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Le français de demain : enjeux éducatifs et professionnels Colloque international 28-30 octobre 2010 Sofia

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Formation des traducteurs et des interprètes de conférence: quelle place pour le français langue maternelle et la littérature?

Gravet Catherine

FTI-EII UMONS

résumé : Les archives de l’écrivain Alexis Curvers (1906-1992) révèlent un intérêt particulier pour le vocabulaire utilisé par les écrivains et journalistes. Guidé par le principe élégamment énon-cé par Boileau, « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », le romancier a le souci constant, pour lui-même et pour les autres, d’allier la précision du sens à la fluidité de l’expression. Cet in-térêt lexical et ce souci stylistique devraient être partagés par des étudiants dont la formation doit les amener aux métiers de traducteur ou d’interprète de conférences.

Notre intention est de montrer, d’une part, que cet intérêt de l’écrivain liégeois pour la langue, à différentes époques de sa vie, est évidemment celui de nombreux écrivains, mais aussi de nombreux pédagogues ; et d’autre part, comment les cours de français (langue maternelle et langue de base ou de travail) à la Faculté de traduction et d’interprétation (École d’interprètes internationaux) de l’UMons pourraient mettre en place certains mécanismes nécessaires à l’exercice des professions citées, grâce à la littérature et aux modèles littéraires les plus exigeants.

1. Améliorer son élocution

La Faculté de Traduction et d’Interprétation de l’Université de Mons s’enorgueillit de former des interprètes de conférence capables d’accéder aux meilleurs postes dans différentes insti-tutions d’organisations internationales aussi prestigieuses que

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l’Union européenne ou l’O.N.U. Les collègues qui participèrent à la création de ce qui s’appelait alors l’École d’interprètes in-ternationaux, Philippe Curvers, Jean Klein, Nina Riva et Claude Wuilmart notamment1, avaient élaboré des méthodes qui per-mettaient aux étudiants francophones de se familiariser petit à petit avec cet exercice très particulier qu’est l’interprétation. Si d’autres chercheurs après eux ont décrit de manière plus précise les différents mécanismes mis en place au moment de l’interpré-tation, y compris au niveau neurologique2, ces méthodes d’en-traînement sont toujours valables. Elles consistent à mettre en place, dès le début de la formation3, différentes compétences4. À l’examen, un bref discours5 est prononcé en français. Les étu-diants doivent reproduire au mieux ce qu’ils ont entendu mais en français, afin de limiter, dans un premier temps, les difficultés liées à la traduction proprement dite. Pour exécuter la consigne et obtenir un bon résultat, la prise de notes doit être très rapide, la compréhension, liée notamment au repérage des articulations logiques, la plus parfaite possible, la restitution, fidèle, en fran-çais correct… L’une des premières corrections à apporter aux productions orales des étudiants concerne leur élocution.

Sans doute cette première constatation nous ramène-t-elle à une autre acception du terme « interpréter », dans le domaine artistique (théâtre, cinéma, musique) cette fois : « Jouer un rôle

1 Curvers P., Klein J., Riva N. et Wuilmart C. ont publié quatre articles sur la question dans une revue espagnole aujourd’hui disparue Cuadernos de Traducción e Interpretación (1984-1988).

2 Voir notamment Gile D. La Traduction, la comprendre, l‘apprendre, PUF, 2005 et Basic Concepts and Models for Interpreter and Translator Training. John Benjamins, 2009.

3 Le cursus complet est passé de quatre à cinq ans, trois années pour des bacheliers en tronc commun, traduction et interprétation, qui donnent accès au « master », en traduction ou en interprétation.

4 Dans la fiche ECTS, visible sur le site de la faculté, qui décrit succinctement le cours de « prise de notes et communication orale » en 2e année (Bac2), l’objectif est : « À l’issue de cet enseignement, les étudiants seront capables de prendre en notes un discours oral en français et de le restituer correctement dans la même langue. »

5 Jusqu’à 8 minutes en fin d’apprentissage.

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ou un morceau de musique en traduisant de manière person-nelle la pensée, les intentions d’un auteur ou d’un musicien1… » Le métier d’interprète rejoint à quelques égards celui de comé-dien. L’écrivain Alexis Curvers est assez dur avec la diction des comédiens : « La seule vraie souffrance que j’aie constamment éprouvée à vivre en Belgique, c’était d’entendre parler le français comme on l’y parle. Ma triste consolation est enfin de l’entendre parler comme on le parle maintenant en France. […] C’est vrai de la diction comme du style. La musique du langage, chez nous, est rarement innée. Elle devrait donc s’enseigner comme tous les autres arts. Aussi n’est-ce pas leur faute s’ils [les comédiens] jouent mieux qu’ils ne parlent. Ils savent marcher en scène, cou-rir, s’asseoir, danser le jerk ou le menuet, faire la révérence ou la cabriole ; se rouler par terre et se battre en duel avec assez de grâce ; mais donnent-ils la réplique, le charme est rompu par l’ef-fort auquel ils astreignent l’auditeur ; encore celui-ci ne perçoit-il généralement pour prix de sa peine qu’une pâtée de phonèmes confus2. »

Le 15 juin 1961, le journal Le Soir accueillera une « Lettre à Mar-cel Thiry », où Curvers attaque son compatriote, poète et aca-démicien, au sujet d’une représentation théâtrale décevante de L’Annonce faite à Marie, de Paul Claudel. Curvers s’insurge en-core contre les comédiens qui bredouillent, n’articulent plus, es-camotent liaisons et hiatus, contre le laisser-aller dans la langue française… Thiry est trop fataliste : il observe cette décadence, véritable menace pour la poésie, sans la dénoncer. Pourtant, le combat aujourd’hui n’est pas perdu, avec Cécile Ladjali, « Une syntaxe que l’on malmène, un mot que l’on écorche est une vio-lence que l’on impose à soi et autres3 », avec Alain Bentolila dont le titre de l’essai est explicite : Le Verbe contre la barbarie. Apprendre à nos enfants à vivre ensemble4.

1 Définition du TLF en ligne.2 Note manuscrite inachevée à dater probablement de février 1987. 3 Cécile Ladjali, Mauvaise Langue. Paris, Seuil, « Non conforme », 2007,

p. 12.4 Paris, Odile Jacob, 2007.

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S’il ne doit pas apprendre à se rouler par terre ni à se battre en duel, l’interprète de conférence, comme l’acteur, doit avoir le souci de son public, de son auditoire et la qualité de sa prestation passe par une bonne articulation, où l’accent sera impitoyable-ment gommé.

Curvers fait plusieurs fois allusion à l’accent belge mais retenons aussi cette évocation d’une pédagogie dans l’enseignement de la langue, aujourd’hui considérée, peut-être à tort, comme désuè-te : « Mes grands-parents Curvers, immigrés à l’âge de vingt ans, parlaient entre eux et avec leurs enfants, nés à Liège, le néerlan-dais de leur pays de Ruremonde. N’empêche que ma grand-mère avait été première en français à l’école primaire de son village natal et avait déclamé à la distribution des prix La mort de Jean-ne d’Arc de Casimir Delavigne (1793-1843), qu’elle nous récitait encore par cœur dans son extrême vieillesse1. »

Curvers revient sur la question de l’élocution en juin 1987, dans un article intitulé « Honneur des hommes, saint langage », dans la revue catholique Itinéraires2. La pièce de Jean Cocteau, Les Chevaliers de la Table Ronde (mise en scène en 1937) retient son attention par le personnage Ginifer, petit diable au service de Merlin qui prend possession, successivement et de manière intermittente, de Guenièvre, Galaad et Gauvain pour ébranler l’autorité royale et faire obstacle à la quête du Graal. Le menson-ge finit par se détruire lui-même, même si la vérité en pâtit. La trouvaille de Cocteau est que le personnage ensorcelé conserve le défaut de prononciation de Ginifer. Curvers en conclut : « tout désordre de l’esprit, tout dérèglement du cœur, toute hypocrisie et toute perversité se révèlent instantanément par une altéra-tion du langage. »

Est-ce une armée de Ginifer qui ébranle tout l’appareil du langa-ge et remplace le français par un jargon qu’on appelle impropre-

1 Alexis Curvers et ses trois frères, tôt orphelins sont élevés par leur grand-mère Gertrude Curvers-Joosten (1845-1930) et leur tante, Anna Caganus-Curvers (1880-1967). Le texte cité est un brouillon de conférence, non daté, conservé dans les archives Curvers.

2 Juin 1987, n° 314, pp. 81-96.

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ment « langue de bois » ? C’est la question que pose Curvers et que nous pourrions nous poser aussi en classe… Curvers donne raison à Ésope et à Valéry, la langue est la meilleure et la pire des choses.

2. enrichir son vocabulaire

Il est souvent question de vocabulaire dans les notes de Curvers. Dans un témoignage adressé à son ami le poète Paul Dresse de Lébioles, le romancier rappelle qu’il lui avait jadis racheté « un grand Littré en quatre volumes (avec le Supplément, s’il vous plaît) 1. » Et il ajoute ce commentaire : « Autant dire qu’il me le donna, car le prix, même pour l’époque, était dérisoire. […] Son Littré n’a guère quitté mon pupitre depuis près d’un demi-siècle : Que serais-je devenu sans ce fidèle instrument du culte de la lan-gue française ? À chaque fois que je le consulte il m’est plus pré-cieux. » Dans un curieux In memoriam un peu moqueur, Marcelle Derwa raconte l’arrivée de Curvers au Paradis (il meurt en février 1992) où il ne s’étonne pas de retrouver ses habitudes terrestres. « Tout de même, une chose manquait, propice aux ultimes vérifi-cations du style : Alexis Curvers, debout devant le parchemin im-maculé, tendit, par longue et précieuse habitude, la main gauche vers le Dictionnaire2. » Pour un écrivain soucieux d’écrire d’une plume alerte, le secret en est un de Polichinelle mais le recours au dictionnaire doit sans cesse être sollicité.

Irène de Buisseret (1918-1971) le fait d’une manière énergi-que, dans un manuel écrit au Canada dans les années 1960. Celle qu’on appelle « la comtesse » de la traduction, est née à Menton, en 1918, d’un père belge et diplomate et d’une mère russe. Elle émigre au Canada après la Seconde Guerre mondiale où elle perfectionne au plus haut degré l’art d’écrire. Le manuel qu’elle écrit pour « servir » à la formation des traducteurs de son pays d’adoption s’intitule Deux langues, six idiomes, et pa-

1 « Jeunesse liégeoise », dans La Revue nationale, 45e année, n° 452, février 1973, numéro d’hommage à Paul Dresse, pp. 39-44.

2 Dans La Vie wallonne, t. 66, n° 417-418, 1992, pp. 100-103.

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raît après sa mort, en 19751. Donnons-lui la parole : « J’en viens presque à croire que le cri de guerre des bourgeois de France au temps de Louis-Philippe, leur “Enrichissez-vous !” avait du bon et était digne d’estime. Enrichissons-nous, je veux bien – je n’y vois plus d’inconvénients – à condition, évidemment, que nous grossissions si l’on peut dire notre compte en banque non pas de dollars, mais de mots. […] Mais justement, ce compte linguisti-que, nous n’y versons pas toujours régulièrement de nouvelles richesses et trop souvent, si certains d’entre nous peuvent être classés parmi les riches, les gens « rupins » qui ont accumulé dans leurs réserves des mots innombrables, d’autres demeurent des pauvres, des « fauchés », sans lueur d’espoir à l’horizon. […] Cette pauvreté, cette pénurie de moyens d’échange lexicaux se manifeste de diverses façons. D’abord, par insouciance (ou igno-rance), nous négligeons de thésauriser un nombre suffisant de termes utiles ; ensuite, même les mots que nous avons mis de côté et parmi lesquels nous puisons ne nous servent que dans un ou deux de leurs sens (quand c’est trois c’est exceptionnel). Mais si notre métier exige que nous employions un quatrième sens, ou un cinquième, ou un sixième ? Nous voilà alors à court. […] Pour bien traduire – comme pour jouer à la Bourse en mettant toutes les chances de son côté – il faut disposer de capitaux très abondants. Donc, vivent les dictionnaires ! […] Il ne s’agit pas, dans l’exercice de notre profession (à nos moments de loisirs, libre à nous), de nous précipiter tête baissée dans le cataglot-tisme. » (pp. 381-382 ; 386) Il s’agit effectivement d’encourager l’acribologie (précision dans le choix des mots) et de condamner le psittacisme (répétition mécanique des mots et des phrases, à la manière d’un perroquet), acribologie et psittacisme, deux mots rares qui désignent avec précision une qualité et un défaut du traducteur-interprète. Irène de Buisseret appelle Mallarmé à

1 Irène de Buisseret, Deux langues, six idiomes. Ottawa, Carlton-Green Publishing Company Limited, 1975. Voir aussi Jean Delisle, « Irène de Buisseret, “comtesse” de la traduction, pédagogue humaniste », in Jean Delisle (dir.), Portraits de traductrices. Université d’Ottawa (Presses), « Regards sur la traduction », 2002, pp. 369-402.

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la rescousse : « [I]l y aurait environ 25.000 termes dans notre fonds linguistique commun. Si nous ne connaissions que ceux-là, nous pourrions donner un sens plus pur aux mots de la tribu, et ce serait déjà très bien. » (p. 388), ainsi qu’un vieux proverbe chinois : « la sagesse c’est de savoir appeler les choses par leur vrai nom. » (p. 391) Ouvrir le Larousse, le Robert, le Trésor de la Langue Française… Ce devrait être d’autant plus facile que ce dernier, dictionnaire papier en 17 volumes (!), est mis en ligne et d’accès gratuit par ordinateur. Parodiant un écrivain du XIXe siècle sur un confrère : les étudiants francophones connaissent le fran-çais mais ils n’en savent pas les détails (p. 388). Aux enseignants de proposer des activités qui leur permettent d’approfondir ces détails que sont, entre autres, la connaissance du sens des mots ou des synonymes.

3. améliorer sa phrase

Avant de passer des mots à la phrase, il faudrait faire un détour par la réforme de l’orthographe. Aujourd’hui, en Belgique, après un long et houleux débat au Parlement fédéral, le ministère de la Communauté française soutenu par le Conseil de la Langue française et de la politique linguistique et du Service de la langue française, invite les enseignants à accepter les nouvelles graphies issues des rectifications de 1990 autant que les anciennes. L’or-thographe recommandée à l’école est désormais modérément réformée mais le débat est loin d’être clos. Avons-nous le droit d’accepter que nos étudiants ignorent l’ancienne orthographe sachant que leurs futurs employeurs exigeront qu’ils en appli-quent les règles ? En 1954, l’article de Curvers publié par l’Acadé-mie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Sur la réforme de l’orthographe et la pédagogie nouvelle. Réflexions d’un observateur1, exprimait clairement sa position : la réforme

1 Bulletin de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique (1954), reproduit dans le Bulletin de l’Association des Classiques de l’Université de Liège, n°2, 1954, pp. 8-22 ; puis, Paris, Les Belles Lectures, 1955.

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orthographique est un signe de décadence. Le 2 avril 1991, au moment où le sujet revient sur le tapis, Alexis Curvers envoie au grammairien Albert Baguette (1916-2004), une lettre où il conspue cette réforme qu’il trouve « à la fois futile, impertinente dans les deux sens du terme, souvent niaise, voire absurde1. »

Dès 1948, peut-être même avant la guerre, Curvers préparait une étude basée sur une analyse grammaticale et idéologique de la langue de son temps : la propagande rend nécessaire le jargon ou la confusion dans le langage2. Si l’on ne s’exprime pas clairement, c’est soit confusion de la pensée, soit volonté de tromper son lecteur au moyen de la « langue de bois ». Parmi les fonctions du jargon, on trouve celle d’en imposer, d’intimi-der l’interlocuteur. Toute altération du langage ou inexactitude dans le choix d’un terme trahit « une erreur ou une ruse de l’es-prit ». Curvers s’attaque alors à quelques expressions ou mots comme valable, art dirigé, culturel, historique, efficace, construc-tif, existence… et surtout engagé : comme s’engager signifie en-trer volontairement dans l’armée, l’expression auteur engagé (en particulier chez Merleau-Ponty) choque le pacifiste qu’est encore Curvers3. De plus, la langue française (contaminée par les structures anglaises, allemandes ou russes) exige qu’on précise à quoi. Curvers s’interroge dès lors sur la véritable mission de l’in-tellectuel et conclut pour sa part « qu’il est bon que l’intellectuel se dégage ». Curvers cite encore l’abbé Jacques Delille, poète, académicien et célèbre traducteur français des Lumières : l’état

1 Dans son mémoire de fin d’études, Les Romes d’Alexis Curvers. Approche de l’esthétique d’Alexis Curvers, un lyrisme souriant & meurtri du classicisme (Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 1997-1998, Lv 37694) Marie-Antoinette Barbier cite cette lettre d’Alexis Curvers à Albert Baguette sans référence. La lettre est conservée dans les archives Curvers.

2 Alexis Curvers, « Contre le Jargon », dans Empreintes, n° 6, décembre 1949 – janvier 1950, pp. 21-29. Article extrait de cette analyse qu’il poursuivra jusqu’à la fin de sa vie sans la terminer.

3 Auguste Francotte nous rapporte les remarques bellicistes d’Alexis Curvers lors de la guerre du Vietnam qui contrastent avec la position résolument pacifiste de l’écrivain de 1936 notamment.

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d’une langue est le reflet d’une civilisation. Les mots à la mode (car les jargons envahissent la langue de tous les jours) prouvent, par leur manque de clarté, à quel point la mentalité a évolué vers l’insouciance, l’égoïsme, l’opportunisme. Parler français est un honneur, pourquoi se priver de ses vertus ? Bien parler ou écrire le français devrait être un devoir pour l’écrivain comme pour les professionnels que nous formons.

Autre faute, de syntaxe cette fois, que Curvers pourchasse et in-terprète : l’absence de complément d’agent dans les tournures passives. D’après lui cette « anomalie syntaxique et mentale » permet à l’écrivain ou au journaliste d’éluder les causes ou de gommer les acteurs des faits ou des actes qu’il rapporte. Ainsi, la notion de responsabilité, et donc le sentiment du devoir, dis-paraissent-ils.

Irène de Buisseret, réussissant à mêler habilement culture, conseils pratiques et lyrisme imagé, démarre sa démonstration par le célèbre apophtegme du docteur Knock, personnage créé par Jules Romains : « Tout homme est un malade qui s’ignore » ; et embraie : « Hélas, c’est vrai. Vrai également que tout traduc-teur l’est aussi [malade]. Mauvais, médiocres, bons ou excellents, nous sommes tous malades, tous contaminés à des degrés di-vers. […] Oui notre langue est vilaine et nous sommes souffrants. […] Les deux maladies collectives auxquelles nous sommes si ha-bitués que nous n’en avons plus guère conscience, sinon parfois comme d’un vague malaise, sont l’hydropisie verbale et la ca-cographie chronique. Si nous sommes, linguistiquement parlant, tous plus ou moins hydropiques, c’est que notre phrase n’est pas élégante, nerveuse, dépouillée, mais enflée, flasque, ampoulée, pleine de borborygmes, gargouillis, ballonnements et clapotis verbaux qui l’étouffent et la noient. Sous ce gonflement, on dis-tingue à peine sa charpente et ses traits essentiels. En vain elle se débat ; finalement elle éclate, elle crève, elle succombe et nous l’enterrons sous les guirlandes d’un style atrocement fleuri. […] Un traducteur habile et rusé peut, dans presque tous les cas, évi-ter en français des phrases-ténias. À une époque où, par terreur

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de l’embonpoint, nous suivons des régimes cruels, comment se fait-il qu’un style obèse ne nous répugne pas ? Une traduction adipeuse n’est pas plus attrayante qu’une silhouette pansue ; nous éliminons les calories : sachons donc aussi délester nos tex-tes replets, surchargés. Deux choses à surveiller : les mots-élé-phants, les phrases-spaghettis. […] Les phrases-spaghettis sont plus graves, beaucoup plus graves que les mots-éléphants. El-les provoquent les pires boursouflures et mènent rapidement à l’hydropisie verbale aiguë. » Après une brève citation de Julien Benda que n’aurait pas démentie Curvers sur les écrivains « col-loïdaux », c’est-à-dire qui ont tendance à allonger, contrairement à la prescription de l’Ecclésiaste : « Que tes paroles soient peu nombreuses » (5.2), Irène de Buisseret continue : « [Les colloï-daux] pataugent à cœur joie dans la mare des pléonasmes, la cascade des tautologies, l’océan des interminables étirements. Ils s’ébrouent dans la vase flatulente des épithètes grassouillet-tes, des adverbes redondants, des conjonctions parasites ; ils se rafraîchissent sous l’averse, sous le déluge des qui et des que. » (pp. 1-5) Elle conclut le chapitre par cette devise :

« Pensons concis ». Quant à la « cacographie chronique », c’est une maladie compliquée comportant neuf affections : « solécis-me, calques, barbarismes, faux amis, régionalismes, archaïsmes, tics, manque d’oreille (ton, niveaux de langue), ignorance des prépositions. » (p. 13). De cette mine de précieux conseils, re-tenons et enseignons que pour écrire bien il faut être concis. Le sculpteur Rodin estimait que sa statue était prête une fois qu’il avait enlevé toute la matière superflue et qu’elle tenait debout. Il n’en va pas autrement pour la phrase.

Venons-en au cas particulier du subjonctif.

« Nul n’a fait autant que M. Curvers pour la diffusion du plus-que-parfait du subjonctif. » La critique d’André Wurmser a dû être particulièrement odieuse. Parue dans la revue d’Aragon, Les Lettres françaises, le 25 avril 1957 (p. 2) sous le titre « Une mesu-re pour rien », au lendemain de la sortie du roman le plus célèbre du romancier liégeois Alexis Curvers, Tempo di Roma (Robert Laf-

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font), elle est bien la seule à n’attribuer aucune qualité au roman. « Le jargon de M. Curvers est fort antérieur à Marx », ajoute le journaliste, hargneux, en plaçant ainsi au cœur du débat la ques-tion d’une corrélation éventuelle entre le lexique, le style d’un auteur et sa position idéologique.

Avec Rabelais et Pantagruel, Irène de Buisseret s’ébahit du cha-rabia de l’écolier limousin, cependant peu éloigné de celui des traducteurs contemporains. Elle s’en prend en particulier au « so-lécisme tourangeau », déjà dénoncé par Desgranges et Dauzat, tout en assouplissant la règle. Curvers, « il faudrait quand même que vous le liriez… » « Nous savons que les grammairiens, ces maniaques de la concordance des temps, attendent ici l’impar-fait du subjonctif. Mais tout de même ! Si l’imparfait du subjonc-tif nous fait, avec quelque raison, pouffer de rire, pourquoi ne pas nous rabattre sur le présent du même mode ? Cela se faisait à Paris et dans le Nord de la France dès le XVIIIe siècle et l’Acadé-mie française elle-même a autorisé cet emploi. » (pp. 18-20)

Quelque cinquante ans après Curvers, dans son essai sur l’écritu-re et les livres, Promenades sous la lune, Maxime Cohen aborde lui aussi la question du subjonctif : « Aucun écrivain n’échappe de nos jours à l’extrême perplexité où ces formes [l’imparfait et le plus-que-parfait du subjonctif, les temps passés du condition-nel et quelques personnes du passé simple] le plongent, que ce soit pour les appliquer ou pour les proscrire. Laissons de côté ceux qui n’en savent plus les règles ni l’usage : le sens de ce qu’ils écrivent compte moins pour eux que les sentiments sou-levés par chacun des mots qu’ils alignent, n’importe l’ordre ou l’aspect. Mais ceux que ce soin ne laisse pas indifférents et qui en tirent même une certaine satisfaction à laquelle ils ne sou-haitent pas renoncer ne manquent pas d’hésiter sur la condui-te à tenir lorsque la raison les soumet à ces formes et que leur goût s’y refuse. Rien n’est plus regrettable qu’une langue dont la grammaire exagère le sens ; rien au contraire de plus désirable que lorsqu’il la traverse comme un verre. Il n’est pas douteux que c’est leur goût qu’ils doivent suivre, selon le conseil de Cé-

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sar : “Fuir une expression étrange et inusitée comme on évite un écueil”. Nous sentons tous, enfin ceux qui ont l’ouïe assez fine, combien on doit craindre comme la pépie ces terribles désinen-ces, ces –assent, ces –assiez, ces –assions, qui sont affreuses par l’arrogance qu’elles ajoutent à la cacophonie depuis qu’elles sont devenues étrangères à la langue de tous les jours. On ne peut s’empêcher de récuser le talent de ceux qui continuent d’en user sans discernement : ils font honneur à la correction ; ils n’en font point à leur oreille. Ils n’en font pas davantage à leur jugement : si ces formes sont devenues laides, c’est parce que, n’étant plus en usage, elles ne font plus l’objet d’aucune recherche et ne sont plus justifiées que par la concordance mécanique des temps ; mais comme rien n’est plus impropre au plaisir des lettres que ce formalisme vétilleux qui distrait l’attention du lecteur en faveur d’un détail pédantesque au moment où c’est la vue de l’ensem-ble qui l’accapare, il est beaucoup plus sage de les fronder que de leur obéir. Il ne faut pas écrire dans une autre langue que celle de nos contemporains. » (pp. 333-334)

L’utilisation correcte de ce mode, le subjonctif, a toujours été une des grandes difficultés de l’apprentissage du français1. Les internautes eux-mêmes s’interrogent : « Le subjonctif, à quoi ça sert ? » et racontent leur vie : « Aujourd’hui il m’est arrivé un truc très con : je reprenais une étrangère qui utilisait un indicatif pour un subjonctif, j’explique doctement qu’avec un “que” avant le su-jet, on mettait le plus souvent le verbe au subjonctif, et là, ques-tion qui tue de sa part : “pourquoi ?” Et j’ai réalisé que j’en savais rien. J’ai été jusqu’à envoyer un message à une ex qui a fait une prépa litteraire, elle a pas su me répondre non plus. C’est idiot quand même. On sait tous quand et où placer un subjonctif, mais on sait pas pourquoi2. » Cinq minutes plus tard, passant outre le 1 C’est ce qu’on trouve dans les premières lignes de la contribution

de David Gaatone, « La nature plurielle du subjonctif français », dans Pascale Hadermann, Ann Van Slijcke et Michel Berré (éd.), La Syntaxe raisonnée. De Boeck-Duculot, « Université », 2003 (cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=DBU_BERRE_2003_01_0057).

2 Question de Clad boudeur, le 18 juin 2009, sur forum.canardpc.com/showthread.php ?t=36817.

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ton présomptueux et misogyne de la question, Grosnours Cryp-tozoofafiste vient au secours de Clad boudeur avec un extrait de Wikipedia : « Le subjonctif est un mode grammatical exprimant un fait comme pensé ou imaginé (opinions, faits irréels, incer-tains ou simplement envisagés), par contraste avec l’indicatif qui est censé rapporter les faits réels. Dans la langue française de nos jours deux temps sont majoritairement utilisés, le subjonctif présent et sa forme accomplie exprimant l’antériorité, le subjonc-tif passé. »

Dès lors les linguistes n’ont plus qu’à constater les usages et es-sayer de comprendre leur logique. C’est ce que fait Margaret Winters par exemple, dans son article « Subjonctif et réseau »1. Dans une approche de grammaire cognitive, elle recherche le contenu sémantique du subjonctif chez le locuteur francophone ordinaire. Au bout du compte, elle propose la notion organisa-trice de subjectivité comme sens schématique abstrait du mode, catégorie qui englobe toutes les autres sous-catégories généra-lement évoquées comme la crainte, le doute, l’incertitude, le ju-gement, etc.

Après avoir fait réfléchir les étudiants sur le fonctionnement de leur langue maternelle, sans doute faut-il alors revenir à la nor-me et à la pratique du style. « Un style aussi vif que parfait » écrit Marcel Thiry dans son chapitre consacré au roman, à l’intérieur de la grande Histoire illustrée des lettres françaises de Belgique2 au sujet de Tempo di Roma de Curvers. On ne s’étonnera pas dès lors de retrouver des phrases extraites du roman dans les exer-cices proposés par Jean Kokelberg, dans son manuel Les Techni-ques du style3. Ainsi d’un exercice sur la variété des tours, où la consigne est de récrire la phrase de plusieurs manières différen-

1 Persée, n° 53, 1991, pp. 155-169, en ligne : persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1991_num_53_1_1805.

2 Publié sous la direction de Gustave Charlier et Joseph Hanse. Bruxelles, Renaissance du livre, 1958, p. 599.

3 Jean Kokelberg, Les Techniques du style. Vocabulaire, figures de rhétorique, syntaxe, rythme. Paris, Nathan Université, « Linguistique », 2000.

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tes : « Bien qu’il entrecoupât ses phrases de force rasades, il par-lait sérieusement. » (Alexis Curvers) (p. 172). Ailleurs, il s’agira d’« Exercices sur l’attaque de la phrase » où l’élève récrira une phrase de Curvers en l’amorçant autrement : « Étais-je distrait de mes devoirs par le bonheur dont me comblait la beauté de Ge-ronima ? » (p. 190). Dans les modèles fournis par Kokelberg, on trouve aussi bien Rabelais, Descartes et Marcel Proust que no-tre compatriote Charles Bertin. Bref, le français de demain, c’est aussi celui d’hier, quand il a l’ambition d’être universel.

Ces quelques remarques montrent-elles l’exigence et la rigueur dont nous essayons de nourrir notre enseignement ? De cette exigence, Curvers connaît les dangers : « Ma plus haute ambition serait de donner, par mon œuvre, un modèle de rigueur (d’où le danger de mon style : raideur, purisme) », écrit-il le 24 septembre 19441. Nos étudiants sont-ils capables de fournir l’effort qu’on leur demande ? Les modèles sont-ils trop hauts pour eux ?

Cécile Ladjali, se référant à Platon, part du principe que l’éduca-tion n général est une sorte de conversion : « On se tourne vers ce que l’on n’a pas l’habitude de contempler, on articule les mots que l’on n’est pas accoutumé à prononcer » (op. cit., p. 157) et l’enseignant est là pour accompagner l’étudiant dans cette dé-marche ardue, pas pour le détourner vers des tâches plus sim-ples.

En guise de conclusion, peut-être faut-il encore citer Curvers qui écrit dans des notes éparses cette douloureuse confession, non dénuée de quelque vanité : « On me dit que j’écris bien. Cela me stupéfie. Il faut que mes trop aimables lecteurs soient contents de peu, ou peut-être ne lisent pas assez les classiques. Leur in-dulgence me laisse inflexible. Je sais à n’en pas douter que j’écris naturellement mal. La preuve, c’est que je trouve continuelle-ment à me corriger. Je trouve que j’écris mal et on me dit que j’écris bien. Je n’ose décliner ce compliment, car je ne pourrais montrer qu’il est immérité sans dénoncer chez ceux-là mêmes 1 Alexis Curvers. Journal 1924-1961. Édition, notes et introduction de

Catherine Gravet. Université Paul-Verlaine, Metz, Centre Écritures, « Recherches en littératures » n° 3, 2010, 567 p., p. 368.

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qui me l’adressent la décadence du goût, ce qui serait presque aussi grossier que de mal écrire. » Ou encore, dans son Journal, à la date du 27 décembre 1939 : « Disgrâce d’être belge, de vivre “au pays du langage impur et des figures molles”, comme je me le répétais l’autre jour dans l’autobus. Si j’étais né Français, il me semble que je pourrais au moins écrire naturellement bien, au lieu qu’ici, n’obtenant rien de moi que par effort, écrivant dans une langue qui n’a que l’apparence de ma langue maternelle, j’ai toujours l’impression que je ne suis pas un vrai écrivain, que je triche1. » Ces dernières remarques illustrent « l’insécurité linguis-tique » dont peut faire preuve un écrivain belge. Avec un style si fluide qu’on l’eût cru aisé, comment croire que la langue lui fut une marâtre qui le fit souffrir et dont il usa aussi pour martyriser ses proches et ses amis de ses remarques de « pion2 » ? C’est que sa langue lui était une patrie, un enracinement dont l’orphelin qu’il était resté avait grand besoin.

1 Journal, op. cit., p. 105.2 Parfois de pédagogue aussi : sa démonstration pour prouver qu’on ne

peut utiliser le subjonctif après après que est magistrale.

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-Jean Delisle, « Irène de Buisseret, “comtesse” de la traduction, pédagogue humaniste », in Jean Delisle (dir.), Portraits de tra-ductrices. Université d’Ottawa (Presses), 2002, « Regards sur la traduction », pp. 369-402.

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-Jean Kokelberg, Les Techniques du style. Vocabulaire, figures de rhétorique, syntaxe, rythme. Paris, Nathan Université, « Linguis-tique », 2000.

-Cécile Ladjali, Mauvaise langue. Paris, Seuil, « Non conforme », 2007.

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