Foucault Revent Les Iraniens

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  • 8/9/2019 Foucault Revent Les Iraniens

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    A quoi rventran ien s ?PAR MICHEL FOUCAULT

    Peut-tre les sujets rvolts du chahsont-ils en train de recherchercette chose que nous avons oublie depuis si longtempsen Europe : une spiritualit politique

    les I

    Ils ne nous lcheront jamais de leur plitzJ'avais envie

    revers le champ de batail leLes Amricains vont-ils pousser le chah vers

    C'est la solution de rserve. Ni la plusut comp-

    Iran,e que la peur des S ovitiques.Conseillers du chah, experts amricains,

    mes plus socialisants ) tout le

    temps-ci par les tats-majorsproblmes techniques. Des questions

    Le roi et le saintEntre l'Iran et l'Espagne, il existe pourtantdvelop-

    elle a bouscul les partisiques en voie de reconstitution ; e l le vientcontre les mitrailleuses e t les

    Et elle ne criait pas seulement A mortmais aussi Islam, islam, Khomeini,Et mme Khomeini pourLa situation en Iran semble tre suspendue

    mains nues, ' acclam par un peuple.mage a sa propre force d'entranement

    La libralisation rapide et sans rupture demouvementEt d'abord qu'on sache

    Il a lanc un appel aux tudiants maisil s'adressait aussi aux musulmans et l'arme pour qu'ils s'opposent, au nom duCoran et au nom du nationalisme, ces pro-jets de compromis o il est question d'lec-tions, de constitution, etc.Un clivage qu'on pouvait pressentir depuisun bon moment est-il en train de se produiredans l'opposition au chah ? Les politiques de cette opposition se veulent rassurants C'est bien, disent-ils ; Khomeini, en faisantmonter les enchres, nous renforce en face duchah et des Amricains. Son nom n'est d'ail-leurs qu'un drapeau ; il n'a pas-de programme.N'oubliez pas que, depuis 1963, les 'partisnepeuvent plus s'exprimer. On se rallie pourl'instant Khomeini. Mais la dictature une foisabolie, toute cette brume se dissipera ; la vraiepolitique reprendra les commandes et on- auravite fait d'oublier le vieux prcheur. Mais

    DE NOTRE ENVOYE SPECIAL

    toute l'agitation du week-end autour de larsidence peine clandestine de l 'ayatollah dansla banlieue de Paris, les alles et venues d'Ira-niens importants , tout dmentait cet opti-misme un peu htif ; tout prouvait qu'oncroyait la force du courant mystrieux quipasse entre un vieil homme exil depuis quinzeans et son peuple qui l'invoque.C'est la nature de ce courant qui m'intriguaitdepuis qu'on m'en avait parl, il y a quelquesmois, et j'tais un peu las, je dois l'avouer,d'entendre rpter par tant de bons experts On sait bien ce dont ils ne veulent plus maisils ne savent toujours pas ce qu'ils veulent. Que voulez-vous? . C'est avec cette seulequestion que je m e suis promen Thran et Qom dans les jours qui ont suivi immdia-tement les meutes. Je me suis gard de laposer aux professionnels de la politique ; j'aiprfr discuter longuement parfois avec desreligieux, des tudiants, des intellectuels intres-ss aux problmes de l'islam ou, encore, avec

    de ces anciens gurilleros qui avaient abandonn la lutte arme en 1976 et avaient dcidde mener leur action Sur un tout autre mode l'intrieur de la socit traditionnelle. Que voulez-vous? Pendant tout mosjour en Iran, je n'ai pas entendu une seulfois prononcer le mot rvolution e. Maquatre fois sur cinq, on m'a rpondu : e Lgouvernement islamique. Ce n'tait pas unsurprise. L'ayatollah Khomeini avait dj facette rponse lapidaire des journalistes ; en tait rest l.Qu'est-ce que cela veut dire et prcismendans un pays domine l'Iran pays grossmajorit musulmane mais pays non arabe non sunnite, donc moins sensible qu'un autau panislamisme ou au panarabisme ?L'islam chiite, en effet, prsente un certainombre de traits susceptibles de donner volont de gouvernement islamique un

    coloration particulire. Absence de hirarchidans le clerg, indpendance des religieux leuns par rapport aux autres mais dpendanc(mme financire) l'gard de ceux qui lecoutent_ importance de l'autorit puremespirituelle, rle la fois d'cho et de guidque doit jouer le clerg pour soutenir soinfluence voil pour l'organisation. Et poula doctrine, c'est le principe que la vrit npas t paracheve par le sceau du dernieprophte ; aprs Mahomet commence un autcycle de rvlation, celui, inachev, des imamqui, travers leurs paroles, leur exemple eleur martyre aussi, portent une lumire, toujours la mme et toujours changeante ; c'eelle qui permet d'clairer, de l'intrieur, la lolaquelle n'est pas faite seulement pour trconserve mais pour dlivrer, au long dtemps, le sens spirituel qu'elle recle. Mminvisible avant son retour promis, le douzimimam n'est donc , pas radicalement et fatalment absent : ce sont les hommes eux-mme8Lundi 16 octobre 1978

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    L'ayatollah Khomeini

    la vrit laquelle ils s'veillent.On dit souvent que, pour le chiisme, tout

    ds les premiresNous attendonsut pas dire

    es chrtiens, qui attendez pourtant le jour 'Et comme pour mieux authen-reu,eurs mem bres du comits de l 'homm e en Iran.Un fait doit tre clair : par gouverne-litique dans lequel le clerg joue-

    Une utopie , m'ont dit certains sansUn idal ,. m'ont dit latrss loign dans le futurmais aussi avancer vers un pointx et lointain o il serait possible 'de

    l'gard du lgalisme, avec la foi en la crati-Une autorit religieuse M'a expliqu qu'il

    longs travaux d'experts civils et

    directions gn-islam valorise le travail ; nul ne peut

    appartenir tous (l'eau, le sous-sol) ne devratre appropri par personne. Pour les liberts,elles seront respectes dans la mesure o leurusage ne nuira pas autrui ; les minoritsseront protges et libres de vivre leur guise ,Condition de ne pas porter dommage lamajorit ; entre l'homme et la femme, il n'yaura pas ingalit de droits mais diffrence,puisqu'il y a diffrence de nature. Pour lapolitique, que les dcisions soient prises lamajorit, que les dirigeants soient responsablesdeVant le peuple et que chacun, comme il estprvu dans le Coran, puisse se lever et deman-der des comptes celui qui gouverne.;On dit souvent que les dfinitions du gou-vernement islamique sont imprcises. Ellesm'ont paru au contraire d'une limpidit, trsfamilire mais, je dois dire, assez peu ras-surante. e Ce sont les formules de base de ladmocratie, bourgeoise ou rvolutionnaire,aiLje dit ; nous n'avons pas cess de les rp-ter depuis le xvue sicle, et vous savez quoielles ont men. Mais on m'a rpondu aussi-tt : e Le Coran les avait nonces bien avant

    vOs philosophes et si l'Occident chrtien etindustriel en a perdu le sens, l'islam, lui, sauraen prserver la. valeur et l'efficacit. ; Quand les Iraniens parlent du gouverne-ment islamique, quand, sous la menace des

    balles, ils en font un cri dans la rue, quandifs rejettent, en son nom, les transactionsds partis et des hom mes politiques, au risqueceun bain de sang peut-tre, ils ont autrechose en tte que ces formules de partout etde nulle part. Et autre chose dans le coeur.Ils pensent, je crois, une ralit toute proched'eux puisqu'ils en sont e ux-mmes les acteurs.Il s'agit d'abord du mouvement qui tend donner aux structures traditionnelles de lasocit islamique un rle permanent dans lavie politique. Le go uvernement islamique, c'estce qui petmettra de maintenir en activit cesmilliers de foyers politiques qui se sont allu-ms dans les mosques et les communautsreligieuses pour rsister au rgime du chah.On m'a cit un exemple : il y a dix ans, la

    terre avait trembl Ferdows ; la ville entiretait reconstruire ; mais le projet retenu nedonnant pas satisfaction la plupart des pay-Sans et des petits artisans, ils avaient faitscession ; sous la conduite d'un religieux, ilstaient alls fonder leur ville un peu plusloin; ils avaient collect des fonds dans toutela rgion, ils avaient dcid collectivement desimplantations, amnag les adductions d'eau,organis des coopratives. Et ils avaient appelleur ville Islamieh. Le tremblement de terreavait t une occasion de faire des structuresteligieuses non pas seulement le point d'an-Crage d'une rsistance mais le principe d'unecration politique. Et c'est cela qu'on songelorsqu'on parle du gouvernement islamique.L'invisible P rsent

    Mais on songe aussi un autre mouvem ent,,qui est comme l'inverse et la rciproque du'premier. C'est celui qui perm ettrait d'introduiredans la vie politique une dimension spiri-tuelle : faire que cette vie politique ne soitpas, comme toujours, l'obstacle de la spiritualit mais son ,rceptacle, son occasion, sonferment. Et c'est l qu'on croise une ombreiqui hante toute la vie politique et religieuse de.:PIran d'aujourd'hui : celle d'Ali Shariatti ;qui sa mort, il y a deux ans, a donn la place,:si privilgie dans le chiisme, de l'invisible:Prsent, de l 'Absent toujours l.

    Shariatti, issu d'un milieu religieux, avait,:au cours de ses tudes en Europe, eu contact;avec des responsables de la rvolution alg-i .rienne, avec diffrents mouvem ents du christia-

    nisme de gauche, avec tout un courant dusocialisme non m arxiste (il avait suivi les courde Gurvitch) ; il connaissait la fois l'oeuvrede Fanon et celle de Massignon. Il revint en-seigner Meshad que le vrai sens du chiismeil ne fallait pas le chercher du ct d'une reli-gion officialise depuis le xvue sicle maidans une leon de justice et d'galit socialeprne dj par le premier imam. Sa chance fut que la perscution l'obligea d'aller enseigner Thran, hors de l'universit,, dans unesalle amnage pour lui l 'abri d'une mosqueo il s'adressait un public qui tait le sienet qui se compta vite par milliers : tudiantsmollahs, intellectuels, petites gens du quartiedu Baza r, provinciaux de passage. Shariatti eula fin des martyrs : poursuivi, ses livres interdits, il se livra lorsque son pre fut arrt sa place ; aprs un an de prison, il ta peine parti pour l'exil, qu'il mourut d'unemort que bien peu en Iran acceptent de considrer comme naturelle. Le seul nom qui fusalu l'autre jour la grande manifestationde Thran, avec celui de Kh omeini, fut celude Shariatti. Les inventeurs- de l 'Etat

    Je me sens embarrass pour parler du gouvernement islamique comme ide ou mmcomm e idal . Mais comme volont politique il m'a impressionn. Il m'a impressionndans son effort pour politiser, en rponse des problmes actuels, des structures indissociablemen t sociales et religieuses ; il m'a im pressionn dans sa ten tative aussi pour ouvrir danla politique une dimension spirituelle.Cette volont politique, court terme, posdeux questions1. Est-elle assez intense ces jours-ci et sdtermination est-elle assez claire pour empcher la solution Hamini qui a pour elle(ou contre elle, corme on vo udra) d'tre acceptable par le chah, d'tre recommande par lespuissances trangres, de tendre un rgimparlementaire l'occidentale et de faire lreligion islamique une part qui serait sandoute de concession ?2. Cette volont est-elle, assez profondmenenracine pour devenir une donne permanente de la vie politique en Iran, ou bien sedissipera-t-elle com me un nuage lorsque le ciede la e ralit politique se sera enfin claircet qu'on pourra parler programmes, partisconstitution, plans, etc. ?Les hom mes po litiques ont beau dire : c 'esla rponse ces deux questions qui ordonnaujourd'hui une grande part de leurs tactiquesMais il y a aussi propos de cette volontpolitique deux questions qui me touchendavantage. L'une con cerne l'Iran et son singulier destinA l'aurore de, l'histoire, la Perse a inventl'Etat et elle en a co nfi les recettes l'islamses administrateurs ont servi de cadres au C alifat. Mais de ce m me islam, elle a fait driveune religion qui a donn son peuple des ressources indfinies pour rsister au pouvoir dPEtat. Dans cette volont d'un gouvernemenislamique faut-il voir une rco nciliation, unecontradiction, ou le seuil d'une no uveaut ?L'autre concerne ce petit coin de terre donle sol et le sous-sol sont l'enjeu de stratgiemondiales. Quel sens, pour les hommes qul'habitent, rechercher au prix mme de leuvie cette chose dont nous avons, nous autresoubli la possibilit depuis la Renaissance et lesgrandes ,crises du christianisme une spiritualit politique. J'entends dj des Franais qurient mais je sais qu'ils ont tort,

    MICHEL FOUCAULTLe Nouvel Observateur 4