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Genèse de l'informatique en France (1945-1965) Diffusion de l'innovation et transfert de technologie Pierre-E. Mounier-Kuhn J usqu'au milieu des années cinquante, les réponses à la demande croissante de calcul et de traitement de l'information revêtent des formes techniques variées: mécanographie, calculateurs analogiques, "machine de Couffignal", appareils à relais, calculateurs numé- riques spécialisés sans programme enregistré. La plupart seront sans descendance. A partir de 1955, l'installation des premiers ordinateurs en France montre quelle est la voie la plus féconde. Autour d'un premier noyau de spécialistes, un milieu professionnel et une industrie nouvelle se constituent en quelques années. L'histoire de la diffusion de l'informati- que à cette époque doit être analysée d'abord en termes de transferts de technologies et de connaissances des pays anglo-saxons vers la France et, à l'intérieur du pays, des premiers constructeurs de matériel vers le reste de la société. L'emprise de l'informatique est l'aboutissement d'un proces- sus d'innovation et de diffusion entamé il y a une quarantaine d'années avec la mise en service des premiers ordinateurs, en Angleterre et aux Etats-Unis. Cette diffusion s'explique à la fois par la demande croissante en traitement de l'information dans la civilisation industrielle (demande que les moyens «classiques» de traitement de l'information n'auraient pu

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Genèse de l'informatique en France (1945-1965)

Diffusion de l'innovation et transfert de technologie

Pierre-E. Mounier-Kuhn

J usqu'au milieu des années cinquante, les réponses à la demande croissante de calcul et de traitement de l'information revêtent des formes techniques variées: mécanographie, calculateurs analogiques, "machine de Couffignal", appareils à relais, calculateurs numé­

riques spécialisés sans programme enregistré. La plupart seront sans descendance. A partir de 1955, l'installation des premiers ordinateurs en France montre quelle est la voie la plus féconde. Autour d'un premier noyau de spécialistes, un milieu professionnel et une industrie nouvelle se constituent en quelques années. L'histoire de la diffusion de l'informati­que à cette époque doit être analysée d'abord en termes de transferts de technologies et de connaissances des pays anglo-saxons vers la France et, à l'intérieur du pays, des premiers constructeurs de matériel vers le reste de la société. L'emprise de l'informatique est l'aboutissement d'un proces­sus d'innovation et de diffusion entamé il y a une quarantaine d'années avec la mise en service des premiers ordinateurs, en Angleterre et aux Etats-Unis. Cette diffusion s'explique à la fois par la demande croissante en traitement de l'information dans la civilisation industrielle (demande que les moyens «classiques» de traitement de l'information n'auraient pu

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satisfaire), par le dynamisme commercial des firmes d'in­formatique et surtout par les possibilités qu'offrait un objet technique nouveau : l'ordinateur. Dans ce article, je me propose de décrire comment la diffusion de l'informatique a débuté en France. Mais il faut d'abord rappeler pourquoi l'ordinateur, né dans des domaines très «pointus» et confi­dentiels (calcul scientifique, cryptographie destinée aux services spéciaux), s'est répandu avec une telle force con­quérante. Ce succès tient essentiellement à la nature même de cette "machine universelle"1 et au progrès des technologies qui le constituent.

Ses circuits purement logiques1 et sa «mémoire» où le programme est enregistré au même titre que les données, permettent à l'ordinateur de remplacer n'importe quelle machine spécialisée dans une forme particulière de traite­ment de l'information (calcul de telle ou telle classe d'équation, tabulation, contrôle de process industriel, etc.). Il suffit pour cela de lui donner un programme qui simule la machine spécialisée : logiciel de calcul scientifi­que, tableur, programme de commande automatique.. .L'ordinateur, machine universelle, se trans­forme alors en machine spécialisée, «dédiée», le temps que tourne le programme en question. On peut même simuler un ordinateur sur un autre type d'ordinateur. L'auteur de ces lignes possède une disquette, utilisable dans un Macintosh, sur laquelle est enregistré un simulateur de l'EDSAC mis en service à Cambridge en 1949. Lorsque cette disquette est en fonction, on ne communique pas avec un Macintosh mais avec l'EDSAC - à la vitesse et à la fiabilité près ! - et tout programme écrit dans le langage d'assem­blage d'EDSAC sera exécuté par l'EDSAC ainsi simulé.

Après un premier stade où il constitue seulement un puissant outil de calcul et de décryptage offrant une souplesse de programmation inconnue jusque là2, l'ordi­nateur déborde bientôt du cadre de ces tâches particuliè­res, grâce aux progrès de l'électronique et de la program­mation.

Le prix des circuits électroniques, pour une capacité de traitement donnée, a diminué de 28% par an de 1957 à 1978, en dollars constants3. Selon la "loi de Moore"4, la densité des composants élémentaires par mm2 de circuit doit doubler chaque année pour que le marché conserve son dynamisme. En général, ces progrès ont pour consé­quence une amélioration considérable des ordinateurs en termes de fiabilité (remplacement des tubes par les semi­conducteurs), de rapidité (à laquelle a contribué aussi l'architecture des machines) et de miniaturisation.

Quant aux développements de la programmation, ils ont abouti à multiplier les possibilités d'applications bien au-delà du calcul numérique, jusqu'aux systèmes experts par exemple, et à permettre l'utilisation de l'ordinateur, d'abord à des programmeurs ignorant l'architecture de la machine, ensuite à des non-informaticiens comme le sont la plupart des utilisateurs de micro-ordinateurs aujour­d'hui. Notons que les progrès du software ont dépendu étroitement de ceux du hardware, particulièrement de la capacité des mémoires.

Au cours de cette évolution, l'ordinateur a pu rem­placer progressivement les machines de traitement de l'in­formation avec lesquelles il est entré en concurrence depuis les années cinquante5. Cela, en commençant par les plus coûteuses et les plus faciles à simuler : grands calculateurs numériques à relais ; calculateurs analogiques dans certaines applications ; systèmes de traitement de grandes masses de données où la rapidité de l'électroni­que conjuguée à la densité d'enregistrement des supports magnétiques ouvrait des possibilités nouvelles aux activi­tés dont la matière d'oeuvre est l'information, comme la banque ou l'assurance.

Une étape est franchie avec la «deuxième génération» : l'encombrement réduit des ordinateurs, la mise au point de langages évolués et de périphériques assurant une bonne "interface homme/machine" leur permettent d'en­trer en compétition avec les grosses machines de gestion de l'époque, comme les tabulatrices. Au cours des années i960, des produits tels que l'IBM 1401 ou le Bull Gamma 10 provoquent des ravages dans le matériel mécanogra­phique "classique". Les ordinateurs atteignent une telle vitesse qu'ils évincent les machines électroniques analogi­ques (jusque là seules capables de traiter l'information «en temps réel») de leurs derniers bastions du contrôle de process industriel et du calcul rapide. A la même époque, la commutation électronique «temporelle» commence à entrer dans les centraux téléphoniques5.

Le taux de pénétration de l'informatique sur les divers marchés s'élève encore à la faveur des possibilités nouvel­les et des réductions de coûts consécutives à l'avènement des circuits intégrés, aux économies d'échelle résultant de la conception d'ordinateurs compatibles et à d'autres innovations qui constituent la "troisième génération".

Avec les micro-ordinateurs, c'est au tour des petites machines comptables ou de classement (remplacées par des logiciels dits "tableurs", "gestionnaires de fichiers" ou "bases de données") et à celui des machines à écrire de céder du terrain. Dès la "première génération", l'ordinateur était virtuellement capable de remplacer celles-ci. Mais il eût été absurde d'acheter un ordinateur de 3 millions de francs à la place d'une machine à écrire individuelle! Le premier traitement de texte, expérimenté sur des ordina­teurs à tubes par la SEA (brevets BBR, 1954), n'était envisageable que dans le cadre d'une grande organisation telle que l'Imprimerie Nationale ou un journal par exem­ple.

L'informatique s'est diffusée au fur et à mesure que l'ordinateur, par son prix, sa miniaturisation, sa fiabilité, ses possibilités d'applications, lui permettaient, soit de s'imposer dans des domaines jusque-là non mécanisés6, soit de concurrencer des machines spécialisées et souvent plus lentes car fondées sur une technologie mécanique ou électromécanique. Ce progrès de la compétitivité des or­dinateurs (diminution du rapport prix/performances), qui ont débusqué peu à peu les autres machines dans leurs «niches», peut être exprimé de manière schématique par une courbe ayant approximativement la forme ci-après.

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Rapport Prix / Qualités de l'ordinateur

1950 1960 1970 1980 1990 Nombre d'ordinateurs et Temps

I - ESSAIS, ERREURS ET GESTATION DANS LA FRANCE D'APRÈS-GUERRE

La période qui nous intéresse voit s'accroître consi­dérablement la demande des entreprises et des adminis­trations en matière de calcul scientifique et de traitement de l'information pour la gestion.

Dans les milieux de la recherche-développement, cette demande en calcul scientifique ou d'ingénierie vient notamment de la physique (nucléaire entre autres), de l'astronomie-astrophysique, des télécommunications, de l'aéronautique qui en France connaît une véritable renais­sance à partir de 1950 7 , de la balistique comme,en témoigne le rôle moteur joué par l'équipe des "engins spéciaux" (missiles) du Service Technique de l'Aéronau­tique, de l'hydraulique (barrages, turbines) dans des en­treprises comme EDF, Neyrpic ou Sogréah. S'y ajoute l'immense domaine de l'automation, en plein essor :

Machine de Couffignal (1950)

contrôle de process, "robots", simulateurs de pilotage, centraux téléphoniques...

La demande en matière de traitement de l'informa­tion pour la gestion est au moins aussi forte. L'intervention croissante de l'État qui exige des connaissances statisti­ques détaillées et un perfectionnement des techniques comptables, le développement de la recherche opéra­tionnelle et de l'économétrie (voir par exemple le rôle joué par P. Massé et M. Boiteux à EDF), la constitution de grands groupes industriels et l'expansion du secteur tertiaire dont les administrations brassent des quantités de données considérables, y sont pour beaucoup. Un numéro spécial de la revue Productions Françaises8, consacré à l'industrie du matériel de bureau, souligne l'urgence d'accroître la productivité dans les services et les adminis­trations au même titre que dans les usines : «Le papier est devenu la matière principale de toutes les entreprises.» (. . .) Il faut "réduire les prix de revient au minimum car il y a un prix de revient de l'opération administrative comme il y en a un de l'opération d'usinage". A cela s'ajoute la nécessité de «diminuer les temps administratifs» (p. 15). Le Congrès international des industries et du commerce de bureau, organisé du 14 au 18 octobre 1950 à l'occasion du premier SICOB, participe du même esprit: augmenter la productivité, améliorer l'organisation, no­tamment pour permettre aux responsables de mécaniser ou de déléguer les tâches routinières afin de dégager le temps de la réflexion et d'accélérer le processus de décision. C'est l'époque où nombre d'industriels et de hauts fonctionnaires français partent visiter des entrepri­ses aux Etats-Unis, dans le cadre des missions de produc­tivité encouragées par le plan Marshall. Une création typique de cette époque est le CAPA (Comité d'Action pour la Productivité dans l'Assurance) fondé en 1951 et dont le directeur, J . R. Fouchet, sera un actif promoteur de l'informatique en France.

Pour répondre à la demande, les ingénieurs de l'après-guerre ont à leur disposition des technologies variées - développées depuis plusieurs décennies, parfois plusieurs siècles - et ils expérimentent des combinaisons qui font aujourd'hui la joie des historiens. C'est l'apogée des grandes machines spécialisées, dans le domaine du traitement de l'information. Dans «l'analogique» comme dans le «numérique», toutes les ressources de la mécani­que et de l'électromécanique sont mises en oeuvre. S'y ajoutent bientôt des tentatives de perfectionnement fai­sant appel à l'électronique.

En France, la première tentative pour développer des moyens modernes de calcul a lieu au CNRS, dont l'une des missions consistait à moderniser l'équipement des laboratoires français en favorisant leur passage de la recherche artisanale à la «science lourde». En 1946 le CNRS fonde l'Institut Biaise-Pascal en rassemblant un Labora­toire de calcul mécanique (numérique) et un Laboratoire de calcul analogique.

Le Laboratoire de calcul mécanique, dirigé par le mathématicien L. Couffignal, travaillait sur des calculatri­ces de bureau électriques du commerce. Solution provi­soire en attendant que soit atteint son objectif principal : réaliser, comme les Anglo-saxons, une grande machine à

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calculer électronique. Voici ce qu'écrivait en 1946 le directeur général du CNRS au ministre de l'Armement : «L'Institut Biaise-Pascal doit prendre très prochainement un grand développement (...). Vous savez en effet quels progrès les Américains ont réalisé ces dernières années dans le domaine des machines à calculer (...). Or nous avons au CNRS des spécialistes de la question, et il semble bien que leurs idées ont été utilisées aux Etats-Unis pendant la guerre. Il est donc indispensable de faire un effort pour nous placer à leur niveau et mettre en oeuvre, à notre profit, des moyens dont nous sommes les promo­teurs».

En 1946, L. Couffignal part en mission aux Etats-Unis et visite les principaux "chantiers de construction» de «machines mathématiques": laboratoire Aiken à Harvard, IAS à Princeton, Moore School à Philadelphie. Rentré en France, il présente un projet de calculateur, fondé à la fois sur ce qu'il a appris aux Etats-Unis et sur des conceptions originales qu'il avait lui-même élaborées depuis les années trente9. En 1947 le CNRS conclut une convention avec la société Logabax (qui produisait des calculatrices électromécaniques à 200 compteurs) pour construire la "machine de Couffignal". Celle-ci, dont la presse de l'époque fait abondamment l'éloge 1 0, est dévoilée lors d'un colloque en janvier 1951 1 1.

Cette calculatrice était entièrement électronique, binaire, et comportait des organes de sortie munis de traducteurs binaire-décimal. L. Couffignal annonçait une vitesse de 1000 opérations par seconde sur des nombres de 15 chiffres, ce qui était une performance fort honorable pour l'époque, voisine de celles du Ferranti Mkl ou de l'ACE Pilot. Mais ce n'était pas un ordinateur au sens de Eckert et von Neumann, pour deux raisons principales. D'une part, son architecture était hautement parallèle12, l'idée de L. Couffignal étant d'agencer sa machine comme un bureau de calcul conçu selon les règles de l'organisa­tion scientifique du travail, en faisant fonctionner simulta­nément différentes unités arithmétiques. D'autre part la mémoire était volontairement réduite au strict minimum et ne servait qu'à retenir des données intermédiaires dans les calculs : il n'était pas question de programme enregistré ni de branchements conditionnels13. Cette calculatrice sem­ble avoir fonctionné correctement ; en 1951, elle a calculé des racines carrées et des sinus. Mais c'était une petite "machine pilote" (200 tubes) qui ne pouvait traiter qu'un nombre réduit de chiffres : on l'avait construite unique­ment pour tester les principes de L. Couffignal et perfec­tionner certaines solutions techniques. Ces vérifications faites, Logabax avait commencé à monter, sur les mêmes bases, une grande «machine définitive» de 2000 tubes, destinée à l'Institut Biaise-Pascal.

Elle ne fut jamais terminée car Logabax déposa son bilan, fut rachetée en 1952 par le groupe belge Electrobel et se réduisit à une «Société commerciale Logabax». Ce fut un coup très grave pour le service de calcul du CNRS, qui comptait toujours moins de 10 personnes et continuait à travailler au milieu des années cinquante avec de vieilles machines de bureau Merchant, Brunswiga ou Mercedes...

Ainsi finirent la première calculatrice numérique électroni­que française et la carrière au CNRS de L. Couffignal, que la direction remplacera, à partir de 1957, par René de Possel. Si cette machine avait pu être terminée, sans doute figurerait-elle aujourd'hui, aux côtés de l'ASCC d'Aiken ou du SSEC d'IBM, parmi les «dinosaures» du calcul scientifi­que contemporain. Au lieu de cela, elle symbolise le premier échec de l'informatique d'État en France.

L'histoire de la machine de Couffignal éclaire l'ori­gine de certains problèmes rencontrés ensuite par l'infor­matique française : la gestion peu sérieuse du projet a entaché l'image de la discipline; le manque d'ordinateur jusqu'en 1955 au CNRS et dans l'enseignement supérieur a gravement retardé la formation de spécialistes; l'échec de la machine a sans doute retenu bien des personnes et des moyens matériels de s'investir dans l'informatique, do­maine jugé dès lors à haut risque (peut-être doit-on faire remonter à cet épisode le faible développement de l'archi­tecture de machines en France). Enfin, l'échec de L. Couffignal est aussi celui de la collaboration entre le CNRS et l'entreprise Logabax ; il n'a pu que perpétuer le fossé d'incompréhension ou de méfiance entre la recherche et l'industrie, et entre la recherche fondamentale et la recher­che orientée vers l'ingénierie.

L'Institut Biaise-Pascal comportait, on l'a vu, un autre laboratoire, voué au calcul analogique. Son origine remon­tait aux années trente, lorsque le Service Technique de l'Aéronautique avait incité un mathématicien, Joseph Pérès, et un ingénieur Sup'Aéro, Lucien Malavard, à développer les méthodes de calcul rhéologique pour la mécanique des fluides14. Une série de calculateurs furent mis au point à partir de 1932. En 1945 le Laboratoire de calcul électroni­que analogique fut intégré au CNRS. Il continua à réaliser de nombreux types de calculateurs spécialisés (calculs de profils d'ailes ou de turbines pour Dassault, la SNECMA...), en liaison avec l'ONERA (Office National d'Etudes et de Recherches Aéronautiques) que L. Malavard dirigeait également.

L'aéronautique suscitait d'autres recherches concer­nant les moyens de calcul. A l'ONERA même, en 1948-49, des machines Bull sont adaptées aux exigences du calcul scientifique15 en collaboration avec un ingénieur de Bull, P. Chenus. À la même époque l'Office entreprend de construire sa propre machine numérique. Mais peu de moyens y seront investis et trois responsables se succéde­ront à la tête du projet, qui sera finalement abandonné.

Au Centre National d'Études des Télécommunica­tions, une équipe dirigée par Jacques Benas avait, de son côté, réalisé en 1953 un calculateur numérique au siège du CNET à Issy-les-Moulineaux. Cette machine électroméca­nique, constituée de relais et de sélecteurs rotatifs (compo­sants de base des centraux téléphoniques à l'époque) avait été conçue par Jean Rose (CNRS et faculté des sciences de Paris) en vue de calculer des séries de Fourier pour des recherches en cristallographie16.

Il faudrait citer maintes autres réalisations, destinées non seulement à calculer, mais aussi à résoudre par exemple le difficile problème de la gestion documentaire,

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comme les systèmes utilisés au centre de documentation du CNRS (Filmorex et "fiches sélecto" de la Société d'études électro-mécaniques)17, à la fondation Alexis-Car-rel devenue l'INED (cartes perforées de R. Desaubliaux), au Centre de documentation des constructions et armes navales ou aux laboratoires Roger & Bellon ; ces systèmes dérivent plus ou moins de procédés mis au point aux Etats-Unis, notamment du Rapid Selector de Vannevar Bush.

Les trois machines numériques conçues vers 1950 dans le cadre de la recherche publique française, au CNRS, à l'ONERA et au CNET, sont restées, au mieux, au stade du prototype. Une telle situation n'est pas propre à la France. Ainsi, la plupart des homologues étrangers du CNET (Bell Labs aux États-Unis, TRE en Grande-Gretagne, PTT aux Pays-Bas...) ont exploité leur expérience de la technique des relais pour construire des calculateurs électromécani­ques. Rappelons qu'à la fin des années quarante, en Angleterre, une douzaine de laboratoires mettaient au point de grandes machines à calculer de types divers. La plupart d'entre elles ont été des impasses technologiques sans descendance ; seules trois réalisations (PACE-Pilot du NPL, l'EDSAC de Cambridge et le MK1 de Manchester) appartiennent, quand on les considère avec le recul historique, au «courant principal» qui a constitué l'informa­tique. Il en est de même aux Etats-Unis, où l'on trouve, parmi une grande variété d'approches, un petit nombre de solutions viables et fécondes relevant des «machines de von Neumann». L'avance de ces deux pays provenait à la fois de leurs capacités industrielles et de l'expérience des grandes machines acquise depuis une ou deux décennies en temps de paix et de guerre.

Les institutions qui joueront le rôle le plus visible dans la diffusion de l'informatique se trouvent parmi les constructeurs de machines à cartes perforées. Il y en a trois en France : IBM, la Compagnie des Machines Bull et SAMAS-Powers. Autour de 1950, ces firmes se préoccu­pent surtout de développer leurs gammes mécanographi­ques classiques, en leur adjoignant des éléments électro­niques pour en améliorer la vitesse. Cette idée a germé depuis une dizaine d'années, aux États-Unis où Byron E. Phelps réalise un multiplicateur électronique digital chez IBM en 1941-42 1 8, et en France où un inventeur, Marcel Jacob, dépose en 1942 un brevet de tabulatrice électroni­que 1 9.

Installée à Paris depuis 1914, IBM France est devenue vers 1950 une entreprise de taille moyenne qui construit et commercialise des équipements à cartes perforées, des horodateurs et des machines à écrire. Pour répondre à la demande et mettre en valeur ses produits, elle crée en 1949, place Vendôme, un service de mécanographie et de calcul à façon. En 1952, celui-ci accroît considérablement sa puissance de traitement et affirme son caractère de «laboratoire de calcul scientifique» en recevant des États-Unis une calculatrice électronique IBM 604. L'IBM 604 ainsi que le calculateur à programme par cartes (CPC) sont bientôt fabriqués en France et diffusés dans divers labora­toires et entreprises. A cette époque, un groupe d'ingé­nieurs d'IBM France conçoit un projet de tabulatrice électronique, la WWAM(projet qui, après transformations,

aboutira à l'IBM 1401), pour relever le défi des nouveaux produits Bull.

La Compagnie des Machines Bull, créée au début des années trente, est devenue la grande rivale d'IBM France, qu'elle dépasse en 1948 sur le marché français. Sa direction est attentive aux innovations et très consciente que la compétition se joue sur le plan mondial et pas seulement dans l'hexagone. En 1948 le PDG de Bull, Jacques Callies, décide de constituer une équipe d'électroniciens. En 1950, deux d'entre eux partent pour les Etats-Unis, où ils visitent notamment Remington-Rand-Univac, lié à Bull par un accord de coopération. À leur retour, le nouveau labora­toire d'électronique conçoit et réalise le calculateur Gamma, présenté au SICOB en 1951. Le succès du Gamma (1200 exemplaires diffusés en 10 ans) sera l'un des facteurs de l'expansion spectaculaire de Bull pendant la décennie qui suit. Comme l'IBM 604, le Gamma est un calculateur électronique, non un ordinateur : le programme n'est pas enregistré en mémoire, mais câblé par branchements sur un tableau de connexions - technique habituelle de «programmation» des machines à cartes perforées. En fait, le Gamma a été conçu pour être l'unité de calcul de la tabulatrice Bull BS 120 (fabriquée depuis 1941), dont il accélère considérablement le traitement des données ; c'est cette configuration «Gamma-Tabu» qui est générale­ment commercialisée. Dans le processus de transfert de technologie, les ingénieurs de Bull sont allés aux meilleu­res sources, accessibles à l'époque, chez Univac. Mais la forte «culture d'entreprise» mécanographique de la compa­gnie n'a admis que ce qui pouvait s'insérer dans la famille des appareils à cartes perforées électromécaniques. Ma­chine «de transition» entre la mécanographie et l'informa­tique, le Gamma a contribué à familiariser le marché de la gestion avec l'électronique.

Quant à SAMAS-Powers, filiale commerciale de la société anglaise Powers-SAMAS, elle présentera en 1956 une sorte de «super-tabulatrice», le Samastronic, dont l'ambition est notamment d'imprimer 300 lignes/mn. Ambition sans doute excessive pour les possibilités de la mécanographie, et le Samastronic, ni viable ni fiable, aboutit à un amateurish mess, suivant l'expression d'un historien britannique20. SAMAS-Powers disparaîtra en 1959.

Le poids de la mécanographie a lourdement pesé sur les politiques de produits des trois entreprises évoquées ci-dessus : il résulte à la fois de plusieurs décennies de savoir-faire et d'innovation technique, dont ces sociétés pou­vaient légitimement être fières et qui constituaient un élément essentiel de leur identité et de l'importance du parc de machines à cartes perforées21 installées chez une clientèle souvent réticente à investir dans des méthodes radicalement nouvelles. Le premier facteur explique en partie les difficultés ou les lenteurs de la conversion à l'informatique. Mais lorsque cette conversion sera enga­gée, l'implantation sur le marché, déjà acquise par ces firmes, sera un élément décisif de leur succès.

Un nouveau type d'entreprise apparaît en France en 1948 avec la Société d'Electronique et d'Automatisme, à la fois bureau d'études et producteur spécialisé dans le calcul

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électronique. La SEA établit sa réputation et ses revenus en fabriquant des machines analogiques (séries OME et NADAC), notamment pour l'aéronautique. Sa première réalisation numérique, en 1952, est le Fizeaugraphe, un calculateur spécialisé, destiné au traitement des signaux radar, dont le programme est inscrit sur un disque lu par cellule photoélectrique. Mais les fondateurs de la SEA, qui ont saisi très tôt la richesse potentielle du concept de machine universelle à programme enregistré, entrepren­nent dès le début des années cinquante de construire plusieurs ordinateurs. Les premiers sont installés en 1955; à partir de cette date, l'ordinateur s'impose progressive­ment en France comme l'instrument par excellence du traitement de l'information.

/./ Les premiers ordinateurs en France

A la fin de 1955 il existe six ordinateurs en France2 2. Trois d'entre eux ont été livrés par la SEA : la CAB

1011 du service du chiffre du SDECE (CAB : Calculatrice Arithmétique Binaire), qui sera utilisée jusqu'en 1965 ; CUBA (Calculatrice Universelle Binaire de l'Armement), installée au Laboratoire Central de l'Armement à Arcueil; le premier exemplaire de la série CAB 2000, livré chez Matra en exécution d'un marché du Service Technique Aéronautique. La technologie de ces machines est à base de tubes et de diodes au germanium. Tous les ordinateurs SEA, sauf CUBA, sont dotés de mémoires à tores de ferrite, favorisant une activité de programmation très créative dans cette firme. Les CAB 2000 sont l'une des premières séries commerciales d'ordinateurs à posséder ce type de mémoire, avec leurs contemporains les IBM 704 et 705 et un an après l'Univac 1103 A. La SEA, jusque là spécialisée dans le marché scientifique, commercialise bientôt des ordinateurs destinés à des applications de gestion. En mai 1957, une CAB 2124 à bandes magnétiques est installée chez Monsavon-L'Oréal 2 3 pour traiter des statistiques commerciales. En i960 la SEA présente son ensemble de gestion 3900 à transistors.

IBM, qui avait produit depuis 1952 les grandes machines de la série 700, destinées d'abord à la Défense, sort en 1954 aux Etats-Unis l'IBM 650 à tambour magnéti­que, "a machine for ordinary business**. L'IBM 650 est conçu, dès le départ, pour une large diffusion commerciale en Amérique et en Europe2 4. Il est présenté au marché français en octobre 1955 à l'occasion du SICOB. Les commandes affluant, d'autres exemplaires sont importés, et à partir de l'année suivante l'usine IBM d'Essonnes^-produit des 650, puis des 705, beaucoup plus puissants. Préparant l'arrivée de cette catégorie nouvelle de machi­nes, IBM France avait cherché une dénomination spécifi­que : le terme «ordinateur», proposé en avril 1955 par Jacques Perret, professeur à la faculté de lettres de Paris, aura la fortune que l'on sait lorsqu'IBM aura abandonné l'exclusivité de ce mot.

Le premier ordinateur de Bull, le Gamma Extension Tambour, est présenté en janvier 1956 au «Centre National de calcul électronique» de la compagnie. Comme son nom l'indique, il s'agit d'une «extension» du calculateur Gamma 3 sorti en 1952, auquel a été ajouté un tambour magnétique

sur lequel peuvent être enregistrés programmes et don­nées ; des lignes électriques à retard, constituant une «mémoire de travail», complètent ce dispositif, transfor­mant le calculateur en ordinateur. Le Gamma ET rempor­tera un succès certain (120 exemplaires diffusés) dans les entreprises, ainsi que dans les laboratoires, ce qui repré­sente un nouveau type de clients pour Bull. La compagnie se lance en 1956 dans un projet ambitieux d'ordinateur, le Gamma 60.

Les "centres de calcul" informatisés se multiplient désormais, les premiers étant ceux des constructeurs et aussi ceux des organismes déjà préparés à l'utilisation de grands moyens de traitement de l'information. A l'Institut Biaise-Pascal, L. Couffignal achète un Elliott 402 importé d'Angleterre en 1955 ; son successeur, René de Possel, acquiert un ordinateur par an pendant les dix années qui suivent. Le Centre de calcul analogique, qui se dote d'une CAB 500 en 1962, s'orientera vers les technologies hybri­des (analogique/numérique) au cours des années soixante, se rebaptisant «Laboratoire d'informatique pour la mécani­que et les sciences de l'ingénieur» en 1972. L'ONERA choisit un IBM 704 en 1957. Le CEA se dote la même année d'un Ferranti Mercury et d'un IBM 650, et devient bientôt le plus gros client d'IBM hors des États-Unis. L'EDF commence avec un Bull Gamma ET, puis commande un Gamma 60. La Météorologie Nationale s'équipe en i960 du KL 901 conçu spécialement par la SNE-Radio-Industrie sous la direction d'E. Labin. Quant au CNET, il construit un ordinateur expérimental pour la commutation temporelle, «Antinea», de 1958 à 1961, et mettra en service le «Ramsès» à partir de 1964. Dans l'enseignement supérieur, quelques universités (Grenoble avec l'équipe de J . Kuntzmann, Toulouse autour d'E. Durand, Nancy sous l'impulsion de J . Legras) montrent la voie. Des centres privés se consti­tuent parallèlement, comme celui de la Société Alsacienne de Construction Mécanique. Le nombre total d'ordinateurs installés en France dépasse 600 en 1962 2 5.

Cette diffusion de machines s'accompagne d'un phénomène d'ordre social : une nouvelle profession naît - même si le mot "informaticien" n'existe pas encore. En 1955, la France ne comptait que de rares spécialistes en programmation, en circuits et en architecture de machines, essentiellement chez les constructeurs et leurs interlocu­teurs directs, ainsi que dans les équipes universitaires mentionnées ci-dessus. Deux ou trois ans plus tard un véritable milieu professionnel s'organise, avec ses associa­tions (AFCAL, AFRA), ses centres de rencontre ou de propagande (Syndicat national de l'automation, Groupe­ment français pour le développement de l'automatisation, Centre national de l'automatisation), ses moyens d'infor­mation (revues Chiffres, Automatisme, Automation, Élec-tro-calcul un peu plus tard) auxquels s'ajoutent bientôt les premiers livres sérieux écrits par des Français sur la question26. Ce milieu professionnel est aussi représenté, dès cette époque, auprès des pouvoirs publics (Commis­sion de liaison et d'études des problèmes de l'automation au Commissariat général à la productivité, Comité "Électro­nique et Cybernétique" au Conseil supérieur de la recher­che scientifique et technique) 2 7. L'Etat est à la fois un utilisateur d'ordinateurs et un partenaire indispensable

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LES PREMIERS ORDINATEURS INSTALLES EN FRANCE

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4 5 3. L'IBM 650présenté au SICOB en 1955, ici au centre de calcul IBM place Vendôme, IBM avait alors l'exclusivité du terme "ordinateur". 4. Bull Gamma extension Tambour, tabulatrice BS 120 et poinçonneuse connectée. 5. Tambour magnétique Bull avec ses circuits de commande.

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pour développer l'enseignement en informatique, objet principal des recommandations des spécialistes au CSRT lors de la préparation du Ille Plan28. Au début des années soixante, lorsque le CSRT aura fait place à la DGRST et que les problèmes industriels deviendront brûlants (affaire Bull, montée en puissance d'IBM), le groupe de pression ainsi constitué orientera sa réflexion vers la définition d'une politique industrielle nationale : à la genèse de l'informatique succédera celle du Plan Calcul..

II - LES DIFFERENTS MODES DE TRANSFERT DE TECHNOLOGIE

En 1955, il existe déjà plus de cent ordinateurs dans le monde. La plupart ont été construits et installés aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où quelques-uns fonc­tionnent depuis la fin des années quarante ; les premières séries commerciales2 9 remontent à 1951.

Le reste est réparti entre une douzaine de pays, dont la France, qui sont entrés dans le "club des constructeurs»"plusieurs années après les Anglo-saxons30; il s'agit encore, en général, de prototypes ou d'exemplai­res uniques. Les pays "nouvellement informatisés" bénéfi­cient presque tous des technologies, de l'expérience et du savoir-faire accumulés outre-Manche et outre-Atlantique31. Ils les adoptent et les développent en fonction de leur génie particulier, de leurs possibilités, des contraintes qu'ils subissent, et en mettant en oeuvre leurs talents propres, leur capacité d'invention, leur expérience acquise in situ. Comment se sont effectués ces transferts de technologies?

On peut répartir schématiquement en deux grandes catégories les modes de transfert de technologie 3 2. Le premier correspond au mode de diffusion des connaissan­ces dans le milieu universitaire et possède les caractéristi­ques suivantes : la technologie est valorisée en fonction de son apport à la science ; elle doit faire l'objet d'une information aussi large que possible, sans considération d'éventuels profits privés (ce fut une des sources de conflits entre von Neumann et les fondateurs d'Univac) ; cette information porte sur des concepts fondamentaux plutôt que sur des procédés de développement ; elle est diffusée par les canaux de communication habituels du milieu scientifique (articles de revues, rapports, collo­ques...) ; l'Etat est directement impliqué comme acteur.

Le deuxième mode de transfert de technologie est celui du monde industriel. La technologie est considérée avant tout en fonction des chances de survie et des profits qu'elle peut apporter à l'entreprise ; sa diffusion est soumise aux règles de la propriété industrielle et des échanges commerciaux (cessions de brevets, de licences et de produits...) ; l'acquisition des méthodes concrètes et des procédés de fabrication est aussi importante que celle des concepts ; le rôle de l'Etat consiste à soutenir la recherche et à contrôler les transferts de technologie afin de protéger éventuellement l'industrie et la sécurité natio­nales ; enfin, plus encore que dans le «modèle universi­taire», la mobilité des spécialistes peut seule assurer la

transmission des aspects les moins formalisables du savoir technique - le "tour de main" ou l'expérience des échecs par exemple3 3.

A la fin des années quarante, presque tous les projets d'ordinateurs se trouvaient dans des universités et des centres de recherche. Mais lorsque la France met en service ses premières machines, c'est déjà l'industrie qui produit la majorité des ordinateurs dans le monde. On peut donc s'attendre à ce que le «modèle industriel» de transfert y soit dominant, comme il le sera bientôt au Japon. De fait, aucun ordinateur français de «première génération» n'est réalisé dans le cadre de la recherche publique.

En réalité, les deux «modes» sont utilisés. Leur poids respectif est moins fonction de l'époque considérée que de la personnalité, de la «culture» des institutions qui y ont recours. Ne pouvant décrire celles-ci en totalité, nous examinerons un seul cas, celui de la SEA, qui fournit une illustration complète, ses relations avec le monde scienti­fique ayant été particulièrement actives.

A l'origine de la SEA se trouve un voyage aux Etats-Unis effectué en 1946 par son fondateur, F.H. Raymond. Cet ingénieur Sup'Elec, officier de marine, docteur en physique, conseiller scientifique du constructeur d'instru­ments de mesure Sadir-Carpentier, est envoyé en mission outre-Atlantique. Il y visite le laboratoire de calcul de H. Aiken à Harvard, le MIT et le Radiation Lab., le Submarine Signal Corps, les laboratoires RCA, Raytheon, les Bell Labs à Murray Hill et d'autres institutions. Il en rapporte le rapport de A.W. Burkes, H.H. Goldstine et J . Von Neumann, Preliminary Discussion of the Logical Design of an Electronic Computing Instrument, qui nour­rira maintes réflexions à partir desquelles sera définie une politique de produits à long terme.

Disposant d'une bibliothèque d'entreprise bien four­nie en publications scientifiques, les ingénieurs de la SEA fréquentent systématiquement les colloques scientifiques consacrés au calcul électronique, à l'automation et aux disciplines voisines34. De plus la SEA, soucieuse de tirer profit du "gisement" de ressources scientifiques que cons­titue l'enseignement supérieur, emploie régulièrement, comme consultants ou «mathématiciens-conseils», des professeurs tels qu'Alexis Hocquenghem (CNAM) ou René de Possel (CNRS). Leurs apports seront précieux dans le domaine de la programmation (codes auto-correcteurs d'A. Hocquenghem). Enfin la SEA envoie certains de ses ingénieurs suivre des stages dans des laboratoires univer­sitaires étrangers afin d'y acquérir des compétences inexis­tantes en France : quelques-uns des premiers informati­ciens français se sont ainsi perfectionnés à Manchester, à Boston, à Cambridge où fut publié le premier manuel de programmation en 1951 3 5 . Les concepts développés à Cambridge autour de l'EDSAC, par exemple la micropro­grammation, influenceront les ordinateurs SEA.

La SEA n'en recourt pas moins à des procédés plus typiquement «industriels» de transfert de technologie : acquisition de licences, de composants et parfois d'élé­ments de machines. Un exemple en est fourni par la mise au point des tambours magnétiques des premiers ordina­teurs SEA. La société, qui menait ses propres études sur ces

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dispositifs, doit cependant acquérir une licence non exclu­sive sur la modulation de phase auprès du National Research Developement Corporation (NRDC), ce procédé étant breveté par un Anglais. Le tambour magnétique de l'ordinateur CUBA est même fourni directement par le constructeur britannique Ferranti, qui bénéficiait d'une certaine expérience en la matière - en fait ce tambour est du même modèle que celui du Ferranti Mercury (32.768 mots ou 2 x 16.384 mots) commercialisé en 1957. Un peu plus tard la SEA acquiert une licence des brevets Bell System sur l'emploi des transistors.

Il ne faudrait pas conclure des quelques exemples ci-dessus que les connaissances mobilisées pour construire des ordinateurs fussent toutes de provenance étrangère. Le physicien Léon Brillouin avait signalé en 1947, dans une conférence sur Les grandes machines mathématiques36, que les technologies nécessaires à la construction d'un calculateur électronique existaient, en France, dans le milieu des télécommunications : lignes à retard, circuits binaires, dispositifs de création et de comptage d'impul­sions... De fait, la SEA - tout comme Bull- recrute de nombreux ingénieurs venant des laboratoires de recher­che en télécommunications, par exemple P. F. Gloess du LCT, spécialiste en matière de "lignes à retard" et de multiplex à impulsions, ou D. Starynkevitch du CNET.

Au milieu des années cinquante, la SEA devient à son tour une source de technologies et de connaissances qui va irriguer le «tissu» informatique, en France et même au-delà des frontières de l'hexagone. Les différents modes de transfert technologique se retrouvent ici.

D'abord, les procédés de type «académique». Les ingénieurs SEA, comme leur directeur, produisent de très nombreuses publications37. Ils participent aussi comme conférenciers aux colloques et, en 1956, F. H. Raymond organise au CNAM le premier congrès international d'au­tomatique, dont la presse se fait largement l'écho et à la suite duquel est créé l'International Fédération of Automa­tic Control. F. H. Raymond (qui est chef de travaux au CNAM) et certains de ses collaborateurs donnent des cours dans divers établissements d'enseignement supérieur; l'un d'eux, P. Namian, quitte la SEA pour enseigner l'informa­tique à l'université et à l'Institut Polytechnique de Greno­ble, puis au CNAM.

La SEA participe aussi à la diffusion de l'informatique en France par des procédés typiques du monde industriel. Le plus direct est la vente de ses ordinateurs, et la formation concernant le personnel utilisateur. La société produit dix machines de «première génération» à tubes, puis effectue un «bond en avant» commercial à partir de i960 avec la CAB 500 dont 120 exemplaires environ seront vendus3 8, en même temps qu'une quarantaine d'ordinateurs transistori­sés d'autres types. Afin de réaliser ces machines, la SEA mobilise des fournisseurs (Radiotechnique pour produire les tores, Compagnie des Compteurs pour construire les dérouleurs de bandes magnétiques à partir de 1956), entraînant ces entreprises dans l'industrie informatique naissante. Une autre contribution de la SEA à la diffusion des technologies informatiques consiste en brevets (de

1948 à 1967 la SEA déposa 1500 brevets, dont 205 aux Etats-Unis). Elle introduit en France de nombreuses tech­nologies devenues «classiques» depuis : câblage par «wrap-ping», câbles plats, circuits imprimés double-face puis multicouches.

Surtout, la SEA constitue une véritable «pépinière humaine» dans le tissu industriel français. Certains de ses ingénieurs sont allés renforcer les équipes de recherche de Bull à partir de 1955. D'autres fondent leur propre entre­prise. En 1958, Jean Auricoste, ancien ingénieur à la SEA, devient chef de département chez Intertechnique puis crée en i960 la Compagnie Européenne d'Automatisme Elec­tronique (CAE), filiale de CSF, qui construira des ordina­teurs sous licences américaines Ramo-Woolridge et SDS. En 1959, l'ingénieur Jean Gaudfernau quitte la SEA pour entrer à la Compagnie des Compteurs, où il fonde une filiale, la SETI, qui produira des ordinateurs sous licence américaine Packard Bell et concevra un calculateur scien­tifique, le Pallas. En 1967 la plupart des 800 employés de la SEA entrent à la Cil, constituée par la fusion de SEA, de CAE et d'ANALAC, quand le gouvernement français lance le Plan Calcul. L'équipe rassemblée depuis vingt ans est alors malheureusement disloquée. C'est cependant un ingénieur issu de la SEA, Alice Recoque, qui conçoit le seul modèle d'ordinateur Cil dont de nombreux exemplaires soient encore en usage aujourd'hui, le Mitra 15.

L'exemple de la SEA a été choisi à la fois parce que cette firme a joué un rôle moteur dans l'informatique française et parce qu'elle a, plus qu'aucune autre, exploité tout l'éventail des modes de transfert de technologie. Des études similaires pourraient être menées sur Bull et sur IBM France3 9. Au début de la période considérée, celles-ci se conforment surtout au «modèle industriel» ; puis elles multiplient progressivement les contacts avec le monde universitaire, au fur et à mesure que l'informatique élargit leur marché, de la gestion au calcul numérique, et les entraîne dans une collaboration de plus en plus serrée entre leurs services de R&D et le milieu scientifique. L'informatique a ainsi contribué à bousculer les cloisonne­ments traditionnels séparant industrie et recherche, mathé­matiques pures et applications, diplômés de l'université et ingénieurs des grandes écoles civiles ou militaires, malgré la résistance ou l'inertie des institutions concernées.

Je tiens à remercier, pour les informations qu'ils m'ont apportées et les réflexions qu'ils m'ont livrées lors de la préparation de cet article, M. Bataille, J . Benas, L. Bolliet, J . Carteron, P. Chatelin, F. H. Raymond, J . Rose, J . J . Salomon et H. Vanmalle, ainsi que la bibliothèque du département économie-gestion du CNAM et le centre de documentation de PINRIA pour la richesse de leur docu­mentation en histoire de l'informatique.

Notes

1. Parmi les travaux les plus influents en ce domaine il faut citer l'oeuvre de C. Shannon, par exemple "A Symbolic Analysis of Relay and Switching Circuits" Trans. AIEE 57, 1938.

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2. Les grands calculateurs électroniques, ancêtres directs des premiers ordinateurs, ont été construits pour des fonctions qu'aucune autre machine ne pouvait remplir de façon satisfaisante, au moins avec la même rapidité ou avec la même précision. On le constate en examinant l'histoire du projet ENIAC, construit pour accélérer le calcul des tables de tir, ou de Colossus, qui relaya en 1943 des décrypteurs électroméca­niques quand ceux-ci ne purent plus suivre le rythme de travail imposé par les nouvelles techniques de chiffrage allemandes (B. Randell Tbe Origins of Digital Computers}. C'est seulement avec l'électronique que le concept de programme enregistré devient envisageable. ENIAC n'était pas conçu, au départ, comme un ordinateur, mais il a fonctionné, après quelques modifications, avec un programme enregistré et, surtout, son expérience a inspiré le concept d'ordinateur, voir Goldstine, H.H. Tbe Computer, from Pascal to Von Neumann p. 233 et Stern, N. From ENIAC to UNIVACp. 75. Quant à la date de naissance (ou plutôt de conception) que l'on peut attribuer à l'ordinateur - problème d'importance très secondaire et qui est plutôt de convention que de fond -, je partage l'avis de Maurice V. Wilkes : «Avant 1945 il n'y avait rien qui ressemblât à un ordinateur ; à cette date quelques personnes savaient ce que pourrait être un ordinateur si on en réalisait un ; en 1950 il en existait un ou deux dans le monde. On peut considérer 1945 comme l'année décisive, pour l'apparition des ordinateurs tels que nous les connais­sons.» (Conférence sur «The Development of Modem Computers», 23 février 1988).

3. Voir Flamm, K. 1987. Targeting tbe Computer, Washington D.C., Brookings Institution, pp. 24-25.

4. G. E. Moore était directeur de la recherche chez Fairchild lorsqu'il fit cette constatation.

5. Sur l'analogie entre l'évolution biologique selon Darwin et le processus d'innovation, voir : Auger P., Le Progrès Scientifique dans le monde actuel, Conférences du Palais de la Découverte, Paris 1950, Freeman C, "A quoi tiennent la réussite ou l'échec des innovations dans l'industrie ?" Culture Techniquen°18, 1988, et Kranzberg M., "Le Proces­sus d'Innovation - Un modèle écologique" Culture Techniquen°10,1983.

6. Voir Libois L. J . Genèse et croissance des Télécommunications (Masson, Paris 1983), pp. 158-173. Les premières expériences ont lieu aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne dans les années cinquante ; le premier central téléphonique électronique véritablement opérationnel est mis en service en 1965 aux Etats-Unis (ESS1 du Bell System).

6. Un cas exemplaire est celui des Mutuelles du Mans, où une politique de diffusion de l'informatique a été menée systématiquement depuis trente ans. Non seulement l'ordinateur a remplacé les machines à cartes perforées dans les fonctions qu'elles remplissaient (quittancement à terme et comptabilité) mais il effectue certaines tâches dans des domai­nes que l'on n'imaginait pas pouvoir mécaniser il y a quelques décennies, tels que le marketing ou même le commercial («bornes télé­matiques» interactives).

7. Voir Chadeau, E. «L'industrie aéronautique» inL'industriefrançaise et l'ouverture internationale 1950-1975, colloque organisé en mars 1989 à la FNSP par le Comité d'Histoire Industrielle du Ministère de l'Industrie et Savescu, D. Le simulateur d'entraînement pour aéro­nefs et véhicules spatiaux - Origine, évolution, enjeux sociaux, DEA, Centre Science, Technologie et Société, CNAM, Paris, 1987.

8. Productions Françaises n° 32, juillet-août 1948.

9. Couffignal, L. «Sur l'analyse mécanique : application aux machines à calculer et aux calculs de la mécanique céleste» Thèses présentées à la Faculté des Sciences de Paris, ser. A 1772 Gauthier-Villars, Paris 1938. Pour une analyse critique des conceptions de L. Couffignal, voir Ramunni, G. 1988. Louis Couffignal (1902-1966): un pionnier de l'infor­matique en France?. Actes du colloque sur l'histoire de l'informati­que en France. Grenoble, Philippe Chatelin éd., INPG.

10. Voir par exemple Couffignal, L. "Les machines à calculer

françaises» "Atomes, oct. 1948 ; et Latil, P. de. 1951. "Nouvelles machines à calculer électroniques." Paris, Sciences et Avenir n° 50.

11. Couffignal, L. «La machine à calculer de l'Institut Biaise-Pascal» Colloque international du CNRSZes machines à calculer et la pensée humaine (Editions du CNRS, Paris 1953)

12 II ne s'agit pas d'architecture «parallèle» (traitement des impulsions mot par mot) par opposition à «sérielle» (bit par bit), toutes deux classiques dans les "machines de von Neumann".

13. Pour une description technique plus détaillée de la machine de Couffignal, voir par exemple Couffignal, L. «Traits caractéristiques de la Calculatrice de la Machine à calculer universelle de l'Institut Biaise-Pascal». Proc. 2nd Symp. Large Scale Digital Calculating Machine-ry, 13-16 Sept. 1949. Annals of the Computation Laboratory of Harvard University, Vo. 26. Harvard Univ. Press. Cambridge, Ma, 1951. et Mounier-Kuhn, P. E. «The Institut Biaise Pascal : from Couffi-gnal's Machine to Artificial Intelligence» Annals Hist. Comput. vol. 11/ 4, décembre 1989.

14. Malavard, L. 1988. «Le calcul analogique au CNRS». Actes du colloque sur l'histoire de l'informatique en France. Grenoble, Phi­lippe Chatelin éd., INPG.

15. Floquet, J . «Procédé de calcul des forces aérodynamiques générali­sées à l'aide de machines à cartes perforées», Publications de l'ONE-RA n° 19, 1949 et Basile, R. & Janin, R. «Résolution de systèmes d'équations linéaires algébriques et inversions de matrices au moyen de machines de mécanographie comptable», Publications de l'ONERA n° 28, 1949

16. Carteron, J . 1988. «Naissance du calcul électronique en France». Actes du colloque sur l'histoire de l'informatique en France. Gre­noble, Philippe Chatelin éd., INPG, p. 104.

Cette machine construite au CNET est décrite dans Rose, J . «Machine à calculer permettant la détermination de fonctions périodiques et leur introduction dans des calculs - Applications à la sommation de séries de Fourier et au calcul des facteurs de structure en cristallographie» Journal des Recherches du CNRS, n° 7 (1948) pp. 139-144. Elle a fait l'objet d'un brevet déposé par le CNRS le 15 mai 1948, n° provisoire 555 034.

17. Samain, J . Filmorex, une nouvelle technique de classement et de sélection des documents et des informations, 1952 et IGA G. Dupoux Étude sur l'ensemble Filmorex destiné à réaliser une sélection documentaire au Centre de documentation des cons­tructions et armes navales (document STCAN-DOC 939 174, 1, octobre 1956).

18. Bashe, C.J. et al. 1986. IBM's Early Computers, MIT Press.

19. Brevet Gr. 12 - Cl. 4. n° 980.241, demandé le 27 juillet 1942 à Mon-tauban, délivré le 27 décembre 1950.

20. Voir Campbell-Kelly, M. (Mai 1988). «ICL Company Research and De­velopment: 1959-1968». ICL Technical Journal 6.

21. La prudence des "mécanographes" à se convertir à l'informatique s'explique aussi pour des raisons économiques. Les machines à cartes perforées «classiques» continueront à engendrer la majeure partie du chiffre d'affaires d'IBM jusqu'en 1962 ; à partir de cette date seulement, l'IBM 1401 remplace la tabulatrice 407 dans le rôle de bestseller de la société.

22. Les dates indiquées sont celles de la livraison ou de la mise en service des machines, ce qui constitue le critère de datation le plus rigoureux.

23. Documents n° 144, Octobre 1958. La CAB 2124 fut détruite à la fin de 1958 lorsqu'un incendie se déclara à l'étage inférieur. Cet ordinateur était équipé d'un «Numérographe», sorte d'imprimante rapide.

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24. Selon Cuthbert C. Hurd, ancien directeur du département «sciences appliquées» d'IBM, l'analyse du marché potentiel de l'IBM 650 effectuée au printemps 1953 prévoyait la possibilité de diffuser 250 exemplaires de cette machine, malgré le scepticisme des départements «ventes» et product planning- d'IBM (Hurd, C. C, «Early IBM Computers - Edited Testimony* Annals of the History of Computing, vol. 3/2, avril 1981 p. 172).

25. Enquête AFCALTI, citée dans hi Note confidentielle sur les calcu­latrices électroniques Commissariat général au Plan, Paris 1963.

26. Notamment Raymond, F.H. L'Automatique des Informations. Masson Paris 1957,

Naslin, P. Principes des calculatrices numériques automatiques.

Dunod, Paris 1958

Kuntzmann, J . Méthodes numériques - Interpolation - Dérivées.

Dunod, Paris 1959.

Demarne, P., M. Rouquerol Les Ordinateurs. PUF, Paris 1959.

Boucher, H. Organisation et fonctionnement des machines arith­

métiques. Masson, Paris I960

Pelegrin, M., J.C. Gille, P. Decaulne. Méthodes modernes d'études des systèmes asservis, Dunod, Paris I960 .

27. Le CSRT (Conseil supérieur de la recherche scientifique et techni­que), instance consultative créée sous le gouvernement Mendès-France et présidée par Henri Longchambon, est remplacé en 1959 par la DGRST (Délégation générale à la recherche scientifique et technique) qui dispose de pouvoirs beaucoup plus étendus. Voir Prost, A. «Les origines de la politique de recherche en France (1939-1958)» Cahiers pour l'Histoire du CNRS n° 1, Editions du CNRS.

28. Rapport d'information sur les carrières de l'électronique pré­senté le 11 février 1957 : «L'électronique se caractérise par un change­ment rapide des ordres de grandeur à tous points de vue (...) Pour les machines à calculer, [en termes de] personnels et d'investissements (...) un coefficient de 100 est attendu entre 1955 et 1965.» (p. 4).

29. Ferranti Mk 1 et Univac.

30. Même l'Allemagne, malgré les travaux pionniers de Zuse, doit attendre pour produire ses premiers ordinateurs que soient levées les restrictions imposées par les Alliés à la production de matériel de haute technologie en RFA.

31. Il faut cependant noter qu'en matière de calcul analogique la Direction des études et fabrications d'armement française a aussi bénéficié des progrès réalisés en Allemagne pendant la guerre, notam­ment à Peenemünde. Voir C n e Coufleau «Le simulateur électronique du mouvement des engins guidés» Colloque international du CNRS Les machines à calculer et la pensée humaine (Editions du CNRS, Paris 1953)

32. Aspray, W. «International diffusion of computer technology, 1945-1955». Annals Hist. Comput. vol.8/4, Octobre 1986.

33. voir Lundstrom, D. E. 1987 A Few Good Men from Univac, Cambridge, Ma., MIT Press series in the History of Computing. Ce livre contient un excellent chapitre «On Technology and Geography».

34. Par exemple:

- Colloque international du CNRS Les machines à calculer et la pensée humaine, Paris 1951.

- Congrès du National Physical Laboratory britannique en mars 1953, auquel assistent trois ingénieurs de la SEA : J . Albin, R. Dussine et P. Namian (NPL -Automatic Digital Computation, Her Majesty's statio­nery office, Londres 1954)

- Congrès sur les procédés d'enregistrement sonore et leur extension à l'enregistrement des informations, Paris 1954. «Lors de ma mission aux

USA pour le compte de Sadir-Carpentier, j'avais rencontré Rajchmann qui était l'adjoint de Zworykin alors patron des RCA Laboratories à Prin­ceton (N.J.) et j'eus la bonne fortune de pouvoir le faire inviter à donner une conférence aux «radioélectriciens» français sur les mémoires à tores de ferrites. Elle contribua, je pense, à faire que l'idée prit place dans la communauté gauloise et dans l'arsenal du possible" (F. H. Raymond «La SEA : une aventure qui finit mal. Actes du colloque sur l'histoire de l'informatique en France. Grenoble, Philippe Chatelin éd., INPG 1988).

35. Wilkes, Gill, Wheeler The Preparation of Programs for an elec­tronic digital Computer (première édition Cambridge, Addison-Wesley. Rééd. MIT reprint series for the History of Computing, 1985)

36. Peres, J . , L. Brillouin, L. Couffignal «Les grandes machines mathématiques», Annales des Télécommunications, 2, Paris 1947.

3 7. Il faudrait plusieurs pages pour énumérer leurs articles publiés dans L'Onde électrique, Automatisme, Chiffres, RFTI, Ingénieurs et Techniciens, Mémorial de l'Artillerie Française et dans des revues étrangères.

38. Quelques CAB 500 ont été vendues en URSS, en Chine, et la licence fut achetée par une compagnie japonaise.

39. Voir Mounier-Kuhn, P. E. «Bull - A Worldwide Company Born in Europe» Annals Hist. Comput. vol. 11/4, décembre 1989, et Vernay, J . «IBM France» Annals Hist. Comput. vol. 11/4, décembre 1989.