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  Master Droit Administratif et Science Administrative  M E M O I R E D E F I N D E TU  D E Préparé par : Mériama DIBIANY Sous la direction du Pr. : Abdellah EL MOUTAWAKIL ANNEE : 2009-2010

Gouvernace Locale Pour Une Bonne Gestion Des Territoires

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Les spectaculaires progrès scientifiques et technologiques que le monde a connus depuis la seconde moitié du XXe siècle ont certes occasionné d'importants progrès utiles à l'émancipation humaine. Mais, force est de constater que la «vision capitaliste» du développement (le court terme, le souci de profits exclusifs…) et le mythe longtemps entretenu sur le caractère inépuisable des ressources naturelles ont, à bien des égards, engendré des désastres sociaux et environnementaux sans précédent. Notamment la pollution, les changements climatiques, la diminution de la biodiversité, la dégradation de la couche d’ozone, etc. Leur ampleur varie d'un lieu à un autre selon le degré de civilisation industrielle et de préoccupation pour l'environnement . Cependant, quelque soit notre milieu de vie, nous sommes tous interpellés par les dommages et conséquences qu’ils engendrent. Dès lors, tant collectivement qu’individuellement, des choix d’équité et de viabilité s’imposent devant l’urgence de la dégradation socio-environnementale (Gagnon, 1994) .Il importe donc «de repenser le développement» (Bartoli, 1999 ), «de revoir le mode de production industrielle et les conceptions mêmes du développement» (Gagnon, 1994 ; 1995). En d’autres termes, il faudrait réfléchir à d’autres manières de produire, d’aménager et de consommer, qui combinent préservation de l’environnement, efficacité économique et équité sociale. Dans cette perspective, avec la montée de la conscience écologique et le souci d’équité et de justice sociale.Même s’il n’y a pas de réponse unique et unanime à ces questions, le chapitre 28 d’Agenda 21 est, on ne peut plus, clair : «il faudrait que toutes les collectivités locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées afin d’adopter un Programme d’action 21 à l’échelon de la collectivité» . Les localités sont également incitées à répondre aux objectifs de développement durable par un plan d’action à long terme basé sur une approche participative, multipartite concertée et multisectorielle appropriée. Le développement durable est ainsi «fondé sur un jeu, non pas à trois pôles, comme on l’indique habituellement, l’économique, le sociétal et l’environnemental, mais un jeu à quatre pôles, le quatrième étant celui de la gouvernance, sans lequel les trois premiers risquent de n’avoir aucune capacité opératoire». C’est dans ce sens que nous en sommes venus à nous demander si «l’ancrage territorial du développement durable» (Benhayoun et al., 1999) ne passerait-il pas par un véritable exercice de la gouvernance locale et participative. Plus concrètement, au moment où l’on invite de plus en plus les collectivités rurales à renforcer leur «capacité de développement» (capacity building), la «gouvernance» ne jouerait-elle pas un rôle majeur dans le processus conduisant au développement territorial approprié ? C’est à ces questions ce que nous essayerons répondre à travers la présente étude, mais avant de pousser l’analyse plus loin, il conviendrait de s’arrêter sur le sens même du mot gouvernance ainsi que son évolution historique.La gouvernance est un terme polysémique , apolitique, qui peut susciter des ambiguïtés et des confusions ; cependant, cette notion est indéniablement source de richesses, notamment parce qu’elle renvoie à une multitude de facettes et favorise la rencontre entre disciplines. Celles-ci se complètent pour participer à la construction d’un terme susceptible de rendre compte de processus originaux dans les domaines socio-économique et politique. De ce fait, au cours de la dernière décennie, les domaines d’application de la notion de gouvernance se sont multipliés. Dans la mesure où les problèmes de coordination entre acteurs se déclinent à la fois au niveau de l’État, de la ville, de l’entreprise, de l’ordre mondial, il est désormais question de gouvernance locale, de gouvernance urbaine, de gouvernance d’entreprise, de gouvernance de l’emploi, de gouve

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  • Master Droit Administratif et Science Administrative

    MEMOIRE DE FIN DETUDE

    Prpar par : Mriama DIBIANY

    Sous la direction du Pr. : Abdellah EL MOUTAWAKIL

    ANNEE : 2009-2010

  • 2

    REMERCIEMENTS

    Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui ont bien voulu apporter leur contribution la ralisation de cette tude et particulirement :

    Monsieur Abdellah El Moutawakil Directeur de cette tude pour son appui et pour la qualit de lencadrement scientifique et mthodologique dont il ma fait bnficier avec un suivi dune grande rigueur intellectuelle ;

    Professeurs du Master de Droit administratif et Science administrative, pour la richesse et limportance des informations dont ils nous ont dotes tout au long de ces deux annes ;

    Monsieur Taj-Eddine Cherkaoui, Pr. lInstitut scientifique de Rabat, Universit Mohammed V pour son soutien, et pour la documentation intressante quil ma fournie ;

    Toute lquipe de luniversit Hassan II, Administration, centre de documentation, qui ont fait preuve dune grande disponibilit ;

    Mes parents qui mont port dans leur cur et mont soutenu pour la ralisation de ce travail ;

    Mes frres, surs, amis et tous ceux qui mont soutenu de loin ou de prs.

  • 3

    TABLE DES MATIRES

    Remerciements 2

    Table des matires 3

    Introduction 6

    Les racines du terme de gouvernance 8

    Lvolution du concept au XXe sicle 9

    Lapproche locale de la gouvernance 13

    CHAPITRE I : Parcours dune notion : La Gouvernance 16

    Section 1 : Les fondements thoriques de la gouvernance 17

    A / La gouvernance, une notion inspire par la thorie conomique 17

    B/ De la thorie conomique des territoires la gouvernance locale 21

    Section 2 : Les transformations institutionnelles contemporaines 25

    A / La gouvernance locale un processus dinteraction entre diffrents acteurs locaux 25

    B / Le territoire brique de base de la gouvernance locale 28

    CHAPITRE II : Maroc, dun tat fortement centralis la gouvernance locale 35

    Section 1 : De la dcentralisation la gouvernance locale 36

    A / Laccumulation de lexprience gestionnaire des affaires communales 37

    B / La gouvernance locale la lumire de la nouvelle charte communale entre

    perspectives et difficults 41

    Section 2 : La rgion comme un support de la gouvernance locale 47

    A / Lexprience marocaine de la rgionalisation : de la rgion conomique vers la rgion politique. 47

    B / Le projet de rgionalisation avance serait-il un levier pour une bonne

    Gouvernance locale 50

    CHAPITRE III : Le rle de la gouvernance locale dans la ralisation de

    dveloppement durable au Maroc 55

    Section1 : La socit civile un acteur cl de la gouvernance locale, lINDH au Maroc comme illustration 56

    A / Lmergence du mouvement associative au Maroc 56

    B / La philosophie de linitiative nationale du dveloppement humain au Maroc

  • 4

    Section 2 : Pour une meilleure gouvernance locale Quels partenariats public-

    priv ? 62

    A/ Partenariat public-priv comme instrument de la rforme de ltat 62

    B / Gouvernance locale et enjeux du partenariat public-priv au Maroc 66

    Conclusion 70

    Bibliographie 72

  • 5

    Notre ambition est grande de faire en sorte que les villes et les collectivits locales,

    au mme titre que l'tat, le secteur priv et la socit civile, deviennent de vritables partenaires dans le processus de dveloppement global de notre pays, ainsi qu'une force de proposition pour la mise en uvre des diffrentes stratgies nationales.

    La bonne gouvernance est devenue un outil majeur pour la gestion des grandes villes. Nos cits doivent, donc, s'orienter vers un systme permettant d'ouvrir la voie des initiatives fondes sur une approche contractuelle et participative associant l'tat et les villes, et favorisant l'adhsion des divers acteurs politiques, conomiques et sociaux, ainsi que la participation des citoyens aux diffrentes phases d'excution des programmes locaux.

    Extrait du discours prononc par SM le Roi Mohammed VI l'occasion de l'ouverture,

    Agadir, de la Rencontre nationale des collectivits locales, qui sest tenue sous le thme : "Dveloppement des villes, citoyennet et responsabilit".

    12 dcembre 2006

  • 6

    INTRODUCTION :

    Les spectaculaires progrs scientifiques et technologiques que le monde a

    connus depuis la seconde moiti du XXe sicle ont certes occasionn d'importants

    progrs utiles l'mancipation humaine. Mais, force est de constater que la

    vision capitaliste du dveloppement (le court terme, le souci de profits

    exclusifs) et le mythe longtemps entretenu sur le caractre inpuisable des

    ressources naturelles ont, bien des gards, engendr des dsastres sociaux et

    environnementaux sans prcdent.

    Notamment la pollution, les changements climatiques, la diminution de la

    biodiversit, la dgradation de la couche dozone, etc. Leur ampleur varie d'un

    lieu un autre selon le degr de civilisation industrielle et de proccupation pour

    l'environnement 1. Cependant, quelque soit notre milieu de vie, nous sommes tous

    interpells par les dommages et consquences quils engendrent.

    Ds lors, tant collectivement quindividuellement, des choix dquit et de

    viabilit simposent devant lurgence de la dgradation socio-environnementale

    (Gagnon, 1994)2.

    Il importe donc de repenser le dveloppement (Bartoli, 19993), de revoir le

    mode de production industrielle et les conceptions mmes du dveloppement

    (Gagnon, 1994 ; 1995). En dautres termes, il faudrait rflchir dautres

    manires de produire, damnager et de consommer, qui combinent prservation

    de lenvironnement, efficacit conomique et quit sociale. Dans cette

    perspective, avec la monte de la conscience cologique et le souci dquit et de

    justice sociale.

    Mme sil ny a pas de rponse unique et unanime ces questions, le chapitre

    28 dAgenda 21 est, on ne peut plus, clair : il faudrait que toutes les collectivits

    locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les

    entreprises prives afin dadopter un Programme daction 21 lchelon de la

    collectivit4. Les localits sont galement incites rpondre aux objectifs de

    dveloppement durable par un plan daction long terme bas sur une approche

    participative, multipartite concerte et multisectorielle approprie. Le

    dveloppement durable est ainsi fond sur un jeu, non pas trois ples, comme

    on lindique habituellement, lconomique, le socital et lenvironnemental, mais

    1Ayeva T. (2003) : Gouvernance locale et renforcement des capacits. Quelques pistes de rflexion pour un

    dveloppement territorial durable des collectivits rurales. Centre de recherche sur le dveloppement

    territorial, Rimouski, 49p. 2 Gagnon C. (1994) : La recomposition des territoires. Dveloppement local viable : rcit et pratiques dacteurs

    sociaux dans une rgion qubcoise. Ph. D. univ. Montral, p. 228. 3 Bartoli H. (1999) : Repenser le dveloppement : en finir avec la pauvret. Unesco, conomica, Paris, 205p. 4 Action21, Chap. 28 : Initiative des collectivits locales lappui dAction 21 :

    http://www.un.org/french/ga/special/sids/agenda21/

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    un jeu quatre ples, le quatrime tant celui de la gouvernance, sans lequel les

    trois premiers risquent de navoir aucune capacit opratoire.

    Cest dans ce sens que nous en sommes venus nous demander si lancrage

    territorial du dveloppement durable (Benhayoun et al., 1999)5 ne passerait-il

    pas par un vritable exercice de la gouvernance locale et participative. Plus

    concrtement, au moment o lon invite de plus en plus les collectivits rurales

    renforcer leur capacit de dveloppement (capacity building), la

    gouvernance ne jouerait-elle pas un rle majeur dans le processus conduisant

    au dveloppement territorial appropri ? Cest ces questions ce que nous

    essayerons rpondre travers la prsente tude, mais avant de pousser lanalyse

    plus loin, il conviendrait de sarrter sur le sens mme du mot gouvernance ainsi

    que son volution historique.

    La gouvernance est un terme polysmique6, apolitique, qui peut susciter des

    ambiguts et des confusions ; cependant, cette notion est indniablement source

    de richesses, notamment parce quelle renvoie une multitude de facettes et

    favorise la rencontre entre disciplines. Celles-ci se compltent pour participer

    la construction dun terme susceptible de rendre compte de processus originaux

    dans les domaines socio-conomique et politique.

    De ce fait, au cours de la dernire dcennie, les domaines dapplication de la

    notion de gouvernance se sont multiplis. Dans la mesure o les problmes de

    coordination entre acteurs se dclinent la fois au niveau de ltat, de la ville,

    de lentreprise, de lordre mondial, il est dsormais question de gouvernance

    locale, de gouvernance urbaine, de gouvernance dentreprise, de gouvernance de

    lemploi, de gouvernance mondiale, de gouvernance des rgions europennes ou

    de gouvernance multiniveaux, pour ne citer que les notions les plus frquemment

    tudies lheure actuelle.

    Cette polysmie rend difficile une dfinition unique, stabilise, de la

    gouvernance. Un dtour par ltymologie du terme permet pourtant de proposer

    un cadre gnral dans lequel inscrire les dfinitions de la gouvernance.

    Afin de pouvoir comprendre les transformations que dcrit la notion de

    gouvernance, il est indispensable dobserver le chemin sinueux emprunt par le

    terme de gouvernance ainsi que son volution historique et thorique. En effet,

    les diffrents sens pris par ce mot au cours des sicles sont autant dlments

    explicatifs des termes des dbats actuels.

    5 Benhayoun G., Gaussier N. & Planque B. (dir.) (1999) : Introduction gnrale. In Lancrage territorial du

    dveloppement durable . Paris : LHarmattan, pp. 17-32. 6 Baron C. (2003) : La gouvernance : dbats autour dun concept polysmique. Ed. Juridiques associes, Droit et

    socit, 2, n 54, pp. 329-349.

  • 8

    Les racines du terme de gouvernance

    Cest Platon le premier qui utilisa le verbe kuberno (), qui signifiait

    alors conduire un navire ou un char, au sens de gouverner les hommes. En faisant

    passer ce mot du champ militaire au domaine politique, il reprenait lide que le

    pilote occupe un poste stratgique avec de grands pouvoirs et des grandes

    responsabilits7. De la mme manire, il expliquait que la direction de la cit

    ncessite un individu qui soit seul assis au gouvernail de ltat, gouvernant tout,

    commandant tout et rendant tout profitable. Ainsi, ds son origine, le verbe

    gouverner est associ lascendant hirarchique dune personne sur les autres.

    Le latin a repris le mme double sens dans le verbe guberno et des auteurs

    comme Cicron, Tite Live ou Snque lutilisaient souvent dans son sens

    mtaphorique. partir du verbe latin, un premier nom est apparu gubernatio, qui

    signifiait la fois la direction du navire et le gouvernement des hommes.

    Le nom gubernantia est apparu plus tard, dans le latin du Haut Moyen ge,

    avec un sens quivalent celui de gouvernement. Cest pourquoi vers le XIIIe

    sicle, les langues europennes naissantes ont parfois cr deux mots au sens

    indiffrenci ou dautres fois un seul.

    Les mots gobernatio et gobernantia ont t traduits par gouvernement et

    gouvernance en franais, gobierno et gobernanza en espagnol, governo et

    governana en portugais ou encore government et governance en anglais. Au

    contraire litalien, lallemand, le nerlandais et le sudois, par exemple, nont

    pas cr dquivalent du mot gouvernance.

    Cela explique pourquoi la rapparition du mot gouvernance a souvent amen

    ces pays officialiser le terme anglais.

    Dans les pays francophones, le mot gouvernance sest impos facilement,

    notamment avec la science politique canadienne pionnire dans ce domaine et

    avec la bonne gouvernance prne par les grandes organisations internationales

    (Organisation des Nations Unies ONU , Fond montaire international

    FMI , Banque Mondiale) pour les pays dAfrique subsaharienne. Les langues

    portugaises et espagnoles semblent suivre le mme chemin que langlais et le

    franais avec la rutilisation des formes mdivales que sont governana et

    gobernanza.

    Si, comme nous lavons vu, plusieurs langues ont prolong les deux termes

    latins de gubernatio et gubernantia, ceux-ci taient, durant tout le Moyen ge,

    7 Tournier C. (2007) : Le concept de gouvernance en science politique. Pap. Polt. Bogot (Colombia), vol. 12,

    no. 1, pp. 63-92.

  • 9

    des synonymes. Jean-Pierre Gaudin8 , spcialiste franais des politiques

    publiques, appelle ce moment le premier ge de la gouvernance. Il identifie

    ensuite un deuxime ge lors du Sicle des Lumires. Les philosophes de ce sicle

    ont clarifi la notion de gouvernement en faisant du pouvoir hirarchique unique

    llment central de ce concept. De son ct, le processus de dfinition de la

    gouvernance est plus chaotique. Cette notion est associe ds cette poque des

    ajustements mutuels entre intrts conomiques et sociaux , elle est galement

    utilise dans les dbats de philosophie politique en France pour appeler une

    transformation de lAncien Rgime, le gouvernement tant associ la monarchie

    absolue alors que la gouvernance apparaissait alors comme une alternative

    imposant un quilibre entre les pouvoirs royaux et parlementaires (Montesquieu).

    Mais ces utilisations sont minoritaires et lexpression gouvernance tombera en

    dsutude au cours du XIXe sicle.

    Nous pouvons voir dans ce moment, la fois les raisons de la diffrenciation

    des mots gouvernement et gouvernance, et aussi les origines du flou qui entoure

    le sens du concept de gouvernance.

    Lvolution du concept au XXe sicle

    La gouvernance resurgit avec force au XXe sicle, dans les pays de langue

    anglaise puis simpose partout. Le terme de gouvernance a commenc tre

    utilis par les conomistes dans les annes 1930, pour fonder une analyse

    stratgique de la gestion des grandes socits industrielles et commerciales. Il

    apparat ainsi en 1937 dans un clbre article The Nature of the Firm crit par

    lconomiste amricain Ronald Coase. La firme en tant que telle merge, car ses

    modes de coordination interne permettent de rduire les cots de transaction que

    gnre le march ; elle savre donc plus efficace pour que le march organise

    certains changes.

    Cette thorie, redcouverte dans les annes 1970 par le courant

    institutionnaliste, et en particulier par O. Williamson, dbouche sur des travaux

    qui dfinissent la gouvernance dans les termes suivants : les dispositifs mis en

    uvre par la firme pour mener des coordinations efficaces qui relvent de deux

    registres : protocoles internes lorsque la firme est intgre (hirarchie) ou

    contrats, partenariat, usage de normes lorsquelle souvre des sous-traitants9.

    la fin des annes 1960, linterrogation sur la gouvernabilit des socits

    dmocratiques suscite des travaux significatifs, le pluralisme politique nest

    supportable que sil met en prsence des groupes sociaux dont les intrts ne sont

    8 Gaudin J.-P. (2002) : Pourquoi la gouvernance ? La bibliothque du citoyen, Ed. Presses de sciences Po, 138p. 9 Lorrain D. (1998) : Administrer, gouverner rguler. Les annales de la recherche urbaine, n 80-81, pp. 85-92.

  • 10

    pas incompatibles, mais au contraire susceptibles dun marchandage dbouchant

    sur un compromis. Le dveloppement conomique ayant dj rsorb, dans une

    certaine mesure, lantagonisme des classes sociales au bnfice de la classe

    moyenne, il en conclut que le bon gouvernement est celui qui laisse stablir entre

    tous les agents, et notamment les groupes organiss, un jeu comparable celui

    du march, o tout le monde a intrt trouver une solution commune sous peine

    dtre perdant perspective consensuelle, qui revient dj gommer ce quil y a

    dirrductiblement conflictuel dans la vie politique .

    Au plan politique, prcisment, la thse selon laquelle les dmocraties

    deviennent ingouvernables lorsquelles sont surcharges dexigences

    populaires a dabord t cultive dans des milieux relativement restreints, comme

    la Commission Trilatrale. Au dbut des annes 1970, les thoriciens de la

    Trilatrale, au premier rang desquels figure Samuel Huntington (lactuel

    doctrinaire du choc des civilisations), sinterroge sur la difficult de grer des

    socits dont les membres se comportent de manire irrationnelle et, en tout

    tat de cause, imprvisible. Les membres de la Trilatrale sont au nombre

    denviron 300. La plupart dentre eux sont des chefs dentreprise, conscients de

    linterdpendance croissante des conomies, qui sinquitent ouvertement des

    excs de dmocratie que reprsenteraient les grves, les droits syndicaux, les

    acquis sociaux ou la libert dopinion. Leur conclusion est que la crise de la

    dmocratie sexplique en fin de compte par le fait que le peuple cherche, de

    manire nave, vivre dmocratiquement en dmocratie. Ils en dduisent que les

    dmocraties, devenant ingouvernables, doivent tre gouvernes par des

    moyens diffrents .

    Or, cette poque, les conomistes libraux ne se bornent dj plus dfinir

    la gouvernance comme la somme des dispositifs mis en uvre par les entreprises

    pour rduire leurs cots de transaction. La science administrative anglo-saxonne

    assimile la gouvernance au management public, cest--dire lapplication

    aux affaires publiques des principes de la gestion prive. Cest cette ide qui va

    rebondir, paralllement aux premires doctrines globales formules au

    lendemain du choc ptrolier de 1973, avec les dbats sur la bonne

    gouvernance.

    Dans les annes 1980, le principe de la gouvernance municipale (ou

    gouvernance urbaine) est adopt par les conservateurs dans lAngleterre de

    Margaret Thatcher : pour suppler aux carences de laction publique, permettre

    ltat de se dsengager et parvenir un meilleur niveau de rentabilit, de

    nombreux services communaux sont transfrs au secteur priv.

    Les municipalits ainsi rorganises ne font donc plus appel ltat, mais aux

    associations et au secteur conomique priv. Cest de cette exprience que

  • 11

    procde ce quon a appel en France le nouveau management public des

    collectivits territoriales, matrice du dveloppement de lexpertise en politiques

    publiques .

    Un tournant se produit dans les annes 1990, aprs lchec des politiques de

    dstatisation engages par les gouvernements les plus libraux. On assiste alors

    lmergence dun nouveau paradigme no-institutionnaliste, qui ne cherche

    plus tant obtenir le dsengagement de ltat qu lui attribuer la tche de

    crer, grce aux moyens dont il dispose, un environnement favorable

    linvestissement priv. La bonne gouvernance dsigne alors lensemble des

    mesures que ltat est susceptible de prendre pour instaurer de vritables socits

    de march.

    Mais cest surtout la mondialisation, dans la mesure o elle donne une

    dimension internationale pratiquement tous les actes de la vie publique, qui va

    permettre aux thses sur la gouvernance dacqurir une audience vritablement

    plantaire. partir du moment o la globalisation sest impose, un certain

    nombre de cercles de pouvoir ont en effet estim quil tait plus que jamais

    ncessaire de mettre au point des rgles du jeu10. Le problme est videmment

    quen dmocratie, les rgles du jeu sont arrtes par des dirigeants politiques

    lus.

    Dans la perspective de la gouvernance, il ny a plus rien de tel. Non seulement

    les lus sont dentre exclus du jeu, mais les tats, limits territorialement et

    ports dfendre de manire trop exclusive leurs intrts nationaux, sont eux-

    mmes tenus pour suspects, au motif que leurs administrations bureaucratiques

    nont pas comptence lchelon mondial.

    Cest dans ce contexte que lon va voir merger des acteurs multilatraux non

    tatiques qui vont soctroyer des pouvoirs de plus en plus tendus.

    La doctrine de la gouvernance va dabord slaborer dans le milieu des

    organisations internationales. Ces organisations sont de diverse nature. Il y a en

    premier lieu les grandes institutions internationales, comme la Banque mondiale,

    le Fonds montaire international(FMI), lOrganisation mondiale du commerce,

    etc.

    Ds la fin des annes 1980, les conomistes de la Banque mondiale et du FMI

    utilisent le terme de gouvernance globale pour dsigner toute formule politique

    suivant les normes du march. La bonne gouvernance devient alors synonyme

    de bonne gestion du dveloppement. Lexpression est employe

    systmatiquement dans les rapports consacrs aux politiques mettre en uvre

    10 Graz J.-C. (2004) : la gouvernance de la mondialisation. La Dcouverte, collection Repres, Paris, 122p.

  • 12

    dans les pays du Tiers-monde dsireux dadopter des stratgies de lutte contre la

    pauvret ou la corruption.

    Laide apporte ces pays est place sous condition dadopter des principes

    de bonne gouvernance , ceux-ci tant officiellement dfinis comme la capacit

    des gouvernements grer efficacement leurs ressources, mettre en uvre

    des politiques pertinentes et procder aux ajustements structurels

    ncessaires. Il sagit en fait dinciter les tats et les gouvernements respecter

    les principes macro-conomiques libraux recommands par les institutions de

    BrettonWoods en adoptant une logique entrepreneuriale classique : privatisation

    des services publics, amaigrissement de ltat-providence, drgulation du

    march du travail, rduction des budgets sociaux, prise en compte des exigences

    du dveloppement durable, etc.

    La Banque mondiale sinstitue donc dsormais en valuatrice des

    environnements nationaux et dispensatrice de leons de management tous les

    tats, y compris industrialiss.

    Dans le Tiers-monde, se posant, tout comme le FMI, en prescriptrice de normes

    de gouvernement pour les tats par le biais des projets quelle finance, elle se

    donne le droit exorbitant, et totalement incompatible avec le principe de la

    sparation des pouvoirs, daccorder des prts selon son bon vouloir tout en

    dcidant en mme temps de manire souveraine de leur attribution.

    Viennent ensuite les puissantes Organisations non gouvernementales (ONG),

    quelles soient publiques ou prives, lesquelles ne constituent que la partie la plus

    visible des milliers de mouvements prtendant reprsenter la socit civile

    indpendamment des institutions politiques classiques, et enfin les grandes firmes

    transnationales ou multinationales11.

    Lapproche locale de la gouvernance

    Ce qui nous intresse ici ce sont les dfinitions qui sont lies la dynamique

    des acteurs enracins au plan local et rgional cest--dire celle fonde sur la

    coordination des acteurs et sur les dynamismes qui les animent. Car, selon Benko

    et Lipietz (1995)12, la gouvernance correspond un mode de rgulation qui ne

    repose pas exclusivement sur les mcanismes du march ni sur les interventions

    de ltat, mais qui sappuie plutt sur la socit civile. Elle renvoie laction de

    piloter un systme, de coordonner une action collective dans laquelle lordre

    organisationnel est davantage ngoci entre les acteurs du systme (Thuot,

    11 Insel A. (2005) : La post dmocratie entre gouvernance et caudillisme. Revue du Mauss, 2me sem., p. 129. 12 Benko G. & Lipietz, A. (1995) : De la rgulation des espaces aux espaces de rgulation. In Ltat des savoirs ,

    R. Boyer et Y. Saillard (dir.), Paris, La Dcouverte, pp. 293-303.

  • 13

    1998)13. Ce terme connote des capacits exerces par les multiples acteurs et

    traduirait la multiplicit de lieux de dcision.

    Parmi les raisons avances par diffrents auteurs pour expliquer ou justifier

    lmergence de ce concept, actuellement la mode, on peut retenir entre autres :

    la perte de confiance des citoyens envers leurs gouvernements nationaux ;

    lmergence des approches territoriales de dveloppement ; etc.

    Pour mieux rpondre aux nouvelles proccupations de la population et

    favoriser le dveloppement durable, les gouvernements dmocratiques sont

    dsormais en faveur d'un large partenariat avec la socit civile et le secteur

    priv, car c'est aux niveaux local et rgional, au plus prs des problmes et des

    individus, quon se concerte le plus souvent (OCDE, 2001)14.

    Cest pourquoi certains auteurs nhsitent pas affirmer que la notion de

    gouvernance a merg avec la monte en puissance des approches territoriales

    en conomie.

    En fait, la popularit relativement rcente du thme de la gouvernance est

    troitement lie aux caractristiques de lenvironnement social, conomique et

    politique dans lequel nous voluons depuis quelques annes. Une de ces

    caractristiques a trait au rle de ltat qui a fait lobjet de vifs dbats au cours

    des deux dernires dcennies. Apprhende de faon positive, la gouvernance

    locale peut sans doute tre analyse comme une rappropriation du politique

    par des acteurs sociaux qui, dans le sillage du dveloppement de ltat-

    providence, ont vu leur capacit dagir sur leur environnement immdiat (rgion,

    localit, quartier, village, etc.) diminuer progressivement.

    La gouvernance est donc constitutive de la nouvelle manire de voir les

    territoires dans le dveloppement conomique, social et cologique.

    Cette vision de la gouvernance locale incite mettre laccent sur les rseaux

    qui se tissent ou se consolident sur le plan territorial, sur les manifestations de

    solidarit observes et l, sur les dcisions consensuelles qui se prennent

    sans intervention de lextrieur, etc.

    La gouvernance locale serait en quelque sorte issue dun processus de diffusion

    du politique qui largirait lexercice de la citoyennet aux acteurs sociaux. Cette

    redfinition des pouvoirs met en vidence la demande des acteurs sociaux en

    faveur de modes dcisionnels dcentraliss et respectant leur qualit de vie. Cette

    13Thuot J.-F. (1998) : La fin de la reprsentation et les formes contemporaines de la dmocratie. Qubec, Nota

    Bene, 211p. 14 Organisation de Coopration et de Dveloppement conomiques (2001) : Des partenariats locaux pour une

    meilleure gouvernance. Paris, OCDE, 444p.

  • 14

    demande renvoie aussi au concept de gouvernance qui sous-tend des pouvoirs

    partags entre acteurs territoriaux (Brassard et Gagnon, 2000)15.

    Au Maroc, une adhsion semble tre acquise, la conception de la bonne

    gouvernance avance par le PNUD : la gouvernance dmocratique , avec des

    adaptations compte tenu du sens donn par le gouvernement, les partis politiques

    et la socit civile au projet socio-conomique et politique du pays.

    Mme si le concept nest pas neutre, les raisons de ces proccupations trouvent

    leur origine dans les crises gouvernementales dues au mode de gestion

    traditionnelle16.

    En effet, avec cette organisation internationale le royaume essaye dlaborer

    une matrice nationale de bonne cadre de ce programme, la bonne

    gouvernance est apprhende comme un tat dvolution du systme social

    caractris par la participation du plus grand nombre possible dinstitutions au

    processus de rgulation du systme lui-mme. Par rgulation, il est entendu ici

    lensemble des actions menes en vue de raliser les objectifs dintrts communs

    et la conciliation des objectifs/intrts contradictoires. La dconcentration et la

    dcentralisation savoir linstauration de lunit de la ville ou encore le projet

    de rgion qui se veut porteur de linstauration de la gouvernance locale au

    Maroc, sont ce titre, des corollaires de la bonne gouvernance et des rformes

    en relation avec lconomie la consolidation du projet social du pays) :

    notamment en sont les premiers pas (dans le sens de la consolidation du projet

    social du pays)17.

    Dans un premier temps, nous allons faire un aperu sur les fondements

    thoriques de la notion de gouvernance ainsi que les changements institutionnels

    entrains par les mutations profondes que connait le rle de ltat. Nous

    tenterons ensuite de relever les organes de gouvernance locale institus au Maroc

    travers la dcentralisation et la rgionalisation, pour enfin dmontrer

    limportance de la gouvernance et de la participation citoyenne que ce soit socit

    civile ou le priv dans tout processus de renforcement des capacits visant

    latteinte dun dveloppement territorial appropri (durable).

    15 Brassard M.-J. & Gagnon C. (2000) : Quelle gouvernance pour les communauts locales ? In Gouvernance

    et territoires ruraux. lments dun dbat sur la responsabilit du dveloppement , M. Carrier & S. Ct (dir.), Presses de lUniversit du Qubec, Sainte-Foy, pp. 171-187.

    16 Programme des Nations unies pour le dveloppement (2003) : Gouvernance et acclration de dveloppement

    humain, Maroc. Rapport de dveloppement humain, p. 32. 17 Belghazi S. (2003) : Examen de la matrice nationale de bonne gouvernance. Direction de la programmation /

    PNUD, Document du travail.

  • 15

    Cest un grand et beau spectacle de voir lhomme sortir en quelque manire

    du nant par ses propres efforts ; dissiper, par les lumires de sa raison les

    tnbres dans lesquelles la nature lavait envelopp

    J.-J. Rousseau

    CHAPITRE I : PARCOURS DUNE NOTION : LA GOUVERNANCE

  • 16

    SECTION 1 : LES FONDEMENTS THORIQUES DE LA

    GOUVERNANCE

    Historiquement, la gouvernance est un concept dabord conomique. Il est

    apparu pour dsigner un mode de gestion des entreprises comme pour

    caractriser des regroupements de plusieurs entreprises autour dobjectifs

    communs. Il convient de puiser dans les fondements thoriques de ce concept qui

    intresse aussi bien le local que le global suivant les transformations quont

    connues les missions de ltat moderne, le local ayant pris un poids considrable

    dans la conception de ltat moderne et dmocratique.

    A / La gouvernance, une notion inspire par la thorie conomique

    Au XXe sicle, la rapparition du mot gouvernance eu tout dabord lieu dans

    le domaine conomique aux tats-Unis par le biais dun article de Ronald Coase

    cit en haut. La gouvernance dsignait alors les modes de coordination interne

    permettant de rduire les cots de transaction gnrs par les marchs.

    Cette thorie fut reprise par les conomistes no-institutionnalistes, dans les

    annes 1970 et 1980, dont Oliver E. Williamson. Ce dernier dfinissait la

    corporate gouvernance comme lensemble des mcanismes de coordination

    rglant lorganisation interne de lentreprise dans le but dune plus grande

    efficacit.

    Le dveloppement de la corporate gouvernance ou gouvernance dentreprise

    se situait dans un contexte de remise en cause des modalits de production

    fordistes. Les thories de Williamson sinterrogent sur la possibilit dorganiser

    les entreprises selon un modle moins hirarchique, dans un but defficacit.

    La notion de gouvernance sest donc inspire de cette vision des conomistes

    amricains selon laquelle les coordinations conomiques ncessaires une

    entreprise reposent sur des conventions, des normes, et des accords ponctuels18.

    Ce concept inspir du no-institutionnalisme va voyager de lconomie vers le

    champ politique notamment grce au succs remport par le nouveau paradigme

    conomique no-libral montariste. Nous faisons rfrence aux nouvelles

    thories vhicules par lcole de Chicago dont Ronald Coase tait membre.

    Selon ces thories, ltat est rsiduel, il nexiste que pour garantir

    lautorgulation du march. Dans cette vision, les institutions politiques nont de

    raison dtre que parce quelles permettent la libert des forces conomiques et

    le respect des rgles de concurrence.

    18 Lorrain D. (1998) : op. cit.

  • 17

    Le courant noconservateur qui est apparu en se runissant autour du

    paradigme no-libral a t le premier vecteur de dplacement de la gouvernance

    des sciences conomiques vers dautres champs disciplinaires.

    En faisant de ce paradigme leur identifiant idologique, les no-conservateurs

    lont import dans les arnes lectorales des pays occidentaux notamment avec

    Margaret Thatcher, Ronald Reagan, ou un peu plus tard, en 1986, avec Jacques

    Chirac en France. Cela a eu pour consquence que la nouvelle gnration

    dacteurs politiques a cherch, dans le monde entier, lgitimer de nouveaux

    rapports entre la politique et lconomie. Ils ont vhicul limage dune

    gouvernance qui marginalise le politicien, met les dinosaures bureaucratiques

    au muse et esquisse lide dune action publique o lintrt gnral mergerait

    dune coopration horizontale entre partenaires gaux.

    Et ceux sont ces acteurs, parmi dautres, qui sont ainsi lorigine du succs de

    la notion de gouvernance. Ce premier dveloppement contemporain de la

    gouvernance la marque trs profondment, elle sest toujours trouve depuis

    cela cartele entre des utilisations normatives et des utilisations analytiques.

    Mais cela na pas pour autant diminuer son succs.

    Au contraire, la gouvernance a fait preuve dune grande capacit dadaptation.

    Les auteurs qui lont utilise ont profit de son statut de notion en construction

    pour lui donner des sens trs divers et qui leur convenait. Cela a amen Jean-

    Pierre Gaudin la qualifier de faon pjorative en affirmant que dans le monde

    entier, la gouvernance est devenue un mot-valise, employ tout propos par les

    pouvoirs conomiques et sociaux, sans oublier les mdias19. Il faut pourtant

    relativiser ces propos en rappelant que ce foisonnement qui entoure la

    gouvernance est aussi une des raisons de lintrt de la notion. La gouvernance

    a donn lieu la cration dun forum o se retrouvent plusieurs sciences souvent

    cloisonnes entre elles.

    Nous considrerons que le dbat sur la gouvernance sest structur dans un

    forum dont les rgles prenaient en compte des acteurs venus de disciplines varies

    et qui sinscrivait dans une temporalit longue allant de la fin des annes 1970

    aujourdhui, crant ainsi un rfrentiel de la gouvernance nettement

    pluridisciplinaire.

    Il nous faut dabord noter que le dveloppement de la corporate gouvernance

    par Coase ou Williamson avait pour but de crer un concept analytique faisant

    19 Jobert B. (dir.) (1994), Le tournant no-libral en Europe : ides et recettes dans les pratiques gouvernementales. Coll.

    Logiques politiques, lHarmattan, Paris, 328p.

  • 18

    de la firme une structure o se dcident diffrents types de transactions

    permettant de diminuer les cots de production de lentreprise.

    Un des premiers prolongements du thme de la gouvernance dentreprise se

    trouve dans lconomie politique et la sociologie politique, Lconomie politique

    a russi rutiliser les travaux sur la corporate gouvernance en crant une

    continuit dans la problmatique.

    Elle a procd un changement de terrain danalyse tout en gardant les mmes

    interrogations. La gouvernance dentreprise tudiait lefficacit des entreprises

    en fonction des rapports internes entre employs, dirigeants, fournisseurs et

    clients, la gouvernance dveloppe par lconomie politique tudie la rgulation

    dune socit et le partage des tches entre march, structures sociales et

    structures politiques.

    Cette conception de la gouvernance comme rgulation conomique par la

    coopration est pour Le Gals20 trop simpliste au niveau de toute une socit. Il

    considre que cest pour cela que de nombreuses recherches se sont limites

    lanalyse de systmes locaux.

    Au niveau infra tatique, les politistes britanniques se sont empars de la

    notion, loccasion du financement par le gouvernement dun programme de

    recherche sur le thme de la recomposition du pouvoir local. Ils cherchaient

    dcrire, avec le concept de urban gouvernance, les volutions du systme de

    pouvoir local, en opposition au local gouvernement, antrieur aux rformes

    conduites depuis 1979 par Margaret Thatcher.

    Ce nouveau systme retirait une large partie des pouvoirs des gouvernements

    locaux au profit dagences techniques dpendantes du pouvoir central et des

    services publics locaux rcemment privatiss. La gouvernance urbaine est alors

    fortement associe aux thses nolibrales du New Public Management qui est

    devenu dans les annes 1980 une arme rhtorique au Royaume-Uni et aux tats-

    Unis pour demander un gouvernement moins cher, moins autoritaire et plus

    efficace.

    Les grandes institutions financires internationales ont galement repris leur

    compte la notion de gouvernance, notamment dans lexpression de good

    gouvernance. La gouvernance est alors un concept normatif qui tablit des rgles

    de gestion publique pour les pays qui contractent des prts auprs de ces

    organisations. La Banque Mondiale a jou un rle central dans la

    conceptualisation de la notion de bonne gouvernance en finanant deux clbres

    20 Le Gals P. (2003) : Le retour des villes europennes. Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, Paris,

    486p.

  • 19

    rapports. Le premier de ces rapports, intitul De la crise la croissance

    durable, date de 1989 et, est consacr lAfrique subsaharienne. La

    gouvernance y est dfinie comme exercice du pouvoir politique dans la gestion

    dune nation, dans cette acception la gouvernance est donc assimile lart de

    gouverner, art dont la Banque Mondiale tablit les rgles dans un second rapport.

    Ce second rapport qui date de 1992 et sappelle Gouvernance et dveloppement

    prcise la doctrine de la Banque Mondiale en fixant les caractristiques de la

    bonne gouvernance. La bonne gouvernance, selon la dfinition de la Banque

    Mondiale, est un produit direct du paradigme no-libral, car les rgles

    dadministration quelle promeut vont dans le sens dune libralisation

    conomique par la suppression des barrires douanires et dune rduction du

    primtre de ltat.

    Au-del de la dimension idologique qua pu prendre la gouvernance sous le

    gouvernement de Margaret Thatcher et sous linfluence des institutions

    financires internationales, cette notion a comme caractristique remarquable

    davoir tait capable de voyager dans des champs scientifiques trs diffrents, ce

    qui a permis de la dtacher de la pense no-librale.

    Le lien entre les conceptions normatives de la gouvernance et des conceptions

    analytiques sest fait notamment grce au courant no-institutionnaliste et des

    auteurs tels que March et Olsen21 qui ont import la notion de gouvernance dans

    la sociologie.

    En science politique, il est impossible de dterminer un auteur ayant structur

    le dbat sur la gouvernance. Les ouvrages de Clarence N. Stone ou de James

    Rosenau et Otto Czempiel sont souvent considrs22 comme prcurseurs, car ils

    donnent pour la premire fois la gouvernance la dimension dun concept

    explicatif.

    Cependant, la premire thorisation du concept de gouvernance, qui va servir

    de base toutes les tudes suivantes se trouvent dans louvrage collectif dirig

    par Jan Kooiman, Modern gouvernance, livre qui tente, de dpasser les

    problmes de dfinition du concept de gouvernance.

    A la suite de ces travaux prcurseurs, cest finalement la sous-discipline de la

    science politique que constitue lanalyse des politiques publiques qui sest

    empare de la notion de gouvernance en sinspirant la fois de la sociologie des

    organisations, dans laquelle nous retrouvons les travaux de March et Olsen,

    David Marsh et Roderick A. W. Rhodes. Grce cette double inspiration, les

    21 Tournier C. (2007) : op. cit. 22 Tournier C. (2007) : op. cit.

  • 20

    apports des Britanniques Mark Thatcher, David Marsh et Roderick Rhodes et du

    franais Le Gals ont t primordiaux pour le concept de gouvernance.

    Malgr cela la notion de la gouvernance reste encore mitige et difficile

    apprhender, le passage de la gouvernance globale la gouvernance locale

    marque une phase dcisive dans la gestion des affaires publique.

    Afin de pouvoir prtendre donner une dfinition la gouvernance locale, il

    convient de passer en revue certaines thories sous-jacentes la gouvernance.

    B/ De la thorie conomique des territoires la gouvernance locale

    Parler de la gouvernance locale implique que ce nest que rcemment que le

    territoire sest rvl comme un objet de recherche autonome pour lconomie

    contemporaine. Plusieurs thories ont t conues dans ce cadre :

    La premire thorie est celle du choix public, selon lequel la

    gouvernance conue comme un instrument institutionnel peut jouer un

    rle important dans la rduction des cots de transaction et donc dans

    lamlioration de lefficacit des organisations. On comprend bien que

    cest cette approche qui a donn naissance la bonne gouvernance, qui

    est devenue le leitmotiv des institutions internationales (le rle des

    institutions est dominant dans cette vision et cest lefficacit qui est la

    finalit de toute action). Cette thorie est tire de celle de la

    gouvernance dentreprise (rduction de conflits entre parties

    prenantes, dmocratisation de la prise de dcision, participation des

    actionnaires23).

    La thorie htrodoxe : dans cette optique, la gouvernance est vue

    comme une action collective, c'est--dire, la manire dont une

    communaut se donne une direction face lavenir : nous mettrons dans

    cette thorie toutes les approches actuelles sur le dveloppement local

    selon une vision solidaire, les nouveaux travaux sur lconomie sociale

    et solidaire o justement le capital social joue un rle important. Dans

    cette approche, cest la participation de toutes les forces vives, la

    solidarit ainsi que les projets de dveloppements collectifs qui

    dominent. La gouvernance dans ce cas-l, nest pas exclusive dans la

    mesure o elle intgre tous les acteurs.

    Thorie politique : malgr les rserves que les politiques expriment lgard de la gouvernance, surtout la bonne gouvernance , sous

    23 Charreaux G. (1997) : Le gouvernement des entreprises, corporate governance. Thorie et faits, Economica,

    Paris, 540p.

  • 21

    prtexte de la neutralit axiologique, certains dentre eux la dfinissent comme une nouvelle re de gouvernabilit et de restructuration de

    laction publique o ltat devient un acteur parmi dautres, qui met en place de nouvelles modalits dintervention (contractualisation, ngociation, concertation) (Gaudin, 2002).

    Pour ne citer que ces trois approches, sinon le terrain thorique est riche de

    dfinitions et dapproches qui traitent de la gouvernance. On retient deux points

    communs qui nous semblent importants : lefficacit et la participation, et cest

    de l, ou se sont opres toutes les transformations dont on a parl au-dessus.

    Passant, serait-on en mesure de relever le dfi de dfinir ce que cest que

    la gouvernance locale , mais avant dentamer la phase de dfinition, il convient

    dvoquer la base sur laquelle ce concept peut sappuyer, savoir le territoire.

    Ce dernier nest plus seulement lespace conu en termes de cot de transport,

    comme nous lavons montr au-dessus, cest un construit social (Pecqueur, 2004),

    chaque territoire a son histoire, ses spcificits quil faut prendre en compte. Le

    territoire contribue la proximit gographique qui pourrait renforcer les autres

    proximits (organisationnelles et institutionnelles), donc, cest une entit flexible

    et dynamique qui permet linteraction entre les acteurs et la mise en place de

    rseaux .

    La gouvernance locale prend diffrentes dfinitions dun pays lautre, voire

    mme dun territoire lautre. Cependant, les trois thories cites prcdemment

    peuvent nous aider dfinir ce que cest que la gouvernance locale. Le courant

    de lconomie de proximit, o la gouvernance locale est dfinie comme le

    processus de mise en compatibilit de diffrentes modalits de coordination entre

    des acteurs gographiquement proches, en vue de rsoudre un problme productif

    ou, plus largement, de raliser un projet collectif de dveloppement. Selon, les

    tenants de ces courants, ce processus de construction, dune proximit

    institutionnelle ncessaire la ralisation dune proximit organisationnelle

    entre des acteurs gographiquement proches est la base de la cohrence

    territoriale, qui permet de lever provisoirement lincertitude inhrente laction

    collective et dattnuer les conflits entre acteurs 24.

    Le courant noclassique o la gouvernance locale serait une partie de la bonne

    gouvernance nationale, dfinie par la manire dont lautorit est exerce au

    niveau local pour grer les ressources conomiques et sociales dun pays en voie

    dveloppement . La banque Mondiale dans le rapport de 1991, dfinit la

    gouvernance comme la manire dont le pouvoir est exerc dans la gestion des

    ressources conomiques et sociales dun pays en voie de dveloppement . Il

    sagit l, en fait, dun emprunt lconomie institutionnelle, en fort

    24 Pecqueur B. & Zemmermann J.B. (eds) (2004) : Economie de proximits. Herms, Paris, 264p.

  • 22

    dveloppement aux Etats-Unis lpoque, pour laquelle la gouvernance est le

    cadre institutionnel qui permet de viser une plus grande matrise des cots de

    transactions25.

    Une troisime dfinition est mise en place par le courant de lconomie sociale

    et solidaire o la gouvernance locale est dfinie comme lensemble

    dinteractions institutionnelles entre socits civile, tat et march26. La

    problmatique de la gouvernance selon cet auteur traduit un dplacement de

    lattention, des modes de fonctionnement des organisations publiques vers les

    rseaux dacteurs. Ceci est important dans le cadre de notre article dans la

    mesure o le territoire contient une panoplie dacteurs qui viennent sajouter aux

    acteurs classiques (tat, autorits locales, lus locaux). Cest ainsi que lauteur

    avance Alors que lide de gouvernance renvoie au rle de ltat et des

    administrations publiques, la gouvernance rfre aux interactions qui

    stablissent entre la socit civile et la puissance publique 27.

    Une quatrime dfinition de la gouvernance locale est mise en place par

    certains auteurs de ce mme courant- qui est loin dtre homogne, cest ainsi

    que Eme (2006) attire lattention sur le fait que ce concept renvoie aux modes

    de rparations des pouvoirs et au processus de dcision politique qui, dans la

    socit, permettent dlaborer et de mettre en uvre des biens publics . Ce

    faisant, lauteur sloigne dune dfinition no-librale de la gouvernance en

    introduisant cette notion de biens publics. Cest ainsi que lauteur avance dans

    lacception que nous lui donnons dans ce texte, elle est affirmation et exercice

    dune rpartition des pouvoirs fonds sur une dmocratie participative,

    dlibrative ou radicale (Habermas, 1997) dans les territoires locaux. Lauteur

    poursuit en crivant dans cette perspective, la gouvernance viserait la mise en

    uvre de nouvelles rgles et valeurs de laction politique dans les socits

    locales dont le mode de gouvernabilit serait fond dur lexercice du droit de

    participation des individus et des associations aux affaires locales 28 .

    Certains sociologue, dfinissent la gouvernance locale comme un processus

    de coordination dacteurs, de groupe sociaux, dinstitutions pour atteindre des

    25 Osmont A. (2003) : Les villes, la gouvernance, la dmocratie locale : rflexions sur lexpertise. In Dmocratie

    et gouvernance mondiale : quelles rgulations pour XXIe sicle , Milani C. (dir.), Unesco (ed), Paris,

    Karthala, pp : 175-190. 26 Echkoundi M. (2006) : Du rle de la gouvernance locale dans la ralisation de linitiative national du

    dveloppement humain au Maroc. Rev. marocaine daudit et de dveloppement, n 22, p.117. 27 Echkoundi M. (2006) : op. cit. 28 Eme B. (2005) : Gouvernance territoriale et mouvements dconomie sociale et solidaire. In Economie sociale

    et territoires , Rev. Intern. de lconomie sociale, RECMA, n 296, pp : 42-55.

  • 23

    buts discuts et dfinis collectivement . Un mode de gouvernance rsulte de la

    division entre le march, les structures sociales et les structures politiques29.

    Selon EME, la gouvernance locale doit tre replac dans le champ plus vaste

    du changement profond des modes daction de la socit sur elle-mme, en

    particulier travers le dcentralisation qui transforme larchitecture politico-

    administrative de la socit, mais aussi travers des formes territoriales des

    politiques publiques ( et des stratgies des firmes qui, tout en sinternationalisant,

    tentent de capter des marchs de proximits et les ressources locales). La

    gouvernance des territoires locaux serait ainsi lune des marques distinctives

    dune seconde modernit qui, travers la reprsentation et lexercice dune

    certaine souverainet, taient centralises, hirarchiques et cloisonnes par

    domaines spcifiques dactivit (Muller, 1990). Les rfrentiels daction se

    territorialisent : rgulation transversales, souples et ractives entre les divers

    domaines daction, globalisation territoriale des stratgies politiques,

    coopration entre de multiples acteurs (Ion, 1990), activation dune citoyennet

    locale en seraient les principales modalits.

    Il en dcoulerait de nouveaux rapport sociaux locaux, la seule

    subordination des gouverns sous les rgles de la dmocratie reprsentative

    sajouterait leur implication dans les argumentations et dcisions politiques ainsi

    que leur participation au champ politique local. Cest ainsi que les acteurs de la

    socit civile, en particulier ceux qui se revendiquent de lconomie sociale et

    solidaire, seraient convis faire uvre de gouvernance .

    En premire analyse, on peut fournir une dfinition relativement gnrale de

    la gouvernance locale, savoir, que la gouvernance locale est un processus de

    coordination entre acteurs locaux gographiquement proches pour mettre en

    place une proximit organisationnelle dont lobjectif est de dveloppement local

    du territoire. Donc, la gouvernance ne peut pas tre bonne ou pas bonne du

    moment o lide du processus est mise en avant, cependant, elle ne doit exclure

    aucun auteur, en ce sens o elle est inclusive.

    SECTION 2 : LES TRANSFORMATIONS INSTITUTIONNELLES

    CONTEMPORAINES ENTRE LE LOCAL ET LE GLOBAL

    Les chelles spatiales traditionnelles sur lesquelles sexerait la coordination

    des acteurs publics et privs sont aujourdhui largement remises en cause. Si les

    constructions amorces lchelle mondiale restent, pour linstant, partielles et

    prcaires (mises part celles concernant la mondialisation financire), le niveau

    national semble, sinon seffacer, du moins reculer devant la monte, dune part,

    29 Le Gals P. (2004) : Gouvernance des conomies locales en France : la recherche de la coordination perdue.

    Anne de la Rgulation, v. 8, pp : 109-134.

  • 24

    dune chelle intermdiaire, celle de lEurope, dautre part, dune chelle

    locale, qui tend peu peu saffirmer en France et notamment au Maroc avec

    le renforcement institutionnel du rle des rgions et lextension de

    lintercommunalit et des pays induits par les dynamiques territoriales. Le

    Gals (1995) parle ainsi des interactions entre tat et socit et des modes de

    coordination complexe ncessaires afin de rendre possible aujourdhui laction

    publique30.

    A / La gouvernance locale un processus dinteraction entre diffrents acteurs locaux

    La gouvernance locale sera dfinie comme un processus de mise en

    compatibilit de plusieurs proximits institutionnelles unissant des acteurs

    (conomiques, institutionnels, sociaux) gographiquement proches, en vue de

    la rsolution d'un problme productif ou de la ralisation d'un projet local de

    dveloppement31.

    Une telle dfinition insiste fondamentalement sur lide de processus, cest--

    dire de dynamique institutionnelle collective qui articule, de manire toujours

    singulire, diffrentes logiques dacteurs se confrontant et/ou cooprant sur un

    territoire. Ce processus n'est pas ncessairement vertueux : il existe des processus

    de dconstruction institutionnelle (crises industrielles, par exemple) qui

    correspondent des situations de gouvernance "faible".

    La gouvernance locale se concrtise par la construction de compromis locaux

    entre acteurs (aussi bien privs que publics) et se caractrise par le degr

    d'articulation et de cohsion des diffrentes proximits institutionnelles qui

    spcifient le territoire, qu'il s'agisse du rapport salarial, de l'affrontement entre

    capitaux individuels, des relations acteurs privs/acteurs publics, etc.

    La gouvernance locale combine ainsi toujours des lments de stabilit et

    dinstabilit dont limportance relative volue dans la dure, dfinissant des

    inflexions de la trajectoire de dveloppement du territoire. Mais pour que lon

    puisse parler de gouvernance locale, il faut que les lments de stabilit

    lemportent, cest--dire que les compromis entre acteurs soient suffisamment

    stables et cohrents afin de lever, pour un temps, lincertitude inhrente laction

    collective et ainsi de rduire rivalits et conflits. Alors, peuvent se mettre en place

    un systme dinterdpendances sociales et un systme de rgles voire de

    30 Leloup F., Moyart L. & Pecqueur B. (2005) : La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination

    territoriale ? Gographie, conomie, socit, pp : 321-331. 31 Gilly J.-P. (2003) : La dynamique institutionnelle des territoires : entre gouvernance locale et rgulation

    globale. Cahiers du GRES, n 5, pp : 1-15.

  • 25

    reprsentations communes gnrant des rgularits productives localises (on

    parlera alors de structures de gouvernance). linverse, lorsque les lments

    dinstabilit, cest--dire les rivalits et les conflits, mettent en cause les

    compromis jusqualors existants, on entre dans une phase de crise de la

    gouvernance locale pouvant conduire une dstructuration territoriale.

    Parmi les acteurs qui participent aux dynamiques territoriales, il existe des

    acteurs-cls, privs et/ou publics, qui jouent un rle moteur en ce sens quils

    constituent des repres institutionnels pour lensemble des acteurs et quils

    structurent les mcanismes de coordination de ces derniers. Dans notre

    conception, ces acteurs, qui participent lmergence ou la stabilisation dune

    gouvernance locale, peuvent tre aussi bien des acteurs conomiques

    (tablissements de groupe, associations dentreprises), que des acteurs

    institutionnels (collectivits territoriales, tat, Chambres de commerce) ou

    sociaux. La dynamique institutionnelle des territoires- -(syndicats,

    associations). La gouvernance nest donc pas une configuration de

    coordinations strictement conomiques ou strictement sociopolitiques : elle est

    une combinaison de ces dimensions, caractrise par une densit variable des

    interactions entre les trois catgories dacteurs.

    Ces interactions sont particulirement complexes du fait, notamment, que le

    champ dintervention administratif des collectivits locales ne concide pas avec

    celui des acteurs conomiques et sociaux et que lhorizon temporel stratgique

    ou les visions du temps des acteurs publics et des acteurs privs peuvent diffrer32.

    Ces diffrences sont l'origine d'un engagement territorial de nature ingale

    selon les acteurs. Les acteurs institutionnels jouent ainsi souvent un rle essentiel

    dans la construction de la gouvernance locale, en particulier, par le biais

    dinstitutions formelles danimation et de mise en rseau (contrats de pays, par

    exemple, en France).

    Trois principales structures de gouvernance locale peuvent tre distingues en

    fonction de la nature des acteurs-cls, de leurs objectifs et de leurs modes

    dappropriation des ressources produites localement :

    1. gouvernance prive : ce sont les acteurs privs qui impulsent et pilotent

    les dispositifs de coordination et de cration de ressources selon un but

    dappropriation prive. Il en est ainsi de la firme motrice, par exemple

    ltablissement dun grand groupe, qui structure conomiquement et

    institutionnellement lespace productif de son site dimplantation.

    32 Gilly J.-P. (2003) : op. cit.

  • 26

    2. gouvernance prive collective : dans ce cas, lacteur-cl est une

    institution formelle qui regroupe des oprateurs privs et impulse une

    coordination de leurs stratgies, par exemple les Chambres de

    Commerce, les syndicats professionnels et toute forme de clubs

    doprateurs privs.

    3. gouvernance publique : les institutions publiques ont des modes de

    gestion des ressources qui diffrent de lappropriation prive,

    notamment travers la production de biens ou services collectifs, donc

    par dfinition utilisables par tous les acteurs, sans rivalit ni exclusion

    dusage. Ce sont au premier chef, ltat, les collectivits territoriales et

    toutes les formes dintercollectivit, mais aussi les centres de recherche

    publique. En fait, dans la ralit, rares sont les situations "pures" telles

    quelles viennent dtre dcrites : on trouve le plus souvent une

    association des formes prcdentes (on parlera alors de gouvernance

    mixte) mais avec une dominante, ce qui permet de caractriser chaque

    territoire comme un cas particulier entrant dans une catgorie gnrale

    (plutt publique ou plutt prive), selon un dosage spcifique et

    variable33.

    Cette typologie, comme toute typologie, est statique et renvoie des structures

    de gouvernance stabilises. En fait, il faut surtout retenir de notre dfinition de la

    gouvernance locale est qu'elle est un processus, qui donne au territoire sa

    dimension fondamentalement dynamique. En effet, les compromis qui stabilisent

    les coordinations entre les acteurs ne sont pas immuables et les contradictions,

    les conflits finissent toujours par lemporter lorsque ces acteurs ne sont plus en

    mesure de rsoudre collectivement le problme productif pos Plus rcemment,

    les conomistes qui sattachent la prise en compte de la dimension spatiale

    comme facteur intrinsque du fait productif (travaux italiens sur les districts,

    approche des milieux innovateurs, courant de la proximit) rutilisent cette

    notion. Le concept de gouvernance locale apparat alors comme une forme de

    rgulation territoriale et dinterdpendance dynamique entre agents notamment

    productifs et institutions locales.

    Dans cette approche, le territoire contribue rduire les cots de transaction

    entre les firmes et constitue de ce fait un niveau pertinent pour coordonner les

    actions collectives. Au-del de la seule efficacit comptable, est alors mis en

    vidence le fait que les institutions non conomiques peuvent faciliter la

    coordination entre agents, sont donc acteurs part entire des coordinations et

    dcision, des coalitions et ngociations.

    33 Gilly J.-P. (2003) : op. cit.

  • 27

    B / Le territoire brique de base de la gouvernance locale

    Parler de la gouvernance locale implique de reconnaitre que ce nest que

    rcemment que le territoire sest rvl comme un objet de recherche autonome

    pour lconomie contemporaine.

    Le renouveau qua connu le territoire est d en grande partie la redcouverte

    dun ouvrage dAlfred Marchal (1879), avant le territoire se confondait avec

    lespace. Lcole historique allemande de la localisation est considre comme

    une des premires coles avoir propos une laboration thorique de lespace

    fond sur la localisation(Hotteling). Beccatini, a jou un rle important dans la

    redcouverte des districts industriels dA. Marchal, il a le mrite davoir

    explor cette notion de territoire en voquant la dimension hors cot et non

    spcifiquement marchande. Dautres auteurs ont contribu au prolongement de

    ces travaux en introduisant la question de linnovation, dclinent le territoire en

    termes de milieux innovateurs . Colletis, Courlet et Pecqueur sont lorigine

    dun courant de recherche appel systmes productifs localiss , o le

    territoire est considr comme une variable dynamique34.

    Le nouveau courant de recherche sur la proximit, initi par un article pionnier

    publi en 1993 dans la revue de la nouvelle conomie rgionale par Bellet,

    Colletis et Lung, met laccent sur lendognisation du territoire, qui a toujours

    t considr comme existant comme tel et dot de ressources ; selon les auteurs

    de ce courant, le territoire nest plus postul lavance, mais plutt un rsultat.

    Du surcrot, les auteurs de la proximit placent des questions comme celle de la

    confiance (Dupuy et Torre, 2004)35, celle de la rationalit situe ou encore celle

    de voisinage (Vincent, 2004) au centre de leur analyse. Comme les tenants de la

    nouvelle et de la no-conomie institutionnelle, elles adoptent une posture

    intermdiaire entre institutions et interactions individuelles. Dautres auteurs se

    rclamant du courant de proximit adoptent des travaux plutt sociologiques en

    montrant le rle des rseaux et autres lieux dappartenance dans le

    dveloppement (Grosseti et Bs, 2003).

    Plus loin, le courant de la proximit pose la question de la viabilit du

    territoire, cest--dire de sa capacit crer et redployer des ressources, ce

    qui met laccent sur les diffrents modes dveloppement des trajectoires

    territoriales. cet gard, les auteurs distinguent trois approches :

    lagglomration, la spcialisation et la spcification. Lide du rle des territoires

    dans la cration des ressources est plus importante dans le cadre de notre tude

    34 Courlet C. & Pecqueur B. (1991) : Systmes locaux dentreprises et externalits : un essai de typologie. Rev.

    dEconomie rgionale et urbaine, n 3-4, pp : 391-406. 35 Echkoundi M. (2006) : op. cit.

  • 28

    dans la mesure o la gouvernance locale nest pas seulement considre comme

    un instrument dallocation optimale de ressources, mais aussi un outil de cration

    de ressources.

    Cette diversit dapproches traitant du territoire, semble intresser la

    gouvernance locale plusieurs niveaux comme le signalent Golletis,

    Gianfaldoni et Richez-Battesti (2005)36.

    Le niveau spatial et politique : qui renvoie aux registres de la gouvernance et

    de la participation aborde dans le cadre du dveloppement local.

    Le niveau cognitif : qui renvoie aux questions lies lacquisition des

    connaissances et aux comportements des acteurs.

    Le niveau axiologique : qui renvoie aux systmes de valeurs structurant des

    stratgies ou conditionnant des pratiques.

    Ce qui nous intresse le plus ici cest le niveau spatial et politique, ceci nous

    pousse poser la question suivante : confronts aux consquences de la crise

    conomique, la multiplication des demandes des citadins, un relatif

    dsengagement de l'tat, les lus locaux sont-ils en mesure de gouverner un

    territoire ?37

    En crise, au Royaume-Uni, comme aux tats-Unis, le gouvernement local

    connat au contraire un renouveau en France la suite du processus de

    dcentralisation et notamment au Maroc. Alors que la tradition jacobine, le

    modle rpublicain d'administration territoriale et le cumul des mandats ont

    longtemps fait obstacle en France la mise en place de vritables gouvernements

    locaux. De nombreux auteurs considrent aujourdhui que la dcentralisation a

    mis un terme un modle d'organisation des pouvoirs publics et de gestion des

    affaires publiques centrs sur l'tat38, dynamique d'extension des responsabilits

    locales, la dcentralisation aurait en effet favoris l'mergence de gouvernements

    locaux, en particulier dans les grandes villes. Cette analyse mrite toutefois d'tre

    nuance.

    36 Colletis G., Gianfaldoni P. & Richez-Battesti N. (2005) : Economie sociale et solidaire, territoire et proximit.

    RECMA, n 296, pp : 8-25. 37 Rangeon F. (1996) : Le gouvernement local. In La gouvernabilit , Chevallier J. (dir.), Puf, pp : 166-174. 38 Borraz O. (1996) : La gouvernabilit des villes : lchelle urbaine est-elle un lieu de rgulation pertinent ? 5me

    congrs de lAss. Fr. Scien. Pol., Aix-en-Provence.

  • 29

    Plutt que l'mergence d'un vritable gouvernement local, la dcentralisation

    a contribu engendrer une transformation du mode de gestion des villes en

    favorisant le passage "du gouvernement des villes la gouvernance urbaine"39.

    Le gouvernement des villes voque un mode d'action publique centralis et

    autoritaire, fond sur le mcanisme de la reprsentation et sur la suprmatie de

    l'intrt public sur les intrts privs. La gouvernance urbaine renvoie au

    contraire une forme ngocie de l'action publique fonde sur une plus large

    rpartition du pouvoir et sur une coopration entre acteurs publics et privs.

    La "gouvernance urbaine" dsigne, selon Le Gals, "d'une part la capacit

    intgrer, donner forme aux intrts locaux, aux organisations, groupes sociaux,

    d'autre part la capacit les reprsenter l'extrieur, dvelopper des stratgies

    plus ou moins unifies en relation avec le march, l'tat, les autres villes et autres

    niveaux de gouvernement".

    S'il permet de dpasser le cadre trop troitement institutionnel de la notion de

    "gouvernement", le concept de "gouvernance" prsente cependant l'inconvnient

    d'impliquer une approche unifie et intgrative des composantes du

    gouvernement urbain et des intrts en prsence. La notion plus ouverte et plus

    problmatique de "gouvernabilit" permet au contraire de rendre compte la fois

    du caractre contradictoire des intrts et des stratgies des groupes sociaux, de

    la crise de la reprsentation au niveau local et de la fragmentation croissante des

    demandes adresses aux lus.

    En outre, la question du "gouvernement local ne se rduit pas celle du

    "pouvoir local", c'est--dire de l'autonomie du systme politico-administratif

    local ; elle inclut galement la question de la capacit des collectivits locales

    laborer et conduire de politiques publiques, les mettre en cohrence et leur

    donner un sens. Face la multiplicit des acteurs et la superposition des

    politiques, les maires des grandes villes ont tendance se prsenter comme des

    "mdiateurs" capables de construire "une perception globale des enjeux en

    prsence".

    C'est prcisment cette dsignation du territoire comme lieu d'arbitrage entre

    des intrts divergents, comme espace d'intgration et de coordination des

    politiques qui conduit des auteurs prfrer, malgr ses ambiguts, la notion de

    gouvernance urbaine celle de gouvernement local.

    D'un ct, la dcentralisation a incontestablement accru le pouvoir et le

    prestige des lus locaux, de l'autre ct, elle a dissmin et fragment les lieux de

    39 Le Gals P. (1995) : Du gouvernement des villes la gouvernance urbaine. Rev. Fr. Scien. Pol., n1, pp : 57-

    95.

  • 30

    dcision, tout en renforant la dpendance mutuelle des acteurs. Les objectifs et

    les mthodes du gouvernement local se sont diversifis, non seulement dans

    l'espace, mais aussi dans le temps40. Gouverner un territoire, c'est dsormais

    gouverner dans la complexit41.

    Rpondant la question; "qu'est-ce que mener une politique publique locale

    dans un contexte de dcentralisation et de prsence forte des acteurs privs dans

    la gestion des services urbains ?", l'expression "gouvernance urbaine" voque

    l'ide d'une gestion locale souple, stratgique et ngocie, base sur une approche

    pluri-rationnelle combinant des logiques publiques et prives, et prenant en

    compte l'volution des demandes des citoyens.

    Parler de gouvernance plutt que de gouvernement, c'est "ne pas se cantonner

    une analyse en termes politico-administratifs'42. La gouvernance urbaine

    marque en effet l'interaction non seulement entre l'administration et la politique,

    mais aussi entre la "socit urbaine" et les autres collectivits.

    Le recours au concept de gouvernance permet par l de dpasser les

    oppositions traditionnelles entre gouvernants et gouverns, entre tat et socit

    civile, entre sphre publique et sphre prive. La gouvernance locale permet en

    effet de rendre compte du dveloppement sur le plan local du partenariat public-

    priv, du dclin des pouvoirs institutionnels et de l'importance croissante de

    l'enjeu de la coordination de politiques. Elle contribue l'analyse des conditions

    de possibilit de l'action publique dans une socit urbaine de plus en plus

    diffrencie, o les effets pervers des politiques se multiplient.

    Elle souligne aussi l'importance de la ngociation, alors que l'ide de

    gouvernement renvoie au contraire une gestion bureaucratique fonde sur la

    prminence du rglement. Rendue plus complexe par la multiplication des

    acteurs, la ngociation est l'instrument de coordination et d'intgration des

    politiques locales43. L'enjeu de la gouvernance urbaine est en effet la possibilit

    d'articuler diffrents secteurs de l'action publique, de combiner les rationalits

    juridique et managriale, mais aussi d'assouplir et de diversifier les usages

    sociaux du droit.

    La gouvernance renvoie ainsi au concept de rgulation en tant qu'elle constitue

    un systme darrangement institutionnel qui coordonnent et rgulent les

    transactions44. Si le gouvernement dsigne un ensemble d'institutions et de

    procdures formelles privilgiant la rgularit, la gouvernance repose au

    40 Boulin J.-Y. (1996) : Gouverner les temps de la ville. In Villes , Le courrier du C.N.R.S., n 82, p. 139. 41 Ritaine E. (1994) : Territoire et politique en Europe du Sud. Rev. Fr. Scien. Pol., 44e anne, n 1, p. 75-99. 42 Le Gals P. (1995) : op. cit.

    43 Gaudin J.-P. (1996) : Ngocier d'abord ? Ple Sud, n 4, p. 19. 44 Gilly J.-P. (2003) : op.cit.

  • 31

    contraire sur une srie de conventions informelles, de compromis toujours

    rvisables, visant faciliter l'mergence de processus innovants. En ce sens, on

    peut entendre par gouvernance les formes de conduite de l'organisation

    humaine visant plus spcifiquement rguler les relations de pouvoir et de

    coordination qui ne sont pas habituellement rgules par le march ou par le

    droit 45.

    Sur le plan local, la gouvernance dsigne un nouveau mode de pilotage des

    villes fondes sur le projet et le contrat est inscrit dans une logique de rseaux et

    de coopration entre acteurs publics et privs46. Avec la gouvernance urbaine, on

    entre "dans l're de l'action publique flexible, dans laquelle les termes retenir

    sont ceux de ngociation, partenariat, projet, compromis".

    La gouvernance urbaine exprime ainsi lide d'une complexification du

    gouvernement des villes. Celles-ci sont devenues de plus en plus difficiles

    gouverner en raison de la dispersion des acteurs, d'un retrait partiel de l'tat et

    du renforcement de la sgrgation sociale.

    Ceci nous amne au deuxime chapitre de cette tude, dans laquelle, il sagit

    de questionner la pertinence du concept de gouvernance locale sur le terrain

    marocain et de connatre limpact de la gouvernance locale sur le dveloppement,

    du moins au niveau de la satisfaction des besoins prioritaires des populations.

    Tout dabord, il faut signaler que le Maroc comme tous les autres pays a connu

    ces dernires annes des changements importants : renforcement de la

    dcentralisation malgr certains obstacles (persistance de la tutelle, manque de

    comptences humaines au niveau des territoires, mergence dune socit

    civile qui devient de plus en plus dtentrice dun bon savoir-faire, apparition de

    nouvelles approches de la gestion de la chose locale. Les lus locaux avec la

    dernire charte communale de 2003 deviennent responsables du dveloppement

    local et de la production de biens publics locaux, dans ce contexte, on peut donc

    parler de lmergence dune action publique locale pour plus defficacit et

    dconomie en termes de cots de recherche de linformation. cela sajoute

    lhistoire du Maroc, caractrise par la domination des relations sociales, cest-

    -dire des relations non marchandes, et le caractre ancestral de la dmocratie

    locale travers certaines cultures comme jema, qui montre que la

    dcentralisation par son aspect dmocratique nest pas rcente au Maroc).

    45 Benko G. et Lipietz A. (eds) (1992) : Les rgions qui gagnent. Districts et rseaux : les nouveaux paradigmes

    de la gographie conomique, P.U. F., Paris, 424p. 46 Gaudin J.-P. (1993) : Les nouvelles politiques urbaines. P.U.F., coll. Que sais-je ?, 102p.

  • 32

    Ces diffrents constats nous conduisent nous interroger sur les diffrentes

    interactions qui animent lespace local marocain.

  • 33

    LE RESEAU DE LA GOUVERNANCE LOCALE

    COLLECTIVITS

    LOCALES

    CONTEXTE

    INSTITUTIONNEL,

    RGIONAL,

    NATIONAL

    SOCIT CIVILE

    SECTEUR PRIV

  • 34

    CHAPITRE II : LE MAROC, DUN ETAT FORTEMENT

    CENTRALISE A LA GOUVERNANCE LOCALE

  • 35

    Toute stratgie conomique doit prendre en considration les paramtres qui

    paraissent efficaces dans le sens de rduire les carts entre prvisions et rsultats,

    ou entre conception et ralisation.

    Certaines politiques ou stratgies conomiques, bases sur la souverainet,

    ltat-nation, la centralisation conomique, et administrative et politique ont

    montr leurs limites. Elles sont caractrises par un interventionnisme tatique et

    un monopole de dcision ou une concentration conomique de production, une

    disparit entre ples gographiques, ou encore entre rgions dans une mme

    entit.

    Elles sont de plus en plus abandonnes pour de nouvelles thories, de nouvelles

    ides et stratgies qui permettent un meilleur rendement, une plus forte valeur

    ajoute, une rduction des disparits sociales et conomiques entre rgions.

    Ainsi, dcentralisation et dynamique de production locale, reprsentent lune

    de ces nouvelles stratgies de dveloppement fondes sur ce quon appelle la

    bonne gouvernance qui renvoie une nouvelle manire de se comporter des

    pouvoirs publics, et ce aussi bien au niveau des acteurs, qu celui de la dfinition

    de laction elle-mme.

    La gouvernance peut tre dfinie, alors comme la recherche dune meilleure

    efficacit de laction publique par son affectation au niveau dadministration

    rgionale ou locale, les plus susceptibles de la mettre en uvre efficacement.

    La gouvernance locale simpose alors comme le fondement de la gouvernance

    de demain.

    Parler de la gouvernance au Maroc nous intime le devoir de survoler de

    manire cavalire lvolution du processus de territorialisation de lespace

    depuis lindpendance jusqu nos jours.

    SECTION 1 : DE LA DCENTRALISATION A LA GOUVERNANCE

    LOCALE

    La tendance historique de transformation des territoires en espace pourrait

    sinverser. Lvolution des techniques, qui tendent polariser lespace, et de

    lconomie, incapable de prendre en charge la cohsion sociale, ainsi que la

    ncessit de penser autrement notre rapport aux cosystmes montrent

    limportance davoir une approche territorialise des problmes.

    Du fait quil permet darticuler des proccupations de nature diverses une

    chelle adquate, le territoire peut favoriser lmergence de nouvelles formes de

    rgulations sociopolitiques. Le local existe en effet par sa relation au global.

    Cest, en dautres termes, partir du local que peuvent tre repenss le global

  • 36

    ainsi que les rapports entre global et local, dans le but de concilier unit et

    diversit. Par-l mme, le territoire est confront une double exigence : faire

    apparatre des modalits concrtes de gestion systmique et construire un niveau

    dapprentissage de la citoyennet.

    Mais avant de pousser lanalyse plus loin il convient de faire un rappel

    historique de lapproche marocaine de la gouvernance locale.

    A / Laccumulation de lexprience gestionnaire des affaires communales

    Lapproche de la dcentralisation au Maroc par le Protectorat tait envisage

    dans une approche prventive, les contingences politiques exigeaient une certaine

    ouverture, mais celles-ci ne pouvaient en aucun cas se transformer en dmocratie

    locale base sur une reprsentation authentique de lintrt local. Le contraire

    serait antinomique avec le systme du protectorat47.

    Ds le dbut de lindpendance, les responsables marocains affirment le

    principe unitaire de ltat et tablissent travers la dpendance hirarchique,

    des relais territoriaux au pouvoir central. Ils tabliront galement par la suite,

    travers la tutelle un contrle troit sur les collectivits locales.

    Ds lors le systme administratif marocain sera caractris par deux

    principaux traits :

    Lunicit dun pouvoir central organis selon un modle bureaucratique ;

    Lexistence dune diversit dorganes de contrle, qui concourent la mise en

    uvre de laction tatique, sous limpulsion dun centre unique incarn par le

    souverain48.

    Constitutionnellement ladministration fait partie de lexcutif, elle se compose

    au niveau central du Roi, du premier ministre et des ministres. Au sein de cette

    structure, le Roi exerce un pouvoir rel dans la direction des affaires de la nation.

    Juridiquement, le premier ministre dispose de lautorit rglementaire gnrale

    et peut dlguer certaines de ses attributions aux ministres. Mais il parat dans

    cette formation, davantage comme un auxiliaire du Roi, plutt quun responsable

    politique libre dappliquer un programme de gouvernement qui lui est propre. Le

    Roi dispose du pouvoir de prendre des mesures individuelles de nommer aux

    47 Msefer N. (1986) : Lorganisation communale sous le Protectorat : contribution lhistoire de ladministration

    marocaine. Mmoire Sciences Politiques, Univ. Mohammed V, Rabat, p. 71. 48 Benhamidou M. (1987) : Institutions administratives et changement social. Rev. Mar. Econ. Dvl., n 13,

    Casablanca.

  • 37

    tribus certaines modifications qui donneront aux membres de ces conseils des

    pouvoirs plus tendus Dahir du 6 juillet 1951.

    Quant au rgime de la dcentralisation, il a connu depuis lindpendance une

    volution varie selon la nature de la collectivit considre : communes,

    provinces et prfectures, ou rgions.

    Cest au niveau communal que lvolution a t la plus marquante. Le dahir de

    1963 fait une assez large place lautonomie communale, mais celle-ci se trouve

    en mme temps fortement encadre par une tutelle rigoureuse et surtout par un

    partage des comptences excutives entre le prsident du conseil communal et le

    reprsentant du pouvoir central, qui fait de lui le vritable agent de la collectivit

    locale. Le prsident nexerant que laspect crmonial de la fonction49. Ce

    caractre formel de la dcentralisation traduit une volont de contrle, plutt

    quune dynamisation de la dmocratie locale50.

    Ce systme dautonomie locale sera largi la faveur dune conjoncture

    favorable et la relance des institutions constitutionnelles, avec le dahir du 30

    novembre 1976. Devant lacuit des problmes, les responsables marocains

    esprent susciter par la dcentralisation lapparition dune nouvelle lite locale,

    sur laquelle ils peuvent compter pour assurer un contrle de la socit, sans cela,

    elle risque de lui chapper. Ainsi la tutelle sera assouplie et le pouvoir excutif

    remis en principe entre les mains du prsident du conseil communal. Mais lagent

    dautorit ne conserve pas moins dans la pratique un rle important surtout dans

    les zones rurales, o il est appel assurer une fonction dassistance et de conseil,

    lequel rle se transforme souvent en gestion directe, surtout que dans de

    nombreux cas les lus locaux ne sont pas en mesure dexercer leurs attributions,

    faute de moyens techniques ou de connaissances rglementaires.

    La dpendance de la commune lgard du pouvoir central est galement

    remarquable en matire financire et des quipements locaux. Le local se trouve

    ainsi domin et orient par le pouvoir central, les lus et partant les citoyens, ne

    peuvent que subir son impact51.

    Depuis 1976, le conseil dispose certes dattributions importantes et le prsident

    lu est renforc dans son statut par une investiture royale52. Cette caution lui

    permet de bnficier dune certaine autorit, mais par la mme, elle montre les

    limites que rencontre le processus dmocratique, qui ne doit son existence qua

    49 Cherkaoui A. (1968) : Le contrle de lEtat sur la commune. Editions la Porte, Rabat, 136p. 50 Benhamidou M. (1987) : op. cit. 51 Ghomari M. : La notion de dmocratie locale. LEtat et les collectivits locales au Maroc. p. 41 52 Art 5 du dahir du 30 septembre 1976

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    la volont monarchique et qui se trouve tenu de nvoluer quautant que le lui

    permet le pouvoir suprme53.

    La prpondrance de lagent dautorit est encore plus marque quand il sagit

    des assembles provinciales et prfectorales. ce niveau, la tutelle est plus svre

    et la comptence excutive est confie au gouverneur, qui est reprsentant du Roi

    et dlgu du gouvernement54. Le gouverneur a la haute main sur le

    fonctionnement de lassemble provinciale et prfectorale.

    Au niveau rgional, la dcentralisation a t conue dabord comme espace de

    rflexion et daction conomique, mettant en uvre une politique damnagement

    du territoire qui prend appui sur les nouveaux espaces rgionaux. Cest le dahir

    du 2 avril 1997 qui a consacr la rgion en tant que collectivit territoriale dote

    de la personnalit juridique et de lautonomie financire et dassez larges

    pouvoirs de dcision. Lexprience en cour a montr ses limites vu la persistance

    des disparits rgionales , une lecture attentive de la charte rgionale permet

    cependant, davancer que la dcentralisation rgionale apparat comme, une

    valeur idologique traduisant une organisation administrative de lespace base

    en thorie sur lautonomie de gestion, mais qui se rvle lanalyse trs

    dpendante du pouvoir central, do tout lintrt que prend le projet de la

    rgionalisation avance qui pourrait permettre au Maroc de se prvaloir auprs

    des pays dvelopps.

    Lexamen des structures administratives actuelles montre que leur origine

    remonte au Protectorat. linstar dun grand nombre des textes, la charte

    communale de 1976 est le produit dun emprunt au patrimoine juridique franais.

    Dj son anctre de 1960, reproduisait assez fidlement, sauf quelques rares

    exceptions, son homologue franais de 1884. Le rle jou par les assistants

    techniques franais auprs des concepteurs du projet, mais aussi laspiration des

    pres fondateurs de la dmocratie marocaine - dans lenthousiasme de 19 Art 5

    du dahir du 30 septembre 1976 - construire une dmocratie moderne sur le

    modle de loccupant, ny sont pas tranger55.

    Malgr ltendue de la rupture, le passage dune forme dorganisation

    ancestrale base sur des pratiques coutumires, un systme moderne, rgl par

    les lois de la dmocratie occidentale, se fait visiblement sans heurt. Mais les

    ralisations de la politique de dcentralisation au Maroc restent limites.

    Dabord sur le plan des allocations les communes urbaines ont bnfici dun

    53 Ghomari M. : op. cit. p. 38 54 Art 1er du dahir de 1977 relatif aux attributions du gouverneur. 55 Brahimi M. (1996) : La loi communale lpreuve de la pratique. Dcentralisation et pratique locale de

    dveloppement. Najah Eljadida, Casablanca, pp : 14-15.

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    intrt plus marqu que les communes rurales. Le retard est dautant plus mal

    ressenti quil concerne des quipements ncessaires la satisfaction des besoins

    primordiaux : distribution deau, assainissement, lectrification, quipements

    sanitaires et socioducatifs.

    Mais le fait le plus marquant est le dcalage qui existe entre le contenu des

    textes et son application. Tant il est vrai que chaque commune fonctionne selon

    les moyens dont elle dispose, mais aussi selon la qualit et le temprament de ses

    lus56. Les amnagements subits par les textes, depuis lindpendance exprime

    une volont mesure et prudente du pouvoir central vis--vis de la gestion de

    lespace national.

    Ladministration marocaine continue sinspirer dune idologie juridique

    antrieure qui demeure sur le fond largement autoritaire, mais qui prsente