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Les spectaculaires progrès scientifiques et technologiques que le monde a connus depuis la seconde moitié du XXe siècle ont certes occasionné d'importants progrès utiles à l'émancipation humaine. Mais, force est de constater que la «vision capitaliste» du développement (le court terme, le souci de profits exclusifs…) et le mythe longtemps entretenu sur le caractère inépuisable des ressources naturelles ont, à bien des égards, engendré des désastres sociaux et environnementaux sans précédent. Notamment la pollution, les changements climatiques, la diminution de la biodiversité, la dégradation de la couche d’ozone, etc. Leur ampleur varie d'un lieu à un autre selon le degré de civilisation industrielle et de préoccupation pour l'environnement . Cependant, quelque soit notre milieu de vie, nous sommes tous interpellés par les dommages et conséquences qu’ils engendrent. Dès lors, tant collectivement qu’individuellement, des choix d’équité et de viabilité s’imposent devant l’urgence de la dégradation socio-environnementale (Gagnon, 1994) .Il importe donc «de repenser le développement» (Bartoli, 1999 ), «de revoir le mode de production industrielle et les conceptions mêmes du développement» (Gagnon, 1994 ; 1995). En d’autres termes, il faudrait réfléchir à d’autres manières de produire, d’aménager et de consommer, qui combinent préservation de l’environnement, efficacité économique et équité sociale. Dans cette perspective, avec la montée de la conscience écologique et le souci d’équité et de justice sociale.Même s’il n’y a pas de réponse unique et unanime à ces questions, le chapitre 28 d’Agenda 21 est, on ne peut plus, clair : «il faudrait que toutes les collectivités locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées afin d’adopter un Programme d’action 21 à l’échelon de la collectivité» . Les localités sont également incitées à répondre aux objectifs de développement durable par un plan d’action à long terme basé sur une approche participative, multipartite concertée et multisectorielle appropriée. Le développement durable est ainsi «fondé sur un jeu, non pas à trois pôles, comme on l’indique habituellement, l’économique, le sociétal et l’environnemental, mais un jeu à quatre pôles, le quatrième étant celui de la gouvernance, sans lequel les trois premiers risquent de n’avoir aucune capacité opératoire». C’est dans ce sens que nous en sommes venus à nous demander si «l’ancrage territorial du développement durable» (Benhayoun et al., 1999) ne passerait-il pas par un véritable exercice de la gouvernance locale et participative. Plus concrètement, au moment où l’on invite de plus en plus les collectivités rurales à renforcer leur «capacité de développement» (capacity building), la «gouvernance» ne jouerait-elle pas un rôle majeur dans le processus conduisant au développement territorial approprié ? C’est à ces questions ce que nous essayerons répondre à travers la présente étude, mais avant de pousser l’analyse plus loin, il conviendrait de s’arrêter sur le sens même du mot gouvernance ainsi que son évolution historique.La gouvernance est un terme polysémique , apolitique, qui peut susciter des ambiguïtés et des confusions ; cependant, cette notion est indéniablement source de richesses, notamment parce qu’elle renvoie à une multitude de facettes et favorise la rencontre entre disciplines. Celles-ci se complètent pour participer à la construction d’un terme susceptible de rendre compte de processus originaux dans les domaines socio-économique et politique. De ce fait, au cours de la dernière décennie, les domaines d’application de la notion de gouvernance se sont multipliés. Dans la mesure où les problèmes de coordination entre acteurs se déclinent à la fois au niveau de l’État, de la ville, de l’entreprise, de l’ordre mondial, il est désormais question de gouvernance locale, de gouvernance urbaine, de gouvernance d’entreprise, de gouvernance de l’emploi, de gouve
Citation preview
Master Droit Administratif et Science Administrative
MEMOIRE DE FIN DETUDE
Prpar par : Mriama DIBIANY
Sous la direction du Pr. : Abdellah EL MOUTAWAKIL
ANNEE : 2009-2010
2
REMERCIEMENTS
Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui ont bien voulu apporter leur contribution la ralisation de cette tude et particulirement :
Monsieur Abdellah El Moutawakil Directeur de cette tude pour son appui et pour la qualit de lencadrement scientifique et mthodologique dont il ma fait bnficier avec un suivi dune grande rigueur intellectuelle ;
Professeurs du Master de Droit administratif et Science administrative, pour la richesse et limportance des informations dont ils nous ont dotes tout au long de ces deux annes ;
Monsieur Taj-Eddine Cherkaoui, Pr. lInstitut scientifique de Rabat, Universit Mohammed V pour son soutien, et pour la documentation intressante quil ma fournie ;
Toute lquipe de luniversit Hassan II, Administration, centre de documentation, qui ont fait preuve dune grande disponibilit ;
Mes parents qui mont port dans leur cur et mont soutenu pour la ralisation de ce travail ;
Mes frres, surs, amis et tous ceux qui mont soutenu de loin ou de prs.
3
TABLE DES MATIRES
Remerciements 2
Table des matires 3
Introduction 6
Les racines du terme de gouvernance 8
Lvolution du concept au XXe sicle 9
Lapproche locale de la gouvernance 13
CHAPITRE I : Parcours dune notion : La Gouvernance 16
Section 1 : Les fondements thoriques de la gouvernance 17
A / La gouvernance, une notion inspire par la thorie conomique 17
B/ De la thorie conomique des territoires la gouvernance locale 21
Section 2 : Les transformations institutionnelles contemporaines 25
A / La gouvernance locale un processus dinteraction entre diffrents acteurs locaux 25
B / Le territoire brique de base de la gouvernance locale 28
CHAPITRE II : Maroc, dun tat fortement centralis la gouvernance locale 35
Section 1 : De la dcentralisation la gouvernance locale 36
A / Laccumulation de lexprience gestionnaire des affaires communales 37
B / La gouvernance locale la lumire de la nouvelle charte communale entre
perspectives et difficults 41
Section 2 : La rgion comme un support de la gouvernance locale 47
A / Lexprience marocaine de la rgionalisation : de la rgion conomique vers la rgion politique. 47
B / Le projet de rgionalisation avance serait-il un levier pour une bonne
Gouvernance locale 50
CHAPITRE III : Le rle de la gouvernance locale dans la ralisation de
dveloppement durable au Maroc 55
Section1 : La socit civile un acteur cl de la gouvernance locale, lINDH au Maroc comme illustration 56
A / Lmergence du mouvement associative au Maroc 56
B / La philosophie de linitiative nationale du dveloppement humain au Maroc
4
Section 2 : Pour une meilleure gouvernance locale Quels partenariats public-
priv ? 62
A/ Partenariat public-priv comme instrument de la rforme de ltat 62
B / Gouvernance locale et enjeux du partenariat public-priv au Maroc 66
Conclusion 70
Bibliographie 72
5
Notre ambition est grande de faire en sorte que les villes et les collectivits locales,
au mme titre que l'tat, le secteur priv et la socit civile, deviennent de vritables partenaires dans le processus de dveloppement global de notre pays, ainsi qu'une force de proposition pour la mise en uvre des diffrentes stratgies nationales.
La bonne gouvernance est devenue un outil majeur pour la gestion des grandes villes. Nos cits doivent, donc, s'orienter vers un systme permettant d'ouvrir la voie des initiatives fondes sur une approche contractuelle et participative associant l'tat et les villes, et favorisant l'adhsion des divers acteurs politiques, conomiques et sociaux, ainsi que la participation des citoyens aux diffrentes phases d'excution des programmes locaux.
Extrait du discours prononc par SM le Roi Mohammed VI l'occasion de l'ouverture,
Agadir, de la Rencontre nationale des collectivits locales, qui sest tenue sous le thme : "Dveloppement des villes, citoyennet et responsabilit".
12 dcembre 2006
6
INTRODUCTION :
Les spectaculaires progrs scientifiques et technologiques que le monde a
connus depuis la seconde moiti du XXe sicle ont certes occasionn d'importants
progrs utiles l'mancipation humaine. Mais, force est de constater que la
vision capitaliste du dveloppement (le court terme, le souci de profits
exclusifs) et le mythe longtemps entretenu sur le caractre inpuisable des
ressources naturelles ont, bien des gards, engendr des dsastres sociaux et
environnementaux sans prcdent.
Notamment la pollution, les changements climatiques, la diminution de la
biodiversit, la dgradation de la couche dozone, etc. Leur ampleur varie d'un
lieu un autre selon le degr de civilisation industrielle et de proccupation pour
l'environnement 1. Cependant, quelque soit notre milieu de vie, nous sommes tous
interpells par les dommages et consquences quils engendrent.
Ds lors, tant collectivement quindividuellement, des choix dquit et de
viabilit simposent devant lurgence de la dgradation socio-environnementale
(Gagnon, 1994)2.
Il importe donc de repenser le dveloppement (Bartoli, 19993), de revoir le
mode de production industrielle et les conceptions mmes du dveloppement
(Gagnon, 1994 ; 1995). En dautres termes, il faudrait rflchir dautres
manires de produire, damnager et de consommer, qui combinent prservation
de lenvironnement, efficacit conomique et quit sociale. Dans cette
perspective, avec la monte de la conscience cologique et le souci dquit et de
justice sociale.
Mme sil ny a pas de rponse unique et unanime ces questions, le chapitre
28 dAgenda 21 est, on ne peut plus, clair : il faudrait que toutes les collectivits
locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les
entreprises prives afin dadopter un Programme daction 21 lchelon de la
collectivit4. Les localits sont galement incites rpondre aux objectifs de
dveloppement durable par un plan daction long terme bas sur une approche
participative, multipartite concerte et multisectorielle approprie. Le
dveloppement durable est ainsi fond sur un jeu, non pas trois ples, comme
on lindique habituellement, lconomique, le socital et lenvironnemental, mais
1Ayeva T. (2003) : Gouvernance locale et renforcement des capacits. Quelques pistes de rflexion pour un
dveloppement territorial durable des collectivits rurales. Centre de recherche sur le dveloppement
territorial, Rimouski, 49p. 2 Gagnon C. (1994) : La recomposition des territoires. Dveloppement local viable : rcit et pratiques dacteurs
sociaux dans une rgion qubcoise. Ph. D. univ. Montral, p. 228. 3 Bartoli H. (1999) : Repenser le dveloppement : en finir avec la pauvret. Unesco, conomica, Paris, 205p. 4 Action21, Chap. 28 : Initiative des collectivits locales lappui dAction 21 :
http://www.un.org/french/ga/special/sids/agenda21/
7
un jeu quatre ples, le quatrime tant celui de la gouvernance, sans lequel les
trois premiers risquent de navoir aucune capacit opratoire.
Cest dans ce sens que nous en sommes venus nous demander si lancrage
territorial du dveloppement durable (Benhayoun et al., 1999)5 ne passerait-il
pas par un vritable exercice de la gouvernance locale et participative. Plus
concrtement, au moment o lon invite de plus en plus les collectivits rurales
renforcer leur capacit de dveloppement (capacity building), la
gouvernance ne jouerait-elle pas un rle majeur dans le processus conduisant
au dveloppement territorial appropri ? Cest ces questions ce que nous
essayerons rpondre travers la prsente tude, mais avant de pousser lanalyse
plus loin, il conviendrait de sarrter sur le sens mme du mot gouvernance ainsi
que son volution historique.
La gouvernance est un terme polysmique6, apolitique, qui peut susciter des
ambiguts et des confusions ; cependant, cette notion est indniablement source
de richesses, notamment parce quelle renvoie une multitude de facettes et
favorise la rencontre entre disciplines. Celles-ci se compltent pour participer
la construction dun terme susceptible de rendre compte de processus originaux
dans les domaines socio-conomique et politique.
De ce fait, au cours de la dernire dcennie, les domaines dapplication de la
notion de gouvernance se sont multiplis. Dans la mesure o les problmes de
coordination entre acteurs se dclinent la fois au niveau de ltat, de la ville,
de lentreprise, de lordre mondial, il est dsormais question de gouvernance
locale, de gouvernance urbaine, de gouvernance dentreprise, de gouvernance de
lemploi, de gouvernance mondiale, de gouvernance des rgions europennes ou
de gouvernance multiniveaux, pour ne citer que les notions les plus frquemment
tudies lheure actuelle.
Cette polysmie rend difficile une dfinition unique, stabilise, de la
gouvernance. Un dtour par ltymologie du terme permet pourtant de proposer
un cadre gnral dans lequel inscrire les dfinitions de la gouvernance.
Afin de pouvoir comprendre les transformations que dcrit la notion de
gouvernance, il est indispensable dobserver le chemin sinueux emprunt par le
terme de gouvernance ainsi que son volution historique et thorique. En effet,
les diffrents sens pris par ce mot au cours des sicles sont autant dlments
explicatifs des termes des dbats actuels.
5 Benhayoun G., Gaussier N. & Planque B. (dir.) (1999) : Introduction gnrale. In Lancrage territorial du
dveloppement durable . Paris : LHarmattan, pp. 17-32. 6 Baron C. (2003) : La gouvernance : dbats autour dun concept polysmique. Ed. Juridiques associes, Droit et
socit, 2, n 54, pp. 329-349.
8
Les racines du terme de gouvernance
Cest Platon le premier qui utilisa le verbe kuberno (), qui signifiait
alors conduire un navire ou un char, au sens de gouverner les hommes. En faisant
passer ce mot du champ militaire au domaine politique, il reprenait lide que le
pilote occupe un poste stratgique avec de grands pouvoirs et des grandes
responsabilits7. De la mme manire, il expliquait que la direction de la cit
ncessite un individu qui soit seul assis au gouvernail de ltat, gouvernant tout,
commandant tout et rendant tout profitable. Ainsi, ds son origine, le verbe
gouverner est associ lascendant hirarchique dune personne sur les autres.
Le latin a repris le mme double sens dans le verbe guberno et des auteurs
comme Cicron, Tite Live ou Snque lutilisaient souvent dans son sens
mtaphorique. partir du verbe latin, un premier nom est apparu gubernatio, qui
signifiait la fois la direction du navire et le gouvernement des hommes.
Le nom gubernantia est apparu plus tard, dans le latin du Haut Moyen ge,
avec un sens quivalent celui de gouvernement. Cest pourquoi vers le XIIIe
sicle, les langues europennes naissantes ont parfois cr deux mots au sens
indiffrenci ou dautres fois un seul.
Les mots gobernatio et gobernantia ont t traduits par gouvernement et
gouvernance en franais, gobierno et gobernanza en espagnol, governo et
governana en portugais ou encore government et governance en anglais. Au
contraire litalien, lallemand, le nerlandais et le sudois, par exemple, nont
pas cr dquivalent du mot gouvernance.
Cela explique pourquoi la rapparition du mot gouvernance a souvent amen
ces pays officialiser le terme anglais.
Dans les pays francophones, le mot gouvernance sest impos facilement,
notamment avec la science politique canadienne pionnire dans ce domaine et
avec la bonne gouvernance prne par les grandes organisations internationales
(Organisation des Nations Unies ONU , Fond montaire international
FMI , Banque Mondiale) pour les pays dAfrique subsaharienne. Les langues
portugaises et espagnoles semblent suivre le mme chemin que langlais et le
franais avec la rutilisation des formes mdivales que sont governana et
gobernanza.
Si, comme nous lavons vu, plusieurs langues ont prolong les deux termes
latins de gubernatio et gubernantia, ceux-ci taient, durant tout le Moyen ge,
7 Tournier C. (2007) : Le concept de gouvernance en science politique. Pap. Polt. Bogot (Colombia), vol. 12,
no. 1, pp. 63-92.
9
des synonymes. Jean-Pierre Gaudin8 , spcialiste franais des politiques
publiques, appelle ce moment le premier ge de la gouvernance. Il identifie
ensuite un deuxime ge lors du Sicle des Lumires. Les philosophes de ce sicle
ont clarifi la notion de gouvernement en faisant du pouvoir hirarchique unique
llment central de ce concept. De son ct, le processus de dfinition de la
gouvernance est plus chaotique. Cette notion est associe ds cette poque des
ajustements mutuels entre intrts conomiques et sociaux , elle est galement
utilise dans les dbats de philosophie politique en France pour appeler une
transformation de lAncien Rgime, le gouvernement tant associ la monarchie
absolue alors que la gouvernance apparaissait alors comme une alternative
imposant un quilibre entre les pouvoirs royaux et parlementaires (Montesquieu).
Mais ces utilisations sont minoritaires et lexpression gouvernance tombera en
dsutude au cours du XIXe sicle.
Nous pouvons voir dans ce moment, la fois les raisons de la diffrenciation
des mots gouvernement et gouvernance, et aussi les origines du flou qui entoure
le sens du concept de gouvernance.
Lvolution du concept au XXe sicle
La gouvernance resurgit avec force au XXe sicle, dans les pays de langue
anglaise puis simpose partout. Le terme de gouvernance a commenc tre
utilis par les conomistes dans les annes 1930, pour fonder une analyse
stratgique de la gestion des grandes socits industrielles et commerciales. Il
apparat ainsi en 1937 dans un clbre article The Nature of the Firm crit par
lconomiste amricain Ronald Coase. La firme en tant que telle merge, car ses
modes de coordination interne permettent de rduire les cots de transaction que
gnre le march ; elle savre donc plus efficace pour que le march organise
certains changes.
Cette thorie, redcouverte dans les annes 1970 par le courant
institutionnaliste, et en particulier par O. Williamson, dbouche sur des travaux
qui dfinissent la gouvernance dans les termes suivants : les dispositifs mis en
uvre par la firme pour mener des coordinations efficaces qui relvent de deux
registres : protocoles internes lorsque la firme est intgre (hirarchie) ou
contrats, partenariat, usage de normes lorsquelle souvre des sous-traitants9.
la fin des annes 1960, linterrogation sur la gouvernabilit des socits
dmocratiques suscite des travaux significatifs, le pluralisme politique nest
supportable que sil met en prsence des groupes sociaux dont les intrts ne sont
8 Gaudin J.-P. (2002) : Pourquoi la gouvernance ? La bibliothque du citoyen, Ed. Presses de sciences Po, 138p. 9 Lorrain D. (1998) : Administrer, gouverner rguler. Les annales de la recherche urbaine, n 80-81, pp. 85-92.
10
pas incompatibles, mais au contraire susceptibles dun marchandage dbouchant
sur un compromis. Le dveloppement conomique ayant dj rsorb, dans une
certaine mesure, lantagonisme des classes sociales au bnfice de la classe
moyenne, il en conclut que le bon gouvernement est celui qui laisse stablir entre
tous les agents, et notamment les groupes organiss, un jeu comparable celui
du march, o tout le monde a intrt trouver une solution commune sous peine
dtre perdant perspective consensuelle, qui revient dj gommer ce quil y a
dirrductiblement conflictuel dans la vie politique .
Au plan politique, prcisment, la thse selon laquelle les dmocraties
deviennent ingouvernables lorsquelles sont surcharges dexigences
populaires a dabord t cultive dans des milieux relativement restreints, comme
la Commission Trilatrale. Au dbut des annes 1970, les thoriciens de la
Trilatrale, au premier rang desquels figure Samuel Huntington (lactuel
doctrinaire du choc des civilisations), sinterroge sur la difficult de grer des
socits dont les membres se comportent de manire irrationnelle et, en tout
tat de cause, imprvisible. Les membres de la Trilatrale sont au nombre
denviron 300. La plupart dentre eux sont des chefs dentreprise, conscients de
linterdpendance croissante des conomies, qui sinquitent ouvertement des
excs de dmocratie que reprsenteraient les grves, les droits syndicaux, les
acquis sociaux ou la libert dopinion. Leur conclusion est que la crise de la
dmocratie sexplique en fin de compte par le fait que le peuple cherche, de
manire nave, vivre dmocratiquement en dmocratie. Ils en dduisent que les
dmocraties, devenant ingouvernables, doivent tre gouvernes par des
moyens diffrents .
Or, cette poque, les conomistes libraux ne se bornent dj plus dfinir
la gouvernance comme la somme des dispositifs mis en uvre par les entreprises
pour rduire leurs cots de transaction. La science administrative anglo-saxonne
assimile la gouvernance au management public, cest--dire lapplication
aux affaires publiques des principes de la gestion prive. Cest cette ide qui va
rebondir, paralllement aux premires doctrines globales formules au
lendemain du choc ptrolier de 1973, avec les dbats sur la bonne
gouvernance.
Dans les annes 1980, le principe de la gouvernance municipale (ou
gouvernance urbaine) est adopt par les conservateurs dans lAngleterre de
Margaret Thatcher : pour suppler aux carences de laction publique, permettre
ltat de se dsengager et parvenir un meilleur niveau de rentabilit, de
nombreux services communaux sont transfrs au secteur priv.
Les municipalits ainsi rorganises ne font donc plus appel ltat, mais aux
associations et au secteur conomique priv. Cest de cette exprience que
11
procde ce quon a appel en France le nouveau management public des
collectivits territoriales, matrice du dveloppement de lexpertise en politiques
publiques .
Un tournant se produit dans les annes 1990, aprs lchec des politiques de
dstatisation engages par les gouvernements les plus libraux. On assiste alors
lmergence dun nouveau paradigme no-institutionnaliste, qui ne cherche
plus tant obtenir le dsengagement de ltat qu lui attribuer la tche de
crer, grce aux moyens dont il dispose, un environnement favorable
linvestissement priv. La bonne gouvernance dsigne alors lensemble des
mesures que ltat est susceptible de prendre pour instaurer de vritables socits
de march.
Mais cest surtout la mondialisation, dans la mesure o elle donne une
dimension internationale pratiquement tous les actes de la vie publique, qui va
permettre aux thses sur la gouvernance dacqurir une audience vritablement
plantaire. partir du moment o la globalisation sest impose, un certain
nombre de cercles de pouvoir ont en effet estim quil tait plus que jamais
ncessaire de mettre au point des rgles du jeu10. Le problme est videmment
quen dmocratie, les rgles du jeu sont arrtes par des dirigeants politiques
lus.
Dans la perspective de la gouvernance, il ny a plus rien de tel. Non seulement
les lus sont dentre exclus du jeu, mais les tats, limits territorialement et
ports dfendre de manire trop exclusive leurs intrts nationaux, sont eux-
mmes tenus pour suspects, au motif que leurs administrations bureaucratiques
nont pas comptence lchelon mondial.
Cest dans ce contexte que lon va voir merger des acteurs multilatraux non
tatiques qui vont soctroyer des pouvoirs de plus en plus tendus.
La doctrine de la gouvernance va dabord slaborer dans le milieu des
organisations internationales. Ces organisations sont de diverse nature. Il y a en
premier lieu les grandes institutions internationales, comme la Banque mondiale,
le Fonds montaire international(FMI), lOrganisation mondiale du commerce,
etc.
Ds la fin des annes 1980, les conomistes de la Banque mondiale et du FMI
utilisent le terme de gouvernance globale pour dsigner toute formule politique
suivant les normes du march. La bonne gouvernance devient alors synonyme
de bonne gestion du dveloppement. Lexpression est employe
systmatiquement dans les rapports consacrs aux politiques mettre en uvre
10 Graz J.-C. (2004) : la gouvernance de la mondialisation. La Dcouverte, collection Repres, Paris, 122p.
12
dans les pays du Tiers-monde dsireux dadopter des stratgies de lutte contre la
pauvret ou la corruption.
Laide apporte ces pays est place sous condition dadopter des principes
de bonne gouvernance , ceux-ci tant officiellement dfinis comme la capacit
des gouvernements grer efficacement leurs ressources, mettre en uvre
des politiques pertinentes et procder aux ajustements structurels
ncessaires. Il sagit en fait dinciter les tats et les gouvernements respecter
les principes macro-conomiques libraux recommands par les institutions de
BrettonWoods en adoptant une logique entrepreneuriale classique : privatisation
des services publics, amaigrissement de ltat-providence, drgulation du
march du travail, rduction des budgets sociaux, prise en compte des exigences
du dveloppement durable, etc.
La Banque mondiale sinstitue donc dsormais en valuatrice des
environnements nationaux et dispensatrice de leons de management tous les
tats, y compris industrialiss.
Dans le Tiers-monde, se posant, tout comme le FMI, en prescriptrice de normes
de gouvernement pour les tats par le biais des projets quelle finance, elle se
donne le droit exorbitant, et totalement incompatible avec le principe de la
sparation des pouvoirs, daccorder des prts selon son bon vouloir tout en
dcidant en mme temps de manire souveraine de leur attribution.
Viennent ensuite les puissantes Organisations non gouvernementales (ONG),
quelles soient publiques ou prives, lesquelles ne constituent que la partie la plus
visible des milliers de mouvements prtendant reprsenter la socit civile
indpendamment des institutions politiques classiques, et enfin les grandes firmes
transnationales ou multinationales11.
Lapproche locale de la gouvernance
Ce qui nous intresse ici ce sont les dfinitions qui sont lies la dynamique
des acteurs enracins au plan local et rgional cest--dire celle fonde sur la
coordination des acteurs et sur les dynamismes qui les animent. Car, selon Benko
et Lipietz (1995)12, la gouvernance correspond un mode de rgulation qui ne
repose pas exclusivement sur les mcanismes du march ni sur les interventions
de ltat, mais qui sappuie plutt sur la socit civile. Elle renvoie laction de
piloter un systme, de coordonner une action collective dans laquelle lordre
organisationnel est davantage ngoci entre les acteurs du systme (Thuot,
11 Insel A. (2005) : La post dmocratie entre gouvernance et caudillisme. Revue du Mauss, 2me sem., p. 129. 12 Benko G. & Lipietz, A. (1995) : De la rgulation des espaces aux espaces de rgulation. In Ltat des savoirs ,
R. Boyer et Y. Saillard (dir.), Paris, La Dcouverte, pp. 293-303.
13
1998)13. Ce terme connote des capacits exerces par les multiples acteurs et
traduirait la multiplicit de lieux de dcision.
Parmi les raisons avances par diffrents auteurs pour expliquer ou justifier
lmergence de ce concept, actuellement la mode, on peut retenir entre autres :
la perte de confiance des citoyens envers leurs gouvernements nationaux ;
lmergence des approches territoriales de dveloppement ; etc.
Pour mieux rpondre aux nouvelles proccupations de la population et
favoriser le dveloppement durable, les gouvernements dmocratiques sont
dsormais en faveur d'un large partenariat avec la socit civile et le secteur
priv, car c'est aux niveaux local et rgional, au plus prs des problmes et des
individus, quon se concerte le plus souvent (OCDE, 2001)14.
Cest pourquoi certains auteurs nhsitent pas affirmer que la notion de
gouvernance a merg avec la monte en puissance des approches territoriales
en conomie.
En fait, la popularit relativement rcente du thme de la gouvernance est
troitement lie aux caractristiques de lenvironnement social, conomique et
politique dans lequel nous voluons depuis quelques annes. Une de ces
caractristiques a trait au rle de ltat qui a fait lobjet de vifs dbats au cours
des deux dernires dcennies. Apprhende de faon positive, la gouvernance
locale peut sans doute tre analyse comme une rappropriation du politique
par des acteurs sociaux qui, dans le sillage du dveloppement de ltat-
providence, ont vu leur capacit dagir sur leur environnement immdiat (rgion,
localit, quartier, village, etc.) diminuer progressivement.
La gouvernance est donc constitutive de la nouvelle manire de voir les
territoires dans le dveloppement conomique, social et cologique.
Cette vision de la gouvernance locale incite mettre laccent sur les rseaux
qui se tissent ou se consolident sur le plan territorial, sur les manifestations de
solidarit observes et l, sur les dcisions consensuelles qui se prennent
sans intervention de lextrieur, etc.
La gouvernance locale serait en quelque sorte issue dun processus de diffusion
du politique qui largirait lexercice de la citoyennet aux acteurs sociaux. Cette
redfinition des pouvoirs met en vidence la demande des acteurs sociaux en
faveur de modes dcisionnels dcentraliss et respectant leur qualit de vie. Cette
13Thuot J.-F. (1998) : La fin de la reprsentation et les formes contemporaines de la dmocratie. Qubec, Nota
Bene, 211p. 14 Organisation de Coopration et de Dveloppement conomiques (2001) : Des partenariats locaux pour une
meilleure gouvernance. Paris, OCDE, 444p.
14
demande renvoie aussi au concept de gouvernance qui sous-tend des pouvoirs
partags entre acteurs territoriaux (Brassard et Gagnon, 2000)15.
Au Maroc, une adhsion semble tre acquise, la conception de la bonne
gouvernance avance par le PNUD : la gouvernance dmocratique , avec des
adaptations compte tenu du sens donn par le gouvernement, les partis politiques
et la socit civile au projet socio-conomique et politique du pays.
Mme si le concept nest pas neutre, les raisons de ces proccupations trouvent
leur origine dans les crises gouvernementales dues au mode de gestion
traditionnelle16.
En effet, avec cette organisation internationale le royaume essaye dlaborer
une matrice nationale de bonne cadre de ce programme, la bonne
gouvernance est apprhende comme un tat dvolution du systme social
caractris par la participation du plus grand nombre possible dinstitutions au
processus de rgulation du systme lui-mme. Par rgulation, il est entendu ici
lensemble des actions menes en vue de raliser les objectifs dintrts communs
et la conciliation des objectifs/intrts contradictoires. La dconcentration et la
dcentralisation savoir linstauration de lunit de la ville ou encore le projet
de rgion qui se veut porteur de linstauration de la gouvernance locale au
Maroc, sont ce titre, des corollaires de la bonne gouvernance et des rformes
en relation avec lconomie la consolidation du projet social du pays) :
notamment en sont les premiers pas (dans le sens de la consolidation du projet
social du pays)17.
Dans un premier temps, nous allons faire un aperu sur les fondements
thoriques de la notion de gouvernance ainsi que les changements institutionnels
entrains par les mutations profondes que connait le rle de ltat. Nous
tenterons ensuite de relever les organes de gouvernance locale institus au Maroc
travers la dcentralisation et la rgionalisation, pour enfin dmontrer
limportance de la gouvernance et de la participation citoyenne que ce soit socit
civile ou le priv dans tout processus de renforcement des capacits visant
latteinte dun dveloppement territorial appropri (durable).
15 Brassard M.-J. & Gagnon C. (2000) : Quelle gouvernance pour les communauts locales ? In Gouvernance
et territoires ruraux. lments dun dbat sur la responsabilit du dveloppement , M. Carrier & S. Ct (dir.), Presses de lUniversit du Qubec, Sainte-Foy, pp. 171-187.
16 Programme des Nations unies pour le dveloppement (2003) : Gouvernance et acclration de dveloppement
humain, Maroc. Rapport de dveloppement humain, p. 32. 17 Belghazi S. (2003) : Examen de la matrice nationale de bonne gouvernance. Direction de la programmation /
PNUD, Document du travail.
15
Cest un grand et beau spectacle de voir lhomme sortir en quelque manire
du nant par ses propres efforts ; dissiper, par les lumires de sa raison les
tnbres dans lesquelles la nature lavait envelopp
J.-J. Rousseau
CHAPITRE I : PARCOURS DUNE NOTION : LA GOUVERNANCE
16
SECTION 1 : LES FONDEMENTS THORIQUES DE LA
GOUVERNANCE
Historiquement, la gouvernance est un concept dabord conomique. Il est
apparu pour dsigner un mode de gestion des entreprises comme pour
caractriser des regroupements de plusieurs entreprises autour dobjectifs
communs. Il convient de puiser dans les fondements thoriques de ce concept qui
intresse aussi bien le local que le global suivant les transformations quont
connues les missions de ltat moderne, le local ayant pris un poids considrable
dans la conception de ltat moderne et dmocratique.
A / La gouvernance, une notion inspire par la thorie conomique
Au XXe sicle, la rapparition du mot gouvernance eu tout dabord lieu dans
le domaine conomique aux tats-Unis par le biais dun article de Ronald Coase
cit en haut. La gouvernance dsignait alors les modes de coordination interne
permettant de rduire les cots de transaction gnrs par les marchs.
Cette thorie fut reprise par les conomistes no-institutionnalistes, dans les
annes 1970 et 1980, dont Oliver E. Williamson. Ce dernier dfinissait la
corporate gouvernance comme lensemble des mcanismes de coordination
rglant lorganisation interne de lentreprise dans le but dune plus grande
efficacit.
Le dveloppement de la corporate gouvernance ou gouvernance dentreprise
se situait dans un contexte de remise en cause des modalits de production
fordistes. Les thories de Williamson sinterrogent sur la possibilit dorganiser
les entreprises selon un modle moins hirarchique, dans un but defficacit.
La notion de gouvernance sest donc inspire de cette vision des conomistes
amricains selon laquelle les coordinations conomiques ncessaires une
entreprise reposent sur des conventions, des normes, et des accords ponctuels18.
Ce concept inspir du no-institutionnalisme va voyager de lconomie vers le
champ politique notamment grce au succs remport par le nouveau paradigme
conomique no-libral montariste. Nous faisons rfrence aux nouvelles
thories vhicules par lcole de Chicago dont Ronald Coase tait membre.
Selon ces thories, ltat est rsiduel, il nexiste que pour garantir
lautorgulation du march. Dans cette vision, les institutions politiques nont de
raison dtre que parce quelles permettent la libert des forces conomiques et
le respect des rgles de concurrence.
18 Lorrain D. (1998) : op. cit.
17
Le courant noconservateur qui est apparu en se runissant autour du
paradigme no-libral a t le premier vecteur de dplacement de la gouvernance
des sciences conomiques vers dautres champs disciplinaires.
En faisant de ce paradigme leur identifiant idologique, les no-conservateurs
lont import dans les arnes lectorales des pays occidentaux notamment avec
Margaret Thatcher, Ronald Reagan, ou un peu plus tard, en 1986, avec Jacques
Chirac en France. Cela a eu pour consquence que la nouvelle gnration
dacteurs politiques a cherch, dans le monde entier, lgitimer de nouveaux
rapports entre la politique et lconomie. Ils ont vhicul limage dune
gouvernance qui marginalise le politicien, met les dinosaures bureaucratiques
au muse et esquisse lide dune action publique o lintrt gnral mergerait
dune coopration horizontale entre partenaires gaux.
Et ceux sont ces acteurs, parmi dautres, qui sont ainsi lorigine du succs de
la notion de gouvernance. Ce premier dveloppement contemporain de la
gouvernance la marque trs profondment, elle sest toujours trouve depuis
cela cartele entre des utilisations normatives et des utilisations analytiques.
Mais cela na pas pour autant diminuer son succs.
Au contraire, la gouvernance a fait preuve dune grande capacit dadaptation.
Les auteurs qui lont utilise ont profit de son statut de notion en construction
pour lui donner des sens trs divers et qui leur convenait. Cela a amen Jean-
Pierre Gaudin la qualifier de faon pjorative en affirmant que dans le monde
entier, la gouvernance est devenue un mot-valise, employ tout propos par les
pouvoirs conomiques et sociaux, sans oublier les mdias19. Il faut pourtant
relativiser ces propos en rappelant que ce foisonnement qui entoure la
gouvernance est aussi une des raisons de lintrt de la notion. La gouvernance
a donn lieu la cration dun forum o se retrouvent plusieurs sciences souvent
cloisonnes entre elles.
Nous considrerons que le dbat sur la gouvernance sest structur dans un
forum dont les rgles prenaient en compte des acteurs venus de disciplines varies
et qui sinscrivait dans une temporalit longue allant de la fin des annes 1970
aujourdhui, crant ainsi un rfrentiel de la gouvernance nettement
pluridisciplinaire.
Il nous faut dabord noter que le dveloppement de la corporate gouvernance
par Coase ou Williamson avait pour but de crer un concept analytique faisant
19 Jobert B. (dir.) (1994), Le tournant no-libral en Europe : ides et recettes dans les pratiques gouvernementales. Coll.
Logiques politiques, lHarmattan, Paris, 328p.
18
de la firme une structure o se dcident diffrents types de transactions
permettant de diminuer les cots de production de lentreprise.
Un des premiers prolongements du thme de la gouvernance dentreprise se
trouve dans lconomie politique et la sociologie politique, Lconomie politique
a russi rutiliser les travaux sur la corporate gouvernance en crant une
continuit dans la problmatique.
Elle a procd un changement de terrain danalyse tout en gardant les mmes
interrogations. La gouvernance dentreprise tudiait lefficacit des entreprises
en fonction des rapports internes entre employs, dirigeants, fournisseurs et
clients, la gouvernance dveloppe par lconomie politique tudie la rgulation
dune socit et le partage des tches entre march, structures sociales et
structures politiques.
Cette conception de la gouvernance comme rgulation conomique par la
coopration est pour Le Gals20 trop simpliste au niveau de toute une socit. Il
considre que cest pour cela que de nombreuses recherches se sont limites
lanalyse de systmes locaux.
Au niveau infra tatique, les politistes britanniques se sont empars de la
notion, loccasion du financement par le gouvernement dun programme de
recherche sur le thme de la recomposition du pouvoir local. Ils cherchaient
dcrire, avec le concept de urban gouvernance, les volutions du systme de
pouvoir local, en opposition au local gouvernement, antrieur aux rformes
conduites depuis 1979 par Margaret Thatcher.
Ce nouveau systme retirait une large partie des pouvoirs des gouvernements
locaux au profit dagences techniques dpendantes du pouvoir central et des
services publics locaux rcemment privatiss. La gouvernance urbaine est alors
fortement associe aux thses nolibrales du New Public Management qui est
devenu dans les annes 1980 une arme rhtorique au Royaume-Uni et aux tats-
Unis pour demander un gouvernement moins cher, moins autoritaire et plus
efficace.
Les grandes institutions financires internationales ont galement repris leur
compte la notion de gouvernance, notamment dans lexpression de good
gouvernance. La gouvernance est alors un concept normatif qui tablit des rgles
de gestion publique pour les pays qui contractent des prts auprs de ces
organisations. La Banque Mondiale a jou un rle central dans la
conceptualisation de la notion de bonne gouvernance en finanant deux clbres
20 Le Gals P. (2003) : Le retour des villes europennes. Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, Paris,
486p.
19
rapports. Le premier de ces rapports, intitul De la crise la croissance
durable, date de 1989 et, est consacr lAfrique subsaharienne. La
gouvernance y est dfinie comme exercice du pouvoir politique dans la gestion
dune nation, dans cette acception la gouvernance est donc assimile lart de
gouverner, art dont la Banque Mondiale tablit les rgles dans un second rapport.
Ce second rapport qui date de 1992 et sappelle Gouvernance et dveloppement
prcise la doctrine de la Banque Mondiale en fixant les caractristiques de la
bonne gouvernance. La bonne gouvernance, selon la dfinition de la Banque
Mondiale, est un produit direct du paradigme no-libral, car les rgles
dadministration quelle promeut vont dans le sens dune libralisation
conomique par la suppression des barrires douanires et dune rduction du
primtre de ltat.
Au-del de la dimension idologique qua pu prendre la gouvernance sous le
gouvernement de Margaret Thatcher et sous linfluence des institutions
financires internationales, cette notion a comme caractristique remarquable
davoir tait capable de voyager dans des champs scientifiques trs diffrents, ce
qui a permis de la dtacher de la pense no-librale.
Le lien entre les conceptions normatives de la gouvernance et des conceptions
analytiques sest fait notamment grce au courant no-institutionnaliste et des
auteurs tels que March et Olsen21 qui ont import la notion de gouvernance dans
la sociologie.
En science politique, il est impossible de dterminer un auteur ayant structur
le dbat sur la gouvernance. Les ouvrages de Clarence N. Stone ou de James
Rosenau et Otto Czempiel sont souvent considrs22 comme prcurseurs, car ils
donnent pour la premire fois la gouvernance la dimension dun concept
explicatif.
Cependant, la premire thorisation du concept de gouvernance, qui va servir
de base toutes les tudes suivantes se trouvent dans louvrage collectif dirig
par Jan Kooiman, Modern gouvernance, livre qui tente, de dpasser les
problmes de dfinition du concept de gouvernance.
A la suite de ces travaux prcurseurs, cest finalement la sous-discipline de la
science politique que constitue lanalyse des politiques publiques qui sest
empare de la notion de gouvernance en sinspirant la fois de la sociologie des
organisations, dans laquelle nous retrouvons les travaux de March et Olsen,
David Marsh et Roderick A. W. Rhodes. Grce cette double inspiration, les
21 Tournier C. (2007) : op. cit. 22 Tournier C. (2007) : op. cit.
20
apports des Britanniques Mark Thatcher, David Marsh et Roderick Rhodes et du
franais Le Gals ont t primordiaux pour le concept de gouvernance.
Malgr cela la notion de la gouvernance reste encore mitige et difficile
apprhender, le passage de la gouvernance globale la gouvernance locale
marque une phase dcisive dans la gestion des affaires publique.
Afin de pouvoir prtendre donner une dfinition la gouvernance locale, il
convient de passer en revue certaines thories sous-jacentes la gouvernance.
B/ De la thorie conomique des territoires la gouvernance locale
Parler de la gouvernance locale implique que ce nest que rcemment que le
territoire sest rvl comme un objet de recherche autonome pour lconomie
contemporaine. Plusieurs thories ont t conues dans ce cadre :
La premire thorie est celle du choix public, selon lequel la
gouvernance conue comme un instrument institutionnel peut jouer un
rle important dans la rduction des cots de transaction et donc dans
lamlioration de lefficacit des organisations. On comprend bien que
cest cette approche qui a donn naissance la bonne gouvernance, qui
est devenue le leitmotiv des institutions internationales (le rle des
institutions est dominant dans cette vision et cest lefficacit qui est la
finalit de toute action). Cette thorie est tire de celle de la
gouvernance dentreprise (rduction de conflits entre parties
prenantes, dmocratisation de la prise de dcision, participation des
actionnaires23).
La thorie htrodoxe : dans cette optique, la gouvernance est vue
comme une action collective, c'est--dire, la manire dont une
communaut se donne une direction face lavenir : nous mettrons dans
cette thorie toutes les approches actuelles sur le dveloppement local
selon une vision solidaire, les nouveaux travaux sur lconomie sociale
et solidaire o justement le capital social joue un rle important. Dans
cette approche, cest la participation de toutes les forces vives, la
solidarit ainsi que les projets de dveloppements collectifs qui
dominent. La gouvernance dans ce cas-l, nest pas exclusive dans la
mesure o elle intgre tous les acteurs.
Thorie politique : malgr les rserves que les politiques expriment lgard de la gouvernance, surtout la bonne gouvernance , sous
23 Charreaux G. (1997) : Le gouvernement des entreprises, corporate governance. Thorie et faits, Economica,
Paris, 540p.
21
prtexte de la neutralit axiologique, certains dentre eux la dfinissent comme une nouvelle re de gouvernabilit et de restructuration de
laction publique o ltat devient un acteur parmi dautres, qui met en place de nouvelles modalits dintervention (contractualisation, ngociation, concertation) (Gaudin, 2002).
Pour ne citer que ces trois approches, sinon le terrain thorique est riche de
dfinitions et dapproches qui traitent de la gouvernance. On retient deux points
communs qui nous semblent importants : lefficacit et la participation, et cest
de l, ou se sont opres toutes les transformations dont on a parl au-dessus.
Passant, serait-on en mesure de relever le dfi de dfinir ce que cest que
la gouvernance locale , mais avant dentamer la phase de dfinition, il convient
dvoquer la base sur laquelle ce concept peut sappuyer, savoir le territoire.
Ce dernier nest plus seulement lespace conu en termes de cot de transport,
comme nous lavons montr au-dessus, cest un construit social (Pecqueur, 2004),
chaque territoire a son histoire, ses spcificits quil faut prendre en compte. Le
territoire contribue la proximit gographique qui pourrait renforcer les autres
proximits (organisationnelles et institutionnelles), donc, cest une entit flexible
et dynamique qui permet linteraction entre les acteurs et la mise en place de
rseaux .
La gouvernance locale prend diffrentes dfinitions dun pays lautre, voire
mme dun territoire lautre. Cependant, les trois thories cites prcdemment
peuvent nous aider dfinir ce que cest que la gouvernance locale. Le courant
de lconomie de proximit, o la gouvernance locale est dfinie comme le
processus de mise en compatibilit de diffrentes modalits de coordination entre
des acteurs gographiquement proches, en vue de rsoudre un problme productif
ou, plus largement, de raliser un projet collectif de dveloppement. Selon, les
tenants de ces courants, ce processus de construction, dune proximit
institutionnelle ncessaire la ralisation dune proximit organisationnelle
entre des acteurs gographiquement proches est la base de la cohrence
territoriale, qui permet de lever provisoirement lincertitude inhrente laction
collective et dattnuer les conflits entre acteurs 24.
Le courant noclassique o la gouvernance locale serait une partie de la bonne
gouvernance nationale, dfinie par la manire dont lautorit est exerce au
niveau local pour grer les ressources conomiques et sociales dun pays en voie
dveloppement . La banque Mondiale dans le rapport de 1991, dfinit la
gouvernance comme la manire dont le pouvoir est exerc dans la gestion des
ressources conomiques et sociales dun pays en voie de dveloppement . Il
sagit l, en fait, dun emprunt lconomie institutionnelle, en fort
24 Pecqueur B. & Zemmermann J.B. (eds) (2004) : Economie de proximits. Herms, Paris, 264p.
22
dveloppement aux Etats-Unis lpoque, pour laquelle la gouvernance est le
cadre institutionnel qui permet de viser une plus grande matrise des cots de
transactions25.
Une troisime dfinition est mise en place par le courant de lconomie sociale
et solidaire o la gouvernance locale est dfinie comme lensemble
dinteractions institutionnelles entre socits civile, tat et march26. La
problmatique de la gouvernance selon cet auteur traduit un dplacement de
lattention, des modes de fonctionnement des organisations publiques vers les
rseaux dacteurs. Ceci est important dans le cadre de notre article dans la
mesure o le territoire contient une panoplie dacteurs qui viennent sajouter aux
acteurs classiques (tat, autorits locales, lus locaux). Cest ainsi que lauteur
avance Alors que lide de gouvernance renvoie au rle de ltat et des
administrations publiques, la gouvernance rfre aux interactions qui
stablissent entre la socit civile et la puissance publique 27.
Une quatrime dfinition de la gouvernance locale est mise en place par
certains auteurs de ce mme courant- qui est loin dtre homogne, cest ainsi
que Eme (2006) attire lattention sur le fait que ce concept renvoie aux modes
de rparations des pouvoirs et au processus de dcision politique qui, dans la
socit, permettent dlaborer et de mettre en uvre des biens publics . Ce
faisant, lauteur sloigne dune dfinition no-librale de la gouvernance en
introduisant cette notion de biens publics. Cest ainsi que lauteur avance dans
lacception que nous lui donnons dans ce texte, elle est affirmation et exercice
dune rpartition des pouvoirs fonds sur une dmocratie participative,
dlibrative ou radicale (Habermas, 1997) dans les territoires locaux. Lauteur
poursuit en crivant dans cette perspective, la gouvernance viserait la mise en
uvre de nouvelles rgles et valeurs de laction politique dans les socits
locales dont le mode de gouvernabilit serait fond dur lexercice du droit de
participation des individus et des associations aux affaires locales 28 .
Certains sociologue, dfinissent la gouvernance locale comme un processus
de coordination dacteurs, de groupe sociaux, dinstitutions pour atteindre des
25 Osmont A. (2003) : Les villes, la gouvernance, la dmocratie locale : rflexions sur lexpertise. In Dmocratie
et gouvernance mondiale : quelles rgulations pour XXIe sicle , Milani C. (dir.), Unesco (ed), Paris,
Karthala, pp : 175-190. 26 Echkoundi M. (2006) : Du rle de la gouvernance locale dans la ralisation de linitiative national du
dveloppement humain au Maroc. Rev. marocaine daudit et de dveloppement, n 22, p.117. 27 Echkoundi M. (2006) : op. cit. 28 Eme B. (2005) : Gouvernance territoriale et mouvements dconomie sociale et solidaire. In Economie sociale
et territoires , Rev. Intern. de lconomie sociale, RECMA, n 296, pp : 42-55.
23
buts discuts et dfinis collectivement . Un mode de gouvernance rsulte de la
division entre le march, les structures sociales et les structures politiques29.
Selon EME, la gouvernance locale doit tre replac dans le champ plus vaste
du changement profond des modes daction de la socit sur elle-mme, en
particulier travers le dcentralisation qui transforme larchitecture politico-
administrative de la socit, mais aussi travers des formes territoriales des
politiques publiques ( et des stratgies des firmes qui, tout en sinternationalisant,
tentent de capter des marchs de proximits et les ressources locales). La
gouvernance des territoires locaux serait ainsi lune des marques distinctives
dune seconde modernit qui, travers la reprsentation et lexercice dune
certaine souverainet, taient centralises, hirarchiques et cloisonnes par
domaines spcifiques dactivit (Muller, 1990). Les rfrentiels daction se
territorialisent : rgulation transversales, souples et ractives entre les divers
domaines daction, globalisation territoriale des stratgies politiques,
coopration entre de multiples acteurs (Ion, 1990), activation dune citoyennet
locale en seraient les principales modalits.
Il en dcoulerait de nouveaux rapport sociaux locaux, la seule
subordination des gouverns sous les rgles de la dmocratie reprsentative
sajouterait leur implication dans les argumentations et dcisions politiques ainsi
que leur participation au champ politique local. Cest ainsi que les acteurs de la
socit civile, en particulier ceux qui se revendiquent de lconomie sociale et
solidaire, seraient convis faire uvre de gouvernance .
En premire analyse, on peut fournir une dfinition relativement gnrale de
la gouvernance locale, savoir, que la gouvernance locale est un processus de
coordination entre acteurs locaux gographiquement proches pour mettre en
place une proximit organisationnelle dont lobjectif est de dveloppement local
du territoire. Donc, la gouvernance ne peut pas tre bonne ou pas bonne du
moment o lide du processus est mise en avant, cependant, elle ne doit exclure
aucun auteur, en ce sens o elle est inclusive.
SECTION 2 : LES TRANSFORMATIONS INSTITUTIONNELLES
CONTEMPORAINES ENTRE LE LOCAL ET LE GLOBAL
Les chelles spatiales traditionnelles sur lesquelles sexerait la coordination
des acteurs publics et privs sont aujourdhui largement remises en cause. Si les
constructions amorces lchelle mondiale restent, pour linstant, partielles et
prcaires (mises part celles concernant la mondialisation financire), le niveau
national semble, sinon seffacer, du moins reculer devant la monte, dune part,
29 Le Gals P. (2004) : Gouvernance des conomies locales en France : la recherche de la coordination perdue.
Anne de la Rgulation, v. 8, pp : 109-134.
24
dune chelle intermdiaire, celle de lEurope, dautre part, dune chelle
locale, qui tend peu peu saffirmer en France et notamment au Maroc avec
le renforcement institutionnel du rle des rgions et lextension de
lintercommunalit et des pays induits par les dynamiques territoriales. Le
Gals (1995) parle ainsi des interactions entre tat et socit et des modes de
coordination complexe ncessaires afin de rendre possible aujourdhui laction
publique30.
A / La gouvernance locale un processus dinteraction entre diffrents acteurs locaux
La gouvernance locale sera dfinie comme un processus de mise en
compatibilit de plusieurs proximits institutionnelles unissant des acteurs
(conomiques, institutionnels, sociaux) gographiquement proches, en vue de
la rsolution d'un problme productif ou de la ralisation d'un projet local de
dveloppement31.
Une telle dfinition insiste fondamentalement sur lide de processus, cest--
dire de dynamique institutionnelle collective qui articule, de manire toujours
singulire, diffrentes logiques dacteurs se confrontant et/ou cooprant sur un
territoire. Ce processus n'est pas ncessairement vertueux : il existe des processus
de dconstruction institutionnelle (crises industrielles, par exemple) qui
correspondent des situations de gouvernance "faible".
La gouvernance locale se concrtise par la construction de compromis locaux
entre acteurs (aussi bien privs que publics) et se caractrise par le degr
d'articulation et de cohsion des diffrentes proximits institutionnelles qui
spcifient le territoire, qu'il s'agisse du rapport salarial, de l'affrontement entre
capitaux individuels, des relations acteurs privs/acteurs publics, etc.
La gouvernance locale combine ainsi toujours des lments de stabilit et
dinstabilit dont limportance relative volue dans la dure, dfinissant des
inflexions de la trajectoire de dveloppement du territoire. Mais pour que lon
puisse parler de gouvernance locale, il faut que les lments de stabilit
lemportent, cest--dire que les compromis entre acteurs soient suffisamment
stables et cohrents afin de lever, pour un temps, lincertitude inhrente laction
collective et ainsi de rduire rivalits et conflits. Alors, peuvent se mettre en place
un systme dinterdpendances sociales et un systme de rgles voire de
30 Leloup F., Moyart L. & Pecqueur B. (2005) : La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination
territoriale ? Gographie, conomie, socit, pp : 321-331. 31 Gilly J.-P. (2003) : La dynamique institutionnelle des territoires : entre gouvernance locale et rgulation
globale. Cahiers du GRES, n 5, pp : 1-15.
25
reprsentations communes gnrant des rgularits productives localises (on
parlera alors de structures de gouvernance). linverse, lorsque les lments
dinstabilit, cest--dire les rivalits et les conflits, mettent en cause les
compromis jusqualors existants, on entre dans une phase de crise de la
gouvernance locale pouvant conduire une dstructuration territoriale.
Parmi les acteurs qui participent aux dynamiques territoriales, il existe des
acteurs-cls, privs et/ou publics, qui jouent un rle moteur en ce sens quils
constituent des repres institutionnels pour lensemble des acteurs et quils
structurent les mcanismes de coordination de ces derniers. Dans notre
conception, ces acteurs, qui participent lmergence ou la stabilisation dune
gouvernance locale, peuvent tre aussi bien des acteurs conomiques
(tablissements de groupe, associations dentreprises), que des acteurs
institutionnels (collectivits territoriales, tat, Chambres de commerce) ou
sociaux. La dynamique institutionnelle des territoires- -(syndicats,
associations). La gouvernance nest donc pas une configuration de
coordinations strictement conomiques ou strictement sociopolitiques : elle est
une combinaison de ces dimensions, caractrise par une densit variable des
interactions entre les trois catgories dacteurs.
Ces interactions sont particulirement complexes du fait, notamment, que le
champ dintervention administratif des collectivits locales ne concide pas avec
celui des acteurs conomiques et sociaux et que lhorizon temporel stratgique
ou les visions du temps des acteurs publics et des acteurs privs peuvent diffrer32.
Ces diffrences sont l'origine d'un engagement territorial de nature ingale
selon les acteurs. Les acteurs institutionnels jouent ainsi souvent un rle essentiel
dans la construction de la gouvernance locale, en particulier, par le biais
dinstitutions formelles danimation et de mise en rseau (contrats de pays, par
exemple, en France).
Trois principales structures de gouvernance locale peuvent tre distingues en
fonction de la nature des acteurs-cls, de leurs objectifs et de leurs modes
dappropriation des ressources produites localement :
1. gouvernance prive : ce sont les acteurs privs qui impulsent et pilotent
les dispositifs de coordination et de cration de ressources selon un but
dappropriation prive. Il en est ainsi de la firme motrice, par exemple
ltablissement dun grand groupe, qui structure conomiquement et
institutionnellement lespace productif de son site dimplantation.
32 Gilly J.-P. (2003) : op. cit.
26
2. gouvernance prive collective : dans ce cas, lacteur-cl est une
institution formelle qui regroupe des oprateurs privs et impulse une
coordination de leurs stratgies, par exemple les Chambres de
Commerce, les syndicats professionnels et toute forme de clubs
doprateurs privs.
3. gouvernance publique : les institutions publiques ont des modes de
gestion des ressources qui diffrent de lappropriation prive,
notamment travers la production de biens ou services collectifs, donc
par dfinition utilisables par tous les acteurs, sans rivalit ni exclusion
dusage. Ce sont au premier chef, ltat, les collectivits territoriales et
toutes les formes dintercollectivit, mais aussi les centres de recherche
publique. En fait, dans la ralit, rares sont les situations "pures" telles
quelles viennent dtre dcrites : on trouve le plus souvent une
association des formes prcdentes (on parlera alors de gouvernance
mixte) mais avec une dominante, ce qui permet de caractriser chaque
territoire comme un cas particulier entrant dans une catgorie gnrale
(plutt publique ou plutt prive), selon un dosage spcifique et
variable33.
Cette typologie, comme toute typologie, est statique et renvoie des structures
de gouvernance stabilises. En fait, il faut surtout retenir de notre dfinition de la
gouvernance locale est qu'elle est un processus, qui donne au territoire sa
dimension fondamentalement dynamique. En effet, les compromis qui stabilisent
les coordinations entre les acteurs ne sont pas immuables et les contradictions,
les conflits finissent toujours par lemporter lorsque ces acteurs ne sont plus en
mesure de rsoudre collectivement le problme productif pos Plus rcemment,
les conomistes qui sattachent la prise en compte de la dimension spatiale
comme facteur intrinsque du fait productif (travaux italiens sur les districts,
approche des milieux innovateurs, courant de la proximit) rutilisent cette
notion. Le concept de gouvernance locale apparat alors comme une forme de
rgulation territoriale et dinterdpendance dynamique entre agents notamment
productifs et institutions locales.
Dans cette approche, le territoire contribue rduire les cots de transaction
entre les firmes et constitue de ce fait un niveau pertinent pour coordonner les
actions collectives. Au-del de la seule efficacit comptable, est alors mis en
vidence le fait que les institutions non conomiques peuvent faciliter la
coordination entre agents, sont donc acteurs part entire des coordinations et
dcision, des coalitions et ngociations.
33 Gilly J.-P. (2003) : op. cit.
27
B / Le territoire brique de base de la gouvernance locale
Parler de la gouvernance locale implique de reconnaitre que ce nest que
rcemment que le territoire sest rvl comme un objet de recherche autonome
pour lconomie contemporaine.
Le renouveau qua connu le territoire est d en grande partie la redcouverte
dun ouvrage dAlfred Marchal (1879), avant le territoire se confondait avec
lespace. Lcole historique allemande de la localisation est considre comme
une des premires coles avoir propos une laboration thorique de lespace
fond sur la localisation(Hotteling). Beccatini, a jou un rle important dans la
redcouverte des districts industriels dA. Marchal, il a le mrite davoir
explor cette notion de territoire en voquant la dimension hors cot et non
spcifiquement marchande. Dautres auteurs ont contribu au prolongement de
ces travaux en introduisant la question de linnovation, dclinent le territoire en
termes de milieux innovateurs . Colletis, Courlet et Pecqueur sont lorigine
dun courant de recherche appel systmes productifs localiss , o le
territoire est considr comme une variable dynamique34.
Le nouveau courant de recherche sur la proximit, initi par un article pionnier
publi en 1993 dans la revue de la nouvelle conomie rgionale par Bellet,
Colletis et Lung, met laccent sur lendognisation du territoire, qui a toujours
t considr comme existant comme tel et dot de ressources ; selon les auteurs
de ce courant, le territoire nest plus postul lavance, mais plutt un rsultat.
Du surcrot, les auteurs de la proximit placent des questions comme celle de la
confiance (Dupuy et Torre, 2004)35, celle de la rationalit situe ou encore celle
de voisinage (Vincent, 2004) au centre de leur analyse. Comme les tenants de la
nouvelle et de la no-conomie institutionnelle, elles adoptent une posture
intermdiaire entre institutions et interactions individuelles. Dautres auteurs se
rclamant du courant de proximit adoptent des travaux plutt sociologiques en
montrant le rle des rseaux et autres lieux dappartenance dans le
dveloppement (Grosseti et Bs, 2003).
Plus loin, le courant de la proximit pose la question de la viabilit du
territoire, cest--dire de sa capacit crer et redployer des ressources, ce
qui met laccent sur les diffrents modes dveloppement des trajectoires
territoriales. cet gard, les auteurs distinguent trois approches :
lagglomration, la spcialisation et la spcification. Lide du rle des territoires
dans la cration des ressources est plus importante dans le cadre de notre tude
34 Courlet C. & Pecqueur B. (1991) : Systmes locaux dentreprises et externalits : un essai de typologie. Rev.
dEconomie rgionale et urbaine, n 3-4, pp : 391-406. 35 Echkoundi M. (2006) : op. cit.
28
dans la mesure o la gouvernance locale nest pas seulement considre comme
un instrument dallocation optimale de ressources, mais aussi un outil de cration
de ressources.
Cette diversit dapproches traitant du territoire, semble intresser la
gouvernance locale plusieurs niveaux comme le signalent Golletis,
Gianfaldoni et Richez-Battesti (2005)36.
Le niveau spatial et politique : qui renvoie aux registres de la gouvernance et
de la participation aborde dans le cadre du dveloppement local.
Le niveau cognitif : qui renvoie aux questions lies lacquisition des
connaissances et aux comportements des acteurs.
Le niveau axiologique : qui renvoie aux systmes de valeurs structurant des
stratgies ou conditionnant des pratiques.
Ce qui nous intresse le plus ici cest le niveau spatial et politique, ceci nous
pousse poser la question suivante : confronts aux consquences de la crise
conomique, la multiplication des demandes des citadins, un relatif
dsengagement de l'tat, les lus locaux sont-ils en mesure de gouverner un
territoire ?37
En crise, au Royaume-Uni, comme aux tats-Unis, le gouvernement local
connat au contraire un renouveau en France la suite du processus de
dcentralisation et notamment au Maroc. Alors que la tradition jacobine, le
modle rpublicain d'administration territoriale et le cumul des mandats ont
longtemps fait obstacle en France la mise en place de vritables gouvernements
locaux. De nombreux auteurs considrent aujourdhui que la dcentralisation a
mis un terme un modle d'organisation des pouvoirs publics et de gestion des
affaires publiques centrs sur l'tat38, dynamique d'extension des responsabilits
locales, la dcentralisation aurait en effet favoris l'mergence de gouvernements
locaux, en particulier dans les grandes villes. Cette analyse mrite toutefois d'tre
nuance.
36 Colletis G., Gianfaldoni P. & Richez-Battesti N. (2005) : Economie sociale et solidaire, territoire et proximit.
RECMA, n 296, pp : 8-25. 37 Rangeon F. (1996) : Le gouvernement local. In La gouvernabilit , Chevallier J. (dir.), Puf, pp : 166-174. 38 Borraz O. (1996) : La gouvernabilit des villes : lchelle urbaine est-elle un lieu de rgulation pertinent ? 5me
congrs de lAss. Fr. Scien. Pol., Aix-en-Provence.
29
Plutt que l'mergence d'un vritable gouvernement local, la dcentralisation
a contribu engendrer une transformation du mode de gestion des villes en
favorisant le passage "du gouvernement des villes la gouvernance urbaine"39.
Le gouvernement des villes voque un mode d'action publique centralis et
autoritaire, fond sur le mcanisme de la reprsentation et sur la suprmatie de
l'intrt public sur les intrts privs. La gouvernance urbaine renvoie au
contraire une forme ngocie de l'action publique fonde sur une plus large
rpartition du pouvoir et sur une coopration entre acteurs publics et privs.
La "gouvernance urbaine" dsigne, selon Le Gals, "d'une part la capacit
intgrer, donner forme aux intrts locaux, aux organisations, groupes sociaux,
d'autre part la capacit les reprsenter l'extrieur, dvelopper des stratgies
plus ou moins unifies en relation avec le march, l'tat, les autres villes et autres
niveaux de gouvernement".
S'il permet de dpasser le cadre trop troitement institutionnel de la notion de
"gouvernement", le concept de "gouvernance" prsente cependant l'inconvnient
d'impliquer une approche unifie et intgrative des composantes du
gouvernement urbain et des intrts en prsence. La notion plus ouverte et plus
problmatique de "gouvernabilit" permet au contraire de rendre compte la fois
du caractre contradictoire des intrts et des stratgies des groupes sociaux, de
la crise de la reprsentation au niveau local et de la fragmentation croissante des
demandes adresses aux lus.
En outre, la question du "gouvernement local ne se rduit pas celle du
"pouvoir local", c'est--dire de l'autonomie du systme politico-administratif
local ; elle inclut galement la question de la capacit des collectivits locales
laborer et conduire de politiques publiques, les mettre en cohrence et leur
donner un sens. Face la multiplicit des acteurs et la superposition des
politiques, les maires des grandes villes ont tendance se prsenter comme des
"mdiateurs" capables de construire "une perception globale des enjeux en
prsence".
C'est prcisment cette dsignation du territoire comme lieu d'arbitrage entre
des intrts divergents, comme espace d'intgration et de coordination des
politiques qui conduit des auteurs prfrer, malgr ses ambiguts, la notion de
gouvernance urbaine celle de gouvernement local.
D'un ct, la dcentralisation a incontestablement accru le pouvoir et le
prestige des lus locaux, de l'autre ct, elle a dissmin et fragment les lieux de
39 Le Gals P. (1995) : Du gouvernement des villes la gouvernance urbaine. Rev. Fr. Scien. Pol., n1, pp : 57-
95.
30
dcision, tout en renforant la dpendance mutuelle des acteurs. Les objectifs et
les mthodes du gouvernement local se sont diversifis, non seulement dans
l'espace, mais aussi dans le temps40. Gouverner un territoire, c'est dsormais
gouverner dans la complexit41.
Rpondant la question; "qu'est-ce que mener une politique publique locale
dans un contexte de dcentralisation et de prsence forte des acteurs privs dans
la gestion des services urbains ?", l'expression "gouvernance urbaine" voque
l'ide d'une gestion locale souple, stratgique et ngocie, base sur une approche
pluri-rationnelle combinant des logiques publiques et prives, et prenant en
compte l'volution des demandes des citoyens.
Parler de gouvernance plutt que de gouvernement, c'est "ne pas se cantonner
une analyse en termes politico-administratifs'42. La gouvernance urbaine
marque en effet l'interaction non seulement entre l'administration et la politique,
mais aussi entre la "socit urbaine" et les autres collectivits.
Le recours au concept de gouvernance permet par l de dpasser les
oppositions traditionnelles entre gouvernants et gouverns, entre tat et socit
civile, entre sphre publique et sphre prive. La gouvernance locale permet en
effet de rendre compte du dveloppement sur le plan local du partenariat public-
priv, du dclin des pouvoirs institutionnels et de l'importance croissante de
l'enjeu de la coordination de politiques. Elle contribue l'analyse des conditions
de possibilit de l'action publique dans une socit urbaine de plus en plus
diffrencie, o les effets pervers des politiques se multiplient.
Elle souligne aussi l'importance de la ngociation, alors que l'ide de
gouvernement renvoie au contraire une gestion bureaucratique fonde sur la
prminence du rglement. Rendue plus complexe par la multiplication des
acteurs, la ngociation est l'instrument de coordination et d'intgration des
politiques locales43. L'enjeu de la gouvernance urbaine est en effet la possibilit
d'articuler diffrents secteurs de l'action publique, de combiner les rationalits
juridique et managriale, mais aussi d'assouplir et de diversifier les usages
sociaux du droit.
La gouvernance renvoie ainsi au concept de rgulation en tant qu'elle constitue
un systme darrangement institutionnel qui coordonnent et rgulent les
transactions44. Si le gouvernement dsigne un ensemble d'institutions et de
procdures formelles privilgiant la rgularit, la gouvernance repose au
40 Boulin J.-Y. (1996) : Gouverner les temps de la ville. In Villes , Le courrier du C.N.R.S., n 82, p. 139. 41 Ritaine E. (1994) : Territoire et politique en Europe du Sud. Rev. Fr. Scien. Pol., 44e anne, n 1, p. 75-99. 42 Le Gals P. (1995) : op. cit.
43 Gaudin J.-P. (1996) : Ngocier d'abord ? Ple Sud, n 4, p. 19. 44 Gilly J.-P. (2003) : op.cit.
31
contraire sur une srie de conventions informelles, de compromis toujours
rvisables, visant faciliter l'mergence de processus innovants. En ce sens, on
peut entendre par gouvernance les formes de conduite de l'organisation
humaine visant plus spcifiquement rguler les relations de pouvoir et de
coordination qui ne sont pas habituellement rgules par le march ou par le
droit 45.
Sur le plan local, la gouvernance dsigne un nouveau mode de pilotage des
villes fondes sur le projet et le contrat est inscrit dans une logique de rseaux et
de coopration entre acteurs publics et privs46. Avec la gouvernance urbaine, on
entre "dans l're de l'action publique flexible, dans laquelle les termes retenir
sont ceux de ngociation, partenariat, projet, compromis".
La gouvernance urbaine exprime ainsi lide d'une complexification du
gouvernement des villes. Celles-ci sont devenues de plus en plus difficiles
gouverner en raison de la dispersion des acteurs, d'un retrait partiel de l'tat et
du renforcement de la sgrgation sociale.
Ceci nous amne au deuxime chapitre de cette tude, dans laquelle, il sagit
de questionner la pertinence du concept de gouvernance locale sur le terrain
marocain et de connatre limpact de la gouvernance locale sur le dveloppement,
du moins au niveau de la satisfaction des besoins prioritaires des populations.
Tout dabord, il faut signaler que le Maroc comme tous les autres pays a connu
ces dernires annes des changements importants : renforcement de la
dcentralisation malgr certains obstacles (persistance de la tutelle, manque de
comptences humaines au niveau des territoires, mergence dune socit
civile qui devient de plus en plus dtentrice dun bon savoir-faire, apparition de
nouvelles approches de la gestion de la chose locale. Les lus locaux avec la
dernire charte communale de 2003 deviennent responsables du dveloppement
local et de la production de biens publics locaux, dans ce contexte, on peut donc
parler de lmergence dune action publique locale pour plus defficacit et
dconomie en termes de cots de recherche de linformation. cela sajoute
lhistoire du Maroc, caractrise par la domination des relations sociales, cest-
-dire des relations non marchandes, et le caractre ancestral de la dmocratie
locale travers certaines cultures comme jema, qui montre que la
dcentralisation par son aspect dmocratique nest pas rcente au Maroc).
45 Benko G. et Lipietz A. (eds) (1992) : Les rgions qui gagnent. Districts et rseaux : les nouveaux paradigmes
de la gographie conomique, P.U. F., Paris, 424p. 46 Gaudin J.-P. (1993) : Les nouvelles politiques urbaines. P.U.F., coll. Que sais-je ?, 102p.
32
Ces diffrents constats nous conduisent nous interroger sur les diffrentes
interactions qui animent lespace local marocain.
33
LE RESEAU DE LA GOUVERNANCE LOCALE
COLLECTIVITS
LOCALES
CONTEXTE
INSTITUTIONNEL,
RGIONAL,
NATIONAL
SOCIT CIVILE
SECTEUR PRIV
34
CHAPITRE II : LE MAROC, DUN ETAT FORTEMENT
CENTRALISE A LA GOUVERNANCE LOCALE
35
Toute stratgie conomique doit prendre en considration les paramtres qui
paraissent efficaces dans le sens de rduire les carts entre prvisions et rsultats,
ou entre conception et ralisation.
Certaines politiques ou stratgies conomiques, bases sur la souverainet,
ltat-nation, la centralisation conomique, et administrative et politique ont
montr leurs limites. Elles sont caractrises par un interventionnisme tatique et
un monopole de dcision ou une concentration conomique de production, une
disparit entre ples gographiques, ou encore entre rgions dans une mme
entit.
Elles sont de plus en plus abandonnes pour de nouvelles thories, de nouvelles
ides et stratgies qui permettent un meilleur rendement, une plus forte valeur
ajoute, une rduction des disparits sociales et conomiques entre rgions.
Ainsi, dcentralisation et dynamique de production locale, reprsentent lune
de ces nouvelles stratgies de dveloppement fondes sur ce quon appelle la
bonne gouvernance qui renvoie une nouvelle manire de se comporter des
pouvoirs publics, et ce aussi bien au niveau des acteurs, qu celui de la dfinition
de laction elle-mme.
La gouvernance peut tre dfinie, alors comme la recherche dune meilleure
efficacit de laction publique par son affectation au niveau dadministration
rgionale ou locale, les plus susceptibles de la mettre en uvre efficacement.
La gouvernance locale simpose alors comme le fondement de la gouvernance
de demain.
Parler de la gouvernance au Maroc nous intime le devoir de survoler de
manire cavalire lvolution du processus de territorialisation de lespace
depuis lindpendance jusqu nos jours.
SECTION 1 : DE LA DCENTRALISATION A LA GOUVERNANCE
LOCALE
La tendance historique de transformation des territoires en espace pourrait
sinverser. Lvolution des techniques, qui tendent polariser lespace, et de
lconomie, incapable de prendre en charge la cohsion sociale, ainsi que la
ncessit de penser autrement notre rapport aux cosystmes montrent
limportance davoir une approche territorialise des problmes.
Du fait quil permet darticuler des proccupations de nature diverses une
chelle adquate, le territoire peut favoriser lmergence de nouvelles formes de
rgulations sociopolitiques. Le local existe en effet par sa relation au global.
Cest, en dautres termes, partir du local que peuvent tre repenss le global
36
ainsi que les rapports entre global et local, dans le but de concilier unit et
diversit. Par-l mme, le territoire est confront une double exigence : faire
apparatre des modalits concrtes de gestion systmique et construire un niveau
dapprentissage de la citoyennet.
Mais avant de pousser lanalyse plus loin il convient de faire un rappel
historique de lapproche marocaine de la gouvernance locale.
A / Laccumulation de lexprience gestionnaire des affaires communales
Lapproche de la dcentralisation au Maroc par le Protectorat tait envisage
dans une approche prventive, les contingences politiques exigeaient une certaine
ouverture, mais celles-ci ne pouvaient en aucun cas se transformer en dmocratie
locale base sur une reprsentation authentique de lintrt local. Le contraire
serait antinomique avec le systme du protectorat47.
Ds le dbut de lindpendance, les responsables marocains affirment le
principe unitaire de ltat et tablissent travers la dpendance hirarchique,
des relais territoriaux au pouvoir central. Ils tabliront galement par la suite,
travers la tutelle un contrle troit sur les collectivits locales.
Ds lors le systme administratif marocain sera caractris par deux
principaux traits :
Lunicit dun pouvoir central organis selon un modle bureaucratique ;
Lexistence dune diversit dorganes de contrle, qui concourent la mise en
uvre de laction tatique, sous limpulsion dun centre unique incarn par le
souverain48.
Constitutionnellement ladministration fait partie de lexcutif, elle se compose
au niveau central du Roi, du premier ministre et des ministres. Au sein de cette
structure, le Roi exerce un pouvoir rel dans la direction des affaires de la nation.
Juridiquement, le premier ministre dispose de lautorit rglementaire gnrale
et peut dlguer certaines de ses attributions aux ministres. Mais il parat dans
cette formation, davantage comme un auxiliaire du Roi, plutt quun responsable
politique libre dappliquer un programme de gouvernement qui lui est propre. Le
Roi dispose du pouvoir de prendre des mesures individuelles de nommer aux
47 Msefer N. (1986) : Lorganisation communale sous le Protectorat : contribution lhistoire de ladministration
marocaine. Mmoire Sciences Politiques, Univ. Mohammed V, Rabat, p. 71. 48 Benhamidou M. (1987) : Institutions administratives et changement social. Rev. Mar. Econ. Dvl., n 13,
Casablanca.
37
tribus certaines modifications qui donneront aux membres de ces conseils des
pouvoirs plus tendus Dahir du 6 juillet 1951.
Quant au rgime de la dcentralisation, il a connu depuis lindpendance une
volution varie selon la nature de la collectivit considre : communes,
provinces et prfectures, ou rgions.
Cest au niveau communal que lvolution a t la plus marquante. Le dahir de
1963 fait une assez large place lautonomie communale, mais celle-ci se trouve
en mme temps fortement encadre par une tutelle rigoureuse et surtout par un
partage des comptences excutives entre le prsident du conseil communal et le
reprsentant du pouvoir central, qui fait de lui le vritable agent de la collectivit
locale. Le prsident nexerant que laspect crmonial de la fonction49. Ce
caractre formel de la dcentralisation traduit une volont de contrle, plutt
quune dynamisation de la dmocratie locale50.
Ce systme dautonomie locale sera largi la faveur dune conjoncture
favorable et la relance des institutions constitutionnelles, avec le dahir du 30
novembre 1976. Devant lacuit des problmes, les responsables marocains
esprent susciter par la dcentralisation lapparition dune nouvelle lite locale,
sur laquelle ils peuvent compter pour assurer un contrle de la socit, sans cela,
elle risque de lui chapper. Ainsi la tutelle sera assouplie et le pouvoir excutif
remis en principe entre les mains du prsident du conseil communal. Mais lagent
dautorit ne conserve pas moins dans la pratique un rle important surtout dans
les zones rurales, o il est appel assurer une fonction dassistance et de conseil,
lequel rle se transforme souvent en gestion directe, surtout que dans de
nombreux cas les lus locaux ne sont pas en mesure dexercer leurs attributions,
faute de moyens techniques ou de connaissances rglementaires.
La dpendance de la commune lgard du pouvoir central est galement
remarquable en matire financire et des quipements locaux. Le local se trouve
ainsi domin et orient par le pouvoir central, les lus et partant les citoyens, ne
peuvent que subir son impact51.
Depuis 1976, le conseil dispose certes dattributions importantes et le prsident
lu est renforc dans son statut par une investiture royale52. Cette caution lui
permet de bnficier dune certaine autorit, mais par la mme, elle montre les
limites que rencontre le processus dmocratique, qui ne doit son existence qua
49 Cherkaoui A. (1968) : Le contrle de lEtat sur la commune. Editions la Porte, Rabat, 136p. 50 Benhamidou M. (1987) : op. cit. 51 Ghomari M. : La notion de dmocratie locale. LEtat et les collectivits locales au Maroc. p. 41 52 Art 5 du dahir du 30 septembre 1976
38
la volont monarchique et qui se trouve tenu de nvoluer quautant que le lui
permet le pouvoir suprme53.
La prpondrance de lagent dautorit est encore plus marque quand il sagit
des assembles provinciales et prfectorales. ce niveau, la tutelle est plus svre
et la comptence excutive est confie au gouverneur, qui est reprsentant du Roi
et dlgu du gouvernement54. Le gouverneur a la haute main sur le
fonctionnement de lassemble provinciale et prfectorale.
Au niveau rgional, la dcentralisation a t conue dabord comme espace de
rflexion et daction conomique, mettant en uvre une politique damnagement
du territoire qui prend appui sur les nouveaux espaces rgionaux. Cest le dahir
du 2 avril 1997 qui a consacr la rgion en tant que collectivit territoriale dote
de la personnalit juridique et de lautonomie financire et dassez larges
pouvoirs de dcision. Lexprience en cour a montr ses limites vu la persistance
des disparits rgionales , une lecture attentive de la charte rgionale permet
cependant, davancer que la dcentralisation rgionale apparat comme, une
valeur idologique traduisant une organisation administrative de lespace base
en thorie sur lautonomie de gestion, mais qui se rvle lanalyse trs
dpendante du pouvoir central, do tout lintrt que prend le projet de la
rgionalisation avance qui pourrait permettre au Maroc de se prvaloir auprs
des pays dvelopps.
Lexamen des structures administratives actuelles montre que leur origine
remonte au Protectorat. linstar dun grand nombre des textes, la charte
communale de 1976 est le produit dun emprunt au patrimoine juridique franais.
Dj son anctre de 1960, reproduisait assez fidlement, sauf quelques rares
exceptions, son homologue franais de 1884. Le rle jou par les assistants
techniques franais auprs des concepteurs du projet, mais aussi laspiration des
pres fondateurs de la dmocratie marocaine - dans lenthousiasme de 19 Art 5
du dahir du 30 septembre 1976 - construire une dmocratie moderne sur le
modle de loccupant, ny sont pas tranger55.
Malgr ltendue de la rupture, le passage dune forme dorganisation
ancestrale base sur des pratiques coutumires, un systme moderne, rgl par
les lois de la dmocratie occidentale, se fait visiblement sans heurt. Mais les
ralisations de la politique de dcentralisation au Maroc restent limites.
Dabord sur le plan des allocations les communes urbaines ont bnfici dun
53 Ghomari M. : op. cit. p. 38 54 Art 1er du dahir de 1977 relatif aux attributions du gouverneur. 55 Brahimi M. (1996) : La loi communale lpreuve de la pratique. Dcentralisation et pratique locale de
dveloppement. Najah Eljadida, Casablanca, pp : 14-15.
39
intrt plus marqu que les communes rurales. Le retard est dautant plus mal
ressenti quil concerne des quipements ncessaires la satisfaction des besoins
primordiaux : distribution deau, assainissement, lectrification, quipements
sanitaires et socioducatifs.
Mais le fait le plus marquant est le dcalage qui existe entre le contenu des
textes et son application. Tant il est vrai que chaque commune fonctionne selon
les moyens dont elle dispose, mais aussi selon la qualit et le temprament de ses
lus56. Les amnagements subits par les textes, depuis lindpendance exprime
une volont mesure et prudente du pouvoir central vis--vis de la gestion de
lespace national.
Ladministration marocaine continue sinspirer dune idologie juridique
antrieure qui demeure sur le fond largement autoritaire, mais qui prsente