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Gouverner les villes des suds : Entre idéologie globale et processus d'appropriation locale Synthèse réalisée par Jonathan STEBIG 06 janvier 2010 Master 2 professionnel à l'Institut d'Etudes en Développement Economique et Social, spécialité "Développement local : acteurs sociaux et dynamiques spatiales", Université Paris I Panthéon-Sorbonne

"Gouverner les villes des suds - Entre idéologie globale et processus d'appropriation locale", IEDES, ISTED, 01.2010

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Document interne réalisé pour l'Institut des Sciences et Techniques pour l'Environnement et le Développement (ISTED)

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Gouverner les villes des suds : Entre idéologie globale et processus d'appropriation

locale

Synthèse réalisée par Jonathan STEBIG 06 janvier 2010

Master 2 professionnel à l'Institut d'Etudes en Développement Economique et Social, spécialité "Développement local : acteurs sociaux et dynamiques spatiales",

Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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Table des matières : 1) La gouvernance urbaine : d'un modèle idéologique vers une stratégie conceptuelle évolutive ..................................................................................................................................... 3 2) Jeux et enjeux d'acteurs dans les processus de gouvernance ................................................. 5

2.1) Le positionnement des autorités publiques : condition d'exercice de la gouvernance urbaine.................................................................................................................................... 5

2.1.1) La décentralisation dans les PED, quelles conditions pour un développement local efficient............................................................................................................................... 5 2.1.2) La coopération décentralisée, une nouvelle vision de la gouvernance .................... 6

2.2) La société civile dans les systèmes de gouvernance : entre participation et appropriation .......................................................................................................................... 8

2.2.1) La gouvernance urbaine participative: quelles conditions pour une réussite?......... 8 2.2.2) L'approche participative : une notion floue qui comporte certaines limites ............ 8

2.3) Le positionnement des acteurs privés dans l'établissement d'une gouvernance urbaine9 2.3.1) Les opérateurs privés et leurs interrelations avec les autorités politiques urbaines. 9 2.3.2) L'économie artisanale : dissidence urbaine ou auto-exclusion ? ........................... 10

3) Paradoxes et antagonismes ou la gouvernance comme concept polysémique..................... 12

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1) La gouvernance urbaine : d'un modèle idéologique vers une stratégie conceptuelle évolutive

Emergent dans les années 1930 sur la scène politique, la notion de gouvernance s'est imposée dans les années 1980 comme un véritable enjeu dans le monde du développement. Suivant les différentes définitions institutionnelles issues de l'Union Européenne, de la Banque Mondiale, de l'ONU ou encore du MAE, mais aussi en fonction de l'évolution temporelle du terme, le modèle de gouvernance a continuellement cherché l'amalgame entre une multiplicité de mots clefs qui constituent aujourd'hui le corps de sa définition. On retrouve ainsi juxtaposés et formulés comme autant d'indicateurs de la gouvernance les idées de participation, de règle de droit, de consensus, d'équité de transparence de réactivité d'efficacité, d'efficience ou encore de responsabilité. C'est ainsi à travers la sélection de certains de ces mots clefs que les différentes institutions internationales vont définir à travers le temps les modèles de "la bonne gouvernance", "la gouvernance locale", "la gouvernance urbaine", formulant ainsi différents principes de base à l'origine d'une orientation politique des modes de gouvernance des territoires. A travers l'évolution des contextes historiques et des grandes orientations du développement associé (prédominance étatique, Plan d'Ajustements Structurels, décentralisation, démocratie participative), la notion de gouvernance va correspondre à une stratégie conceptuelle évolutive, voyant certains acteurs se positionner comme les principaux animateurs de la gouvernance (états, entreprises, collectivités locales, société civile).

Cette approche idéologique cherchant à définir un modèle de gouvernance globale, que ce soit à travers les indicateurs de la banque mondiale ou encore l'indice de la gouvernance urbaine d'ONU Habitat peut comporter certaine limites dans la compréhension des dynamiques endogènes d'appropriation des processus de gouvernance, qui peuvent être compris à l'inverse comme des phénomènes vécus, inhérents aux différentes sociétés et territoires qui les mettent en pratiques. En effet, la diversité des institutions et des cadres d’action (législatifs et réglementaires) nationaux et locaux, combinée à la multiplication des acteurs (endogènes, exogènes, privés, publics), brouille les dispositifs de gouvernance qui prévalaient jusqu’alors. Néanmoins, il semble se dessiner des « tendances » et des éléments transversaux pouvant caractériser les processus à l’œuvre tant dans leur genèse que dans leurs effets. La définition issue du Programme de Recherche Urbaine pour le Développement (PRUD) initié par le MAE1 semble prendre en compte ces phénomènes d'appropriations endogènes, et fait aujourd'hui consensus dans les instances internationales.

La gouvernance urbaine est ainsi perçue comme un système évolutif, impliquant un nombre indéfini d'acteurs dans un processus de négociation visant à l'aménagement et au développement d'un territoire.

1 : « La gouvernance urbaine inspirée par le concept de gouvernance démocratique dépasse les simples administrations et gestion urbaines. Elle tient compte de la multiplication des acteurs aspirant à davantage de participation à la définition et, à la négociation, de projets urbains. À cet effet, elle consiste à adopter des modalités d’action et de prise de décision plus partenariales, plus interactives. Son ambition est de favoriser, dans le cadre d’un processus intégrant l’ensemble des acteurs, l’aménagement et le développement urbains durables, pour des villes dans lesquelles l’accès aux services essentiels, aux transports et à l’emploi contribuent à la lutte contre la pauvreté et la résorption des inégalités. Il s’agit de reconstruire l’unité sociale de la ville, de rétablir des cohérences territoriales. »

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En effet, les acteurs présent au départ de processus ne sont pas toujours les mêmes identifiés à l'issue du processus, pour des raisons d'éviction, de refus ou d'intégration : signe de son caractère évolutif. L'introduction de la notion de gouvernance, de manière simplifiée, entremêle 3 domaines d'analyses, "le marché", "le gouvernement", "la société civile", avec lesquels on pourrait établir un parallèle à travers les types d'acteurs, qu'ils soient privés, publics ou civils. C'est ainsi dans ce découpage que nous aborderons notre analyse sur la gouvernance urbaine, définissant le positionnement des différents acteurs impliqués dans ces systèmes. Afin d'appréhender les dispositifs de gouvernances urbaines, différents paramètres doivent ainsi être pris en compte :

- connaître précisément le découpage administratif d'un territoire et les responsabilités à chaque niveau dans la sphère public représente un enjeu clef de compréhension de la gouvernance urbaine.

- prendre en compte la participation locale, à travers la concertation, l'échange et l'implication des populations dans les phases de réflexion, afin d'identifier les besoins "à la base".

- Définir le positionnement des opérateurs privés (occupant aujourd'hui une place importante dans l'organisation urbaine des villes du sud) par rapport au système hybride sortant du cadre légal et normatif (trop communément définit comme secteur informel) qui se positionne dans les secteurs et espaces laissés vacants par les opérateurs privés.

Dans ce travail nous tenterons de mettre en exergue la diversification des cadres

d'analyse et de compréhension de la gouvernance urbaine en fonction des types d'acteurs impliqués. C'est à travers cette approche typologique qu'il sera possible d'appréhender de manière plus exhaustive les enjeux de la gouvernance dans ses différents espaces d'expressions, qu'ils soient issus d'un cadre d'analyse formel, où à l'inverse d'une appropriation pratique du concept, dans des sphères périphériques, en situation de dissidence. Face à cette antinomie des approches (idéologique ou appropriée), est-il légitime d'imposer un type unique de gouvernance pour tous les PED ? Peut-on considérer que la gouvernance locale est applicable partout ? Dans quels contextes et à la suite de quels processus a-t-elle eu des résultats positifs ?

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2) Jeux et enjeux d'acteurs dans les processus de gouvernance

On passe d’un acteur unique, l’Etat, hérité de l’époque colonial, qui contrôle

l’aménagement et les décisions politiques urbaine grâce à ses représentants non élus, à une gouvernance urbaine gérée par des collectivités locales publiques de plus en plus autonomes grâce à la décentralisation, élues démocratiquement, dans lesquelles agissent d’autres acteurs : le secteur privé, la société civile, le secteur informel.

2.1) Le positionnement des autorités publiques : co ndition d'exercice de la gouvernance urbaine

2.1.1) La décentralisation dans les PED, quelles co nditions pour un développement local efficient

Face à l'héritage colonial encore prégnant, et malgré de nombreuses prérogatives et

une existence administrative, on observe bien que les collectivités locales ont une marge de manœuvre autonome inexistante tant au niveau politique que pour l’aménagement, les états se substituant souvent aux communes pour assurer leur rôle. Cependant, la gouvernance des états africains n’est pas uniforme : avant que le processus de décentralisation ne soit engagé officiellement et de manière globale dans les années 1980 à la demande des bailleurs de fond, le rôle et les moyens des pouvoirs locaux varient fortement d’un état à l’autre, à l’exemple du Sénégal où la tradition communale est ancienne et développée dès l’indépendance.

La crise économique des états africains dans les années 1970 et leur endettement croissant poussent les bailleurs de fond internationaux à conditionner leur aide au développement à travers les plans d’ajustements structurels (1980). Les PED doivent réduire drastiquement les dépenses publiques grâce à plusieurs réformes pour accéder aux financements extérieurs, dont une réforme visant à décentraliser l'administration publique. Elle consiste au transfert des responsabilités pour la planification, la gestion, la mobilisation et l’affectation des ressources du gouvernement central à des paliers de gouvernement inférieurs plus près des populations. Le concept est donc lié à celui de subsidiarité qui veut qu’une fonction soit confiée au plus bas niveau de gouvernement capable de l’assumer.

Ainsi, si les états coopèrent sur le plan économique avec une large libéralisation, la plupart d’entre eux mettent en place une décentralisation juridique mais non effective car ils veulent garder le contrôle des décisions politiques du territoire pour éviter la montée de pouvoirs locaux puissants : - d’un côté, la promulgation des textes juridiques sur la décentralisation leur permet de remplir les conditions d’éligibilité aux financements extérieurs, - d’un autre ils limitent fortement la marge d’action des collectivités locales à travers ces textes juridiques.

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Cependant, peu à peu, les collectivités deviennent un acteur majeur du développement local car les états vont tendre vers une décentralisation accrue toujours encouragée par les bailleurs de fonds.

Le processus de décentralisation engagé par les Nations Unis dans les années 1970 continue de se développer et de se diffuser sur tous les continents aujourd’hui. Même si la décentralisation prend des visages différents selon les contextes nationaux, allant de la simple déconcentration à la réelle délégation de pouvoirs, les collectivités locales sont appelées à être des acteurs majeurs du développement. De plus, les états centraux font face à des dépenses publiques croissantes dans les secteurs régaliens (santé, éducation, environnement) auxquelles leurs budgets peuvent difficilement répondre. C’est pourquoi on observe une tendance structurelle de ces états à se décharger sur les collectivités locales de certaines charges, dans les secteurs sociaux en particulier. Les bailleurs de fonds sont donc de plus en plus amenés à s’adresser et financer directement les collectivités locales à qui ils confient la maîtrise d’ouvrage des projets.

Cependant, l'équilibre des sociétés dans leurs organisations traditionnelles (dont les hiérarchies sont clairement définies), pourrait être remis en question si la mise en place des élus municipaux n'est pas en adéquation avec les pouvoirs locaux des chefs traditionnels. Comme le faisait remarquer Jean Pierre Elong Mbassi2 à propos des Etats de l’Afrique subsaharienne : pour établir des processus de gouvernance efficaces, « l’enjeu est d’arrimer la construction institutionnelle des Etats au vécu des populations afin que celles-ci s’approprient les institutions publiques en dépit de leur référence encore très prégnante au système traditionnel de gouvernance. » Les processus de décentralisation ont été accompagnés par la définition de territoires juridictionnels de l’action publique. Or, il existe des « périmétrages » multiples tout aussi légitimes, qui sont aussi consubstantiels à la gouvernance.

Les bailleurs de fond désirent réellement à partir des années 1990 que le développement passe par les collectivités locales urbaines ; ils orientent donc leurs interventions sur l’appui à la décentralisation et au renforcement des collectivités locales. Ils veulent renforcer les structures administratives et techniques des nouvelles collectivités locales africaines, en assistant les Etats dans la mise en place législative et réglementaire de la décentralisation et en fournissant les moyens pour la formation des élus et des cadres municipaux dans le cadre des programmes régionaux tels que les PDM3.

2.1.2) La coopération décentralisée, une nouvelle v ision de la gouvernance

La Coopération Décentralisée, qui s’est développée et diversifiée en même temps que l’organisation administrative française se décentralisait, peut être considérée comme une prolongation sur le plan extérieur de la décentralisation.

2 : Jean Pierre Elong Mbassi est un urbaniste camerounais, président de la branche africaine de l'association Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLUA). 3 : Créé en 1992 par la Banque Mondiale et coopération française, le programme a pour objectif la préparation, l'exécution de décentralisation et de la déconcentration en Afrique de l'Ouest, pour renforcer les capacités en gestion urbaine et couvre une aire géographique de 24 pays. Le principal acquis réside dans la structuration du mouvement panafricain (Africités, CADDEL, CGLUA) et le maintien de la décentralisation dans les agendas politiques.

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En France, elle désigne cette nouvelle forme d’action internationale des collectivités territoriales. Il s’agit de la coopération entre des Collectivités locales françaises et des autorités locales étrangères formalisée par une convention qui réunit les acteurs, décrit les engagements de chacun, définit les actions de coopération prévues et leurs modalités techniques et financières. Cette définition française diffère de la définition européenne qui est beaucoup plus extensive puisqu’elle considère l’ensemble des acteurs non gouvernementaux. Elle est ici comprise comme la coopération non étatique avec les pouvoirs publics locaux mais aussi les ONG, les syndicats, les associations, les entreprises, etc. Longtemps opposées, ces deux conceptions aujourd’hui se rejoignent, au moins dans la pratique. En effet, la coopération décentralisée « à la française » est avant tout une coopération de territoires à territoires qui implique un maximum d’acteurs sociaux locaux. Dans un contexte où la coopération gouvernementale et la coopération multilatérale sont soumises à des critiques sévères, elle représente une forme de coopération plus horizontale, qui correspond mieux, à une nouvelle vision de la gouvernance.

Parmi les principaux enjeux, ce nouvel outil de coopération doit permettre aux collectivités territoriales de s'inscrire dans la trame urbaine mondiale de manière uniforme et coordonnée. C'est par un positionnement commun que les élus seront en mesure d'avoir un impact sur la sphère internationale, afin de mettre en exergue les enjeux de gouvernance urbaine. Les villes cherchent à se positionner dans les réseaux comme interlocutrices des Etats et du système onusien. L'exemple de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) illustre ce nouveau désir de jouer un rôle croissant sur la scène mondiale : elles ont l’ambition politique d’être présentes dans l’agenda mondial et de se faire reconnaître comme un acteur de la coopération à côté des Etats. Cependant, on retrouve encore aujourd'hui une superposition des structures représentatives des collectivités lors des sommets internationaux, brouillant ainsi les messages et positionnement des élus dans le cadre des orientations globales des politiques de développement. A travers trois éléments clefs, il est important de prendre en considération la coopération comme un outil innovant et extrêmement pertinent en matière de coopération internationale :

- l'approche transversale. D'une manière générale, les municipalités traitent tous les projets sectoriels du développement urbain, à savoir les questions de gestion, d'institutions de financements ou encore de territoire et de services de base, acteur clef de la gouvernance urbaine.

- l'approche commune. Les enjeux et problématiques traités au nord sont similaires à celles au sud, les élus et responsables des collectivités étant confrontés aux mêmes thématiques sur des terrains et avec des moyens différents, favorisant ainsi un dialogue équilibré et partagé.

- l'approche sur le long terme. A la différence des cycles de projets classiques (cinq ans au maximum), les programmes de coopération décentralisée sont établis sur le long terme et non assujettis et des facteurs externes (changement politique, fin de soutien financier d'un bailleur), permettant l'établissement de véritables processus et dynamiques de développement.

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2.2) La société civile dans les systèmes de gouvern ance : entre participation et appropriation

A la vue de la diversité des processus de décentralisation, la stratégie d'appui aux

collectivités locales devra pendre des formes variées et passer par des modalités différentes. Cependant, celles-ci ne peuvent pas toutes aujourd'hui assurer pleinement le développement local car elles dépendent en premier lieu de l'avancement et de l'efficience de la décentralisation: dans de nombreux cas, ce processus n'est pas achevé et il est plus utile d'apporter un soutient aux états dans le transfert de compétences et de ressources, la déconcentration et la décentralisation fiscale, la gestion des recettes publiques.

Pour certains bailleurs de fond, les collectivités locales ne peuvent donc pas être les

seuls acteurs clefs du développement local. Ici émerge une autre conception de la décentralisation, où les collectivités locales sont court-circuitées, portée sur le développement communautaire avec des projets basés sur les quartiers, la société civile, le tissu associatif et le secteur privé. Mais comme les capacités de gouvernance des collectivités locales, la réussite de ces projets, qui incluent des acteurs non publics dans la gouvernance, est aussi conditionnée par différents facteurs.

2.2.1) La gouvernance urbaine participative: quelle s conditions pour une réussite?

Ainsi, au début des années 1990, émerge l’idée d’un développement local participatif.

Bien que les populations participent déjà politiquement aux décisions locales en élisant des représentants publics (démocratie participative), certaines approches du développement local veulent aller plus loin en voulant que les différents réseaux de la société civile soient capables d’entreprendre eux-mêmes des actions collectives pour le bien commun. La mise en place de comités de quartiers, d'ateliers de réflexion, de gestion participative des projets, mais aussi d'ouverture aux associations représentatives des populations semble faire consensus dans la sphère internationale et elle est diffusée parmi les organisations comme UN-Habitat, le PNUD ou encore la Banque mondiale. Elle représente un véritable enjeu de gouvernance. Mais ce développement participatif ne peut être efficient que si certaines conditions sont réunies, notamment celles basées sur 2 concepts essentiels : le capital social4 et l’empowerment5, intégré dans le discours et les programmes de la Banque Mondiale.

2.2.2) L'approche participative : une notion floue qui comporte certaines limites

Tout d'abord, les stratégies de la population peuvent dans certains cas devenir au fil du temps plus individuelles que collectives. Par affinité identitaire et organisation coutumière, les personnes concernées ont tendance à recourir à des réseaux sociaux divers, informels, religieux, etc. pour défendre un projet individuel.

4 L’existence de groupes ou réseaux dont les membres ont un comportement solidaire et de coopération réciproque 5 La participation réelle des individus dans les décisions qui concernent leurs conditions de vie ce qui suppose, d’une part, une participation réelle dans les processus politiques et administratifs locaux et, d’autre part, une meilleure capacité d’intégration au marché.

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Ensuite, il est important de comprendre qu'aux yeux des citadins, la participation peut parfois se résumer au simple fait de participer, la notion devenant ainsi qu'un moyen de légitimer des décisions prises ailleurs. Le danger est que la participation ne soit en réalité qu'un moyen éthique de présenter la bonne conduite et l'approche concertée d'un programme dont les décisions sont en réalités prises en amont.

Enfin, la dernière limite de l'approche participative réside dans le positionnement

problématique des ONG, à la fois opérateurs dans la gestion de projets (restructuration, développement de quartiers), et médiateurs des populations (porte-parole, avocat au bénéfice des citadins, intermédiation). Ce problème de positionnement rend la lecture de leur rôle complexe, en tant qu'acteur indépendant ou donnant une voie aux revendications des populations dans les systèmes de gouvernance. 2.3) Le positionnement des acteurs privés dans l'é tablissement d'une gouvernance urbaine .

2.3.1) Les opérateurs privés et leurs interrelation s avec les autorités politiques urbaines

Les opérateurs privés de ces services urbains peuvent être des opérateurs nationaux ou des entreprises internationales, qui sont mobilisés par les pouvoirs locaux dans le cadre de partenariats public-privé ou de délégation de services publics. Dans ce cas de figure bien connu, une relation contractuelle est établie entre une autorité publique locale urbaine et une entreprise pour une longue durée, calée sur :

- le montant des investissements à réaliser par l’entreprise - sur l’amortissement prévu en fonction des tarifs accordés par l’autorité publique - le volume du marché des consommateurs solvables bénéficiaires

Auxquels s’ajoutent d’une part les frais d’exploitation et d’autre part la marge visée par l’entreprise. Souvent des clauses de réexamen périodique sont insérées dans de tels contrats pour tenir compte des aléas. D'une manière générale, le modèle théorique est simple, l'acteur public énonce une politique, l'acteur privé l'applique.

Le contrat initial suppose donc une relation entre 2 parties égales, la réalité est par ailleurs plus asymétrique entre autorité publique urbaine et l'entreprise industrielle et commerciale (de taille et de compétence inégale). Les normes du savoir faire technique, financier et commercial de l'entreprise s'impose à l'autorité publique urbaine, d'autant lorsque l'entreprise est de stature internationale. Nous assistons au déplacement des sphères d'influence, centres de décisions, espaces d'initiatives et de pilotage du public vers le privé.

La mise en œuvre effective des logiques de solidarité urbaine entre groupe sociaux et entre territoires urbains distincts se retrouve sujette à la solvabilité des contribuables, établissant la gouvernance urbaine dans un espace réduit aux acteurs intégrés dans l'économie

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formelle. L'opérateur privé va délimiter des aires de solidarité au sein de la ville en fonction des potentialités de son marché sectoriel. Dans ce contexte, on voit émerger une économie artisanale qui s'insère dans les espaces laissés vacants par les opérateurs privés. Le risque réside ainsi dans l'établissement d'une solidarité urbain exclusive, construite sur une organisation urbaine à deux vitesses face aux déficits techniques et financiers du secteur public (cf. schéma).

2.3.2) L'économie artisanale : dissidence urbaine o u auto-exclusion ? Dans ce contexte de superposition des pratiques urbaines privées et artisanales, il existe certains paramètres encore difficile à prendre en compte. En effet, la distinction entre le secteur formel et le secteur dit "informel" est encore trop flou, dans la mesure où nombre de fonctionnaires pratiquent aussi une activité dans le secteur artisanal. Par ailleurs, il existe un obstacle à la continuité s’illustrant par la problématique reconnaissance de l’informel au niveau national (reconnue localement dans les pratiques gestionnaires, mais pas nécessairement par les institutions). On est dans une situation où l'on retrouve plus souvent une mise en concurrence du privé et de l'artisanal, à l'origine d'une superposition des services urbains. Il paraît pourtant indispensable de prendre en considération le positionnement des acteurs artisanaux dans les stratégies de gouvernance urbaine, tant ils ont un impact sur l'équilibre urbain, et constituent un apport considérable pour la richesse nationale.

On peut ainsi définir en première approche la dissidence6 urbaine comme un ensemble de pratiques collectives de citadins généralement regroupés en réseaux de structures non officielles, qui s’organisent sur une base familiale élargie, ou sur une base de proximité territoriale, ou encore sur une base religieuse, voire les trois à la fois. Par ailleurs, pour les Institutions d’aide au développement (internationales, régionales ou bilatérales), il y a deux catégories de citadins : les « inclus » et les « exclus ». A travers la lecture des objectifs du millénaire, toutes les politiques de lutte contre la pauvreté, notamment urbaine, se présentent comme lutte contre l'exclusion, pour l'inclusion. Le paradoxe s'inscrit dans cette lecture, où face à un espace urbain où les pauvres sont de plus en plus nombreux, et où le secteur informel est en constante croissance, la gouvernance telle qu'elle est définie par les institutions internationales prend acte de ces objectifs majeurs, une partie sans doute majoritaire de la population urbaine risquant d'échapper à la mise aux normes de l'ordre urbain, ayant un effet d'exclusion envers la part de la population en situation de dissidence. En réalité, la situation de dissidence est tout le contraire d’un phénomène subi et irréversible (nécessitant des méthodes autoritaires d'inclusion) ; il s’agit d’une dynamique sociale et économique qui, évitant l’exclusion pure et simple, représente une forme d’intégration à la ville. Si la question posée à la gouvernance urbaine n’est posée qu’en termes d’exclusion dans une ville fragmentée, face à des dynamiques volontaires et conscientes, on ne peut s’étonner qu’une partie importante du socio-système urbain échappe aux régulations souhaitées (cf. schéma).

6 : Le Grand Robert donne la définition suivante : « Action ou état des personnes qui se séparent d’une communauté religieuse, politique, sociale, d’une école philosophique, etc. »

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On voit cependant apparaître certains systèmes d'organisation urbaine qui ont réussi à intégrer les pratiques dissidentes. Dans beaucoup de situations, acteurs privés dissidents et les acteurs publics se retrouvent sur des terrains de négociation pour tenter de régler des problèmes en matière de services urbains (transports, eau, assainissement, services de santé et d’éducation) pour mettre de l‘ordre spatial et fiscal dans le fonctionnement des activités économiques informelles. Le véritable enjeu dans cette situation est d'établir une organisation collective, une concertation informelle entre les autorités politiques locales qui établisses les stratégies politiques urbaines, les opérateurs privés qui mettent à disposition leurs compétences techniques et leurs capacités d'investissement et les acteurs artisanaux, en mesure d'élargir l'offre de services aux espaces et populations en marge. En effet, l'exemple de la restructuration du marché d’Anosibe à Tananarive (Madagascar), menée par la municipalité en liaison avec les usagers dans le cadre d’un processus participatif, a atténué les conflits. Cet exemple montre un pilotage d’opération, régulant le laisser faire initial, par une institution publique urbaine, soumise à élection politique, illustrant le cas d’une gouvernance démocratique incluant pleinement une dimension politique, et témoignant de la capacité des élus à agir, à orienter, à porter un dessein pour un corps social.

En définitive, plutôt que d’ignorer ces mouvements, qui prennent une grande ampleur dans les villes des Suds, il conviendrait de s’intéresser aux modalités spécifiques de gouvernance qui s’instaurent dans ces sphères de l’informalité et de prise de distance délibérée vis-à-vis du contrat commun de citadinité, afin de parvenir à les intégrer, les contractualiser, et mettre en place un système d'interpénétration entre privé, public et dissidence, comme c'est le cas à Tananarive. C'est à travers un arbitrage participatif que l'on serait en mesure d'assurer une adéquation entre rentabilité pour l'entreprise, accessibilité pour les citoyens et contrôle politique pour l'autorité publique (cf schéma).

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3) Paradoxes et antagonismes ou la gouvernance comm e concept polysémique

• Equilibre ex-ante / appropriation ex-post La réalité des jeux d’influence dans les dispositifs de gouvernance appartient à la longue

durée. Il semble alors que leur élaboration ne puisse ignorer un état « d’avant gouvernance » où prévalait un certain équilibre des relations entre acteurs concernés par un même territoire et un même projet. Cette remarque questionne directement les modalités de mise en œuvre des évaluations ex-ante. En outre, la question de la longue durée attire l’attention sur le temps de l’après projet, de l’appropriation des réalisations et interroge par conséquent les évaluations ex-post. L’élaboration des modes de régulation des dispositifs de gouvernance urbaine ne peut pas s’affranchir de la question de leur existence dans la longue durée.

• Antinomie approche projet / gouvernance urbaine durable Pour revisiter les batteries de critères en usage, on se réfèrera également aux critiques

adressées par les chercheurs à une logique de projet réduisant la portée des actions à des « populations cibles » et à la définition de seuils (en particulier le « seuil de pauvreté ») qui enferment le corps social dans des cases plus ou moins étanches. La logique de projet introduit une relation complexe entre politiques publiques et territoires. Elle fragmente les agglomérations urbaines en territoires éphémères, enclaves d’un capital et d’un savoir-faire extérieurs. L’espace du projet n’est qu’exceptionnellement le siège d’une mobilisation populaire durable. Son horizon borné se prête mal à des apprentissages de longue haleine dans les champs sociaux et institutionnels. Il provoque enfin une prolifération normative, génératrice d’incertitude pour ses bénéficiaires supposés et, fonctionnant comme support de stratégies d’accès à des ressources externes ponctuelles, il ne permet pas de prendre en compte de manière dynamique les questions liées à la gestion des structures et à leur financement durable.

• Les orientations de la gouvernance urbaine : endogène / exogène Les incidences des mutations observées quant à l’appréhension de la gouvernance urbaine

comporte implicitement deux orientations : - l’une considérant la gouvernance (bonne ou mauvaise, efficace ou non) comme un donné inhérent aux sociétés structurées, urbaines en particulier ; - l’autre faisant apparaître la gouvernance urbaine et plus largement la gouvernance comme une notion liée à l’internationalisation et principalement véhiculée (sans que ce soit nécessairement dépréciatif) par les organisations d’aide et de coopération internationale.

• Un terme polysémique, une stratégie conceptuelle évolutive La multiplicité des champs d’application comme l’originalité des processus dont il a été

question montrent que cette notion reste difficile à saisir. Elle se distille dans la sphère politique, technique, économique, financière, sociale et se conjugue aux différentes échelles territoriales. La gouvernance couvre un terme polysémique qui semble davantage correspondre à une stratégie conceptuelle car elle peut être tout ou partie un outil d'analyse, normatif, idéologique, une utopie et s'appliquer à différentes échelles.