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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 35—37 CAS CLINIQUE Granulomes induits par des injections de leuproréline acétate (Enantone ® ) Granulomas induced by injections of leuprorelin acetate (Enantone ® ) Y. Bruneu-Avierinos a,, S. Monestier a , A.-M. Tasei b , C. Gaudy-Marqueste a , J.-J. Grob a , M.-A. Richard a a Service de dermatologie, université de la Méditerranée, Aix-Marseille II, CHU Sainte-Marguerite, Assistance publique—Hôpitaux de Marseille, 13009 Marseille, France b Service d’anatomopathologie, université de la Méditerranée, Aix-Marseille II, CHU Timone, Assistance publique—Hôpitaux de Marseille, 13005 Marseille, France Rec ¸u le 4 mars 2010 ; accepté le 30 aoˆ ut 2010 Disponible sur Internet le 12 octobre 2010 MOTS CLÉS Leuproréline ; Analogue de la LHRH ; Granulome ; Effet indésirable cutané Résumé Introduction. — Les analogues de la LHRH sont indiqués dans le traitement hormonal du cancer de la prostate, de la puberté précoce et de certaines affections gynécologiques. Les réactions cutanées à ces médicaments sont rares. Nous rapportons la survenue de granulomes aux sites d’injection d’un analogue de la LHRH, la leuproréline acétate (Enantone ® ). Observation. — Un homme de 76 ans avait plusieurs nodules sous-cutanés supra-centimétriques, fermes et indolores, au niveau du bras gauche. Il avait rec ¸u dans ce bras des injections intramus- culaires d’Enantone ® pour un adénocarcinome prostatique. L’analyse histologique de la biopsie d’un des nodules montrait un granulome à centre nécrotique, mais aucune cause infectieuse ne pouvait être démontrée. Des recoupes pratiquées sur les fragments biopsiques montraient la présence de microsphères translucides au sein des cellules géantes. La localisation exclusive au membre siège des injections et la présence, à l’analyse histologique, d’un granulome contenant des microsphères susceptibles d’être liées au produit injecté, étaient en faveur de granulomes induits par les injections d’Enantone ® . Discussion. — Les réactions granulomateuses aux injections d’Enantone ® sont rares. Leur sur- venue étant plus fréquente lorsque les injections sont sous-cutanées, on peut penser que les injections faites à notre patient étaient trop superficielles, en dehors du plan musculaire. La formation des lésions pourrait être expliquée par une réaction à corps étranger liée à l’excipient. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Bruneu-Avierinos). 0151-9638/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2010.08.025

Granulomes induits par des injections de leuproréline acétate (Enantone ®)

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Page 1: Granulomes induits par des injections de leuproréline acétate (Enantone ®)

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 35—37

CAS CLINIQUE

Granulomes induits par des injections deleuproréline acétate (Enantone ®)

Granulomas induced by injections of leuprorelin acetate (Enantone®)

Y. Bruneu-Avierinosa,∗, S. Monestiera, A.-M. Taseib,C. Gaudy-Marquestea, J.-J. Groba, M.-A. Richarda

a Service de dermatologie, université de la Méditerranée, Aix-Marseille II, CHUSainte-Marguerite, Assistance publique—Hôpitaux de Marseille, 13009 Marseille, Franceb Service d’anatomopathologie, université de la Méditerranée, Aix-Marseille II, CHU Timone,Assistance publique—Hôpitaux de Marseille, 13005 Marseille, France

Recu le 4 mars 2010 ; accepté le 30 aout 2010Disponible sur Internet le 12 octobre 2010

MOTS CLÉSLeuproréline ;Analogue de laLHRH ;Granulome ;Effet indésirablecutané

RésuméIntroduction. — Les analogues de la LHRH sont indiqués dans le traitement hormonal du cancerde la prostate, de la puberté précoce et de certaines affections gynécologiques. Les réactionscutanées à ces médicaments sont rares. Nous rapportons la survenue de granulomes aux sitesd’injection d’un analogue de la LHRH, la leuproréline acétate (Enantone®).Observation. — Un homme de 76 ans avait plusieurs nodules sous-cutanés supra-centimétriques,fermes et indolores, au niveau du bras gauche. Il avait recu dans ce bras des injections intramus-culaires d’Enantone® pour un adénocarcinome prostatique. L’analyse histologique de la biopsied’un des nodules montrait un granulome à centre nécrotique, mais aucune cause infectieuse nepouvait être démontrée. Des recoupes pratiquées sur les fragments biopsiques montraient laprésence de microsphères translucides au sein des cellules géantes. La localisation exclusive aumembre siège des injections et la présence, à l’analyse histologique, d’un granulome contenantdes microsphères susceptibles d’être liées au produit injecté, étaient en faveur de granulomesinduits par les injections d’Enantone®.Discussion. — Les réactions granulomateuses aux injections d’Enantone® sont rares. Leur sur-venue étant plus fréquente lorsque les injections sont sous-cutanées, on peut penser que les

injections faites à notre patient étaient trop superficielles, en dehors du plan musculaire.La formation des lésions pourrait être expliquée par une réaction à corps étranger liée àl’excipient.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (Y. Bruneu-Avierinos).

0151-9638/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annder.2010.08.025

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36 Y. Bruneu-Avierinos et al.

KEYWORDSLeuprorelin;LHRH analogue;Granuloma;Adverse cutaneouseffect

SummaryBackground. — Gonadorelin analogues (LHRH) are used for the endocrine treatment of prostaticcancer, central early puberty and various gynaecological conditions. Cutaneous adverse eventsseldom occur. We report a case of injection-site granulomas induced by leuprorelin acetate(Enantone®).Case report. — A 76-year-old man presented with several subcutaneous nodules on his left arm.The nodules were hard but painless. He had received subcutaneous injections of Enantone® forprostatic cancer. Histological examination of a skin biopsy specimen demonstrated granuloma-tous inflammation with a necrotic centre; screening for an infectious aetiology was negative.Serial sections showed giant cells containing translucent round microspheres in the subcuta-neous tissue. Limitation to the leuprorelin acetate injection sites in the arm and detection athistological analysis of microspheres probably bound to an injected product militated in favourof granulomas caused by injections of Enantone®.Discussion. — Injection-site granulomas caused by Enantone® are rare. Their formation maydepend on the mode of administration: the more superficial the injection, the higher the riskof developing granulomas. The formation of these lesions is probably a foreign body reactionto the excipient.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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es analogues de la LHRH inhibent la stéroïdogenèse testicu-aire et ovarienne par rétrocontrôle négatif. Ils sont indiquésans le traitement de néoplasies prostatiques, de cancers duein métastatiques, de fibromes utérins, d’endométrioses ete pubertés précoces.

L’Enantone® est un analogue de la LHRH composé d’unrincipe actif, la leuproréline acétate et d’un véhiculeormé de polymères d’acide lactique (acide polylactique).e véhicule est conditionné sous forme de microsphères bio-égradables permettant la libération prolongée du principectif. Les injections peuvent se faire par voie sous-cutanéeu intramusculaire, à un rythme mensuel ou trimestriel.es effets secondaires cutanés classiquement rapportés sont

es réactions allergiques (prurit, exanthème) et des réac-ions inflammatoires au site d’injection. Nous rapportonsne observation de granulomes induits par des injections’Enantone®.

ig. 1. a : nodules sous-cutanés contigus du bras gauche ; b : granulomranslucides : granulome à corps étranger.

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n homme de 76 ans consultait pour plusieurs tuméfac-ions du bras gauche(Fig. 1). Il les avait constatées poura première fois en août 2008 et elles avaient progressive-ent augmenté de taille. Ce patient avait pour antécédent

n adénocarcinome prostatique traité par prostatecto-ie totale en 2006, complétée d’une hormonothérapie

djuvante par analogues de la LHRH. Des injections intra-usculaires trimestrielles de leuproréline acétate avaient

insi été effectuées en décembre 2007, puis remplacées enctobre 2008 par des injections intramusculaires de tripto-

®

e hypodermique ; c : cellules géantes contenant des microsphères

éline (Décapeptyl ) en raison de l’apparition de lésions àroximité des zones d’injection.

À l’examen clinique, le patient avait en effet,ur le membre supérieur gauche, sept nodules supra-entimétriques contigus, de consistance ferme et indolore,

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Granulomes induits par des injections de leuproréline acéta

recouverts d’une peau normale. Ils se localisaient exclu-sivement à la face externe du bras, en regard du triceps(Fig. 1a). Le patient était en bon état général et le reste del’examen clinique était normal.

L’échographie d’une des lésions objectivait une forma-tion hypoéchogène centimétrique avec hypervascularisationsuspecte. L’analyse histologique d’un fragment biopsiqueobtenu à partir d’un nodule montrait un granulome hypo-dermique à centre nécrotique contenant des cellulesépithélioïdes et des cellules géantes (Fig. 1b). Les colo-rations histochimiques PAS, Ziehl, Grocott et Giemsa nemontraient pas de microorganisme. La recherche de Bacillede Koch (BK) dans les urines et les crachats, le test duQuantiféron®, les cultures mycologiques et bactériennes surla peau ainsi que la recherche de BK par PCR sur les biop-sies cutanées éliminaient une infection évolutive. Il n’y avaitpas de syndrome inflammatoire biologique ; le dosage del’enzyme de conversion ainsi que la radiographie thoraciqueétaient normaux. Il n’y a pas eu d’examen des biopsies enlumière polarisée mais les recoupes pratiquées montraientla présence de microsphères translucides au sein des cel-lules géantes (Fig. 1c). Le diagnostic de granulomes induitspar injections d’Enantone® était le plus vraisemblable.

Discussion

Divers effets secondaires cutanés ont été attribués auxinjections de leuproréline acétate : réactions générales àtype d’exanthème, urticaire, photosensibilité et réactionslocales aux sites d’injection. Ces dernières sont les plusfréquentes ; elles concerneraient 3 à 13 % des patients trai-tés en pédiatrie pour puberté précoce. Il s’agit de maculesérythémateuses, d’indurations, de nodules sous-cutanésulcérés, voire d’abcès stériles [1].

Une dizaine de cas de granulomes localisés au pointd’injection de leuproréline ont été publiés dans la lit-térature, en majorité au Japon, où l’administrationsous-cutanée du produit est privilégiée [2]. Comme cheznotre patient, ils surviennent à l’endroit supposé del’injection dans un délai de quelques semaines à quelquesmois et se présentent sous la forme de nodules profonds,fermes et indolores, dont l’analyse histologique montre laprésence de granulomes. Chez notre patient, les injectionsd’Enantone® avaient été prescrites pour une administrationpar voie intramusculaire, mais il est probable que lesinjections n’ont pas été suffisamment profondes pourêtre stricto sensu intramusculaires, ce qui expliquerait laformation des lésions.

Notre observation suggère que ces granulomes corres-pondent à une réaction inflammatoire à type de granulomeà corps étranger, comme en atteste la présence de micro-sphères translucides au sein des cellules géantes. L’aspectde ces microsphères est compatible avec des dépôts d’acidepolylactique, l’excipient associé à la leuproréline acétate.La description, dans la littérature, de réactions similairesavec du matériel chirurgical contenant ces mêmes poly-

mères et de granulomes à corps étranger après injectionstrop superficielles de Newfill®, également composé d’acidelactique, corroborent cette hypothèse [3—4]. Cependant, lamorphologie des corps étrangers observés dans les granu-lomes au Newfill® serait différente [5], ce qui laisse supposer

[

nantone ®) 37

ue différentes substances seraient en cause dans la forma-ion de ces lésions. Aucune réaction n’a été signalée à notreonnaissance avec les autres analogues de la LHRH injectésans ces mêmes indications, qui ont tous un véhicule dif-érent de celui associé à la leuproréline acétate. Toutefois,’excipient n’est probablement pas le seul responsable dea formation du granulome, car de telles réactions ont aussité décrites après injection de leuproréline sans polymèresLucrin®) [6]. Dans ces observations, un mécanisme de typemmunologique avait été évoqué sur la base de patch-testst d’intradermoréactions positifs à la leuproréline seule6—7].

Dans tous les cas, le diagnostic ne peut être retenu,omme dans notre observation, qu’après élimination desrincipales maladies responsables de réactions granuloma-euses, telles la tuberculose et la sarcoïdose [8]. De plus, àotre connaissance, le développement d’une sarcoïdose n’aamais été décrit dans un tel contexte, à la différence dee qui a été rapporté lors des granulomes silicotiques et desranulomes sur cicatrice ou sur tatouage.

La régression des lésions se fait spontanément après arrêtes injections, mais la substitution de l’Enantone® par unutre agoniste de la LHRH est la règle, car la formation dees granulomes diminuerait l’absorption du produit et sonfficacité [9].

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

1] Ferran M, Giménez-Arnau A, Toll A, Yébenes M, Baena V, LloretaJ, et al. Depot leuprorelin acetate-induced granulomas mani-fested as persistant suppurative nodules. Acta Derm Venereol2006;86:453—5.

2] Tachibana M, Yamano Z, Kusuda Y, Hara S, Shimogaki H, HamamiG. Cutaneous epithelioid granulomas caused by subcutaneousinfusion of leuprorelin acetate: a case report. Hinyokika Kiyo2004;50:199—202.

3] Pavlovich Jr R, Caminear D. Granuloma formation after che-vron osteotomy fixation with absorbable copolymer pin: a casereport. J Foot Ankle Surg 2003;42:226—9.

4] Moore JW, Brekke JH. Foreign body giant cell reaction relatedto placement of tetracycline-treated polylactic acid: report of18 cases. J Oral Maxillofac Surg 1990;48:808—12.

5] Bauer U, Vleggaar D. Response to ‘‘New-fill injections mayinduce late-onset foreign body granulomatous reaction’’. PlastReconstr Surg 2006;118:265—6.

6] Manasco PK, Pescovitz OH, Blizzard RM. Local reactions to depotleuprolide therapy for central precocious puberty. J Pediatr1993;123:334—5.

7] Mizoguchi K, Hamasaki Y, Katayama I, Igawa T. A caseof drug induced granulomatous reaction by leuprorelinacetate for prostate cancer. Jpn J Dermatol 2004;114:163—7.

8] Vieu C, Arnault JP, Petitpain N, Cuny JF, Barbaud A, Plenat F,et al. Granulome sur le site d’injection de leuproréline retard :

réaction à corps étranger à l’excipient ? Ann Dermatol Venereol2007;134:771—3.

9] Dangle P, Palit V, Sundaram SK, Weston P. Noninfective cutaneousgranuloma with leuprorelin acetate. Reality or Myth. Urology2007;69:779 [e5—6].