12
NUMÉRO 52 | ÉTÉ 2014 L’éthique avant le profit Protection du climat : avec l’argent de l’aide Ursula Haller : besoin d’action légale Coopération : micmacs comptables Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper | www.alliancesud.ch Globalisation et politique Nord-Sud

Global+ No 52 été 2014

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Accord libre-échange avec la Malaisie - Interview Ursula Haller - Financement des mesures climatiques - New ODA: méthodes de calcul à l'OCDE

Citation preview

Page 1: Global+ No 52 été 2014

Nu

mÉr

o 52

| Ét

É 20

14

L’éthique avant le profitProtection du climat : avec l’argent de l’aide

Ursula Haller : besoin d’action légale

Coopération : micmacs comptables

Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper | www.alliancesud.ch

Globalisation et politique Nord-Sud

Page 2: Global+ No 52 été 2014

2 GLOBAL+ ÉtÉ 2014

News

ONU: traité sur les multinationalesme. Malgré l’adoption en 2011 des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, des multinatio-nales continuent de commettre quotidien-nement des violations en toute impunité. C’est pourquoi un groupe de 85 pays en dé-veloppement, emmenés par l’Uruguay et l’Afrique du Sud, réclament un traité inter-national contraignant qui pousserait les Etats à rendre les entreprises responsables des incidences négatives de leurs activités extraterritoriales. Lors de la session de juin du Conseil des droits de l’homme à Genève, une résolution sera déposée demandant la création d’un groupe de travail intergouver-nemental chargé de l’élaboration d’une telle convention. Cette initiative est soutenue par plus de 500 organisations de la société civile

– dont Alliance Sud – réunies dans l’Alliance pour un Traité. www.treatymovement.com

Passe d’armes sur l’agenda post-2015ns. Lors d’une réunion informelle début juin, le Groupe de travail ouvert a discuté la pre-mière « esquisse zéro » de l’agenda post-2015 de l’ONU pour le développement durable. Sont débattus les principes supérieurs des

traités internationaux, seize objectifs et leurs sous-objectifs ainsi que des pistes controversées pour leur mise en œuvre. Par-mi celles-ci figurent les engagements non réalisés des pays donateurs tirés du hui-tième objectif du Millénaire, comme des règles commerciales équitables via un libre accès au marché pour les pays les plus pauvres. Mais aussi des mesures contre les fluctuations de prix des denrées alimen-taires, pour la régulation des flux financiers illicites et de l’évasion fiscale internationale. Une proposition curieuse est l’objectif en blanc qui devrait reprendre les résultats de la conférence de l’ONU sur le climat COP 21.

Aide controverséedh. En Suisse et en Grande-Bretgane, des in-vestissements financés par l’argent du déve-loppement font l’objet de critiques. Le SIFEM ( Swiss Investment Fund for Emerging Mar-kets ), une société par actions ( de droit privé ) de la Confédération ( Seco ), a fourni 414 000 francs à Virgin Mobile Latin America du mil-liardaire Richard Branson pour établir un ré-seau de téléphonie mobile en Amérique du Sud. Un cas analogue est dénoncé par des ONG anglaises : CDC, société mandatée par

le gouvernement britannique pour investir en Amérique latine, Asie et Afrique, parti-cipe à hauteur de 260 millions USD à la construction de quartiers résidentiels contrôlés, centres commerciaux et villas de luxe. Les deux organisations semi-étatiques se défendent avec le même argument : cela permet de créer des milliers d’emplois.

Oui ambigu à l’EAImh. L’échange automatique d’informations ( EAI ) en matière fiscale prend enfin corps au plan international. Le Conseil fédéral a pré-senté mi-mai la manière dont il envisage de le mettre en œuvre. Il entend malheureuse-ment exclure les pays en développement de ce nouveau standard. Selon son projet de mandat, l’EAI ne serait introduit qu’envers les Etats « avec lesquels il existe des relations économiques et politiques étroites ». De plus, il conviendrait de prendre en compte les pays « considérés comme importants et por-teurs d’avenir pour l’industrie financière ». Autrement dit, la Suisse ne doit offrir l’EAI qu’aux pays qui pourraient lui nuire écono-miquement ou politiquement. Le Conseil fédéral fait fi une fois de plus des considéra-tions de politique de développement.

Impressum

GLOBAL+paraît quatre fois par an.

Editeur :Alliance SudCommunauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | EperE-mail : [email protected] Site Internet : www.alliancesud.chmédias sociaux : facebook.com/alliancesud, twitter.com/AllianceSud Rédaction :michel Egger ( me ) tel. 021 612 00 98Iconographie : Nicole Aeby

Graphisme : Clerici Partner AG, ZurichImpression : s+z : gutzumdruck, BrigTirage : 1500Prix au numéro : Fr. 7.50Abonnement annuel : Fr. 30.–Abonnement de soutien : min. Fr. 50.–Prix publicité / encartage : sur demandePhoto de couverture : un bidonville de Kuala Lumpur ( malaisie ) dans l’ombre des tours jumelles de Petronas. © mark Henley / Panos

Le prochain numéro paraîtra début octobre 2014.

PrésidentHugo Fasel, directeur de Caritas Suisse

DirectionPeter Niggli ( directeur )Kathrin Spichiger, rosa Amelia Fierromonbijoustr. 31, Case postale 6735, 3001 Bernetél. 031 390 93 30Fax 031 390 93 31E-mail : [email protected]

Politique de développement

– Coopérationaudéveloppement Nina Schneider ( jusqu’au 30.6 ), Eva Schmassmann ( dès le 1.9 ) tél. 031 390 93 40 [email protected]

– Politiquefinancièreetfiscale mark Herkenrath, tél. 031 390 93 35 [email protected]

– Développementdurable/climat Nicole Werner ( jusqu’au 30.6 ), Jürg Staudenmann ( dès le 1.9 ) tél. 031 390 93 32 [email protected]

– Commerce Isolda Agazzi, tél. 021 612 00 97 [email protected]

– Multinationales michel Egger, tél. 021 612 00 98 [email protected]

– Médiasetcommunication Daniel Hitzig, tél. 031 390 93 34 [email protected]

InfoDoc BerneJris Bertschi / Emanuela tognola / Emanuel Zeitertél. 031 390 93 [email protected]

Bureau de Lausannemichel Egger / Isolda Agazzitél. 021 612 00 95 / Fax 021 612 00 [email protected]

InfoDoc Lausanne Pierre Flatt / Amélie Vallotton Preisig / Nicolas Bugnontél. 021 612 00 86, [email protected]

Bureau de LuganoLavinia Sommarugatél. 091 967 33 66 / Fax 091 966 02 [email protected]

Alliance Sud en un clin d’œil

Page 3: Global+ No 52 été 2014

GLOBAL+ ÉtÉ 2014 3

Les droits humains sont un devoirDepuis 2002, selon l’organisation Global Witness, 908 personnes ont été tuées parce qu’elles s’opposaient à la mainmise de multinationales de matières premières sur leurs terres ou à la destruction de leurs forêts. Selon l’indice 2013 de la Confédération syndicale internationale, des tra-vailleurs revendiquant des salaires et conditions de travail décentes ont été emprisonnés dans 35 pays, assassinés dans 9 et licenciés dans 53. tous ont payé pour le simple respect de droits garantis au plan international.

De tels rapports nous parviennent mois après mois. Les premiers responsables de violations des droits humains sont les gouvernements. Les luttes pour les améliorations doivent donc être menées dans les pays concernés. mais les multinationales ont aussi leur part de responsabilité. Elles pourraient agir dans leur sphère d’influence. Personne ne les oblige à profiter de la situation de faiblesse juridique des petits paysans ou des indigènes pour – avec la complicité des gouvernements – s’approprier des terres, polluer des nappes phréatiques, faire briser des grèves ou employer de la main-d’œuvre à des salaires de misère. C’est une problé-matique récurrente depuis une quinzaine d’années. Quelques milliers d’entreprises ont promis des changements sur une base volontaire. Les violations des droits humains cependant continuent – aussi par les « volontaires ».

Cette situation explique les efforts au sein de l’oNu pour élaborer une convention internationale contraignante pour toutes les multinatio-nales. Le projet a cependant été sabordé par la Chambre de commerce internationale. Les Principes directeurs de l’oNu relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, adoptés en 2011, encouragent maintenant les Etats à veiller à ce que leurs multinationales respectent les droits hu-mains. La coalition « Droit sans frontières » a suivi en 2012 avec une péti-tion au Conseil fédéral et au Parlement, demandant entre autres d’obliger légalement les organes dirigeants des entreprises à des procédures de diligence.

Le Conseil fédéral a publié en mai un rapport substantiel sur cette question, où il esquisse quatre possibilités pour inscrire dans le droit un devoir de diligence. La combinaison des quatre pistes correspond au minimum des exigences de « Droit sans frontières ». Le gouvernement s’est cependant gardé de formuler une recommandation. Il laisse l’initia-tive au parlement. L’union suisse des arts et métiers et le Parti libéral-radical rejettent par principe des régulations contraignantes – le PLr prône une réglementation internationale, cela même qui s’est heurté à l’opposition des lobbies économiques. Notre tâche sera de veiller à ce que le rapport ne puisse pas être mis en morceaux ou au rancart.

� Peter�Niggli,�directeur�d’Alliance�Sud

Points forts

méthodes de calcul à l'oCDE 4 Micmacs comptables autour de l’aide

Entretien avec ursula Haller 6 « L’autorégulation ne suffit pas »

Alliance Sud en mouvement 8 Quatre départs et recommencements

Financement des mesures climatiques 9 La Suisse à côté de la plaque

Accord avec la malaisie 10 La politique étrangère à l’épreuve

Dan

iel r

ihs

Phot

o : ©

mic

hael

mor

gens

en (

taya

can

) / Pa

nos

Page 4: Global+ No 52 été 2014

4 GLOBAL+ ÉtÉ 2014

Réforme�des�méthodes�de�calcul�à�l’OCDE

Micmacs comptables au royaume de l’aide

Depuis les années 1960, le Comité d’aide au développement ( CAD ) de l’oCDE mesure les flux financiers de ses membres vers les pays en développement. Grosso�modo, toutes les contribu-tions non remboursables ( dons ) ainsi que les prêts dits conces-sionnels ( à des conditions favorables et assortis d’un élément de don ) qui servent au développement économique et social des pays en développement, sont reconnus comme de l’aide publique au développement ( APD ). En 1970, l’Assemblée géné-rale des Nations unies a, pour la première fois, fixé l’objectif de 0,7 pour cent du revenu national brut. Il a été réaffirmé à maintes reprises, mais jusqu’à aujourd’hui seuls 5 des 28 pays donateurs du CAD – Norvège, Suède, Luxembourg, Danemark, Grande-Bretagne – l’ont atteint.

Nina Schneider Les pays industrialisés de l’OCDE sont en train de redéfinir l’aide au développement

et les flux financiers qui la constituent. La réforme devrait être sous toit avant que les nouveaux

objectifs de développement soient fixés par les Nations Unies ( agenda post-2015 ).

Les statistiques du CAD sont critiquées depuis des années, parce qu’elles permettent aux gouvernements de déclarer comme aide une bonne partie de ce qui leur convient. Ainsi, des oNG comme Alliance Sud contestent l’inclusion des coûts de l’asile ou des bourses d’études. A l’inverse, des gouvernements demandent de pouvoir considérer comme aide les contributions aux opérations militaires de maintien de la paix, les crédits à l’exportation ou des garanties pour des investissements à risques.

Jusqu’en décembre 2014, les statisticiens des pays membres du CAD veulent présenter un nouveau standard pour l’APD. L’ob-jectif est d’unifier les critères de comptabilisation, de motiver les « nouveaux donateurs » à monter à bord, de garantir à long

Dans le village de Yonoféré au cœur de la zone semi-désertique du Ferlo, cet abreuvoir est alimenté par un puits co-financé par l’Eper. L’OCDE va-t-elle encourager l’aide aux pays les moins avancés comme le Sénégal sous la forme de crédits plutôt que de dons, avec les risques budgétaires qui en découlent ?

Phot

o : ©

Chr

isti

an B

obst

/ Epe

r

Page 5: Global+ No 52 été 2014

GLOBAL+ ÉtÉ 2014 5

Réforme�des�méthodes�de�calcul�à�l’OCDE

Micmacs comptables au royaume de l’aide

terme la crédibilité et la légitimité du CAD ainsi que la perti-nence de son système de contrôle pour l’agenda post-2015 de l’oNu. La russie, la turquie et les Emirats arabes unis adhèrent aujourd’hui déjà aux critères sur une base volontaire. Le mexique et – selon certaines rumeurs – aussi la Chine devraient suivre encore cette année.

Vers une « nouvelle » aide publiqueLa critique des oNG envers les nouvelles méthodes comptables ne sera probablement pas entendue. Il est vraisemblable qu’à la fin des négociations, les intérêts des grands pays donateurs prévaudront sur ceux des pays en développement. Ceux-ci sont invités au processus, mais sans droit de vote. De fait, chaque pays aimerait pouvoir calculer comme aide son propre « cock-tail » de fonds. une manière de réaliser le 0,7 pour cent, si pos-sible sans ressources budgétaires supplémentaires. on cherche donc un compromis avantageux pour tous.

La question – chère aux oNG – pour un recentrement sur l’« aide réelle » ( dons et contributions aux banques de dévelop-pement ) a plus ou moins été abandonnée. Les tractations portent avant tout sur ladite « nouvelle » APD. La proposition en discussion concerne les prêts concessionnels. L’idée est d’abroger la condition actuelle pour la comptabilisation, qui fixe à 25 pour cent au moins la part de don. Il s’agit d’empêcher que soient déclarés comme subventionnés des taux d’intérêt supérieurs au taux réel d’un pays donateur. La « nouvelle » APD reconnaîtrait un équivalent-don reposant non sur la valeur no-minale d’un crédit, mais sur la différence entre le taux d’intérêt et les coûts du capital ( y compris la prime de risque ). Cette mé-thode permettrait notamment à l’union européenne de consi-dérer comme aide les crédits de la Banque européenne pour le développement et la reconstruction ( BErD ), qui se trouvent juste sous le taux du marché. La « nouvelle » APD intégrerait aussi les investissements publics à risques.

L’adoption de cette proposition conduirait à une augmen-tation automatique de l’APD de 3 à 6 pour cent. Point particu-lièrement inquiétant, elle créerait des incitations pour des ins-truments de financement fondés sur le marché et désavanta-gerait les pays fournissant une aide non remboursable.

La tendance est claire. on va vers des modèles de calcul moins transparents via la création de produits voilant les flux financiers. Ils permettront aux donateurs de s’épargner les dé-penses promises et grèveront les pays en développement de nouvelles dettes. A l’inverse du credo de la lutte contre la pau-vreté qui encourage les contributions sous forme de dons, un nombre croissant de gouvernements recourent à des prêts. D’où pour les pays donateurs une charge budgétaire moindre, ré-duite à la différence par rapport au taux du marché. Selon les statistiques du CAD, les flux d’aide se sont déplacés ces der-nières années des pays les plus pauvres ( PmA ) vers les pays émergents, dont la croissance économique constante est par-ticulièrement attrayante pour les pays industrialisés.

Risque de renchérissement des services publicsLes PmA attirent moins les investissements, car ils sont moins aptes à rembourser des prêts. L’aide qu’ils reçoivent est actuel-lement composée entre 70 et 90 pour cent de dons. Le CAD dis-cute de savoir s’il est légitime d’encourager une augmentation des crédits avec des primes de risques élevés. Il en résulterait des charges budgétaires accrues pour les pays en développe-

ONG : agenda post-2015 d’abord

ns. Les propositions de réforme discutées au Comité d’aide au développement ( CAD ) menacent de voiler l’aide classique au développement et par là-même les obligations internationales des pays donateurs. Alliance Sud soutient la reven-dication du réseau européen d’ONG Eurodad ainsi que du G - 77 de ne rien créer de préjudiciable avant que l’ONU ait décidé de l’agenda post-2015. Ce dernier vise un financement durable du dévelop-pement, qui implique la fixation d’objectifs quantitatifs concrets pour les pays donateurs et les divers domaines. Le CAD devrait se concentrer d’ici à la fin de l’année sur la définition d’une méthode de comptabilisation juste pour les prêts concessionnels, qui ne prenne en compte que les charges budgétaires réelles des donateurs. De plus, dans l’examen des pays récipiendaires, les pays donateurs devraient veiller à ce que dorénavant au moins 50 pour cent de l’aide bénéficient aux pays pauvres.

ment, via des coûts en intérêts et des amortissements supplé-mentaires. D’où également un renchérissement des services publics comme la santé et l’éducation, ce qui irait clairement à l’encontre de l’objectif de lutte contre la pauvreté. Au pire, des crédits de développement pourraient susciter une nouvelle spi-rale de surendettement.

Plus fondamentalement encore, la question se pose de sa-voir si – au lieu de promouvoir un développement durable et équitable – les nouveaux instruments de financement et inves-tissements à risques ne vont pas, une fois de plus, grossir les poches des pays donateurs et des investisseurs privés, réduisant par là-même l’appropriation des pays en développement.

mais ce n’est pas tout. Dans la mesure où la « nouvelle » APD ne couvre pas l’ensemble des flux que les pays donateurs aimeraient considérer comme aide, le CAD envisage d’intro-duire dans la négociation un nouvel instrument intitulé « sou-tien public total au développement ». L’idée est de pouvoir inté-grer tous les flux financiers possibles – y compris ceux qui ont peu à voir avec la lutte contre la pauvreté – qui pourraient prendre de l’importance dans le financement de l’agenda post-2015. tout se passe donc comme si on essayait de créer un argu-ment fort pour déconsidérer l’APD comme valeur de référence de la coopération internationale.

La critique des ONG envers les nouvelles méthodes ne sera probablement pas entendue.

Page 6: Global+ No 52 été 2014

6 GLOBAL+ ÉtÉ 2014

Entretien�avec�Ursula�Haller,�conseillère�nationale�PBD

L’autorégulation des entreprises ne suffit pas

Michel Egger et Daniel Hitzig Après la session d'automne, Ursula Haller ( Parti bourgeois

démocratique ) va se retirer du Conseil national après 15 ans d’activités.

Politicienne du centre, elle est convaincue qu’une économie florissante est

compatible avec le respect de valeurs éthiques. Rencontre.1

Ursula Haller, vous vous êtes engagée dans les commissions de politique extérieure ( CPE ) et de la politique de sécurité ( CPS ) du Conseil national. Pourquoi précisément là ?Lorsque je faisais encore partie de l’uDC, j’étais membre de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture ( CSEC ). C’était dans mes cordes en tant que directrice de l’éducation à la ville de thoune. Le passage à la CPS avait aussi à voir avec le contexte thounois, puisque plusieurs entreprises importantes d’armement y sont domiciliées. Dans la mesure où la sécurité est une question non seulement extérieure, mais aussi inté-rieure, j’ai trouvé que l’engagement au sein de la CPE était un complément qui faisait sens. C’est comme cela que je l’ai tou-jours vécu.

Vous avez en mars pris position contre l’industrie d’arme-ment. Comment a-t-on réagi à Thoune ?Cela a été bien reçu ! même le PDG de ruag m’a signalé qu’il comprenait ma position. Il s’agissait d’assouplir la loi sur les exportations de matériel de guerre pour pouvoir en exporter aussi dans des pays où le respect des droits de l’homme est tout sauf garanti. Avec comme argument de ne pas prétériter l’in-dustrie suisse face à la concurrence étrangère. Je trouve dévas-tateur pour la réputation de la ville de thoune que des armes, qui y sont produites, se retrouvent – même par des voies dé-tournées – dans des mains problématiques. Je pense, par exemple, aux grenades qui ont fini en Syrie ou aux fusils de précision avec lesquels on a tiré sur des civils sur la Place de l’Indépendance à Kiev. Il est donc très important que l’on ait des directives très sévères dans la loi sur le contrôle des biens et son ordonnance, qui règlent l’exportation de matériel de guerre. Je trouve qu’exporter des armes dans des pays comme l’Arabie Saoudite, où les droits fondamentaux des femmes sont bafoués, revient à donner un signal calamiteux.

Une forme de double morale de la Suisse humanitaire ?Absolument. Bertolt Brecht a lancé l’idée que manger vient avant la morale. Je suis personnellement d’avis que le succès économique et la morale ne sont en rien incompatibles, bien au contraire. Je suis convaincue que notre pays a tout à gagner

Phot

os :

© D

anie

l rih

s / Pi

xsil

Page 7: Global+ No 52 été 2014

GLOBAL+ ÉtÉ 2014 7

Entretien�avec�Ursula�Haller,�conseillère�nationale�PBD

L’autorégulation des entreprises ne suffit pas

si nous agissons de manière éthique aussi dans l’économie. Certes, nous avons besoin de matières premières, mais à quel prix humain les entreprises doivent-elles opérer ?

Dans le débat sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains, des voix affirment qu’il n’y a en Suisse guère besoin d’agir.Elles ont tort ! Quand des entreprises qui ont leur siège princi-pal en Suisse sont complices de travail d’enfant ou de pollutions environnementales, cela nuit à notre réputation. Je ne veux pas accuser une firme en particulier, mais la Suisse – en tant que plaque tournante du négoce mondial de matières premières – doit y regarder de plus près. Je suis persuadée que le Conseil fédéral, Economiesuisse et l’union suisse des arts et métiers savent tous très bien que la Suisse ne peut pas se permettre d’être impliquée dans des affaires sales. C’est pourquoi nous devons adapter les régulations de la branche, comme cela se passe par exemple aux Etats-unis et dans l’union européenne. Il convient certes de trouver le bon équilibre. La Suisse doit en partie servir de modèle. Cela ne signifie pas cependant que nous devons montrer au reste du monde que nous sommes les meilleurs, au risque que des firmes quittent la Suisse.

Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits humains parlent de « mélange judicieux » de normes volontaires et contraignantes. En Suisse, beau-coup croient que l’autorégulation est suffisante. Qu’en pensez-vous ?Idéalement, la sensibilisation devrait conduire à ce que les entreprises soient encore plus conscientes des conséquences de leurs activités et que les dommages puissent être évités. malheureusement, cela ne se passe pas ainsi. ou trop peu. on peut faire un parallèle avec les hooligans dans le domaine du football. Là, on voit bien que, seule, l’autorégulation des fans ne suffit pas. L’auto-responsabilisation est en partie une illu-sion : il y a trop d’acteurs qui ne sont prêts à réguler que dans la mesure où cela ne nuit pas à leurs affaires. Des firmes comme Glencore Xstrata – avec leur savoir-faire – sont pour-tant capables d’extraire les matières premières dont nous avons tous besoin de manière à ce que cela ne porte pas at-teinte aux êtres humains et à l’environnement. Il convient, ici aussi, de promouvoir une situation win-win. Pour cela, des règles juridiquement contraignantes sont en réalité néces-saires. Je crois personnellement que de telles règles peuvent avoir un effet préventif. Si nous nous contentons d’appeler les entreprises à investir dans la prévention, celle-ci risque de n’être qu’un vain mot. Finalement, il s’agit d’arriver à des amé-liorations concrètes.

« Droit sans frontières » demande que les entreprises doivent rendre des comptes de leurs activités et en assumer la responsabilité à travers un devoir de diligence. Au cas où il serait établi qu’elles n’ont pas respecté ces obligations et que les standards – en lien par exemple avec des risques de

sécurité pour les collaborateurs – ont été violés, elles devraient être soumises à des sanctions.C’est comme cela que je vois les choses. Les rapports qui constatent des manquements et ne sont suivis d’aucun effet, sont des tigres de papier. L’entreprise qui ne respecte pas les règles doit en sentir les conséquences. Pour un tel système, une collaboration entre les Etats est cependant requise. Quant à savoir si les pays où les matières premières sont extraites y voient aussi un intérêt, c’est une autre histoire – les droits hu-mains et les questions environnementales y ont souvent peu de valeur. C’est pourquoi nous avons une responsabilité.

Fin mai, le Conseil fédéral a publié un rapport de droit comparé, qui fait suite à votre postulat au sein de la CPE. Comment jugez-vous ses conclusions pour une régulation future de la responsabilité des entreprises ?Le Conseil fédéral établit dans ce rapport un état des lieux. Il reconnaît que la Suisse devrait assumer sa responsabilité en matière de droits humains et d’environnement à travers une législation correspondante. Il signale également qu’un ancrage légal de l’obligation de diligence et / ou du devoir de reporting des entreprises serait imaginable. Cependant, et c’est sympto-matique, le Conseil fédéral ne veut pas trop se mouiller. Il ne fait aucune proposition concrète pour les pas juridiques néces-saires à accomplir. Cette formulation ( trop ) prudente a d’ores et déjà conduit à des réactions négatives, notamment de la coalition « Droit sans frontières », mais aussi lors d’une mani-festation organisée récemment par Economiesuisse. Les deux bords regrettent que le Conseil fédéral ne dise pas quelles me-sures concrètes devraient logiquement venir. Ce sera mainte-nant au Parlement de s’exprimer sur cette question. Affaire à suivre.

L’interview complète d’Ursula Haller peut être téléchargée sur www.alliancesud.ch.

� 1� L’interview�a�été�réalisée�le�20�mai�2014.�La�dernière�question� �a�été�posée�après�la�publication�du�Rapport�de�droit�comparé�du�Conseil�fédéral.

L’entreprise qui ne respecte pas les règles doit en sentir les conséquences.

Page 8: Global+ No 52 été 2014

8 GLOBAL+ ÉtÉ 2014

Alliance�Sud�en�mouvement

Quatre départs pour autant de recommencementsPeter Niggli Quatre de nos collègues, qui se sont fortement engagés pour Alliance Sud, vont nous quitter cet été. Nous leur disons un cordial merci.

SilviaCarton était l’une des deux têtes féminines de notre bu-reau à Lugano et s’est occupée depuis 1992 du secrétariat. Elle est devenue avec le temps un soutien et une partenaire indis-pensable de la responsable. Elle vient – malheureusement pour nous – d’atteindre l’âge de la retraite. Nous lui souhaitons le meilleur dans le nouveau royaume de la liberté.

A l’antenne de Lausanne, FrédéricRussbach a assumé depuis 2001 les tâches administratives et a réalisé la mise en page de l’édition francophone de GLoBAL+. Les premières années, il a aussi servi d’« homme à tout faire » chez Infosud. Il s’en va pour un nouveau défi. Nous lui souhaitons bon vent.

NicoleWerner a repris au printemps 2011 le�dossier�du�climat�et�de�la�politique environnementale. Les espoirs dans un accord global consistant sur le climat s’étaient alors effilochés. Les gou-vernements négocient depuis lors selon le principe « toi d’abord, moi beaucoup plus tard ». Cela fait fi de la recommandation pressante de la science de réduire dans cette décennie encore les émissions de gaz à effet de serre, si l’on entend pouvoir maî-triser les changements climatiques.

Nicole a œuvré dans le comité de l’Alliance pour une poli-tique climatique responsable. Elle a participé aux travaux pré-

paratoires de l’office fédéral de l’environnement pour les confé-rences annuelles sur le climat, où est géré le surplace politique. Elle s’est battue en notre nom pour la justice climatique ( entre les pays riches et pauvres ) et le financement du climat par les pays industrialisés.

Parallèlement, Nicole a préparé le sommet rio+20. Elle a réalisé notre papier de position sur le processus post-2015, paru sous le titre « Des objectifs suisses pour un développement glo-bal porteur d’avenir1 ». Physicienne de formation, elle combine une joie de vivre et une vision lucidement noire du caractère non durable du mode de production dominant. Nous formons nos meilleurs vœux pour les nouvelles activités qu’elle re-cherche et qu’elle a déjà en partie trouvées dans l’agriculture biologique.

NinaSchneider s’est plongée en novembre 2011 dans le dossier de la�politique�de�coopération�au�développement. Quelques mois auparavant, le Parlement avait pris la décision d’augmenter l’aide au développement à 0,5 pour cent du revenu national brut jusqu’en 2015. Nina a contribué à la consolider : en 2012, le Par-lement a adopté les grands crédits-cadres avec les dernières tranches de l’augmentation. Nina a veillé à ce qu’une majorité refuse de lier l’aide au développement et le rapatriement des requérants d’asile.

L’élargissement du cadre financier a stimulé les envies de puiser dans le budget de la coopération pour financer des acti-vités à l’efficacité de développement douteuse – par exemple, la collaboration avec le secteur privé. Nina s’est occupée de notre demande à la DDC de renforcer les critères pour le choix et l’évaluation de tels programmes, afin d’éviter un mauvais usage des ressources. Les affections détournées de fonds ont fait l’objet de notre contribution – coordonnée par Nina – à l’examen par les pairs de la Suisse, réalisée par le Comité d’aide au développement de l’oCDE.

Finalement, Nina s’est occupée de nos apports dans les consultations de la DDC sur l’agenda post-2015. A côté de tout cela, elle a assumé le secrétariat du Groupe parlementaire Suisse-Solidarité internationale ainsi que de la plateforme des oNG suisses de développement. Elle souhaite à l’avenir un tra-vail plus concret et proche du terrain. Elle est en ce sens ouverte à la nouveauté. Nous ne pouvons que la recommander.

Phot

o : ©

Sand

ro m

ahle

r

Phot

o : ©

Dan

iel r

ihs

Phot

o : ©

urs

Fan

khau

ser

Phot

o : m

ad

SilviaCarton FrédéricRussbach

NicoleWerner NinaSchneider

Pour la justice climatique

Contre le mauvais usage des ressources

� 1� voir�www.alliancesud.ch/fr/publications/livres/position-sur-un-agenda-de-developpement-post-2015

Page 9: Global+ No 52 été 2014

GLOBAL+ ÉtÉ 2014 9

Alliance�Sud�en�mouvement

Quatre départs pour autant de recommencements

Financement�du�climat

Le Conseil fédéral à côté de la cibleNicole Werner L’adoption d’un nouvel accord international sur le climat en 2015 à Paris dépend des objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre et des engagements financiers des pays industrialisés. Si la Suisse campe sur ses positions, elle sera clairement coresponsable en cas d’échec des négociations.

Selon le dernier rapport du Conseil mondial du climat, l’objectif de 2˚C ne pourra être réalisé que si les émissions globales de gaz à effet de serre diminueront de 40 à 70 pour cent jusqu’en 2050 par rapport au niveau de 2010 et seront réduites à quasi zéro d’ici à la fin du siècle. une répartition équitable des charges implique un effort de réduction plus grand des pays industria-lisés, afin de donner un espace aux pays du Sud pour leur déve-loppement. or, le Conseil fédéral a annoncé fin mai que la Suisse ne reverrait pas ses objectifs climatiques : au maximum une baisse de 20 pour cent jusqu’en 2020 par rapport à 1990.

La Suisse n’a pas seulement pris congé d’une politique cli-matique ambitieuse au plan national. Le traité international qu’elle aborde superficiellement ne verra le jour que si les pays émergents et en développement adoptent des objectifs clima-tiques contraignants. or, ils ne s’y résoudront que si les pays industrialisés assument leur responsabilité (historique) pour les changements climatiques et s’acquittent de leurs promesses financières. Selon l’accord passé à Cancún en 2010, leurs contri-butions devraient s’accroître dès maintenant de 10 milliards de dollars par an pour atteindre 100 milliards de dollars en 2020.

Fonds additionnels et nouveauxIl n’existe actuellement pas de clé officielle pour fixer les contri-butions nationales des pays industrialisés afin d’atteindre cette somme. La Suisse a fait ses propres calculs pour évaluer son

apport au financement pendant les années 2010 à 2012. Avec la même méthode, on arrive à une contribution d’environ 460 millions de francs. C’est largement sous-estimé. En prenant les critères de l’oNu pour les contributions de ses membres, elle devrait payer une part de 1,3 milliard de francs en 2020, soit environ 90 millions de francs de plus par an dès maintenant.1

Sinon, elle ne remplira pas ses obligations.Cet argent – point essentiel – doit s’ajouter à l’aide au dé-

veloppement. Autrement dit, le financement du climat ne doit pas s’accomplir au détriment de la lutte contre la pauvreté. C’est malheureusement ce que le Conseil fédéral envisage de continuer à faire. Si tel est le cas, en 2020, quelque 38 pour cent de l’aide seraient détournés pour des mesures climatiques.

Si la Suisse entend honorer ses engagements internatio-naux en évitant un tel travers, elle doit promouvoir de nouvelles sources officielles de financement. Pour cela, elle ne doit pas manquer l’occasion que constitue la modification constitution-nelle nécessaire au nouveau système d’incitation climatique et énergétique prévu pour 2020. une taxe sur le Co2 pourrait ain-si être créée qui permettrait de réaliser trois objectifs d’un coup : répartir les coûts selon le principe du pollueur-payeur, encou-rager la protection du climat et générer les fonds nécessaires.

� 1� Alliance�Sud�publiera�le�détail�de�ces�calculs�dans�un�document�sur� �le�climat�à�paraître�en�septembre�2014.

Global+/Weber/WernerSources : ONU, DDC, OFEV, Alliance Sud0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

2000

2200

2400

2600

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020

Aide suisse au développement

Projection de l’aide au développement(0,5 pour cent du RNB 2015)

Contribution de la Suisse aux engagements financiers internationaux pour le climaten millions de CHF

Contribution suisse minimaleselon la méthode de calcul unilatérale(0,43 pour cent de 100 milliards CHF)

Contribution suisse selonla clé de l’ONU(1,3 pour cent de 100 milliards CHF)

Contribution suisse(moyenne entre la clé de l’ONUet la méthode de calcul unilatéralede la Suisse)

� 1� Alliance�Sud�publiera�le�détail�de�ces�calculs�dans�un�document� �sur�le�climat�à�paraître�en�septembre�2014.

Page 10: Global+ No 52 été 2014

10 GLOBAL+ ÉtÉ 2014

« Les accords de libre-échange de la Suisse reposent avant tout sur des critères économiques, tout en prenant en considération, dans le cadre d’une politique cohérente du Conseil fédéral, le respect des normes environnementales et sociales, y compris les droits de l’homme. Ces derniers sont évoqués dans le pré-ambule de l’accord, qui n’est pas contraignant. » Voilà ce que Didier Chambovey, chef du commerce mondial au Secrétariat d’Etat à l’économie ( Seco ), a déclaré à des oNG malaisiennes, au Bruno manser Fonds, à Alliance Sud et à la Société pour les peuples menacés.

Politique discriminatoire En 2009, lors de l’Examen périodique universel1 de la malaisie, la Suisse a recommandé à Kuala Lumpur de respecter les droits des populations autochtones et de garantir leur droit à la terre. En 2012, la Commission de politique extérieure du Conseil na-tional a donné son feu vert aux négociations de l’accord de libre-échange, en soulignant que le parlement attend de la ma-

laisie qu’elle ratifie les textes fondamentaux sur les droits humains et du travail internationalement reconnus.

« La malaisie aspire à devenir un pays développé d’ici à 2020. Elle a fait beaucoup de progrès, mais sur le front des droits hu-mains, des populations autochtones et des minorités, elle a en-core beaucoup de retard », affirme Bala Chelliah, représentant de l’oNG SuArAm à Genève. Il pointe du doigt la « Nouvelle politique économique », lancée en 1971, qui est devenue un ins-trument de discrimination des malais de souche envers les ma-laisiens d’origine chinoise et indienne, considérés comme des citoyens de seconde classe. Selon lui, ce ne sont pas les gens de la rue qui vont bénéficier de cet accord, mais les élites au pou-voir qui possèdent toutes les entreprises. « même les sociétés suisses vont être discriminées, car elles ne pourront pas recru-ter les meilleurs collaborateurs. »

Les droits fonciers sont l’autre grand souci des oNG malai-siennes. Peter Kallang, de SAVE rivers, ajoute que l’Etat prévoit de construire dans l’est du pays 50 barrages hydrauliques d’ici

Accord�de�libre-échange�avec�la�Malaisie

La politique étrangère à l’épreuve

Isolda Agazzi L’Association européenne de libre-échange ( AELE ), dont la Suisse est membre, négocie

un accord de libre-échange avec la Malaisie. Des questions se posent comme les droits des

autochtones, l’environnement ou encore la corruption. Que fait le Conseil fédéral pour garantir

la cohérence de sa politique extérieure ?

L’accord de libre-échange entre l’AELE et la Malaisie va-t-il stimuler encore da-vantage la destruction des forêts pluviales, comme ici dans le Sarawak ? La Suisse est au défi de faire res pecter l’environne-ment et les droits des populations autochtones.

Phot

o : ©

Key

ston

e / A

P / V

ince

nt t

hian

Page 11: Global+ No 52 été 2014

GLOBAL+ ÉtÉ 2014 11

Brésil, champion des… inégalités

La fête du football va-t-elle étouffer la ré-volte et les protestations ? La nervosité grandissante des forces de sécurité et l’obs-tination des protestataires à dénoncer les contradictions de la politique gouverne-mentale laissent penser qu’au pays du fu-tebol, les Brésiliens ne rêvent pas que de ballon rond. La réussite économique du Brésil de ces dernières années et la poli-tique du gouvernement Lula ont permis d’améliorer la situation des plus pauvres. Toutefois, selon l’ONU, le Brésil est toujours neuvième au palmarès des inégalités so-ciales. Cela explique l’attitude des protes-tataires qui réclament un meilleur système de santé, l’amélioration de la qualité de l’enseignement, le droit au logement et des transports publics abordables et qui fonc-tionnent.

Le 30 octobre 2007, la Fédération inter-nationale de football ( FIFA ) désigne le Bré-sil comme pays hôte de la Coupe du monde 2014. C’est l’euphorie dans la population et

les médias. Alors que la croissance écono-mique était encore de 7,5 pour cent en 2011, elle a chuté à 2 pour cent en 2013. L’enthou-siasme de 2007 est lui aussi retombé et la population est inquiète.

Les Brésiliens attendront-ils la fin de la fête pour formuler leurs revendications, comme le souhaite le président de l’UEFA Michel Platini ? Le gouvernement de Dilma Roussef peut-il se permettre la fermeté vis-à-vis de la société civile, au risque de tout gâcher ? Une semaine exactement avant le début du tournoi, l’annonce d’une grève il-limitée des employés du métro de Sao Pau-lo, qui gère la principale voie d’accès au stade accueillant le match inaugural, a pla-cé d’entrée le gouvernement Roussef dans une position très inconfortable.

Les tuyaux

– Dans les coulisses du Mondial brésilien, Alliance Sud InfoDoc,http://goo.gl/pgaJEa

– « Brésil : peur sur le Mondial ? »,

Infrarouge,émission de la RTS, 3 juin 2014,http://goo.gl/lgYNfv

– Marwan Chahine, « Autodromo, cerné par la modernité »,Libération,30 mai 2014,http://goo.gl/zgyfAA

– Yanik Sansonnens, « Brésil : la faillite de l’éducation publique »,LeCourrier, 17 avril 2014, http://goo.gl/UQfTIV

– Olivier Petitjean, « Jeux Olympiques et Coupe du monde : terrains de jeux d’un néolibéralisme de choc »,Basta!,6février 2014,http://goo.gl/tij36w

– Dossier Mondial sur le siteAutresBrésils,http://goo.gl/Ygcbyx

Pour plus d’informations :

Alliance Sud InfoDoc Avenue de Cour 1, 1007 Lausanne [email protected] ou 021 612 00 86 www.alliancesud.ch/fr/infodoc facebook.com/Alliancesuddoc twitter.com/doc_alliancesud

à 2030, au grand dam de l’environnement et des terres des populations autochtones. « Nous avons le nombre de plaintes liées à la terre le plus élevé au monde – 300 à l’heure actuelle. Nous avons obtenu gain de cause dans 20 cas, mais le gouver-nement et les autochtones interprètent différemment la notion de droit foncier. Les populations ne peuvent pas donner leur consentement libre, préalable et informé. tout se fait dans le plus grand secret. »

Les entreprises suisses sont aussi visées. Pour la construc-tion du barrage controversé du murum, à Sarawak ( partie ma-laisienne de Bornéo ), ABB a livré des composantes pour la pro-duction d’énergie à hauteur de six millions uSD. Ce barrage est le premier d’une série de douze qui pourraient entraîner le dé-placement de dizaines de milliers d’habitants et inonder des centaines de kilomètres carrés de forêt tropicale, selon le Bruno manser Fonds. Celui-ci demande à ABB de se retirer de Sarawak et d’indemniser les populations concernées à hauteur de 1,5 million uSD. Le 15 mai, ABB a annoncé vouloir réévaluer ses affaires en malaisie.

Gros problèmes de corruptionL’Etat de Sarawak fait l’objet de toutes les convoitises de la part des investisseurs étrangers. Selon les oNG, la forêt pluviale y a déjà été détruite à 80 pour cent. « Après le déboisement il y aura des plantations – en particulier d’huile de palme. Cela va laminer la vie des gens », affirme Peter Kallang. Didier Cham-bovey assure que la Suisse est consciente de certains problèmes liés à la production d’huile de palme et qu’elle soutient la roundtable on Sustainable Palm oil ( rSPo ). Plusieurs indus-

triels suisses se sont d’ailleurs engagés à n’importer, à terme, que de l’huile de palme certifiée par cette initiative. Pour les oNG, cela ne résout pas le problème, car la rSPo a des limites et, surtout, l’association malaisienne de producteurs d’huile de palme a l’intention de la quitter pour créer son propre label, dont les critères seront encore plus bas.

La malaisie est l’un des pays les plus corrompus du monde et le quatrième en termes de flux financiers illicites ( 370 mil-lions uSD ), selon un récent rapport du Global Financial Inte-grity. Par exemple – en échange de concessions forestières sur l’île de Bornéo – musa Aman, le chef de gouvernement de l’Etat de Sabah aurait touché plus de 90 millions uSD de pots-de-vin, qui auraient été blanchis via la filiale d’uBS à Hong Kong et pla-cés sur des comptes en Suisse. Le ministère public de la Confé-dération a ouvert une procédure pénale contre uBS pour blan-chiment d’argent.

on le voit : la Suisse a du pain sur la planche pour assurer la cohérence de sa politique extérieure en malaisie. Car si, comme le dit le chef négociateur suisse, « le Conseil des droits de l’homme est l’endroit le plus approprié pour soulever les questions des droits humains », pour Alliance Sud l’accord de libre-échange est un bon moyen d’assurer leur réalisation. En effet, en droit international il n’y a aucun moyen d’obliger un Etat à respecter ses engagements en matière de droits humains, contrairement à ses obligations commerciales, dont la violation peut entraîner des sanctions.

� 1� Mécanisme�du�Conseil�des�droits�de�l’homme�qui�passe�en�revue�tous� �les�Etats,�tous�les�quatre�ans.

d+ Les bons tuyaux de l’InfoDoc

Page 12: Global+ No 52 été 2014

GLOBAL+ Avenue de Cour 1 | 1007 Lausanne Téléphone 021 612 00 95E-mail : [email protected] www.facebook.com/alliancesud

www.alliancesud.ch

7,15

CH

F Une pochette de Panini coûte 7,15 CHF au Venezuela. Avec 37 pochettes, le salaire moyen ( 2012 ) est épuisé.

4 m

atch

es 4 matches du Mondial auront lieu en Amazo-nie. Coût : 224 millions CHF. Le meilleur club de Manaus joue devant 900 spectateurs.

250

000 Selon le Comité popu-

laire du Mondial, un quart de million de personnes vont être déplacées de force.

Faits & chiffres Mondial au Brésil

Photo : © Flurina rothenberger

L’eau revient chaque année. Elle transforme les rues en rivières, pénètre dans les chambres à coucher, s’infiltre sous les lits. Malikh et son cousin Gora se sont retirés dans la dernière pièce encore sèche de leur maison à Thiaroye, une banlieue de Dakar, la capitale du Sénégal. Quelques jours plus tard, toute la famille va se réfugier sur le toit plat de la maison, parce qu’ils n’ont pas les moyens de régler la facture pour le pompage. Ces inondations régulières sont dues aux changements climatiques et à l’urbanisation sauvage.

Cette image provient d’un projet à long terme de la photographe Flurina Rothenberger. Elle a grandi en Côte d’Ivoire et vit aujourd’hui à Zurich.

Sources:� �Tages-Anzeiger,�NZZ,�Heinrich-Böll-Stiftung

En ligne et mis à jour en permanence : le dossier sur le mondial d’Alliance Sud InfoDoc

Regards suisses sur le Sud.