12
S ociologue, expert en géopolitique religieuse très apprécié des grands médias, lui-même patron de presse (Le Monde des reli- gions) et éditorialiste, producteur et animateur sur France Culture (Les Racines du ciel), Frédéric Lenoir ne gravite pourtant pas dans le seul monde des idées. Certes, il a commencé à se faire connaître par des en- quêtes sociologiques et essais d’histoire des religions – dont une remarquable Rencontre du bouddhisme et de l’Occident, adaptée de sa thèse. Puis il s’est affirmé de plus en plus comme penseur des mutations de notre temps au regard des pratiques religieuses et parareligieuses, et il est aujourd’hui reconnu comme philosophe spécialisé dans ces sujets qui furent longtemps traités avec condescen- dance ou répulsion par l’Université. Mais no- tre docteur ès dieux, mythes et croyances, est une personnalité trop prodigue pour se contenter du seul domaine des analyses. Lorsqu’on a passé sa vie à chercher à comprendre comment fonctionnent les mythologies et les révélations, les pouvoirs cléricaux comme les sociétés ésotériques, n’est-il pas tentant de jeter un beau jour tous ces ingrédients dans le creuset de l’ima- gination, et de se mesurer à l’alchimie de la fiction ? Encore faut-il être doué pour raconter des histoires, ce qui n’est pas donné à tous les connaisseurs patentés de l’histoire, surtout celle des religions. Or le coup d’essai de Frédéric Lenoir, La Promesse de l’ange (2004), écrit à quatre mains avec Violette Cabesos, fut un vrai coup de maître, best-seller traduit en une douzaine de langues. Les deux coauteurs récidivent aujourd’hui avec La Parole perdue, mettant en scène la même héroïne archéologue. La résurrection d’un trésor Ouvrage aussi rare que mythique pendant plus d’un demi-siècle, Le Bestiaire du Christ de Louis Charbonneau-Lassay a connu un destin rocambolesque où se mêlent sociétés secrètes et mysté- rieux cambrioleurs. Mais c’est aussi et surtout une œuvre unique qui résume en mille pages et mille cent gravures tout le patrimoine spirituel chrétien à travers la symbolique animale. P. 7 Abdelwahab Meddeb Albin Michel Numéro 30 – printemps 2011 LIRE PAGE 12 Bernard Besret, du christianisme au Tao P. 4 Amérindiens du Nord et du Sud P. 9 Françoise Vergès, aujourd’hui l’esclavage P. 11 « C’est arrivé par surprise. » En quelques jours, une dictature qui semblait inébranlable est tombée sous l’impulsion d’une jeunesse qui a désiré avec ferveur la démocratie, la liberté. Abdelwahab Meddeb, l’auteur de La Maladie de l’islam, nous livre ici un récit unique, nourri de ses rencontres avec les Tunisiens, écrit dans la ferveur de ces journées qui ont inauguré un monde nouveau. Chronique d’une libération, comme une guérison. © Eric Garault SUITE PAGE 2 Frédéric Lenoir, un surdoué dans le monde des religions Frédéric Lenoir avec Violette Cabesos, coauteurs de La Promesse de l’ange et La Parole perdue.

Frédéric Lenoir, · 12 Abdelwahab Meddeb Sommaire La Parole perdue Violette Cabesos et Frédéric Lenoir 544 pages, 22,50 € Des mêmes auteurs : La Promesse de l’ange 496 pages,

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Page 1: Frédéric Lenoir, · 12 Abdelwahab Meddeb Sommaire La Parole perdue Violette Cabesos et Frédéric Lenoir 544 pages, 22,50 € Des mêmes auteurs : La Promesse de l’ange 496 pages,

Sociologue, expert en géopolitique

religieuse très apprécié des

grands médias, lui-même patron

de presse (Le Monde des reli-

gions) et éditorialiste, producteur

et animateur sur France Culture (Les Racines

du ciel), Frédéric Lenoir ne gravite pourtant pas

dans le seul monde des idées. Certes, il a

commencé à se faire connaître par des en-

quêtes sociologiques et essais d’histoire des

religions – dont une remarquable Rencontre du

bouddhisme et de l’Occident, adaptée de sa

thèse. Puis il s’est affirmé de plus en plus

comme penseur des mutations de notre

temps au regard des pratiques religieuses et

parareligieuses, et il est aujourd’hui reconnu

comme philosophe spécialisé dans ces sujets

qui furent longtemps traités avec condescen-

dance ou répulsion par l’Université. Mais no-

tre docteur ès dieux, mythes et croyances,

est une personnalité trop prodigue pour se contenter du seul domaine des analyses. Lorsqu’on a passé sa vie

à chercher à comprendre comment fonctionnent les mythologies et les révélations, les pouvoirs cléricaux comme

les sociétés ésotériques, n’est-il pas tentant de jeter un beau jour tous ces ingrédients dans le creuset de l’ima-

gination, et de se mesurer à l’alchimie de la fiction ? Encore faut-il être doué pour raconter des histoires, ce qui

n’est pas donné à tous les connaisseurs patentés de l’histoire, surtout celle des religions. Or le coup d’essai

de Frédéric Lenoir, La Promesse de l’ange (2004), écrit à quatre mains avec Violette Cabesos, fut un vrai coup

de maître, best-seller traduit en une douzaine de langues. Les deux coauteurs récidivent aujourd’hui avec La

Parole perdue, mettant en scène la même héroïne archéologue.

La résurrectiond’un trésorOuvrage aussi rare que mythique pendant plus d’un demi-siècle,Le Bestiaire du Christ de Louis Charbonneau-Lassay a connu undestin rocambolesque où se mêlent sociétés secrètes et mysté-rieux cambrioleurs. Mais c’est aussi et surtout une œuvre uniquequi résume en mille pages et mille cent gravures tout le patrimoinespirituel chrétien à travers la symbolique animale. P. 7

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Numéro 30 – printemps 2011

LIRE PAGE 12

Bernard Besret,du christianisme au Tao P. 4

Amérindiensdu Nord et du Sud P. 9

Françoise Vergès,aujourd’hui l’esclavage P. 11

« C’est arrivé par surprise. »En quelques jours,une dictature qui semblaitinébranlable est tombéesous l’impulsiond’une jeunesse qui a désiréavec ferveur la démocratie,la liberté. AbdelwahabMeddeb, l’auteurde La Maladie de l’islam,nous livre ici un récit unique,nourri de ses rencontresavec les Tunisiens,écrit dans la ferveurde ces journées qui ontinauguré un monde nouveau.Chronique d’une libération,comme une guérison.

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Frédéric Lenoir,un surdoué dansle monde des religions

Frédéric Lenoir avec Violette Cabesos, coauteursde La Promesse de l’ange et La Parole perdue.

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2 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

Entrée chez Albin Michel avec le romanpeut-être le plus éblouissant de touteson œuvre dans son étrangeté même(Magnus, 2005), Sylvie Germain revientaujourd’hui, après L’Inaperçu (2008) et

Hors champ (2009), vers le genre de l’essai qu’ellen’avait jamais laissé en friche depuisses premiers Échos du silence (1996,repris en poche chez Albin Michel en2006). Essai mêlé de récits, déclara-tion d’amour et de chagrin, Le Mondesans vous relèverait plutôt du genre lit-téraire du « tombeau », hommage spi-rituel cher à Mallarmé, mais ici renduen une prose où l’âme se livre sansaucune recherche d’effet, dans la dou-leur d’une absence qui la laisse nue.Absence d’une mère qui vient de partir, réveillantl’absence d’un père perdu depuis déjà longtemps…Tous deux s’en sont allés vers « l’absolu du Loin »,et pour leur fille délaissée « il n’y a plus qu’un uniqueaujourd’hui ». Au-delà de cette expérience du deuilfilial, et de « ces petits cailloux qui esquissent la pos-sibilité d’un tombeau », condition nécessaire à un ré-apprentissage de la vie, Sylvie Germain nous en-traîne, sans même que nous nous en apercevions,

dans une philosophie où l’idée de sagesse n’auraitplus ce goût douceâtre et pseudo-universel que lamode actuelle lui a donné. Car seule la singularité dechaque être l’intéresse, et c’est pourquoi le malheurest proprement inconsolable, c’est pourquoi aussi lemal, comme la maladie et la mort, ne peuvent avoir

de réponse satisfaisante dans l’ordredu raisonnable. Énigmes irréductibles,l’absence des défunts, comme la souf-france de l’innocent ou l’irruption de labarbarie nous laissent sans voix, dansune stupeur irrémissible. Or c’est pré-cisément au cœur de ce silence quepeut advenir la possibilité de se met-tre à l’écoute d’un écho, d’un écho decet « absolu du Loin » vers lequel sontpartis les défunts. Question de « foi »,

sans doute. Mais le mot est tellement chargé d’his-toire trouble que Sylvie Germain lui consacrera unautre livre : Rendez-vous nomades paraîtra en jan-vier prochain, et viendra comme en… écho à ce pro-fond Monde sans vous. ■

Jean Mouttapa

SI LA PROMESSE DE L’ANGE nous faisaitplonger sous la crypte de l’abbayedu Mont-Saint-Michel, pour aller ypercer les mystères d’un certain obs-curantisme médiéval, La Parole per-due nous fait pénétrer aux tréfondsd’une autre montagne sacrée : cellede Vézelay, écrin d’une basilique quifut l’une des plus importantes de feula Chrétienté. Mais ce nouveau ro-man nous mène aussi ailleurs, en untemps et des lieux (la Rome de Néron,Pompéi avant sa destruction) où lenom même du Christ n’était connuque de quelques clandestins passantpour des excités subversifs. Quel lienpeut-il y avoir, a priori, entre Livia,cette jeune Romaine devenue orphe-line et esclave à Pompéi pour causede christianisme, et qui fit partie desmilliers de victimes du Vésuve enl’an79, et les étranges découvertes

de notre archéologue à Vézelay ? Lescauchemars de sa propre fille, qui re-vit toutes les nuits les terribles suffo-cations des disparus de Pompéi, nesont pas les seuls indices d’un secretqui cherche à se révéler : il y a aussi,comme dans La Promesse de l’ange,la récurrence de crimes horribles, as-sortis ici de références à des versetsévangéliques.

LE LIEN FONDAMENTAL S’AVÉRERA UN

PERSONNAGE COMPLEXE, issu de la fu-sion de plusieurs femmes citées parles évangélistes, et qui a pour nomMarie-Madeleine. Nom magique s’ilen fut, qui jadis déplaça d’immensesfoules à Vézelay, et dont l’intimité avecJésus a toujours donné lieu à millesupputations, pour le meilleur et pourle pire. Les gnostiques, aux premierssiècles, en avaient fait la détentriced’un enseignement secret du Maître.Et nos auteurs, ici, l’identifiant à « la

femme adultère » que le Christ avaitrefusé de condamner, en font le té-moin unique des seuls mots qu’il aitjamais écrits. En effet, l’évangélisteJean mentionne par deux fois que Jé-sus, avant et après avoir prononcésa fameuse sentence (« Que celui quin’a jamais péché lui jette la premièrepierre  »), écrivait sur le sable. Lafemme qui eut le privilège de lire cesquelques lettres en araméen, quin-

tessence du message christique, fut-elle la même qui débarqua plus tardaux Saintes-Maries-de-la-Mer, etmourut en ermite dans la forêt de laSainte-Baume ? Aurait-elle pu mira-culeusement sauver cette «  paroleperdue  » du Christ ? Au bout dequelques pages, l’alchimie est bienlà, qui nous entraîne dans une intriguehaletante, sur fond d’informations his-toriques très précises mais jamaislourdes, tout en remuant en nousquelques questions existentielles fon-damentales. ■

Méditation sur l’absence 4 ■ Alexandro Jodorowsky

■ Trois questions

à Bernard Besret

5 ■ L’art de vivre du Tao

■ Les karmapas

■ Taisen Deshimaru

6 ■ Fabrice Hadjaj

■ Le Voyage initiatique

■ Faouzi Skali

7 ■ Le Bestiaire du Christ

8 ■ Anne Ducrocq

■ Cent Prières de cisterciens

■ Nathalie Nabert

9 ■ James Wilson

■ Wade Davis

■ Sylvie Brieu

10 ■ Carl Gustav Jung

■ Redécouvrir un classique

■ Philippe Hofman

11 ■ Un livre, un éditeur

par Hélène Monsacré

12 ■ Abdelwahab Meddeb

Sommaire

La Parole perdueViolette Cabesos et Frédéric Lenoir544 pages, 22,50 €■ Des mêmes auteurs :La Promesse de l’ange496 pages, 21,50 €■ De Frédéric Lenoir :La Rencontre du bouddhismeet de l’Occident400 pages, 9,50 €

SUITE DE LA PAGE UNE

Le Monde sans vous144 pages, 12,50 €

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3L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

un numéro HORS-SÉRIE

RELIGIONS MONOTHÉISTES OU RELIGIONS D’ASIE*

VOTRE LIBRAIRE ETLES ÉDITIONS ALBIN MICHEL

vous offrent

Du 2 avril au 30 juin 2011pour l’achat

de 2 livres de pocheà choisir parmi plus de 400 titres

*Au choix dans la limite des stocks disponibles

E n 2006, Michel Benoît publiait unroman événement : Le Secret dutreizième apôtre, dans lequel un bé-

nédictin découvrait que Jésus avait eu untreizième disciple occulté par le dog-matisme de l’Église. Hypothèse littérairesur laquelle se fondait un thriller pas-sionnant sur l’histoire des premièrescommunautés chrétiennes, leur lien avecl’islam à naître et la menace que ces ré-vélations faisaient peser sur le statuquo mondial…

FIDÈLE À SON INTUITION, l’auteur reprendavec ce livre son enquête sur la figure his-torique de Jésus. Comment un modesteentrepreneur de Capharnaüm, petit rabbigaliléen épris de religion, apte à manierla controverse comme tout bon pharisien,est-il devenu ce prophète qui inquiète leSanhédrin ?La nuit de son arrestation au mont desOliviers, il revoit les deux années de sonitinérance en Galilée et en Judée où il n’aeu de cesse de faire entendre une pa-role de paix, d’amour et de bonheur.Non pas hors du judaïsme mais au-delà

de la Loi de Moïse, dans la lignée desanciens prophètes. On le voit seconstruire, se démarquer des doxascontemporaines (pharisiens, esséniens,sadducéens et même baptistes), se dé-couvrir et s’inventer au fur et à mesurede ses rencontres et des controversesqu’il suscite. Il sait pertinemment que lesdouze qui sont venus à lui ne peuventcomprendre le message qu’il porte etque la trahison est inéluctable…S’appuyant sur une exégèse rigoureuse,Michel Benoît donne directement voix àun homme, au départ ordinaire, pourqui la parole naît dans le recueillement etla méditation et s’ouvre à ceux dont lecœur est prêt à entendre. ■

Jésus, un prophètetrahi par les siens

ROMAN

Dans le silence des oliviersMichel Benoît288 pages, 19 €■ Du même auteur :Le Secret du treizième apôtre374 pages, 19,50 €Jésus et ses héritiers :mensonges et vérités152 pages, 13,50 €Prisonnier de Dieu390 pages, 20,90 €

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4 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

Histoirespour guérir

CONTES

Bernard BesretAncien moine cistercien, prieur de l’abbaye de Boquen dont la contestation puis la démissionavaient défrayé la chronique dans les années 1960 et 1970, Bernard Besret, éternel pèlerinde l’absolu, a retrouvé à travers la sagesse chinoise la patrie spirituelle qu’il avait depuistoujours cherchée. Dans À hauteur des nuages. Chroniques de ma montagne taoïste,il mêle des récits sur le quotidien chinois d’aujourd’hui, sur son propre parcours,sur celui d’un ancêtre lointain qui fut évêque en Chine, et des méditations sur le sensdu temps, du corps, du rapport au cosmos… Autant de thèmes qui, au fil d’une plume alerte,nous interpellent sur notre propre vie, et nous enrichissent de connaissances sur cette« étrangeté » qu’est la Chine.

Comment un ancien moinedevient-il « gardien »d’une montagne taoïste ?Pour moi, le moine (monos)se définit par la recherchede l’unité intérieure. Cela faitlongtemps que je n’appartiensplus à une institution monastiquemais cela ne m’empêche pasde me sentir toujours moine,c’est-à-dire toujours habité parla quête de l’unité intérieure. Il n’y adonc rien d’étrange à ce que je mesente bien dans un lieu qui, depuisle VIe siècle de notre ère, a accueillides ermites ou des maîtres taoïstes.Je n’en suis cependant pas devenule gardien. Plus modestement,je suis maintenant cogérantde l’hôtellerie* que les Maîtrestaoïstes ont construite prèsde leur Temple pour accueillirleurs confrères pèlerins. Avec monami Zhu Ping, nous y animonsun centre de culture traditionnellechinoise ouvert tant auxAsiatiques qu’aux Occidentaux.* www.ctcc2011.comet www.qiyunshan.eu

Peut-on, dans notre monde actuel,vivre en harmonie avec le Tao ?Un Chinois se sent taoïste dèsqu’il est dans la nature. Une colline,une cascade, un cours d’eaului suffisent pour se sentir portépar le Tao qui entraîne dans sonprocessus tout ce qui existe.Cela est moins évident lorsqu’on vitau cœur d’une mégapole commeShanghai ! Et pourtant l’attitudetaoïste qui consiste à êtreconstamment attentif aux énergiesqui nous habitent en devient

d’autant plus nécessaire. D’oùl’importance des monastères dansle monde contemporain, quelle quesoit la religion à laquelle ilsappartiennent. Ils sont des espacesde respiration spirituelle, des lieuxoù l’on vient se ressourcer. C’estaussi la fonction d’une montagnecomme Qiyunshan, « la montagne àhauteur des nuages », où lesfalaises trouées de petits templestroglodytes et gravées de devisestaoïstes en caractères chinoisapportent sérénité et intériorité pourmieux affronter ensuite ladispersion inhérente à la civilisationcontemporaine.

Comment les Chinois vivent-ilsaujourd’hui leur héritage taoïste ?La société chinoise dans sonensemble avait accueilli Mao enlibérateur. La politique antireligieusequ’il a ensuite menée n’a pasrecueilli la même unanimité et laRévolution culturelle, avec ses excès

destructeurs, a traumatisé unepartie de la population.Aujourd’hui, tout cela est révoluet les temples, qu’ils soientbouddhistes ou taoïstes,connaissent une nouvelleprospérité. Pour autant, il seraithasardeux d’affirmer quel’ensemble de la population chinoiseest redevenue religieuse.Après des décennies de vachesmaigres ayant entraîné des faminesravageuses, les Chinois semblentsurtout soucieux de retrouverune aisance économique.Les classes moyennes grandissentjour après jour. En faire partiereprésente l’aspiration la pluslargement partagée. Mais, enprofondeur, les trois enseignements(taoïste, bouddhiste etconfucianiste), souvent perçuscomme « un seul enseignement »,continuent à marquer les esprits. ■

Trois questions à ■ ■ ■

On ne présente plus AlexandroJodorowsky, artiste multiformequi sait mêler comme personne,

sous les espèces littéraires les plus di-verses, une joie de vivre exubérante etla « guérison spirituelle ». Fidèle au ca-ractère thérapeutique qui parcourt sonœuvre, il nous fait à nouveau entrerdans le monde des fables spirituelleset des contes salvateurs pour menernotre véritable moi, maltraité par la vie,vers la liberté et la paix. Les Contes del’intramonde regroupent trois récitsmagiques : « L’enfant qui ne savait pasmourir », « Loïe du ciel » et « L’incroyablemouche humaine », autant de para-boles qui nous apprennent à retrouvernotre unité profonde. Ils sont suivis depetits contes qui nous offrent, à traversla métaphore, des pistes pour aller versnous-mêmes.

CE RECUEIL JUBILATOIRE, dans la lignede La Sagesse des contes et de Ca-baret mystique, permettra aux aficio-nados du Chilien fantasque et aux au-tres de rejoindre son univers unique letemps d’un été, en attendant la pu-blication de son ouvrage monumentalsur la psychogénéalogie, prévu pourcet automne. ■

Contes de l’intramondeAlexandro Jodorowsky168 pages, 14 €■ Du même auteur :La Sagesse des contes256 pages, 8 €Les Araignées sans mémoire288 pages, 8 €

À hauteur des nuagesChroniques de mamontagne taoïsteBernard Besret252 pages, 16 €

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En 1967, un inconnu débarque àParis, avec sa robe de moine zenpour unique possession, ou

presque. À cinquante-trois ans, TaisenDeshimaru a quitté le Japon pour, loindes scléroses ecclésiales de sonpays natal, faire renaître sur une terrevierge l’authentique Zen de maîtreDôgen. En quinze ans à peine, il vasusciter à l’échelle de toute l’Europeun véritable mouvement bouddhique.Portés par le souffle de l’époque quece maître hors normes parvient à

transmuer en énergie spirituelle, desgens de tous milieux viennent fré-quenter le dojo de la rue Pernety,les camps d’été, puis le temple deLa Gendronnière, près de Blois.

HIPPIES, DROGUÉS ET MARGINAUX cô-toient vedettes du théâtre et hommesd’affaires pendant le zazen, la médita-tion assise, tandis que « Sensei », « lemaître », délivre son enseignement : « LeZen, c’est zazen », « méditer sans butni profit »… Sa personnalité fantasque

et sa vision pénétrante de la spiritualitéet de l’humain lui font croiser des per-sonnalités de tous horizons, de Mau-rice Béjart à Claude Lévi-Strauss enpassant par André Malraux ou Dalida.La biographie que lui consacre Domi-nique Blain nous fait revivre, à traversles témoignages des disciples et les do-cuments d’archives, cette époque detous les possibles. Elle dessine unportrait touchant de celui qui fit fleurir,en Occident, la «  véritable fleur duDharma ». ■

P rincipal hiérarque de l’école Ka-gyu, le karmapa a, durant dessiècles, incarné le centre né-

vralgique de l’histoire religieuse et po-litique du Tibet. Émanation, à l’instar dudalaï-lama, du bodhisattva de la com-passion Avalokitesvara, il est recon-naissable à sa coiffe noire qu’on dit tis-sée des cheveux de cent mille dakinis(déités féminines). L’Odyssée des kar-mapas retrace pour nous l’histoire decette lignée ; ce faisant, c’est tout unechronique du Tibet ancien et mo-derne que les auteurs déroulent sousnos yeux, où le miraculeux le disputeau politique. Fondé sur un nombre im-pressionnant de sources premières, cetouvrage de référence permet de mieuxsaisir l’idée que les Tibétains se font deleur propre histoire et du rôle central decertaines figures. ■

5L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

La tradition taoïste, qui célèbre lavie pleinement vécue et la jouis-sance de l’instant présent, a

donné à la Chine ses meilleurspoètes. Ce sont eux qui ont su ren-dre dans leurs poèmes l’atmosphèresi particulière du Tao et du Zen (chan),faite de contemplation et d’ivressecertes, mais avant tout de libertéphilosophique et existentielle.

Hervé Collet et Cheng Wing fun ontréuni un nombre appréciable de cespoèmes qui esquissent les contoursd’un ordinaire merveilleux dans uneanthologie organisée en sept théma-tiques : la cabane, la cuisine, le vin etl’ivresse, le thé, les livres, la musiqueet la visite à un maître. Dans la li-gnée de L’Art de la sieste et de laquiétude, succès de l’été dernier,L’Art de vivre du Tao devrait ravir denombreux amoureux de la vie. ■

Pose-toi la question, être ministre à la cour,

ou être un immortel dans la forêt, peut-on comparer ?

Un pichet de bon vin, un fourneau pour l’élixir,

le bonheur de s’endormir en pleine journée

en écoutant le vent dans les pins.

Le Tao,une poésie de l’instant

ART DE VIVRE Histoirede la plus anciennelignée tibétaine

BOUDDHISME

Deshimaru, la naissance du Zen occidentalBIOGRAPHIE

Encore quasi ignoré par l’Occident il y a moins d’un demi-siècle, le Zen a connu son véritable

essor européen au début des années 1970. Dans Sensei, Dominique Blain nous retrace

le parcours haut en couleur de celui qui fut à l’origine de cette aventure : Taisen Deshimaru.

L’Odyssée des karmapasLa grande histoire des lamasà la coiffe noireLama Kunsang et Marie Aubèle406 pages + hors-texte couleurs, 17 €

L’Art de vivre du TaoHervé Collet et Cheng Wing fun336 pages, 9 €■ Des mêmes auteurs :Li Po, l’immortel banni sur terre,buvant seul sous la lune224 pages, 15 €L’Art de la sieste et de la quiétude256 pages, 7,50 €365 HaïkusInstants d’éternité408 pages, 18 €Bashô, maître de haïku212 pages, 7,50 €

Sensei. Taisen Deshimaru,maître zenDominique Blain378 pages, 17,50 €

Des tulkous, ces réincarnations de lamas tibétains, on connaît

surtout les dalaï-lamas. Pourtant, ceux-ci ne sont pas la plus

ancienne lignée d’incarnations et pendant longtemps,

ils n’ont pas été la plus importante : ces privilèges reviennent

à la lignée des karmapas, initiée au début du XIIe siècle.

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6 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

L e XXIe siècle pensait avoir défini-tivement tordu le cou aux dé-mons. Les athées parce qu’ils

avaient proclamé la mort de Dieu – etpar là même de ses mythiques ad-versaires. Les croyants parce qu’ilsimaginaient que la sagesse vertueuseet la technique auraient permis devaincre ce qui subsistait de démo-niaque en ce monde.

MAIS DANS L’ESSAI QUI A REÇU LE PRIX

DES LIBRAIRES RELIGIEUX, l’écrivaincatholique Fabrice Hadjadj nousalerte au contraire sur la persistancede lieux démoniaques là même oùl’on ne les soupçonnait plus. Car,écrit-il, l’athéisme qui nie l’existencede Dieu n’est pas le pire refus deDieu possible. Il soutient même quecertains croyants cessent de Le ser-vir tout en Lui étant fidèle, car ils seperdent précisément dans la mesureoù ils L’ont trouvé.

TEL EST LE LIEU DU DÉMONIAQUE. Il neconcerne pas seulement le dangerdes démons, mais désigne une po-sition tragique, celle d’une perdition

qui s’ouvre au cœur même de lachrétienté. Pour Fabrice Hadjadj, ledémoniaque n’est pas tant de vouloirle mal que de vouloir faire le bien parses seules forces, sans obéir à unAutre, dans un don qui prétend nerien recevoir, dans une espèce degénérosité qui coïncide avec le plussubtil orgueil. Un appel à une vigilantehumilité. ■

Les démonsne sont pas là où l’on croit

CHRISTIANISME

C ertains voyages sont initia-tiques. Ils se reconnaissent à lamétamorphose qu’ils produi-

sent, aux élans qu’ils suscitent. Ils sontrévélateurs. Dans cet ouvrage poly-phonique, issu des Rencontres qui sesont tenues à Fès en 2010 dans le ca-dre du Festival des musiques sacréesdu monde, et qui ont été orchestréespar Nadia Benjelloun, le voyage n’enfinit pas de nous révéler ses mystères.De l’Odyssée d’Ulysse au voyage duProphète de l’islam, de Hamlet à Hal-lâj en allant jusqu’à Isabelle Eberhardt,ce sont autant de périples mythiquesou personnels, d’itinéraires profanesou sacrés qui s’offrent dans ces pagessous un jour nouveau. Car chacun deces voyages est comme une secondenaissance. La psychanalyste Marie Bal-mary rappelle le « naître d’en haut » del’évangile de Jean, pour signaler quenous pouvons accéder à une dimen-sion insoupçonnée de nous-mêmes.Mais pour cela l’initiation est néces-saire. C’est ce que rappelle notam-ment le philosophe italien GiorgioAgamben en déchiffrant le sens des« mystères », ces cérémonies rituelles

médiévales. Des marches silencieusesdu Bouddha aux cortèges dansantsde l’Inde, des aventures intérieuresaux communions sacrées, le voyagedévoile dans ces pages ses charmeset son horizon : la révélation. ■

Les secrets du voyage

RENCONTRES

La Foi des démonsou l’athéisme dépasséFabrice Hadjaj320 pages, 9 €

Le Voyage initiatique(Giorgio Agamben, Marie Balmary,Karima Berger, Barbara Cassin,Dany-Robert Dufour, Jean-MichelHirt, Robert Lanquar, AbdelwahabMeddeb, Daniel Mesguich, Jean-LucNancy, Max-Jean Zins, sous la direc-tion de Nadia Benjelloun)224 pages, 14 €

Moïse est le prophète le pluscité dans le Coran. Reliantcomme Abraham les trois tra-

ditions monothéistes, il incarne dans l’is-lam la double figure d’un prophète lé-gislateur et d’un maître d’initiation à laVoie, comme l’enseigne le soufisme.Celle-ci considère en effet la chaîne desprophètes depuis Adam comme unaxe essentiel de l’histoire de l’humanité,au sein de laquelle la figure de Moïse ex-prime un degré spécifique de réalisationspirituelle.

À PARTIR DES TEXTES CORANIQUES et destraditions recueillies par le traditionnisteTabari, Faouzi Skali reconstitue les prin-cipales étapes de la vie de Moïse. Lelecteur familier de la Bible ou, mieux en-

core, des récits rabbiniques sera surprisde voir à quel point la tradition musul-mane a su faire sien l’abondant maté-riau narratif des religions qui l’ont pré-cédée, parfois avec une fidélitéinsoupçonnée, parfois en opérant des« relectures » étonnantes qui décons-truisent le récit classique. Moïse dans latradition soufie s’avère ainsi un ouvragequasi exhaustif sur tout ce que l’islam,dans ses différentes formes, dit du pro-phète du Sinaï. Le versant soufi n’estbien sûr pas oublié, loin de là. Au tra-vers notamment des textes d’Ibn‘Arabi, de Rûmi ou encore de l’émirAbd el-Kader, l’auteur nous dévoilecomment Moïse peut être pour cha-cun de nous, aujourd’hui encore, unesource de sagesse. ■

Un Moïse mystique et musulmanSOUFISME

Moïse dans la tradition soufieFaouzi Skali266 pages, 8,50 €■ Du même auteur :Jésus dans la tradition soufieavec Eva de Vitray-Meyerovitch168 pages, 15 €

Christiane Singer■ À noter,

la rééditionde son livreRastenberg176 pages6,50 €

■ Par ailleurs,le spectacleEntre ciel et chair adapté de sonroman, Une passion, qui, depuissa création en 2004, a connu untrès bel accueil du public commede la presse, est à nouveauvisible du 10 mai au 17 juin à 20 h(du mardi au samedi et ledimanche à 17 h). Relâche les 27,28 et 29 mai et 4 juin.Théâtre du Lucernaire53, rue Notre-Dame-des-ChampsParis 6e

Métro Notre-Dame-des-Champsou VavinRéservation : 01 45 44 57 34

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7L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

Tout commence en 1934lorsque Louis Charbonneau-Lassay, fils de paysans poite-

vins, vivant à Loudun, remet aux Édi-tions Desclée de Brouwer le manuscritd’un imposant ouvrage accompagnéde 1127 gravures réalisées par l’auteurlui-même, qu’il présente comme lepremier volume d’un immense travailconsacré à décrypter «  les significa-tions exactes des figures embléma-tiques qui, au cours des siècles chré-tiens, et dans des milieux très divers,ont été adoptées pour représenter mys-térieusement la personne de Jésus-Christ sous ses divers aspects. »

POUR RECONSTI-TUER L’EXACTE TENEUR

DES BESTIAIRES MÉDIÉVAUX, legraveur de Loudun était allépuiser à différentes sourcesdurant un labeur acharné deprès de quarante ans : do-cuments relatifs aux religionspréchrétiennes, livres sacrésdes deux Testaments, livresdes anciens naturalistes,doctrines des anciensgnostiques, traités d’her-métisme, mémoires despremiers explorateurs,études sur le folklore, etc.

Mieux : il avait euaccès, disait-il, à certains

documents inédits qu’une so-ciété hermétique d’originemédiévale lui avait commu-niqués : « C’est pour favori-ser mes recherches en vuedu Bestiaire du Christ quel’avant-dernier major del’Estoile internelle a obtenude ses onze confrèresl’autorisation pour moi derévéler l’existence de cegroupe et de publier denombreux documents fi-

gurés sur un cahier manuscritde la fin du XVe siècle ou dudébut du XVIe qui est en leurpossession » (Lettre à René

Nelli). […]Sur la base de cette «  trans-mission  » inespérée, il s’étaitattelé à cette entreprise cyclo-

péenne décomposée enquatre volumes : outre ceBestiaire, remis à l’éditeur ca-tholique, étaient prévus un Vul-néraire du Christ, un Floraireet un Lapidaire. Nul douteque l’aventure était d’un pointde vue intellectuel et spirituelde première importance et pro-mise, malgré tous les déboiresqui viendraient l’empêcher, à uneirrépressible notoriété.

Il aura fallu près de soixante-dix ans pour que ce chef-d’œuvre de la symbolique chrétienne

renaisse – littéralement – de ses cendres. Ouvrage au statut quasi mythique, Le Bestiaire

du Christ de Louis Charbonneau-Lassay va bien au-delà de l’inventaire des figures animales

du Christ dans l’imaginaire médiéval : adoptant le point de vue surplombant d’une Tradition

primordiale, il met au jour un ordre du monde qui traverse toutes les spiritualités.

Avant sa réédition par les Éditions Albin Michel en 2006, puis sa reprise en volume souple

ce printemps, cette somme a également connu un destin digne d’un roman à clés,

comme le racontait Jean-Philippe de Tonnac dans Le Nouvel Observateur le 6 avril 2006 (extraits).

L’extraordinaire destind’un mystérieux bestiaireSYMBOLIQUE

Le Bestiaire du ChristLouis Charbonneau-Lassay1004 pages, 26 €

MAIS L’HISTOIRE ALLAIT EN DÉCIDER AU-TREMENT. En octobre 1943, les Alle-mands pilonnent Bruges, où se trou-vent les entrepôts de l’imprimeur deDesclée de Brouwer. Le solde du tiragepart en fumée, et avec lui les clichés ty-pographiques en plomb et les matricesdes gravures sur bois. […] Mais le ca-mouflet ne s’arrête pas là. Quelquetemps après sa mort, des « visiteurs »viennent hanter les lieux où le graveur

a vécu et repartent, à l’insu desnouveaux propriétaires, avec desdocuments, des manuscrits, desobjets précieux. C’est ainsi quedisparaissent entre les mainsd’un prétendu représentant de

la revue Plaisir de France lemanuscrit du Vulnéraire ainsique l’ensemble des docu-

ments préparatoires à larédaction des deux der-

niers opus ! […]

1) L’œuf, symbole de la résurrection. Œufs symboliquesaux pieds de Jésus, dans la cathédrale de Burgos.Le corps du Rédempteur, en bois, est recouvert de peauhumaine, XVe ou XVIe siècle.

2) Le loup, animal de lumière.Gravure sur bois extraitede l’Hortus sanitatisde Jean de Cuba, 1491.

3) L’aigle, emblème de Satan,l’anti-Christ. Terre cuite poitevinedu musée des Antiquairesde l’ouest, Poitiers,époque mérovingienne.

4) Le serpent, imagedu Sauveur sur la Croix. Gravureextraite du cahier de L’Estoileinternelle, fin du XVe siècle.

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8 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

A nne Ducrocq nous offre, aveccette anthologie, plus de cinqcents citations à lire au fil des

heures, au gré de l’humeur. «  Faireconfiance  », «  savoir pardonner  »,« s’élancer vers la vie », les chapitressont autant d’étapes sur ce chemin desagesse, où tous ces textes sont devéritables compagnons de route.De Marc Aurèle à Gandhi, d’Etty Hil-lesum à Christiane Singer, de grandsmaîtres spirituels, poètes, philo-sophes ou romanciers se mêlent pournous rappeler l’importance de renou-veler notre regard, de percevoir l’éclatdu merveilleux derrière la banalité duquotidien. Telle cette invitation dumystique musulman Rûmî : « Que tespensées soient émerveillées de sorteque cet émerveillement soit toute tonoccupation ! »Mais Anne Ducrocq sait égalementque les plus grandes phrases setransmettent de main en main, jusqu’àformer «  une cordée humaine  » oùchacun est relié aux autres par lesmots. C’est pourquoi elle a demandé

à des auteurs contemporains tels queChristophe André, Jacques Saloméou Bertrand Vergely de choisir untexte qui leur tient à cœur, puis de lecommenter à la lumière de leur expé-rience de vie. Revivifiés, ces mots sontencore plus beaux. ■

Des mots qui font du bien

VADE-MECUM

A insi que l’écrit saint Bernarddans son Sermon pour l’As-cension, « Dieu n’attend rien

d’autre, ne demande rien d’autre, si-non qu’on s’adresse à lui avec at-tention et désir. Quand donc refusera-t-il d’écouter ceux qui demandent,alors que justement il fait des re-proches à ceux qui ne demandent paset les exhorte à demander ? “Si vous,dit-il, tout mauvais que vous êtes, voussavez donner de bonnes choses à vosenfants, combien plus votre Père duciel donnera-t-il le bon Esprit à ceuxqui le lui demandent”. »Les cisterciens placent la prière aucentre de leur expérience religieuse.L’Association pour le rayonnementde la culture cistercienne (ARCCIS),qui regroupe laïcs, moines et mo-niales de toutes les composantes dela famille cistercienne, a rassemblépour nous leurs cent plus bellesprières. Elles ont traversé les siècles

et sont le témoignage vivant de cetterecherche toujours d’actualité quis’adresse à nous, qui que noussoyons. ■

La prière, sommetde la vie spirituelle

BRÉVIAIRE

Petite anthologiepour réenchanter le quotidienAnne Ducrocq256 pages, 13 €■ Du même auteur :Guide spirituel des lieuxde retraite de tous les traditions496 pages, 22 €

Cent Prières de cistercienspréface de l’abbé de Cîteaux176 pages, 6,50 €

On aurait tort de penser que lavie monastique n’est que re-noncement, rature du corps,

de la jouissance sensible et de l’esprit.Bien au contraire, tout cela se nouedans la nuit transfigurée de Dieu, sansprésomption aucune, là où ce quitouche le cœur profond détache desappétits opaques et scelle de nou-veaux désirs. On y mange avec parci-monie la nourriture des hommes pourmieux goûter celle de Dieu. On y res-pire l’humilité des fleurs de clôture pourdemeurer dans la fraîcheur de l’onction

baptismale. On y écoute le Verbe, àl’ombre de l’ambon, pour en faire sonmiel et sa sagesse. On y décèle ce quidemeure caché avec les yeux de la co-lombe et jour après jour, on y moucheles luminaires de la nuit et du petit ma-tin avec des doigts d’apprentis. […]Le monde monastique séduit, mais netrompe pas. Il enchante nos désirspour les spiritualiser. C’est le long exilde l’homme extérieur vers l’hommeintérieur. Les sens y ont leur place,comme la beauté de l’homme, maisd’une manière plus exacerbée qu’ail-

leurs. Le moindre souffle brise la sur-face tranquille des eaux et désaffectele regard.Ce livre veut préciser cette rencontresagace des sens avec le divin qui adonné naissance à des textes excep-tionnels de beauté, de saveur et desagesse, notamment au cours duMoyen Âge, dans les milieux cister-ciens et cartusiens qui constituent latoile de fond de notre réflexion et don-nent sa tonalité vaporeuse àcette poétique des sources dumonachisme occidental.

Sensualité de la vie contemplativeSPIRITUALITÉ

Nathalie Nabert est aujourd’hui reconnue comme la grande spécialiste des spiritualités

cartusienne et cistercienne. Dans Le Jardin des sens, elle renouvelle en profondeur notre regard

sur la vie monastique en mettant en lumière la place fondamentale qu’y tiennent les cinq sens.

Elle s’en explique dans son avant-propos.

Le Jardin des sensNathalie Nabert210 pages, 15 €■ Du même auteur :Cent Prières de chartreux224 pages, 6,50 €Le Chant des profondeurs (dir.)180 pages, 7,50 €

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9L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

L ongtemps absente de la scène inter-nationale, l’Amérique latine s’affirmedésormais comme un interlocuteur in-

contournable. À l’heure où de nombreux payscélèbrent le bicentenaire de leur indépen-dance, les populations indiennes jouent un rôledécisif : élection d’Evo Morales en Bolivie oude Rafael Correa en Équateur, mobilisationpour la défense de l’environnement, sommetde Cancún sur le changement climatique endécembre 2010…Pendant une année, du Pérou au Brésil enpassant par l’île de Pâques, le Chili et l’Ar-gentine, Sylvie Brieu, grand reporter au Na-tional Geographic, a voyagé à la rencontredes Quechuas, Rapanuis, Mapuches, Xa-vantes, Suruís et Guaranis. Son récit pas-sionnant nous fait partager le quotidien deces minorités souvent méprisées, spoliéesou, pire, menacées d’extermination, qui ontsu allier sagesse ancestrale et savoir tech-nologique.En quoi leur résilience et leurs initiatives peu-vent-elles inspirer nos propres combats ?Au fil de rencontres avec des guerriers, cha-mans, paysans, mais aussi des cinéastes, ar-tistes et scientifiques, cette odyssée en terreindienne révèle une humanité plurielle qui sebat pour la sauvegarde des cultures et la bio-diversité de notre planète. ■

Pour ne pas disparaîtrePourquoi nous avonsbesoin de sagesseancestraleWade Davis240 pages, 22 €

Quand s’élèvent nos voixDes Andes à l’Amazonie,une odyssée en terre indienneSylvie Brieu320 pages, 20 €

C e livre révolutionnaire re-trace la longue histoire desIndiens d’Amérique du

Nord. Couvrant plus de cinq siè-cles – des premiers contactsavec les Européens aux actionsdes militants d’aujourd’hui –, il faitappel à l’ethnographie, à l’ar-chéologie, à la tradition orale ets’appuie sur les recherches me-nées par l’auteur des années du-rant afin de restituer l’épopéed’un véritable affrontement entredeux cultures.

RÉTABLISSANT UNE VÉRITÉ HISTO-RIQUE trop longtemps ignorée,cet ouvrage passionnant dévoilepour la première fois le regarddes Indiens sur le passé et leprésent de l’Amérique. ■

«  Cette histoire des Indiensd’Amérique ne ressemble à au-cune autre. Son auteur a menéson enquête pendant une ving-taine d’années, rencontrant descentaines d’Indiens et recueillantune documentation gigantesque.Il n’en fallait pas moins pour re-tracer cinq siècles d’histoire quiont colporté tant de légendes etvu tant de destructions. »

Télérama

« Une fresque passionnante, soute-nue par la tradition orale, ponctuéede récits, de mythes et de citations.Par son exploration en profondeurde l’univers amérindien, JamesWilson nous offre sur le sujet unvéritable ouvrage de référence. »

L’Express

«A vant de mourir, l’an-thropologue MargaretMead a exprimé la

crainte qu’en glissant vers unmonde plus homogène, nous nesoyons en train de jeter les basesd’une culture moderne génériqueet informe, qui n’aurait pas deconcurrente. Elle redoutait quetoute l’imagination humaine ne soit

contenue à l’intérieur des limitesd’une unique modalité intellectuelleet spirituelle. Son pire cauchemar,c’était que nous nous réveillionsun jour sans même nous souve-nir de ce que nous avons perdu. »Ainsi s’exprime l’anthropologuecanadien Wade Davis qui, aprèsavoir sillonné la planète pendantplus de quarante ans, confirmedans ce livre la réalité des me-naces qui pèsent aujourd’hui nonseulement sur la biodiversité maisaussi sur la diversité humaine etculturelle.Dans un avenir proche, de nom-breuses cultures, parmi les plusfragiles, sont vouées à disparaî-tre. Et avec elles, des connais-sances, des modes de pensée,des arts et des spiritualités : touteune mémoire ancienne qui repré-senterait une perte considérablepour la planète.

DE LA POLYNÉSIE AUX ANDES, duMali au Groënland, du Tibet àl’Australie, Wade Davis nous en-traîne dans un voyage qui est toutautant un plaidoyer en faveur descultures anciennes qu’une invita-tion à repenser notre mondeavant qu’il ne soit trop tard. ■

Il était une fois en AmériqueHISTOIRE

La terre pleureraUne histoirede l’Amérique indienneJames WilsonTraductionde Alain Deschamps528 pages, 25 €

Élogede la diversité culturelleANTHROPOLOGIE

Parmi lesAmérindiensdu Sud

ENQUÊTE

© R

yan

Hill

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10 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

Ce nouvel opus de l’édition desŒuvres complètes de CarlGustav Jung, entreprise par

Albin Michel, réunit les conférencesqu’il donna en 1935 à la fameuseTavistock Clinic, l’Institut de psycho-logie médicale de Londres. Voie d’ac-cès privilégiée à la théorie et à la pra-tique du grand psychanalyste, cesconférences présentent à la fois sonapproche de l’inconscient et ses mé-thodes de psychothérapie.

JUNG REVIENT ICI SUR LA PLUPART DE

SES NOTIONS CLÉS, comme l’incons-cient collectif, formé des archétypesqui appartiennent à toute l’humanité etreflètent l’histoire du cerveau humain,ou encore sa classification des diffé-rentes personnalités – type «  senti-ment », type « pensée », etc. Mais il dé-taille également ses méthodesd’approche de l’inconscient, dont lestests d’association de mots et l’ana-lyse des rêves, illustrant chaque pointpar des cas cliniques : tests passéspar différents membres d’une même

famille, rêves de patients, etc. Il terminesur le sujet épineux du transfert – despatients comme des psychothéra-peutes – en faisant appel à sa propreexpérience. Chacune de ces confé-rences est suivie d’une riche discus-sion avec les participants, dont cer-tains sont devenus célèbres, commeBion ou Balint. ■

L es jeunes adultes sont partagésentre désir de liberté et besoinde dépendance parentale.

Leurs volte-face d’orientation pa-raissent autant nécessaires qu’in-compréhensibles. Le moindre inci-dent d’autorité provoque fuite eteffondrement dépressif. Ils ne croientplus à l’éternité des engagements.Sous prétexte de carrière et deliberté, mais en quête du partenaireidéal, ils repoussent toujours plus loinla possibilité d’être parents à leur tour.Et forment des couples qui ne peu-vent pas tenir car ils n’essaientmême pas de s’appuyer sur leur

partenaire, tant ils peuvent comptersur leurs parents.Ceux-ci, après s’être coupés de tout,se sont collés à ce qu’ils avaient deplus précieux : leurs enfants qu’ilsont surprotégés et sacralisés, seullien fiable et constant dans le mondeéclaté qu’ils ont créé.

PHILIPPE HOFMAN, PSYCHOLOGUE

CLINICIEN, décrit les paradoxes ac-tuels de cette séparation impossible.Dans ce livre percutant, ponctuéd’exemples, il incite ces coupés-collés et leurs jeunes à réinventer lespistes de l’autonomie. Un parcoursessentiel qui permet de comprendreces liens affectifs aussi aliénants queconstitutifs afin de s’en affranchir. ■

Redécouvrir un classique d’Albin Michel

Vie et mœurs des abeilles de Karl von Frisch

Ce classique de la littérature scientifique, publié pour la première fois en 1927 et sans cesseréédité depuis, rassemble le fruit des années de recherche et d’observations rigoureusesdu grand éthologue Karl von Frisch, qui lui ont valu le prix Nobel en 1973.Rédigé avec clarté et enthousiasme, ce livre permettra au lecteur non initié de découvrirle fonctionnement de la ruche, une organisation fascinante où se côtoient aussi biendes nourrices, qui s’occupent des larves d’une façon toute maternelle, que des gardiennesféroces chargées de protéger l’habitat et de chasser impitoyablement les faux bourdonsune fois que leur devoir de féconder la reine est accompli.Mais ce sont aussi les découvertes majeures de Karl von Frisch qui sont présentées ici,particulièrement sur le langage des abeilles ; des découvertes froidement accueillies à l’époquepar la communauté scientifique, qui avait accusé le savant d’anthropomorphisme. Et pourtantles abeilles disposent d’un système de communication très élaboré, reposant notammentsur différents types de « danses » qui indiquent à leurs congénères l’emplacement et la distance

des sources de nourriture. Frisch s’est également attaché à montrer que les abeilles étaient particulièrementsensibles aux excitations extérieures : la température, les heures de la journée, les sons, les couleurs aussi,contrairement à ce qu’affirmaient certains scientifiques avant lui. Mais pourquoi les fleurs déploieraient-elles toutesces merveilleuses couleurs, si ce n’était pour attirer les insectes indispensables à leur survie ? C’est d’ailleurs cettequestion qui avait incité Frisch à étudier la vie des abeilles, sans se douter qu’il allait fonder là l’œuvre d’une vie.Au moment où chacun s’interroge sur l’avenir de cette espèce familière, à la fois sauvage et domestiquée, faceaux nombreuses menaces qui pèsent sur elle, une réédition de ce livre pionnier était indispensable.

Plongée dansl’inconscient jungienPSYCHANALYSE

Parents et jeunesadultes en dépendancemutuelle

PSYCHOLOGIE FAMILIALE

256 pagesenviron 20 €

Sur les fondementsde la psychologie analytique.Les conférences TavistockCarl Gustav Jung256 pages, 24 €

L’impossible séparation entreles jeunes adultes et leurs parentsPhilippe Hofman304 pages, 18 €■ Du même auteur :Une nouvelle vie pour les seniors,psychologie de la retraite320 pages, 19,50 €

Les parents et leurs enfants de plus de 20 ans ne se lâchent

plus. Ceux qui, dans les années 70-80, ont envoyé promener

leurs propres parents, poussent leurs enfants à s’envoler mais

les encouragent à leur demander de l’aide en permanence.

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11L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

T itulaire d’un doctorat en sciences politiques de l’université de Berkeley,professeur au Goldsmiths College de Londres, Françoise Vergès est pré-sidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Elle a pu-

blié de nombreux ouvrages ; ses derniers livre ont tous paru chez Albin Michel :Abolir l’esclavage : une utopie coloniale (2001) ; La République coloniale (avecNicolas Bancel et Pascal Blanchard), 2003 ; Nègre je suis, nègre je resterai.Entretiens avec Aimé Césaire, 2005 ; La Mémoire enchaînée, 2006.

DANS LA MÉMOIRE ENCHAÎNÉE, ouvrage couronné par le prix Seligmann contrele racisme (2007), Françoise Vergès revenait sur le passé de la France colo-niale : elle montrait avec force comment des milliers de Malgaches, d’Indienset d’Africains furent capturés, réduits en esclavage et exploités de la pire fa-çon. Dès les premières pages, elle situait sa démarche : « L’enjeu aujourd’hui,c’est de faire entendre ce qui n’a pas été entendu : l’esclavage a produit uneidéologie raciste, et cette idéologie continue à agir dans le présent. »Prolongeant sa réflexion dans L’Homme prédateur, Françoise Vergès s’inter-roge sur l’actualité des survivances de l’esclavage colonial. Elle choisit de nepas revenir sur les débats entre mémoire et histoire, repentance et recon-

naissance, qui ont été le sujet de nombred’ouvrages, mais d’expliquer pourquoi nousne pouvons pas comprendre certains aspectsdu monde actuel sans mesurer à quel point latraite négrière et l’esclavage l’ont façonné. Il nes’agit pas de défendre un déterminisme his-torique, mais d’explorer les ombres portées etles traces du système esclavagiste moderne.

CE QU’ELLE APPELLE ICI « ESCLAVE » est une fi-gure qui a une longue histoire et de nombreuxvisages, mais la caractéristique de cette figureplurielle est la perte de toute maîtrise sur le fruitde son travail et la vulnérabilité devant un

maître. Les esclaves d’aujourd’hui sont ces êtres qui, au cours de guerres oud’enlèvements, sont réduits à rien, n’ont plus d’identité, et parfois même nepossèdent plus leur propre corps, devenu une marchandise consommable. Laprédation qui caractérise certaines politiques et certaines économies n’est pasla survivance d’une arriération, mais bien une forme de rapport aux autres ré-gulièrement réinventée, tout à fait compatible avec l’existence de discours hu-manitaires et une économie du profit.La leçon que nous retirons de la lecture de cet essai percutant est grave : lavolonté d’asservir coexiste avec l’avancée des droits humains et avec les pro-grès technologiques et, à l’heure actuelle, des milliers d’êtres humains ont desvies « anonymes » et fragiles, des vies « perdues » et précaires.Le discours des antiesclavagistes du XIXe siècle n’a rien perdu de sa pertinence ;à nous de nous en souvenir. ■

L’homme prédateurUn livre, un éditeur

L’Homme prédateurCe que nous enseigne l’esclavage sur notre tempsFrançoise Vergès226 pages, 18 €

par Hélène Monsacré

La naissancedes pollutionsindustrielles

HISTOIRE

Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles,

l’industrialisation a redéfini la relation de l’homme

à son environnement : ce dernier est modifié

sans garde-fous au nom du progrès technique

et de la croissance économique.

Et ce grand basculement, dont Paris

est une des scènes majeures, passe notamment

par l’introduction en ville de l’industrie

et de ses nuisances.

S i vers le milieu du XVIIIe siècle on se méfiait des dangerset des effets nuisibles sur la santé des activités produc-trices, pourtant reléguées en périphérie urbaine, en

1830, force est de constater que Paris est devenue industrielle,concentrant dans son tissu urbain une gamme de productionsvariée, malgré des pollutions et des nuisances que l’on com-prenait de mieux en mieux. Alors comment et pourquoi cetteévolution a-t-elle pu avoir lieu ?

C’EST CE QUE NOUS EXPLIQUE THOMAS LE ROUX DANS CET OU-VRAGE fondateur où, prenant en compte l’ensemble des acteurssociaux et politiques, l’État, la Ville, les industriels, les juristes,les scientifiques et l’opinion publique, il décrit le processus quia permis aux fabriques et aux manufactures de s’implanter enville, avec la bénédiction des hygiénistes, convaincus de l’in-nocuité de l’industrie.Dans cette approche novatrice dela modernité, où les nuisances dé-coulent du progrès, Paris est le la-boratoire d’une légitimation despollutions, annonçant la nouvellealliance de l’État, de la science etde l’industrie dans un projet poli-tique inédit. ■

ErratumLa photographie d’Elena Lasida en page 16 du n° 29 du journalL’Homme en Question est, contrairement à ce qui a été écrit,l’œuvre de Frédéric Poletti. Toutes nos excuses au photographe.

Le Laboratoire des pollutionsindustrielles. Paris, 1770-1830Thomas Le Roux560 pages, 28 €

Page 12: Frédéric Lenoir, · 12 Abdelwahab Meddeb Sommaire La Parole perdue Violette Cabesos et Frédéric Lenoir 544 pages, 22,50 € Des mêmes auteurs : La Promesse de l’ange 496 pages,

12 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2011

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ALBIN MICHEL, 22 rue Huyghens, 75014 Paris – Tél. : 01 42 79 10 92 – Fax : 01 43 27 21 58 – www.albin-michel.frRédaction : Jean Mouttapa, éditeur ; Julien Darmon ; Anne-Sophie Jouanneau – Coordination : Gil Rousseaux – Maquette : Caractère B.

Enfant de Tunis, Abdelwahab Meddeb avaitquitté son pays en 1967, la pesanteur du partiunique de Ben Ali était trop forte, l’étouffement

insupportable. Dans son exil parisien, son pays na-tal s’était tu en lui. Mais quand, aux premiers joursde janvier, il prend la mesure de ce que l’on appelleencore la révolte tunisienne, quand il comprend quela chute de la dictature est désormais inéluctable,il sent son pays revivre en lui : « La décision de croireà l’événement et de l’accompagner se fait naturelle,évidente. La Tunisie renaît en moi, après une périoded’hibernation. »C’est d’abord la jeunesse qui le surprend et le bou-leverse. Sa fille Hind, la première, journaliste et do-cumentariste, lui fait prendre conscience de la vi-talité des slogans qui circulent sur la Toile, elle luidévoile leur universalisme. Internet devient la caissede résonance d’un appel à la liberté, d’uneconquête menée dans la ferveur et la détermination.

TOUT A COMMENCÉ 17 DÉCEMBRE 2010. Un jeunehomme s’est immolé par le feu dans une région re-culée de Tunisie, il s’appelle Mohamed Bouazizi.Son geste radical est une protestation contre la cor-ruption qui sévit dans le pays, le chômage, la pau-vreté, l’absence de liberté. Sa mort, quelques se-maines plus tard, sera un symbole dont on nesoupçonnera pas encore l’incroyable portée. Il mè-nera à la chute du régime en place, une dictaturedont Abdelwahab Meddeb retrace ici la genèsepolitique, en un portrait sans concession.L’immolation se fait rédemption. De retour à Tunis,l’auteur est témoin de la métamorphose active quis’opère, qui se lit sur les visages. La liberté renaît dans

ces rues qu’il parcourt. Les bâtiments jusqu’alorsdéfigurés par les portraits géants du dictateur voyouretrouvent leur dimension véritable. La poésie jaillit dusentiment d’enthousiasme qui bouillonne.Mais dans cet essai extrêmement informé, écritentre Paris, Tunis et Le Caire, les questions poli-

tiques les plus graves ne cèdent jamais devant lafascination de l’instant. Au contraire. À l’heure du re-nouveau, l’urgence est à l’analyse, au regard lucide,à la hauteur de vue. Pour n’être aveugle devant au-cun écueil, pour rester attentif aux signes. Pour quela liberté vienne, réellement. ■

Chronique d’une libérationRÉVOLUTION

Printemps de TunisLa métamorphosede l’HistoireAbdelwahab Meddeb182 pages, 14 €

La révolution tunisienne a ouvert la voie

au Printemps des peuples arabes.

À l’aube d’un monde nouveau,

Abdelwahab Meddeb nous livre ici

une analyse éclairée de ces journées

qui ont métamorphosé l’Histoire.

Lui qui avait fustigé depuis des années

l’islamisme rampant des sociétés

arabes, notamment avec La Maladie

de l’islam, écrit après les attentats

du 11 Septembre, lui qui avoue avoir

parfois perdu espoir pour son pays natal,

il nous livre ici un récit bouleversant,

intime autant que lucide,

sur ces journées de libération.

© H

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