moindres, les coûts de transactions afférents à la

mise en concurrence n’ayant pas été pris en compte. Si l’initiative de l’administration

Clinton apporte une progression dans l’externalisation des fonctions logistiques, cette

réforme prône le maintien d’un contrôle étatique.

18

. CHATTERJEE Pratap, La guerre contre le terrorisme comme filon, CorpWatch, 1er

Août 2002, disponible sur www.legrandsoir.info/La-Guerre-contre-le-terrorisme-pour-filon.html, consulté le 16 octobre 2009. 19

. SINGER Peter Warren, Essay : Privatized Military Firms and International Law, Columbia Journal Of Transnational Law, 22 janvier 2004.

23

2. L’adoption de logiques managériales : le souci de l’efficacité.

L’externalisation et les diverses études de faisabilité qui l’ont accompagné ont

contribué à développer et insérer un vocabulaire issu du management. La recherche de

l’efficacité, le dégraissage de la masse des employés civils de l’US Army et les études

de coûts ont fait naître de nouvelles notions, jusque là inconnues, dans le monde des

affaires militaires. Les notions de juste-à-temps, de ready-to-go, de Full Time

Equivalent apparaissent comme les nouvelles lignes directrices dans l’élaboration de

cette révolution logistique au sein de l’US Army. Cette évolution s’inscrit dans la

politique, plus large et concernant l’ensemble des forces armées américaines, de

« révolution dans les affaires militaires » (RMA) prolongée et renforcée par la rupture

stratégique imposée par l’administration républicaine en 2003 : la Transformation. Cette

notion est un processus de réévaluation constante des doctrines, des capacités humaines

et matérielles permettant à l’armée américaine une domination durable sur les champs

de bataille. Cette dynamique a été créée pour effectuer un changement de l’institution

militaire. Pour ses partisans, la Transformation permettrait de réaliser des économies sur

le long-terme par un ajustement permanent des capacités en fonction des besoins et des

menaces, elle permettait de s’adapter en permanence aux nouvelles menaces

asymétriques, de conserver la domination américaine dans le domaine de la guerre

conventionnelle et enfin de créer une « culture de l’innovation ». Dans le BTP, la

révolution dans la logistique (Revolution in Military Logistics) permet d’évoluer vers

des processus d’acquisitions flexibles et une gestion en temps réel de l’acheminement

des hommes et du matériel jusque sur les théâtres d’opérations. La logistique militaire

s’est enrichie des techniques de la logistique civile, cette révolution emprunte au civil

les notions de flux tendus, de juste-à-temps. Si ces transpositions permettent une

réactivité, une rapidité et une capacité d’adaptation supérieure aux anciens modèles de

gestion elle comporte de nombreux risques en cas de rupture de la chaîne logistique.

Cette volonté de gérer la logistique en direct s’inscrit dans la rupture stratégique initiée

depuis 2003 par l’administration Bush, les forces armées sont dans une guerre où la

vitesse, l’agilité et la précision de la puissance de feu sont les éléments clés de la

réussite de l’opération.

24

Dans sa thèse « Outsourcing the US Army », Karen Nigara désigne et défini ce

vocabulaire axé sur l’efficacité des procédés utilisés et sur l’optimisation de la main

d’œuvre employée. Le Full Time Equivalent (FTE) désigne la valeur d’une année de

travail pour un type de tâche donné, cette notion est utilisée pour calculer des objectifs

annuels et permettre un contrôle régulier du travail effectué. La Most Efficient

Organization (MOE) renvoie à l’organisation retenue pour obtenir l’efficacité la plus

grande en choisissant avec soin la proportion d’employés civils du gouvernement et

celle des contractants issus des entreprises privées. L’introduction d’une sorte de cahier

des charges «Performance Work Statement » est nouvelle, ce travail permet d’évaluer

les besoins pour réaliser la tâche demandée et ainsi d’établir des coûts précis qui seront

ensuite étudiés et comparés lors des appels d’offres, des études comparatives.

Dans l’esprit du management libéral, le traitement des employés du

gouvernement a aussi beaucoup changé. Ces derniers sont désormais en concurrence

avec une main d’œuvre flexible et parfois meilleur marché. Le DoD reproche surtout

aux employés gouvernementaux la charge de la couverture sociale, des pensions et des

assurances qui lui incombe.

3. La nécessité de se recentrer sur le cœur du métier.

Les décideurs militaires et politiques, après la guerre du Vietnam et surtout dans les

mutations de l’après-guerre froide, ont déclaré qu’il n’était pas du ressort du soldat de

nettoyer son casernement ou de laver son linge. Le soldat doit, dans la conception

rénovée des missions de l’US Army rester concentré sur ses prérogatives combattantes.

Toute autre occupation est considérée comme une perte de temps et d’argent. C’est

pourquoi des sociétés comme Halliburton, notamment sa filiale Kellogg Brown & Root

(KBR) proposent à l’armée de construire ses bases (Guantanamo, Bondsteel…) et

d’assurer tous les services de soutien afférents tels que la fourniture en denrées et sa

distribution aux troupes, que le lavage du linge ou l’entretien des locaux.

Il est donc apparu nécessaire de distinguer les fonctions qui ne peuvent être assurées

que par l’armée et celles qui doivent être externaliser pour assurer un meilleur emploi

25

de la force. En 2001, le Quadrennial Defense Review, livre blanc de la défense

américaine distinguait « trois grandes fonctions qui donneraient lieu à trois grandes

catégories de partenariat en fonction de l’existence d’un lien organique avec les

capacités de combat » dont la troisième « les fonctions n’ayant aucun lien avec les

missions de combat qui sont mieux remplies par le secteur privé. Dans ce cadre, le

département20

cherchera à privatiser ou à externaliser des fonctions entières ou à définir

de nouveaux mécanismes pour des partenariats avec les firmes privées ou d’autres

agences publiques »21

. Le mot d’ordre du Pentagone après la publication de ce rapport

était « improving the combat edge through outsourcing », c’est-à-dire que le recours au

privé doit permettre un recentrage sur les fonctions essentielles pour améliorer

l’efficacité au combat.

C. Des entreprises remarquablement liées aux milieux politiques,

l’effet « revolving door ».

Sans pour autant dresser une typologie fastidieuse des acteurs de l’externalisation de

la logistique du BTP, il est nécessaire de mettre en lumière les interconnexions entre les

milieux politiques, le monde militaire et celui de l’industrie. Cet ensemble forme un

complexe militaro-industriel. Cette appellation met en lumière les imbrications de ces

différents milieux pour mieux appréhender les processus décisionnels qui ont conduit à

une externalisation massive du BTP et des fonctions de soutien. Le vocabulaire

« complexe militaro-industriel », « lobbying », « revolving door » peut paraître a priori

péjoratif avec une « lecture française », nous nous attacherons aux faits pour étudier ce

phénomène d’imbrication.

20

. Department Of Defense, ministère de la défense des Etats-Unis 21

. Department Of Defense, Quadrennial Defense Review Report, USGPO, Washington D.C., 2001

26

1. L’historique interdépendance de la guerre et de l’économie : le précédent

de la guerre froide, le tournant du 11 septembre 2001.

Le 17 janvier 1961, dans son discours d’adieu au terme de son mandat, le président

Dwight David Eisenhower met en garde la nation vis-à-vis du « complexe militaro-

industriel ». Il dit : « Cette conjonction d'une immense institution militaire et d'une

grande industrie de l'armement est nouvelle dans l'expérience américaine. […] Nous

reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas

manquer de comprendre ses graves implications. […] Dans les assemblées du

gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait

ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel

d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons

jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos

processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant.

Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra

imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la

défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté

puissent prospérer ensemble. »22

Dès le début de la guerre froide, l’héritage de la

Seconde Guerre Mondiale procure un terreau favorable à l’établissement d’un puissant

« complexe militaro-industriel ». Cet héritage comporte une puissante industrie de

guerre qu’il faut désormais reconvertir et une grande armée qu’il convient d’entretenir,

d’équiper et de moderniser pour faire face aux nouveaux défis de la confrontation avec

le bloc soviétique. En définitive, l’armée de terre américaine, jeune en 1945, a effectué

sa montée en puissance et sa première opération d’envergure après la Première Guerre

Mondiale aux côtés de sa puissante industrie. Cet acteur lui est contigu et a suivi son

développement tout au long de la guerre froide, l’importance croissante de l’utilisation

de hautes technologies (numérisation de l’espace de bataille, guerre info-centrée) et le

passage d’une armée de conscription à une armée professionnelle n’ont fait que

renforcer ces précédents. Mills dans un ouvrage rédigé en 1956 observait déjà que dans

une « économie de guerre quasiment-permanente […], l’économique et le militaire

étaient devenus structurellement et profondément reliés entre eux entraînant une

22

. Discours disponible sur: http://icp.ge.ch/po/cliotexte/deuxieme-moitie-du-xxe-siecle-guerre-froide/discours.eisenhower.html, traduction Pascal DELAMAIRE

27

interdépendance de l’économie et de la guerre [et] une pénétration des milieux

d’affaires par des militaires et les politiques [parallèlement à une] militarisation de la

vie politique. »23

Cette interpénétration du milieu industriel, du monde politique et du milieu militaire

est aujourd’hui favorisée par la reconversion croissante d’anciens officiers généraux

dans des entreprises assurant des contrats d’externalisation. Plus important encore, une

partie de la doctrine des forces armées américaines semble à son tour externalisée. Dans

un article du CAIRN, un centre de recherche, Michel Klen montre que « L’élaboration

d’études est surtout du ressort de MPRI (Military Profesionals Resources

Incorporated), une société privée qui possède le plus grand nombre de généraux à la

retraite aux Etats-Unis. Tous ces anciens hauts responsables des quatre grandes

composantes de l’armée américaine (terre, air, mer, corps des marines) signent

périodiquement des contrats avec le Pentagone pour rédiger des manuels militaires

portant sur des aspects du combat dans des environnements particuliers (localités,

désert, jungle, terrorisme, guerre psychologique, guerre électronique) et des dossiers sur

des régions mal connues, mais susceptibles de faire l’objet d’un intérêt stratégique. Ces

officiers généraux en quête d’une activité de réflexion approfondie sont expérimentés,

cultivés et bien rodés aux règles subtiles du secret militaire. Le fait qu’ils ne soient plus

soumis à une déférence envers la hiérarchie leur donne une nouvelle liberté de parole,

qui renforce la teneur de leurs rapports. C’est dans cet esprit que le président George

H.W. Bush a préféré confier à l’entreprise Kellog Brown and Root, également riche en

cadres retraités de l’armée, plutôt qu’à un état-major militaire composé de personnels

encore en activité, une étude prospective sur les priorités à accorder et les efforts de

défense à consentir par Washington après la guerre du Golfe en 1991. »24

Dans le BTP,

KBR compte parmi ses têtes pensantes un nombre important d’officiers supérieurs et de

généraux à la retraite, ces derniers conçoivent directement au sein de l’entreprise de

études pour anticiper les besoins de l’US Army en terme de casernement, de

construction de bases aux Etats-Unis, à l’étranger et sur les théâtres d’opérations

extérieurs. La discrétion est un avantage important de cette politique même si l’on peut

déplorer une perte de contrôle. Ces généraux et la « constellation » qu’ils forment

23

. MILLS Charles Wright, The Power Elite, Oxford University Press, New York, 1956. 24

. KLEN Michel, La Privatisation De La Guerre, Revue Etudes (CAIRN), Tome 401, septembre 2004, p. 185. Disponible sur : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ETU&ID_NUMPUBLIE=ETU_013&ID_ARTICLE=ETU_013_0181.

28

constituent un lobby très efficace, ils ont le pouvoir d’influencer leurs successeurs dans

leurs prises de décisions ces derniers étant en plus des relais de leur influence au sein

des institutions gouvernementales.

Pour illustrer cette culture de la proximité entre le secteur privé et les agences

gouvernementales les américains ont forgé l’expression « revolving door ».

Littéralement cela désigne une porte battante qui fonctionne comme un tourniquet, le

sens figuré désigne les chassés croisés d’employés entre le privé et le public, on pourrait

la traduire en français par la culture des vases communicants ou encore par l’expression

« pantouflage ». Aux États-Unis ces échanges, même s’ils sont tabous auprès de

l’opinion publique et que leurs travers sont dénoncés avec force dans certains ouvrages

ou tribunes, ne sont pas encadrés. La France a imposé un cadre législatif à l’action des

anciens agents de l’État aujourd’hui reconvertis dans le secteur privé avec le décret

n°95-168 du 17 février 1995. Ce décret interdit aux anciens fonctionnaires d’exercer

une quelconque influence sur les contrats de cette entreprise avec l’Etat pendant une

durée du cinq ans à compter de leu départ de l’institution publique. Ce délai a été

raccourci à trois ans par un autre décret en 2002.

Cette interpénétration a conduit à une intense activité de lobbying auprès de milieux

politiques et militaires dans le but d’étendre l’externalisation et surtout de mettre en

place un cadre législatif favorable à l’extension des compétences des entreprises privées

et à la diminution des domaines strictement régaliens.

2. Une intense activité de lobbying.

Il y a 50 ans le président Eisenhower avait contraint les agences gouvernementales

de se livrer à des étude comparatives de coût pour déterminer si une tâche effectuée par

un de leurs employés ne pouvait pas l’être à moindre coût et avec une efficacité accrue

par le secteur privé. La circulaire A-76 de l’OMB fournissait un cadre législatif à la

pratique de l’externalisation pourtant des sources anonymes déclarent avoir observé des

« résultats négatifs d’entrepreneurs privés gagner un A-76 en raison d’une concurrence

faible ou peu réaliste. Certains posent même la question de savoir si l’objectif politique

de l’externalisation n’est finalement plus important que l’objectif financier. Cette

question est cruciale dans notre réflexion sur l’externalisation du BTP et des services

afférents. Pour pouvoir y apporter des éléments de réponse, il convient d’étudier le

lobbying.

29

Aux États-Unis le lobbying est une activité acceptée et ne revêt pas la même

connotation négative qu’en France, même si les pratiques et les mentalités évoluent à ce

sujet. Cette activité fait partie des tâches de l’entreprises pour assurer son

fonctionnement au même titre que la communication. Il s’agit donc d’un investissement

comme un autre. Le lobbying est le levier privilégié des entreprises dont la cible

commerciale est les agences gouvernementales. Halliburton a dépensé 1,2 million de

dollars dans des activités de lobbying de 2000 à 2001, ces efforts ont été récompensés

par l’obtention d’un milliards de dollars de contrats. La nomination de Dick Cheney à la

vice-présidence des Etats-Unis coïncide avec une baisse des dépenses en lobbying du

groupe Halliburton, la présence de M. Cheney assurant une représentation des intérêts

du groupe au sein de l’administration Bush. Le pic en 2004 du budget de lobbying

correspond à la période durant laquelle l’entreprise à du se défendre devant le congrès

d’accusation de surfacturation.

Les Think tanks (TT) occupent dans la société américaine une place importante. Ces

associations permettent l’émergence de nouvelles théories et engagent des réflexions

avec des sensibilités politiques différentes. Elles contribuent au renouvellement de la

science politique, au pluralisme du débat et influencent aussi bien le monde politique

que le monde des entreprises. La devise de l’institut Montaigne (un TT français)

« réfléchir, proposer, influencer » résume leur mission. Les TT, « laboratoire d’idées »

sont une forme intermédiaire du lobbying. Ils travaillent à la manière d’un centre de

recherche dans leur production intellectuelle et à la façon d’un lobby dans leur force de

proposition aux entreprises et agences gouvernementales. Les TT sont aussi un milieu

privilégié de l’interconnexion entre les agences gouvernementales, les entreprises et les

prétendants à un mandat politique. Les TT sont le pourvoyeur des administrations

présidentielles aux États-Unis et jouissent à ce titre d’un prestige important. Les TT

néoconservateurs ont joué un rôle très important sous les administrations Bush dans

l’externalisation du BTP et du soutien en opérations.

3. Le cas de Dick CHENEY et de Halliburton : une illustration éloquente du

phénomène de la revolving door et du lobbying.

Halliburton fait parti des 500 plus grosses entreprises de la planète en terme de

chiffre d’affaires annuel (selon le magazine Fortune). Elle travaille principalement dans

30

le secteur parapétrolier où elle a en charge la construction des infrastructures

d’exploitation et de transformation du pétrole brut. Sa filiale KBR, la plus importante

du groupe, construit des bases et assure le soutien propre au fonctionnement d’une base

vie. Dans les années 1990, alors que Dick Cheney était Secrétaire d’État à la Défense,

on a demandé à Halliburton de rédiger un rapport sur la mise en œuvre de

l’externalisation des fonctions courantes de l’US Army. Du 21 mars 1989 au 20 janvier

1991, Dick Cheney a occupé le poste de Secrétaire à la Défense, puis du 20 janvier

2001 au 20 janvier 2009 celui de vice-président des États-Unis. Entre ces deux mandats,

il prend la tête de Halliburton de 1995 à 2000. Il est entouré de David Gribbin, qu’il

considère comme un homme de confiance, ils sont amis depuis l’université. Dick

Cheney lui confie la tâche d’assurer la liaison entre Halliburton et le gouvernement. Ces

derniers ont fortement contribué à accroître la collaboration de l’entreprise avec le

gouvernement et la valeur des contrats remportés par l’entreprise. Lorsqu’il quitte son

poste en août 2000, il obtient une indemnité de départ estimée entre 45 et 62,2 millions

de dollars. Dick Cheney a conservé, en plus, 433 000 stock options. Or en septembre

2003, le sénateur Frank Lautenberg publie un rapport dans lequel il établit que le fait de

continuer à être rémunéré même de manière différée et de détenir des stocks options

d’une entreprise pendant son mandat de vice-président constitue un « intérêt financier »

(financial interest) allant à l’encontre de l’éthique professionnelle. Un autre rapport du

Congressional Research Service montre que cette règle éthique ne peut pas s’appliquer

obligatoirement pour le président et son vice-président afin de garantir leurs droits

constitutionnels, mais que toutefois l’usage est de confier ses stock options à une tiers

(« Blind trust ») pour éviter les risques de collusion. Malgré ces rappels à l’ordre Dick

Cheney continuait en 2005 de posséder 140 000 parts du groupe Halliburton pour une

valeur de 7,6 millions de dollars. Ceci montre son intérêt à assurer la bonne santé

économique du groupe en facilitant l’octroi des contrats les plus importants dans le

domaine du parapétrolier mais surtout dans le domaine en pleine expansion du BTP par

l’intermédiaire de la filiale Halliburton. Avant sa nomination à la vice présidence, Dick

Cheney a doublé la part des revenus de l’entreprise issus des contrats avec le DoD

notamment par l’intermédiaire du Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP),

ces revenus sont passés de 1,1 à 2,3 milliards de dollars de 1995 à 200025

. Halliburton

25

. Center for Public Integrity, VERLOY André et POLITI Daniel, Halliburton Contracts Balloon, 18 août 2004, disponible sur www.publicintegrity.org/wow/report.aspx?aid=366.

31

est ainsi devenu 18ème

sur la liste des entreprises contractantes avec le Pentagone alors

qu’elle figurait à la 73e place cinq ans plus tôt.

Après le départ de Dick Cheney de la tête de l’entreprise, des hommes de son

entourage ont continué à assurer un relais d’influence réciproque entre l’entreprise et

l’administration. C’est l’amiral Joe Lopez, ancien commandant en chef pour les forces

américaines en Europe du Sud, qui a repris le poste de David Gribbin26

. Un autre

homme, Richard Armitage, secrétaire d’Etat adjoint de 1989, a travaillé ensuite comme

consultant pour Halliburton, fait partie des hommes de confiance de Dick Cheney.

L’étude de la biographie de R. Armitage montre à quel point l’imbrication entre les

institutions gouvernementales et les entreprises est forte, l’alternance de mandats

gouvernementaux et de postes aux seins de grands groupes américains illustre à dessein

le phénomène de revolving door. A un certain point, il semble que les deux se mêlent

tant la frontière entre les deux activités devient ténue. Par exemple R. Armitage fonde

en 1993, après ses mandats politiques, une société de conseil Armitage Associates dans

laquelle il emploie une des filles de Dick Cheney. Ses conseils portent sur les intérêts

géopolitiques (le droit de l’eau) au Moyen-Orient et les contrats d’armement. En

décembre 1993, R. Armitage écrit à l’ambassadeur des Etats-Unis en Géorgie pour

défendre un projet de lignes téléphoniques. Aussi anecdotique que soit cet exemple, il

illustre le travail des réseaux dans les prises de décisions dans l’accord de contrats à

l’étranger. Il en est de même dans le processus d’externalisation du BTP, KBR jouit

d’un avantage important tant ses soutiens au sein de l’administration Bush de 2001 à

2009 ont été forts. Cette période coïncide avec l’opération Enduring Freedom en

Afghanistan en 2001 et Iraqi Freedom en 2003, ces deux conflits constituent une sorte

d’apogée de la politique d’externalisation du BTP et du soutien.

KBR, filiale de Halliburton a réalisé en 2001 un chiffre d’affaire de 13 milliards de

dollars. Elle estime à 740 millions de dollars, soit 37%, la part des contrats avec le

gouvernement des Etats Unis dans ce chiffre d’affaire. KBR a ainsi été payé 2 millions

de dollars pour renforcer la base de Tachkent (Ouzbékistan) en novembre 2001 et 16

millions de dollars pour construire une prison sur la base de Guantanamo en mars 2002.

Le point de départ de cette étroite collaboration entre le gouvernement et Halliburton

remonte à 1992 quand le Pentagone, sous la direction de Dick Cheney, a payé 3,9

millions de dollars pour qu’elle fournisse une étude détaillée sur la manière dont des

26

. CHATTERJEE Pratap, La guerre contre le terrorisme comme filon, CorpWatch, 1er

Août 2002, disponible sur www.legrandsoir.info/La-Guerre-contre-le-terrorisme-pour-filon.html, consulté le 16 octobre 2009.

32

entreprises privées pourraient aider les forces armées américaines dans des zones de

guerre potentielles dans le monde entier. Cette étude a été livrée sous la forme d’un

rapport classé confidentiel. La même année, le Pentagone a octroyé cinq millions de

dollars supplémentaires pour qu’elle mette son rapport à jour. Quelque mois plus tard

KBR décrochait son premier contrat avec le gouvernement américain.

Un autre exemple illustre le lobbying des entreprises auprès du gouvernement des

États-Unis. Dick Cheney dans une conférence en février 1997 à Washington a battu en

brèche l’idée de sanctions contre l’Iran, en arguant du fait que la Russie pourrait y

prendre la main de manière trop prégnante. Dick Cheney défendait en fait, les activités

de son entreprise qui jouit de nombreux liens avec l’Iran, en 1957 Halliburton a

remporté un contrat de 800 millions de dollars pour la construction d’une base navale.

De nombreuses personnes se sont élevées en 1997 contre cette alliance de Halliburton

avec l’Iran, Dick Cheney a répliqué que tout était en ordre puisque les contrats avaient

été signés avec une filiale basée aux îles Cayman. L’émission de la CBS « 60 minutes »

a enquêté aux îles Cayman et a découvert que si Halliburton était bien enregistrée à

cette adresse elle ne possédait pas de bureaux et même pas une boîte postale… En Avril

2007, Halliburton a cédé à la pression croissante du gouvernement américain et à quitté

l’Iran après avoir honoré ses contrats.

Dans le chapitre 14 du livre State-Corporate Crime27

Dawn Rothe met en lumière les

controverses qui émaillent les liens entre Halliburton et Dick Cheney. L’une des plus

importante porte sur le fait que les contrats étaient attribués à Halliburton sans passage

par les études de coût prévues par la circulaire A-76 et qu’au final les contrats accordés

à cette entreprise étaient plus chers du fait de l’absence de concurrence. D. Rowthe

dénonce cette pratique en déclarant qu’elle a contribué à faire du « profit sur la guerre »

(« War profiteering ») une pratique courante et acceptée au sein de l’administration

Bush en « récompensant davantage les entreprises pour ceux qu’elles connaissent que

pour ce qu’elles savent faire, dans un système ou le copinage importe plus que les

compétences . » Cette critique est sévère mais reflète les critiques parfois virulentes sur

les liens entre les acteurs politiques et industriels. Ces détracteurs n’ont pas accepté la

décision de l’administration Bush d’abroger la règlementation mise en place par

27

. State-Corporate Crime, ROTHE Dawn, Chapter 14: Iraq and Halliburton, Rutgers University Press, 2006, pp. 215- 238.

33

l’administration Clinton qui régulait les contrats passés par le gouvernement28

. Certains

y ont vu un cadeau fait pour Halliburton dans la mesure où cette abrogation lui a permis

de décrocher ensuite des contrats qu’elle n’aurait pas eu sans cette mesure favorable.

Dans cet ouvrage, l’auteur parle d’un véritable « mariage » entre Halliburton et

l’administration Bush-Cheney. Il écrit plus loin que « les fruits de la guerre contre le

terrorisme (War on terror ) n’ont profité qu’aux membres de la famille .»

Cette étude des liens entre le monde politique, le monde militaire et celui de

l’industrie sont puissants. La frontière est ténue entre collaboration et pantouflage et

entre lobbying et prise d’intérêts d’hommes politiques au sein d’entreprises. Ces

relations provoquent des réactions virulentes à l’encontre d’un système opaque. Il

semble que ce soit la contrepartie à l’application énergique de l’externalisation et à la

volonté de changer la gestion du soutien au sein de l’US Army. L’armée américaine

s’est adaptée très vite aux nouveaux défis auxquels elle doit désormais faire face pour

continuer à assurer un leadership militaire dans le monde entier. La fin de la guerre

froide et surtout le 11 septembre 2001 ont accéléré ces mutations. L’armée américaine a

consenti à changer de visage et à accepter de nouveaux acteurs, les entreprises.

28

. Le 20 janvier 2001 l’administration Bush suspend à titre temporaire la réglementation (N° 65 FR 80255) adoptée lors de l’administration Clinton puis l’abroge définitivement en avril 2001.

34

II Des entreprises devenues des acteurs principaux dans les conflits.

Les entreprises prestataires de services sont devenues indispensables sur les théâtres

d’opérations extérieures non seulement pour l’armée américaine mais aussi pour les

armées étrangères combattant à ses côtés. En Irak et en Afghanistan les troupes

coalisées étrangères sont dépendantes des installations aéroportuaires, des bases et de la

logistique américaine. Le fonctionnement des bases est entièrement confié à des

entreprises privées qui après les avoir construites assurent sa sécurité et l’ensemble des

services aux troupes. La guerre d’Irak lancée en 2003 est la guerre la plus externalisée

de l’Histoire, les contractants issus d’entreprises privées constituent le deuxième

contingent, loin devant les troupes britanniques. Ces entreprises jouissent de contrats

très importants sur le moyen terme tant par leur valeur que par l’ampleur des tâches

confiées. Ces entreprises participent à la stratégie américaine de pré-positionnement par

la construction de bases dans des zones d’intérêt, la confusion de savoir qui de

l’entreprise ou du gouvernement dirige cette politique semble parfois poindre. Toutefois

un problème apparaît, le conflit est la source de profit de ces entreprises, il semble

logique que ces dernières n’ont pas intérêt à ce que ce dernier cesse. Cette question

dresse des enjeux éthiques que nous tenteront de traiter. Ces entreprises sont parvenues

à mettre en place la plus grande logistique du monde articulée et coordonnée par de

gigantesques contrats.

A. Des contrats importants à moyen terme par leur valeur et l’ampleur des

tâches confiées.

1. Le Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP), outil privilégié de

l’externalisation du BTP et du soutien aux troupes engagées.

Le LOGCAP est un programme d’octroi de contrats d’externalisation de fonctions de

soutien de l’US Army à des entreprises privées. Il est le fruit des jalons mis en place

depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et du retour d’expérience de la guerre du

35

Vietnam. Un nombre important d’officiers gardent toujours un mauvais souvenir du

Vietnam, lorsqu’ils devaient monter eux même leur campement et jugent inacceptable

d’avoir vu des soldats passer leur carrière entière derrière des fourneaux. Le LOGCAP

entérine la politique américaine d’externalisation de sa logistique militaire et accélère le

transfert de compétences dans de domaine du BTP. KBR, DynCorp remportent

construisent de plus en plus de bases au détriment de l’arme du génie qui voit ses

missions évoluer.

Le LOGCAP doit permettre de combler les lacunes de la logistique assurée par des

militaires. Adopté en 198529

, il est placé sous l’autorité du général commandant les

fonctions logistiques des forces armées américaines (Army Deputy Chief of Staff for

Logistics)30

. Il a été mis en œuvre en 1987 dans le but de parer toute éventualité d’un

déploiement en urgence et de diminuer les coûts superflus. Le LOGCAP exigeait du

contractant qu’il puisse loger et soutenir 20 000 hommes sur cinq bases pour une durée

de 180 jours avec une clause optionnelle d’extension à 50 000 hommes pour 360 jours.

Au cours de l’opération Joint Endeavor en Bosnie en 1995, KBR a ravitaillé les troupes

en nourriture, eau, vêtements et carburant. Cette opération est considérée comme un

succès du LOGCAP, elle a permis de décharger les états major des préoccupations

logistiques tout en fournissant un service de qualité. Les entreprises DynCorp et

Halliburton ont remporté de nombreux contrats dans les années 1990. Le LOGCAP est

une sorte de contrat d’exclusivité pour une durée définie. DynCorp a remporté le contrat

LOGCAP de 1997 à 2000 puis de 2000 à 2002 ayant remporté le second appel d’offre.

Halliburton KBR a remporté en 2002 le LOGCAP III pour une durée d’un an

renouvelable 9 fois. L’entreprise qui remporte le contrat est liée au DoD et est en charge

de palier les insuffisances de la logistique militaire et de répondre à tout besoin dans ce

domaine dans des délais records, n’importe où dans le monde. Le LOGCAP fournit aux

forces armées la logistique nécessaire au déploiement d’un corps expéditionnaire de 20

000 hommes comme la construction et le fonctionnement d’une base. Le LOGCAP

divise ses compétences en cinq catégories : installations, soutien (alimentation,

blanchisserie…), maintenance et transport. Le premier contrat à regrouper l’ensemble

de ces catégories à été remporté par l’arme du génie de l’US Army en août 1992, il a été

exécuté en décembre de la même année pour assurer la logistique des forces armées

29

. US Army Regulation 700-137, Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP) (Washington DC:

Headquarters, Department of the Army, 16 December 1985). 30

. NIGARA Karen, Outsourcing the US Army, Dissertation for doctorate in management.

36

américaines et des forces de l’ONU en Somalie. Le LOGCAP a été mis en œuvre au

Timor oriental31

en 1999, le manque d’infrastructure sur zone étant devenu un handicap

à la poursuite de l’action militaire. DynCorp a construit en quelques jours une base pour

le stationnement des troupes (force multinationale emmenée par l’Australie) et s’est

ensuite attelé à construire des héliports. La « réquisition » de l’entreprise par le

LOGCAP permet une réactivité inégalée car le fonctionnement de l’entreprise ou du

service gouvernemental est indépendant. Sa réquisition n’alourdit donc pas la

manœuvre en cours, l’entreprise reçoit sa feuille de route et s’exécute. Ensuite, l’enjeu

de contrats futurs et d’une récompense d’une DoD sont souvent au cœur des

préoccupations des entreprises.

Le LOGCAP est aujourd’hui un programme dépendant du Department of the Army32

,

il planifie aussi les futurs besoin des forces dans les années à venir en temps de paix et

de guerre. Le LOGCAP a montré son efficacité depuis la Somalie jusqu’à la guerre du

Golfe en 1991. Une clause du programme demeure problématique : le contractant doit

être protégé par les forces armées américaines. Le problème devient plus aigu lors du

retrait des troupes, en effet pour éviter une rupture de la chaîne logistique et un retrait

en ordre, les contractants devraient partir avec les tous derniers soldats. La difficulté de

tenir cette clause, voire la mauvaise volonté des forces armées américaines a conduit les

entreprises à devenir plus indépendantes sur les théâtres quitte à assurer elle-même leur

protection.

La contre-offensive américaine après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 a

fortement augmenté la valeur des contrats issus du LOGCAP. Dawn Rothe souligne

dans l’ouvrage State-Corporate Crime que de nombreux néoconservateurs et

entreprises ont compris que l’heure étaient venue de tirer des profits de la nouvelle

guerre qui allait s’engager. « Halliburton était prête à rentabiliser ses relations avec son

ancien PDG »33

. En novembre 2001, le groupe a reçu 2 millions d’euros pour renforcer

l’ambassade américaine de Tashkent en Ouzbékistan. En décembre 2001, Halliburton a

remporté le contrat, dans le cadre du LOGCAP, pour assurer le soutien logistique des

troupes américaines en Afghanistan, au Qatar, au Koweït, en Géorgie, en Jordanie, à

Djibouti et en Ouzbékistan. Halliburton (KBR) a, en outre, reçu 110 millions de dollars

pour la construction d’une prison et d’installations diverses sur la base de Guantanamo.

31

. SMITH Andy, LOGCAP Success in East Timor, Army Logistician Magazine, Juillet-Août 2000, disponible sur http://www.almc.army.mil/alog/issues/JulAug00/Index.htm. Consulté le 24 octobre 2009. 32

. Equivalent de l’Etat Major de l’Armée de Terre pour la France. 33

. ROTHE, Op. Cit. p.222. “Halliburton was ready to cash in on its relationship with its past CEO”.

37

La prison à la suite de ces travaux et de travaux plus récents d’extension atteint une

capacité 1 100 détenus. Halliburton a aussi remporté, le 14 décembre 2001 auprès du

Pentagone et ce pour une durée de dix ans, un contrat du LOGCAP, ce contrat est

définit par le Pentagone comme un « marché en règle avec prime » et comme une

« livraison pour une durée indéfinie et des quantités indéfinies ». Depuis Halliburton a

multiplié les contrats lucratifs avec l’armée américaine sur le territoire national, ainsi

qu’avec l’armée britannique et même avec une agence russe chargée de la réduction des

menaces causées par des missiles alimentés en combustible liquide.

Le LOGCAP offre à l’armée américaine une capacité d’anticipation inégalée dans la

planification des besoins logistiques et de la conduite d’éventuelles opérations. Alors

que les autres armées notamment européennes confient ce travail de prospective aux

états major, l’US Army avec le LOGCAP le confie à des entreprises qui préparent tous

les scénarios possibles. Un problème subsiste toutefois, dans quelle mesure ces

projections du fait des activités de lobbying ne deviennent pas des prophéties auto-

réalisatrices ? La préparation de la guerre d’Irak de 2003 illustre parfaitement cet

exemple. Bien avant le début des opérations, Halliburton avait déjà préparé les plans et

avait commencé à masser ses employés en Turquie et au Koweït. Le deuxième

contingent au monde était prêt. En 2003, KBR a remporté 587 988 500 dollars dans le

cadre du LOGCAP34

. Dès 2003, les profits des entreprises contractantes ont explosé

dépassant parfois le cadre du LOGCAP. L’indépendance des entreprises dans le cadre

de ces contrats est illimitée, elle offre l’avantage d’un investissement maximum de

l’entreprise dans la tâche qui lui est confiée. L’inconvénient réside dans la difficulté de

facturer les prestations.

2. Des entreprises indépendantes dans le cadre du contrat et le problème de

l’estimation des dépenses.

La nature du LOGCAP et des contrats qui en découlent confère une forte

indépendance aux entreprises prestataires. Le contrat de 10 ans remporté par

Halliburton en décembre 2001 signifie que le gouvernement a un mandat et un budget

illimités pour envoyer KBR n’importe où dans le monde. Halliburton a réussi à

anticiper la demande à l’approche de la guerre d’Irak, notamment grâce à ses liens avec

34

. SINGER, Op. Cit. P.10.

38

Dick Cheney. Cette rapidité lui a permis d’obtenir sept milliards de dollars de contrats

selon les informations du site internet35

de l’arme du Génie de l’US Army.

Halliburton (KBR) est la figure de proue du dispositif logistique du BTP et des

services afférents. Cette entreprise par la nature du contrat jouit d’une forte

indépendance mais aussi par les relations qu’elle entretient avec les troupes. En effet,

Halliburton, avec un mandat illimité, joue à fond la carte de la satisfaction des troupes.

Cette volonté de satisfaire les troupes est saluée par la hiérarchie militaire qui y voit un

moyen de fidéliser ses soldats engagés dans un conflit difficile et surtout pour une

longue période (18 mois). Pratap Chatterjee spécialiste de la question de

l’externalisation du soutien aux troupes souligne dans son ouvrage Halliburton’s Army

l’absence de coordinateur entre l’entreprise et les troupes. Ainsi les soldats adressent

directement leurs doléances dans ce qui ressemble à une étude de satisfaction que l’on

trouve à la sortie des supermarchés. Les résultats sur la base Camp Victory sont

éloquents, les troupes contribuent à cette inflation des services rendus. Ainsi des

sergents demandent s’il serait possible d’avoir des gaufres et davantage de parfums de

glace, et pendant qu’un lieutenant-colonel fait remarquer que les portions servies sont

trop importantes, un autre demande pourquoi n’a-t-on pas recours aux services de l’US

Air force pour faire livrer des fruits et de légumes frais. Halliburton a réussi le tour de

force d’importer tout le confort de la société de consommation américaine sur les

théâtres d’opérations extérieures avec l’assentiment des chefs militaires pour le plus

grand bonheur des troupes présentes sur place. Un tel confort et une telle richesse à la

porte d’un des pays les plus pauvres du monde n’est pas sans créer des problèmes dans

le travail de soldats et dans la perception de la population locale de cette force

étrangère. Nous développerons ce dernier point plus tard.

Cette surévaluation des services rendus est en lisière de la fraude. Certains cas

abusifs ont été dénoncés avec forces par certains officiers et observateurs extérieurs.

Dans la majorité des cas le service rendu est excellent malgré le coût engagé. La logique

a donc changé depuis l’Irak, l’impératif économique est au second plan, il importe

désormais de faire fonctionner la plus grande logistique au monde quoi qu’il en coûte.

La pratique des « cost-plus contract » traductible en Français par « prix de revient

majoré » ou par « contrat de remboursement des coûts » est symptomatique de la

puissance des entreprises dans les contrats et vis-à-vis du DoD. Cette pratique s’oppose

35

. US Army Corps of Engineers, 2003.

39

à la signature d’un contrat à prix fixe. Ce type de contrat permet le paiement du

prestataire pour les dépenses admises à une limite fixée par avance, plus un paiement

supplémentaire pour permettre un profit. Normalement ce supplément est négocié entre

les deux parties du contrat, dans le cas de Halliburton, la pratique est différente. Dawn

Rothe dans State-Corporate Crime explique que « Halliburton a reçu des milliards de

dollars de la part de l’Etat à travers des contrats remportés par appels d’offre (bid

contracts) et d’autres sans cette procédure (no-bid contracts) mais surtout grâce à

des contrats de remboursement des coûts (cost-plus contracts). » Ces contrats sont

essentiellement des chèques en blanc versés par le gouvernement pour qu’Halliburton

touche suffisamment d’argent par rapport aux dépenses engagées, ceci inclus un taux

additionnel de deux à sept pourcents pour assurer les profits de l’entreprise.

Le contrat de Halliburton correspond à une catégorie particulière des cost-plus

contracts, il s’agit du cost-plus-fee-incentive (contrat coût plus rémunération incitative).

Ce type de contrat récompense l’entreprise qui a dépassé ses objectifs en termes de

services et qui a su maîtriser ses dépenses. Les avantages de ce type de contrat sont :

une qualité accrue dans l’exécution de la mission, le prestataire ne cherchant pas à

réduire le plus possible ses coûts pour dégager une marge bénéficiaire et un coût final

inférieur par rapport à un contrat fixe, en effet l’entreprise ne cherchera pas à gonfler

artificiellement ses prix initiaux pour couvrir les risques encourus. Les inconvénients

sont : la nécessité d’une surveillance supplémentaire pour s’assurer que l’entrepreneur

fixe correctement sa rémunération, l’incitation à être efficace est dans les faits faibles.

En théorie ce type de contrat fournit de nombreux avantages, en pratique, il nécessite

une surveillance accrue, une étude des différents types de contrats et une concurrence

minimum pour maintenir une pression sur l’entreprise détentrice du contrat. Ce n’est

pas le cas de Halliburton. Dans les faits, elle considère ce paiement comme une variable

d’ajustement du ratio chiffre d’affaires/ bénéfices. Ces contrats favorisent une inflation

des services rendus, les intérêts de l’entreprise sont si grands et le filon semble

tellement aisé à exploiter que l’on aboutit à une surévaluation des besoins logistiques.

Rappelons que ce sont les même entreprises qui évaluent les besoins, rédigent le cahier

de charges et ont l’exécution des tâches. Cette pratique montre le manque de suivi de

l’armée sur ces questions, le sentiment d’abondance favorisé par les larges enveloppes

budgétaires accordées par le Congrès dans le cadre de la War On Terror favorise ces

attitudes dépensières. L’exemple de la fourniture en carburant illustre cette attitude de

40

KBR. En 2003, un audit du Pentagone36

a révélé que KBR avait surfacturé le

gouvernement américain pour la livraison de 57 millions de gallons de gasoil. On

estime à 61 millions de dollars la surfacturation imputable à KBR de mai à septembre

2003. Le prix du gallon était passé de 2,27 à 3,09 dollars importé par KBR depuis le

Koweït alors que dans le même temps une autre entreprise contractante fournissait le

gallon à 1,18 dollars par la Turquie et que la compagnie nationale irakienne de pétrole

fixait le prix du gallon à 96 cents. Le gouvernement a été victime de l’excès de

confiance accordé à Halliburton. Cette entreprise à profité d’une conjecture favorable

entre la grande indépendance qui lui était accordée et un budget de la défense en

augmentation et sans réel suivi. L’entreprise après avoir remporté le LOGCAP III d’une

durée de 10 ans et d’une valeur de 3,8 milliards de dollars a continué à surfacturer la

gouvernement américain, notamment 67 millions de dollars en repas destinés en fait à

des sous-traitants. L’indépendance de l’entreprise est aussi garantie en fonction de

l’origine des financements. Si l’argent avec lequel l’entreprise est rémunérée vient du

Congrès, la loi oblige à un contrôle accru des activités de l’entreprise et de l’utilisation

de l’argent du contrat. Si l’argent vient d’autres sources de financement, les contrôles

sont plus lâches, les interconnexions entre Halliburton et la Maison Blanche lui ont

permis de jouir de ces sources de financement favorables. Au début il était prévu que

l’argent pour payer les entreprises provienne du congrès mais la Coalition Provisional

Authority37

a décidé d’utiliser l’argent irakien par l’intermédiaire des fonds du

Development Funds for Iraq38

moins sujet à un contrôle rigoureux. Cette manœuvre a

permis de supprimer le contrôle du congrès sur l’argent versé aux contractants et

d’éviter de rendre des comptes à l’opinion publique, u contribuable américain.

Halliburton n’est toutefois pas la seule entreprise associée à l’armée américaine pour

la construction de base en opération ou pour assurer la reconstruction des théâtres.

Même si elle est le principal acteur avec 11 431 000 000 dollars de contrats, des

entreprises comme Shaw Group (3 050 749 910 dollars) ou Stanley Baker ill participent

à la construction et à la rénovation du BTP en opérations. Stanley Baker ill a remporté

en 2003 un contrat illimité d’une valeur de 1,2 milliard de dollars pour assurer la

reconstruction de l’Irak. C’est le seul contrat que cette entreprise a remporté avec l’US

36

. Rothe, Op. Cit. P.231. 37

. Autorité provisoire de la coalition, administration provisoire irakienne (dissoute en mars 2004), sous contrôle du ministère américain de la Défense. 38

. Fond de développement pour l’Irak. Sous l’autorité de la Coalition Provisional Authority jusqu’à sa dissolution.

41

Army. Halliburton est le principal acteur car il est aussi le plus visible et le plus critiqué,

la littérature sur le sujet s’intéresse davantage à KBR- Halliburton pour ses liens étroits

et aisés à mettre en évidence avec l’administration Bush, qui lui ont permis en 2003 de

remporter la majeure partie

3. Halliburton et le problème des appels d’offre.

Halliburton et sa filiale KBR ont remporté de très nombreux contrats

d’externalisation des fonctions de soutien de défense. Certains contrats ont été

remportés sans que des appels d’offre ne soient effectués. Halliburton a réussi à

maîtriser la concurrence en faisant valoir ses relations avec Dick Cheney. L’entreprise a

aussi réussi à s’assurer un quasi monopole dans le BTP et le soutien aux troupes en se

présentant comme la seule entreprise capable d’assurer de telles tâches.

Halliburton et ses succès en Irak et en Afghanistan ont soulevé de nombreuses

questions quant à l’attribution des contrats et au sérieux des appels d’offre. Le général

trois étoiles (Lieutenant General) Robert Flowers a déclaré que « le choix de

Halliburton était évident », il ajoute plus loin qu’une étude de la concurrence aurait été

une perte de temps et d’argent et que de toute façon Halliburton aurait remporté le

contrat. Un autre phénomène est apparu, celui de l’inertie des contrats. Halliburton en

ayant parfaitement honoré ses contrats précédents et faisant l’unanimité chez les acteurs

politiques et militaires a remporté des contrats sans que des appels d’offre ne soient

réalisés auparavant. L’entreprise a remporté, en 2003, de cette manière un contrat de

15,6 milliards par le Génie de l’US Army pour l’extinction des incendies des puits de

pétrole et la rénovation des infrastructures sur l’ensemble de l’Irak. Halliburton a aussi

beaucoup profité de contrats additionnels39

qui agissent comme des extensions du

contrat en cours et permettent de court-circuiter les procédures d’appels d’offre. Dans

cette course aux marchés et aux contrats, on assiste à une division des secteurs en

fonction des entreprises. Halliburton a un règne absolu pendant que d’autres

compagnies tentent de se spécialiser sur des niches à forte valeur ajoutée. C’est le cas de

la division Integrated Systems de L-3 COM qui a remporté le plus gros contrat de son

histoire dans le cadre d’un programme illimité (Indefinite Delivery/ Indefinite Quantity)

39

. “additional contracts” ROTHE, Op. Cit. P.223.

42

d’une valeur de 1,5 milliards de dollars40

pour la fourniture de systèmes de soutien au

commandement des forces spéciales américaines. Le contrat est effectif pour une durée

de cinq ans avec une extension possible à 10 ans. Ce contrat est conforme aux souhaits

de Donald Rumsfeld qui souhaitait mettre un terme aux étapes traditionnelles de

contrôle administratif et bureaucratique pour gagner en flexibilité et acquérir des

réactions rapides.

En outre, les entreprises voient leur emprise renforcée dans le domaine de la

logistique et surtout sur le théâtre d’opération où elle occupe une place non plus au sein

des forces armées mais contigüe à ces dernières. L’année 2003 est le moment charnière

où Halliburton s’est imposé sur la scène économique, militaire et politique. Cette année

là, l’entreprise a engrangé 3,9 milliards de dollars en contrats, soit à peu près

l’équivalent du total contracté pendant les dix dernières années soit 4,1 milliards de

dollars. En parallèle, les firmes spécialisées dans la reconstruction ont vu une

augmentation importante de la valeur de leurs contrats : Bechtel (+91% entre 2003 et

2004) et +58% pour Fluor Corporation.

B. Des entreprises puissantes sur les théâtres à la tête d’une formidable

logistique.

Le BTP est un investissement et une réalisation lourde. Les infrastructures mises en

place s’inscrivent dans une logique de longue durée, d’abord parce qu’elles sont

coûteuses et aussi parce qu’on ne met plus en place des villages de tentes mais de

véritables bases faites de béton et d’acier. Les entreprises du BTP et celles qui assurent

le soutien aux soldats doivent aussi avoir des bases arrières pour la gestion des stocks et

aussi pour la préparation avant l’entrée sur le théâtre. L’Irak et dans une moindre

mesure l’Afghanistan donnent des images saisissantes de la première logistique

mondiale, entre le gigantisme des installations et l’opulence des services proposés.

Cette logistique externalisée entraîne un phénomène de dépendance de l’armée vis-à-vis

des entreprises contractantes et, d’une certaine manière, une perte de liberté d’action

pour les forces armées.

40

. WEIDENBAUM Murray, The changing structure of the US Defense industry, Orbis 47, volume 4, 2003, PP.

693-703.

43

1. Une volonté de prépositionnement géographique et stratégique à long terme.

La stratégie de prépositionnement est une affaire éminemment militaire. La

construction de bases dans une zone donnée est un levier stratégique pour s’attribuer

une aire d’influence et pour conserver une force de projection rapide. Aujourd’hui les

entreprises participent à cette stratégie, elles ne se contentent plus de suivre le militaire,

elles influencent ses installations et sont des véritables relais de la puissance américaine.

Les États-Unis utilisent le BTP et l’aménagement du territoire comme des outils

privilégiés pour s’assurer la coopération des États sur le plan militaire et sur le plan

économique par l’exploitation des ressources naturelles (pétrole, minerais).

Le succès de la logistique dans les opérations extérieures est conditionné en partie

par la capacité à maintenir une chaîne logistique continue. Les installations de

prépositionnement entrent dans cette préoccupation de pouvoir suivre le combattant au

plus près. La notion d’arrière disparaît, on ne la rencontre plus lorsque l’on parle de

logistique. Cette dernière est sur le théâtre.

L’histoire de l’île de Diego Garcia illustre cette volonté d’établir des relais

d’influence et d’action. Diego Garcia est un atoll au milieu de l’océan indien à environ

1800 kilomètres des côtes indiennes et sri lankaises. L’atoll est passé sous contrôle

britannique après les guerres napoléoniennes du début du XIXe siècle. Les Français y

avaient installé des plantations entretenues par des esclaves. En 1967, les Anglais ont

racheté et fermé toutes les plantations. En 1971, ils ont cédé le contrôle de l’île aux

États-Unis en échange d’une remise de 14 millions de dollars sur l’achat de missiles

Polaris. Les 2 000 descendants d’Indiens et d’esclaves furent expulsés et déportés sur

Mauritius, une île au large de la côte est africaine. Le service du génie de la marine

américaine entama un projet de construction sur 11 ans d’une base militaire commune

aux Américains et Britanniques. En 1982, un consortium d’entreprises basées à Houston

remporta un contrat de 452 millions de dollars pour l’extension (128 projets) de la base

en cinq ans. Les aménagements de Halliburton ont permis au États-Unis d’utiliser cette

base pour les bombardiers à large rayon d’action déployés pour des frappes rapides sur

des cibles stratégiques. Cette base a été utilisée en 1991 lors de l’opération « Tempête

du désert » et en 2001 et 2003 lors des engagements Afghans et Irakiens.

La Turquie, surtout depuis l’opération Iraqi Freedom, constitue une base majeure de

prépositionnement de l’armée américaine et des entreprises contractantes. La base de

44

Incirlik est une base de l’US Air force, il est néanmoins intéressant d’y étudier le travail

et le rôle des entreprises privées. Le logement et le soutien des troupes reviennent au

consortium Vinnell, Brown & Root (VBR), un projet en commun entre Halliburton et

l’entreprise Vinnell de Fairfax en Virginie. Le contrat, toujours d’actualité en 2009, a

été signé le 1er

octobre 1988, il inclut, en outre, deux bases plus petites : Izmir et

Ankara. A la fin des années 1990, le consortium employait 1200 personnes pour 30

millions de dollars par an. Alors que les forces armées américaines ont un turnover41

très important, on note que les entreprises et leurs têtes dirigeantes assurent une certaine

continuité. Se prépositionner sur une base, c’est aussi faire un investissement pour

l’avenir. En cas de conflit ou de projection rapide, l’entreprise présente sur place avec

l’expérience possède un avantage incontestable. Les contrats d’Incirlik sont les

précurseurs du LOGCAP. Ce dernier n’a pratiquement pas été utilisé lors de l’opération

« Tempête du désert », à la place, les entreprises contractantes étaient embauchées sur

des centaines de petits contrats logistiques. Les résultats ont été décevants et les chefs

militaire frustrés par ce manque d’efficacité. Le retour d’expérience de la première

guerre du golfe était d’assurer la concentration des contrats.

La base de Bondsteel au Kosovo illustre aussi cette volonté de prépositionnement à

long terme42

.

Le Koweït et les pays du Golfe constituent le maillage le plus important dans cette

politique d’occupation du terrain et de rayonnement. La base d’Arifjan est le poste le

plus avancé de l’armée américaine vers l’Irak. C’est sur cette base que l’ensemble des

véhicules engagés en Irak en 2003 ont reçu leur sur-blindage. Halliburton, dans le cadre

du LOGCAP, a construit six casernes, une centaine de bâtiments préfabriqués43

, trois

bâtiments pour la restauration des troupes et du personnel. La base d’As Sayliyah est la

plus grande base de prépositionnement au monde, située au Qatar, elle est la succursale

régionale de la composante « Armée de terre » du Commandement central américain

(USCENTCOM) : US Army Forces Central Command (ARCENT). Cette base est

partagée entre l’US Army et l’US Air Force, elle peut accueillir une brigade lourde de

cavalerie, une deuxième est stationnée au Koweït. La base a été fondée en 199544

, le

lieutenant-colonel en charge de l’établir avait initialement reçu la mission d’accueillir

un bataillon sur quatre mois, an plus tard les premiers éléments de la brigade arrivaient

41

. Rotation des employés dans une entreprise. 42

. Cf. infra p.10 43

. Connus sous le nom de PCBs : Pre-Fabricated Concrete Buildings. 44

. http://www.globalsecurity.org/military/facility/camp-as-sayliyah.htm. Consulté le 3 novembre 2009.

45

sur place. La construction de la base a été achevée en 2000, les travaux qui se sont

déroulés en trois phases ont été financés par le Congrès dans leur totalité soit 110

millions de dollars. Le but de cette base de 106 hectares est de tenir prête une brigade et

de stocker l’ensemble de son matériel pour faciliter une intervention rapide dans

n’importe quel pays de la région et le ravitaillement par voie terrestre, aérienne ou

maritime des théâtres régionaux. Le site possède de nombreux ateliers pour la

maintenance des matériels de la brigade blindée et de nombreux entrepôts climatisés

pour le stockage du ravitaillement. Le 15 août 2000, le commandement du matériel de

l’US Army en opérations a attribué à ITT Industries un contrat de 10 ans, évalué à plus

de 50 millions de dollars pour assurer la maintenance du matériel et le ravitaillement

des troupes stationnées sur le territoire Qatari. Ce contrat inclus la maintenance du

matériel situé à Bahreïn. Cette base, la plus grande du monde, installée à une heure de

Doha, abrite derrière ses murs dominants et ses mitrailleuses lourdes des rangées

d’entrepôts, les logements des 11 000 soldats de la brigade blindée, 150 chars Abrams,

116 véhicules de combat Bradley, 112 autres véhicules blindés, 27 entrepôts avec au

total 146 000 m² de surface. Cette base de prépositionnement permet de réduire le temps

d’intervention de quatre semaines (comme cela était le cas lors de la première guerre du

Golfe) à quatre jours. La construction de la base par phases successives a permis une

utilisation dès le début des travaux. Les installations pour le stockage ont été achevées

lors des deux premières phases, la base vie a été construite et achevée lors de la

troisième phase. Les travaux ont duré quatre ans. La construction d’une telle base a

constitué un défi important pour l’armée américaine, d’abord par l’ampleur de la tâche à

accomplir et aussi en raison de la chaleur étouffante. Le défi a été humain et technique,

il a fallut réussir à s’accorder entre les savoir-faire de la main d’œuvre locale et les

normes américaines, la construction de bâtiments en bétons par des températures

atteignant parfois les 49°c a présenté de nombreuses difficultés.

Outre le prépositionnement à des fins guerrières, à court terme, le gouvernement

américain cherche à établir des accords avec les gouvernements locaux pour y conserver

une influence à long terme. Un article paru dans le New York Times du 20 avril 2003

révèle que « les États-Unis souhaitent planifier une relation à long terme avec

l’administration iraquienne émergente. » Les États-Unis souhaiteraient notamment

maintenir quatre « super-bases » sur lesquelles seraient stationnées des forces de

prépositionnement. Les entreprises, indispensables au bon fonctionnement de ces bases,

seraient donc aussi amenées à rester sur place.

46

2. L’armée de plus en plus dépendante à l’égard de ces entreprises.

DynCorp, Vinnell et Halliburton ont saisi l’arme du génie et anéanti sa filière

« infrastructure » en assurant la plupart de ses missions phares comme la construction

des bases. L’arme du train (transportation) a –elle aussi- connu de profondes mutations,

le transport de marchandises, de denrées et même de munitions étant le plus souvent

assuré par des entreprises privées. L’opération Iraqi Freedom a illustré cette évolution

du rôle des entreprises. Elles sont passées de la mission de soutien à remplacer l’armée

sur certaines de ses prérogatives. Les intérêts politiques ont été parfois plus forts que la

nécessité de conserver un équilibre entre le secteur public et le secteur privé et d’éviter

le monopole de l’un ou de l’autre. Après avoir remplacé les employés gouvernementaux

au nom de la volonté d’accroître la qualité et la quantité de travail effectué tout en

faisant des économies, ces entreprises ont remplacé des secteurs entiers de l’US Army.

Le général trois étoiles David McKiernan en charge des opérations terrestres en Irak,

en 2003, dit à propos de ceux qui planifièrent les opérations « Ces gars, là-bas à

Washington ou au commandement central à Tampa ne comprennent pas cela mais la

plus grande préoccupation que nous ayons est la logistique. Si nous ne pouvons soutenir

les troupes sur le champ de bataille, nous gaspillons l’envoi de forces sur le théâtre. Un

char sans munitions et carburant n’est qu’un tas de ferraille. Ces gars doivent nous faire

réussir, sans eux nous ne pouvons rien. »45

La logistique avant le début des opérations et

au début de l’invasion a fait montre de grandes faiblesses. Pour pallier ces faiblesses, le

377th Theater Support Command en charge de superviser le soutien logistique de

l’opération Iraqi Freedom a décidé de faire ce qui n’avait jamais été fait auparavant :

utiliser une entreprise contractante pour préparer la guerre (en Afghanistan et en ex-

Yougoslavie, les entreprises sont intervenues dans des missions de soutien après les

combats aériens et terrestres). Halliburton a du démultiplier très rapidement ses

capacités pour répondre à cette nouvelle demande alors qu’elle était déjà présente en

Afghanistan, à Cuba, en Ouzbékistan, au Kosovo (Bondsteel) et en Turquie (Incirlik).

Au Koweït Halliburton a reçu un mandat pour accomplir le plus possible de tâche que

l’armée américaine n’était pas en mesure d’assurer. Un des cadres de Halliburton, M.

Gatlin, dépêché sur place avec une douzaine de ses collègues a déclaré au New York

45

. Op. Cit. P. 110.

47

Times Magazine que la situation était bien différente de celle du Kosovo « Quand nous

sommes arrivés ici, il n’y avait ni eau ni électricité, en 24 heures j’ai obtenu un millier

de personnes pour y travailler, ça, l’armée ne peut pas le faire. »46

De nouveaux

quartiers généraux ont été construits à une heure au sud de la base d’Arifjan. Les

ouvriers de Halliburton ont commencé à aménager des routes puis à construire des

immenses abris pour garer leurs camions, mais aussi les hélicoptères Chinook et les

Humvees47

livrés en masse par voie maritime. Des magasins et des restaurants ont aussi

été construits comme Burger King, Subway et Baskin-Robbins, des distributeurs et une

salle de sport équipée de machines dernier cri. En parallèle, Halliburton a érigé

quelques camps supplémentaires dans le désert près de la frontière irakienne baptisés

des noms des États frappés lors des attaques terroristes du 11 septembre 2001 comme

Camp New-York, Camp Virginia et Camp Pennsylvania. Ces bases consistaient en des

villes de tentes pour loger les dizaines de milliers de soldats attendus. Le contrat a pris

officiellement effet quand Joyce Taylor de l’US Army Materiel Command’s Program

Management Office48

de Fort Belvoir en Virginie est arrivé pour superviser le travail de

M. Gatlin et de son équipe en septembre 2002 alors qu’il était déjà à la tête de 1 800

travailleurs. Halliburton avait à ce moment précis pris un ascendant sur l’armée. Une

question se pose ici, l’armée a-t-elle perdu ses compétences logistiques ou est-elle

simplement engagée dans une guerre si rapide qu’elle ne peut gérer elle-même sa

logistique ? Quelle que soit la réponse à cette question –que nous développerons plus

tard- l’armée est dans une position de dépendance vis-à-vis des entreprises

contractantes. Cette dépendance entraîne une perte de contrôle du travail réalisé par les

entreprises qui jouent la carte de la surenchère des services rendus. En mai 2002, les

employés de KBR sont arrivés à la base aérienne de Bagram (sud de l’Afghanistan)

pour y prendre le contrôle des services de soutien aux combattants.

Plus tard, en juin 2003, en Irak, la réhabilitation des bases militaires destinées à

accueillir plus de 100 000 soldats de l’armée américaine a été confiée à KBR (filiale de

Halliburton). L’aménagement des bases par les entreprises a contribué à la massification

de l’intendance du combattant par des infrastructures hors-normes et la volonté de

reconstituer tout le confort d’une ville américaine sur le théâtre même.

46

. BAUM Dan, Nation Builders For Hire, New York Times Magazine, 22 juin 2003. 47

. High Mobility Multipurpose Wheeled Vehicule. véhicule de transport léger. 48

. CHATTERJEE, Op. Cit. P.111.

48

Cette dépendance est accrue d’autant plus que les exemples d’employés

gouvernementaux ne plaident pas en faveur d’une règlementation ou d’une limitation du

rôle des entreprises pour éviter une perte de souveraineté et des savoir-faire au cœur de

secteurs stratégique. Des entretiens avec des cadets de West Point m’ont fait souligner

plusieurs points. Ils regrettent d’abord la dépendance de l’US Army vis-à-vis de ces

entreprises et sont conscients du poids financier et des malversations que cela a pu

entraîner. Ils fustigent toutefois le personnel gouvernemental qui payé à l’heure ne

s’inscrit pas dans une logique d’efficacité. Pour défendre leur point de vue, tous citent

les employés du salon de coiffure de l’académie, en montrant que l’efficacité est faible

et que les temps d’attente sont longs, les employés jouant parfois la montre. Cet

exemple aussi anecdotique soit-il inscrit dans l’esprit des cadets de West Point un rejet

de l’utilisation d’employés gouvernementaux pour des missions d’importance en

opération. Ce corps des anciens diplômés de West Point constitue la majeure partie des

officiers généraux de l’US Army, cet exemple plaide en la faveur d’une dépendance aux

entreprises quelqu’en soit les conséquences pourvu que la qualité et la quantité soient

assurées.

La dépendance vis-à-vis des entreprises contractantes est d’autant plus forte que

si les employés cessent massivement le travail, la situation peut devenir très délicate.

Par exemple, certains employés retardent ou mettent un terme à leurs opérations suite à

l’augmentation de la violence sur le terrain. En avril 2004, suite à l’embuscade du

convoi Kellogg, Brown et Root (KBR), de nombreux conducteurs de camions de KBR

refusèrent de travailler jusqu’à ce que la sécurité soit améliorée. De plus, de nombreux

autres quittèrent simplement le pays, laissant l’armée sans ressources dans certaines

régions. Lors de l’opération Iraqi Freedom en 2003, des cas de soldats volant de l’eau

ou se nourrissant dans des restaurants de rue ont été rapportés, la logistique externalisée

n’avait pas réussi à suivre complètement la rapide avancée des troupes.

Deux sénateurs Claire McCaskill et Susan Collins ont adressé le 29 mars 2009 une

lettre à Robert Gates, Secrétaire d’État à la Défense pour dénoncer la « dépendance

continue de l’armée vis-à-vis du monopole de KBR »49

. Ils regrettent en outre que le

Pentagone n’ait pas réussi à récupérer 100 millions de dollars de trop versé aux

entreprises contractantes.

49

. CARRIE Dann, Army’s largest contractor in Iraq under renewed attack, Congress Daily, disponible sur: www.govexec.com.

49

Malgré cette forte dépendance, l’armée américaine jouit d’une logistique

impressionnante et très efficace à de nombreux points de vue.

3. Des infrastructures hors-normes, des capacités démultipliées, les succès de la

première logistique mondiale.

Dans un rapport intitulé « Impressions de Kaboul »50

, le colonel Michel Goya décrit

une base construite et entretenue par la logistique américaine : « Le QG de la FIAS

(2000 personnes) et les différentes bases de Kaboul forment un archipel fermé sur

l’immense majorité de la population. […]Prendre ses repas dans la base américaine

Phoenix (où est logée Epidote) est surréaliste par l’abondance de produits offerts,

presque tous importés des Etats-Unis, et ses couteux écrans plats diffusant en boucle les

émissions de la chaîne des forces armées américaines (2/3 de sport et 1/3 de slogans sur

la fierté d’être soldat, l’hygiène ou la lutte contre le harcèlement sexuel), univers

aseptisé dont les Afghans sont absents sauf pour le nettoyer. » Cette citation évoque

plusieurs aspects de cette externalisation l’abondance, le coût, un îlot de prospérité dont

est exclue la population. Dans le cadre de cette partie nous ne retiendrons que

l’abondance permise grâce à l’externalisation de l’intendance du combattant. L’armée

américaine seule n’aurait jamais pu se permettre de déplacer des restaurants franchisés,

tels que Burger King, en Irak ou en Afghanistan.

Ce nouveau type de base même s’il isole la troupe du milieu dans lequel ils

combattent est très largement apprécié par les soldats et les officiers américains. La

durée de l’engagement sur le théâtre se fait par périodes de 6 à 18 mois. Pour palier

cette longueur et surtout fidéliser les soldats, les officiers supérieurs et généraux

affirment que c’est un bon moyen. Pratrap Chatterjee montre que le moral des troupes

est lié à cela. La maxime de soldat « le métier est dur mais la gamelle est sûre » est plus

que jamais d’actualité. Tim Horton, directeur des relations publiques de la base LSA

50

. GOYA Michel, Impressions de Kaboul, 12 novembre 2009, disponible sur http://www.france-terre-asile.org/index.php/component/content/article/1500, consulté le 16 novembre 2009.

50

Anaconda51

et ayant servi 20 ans dans l’arme du Train montre que de tels dispositifs

sont aujourd’hui indispensables pour fidéliser les soldats, plus encore ils seraient une

aide au recrutement. Il dit à ce propos « Mais aujourd’hui nous devons séduire, recruter

comme n’importe quelle entreprise dans la rue et leur donner une raison de rester. » Il

montre aussi qu’un soldat américain coûte 100 000 dollars à entraîner sur quatre ans et

donc qu’il importe peu de dépenser 6 000 dollars supplémentaires si cela permet de le

garder et de bénéficier de son expérience. Tim Horton a une approche assez

infantilisante des besoins du combattant : « ils veulent jouer à la Xbox et aller sur

internet. Ils veulent manger une variété importante de nourriture. » Le semestre

international à l’académie militaire m’a confirmé cette vision infantilisante. Les cadets

méritants échappent à une revue de chambre (PMI52

) et ceux qui font l’effort de se

déplacer à une activité quelconque seront récompensés par une pizza offerte. Les

entreprises en plus d’avoir conquis l’ensemble de l’intendance du combattant ont aussi

influencé les mentalités. Cette tendance s’explique aussi par le traumatisme de la guerre

du Vietnam et de ces jeunes soldats qui versèrent dans la débauche de sexe, de drogue

et d’alcool. Ces addictions ont été remplacées par de nouveaux plaisirs.

La base de LSA Anaconda illustre la puissance de la première logistique mondiale et

ses installations hors-normes. Elle se situe à 64 kilomètres au Nord de Bagdad et abrite

28 000 militaires et 8 000 civils sous contrat. Cette base propose une salle de cinéma,

deux piscines dont une olympique, des cours de danse. La base est la destination la plus

fréquente des politiciens et des personnalités qui viennent rendre visite aux troupes.

Cette base est également le centre hospitalier de campagne de l’US Air Force et

bénéficie d’un centre performant de traumatologie (96% de survie chez les blessés qui y

sont accueillis). En parallèle de ces entreprises l’USO (United Service Organization),

association à but non-lucratif agit en faveur des soldats à la manière d’un comité

d’entreprise. Elle a des installations partout y compris sur les théâtres d’opérations et les

bases de prépositionnement (Koweït). Elle se considère sur son site internet53

comme le

lien entre le monde civil et le monde militaire.

Au total, les administrations successives ont signé entre 1994 et 2004 plus de 3 000

contrats avec des entreprises privées pour des services en opérations extérieures pour

51

. Une des plus grandes bases américaines en Irak : base aérienne et base logistique centrale en Irak. Rebaptisée Joint Base Balad en juin 2006. LSA Anaconda demeure tout de même le nom le plus couramment utilisé et rencontré. 52

. Post Morning Inspection 53

. www.uso.org, consulté le 2 novembre 2009.

51

une valeur de plus de 300 milliards de dollars. Le BTP est le secteur le plus lucratif de

l’externalisation, en témoigne la valeur des différents contrats remportés par Halliburton

ou directement par sa filiale KBR : construction des bases de Bondsteel et Monteith au

Kosovo : 829 millions de dollars, construction des bases Eagle et McGovern en Bosnie

Herzégovine : 695,2 millions de dollars, base aérienne de Taszar en Hongrie : 287

millions de dollars, base d’Incirlik en Turquie : 100 millions de dollars, base de Bagram

en Afghanistan : 52,2 millions de dollars, base Able Century 30,5 millions de dollars.

Ces chiffres54

datent du second semestre de 2003 et ne prennent pas sen compte les

contrats remportés en Irak dans le cadre du LOGCAP III. Depuis la guerre en Irak de

2003, ces entreprises et Halliburton au premier plan sont devenues le pivot de la

puissance américaine dans le golfe et dans le monde.

La base de Bagram, ancienne base soviétique, a été rénovée par les États-Unis dès

leur arrivée sur le sol afghan. Cet aéroport s’est transformé en ville-garnison pour 17

000 militaires de la FIAS55

. Les entreprises désignées pour les travaux ont d’abord dû

pour 60 millions de dollars rénover la piste d’atterrissage en l’allongeant de 600 mètres

et en l’épaississant de 28 centimètres. Une envoyée spéciale de TF1 décrit sur un blog56

sa visite de la base de Bagram avec le colonel responsable de la communication, elle y

décrit une usine de purification des eaux en construction , une centrale électrique et une

« cimenterie qui tourne à plein régime », le colonel à ses côtés s’étonne même de

certains bâtiments dans la base qu’il n’avait pas vu être construits. La journaliste

rapporte que les ouvriers employés par l’entreprise de BTP sont des afghans choisis

avec soin. Nous sommes donc ici dans une approche à long terme et sommes loin des

villages de tentes de la guerre du Vietnam montés par les soldats eux-mêmes.

Désormais cette logistique privatisée fait la part belle à l’importation d’une part de

l’Amérique ou du moins à la reconstitution d’un foyer identique à une ville américaine.

Patrap Chatterjee décrit dans un chapitre « Riding the Catfish To Anaconda57

»

l’impressionnante logistique permise par l’externalisation en ce qui concerne la

restauration des soldats. Le camp Striker fait partie des diverses bases vie et de soutien

logistique du complexe de bases Victory. Ce complexe de bases est situé aux alentours

de l’aéroport international de Bagdad. La base vie Striker, proche de la base Victory,

possède des installations hors-normes pour assurer la restauration et l’intendance des

54

. http://www.corpwatch.org/article.php?id=11230, consulté le 2 novembre 2009. 55

. Force Internationale d’Assistance à la Sécurité, (ISAF en Anglais). 56

. http://opexnews.over-blog.com/article-32732370.html, consulté le 29 octobre 2009. 57

. CHATTERJEE, Op. Cit., P. 3. (Apporter le poison chat à l’Anaconda, base de l’armée américaine en Irak)

52

combattants. Elle possède le plus grand restaurant d’Irak avec 1 000 places assises.

« Des douzaines d’employés d’origine asiatique de la Gulf Catering Corporation (un

sous-traitant de KBR) servent à volonté les soldats, les employés gouvernementaux et

les journalistes présents. Cet établissement possède une variété de denrées absolument

incroyable selon les témoignages des soldats qui déclarent avoir ici une meilleure

alimentation et un meilleur niveau de vie qu’aux États-Unis. Sur la base LSA Anaconda

P. Chatterjee rencontre le sous-officier en charge du mess, Michael St. John de la garde

nationale de Pennsylvanie. Ce dernier est fier de lui montrer ce que les soldats ont à leur

disposition «des laitues fraiches, des micro-ondes pour réchauffer leur tarte aux

pommes, des appareils pour se faire des milk-shake. On leur offre même des poulets,

des poissons et des homards. » Il ajoute : « Ici les contractants font tout le travail. J’ai

25 soldats et huit contremaitres de Halliburton-KBR pour contrôler les 175 travailleurs

d’une entreprise saoudienne appelée Tamimi qui nourri 10 000 personnes par jour et

fourni des repas à emporter pour 1 000 autres. Ils font tout depuis l’accueil des

livraisons de denrées au ramassage des poubelles, nous avons les mains libres. Notre

responsabilité est de contrôler leur travail et que les fournisseurs livrent des repas

nourrissants… C’est la seule manière possible de procéder vu le nombre de soldats que

nous avons à nourrir. »

La fête de Thanksgiving démontre l’investissement de l’US Army et des entreprises

contractantes dans l’importance accordée au bien-être des soldats. Le journal58

de l’US

Army détaille les livraisons de denrées alimentaires pour cette fête aux troupes

américaines déployées en Irak et en Afghanistan. Cet exemple souligne aussi que

l’importation des denrées est systématique pour le fonctionnement des bases. Déjà, lors

de la guerre du Vietnam, les États-Unis importaient leur une partie de leur eau pour

contrer tout risque d’empoisonnement. Ce recours massif à l’importation traduit la peur

américaine de ne pas contrôler les aliments et le matériel mis à disposition des soldats.

Ce phénomène est vécu par les autorités et les populations locales comme un manque de

confiance des Américains et entraîne de nombreuses frustrations, il a aussi pour

conséquence de ne pas développer l’économie du pays occupé et de renforcer la vision

par les populations locales des bases comme des îlots de richesse dont ils ne peuvent

profiter et dont leur pays ne tire aucun bénéfice. Ainsi, pour permettre aux 180 000

soldats des forces armées américaines de célébrer Thanksgiving 467 499 livres de

58

. JOWERS Karen, Front-line feast, Army Times, 23 novembre 2009.

53

dinde59

, 13 231 boîtes de pommes de terre douce, 107 832 livres de haricots et 51 652

tartes ont été livrés sur le champ de bataille. Ce fait illustre une ouverture par les États-

Unis dans la conception du fait guerrier. Les chefs militaires considérant que le moral

du soldat est lié à son alimentation, à ses loisirs, tout est fait pour élever son moral et lui

donner l’illusion que la base est un territoire américain capable de lui fournir tout ce

dont il a besoin. Les officiers américains justifient cette pratique par la longue durée des

engagements entre six et dix-huit mois et par le désir d’éviter le dégout du pays comme

les soldats américains l’avaient eu lors de la guerre du Vietnam. Cette pratique nuit

toutefois à l’intégration des soldats américains dans les pays dans lesquels ils opèrent et

à leur compréhension de l’univers culturel qui les entoure. De même la vision par les

populations locales de cette opulence de nourriture, de modes alimentaires différents

induit une barrière supplémentaire. Les entreprises occupent une place prépondérante

dans cette logique, elles ont fait pression avec succès pour implanter les plus grandes

enseignes de restauration rapide sur les bases irakiennes. De nombreux soldats

américains au niveau social peu favorisé affirment même qu’ils avaient dans leur base

en Irak un niveau de vie plus élevé qu’aux États-Unis.

La facilité avec laquelle les entreprises ont remplacé l’armée dans le secteur de la

logistique du champ de bataille, la qualité de service qu’elles semblent assurer et la

volonté de centrer toujours davantage l’armée sur ses prérogatives combattantes

peuvent amener deux types de glissement de l’externalisation de fonctions précises vers

une privatisation partielle de la guerre : le recours croissant et illimité au secteur privé

pour toutes les tâches qui ne relèvent pas du combat comme la maintenance des

systèmes d’armes et l’autoprotection des entreprises contractantes par des sociétés

militaires privées (SMP).

C. Une frontière de plus en plus ténue entre l’externalisation des fonctions

de soutien et la privatisation de fonctions de sécurité opérationnelles.

Comme nous l’avons développé précédemment dans notre propos, les entreprises

contractantes de l’US Army ont acquis une forte indépendance eu égard à la confiance

que leur ont porté les administrations successives et à la difficulté des institutions

59

. Source: Defense Logistics Agency

54

gouvernementales de contrôler ou d’encadrer le travail. Si l’externalisation de la

logistique pose des problèmes liés à la présence d’un contingent important de civils sur

le champs de bataille, la privatisation de la sécurité des bases, des convois pose le

problème bien plus grave de la présence de combattants non militaires et indépendants

de la chaîne de commandement traditionnelle.

1. L’emploi des sociétés militaires privées pour assurer la sécurité des entreprises

contractantes.

Les sociétés de sécurité privées entrent dans la catégorie plus large, établie par les

anglo-saxons, des sociétés militaires privés ou en anglais Private Military Company

(PMC). Ces entreprises ont pour mission d’assurer la protection de personnalités,

l’escorte de convois et la protection d’installations stratégiques comme des bases ou des

installations pétrolières. « Progressivement, les limites traditionnelles entre fonctions de

soutien privatisées et fonctions opérationnelles militaires disparaissent et bouleversent

les mandats des forces armées nationales et la nature de leurs interactions avec

l’environnement civil, notamment pour la coordination civilomilitaire en opérations. »

Les sociétés Blackwater Worldwide aujourd’hui rebaptisée Xe, DynCorp et Triple

Canopy Inc. sont employées par d’autres sociétés privées ou directement par le

gouvernement. Nous ne retracerons pas l’historique complet des entreprises mais elles

ont bénéficié comme les entreprises du BTP de liens favorables dans les administrations

successives. Par exemple la société Blackwater worldwide a pu compter sur l’appui

d’A.B. Kongrad, directeur exécutif de la société et numéro trois de la CIA. Le 11

septembre 2001 a été pour le marché de la sécurité privée un tournant au même titre que

l’externalisation des fonctions logistiques du DoD. Les convois logistiques (carburant,

denrées) et de personnalités étant majoritairement assurés par des entreprises civiles, il a

fallut trouver une solution pour les escortes. L’US Army ne pouvait assurer une telle

mission trop consommatrice en personnel et surtout qui aurait pour conséquence de

disperser de petites unités. Cette conjecture (US Army concentrée sur ses missions

principales, décideurs favorables, développement des entreprises et de leurs activités su

le champ de bataille) a favorisé les activités de Blackwater Worldwide. L’évolution de

55

la valeur annuelle60

des contrats avec le gouvernement américain témoigne de cette

croissance, 2001 : 736 906 dollars, 2002 : 3 415 884 dollars, 2003 : 25 395 556 dollars,

2004 : 48 496 903 dollars, 2005 : 352 871 817 dollars, 2006 : 593 604 952 dollars, soit

plus d’un milliard de dollars sur six ans.

2. Le complexe militaro-industriel à la tête de la sécurité de l’US Army, une situation

inédite.

Dans son discours du 17 janvier 1961, le président des États-Unis, Eisenhower met en

garde la population américaine contre les effets pervers de la constitution récente d’un

puissant « complexe militaro-industriel ». En plus du phénomène de dépendance, il souligne

le risque de collusion entre le privé et le militaire et surtout la direction de l’action politique

et militaire par ce complexe. Le reportage « Why we fight »61

d’Eugene Jarecki met en

lumière ce problème de la direction des affaires militaires par le monde de l’industrie de

défense. On peut reprocher à ce reportage de brocarder la guerre d’Irak de 2003 de manière

parfois légère en utilisant les dérives de l’externalisation des fonctions de défense comme

prétexte parmi d’autre. Il livre toutefois une réflexion intéressante sur le processus

décisionnel pour mener la guerre en Irak et plus précisément sur le vote par le Congrès des

dépenses de défense. Charles Lewis du Center for Integrity62

montre que le « complexe

militaro-industriel » n’est pas le fait que de deux acteurs mais de trois, il faut ajouter à

l’administration en place et à l’industrie de défense, le congrès. Il démontre l’effet

structurant, à l’échelle locale, de l’industrie de défense implantée dans tous les États. De

cette manière les entreprises comme Lockheed Martin et Halliburton considèrent que voter

contre le financement d’un projet de défense revient à menacer des emplois directs et induits

par cette activité et à perdre de nombreuses voix pour les élections à venir. De cette manière,

Eugene Jarecki montre l’emprise de l’industrie de défense sur le Congrès et dans la vie

politique en général. Il considère aussi le 11 septembre 2001 comme l’occasion pour les

entreprises contractantes d’exercer une pression sur l’administration Bush pour élargir le

plus possible la guerre contre le terrorisme et pour la promotion de la liberté. La conclusion

du réalisateur est que cette pression des entreprises sur le Congrès est une sorte de

60

. Source wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Xe, consulté le 9 novembre 2009. 61

. JARECKI Eugene, Why we fight, 2005. 62

. Association à but non-lucratif fournissant des enquêtes de journalismes sur les sujets importants de l’actualité.

56

corruption légale dont Dick Cheney serait le symbole. Plus tard dans le film, il montre Dick

Cheney lors d’un discours au Pentagone déclarant « God bless our contractors ». Cette

phrase, aussi anecdotique soit elle, montre que l’emploi d’entreprises contractantes n’est pas

seulement une question d’économie ou d’organisation interne à l’armée mais un choix

politique. Toutefois, il semble que les intérêts politiques prévalent de plus en plus sur les

intérêts économiques et que la portée de l’externalisation des fonctions de défense soit avant

tout un geste politique.

Le jugement d’Eugène Jarecki sur le 11 septembre 2001 comme occasion rêvée pour

les entreprises contractantes de pousser le gouvernement à externaliser l’ensemble de la

logistique des guerres en préparation peut paraître sévère. Il est néanmoins juste que cette

date constitue un tournant et que les entreprises ont très vite compris où était leur intérêt

dans la riposte que l’administration Bush allait mener. Un article du journaliste Patrap

Chatterjee sur le site de « CorpWatch » révélait le 1er

août 2002 que « le Pentagone

[envisageait] d’étendre considérablement les activités du secteur privé au sein de l’armée,

allant du ravitaillement aérien en combustible des avions de combat polyvalents et des

bombardiers, à la gestion des systèmes de repérage de missiles ».

En Afghanistan un certain nombre de drones sont pilotés par des employés

d’entreprises privées. Ce transfert de compétence est bien plus grave que l’externalisation du

BTP, puisqu’il insère dans des fonctions hautement stratégiques des civils qui ne dépendent

pas de la chaîne de commandement militaire mais d’une entreprise exploitant des données

pour les forces armées. L’externalisation séduit les américains par la facilité à se délester de

tâche considérées comme ingrates ou ne relevant pas d’un soldat, considéré avant tout

comme un combattant.

La période de war on terror qui a suivit le 11 septembre 2001 marque la domination

des entreprises dans le processus d’externalisation du BTP et de l’intendance du combattant.

Ce processus est presque à son apogée, la majorité de ces fonctions étant désormais confiées

à des entreprises. Le gouvernement a donné des milliards de dollars aux entreprises

contractantes pour qu’elles assurent une part de la lourde tâche de mener la guerre sur

plusieurs fronts en même temps. Cet état de fait a créé une situation d’interdépendance de

ces deux acteurs conduisant à une perte de contrôle du secteur. Il semble toutefois que le

gouvernement et l’US Army soient les plus dépendants de ce nouveau mode de gestion de la

logistique. L’externalisation a été très rapide, elle pose des questions et des problèmes

comme le statut des civils sur le champ de bataille. Des organismes indépendants tels que le

57

GAO63

(Government Accountability Office) dénoncent la mauvaise gestion des contrats et de

nombreux cas de fraudes ou de malfaçons. Ils conseillent surtout au DoD de reprendre la

main rapidement pour contrôler l’exécution des contrats.

Barack Obama avant son arrivée à la Maison Blanche fustigeait les sociétés militaires

privées et remettait en cause le recours croissant à l’externalisation dans le domaine de la

défense. Quelques mois après son élection la situation ne semble pas changer radicalement,

au contraire le pouvoir de ses entreprises semble même se renforcer. KBR a enregistré au

premier semestre 2009 une hausse de 27%64

de ses revenus. La continuité et même le

renforcement de la puissance des entreprises privées témoigne de l’incontournable

« complexe militaro-industriel » contre lequel le président Eisenhower avait mis en garde

ses citoyens lors du discours prononcé à la fin de son mandat le 17 janvier 1961 : « Dans les

conseils du gouvernement, nous devons prendre garde à l’acquisition d’une influence

illégitime, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un

développement désastreux d’un pouvoir usurpé existe et persistera ». Un rapport officiel de

la Commission on Wartime Contracting in Iraq and Afghanistan65

évalue à 250 000 le

nombre de contractuels privés en Afghanistan et en Irak. Cette situation est inédite, le

« complexe militaro-industriel » semble échapper au contrôle de ceux qu’il est censé servir.

Une régulation, la mise en place de règles claires et acceptées par l’ensemble des acteurs de

ce phénomène semble être une nécessité urgente.

63

. Organisme d’audit, d’évaluation et d’investigation du Congrès des Etats-Unis, en charge du contrôle des comptes publics. 64

. http://www.bakchich.info/Obama-et-les-sites-mercenaires,08056.html 65

. Cette Commission pour les contrats de guerre dans ces deux pays a été constituée en 2008, après des révélations sur des fraudes massives dans les contrats attribués par le Pentagone pour ces deux guerres.

58

III L’externalisation, la nécessaire régulation d’un secteur devenu livré

à lui-même.

La presse a relayé en 2009 de nombreux cas d’électrocutions66

liés à des installations

défectueuses de l’entreprise KBR. Les entreprises ont été amenées à rendre des comptes

sur leur manière de travailler et leur gestion de l’argent issu des contrats. De

nombreuses voix s’élèvent, surtout dans l’armée, pour dénoncer ce qui apparaît aux

yeux de certains comme un abandon quasi irréversible de compétences. Jusqu’à présent

les entreprises ont travaillé dans un cadre totalement dérégulé, le GAO demande

aujourd’hui au gouvernement américain de reprendre la main dans ce secteur en

précisant le domaine d’action de ces entreprises, en ayant une politique transparente et

assumée de l’emploi de ces entreprises.

A. Les entreprises et le personnel engagé face aux questions juridiques.

Le deuxième contingent en Irak depuis 2003, loin devant les forces armées

britanniques est composé de civils employés des entreprises contractantes. Ces derniers

assument des missions diverses : du cuisinier, au livreur, au gardien de site sensible.

Certains sont armés, d’autres non. Tous œuvrent pour le succès de la logistique de

l’armée américaine et de ses alliés en Irak. Ces employés sont américains, saoudiens,

européens, africains ou de l’Asie du Sud-est. Ils sont tous présents sur un théâtre

d’opérations malgré la fin officielle de la guerre depuis le 1er

mai 2003. Ces civils ont

parfois été responsables de bavures comme les contractors de Blackwater worldwide

lors de la fusillade du 16 septembre 2007 au cours de laquelle 17 Irakiens périrent et au

moins 20 autres furent blessés. La société les ayant appuyés dans ce cas, ces employés

n’ont pas été poursuivis. La société malgré la décision du gouvernement irakien

d’interdire Blackwater de travailler sur son sol a pu poursuivre avec l’assentiment de

l’administration en cours ses activités jusqu’au 31 mars 2009, date de l’expiration de

son contrat. Même si cet exemple nous éloigne du BTP et de l’intendance du

66

. www.reuters.com/articlePrint?articleId=FRLK37157420090520

59

combattant, il montre la complexité de cette question due à la diversité des civils

présents sur le terrain.

1. La question de la main d’œuvre locale : entre intégration à la population et

exigence de sécurité.

Le colonel Goya dans son rapport « Impressions de Kaboul »67

décrit la base

américaine Phoenix comme un « oasis de prospérité dont [les Afghans] profitent bien

peu ». Ces bases sont partagées entre le besoin de recruter de la main d’œuvre locale,

d’abord pour des questions de coût et aussi pour une question d’ouverture et la nécessité

de garantir la sécurité de la base. Lors d’une discussion informelle avec un général de

corps d’armée ayant servi en Bosnie, ce dernier a montré les problèmes de sécurité

engendrés par l’emploi de la main d’œuvre locale. Par exemple, en Bosnie, lorsque l’US

Army a confié la construction d’un état-major interallié à l’entreprise KBR, cette

dernière a employé des Bosniaques. Du matériel d’écoute aurait été ensuite retrouvé

dans certains endroits du chantier. Cette question se pose plus dans certains secteurs

comme l’interprétariat où les conséquences d’une trahison peuvent être tragiques. Les

entreprises assurant le BTP et l’intendance du combattant n’ont pas de réel problème de

sécurité si un contrôle minimum est exercé. La mission des employés reste cantonnée au

service des troupes dans les bases, il n’y a pas de problème de sécurité des employés

vis-à-vis de la population ou des combattants ennemis. Le problème de la sécurité se

pose dans le choix de main d’œuvre employée, pour assurer correctement les missions

de restauration en évitant les tentatives d’empoisonnement et du BTP en parant toute

tentative de sabotage.

Le rapport de 2008 de la Commission on Wartime Contracting in Iraq and

Afghanistan note que la majorité des employés (80%) des entreprises sous contrat avec

le Pentagone en Afghanistan et en Irak ne sont pas américains. Les États-Unis ont fait le

choix de ne plus compter uniquement sur leurs propres citoyens pour livrer les guerres

du XXIe siècle, cela peut conduire à une sorte de chasse aux profits voire à l’escalade

de la guerre.

La première motivation des entreprises à recruter des individus issus de la main

d’œuvre locale ou de pays tiers notamment d’Asie du Sud-est est les économies

67

. GOYA, Op. Cit. P.1.

60

d’échelles réalisées. Ces employés sont beaucoup moins rémunérés que les employés

d’origine américaine ou européenne qui occupent le plus souvent des postes à

responsabilité. Patrap Chatterjee rencontre lors d’un voyage en Irak un employé de

KBR : Savawati68

. Cet homme de 50 ans et originaire des îles Fidji est un employé de la

société Public Warehousing Corporation (WPC) sous-traitante de Halliburton/ KBR.

Son travail consiste à effectuer des livraisons à travers l’Irak au volant d’un camion

frigorifique à 18 roues pour assurer le ravitaillement des bases américaines depuis les

ports koweïtis. Il dort dans son propre camion, les employés n’étant pas autorisés à

loger dans les baraquements des bases américaines, qu’il s’agisse de tentes ou de

préfabriqués. Il est arrivé le 14 janvier 2005, comme cent autres de ses compatriotes

conducteurs des Iles Fidji en espérant gagner 3 000 dollars par mois. En arrivant, il a

découvert que son salaire ne serait que de 640 dollars, qu’il devait subvenir à ses

propres besoins alimentaires. Ces employés sont frustrés de voir le peu d’argent qu’ils

parviennent à gagner et surtout de l’impossibilité qu’ils ont de pouvoir rentrer chez eux,

un billet d’avion aller-retour coûtant en moyenne 2 500 dollars. Les entreprises

disposent donc d’une main d’œuvre fidèle (à défaut de pouvoir quitter l’Irak) et bon

marché. En faisant le calcul, ces Fidjiens sont payés 2,50 dollars l’heure de conduite.

Savawati critique le problème de couverture sociale ou du moins d’indemnisation en cas

d’accident du travail. Victime en 2005 d’un accident de la route lors d’une livraison à

Nasariyah, l’entreprise ne lui a rien versé pour ses soins. Il montre en outre que certains

de ces collègues conducteurs sont morts lors d’attaques de convois ou d’accidents de la

route. Cette politique permet aux entreprises de ne pas alourdir leurs frais de

fonctionnement déjà importants et donc logiquement de proposer des prestations

meilleur marché que si elles avaient été assurées exclusivement par des travailleurs

occidentaux.

Cette pratique d’emploi d’une main d’œuvre peu couteuse est justifiée par les

entreprises par la volonté de ne pas déclencher une inflation en Irak ou en Afghanistan

en payant aux standards occidentaux la main d’œuvre locale. Cet argument ne tient pas

dans le cas des Fidjiens puisque ces derniers viennent principalement en Irak pour y

transférer la plus large partie de leurs revenus à leur famille restée aux Iles Fiji. La main

d’œuvre irakienne reste minoritaire dans la masse totale des salariés et des sous-

traitants.

68

. CHATTERJEE, Op. Cit. P.13.

61

Le réel de problème de sécurité survient lorsque le contrôle des activités des

employés n’est plus possible. La tendance des entreprises comme DynCorp ou

Halliburton à sous-traiter à des entreprises tierces comme Tamimi, une entreprise

saoudienne ou la Gulf Catering Corporation, brouille les possibilités de contrôle du

travail effectué et de gestion du personnel fréquentant les bases. Fondé en 195369

, le

groupe Tamimi est une entreprise saoudienne avec un très large panel d’activités. Elle

possède des chaînes de supermarchés, des hôtels, propose des prestations dans le

domaine parapétrolier, dans la construction de routes, la maintenance électrique et dans

le transport routier de personnes et de marchandises. Ce type d’entreprise capable

d’assurer un panel étendu de prestations capte des contrats important, non pas

directement avec l’armée ou le gouvernement américain mais en tant que sous-traitant

d’une entreprise ayant décroché ce type de contrat. Ce réseau de sous-traitants permet

une réactivité importante des entreprises signataires d’un contrat avec le gouvernement

américain, elles disposent d’une réserve de main d’œuvre flexible, bon marché et

surtout proche géographiquement.

Ce phénomène peut être considéré comme une « sur-externalisation » ou une

« externalisation dans l’externalisation » dans la mesure où un autre transfert de

compétence est effectué par l’entreprise chargée par l’US Army de remplir une tâche

qu’elle ne pouvait plus remplir. Cet emballement dans l’externalisation est, au même

titre que l’emploi de société de sécurité privées, un effet pervers du manque de contrôle

de l’armée sur les entreprises contractantes et de la dérégulation totale du monde de

l’industrie de défense. Le service des repas sur le Camp Striker, juste à côté de

l’aéroport de Bagdad est assuré par les employés de la Gulf Catering Corporation. Les

américains appellent ces entreprises des « subcontractors70

». Cet empilement de strates

dans le monde des entreprises contractantes pose des problèmes dans le suivi qualitatif

des prestations proposées par entreprises. Dans des rapports de satisfaction sur les

cantines des bases en Irak, de nombreux soldats constatent l’impossibilité de

communiquer avec des employés qui ne parlent pas un mot d’anglais pour avoir la juste

ration de nourriture ou pour des remarques générales. L’emploi de main d’œuvre locale

à défaut d’intégrer davantage les populations locales accroit la césure entre l’US Army

et ses installations grandioses et une population pauvre considérant ces bases comme un

69

. www.wikipedia.org 70

. CHATTERJEE, Op. Cit. P. 5.

62

îlot parfois provocateur et indécent de prospérité dont ils ne peuvent profiter. Le

commandant Toni Kemper71

justifie l’emploi d’une main d’œuvre bon marché par le

fait que l’externalisation a été décidée pour faire des économies en suppléant un soldat

américain par un employé civil et que ce dernier ne saurait être plus cher qu’un soldat

sans quoi l’externalisation serait un échec. Les écarts de salaires sont élaborés par les

entreprises en fonction de la région géographique d’origine de l’employé, ainsi une

entreprise peu payer dix ou trente fois moins72

un employé qu’il soit originaire d’un

pays en voie de développement ou d’un pays développé.

En dépit de salaire faible relativement aux standards occidentaux, travailler pour une

entreprise contractante, de surcroît sur une base de l’US Army, reste une opportunité

convoitée au sein des populations locales. La base d’Adana en Turquie attire de

nombreux travailleurs désireux d’y décrocher un emploi quitte à corrompre le système

de recrutement. Les Turcs sont attirés par les installations de la base (un Burger King,

un bowling, un golf, un cinéma, une bibliothèque et une poste) et par les salaires élevés.

Le salaire de départ d’un chauffeur s’élève à 500 dollars soit le double du salaire

mensuel moyen dans la région. Un ancien employé dans un témoignage73

dénonce la

corruption pour obtenir un poste sur la base, certains verseraient 5 000 dollars pour y

obtenir un emploi. Les services de la base sont gérés par Vinnell Brown & Root (VBR),

qui ne dément pas l’existence d’une quelconque corruption dans le passé pour

l’obtention d’un poste dans son entreprise. L’entreprise affirme toutefois que cette

période est révolue et que les employés sont actuellement recrutés après examen de leur

dossier en fonction de leurs qualifications. Le népotisme semble aussi jouer un rôle

important dans le processus de sélection des travailleurs, VBR s’en défend en déclarant

qu’elle ne peut pas rester insensible aux recommandations de travailleurs sur la qualité

supposée d’un candidat à un travail dans l’entreprise.

2. Le contractor face à la justice et au droit international.

Les soldats en tant que combattants sont soumis à une règlementation spécifique en

opération. Les règles d’engagement sont précises, le droit international public et sa

71

. Id. 72

. Article du journal Le Monde, 22 juillet 2007, La guerre parallèle des SMP en Irak. 73

. Id.

63

branche du droit des conflits armés régissent le comportement militaire en opérations.

C’est, en outre, un outil de pression pour réguler et encadrer l’usage de la violence. Les

employés des entreprises privées ont un statut à part en opération. Ces derniers sont tous

civils, mais leur relation au théâtre est différente et particulière en fonction des individus.

Un chauffeur de KBR s’il est armé est-il un combattant ? S’il commet une bavure, est-il

responsable ? Si oui au regard de quelle loi ? Ces questions sont nombreuses et ardues

tant les contractors ont tous des missions différentes et des postures différentes sur le

théâtre. Dans ses recherches74

Glenn Payot montre que les employés des sociétés

militaires privées n’ont pas de statut précis. Ces employés ne sont ni mercenaires ni

combattants et à ce titre échappent au statut défavorable de mercenaire sans pour autant

jouir de la protection et de la reconnaissance du statut de combattant à part entière. Cette

absence de statut défini entraîne une situation précaire accompagnée d’un régime de

protection inadapté. Elle montre aussi la difficulté de faire de ces employés des

justiciables calés sur une instance juridique et montre que dans ces affaires « la justice

nationale est défaillante », que « la justice internationale a une compétence contestée »

et que « la justice militaire a une compétence limitée ». Cet ensemble juridique flou et

inadapté a contribué à développer une impunité sur les théâtres d’opérations extérieures.

Cette impunité ne pourrait être lavée que par la mise en place de tribunaux spéciaux.

Dès la fin du XIXe siècle, sous l’égide d’Henri Dunant, le droit de la guerre est né

avec les Conventions de La Haye, il a été entériné en 1949 par les Conventions de

Genève et les deux Protocoles Additionnels de New-York de 1977. Trente ans après leur

signature, la guerre a changé de visage. Les conflits actuels comme l’Irak et

l’Afghanistan sont essentiellement internes et de basse intensité (guérillas, groupes

terroristes. La frontière devenue de plus en plus floue entre le privé et le public, entre les

acteurs privés et les forces armées. La présence de civils chargés de fonctions autrefois

réservées aux forces armées brouille les repères établis par ces conventions et les rend

inapplicables aux nouvelles situations qui en découlent. Le but du droit des conflits

armés est de règlementer la conduite des hostilités en limitant les atrocités et les

souffrances inutiles infligées aux combattants et aux populations civiles hors de combat.

Ce droit protège faiblement les contractuels, quand un individu agit dans la cadre d’un

mandat ordonné par son État, il est protégé par celui-ci, les employés des entreprises

privées reçoivent une mission de leur entreprise. La multiplication des prises d’otages et

74

. PAYOT Glenn, La situation juridique des employés des sociétés militaires privées, Université Lumière, Lyon II, 2006-2007.

64

des attaques d’employés d’entreprise privées comme la disparition en 2003 de cinq

employés chargés d’assurer la protection d’un convoi de l’Army Corp Of Engineers pose

la question de leur statut et de leur protection.

D’un point de vue juridique, les employés des entreprises privées ne peuvent être

considérés comme des mercenaires, qui prennent directement part aux hostilités. La

reconnaissance du statut de mercenaire ôte à l’individu concerné le statut protecteur de

prisonnier de guerre (article 47 du protocole 1), en plus d’être perçu par certaines

instances comme les Nations Unies comme un criminel de guerre. Les employés de

entreprises privées ne sont pas recrutés pour prendre par à un conflit, ils sont liés à leur

entreprise par un contrat. De plus la nature de tâches confiées, le plus souvent dans le

domaine logistique ne les amène pas à combattre, si tant est, ils le font dans une posture

particulière, dans le cadre de la protection de convois par exemple, dans un mode

défensif. L’exercice du droit à l’autodéfense ne saurait être confondu avec une mission

combattante. Quelque soit la plu-value que ces civils apportent à l’action militaire, en

nourrissant les troupes ou en effectuant la maintenance des systèmes d’armes, ils ne

peuvent être considérés comme prenant part directement aux hostilités. En définitive le

droit des conflits armés ne considère pas les employés des entreprises privées servant sur

les théâtres de guerre comme des acteurs illégaux du conflit.

Ces civils ne sont toutefois pas considérés comme des combattants. Ils peuvent être

amenés légitimement à se servir de leur armes lors d’une attaque mais ne bénéficient à

ce titre d’aucune protection car ils ne sont pas des combattants. Ce statut protecteur qui

ne leur est pas accordé leur est gravement préjudiciable. Le droit de la guerre ne

distingue que deux catégories de personnes en cas de conflit, le combattant et le civil.

Toute personne qui n’est pas reconnue comme un combattant est un civil. L’article 4 de

la IIIe Convention de Genève75

fait référence aux « membres des forces armées », les

contractants qui reçoivent originellement un mandat de ces dernières peuvent-ils

prétendre à faire partie ? « Les forces armées d’une Partie au conflit se composent de

toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armées et organisées qui sont

placées sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant

cette Partie (...). Ces forces armées doivent être soumises à un régime de discipline

interne qui assure, notamment le respect des règles du droit international applicable

dans les conflits armés ». D’abord, sur un plan individuel, les employés ne peuvent être

75

. Site du Comité International de la Croix Rouge http://www.icrc.org/dih.nsf/full/380?opendocument

65

considérés comme des militaires, ils ne sont pas recrutés en tant que tels. Puis sur, un

plan collectif les entreprises privées ne peuvent être assimilées à des forces armées.

S’ils ne combattent pas, les employés des entreprises privées peuvent bénéficier du

statut de « personne protégée », en effet l’article 4 de la IIIe Convention de Genève

étend le statut de prisonnier de guerre « aux personnes qui suivent les forces armées

sans en faire directement partie, telles que les (…) membre d’unités de travail ou de

service chargé du bien-être des militaires, à condition qu’elles en aient reçu

l’autorisation des forces armées qu’elles accompagnent. » Les personnes travaillant

dans le BTP et dans l’intendance du combattant sont donc couvertes par cette

disposition. Ce n’est plus le cas si ces employés font usage de la force même dans le

cadre de la légitime défense. De plus dans certains cas notamment liés à la nationalité

de la personne civile, la protection ne peut prendre effet, elle perd le bénéfice du statut

de prisonnier de guerre en cas de capture par la partie adverse. Elle ne bénéficie que

d’une protection minimale du droit international humanitaire comme l’interdiction de

traitements humiliants ou dégradants. Cet individu peut toutefois jouir de l’aide du pays

dont il est ressortissant, ce dernier peut lui octroyer une aide juridique, voire exercer une

« protection diplomatique ». Dans tous les cas et malgré la précarité de cette protection,

les contractants sont toujours théoriquement protégés par les Doits de l’Homme. Cette

protection n’est toutefois que théorique, les groupes terroristes et les guérillas irakiens

ou talibans ne les reconnaissant pas. Ces dispositions théoriques ont été rédigées pour

règlementer des conflits internationaux, ils ne sont guère adaptés aux conflits récents ou

l’ennemi n’a pas à rendre compte de ces actes. Ce n’est pas un État qui sera poursuivi,

c’est un groupe d’individu. Les mutations de la guerre moderne rendent ce droit

inefficace en ne fournissant pas des statuts réellement définis. La difficulté vient de

déterminer si les employés participent aux hostilités ou non et quelle place ils occupent

sur le théâtre. Tant que cette question ne sera pas résolue, ces employés sont condamnés

à bénéficier à défaut de réelle dispositions de l’interprétation floue et contestable des

textes existants.

De la même manière que les contractuels civils sont peu protégés par le droit

international public, il apparaît que ces derniers sont aussi peu contraints à le respecter.

Le droit des conflits armés définit les droits et les devoirs lors des hostilités. Il prévoit

de réprimer les violations et dispose à cet effet d’instances universelles et d’outils tels

que la règle d’imprescribilité. Ce manque de contrainte est lié à ce que Glenn Payot

appelle « la dilution des responsabilités », cela s’explique par la nature de la hiérarchie

66

entrepreneuriale décrite par l’auteur comme étant en « manque d’autorité et en déficit de

responsabilité. » Par exemple le chef militaire est responsable de l’action des ses

subordonnées, cette clause de solidarité inscrite dans l’article 86 du Protocole 1 a été

reprise ensuite par la plupart des législations nationales ainsi que dans les règlements

militaires. Cette disposition permet à chacun d’effectuer un contrôle du droit quelque

soit sa position dans l’échelle hiérarchique. Les supérieurs civils sont aussi enjoints par

le droit international à faire respecter le droit, l’article 28 du statut de Rome76

parle de

« responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques. » Le lien de

responsabilité entre supérieur et subordonné ne se limite donc pas strictement aux

structures de type militaire. Toutefois ce principe de responsabilité s’applique

difficilement aux employés des entreprises privées. Un employé travaillant librement

pour une entreprise privée, ces éléments ne suffisent pas à établir un contrôle effectif,

d’autant plus qu’aucune loi n’interdit à un employé de désobéir à son supérieur

hiérarchique. Les sanctions internes à l’entreprise vont du simple avertissement au

licenciement mais n’atteignent pas le caractère contraignant prévu par les règlements

militaires et les lois auxquelles sont soumis les militaires. Faute de jurisprudence dans

ce domaine, il est impossible d’évaluer l’efficacité de la notion de « commandement

responsable » dans le secteur civil.

Cette incertitude entourant la responsabilité hiérarchique conjuguée à l’absence de

véritables sanctions disciplinaires prive les entreprises privées d’un mécanisme efficace

de prévention des crimes. La fusillade de Bagdad du 16 mai 2007 témoigne de cette

liberté de l’entreprise quant aux suites à donner à un incident. Les contractants

responsables de cette fusillade n’ont pas été inquiétés à la suite de leur départ d’Irak. Le

cas s’est reproduit après qu’un employé de Blackwater Worldwide, sous l’emprise de

l’alcool, ait abattu un garde du corps du président irakien, aucune poursuite n’a été

entamée contre cette personne.

L’absence de règles strictes concernant la formation et les qualifications des

employés des entreprises et des sociétés militaires privées pose problème. La société

Blackwater worldwide emploie 30% de personnes n’ayant jamais reçu de formation

militaire. Le recrutement est aussi différent de celui des armées, les armées

sélectionnent leurs soldats sur la base de critères physiques et psychologiques, leur

76

. http://www.preventgenocide.org/fr/droit/statut/

67

garantissant l’équilibre des soldats engagés. Les entreprises privées ne sont pas tenues à

ses dispositions et sont libres d’embaucher le personnel qu’elles désirent.

Selon Glenn Payot, le seul moyen sûr de lutter contre une impunité des employés

civils est la mise en place de tribunaux spéciaux, la cour pénale internationale ne

disposant pas d’outils suffisants pour juger et sanctionner les contractants civils. Ces

tribunaux seraient implantés à la manière des cours martiales sur le territoire en question

pour recevoir aisément les victimes sans qu’elles aient à engager des procédures à

distance. Le Royaume-Uni a déjà adopté un dispositif semblable pour contrer ce risque

d’impunité, cette disposition est intégrée dans le contrat qui lie l’État à l’entreprise, ce

tribunal, s’il est formé est indépendant du pouvoir militaire et politique pour assurer la

neutralité des jugements.

Les États-Unis n’ont pas ce genre de dispositifs et ne paraissent pas prêts à s’engager

dans cette voie. Le flou juridique qui encadre l’action des entreprises privées semble

convenir aux différents acteurs, pour l’US Army et le gouvernement américain, c’est une

manière de dissimuler une partie des opérations pour ne pas à avoir à supporter le poids

de l’opinion publique, pour les entreprises privées, c’est un gage d’indépendance et de

liberté dans les missions qui lui sont confiées quitte à verser dans l’impunité. Sous

l’ancienne Autorité Provisoire de la Coalition, les contractants bénéficiaient d’une

immunité face au droit irakien. Ainsi, six employés contractants qui furent impliqués

dans le scandale d’Abu Ghraib ne furent jamais traduits en justice.

3. Une présence fantomatique : la question des pertes.

La présence de civils sur les théâtres d’opérations extérieures est mal connue des

opinions publiques. La guerre du Vietnam et sa médiatisation ont montré combien

l’opinion publique est sensible à la question des pertes humaines. Le basculement de

l’opinion contre ou en faveur d’un conflit est le plus souvent lié au coût humain, les

opérations étant de plus en plus médiatisées. La guerre du Vietnam a ouvert la voie des

conflits couverts en directs par une masse de journalistes quadrillant la majeure partie

du théâtre. La guerre d’Irak de 2003 a bénéficié des retours d’expériences du Vietnam,

les médias ont été davantage contrôlés en étant embarqués au sein d’unités combattantes

68

(embedding) et surtout l’emploi massif d’employés civils d’entreprises privées a permis

au Congrès et à l’administration Bush de ne pas rendre compte de leur présence et

surtout des pertes subies par ce contingent, le deuxième en Irak loin devant les troupes

britanniques. Ce contingent n’est pas déclaré, ne fait pas partie de l’effectif militaire.

Puisqu’il est externalisé, il relève des entreprises et pas du gouvernement américain.

Cette présence fantomatique a un revers, en dépit de leur investissement pour la

victoire des armes des États-Unis, leur statut de non-combattant ne leur donne droit à

aucune compensation ni récompense en cas de blessure. Sami Makki parle d’une

« politique de déresponsabilisation du politique face à une logique de délégation 77

».

Les personnalités politiques comme Dick Cheney justifient cette politique en montrant

que face à la médiatisation des conflits et à la relation sentimentale des opinions

publiques vis-à-vis des pertes humaines, l’emploi d’employés civils permet d’atténuer

les pertes et surtout de masquer une partie de contingent afin de ne pas présenter

l’opération comme un élément pesant pour l’économie américaine. Le 1er

décembre

2009 à l’académie militaire de West Point, le président Barack Obama a annoncé

l’envoi de 30 000 hommes supplémentaires en Afghanistan, selon les experts le nombre

réel de personnes envoyées est de 60 000 s’il on ajoute les techniciens et logisticiens

gouvernementaux et issus des entreprises privées nécessaire à leur déploiement.

La présence d’un contingent d’employés civils d’entreprises privées ne fait pas

l’objet d’une comptabilité officielle et détaillée, les chiffres connus sont des estimations

assez précises de la réalité. Outre le personnel directement employé par les entreprises

liées par un contrat avec le gouvernement américain, il faut ajouter les sous-traitants et

les emplois induits par la présence d’un tel contingent. Sami Makki montre que

« l’externalisation de la gestion des interventions extérieures américaines n’a pas

seulement une dimension opératoire. Elle permet d’amoindrir une contrainte politique. »

Nous revenons ici à l’une de nos propositions précédentes sur le fait que l’objectif

politique de l’externalisation a pris le pas sur les impératifs économiques. Il montre aussi

que « la création d’une armée de métier, il y a environ trente ans, avait ouvert une

nouvelle ère dans les rapports entre forces armées, pouvoirs civils et opinion publique

américaine78

. De ce fait, la question du soutien de l’opinion publique constitue un

élément stratégique important, voire déterminant dans la conduite d’une opération autre

77

. MAKKI, Op. Cit. P.23. 78

. COMBELLES-SIEGEL P. État des lieux de la sociologie militaire: 30 ans pares la mis en œuvre de l’All Volunteer Force aux États-Unis, documents du C2SD, ministère de la défense, Paris

69

que de guerre (Military Operation Other Than War, MOOTW) telle qu’une mission de

stabilisation. Dans ce contexte, la délégation de fonctions militaires vers le secteur privé,

pour contrôler des espaces de crises, permet de contourner en même temps le problème

politique, sans entamer la disponibilité opérationnelle des armées. »

Les entreprises ont aussi essuyé de nombreuses pertes. Au 13 septembre 2009, 462

employés79

d’entreprises militaires privées ont été tués depuis le début de la guerre en

Irak et de nombreux autres blessés. Le gouvernement américain n’a pas à rendre compte

de la perte de ces personnes. Ces dernières travaillent librement pour une entreprise et

n’ont donc pas reçu un mandat de l’État. Le site icasualities.org affiche le nom, la cause

de la mort et surtout la nationalité de l’employé décédé. Si la majorité des employés

décédés sont Américains, on retrouve une multitude de nationalités : notamment des

Philippins, des Turques, des Pakistanais et beaucoup de Népalais, de Britanniques et de

Fidjiens. En définitive cette présence fantomatique est avant tout une stratégie de

communication pour s’assurer le soutien de l’opinion publique. Les médias traditionnels

relayent peu la présence de ces employés sur les théâtres d’opération.

B. Des partenariats public-privé glissant vers une privatisation lente et

passive d’une activité régalienne.

L’ampleur de l’externalisation du BTP et de l’intendance du combattant fait craindre

un glissement vers une privatisation de ces compétences autrefois réservées à l’armée.

L’externalisation consiste à confier à une entreprise privée un secteur que l’on ne veut

plus ou qu’on ne peut plus assumer. Elle se fait dans le cadre d’une mission qui est

confiée par l’armée dans le cadre d’un contrat aux contours plus ou moins précis. La

privatisation est l’abandon complet d’une compétence pour la confier à une ou plusieurs

entreprises. Les observations et analyses que nous avons dressées précédemment

montrent que nous sommes dans un stade intermédiaire. L’externalisation est allée très

loin dans le nombre de tâches confiées dans la construction en opération, dans la gestion

de l’intendance du combattant sur les bases sur les théâtres de guerre mais aussi sur les

bases de prépositionnement, dans l’indépendance accordée aux entreprises. Cette

79

. www. icasualties.org

70

externalisation s’est accompagnée d’une fuite vers le privé de nombreux cadres de

l’armée. Ces mutations liées à un phénomène très rapide et brutal font craindre une

perte de souveraineté de l’armée américaine dans la gestion de sa logistique voire d’une

partie de ses opérations. Ce transfert de compétence initialement prévu pour soulager

l’armée de tâches jugées secondaires est-il préjudiciable à long terme ?

1. Le transfert de compétences et l’abandon de fonctions régaliennes.

Le débat est vif entre les défenseurs d’une externalisation qui a permis à l’US Army

s’acquérir une puissance logistique inégalée. Les entreprises lui permettent d’être

rapidement et massivement déployable. Le gouvernement et l’armée américaine

affirment officiellement que l’action des entreprises est contrôlée et régie par les

contrats LOGCAP, les entreprises sont placées sous le contrôle dans l’exécution des

tâches de l’Army Corp Of Engineers. En réalité, il s’avère que le contrôle

gouvernemental est faible, il est unanimement dénoncé depuis le Government

Accountability Office (GAO) jusqu’aux farouche détracteurs de l’externalisation de la

logistique.

Patrap Chatterjee voit dans cette externalisation une véritable privatisation avec la

mise en place d’un monopole de Halliburton dans les activités du BTP et du soutien au

soldat mais aussi dans un rayon sans cesse croissant de compétences comme l’entretien

des armes sophistiquées, la gestion des réseaux militaires de télécommunication, le

pilotage des drones, la sécurité des personnalités et des installations.

L’expérience américaine montre que l’équilibre est difficile à trouver entre les

objectifs de mutations de l’appareil de défense, pour l’adapter à de nouvelles menaces et

la préservation d’un héritage militaire. Cet équilibre a été brisé par le Congrès qui est

censé avoir un rôle de contre-pouvoir important. Le Congrès n’a pas rempli sa mission à

cet égard et a été très largement influencé par le lobbying et la pression exercée par les

bassins d’emplois d’entreprises liées à l’armée par des contrats. La passivité

parlementaire et l’affaiblissement du débat démocratique à la suite du 11 septembre

2001 ont posé les bases d’un manque de contrôle du Congrès et permis ce glissement

d’une externalisation de fonctions considérées comme secondaires à la quasi

privatisation de ces mêmes fonctions avec la transmission du phénomène à des

fonctions plus stratégiques.

71

Le véritable problème d’une externalisation à outrance est la perte du processus

décisionnel. La perte d’un savoir-faire est dommageable mais n’est pas irréversible, le

problème peut être résolu à court terme. Les entreprises massivement présentes sur les

théâtres de guerre d’Afghanistan et d’Irak sont amenées à prendre des décisions qui ne

sont pas de leur ressort. Elles doivent parfois prendre l’initiative d’ouvrir le feu pour se

défendre et contribuent ainsi à une escalade de la violence. Les dirigeants de ses

entreprises jouissent d’une forte indépendance dans la gestion de la mission qui leur a

été confiée. Cette indépendance pose des problèmes dans la continuité des services

rendus. En 2003, à Bagdad des soldats ont du se nourrir dans des restaurants de rue et

voler de l’eau, la logistique n’avait pas suivi. Face à de telles déconvenues, des voix

s’élèvent dans l’US Army pour dénoncer un système à l’efficacité contestable au regard

des dépenses engagées.

2. Des critiques de plus en plus vives au sein des forces armées américaines.

Officiellement les officiers de l’US Army ne critiquent pas l’externalisation des

fonctions logistiques. Dans les faits l’opposition est croissante vis-à-vis de ce qu’ils

considèrent comme une perte de compétence irrémédiable. Ils craignent le manque de

confidentialité entourant les activités des entreprises et se méfient des cadres des

entreprises privées qu’ils ne considèrent pas comme fiables. Enfin, ils regrettent le

départ massif d’officiers supérieurs et généraux vers ces entreprises attirés par de fortes

rémunérations. De nombreux officiers reprennent les mises en garde du président

Eisenhower sur la dangereuse constitution d’un complexe militaro-industriel qui

pourrait devenir hors de contrôle. Pour ces officiers, c’est le cas aujourd’hui.

Sami Makki considère que malgré le fait que les États-Unis occupent militairement le

devant de la scène internationale, ils « ont instauré une dépendance forte à l’égard du

secteur privé » en dispersant un large éventail de fonctions essentielles, « tout en

légitimant une institutionnalisation des collaborations opérationnelles et des systèmes

d’échanges ; ceci sans avoir les moyens d’assurer un contrôle total de cette diffusion de

sa puissance au niveau opérationnel et en transformant des questions politiques vitales

(qui touchent à l’avenir, voire à la survie de la communauté) en des processus

techniques complexes. » Cette approche de l’externalisation est intéressante, elle montre

72

qu’au lieu de renforcer les fonctions principales de l’armée, elle a contribué a disperser

sa puissance au niveau opérationnel et donc à l’affaiblir. Les secteurs qui paraissaient

donc de second plan et lourds pour le fonctionnement de l’armée s’avèrent vitaux.

Les officiers de l’US Army reconnaissent que cette coopération a permis par le biais

de partenariats public-privé à développer des résultats hybrides particulièrement adaptés

aux besoins de l’armée. Ils critiquent les « vides fonctionnels » qui se sont créés entre

l’expertise privée et le manque de contrôle du public et considèrent qu’une telle

situation met à mal la crédibilité de l’US Army et plus généralement les formes

traditionnelles d’autorité comme les États sur la scène internationale.

Sami Makki explique plus loin le risque d’une « crise de l’institution militaire » face

au manque de contrôle de l’externalisation, la difficulté d’établir une chaîne de

commandement cohérente et la prolifération des acteurs civils et militaires. Contre cela,

il déclare qu’une « réaffirmation de l’espace du politique, pour la définition des

objectifs et le contrôle des pratiques, est prioritaire. »80

C. Le nécessaire retour de l’Etat dans le contrôle des activités externalisées.

L’externalisation du BTP et de l’intendance, s’il est un phénomène de masse est resté

très discret, la presse ne s’y intéressant pas ou occasionnellement, laissant ce sujet à des

plumes de la gauche extrême en Europe ou de l’opposition la plus farouche à

l’administration Bush. L’élément déclencheur de la médiatisation de cette pratique est la

découverte de nombreuses fraudes des entreprises au détriment de l’armée, des

employés des entreprises contractantes et surtout par extension du contribuable

américain. Les médias ont commencé à alerter l’opinion publique sur des cas de

surévaluation volontaire de contrats, d’électrocutions liées à des installations

défectueuses, des soldats sans eau car l’entreprise ne suit plus… Parallèlement, des

organismes dépendants du Congrès comme le GAO81

ou des commissions mixtes

(démocrates et républicains) comme la Commission on Wartime Contracting in Iraq

and Afghanistan se sont réunies pour dresser un premier bilan de cette externalisation

et donner des recommandations pour la poursuite de ce processus. Le GAO insiste dans

80

. MAKKI, Op. Cit. 81

. Government Accountability Office.

73

plusieurs de ses rapports82

sur la nécessité pour le gouvernement américain et l’US

Army en particulier de reprendre de contrôle des secteurs externalisés par un suivi du

contrat et de la qualité du travail effectué.

1. Les fraudes sur les contrats et des pratiques peu vertueuses.

Les entreprises et KBR Halliburton en tête se sont illustrées par les pratiques

employées dans le cadre d’une véritable course au profit. Au rang des pratiques « peu

vertueuses », les « dégâts considérables infligés au site historique de Babylone »83

par

les troupes américaines mais surtout par les entreprises contractantes chargées d’y

construire le Camp alpha. L’ancienne capitale, une des sept merveilles du monde

antique, est située à 90 kilomètres au Sud de l’actuelle capitale Bagdad. L’entreprise

KBR a creusé « des tranchées de plusieurs centaines de mères au milieu des vestiges »,

fait rouler des chars et utilisé des bulldozers sur les fragiles pavés d’un chemin de

procession autrefois sacré. L’UNESCO note que la ville a subit des dommages

considérables dus à des travaux de creusement, de percement et de terrassement. Cette

attitude de l’entreprise KBR avec l’assentiment du commandement militaire américain a

contribué à dégrader les relations avec la population locale et à médiatiser l’action de

ces entreprises sur les théâtres de guerre ou d’opérations.

La société KBR a été surtout été accusée de surfacturer des prestations en faisant

nettoyer jusqu’à quatre fois par jour par ses employés des bureaux de l’US Army. KBR

est aussi fortement critiquée pour ne pas rechercher les solutions les plus économiques

en termes de personnel et de matériel. Dans les bases, les équipements sportifs sont

extrêmement chers et appartiennent au haut de gamme, la nourriture est abondante et est

surtout très gaspillée. Pour ces raisons, la commission du Congrès sur l’externalisation

met en cause KBR et Halliburton pour augmenter ses prix et ses marges en ayant

recours de manière injustifiée à des équipements et des matériaux haut de gamme. Le

cas de surfacturation le plus éloquent est la facture de 27 millions de dollars adressée au

gouvernement américain pour assurer le transport de 82 000 dollars de carburant du

Koweït vers l’Irak. Halliburton a défendu le prix élevé de la facture en déclarant que les

82

. WALKER David M. DoD needs to reexamine its increasing reliance on contractors and continue to improve management and oversight, 11 mars 2008. 83

. De MONTESQUIOU Alfred, Des « dégâts considérables » infligés à Babylone par les troupes américaines selon l’UNESCO, The Canadian Press, 9 juillet 2009.

74

convois étaient très risqués. Les conducteurs pour ces convois étant Égyptiens et Turcs

ont été payés le salaire local, cet argent est allé directement dans les bénéfices nets du

groupe. Les enquêtes concernant cette surfacturation sont toujours en cours. A propos

de ces surfacturations Bill Hartung de l’Institut de Politique Mondial84

réagit : «C’est

une société qui a plus l’expérience des délits d’initié et de la corruption que de

l’efficacité. […] Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, le Sénat avait mis en place un

comité contre les profiteurs de guerre. Personnellement, je pense que nous devrions le

recréer et examiner le cas de KBR. »85

L’année 2009 constitue le début d’un tournant pour les entreprises contractantes avec

la multiplication des enquêtes face aux soupçons de corruption, de malfaçons. Malgré

ces révélations, l’US Army reste solidaire de ses contractors. En mai 2009, elle a versé

plusieurs millions de dollars86

en prime pour récompenser KBR pour ses services

rendus. Dans le même temps, le 20 mai 2009 une commission sénatoriale s’est réunie

pour examiner les véritables raisons de ce versement et étudier les raisons des cas

d’électrocutions de militaires sur les installations de KBR.

En février 2009, l’entreprise KBR a été condamnée à payer 402 millions de dollars

d’amende dans le cadre d’une procédure contre la corruption. Dans cette affaire le

groupe a plaidé coupable et reconnu l’accusation de corruption par le versement à des

membres du gouvernement nigérian de 180 millions de dollars dans le but de remporter

un contrat gazier dans le pays, à cette époque le groupe était dirigé par l’ancien vice-

président Dick Cheney. L’entreprise KBR a aussi été pointée du doigt dans sa gestion

des déchets qu’elle est censée assurer. Le journal Newsweek87

relate l’histoire d’un

employé stationné en Irak qui conduisant dans la base aérienne de Balad a aperçu un

chien sauvage avec dans sa gueule un bras humain. Il s’est avéré que ce bras provenait

d’un centre d’incinération des déchets, une « fosse à brulage » en réalité. Ce type de

fosse est utilisé dans tout le pays par les entreprises chargées du traitement des déchets

des troupes militaires. Depuis cette affaire, son avocate Elizabeth Burke a reçu 190

plaintes supplémentaires concernant la gestion des 18 fosses à déchets irakiennes et

afghanes et a intenté des poursuites contre KBR dans 17 États en l’accusant de

négligences dans le cadre du traitement des déchets. Ces plaintes ont révélé que

84

. World Policy Institute. 85

. CHATTERJEE, CorpWatch, Op. Cit. 86

. FERRARO Thomas, L’armée US récompense le groupe KBR en Irak malgré des doutes, reuters.com, 20 mai 2009. 87

. CONNOLLY Katie, A sickening situation, Newsweek, 13 juillet 2009.

75

certaines fosses à déchets contenaient des Humvees, des batteries, des cartouches de

gaz, des munitions non-explosées, de nombreuses matières plastiques et même des

déchets médicaux, qui pourrait expliquer la présence d’un bras dans la fosse de la base

de Balad. Des analyses de la qualité de l’air des bases pourvues de ce système de

traitement des déchets ont révélé qu’il contenait en quantité des dioxines cancérigènes,

des métaux lourds. Les plaintes se multiplient, un soldat, Sheridan, âgé de 26 ans est

aujourd’hui malade des reins, victime de bronchites chroniques et d’infections cutanée,

selon lui ses infections sont liées à la qualité de l’air respiré sur les bases en Irak. Les

employés de KBR rejettent ses accusations en déclarant que ces installations sont

conformes aux normes de l’armée. Robbins, un ancien employé de KBR qui gérait une

fosse près d'Al Kut, dit qu’il n’a jamais reçu aucune directive sur ce qui pouvait être

brûlé ou non. Cette affaire montre les négligences de l’entreprise KBR sur la santé de

son personnel, le respect de règles environnementales dictées par le bon sens. Ces

émissions toxiques auraient infecté 100 000 personnes depuis 2004 parmi lesquels des

soldats américains, des contractants et des civils.

2. Le GAO souligne la nécessité pour de DOD de reprendre la main

rapidement.

Une étude du GAO menée en avril 2008 montre que le recours à des employés du

secteur privé revient beaucoup plus cher que l’utilisation d’employés gouvernementaux.

En moyenne un spécialiste d’une entreprise privée coûte de 26,65 dollars88

de plus

qu’un employé du gouvernement. L’objectif initial d’économiser en externalisant est

donc perdu, il convient d’effectuer des réajustements d’ordre politiques.

En plus de cela, diverses affaires de corruption et de malfaçons ont mis à mal la

réputation de Halliburton, de sa filiale KBR et plus généralement des entreprises

contractantes. A défaut d’un « comité contre les profiteurs de guerre », elles sont

désormais contrôlées par des organismes indépendants. La nouvelle administration

Obama permet le retour progressif d’un débat démocratique qui s’était peu à peu perdu

après les attentats du 11 septembre 2001. Le Congrès garant d’un équilibre avec le

88

. GAO, Outsourcing to contractors costs us money, avril 2008, disponible sur www.hopeisnoplan.com/2008/04/gaooutsourcingtocontractors.html, consulté le 20 novembre 2009.

76

gouvernement ne jouait plus sont rôle d’opposant, il commence aujourd’hui à

s’exprimer et à émettre des avis et des recommandations sur des sujets sensibles comme

les contrats avec les entreprises privées et les guerres en Irak et en Afghanistan.

Le GAO, organe d’audit et de contrôle des comptes publics du Congrès émet de plus

en plus de propositions quant à l’usage des entreprises privées pour remplacer les

employés gouvernementaux dans les fonctions de défense. Le GAO dans un rapport du

11 mars 200889

cherche à démontrer dans quelle mesure l’externalisation de la

logistique du DoD a été efficace et a permis de réaliser des économies. Il indique que

les fonctions intrinsèquement gouvernementales et relevant de l’intérêt général ne

doivent être réalisées que par des employés gouvernementaux90

. Le GAO insiste sur le

fait que les entreprises contractantes n’ont pas le droit de prendre des décisions

réservées au gouvernement et, qu’à ce titre, leur action doit être étroitement contrôlée.

Le GAO souligne que l’OMB a le pouvoir de saisir des agences de contrôle pour

vérifier le travail des entreprises contractantes. Pour le GAO, une des clefs de la mise en

place d’un contrôle efficace est de briser l’influence qu’on les entreprises privées sur les

agences gouvernementales. Pour cela, il faut diversifier les entreprises contractantes et

éviter les situations quasi monopolistiques comme dans le cas de Halliburton. La

solution idéale selon le GAO est de trouver un équilibre entre le nombre d’employés du

secteur privé et celui du secteur public, cette situation rappelle les premières

déclarations d’intentions motivant la mise en place d’étude de la concurrence dans le

cadre de la circulaire A-76 de l’OMB. Pour le GAO, il ne s’agit pas de revenir en

arrière, mais d’apporter des corrections à un phénomène qui semble s’être emballé et de

revenir aux objectifs initiaux : faire des économies, augmenter l’efficacité. Ces

déclarations du GAO sont-elles pour autant suivies de faits ?

Aujourd’hui les possibilités de fraudes sont réduites. Le gouvernement « expédie

désormais des auditeurs de l’Agence de Gestion des Contrats de Défense91

pour

contrôler tous les achats. »92

Le gouvernement autorise toutefois les entreprises à

réaliser jusqu’à neuf pourcents de marge sur les prestations et les produits fournis.

Dans cette dynamique de reprise en main, le projet de loi OMNIBUS93

a suspendu

89

. GAO, Op. Cit. 90

. GAO, Op. Cit. P.5. 91

. Defense Contract Management Agency. 92

. CHATTERJEE Patrap, CorpWatch, Op. Cit. 93

. BRODSKY Robert, A-76 Moratorium To Be Extented, 9 décembre 2009, disponible sur: http://www.govexec.com/dailyfed/0709/071009rb2.htm, consulté le 9 décembre 2009.

77

pendant un an la circulaire A-76, les partenariats public-privé pour l’exécution de tâches

fédérales dont donc interdites pour une durée de un an, cette mesure pour l’exercice de

2010 s’ajoute au précédent moratoire de 2009.

KBR a été exclue des contrats en Afghanistan, l’entreprise a échoué lors d’un appel

d’offre pour des tâches diverses de soutien logistique, le contrat s’élèverait jusqu’à 15

milliards de dollars. L’entreprise DynCorp International a remporté le contrat pour le

sud du pays et la Fluor Intercontinental pour le nord. Cet évènement intervient à un

moment où KBR est de plus en plus critiqué pour ses prestations en Irak et où elle doit

répondre d’accusations de fraude et de corruption. Le sénateur démocrate M. Dorgan

du Nord Dakota a déclaré que le Pentagone avait souhaité écarter KBR en raison des

performances passées et des coûts pratiqués par l’entreprise. Ce sénateur précise que le

Pentagone commence enfin à prendre en considération les performances réelles d’un

entrepreneur pour attribuer les marchés au mérite. Il reste à savoir s’il s’agit d’un

sérieux changement et d’un message politique fort du Pentagone ou un simple

avertissement. Ce sénateur est à l’origine de 19 réunions pour la surveillance de la

gestion des déchets, la fraude et la corruption en Irak et en Afghanistan par les

entreprises contractantes y compris plusieurs axées exclusivement sur KBR. DynCorp

et Fluor assureront dans leurs zones respectives et sous le contrôle étroit d’organismes

indépendants, pendant cinq ans et pour 1,5 milliards de dollars par an les constructions,

l’entretien des bases, l’électricité, la livraison de l’eau, des repas, le logement,

l’assainissement, la lessive et le transport. Dans un communiqué Heather Browne,

porte-parole de KBR a demandé une réunion d’information sur le processus de sélection

et déterminera après cela si elle conteste la décision devant le GAO. KBR n’a plus

qu’un seul contrat en Irak dans le cadre du LOGCAP III. Le LOGCAP IV avec un

retrait annoncé des troupes d’Irak risque de modifier de nombreux paramètres. Dès juin

2007, le Congrès a exercé une forte pression pour demander à l’armée de partitionner le

contrat LOGCAP pour éviter les situations de monopoles. Un tournant est donc amorcé

mais il doit s’accompagner par la mise en place d’une éthique de conduite pour les

entreprises, d’un suivi permanent du gouvernement et surtout de l’adoption par les

États-Unis et les instances internationales d’une législation claire et adaptée à ces

nouveaux acteurs engagés dans de nouvelles formes de guerre.

L’externalisation du BTP et de l’intendance du combattant pose de nombreux

problèmes, d’abord car ce secteur est extrêmement jeune. Le manque de maturité de ce

secteur ne permet pas aux chefs militaires d’avoir le recul nécessaire pour juger de

78

l’opportunité de certaines décisions comme l’extension de l’externalisation à la sécurité.

Un des principaux handicaps face à la présence de civils travaillant aux côtés de la force

armée sur le théâtre de guerre est l’absence d’un cadre législatif précis et

internationalement reconnu. Il n’existe pas de réel pouvoir de contrainte à l’encontre des

entreprises hors du territoire d’origine. Cette indépendance a été exploitée à dessein par

ces entreprises qui ont parfois profité de la conjoncture d’un manque de contrôle des

agences gouvernementale, d’un vide juridique les concernant pour se lancer dans une

véritable course aux profits quitte à recourir à la corruption de personnalités politiques,

à la fraude en surfacturant des services ou des produits. Cette conjoncture a aussi

bénéficié au gouvernement américain qui a ainsi pu conserver le soutien de l’opinion

publique en ayant un contingent de personnes invisibles au regard de ce public. Cela a

permis de ne pas déclarer toutes les pertes réelles, de diversifier le recrutement des

employés en ayant recours à une main d’œuvre immigrée.

Un nombre croissant de personnalités de monde civil et militaire s’élèvent

aujourd’hui contre ce qu’ils considèrent comme un dangereux abandon de souveraineté

conduisant à une privatisation d’un domaine de compétence régalien. Ces derniers

réclament plus de transparence de la part des entreprises et surtout un contrôle accru de

l’État pour mettre fin à un gaspillage indécent. Le gouvernement des États-Unis sous la

houlette de Barack Obama semble commencer à prendre conscience des redirections à

apporter en s’opposant toutefois à la puissance des entreprises du « complexe militaro-

industriel ».

79

Conclusion générale.

Le débat sur la logistique en campagne a toujours été vif et d’actualité, Sun

Tzu94

recommandait pour gagner la guerre l’utilisation de charriots pour pouvoir assurer

le soutien logistique jusqu’au front. Alexandre Le Grand brûla tous ses chariots pour

assurer la mobilité de ses troupes.

Les États-Unis ont adopté la réflexion de Sun Tzu en amenant leur logistique au

plus près des lignes et sur le théâtre. L’armée américaine s’est développée aux côtés du

« complexe militaro-industriel », leur montée en puissance lors de la deuxième moitié

du XXe siècle s’achève par une profonde interpénétration des milieux avec comme

acteur intermédiaire le monde politique. Aux États-Unis, la conception de l’État

minimaliste est importante, la culture du libéralisme a porté un précédent favorable à la

mise en place d’une externalisation massive et rapide des fonctions de soutien logistique

du combattant et du BTP en opération extérieure. Culturellement, les forces armées

américaines ont toujours considéré la logistique comme un élément décisif dans la

victoire. Dès la guerre d’indépendance, ils concentrent leurs efforts pour briser la chaîne

logistique britannique. Ils installent aux endroits favorables de l’Hudson des batteries

d’artillerie, détruisent la flotte britannique et paralysent le transit fluvial des

britanniques pour le ravitaillement des troupes. La pièce de maitresse de ce dispositif est

le site de West Point où la rivière dessine d’étroits lacets. Lors de la Seconde Guerre

Mondiale les Américains ont brillé par leur industrie de guerre et leur logistique. Les

États-Unis accordent une place centrale dans leur art de la guerre à la logistique.

Lors de la deuxième moitié du XXe siècle, les jalons de l’externalisation des

secteurs considérés comme secondaires ou ne relevant pas exclusivement du

gouvernement ont été mis en place. Un cadre législatif a été instauré pour instituer des

études de coûts et promouvoir la libre concurrence. Les défenseurs de ce processus y

ont vu un moyen de se débarrasser d’une masse d’employés gouvernementaux coûteux

et peu efficaces. Pour de nombreux décideurs civils et chefs militaires, la mission de

l’US Army et des soldats doit rester concentrée sur le combat. Cette pensée a fourni un

terreau favorable à une externalisation du BTP et de l’intendance du combattant, le

retour d’expérience de la guerre du Vietnam est allé dans ce sens. Cette guerre,

94

. CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, éditions Rivages, avril 2006, 364 p.

80

traumatisante pour les soldats et la société américaine, gangrénée par les problèmes de

sexe, d’alcool et de drogue a convaincu les autorités militaires de trouver un substitut à

ces addictions aujourd’hui canalisées dans les bases américaines par la reconstitution

d’un foyer national offrant une multitude de services pour assurer le bien être des

troupes.

Le 11 septembre 2001 et la guerre contre le terrorisme menée sur les fronts

afghans puis irakiens a constitué le tournant majeur dans l’externalisation des fonctions

de soutien. La diminution du débat démocratique et les puissants liens unissant

l’administration du président Bush avec des entreprises comme Halliburton-KBR ont

permis la montée en puissance des sociétés militaires privées. Elles ont bénéficié du

cadre législatif favorable mis en place tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle

et ont su l’optimiser pour obtenir des contrats aux missions élargies. La confiance

accordée par le gouvernement aux entreprises a conféré à ces dernières une très large

indépendance matérialisée par les contrats LOGCAP. Ces contrats montrent le délestage

par l’armée américaine de fonctions consommatrices en personnel humain. Cette tâche

est donc devenue la mission des entreprises. Celles-ci, si l’on considère l’objectif des

contrats ont réussi à mettre en place des infrastructures inégalées, des bases

gigantesques capables d’assurer le logement et le ravitaillement de dizaines de milliers

d’hommes au prix d’une dépendance accrue de l’armée vis-à-vis des entreprises

contractantes.

L’externalisation du BTP et des services courants (restauration, lavage du linge,

transport) a dérivé très rapidement. Ces entreprises étant intégrées au champ de bataille,

elles ont du se défendre et protéger leurs intérêts, ce sont des acteurs de premier plan

dans ces guerres aux côtés des troupes engagées, par la masse de civils présents pour le

soutien des troupes et surtout par l’extension qu’elles se sont accordées dans leurs

missions. Ainsi des sociétés comme Blackwater worldwide ont contribué à transformer

une externalisation de tâches précises en une privatisation partielle de la guerre. Les

entreprises étant de plus en plus indépendantes, elles ont développé leur politique de

prépositionnement à l’étranger près des zones stratégiques, la guerre est devenue un

intérêt financier.

L’externalisation demeure malgré tout un secteur profondément immature, de

nombreux abus ont été constatés. Les entreprises ont profité de l’absence d’une

législation encadrant leur action pour agir à leur guise et selon leurs propres règles.

Elles ont recruté de nombreuses personnes dans les pays en voie de développement pour

81

avoir à verser des salaires moindre et faires des économies d’échelles. Elles ont

bénéficié d’une présence quasi fantomatique sur le terrain et du soutien du

gouvernement américain en cas de problème. Toutefois la découverte de nombreux cas

de fraudes a mobilisé de nombreuses personnalités civiles et militaires en faveur d’une

reprise de contrôle de l’État. En 2009, après une succession de scandales mettant en

cause l’entreprise KBR, le gouvernement américain a décidé de commencer à agir pour

briser la situation quasi monopolistique de Halliburton-KBR et pour rappeler à l’ordre

les entreprises.

L’US Army a donc connu un abandon de compétences, le transfert puis le manque de

contrôle s’est transformé en un abandon qu’il est toutefois possible de résoudre. Ces

entreprises travaillent avant tout pour le succès des armes des États-Unis, des mesure de

reprise en main d’un secteur devenu livré à lui-même doivent s’accompagner d’un

pouvoir de contrainte, par analogie avec le monde militaire, le gouvernement

commande, l’entreprise exécute. Il est toutefois nécessaire que ces mesures soient

suivies et viabilisées dans le temps. SUN TZU disait donc « Une des choses les plus

essentielles que vous ayez à faire avant le combat, c’est de bien choisir le lieu de votre

campement », l’étude de l’externalisation du BTP et de l’intendance du combattant

montre l’importance de sélectionner les personnes avec qui vous installerez votre

campement.

82

Sources et bibliographie.

1. Ouvrages en français.

- CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, éditions Rivages, avril 2006, 364 p.

- SUN TZU, L’art de la guerre, éditions Mille et une nuits, février 2009, 127 p.

2. Ouvrages en anglais.

- BRZEZINSKI Zbigniew, The Grand Chessboard, editions Basic Books, septembre 1998,

240 p.

- CHATTERJEE Pratap, Halliburton’s Army, editions Nations Book, New York, 2009, 284 p.

- KING Daniel, The New Right, editions The Dorsey Press, Chicago (1987).

- MILLS Charles Wright, The Power Elite, editions Oxford University Press, New York,

1956.

- ROTHE Dawn, State-Corporate Crime, editions Rutgers University Press, 2006, 309 p.

- VAN CREVELD Martin, The Transformation of War, editions The Free Press, New York,

1991, 254 p.

3. Articles et publications.

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- DE MONTESQUIOU Alfred, Des « dégâts considérables » infligés à Babylone par les

troupes américaines selon l’UNESCO, The Canadian Press, 9 juillet 2009.

- GOYA Michel, Impressions de Kaboul, 12 novembre 2009, disponible sur

http://www.france-terre-asile.org/index.php/component/content/article/1500.

- KLEN Michel, La Privatisation De La Guerre, Revue Etudes (CAIRN), Tome 401,

septembre 2004.

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- ROBBERT Albert, GATES Susan, Outsourcing Of DOD Commercial Activities/ Impacts on

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Journal Of Transnational Law, 22 janvier 2004.

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47, volume 4, 2003.

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http://www.kosovojesrbija.fr/fr/les-enjeux-analyses/bondsteel-la-puissance-americaine-au-

coeur-de-leurope-et-le-petrole-de-la-caspienne.html

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www.wikipedia.org

84

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http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ETU&ID_NUMPUBLIE=ETU_013&ID_A

RTICLE=ETU_013_0181.

- Site de CorpWatch.

www.corpwatch.com

- Site d’information alternative.

www.legrandsoir.info/La-Guerre-contre-le-terrorisme-pour-filon.html

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www.reuters.com/articlePrint?articleId=FRLK37157420090520

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http://www.globalsecurity.org/military/facility/camp-as-sayliyah.htm

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http://www.ft.com/home/europe

- Site du Comité International de la Croix Rouge.

http://www.icrc.org/dih.nsf/full/380?opendocument

- Site d’information du gouvernement américain .

www.govexec.com

- Blog d’information sur les opérations extérieures.

http://opexnews.over-blog.com

5- Autres: mémoires, publications officielles.

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- DoD Reform Act, Chapter 3, disponible sur www.defenselink.gov.

- Department Of Defense, Quadrennial Defense Review Report, USGPO, Washington D.C.,

2001.

- US Army Regulation 700-137, Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP),

Washington DC: Headquarters, Department of the Army, 16 December 1985.

- NIGARA Karen, Outsourcing the US Army, Dissertation for doctorate in management.

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- PAYOT Glenn, La situation juridique des employés des societies militaries privées,

Université Lumière, Lyon II, 2006-2007.

- WALKER David M. DoD needs to reexamine its increasing reliance on contractors

and continue to improve management and oversight, GAO, 11 mars 2008.

- Film : JARECKI Eugene, Why we fight, 2005.

86

Index des noms et des lieux.

11 septembre 2001, 5, 10, 21, 26, 33, 36,

47, 54, 56, 70

A-76, 14, 15, 16, 18, 28, 32

Afghanistan, 20, 31, 34, 37, 41, 42, 47, 49,

51, 52, 56, 60, 63, 68

Arifjan, 44, 47

Armitage Richard, 31

Aviano, 19

Bagdad, 50, 52, 61, 66, 71, 73

Bagram, 48, 51

Bahreïn, 45

Balad, 50, 74

Bechtel, 42

Blackwater, 54, 58, 66

Blackwater worldwide, 54, 80

Bondsteel, 18, 19, 20, 24, 44, 47, 51

Bosnie, 17, 20, 35, 51, 59

Burger King, 47, 49, 62

Burke Elizabeth, 74

Bush George, 17, 23, 27, 29, 31, 32, 33,

41, 56, 68

Camp Monteith, 19

Camp Striker, 52

Camp Victory, 38

Chatterjee Patrap, 38, 50, 51, 56, 60, 61,

70

Cheney Dick, 5, 14, 17, 29, 30, 31, 32, 38,

41,

56, 68

CIA, 54

Clinton Bill, 22, 33

Congrès, 8, 40, 45, 56, 57, 68, 70, 72, 73,

75, 76, 77

Diego Garcia, 43

Djibouti, 37

DoD, 8, 16, 21, 24, 30, 35, 39, 54, 57

Eisenhower Dwight, 26, 28, 55, 71

États-Unis, 8, 10, 11, 14, 21, 29, 32, 43,

46, 51, 52, 55, 67, 68, 71

FIAS, 49, 51

Fluor, 42

GAO, 7, 8, 13, 20, 57, 58, 70

Géorgie, 31, 37

Gribbin, 30, 31

Guantanamo, 24, 31, 37

Guerre du Golfe, 17, 27, 36, 45

Guerre froide, 5, 10, 20, 24, 26, 33

Haïti, 17, 20

Halliburton, 5, 8, 11, 14, 24, 29, 30, 31,

32, 35, 37, 38, 39, 41, 42, 44, 46, 47, 48,

51, 52, 55, 60, 61, 70

Hartung Bill, 74

87

Incirlik, 44, 47, 51

Irak, 12, 20, 34, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 44,

48, 49, 50, 51, 52, 55, 58, 60, 61, 62, 63,

66, 67

Iran, 32

Iraqi Freedom, 31, 44, 46

Joint Endeavor, 35

Jordanie, 37

KBR, 8, 10, 14, 20, 24, 27, 30, 31, 35, 37,

38, 40, 41, 48, 51, 52, 58, 59, 60, 63

Kosovo, 10, 17, 18, 19, 44, 47, 51

Koweït, 10, 37, 40, 44, 47, 51

Lautenberg Frank, 30

LOGCAP, 6, 8, 16, 22, 30, 35, 36, 37, 38,

40, 44, 51, 70

LSA Anaconda, 50, 52

Makki Sami, 68, 71, 72

McKiernan David, 46

MPRI, 8, 27

Nigara Karen, 24

OMB, 5, 8, 14, 15, 16, 17, 18, 28

ONU, 8, 36

Ouzbékistan, 31, 37, 47

Pentagone, 10, 17, 25, 27, 31, 32, 37, 40,

56

Qatar, 37, 44

Reagan Ronald, 5, 17, 22

Rowthe, 32

Rumsfeld Donald, 20, 42

Somalie, 17, 20, 36

Stanley Baker ill, 41

SUN TZU, 81, 82

Tamimi, 52, 61

Tashkent, 37

Tempête du désert, 44

Thanksgiving, 52

Timor oriental, 36

UNESCO, 73, 83

US Army, 6, 8, 11, 12, 15, 17, 18, 19, 20,

21, 23, 24, 27, 30, 33, 35, 36, 37, 38, 41,

45, 46, 47, 48, 52, 54, 55, 57, 59, 61, 62,

67, 70, 71, 72

VBR, 8, 44, 62

Victory, 52

Vietnam, 8, 10, 18, 35, 50, 51, 52, 67

Vinnell, 8, 44, 46, 62

Washington, 25, 27, 32, 35, 46

West Point, 4, 48, 68, 79

88

Table des matières

FICHES DE PRESENTATION. ............................................................................................. 1

AVERTISSEMENT. ................................................................................................................ 3

REMERCIEMENTS ................................................................................................................ 4

SOMMAIRE ............................................................................................................................. 5

Table des principales abréviations .......................................................................................... 8

INTRODUCTION .................................................................................................................. 10

I Externaliser, transférer le BTP pour améliorer l'outil de défense. ................................. 14

A. Dès 1990, la volonté de faire pièce aux monopoles. ................................................. 14

1. Le précédent de la circulaire de l’OMB lance le débat. ........................................ 14

2. L’administration Reagan et les agences gouvernementales emboîtent le pas. ...... 17

3. La décennie 1990, des expériences concluantes sur les bases américaines. ......... 18

B. L’armée américaine en mutation à la fin de la guerre froide. .......................................... 20

1. La baisse des effectifs de l’armée américaine, la volonté de réaliser des

économies. ........................................................................................................................ 20

2. L’adoption de logiques managériales : le souci de l’efficacité. ............................ 23

3. La nécessité de se recentrer sur le cœur du métier. ............................................... 24

C. Des entreprises remarquablement liées aux milieux politiques, l’effet « revolving

door ». ................................................................................................................................... 25

1. L’historique interdépendance de la guerre et de l’économie : le précédent de la

guerre froide, le tournant du 11 septembre 2001. ............................................................ 26

2. Une intense activité de lobbying. ........................................................................... 28

3. Le cas de Dick CHENEY et de Halliburton : une illustration éloquente du

phénomène de la revolving door et du lobbying. ............................................................. 29

II Des entreprises devenues des acteurs principaux dans les conflits. ............................... 34

A. Des contrats importants à moyen terme par leur valeur et l’ampleur des tâches

confiées. ................................................................................................................................ 34

1. Le Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP), outil privilégié de

l’externalisation du BTP et du soutien aux troupes engagées. ........................................ 34

2. Des entreprises indépendantes dans le cadre du contrat et le problème de

l’estimation des dépenses. ................................................................................................ 37

3. Halliburton et le problème des appels d’offre. ............................................................ 41

B. Des entreprises puissantes sur les théâtres à la tête d’une formidable logistique. ..... 42

1. Une volonté de prépositionnement géographique et stratégique à long terme. .... 43

2. L’armée de plus en plus dépendante à l’égard de ces entreprises. ....................... 46

3. Des infrastructures hors-normes, des capacités démultipliées, les succès de la

première logistique mondiale. .......................................................................................... 49

89

C. Une frontière de plus en plus ténue entre l’externalisation des fonctions de soutien et

la privatisation de fonctions de sécurité opérationnelles. ..................................................... 53

1. L’emploi des sociétés militaires privées pour assurer la sécurité des entreprises

contractantes. ................................................................................................................... 54

2. Le complexe militaro-industriel à la tête de la sécurité de l’US Army, une situation

inédite. .............................................................................................................................. 55

III L’externalisation, la nécessaire régulation d’un secteur devenu livré à lui-même. .... 58

A. Les entreprises et le personnel engagé face aux questions juridiques. ...................... 58

1. La question de la main d’œuvre locale : entre intégration à la population et

exigence de sécurité. ........................................................................................................ 59

2. Le contractor face à la justice et au droit international. ....................................... 62

3. Une présence fantomatique : la question des pertes.............................................. 67

B. Des partenariats public-privé glissant vers une privatisation lente et passive d’une

activité régalienne. ............................................................................................................... 69

1. Le transfert de compétences et l’abandon de fonctions régaliennes. .................... 70

2. Des critiques de plus en plus vives au sein des forces armées américaines. ......... 71

C. Le nécessaire retour de l’Etat dans le contrôle des activités externalisées. ............... 72

1. Les fraudes sur les contrats et des pratiques peu vertueuses. ............................... 73

2. Le GAO souligne la nécessité pour de DOD de reprendre la main rapidement. .. 75

Conclusion générale. .............................................................................................................. 79

Sources et bibliographie. ........................................................................................................ 82

Index des noms et des lieux. ................................................................................................... 86