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PAR OLIVIER VAN CAEMERBÈKE ET CARINE BRUET 2 © EYEDEA/RAPHO/HANS SILVESTER sélection mars 10 Alors que 300 000 agriculteurs ont dû cesser leur activité en quinze ans, nos paysans sont-ils toujours à l’aise dans leur pays, dans leur siècle ? Et les consommateurs, sont-ils vraiment satisfaits des produits qu’ils achètent ? A l’occasion du Salon de l’agriculture, qui se tient à Paris du 27 février au 7 mars, nous avons pris le pouls de l’ensemble des Français à travers un grand sondage, et celui des agriculteurs avec un repor- tage exceptionnel chez des producteurs de porcs. Enfin, José Bové nous a parlé d’avenir dans son bureau du Parlement européen. Un itinéaire complet, de la ferme à l’assiette, qui dessine de vrais choix de société. Le jambon : de la ferme à l’assiette Les Français aiment-ils leurs agriculteurs ? Être paysan au XXI e siècle, par José Bové Et ? demain, l’agriculture FR100310 Copier.qxp:Feature 8/02/10 16:33 Page 2

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Alors que 300 000 agriculteurs ont dûcesser leur activité en quinze ans, nospaysans sont-ils toujours à l’aise dansleur pays, dans leur siècle ? Et lesconsommateurs, sont-ils vraiment satisfaits des produits qu’ils achètent ? A l’occasion du Salon de l’agriculture, quise tient à Paris du 27 février au 7 mars,nous avons pris le pouls de l’ensembledes Français à travers un grand sondage,et celui des agriculteurs avec un repor-tage exceptionnel chez des producteursde porcs. Enfin, José Bové nous a parléd’avenir dans son bureau du Parlementeuropéen. Un itinéaire complet, de laferme à l’assiette, qui dessine de vraischoix de société.

Le jambon : de laferme à l’assiette

Les Françaisaiment-ils leursagriculteurs ?

Être paysan au XXIe siècle, par José Bové

Et

?demain,l’agriculture

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Emma tire sur la manche de monmanteau. «Papa, tu prends lequel dejambon ? » Sous nos yeux, sur septétages d’un linéaire que mon regardpeine à parcourir, s’étalent une tren-taine de références : supérieur, cuit àl’étouffée, à la broche, avec ou sanscouenne… Sans oublier le stand char-cuterie fraîche de mon hypermarchéde Vélizy (Yvelines).

«Alors, tu choisis quoi ?» Je ne saispas ! Je réalise que j’ignore tout de cesproduits. Notre époque est obnubiléepar la «traçabilité». Mais, au fond, quesait-on du parcours qui mène du co-chon à l’assiette ?

Le porc est la viande la moins chèreet la plus consommée en France : 34 kgpar an et par habitant. Le jambon queje m’apprête à passer en caisse vient

probablement de Bretagne, qui pro-duit 58 % du cochon français (75 %avec ses départements limitrophes).

«Le type d’élevage le plus répanducompte 200 truies en moyenne, quidonnent, chaque année, naissance à4 000 têtes», m’explique Michel Rieu,directeur du pôle économie de l’Ins-titut du porc (IFIP).

Mais la tendance est à l’augmenta-tion des cheptels. Un tiers des 15 000porcheries du pays compte déjà plusde 500 truies. L’élevage porcin est àl’image de l’agriculture française : mo-derne, technologique, de plus en plusindustrialisé, et finalement bien loin del’image d’Épinal que nous avons en têtequand nous pensons aux «paysans».

La publicité, avec ses affiches nousmontrant de vertes prairies, des jam-bons devant des bottes de foin et dessaucissons sur des nappes à carreauxVichy, véhicule une image caricaturée.La réalité est bien différente.

Des caméras scrutent lesanimaux jour et nuit

« Oui, je peux vous recevoir, melance René Colin au bout du fil. Monattachée de presse va vous contacter.»

Une attachée de presse ? Mon pre-mier contact avec un éleveur ne man-que pas de sel.

A Plouigneau (Finistère), un bâti-ment design se dresse devant un jar-din paysager. Dans la salle de réunionéquipée d’un écran géant et d’un vi-déoprojecteur, René Colin s’installedevant un ordinateur et lance unDVD pour me présenter son « ate-lier», selon le terme de la profession.Six immenses bâtisses abritent 900

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> Avec 70 cm2 parcochon, les normessont respectées…

Etruies ! C’est l’un des plus gros sitesde France. Outre le chef d’exploita-tion et son épouse, neuf salariés s’ac-tivent auprès des 16 000 porcsprésents en permanence. L’équipepeut compter sur une mécanisationet une informatique omniprésentespour gérer l’alimentation, la tempé-rature des salles, la ventilation, le« lavage » de l’air et des salles d’en-graissement. Perchées au-dessus descases, des caméras scrutent les ani-maux jour et nuit. Elles permettrontbientôt de faire une visite virtuellede l’élevage. «Vous trouvez ici ce quise fait de plus moderne », soulignefièrement l’éleveur, qui a dû tout re-bâtir après un incendie en 2004.

La sécurité sanitaire de son éle-vage reste l’obsession du producteur,et je n’irai pas au-delà des luxueuxbureaux. «Chaque visiteur est poten-tiellement porteur de germes, de ma-ladies, de bactéries », m’assène-t-ilavec gravité.

“Oui, je suis encoreun agriculteur”

« Tenez, enfilez ça », me lance Da-niel Picart en me tendant un bleu detravail et une paire de bottes. Danielet Béatrice Picart sont les voisins deRené Colin. Ils ont créé il y a dix ans

la marque Cochon de Bretagne. «C’estun signe de qualité, m’explique l’éle-veur. La marque garantit l’origine bre-tonne des porcs, une traçabilitépoussée, une alimentation porcinesans farine de poisson… » 600 éle-veurs adhèrent à ces normes, et unepartie de leur production se retrouvedans les produits estampillés FleuryMichon, Picard Surgelés, ou encoredans les sandwichs McDonald’s.

La tenue que je revêts limite lesrisques sanitaires. « Ces risques sontréels mais ne doivent pas nous empê-cher de présenter notre travail, m’ex-plique Daniel Picart. Il faut mettre finaux préjugés. » Daniel se souvient dela rentrée en sixième de son fils aîné :« Je dois vraiment indiquer votre“vraie profession” sur la fiche de ren-seignements de l’école ?», leur avait-ildemandé. « Cela nous avait secoués.Notre métier souffre à tort d’une mau-vaise image. Montrons que l’on peutfaire du cochon industriel de qualité.»

L’éleveur m’entraîne dans une pre-mière salle où 90 truies gestantes sontalignées comme des dominos. Instal-lées sur des caillebotis de béton afinque leurs déjections ne souillent pas lesol, elles restent immobiles, coincéesdans leurs « stalles », sorte de cages àclaire-voie.

Le jambon, de laferme à l’assiette

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problèmes de rentabilité, me confirme-t-il. Baisse de fertilité des truies, trou-bles de croissance des porcs. A moid’identifier l’origine du problème :qualité de l’air insuffisante, manqued’espace, alimentation mal adaptée…les causes peuvent être multiples.»

Un programme sanitaire globalamène les éleveurs à vacciner leurcheptel contre différentes maladiescomme le rouget, la parvovirose, quientraîne une surmortalité néonatale,ou la mycoplasmose, qui ralentit lacroissance des porcs. Ils administrentégalement certaines hormones auxtruies pour synchroniser les mises bas.

« Rien à voir avec les hormones decroissance que l’on a connues par lepassé, précise le vétérinaire. Celles-ci

sont naturelles et ne se retrouvent pasdans la viande. »

Il n’en reste pas moins vrai que50% des antibiotiques animaliers ven-dus en France sont destinés à la pro-duction porcine. Jusqu’en 2006, leséleveurs avaient d’ailleurs le droitd’utiliser certains antibiotiques dansle seul but de favoriser la croissancedes animaux. Et aujourd’hui ? Les trai-tements autorisés peuvent-ils se re-trouver dans ma tranche de jambon ?

« Le risque est infime, assure le mé-decin. Les éleveurs sont très contrôléspar les services vétérinaires et respec-tent les délais entre la prise d’un mé-dicament et l’abattage. Les crises dupoulet aux hormones et de la vachefolle ont servi de leçon.»©

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« Elles pourront bientôt fairequelques pas dans l’espace que nousleur confectionnons, conformémentaux directives européennes pour 2013 »,me précise l’éleveur. Un vrai plus.Même si, avec 8 m2 pour 7 truies, ellesn’auront guère le loisir de gambader.

L’exploitation compte 450 truies. Da-niel, son épouse ou l’un de leur quatresalariés veillent en permanence au bondéroulement des 13 000 naissances an-nuelles. « Bien sûr, nous utilisons latechnologie, commente l’éleveur. Maisnous restons proches des bêtes. Oui, jesuis encore un agriculteur !»

Là encore, l’informatique gère lachaleur diffusée dans les cases. Achaque étape de croissance une «am-biance » idéale : 26 °C pour les nou-veau-nés, 24 °C pour les porcelets,20 °C pour les adultes. « Ainsi, nosbêtes ne dépensent pas d’énergie pourréguler leur température. L’alimentqu’elles consomment doit uniquementprofiter à leur croissance.»

Leurs porcs mangent du blé, del’orge, du maïs cultivés sur leurs terreset du soja OGM. Ces céréales (8 ton-nes chaque jour) représentent 60% ducoût de production de l’animal.

Les formules 1 de la production

Dans la salle de maternité, les petitsse bousculent pour attraper l’une desmamelles de leur mère. L’odeur du lisier, chargée d’amoniaque, monte à lagorge. « Ça pique un peu », me lancel’éleveur avec un clin d’œil.

A l’extérieur des «ateliers», les nui-sances olfactives sont quasi nulles.«Nous purifions l’air avant de l’expul-

ser, m’explique Daniel Picart. Quant aulisier qui n’est pas utilisé sur nos cultures, il est transformé en compost. »

Les bâtiments sont, comme les ani-maux, d’une propreté étonnante. Diffi-cile de croire que 6 000 porcs viventici. Dans l’une des nombreuses sallesd’engraissement, une centaine de bêtesâgées de 6 mois et demi prendrontbientôt la direction de l’abattoir. A cetâge-là, elles pèsent 120kg, et la case quiles accueille paraît bien étroite. Avec0,70 m2 par cochon, les normes sonttoutefois respectées. Deux fenêtreslaissent passer la lumière du jour, maisl’éclairage artificiel reste d’autant plusindispensable qu’il sert aussi de chauf-fage. A y regarder de plus près, laqueue des cochons n’a rien du tire-bouchon. Et pour cause ! Daniel Picartla leur a coupé. Cela évite que les ani-maux, stressés, ne se la mangent entreeux… Et, pour que les porcelets n’abî-ment pas les précieuses mamelles destruies, l’éleveur leur lime également lesdents.

Chez Daniel Picart comme chezRené Colin, la viabilité économique de l’élevage passe par une productivitémaximale. Il faut élever beaucoup, réin-séminer les truies le plus vite possible,ne pas perdre de petits… «Nous géronsdes formules 1 de la production », meglisse à l’oreille Daniel Picart.

Dans cette recherche d’efficacité, lamédecine vétérinaire joue un rôle pri-mordial. Les éleveurs font appel à desspécialistes comme le Dr Maes. Ce mé-decin du porc travaille dans le grandSud-Est de la France, dans des élevagesintensifs aussi bien que bio. « 80% demon travail consiste à résoudre des

En France, l’élevage le plus répandu ressemble à celui de Daniel Picart, à Plouigneau(Finistère) : 200 truies en moyenne, donnant chaque année naissance à 4 000 porcelets.

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LA TIRELIRE DU COCHON

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Les défenseurs du bien-être animal

Le jambon que nous trouvons ensupermarché est reconstitué à partirde différents morceaux de cuisses,coupés, désossés, dégraissés puisréassemblés dans un moule avantd’être cuits. Or les Français consom-ment plus de jambon qu’ils n’en pro-duisent. Conséquence : 50% provientd’autres pays européens. « Dans unemême tranche, on peut donc trouverun peu de jambon espagnol, danois,allemand ou français, déplore DanielPicart. Seule exception : les produitsétiquetés VPF (Viande de porc fran-çaise). »

Visiblement, l’éleveur aime sonmétier et apporte un soin évident àengraisser ses animaux dans desconditions sanitaires optimales. Mais,dans sa modernité, il bouscule aussil’image que l’on a de l’agriculture. Et s’ilincarne le «paysan du XXIe siècle», desvoix s’élèvent pour contester le type

d’élevage qu’il défend. «Le cochon estdevenu une machine à transformer descéréales en viande», tempête JocelynePorcher, docteur en sciences animalesà l’Institut scientifique de rechercheagronomique publique (INRA). « Onapplique à l’animal un procédé indus-triel qui nie sa condition d’être vivant.Élever et produire, ce n’est pas la mêmechose. L’élevage industriel n’a qu’unerationalité : économique. Où est le“vivre ensemble”, l’amour des animaux,le goût du terroir ? Ces élevages illus-trent notre rapport au vivant : violent,sans pitié.»

L’attaque est rude. «Les défenseursdu bien-être animal font de l’anthro-pomorphisme ! s’énerve Daniel Picart.Nous, éleveurs, sommes les mieux pla-cés pour savoir ce dont le cochon aréellement besoin. Lui donner un peuplus d’espace ou placer, comme je lefais, un ballon dans les cases, sert sur-tout à calmer le lobby des protecteursdes animaux.»

Dans mon hypermarché, le jambon est vendu entre 6,25 et 24,69 ! le kilo. A qui profite ce prix de vente ?« Sûrement pas aux éleveurs ! s’insurge Jean-Michel Serres, président de la Fédération natio-nale porcine, premier syndicat d’éleveurs. Beaucoup vendent à perte, car le cours du porc s’esteffondré. » Le cours oui, mais pas le ticket de caisse ! L’Observatoire des prix et des marges a étudié le jambon sur sept ans. Ses conclusions : sur 10 ! déboursés par le consommateur,1,67 ! va à l’éleveur, 2,91 ! vont à l’industriel charcutier-salaisonnier et… 4,40 ! au distributeur.« On confond là nos marges avec nos charges, se défend Jérôme Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Il faut tenir compte de nos frais : conditionnement, TVA, transport, coût du personnel, pertes… Et puis le porc bénéficie de fortes périodes de promotions sur lesquelles nos marges sont infimes. »Mais alors, quel est le bénéfice des grandes surfaces sur le jambon ? 20 %, révélait avec fra-cas, en décembre 2008, le secrétariat d’État chargé de la Prospective. « Nous ne raisonnonspas produit par produit, contre-attaque la FCD, mais sur l’ensemble du rayon porc, et cela n’excède pas 4 %. » Oui, mais avec de grosses différences de prix selon le produit (porc frais ou transformé), la marque et la période de vente. Bref, difficile d’y voir clair.« Les centrales d’achat des grandes surfaces se servent de la concurrence des producteursétrangers pour tirer les prix vers le bas, déplore Jean-Michel Serres. Les grandes surfacesachètent le jambon 5 ou 6 ! le kilo aux entreprises de salaisons. Le consommateur, lui, payele double. C’est injustifiable. »

Castration sous anesthésie

Surprise, pourtant : il existe des co-chons heureux. Ils vivent chez ThierrySchweitzer, à Schleithal (Alsace).Lorsque j’arrive sur place, l’hommeparcourt à grandes enjambées la courde son exploitation, iPhone à la main.

« Allô ! Oui, c’est Thierry. Alors,combien veux-tu de travers cette semaine ? Je te prépare quelques sau-cisses knacks ?»

Lui aussi est éleveur de porcs. Unéleveur aussi atypique que son éle-vage situé à un jet de pierre de la fron-tière allemande. Avec ses palissadesen bois, l’atelier passerait presquepour une étable. Ici, les animaux, aunombre de 1 000, ont de l’espace. Les

250 truies gestantes, jamais entravées,se partagent 900m2. Le caillebotis estproscrit : au sol, de la paille. Les bêtespeuvent fouir, bouger librement maisaussi humer l’air, le soleil ou le ventqui pénètre par les vastes ouvertures.Lorsqu’elles allaitent, les truies nesont pas cloîtrées et disposent d’unecourette extérieure. Les OGM sontbannis de l’alimentation. Aucun ordi-nateur ne gère la température descases, les apports médicamenteuxsont limités, et ni les dents ni la queuedes animaux ne sont mutilées.

« Comme dans tous les élevages, je dois castrer les porcs, ajoute l’éleveur.Mais je suis sans doute l’un des seuls enFrance à réaliser l’opération sous anes-thésie locale. Question d’éthique.»

Retrouvez également les résultats du sondageLes Français et le monde agricole sur RTL, jeudi 25 février, dans RTL Matin, entre 7 heures et 9 h 30, présenté par Vincent Parizot. Du 27 février au 7 mars, la première radio de France seraprésente sur le Salon de l’agriculture. Pendant dix jours,Julien Courbet, Jean-Pierre Foucault et Cyril Hanouna,

Laurent Boyer, Harry Roselmackou encore Vincent Perrot seronten direct du studio RTL installéHall 1, allée A69, à la porte de Versailles.

Pour prolonger notre dossier…

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la banlieue de Strasbourg. Le jambonSchweitzer à la coupe s’y vend 12,90 !le kilo quand les produits emballés os-cillent entre 7et 27 ! ! L’enseigne a faitun effort. Une exception, à en croireles professionnels du porc (voir l’enca-dré). Car chez eux la colère gronde. Endécembre dernier, des éleveurs mar-nais lâchaient des cochons sous la tourEiffel pour protester contre un systèmeéconomique qui les condamne. En2009, le porc a rapporté aux éleveurs1,25! le kilo en moyenne. C’est à peineplus que le coût de production. Seulsles éleveurs les plus performants s’ensortent.

Préférez-vous consommerdu porc brésilien ?

« L’industrialisation réalisée cesvingt dernières années ne nous a paspermis de nous enrichir, mais unique-ment de survivre, souligne Daniel Pi-cart. Sans elle, confrontés à laconcurrence étrangère, les élevagesbretons auraient déjà disparu. »

Économistes, syndica-listes, éleveurs…, tous l’assu-rent : à terme, seules lesexploitations d’au moins300 truies seront viables.Économiquement d’abord,car le coût de productionest moins élevé. Écologique-ment aussi, car leur tailleleur permet de financer lecoût du traitement de l’air,du lisier, ainsi que la miseaux normes du bien-êtreanimal imposées par l’Eu-rope. Viables socialementenfin, car elles pemettent

aux éleveurs de prendre des vacanceset des week-ends…

« Il faut aider le porc français,plaide Daniel Picart. Nous sommescompétents, nos élevages sont sévère-ment contrôlés, nous créons de la ri-chesse locale, nous maintenons le tissuéconomique et social rural vivant…Préféreriez-vous consommer du porcbrésilien ou américain ?»

Faut-il alors se résoudre au dévelop-pement d’élevages toujours plus inten-sifs ? Thierry Schweitzer nuance :«Notre vie est ce que nous en faisons,nos actes d’achat en sont une compo-sante. Je suis éleveur, mais je m’inter-roge : les Français ont-ils besoin dedévorer 25 millions de porcs chaqueannée ? Nous pouvons tous choisir deconsommer moins… et mieux.»

Devant le linéaire du supermarché,ma fille me sort de ma réflexion : « Ça yest, tu l’as enfin trouvé ton jambon ? » !

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L’élevage est propre, pratiquementsans odeur, et les animaux sontcalmes. Une expérience «baba-cool» ?Loin de là. Thierry Schweitzer n’a riend’un hippie ! Ingénieur agricole de for-mation, il est plus souvent devant sonordinateur que face à la fourche.

«Je connais les élevages industriels,j’y ai travaillé. Économiquement, ilssont cohérents, mais je ne m’y recon-nais pas. J’ai choisi de faire un métiersocialement acceptable et dont mesenfants puissent être fiers.»

L’homme a su se montrer novateur.Il y a douze ans, il concevait son ate-lier avec l’aide de spécialistes de laSPA. Quelques années plus tard, ilachetait sa propre usine de transfor- ©

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Thierry Schweitzer vous présente en vidéo son élevage pas comme les autres sur

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Thierry Schweitzer, éleveur de porcs, a choisi dedévelopper une production respectueuse de l’animal.

mation afin de préparer lui-même sesjambons, saucisses et autres pâtés. Sonapproche fait école. Six autres éle-veurs indépendants appliquent son ca-hier des charges et donnent ainsi unvrai poids économique à la marqueThierry Schweitzer.

« Nous anticipons une tendance defond. L’alimentation biologique, le dé-veloppement rural, le respect du bien-être animal vont s’imposer. »

La viande de Thierry Schweitzerest néanmoins de 15 à 20 % plus chèreà produire. Pour que l’équation fonc-tionne, les consommateurs doivent accepter de payer plus, ou les distribu-teurs de rogner sur leurs marges. C’estle cas au Cora de Mundolsheim, dans

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… qu’ils sont soucieux de fabriqueren grande quantité

leurs produits, quelle qu’en soit la qualité ?

36,2 %

… qu’ils privilégient avant tout la qualité

et non le rendement ?

34,8 %

39,9 % Lait 50,9 % Légumes53,6 % Fruits54,2 % Viande

SONDAGE GNS-SÉLECTION

Question 1 : Quand vous achetez du lait, des légumes, des fruits,de la viande, êtes-vous sûr(e) de leur qualité ?

Question 2 : Lorsquevous achetez du lait, de laviande, des fruits, des légumes, quels sont les trois critères qui déterminent votre choix ?

Question 3 : Diriez-vous des agriculteurs et des éleveurs...

NON!

JEAN-MICHEL LEMÉTAYER, PRÉSIDENT DE LA FNSEA. Que moins de 50%des Français aient confiance dans la qualité de nos produits est une déception (Q 1). La mauvaise image de la viande est préoccupante. Je pensais que les doutesapparus après l’épisode de la vache folle étaient derrière nous. Mais je l’affirme :

la qualité sanitaire des produits alimentaires français est quasi irréprochable !Bonne surprise : aux yeux des consommateurs, l’origine France des produits agri-

coles est presque aussi importante que le prix (Q 2). Même si nos fruits et légumes locaux sontparfois plus chers que ceux importés, ils restent appréciés. En revanche, les moins de 35 anssont les moins sensibles à l’origine ou à la saisonnalité des aliments ; peut-être à cause de mau-vaises habitudes alimentaires (plats cuisinés, restauration rapide, cuisine au micro-ondes…). Priorité au rendement ? Seuls 35 % des Français sont convaincus que nous privilégions la qua-lité (Q 3). C’est aussi décevant ! J’aimerais que cette image d’agriculteurs productivistes sorte del’esprit du consommateur. Bien sûr, nous produisons beaucoup pour répondre à une demandecroissante et à la concurrence européenne. Mais on peut conjuguer technologie et qualité !

L’avis des expertsJOSÉ BOVÉ, DÉPUTÉ EUROPÉEN Le doute des Français sur la qualitédes produits m’étonne (Q 1). La méconnaissance de leur provenance peut, en partie, l’expliquer. D’ailleurs, de plus en plus de consommateurs achètentdirectement leurs fruits et légumes aux producteurs ou dans un relais, enville. C’est un gage de qualité rassurant pour eux ! Quand le pouvoir d’achat baisse, les familles réduisent d’abord les dépensesd’alimentation (Q 2). Le prix est donc déterminant. L’“origine France”, en revanche, ne veut pasdire grand-chose, car elle ne renseigne pas sur le mode de production. La plupart des gens igno-rent à quoi correspondent les labels ou les AOC. Mais parlez-leur du comté, de la figue de Sol-liès, de la volaille de Bresse…, et vous les verrez défendre ces produits avec conviction. Plus de 40 % des Français pensent que le bien-être animal n’est pas respecté (Q 4).Comme eux, je crois qu’une vache doit manger de l’herbe dans un pré, ne pas se gaver de soja et de maïs enfermée dans du béton ! Nous sommes nombreux à le penser. Souvenez-vous : leboycott du veau aux hormones, en 1980, est parti de paysans révoltés par ce système aberrant !

• Leur prix 59,7 %

• L’“origine France” 58,8 %

• Leur aspect, leur conditionnement 53,7 %

… les éleveurs sont suffisamment soucieux du bien-être de l’animal ?

… les agriculteurs et les éleveurs sont suffisamment respectueux de l’environnement ?

Question 4 : Diriez-vous qu’en France…

NON!

41,1 %

57,9 %

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Question 5 : Selon vous, qui bénéficie des plus grandes marges sur le prix de vente d’un produit agricole

(viandes, fruits, légumes, lait) ?

JEAN-MICHEL LEMÉTAYER Depuis des an-nées, nous nous battons pour la transparencedes pratiques commerciales (Q 5). 2009 a étémarquée par la création de l’Observatoire duprix et des marges. En juin dernier, ChristineLagarde et Luc Chatel ont mis en place la Bri-gade de contrôle de la loi de modernisation del’économie. Cela va dans le bon sens. Tout celanous permettra, je le souhaite, de sortir del’idée que les uns « arnaquent »les autres. Les actions syndi-cales spectaculairesne sont jamaismenées de gaietéde cœur (Q 6).Mais, lorsqu’ontravaille avecdes denrées pé-rissables, il fautse faire enten-dre vite etfort. Toute-fois, je n’aijamais été fa-vorable au faitde jeter de la nourriture sur les routes.Je comprends que cela puisse choquer.Le Salon de l’agriculture (bulle ci-dessus) est notre vitrine internationale,mais il ne suffit pas pour obtenir une vision complète de notre agriculture. Pour cela, il fautaussi se rencontrer. J’encourage tous les pay-sans à ouvrir leurs exploitations et les citadins à s’y rendre. 91 % de bonne opinion (idem) !Quelle profession peut se targuer d’un tel plé-biscite ? Malgré les questions qu’ils se posent et les doutes qui les animent, nos concitoyensnous accordent confiance et sympathie.

JOSÉ BOVÉ Les consommateurs ne sontpas dupes du « hold-up » de la grande distri-bution sur le dos des « petits » (détaillants, éleveurs-producteurs, transporteurs…) [Q 5].C’est essentiel : elle ne doit pas payer un prix auproducteur en dessous de son coût de produc-tion ! Un supermarché n’a pas le droit de vendre un produit en dessous de son prixd’achat. Et le paysan ne doit plus se contenterdes miettes du gâteau des négociations.

Comme les paysansne peuvent pas faire

grève, ils choisissentdes actions symbo-liques comme dé-

verser du lait (Q 6).Sur le terrain, quand on

prend le temps d’expliquer auxgens la dureté de ce métier, ils

comprennent la détresse desagriculteurs. Mais seules

nos actions fortes restent dans les

mémoires ! Lesimages de paysansoffrant leurs produits sur lesmarchés pour

informer l’opinionne font jamais l’ou-

verture des journauxtélévisés.

Bien qu’il soit la vitrine de l’agriculture intensive, le Salon reste « la » fête. Pour lesagriculteurs, se retrouver entre eux leur donnele sentiment d’une immense force. Pour les visiteurs, souvent urbains, c’est une vraie bouffée d’oxygène. Il renforce le lien entre lescitoyens-consommateurs et les paysans.

L’avis des experts

La grande distribution

(hypermarchés, supermarchés)

81,3 %

Les éleveurs,les agriculteurs

2,7 %

Question 6 : Pour se faireentendre, agriculteurs etéleveurs choisissent parfoisde déverser en grandequantité des produits ali-mentaires sur les routes.Vous jugez ces actions :

Inacceptables52,7 %

Compréhensibles47,3 %

57 %des Françaisestiment que

le Salon de l’agriculture idéalise

la vie des éleveurset des agri-culteurs

91,1 %ont une

bonne opiniondes agricul-teurs et des

éleveurs

Sondage GNS réalisé par Internet du 7 au 11 janvier 2010 auprès de 1 505 personnes, échantillon nationalreprésentatif de la population française. Les résultats ont été redressés par la méthode des quotas. L’in-tégralité des résultats sur selectionclic.com

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En 2013, l’Europe réformera sa Poli-tique agricole commune (PAC). C’est lerendez-vous à ne pas manquer, unechance historique. Le temps de la ré-orientation. Si, partout dans l’Union, onne protège pas la production locale, onrisque de tout perdre. Prenons garde àne pas délocaliser l’agriculture. Nouspourrions, un jour, nous retrouver dansla situation aberrante d’une Europeobligée d’importer son alimentationalors qu’elle possède un savoir-fairepaysan riche et des terres cultivablesimmenses ! La nouvelle PAC doit ap-porter des réponses concrètes. Com-ment garantir un revenu aux paysans(pour moi, ils ne devraient pas êtrecontraints de vendre en dessous deleurs coûts de production) ? Commentgarantir un prix abordable au consom-mateur ? Quelles aides directes appor-ter aux jeunes pour qu’ils s’installent ?Les réponses dessinent de vrais choixde société qui vont bien au-delà de laseule agriculture.

Pour mobiliser les citoyens, je vaisorganiser des « états généraux euro-péens de l’agriculture et de l’alimenta-tion » : que veut-on pour l’agriculturede demain ? D’autres idées sont dansl’air : quand on élabore un plan d’urba-nisme, pourquoi ne pas conserver dufoncier pour réinstaller des «ceinturesvertes maraîchères » autour des mé-tropoles ? Il y a des créations d’em-plois à la clé.

Que voulons-nous dansnos assiettes ?

Redonner un sens à ce métier,mener une vraie politique de l’alimen-tation, qui maintienne les paysans en

exercice et permette d’en attirer denouveaux, voilà les enjeux. Pour ren-forcer les pouvoirs des agriculteurs, ilfaut que ces derniers s’appuient sur lasociété dans laquelle ils vivent, d’où lanécessité de renforcer ce lien très fortet auquel je crois beaucoup entre lepaysan et le citoyen. Que représentent4 % des agriculteurs s’ils ne s’allientpas avec les consommateurs ? C’estaux citoyens de définir ce qu’ils dési-rent dans leurs assiettes. Commentsouhaitent-ils que ces produits soientcultivés ? Quel rapport veut-on que lespaysans entretiennent avec les habi-tants des villes, mais aussi avec l’agen-cement des paysages et, même, avecles autres paysans du reste du monde ?On ne peut plus produire n’importequoi, n’importe comment !

La tête et les mainsA un jeune aujourd’hui, je dirais

ceci : être paysan, ce n’est pas juste sa-voir conduire un tracteur, mais c’estêtre capable d’innover. Il existe beau-coup d’initiatives concrètes à lancer :la multiplication des «circuits courts»(vente à la ferme, sur les marchés, duproducteur au consommateur), le dé-veloppement du «bio» (la France, avecses 2 % de surfaces agricoles bio, estparmi les plus mauvais élèves euro-péens), les promesses de la «rechercheparticipative», qui confronte les scien-tifiques et les savoir-faire paysans…Les mentalités changent. Ce métier,qui occupe à la fois la tête et les mains,sait être créatif et imaginatif ! !

En quinze ans, en France, 300 000agriculteurs ont cessé leur activité,soit 30% des effectifs des paysans. Ilsreprésentent désormais moins de 4 %de la population active. Il y a un demi-siècle, l’agriculture était un art devivre. Aujourd’hui, c’est un métier de« producteurs de matières pre-mières » peu valorisant, peu enviable(au vu de votre sondage) et sansgrande contrepartie financière. Êtrepaysan, c’était être libre, autonome.Aujourd’hui, c’est faire face à deschoix imposés, des politiques agri-coles, des quotas.

La crise d’identité est profonde.Dans nos fermes, les jeunes refusentde reprendre le flambeau. Ils voientleurs parents, acculés par les dettes,

travailler sept jours sur sept pour desrevenus proches du Smic. Dans les ex-ploitations, les investissements, eux,frôlent souvent le million d’euros ! Cen’est pas pour rien que, toutes catégo-ries sociales confondues, le taux desuicides chez les agriculteurs reste leplus élevé. La détresse est réelle.

Vendre en dessous descoûts de production

Le système des aides a longtempsété pervers : plus on possédait d’hec-tares, plus on percevait de subsides.Cette mécanique a favorisé l’indus-trialisation du métier, en totalecontradiction avec la défense de l’en-vironnement et la demande ci-toyenne, qui réclame plus de qualité.

E“Être paysan au

XXIe siècle” par José Bové

José Bové, en vidéo, pour une interview exclusive, sur www.selectionclic.com

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