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GREENPEACE MEMBER 2012, Nº 4 Fonte des glaces: la faune arctique en péril p. 11

Greenpeace Magazine 2012/04

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1Magazine GreenpeaceNº 4 — 2012

G R E E N P E AC E M E M B E R 2 0 1 2 , Nº   4

— Fonte des glaces: la faune arctique en péril p. 11

DOSSIER: VISIONS DE L’APRÈS p. 17–39Après la politique p. 35Efficacité énergétique «made in Denmark» p. 47Le solaire valaisan, une denrée rare p. 53

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Éditorial — On n’échappe plus à la numérisation, ce terme simplificateur, mais qui évoque tant de choses: innovation, nouveaux marchés, formes renouvelées de communication, systèmes inédits, sociétés et modes de vie modernes… Le numérique symbolise la rapidité et surtout la technologie la plus récente.

Pendant que vous feuilletez (encore) ce magazine sur papier, la presse est elle aussi de plus en plus digitalisée. Newsweek, l’un des principaux hebdomadaires politiques du monde, arrête la diffusion de sa version sur papier à la fin de l’année. «Éditée depuis 80 ans, cette revue légendaire a succombé à la révolution numérique», commentait le Spiegel Online en octobre.

Le dossier de ce numéro du magazine Greenpeace est consacré aux visions du futur, de l’«après». Le numérique est évidemment une donnée incontournable de l’avenir qui se dessine. Jeremy Rifkin, économiste et penseur précurseur, réfléchit au devenir de la société: tandis que l’économie, la distribution, la communication et les réseaux se numérisent, l’humanité se trouve face à un choix fondamental, celui de prendre la voie d’une civilisation durable et empathique, écrit-il dans son nouveau livre.

Notre rédaction a elle aussi voulu en savoir plus sur la numérisation. Une enquête conduite ce printemps auprès de nos adhérents visait à cerner les besoins en information. Comment les personnes qui soutiennent Greenpeace sou-haitent-elles être informées à l’avenir? Envisagent-elles de lire les informations de Greenpeace sur iPad ou sur tablette? Le résultat est clair: 25% souhaitent suivre l’actualité de Greenpeace sous forme digitalisée. Il s’agit pour nous de ré-pondre au mieux à cette part grandissante de notre lectorat.

Numérique, presse écrite ou même communication orale, le mode de diffusion de nos sujets est finalement indif-férent. L’important c’est que les contenus soient authentiques et inédits. Comme notre reportage photographique sur les incendies de forêt en Russie. Ou encore le texte sur le Valais etsa promotion insuffisante du solaire. Et ce sont des per-sonnes réelles, tangibles, qui luttent pour un avenir plus humain, plus social et plus écologique après la catastrophe du Japon, n’hésitant pas à revoir et à modifier profondément les habitudes de la société et de la politique.

La numérisation change le monde et ses habitants: en donnant aux êtres humains la possibilité de tisser des réseaux horizontaux, elle inverse les rapports de force au profit de celles et ceux qui s’engagent en faveur de l’empathie et de la durabilité.

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Magazine GreenpeaceNº 4 — 2012

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ÉCOLOGISTES CONTRE FEUX DE FORÊT EN RUSSIE

La une LA FONTE DE LA BANQUISE EN ARCTIQUE 11 MENACE L’OURS POLAIRE

Dossier

L’APRÈS 17

Les modèles actuels sont en déroute. Politique, économie et société changent de cap.

Électricité de l’avenir LE DANEMARK, 47 UN MODÈLE D’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

Énergie solaire LE SOLAIRE EN VALAIS: 53 UN POTENTIEL QUI DÉRANGE LE LOBBY ÉLECTRIQUE

Portrait LA PROTECTRICE DES OCÉANS 60 HANNAH MERMAID SE MET A L’EAU

En a� ion 02Le mot de la dire� ion 10La carte 58Campagnes 63Brèves 68Mots fl échés écolos 72

MENTIONS LÉGALES – GREENPEACE MEMBER 4/2012Éditeur / adresse de la rédactionGreenpeace Suisse, Heinrichstrasse 147, Case postale, 8031 ZurichTéléphone 044 447 41 41, téléfax 044 447 41 99 [email protected], www.greenpeace.chChangements d’adresse: [email protected]

Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Hina Struever, Roland Falk, Marc RüeggerAuteurs: Peter Balwin, Judith Brandner, Urs Fitze, Philipp Löpfe, Kurt Marti, Hannes Grassegger, Samuel Schlaef li, Matthias WyssmannPhotographes: Christian Åslund, Christoph Bangert, Ralph Deseni, Matthias Wyssmann

Christian Åslund, Christoph Bangert, Ralph Deseni, Matthias Wyssmann

Nicolas Fojtu, Amac Garbe, Ted Grambeau, Heike Grasser, Megumi Ikeda, Rune Johansen, Paul Langrock, Joerg Modrow, Daniel Mueller, Pietro Naj-Oleari, Flip Nicklin, Bastian Oldhouse, Igor Podgorny, Jiri Rezac, Bernd Roemmelt, Hugh Rose, Jonas Scheu, Anne Schoenharting, Denis Sinyakov, Clément TardifTraduction en français: Nicole Viaud et Karin VogtMaquette: Hubertus DesignImpression: Stämpf li Publikationen AG, BernePapier couverture et intérieur: 100% recycléTirage: 113  500 en allemand, 21  500 en françaisParution: quatre fois par annéeLe magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de CHF 72.—). Il peut ref léter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Pour des raisons de lisibilité, nous renonçons à mentionner systé-matiquement les deux sexes dans les textes du magazine. La forme masculine désigne implicitement les personnes des deux sexes.

Dons: compte postal 80-6222-8Dons en ligne: www.greenpeace.ch/donsDons par SMS: envoyer GP et le montant en francs au 488 (par exemple, pour donner CHF 10.—: GP 10)

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Allemagne, 16 septembre 2012 Avertissement aérien Deux militants Greenpeace sur un petit dirigeable, au-dessus de la mine de lignite de Welzow Süd, dans la région de Lusace (Brandebourg, en Allemagne). Ils protestent contre Vattenfall, entreprise publique suédoise qui prévoit d’ouvrir de nouvelles mines. © PAU L L A N G RO C K / G R E E N P E AC E

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Russie, 5 septembre 2012 Gazprom I: Coup de patte contre un géant de l’énergie La police moscovite embarque des militants Greenpeace dans leurs costumes d’ours polaire. Devant le siège de l’entreprise Gazprom, ils protestaient contre les forages pétroliers prévus par ce géant russe de l’énergie en Arctique.© D E N I S S I N YA KOV / G R E E N P E AC E

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Suède, 15 septembre 2012 Dispositif de catastrophe rudimentaireBlocage d’une station-service Shell à Stockholm: des militants Greenpeace dénoncent l’absence de plan d’urgence pour les projets de forages pétroliers en Arctique de cette multinationale du pétrole. Message ironique de la banderole: «Nous avons des pelles et des balais — tout va bien.»

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© C H R I S T I A N Å S L U N D / G R E E N P E AC E

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Russie, 27 août 2012 Gazprom II: Douche glaciale pour les protestataires Durant cinq jours, des militants Greenpeace assiègent le navire ravitailleur Anna Akhmatova de Gazprom dans la mer de Petchora. L’équipage du bateau riposte au canon à eau. Kumi Naidoo, directeur international de Greenpeace, participe à l’action de protestation contrela destruction de l’écosystème arctique. Il se dit «choqué de l’arrogance des sociétés pétrolières».

© D E N I S S I N YA KOV / G R E E N P E AC E

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Questionnaire de l’écrivain Max Frisch: «Que vous manque-t-il pour être heureux?» Question suivante: «De quoi êtes-vous reconnaissant?» Puis: «Préféreriez-vous êtremort ou vivre encore un temps en animal bien portant? Et lequel?»

La vie est faite de questions: sur des choix existentiels, le sens de la vie, les rela-tions de couple. Les questions semblent évidentes, les réponses sont plus di� ciles, souvent complexes, parfois impossibles.

Un marchand achète des noix de coco à 12 francs la douzaine. Il les revend à 9 francs. Après cette opération, il se retrouvemil lionnaire. Comment est-ce possible?... Casse-tête!

Autre question: le Conseil fédéral souhaite une nouvelle stratégie énergétique sans nucléaire. Il � xe pour la Suisse un objectif d’énergie solaire à l’horizon 2035, mais à un niveau déjà atteint en 2011 en Bavière. Pourquoi le Conseil fédéral entrave-t-il ses propres projets? (Faut-il 23 ans à la Suisse, cette pionnière et championne de l’innovation, pour réaliser ce que la Bavière a réussi en neuf ans?) La Suisse peut-elle faire mieux? Nouveau casse-tête!

Vaut-il mieux produire des listes d’attente ou de l’énergie renouvelable? Voilà une nouvelle question. (Depuis l’introduction dela rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC), quelque 20 000 projets photo-voltaïques attendent de pouvoir en béné-� cier.) Pourquoi faire attendre ceux qui veu-lent produire? On avait pourtant bien décidé d’arrêter le nucléaire, non? Autre casse-tête à résoudre…

Nous n’avons pas de réponse o� cielle. Mais nous avons notre idée sur les causes des problèmes, des hypothèses pas toujours très � atteuses pour un Conseil fédéral mou et conformiste. L’an dernier, nous pensions que la Suisse entamait le tournant énergé-tique. Mais comment? Et les disputes entre experts de commencer. Là aussi, les ré-ponses sont plus di� ciles à formuler que lesquestions. La contribution de Greenpeace,

et la vôtre, est plus nécessaire que jamais! Tant que l’énergie solaire sera contingentée, tant que le gaz restera une option, tant que la production continuera et que les éco no-mies seront quantité négligeable, le tournanténergétique restera lettre morte. Malgré les déclarations fracassantes des politiciens.De notre côté, nous continuerons de lutter pour les revendications de l’initiative sur l’e� cacité énergétique, pour faire aboutir la sortie du nucléaire, pour supprimer le contingentement du solaire. Question: avez-vous signé l’initiative populaire «pour un approvisionnement en électricité sûr et éco-nomique (initiative E� cacité énergétique)»?

Reste la question des noix de coco. Avez-vous trouvé la réponse? Exactement: le négociant était déjà milliardaire et il l’est encore après la vente. Au fait, pourquoi toujours penser en termes de croissance?

Verena Mühlberger et Markus Allemann, co-direction de Greenpeace Suisse

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NOIX DE COCO ET AUTRES CASSE-TÊTE

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MAMMIFÈRES DE L’ARCTIQUE: LA BANQUISE FOND, LEUR ESPOIR DE

SURVIE AUSSI

Dans quelques décennies, la banquise arctique pour-rait fondre entièrement en été. Une conséquence du changement climatique et une situation périlleuse pour l’ours polaire et ses semblables.

par Peter Balwin

L’horloge n’indique que trois heures du matin. Mais les participants à l’expédition se préci-pitent sur le pont, après avoir hâtivement revê-tu leurs habits d’hiver. Les lunettes de soleil sont de mise, car le soleil de minuit brille sur la banquise. Le ciel sans nuage de l’océan Glacial arctique nous éblouit.

La raison de ce rassemblement nocturne? Quelqu’un a aperçu une baleine. Une baleine boréale, plutôt rare dans le Svalbard. «La voilà!» Les regards se tournent immédiatement. Mais

le panache de vapeur disparaît rapidement, l’imposante bête d’environ 19 m de long est déjà passée. La chance est pourtant au rendez-vous, car le dos du mammifère marin réapparaît.

«La baleine boréale est l’un des plus beaux animaux du monde», écrivait Charles Darwin dans son journal au milieu du XIXe siècle. Le cadre de vie de cette baleine, la banquise � ot-tante de l’Arctique, est un univers spectaculaire, étincelant de beauté, miraculeusement éphé-mère. Contrairement aux espèces de baleines quimigrent vers les eaux subtropicales durant l’hiver, la baleine boréale, ou baleine franche du Groenland, reste � dèle à l’éblouissante blan-cheur et au silence de la banquise.

Cette population de baleines s’est rétablie grâce aux mesures de protection mises en place. Mais son environnement connaît des change-ments rapides et brutaux. La banquise fond. Elle est pourtant nécessaire à la survie de la baleine boréale et de nombreux autres mammifères de l’Arctique.

«Alors, c’était comment? Peut-on déjà voir les e� ets de la fonte des glaces?» Voilà le genre de questions que j’entends dans mon entourage

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à mon retour de l’Arctique à la � n de l’été. Les gens s’intéressent à l’état du pôle Nord, beau-coup s’inquiètent des menaces qui pèsent sur cet espace de vie unique et fragile.

Car la glace fond manifestement. Les me-sures et les relevés illustrent l’ampleur et la rapidité des changements qui a� ectent la région du pôle Nord. Les exemples ne manquent pas:

À la mi-septembre 2012, la banquise arctiquene couvre plus que 3,4 millions de km2, un recordabsolu. Dans quelques décennies, la banquise arctique pourrait disparaître entièrement en été.

La banquise se réduit non seulement en surface, mais aussi en épaisseur: celle-ci est pas-sée de 3,64 m en moyenne en 1980 à 1,89 m en 2008. L’épaisseur de la glace a donc diminué de moitié.

Les températures estivales mesurées en Arctique ces dernières décennies sont plus élevées que jamais au cours des deux derniers millénaires.

La liste des faits préoccupants ne s’arrête pas là. Outre la banquise et les glaciers, la fonte touche aussi le pergélisol, mis à mal par les pé-riodes de dégel. Et le vent, les cours d’eau et les courants océaniques véhiculent des tonnes de polluants chimiques: plomb, mercure, DDT et autres pesticides ou PCB issus de nos latitudes. Toute la chaîne alimentaire est gravement a� ec-tée par cette contamination chimique.

20 000 ours polaires menacésLa fonte de la banquise entraîne aussi la

sou� rance animale. Les mammifères terrestres et marins et les poissons subissent en e� et la pression du déséquilibre climatique. L’écosystèmearctique s’est déjà fortement modi� é. La fonte de la banquise n’est que le signe le plus apparent du réchau� ement. Chaque semaine ou presque, des scienti� ques publient de nouveaux constats alarmants sur les perturbations de la vie dans la région du pôle Nord.

L’ours polaire est particulièrement exposé aux conséquences du dérèglement climatique. Entre 20 000 et 25 000 ours vivent dans la zone du pôle Nord. La banquise est leur cadre de vie, leur terrain de chasse (ils convoitent surtout le phoque barbu et le phoque annelé), leur lieu de rencontre d’un partenaire (sans banquise, pas d’accouplement), le domaine qu’ils arpentent en long et en large, parcourant jusqu’à 7100 km chaque année.

Les chances de trouver su� samment de proies se réduisent à mesure que les périodes d’absence de glace s’allongent. Les femelles en gestation ne parviennent plus à accumuler des réserves su� santes de graisse avant de se retirer dans une tanière creusée dans la neige pour mettre bas les petits au début de l’hiver. Cette di� culté des femelles à se nourrir a déjà conduit à une baisse de la reproduction dans le sud de la mer de Beaufort, au large de l’Alaska,et à une diminution de la population des ours polaires dans l’ouest de la baie d’Hudson, au Canada. En outre, l’accès aux zones propres à la construction de tanières devient di� cile. Les distances entre la bordure de la banquise et les zones de tanières sur la terre ferme augmen-tent. Des scienti� ques russes rapportent que, sur la côte nord de la Sibérie, la banquise se retire beaucoup plus loin que par le passé, soit jusqu’à 82 degrés de latitude nord. Un jour, la surface d’eau entre les glaces et la terre ferme sera trop grande pour l’ours polaire, pourtant bon nageur. Les femelles ne pourront alors plus rejoindre les zones de tanières sur la côte pour mettre bas.

«Alors, c’était comment? Peut-on déjà voir la fonte des glaces?»

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La disparition des glaces durant la période estivale pose également problème aux ours polaires du Spitzberg, dans l’archipel du Svalbard.Échoués sur la terre ferme en été, ils en sont réduits à se nourrir des bernaches qui couvent leurs œufs sur cette île. Cette population d’oies est pourtant passée de 300 à 30 000 individus grâce aux mesures de protection des 60 dernièresannées. Les ours a� amés sont en passe de ré-duire ces e� orts à néant. Des scienti� ques néer-landais ont observé un ours polaire dévorer un millier d’œufs de bernache en un seul repas. Des 500 nids de bernache de la région, seuls 40 ont vu éclore leur couvée.

Les étés chauds de l’Arctique signi� ent donc pour l’ours polaire des temps de disette. Il se nourrira de varech et d’autres nourritures végétales, de cadavres d’animaux ou d’oisillons. L’ours polaire moyen est en mesure de dévorer une quantité de nourriture équivalant à 20% de son poids (pour l’être humain, cela signi� erait un repas de 15 kg!). Faute de phoques, le plus grand carnassier terrestre mangera ce qui lui tombe sous la patte. Sans pourtant réussir à accu-muler une couche su� sante de graisse pour l’hiver. Dans la toundra estivale du Spitzberg, les ours polaires sous-alimentés font peine à voir, avec leur pelage terne et leur corps amaigri. Leurétat augmente les risques en cas de rencontre avec des touristes, toujours plus nombreux à vou-loir visiter l’Arctique.

Et la masse graisseuse de l’ours polaire stocke tous les polluants chimiques rencontrés dans l’environnement. En période de jeûne, les réserves de graisse se transforment en éner-gie, libérant les toxiques organiques accumulés. L’organisme du roi de l’Arctique s’empoisonne alors de l’intérieur.

Projets d’extraction des multinationalesTandis que la menace s’aggrave pour les

animaux de l’Arctique, l’industrie se frotte les mains. Grâce à la fonte de la banquise, les sociétés pétrolières espèrent accéder à de nou-velles zones d’extraction. Selon les dernières estimations, l’océan Arctique renfermerait un cinquième des réserves pétrolières mondiales non encore découvertes. La disparition prochainedes glaces durant la période estivale, prévue par les modélisations du climat, permettrait l’ex-ploitation des gisements à grande échelle. De

nouvelles menaces se dessinent donc pour la faune et la � ore arctiques, déjà mises à mal par le réchau� ement climatique: tra� c maritime, pollution, nuisances sonores, activité sismique, infrastructures, etc. En Alaska, l’habitat des ours polaires est en partie visé par les exploita-tions de pétrole et de gaz, prévues ou déjà en service dans une zone de 40 km au large de la terre ferme.

La consommation mondiale de combus-tibles fossiles est largement responsable du réchau� ement climatique et de la fonte des glaces. La disparition de la banquise ouvre à son tour l’accès à de nouveaux gisements d’énergie fossile. Un cercle vicieux par excellence…

En toute discrétion, les multinationales font avancer de grands projets d’extraction dans l’Arctique. Les chantiers navals se mettent à construire des navires-porte-conteneurs et des tankers pétroliers capables de briser la glace. Dans la mer de Petchora, par exemple, les tankers

Espèce menacée: une otarie de Steller se dresse au soleil, près de Dutch Harbor, sur l’île d’Unalaska.

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parviennent maintenant à acheminer le pétrole brut du terminal de chargement de Varanday à la ville portuaire russe de Mourmansk. Ils n’ont pas besoin de brise-glaces, étant en mesure de se frayer un passage dans une couverture de glace de 1,5 m d’épaisseur. Dans la mer de Kara, plus au nord-est, des navires-porte-conte-neurs faisant o� ce de brise-glaces circulent déjà toute l’année.

Le recul de la banquise ouvre de nouveaux itinéraires au tra� c maritime commercial. Il est par exemple possible de longer la côte de l’Eura-sie sur 4700 km pour relier l’Europe du Nord au Japon en passant par la Sibérie. Une aubaine pour les compagnies de tankers et de porte-conteneurs. Les premiers navires commerciaux ont d’ores et déjà pris ce raccourci à travers les eaux arctiques. En août 2011, un premier pétro-lier géant de 280 m de long choisissait cette voie. «Grâce à la route maritime du Nord, l’océan Arctique est devenu la première région écono-mique de Russie», constatait Alexander Granbergen 2004, lors d’un atelier sur le fret maritime. Cet économiste russe, décédé il y a deux ans, prédisait aussi que l’Arctique allait se dévelop-

per plus vite que tout le reste de la Russie. Aujourd’hui, ce pays est responsable de la pro-duction de 80% du pétrole et de 99% du gaz naturel dans l’Arctique.

La route maritime du Nord reste déjà ou-verte pendant 20 à 30 jours chaque année. Les prévisions promettent une saison navigable d’une durée de 100 jours dans un futur proche. Mais des scienti� ques russes relèvent que le tra� c croissant constitue d’ores et déjà la plus sérieuse nuisance pour les ours polaires de l’Arctique russe. Sans parler des conséquences dramatiques d’une éventuelle catastrophe pétrolière dans ces régions reculées, à la biologie riche et fragile!

L’Arctique canadien est logé à la même enseigne. À la mi-septembre 2012, le gouverne-ment du territoire du Nunavut donnait le feu vert à un projet de quatre milliards de dollars pour l’exploitation de l’île de Ba� n. Après quatre ans de négociations, la compagnie Ba� nland Iron Mines Corporation obtenait ainsi l’autori-sation d’extraire des minerais de fer en exploi-tation à ciel ouvert. Tout au long de l’année, neuf navires-brise-glaces d’une capacité de 190 000

La fonte de la banquise menace leur territoire: des ours jouent près de la carcasse d’une baleine, dans le Nord de l’Alaska.

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tonnes chacun achemineraient les minerais vers l’Europe, en passant par le bassin de Foxe. Le terminal de chargement devrait être construit à Steensby Inlet, zone encore intacte, à environ 70°30' de latitude Nord. Et 50 millions de litres de diesel seraient stockés pour la � otte de brise-glaces dans une zone de toundra encore intacte à l’heure actuelle.

Les navires perturbent les baleinesLe bassin de Foxe, gelé l’hiver, recèle une

faune très riche. Les baleines boréales femelles rejoignent régulièrement cette zone pour élever leurs petits. Or la nouvelle route des cargos ne passera qu’à 70 km de là. Le bassin de Foxe est également un habitat important pour le narval et le bélouga, deux espèces fragiles. Et la popula-tion d’environ 2200 ours polaires de cette région sera fortement perturbée par le tra� c maritime hivernal à travers la banquise.

Tout cela fait qu’il devient di� cile pour moi de répondre à mes amis, quand ils m’interrogent sur mes impressions de voyage en Arctique. Bien sûr, le Grand Nord reste une expérience sublime. Mais le Nunatsiaq, le splendide pays des

Inuits, est gravement a� ecté par le changement climatique qui menace le cœur de l’écosystème arctique.

Depuis 18 ans, Peter Balwin sillonne l’Ar� ique et l’Antar� ique comme guide sur des bateaux capables de naviguer dans l’océan glacial. Ses 83 voyages en mer et ses quelque 1800 excur-sions dans la toundra font de lui un témoin fi able du changement climatique, qu’il pointe régu-lièrement dans ses conférences et ses articles.

Étendue de la banquise le 6 août 2012, par rapport aux années précédentes. La ligne rouge indique l’étendue moyenne des années 1992 à 2006 au mois d’août.

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L’APRÈS

Contributions

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L’APRÈS

Contributions

de

Samuel Schlae� i, Judith Brandner, Philipp Löpfe et Matthias Wyssmann

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L’APRÈS

Quand les plaisanteries deviennent réalité, le rire n’est pas toujours au rendez-vous. Pour s’être gaussé de la � n du monde annoncée par le calendrier maya, on est tout de même content d’avoir survécu… et donc de tenir ce magazine entre ses mains. De son côté, la rédaction a voulu explorer l’«après», sans passer (pour l’instant) par la case «apocalypse». Le titre de ce dossier évoque bien l’idée d’une césure, d’une rupture. Mais espérons que ce ne sera pas le genre de catastrophe que l’humour noir s’est plu à évoquer à propos de la dernière journée du peuple maya. Mais pourquoi ne pas dessiner dès aujourd’hui les contours d’un nouvel ordre mondial et économique, sans attendre une situation de détresse? La néces-sité d’une telle démarche va sans dire.

Après la croissancePour Tomáš Sedláček, une économie sans croissance

est tout à fait réaliste.p. 19

Après la catastropheAu Japon, Fukushima a dévoilé les dessous

du pouvoir.p. 23

Après la révolutionJeremy Rifkin prédit la convergence de l’information

et de l’énergie.p. 29

Après la politiqueEt si la ronde politique traditionnelle était dépassée?

p. 35

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No 4 2012MAGAZINE GREENPEACEAPRÈS LA CROISSANCE

Si l’économie avait le visage de Tomáš Sedláček, ce serait une science colorée et engageante. Économiste en chef de la plus grande banque tchèque, cet ori-ginal de 35 ans arbore une chevelure rousse en bataille, un pullover violet et des jeans. Il commande un express et un coca tout en vous o� rant une cigarette. Tomáš Sedláček est un conteur passionné et patient, malgré son emploi du temps très chargé et ses nombreux déplacements: de Prague à Bolzano pour une conférence au Transart Festival, puis à Munich pour rencontrer son éditeur Hanser qui publie la traduction allemande de son premier livre: L’économie du bien et du mal (pas encore traduit en français). Cet ouvrage se fonde sur sa thèse bien et du mal (pas encore traduit en français). Cet ouvrage se fonde sur sa thèse bien et du malde doctorat, refusée à l’époque par l’Université Charles de Prague. En 2009, il devenait le premier essai à � gurer en tête des ventes de livres dans son pays. Suivent la traduction en anglais et les invitations: festivals, conférences, shows télévisés et même scènes de théâtre… Dans ses interventions publiques, il aborde les origines et les causes des plus récentes perversions de notre système économique. Ses constats s’appuient aussi bien sur l’Ancien Testament que sur les écrits d’Aristote, les théories d’Adam Smith, les dialogues du � lm Matrix ou encore les fables du Seigneur des anneaux.

Les «spécialistes bornés» – Sedláček revient régulièrement à cette nui-sance. Oui, nous sommes devenus une société de spécialistes bornés, estime-t-il. «Imaginez un monde dominé par les dentistes. Brossage des dents de trois minutes et demie obligatoire. Punition en cas de manquement à la règle. La santé dentaire serait le principe directeur de la société.» Mais cette analo-gie n’a rien d’une plaisanterie: «Voyez-vous, c’est exactement ce qui nous est arrivé avec les économistes.»

Philosophe parmi les économistes, Tomáš Sedláček dévoile les présupposés moraux d’une économie qui se croit neutre et objective. L’éventail de ses sources d’inspiration va de l’Ancien Testament au � lm Matrix.

«NOUS SOMMES DEVENUS UNE SOCIÉTÉ DE SPÉCIALISTES

BORNÉS»

par Samuel Schlae� i

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No 4 2012MAGAZINE GREENPEACEAPRÈS LA CROISSANCE

Tomáš Sedláček: «Renoncer à la croissance nous aidera à passer d’une économie lourde à une économie plus légère, fondée sur le savoir et

l’écologie.»

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No 4 2012MAGAZINE GREENPEACEAPRÈS LA CROISSANCE

Tomáš Sedláček, l’économie a-t-elle perdu le sens commun?Oui, et les mathématiques y ont contribué. Utilisée à bon escient, c’est une

science utile. Dans le cas contraire, elle ne fait que brouiller les esprits. Les mathématiques sont une parabole et ne doivent être utilisées que dans un contexte approprié. Or elles sont aujourd’hui omniprésentes.

Si l’économie est devenue ce monstre redouté par tant de personnes, est-ce en raison de sa prétention totalitaire à tout expliquer?L’économie est devenue une religion. Elle est utilisée pour expliquer

l’église, le droit, les relations familiales, la politique. La «théorie du choix ra-tionnel» (les choix seraient opérés de manière rationnelle en fonction du plus grand béné� ce personnel) est appliquée à presque tous les domaines de la vie. L’amour s’explique-t-il mathématiquement? Oui, probablement. Mais c’est une perversité que nous devrions éviter.

Tomáš Sedláček commence volontiers ses conférences par le constat que notre système économique serait maniaco-dépressif. Le système, régulière-ment en surchau� e, ne repose pas sur l’équilibre, mais sur le pic d’adrénaline. Sedláček trouve des signes précurseurs de ce système dès les premiers témoi-gnages écrits de notre civilisation. L’épopée de Gilgamesh, issue de la culture mésopotamienne il y a 4000 ans, met en scène Enkidu, une créature primitive et sauvage qui se détourne de ses troupeaux et de la nature pour mener une vie «civilisée» en ville. La nature devient ressource, l’e� cacité devient le maître mot. Son ancien état de contentement ne su� t plus à Enkidu, qui veut le pro-grès et la spécialisation. Or la société actuelle est assoi� ée de progrès et de croissance, constate Tomáš Sedláček. Objectifs de production, rendements et consommation sont la mesure d’une satisfaction illusoire.

Le capitalisme touche-t-il à son terme? Le modèle économique actuel est-il dépassé?Non, ce n’est pas une crise du capitalisme que nous vivons actuellement.

Le capitalisme n’est pas parfait, mais il possède de nombreux avantages par rapport à d’autres systèmes. Le problème, c’est le capitalisme de croissance.

Une économie de marché sans croissance, est-ce possible?Absolument. Les États ne font pas faillite par manque de croissance, mais

par excès de dettes. Non endettés, les États peuvent tenir une bonne position sur des décennies. Le système doit être restructuré sur certains points, pour que les chômeurs et les pauvres soient pris en charge. Mais pour faire reculer la pauvreté et le chômage, il existe des moyens bien plus intelligents que la croissance.

C’est là qu’intervient la notion d’«économie du sabbat» proposée par Tomáš Sedláček. Inspirée du Pentateuque, l’idée est d’introduire un jour de la satisfaction; un jour de non-productivité; un jour où les êtres humains ne ten-teraient pas de changer le monde. «Si Dieu s’est reposé le septième jour, ce n’est pas parce qu’il entendait créer un nouvel univers, mais pour se réjouir de ce qu’il avait accompli.» Le confort de notre mobilier, l’électricité disponible en

«Utilisées à mauvais escient, les mathé-matiques ne font que brouiller les esprits.»

«Les États ne font pas faillite par manque de croissance, mais par excès de dettes.»

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permanence, la saveur du café sont autant de choses dont nous devrions consciemment nous réjouir de temps en temps. «L’utilité relève de la conscience,non de la performance», dit Tomáš Sedláček. Il préconise une réduction de la charge de travail par individu et une meilleure répartition au pro� t de tous. Il défend donc l’idée d’une diminution du temps de travail en République tchèque. Et au Conseil national de l’économie, il propose au gouvernement une politique � scale restrictive. L’objectif premier ne devrait plus être la croissance du PIB, mais la réduction de la dette publique. Il avance la «règle de Joseph»: l’addition de la croissance et du dé� cit budgétaire ne devrait pas dépasser 3% du PIB. Les gouvernements seraient tenus de créer des réserves les années de prospérité. Un léger endettement ne serait plus permis que les années de dé� cit, dans le but de relancer la conjoncture et d’équilibrer les � nances publiques. C’est ce que conseillait Joseph au pharaon de l’Ancien Testament lors du rêve prémonitoire de celui-ci sur les sept années d’abondance suivies de sept années de famine.

Vos propositions semblent simples, au moment où la crise économique mondiale plonge des États et des populations dans la misère.Ces dernières années, nous avons créé une croissance factice avec de l’argent

que nous n’avions pas. Il faut mettre � n à cela. Pour le comprendre, pas besoin de mathématiques, d’économétrie ou de théorie de l’«Homo oeconomicus».

Réformer le système su� ra-t-il à enrayer les excès?Vous posez la question de l’évolution ou de la révolution. J’ai connu le com-

munisme de la Tchécoslovaquie de l’époque. Il a fallu une révolution pour ren-verser ce système. Mais aujourd’hui, je me réclame de la réforme du capitalisme.

N’y a-t-il pas d’alternative?Bien sûr, il y a les coopératives d’autosu� sance et les communautés qui ont

leur propre monnaie sociale, mais ceci ne fonctionne qu’à petite échelle. Vous et moi sommes libres d’adhérer à ce genre d’initiative. Et c’est bien la di� érence fondamentale entre le communisme et le capitalisme. Ce dernier tolère des bulles de communisme, tandis que le communisme excluait le contraire.

Comment la � n de la croissance forcenée pourrait-elle résoudre nos problèmes environnementaux?Renoncer à la croissance nous aidera à passer d’une économie lourde à une

économie plus légère, fondée sur le savoir et l’écologie. Mordor et Rivendell, du � lm Le Seigneur des anneaux, cela vous dit quelque chose?

Non, pourquoi?Parce que la colonie de Rivendell ne produit pratiquement rien; les biens

changent de propriétaire par héritage, les êtres vivants et la nature sont en bonne santé. Alors que le pays de Mordor possède une industrie lourde avec des hauts-fourneaux, abat des arbres et entretient des armées. Le PIB de Mordor était certainement plus élevé que celui de Rivendell. Mais dans lequel de ces deux mondes souhaiteriez-vous vivre?

«Ces dernières années, nous avons créé une croissance factice avec de l’argent que nous n’avions pas.»

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La première réaction de la soixantaine de participants à mes trois séminaires à l’Université de la ville de Nagoya, au semestre d’hiver 2011–2012, est la sur-prise. Travailler sur la catastrophe du 11 mars 2011 leur semble tout sauf évi-dent. À plusieurs centaines de kilomètres de Fukushima, le désastre nucléaire paraît lointain aux yeux de ces jeunes de 20 ans. Tant bien que mal, ils � nancent leurs études par de petits boulots mal payés. Et gardent déjà les yeux ouverts pour trouver un éventuel emploi stable après leur formation. Une chance que tous n’auront pas dans un pays qui réduit un tiers de ses salariés à la précarité. La plupart des étudiants tentent d’oublier la catastrophe dont les conséquences ne les touchent pas, pensent-ils. Mais quand on leur propose un cadre de ré-� exion, leur inquiétude refait rapidement surface, de même que leur ignorance des suites de l’accident nucléaire et leur mé� ance face aux informations du gouvernement, des autorités et des médias.

La perte de con� ance envers les institutions re� ète le climat général de la société japonaise. Cette mé� ance ne date pas du 11 mars 2011. Depuis que le Japon s’est engagé sur la voie du néolibéralisme sous l’impulsion de son Pre-mier ministre Koizumi, le clivage social se creuse dans cette société jadis harmonieuse et dominée par les classes moyennes. La catastrophe ne fait qu’accentuer la plus grande crise de l’après-guerre.

Depuis des années, les votations populaires ne mobilisent qu’un peu plus de la moitié de la population. En 2009, la participation à l’élection de la Chambre des représentants avait atteint 69%, un record. Un sondage com-mandé par le journal libéral Asahi Shimbun début août 2012 indique que 79% des sondés ne font pas ou pas vraiment con� ance aux mesures de sécurité nucléaire du gouvernement. Et 81% estiment que le débat sur le nucléaire et

Après Fukushima, la con� ance de la population dans les institutions est ébranlée. Intellectuels et militants, mais aussi simples citoyens cherchent de nouvelles voies pour leur pays.

LA JEUNESSE JAPONAISE: DE LA RÉSIGNATION À LA RÉVOLTE

POLITIQUE

par Judith Brandner

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l’avenir énergétique est insu� sant. E� ectivement, les perspectives énergé-tiques du Japon restent nébuleuses alors que la triple catastrophe remonte à près de deux ans déjà.

Les raisons de s’inquiéter ne manquent pas. Politique, industrie et médias entretiennent des rapports que l’on pourrait quali� er de collusifs. Un système appelé «genjimura» par Hiroaki Koide, spécialiste du nucléaire à l’institut de recherche sur les réacteurs de l’Université de Kyoto. C’est un véritable «village nucléaire» qui soude politiciens, organisations économiques, secteur de l’éner-gie, fabricants de centrales, scienti� ques adeptes du nucléaire et mass médias qui éludent les articles critiques de peur de fâcher leurs annonceurs.

Mes étudiants de Nagoya ne font plus con� ance aux médias traditionnels. Ils s’informent par Internet, Twitter ou Mixi, la variante japonaise de Facebook. Au séminaire, ils veulent savoir ce que les médias européens rapportent sur la catastrophe, surtout sur la centrale de Fukushima et ses retombées.

Petit à petit, la résignation fait place à la révolte politique. Intellectuels, militants, mais aussi simples citoyens cherchent une nouvelle issue pour leur pays. Né en 1971, Hiroki Azuma, professeur à l’Université de Waseda, fait partie d’une jeune génération d’intellectuels. Depuis la catastrophe, sa revue Genron stimule les échanges entre artistes et intellectuels. L’édition intitulée «Japon 2.0» aborde l’identité japonaise après le 11 mars 2011. «Le monde est de plus en plus intégré, le réseau couvre une grande partie de la planète. Quelle signi� cation pour notre nation insulaire d’Extrême-Orient?» Le pays se trouve à la croisée des chemins. La catastrophe a tout changé. Les réformes s’imposent d’urgence. Mais les auteurs de Genron peinent eux aussi à dessiner une pers-pective claire pour le Japon.

Le mouvement antinucléaire est de plus en plus écouté et suivi au Japon.

Une pluie paci� ca-trice: des Japonaises protègent des policiers de la pluie alors qu’elles pro-testent contre le redé-marrage de réacteurs nucléaires.

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LE NOUVEAU PARTI VERT DOIT TROUVER SA PLACE

Le mouvement antinucléaire japonais existe depuis longtemps, mais avait du mal à se faire entendre. Aujourd’hui, il gagne continuellement en ampleur. Les premières manifestations et protestations spontanées sont devenues une pratique permanente. Depuis des semaines, le siège du Premier ministre voit chaque vendredi un rassemblement paci� que contre le nucléaire se former à ses portes. L’écrivain Kenzaburō Ōe, prix Nobel de littérature en 1994, joue un rôle moteur dans la plateforme antinucléaire Sayonara Genpatsu, dont le nom signi� e l’adieu au nucléaire. Cette structure a su mobiliser 60 000 personnes en septembre 2011 pour une énorme manifestation à Tokyo. Lorsque les deux réacteurs de la centrale d’Ohi, dans la préfecture de Fukui, ont été remis en service en juillet 2012, ce sont même 150 000 manifestants qui se sont réunis pour exiger la � n du nucléaire – du jamais vu depuis les années 1960 dans un pays qui n’a pas de véritable tradition protestataire.

Le paysage des partis politiques se modi� e également. Après des décennies de prééminence, le Parti libéral-démocrate (PLD) a perdu le gouvernement en 2009 au pro� t du Parti démocrate du Japon (PDJ). À l’été 2012, une nouvelle formation écologiste s’est constituée à l’échelle nationale. Quel rôle pourra-t-elle jouer? L’avenir le dira. Au Parlement, une plateforme inter-partis, Genpatsu Zero no Kai, réunit des députés du PLD, du PDJ et d’autres partis pour demander la sortie complète du nucléaire.

Cette dé� ance à l’égard des institutions donne lieu à un essor des initia-tives citoyennes. La lutte contre la pollution nucléaire est devenue l’a� aire des citoyens. C’est ainsi que la gérante d’un jardin d’enfants pratiquant la pédago-gie Waldorf, dans la ville de Fukushima, s’est mobilisée. Située à 60 km de la centrale, la ville ne fait pas partie de la zone interdite, mais la contamination radioactive est très élevée dans certains quartiers. Les habitants sont nombreux à quitter dé� nitivement la ville. En mai 2011, avec le soutien de Greenpeace, la jardinière d’enfants entame elle-même la décontamination des 100 m2 de son terrain de jeu. Même si elle constatera que c’est peine perdue et qu’elle quit-tera � nalement la région, le fait de prendre sa vie en main met � n à l’impuis-sance. À travers le pays, des ONG et des bénévoles ont mis en place des stations de mesure qui permettent aux citoyens de contrôler la qualité des denrées alimentaires.

La plupart des régions détruites par le tsunami ne sont pas encore réhabi-litées. Les bénévoles sont nombreux à s’investir pour venir en aide aux habi-tants. Il s’agit souvent de jeunes sans emploi et sans perspective professionnelle qui donnent du sens à leur propre vie tout en confortant les sinistrés.

L’évolution de la société japonaise est silencieuse, mais réelle. Une lutte s’amorce entre les milieux qui entendent préserver leur in� uence politique et économique, et ceux qui veulent un nouveau Japon – un Japon plus humain, plus social et plus écologique. Les enjeux sont considérables, notamment pour la politique énergétique. La sortie du nucléaire signi� erait aussi l’adieu à la force de dissuasion militaire. Or beaucoup jugent que cette force de frappe est nécessaire, bien qu’elle soit contraire à la Constitution japonaise.

La dé� ance à l’égard des institutions donne lieu à un essor des initiatives citoyennes.

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Tokyo, 29 juillet 2012. De jeunes manifestants antinucléaires à Hibiya Park, dans le centre de Tokyo. La population japonaise est de plus en plus critique à l’égard du système politique.

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LES VERTS VEULENT ENTRER DANS L’ARÈNE POLITIQUELa domination quasi ininterrompue de la politique japonaise par le Parti libé-ral-démocrate (PLD) entre 1955 à 2009 continue de peser lourd. Le bref épi-sode du cabinet socialiste en 1993/94 et les quelques années de gouvernement de coalition 1994/96 n’ont bien sûr pas mis � n à la symbiose du PLD avec l’industrie, l’économie et les organisations de vétérans. En 2009, après les élections perdues à la Chambre des représentants, le PLD a cédé la place au parti démocrate PDJ. Parfois quali� é de formation de centre gauche, le PDJ fédère en réalité des positions allant de la social-démocratie au conservatisme, une hétérogénéité qui fait obstacle à un positionnement clair en matière d’énergie nucléaire.

De son côté, le Parti social-démocrate (PSD) n’est plus guère qu’un grou-pement marginal. Issu du Parti socialiste japonais (PSJ), autrefois principale force d’opposition de l’après-guerre, le parti a tout de même à son actif le dis-cours du Premier ministre socialiste en 1995: lors de la commémoration du cinquantenaire de la � n de la guerre, le Japon s’était en e� et excusé par la bouche de Murayama pour les atrocités commises en Asie entre 1931 et 1945.

Les revendications écologistes traditionnelles – sortie du nucléaire, inter-diction d’exportation des technologies nucléaires, promotion des énergies renouvelables, réduction des émissions de CO2 – sont aujourd’hui surtout dé-fendues par le nouveau parti vert Midori no Tō, créé en août 2012. Si les Verts sont pour l’instant présents à l’échelle des communes et des préfectures, le climat politique actuel aspire à les voir jouer un rôle plus important dans le paysage politique japonais. Les élections législatives prévues en 2013 ont tou-tefois été anticipées en décembre 2012 et le temps de préparation est trop court pour ce parti encore jeune. A� aire à suivre.

Journaliste de radio et auteure, Judith Brandner est née en 1963 à Salzbourg. Diplôméeen études japonaises de l’Université de Vienne, elle séjourne à de nombreuses reprises au Japon à partir de 1987. Au semestre d’hiver 2011–2012, elle est professeure invitée à l’Université de la ville de Nagoya. Publications sur le Japon: Ausser Kontrolle und in Bewegung, Editions Picus, 2012; Kratzer im glänzenden Lack, Editions Picus, 2011. www.judithbrandner.at

Les revendications écologistes traditionnelles sont surtout défendues par le nouveau parti vert Midori no Tō.

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Jeremy Ri� in serait l’homme le plus haï par les milieux scienti� ques, selon le Time Magazine. Et pour cause: ses thèses sur le fonctionnement de la société et la gestion de l’énergie s’attaquent à toutes les idées reçues.

LE MAÎTRE DE LA PENSÉE EN RÉSEAU

par Philipp Löpfe

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Un monde dont les habitants se comprendraient mieux (Une nouvelle conscience pour un monde en crise – Vers une civilisation de l’em-pathie) et un éco-capitalisme pacifique axé sur la décentralisation et la durabilité (La troisième révolution industrielle), voilà comment on pourrait résumer les deux derniers ouvrages de Jeremy Rifkin. Quali-fié d’affabulateur sénile par ses détracteurs, cet intellectuel, polito-logue et économiste américain de 68 ans pointe pourtant le défi ma-jeur posé à la société du XXIe siècle. L’enjeu pourrait être la survie de l’humanité, appelée à faire converger énergie durable, technologie de l’information et modèle de société.

Qui est Jeremy Rifkin? Marqué par la génération 68, il se politise au cours des protestations contre la guerre au Vietnam pendant ses études d’économie à l’Université de Pennsylvanie. Il joue alors un rôlemajeur dans le mouvement pour la paix, participant aussi aux mani-festations contre les multinationales, notamment pétrolières. Sa répu-tation de penseur critique se construit. À ce jour, il a publié 19 ouvrages sur la société, le monde du travail, l’écologie et surtout l’énergie. Conférencier très sollicité par les grandes entreprises, les gouverne-ments et la Commission européenne, il se fait aussi des ennemis en remettant en cause les grands principes des sociétés actuelles. Il seraitmême l’homme que les milieux scientifiques détestent le plus, selon Time Magazine. Malgré un agenda bien rempli, Jeremy Rifkin reste intègre et fidèle à lui-même. Végétarien convaincu, il se dit «presque végétalien». Avec sa femme, il a créé en Virginie une exploitation agricole pour recueillir les animaux maltraités. «Les mammifères fontpartie d’une grande famille, comme les êtres humains. Les êtres vivants partagent le même sort.»

Jeremy Rifkin est persuadé que les sociétés sont aujourd’hui pla-cées devant un choix fondamental, qui décidera de leur avenir. «Il en va de l’existence de l’humanité. La mondialisation touche à ses limites.» Le réchauffement climatique imposera un changement radi-cal de l’économie dans un futur proche. «La troisième révolution industrielle dont je parle est devenue une nécessité absolue. Il n’y a pas d’alternative, pas de plan B.»

La charnière de cette troisième révolution industrielle, c’est la fusion de l’Internet et des énergies renouvelables. «Au XXIe siècle, des centaines de millions d’êtres humains produiront leur propre énergie verte dans leurs maisons, leurs bureaux et leurs usines et la parta-geront entre eux sur des réseaux intelligents d’électricité distribuée, exactement comme ils créent aujourd’hui leur propre information et la partagent sur Internet», écrit Jeremy Rifkin. La convergence d’Internet et des énergies renouvelables entraînera un changement

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Jeremy Rifkin, penseur visionnaire: «La troisième révolution industrielle dont je parle est devenue une

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de paradigme dans l’économie et la société. Une transition similaire à la première et à la deuxième révolution industrielle. Au XIXe siècle la machine à vapeur et l’imprimerie ont permis l’école obligatoire et l’accès à la formation du plus grand nombre. Plus tard, la synthèse de l’électricité et de la téléphonie a produit la société de la communi-cation du XXe siècle.

La fusion d’Internet et des énergies durables donnera lieu à des changements encore plus profonds. «L’Internet est un puissant ins-trument de communication, mais aussi une nouvelle forme d’organisa-tion», dit Rifkin. La communication hiérarchique à sens unique fait place à une communication horizontale. L’énergie durable renforce encore cette tendance puisque, contrairement à l’énergie fossile, elle n’est pas concentrée sur quelques points du globe et ne requiert pas un important dispositif militaire et financier pour sa sécurisation et sonexploitation. «La situation en termes d’énergie est comparable à celle des ordinateurs dans les années 1970», ajoute Rifkin. «Le processeur ou unité centrale de traitement, d’IBM, était le modèle dominant et il collait bien au système hiérarchique de cette époque. Aujourd’hui, nous avons de grandes entreprises qui produisent et distribuent le courant de manière centralisée. Cela correspond encore au système IBM. Mais bientôt, des millions de bâtiments produiront leur propre énergie. L’évolution du secteur de l’informatique – du processeur à l’ordinateur personnel, à l’ordinateur portable et au téléphone intel-ligent – se reproduira pour le secteur de l’énergie.»

L’union d’Internet et des énergies durables changera également les relations entre les personnes. Les médias sociaux comme Face-book ou Twitter et les modèles à source ouverte comme Wikipédia ou Linux donnent naissance à une «civilisation de l’empathie». Une économie dominée par l’altruisme et non par l’égoïsme, ce vieux rêve de l’humanité, peut enfin devenir réalité. «On voit déjà que la jeu-nesse se comporte de manière plus coopérative grâce à Facebook et Twitter», affirme Rifkin. «L’inconvénient, c’est que le narcissisme augmente également. Les gens se prennent pour des acteurs sur scène. Il y a une évolution vers la tolérance, mais aussi vers la vanité.»

D’autres auteurs aboutissent à des conclusions similaires à propos de l’influence d’une économie numérique sur la société. Chris Anderson, rédacteur en chef de la revue d’informatique Wired, esquisse dans son best-seller The Long Tail les grandes lignes d’une The Long Tail les grandes lignes d’une The Long Tailéconomie digitalisée en gestation. L’industrie de la musique en est une illustration, la musique étant déjà principalement véhiculée sous forme numérisée. Ce qui fait disparaître les frais de transport et de stockage physique, mais aussi le principe des 80/20, ce phénomène

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empirique difficilement explicable selon lequel 20% des titres génèrent 80% du chiffre d’affaires.

La loi des 80/20 ne s’observe plus que dans le secteur traditionnel de l’industrie de la musique. Prenons un diagramme des ventes de supports sonores qui indiquerait le chiffre d’affaires en abscisse et les titres musicaux en ordonnée. Il aboutirait à une courbe qui tombe rapidement d’en haut à gauche pour ensuite se tasser et suivre une tra-jectoire presque horizontale. Cette «longue traîne» (de l’anglais long tail) représente la multitude de supports sonores se vendant à peu d’exemplaires. Pour les CD vendus en magasin, les stocks obéiront à la règle des 80/20, c’est-à-dire que le choix sera réduit. Les titres relevant de la «longue traîne» ne seront pas disponibles. Mais dans unmonde digitalisé sans frais de transport et de stockage, il devient économiquement intéressant de maintenir les petits tirages dans la gamme de produits proposés. Les artistes peu connus ou amateurs conservent ainsi leur chance. «C’est le monde des blogueurs, des réa-lisateurs de vidéos et des groupes de garage qui parviennent désor-mais à trouver un public grâce à la distribution numérisée», constate Chris Anderson.

Les conclusions d’Anderson rejoignent les réflexions de Jeremy Rifkin. L’économie numérisée contourne les hiérarchies et brouille les frontières entre professionnels et amateurs. «Quand les outils de production sont accessibles à tous, chacun devient producteur», estime Chris Anderson. Selon lui, cette imbrication de mondes analo-giques et numériques se dessine dans de nombreux secteurs éco-nomiques: «Aujourd’hui, notre culture mélange toujours davantage le sommet et la base, les gros succès et les petits créneaux, les insti-tutions et les individus, les professionnels et les amateurs. La culture de masse ne disparaîtra pas, mais elle sera moins massive.»

Une question reste toutefois sans réponse, chez Chris Anderson comme chez Jeremy Rifkin: quel sera le sort des multinationales qui dominent la scène à l’heure actuelle? Les monopolistes tels iTunes, Facebook, eBay et autres Amazon se retireront-ils du marché sans rechigner? Chris Anderson compte sur leur bonne volonté. Ces géantssont pour lui des «erreurs de jeunesse» passagères. «L’avenir appar-tient à une multitude de fournisseurs de petits segments de marché», pense-t-il. Jeremy Rifkin voit également l’avenir en rose. Selon lui, le monopole des grands groupes de l’énergie n’empêchera pas l’émer-gence d’un capitalisme vert apaisé. «La troisième révolution indus-trielle et la nouvelle ère du capitalisme décentralisé ouvriront une nouvelle voie, celle d’une mondialisation de bas en haut, quasi sans émissions, à base d’énergies renouvelables et régionales, mais en

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connexion avec le réseau mondial», affirme-t-il. Pour ajouter tout de même: «Cette voie doit être conquise, elle ne va pas de soi.»

Jeremy Rifkin est-il un illuminé, un charlatan ou un penseur vision-naire? Lorsque l’écrivain anglais George Orwell publiait son ouvrage1984, il mettait le doigt sur les questions brûlantes de son temps, sans pourtant donner toutes les réponses souhaitables. Jeremy Rifkin pose lui aussi les bonnes questions. L’énergie et Internet sont certes incon-tournables. Les médias sociaux et les réseaux intelligents sont au cœur des enjeux. Mais ils ne produiront pas automatiquement une civilisation de l’empathie et un éco-capitalisme décentralisé. Les oligarques n’abdiqueront pas de leur propre initiative. Leurs intérêts économiques restent bien trop puissants.

Philipp Löpfe a fait des études d’anglais et d’ethnographie. De 1999 à 2002, il était rédacteur en chef du quotidien zurichois Tages-Anzeiger. Il est actuellement journaliste et auteur indépendant.

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Cette a� che représentant une gracieuse danseuse sur le dos du taureau de bronze a fait le tour du monde. Elle symbolise les débuts du mouvement Occupy Wall Street et la victoire espérée de l’humain face au pouvoir de la Bourse. La statue du taureau se dresse dans le Financial District de Manhattan, près du parc Zuccotti occupé durant 59 jours à l’automne 2011 par des militants qui ont ins-piré de nouveaux mouvements tout autour du globe.

Le mouvement Occupy et le groupe Pussy Riot sont peut-être de simples anecdotes. Mais ils marquent l’adieu à une politique niant les intérêts des populations.

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par Matthias Wyssmann

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Le mouvement Occupy est moins visible aujourd’hui, mais le phénomène fait son chemin. Le «Printemps arabe» a montré comment, à l’ère numérique, les masses parviennent à s’organiser sans avant-garde idéologique. Dans l’Espagne durement touchée par la crise, les protestataires avaient inventé le modèle radicalement démocratique de l’asemblea, qui annonçait déjà le carac-tère novateur d’Occupy. Et le mouvement de la décroissance élabore depuis des années un avenir écologique et de nouvelles formes de société.

On assiste à une politique d’après la politique: une politique qui refuse de déléguer le pouvoir de la base à une élite dont les intérêts ne coïncident pas toujours avec ceux du peuple. Le mouvement des «Indignés» ou les mouve-ments de type Occupy incarnent cette recherche des intérêts du peuple, du demos. Ils sont le signe qu’un nombre croissant de personnes cherchent à re-prendre leur vie en main.

Une démarche optimiste. Ou plutôt désespérée? La violence globale de la crise � nancière met en évidence l’impuissance des milieux politiques. Le pro-gramme de relance conjoncturelle du président Obama est resté sans résultat, et ses 787 milliards de dollars furent précisément captés par les banquiers res-ponsables de la pauvreté de millions de personnes. L’Europe est prisonnière des intérêts divergents de ses membres. La Russie s’éloigne irrémédiablement de la démocratie. Le «Printemps arabe» attend désespérément son été, tandis qu’une nouvelle crise de la faim se pro� le à l’horizon. Et tout cela sous le signe d’un réchau� ement climatique qui pourrait transformer le globe en un monde inhabitable en l’espace de quelques générations.

Pendant ce temps, politiciens, partis, institutions et systèmes multilatéraux continuent de nous décevoir. Les conférences de type Rio+20 se réduisent à une comédie. Les mesures de maîtrise de la crise � nancière sont un marchandage douteux. La survie même de l’Union européenne, pourtant principal projet politique de l’après-guerre, est remise en question. Et les déconvenues ne nous épargnent pas à l’échelle locale.

Quand, aux yeux des citoyens, la politique ne parvient plus à prendre les bonnes décisions pour le futur de la communauté, l’adieu à cette forme tradi-tionnelle de politique devient tangible. Il n’est plus possible de faire con� ance à la politique, du moins à celle que nous connaissons, pour nous sortir de la crise. Une autre politique doit émerger. Mais laquelle?

La nouvelle démocratie n’emprunte pas les chemins battus. Elle occupe des espaces publics, à New York comme à Zurich. Elle se matérialise dans les «villes de transition» de la décroissance. Ses débats passent par Internet, courriel, Twitter. Les destinataires de cette communication ne sont pas les autorités, mais plutôt les multinationales. Et les revendications semblent souvent radicales, irréalisables aux yeux des adversaires. On se mobilise pour un changement de système, pas seulement pour tel ou tel enjeu particulier. La politique du prag-matisme n’est plus de mise. Comment en est-on arrivé là?

Le taureau de Wall Street a été érigé en 1989 comme symbole de la vigueur retrouvée après le krach boursier de 1987. Un mois auparavant, la chute du Mur de Berlin marquait le début d’une nouvelle ère. Un monde globalisé et démo-cratique semblait possible. Et cette nouvelle donne était l’œuvre de responsables

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politiques comme Mikhaïl Gorbatchev. La Russie totalitaire était tombée sans con� its armés. Cette heure de gloire de la démocratie semblait aussi celle de la politique. Une politique qui avait mis � n à des décennies de guerre froide.

Un quart de siècle plus tard, nous vivons la plus grande crise politique depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi une crise du politique en tant que tel. Car depuis 1989, l’euphorie de la société libre et ouverte1 a vu la naissance de nouveaux empires. Des empires qui ont réussi à poser un signe d’égalité entre la démocratie et la liberté, d’une part, et un capitalisme ultralibéral, d’autre part. Cette opération de marketing aussi ambitieuse qu’e� cace aboutit à une formule universelle: liberté des citoyens = liberté des marchés = liberté des multinationales.

Par-delà les frontières nationales et continentales, on assiste à des concen-trations inouïes de pouvoir, sous l’impulsion de multinationales dont le chi� re d’a� aires dépasse le produit national brut de pays entiers. Et les masses démo-cratiques d’applaudir. Les leaders économiques deviennent des pop stars. Cette nouvelle classe de dirigeants se croit tout permis. Maintenant que leur faillite est patente, les milieux politiques ne sont plus assez forts pour maîtriser la crise.

Bien sûr, il y a la croissance de la quote-part de l’État, la progression des dispositifs de protection sociale et de régulation. Mais la réalité est autre. Une petite frange de la population possède toujours plus de biens et détruit toujours plus de ressources naturelles, sans obligation aucune de rendre des comptes. À quoi bon promulguer des lois de protection des locataires, quand la perte de son chez-soi devient une expérience courante? Les multinationales comme Nestlé ont beau s’engager pour la propreté de l’eau potable, elles continuent de s’enrichir grâce aux sources qu’elles s’approprient. La consommation s’envole, mais nos meubles sont faits de contreplaqué et de plastique, tandis que notre nourriture est de plus en plus souvent industrielle. Nous sommes libres de faire ce que bon nous semble, mais nous ne pouvons pas vouloir ce que nous voulons, pour citer Schopenhauer. Car il y a l’énorme industrie du marketing, notamment politique.

Dès lors que la politique classique défend des intérêts privés, une autre poli-tique doit attaquer ces intérêts. D’où le foisonnement actuel d’actions qui se placent au-dehors des institutions politiques et parlementaires. Les partis et leurs députés ne sont plus un passage obligé pour faire cesser le pillage de l’environne-ment par un grand groupe. C’est la pratique de Greenpeace depuis quarante ans. Dans le meilleur des cas, les politiciens suivent en édictant les lois qui s’imposent.

LES GRANDES CHOSES COMMENCENT MODESTEMENTD’où aussi l’éclat de l’action des jeunes femmes de Pussy Riot dans une église de Russie. Un geste éminemment politique. Mais était-ce de la politique? Si les Pussy Riot ont certes fait passer un message politique, celui-ci semble bien léger en regard du séisme politique déclenché. Leur mise en scène relève du militan-tisme, mais aussi de l’anecdote. Loin de la logique démocratique, Pussy Riot contourne les institutions et les lois, dont la teneur est certes douteuse2. L’e� et de levier de leur action est impressionnant.

Tout acte démocratique (ou politique) repose sur la croyance qu’il existe un e� et de levier qui dépasse nos propres forces. «Les grandes choses commencent modestement», est-il dit dans le � lm Lawrence d’Arabie, qui raconte la transition

La crise actuelle est aussi une crise du politique en tant que tel.

Une petite frange possède toujours plus de biens et détruit toujours plus de ressources.

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Les mouvements citoyens ont une longue tradition aux États-Unis. Jadis ils s’adressaient surtout au Capitole de Washington, siège du Parlement.

Aujourd’hui, ils privilégient d’autres scènes.

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d’une société clanique à une union politique moderne. Ce «Printemps arabe» du siècle dernier se répète aujourd’hui, alors que les sociétés arabes se révoltent contre des systèmes politiques � gés. Les rassemblements de la place Tahrir échappaient à l’Égypte institutionnelle.

En septembre dernier à Francfort, le prix Adorno a été décerné à la philo-sophe américaine Judith Butler. Dans son discours de remerciement, elle s’interroge avec le philosophe et sociologue Theodor Adorno: la vie n’est-elle pas «si distordue, déformée qu’au fond personne n’est en mesure d’y vivre une vraie vie»? Adorno écrivait en e� et que «le monde est organisé de telle sorte que même la revendication la plus élémentaire d’intégrité et de décence doit à dire vrai nécessairement conduire tout un chacun à protester.»3 Protester serait donc la forme logique de la politique: «L’action concertée qui caractérise la résistance se trouve parfois dans l’acte discursif verbal ou dans le combat héroïque, mais elle se trouve également dans ces gestes corporels de refus, de silence, de déplacement, de refus de bouger, caractérisant ces mouvements qui promulguent des principes démocratiques d’égalité (…) en en appelant à une nouvelle manière de vivre plus radicalement démocratique et plus substantiel-lement interdépendante.»

Il est évident que ces nouvelles formes de politique exigent de nouveaux moyens, dépassant la participation aux élections et aux votations. Judith Butler appelle ces moyens les instruments «d’une promulgation performative d’une démocratie radicale». Transposé dans le quotidien politique, cela signi� e expri-mer ses revendications par des formes en rupture avec les processus politiques usuels: déranger, choquer, amuser et surtout dégager une authenticité «phy-sique». À l’époque des nouveaux médias, il s’agit d’animer les masses à di� user, partager et multiplier les messages. Comme le groupe Pussy Riot. Ou encore le mouvement Occupy Wall Street, qui pratique une démocratie probablement plus développée que jamais auparavant.

«Les grandes choses commencent modestement» – c’est un peu le mode d’emploi de la politique à l’âge du web 2.0, des blogs, des médias sociaux et des messages viraux qui se di� usent sans obéir aux règles de la politique classique. La forme traditionnelle de l’institution semble compromise, remplacée par les nouvelles plateformes. Même si leur dimension historique reste à découvrir, même si leur faculté à changer le monde est encore à démontrer.

Matthias Wyssmann a étudié les sciences politiques et travaille depuis 2009 pour Greenpeace.

L’action des Pussy Riot échappe à la logique démocratique.

1 La � n de la guerre froide et du monde bipolaire de la dissuasion a un peu trop rapidement été quali� ée de «� n de l’histoire».

2 La portée de cette a� aire est aussi liée au fait qu’elle a brisé une illusion, celle de la démocra-tisation de la Russie d’après 1989.

3 La protestation n’est pas réservée aux marginaux en révolte. Dans l’édition 3/2011 de ce maga-zine, le psychanalyste Daniel Strassberg expliquait que toute action bénévole, qu’elle relève du privé ou de la société, est un acte «microrévolutionnaire».

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UNE ÂPRE LUTTE CONTRE LES

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Chaque année, la pratique de l’écobuage menace des millions de personnes et cause des dommages considérables

à l’environnement. Mais le gouvernement russe ne fait rien pour empêcher ce désastre. Greenpeace et un groupe de

militants ont décidé de lutter contre ces incendies dévastateurs en Russie. Ils ont d’abord dû suivre un

entraînement pour s’y préparer.

Photos de Daniel Mueller et Igor Podgorny

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La plupart de ces feux ne doivent rien au hasard. À cause du défrichage intensif, d’immenses surfaces de forêts ne sont plus couvertes que d’arbustes qui s’en� amment facilement. Une étincelle su� t pour déclencher une catastrophe. Au printemps, les paysans font brûler les rési-dus végétaux, une pratique ancestrale destinée à fertiliser les sols. C’est ainsi que se déclarent souvent les feux de forêt et de tourbière. Ces derniers sont très dangereux, car ils dégagent d’énormes quantités de dioxyde de carbone et de particules de suie, recouvrant les régions concernées d’un smog nocif pour la santé des habitants et des animaux. Ils réduisent la bio-diversité et contribuent au réchau� ement clima-tique de la planète.

Pourtant, l’État russe ne fait rien pour y remédier. Dans certaines régions, l’écobuage est interdit, mais il n’existe ni instance de contrôle ni stratégie de protection contre les in-cendies. Plus de 100 000 localités où vivent environ 27 millions de personnes sont trop éloi-gnées pour être secourues. Politiquement, Greenpeace Russie compte améliorer la situa-tion en posant des exigences. L’organisation

envoie aussi des pompiers bénévoles dans les zones concernées, instruit les habitants des mesures de protection contre les incendies et informe les paysans des e� ets de l’écobuage. Le projet de Greenpeace «Kids for Forests» soutient la reforestation de certaines régions: les enfants apprennent à planter et à protéger de nouveaux arbres.

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1 Une entreprise dangereuse: un militant Greenpeace lu� e contre un feu de broussailles dans la région de Volgograd.

2 Une scène fantomatique: portant leur matériel sur le dos, des militants Greenpace et des bénévoles essaient d’éteindre les fl ammes.

3 Un moment délicat: des braises incan-descentes peuvent s’enfl ammer en quelques secondes.

4 Des légumes immangeables: le carré de choux de ce jardin potager a été ravagé par les fl ammes.

5 Loin de la fumée et au frais: Greenpeace a monté ce camp dans le parc national Meschorski pour transme� re aux pompiers bénévoles les connaissances nécessaires.

6 Apprendre à dérouler le tuyau: en Russie, dans maintes régions, il n’y a pas de sapeurs-pompiers et les bénévoles bien entraînés sont le meilleur garant de la survie des forêts.

7 Un militant Greenpeace Russie montre comment manier le tuyau qui joue un rôle essen-tiel lors des interventions.

8 High-tech: des bénévoles consultent sur leur ordinateur portable les données satellites o� -cielles qui perme� ent de repérer les foyers d’in-cendie, puis examinent les � ati� iques et com-parent avec leurs propres données.

9 Entraînement en tenue: en cas d’urgence, il e� vital que chaque ge� e soit exécuté automa-tiquement et que chaque bénévole connaisse parfaitement son équipement.

10 Un vrai mémorial: le feu semble avoir trans-formé ce poteau éle� rique en œuvre d’art.

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Depuis 2005, la consommation d’électricité n’a cessé de baisser au Danemark, à raison d’un peu plus de 1% par an. En Suisse, on observe une évolution inverse: depuis 2005, elle aug-mente chaque année de presque 1%. Sur le long terme également, le Danemark fait mieux. De 1990 à 2010, les statistiques nationales en matière d’énergie montrent une augmentation de la consommation d’électricité de 11%. En Suisse, la progression atteint presque 28%, avec une tendance plus marquée entre 2001 et 2010. Cela correspond à peu près à la croissance économique – corrigée du renchérissement – des deux dernières décennies. Or, l’économie danoise a elle aussi connu une évolution positive dans la même période: son produit intérieur brut a même augmenté de 41%. Mais, tandis qu’en Suisse, la consommation totale d’énergie augmentait de 18%, au Danemark, elle s’est sta bilisée plus ou moins au niveau de 1990. Autrement dit, les deux pays ont accru leur e� cacité énergétique, mais le Danemark a beaucoup mieux réussi dans cette tâche, notamment en matière de consommation d’électricité.

Pourtant, en Suisse, l’avenir s’annonçait prometteur. Le programme «Énergie 2000» prévoyait de stabiliser la consommation d’électri-cité d’ici à 2010. Tout comme «SuisseEnergie», adopté en 2000 et qui devait limiter la croissancede la consommation d’électricité à un taux maximal de 5% entre 2000 et 2010, il est resté lettre morte. Comparé aux succès enregistrés au Danemark, force est de constater que nous avonsperdu deux décennies. Il vaut la peine d’ex a-miner de plus près ce pays de 5,6 millions d’habi-tants, situé entre la mer du Nord et la Baltique. Son économie est, elle aussi, hautement dévelop-pée et le standing de vie est comparable à celui de la Suisse. Déjà dans les années 1990, les Danois avaient accéléré la construction de cen-trales de chau� age à distance fonctionnant au gaznaturel qui, outre de la chaleur, produisent aussi du courant électrique. Parallèlement, ils com-mençaient à implanter des éoliennes a� n de se libérer de la forte dépendance du charbon. Les résultats sont impressionnants: en l’espace de deux décennies, la part de la production électriqueà partir du charbon a diminué, passant de 94 à 51%, tandis que celle de l’éner gie éolienne aug-

ÉCONOMIES D’ÉNERGIE: LE DANEMARK

FAIT BIEN MIEUX QUE LA SUISSE

Quiconque vise sérieusement à l’efficacité énergétique doit se montrer responsable. C’est le cas au Danemark où l’introduction d’objectifs d’économies dans le secteur de l’énergie a conduit à un renversement de tendance. La Suisse pourrait en tirer des leçons.

par Urs Fitze, Pressebüro Seegrund

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mentait de 2 à 27%. D’autres énergies renou-velables, en particulier la bio masse, sont passéesde pratiquement zéro à presque 10%.

D’ici à 2050, toute l’énergie danoise doit provenir de sources renouvelablesEt ce n’est qu’un début, paraît-il. La coalition

de centre gauche menée par Helle Thorning-Schmidt, qui est arrivée au pouvoir l’an dernier à une courte majorité, a présenté un programme environnemental qui a même stupé� é Tarjei Haaland, responsable des campagnes Climat et Énergie auprès de Greenpeace Danemark: «Cela dépassait toutes nos attentes.» Avant les élections, les quatre partis de la coalition s’étai ent mis d’accord sur une vision écologique à laquelle Greenpeace avait largement contri-bué: d’ici 2020, les émissions de gaz à e� et de serre doivent diminuer de 40% par rapport à 1990. L’énergie pour l’électricité et le chau� age devra provenir exclusivement de sources renou-velables d’ici 2035; l’objectif pour tout l’appro-visionnement énergétique danois étant � xé à l’horizon 2050. Malgré les progrès accomplis au cours des 20 dernières années en matière de

politique environnementale, le fait qu’une majo-rité ait pu adhérer à cette vision constitue une véritable révolution. Car les conservateurs eux-mêmes sont de la partie! L’accord énergétique signé le 22 mars 2012 est soutenu par tous les grands partis politiques. C’était déjà le cas pour les conventions signées en 2005 et 2008. Il y a sept ans, les Danois ont abandonné le principe du volontariat et des incitations � nancières, censés motiver l’industrie et les consommateurs à économiser l’énergie et à améliorer l’e� cacité énergétique. Si l’on veut atteindre véritablement les objectifs de réduction reconnus dans la plu-part des pays industrialisés, les mesures contrai-gnantes sont plus e� caces que la bonne volonté.

Tournant le dos au principe du «Produire plus pour consommer plus», la nouvelle poli-tique énergétique, soutenue à la fois par le gou-vernement et par l’opposition, exige plus d’e� cacité et de transparence de la part du sec-teur de l’énergie. Concrètement, les compagnies d’électricité sont tenues de remplir chaque année des objectifs de réduction qu’elles ne pour-ront atteindre que si elles réussissent à aider leurs clients à économiser de l’énergie. La pro-

«Les politiciens parlent — les dirigeants agissent»: lors du Sommet de l’ONU sur le climat à Copenhague en 2009, des militants Greenpeace ont exhorté les pays riches à réduire leurs polluants industriels.

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cédure de preuve est compliquée, mais elle se fonde pour l’essentiel sur une liste d’environ 200 mesures approuvées par les autorités. L’une d’elles propose aux ménages l’installation d’une pompe à chaleur pour laquelle un certain nombre de kilowatts/heure leur sont crédités. L’investissement nécessaire est � nancé par les consommateurs, selon le principe de réparti-tion. Les coûts s’élèvent à environ 22 francs par an et par ménage. L’objectif prescrit était de 0,7% par an de 2006 à 2009, et de 1,2% de 2010 à 2012. Une analyse publiée en janvier 2012 par l’Agence danoise de l’énergie montre que ces objectifs ont été atteints. Ils représentent même 52% de toutes les économies d’énergie réalisées au Danemark. Les coûts s’élevaient à 4,5 cen-times d’euro par kWh de 2006 à 2009; en 2010, ils ont augmenté à 5 centimes en 2010. Ils sont donc restés largement inférieurs aux 6,7 centimesbudgétés, bien que les fournisseurs d’énergie aient dépassé les prescriptions en 2010. Cinq centimes, presque six: cela correspond au tarif heures creuses de nombreux fournisseurs d’électricité en Suisse. Compte tenu de ces expé-riences, l’Association danoise de l’énergie

encourage désormais les mesures contraignantessur le plan énergétique. Car c’est, de loin, l’ins-trument politique le plus e� cace, les fournisseursd’énergie étant menacés d’amendes, voire de retrait de leur licence, s’ils n’atteignent pas les objectifs prescrits.

De bonnes intentions, mais le tra� c routier reste sacréPour Tarjei Haaland, de Greenpeace

Danemark, ce vaste succès est également dû au fait que les objectifs aient été � xés assez bas. Cela va changer dès 2013. Selon le nouvel accord sur l’énergie, les objectifs passeront à 2,6%, puis à 2,9% de 2015 à 2020. Ce n’est qu’en com-binant toute une palette de mesures que l’on pourra atteindre l’objectif � xé pour 2020, à savoir une réduction de la consommation globale d’énergie de 7,6% par rapport à 2010. Nul ne doute de la faisabilité technique de cette mesure, pas plus que de la volonté politique. Il serait toutefois mal venu de mettre le Danemark sur un pinacle, car le tra� c routier y est sacro-saint: il est expressément exclu des mesures. Tarjei Haaland exprime aussi des réserves quant aux copeaux de bois importés pour l’exploitation de centrales à biomasse.

L’exemple du Danemark a, entre-temps, fait école dans les pays de l’Union européenne. La directive sur l’e� cacité énergétique adoptée par le Parlement européen le 11 septembre 2011 s’aligne sur le modèle danois. Le projet a d’ail-leurs largement progressé sous la présidence danoise au premier semestre 2012. Les objectifs d’économies d’énergie – 1,5% – sont toutefois beaucoup plus timides, et la clause imposée par l’Allemagne, selon laquelle les assainissements de bâtiments e� ectués avant l’entrée en vigueur de la directive le 1er janvier 2012 doivent y être inclus, a� aiblit sa portée. En réalité, seulement 1,1% d’économies sera réalisé chaque année. Pourtant, l’Union européenne continue, sur le plan international, de jouer un rôle de pionnier. Dans le monde, en dehors de quelques pays européens, seuls certains États des États-Unis et d’Australie ont introduit des dispositions semblables.

Dans les prescriptions légales concernant l’e� cacité énergétique, l’e� et rebond n’a pas été pris en compte. Si, par exemple, l’argent écono-misé sur la facture d’électricité grâce à une pompeà chaleur est dépensé pour un voyage en avion,

La Petite Sirène devant une centrale électrique à Copenhague: Greenpeace a largement collaboré à la vision écologique du Danemark.

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le résultat sera décevant, voire nul. Selon une étude de l’Union européenne, 10 à 30% des éco-nomies d’énergie seraient ainsi réduites à néant. Dans une enquête réalisée par l’Institut pour le climat, l’environnement et l’énergie à Wuppertal, l’économiste Tilman Santarius parle même de 50% sur le long terme. Rien ne chan-gera tant que le dogme de la croissance écono-mique éternelle aura cours. L’augmentation de l’e� cacité au niveau des processus industriels,par exemple, n’a pas fait baisser la consom-mation d’énergie – bien au contraire. Jusqu’ici, rappelle Tarjei Haaland, le Danemark s’était, comme d’autres pays, contenté d’appels sans engagement à ne pas gaspiller l’énergie pour faire face à ce danger latent.

Pour le Conseil fédéral, la consommation se stabilisera dès 2012Et la Suisse? En ce qui concerne l’e� cacité

électrique, elle a pris du retard. Il su� t de jeter un coup d’œil à la «Stratégie énergétique 2050» du Conseil fédéral, actuellement en consul-tation. Elle ne prévoit pas de stabilisation de la consommation d’électricité avant 2020. D’ici là, une augmentation est même possible. Des objectifs contraignants doivent être appliqués à l’égard des fournisseurs d’énergie, moyens et grands, comme c’est le cas dans l’Union euro-péenne. Or, dans son rapport explicatif, le Conseil fédéral recommande des économies de «p. ex. 1,5%» par an. En association avec d’autres mesures, notamment l’encouragement à utiliser des appareils consommant peu, la Suisse devrait réussir à maintenir jusqu’en 2035 la consommation d’électricité au niveau de 2020. Politiquement et techniquement, il serait possible de faire beaucoup mieux, comme le montrent certaines études de potentiel, dont celles de l’Agence suisse pour l’e� cacité énergé-tique (SAFE)… et l’exemple danois.

C’est précisément là qu’intervient l’initiativeE� cacité électrique. Elle entend accroître l’e� -cacité énergétique d’ici 2035 a� n que le niveau de2011 ne soit pas dépassé. Selon ses auteurs, viser une stabilisation au niveau de l’année 2020 est irresponsable, car c’est accepter une augmen-tation possible de la consommation d’électricité. Il faut au contraire inscrire dans la loi une limi-tation basée sur la consommation de 2011 et pré-voir des mesures e� caces pour atteindre cet objectif à court et à moyen terme.

Wohlen/AG, 20 septembre 2012: Les membres d’Offen-sive solaire et de Jeunesse Solaire — avec des collabora-teurs et des bénévoles de Greenpeace Suisse — sont montés sur le toit pour aider à construire la plus grande centrale photovoltaïque de Suisse alémanique. Environ 13 000 panneaux solaires installés sur 25 000 m2. La centrale aura une puissance crête de 2,8 MWc. Cela suffit pour alimenter 600 foyers.

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Initiative E� cacité éle� riqueAvec ce� e initiative, Greenpeace et d’autres associations font pression pour un approvisionnement éle� rique sûr et e� cace en Suisse.

Que� ions et réponses concernant l’initiative

Que veut l’initiative? Elle demande à la Confédération et aux cantons d’encourager une utilisation e� cace de l’éle� ricité pour que la consom -mation globale en Suisse se � abilise au niveau de 2011.Pourquoi l’initiative prescrit-elle un obje� if, et non des me-sures concrètes?C’e� à la Confédération et aux cantons de défi nir les in� ru-ments et les mesures qui conviennent. Pour que cela ne re� e pas une déclaration d’intention, un obje� if contraignant doit être inscrit dans la Con� itution.Pourquoi Greenpeace soutient-elle l’initiative? Des mesures d’e� cacité éle� rique perme� raient d’économiser d’ici à 2035 environ 80% de l’éle� ricité nucléaire produite aujourd’hui. C’e� faisable, car on ga� ille d’énormes quantités d’éle� ricité en Suisse. Les économies d’énergie sont la meilleure façon de protéger l’environnement et coûtent moins cher que la con� ru� ion de nouvelles centrales.Qu’en e� -il du calendrier ?C’e� maintenant que la sortie du nucléaire et le tournant énergétique prennent forme. Il faut donc récolter la plupart des signatures d’ici à fi n janvier 2013. Signez dès maintenant! Comment puis-je soutenir l’initiative? Pour que l’initiative puisse rapidement aboutir, nous avons besoin de votre concours. Les colle� eurs de signatures béné-voles trouveront des formulaires à imprimer sur le site web de Greenpeace ou peuvent se joindre aux a� ions de récolte des signatures dans toute la Suisse.

Nous nous réjouissons de toute nouvelle signature! Les personnes intéressées peuvent s’annoncer auprès de Nathan Solothurnmann, tél. 044 447 41 62, [email protected].

www.greenpeace.ch/e� cacite

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LE VALAIS À LA CROISÉE DES

CHEMINSUn tiers de la consomma-tion d’électricité du canton pourrait être généré par le solaire. Mais le chef du Département de l’énergie et le plus grand distributeur d’électricité en Haut-Valais ont d’autres priorités: l’énergie hydraulique fait rentrer plus d’argent dans les caisses du canton et des communes.

par Kurt Marti

Le hameau d’Oberried, qui fait partie de la com-mune de Bitsch, est situé au-dessous de la Rie-deralp, sur la terrasse ensoleillée qui surplombe la vallée du Rhône. Ici, le soleil brille dans un ciel sans nuage, même lorsque le plateau est plon-gé dans un épais brouillard en automne et en hiver. Christian Fux et Paul Weber ont voulu utili-ser cet atout et ont investi dans leur propre centrale solaire. C’était sans compter sur la poli-tique énergétique du canton, et notamment du groupe régional Energie Brig-Aletsch-Goms (EnBAG).

L’ensoleillement annuel au Valais est en moyenne 16% plus élevé que dans les autres can-tons. À Zermatt, il est même de 21% supérieur à la moyenne suisse. Ces valeurs sont en totalecontradiction avec la quantité de courant solaire produite jusqu’ici en Valais. La puissance des centrales photovoltaïques actuellement instal-lées est de 2,5 MW, selon la Fondation RPC (Rétribution à prix coûtant du courant injecté). Cela représente tout juste 8 watts par habitant. En comparaison, d’après le magazine du photo-voltaïque Photon, la production par habitant est de 640 watts en Bavière, de 300 watts dans

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toute l’Allemagne et de 210 watts en Italie. Pour la Suisse, elle n’est que de 26 watts.

On reproche à Jean-Michel Cina de traîner les piedsEn 2008, le socialiste valaisan Thomas

Burgener, alors conseiller d’État, avait chargé le bureau d’ingénierie easi à Brigue de mettre au point un «Plan de mesures sur l’énergie solaire enValais». Fin 2010, le document était présenté. Les résultats sont étonnants: si l’on installait des panneaux solaires sur un tiers des surfaces de toits en Valais, on pourrait produire environ 800 GWhd’électricité solaire – soit un tiers de la consom-mation d’énergie du canton (sans l’industrie).

L’année suivante – en été 2011 –, l’émission scienti� que de la télévision suisse alémanique Einstein a voulu savoir ce qu’il était advenu de ce plan de mesures. La rédaction a interrogé le conseiller d’État PDC Jean-Michel Cina, qui avaitrepris le Département de l’énergie après les élections de 2009. Cina n’a pas caché que la pro-motion du solaire n’était pas une priorité. Le canton se concentre plutôt sur l’extension du parchydraulique: «Avec l’énergie hydraulique, en

particulier les petites centrales, nous pouvons générer plus rapidement une puissance plus élevée qu’en équipant tous les toits de panneaux photovoltaïques.» Dans ses conférences, Cina vante régulièrement l’énorme potentiel du cou-rant solaire, pour aussitôt en déléguer la res-ponsabilité aux communes, aux propriétaires privés et aux entreprises.

L’étude sur le solaire en Valais propose un train de mesures qui pourraient être prises pour transformer le Valais en canton solaire: tout d’abord, créer une «task force Énergie solaire Valais», composée de représentants du canton, des communes et de la promotion économique; deuxièmement, assurer un � nancement de transition jusqu’au versement de la RPC; troisiè-mement, inscrire la stratégie solaire dans la loi. L’étude recommande en outre des contributions aux investissements, des allégements � scaux et des emprunts à taux faibles.

Natalie Theler, collaboratrice du Service cantonal de l’énergie et des forces hydrauliques, nous explique que, deux ans après la publication de cette étude, il n’existe toujours pas de task force, de mesure légale e� cace ou de � nancement

Bellwald, 19 juin 2012: le Projet Solaire Jeunesse de Greenpeace installe des panneaux solaires sur des paravalanches.

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de transition. Le canton s’en tient à des mesures ponctuelles, telles que la formation d’experts, les allégements � scaux, les recommandations pour les communes, les outils de calcul de renta-bilité des centrales solaires et l’information aux professionnels du solaire. Et d’ajouter: «C’est aussi aux usines électriques et aux communes actionnaires impliquées d’assumer leur res-ponsabilité». Or, sur ce plan, «il se passe beau-coup de choses». C’est pourquoi «la création d’une task force n’est pas prioritaire.»

Heini Glauser, du bureau d’ingénierie easi, qui a rédigé le plan de mesures à la demande du canton, est d’un tout autre avis. Il est déçu du manque d’e� orts de la part de Jean-Michel Cina et de son département: «Pratiquement aucune des mesures proposées dans l’étude n’a été mise en œuvre. Le canton en rejette la respon-sabilité aux communes et aux usines électriques.Cela conduit notamment à des inégalités scan-daleuses au niveau des tarifs de rachat.» Pour leséviter, le canton aurait dû «� xer un dédomma-gement minimal de 25 ct./kWh pour le courant solaire et poser des exigences aux Forces motrices valaisannes (FMV) en matière de promotion de l’électricité solaire.» De plus, selon Glauser, un encouragement au solaire e� ectif ne peut être mis en œuvre sans task force, car le Service canto-nal de l’énergie n’a pas le personnel nécessaire pour le faire.

Selon les statistiques de la Fondation RPC (état au 1er juillet 2012), 129 centrales solaires produisant au total 2,5 GWh pro� tent des subven-tions de la RPC en Valais. Septante-sept produc-teurs d’énergie solaire représentant environ 2,2 GWh ont reçu une décision positive. Sur la liste d’attente � gurent 411 centrales solaires, d’une puissance globale d’environ 15,2 GWh. Tandis que le Valais laisse le soutien � nancier desinstallations solaires aux usines électriques et aux investisseurs privés, d’autres cantons assu-ment le � nancement de transition jusqu’au versement de la RPC. Le canton de Vaud, par exemple, intervient à hauteur de 20 millions de francs pour combler cette lacune.

Au lieu de promouvoir le solaire, les usines électriques s’e� orcent de canaliser les derniers ruisseaux sauvages dans des conduites for-cées – � nancées par la RPC. Les statistiques de la RPC fournissent des chi� res impression-nants: la puissance totale des petites centrales hy drauliques opérationnelles, autorisées ou

prévues est de 605 GWh (état au 1er juillet 2012). Deux fois plus que dans les Grisons et un record inégalé dans les autres cantons! Des raisons � nancières poussent le Valais à les privilégier, à savoir la redevance hydraulique que perçoivent les communes et le canton. Et comme généra-lement, le syndic de la commune siège dans les conseils d’administration des usines électriques, le calcul est facile à faire.

Les tarifs de rachat des usines électriquessont très di� érentsEn ce qui concerne la promotion du courant

solaire, les Forces motrices valaisannes (FMV), qui appartiennent au canton, aux communes et aux distributeurs d’électricité régionaux, en sont encore à la phase d’analyse, peut-on lire dans leur rapport annuel 2011. Au lieu d’encourager l’installation de centrales photovoltaïques, les FMV ont participé à hauteur de 10% au capi tal-actions de la station de pompage-turbinage de Nant de Drance, dont les coûts s’élèvent à 1,8 milliard de francs.

Les usines électriques valaisannes appliquent des tarifs de rachat très di� érents. Selon Natalie

EnBAG brusque les produ� eurs de courant solaire

L’an dernier, dans la zone couverte par EnBAG*, un groupe de centrales solaires in� allées sur 18 toits privés a été raccordé au réseau. À elles seules, elles génèrent une puissance de 860 kW et produisent environ 1 GWh d’éle� ricité. Or, les produ� eurs de courant solaire ont été mis sur la li� e d’a� ente de la RPC et vont devoir patienter jusqu’à trois ans pour toucher la RPC, qui e� de 31 � ./kWh en moyenne depuis le 1er o� obre 2012.

Pour la phase de transition, ces produ� eurs avaient tablé sur un tarif de 15 � ./kWh. Quelle n’a pas été leur surprise lorsque, dans sa le� re du 6 avril 2012, EnBAG leur a annoncé que le tarif de rachat de 15 � ./kWh s’échelonnerait désor-mais entre 5,35 � ./kWh (tarif minimal en été) et 11,4 � ./kWh (tarif maximal en hiver) pour les centrales d’une puissance de plus de 3 kW, et ce avec e� et rétroa� if au 1er avril.* h� p://www.enbag.ch/� romverteilnetz.php

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Theler, du Service cantonal de l’énergie, plu-sieurs distributeurs d’électricité du Bas-Valais paient de 20 à 30 ct./kWh. Dans le Haut-Valais en revanche, la plupart des usines électriques ne paient que 15 ct./kWh. Et certaines appliquent même des tarifs encore plus bas, d’après les recherches du magazine Greenpeace. EnBAG, par exemple, a surpris les producteurs de cou-rant solaire privés en avril dernier en procédant à une réduction de 8,5 ct./kWh (voir encadré p. 55), alors que les producteurs tablaient sur un tarif de 15 ct./kWh pour la période de transition jusqu’au versement de la RPC. Selon eux, ce tarifavait été convenu oralement avec EnBAG et c’est sur cette base que les banques leur avaient accordé des prêts hypothécaires.

Pour justi� er cette réduction, EnBAG ren-voie aux recommandations publiées par l’O� ce fédéral de l’énergie (OFEN) en février 2010. Mais ce que EnBAG quali� e de prix maximal recommandé est en fait un tarif minimal dans ces recommandations. L’OFEN écrit expressé-ment: «Des rétributions plus élevées sont possibles.» Urs Wolfer, responsable du domaine Énergie solaire auprès de l’OFEN, déclare laconiquement: «Quand on ne veut rien faire, on déclare que le minimum est un maximum.»

Paul Weber: «Je ne fais plus du tout con� ance à EnBAG»Chez les producteurs de courant solaire

concernés, la politique de dissuasion d’EnBAG a suscité de vives critiques. Pour eux, cette réduction de tarif a été comme un coup de ton-nerre. Christian Fux, qui a construit une centralesolaire produisant environ 35 000 kWh par an, a l’impression de «s’être fait avoir». «Plusieurs propriétaires m’ont déclaré qu’ils n’auraient jamais construit une centrale s’ils l’avaient su.» Outre la baisse soudaine de tarif, Christian Fux critique également la «commu nication di� -cile» avec EnBAG et «le fait qu’en matière de solaire, le savoir professionnel y est quasiment inexistant».

Paul Weber, qui a construit une centrale de 7 kWh à Oberried, a aussi l’impression d’avoir été mené en bateau. Dans une lettre à EnBAG, il écrit: «Je ne fais plus du tout con� ance à EnBAG et je ne suis sans doute pas le seul. Tous dans la région, nous avions cru qu’on nous verserait 15 ct./kWh jusqu’au versement de la RPC.» En agissant ainsi, EnBAG a réussi à «briser l’élan

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Projet réalisés RPC accordée Li� e d’a� ente RPC

Exemple: si toutes les éoliennes qui ont fait une demande de RPC étaient con� ruites, la Suisse pourrait produire 3,477 milliards de kWh de courant éolien par an. Les éoliennes autorisées par la RPC qui ont été réalisées jusqu’à la fi n 2010 ne produisent toutefois que 40 millions de kWh par an.

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DE NOMBREUX PROJETS MAIS PEU DE RÉSULTATS

Produ� ion d’éle� ricité budgétée des projets d’énergie solaire ou éolienne, de biomasse et de petites centrales hydrauliques qui ont soumis une demande de RPC jusqu’en septembre 2012.Valeurs mesurées en millions de kWh par an.

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Voilà donc à quoi ressemble la sortie du nucléaire prônée par la conseillère fédérale PDC Doris Leuthard et le président du PDC Christophe Darbellay dans les terres du PDC: le conseiller d’État PDC Jean-Michel Cina mise sur les petites centrales hydrauliques et les sta-tions de pompage-turbinage. En même temps, il délègue la promotion du courant solaire aux communes et aux distributeurs d’électricité comme EnBAG. C’est là que siègent la conseillèrenationale PDC Viola Amherd et les syndics PDC de la région qui découragent les dynamiques producteurs de courant solaire comme ChristianFux et Paul Weber avec leurs bas tarifs. Le tournant énergétique n’est pas encore une réalité sous le soleil d’Oberried.

chez les particuliers de la région». Depuis quelque temps, Paul Weber a le sentiment «que le lobbying politique de l’industrie électrique cherche à prouver à la population suisse qu’il n’y a qu’une solution: l’énergie nucléaire».

Contacté par le magazine Greenpeace qui voulait savoir ce qu’il pensait des critiques des producteurs d’énergie solaire, le directeur d’En-BAG, Paul Fux, n’a pas souhaité prendre position et a très vite raccroché. Les nerfs sont appa-remment à vif chez ce producteur. Il faut dire que l’insatisfaction de la population à l’égard des distributeurs d’électricité régionaux augmente.

Urs Wolfer: «EnBAG est-elle prête à encourager le courant solaire?»Selon Urs Wolfer de l’OFEN, la baisse des

tarifs de rachat décidée par EnBAG est «juridi-quement valable». Pour ce qui est de la baisse de tarif ultérieure du 1er avril 2012, tout dépend, selon lui, «de ce qui � gure dans la liste des tarifs d’EnBAG. Généralement, EnBAG préciseque les tarifs peuvent être adaptés à tout mo-ment aux nouvelles donnes du marché.» Mais, en dehors de l’aspect juridique, il y a l’aspect moral. Sur ce point, Urs Wolfer constate: «Les producteurs d’énergie solaire ont fait con� ance à EnBAG qui leur garantissait, oralement, un tarif de 15 ct./kWh. Baisser soudainement ce tarif n’est pas très élégant.» Pour Wolfer, la question qui se pose est de savoir si EnBAG souhaite vrai-ment encourager le courant solaire.

Le fait est que le canton du Valais et EnBAG privilégient l’extension du parc hydraulique. Le dernier projet d’EnBAG n’est-il pas de construireune centrale hydraulique au cœur du site Jung-frau-Aletsch, inscrit sur la liste du patrimoine mon dial de l’UNESCO? Le conseil d’administra-tion d’EnBAG est un véritable biotope pour le PDC et les présidents des communes concernées. L’été dernier, l’ancien conseiller d’État PDC Rolf Escher a cédé la présidence à Renato Kronig,un avocat issu des rangs de ce parti et qui siège aussi au conseil d’administration des FMV. La conseillère nationale Viola Amherd, syndique deBrigue, siège elle aussi au conseil d’adminis-tration aux côtés de Manfred Holzer, syndic de Naters, et d’Anton Karlen, syndic de Bitsch, tous deux PDC, ou d’Herbert Schmidhalter, syndic PCS de Ried-Brig. Tous ont approuvé la baisse massive des tarifs d’EnBAG le 16 mars 2012.

Prix de produ� ion du courant solaireLes centrales solaires peuvent tenir la dragée haute aux petites centrales hydrauliques en termes de coûts de produ� ion. Selon les calculs de la société argovienne Solventure, les coûts de produ� ion d’une centrale solaire en Valais oscillent, selon sa taille et le taux d’intérêt des capitaux, entre 15 et 37 � ./kWh. Avec un taux de 2% et un amortissement sur 25 ans, une petite centrale (40 m2, puissance de 5 kW, produ� ion annuelle de 6000 kWh, inve� issement de 22 000 francs) produit déjà de l’éle� ricité à un prix de 22 � ./kWh. Pour une centrale plus grande (160 m2, puissance de 20 kW, produ� ion annuelle de 26 400 kWh, inve� issement de 70 000 francs), le coût de produ� ion baisse à 16 � ./kWh.

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UN NOMBRE CROISSANT AFFECTÉ PAR LES CONFLITS ENVIRONNEMENTAUX

«SOER 2010», le dernier rapport de l’Agence européenne pour l'environnement (AEE), porte sur les facteurs environnementaux en lien avec les conflits politiques et les migrations.

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Recul de la production alimentaire production alimentaire

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UN NOMBRE CROISSANT AFFECTÉ PAR LES CONFLITS ENVIRONNEMENTAUX

«SOER 2010», le dernier rapport de l’Agence européenne pour l'environnement (AEE), porte sur les facteurs environnementaux en lien avec les conflits politiques et les migrations.

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Nous vivons dans un monde en réseau aux écosystèmes complexes.

À l'horizon, une espérance de vie croissante, une montée de la consommation de ressources, un meilleur niveau de formation et des migrations plus fréquentes vers les pays susceptibles d'offrir des conditions de vie plus favorables.

Les régions développées comme l'Europe et les USA ne peuvent donc pas limiter leurs efforts écolo-giques à leur propre territoire. Les évolutions écologiques, sociales et économiques d'un monde glo-balisé développent des retombées planétaires. Une dégradation environnementale créant un conflit local ou régional risquera de donner lieu à des migrations internes mais aussi internationales ou inter-continentales.

Informations sur les implications mondiales des questions écologiques:

www.eea.europa.eu/fr

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UNE SIRÈNE AUX IDÉES PROFONDES

Hannah Mermaid est un mannequin qui cultive une passion singulière. Elle plonge dans les océans, vêtue d’un costume de sirène qu’elle a réalisé elle-même. Son objectif: attirer l’attention sur les écosystèmes marins dont elle se sent si proche quand elle nage avec des requins ou des baleines.

par Hannes Grassegger

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C’était au large des îles Tonga dans le Paci� que Sud. Lorsque la baleine qui venait de jaillir de-vant elle s’est mise à chanter, Hannah a senti des vibrations dans tout son corps, comme si elle s’était trouvée devant d’énormes enceintes. Dansl’eau, tout est plus étroitement lié, le visuel et le psychique, explique Hannah Mermaid. Quand on plonge, on peut sentir les innombrables organismes vivants, même les plus minuscules; on n’est plus seul.

La baleine, grande comme un autobus, était arrivée par en dessous et avait jailli devant la gracieuse jeune femme munie d’une combinaisoncolorée qui enserre ses jambes pour former une queue de sirène.

Hannah Mermaid, Fraser de son vrai nom, a vu alors l’énorme gueule du mammifère. Elle croyait déjà que la baleine allait l’engloutir, mais celle-ci a ralenti. «Elle me regardait. Je l’ai sentie.» Puis elle a commencé à chanter. Tout à coup, un si� ement aigu lui a répondu et la sirène a vu un baleineau arriver. Puis d’autres baleines se sont prudemment approchées tout en communiquant entre elles. Sans doute se demandaient-elles quelle était cette créature en face d’elles.

Lorsqu’elle a senti que l’air allait lui man-quer, Hannah est remontée à la surface; tremblantde tous ses membres, elle a ôté sa tenue sur le bateau qui l’accompagnait et s’est mise à pleurer de joie. Hannah Fraser plonge toujours sans masque ni tuba, uniquement équipée de sa mono-palme. Elle peut rester deux minutes sous l’eau en apnée. Sur des vidéos, on peut la voir caresser de gigantesques tortues ou se laisser tirer, accrochée au nez d’un dauphin, mais cette fois, elle avait le sentiment qu’un autre monde l’avait acceptée et lui avait parlé.

Nombreux sont les enfants qui rêvent de devenir astronautes pour explorer d’autres planètes. Sans les rêves d’enfants, il n’y aurait peut-être pas eu de conquête spatiale ni de voitures de course. Et il n’y aurait assurément pas eu de sirènes.

Hannah a trois ans lorsqu’elle dessine sa pre-mière sirène. Dans les années qui suivent, elle apprend que, hélas, les femmes à queue de pois-son n’existent pas. À neuf ans, pourtant, la petite blondinette voit le � lm Splash, dans lequel Daryl Hannah incarne une sirène. Pour elle, ce � lm est la preuve que l’on peut quand même devenir une sirène. Dans la piscine de ses parents à Los ©

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Angeles, revêtue d’un maillot approprié, elle commence alors à s’exercer à la technique de natation, le corps ondulant de la taille à la nageoire caudale. Inlassablement, pendant des mois, jusqu’à ce que son maillot de bain tombe presque en lambeaux. C’est alors que la famille part pour l’Australie et s’installe dans une commune au nord de Melbourne – sans piscine et à des heures de l’océan. Fini de rêver!

À vingt ans, Hannah avait depuis longtemps relégué dans les tréfonds de sa mémoire ce rêve d’enfant qui lui semblait impossible. Après avoir arrêté ses études, elle suit des amis surfeursà Byron Bay, où elle se maintient à � ot en faisant un peu de mannequinat, vivant au jour le jour. Les rêves d’enfants ont ceci de particulier qu’on a constamment l’impression que l’on vient de se réveiller et que l’on sait qu’il y avait quelque chose d’important – plus important que la réalité présente, mais dont, bêtement, on n’arrive pas à se souvenir.

Il faut trois mois pour confectionner une queue de sirèneUn beau jour de 2002, Hannah reçoit une

commande à Byron Bay: poser pour des photos sous l’eau. C’est la chance de sa vie. Jamais encore, elle ne s’était sentie si bien. Comme si l’eau était son univers. Elle tient alors à revivre ces sensations. Soudain, les écailles lui tombent des yeux: elle se voit avec des nageoires de poisson, comme une sirène, et se souvient de son rêve d’enfance.

De retour chez elle, Hannah se mit à coudre son premier costume de sirène en utilisant un boomerang, un cintre et une combinaison en néoprène. Elle le peignit et broda des écailles sur la nageoire. Puis elle commença à chercher des mandats pour poser sous l’eau, plongeant avec sa queue de sirène. Ses costumes sont des pièces uniques. Il faut trois mois pour les fabriquer et elleles rebrode toujours elle-même. Sa nageoire caudale est désormais constituée à partir d’une monopalme en silicone recouverte de néoprène. Une expérience avec du latex a tourné court. Hannah a failli se noyer.

Aujourd’hui, Hannah vit de ses mandats publicitaires. Pourtant, quand elle nage et plongeavec sa nageoire, elle a l’impression qu’une relation ancestrale s’établit entre elle et le milieu marin. «Dans l’eau, je sens que je ne suis qu’un élément d’un organisme vivant beaucoup plus

vaste.» Et elle veut protéger cet organisme. En 2007, avec son ex-mari Dave Rastovich, un surfeur professionnel, elle a pagayé dans la baie de Taiji rouge de sang a� n d’empêcher des pêcheurs japonais de tuer des dauphins. Elle a également participé à une expédition des militants de Sea Shepherd. Actuellement, elle lutte contre l’autorisation d’abattre des requins en Australie. Pour montrer qu’ils sont en réalité ino� ensifs, elle s’est rendue dans l’une des zones les plus dangereuses du monde, au large de la Guadeloupe, et a nagé devant les caméras avec des requins de récif de plusieurs mètres de long. «Avec mon costume, je devais leur pa-raître appétissante», dit-elle en riant. Tout s’est bien passé. Et d’ajouter: «Les requins sur la terre ferme sont bien plus dangereux que ceux qui sont dans l’eau.»

Livres

Les nouveaux militants écologistessont cool, leurs méthodes et leurs objectifs, insolites. Emily Hunter, animatrice sur MTV et � lle du fondateur de Greenpeace Robert Hunter, présente dans son livre des � gures qui luttent pour un ave-nir écologiquement sûr: protec-teurs de la forêt, sirènes profession-nelles, blogueurs, cyclistes militants, éco-architectes, cinéastes documentaires et bien d’autres encore... Elle montre qu’en chaque être humain dort un éco-guerrier prêt à utiliser ses aptitudes et son imagination pour sauver la planète.

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Bonne pêche: les pêcheurs sénégalais jubilent

Le Rainbow Warrior s’e� rendu cet automne dans plusieurs pays du li� oral africain. En rencon-trant les communautés locales et les autorités de la pêche, Greenpeace veut a� irer l’a� ention sur le pillage des océans auquel se livre la pêche indu� rielle. Des mesures sont nécessaires si l’on veut préserver les océans et les moyens de subsi� ance des habitants des régions côtières. L’exemple du Sénégal montre que les e� ets de ces mesures peuvent être rapides: au mois de mai, le nouveau président élu, Macky Sall, a annulé les licences de 29 chalutiers étrangers. Deux mois seulement après ce� e décision, Greenpeace, qui avait appuyé les revendications des populations locales en organisant la caravane «My Voice, My Future», a trouvé des villages côtiers en liesse. Depuis que les pilleurs ont été chassés, les fi lets des petits pêcheurs traditionnels sont remplis comme ils ne l’étaient plus depuis longtemps.

Jack Wolfskin prometdes vêtements non toxiques

Le fabricant allemand de vêtements de plein air Jack Wolfskin a signé la feuille de route des indus-triels de l’habillement concernant la décontami-nation de leur chaîne de produ� ion. Ce� e profes-sion de foi re� e toutefois mitigée. Greenpeace critique le fait que, jusqu’à présent, Jack Wolfskin n’a pratiquement pris aucune mesure — contraire-ment à d’autres marques comme H&M, qui compte renoncer à des produits chimiques particulière-ment toxiques dès la fi n 2012. Greenpeace a donc invité Jack Wolfskin à clarifi er les que� ions en su� ens. Afi n que les ve� es des randonneurs soient elles aussi non polluantes.

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Une vérité toxique: procès contre Trafi gura exigé

Greenpeace et Amne� y International ont publié une étude qui montre comment la cata� rophe chimique d’Abidjan a pu se produire et pourquoi les re� onsables n’ont pas eu à répondre de leurs a� es. En août 2006, le cargo Probo Koala avait déchargé des déchets hautement toxiques près de zones habitées. Plus de 100 000 personnes avaient dû recevoir des soins. Le rapport, fruit de trois années d’enquête, recon� itue l’hi� oire et le parcours de ce� e cargaison toxique. Pour des rai-sons économiques, des déchets ont été illégale-ment exportés vers l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, où les lois sur l’environnement ne sont pas re� e� ées. Bien que ce crime ait été dénon-cé dans de nombreux pays, les re� onsables de Trafi gura n’ont pas été inquiétés. Le rapport ré-clame l’ouverture d’une nouvelle enquête pénale en Grande-Bretagne. En Suisse, où se trouve le siège central de la multinationale, aucune plainte n’a été déposée en raison du fl ou juridique exis-tant. Le cas du Probo Koala e� l’un des nombreux exemples de la campagne «Droit sans frontières». Les multinationales ayant leur siège en Suisse doivent pouvoir être assignées devant les tribu-naux suisses lorsqu’elles comme� ent des crimes contre l’environnement ou violent les droits hu-mains. www.droitsansfrontieres.ch/fr/exemplesdescas/trafi gura/

Shell fait une pause, la glace fond toujours

Mi-septembre, le groupe pétrolier Shell a annon-cé qu’il allait su� endre durant un an ses forages en Ar� ique. Suite à des pannes et des problèmes juridiques, les coûts ont en e� et explosé, passant à quelque cinq milliards de dollars. Le PDG de Total, Chri� ophe de Margerie, a déclaré au Financial Times qu’il fallait cesser la pro� e� ion pétrolière au pôle Nord, les risques d’une cata� rophe étant trop élevés. La campagne «Save the Ar� ic» de Greenpeace exige une interdi� ion des forages pétroliers en Ar� ique. Plus de deux millions de personnes dans le monde ont déjà signé la péti-tion. Des militants ont bloqué des navires de pros-pe� ion et manife� é devant des � ations-service et des bureaux de Shell. Depuis, il e� plus di� -

cile d’obtenir des tribunaux le feu vert pour des forages. Shell tente maintenant de déposer des plaintes absurdes contre Greenpeace: en Hol-lande, le groupe veut faire interdire toute manifes-tation dans un périmètre de 500 mètres autour de ses bâtiments et exige le versement d’amendes d’un million d’euros. En Ar� ique, la glace a fondu à un niveau record. L’épaisseur de la banquise s’e� réduite de plus de moitié au cours des 30 dernières années. Dans quelques décennies, les glaces de l’Ar� ique pourraient fondre entière-ment durant l’été. Or si le soleil n’e� plus refl été par la glace, la terre se réchau� era davantage et l’appât du gain poussera les grands groupes à pratiquer des forages pétroliers et gaziers dans les fonds marins rendus ainsi accessibles, ce qui accélérera encore le changement climatique. www.savethear� ic.org

Les pseudo-écolosdéboisent toujours

De plus en plus de produ� eurs de matières pre-mières dépensent beaucoup d’argent pour soi-gner leur image. Seulement voilà: ce qui compte, ce ne sont pas les mots, mais les a� es. Herakles Farms, dont le siège e� aux États-Unis, prétend réaliser des projets de développement durable en collaboration avec les populations locales. Mais au Cameroun, au cœur du bassin du Congo, l’entre-prise proje� e une plantation de palmier à huile sur une surface de 73 000 ha (plus grande que le can-ton de Glaris), bordée de cinq zones fore� ières protégées. La monoculture chasserait des milliers de petits paysans de leurs terres et remplacerait la produ� ion mixte par un désert vert. Les au-tochtones s’y opposent. Quant à Asia Pulp & Paper (APP), l’un des plus gros produ� eurs de cellulose et de papier au monde, il prétend cesser les dé-boisements dans la forêt primaire en Indonésie… dans une région où la plupart des arbres ont déjà été aba� us! Ailleurs, il continue de transformer la forêt tropicale en papier-toile� e! Greenpeace a copublié un rapport sur les projets de Herakles Farms au Cameroun et, dans le cadre de son ex-pédition «Tigers Eye», révèle qu’APP continue de déboiser la forêt en Indonésie. Pour démasquer la réalité qui se cache derrière les rapports de développement durable des grandes entreprises, il faut une surveillance sur place. Une forêt déboi-sée en dit plus que des milliers de mots.

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Le Japon je� e l’éponge,Mühleberg inquiète toujours

Après l’Allemagne, la Belgique et la Suisse, le gouvernement japonais a annoncé en septembre dernier qu’il abandonnait le nucléaire. Et ce, si possible d’ici 2030, ou 2040 au plus tard. Ce� e décision survient à un moment où seuls deux des 50 réa� eurs japonais ont été remis en service, ce qui a donné lieu à d’immenses manife� ations. Le gouvernement cède donc à la pression de la po-pulation et tempère sérieusement l’e� oir d’une renaissance de la fi lière nucléaire. Cela aura aussi des répercussions en Europe: le Japon étant l’un des principaux clients de l’usine de retraitement de Sellafi eld en Angleterre, la rentabilité de ce� e dernière ne serait plus assurée. En France aussi, où 70% de l’énergie provient du nucléaire, le ton a changé. Le président de la République François Hollande a déclaré que les deux réa� eurs de Fessenheim en Alsace seraient défi nitivement arrêtés d’ici 2016. Plus ancienne centrale nucléaire française, Fessenheim a connu de nombreuses pannes. Située dans une zone sismique, elle n’e� qu’à 50 kilomètres de Bâle.

L’annonce de François Hollande e� un progrès, mais le risque subsi� era tant que ce� e centrale bancale re� era en a� ivité. Quelles seraient les conséquences d’une catas-trophe comme celle de Fukushima à Mühleberg? Une étude de l’In� itut écologique de Darm-� adt, commandée notamment par Greenpeace, montre ce que cela signifi erait concrètement: 185 000 personnes devraient être durablement déplacées, le lac de Bienne et un quart du terri-toire suisse seraient contaminés à long terme. Le nuage radioa� if se répandrait si rapidement qu’il paraît peu vraisemblable que les populations puissent être évacuées et que des comprimés d’iode leur soient di� ribués à temps. Les plans d’urgence en cas de cata� rophe ne tiennent pas le coup devant un scénario comme celui de Fukushima. Vous pouvez découvrir les résultats les plus importants de ce� e étude dans un petit fi lm d’animation (en allemand) di� usé sur YouTube ou à l’adresse www.aefu.ch: «Was passiert, wenn Fukushima in Mühleberg geschieht?»

Y a-t-il un lien entre notre consommation d’éle� ricité et

notre qualité de vie?

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Certainement! Grâce à la boîte d’informations mobile de Greenpeace, vous découvrirez comment la Suisse peut couvrir 100% de ses besoins avec des énergies renouve-lables. Le «mobil-e» est présent dans les salons et foires, les festivals et sur les places de villages. Venez y faire un tour!

Programme de la tournée:

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te� ent le riz OGM en ChineDepuis 20 ans, des recherches sont menées sur le Golden Rice, riz transgénique censé améliorer l’alimentation des pays pauvres grâce à sa teneur élevée en vitamine A. Des fonds de l’EPFZ, de l’Aide suisse au développement et de Syngenta ont été alloués à ce� e coûteuse recherche qui, jusqu’ici, n’a pas eu grand succès. Greenpeace critique ce projet depuis des années et a présenté di� érents rapports montrant que, contre les ca-rences en vitamine A, il n’y a pas besoin de tech-nologie génétique, mais d’une alimentation équili-brée. Le Golden Rice sert de prétexte louable pour

briser l’opposition aux OGM. Greenpeace vient en e� et d’annoncer que des chercheurs ont réalisé des te� s avec ce riz transgénique sur 24 enfants en Chine, avec l’aide des autorités agricoles amé-ricaines. En 2008, le mini� ère chinois de l’Agricul-ture avait pourtant annoncé que l’expérience était arrêtée. Le fait que ce te� ait été réalisé en Chine e� en soi scandaleux. Dans le cadre d’une cam-pagne menée depuis des années, Greenpeace a découvert que des OGM avaient été illégalement introduits, soulevant une vague de prote� ations qui a eu des répercussions jusqu’à Pékin. Le gou-vernement élabore a� uellement une loi qui doit interdire la culture, l’importation et l’exportation de céréales transgéniques en Chine.

Un arti� e biennois soutientla campagne de l’Ar� ique

D’un bout à l’autre de la planète, Greenpeace se démène pour que l’Ar� ique soit déclaré zone protégée. La banquise fond à cause de l’e� et de serre et les multinationales du se� eur pétro-lier y fl airent une occasion de procéder à de nou-veaux forages risqués dans cet écosy� ème fra-gile. La cata� rophe de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon en 2010 nous a montré les dommages que peuvent causer ces forages. Cet accident dans le golfe du Mexique a in� iré une œuvre à l’arti� e biennois Ba� ian Oldhouse

(www.ba� ian-oldhouse.ch). Afi n de soutenir Greenpeace et sa campagne en faveur de l’Arc-tique (www.savethear� ic.org), il a mis aux en-chères ce� e peinture impressionnante intitulée «Birdie» lors du vernissage de son exposition à Safnern (BE) le 10 août dernier. Une personne as-si� ant au vernissage l’a achetée et a versé 3000 francs à Greenpeace — au nom de son partenaire également. Nous les en remercions infi niment!

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Débrancher une centrale?Un jeu d’enfant

Greenpeace veut montrer l’énorme potentiel solaire inexploité exi� ant sur nos toits. Le mes-sage s’adresse aux politiciens, alors que s’ouvre le débat sur la nouvelle loi sur l’énergie et que le potentiel d’énergie solaire a été minimisé jusqu’à présent. Pour cela, nous avons besoin de votre aide. Combien d’éle� ricité peut-on produire avec des cellules photovoltaïques sur son propre toit? sur celui du voisin? et sur celui de la salle de � ort? Tout cela, vous pouvez le calculer grâce à un nouveau site Internet. Le potentiel d’énergie solaire recensé par les «chasseurs de toits» e� calculé et permet de montrer que l’énergie solaire a de l’avenir en Suisse. Afi n d’éveiller encore plus l’intérêt du public, ce site vous propose de ré-soudre des problèmes passionnants, mais aussi de gagner quelque chose. Depuis le lancement de l’O� ensive solaire le 11 septembre, des milliers d’internautes ont marqué environ 165 000 toits solaires! Cela corre� ond à la produ� ion éner-gétique cumulée des centrales de Mühleberg, de Beznau I et d’environ un quart de Beznau II.

Jouez en ligne dès maintenant et aidez à réaliser le tournant énergétique.solarmacher.ch

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Greenpeace Photo Award 2012

Des images fortes dans

Les lauréats du premier Green-peace Photo Award ont été dési-gnés: Flurina Rothenberger a gagné le Prix du public pour son travail sur la pollution de l’eau, les inondations et les conséquences du changement climatique dans une banlieue de Dakar, au Sénégal. Elle travaille depuis longtemps dans cette ville. Avec le rappeur et musicien Goormak, originaire de Dakar, elle o� re une vision sans fard des problèmes de cette métro-pole de plusieurs millions d’habi-tants. Ceux-ci s’y expriment sans être réduits à des clichés.

Le Prix du jury va à Jules Spinatsch. Dans son projet «Asyn-chron O–IV», il se penche sur le nucléaire en Suisse: fantasmes de bombe atomique, réacteurs expérimentaux, lieux de stockage des déchets radioactifs, mouve-ment antinucléaire. Spinatsch a assemblé des photos réalisées à l’aide de caméras de surveillance, créant de gigantesques panora-mas. Il réussit ainsi à rendre cette atmosphère fantasmagorique dont le spectateur n’avait encore au-cune idée, car les lieux qu’il repré-sente sont souvent inaccessibles.Ces travaux seront publiés au printemps 2013 dans le magazine culturel Du.h� p://photo-award.ch

OGM

Aucune autorisation en Suisse avant

2017Le Conseil national a décidé de prolonger le moratoire sur la culture de plantes transgéniques jusqu’à � n 2017. Le vote était net: presque deux tiers des parle-mentaires pensent qu’il est trop tôt pour introduire les OGM dans le paysage agricole suisse. Les recherches doivent se poursuivre. Le Schweizerische Arbeitsgruppe Gentech nologie (SAG), à l’origine du moratoire de 2005, se réjouit de cette décision. Il serait toutefoispréférable que les fonds destinés à la recherche soient alloués à une agriculture écologique.

En Californie, la population s’est prononcée sur l’initiative «Right to know» qui exigeait l’éti-quetage des aliments contenant des OGM. Aux États-Unis, prati-quement tous les produits qui ne sont pas bio contiennent des OGM. Étant donné l’importance du marché californien, l’initiative aurait pu bouleverser le secteur agro-alimentaire. Les consomma-teurs souhaitent une alimenta-tion saine et ce désir pourrait sou-dain peser lourd dans la balance des industriels. L’initiative a certes été rejetée à 53% des voix, mais ses partisans ont quand même des raisons de se réjouir: ce résultat est un succès d’estime, surtout si l’on tient compte du fait que le budget de la campagne en faveur de l’étiquetage des OGM n’était que de neuf millions de dollars, alors que celui de ses opposants at-teignait 46 millions! Monsanto à elle seule y avait contribué à hau-teur de 8 millions, tandis que les grands groupes «suisses» Syngentaet Nestlé avaient versé chacun plus d’un million.

Pro� e� ion pétrolière

Les gorilles menacés par les forages au

CongoLa société pétrolière britannique Soco International a acquis une concession pour la prospection pé-trolière dans le Parc national des Virunga, en République démocra-tique du Congo. Plus ancienne réserve naturelle d’Afrique, ce parc,inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, est parti-culièrement célèbre pour héberger des gorilles de montagne et un grand nombre d’autres espèces menacées. Le gouvernement bri-tannique a d’ores et déjà signalé à Soco que la prospection pétro-lière dans cette zone contrevenait aux conventions internationales. «Save Virunga», une coalition d’organisations environnemen-tales, fait pression pour que la concession lui soit retirée et que le Parc des Virunga continue d’être protégé.h� p://savevirunga.com

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Public Eye Awards 2013

Contrepoints critiques au WE F

Depuis 2009, Greenpeace Suisse décerne, en collaboration avec la Déclaration de Berne, les prix de la honte sans doute les plus célèbres du monde: le Public Eye Jury Award et le Public Eye People’s Award. Cesprix, qui visent à sensibiliser les multinationales aux violations des droits humains et aux crimes contre l’environnement, forment une sorte de contrepoint critique au Forum économique mondial de Davos. Ils permettent d’attirer l’attention du public sur des condi-tions de travail indignes, des atteintes à l’environnement, une désinformation ciblée ou le non-respect de la responsabilité sociale des entreprises. Cette année, pour la première fois, trois établis-sements � nanciers opérant dans le monde entier ont été nominés. Cela montre que les emprunts s’avèrent problématiques lorsqu’ilsservent à � nancer des activités douteuses.

«Nous aimons»!

Pas de spéculation sur les denrées alimentaires

On ne joue pas avec la nourriture. Début octobre, les Jeunesses socialistes ont lancé une initiative popu-laire visant à interdire la spéculation sur les denrées alimentaires. Cette initiative est notamment soutenue par Solidar Suisse (l’ancienne Œuvre suisse d’entraide ouvrière). Les entreprises, les banques et les caisses de pension doivent cesser d’investir dans des produits financiers qui servent à parier sur les variations des cours des céréales, du maïs ou du soja. L’initiative veut ainsi contribuer à stabiliser les prix des denrées ali-mentaires dans les pays en développement. Une grande part du commerce international des matières pre-mières s’opérant en Suisse, l’initiative fait figure d’aver-tissement au niveau mondial. Vous trouverez des feuilles de signatures souswww.solidar.ch.

Revenu minimum garanti: bilan à mi-parcours

La récolte des signatures pour l’initiative populaire «Pour un revenu de base inconditionnel» se passe bien, alors qu’on en est à la moitié du délai imparti. Tous ceux qui souhaitent changer le monde devraient profiter de l’occasion pour collecter quelques signa-tures auprès de leurs amis ou connaissances. 2500 francs par mois pour chacun – sans condition! Mais qui travaillerait encore? Notre système ne risque-t-il pas de s’effondrer? Est-ce que l’on pourrait enfin ne faire que ce dont on a envie? «La liberté n’est pas un état, mais une activité», proclame le comité de l’initiative, suggérant que les contraintes de l’économie ne sont pas intangibles, ce qui pourrait aussi ouvrir de nou-velles perspectives à la protection de l’environnement. www.inconditionnel.ch

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Conseil sur YouTube

Une vision angoissante de la société du jetable

Gobelets à café, téléphones por-tables, mouchoirs en papier, DVD, jouets en plastique – que faire de tout cela? Et surtout, d’où viennent-ils et où vont-ils après l’usage? Notre planète est inondée de biens de consommation fabriqués en exploitant les ressources et les hommes et qui, la plupart du temps,aboutissent au bout de six mois dans une décharge publique. AnnieLeonard a essayé de présenter les conséquences écologiques, sociales, culturelles et économiquesde notre société de consomma-tion. Avec succès. Plus de dix mil-lions de personnes – dont 100 000 en Allemagne, 20 000 en Suisse et autant en Autriche – ont déjà vu son � lm de vingt minutes intitulé The Story of Stu� («L’Histoire des choses») sur YouTube. À voir également sur notre sitewww. greenpeace.ch/magazin.B

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ESTran� ort en vélo

DES COURSIERS VERTS

AU LIEU DE VOITURES

L’époque où les triporteurs étaient réservés aux idéa-listes ou aux touristes visitant Copenhague est bien révolue. L’Institut pour la recherche sur le vélo en Alle-magne a lancé en juillet dernier un projet pilote dans huit villes allemandes: des entreprises de transport ont été équipées de vélos électriques. Pendant deux ans, on étudiera le potentiel des vélos-cargos qui pourraient rendre les transports plus écologiques. Ces vélos peuvent supporter une charge de 100 kilos, ne restent pas bloqués dans les embouteillages et pourraient rem-placer jusqu’à 85% des coursiers motorisés. Le projet est financé par le ministère fédéral de l’Environnement. www.ich-ersetze-ein-auto.de

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Rétro� e� ive

Année internationale des coopératives

L’Année des coopératives procla-mée par l’ONU se termine. Des conférences internationales et de nombreuses manifestations régionales ont été consacrées aux sociétés coopératives qui, bien qu’anciennes, sont de nouveau d’actualité. L’association Coopéra-tives d’habitation Suisse, créée en 1919, a été particulièrement active.Plus de mille coopératives repré-sentant environ 140 000 logementsy sont a� liées. Sur certaines façades sont apparus ces derniers mois des slogans tels que «Halte à la spéculation!» ou «Des loyers raisonnables!». Le premier Congrèsnational des coopératives a eu lieu en septembre à Lucerne. Trois prix sont venus récompenser des pro-jets de construction novateurs. Les lauréats, «KraftWerk1» et «Zur-linden» à Zurich et «FAB-A» à Bienne, posent de nouveaux jalons sur le plan social et écologique. Dans «KraftWerk1», le jury a salué une forme de logement com-munautaire et intergénérationnel. «Zurlinden» montre que des tours de 17 étages des années 1970 peuvent être compatibles avec la société à 2000 watts et qu’installer une façade photovoltaïque ne fait pas � amber les prix des locations. «FAB-A» sera le premier lotis-sement de Bienne sans voiture: un concept de mobilité a été spé cia-lement mis au point à cet e� et. Ce sont des impulsions positives – reste à espérer que l’élan et la con� ance renforcée des coopératives ne retomberont pas. www.internationalesjahrdergenossenscha en.ch

Tour de Lorraine

Matières premières: une initiative intéressante

Le 19 janvier, le «Tour de Lorraine» aura de nouveau lieu à Berne, en même temps que le Forum de Davos. Une douzaine de cafés et de lieux culturels du quartier de la Lorraine invitent à un superbe programme de musique et de danse.Les recettes soutiendront l’enga-gement politique et écologique. Ceux qui viennent uniquement pour s’amuser n’ont pas tout à fait compris en quoi consiste ce «tour», consacré à un sujet – cette année, à «la Suisse, plate-forme des matières premières». Pétrole, charbon, or, soja, café – il n’existe pratiquement aucune matière première sur laquelle on ne spéculeà partir d’une adresse discrète en Suisse, et ce à grande échelle. Di� é-rentes manifestations, des atelierset projections de � lms mettent en évidence les sombres tra� cs des traders de Zoug ou de Genève.www.tourdelorraine.ch

Éthique environnementaleÉthique environnementale

Une philosophie pour tout un chacun

Si vous ne comprenez rien à l’anthropocentrisme, au pathocen-trisme, au biocentrisme, au holisme et à l’écologie profonde, mais que vous aimeriez en savoir plus, vous pouvez désormais vous informer (en allemand) sur l’éthique environnementale dans un dossier rédigé de manière compréhensible. L’association «philosophie.ch» a voulu faire descendre «l’amour de la sagesse»de sa tour d’ivoire et le rendre accessible au débat public. Ce dos-

sier montre que la philosophie s’avère pratique quand il s’agit de prendre des décisions compli-quées à l’exemple du rehaussement prévu du barrage de Grimsel. Qu’est-ce qui a le plus d’impor-tance? L’utilité pour l’homme ou ledommage in� igé à la nature?www.philosophie.ch

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Gagnez l’un des cinq DVD du film More Than Honey. Dans ce magni� que documentaire, le réalisateur suisse Markus Imhoof livre des images spectaculaires et des informations actuelles sur l’importance essentielle des abeilles. Envoyez la solution jusqu’au 31 janvier 2013par courriel à [email protected] ou par voie postale à Greenpeace suisse, rédaction magazine, mots � échés écolos, case postale, 8031 Zurich. La date du timbre postal ou de réception du courriel fait foi. La voie juridique est exclue. Il ne sera échangé aucune correspondance.

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