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IL TRIONFO DEL TEMPO E DEL DISINGANNO G.F. HAENDEL pédagogique CARNET

G.F. HAENDEL ILTRIONFO DEL TEMPO - festival-aix.com · Le sens moderne du terme désigne un type de narration qui ... La beauté de cette aria repose sur la simplicité de la mélodie

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ILTRIONFO DELTEMPO E DEL DISINGANNO

G.F. HAENDEL

pédagogiqueCARNET

Au printemps 1707, Georg Friedrich Haendel a 22 ans. Il réside à Rome et écrit un oratorio allégorique sur un texte du cardinal Benedetto Pamphili, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno ( Le Triomphe du Temps et de la Désillusion ), ouvrage qui sera créé l’été suivant. Nous ne connaissons pas les détails de cette création, ni le lieu où elle prit place, ni ses interprètes, même s’il semble qu’Arcangelo Corelli joua la partie de violon solo et dirigea l’orchestre à cette occasion. Dans les années suivantes, Haendel réemploya une grande partie des airs de cet oratorio dans ses opéras seria, et il adapta sa partition pour des effectifs plus importants, en vue de nouvelles exécutions à Londres en 1737 ( avec un livret traduit en anglais ) puis une nouvelle fois en 1757, sous le titre : The Triumph of Time and Truth. La version italienne d’origine a toutefois été conservée sous la forme d’un manuscrit autographe et a été redécouverte à la fin du XXe siècle. Depuis, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno est régulièrement donné en concert et enregistré, et parfois présenté sous forme scénique. C’est ainsi que le Festival d’Aix-en-Provence, qui programme pour la première fois cet ouvrage et conclut ainsi son cycle Haendel inauguré en 2014, le confie au metteur en scène Krzysztof Warlikowski et à la chef d’orchestre Emmanuelle Haïm.

Le livret du cardinal Pamphili met en scène quatre personnages allégoriques : la Beauté qui jure fidélité au Plaisir, tandis que le Temps et la Désillusion tentent de détourner la jeune femme de ses serments en lui faisant prendre conscience de sa finitude.

Sur cet argument aux visées morales, le jeune Haendel donne le meilleur de son inspiration tout en se conformant aux canons italiens de son époque. La partition du Trionfo del Tempo, conçue pour un simple orchestre à cordes tout juste garni d’un continuo et de deux hautbois, se montre toutefois extrêmement virtuose et laisse une place non négligeable à certains soli instrumentaux, notamment le violon et l’orgue à qui est confié un passage ébouriffant, vraisemblablement joué par Haendel lui-même lors de la création. Cet oratorio sans chœur fait aussi la part belle aux voix solistes. Les personnages de Beauté ( soprano ), Plaisir ( soprano grave ) et Désillusion ( contralto ) ont très certainement été créés par des castrats, les femmes n’ayant toujours pas le droit de chanter à Rome à cette époque ; quant à Tempo, il a été conçu pour une voix de ténor. Reprenant les codes et l’esthétique en train de se développer à l’époque dans l’opéra seria de type napolitain, la plupart des airs adoptent la forme da capo, et s’autorisent la plus grande virtuosité dans un style d’écriture brillant et contrasté. Cela dit, et à la différence de l’opéra seria, on trouve dans la partition quelques ensembles saisissants, soit deux duos et deux quatuors d’une grande théâtralité.

VUE D’ENSEMBLE

PERSONNAGES

* Ce rôle peut aussi être chanté par un contre-ténor aigu.

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno met en scène quatre personnages allégoriques, représentant chacun une idée.

–la Beauté

soprano

Bellezza

–le Plaisir

mezzo-soprano*

Piacere

–le Temps

ténor

Tempo

–la Désillusion

contralto

Disinganno

PREMIÈRE PARTIE

Tout d’abord, les personnages sont partagés de la manière suivante : le Plaisir parvient à séduire la Beauté, naïve et frivole. En opposition apparaissent le Temps et la Désillusion, figures de raison. Bellezza est jeune et belle, elle est flattée par le plaisir et semble ainsi baigner dans l’innocence en contemplant ses belles années dans le miroir. Le Plaisir lui promet qu’elle restera ainsi jeune et belle si elle lui jure fidélité. Le Temps et la Désillusion sortent rapidement la Beauté de son rêve en l’invitant à plutôt regarder le miroir de la vérité qui lui enseignera une toute autre réalité : la jeunesse ne dure hélas qu’un instant, et la Beauté souffrira si elle n’accepte pas l’emprise du temps sur son apparence.

Le Temps se place en ennemi du Plaisir, et déclare la guerre à la Beauté et à sa vanité : ici s’opposent l’éphémère et la jouissance contre le tempus fugit, l’inexorable fuite en avant du temps. Malgré les multiples tentatives de Piacere pour garder toute la confiance de sa belle, celle-ci prend conscience à mesure des discours convaincants du Temps et de la Désillusion que sa promesse initiale n’était ni raisonnable, ni vertueuse. À la fin de la première partie, la Beauté doute de plus en plus du duo qu’elle forme avec Piacere.

DEUXIÈME PARTIE

La deuxième partie marque la victoire des arguments avancés par le Temps, et voit la Beauté échapper peu à peu au Plaisir. Bellezza doit désormais faire face à son avenir – « Che risolvi ? Che pensi ? » – « quelle est ta décision ? » : elle doit choisir.

Bellezza évoque le souhait d’avoir deux cœurs : l’un pour le repentir et la beauté d’âme, l’autre voué au plaisir et à la beauté esthétique. Disinganno lui rétorque que son âme restera belle malgré le temps qui passe et que c’est précisément ce qui importe.

Enfin, pour se convaincre, la Beauté demande à la Désillusion d’où vient le ruisseau qui coule dans le palais du Plaisir, « il vient des larmes du monde » lui répond-elle. Qu’en est-il des pleurs des justes ? « Si leurs larmes semblent viles sur terre, elles sont des perles au ciel » – « che in vederle sembrano vili, e pure in ciel son perle ». Après une ultime tentative du Plaisir qui convie une dernière fois la Beauté à choisir la rose plutôt que les épines ( « lascia la spina, cogli la rosa » ), Bellezza dit adieu, au sens le plus étymologique du terme : elle part pour se confier à Dieu, et promet qu’elle abandonne là ses ardeurs et son désir de jeunesse éternelle. Le Temps et la Désillusion ont triomphé et se réjouissent de cette conversion à la sagesse. L’aria final célèbre le don de soi et la foi naissante de Bellezza ( « Tu del Ciel ministro eletto » ).

ARGUMENT

CECI N'EST PAS UN OPÉRA

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno n’est pas un opéra à proprement parler. Il s’agit d’un oratorio allégorique, œuvre instrumentale et vocale qui met en scène des personnages à la portée symbolique.

On peut également définir cette œuvre comme une « parabole » ou une « fable », car elle cache un enseignement, une morale : dans l’Italie du début du XVIIIe siècle, le très jeune Haendel assure sa légitimité en proposant un triomphe de l’éthique chrétienne et de l’ascétisme de la vie de couvent ( c’est bien de cela dont il est question lorsque Bellezza dit « adieu » ) face au plaisir sensoriel et fugace.

allégorie

Un procédé qui consiste à « parler par figure ».

allos = « l’autre » en grec ancien

agorein = « parler »

( on reconnait dans ce verbe la même racine qu’agora,

la place publique grecque, lieu de parole de la cité )

L’allégorie est donc une « parole autre », une « autre façon de dire ». Le sens moderne du terme désigne un type de narration qui utilise des représentations concrètes ( ici des personnages de chair ) à contenu symbolique ( les idées abstraites que sont la beauté, le plaisir, le temps, la désillusion ).

AIR DE BELLEZZA Un pensiero nemico di pace CD1, plage 14

Il s’agit du septième air de l’oratorio et de la quatrième intervention de Bellezza. Cette dernière n’est pas encore prête à abandonner Piacere et exprime sa colère envers le Temps, présenté comme son ennemi ( partie A ). Mais pour la première fois, elle concède qu’il est difficile de nier « l’empire du temps » et se lamente sur son inévitable pouvoir ( partie B ).

Les quatre premières mesures sont introductives ; avant l’aria de Bellezza, l’orchestre entre dans un tempo presto, décochant des rafales de doubles-croches jouées par les cordes de l’orchestre. Dès cette introduction, l’auditeur comprend qu’il est aux prises avec un air de tourment, voire de fureur ; ces montagnes russes de la ligne mélodique créent un sentiment de vertige. On imagine Bellezza essayant de fuir, de courir plus vite que le temps qui passe, mais elle est tragiquement rattrapée par le tempus fugit.

La première strophe ( « Un pensiero nemico di pace » ) est répétée deux fois par Bellezza sur le modèle de l’introduction instrumentale. Deux mesures entières sont consacrées à des vocalises en doubles-croches sur le mot « edace » mais avec des notes qui restent dans la même tessiture et provoquent un effet de tourbillon, donnant un sentiment de sur-place voire d’emprisonnement du personnage dans ses propres doutes. La panique de Bellezza est à son comble.

L’atmosphère change radicalement dans la section B : Le tempo se ralentit, les doubles-croches qui structuraient l’ensemble s’arrêtent pour laisser place à un rythme plus libre. On note la prédominance du clavecin en accords arpégés. Le temps est suspendu, Bellezza est rêveuse, mélancolique. Les triolets de croches en notes conjointes descendantes pourraient même mimer des sanglots et des soupirs.

Selon le schéma de l’aria da capo, la section A rapide est reprise, en y ajoutant des ornementations et des nuances, donnant un aspect général de virtuosité et d’improvisation, afin de mettre en avant les prouesses vocales de la chanteuse.

GUIDE D’ÉCOUTE

LES EXTRAITS

G.F. Haendel, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, Le Concert d’Astrée, dir. Emmanuelle Haïm ( Virgin Classics, 2007 )

AIR DE PIACERE Lascia la spina CD2, plage 16

Cet air est extrêmement célèbre, non seulement par sa beauté et son intensité dramatique, mais aussi parce qu’il apparaît plusieurs fois dans l’œuvre de Haendel. Tout d’abord sous la forme que nous allons entendre, « Lascia la spina », Il Trionfo del Tempo étant chronologiquement le premier oratorio composé par le compositeur. Cet air réapparait à l’identique en 1711 dans l’opéra Rinaldo, mais son texte a changé : « Lascia ch’io pianga / Mia cruda sorte / E che sospiri la liberta ». Par ailleurs, il est à noter que l’oratorio connaîtra plusieurs versions, notamment un travail d’expansion de la pièce en un oratorio en trois sections intitulé Il Trionfo del Tempo e della Verità en 1737, puis une version anglaise The Triumph of Time and Truth en 1757.

L’air est chanté par Piacere au milieu de la deuxième partie, il s’agit de son avant-dernière intervention. Alors que le Temps et la Désillusion ont manifestement déjà convaincu Bellezza de se ranger du côté de la vertu, le Plaisir tente de récupérer la belle, en se montrant charmeur et enjôleur. Si les arguments des deux autres personnages sont construits et reposent sur une éthique chrétienne, ceux du Plaisir sont ceux du cœur et de la philosophie hédoniste du carpe diem. Le recours à l’image de la rose – « Lascia la spina, cogli la rosa » ( « laisse de côté les épines, cueille la rose » ) – comme symbole de jeunesse est un lieu commun de la littérature. Les exemples ne manquent pas, de la célèbre œuvre médiévale Le Roman de la Rose, où la fleur est une allégorie de la beauté parfaite et de la jeune femme à conquérir, à l’Ode à Cassandre ( « Mignonne, allons voir si la rose… » ) de Ronsard. Ici encore, Piacere invite Bellezza à laisser les épines, métaphores de la douleur, et à cueillir la rose, symbole de jeunesse éphémère, de fragilité et de beauté.

Le tempo est largo, la mesure à trois temps, et la tonalité en fa majeur. Les instruments accompagnant la voix du Plaisir sont les cordes frottées ( violon, alto et viole de gambe ), ainsi que les cordes pincées ( clavecin et théorbe ).

La beauté de cette aria repose sur la simplicité de la mélodie et sur son architecture générale, d’une symétrie parfaite. Reprenant la forme de l’aria da capo qui produit un effet de bouclage, l’air se compose des trois parties habituelles de l’aria da capo : ABA’ ( seules les parties A et B sont écrite, A’ étant une reprise ornée de A ). La partie B est une parenthèse plus “allante” et juste accompagnée par le continuo ( clavecin, théorbe, violoncelle ). La partie A, introduction et conclusion de l’aria, repose également dans sa structure interne sur une symétrie parfaite selon le schéma a-b-c-b-a. Les huit premières et les huit dernières mesures exposent le thème « a » dans une version instrumentale. Ce thème correspondant aux deux premières strophes est repris à l’identique par Piacere dans les sections « b ». Enfin, la section « c » module passagèrement dans l’aigu avant de revenir à « b ».

De nombreux silences s’intercalent entre les notes pour mettre en valeur la diction du chant, notamment en fin de mesure. Sur le thème des deux premières strophes, chaque mesure est composée de manière identique : les deux premiers temps correspondent à deux syllabes et le troisième temps est celui du silence.

Une phrase musicale ou un mot isolé grâce au silence qui l’entoure acquiert une force émotionnelle et dramatique toute particulière. Ces troisièmes temps de silence ( ni la chanteuse ni les instruments ne jouent ) tiennent ce rôle de mise en relief de la mélodie et du désespoir du Plaisir.

GUIDE D’ÉCOUTE

Mesure 1Las – cia 1 2 3

Mesure 2La spi – na 1 2 3

Mesure 3Co – gli 1 2 3

Mesure 4La ro – sa 1 2 3

Section A5 X 8 mesuresa b c b astrophes 1 à 4

Section B3 X 8 mesuresd e dstrophes 5 à 7

Section A' da capo5 X 8 mesuresa b c b astrophes 1 à 4

L’EXACT CONTEMPORAIN DE BACH

Georg Friedrich Haendel naît à Halle en Allemagne le 23 février 1685, quelques semaines avant Johann Sebastian Bach, d’un père chirurgien-barbier également chambellan du duc de Saxe-Weissenfels et d’une mère fille de pasteur. Dès l’âge de sept ans, il apprend le clavecin, l’orgue et la composition auprès de l’organiste de la ville, avant d’être engagé à l’Opéra de Hambourg au poste

de claveciniste par le compositeur Reinhard Kaiser. De 1706 à 1710, un séjour en Italie, où il remporte ses premiers triomphes ( Dixit dominus, 1707, Aci, Galatea e Polifemo, 1708 ), lui permet de se familiariser à d’autres styles musicaux. De retour en Allemagne, il est nommé maître de chapelle à la cour de Hanovre.

DÉPART POUR L’ANGLETERRE

En 1710, il se rend pour la première fois en Angleterre et livre en 1711 Rinaldo, premier opéra italien spécifiquement destiné au public londonien. L’année 1713 marque son entrée au service de la couronne britannique et l’écriture de ses premières œuvres anglaises. Après un passage chez le duc de Chandos, à l’attention duquel il conçoit les Chandos Anthems et Acis and Galatea, il est nommé directeur artistique de la nouvelle Royal Academy of Music pour laquelle il écrit Radamisto ( 1720 ), Giulio Cesare ( 1724 ) ou encore Rodelinda ( 1725 ). Le fonctionnement de l’Académie est secoué par d’incessantes rivalités entre les divas Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni, que le compositeur s’efforce de satisfaire au prix, parfois, de certaines invraisemblances dramatiques.

SUJET BRITANNIQUE

L’institution vacille à nouveau lors de l’établissement d’une troupe concurrente, l’Opéra de la Noblesse. C’est l’époque d’Ariodante et d’Alcina ( 1735 ), écrits à l’intention du castrat Carestini et de la soprano Maria Strada del Po. Après plusieurs échecs successifs, Haendel se tourne vers l’oratorio sacré dont le sommet est atteint avec Le Messie ( 1742 ). Victime d’une attaque de paralysie en 1737, Haendel souffre d’une baisse de la vue à partir de 1750

puis de cécité. S’il ne compose plus, il continue à jouer ses propres œuvres. Le compositeur, vénéré outre-manche, devient sujet britannique en 1727. Décédé le 14 avril 1759 à Londres, il est inhumé à la cathédrale de Westminster.

COMPOSITEUR G.F. HAENDEL ( 1685-1759 )

FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE 2016

Direction musicale Emmanuelle HaïmMise en scène Krzysztof Warlikowski

Bellezza Sabine DevieilheDisinganno Sarah MingardoPiacere Franco FagioliTempo Michael Spyres

Orchestre Le Concert d’Astrée

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno n’est pas un opéra. Il s’agit du premier oratorio de Haendel, soit un genre musical et vocal né à Rome, qui se veut narratif mais non représentatif, et raconte une histoire religieuse. On donnait des oratorios dans des oratoires ( d’où le nom de ce genre ) ou des églises, et plus tard dans des théâtres mais en disposition de concert. Il n’y avait donc pas de mise en scène, de costumes ou de machines – même s’il pouvait arriver que l’orchestre et les solistes soient placés devant des toiles peintes.

Cette dimension non-théâtrale se ressent dans Il Trionfo dans le sens où, si les solistes incarnent des personnages ( allégoriques en l’occurrence ), les lieux dans lesquels ils évoluent ne sont pas toujours très clairs, et leurs interactions se limitent la plupart du temps à des dialogues, tandis que leurs actions sont très réduites.

Pour autant, il y a beaucoup de « théâtralité » dans Il Trionfo, car la musique de l’époque baroque était théâtrale dans son essence même. C’est-à-dire bâtie sur des alternances de tensions et de détentes, avec des atmosphères très contrastées, des pages très expressives. La musique prend donc en charge l’absence de scène : elle est souvent remplie de tensions, de couleurs et de figuralismes. Et le dialogue lui-même est à la base du geste théâtral. Quelques metteurs en scène ont donc déjà proposé des spectacles sur cette partition. Krzysztof Warlikowski s’y essaie à son tour.S’il a un temps pensé situer l’action de sa mise en scène dans une maison de retraite, où la jeune Bellezza serait une aide-soignante confrontée aux images de la vieillesse et de la fin de vie, Warlikowski a finalement changé complètement d’orientation. Il est parti du dernier air de Bellezza, qui montre une acceptation des rigueurs du temps et un renoncement au monde. Alors que certains metteurs en scène figurent ce renoncement par une entrée au couvent, Warlikowski, inspiré de certains modèles cinématographiques ( Virgin Suicide de Sofia Coppola et After Life de Hirokazu Kore-eda ), y voit plutôt le renoncement sous forme de suicide d’une adolescente. Confrontée aux questions difficiles du corps florissant mais promis au flétrissement, du regard de l’autre, de la finitude humaine, la jeune fille finit par mettre fin à ses jours. Warlikowski touche là à une thématique très contemporaine, qui lui permet de réinterroger les thèmes de l’oratorio de Haendel.

Concrètement, il met en scène Bellezza au milieu d’autres jeunes filles incarnées par des figurantes, qui occuperont le décor en jouant le rôle de spectatrices dans deux salles de cinéma identiques, séparées par un couloir que Bellezza empruntera à la fin de l’œuvre. On peut considérer ce couloir comme un symbole funèbre, chemin qui relie les vivants aux morts. On peut aussi comprendre ces salles de cinéma comme un lieu de « purgatoire », où l’on s’observe soi-même et où l’on médite sur sa condition ou sa vie passée. L’idée provient du film After Life, où l’on voit des personnes décédées recréer sous forme de film les meilleurs moments de leur vie dans un lieu industriel désaffecté tenant lieu de purgatoire. À noter que des images vidéo des jeunes filles seront projetées sur les parois des deux salles de cinéma.

NOTE D’INTENTION

À l’avant-scène, un espace de jeu distinct permettra d’observer la vie de Bellezza entourée des siens. On y verra son frère Piacere ( un contre-ténor ), qui l’incite à profiter de la jeunesse et à tenter des expériences, ainsi que ses deux parents, Tempo ( un ténor ) et Disinganno ( une contralto ) qui, au contraire, rappellent sans cesse à la jeune fille sa condition mortelle. Les scènes de la vie quotidienne de cette famille entreront ainsi en contrepoint avec l’observation-méditation des jeunes filles dans les salles de cinéma.

After Life

Attaché à renouveler le langage théâtral, Krzysztof Warlikowski atteint rapidement une notoriété importante sur la scène européenne grâce à ses interprétations de Shakespeare. Au théâtre, citons notamment ses productions de Anioły / Angels in America ( Kushner ), Madame de Sade ( Mishima ), Krum / Kroum l’ectoplasme ( Levin ), Koniec / La Fin ( d’après Kafka, Koltès et Coetzee ), ( A )pollonia, Un tramway ( d’après Tennessee Williams ) et Contes Africains ( d’après Shakespeare ). Très actif à l’opéra, il signe également les mises en scène de nombreuses productions lyriques : Iphigénie en Tauride ( Gluck ), L’Affaire Makropulos ( Janácek ), Parsifal ( Wagner ), Król Roger ( Szymanowski ) et Barbe-bleue ( Bartók ) / La Voix Humaine ( Poulenc ) à l’Opéra national de Paris ; Wozzeck ( Berg ) et Don Carlo ( Verdi ) au Teatr Wielki – Opéra national de Pologne ; Eugène Onéguine ( Tchaïkovski ) et Die Frau ohne Schatten ( Strauss ) au Bayerische Staatsoper à Munich ; The Rake’s Progress ( Stravinski ) au Staatsoper de Berlin ; L’Affaire Makropoulos ( élue meilleure mise en scène aux Premios Liricos 2009 ), Król Roger, Poppea e Nerone ( Monteverdi / Boesmans ) et Alceste ( Gluck ) au Teatro Real de Madrid ; Médée ( Cherubini ), Macbeth ( Verdi, élue Meilleure production de l’année 2009-2010 par le magazine Opernwelt ), Lulu ( Berg ) et Don Giovanni ( Mozart ) au Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles. Krzysztof Warlikowski dirige le Nowy Teatr de Varsovie, un centre culturel interdisciplinaire.

Après des études de piano et de clavecin, Emmanuelle Haïm enseigne au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris puis choisit la direction d’orchestre et fonde, en 2000, Le Concert d’Astrée, orchestre spécialisé dans la musique baroque. Invitée des plus grandes scènes internationales, elle est notamment une habituée du Festival de Glyndebourne. Elle est la première femme chef d’orchestre à officier à l’Opéra de Chicago en dirigeant Jules César de Haendel. Elle dirige aussi l’Orchestre Philharmonique de Berlin en 2008, 2011 et 2014. Ses enregistrements avec Le Concert d’Astrée sont abondamment récompensés : Victoires de la Musique Classique, nomination aux Grammy Awards… Elle collabore avec de grands artistes tels que Philippe Jaroussky, Patricia Petibon, Anne Sofie von Otter et Laurent Naouri. Emmanuelle Haïm est Chevalier de la Légion d’honneur, Officier des Arts et des Lettres et Membre honoraire de la Royal Academy of Music de Londres. Nordiste de cœur, elle est aussi l’Ambassadrice du Nord à travers le monde, Le Concert d’Astrée étant en résidence à Lille. Elle dirigera cette année son ensemble sur instruments d’époque pour la production Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel, œuvre qui fait partie de sa discographie, enregistrée en 2007 avec son orchestre et Natalie Dessay dans le rôle de Bellezza.

ÉQUIPE ARTISTIQUE

À VOIR/ À LIRE

Théâtre

Sarah Kane, 4.48 Psychose ( 4.48 Psychosis ), L’Arche, 2001

Univers proche de ce que souhaite représenter Warlikowski.

Cinéma

Sofia Coppola, Virgin suicides ( 1999 )

Le suicide de quatre sœurs dans une petite ville de la banlieue de Détroit, raconté par un narrateur extérieur à la famille.

Hirokazu Kore-eda, After life ( 2000 )

Dans cette métaphore de l’au-delà, une série de personnages se retrouve dans une situation intermédiaire, où il leur est proposé de se souvenir du plus beau rêve de leur vie…

FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE 2016 www.festival-aix.com

SERVICES ÉDUCATIF ET SOCIO-ARTISTIQUE – PASSERELLES [email protected] / [email protected] COORDINATION ÉDITORIALE ET TEXTES Alain Perroux assisté d’Orane Furness-Pina ILLUSTRATIONS Extraits du webdoc du Festival d’Aix-en-Provence La fantastique histoire

de G.F. Haendel © Mistère Public ICONOGRAPHIE Maquettes du décor © Malgorzata Szczeniak | Références

visuelles Virgin Suicides / After Life DESIGN GRAPHIQUE Céline Gillier