23
ACPAP 2015 4ème conférence annuelle Gestion publique des risques et crises telluriques : quand l’administration rencontre les sciences de la Terre 1 Maud H. Devès Institut de Physique du Globe de Paris, CNRS UMR 7154 – Sorbonne Paris Cité Sciences Po Paris Thomas Ribémont CERAL, Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité ICEE, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle CEPEL, Université de Montpellier 1 - Introduction Qu’il s’agisse d’aléas technologiques ou telluriques, la gestion des risques est un enjeu primordial des politiques publiques contemporaines . Gérer le risque requiert en 2 premier lieu d’identifier les aléas et de les caractériser ; au moins dans une certaine mesure. Pour cette raison, la gestion des risques s’effectue nécessairement à l’articulation entre recherche, expertise scientifique et décision publique . Ceci a des incidences à la 3 fois sur la manière dont s’opère une politique publique mais aussi sur la manière dont les scientifiques travaillent. Nous avons choisi de nous intéresser à deux cas de gestion de crise, associées à l’aléa volcanique : l’éruption phréatique de la Soufrière de Guadeloupe en 1976, et l’éruption magmatique de Soufrière Hills de Montserrat (1995 - en cours). Ces deux crises - à l’instar des travaux de Francis Chateauraynaud et Didier Torny sur l’amiante, le nucléaire et les maladies à prions - éclairent, en creux, deux scenarii possibles de circulations des 4 savoirs et de controverse au sein de la communauté de recherche elle-même, et entre les 5 chercheurs et les décideurs. 1 Cet article s’appuie sur des recherches en cours dans le cadre du programme SPC Politiques de la Terre, qui 1 ont fait l’objet d’une présentation préliminaire lors du colloque CoSPOF en février 2015. Beck, U. La société des risques. 2 Voir par exemple sur le lien entre expertise et décision publique, Lascoumes, Pierre (dossier coordonné par), 3 « Expertise et action publique » Problèmes politiques et sociaux, n° 912, Paris, La Documentation française, mais 2005. Chateauraynaud, F.; Torny, D., Les sombres précurseurs. Une sociologie de l’alerte et du risque, Paris, 4 EHESS, 1999. Sur la circulation des savoirs, voir notamment Latour, B.; Woolgar, S., La vie de laboratoire : la production 5 des faits scientifiques, traduit de l’anglais par M. Biezunski, Paris, La Découverte, 2006 (1ère éd. anglaise, 1986, 1ère éd. française, 1988).

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ACPAP 2015 4ème conférence annuelle

Gestion publique des risques et crises telluriques  : quand

l’administration rencontre les sciences de la Terre 1

Maud H. Devès Institut de Physique du Globe de Paris, CNRS UMR 7154 – Sorbonne Paris Cité Sciences Po Paris Thomas Ribémont CERAL, Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité ICEE, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle CEPEL, Université de Montpellier 1 !- !Introduction

!Qu’il s’agisse d’aléas technologiques ou telluriques, la gestion des risques est un

enjeu primordial des politiques publiques contemporaines . Gérer le risque requiert en 2

premier lieu d’identifier les aléas et de les caractériser  ; au moins dans une certaine

mesure. Pour cette raison, la gestion des risques s’effectue nécessairement à l’articulation

entre recherche, expertise scientifique et décision publique . Ceci a des incidences à la 3

fois sur la manière dont s’opère une politique publique mais aussi sur la manière dont les

scientifiques travaillent.

Nous avons choisi de nous intéresser à deux cas de gestion de crise, associées à

l’aléa volcanique : l’éruption phréatique de la Soufrière de Guadeloupe en 1976, et

l’éruption magmatique de Soufrière Hills de Montserrat (1995 - en cours). Ces deux crises -

à l’instar des travaux de Francis Chateauraynaud et Didier Torny sur l’amiante, le nucléaire

et les maladies à prions - éclairent, en creux, deux scenarii possibles de circulations des 4

savoirs et de controverse au sein de la communauté de recherche elle-même, et entre les 5

chercheurs et les décideurs.

" 1

Cet article s’appuie sur des recherches en cours dans le cadre du programme SPC Politiques de la Terre, qui 1

ont fait l’objet d’une présentation préliminaire lors du colloque CoSPOF en février 2015.

Beck, U. La société des risques. 2

Voir par exemple sur le lien entre expertise et décision publique, Lascoumes, Pierre (dossier coordonné par), 3

« Expertise et action publique » Problèmes politiques et sociaux, n° 912, Paris, La Documentation française,

mais 2005.

Chateauraynaud, F.  ; Torny, D., Les sombres précurseurs. Une sociologie de l’alerte et du risque, Paris, 4

EHESS, 1999.

Sur la circulation des savoirs, voir notamment Latour, B. ; Woolgar, S., La vie de laboratoire : la production 5

des faits scientifiques, traduit de l’anglais par M. Biezunski, Paris, La Découverte, 2006 (1ère éd. anglaise, 1986, 1ère éd. française, 1988).

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La «  crise de 76  » a en effet donné lieu à d’intenses polémiques et est restée

célèbre comme l’exemple à ne pas suivre dans la gestion des crises , , , . Les vicissitudes 6 7 8 9

rencontrées alors par les différents acteurs rappellent notamment combien les frontières

entre recherche, expertise et décision peuvent devenir floues en contexte d’incertitude.

Les scientifiques ne réussirent pas à s’entendre et une violente polémique éclata entre les

experts, rendant d’autant plus complexe pour l’administration et les élus la gestion de la

crise. Largement relayée par les médias, cette controverse vint semer un trouble durable

conduisant la population à douter de la pertinence des interprétations proposées par les

scientifiques et des décisions prises par les autorités. Fort du retour d’expérience de la

« crise de 76 », la crise de Montserrat donna lieu à une gestion de crise très différente. On

s’appuya notamment sur l’analyse structurée du jugement des experts et sur des outils

probabilistes de quantification de l'incertitude et d'aide à la décision . 10

La comparaison entre ces deux crises permet ainsi de mettre en évidence le rôle clé

joué par l’introduction des instruments probabilistes dans l’évolution des controverses.

Notre analyse comparée s’appuie sur un regard croisé associant des chercheurs en

sciences de la Terre et en science politique. L’hybridation de ces « disciplines », avec leurs

ensembles différents de culture, de savoirs et de savoir-faire, doit permettre de dépasser

la logique duale qui oppose traditionnellement l’Homme à la Nature, et les Sciences

Humaines et Sociales aux Sciences de la Nature. Il s’agit donc de prendre au sérieux l’idée

" 2

Stieltjes, L., Au-dessous du volcan. Volcans et séismes, Aléas et Enjeux, n°9, 2004.6

Fiske, R., « Volcanologists, journalists, and the concerned local public: a tale of two crises in the eastern 7

Caribbean », in Boyd, F. (ed.), Explosive Volcanism: Inception, Evolution and hazards. Studies in Geophysics, National Academy Press, p. 170–176, 1984.

Lepointe, E., Essai sur la réponse sociale à une catastrope : La Soufrière de Guadeloupe en 1976, Thèse 8

Doctorat d’Etat, Université Paris 10 Nanterre, vol. 1 (p. 1-445) et vol. 2 (p. 447-975), 1984 ; et Lepointe, E., « Le réveil du volcan de la Soufriére en 1976 : la population guadeloupéenne à l’épreuve du danger », in Yacou, A. (ed.), Les catastrophes naturelles aux Antilles – D’une Soufriére à l’autre, CERC Université Antilles et de la Guyane, Editions Karthala, Paris, p. 15-71, 1999.

Komorowski, J.-C. ; Beauducel, F. ; Devès, M. ; Dessert, C. ; de Chabalier, J.-B., and the CASAVA research 9

consortium, Failed magmatic eruptions, uncertain precursors and false alarms: lessons learned from the 1976-77 La Soufrière of Guadeloupe volcano (French Antilles) crisis, Workshop of the Cost Action IS1304 “Expert Judgment Network: Bridging the Gap Between Scientific Uncertainty and Evidence-Based Decision Making”: Science, uncertainty and decision making in the mitigation of natural risks, Dipartimento della Protezione Civile, Roma, October 8-10, 2014, abstract, http://www.protezionecivile.gov.it/resources/cms/documents/Abstracts_workshop_8_10ottobre2014.pdf; http://www.expertsinuncertainty.net/, 2014.

On pourra lire par exemple : Aspinall, W., “A route to more tractable expert advice”, Nature, vol. 463, p. 10

294-295, 2010 ; Aspinall, W., ; Cooke, R., “Expert Elicitation and Judgement”, in Hill, L. ; Rougier, J.-C. ; Sparks, RSJ. (eds.), Risk and Uncertainty assessment in natural Hazards, Cambridge University Press, p. 64-99, 2013  ; Aspinall, W. ; Blong, R., Chapter 70, “Volcanic risk assessment”, in  Sigurdsson et al. (eds.), The Encyclopedia of volcanoes, Elsevier, in press, 2015 ; Hincks, T.K. ; Komorowski, J.-C. ; Sparks, R.S.J. ; Aspinall, W., “Retrospective analysis of uncertain eruption precursors at La Soufrière volcano, Guadeloupe, 1975–77: volcanic hazard assessment using a Bayesian Belief Network approach”, Journal of Applied Volcanology, 2014, 3:3  ; 10.1186/2191-5040-3-3  ; http://www.appliedvolc.com/content/3/1/3 ; Woo, G., Calculating catastrophe, Imperial College Press, London, p. 1-355, 2011.

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selon laquelle l’approche interdisciplinaire est susceptible de contribuer à une meilleure

compréhension de l’articulation entre recherche, expertise et décision . 11

En terme de méthode, nous nous appuyons sur une analyse de la littérature en

sciences de la Terre et en sciences politiques (analyse de l’action publique), et sur l’étude

des nombreux documents d’archives récoltés par les équipes de l’Institut Physique du

Globe de Paris (IPGP) à propos de la «  crise de 76  » (rapports de l’observatoire de la

Guadeloupe, communiqués de presse, articles scientifiques, etc.). Pour ce qui est de la

« crise de Montserrat », nous nous appuyons principalement sur la revue de la littérature,

les rapports produits par les experts dans la gestion de cette crise ainsi que des

observations participantes effectuées par des chercheurs de l’IPGP.

Cet article s’articule en deux temps. Une première partie revient sur certains

concepts clés de l’analyse de l’action publique : l’expertise, les notions de controverse et

d’instrument. Une seconde partie explore l’utilisation de ces concepts à partir des deux

cas d’études précités. !!

" 3

Plusieurs travaux existent sur ces questions  : voir par exemple, Dumoulin, L., L’expert en justice : De 11

l’invention d’une figure à ses usages, Paris, Economica, collection « Etudes politiques », 2007 ; Trépos, J.-Y., Sociologie de l’expertise, Paris, PUF, 1996  ; Fischer, F., Technocracy and the Politics of Expertise, London, Sage, 1990.

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I. Quel cadre conceptuel pour aborder l’articulation entre recherche en

sciences de la Terre, expertise et décision ?

!1) Une approche par la notion d’expertise

!La question de la prise en compte politique des risques telluriques renvoie au poids

croissant de l’expertise dans le champ de la gestion des risques et de l’action publique. On

peut certes souligner que la notion d’expertise fait l’objet, au sein même des disciplines

scientifiques, «  d’affrontements symboliques pour la définition de l’expertise légitime

comme pour la qualité d’expert » , qui ne vont pas sans poser de difficultés théoriques. 12

Au demeurant, les controverses scientifiques entourant le concept d’expertise, loin

d’invalider sa portée heuristique, attestent au contraire le fait que l’intervention savante

dans le débat public peut avoir des effets sur les conditions mêmes de l’activité

scientifique ou sur la perception que les acteurs du champ scientifique ont de leurs

pratiques. Les usages croisés de la science, que mettent en lumière les expertises, ont des

résonances dans le champ scientifique et peuvent, comme le montre, par exemple, le cas

des sciences sociales , avoir un impact direct sur les logiques de recomposition des 13

secteurs de recherche, suscitant, en retour, de vives polémiques internes au monde

savant. Sous cet angle, les tensions autour de la catégorie d’expertise font davantage

office de révélateur des reconfigurations affectant le champ scientifique qu’ils ne récusent

l’intérêt de la notion.

La sociologie propose différentes approches de l’expertise qui, si elles se recoupent

le plus souvent, peuvent être distinguées en fonction des caractéristiques qu’elles mettent

en avant.

Dans une problématisation courante, proche de celle développée par la sociologie

des professions, les notions d’  «  expertise  » ou d’  «  expert  » renvoient tout d’abord à

celles de « compétence » ou de « compétent », insistant par là même sur la détention et

l’utilisation, par l’expert, d’un savoir et d’un savoir-faire spécifiques . La compétence, 14

dans ce cadre, se fonde sur un savoir et un savoir-faire que l’on peut rattacher à un corpus

savant authentifié et semble largement légitimée par l’appartenance de l’expert à une

communauté scientifique reconnue, cette appartenance étant elle-même, la plupart du

" 4

Damamme, D., «  Michel Crozier, intellectuel, sociologue, expert  », Damamme, D.  ; Ribémont, T. (dir.), 12

Expertise et engagement politique, Paris, l’Harmattan, 2001, p. 95.

Dans une perspective proche de celle développée par Pierre Bourdieu dans Homo Academicus (Paris, Ed. de 13

Minuit, 1984), voir par exemple, Ribémont, T., L’expertise historienne dans la France contemporaine  ; La fonction politique de l’histoire en question, thèse de doctorat, sous la dir. de Dominique Damamme, Université Paris 9, 2006.

Voir sur ce point, Sarfatti Larson, M., « A propos des professionnels et des experts, ou comment il peut être 14

utile d’essayer de tout dire », Sociologie et sociétés, vol. XX, n° 2, octobre 1988, p. 23-40.

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temps, associée à des instruments d’analyse et de mesure, à la mise en avant d’une

méthode, voire à des grades, des titres ou au soutien des pairs. Ainsi, rappelle Corinne

Delmas, bien que «  la compétence scientifique constitue le droit d’entrée à payer pour

accéder à un rôle nouveau, l’autorité des propositions que le chercheur est amené à

formuler en tant qu’expert reste liée à un statut scientifique qu’il doit s’efforcer de

préserver » . 15

En insistant sur la compétence, cette définition a cependant trop tendance à

limiter l’expertise à une simple performance technique. Or, s’il n’est pas inutile de

souligner son caractère technique récurrent, encore faut-il ne pas négliger sa possible

portée normative. Jean-Yves Trépos apparentait ainsi l’acte d’expertise à un jugement , 16

ce qui inviterait, selon Dominique Damamme, « à ne pas limiter l’expertise au seul registre

du technique mais à l’ouvrir à la sphère éthique et politique, et à réintégrer, dans la

caractérisation de l’activité d’expertise, les fonctions sociales ou politiques qu’elle est

susceptible de remplir, et son éventuelle visée réformatrice » . 17

Le second registre dans lequel s’inscrivent les définitions de l’expertise insiste,

quant à lui, sur la préexistence d’une demande. Sous cet angle, on peut, à la suite de

Robert Castel, qualifier l’expertise de « relation de service » dans laquelle l’expert serait

«  un pourvoyeur d’informations qui, à partir de son savoir propre, aide l’institution

demanderesse à accomplir ses propres finalités  » , d’où l’utilisation récurrente par 18

l’expert, ou par celui qui veut se faire reconnaître comme tel, d’une «  rhétorique du

besoin  ». L’expertise recouvrirait alors, selon Christiane Restier-Melleray, les

caractéristiques suivantes : un individu ou un groupe d’individus extérieur et indépendant

de l’institution demanderesse, ne tenant pas de lui-même sa légitimité, bien qu’il soit, en

principe, choisi au regard de son savoir-faire (compétence spécifique), et dont le rôle est

de formuler un jugement ou une aide à la décision . Une telle définition, on le voit, a le 19

mérite d’insister sur les «  situations d’expertise  » et sur le versant utilitaire de l’acte

d’expertise, mettant ainsi l’accent sur les rapports qui se nouent, dans ce cadre, entre

« science » et « action ».

Toutefois, la notion de demande peut se révéler problématique. On note en effet

que la commande, entendue comme un mandat formel, ne se retrouve pas de façon

systématique comme l’attestent les cas de contre expertise et d’expertise alternative, non

" 5

Delmas, Corinne, « Pour une définition non positiviste de l’expertise », in Damamme, D. ; Ribémont, T.(dir.), 15

op.cit., p. 18.

Trépos, Jean-Yves, Sociologie de l’expertise, Paris, Presses Universitaires de France, 1996.16

Damamme, Dominique, «  Michel Crozier, intellectuel, sociologue, expert  », in Damamme, Dominique  ; 17

Ribémont, Thomas (dir.), op. cit., p.98.

Castel, R., « L’expert mandaté et l’expert instituant », in CRESAL, Situations d’expertise et socialisation des 18

savoirs, CRESAL, 1985, p. 85.

Restier-Melleray, C., « Experts et expertise scientifique. Le cas de la France », Revue française de science 19

politique, vol. 40, n° 4, 1990, p. 546-585.

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commandées par des institutions. De surcroît, les travaux de Robert Castel ont mis en

lumière des situations pour lesquelles la demande n’apparaît pas clairement ou s’avère

inexistante. Le chercheur peut alors se constituer, ou, pour reprendre les termes de Robert

Castel, s’«  auto-instituer  » en porte-parole d’une demande sociale diffuse, voire, à la

limite, « invente un besoin social » . 20

C’est pourquoi, si ces modèles gardent de leur pertinence et peuvent être mobilisés

dans notre analyse, il est apparu nécessaire de privilégier une approche insistant plus

spécifiquement sur l’implication politique et normative de la notion d’expertise. On

entendra donc par expertise une production de savoir plus ou moins hétéronome en

fonction des cas considérés, caractérisée par la mobilisation de compétences

professionnelles spécifiques, et investie dans un processus politique . Pour reprendre la 21

définition proposée par Philippe Roqueplo , on considérera in fine l’expertise comme la 22

démarche conduisant à élaborer un énoncé, à partir des savoirs et des savoir-faire en

circulation dans les communautés de recherche, et visant à répondre à une question posée

par un tiers à un acteur jugé compétent pour prendre une décision « en connaissance de

cause ». Une telle définition permet d’articuler simplement les différentes dimensions de

l’expertise. Elle pose la dimension de compétence (« connaissance de cause »), la question

de la légitimité («  acteur jugé compétent  ») sans en exclure la dimension politique

(« décision »). Certes, elle suppose qu’une demande soit à l’origine de l’expertise. Pour

autant on adoptera ici une acception large de la notion de demande incluant, dans le cas

d’une expertise auto-instituée, l’idée de répondre à une demande latente.

Notons que les chercheurs, dans une situation d’expertise, sont soumis à des

logiques qui peuvent paraître contradictoires . D’une part, ils doivent s’appuyer sur leur 23

démarche de recherche fondamentale qui conduit à la formation de discours spécialisés.

D’autre part, ils doivent veiller à produire un récit englobant construit dans une

perspective d’aide à la décision. Dans cette configuration, comme le rappelle Pierre-

Benoît Joly, « si les scientifiques s’en tiennent à l’énoncé des connaissances certifiées, ils

ne répondent pas à la question posée par le politique. Inexorablement, l’expertise suppose

de dépasser les limites du savoir scientifique » . On comprend dès lors que, parce qu’elle 24

suppose un déplacement des frontières, l’expertise puisse donner à voir des controverses

" 6

Castel, R., «  Savoirs d’expertise et production de normes  », in Chazel, F., Commaille, J. (dir.), Normes 20

juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, 1991, p. 177-189, voir aussi sur ce point, Memmi, D., Les gardiens du corps. Dix ans de magistère bioéthique, Paris, Ed. de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1996.

On se rapproche ici de la perspective développée par Erik Neveu (Sociologie des mouvements sociaux, Paris, 21

La Découverte, 2000) et Michel Offerlé (Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1994).

Roqueplo, P., Entre savoir et decision, l’expertise scientifique, Paris, Ed. de l’INRA, 1997.22

Devès, M.H. « La question du réel : de la science à la catastrophe » In Traumas et catastrophes aujourd’hui. 23

Ed. SPC-Paris Diderot. In press.

Joly, Pierre-Benoît, « L’expertise scientifique dans l’espace public. Réflexions à partir de l’expérience 24

française », réalités industrielles, mai 2007, p. 24.

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au sein de la communauté académique comme au sein des groupes d’experts. La notion de

controverse est ainsi devenue centrale dans l’analyse de l’action publique pour

comprendre la construction des problèmes publics mais aussi l’usage des savoirs et des

savoir-faire à des fins de décision politique. !2) Controverses : le rôle des instruments

!On peut définir les controverses avec Pierre Lascoumes de la manière suivante  :

« des séquences de discussion et d’affrontement entre des points de vue divergents sur un

sujet. Elles sont aujourd’hui considérées comme des temps d’exploration et de

stabilisation des enjeux durant lesquels la diversité des dimensions, la pluralité des acteurs

engagés et des voies d’action possibles sont envisagées avant la clôture politique » . 25

Dans cette perspective qui s’inspire de l’approche développée en sociologie des

sciences par Michel Callon , on peut donc considérer que les controverses induisent trois 26

types essentiels de processus que rappellent Patrick Le Galès et Pierre Lascoumes :

- La controverse tend à mettre en évidence la diversité des représentations propres à

un enjeu ainsi que les acteurs concernés par cet enjeu ;

- Elle constitue aussi une phase d’apprentissage contribuant à la fois à enrichir la

définition de l’enjeu mais aussi à redéfinir les positions des acteurs à l’égard de

celui-ci. Ainsi, « les interactions entre spécialistes, profanes concernés et décideurs

quand elles sont approfondies (via des procédures de concertation) peuvent

renouveler le cadre cognitif [i.e. les représentations] des uns et des autres

concernant l’enjeu » ;

- Enfin, la controverse peut contribuer à stabiliser les représentations de l’enjeu,

«  c’est-à-dire à la fois la production d’accords entre groupes concurrents sur la

diversité des dimensions à prendre en compte, mais aussi la stabilisation des

identités d’action des acteurs et des alliances pouvant se nouer » . 27

Ce processus de stabilisation peut passer par la mise en œuvre d’instruments, c’est-

à-dire de techniques et de dispositifs (eux-mêmes dépendant des savoirs et des savoir-faire

en circulation dans un champ en un temps donné) qui «  permettent de matérialiser et

d’opérationnaliser l’action gouvernementale » . De tels instruments peuvent faciliter le 28

dépassement des controverses pour la prise de décision – bien qu’ils n’évacuent pas les

incertitudes propres à la complexité des problèmes traités et à la démarche scientifique.

" 7

Lascoumes, P., « Controverse », in Boussaguet, L. ; Jacquot, S. ; Ravinet, P. (dir.), Dictionnaire des politiques 25

publiques, Paris, Presses de Sceinces Po., 2006, p. 126.

Callon, M., Pour une sociologie des controverses technologiques, Fundamenciae, 2, 3/4, p. 381-399.26

Le Galès, P. ; Lascoumes, P. Sociologie de l’action publique, Paris, Armand Colin, 2009, p. 82. 27

Le Galès, P. ; Lascoumes, P., « Instrument », in Boussaguet, L. et al. (dir.), op. cit., p. 268.28

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De ce point de vue, la mise en œuvre d’instruments au sein de groupes d’experts

n’est pas neutre. Comme l’a montré Alain Desrosières à propos de l’outil statistique , les 29

instruments ne se réduisent pas à leur seule dimension technique et sont susceptibles de

produire des effets indépendamment des objectifs qui leur sont assignés, aussi bien dans le

champ politique que dans le champ scientifique.

On comprend dès lors que l’intérêt porté aux instruments et aux notions

d’expertise et de controverses permette d’interroger la relation «  classique  » entre le

savant et le politique du point de vue de l’action publique. Ils rendent aussi possible une

analyse de l’évolution des disciplines scientifiques elles-mêmes, dans la mesure où – et

cela semble très marqué dans le cas des sciences sociales – le degré d’immixtion du champ

politique dans le champ scientifique influe directement sur la capacité d’une discipline à

définir son langage et ses problématiques . Une conjoncture politique critique et/ou une 30

situation d’expertise peuvent notamment révéler, au sein de corporations disciplinaires

(pourtant homogénéisées par des intérêts corporatistes et par des contraintes

épistémologiques internes liées à leur propre pratique), l’existence de représentations

divergentes quant à la relation qui s’établit entre le savant et le politique. Comme l’a

montré Pierre Bourdieu, dans les périodes de crise, les « ajustements routiniers » n’allant

plus de soi, la réflexivité des acteurs sur leurs pratiques se trouve en effet clairement

sollicitée . 31

!II. Etude comparée des crises volcaniques de la Soufrière de Guadeloupe et de

la Soufrière Hills de Montserrat

Depuis les années 1990, avec la montée des préoccupations environnementales et

l’avènement du principe de précaution, le risque de catastrophe est devenu un enjeu

important de l’action publique , . Dans ce contexte, les chercheurs en sciences de la 32 33

Terre sont de plus en plus sollicités, par les autorités comme par le grand public, pour

intervenir à titre d’experts. Ceci ne se fait pas sans difficultés, car, on l’a dit, la situation

" 8

Desrosières, A., La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 29

1993.

Voir Bourdieu, P., « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2-3, juin 1976, p. 30

88-104.

Bourdieu, P., en collaboration avec Loïc Wacquant, Réponses, Paris, Le Seuil, 1992, p. 107. Voir aussi, Dobry, 31

M., Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de Sciences Po, 1992.

Borraz, O., Les politiques du Risque, Paris, Presses de Sciences Po.,2008.32

Le Galès, P. ; Lascoumes, P. (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po., 2004.33

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d’expertise soumet ces chercheurs à des contraintes bien différentes des conditions de

recherche auxquelles ils sont habitués . 34

!La principale difficulté réside en ce qu’il existe des différences de savoirs et de

savoir-faire, de points de vue voire d’école de pensée, au sein des communautés de

recherche. Ces divergences jouent un rôle clé dans la dynamique de recherche car elles

forcent les scientifiques à vérifier sans cesse l’efficacité des énoncés qu’ils proposent en

regard des énoncés proposés par d’autres . La controverse est motrice en ce sens qu’elle 35

fait émerger une forme d’objectivité collective. Les énoncés viables sont ceux qui sont

acceptés par la communauté des chercheurs à l’issue d’un plus ou moins vaste chantier de

remise en cause . Cependant, ce processus d’objectivation, de reconnaissance et 36

d’acceptation prend du temps. Le collège des experts est immanquablement confronté à la

nécessité de faire la synthèse de connaissances sur lesquelles il n’existe pas (encore) de

consensus lorsqu’il élabore des éléments d’appréciation pour rendre un avis sur une

problématique donnée. Sur ces points, les avis rendus par différents experts peuvent être

différents, voire divergents. La construction d’un « récit » commun est difficile car elle est

soumise à des logiques qui peuvent paraitre contradictoires . Le « récit » des experts sera 37

d’autant plus « objectif » qu’il saura rendre visible la part de controverse scientifique liée

au problème traité, mais il doit rester suffisamment simple et cohérent pour permettre

une bonne appropriation des résultats. L’exercice est d’autant plus complexe que les

questions adressées aux chercheurs ne sont pas articulées de manière scientifique. En

général, elles ne correspondent pas au découpage disciplinaire (dont les frontières se

déplacent et se transforment dans un rapport dynamique au jeu des controverses) et

requiert un travail de « traduction », lequel introduit également des biais que les experts

" 9

De ce point de vue, les polémiques qui ont suivi le séisme italien de L’Aquila (2009) sont révélatrices. On 34

pourra lire par exemple Kerr, R. A., “After the quake, in search of the science - or even a good prediction” Science, 2010, 324(5925), 322-322 ou, plus récemment, Alexander, D. E., “The L'Aquila Earthquake of 6 April 2009 and Italian Government Policy on Disaster Response”, Journal of Natural Resources Policy Research, 2010, 2:4, 325-342.

On pourra lire par exemple Latour, B., «  Les «Vues» de l’Esprit : Une introduction à l’anthropologie des 35

sciences et des techniques  », Culture Technique, 1985, n°14, p. 4-30. Voir aussi Latour, B.  ; de Noblet J., Pestre, D. (1995), «  Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 50e année, n°3, p. 487-522.

La méthodologie adoptée dans ce chantier de remise en cause est débattue par les épistémologues. Karl 36

Popper propose une méthodologie dite de la falsification (Popper, K., La logique de la découverte scientifique,  traduit de l’Anglais par Nicole Thyssen-Rutten et Philippe Devaux, Paris, Payot). Imre Lakatos souligne l’importance de la confirmation par l’expérience (Lakatos, I., Preuves et réfutations  : essai sur la logique de la découverte mathématique, Paris, Hermann, 1973). Feyerabend critique l’idée même de méthodologie (Feyerabend, P. Contre la méthode, trad. B. Jurdant & A. Schlumberger, Paris, Seuil, 1975). Kuhn souligne le rôle joué par la bataille politique au sein des communautés de recherche (Kuhn, T.S. La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 2008). Tous s’accordent cependant sur le fait que ce chantier de remise en cause, de reconnaissance et d’acceptation s’inscrit dans le temps long – et dépasse le cadre de la gestion de crise.

Devès, M.H. « La question du réel : de la science à la catastrophe », in Traumas et catastrophes aujourd’hui, 37

Ed. SPC-Paris Diderot, in press.

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ACPAP 2015 4ème conférence annuelle

doivent prendre en compte. Le problème soumis à l’expertise doit être redécoupé en

fonction de l’état des savoirs et des savoir-faire mobilisables en un temps donné, suivant

le découpage disciplinaire existant, afin d’avoir une chance de pouvoir y apporter une

réponse scientifique, dans une gamme d’incertitude raisonnable.

De fait, les situations d’expertise produisent des configurations au sein desquelles

les controverses internes au champ scientifique peuvent facilement trouver à s’exporter.

Dans certains cas cependant, comme l’illustrent nos deux cas d’étude, les chercheurs

réussissent à dépasser leurs divergences, notamment grâce à l’utilisation d’instruments

communs permettant d’expliciter les incertitudes corrélatives à la subjectivité de chacun

et à l’incertitude de la situation.

Les volcans de l’arc des Petites Antilles (Figure 1) représentent une menace

particulièrement dangereuse en raison de leur capacité à produire une grande diversité

d’éruptions. Les éruptions explosives pliniennes produisent une colonne de gaz et de 38

particules solides pouvant atteindre 15 à 40 km de hauteur. Celles-ci retombent sous forme

d’une pluie de ponces et de particules fines sur une grande surface. Lorsque la colonne est

trop dense, elle s’effondre sur elle-même générant des écoulements pyroclastiques (i.e.

nuées ardentes), avalanches de gaz et de particules à haute température qui s’épanchent

sur les flancs des volcans sur de longues distances. Les éruptions à croissance de dôme de

lave (e.g. Soufrière Hills, Montserrat, 1995-en cours) sont quant à elle particulièrement

instables et génèrent de nombreux écoulements pyroclastiques (Figure3a  ; 3b). Les

éruptions avec écroulement partiel d’un flanc du volcan produisent pour leur part une

avalanche de débris pouvant atteindre plusieurs kilomètres de distance, souvent associées

à une puissante explosion latérale avec mise en place d’écoulement pyroclastiques (e.g.

éruption du Mont St. Helens, 1980). Les éruptions phréatiques (e.g. Soufrière de

Guadeloupe, 1976), enfin, sont liées à la décompression explosive de nappes phréatiques.

Elles interviennent souvent avec peu de précurseurs et engendrent une grande diversité de

phénomènes dangereux (e.g. projections de blocs, pluie de cendre, gaz, écoulements

pyroclastiques, coulée de boue, avalanche de débris).

La Montagne Pelée en Martinique, la Soufrière de Guadeloupe ou encore les volcans

actifs de la Dominique ont tous connu ces différents types d’éruptions au cours des

derniers 50 000 ans. À ce titre, ils constituent un enjeu de politiques publiques, tant du

point de vue de la problématique de la protection des personnes que des risques sanitaires

et des risques liés aux infrastructures. L’enjeu est particulièrement élevé dans une région

où vivent environ 1 million d’habitants et où les possibilités d’évacuation sont fortement

limitées par l’insularité.

" 10

On pourra notamment consulter les résultats du projet “CASAVA: Compréhension et Analyse des Scénarios, 38

Aléas, et risques Volcaniques aux Antilles) : Implications pour l'aide à la décision, la gestion de crise, et  le développement raisonné”, ANR-RISK-09-002, financé par l’Agence Nationale de la Recherche de 2010 à 2014: https://sites.google.com/site/casavaanr/

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Le risque volcanique est rendu spécifique par le fait que la phénoménologie des

crises est très variable. Si la plupart des éruptions s’annoncent par des signes précurseurs,

l’activité éruptive peut aussi bien durer quelques jours que quelques mois ou plusieurs

années et il est difficile de prédire a priori le moment de son paroxysme. Ainsi, la crise de

la Soufrière de Guadeloupe a duré environ un an tandis que celle de Montserrat dure

depuis près de vingt ans. À l’échelle d’une vie humaine, la fréquence d’activité de certains

volcans est en outre particulièrement faible ce qui rend difficile d’entretenir une véritable

culture du risque. Les différents types d’éruptions énoncées plus haut n’ont pas les mêmes

conséquences en termes de gestion des risques car elles ne sont pas associées aux mêmes

types d’aléas dans l’espace et dans le temps et qu’elles n’impactent pas les enjeux

humains de la même manière. !

"

Figure 1  : Carte présentant le contexte géodynamique de la région des Petites Antilles. La plongée de la plaque américaine sous la plaque caraïbe (processus dit de «  subduction ») est associée à une déformation intense de la lithosphère terrestre – qui se traduit par l’occurrence de nombreux séismes – et à la genèse de magmas – qui se traduit par un volcanisme actif, comme sur les îles de Guadeloupe et de Montserrat. Illustration modifiée d’après Feuillet et al. (2002) . 39!

" 11

Feuillet, N. ; Manighetti, I. ; Tapponnier, P. ; Jacques, E., « Arc parallel extension and localization of volcanic 39

complexes in Guadeloupe, Lesser Antilles », Journal of Geophysical Research: Solid Earth (1978–2012), 107(B12), ETG-3, 2002.

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1) La crise de 1976-1977 à la Soufrière de Guadeloupe

!En charge de la surveillance des volcans français, l’Institut de Physique du Globe de

Paris a connu une période particulièrement critique lors de la crise éruptive de la Soufrière

de Guadeloupe en 1976 . En effet, les chercheurs habitués à des tâches de recherche 40

fondamentale se retrouvèrent à l’interface avec les autorités et le grand public dans un

contexte où la gestion de crise n’avait pas été préparée. Une importante controverse

éclata entre les experts qui fut largement relayée par la presse et vint nourrir, par

ricochet, les critiques à l’encontre des décisions prises par les autorités 41

La crise sismo-volcanique commence en juillet 1975. L’énergie sismique cumulée

dépasse le niveau de base établi sur deux décennies. On compte alors environ 76 000

habitants dans la zone à risque . L’observatoire de Guadeloupe (dont l’IPGP a la charge) 42

est, à l’époque, faiblement équipé. L’information préventive des populations est, en

outre, relativement irrégulière, alors même que ces populations gardent en mémoire

l’éruption dévastatrice de la Montagne Pelée qui rasa la ville de Saint-Pierre en Martinique

en 1902 . L’activité sismique augmente de manière significative jusqu'à la date de la 43

première activité éruptive. Les pouvoirs publics sollicitent une expertise dès le mois de

novembre 1975 – avec notamment la mise en place d’un plan ORSEC (Organisation de la

Réponse de SEcurité Civile). Parmi les experts, Haroun Tazieff est responsable de

l’évaluation de la situation en tant que directeur du service des observatoires

volcanologiques de l’IPGP . Dans cette première phase de la crise, les avis des experts 44

sont à peu près unanimes : « la situation est sérieuse mais pas critique » (déclaration de

Michel Feuillard, directeur de l’observatoire de Guadeloupe, 30 avril 1976).

Une première explosion phréatique a lieu le 8 juillet 1976 qui déclenche

l’évacuation spontanée de 25 000 personnes. Malgré l’intensification de l’activité sismo-

volcanique et l’inquiétude croissante de la population, Haroun Tazieff considère que la

" 12

Loubat, B. ; Pistolesi-Lafont, A., « La Soufrière - à qui la faute ? », Paris, Presses de la Cité, 220 p., 1977 ; 40

Farrugia, L.  ; Soufrière 76, Editions Jeunes Antilles, Basse Terre, Guadeoupe, 352 pp, 1977  ; Feuillard M, Allegre C, Brandeis G, Gaulon R, Le Mouel, J.-L. ; Mercier, J. ; Pozzi, J., Semet ; M.-P., « The 1975–1977 crisis of La Soufrière de Guadeloupe (F.W.I): A still-born magmatic eruption  », Journal of Volcanol Geotherm Research, 16:317–334 ; 1983 ; Komorowski, J.-C. ; Boudon, G. ; Semet, M.P. ; Beauducel, F. ; Anténor-Habazac, C.  ; Bazin, S.  ; Hammouya, G., « Guadeloupe », in Lindsay J.-M.  ; Robertson R.E.A. ; Shepherd, J.B.; Ali, S (eds.), Volcanic Hazard Atlas of the Lesser Antilles, Seismic Research Unit of the University of the West Indies, P. 68-107, 2005  ; Beauducel, F., «  À propos de la polémique «Soufrière 1976»  », Site internet : http://www.ipgp.fr/~beaudu/, 2006 ; Feuillard, M., La Soufrière de Guadeloupe : un volcan et un peuple, Editions Jasor, Pointe-à-Pitre, p. 1-246, 2011.

Paris Match titrait ainsi à l’époque : «Tazieff contre Brousse : la petite guerre des volcanologues fait autant 41

de bruit que le volcan» (Paris Match, septembre 1976, n° 1425)

S’il n’y a pas d’éruption magmatique historique connue en Guadeloupe on se souvient néanmoins de 42

l’éruption de la Montagne Pelée en Martinique qui rasa la ville de Saint-pierre en 1902.

Ce souvenir contribue à l’inquiétude des populations. 43

Préfecture de Guadeloupe, « Volcan de la Soufrière en Guadeloupe : les événements de 1976  », Service 44

d'information de la Préfecture de Guadeloupe, janvier 1977, 1-50 p, 1977.

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ACPAP 2015 4ème conférence annuelle

situation n’est pas critique et part pour une mission prévue de longue date en Equateur.

Pendant son absence, les manifestations sismo-volcaniques s’intensifient. Le 15 août 1976,

la décision est prise de déclencher le plan ORSEC conduisant à l’évacuation de 73 422

personnes. L’évacuation s’étale sur plusieurs mois (selon les zones). De retour de mission

(fin août), Haroun Tazieff remet en cause le bien-fondé de cette décision. Eclate alors une

controverse virulente, reprise et amplifiée dans l’espace public, d’autant plus que les

conséquences socio-économiques de l’évacuation sont de plus en plus difficiles à vivre

pour les populations.

La controverse oppose Haroun Tazieff aux experts présents lorsque la décision

d’évacuation a été prise (p.ex. le professeur Brousse) puis à son supérieur hiérarchique,

Claude Allègre, qui a pris la direction de l’IPGP pendant son absence (fin juillet). Les deux

chercheurs sont réputés pour leurs fortes personnalités. Le conflit ne se résume cependant

pas à une incompatibilité de caractères. Les Sciences de la Terre sont alors en pleine

mutation. Les partisans d’une approche scientifique très spécialisée, aboutissant à une

estimation probabiliste du risque, s’opposent aux partisans d’une démarche plus

traditionnelle, valorisant l’expérience de terrain et une compréhension plus holistique des

phénomènes. De manière simplifiée, on peut considérer que Allègre appartient au premier

courant et Tazieff plutôt au second. Cette opposition tient à l’objet même de la

controverse. La Terre est en effet un objet d’étude complexe. Il n’existe pas une Science

de la Terre mais bien des Sciences de la Terre. La discipline compte de nombreuses sous-

disciplines, parmi lesquelles on peut citer par exemple, la géophysique, la géochimie, la

géomorphologie, ou encore la volcanologie, la sismologie et la sédimentologie, etc. Ces

sous-disciplines sont d’ailleurs dénommées suivant deux usages distincts, ce qui n’est pas

anodin mais témoigne de l’existence de différences fondamentales dans la manière

d’aborder l’étude du système Terre.

• Dans le premier cas, le préfixe géo est suivi du nom de la discipline sur laquelle le

chercheur s’appuie pour son étude (physique ou chimie). Le géophysicien va par

exemple chercher à décrypter les mécanismes à l’œuvre dans le système Terre en

se fondant sur les théories et les techniques de la physique. Cependant, dire

géophysicien n’est pas dire physicien de la Terre. Cette nuance sémantique est

importante puisqu’elle suggère qu’il ne s’agit pas d’appliquer les théories et les

techniques de la physique à la Terre comme s’il s’agissait de n’importe quel objet.

La discipline est transformée par sa confrontation avec la Terre car elle doit

prendre en compte ses spécificités.

• Dans le second cas, le nom de la sous-discipline est une extension de l’objet d’étude.

Ainsi le sismologue étudie les séismes, le sédimentologue, les sédiments, le

volcanologue, les volcans, etc. Aucune discipline n’étant ni prescrite ni proscrite

pour l’étude de l’objet prédéfini a priori, on peut supposer que tous les moyens

sont bons pour faire progresser la connaissance.

" 13

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ACPAP 2015 4ème conférence annuelle

On comprend dès lors que celui qui se désigne d’abord comme géophysicien n’aborde pas

le réel de la même manière que celui qui se désigne d’abord comme volcanologue, c’est-à-

dire spécialiste d’un objet déjà circonscrit. Cette différence de positionnement

épistémologique nourrit le développement de la controverse alors même que l’analyse a 45

posteriori des éléments scientifiques dont les protagonistes disposaient à l’époque montre

que l’état des connaissances n’était pas suffisant pour se prononcer sur la dangerosité

potentielle de l’éruption , . Dans ce contexte d’incertitude, amplifiée par l’inquiétude de 46 47

la population et la médiatisation de la crise, les experts semblent incapables de dépasser

leur opposition. À cet égard, certains titres de la presse de l’époque sont évocateurs. Paris

Match titre par exemple : «Tazieff contre Brousse : la petite guerre des volcanologues fait

autant de bruit que le volcan» (Paris Match, septembre 1976, n° 1425)  ; Figure 2a). La

polémique entre Tazieff et Allègre est particulièrement virulente (Figure 2b). !

"

Figure 2 : La controverse entre les experts se déporte dans l’espace médiatique. a) Dessin paru dans Dessin

paru dans «Guadeloupe 2000» n°46. oct-nov. 1976. b) Débat télévisé dans l’émission L’événement entre Tazieff

et Allègre le 11 novembre 1976. !À partir de cette période (fin octobre – novembre 1976), le préfet ne fait visiblement plus

confiance aux experts nationaux et décide de s'appuyer sur une commission internationale.

Cette dernière, compte tenu de la soudaine diminution d'activité sismo-volcanique, décide

d'un retour des populations à partir de début décembre 1976 (accompagnée d'un

renforcement de la surveillance instrumentale). Malgré plusieurs épisodes de réactivation,

l’éruption magmatique tant redoutée n’aura finalement pas lieu – le volcan revenant au

calme à partir de mars-avril 1977. L’évacuation a cependant des conséquences socio-

" 14

Cette dichotomie est encore pleinement active aujourd’hui. 45

Beauducel, F., «  À propos de la polémique «Soufrière 1976  », 2006, site internet : http://www.ipgp.fr/46

~beaudu/.

Hincks, T.K. ; Komorowski, J.-C. ; Sparks, R.S.J. ; Aspinall, W., « Retrospective analysis of uncertain eruption 47

precursors at La Soufrière volcano, Guadeloupe, 1975–77: volcanic hazard assessment using a Bayesian Belief Network approach », Journal of Applied Volcanology, 3:3, 2014.

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économiques importantes, conduisant notamment à l’apparition de troubles typiques de

zones réellement sinistrées par une catastrophe naturelle , . Les difficultés rencontrées 48 49

lors de la gestion de cette crise ont néanmoins servi à l’élaboration d’un plan de secours

spécialisé «  volcan  » qui tient compte des différents scénarii d’éruptions possibles 50

(magmatique vs phréatique). Fort de cette expérience, la communauté des scientifiques

abordera différemment la gestion de crise de la Soufrière Hills de Montserrat, notamment

grâce à l’introduction d’instruments probabilistes. !2) La crise de la Soufrière Hills de Montserrat

!L’explosion phréatique du 18 juillet 1995 a surpris la population et les autorités en

dépit d’alertes précédentes . Au début de la crise, la capitale Plymouth, qui est localisée 51

sur les flancs du volcan à seulement 5 km du sommet, compte environ 13 000 habitants. La

croissance d’un dôme de lave à partir de la mi-novembre 1995 indique l’arrivée du magma

en surface. Au cours de ces deux décennies, l’éruption se caractérise par des phases de

croissance de dôme associée à une forte activité explosive et des périodes de pause (). Elle

produira près d’un kilomètre cube de lave visqueuse s’accumulant pour former une

succession de dôme de lave. Ces derniers sont particulièrement instables et produisent de

très nombreux écoulements pyroclastiques qui dévalent les flancs du volcan et entrainent

des destructions massives sur leur passage. Bien que l’éruption ne soit pas considérée

" 15

Lepointe, E., Essai sur la réponse sociale à une catastrophe : La Soufrière de Guadeloupe en 1976. Université 48

Paris X Nanterre (Doctoral dissertation, Thèse de doctorat en Sociologie), 1984.

De Vanssay, B., Les événements de 1976 en Guadeloupe : Apparition d’une sub-culture de désastre, Thèse de 49

Doctorat, Centre Universitaire Antilles-Guyane, Ecoles des Hautes Études en Sciences Sociales, Université Paris V, 1979.

Stieltjes, L., Au-dessous du volcan. Volcans et séismes, Aléas et Enjeux, n°9, 2004.50

En 1988, suite à la publication d’un rapport scientifique de G. Wadge and J. Isaacs (Wadge, G. ; Isaacs, M.C., 51

« Mapping the volcanic hazards from Soufriere Hills volcano, Montserrat, West Indies using an image processor” Journal Geol. Soc. London, 145:541-551, 2008) décrivant les aléas associés au volcan et la vulnérabilité de la capitale, Plymouth, le Seismic Research Unit de l’University of West Indies organise un colloque scientifique. Celui-ci porte sur l’évaluation des aléas volcaniques dans la région et se tient en présence des autorités. Cependant, il ne sera pas suivi d’effet – notamment de la mise en place d’un plan de réponse de sécurité civile. En avril 1989, l’activité sismique d’origine volcanique dépasse le niveau de base enregistré par le Seismic Research Unit. L’activité sismique se développe, à partir de janvier 1992, sous forme d’essaims de séismes enregistrés sur une période de quelques jours. On enregistrera près de 18 essaims sismiques entre janvier 1992 et le 18 juillet 1995 (voir Kokelaar, B.P., Setting, “Chronology and consequences of the eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat (1995-1999)  » in Druitt, T.H.  ; Kokelaar, B.P. (eds.), The eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat, from 1995 to 1999, Mem. Geol. Soc., London, 21:1-44, 2002). Malgré cette activité sismique, aucun des signaux enregistrés à l’époque ne permettaient d’indiquer sans ambiguïté l’imminence d’une éruption. Au moment où la crise débute, il n’y a en outre aucune éruption historique connue (i.e. depuis 1632).

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comme terminée en 2015, la croissance du dôme a cessé le 11 février 2010 suite à un

effondrement et une explosion de grande ampleur . 52

Donovan et Oppenheimer distinguent deux grandes phases pendant la crise. La 53

période de 1995 à 1998 constitue la phase aïgue. Les auteurs rappellent qu’il s’agit d’une

période de profonde déstabilisation politique, sociale et économique durant laquelle les

deux tiers de la population quittent l’île. Cette phase se caractérise par une difficulté à

construire une représentation partagée et assumée de la crise, de son évolution probable,

et de ses impacts sur la société. Les avis des autorités divergent sur la nécessité de

maintenir la population sur le territoire, sur la possibilité et les impacts économiques 54

d’une installation de la population dans le nord, peu développé jusqu’alors mais où les

risques sont faibles. Au cours de cette période, on observe une forte dépendance envers

les avis scientifiques, en particulier ceux de l’observatoire de Montserrat (Montserrat

Volcano Observatory - MVO), mis en place en 1995 pour surveiller le volcan . L’évaluation 55

des risques se fait alors de manière ad-hoc, au sein du MVO, sous la forme de discussions

entre chercheurs, avec la publication de certains rapports internes à destination du public.

Le 25 juin 1997, l’éruption engendre 19 morts (les seuls de l’éruption) et huit blessés. À

partir de décembre 1997, un consensus se crée autour de la nécessité de procéder à une

évaluation des risques plus structurée, formelle, et comptable. Celle-ci se fera désormais

sous l’égide du MVO et du British Geological Survey (BGS) lors de réunions semestrielles

d’un groupe international de scientifiques appelé le Risk Assessment Panel (RAP) qui

développe une méthodologie quantitative d’analyse des risques volcaniques.

" 16

Wadge, G. ; Voight, B. ; Sparks, R.S.J. ; Cole, P.D. ; Loughlin, S.C. ; Robertson, R.E.A. ; Chapter 1 “An 52

overview of the eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat” in : Wadge, G. ; Robertson, R. E. A.; Voight, B. (eds.), The Eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat from 2000 to 2010. Geological Society, London, Memoirs, 39, 1–40. http://dx.doi.org/10.1144/M39.1, 2014

Donovan, A. ; Oppenheimer, C., “Science, policy and place in volcanic disasters: Insights from Montserrat”, 53

Environ. Sci. Policy, http://dx.doi.org/10.1016/j.envsci.2013.08.009, 2013.

Une pression importante existe entre 1995 et 1997 sur la nécessité de maintenir certaines infrastructures de 54

l’île opérationnelles (e.g. aéroport, petite industrie) malgré le niveau de risque.

Aspinall W ;, Loughlin, S.C. ; Michael, F.V. ; Miller, A.D. ; Norton, G.E. ; Rowley, K.C. ; Sparks, R.S.J.; Young, 55

S.R., “The Montserrat Volcano Observatory: its evolution, organization, role and activities”, in Druitt, T.H ; Kokelaar, B.P. (eds.), The eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat, from 1995 to 1999, Geological Society, London, Memoir No. 21, 71-92, 2002.

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"

!Figure 3  : Eruption de Soufrière Hills, Montserrat, en cours depuis 1995. a. Dôme de lave visqueuse en décembre 1996, photo: J-C Komorowski, IPGP; b. Un écoulement pyroclastique dilué (i.e. nuée ardente) dévale les flancs du volcan le 5 août 1997 et se propage rapidement (60-90 km/h) vers la capitale Plymouth, photo: J-C Komorowski, IPGP. c. Explosion vulcanienne le 5 août 1997 et formation d'une colonne éruptive et d'un panache atteignant environ 9 km de hauteur qui composé de gaz et de particules solides, photo: J-C Komorowski, IPGP; d. Zone de l'aéroport de Montserrat recouverte par les dépôts des écoulements pyroclastiques qui se sont épanchés dans les vallées entre juin et septembre 1997 à partir du dôme (en haut à gauche), photo: J-C Komorowski, IPGP. !! Entre 1998 et 2010, la crise se chronicise. Pendant cette période, le tracé de la zone

d’exclusion (approximativement les deux tiers de l’île) est bien établi et stabilisé. On

procède néanmoins à des évacuations régulières des zones frontalières. Une zone

d’occupation sécurisée est développée au Nord de l’île (avec la création, entre autres

infrastructures, d’une nouvelle capitale Little Bay, d’un nouveau port, et d’un nouvel

aéroport). À partir de mai 2003, l’évaluation des risques volcaniques est formalisée par la

création du Scientific Advisory Committee (SAC), comité officiel d’expertise mandaté par

le gouvernement britannique . Ce comité indépendant, mais qui travaille en collaboration 56

avec le MVO, se réunit à Montserrat tous les 6 mois entre 2003 et 2011, puis une fois par an

" 17

On pourra lire notamment, Wadge, G. ; Aspinall, W., Chapter 24 “A review of volcanic hazard and risk-56

assessment praxis at the Soufrière”, in Wadge, G. ; Robertson, R. E. A. ; Voight, B. (eds.), The Eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat from 2000 to 2010, Geological Society, London, Memoirs, 39, 439–456, http://dx.doi.org/10.1144/M39.24, 2014  ; Aspinall, W.; Blong, R., Chapter 70 “Volcanic risk assessment” in Sigurdsson et al. (eds.), The Encyclopedia of volcanoes, Elsevier, in press, 2015.

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par la suite. L’analyse proposée par les experts se fonde sur l’observation et

l’interprétation de l’activité volcanique tout en incluant les enjeux sociétaux identifiés par

les autorités. Le groupe d’experts reprend et développe les instruments d’analyse

quantitative mis en place par les scientifiques du RAP.

La stratégie adoptée s’appuie sur 1) les arbres décisionnels probabilistes et (2) les 57

réseaux bayésiens de neurones . Dans les deux cas, on utilise la méthode d’analyse 58

structurée du jugement des experts (structured expert judgement) qui est réalisée via des

outils probabilistes de quantification de l'incertitude et d'aide à la décision . 59

(1) La méthodologie des arbres décisionnels est appliquée depuis une vingtaine

d’années dans les sciences sociales ainsi que dans le domaine du diagnostic technique

industriel (par exemple en matière de modélisation de pannes et d’avaries). En

volcanologie, ce concept a été appliqué avec succès pour la première fois lors de

l’éruption du Pinatubo en 1991 . Elle a été développée puis utilisée de manière 60

systématique pendant l’éruption de Soufrière Hills à Montserrat . 61

" 18

Newhall, C.; Hoblitt, R.; “Constructing event trees for volcanic crises”, Bull Volcanol 64(1):3–20, doi:57

10.1007/s004450100173, 2002 ; Aspinall W. ; Loughlin, S.C. ; Michael, F.V. ; Miller, A.D. ; Norton, G.E. ; Rowley, K.C. ; Sparks, R.S.J. ; Young, S.R., “The Montserrat Volcano Observatory: its evolution, organization, role and activities”, in Druitt, T.H.; Kokelaar, B.P. (eds.), The eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat, from 1995 to 1999, Geological Society, London, Memoir No. 21, 71-92, 2002  ; Marzocchi, W., Sandri, L., Gasparini, P., Newhall, C., Boschi, E.. Quantifying probabilities of volcanic events: the example of volcanic hazard at Mount Vesuvius. J. Geophys. Res. 109, 1–18. doi:10. 1029/2004JB003155 B11201, 2004  ; SAC, Assessment of the hazards and risks associated with the Soufrière Hills volcano, Montserrat, Reports (1 to 19) of the Scientific Advisory Committee on Montserrat Volcanic Activity, http://www.mvo.ms/, 2013-2014.

Spiegelhalter, D.J. ; Dawid, A. ; Lauritzen, S.L. ; Cowell, R., “Bayesian-Analysis in Expert-Systems”, Stat Sci 58

8(3):219–247 ; 1993 ; Hincks, T., Probabilistic volcanic hazard assessment, Unpublished PhD Thesis, University of Bristol, 1-234 pp., disponible sur internet à : http://www.theahincks.co.uk/, 2006 ; Hincks, T.K. ; Aspinall, W. ; Baxter, P.J. ; Searl, A. ; Sparks, R.S.J. ; Woo, G., “Long term exposure to respirable volcanic ash on Montserrat: a time series simulation”, Bull. Volcanol. 68, 266–284, 2006 ; SAC, Assessment of the hazards and risks associated with the Soufrière Hills volcano, Montserrat., Reports (1 to 19) of the Scientific Advisory Committee on Montserrat Volcanic Activity, http://www.mvo.ms/, 2013-2014  ; Wadge, G.,; Aspinall, W., Chapter 24  “A review of volcanic hazard and risk-assessment praxis at the Soufrière”, in  : Wadge, G. ; Robertson, R. E. A.; Voight, B. (eds.), “The Eruption of Soufrière Hills Volcano, Montserrat from 2000 to 2010”, Geological Society, London, Memoirs, 39, 439–456. http://dx.doi.org/10.1144/M39.24, 2014  ; Hincks, T.K. ; Komorowski, J.-C. ; Sparks, R.S.J., Aspinall, W., « Retrospective analysis of uncertain eruption precursors at La Soufrière volcano, Guadeloupe, 1975–77: volcanic hazard assessment using a Bayesian Belief Network approach », Journal of Applied Volcanology, 3:3, 2014. 

Voir note 50 et Aspinall W., « Structured elicitation of expert judgement for probabilistic hazard and risk 59

assessment in volcanic eruptions », in Mader, H.M. ; Coles, S.G. ; Connor, C.B. ; Connor, L.J. (eds.), Statistics in Volcanology, Special Publications of IAVCEI, 1. Geological Society, London. 15-30, 2006 ; Aspinall, W., “A route to more tractable expert advice”, Nature, vol. 463, p. 294-295, 2010 ; Aspinall W. ; Cooke, R., « Expert Elicitation and Judgement », in Hill, L. ; Rougier J.-C. ; Sparks, R.S.J. (eds.), Risk and Uncertainty assessment in natural Hazards, Cambridge University Press, p 64-99, 2013 ; Hincks, T.K.  ; Komorowski, J.-C.  ; Sparks, R.S.J.  ; Aspinall, W.P., «  Retrospective analysis of uncertain eruption precursors at La Soufrière volcano, Guadeloupe, 1975–77: volcanic hazard assessment using a Bayesian Belief Network approach  », Journal of Applied Volcanology, 3:3, 2014.

Punongbayan, R.S. ; Newhall, C.G. ; Bautista ; Ma., L.P. ; Garcia, D. ; Harlow, D.H. ; Hoblitt, R.P. ; Sabit, 60

J.P. ; Solidum, R.U., “Eruption hazard assessment and warnings”, in Newhall, C.G ; Punongbayan, R.S. (eds.), Fire and Mud: Eruptions and Lahars of Mt. Pinatubo, Philippines, Philippine Institute of Volcanology and Seismology, Quezon City and University of Washington Press, Seattle, pp. 67–85, 1996.

Voir notes 49 à 52 et Aspinall, W. ; Blong, R., Chapter 70  « Volcanic risk assessment » in : Sigurdsson et al. 61

(eds.), The Encyclopedia of volcanoes, Elsevier, in press, 2015

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ACPAP 2015 4ème conférence annuelle

Un arbre décisionnel consiste en une représentation graphique d’une succession

logique d’évènements volcaniques et/ou de scénarii prenant en considération une

multiplicité de choix possibles . L’évaluation des risques implique de déterminer les 62

probabilités conditionnelles d’occurrence des événements pris en considération dans

l’arbre décisionnel. Ces probabilités sont évaluées en utilisant plusieurs jeux de données

tels que l’analyse statistique de la fréquence et l’intensité de l’activité éruptive passée

d’un volcan (déduite de l’enregistrement géologique), des données de modélisation

analogiques, des données provenant d’autres volcans et des données de surveillance.

L’interprétation corrélative à ces différents jeux de données est associée à deux types

d’incertitude  : d’une part, l’incertitude liée au manque de connaissance (incertitude

épistémique) et, d’autre part, l’incertitude liée à la complexité du phénomène volcanique

lui-même qui se comporte de manière non-linéaire (incertitude aléatoire). Ces incertitudes

peuvent donner lieu à des interprétations différentes parmi les experts. Tout l’enjeu de la

méthode de structured expert judgement est de quantifier cette part de subjectivité pour

pouvoir l’intégrer comme donnée objective dans le processus décisionnel. Ceci est réalisé

grâce aux modèles de statistique Bayésienne . 63

(2) Les réseaux bayésiens de neurones (Bayesian belief networks) constituent un de

ces instruments d’analyse probabiliste. Il a été très largement développé lors de la gestion

de la crise de l’éruption de Soufrière Hills . Avec cet outil, la probabilité que le système 64

évolue vers une éruption est calculée itérativement via le formalisme des réseaux

bayésiens en faisant des hypothèses sur les liens de causalité entre les observations et les

états de la dynamique interne du système (en l’occurrence les états susceptibles

d’engendrer une éruption). Le réseau bayésien est évolutif et peut s'auto-instruire en

fonction de l'évolution des données, de leur qualité, de la pertinence des relations

causales et de leur degré d'incertitude qui peut être quantifié (et réduit). Les réseaux

bayésiens constituent l’instrument permettant de formaliser de manière graphique et

explicite les dépendances probabilistes conditionnelles qui seront intégrées dans l’arbre

décisionnel. L’intérêt de cet instrument est qu’il permet la prise en compte simultanée des

incertitudes liées aux jugements des experts (introduites comme données sous forme de

" 19

voir notes 50-5262

Sparks, R.S.J. ; Aspinall, W., “Volcanic activity : frontiers and challenges in forecasting, prediction and risk 63

assessment”, in  Sparks, R.S.J. ; Hawkesworth, C. (eds.), The State of the Planet : frontiers and challenges in geophysics, Geophysical Monograph 150, IUGG Volume 19, 359-373, 2004 ; Marzocchi, W. ; Sandri, L. ; Selva, J., “BET_EF: a probabilistic tool for long- and short-term eruption forecasting”, Bull Volcanol., DOI 10.1007/s00445-007-0157-y, 2007  ; Aspinall, W., “A route to more tractable expert advice”, Nature, vol. 463, p. 294-295, 2010; Hincks, T.K. ; Komorowski, J.-C. ; Sparks, R.S.J. ; Aspinall, W., «  Retrospective analysis of uncertain eruption precursors at La Soufrière volcano, Guadeloupe, 1975–77: volcanic hazard assessment using a Bayesian Belief Network approach  », Journal of Applied Volcanology, 3:3, 2014  ; Aspinall, W. ; Woo, G, “Santorini unrest 2011-2012 : an immédiate Bayesian belief network analysis of eruption scenario probabilities for urgent decision support Under uncertainty”, Journal of Applied Volcanology, 3-12  : doi:10.1186/s13617-014-0012-8, 2014.

Voir note 53.64

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probabilités) et aux incertitudes liées à l’imperfection des savoirs et des savoir-faire

scientifiques eux-mêmes (p. ex. qualité des observations, usage de relations empiriques

plus ou moins définies, biais de modélisation, etc.). !La constitution des arbres décisionnels et des réseaux bayésiens de neurones

s’appuient sur la méthode de Cooke afin de pondérer l’opinion des experts (structured

expert judgment) . Les performances des experts sont calibrées de manière anonyme par 65

rapport à une série de questions reflétant l’état de la connaissance dans la thématique

concernée par l’expertise. Chaque expert répond à une série de questions clés en donnant

sa meilleure estimation de la probabilité attendue ainsi que de la valeur la plus basse (5ème

percentile) et de la valeur la plus haute (95ème percentile) de cette probabilité (i.e. leur

intervalle de confiance autour de leur meilleure valeur du 50ème percentile). Il reçoit un

score en fonction de la justesse de ses réponses (degré d’information) et de leur précision

(incertitude ou étendue de l’intervalle de confiance autour de la valeur). Les réponses aux

questions spécifiques de l’expertise, qui s’exprimeront aussi sous forme d’une valeur

centrale et d’un intervalle de confiance, seront par la suite pondérées en utilisant les

scores obtenus pour les questions de calibration. Les opinions de chacun des experts sont

rassemblées selon des procédures statistiques afin d’obtenir un consensus (Figure 4 ; 66

Figure 5).

Un des atouts fondamentaux de cette approche est qu’elle oblige les experts à

structurer de manière logique la masse d’informations qui leur est disponible. Le faire dans

une démarche probabiliste permet de quantifier les incertitudes épistémiques et

aléatoires, d’identifier les verrous liés à l’état des connaissances, la pertinence de

mesures de préventions des risques. Cela rend possible la traçabilité des controverses dans

l’articulation entre recherche et expertise. Dans le cas de l’éruption de la Soufrière Hills

" 20

Cooke, RM., Experts in Uncertainty - Opinion and Subjective Probability in Science. Environmental Ethics 65

and Science Policy Series, Oxford University Press, 1991 ; Aspinall, W. ; Woo, G., « An impartial decision-making procedure using expert judgement to assess volcanic hazards », Atti dei Convegni Lincei, 112:211-220,1994 ; Bedford, T.  ; Cooke, R., Probabilistic Risk Analysis, Foundations and Methods, Cambridge University Press, 2001 ; Aspinall W., « Structured elicitation of expert judgement for probabilistic hazard and risk assessment in volcanic eruptions », in Mader, H.M. ; Coles, S.G. ; Connor, C.B. ; Connor, L.J. (eds.), Statistics in Volcanology, Special Publications of IAVCEI, 1. Geological Society, London. 15-30, 2006; Aspinall, W., “A route to more tractable expert advice”, Nature, vol. 463, p. 294-295, 2010; Tyshenko, M.G.  ; El Saadany, S.  ; Oraby, T.  ; Darshan, S. ; Catford, A. ; Aspinall, W. ;Cooke, R. ; Krewski, D., « Expert judgement and re-elicitation for prion disease risk uncertainties », International Journal of Risk Assessment and Management, 16(1-3):48-77, 2012 ; Bamber, J.L. ; Aspinall, W., « An expert judgement assessment of future sea level rise from the ice sheets », Nature Climate Change, vol. 3, doi:10.1038/NCLIMATE1778, 2013.

La qualité d’un expert et, donc son influence, sur la dynamique de l’expertise et la recherche d’un 66

consensus peut se résumer à l’analogie suivante (Aspinall, W., communication personnelle, traduite de l’anglais): «  Si un expert veux attraper un poisson nageant en pleines eaux dans une rivière, sa capacité à ramener une pêche fructueuse dépendra de sa capacité à évaluer relativement justement où se situent les poissons (i.e. valeur du 50ème percentile proche de la bonne valeur) mais aussi de sa capacité à ne pas utiliser un filet trop petit (i.e. avoir un intervalle de confiance du 5ème au 95ème percentile de part et d’autre de la valeur centrale du 50ème percentile qui ne soit pas trop limité) pour pouvoir compenser les erreurs de son jugement. Des experts qui évaluent leurs propres performances selon une incertitude (i.e. intervalle de confiance) très limité sont in fine souvent les experts les moins pertinents dans des contextes d’incertitude importante. »

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de Montserrat, cette démarche a facilité la circulation/traduction des savoirs et des

savoir-faire des experts vers les acteurs politico-administratifs. !

"

Figure 4  : Exemple de résultats provenant de l'utilisation de la méthode de Cooke d'analyse de jugement 67

structuré des expert (structured expert judgement) lors de l'analyse à posteriori de la prise de décision scientifique lors de la crise de 1976 à la Soufrière de Guadeloupe. Les graphes montrent le jugement des experts exprimés sous forme de leur meilleure estimation de la probabilité attendue ainsi que de la valeur la plus basse (5ème percentile) et de la valeur la plus haute (95ème percentile) de cette probabilité (i.e. son intervalle de confiance autour de leur meilleure valeur du 50ème percentile). La question 4 porte sur la probabilité d'observer une source de déformation de la surface du volcan d'origine profonde si le volcan n'est pas en état de réactivation magmatique. La question 5 porte sur la probabilité d'observer une telle déformation dans le cas d'une réactivation magmatique. On observe ici des divergences de jugement ou d'opinion des experts et leur intervalle de confiance. Le jugement consensuel statistique est aussi calculé avec son intervalle de confiance qui représente donc l'étendue statistique de l'opinion du groupe d'experts. Graphique modifié d’après Hinks et al. (2014) . 68!!

" 21

Cooke, R.M., Experts in Uncertainty - Opinion and Subjective Probability in Science. Environmental Ethics 67

and Science Policy Series. Oxford University Press, 1991; Aspinall, W., “A route to more tractable expert advice”, Nature, vol. 463, p. 294-295, 2010; Aspinall W. ; Cooke, R., « Expert Elicitation and Judgement », in Hill, L.  ; Rougier, J.-C.  ; Sparks, R... (eds.), Risk and Uncertainty assessment in natural Hazards, Cambridge University Press, p 64-99, 2013.

Hincks, T.K. ; Komorowski, J.-C. ; Sparks, R.S.J. ; Aspinall, W., « Retrospective analysis of uncertain eruption 68

precursors at La Soufrière volcano, Guadeloupe, 1975–77: volcanic hazard assessment using a Bayesian Belief Network approach », Journal of Applied Volcanology, 3:3, 2014.

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Figure 5  : Evolution temporelle des probabilités d'occurrence de trois scénarii différents lors de la crise de 1976 à la Soufrière de Guadeloupe déterminés par la méthode des réseaux Bayésiens de neurones appliquée a postériori au corpus de connaissance et d'observations disponible à l'époque pour un collège d'experts. a. éruption magmatique avec explosion latérale paroxysmale, b. éruption phréatique, c. pas d'éruption. La probabilité est donnée pour une période de 3 mois (axe des ordonnées), le temps s'écoule sur l'axe des abscisses entre août 1975 et mars 1977. La ligne noire continue représente la moyenne de la probabilité estimée par le réseau Bayésien de neurones, la ligne en pointillés la médiane de cette probabilité, l'intervalle de confiance entre le 5ème et le 95ème percentile de la distribution de probabilités qui représente donc l'incertitude de la prévision probabiliste du scénario éruptif est en rouge. Cette approche permet de montrer quantitativement que la probabilité d'une éruption magmatique était autour de 30% en moyenne à la veille de la première explosion le 8 juillet 1976 et qu'elle a augmenté entre 40 et 50 % à la veille de la grosse explosion du 30 août 1976, et que l'incertitude de ces prévisions était significative. Cette approche Bayésienne permet de soutenir la décision de prévention et d'évacuation prise par les autorités en 1976 en l'état de la connaissance de l'époque et de l'incertitude épistémique et aléatoire. Illustration modifiée d’après Hincks et al. (2014) . 69!!

" 22

Hincks, T.K. ; Komorowski, J.-C. ; Sparks, R.S.J. ; Aspinall, W., Ibid.69

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Conclusion

!La comparaison de ces crises suggère que l’introduction d’instruments probabilistes

peut aider à dépasser la controverse en permettant d’objectiver les incertitudes liées à

l’état des savoirs et des savoir-faire scientifiques mobilisables dans la situation

d’expertise, ainsi que celles liées au jugement, en partie subjectif, des experts. En effet,

l’expertise en contexte d’incertitude épistémique et aléatoire entraine une grande

diversité de jugements qui complexifient la prise de décision politique. En l’absence de

procédures structurées, formalisées et comptables comme dans le cas de la Soufrière de

Guadeloupe, les acteurs politico-administratifs peuvent être confrontés à des avis

divergents et fortement polarisés. Dans le cas de la Soufrière Hills de Montserrat,

l’introduction des instruments probabilistes semble avoir permis de dépasser la

controverse. L’attention portée aux instruments tend cependant à masquer d’autres

facteurs contribuant à l’émergence d’un relatif consensus, par exemple la sélection des

chercheurs qui composent le groupe d’expert. Il serait donc intéressant de compléter

notre étude avec une analyse anthropologique et sociologique, en se concentrant

notamment sur les trajectoires biographiques des acteurs impliqués.

" 23