Greffes, Transplantation, Dons Organes, Catholicisme, par Abbe François Knittel (FSSPX)

  • Upload
    vbeziau

  • View
    69

  • Download
    0

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Greffes, Transplantations, Dons Organes, Catholicisme, par Abbe François Knittel (FSSPX)source : La Porte Latine

Citation preview

  • Greffes, transplantations et dons dorganes, Principes catholiques et applications concrtes (abb Franois Knittel)

    GREFFES, TRANSPLANTATIONS ET DONS DORGANESPrincipes catholiques et applications concrtes

    Depuis quelques annes se dveloppe en France une forte campagne en faveur du don dorganes,matriel indispensable aux greffes et transplantations de plus en plus rpandues. Dun ct, ilsemble difficile de sopposer ces pratiques mdicales qui, relevant souvent de lexploit techniquedu corps mdical, en appellent laltruisme, la philanthropie, voire la charit du grand public.Qui dentre nous, ne dsirerait aider son prochain ? Dun autre ct, les fils soumis de lEglisevoudraient sassurer quil ny a l rien de contraire aux principes moraux chrtiens.

    Do une certaine insistance pour que soit rpondu cette question : les dons dorganes et lesgreffes quils permettent sont-ils permis ? Comme nous le verrons, les choses ne sont pas aussisimples que nous puissions rpondre affirmativement ou ngativement pour tous les cas. Il seraindispensable doprer certaines distinctions et prcisions afin que notre rponse soit conforme auxprincipes de moralit naturelle et chrtienne.

    Avant de passer aux dons dorganes, il nous faut dabord nous pencher sur la questionfondamentale du pouvoir qua lhomme sur son corps. En effet, si lhomme a tout pouvoir surson corps, sans limitation aucune, les dons dorganes devraient tre facilement permis et cela sansgrandes conditions pralables. Par contre, si le pouvoir qua lhomme sur son corps est limit, par lefait mme sa capacit se prter des dons dorganes le sera aussi.

    tant donn que le pape Pie XII[1] a parl plusieurs reprises des problmes soulevs par les donsdorganes et les greffes, nous nous adresserons surtout lui pour connatre le pouvoir qua Dieu etcelui qua lhomme sur le corps humain (I) et pour comprendre le principe de totalit (II). Puis,nous passerons lvaluation morale des diverses formes de greffes pratiques aujourdhui (III).

    Haut de page I PROPRIT ET USAGE DU CORPS HUMAIN1.- Dieu est le matre du corps humain

    2.- Lhomme est usufruitier et non propritaire de son corps.

    3. Lusage des membres du corps humain est rgl par leur finalit naturelle.

    4. Lusufruitier peut sacrifier une partie du corps humain pour sauver le tout.

    5. Le sacrifice de la partie en faveur du tout relve du principe de totalit.

    6. Les mmes principes obligent lindividu, ses parents, son conjoint ou son mdecin.

    7. Ici, pas plus quailleurs, la fin (ou lintention) ne justifie les moyens.

    II LE PRINCIPE DE TOTALIT1. nonc du principe de totalit.

    2.- Lorganisme humain est un tout physique qui subsiste en soi.

  • 3. La socit est un tout moral qui jouit dune unit de finalit et daction.

    4. Le principe de totalit ne donne ltat aucun pouvoir sur le corps et les organes des citoyens.

    5. Ltat ne saurait transfrer au mdecin.

    Conclusion partielle

    III VALUATION MORALE DES GREFFES ET TRANSPLANTATIONS1.- Divers types de transplants

    1.1.- Du point de vue mdical

    1.2.- Du point de vue moral2.- Autogreffes

    2.1.- Dfinition 2.2.- Application du principe de totalit 2.3.- Conditions de licit3.- Homogreffes

    3.1.- Introduction 3.2.- Les homogreffes entre vivants 3.3 .- Les homogreffes dun mort un vivant4.- Htrogreffes

    4.1. Dfinition. 4.2. Pas dapplication du principe de totalit. 4.3. Quelques exemples. 4.4. Lhomme est-il un cobaye ? 4.5. Extension la pose dinstruments mcaniques dans le corps humain.CONCLUSION

    I.- PROPRIT ET USAGE DU CORPS HUMAIN.Haut de page

    1.- Dieu est le matre du corps humain.Se basant sur le fait que lhomme a t cr par Dieu, Pie XII enseigne que :

    Dieu a rgl chaque fonction et chaque organe du corps humain : En formant lhomme, Dieu argl chacune de ses fonctions. Il les a distribues parmi les divers organes ; par l mme, Il adtermin la distinction entre celles qui sont essentielles la vie et celles qui nintressent quelintgrit du corps, quelque prcieux que puissent tre son activit, son bien-tre, sa beaut. Enmme temps, Il a fix, prescrit et limit lusage de chaque organe. Il ne peut donc permettre lhomme de rgler la vie et les fonctions de ses organes suivant le bon plaisir, dune faon contraireaux buts internes et constants qui leur ont t assigns. [2] Dieu possde le souverain domaine sur la vie et la destine de lhomme : La morale naturelle etchrtienne maintient partout ses droits imprescriptibles ; cest deux, et non de considrations desensibilit, de philanthropie matrialiste, naturaliste que drivent les principes essentiels de la

  • dontologie mdicale : dignit du corps humain, prminence de lme sur le corps, fraternit detous les hommes, domaine souverain de Dieu sur la vie et la destine. [3] Dieu est donc le seul matre de la vie : Le principe est inviolable. Dieu seul est le matre de lavie et de lintgrit de lhomme, de ses membres, de ses organes, de ses puissances, de celles enparticulier qui lassocient luvre cratrice. Ni les parents, ni le conjoint, ni lintress lui-mmene peuvent librement en disposer. [4]

    Haut de page 2.- Lhomme est usufruitier et non propritaire de son corps.Si donc Dieu est le matre de la vie humaine et de lintgrit des organes et fonctions du corpshumain, lhomme ne peut en tre que lusufruitier. Il a un droit dusage sur son corps, non un droitde proprit. Citons quelques textes du Pasteur Anglique :

    Lhomme, dautre part, nest pas le propritaire, le matre absolu de son corps, il en est seulementlusufruitier. De l drivent toute une srie de principes et de normes qui rglent lusage et le droitde disposer des organes et des membres du corps, et qui simposent galement lintress et aumdecin appel le conseiller. () [Lhomme] dtient le droit sur son propre corps et sur sa vie,non [de la socit], mais du Crateur, et cest au Crateur quil rpond de lusage quil en fait. [5]

    Car lhomme nest pas rellement le propritaire et le matre absolu de son corps : il en aseulement lusage et Dieu ne peut lui permettre den user de faon contraire aux fins intrinsques etnaturelles quIl a assignes aux fonctions des diffrentes parties du corps. [6] En ce qui concerne le patient, il nest pas matre absolu de lui-mme, de son corps, de son esprit. Il ne peut donc disposer librement de lui-mme, comme il lui plat. Le motif mme pour lequel il agit nest, lui seul, ni suffisant, ni dterminant. Le patient est li la tlologie immanente fixe par la nature. Il possde le droit dusage, limit par la finalit naturelle, des facults et des forces de sa nature humaine. Parce quil est usufruitier et non propritaire, il na pas un pouvoir illimit de poser des actes de destruction ou de mutilation de caractre anatomique ou fonctionnel. [7] Lhomme nest que lusufruitier, non le possesseur indpendant et le propritaire de son corps, desa vie et de tout ce que le Crateur lui a donn pour quil en use, et cela conformment aux fins de la nature. Le principe fondamental : Seul celui qui a le droit de disposition est habilit en faire usage, et encore, uniquement dans les limites qui lui ont t fixes, est lune des dernires et des plus universelles normes daction, auxquelles le jugement spontan et sain se tient inbranlablement, et sans lesquelles lordre juridique et celui de la vie commune des hommes en socit est impossible. [8] Cest un des principes fondamentaux de la morale naturelle et chrtienne, que lhomme nest pas matre et possesseur, mais seulement usufruitier de son corps et de son existence. [9] Lhomme a le droit de se servir de son corps et de ses facults suprieures, mais non den disposer en matre et seigneur, puisquil les a reus de Dieu son Crateur, de qui il continue de dpendre. [10]

    Haut de page 3.- Lusage des membres du corps humain est rgl par leur finalit naturelle.Lusage mme des membres, organes et fonctions du corps humain nest pas laiss larbitraire delhomme. Leur structure mme dtermine leur fin naturelle :

    Les individus eux-mmes nont sur leurs membres de leurs corps dautre puissance que celle qui se rapporte leurs fins naturelles. [11] En formant lhomme, Dieu a rgl chacune de ses fonctions. Il les a distribues parmi les diversorganes ; par l mme, Il a dtermin la distinction entre celles qui sont essentielles la vie et

  • celles qui nintressent que lintgrit du corps, quelque prcieux que puissent tre son activit, sonbien-tre, sa beaut. En mme temps, Il a fix, prescrit et limit lusage de chaque organe. Il nepeut donc permettre lhomme de rgler la vie et les fonctions de ses organes suivant le bon plaisir,dune faon contraire aux buts internes et constants qui leur ont t assigns. [12] Car lhomme nest pas rellement le propritaire et le matre absolu de son corps : il en aseulement lusage et Dieu ne peut lui permettre den user de faon contraire aux fins intrinsques etnaturelles quIl a assignes aux fonctions des diffrentes parties du corps. [13] Le matre et lusufruitier de cet organisme, qui possde une unit subsistante, peut disposer directement et immdiatement des parties intgrantes, les membres et les organes, dans le cadre de leur finalit naturelle [14] Lhomme nest que lusufruitier () de tout ce que le Crateur lui a donn pour quil en use, etcela conformment aux fins de la nature. [15]Pie XII parle ce propos de tlologie immanente . Tlologie se rfre une inclination de chaque organe vers sa fin[16]. Cet ordre est immanent car, loin dtre rajout de lextrieur, il drivede la nature mme de chaque organe (lil est fait pour voir, la main pour prendre, etc) :

    Le patient est li la tlologie immanente fixe par la nature. Il possde le droit dusage, limit par la finalit naturelle, des facults et des forces de sa nature humaine. Parce quil est usufruitier et non propritaire, il na pas un pouvoir illimit de poser des actes de destruction ou de mutilation de caractre anatomique ou fonctionnel. () La frontire est la mme [pour le mdecin] que pour le patient ; cest celle qui est fixe par le jugement de la saine raison, qui est trace par les exigences de la loi morale naturelle, qui se dduit de la tlologie naturelle inscrite dans les tres et de lchelle des valeurs exprime par la nature des choses. [17]

    Haut de page4. Lusufruitier peut sacrifier une partie du corps humain pour sauver le tout.Sil est vrai que, dans lusage que lhomme fait de son corps, les fins naturelles des organes et desfonctions sont la rgle dor, Pie XII noublie pas les incidents de la vie humaine : la maladie, lesinfections, les accidents. Le bien du corps humain entier peut alors tre mis en pril par une partiemalade.

    Lhomme devra-t-il pour autant attendre stoquement la mort sous prtexte quil nest pas matre desa vie, mais seulement usufruitier ?

    Non, car celui qui a lusage du corps humain peut lgitimement faire le sacrifice de la partie de soncorps qui met en pril lexistence du tout, si aucune alternative ne soffre lui. Ctait djlenseignement de Pie XI :

    Les individus eux-mmes nont sur leurs membres de leurs corps dautre puissance que celle qui se rapporte leurs fins naturelles ; ils ne peuvent ni les dtruire, ni les mutiler, ni se rendre par dautres moyens inaptes leurs fonctions naturelles, sauf quand il est impossible de pourvoir autrement au bien du corps entier : tel est le ferme enseignement de la doctrine chrtienne, telle est aussi la certitude que fournit la lumire de la raison. [18]et du Saint-Office :

    Lopration chirurgicale, par laquelle est obtenue la strilisation, nest certes pas une action intrinsquement mauvaise quant la substance de lacte et peut donc tre licite, lorsquelle est ncessaire pour conserver la vie et la sant. Cependant, si elle est effectue pour viter la procration, cest une action intrinsquement mauvaise par dfaut de droit du ct de lagent, carni lindividu ni lautorit publique nont un pouvoir direct sur les membres du corps qui stende jusque l. [19]

  • Haut de page Pie XII rappelle cette doctrine de nombreuses reprises :

    En vertu du principe de totalit, de son droit dutiliser les services de lorganisme comme un tout,[lhomme] peut disposer des parties individuelles pour les dtruire ou les mutiler, lorsque et dans la mesure o cest ncessaire pour le bien de ltre dans son ensemble, pour assurer son existence, ou pour viter, et, naturellement, pour rparer des dommages graves et durables, qui ne pourraient tre autrement ni carts ni rpars. () En outre, dans la mise en uvre de son droit disposer de lui-mme, de ses facults et de ses organes, lindividu doit observer la hirarchie des ordres de valeur, et, lintrieur dun mme ordre de valeurs, la hirarchie des biens particuliers, pour autant que les rgles de la morale lexigent. [20] Le matre et lusufruitier de cet organisme, qui possde une unit subsistante, peut disposer directement et immdiatement des parties intgrantes, les membres et les organes, dans le cadre de leur finalit naturelle ; il peut intervenir galement aussi souvent et dans la mesure o le bien de lensemble le demande, pour en paralyser, dtruire, mutiler, sparer les membres. [21] Le patient, de son ct, lindividu lui-mme, na le droit de disposer de son existence, de lintgrit de son organisme, des organes particuliers et de leur capacit de fonctionnement que dans la mesure o le bien de tout lorganisme lexige. [22] Il peut se faire quen exerant son droit dusufruitier, [lhomme] mutile ou dtruise une part de lui-mme, parce que cest ncessaire pour le bien de tout lorganisme. En cela, il nempite pas sur les droits divins, puisquil nagit que pour sauvegarder un bien suprieur, pour conserver la vie, par exemple. Le bien du tout justifie alors le sacrifice de la partie. [23]

    Haut de page 5.- Le sacrifice de la partie en faveur du tout relve du principe de totalit. (Cf. II-8 12)Cette disposition de la partie du corps humain pour sauver le tout nest quune applicationparticulire du principe de totalit qui snonce ainsi : L o se vrifie la relation de tout partie,dans la mesure exacte o elle se vrifie, la partie est subordonne au tout, celui-ci peut, dans sonintrt propre, disposer de la partie. [24]En raison de son importance capitale, nous analyserons ce principe en dtail dans une partie spciale [II].

    Haut de page 6.- Les mmes principes obligent lindividu, ses parents, son conjoint ou son mdecin.Que Dieu soit le matre de la vie humaine et que lhomme en soit seulement lusufruitier, quelusage des organes du corps humain soit rgl par les finalits naturelles immanentes (mme silest permis, le cas chant, de sacrifier la partie malade pour la sauvegarde du tout selon le principede totalit), ces principes obligent tous les hommes :

    Le patient lui-mme : Le patient na donc pas le droit dengager son intgrit physique etpsychique en des expriences ou recherches mdicales, quand ces interventions entranent avec ouaprs elles des destructions, mutilations, blessures ou prils srieux. [25] Les parents et le conjoint : Le principe est inviolable. Dieu seul est le matre de la vie et delintgrit de lhomme, de ses membres, de ses organes, de ses puissances, de celles en particulierqui lassocient luvre cratrice. Ni les parents, ni le conjoint, ni lintress lui-mme ne peuventlibrement en disposer. [26] Le mdecin envers son patient : Lhomme, dautre part, nest pas le propritaire, le matreabsolu de son corps, il en est seulement lusufruitier. De l drivent toute une srie de principes et

  • de normes qui rglent lusage et le droit de disposer des organes et des membres du corps, et quisimposent galement lintress et au mdecin appel le conseiller. [27] La frontire est la mme [pour le mdecin] que pour le patient ; cest celle qui est fixe par lejugement de la saine raison, qui est trace par les exigences de la loi morale naturelle, qui sedduit de la tlologie naturelle inscrite dans les tres et de lchelle des valeurs exprime par lanature des choses. La frontire est la mme pour le mdecin et pour le patient, parce que lemdecin, comme personne prive, dispose uniquement des droits concds par le patient et parceque le patient ne peut donner plus que ce quil possde lui-mme. [28] Le mdecin (ou linfirmier) envers lui-mme : Ce qui vaut du mdecin lgard du patient vautaussi du mdecin envers lui-mme. Il est soumis aux mmes grands principes moraux et juridiques.Aussi ne peut-il pas non plus se prendre lui-mme comme objet dexpriences scientifiques oupratiques, qui entranent un dommage srieux ou menacent sa sant ; encore moins est-il autoris tenter une intervention exprimentale qui, daprs un avis autoris, puisse entraner mutilation ousuicide. En outre, il faut en dire autant des infirmiers et infirmires et de quiconque est dispos seprter des recherches thrapeutiques. Ils ne peuvent pas se livrer de telles expriences. [29]

    Haut de page7. Ici, pas plus quailleurs, la fin (ou lintention) ne justifie les moyens.On pourrait arguer du fait que ceux qui transgressent ces rgles strictes le font avec bonne intention.Saint Paul nous avertissait dj : Ne faisons pas le mal pour quil en ressorte un bien. (Rom 3,8) Que la fin ne justifie pas les moyens : cest un principe universel de moralit qui trouve ici aussison application comme le rappelle opportunment Pie XII contre tous les subjectivismes,sentimentalisme et autre morale de situation, oublieux de lordre naturel des choses :

    La morale naturelle et chrtienne maintient partout ses droits imprescriptibles ; cest deux, etnon de considrations de sensibilit, de philanthropie matrialiste, naturaliste que drivent lesprincipes essentiels de la dontologie mdicale [30] En ce qui concerne le patient, il nest pas matre absolu de lui-mme, de son corps, de son esprit.Il ne peut donc disposer librement de lui-mme comme il lui plat. Le motif mme pour lequel il agitnest, lui seul, ni suffisant, ni dterminant. Le patient est li la tlologie immanente fixe par lanature. () La frontire est la mme [pour le mdecin] que pour le patient ; cest celle qui est fixe par lejugement de la saine raison, qui est trace par les exigences de la loi morale naturelle, qui sedduit de la tlologie naturelle inscrite dans les tres et de lchelle des valeurs exprime par lanature des choses. [31] Lorsquil est impossible dacqurir une donne ou une certitude sur les possibilits de sonutilisation pratique sans une exprience dangereuse, et peut-tre mortelle, sur des hommes vivants,le but poursuivi ne suffit pas justifier cette exprience. [32] Ce refus de principe ne concerne pas le motif personnel de celui qui sengage, se sacrifie et serenonce au profit dun malade, ni le dsir de collaborer lavantage dune science srieuse, quiveut aider et servir. Sil sagissait de cela, la rponse affirmative irait de soi. Dans aucuneprofession, et en particulier dans celle de mdecin et dinfirmier, il ne manque de gens qui sontprts se consacrer totalement dautres et au bien commun. Mais il ne sagit pas de ce motif etde cet engagement personnel ; dans cette dmarche, il sagit en fin de compte de disposer dun biennon personnel, sans en avoir le droit. Lhomme nest que lusufruitier, non le possesseurindpendant et le propritaire de son corps, de sa vie et de tout ce que le Crateur lui a donn pourquil en use, et cela conformment aux fins de la nature. [33] On argumente alors en disant que, sil est permis, en cas de ncessit, de sacrifier un membre particulier (main, pied, il, oreille, rein, glande sexuelle) lorganisme de lhomme, il serait galement permis de sacrifier tel membre particulier lorganisme humanit (dans la personne

  • dun de ses membres, malade et souffrant). Le but que vise cette argumentation, remdier au mal dautrui, ou du moins de ladoucir, est comprhensible et louable, mais la mthode propose, et la preuve dont on lappuie, sont errones. On nglige ici la diffrence essentielle entre un organisme physique et un organisme moral, ainsi que la diffrence qualitative essentielle entre les relations des parties avec le tout dans ces deux types dorganismes. [34] La valeur morale de laction humaine dpend, en premier lieu, de son objet. Si celui-ci est immoral, laction lest aussi ; il ne sert rien dinvoquer le motif qui linspire ou le but quelle poursuit. () Ainsi une intervention quelconque du psychologue doit tre examine dabord dans son objet la lumire des indications donnes. () Mais il faut se garder de confondre le motif ou le but de laction avec son objet et de transfrer celui-ci une valeur morale qui ne lui revient pas. [35]

    Haut de page

    [1] La caractre unique et incontournable du magistre de Pie XII en la matire est confirm par les multiples citations quen a fait le magistre ultrieur ainsi que les auteurs spcialiss dans la morale mdicale (voir par exemple Thomas ODonnell sj, Medicine and Christian Morality, Alba House, New York, 19963). Le Dr. Thrse Gillaizeau-Amiot en prsentant le Centre Pie XII pour la morale du vivant constatait : On pourrait penser que les dcouvertes scientifiques intervenues depuis 50 ans ont rendu primes les analyses de Pie XII qui paraissaient lpoque novatrices et approfondies. Or, quand on tudie les grandes questions biomdicales daujourdhui, ce qui frappe dans lenseignement de Pie XII, cest lactualit et la justesse de ses analyses. Dailleurs en dpit du concile Vatican II, les Papes qui lui ont succd ont toujours fait rfrence son enseignement dans le domaine mdical. (Civitas, n 9, juin-aot 2003, p. 88)Dans le but dallger au maximum les notes de ce travail, sans rien sacrifier de leur clart, nous avons muni chaque discours de Pie XII utilis ici dun sigle, suivi dun numro en chiffre arabe. Ce dernier se rfre au numro de la page du tome correspondant des uvres compltes de Pie XII dites par les Editions Saint Maurice. Ceci afin de faciliter la recherche du texte et lanalyse de soncontexte. Voici les sigles utiliss :

    Haut de page ACH : Allocution au Congrs dHistopathologie, 14 septembre 1952AMA : Allocution aux Mdecins Allis, 30 janvier 1945AMM : Allocution la VIII Assemble de lAssociation Mdicale Mondiale, 30 septembre 1954CAP : Allocution au Congrs de lAssociation Internationale de Psychologie Applique, 10 avril 1958

    CDC : Allocution au Congrs de Chirurgie, 20 mai 1948CDU : Allocution au XXVI Congrs dUrologie, 8 octobre 1953

    CGI : Allocution au Ier Congrs International de Neuro-psycho-pharmacologie, 9 septembre 1958CMC : Allocution au Congrs des Mdecins Catholiques, 29 septembre 1949CMM : Allocution au XVI Congrs de Mdecine Militaire, 19 octobre 1953CTS : Allocution au VII Congrs International pour la Transfusion du Sang, 5 septembre 1958DDS : Allocution aux Donneurs de Sang, 9 septembre 1948

  • MPA : Allocution des Mdecins sur les Problmes Moraux de lAnalgsie, 24 fvrier 1957PDR : Allocution sur les Problmes de la Ranimation, 24 novembre 1957SCO : Allocution des Spcialistes de la Chirurgie de lil, 14 mai 1956USL : Allocution lUnion Mdico-biologique Saint Luc, 12 novembre 1944

    Haut de page [2] USL, 202

    [3] CMC, 411

    [4] CDC, 198-199

    [5] USL, 202-203

    [6] AMA, 46

    [7] ACH, 457-458

    [8] AMM, 391-392

    [9] MPA, 56-57

    [10] CGI, 494-495

    [11] Pie XI, Encyclique Casti Connubii, 31 dcembre 1931 (D.B. 2246, D.S. 3723)[12] USL, 202

    [13] AMA, 46

    [14] ACH, 462

    [15] AMM, 391-392

    [16] telos, telos en grec signifie fin.

    [17] ACH, 457-458 / 459

    [18] Pie XI, loc. cit.

    Haut de page [19] Chirurgica operatio, qu sterilizatio obtinetur, non quidem est actio intrinsece mala quoad substantiam actus et ideo licita esse potest, si quando ad salutem et sanitatem curandam est necessaria. Si autem ideo peragitur, ut prolis procreatio impediatur, est actio intrinsece mala ex defectu juris in agente, cum neque homo privatus neque auctoritas publica directum in membra corporis dominium habeat quod eo usque extendatur. (Dcret du Saint-Office, 11 aot 1936 ; D.S.3760)

    [20] ACH, 458 / 462-463

    [21] ACH, 462-463

    [22] CMM, 535

    [23] CGI, 495

    [24] ACH, 464

    [25] ACH, 458

    [26] CDC, 198-199

    [27] USL, 202-203

    [28] ACH, 459-460

  • [29] AMM, 391

    [30] CMC, 411

    [31] ACH, 457 / 459

    [32] CMM, 533

    [33] AMM, 391-392

    [34] SCO, 260-261

    [35] CAP, 190

    Haut de page

    II.- LE PRINCIPE DE TOTALITAinsi que nous lannoncions plus haut (n I-5), nous allons consacrer maintenant quelques efforts la comprhension du principe de totalit qui rgit le sacrifice ventuel que lhomme peut faire dunepartie de son corps pour sauver le tout.

    Haut de page1. Enonc du principe de totalitEn faisant appel au principe de totalit, Pie XII ninnovait en rien puisque ce principe avait dj tnonc en ces termes par S. Thomas dAquin : Puisque chaque membre est dans lensemble ducorps humain comme une partie dans un tout, il existe pour le tout, comme limparfait existe pourle parfait. On devra donc traiter un membre selon que le demande le bien de tout le corps. Or, si desoi un membre est utile au bien de tout le corps, il arrive cependant accidentellement quil soitnuisible ; ainsi un membre infect peut corrompre le corps tout entier. En consquence, un membresain et dans un tat normal ne peut tre coup sans que tout le corps en ptisse. [36] Sil servle ncessaire la sant du corps humain de couper un membre parce quil est infect etcorromprait les autres, une telle amputation sera indiscutablement lgitime et opportune. [37] LeDocteur Commun prcisait mme qu on ne peut couper un membre que sil ny a pas dautremanire dassurer le salut du corps entier. [38]

    Haut de page A son tour, Pie XII insistait plusieurs reprises sur lnonc de ce principe :

    [Le principe de totalit] affirme que la partie existe pour le tout, et que par consquent le bien de la partie reste subordonn au bien de lensemble ; que le tout est dterminant pour la partie et peut en disposer dans son intrt. Le principe dcoule de lessence des notions et des choses et doit par l avoir valeur absolue. Respect au principe de totalit en soi ! Cependant afin de pouvoir lappliquer correctement, il faut toujours expliquer dabord certains prsupposs. Le prsuppos fondamental est de mettre au clair la quaestio facti, la question de fait : les objets, auxquels le principe est appliqu, sont-ils dans le rapport de tout partie ? Un deuxime prsuppos : mettre au clair la nature, lextension etltroitesse de ce rapport. Se place-t-il sur le plan de lessence, ou seulement sur celui de laction, ou sur les deux ? Sapplique-t-il la partie sous un aspect dtermin ou sous tous ses rapports ? Etdans le champs o il sapplique, absorbe-t-il entirement la partie ou lui laisse-t-il encore une finalit limite, une indpendance limite ? La rponse ces questions ne peut jamais tre infre du principe de totalit lui-mme : celaressemblerait un cercle vicieux. Elle doit se tirer dautres faits et dautres connaissances. Leprincipe de totalit lui-mme naffirme rien que ceci : l o se vrifie la relation de tout partie,dans la mesure exacte o elle se vrifie, la partie est subordonne au tout, celui-ci peut, dans son

  • intrt propre, disposer de la partie. Trop souvent, hlas ! quand on invoque le principe de totalit,on laisse de ct ces considrations : non seulement dans le domaine de ltude thorique et lechamp dapplication du droit, de la sociologie, de la physique, de la biologie et de la mdecine,mais aussi en logique, psychologie et mtaphysique. [39] Bien que limit, le pouvoir de lhomme sur ses membres et sur ses organes est un pouvoir direct, parce quils sont parties constitutives de son tre physique. Il est clair, en effet, que leur diffrenciation dans une parfaite unit nayant pas dautre but que le bien de lorganisme physique tout entier, chacun de ces organes et de ces membres peut tre sacrifi, sil met le tout en un pril quon ne pourrait conjurer autrement. [40]

    Haut de page Parce quil est usufruitier et non propritaire, [lhomme] na pas un pouvoir illimit de poser des actes de destruction ou de mutilation de caractre anatomique ou fonctionnel. Mais, en vertu du principe de totalit, de son droit dutiliser les services de lorganisme comme un tout, il peut disposer des parties individuelles pour les dtruire ou les mutiler, lorsque et dans la mesure o cestncessaire pour le bien de ltre dans son ensemble, pour assurer son existence, ou pour viter, et, naturellement, pour rparer des dommages graves et durables, qui ne pourraient tre autrement ni carts ni rpars. [41] La conclusion que Nous venons de tirer se dduit du droit de disposition que lhomme a reu du Crateur lgard de son propre corps, daccord avec le principe de totalit, qui vaut ici aussi, et en vertu duquel chaque organe particulier est subordonn lensemble du corps et doit se soumettre lui en cas de conflit. Par consquent, celui qui a reu lusage de tout lorganisme a le droit de sacrifier un organe particulier, si son maintien ou son fonctionnement cause au tout un tortnotable, quil est impossible dviter autrement. [42] Le patient, de son ct, lindividu lui-mme, na le droit de disposer de son existence, de lintgrit de son organisme, des organes particuliers et de leur capacit de fonctionnement que dans la mesure o le bien de tout lorganisme lexige. [43] Il peut se faire quen exerant son droit dusufruitier, [lhomme] mutile ou dtruise une part de lui-mme, parce que cest ncessaire pour le bien de tout lorganisme. En cela, il nempite pas sur les droits divins, puisquil nagit que pour sauvegarder un bien suprieur, pour conserver la vie, par exemple. Le bien du tout justifie alors le sacrifice de la partie. [44]Retenons quelques points importants de ces nombreux textes :

    La relation de tout partie doit tre bien prcise avant dappliquer le principe de totalit ;

    Le sacrifice de la partie nest permis que sil ny a pas dautre moyen de sauver le tout ;

    Lapplication du principe de totalit au corps humain nempite pas sur les droits divins.

    Haut de page2. Lorganisme humain est un tout physique qui subsiste en soi.Afin de pntrer plus fond ce principe de totalit et son application au corps humain, Pie XIIinsiste sur la nature physique de ce tout qui subsiste en soi. Les organes et fonctions du corpshumain nexistent que par et pour le bien de tout le corps humain individuel :

    Tandis que dans un corps naturel le principe dunit unit les parties de telle sorte que chacunemanque entirement de ce quon appelle subsistance propre, dans le Corps Mystique, au contraire,la force de leur conjonction mutuelle, bien quintime, relie les membres entre eux de manire laisser chacun jouir absolument de sa propre personnalit. [45] Bien que limit, le pouvoir de lhomme sur ses membres et sur ses organes est un pouvoir direct,parce quils sont parties constitutives de son tre physique. Il est clair, en effet, que leurdiffrenciation dans une parfaite unit nayant pas dautre but que le bien de lorganisme physique

  • tout entier, chacun de ces organes et de ces membres peut tre sacrifi, sil met le tout en un prilquon ne pourrait conjurer autrement. [46] Lorganisme physique des tres vivants, des plantes, des animaux ou de lhomme possde en tant que tout une unit qui subsiste en soi ; chacun des membres, par exemple la main, le pied, le cur, lil est une partie intgrante, destine par tout son tre sinsrer dans lensemble de lorganisme. Hors de lorganisme, il na, par sa nature propre, aucun sens, aucune finalit ; il est entirement absorb par la totalit de lorganisme auquel il se relie. () Que sensuit-il pour lorganisme physique ? Le matre et lusufruitier de cet organisme, quipossde une unit subsistante, peut disposer directement et immdiatement des parties intgrantes,les membres et les organes, dans le cadre de leur finalit naturelle ; il peut intervenir galement,aussi souvent et dans la mesure o le bien de lensemble le demande, pour en paralyser, dtruire,mutiler, sparer les membres. [47] Lorganisme physique de lhomme est un tout quant ltre ; les membres sont des parties unieset relies entre elles quant ltre physique mme ; ils sont tellement absorbs par le tout, quils nepossdent aucune indpendance, ils nexistent que pour lorganisme total et nont dautre fin que lasienne. () Quant leur tre physique, les individus ne sont en aucune faon dpendants les uns des autres ni de lhumanit ; lvidence immdiate et le bon sens dmontrent la fausset de lassertion contraire. [48]

    Haut de page3. La socit est un tout moral qui jouit dune unit de finalit et daction.Au contraire du corps humain qui est un tout physique qui subsiste en soi, la socit humaine est untout moral qui jouit dune unit de finalit et daction. Lunit du corps social nest pas une unitphysique, mais une unit dordre vers le bien commun :

    Bien diffrent est le cas de la socit, laquelle nest pas un tre physique dont les parties seraient les individus, mais une simple communaut de fin et daction ; ce titre, elle peut exiger de ceux qui la composent et sont appels ses membres, tous les services quexige le vritable bien commun. Telles sont les bases sur lesquelles doit tre fond tout jugement concernant la valeur morale des actes et des interventions, permis ou imposs par les pouvoirs publics sur le corps humain, sur la vie et lintgrit de la personne. [49] Il en va tout autrement dans la communaut morale et dans chaque organisme de caractre purement moral. Le tout na pas ici dunit qui subsiste en soi, mais une simple unit de finalit et daction. Dans la communaut, les individus ne sont que collaborateurs et instruments pour la ralisation du but communautaire. () Mais par contre quand le tout ne possde quune unit de finalit et daction, son chef, cest--dire dans le cas prsent, lautorit publique, dtient sans doute une autorit directe et le droit de poser des exigences lactivit des parties, mais en aucun cas il ne peut disposer directement de son tre physique. Aussi toute atteinte directe son essence constitue un abus de comptence de lautorit. [50] Il en va tout autrement pour lorganisme moral quest lhumanit. Celui-ci ne constitue un tout que quant lagir et la finalit ; les individus, en tant que membres de cet organisme ne sont que des parties fonctionnelles ; le tout ne peut donc poser leur gard que des exigences concernant lordre de laction. () Lextirpation dun organe particulier serait un cas dintervention directe, non seulement sur la sphre daction de lindividu, mais aussi principalement sur celle de son tre, de la part dun tout purement fonctionnel : humanit, socit, tat, auquel lindividu humain est incorpor comme membre fonctionnel et quant lagir seulement. [51]

    Haut de page 4. Le principe de totalit ne donne ltat aucun pouvoir sur le corps et les organes des

  • citoyens.De cette diffrence entre le tout du corps humain, qui est de lordre de ltre (tout substantiel), et letout de la socit, qui est de lordre de laction (tout accidentel)[52], il sensuit que ltat qui dirigela socit ne peut exiger quun homme sacrifie lun de ses membres physiques pour le bien de lasocit. Le Souverain Pontife condamne ici une interprtation outre du principe de totalit que lesrgimes totalitaires du XX sicle ont tristement illustr[53] :

    [Lhomme] dtient le droit sur son propre corps et sur sa vie, non [de la socit], mais duCrateur, et cest au Crateur quil rpond de lusage quil en fait. () Bien que limit, le pouvoirde lhomme sur ses membres et sur ses organes est un pouvoir direct, parce quils sont partiesconstitutives de son tre physique. [54] Lautorit publique na en gnral aucun droit direct disposer de lexistence et de lintgritdes organes de ses sujets innocents. () La communaut politique nest pas un tre physiquecomme lorganisme corporel, mais un tout qui ne possde quune unit de finalit et daction ;lhomme nexiste pas pour ltat, mais ltat pour lhomme. [55] Pour dmontrer que lextirpation dorganes ncessaires la transplantation faite dun vivant lautre est conforme la nature et licite, on la met sur le mme pied que celle dun organe physiquedtermin faite dans lintrt dun organisme physique total. Les membres de lindividu seraient considrs ici comme parties et membres de lorganisme total que constitue lhumanit, de la mme manire ou presque- quils sont partie de lorganisme individuel de lhomme. On argumente alors en disant que, sil est permis, en cas de ncessit, de sacrifier un membre particulier (main, pied, il, oreille, rein, glande sexuelle) lorganisme de lhomme, il serait galement permis de sacrifier tel membre particulier lorganisme humanit (dans la personne dun de ses membres malade et souffrant). Le but que vise cette argumentation, remdier au mal dautrui, ou du moins de ladoucir, est comprhensible et louable, mais la mthode propose, et la preuve dont on lappuie, sont errones. On nglige ici la diffrence essentielle entre un organisme physique et un organisme moral, ainsi que la diffrence qualitative essentielle entre les relations des parties avec le tout dans ces deux types dorganismes. () Lextirpation dun organe particulier serait un cas dintervention directe, non seulement sur la sphre daction de lindividu, mais aussi principalement sur celle de son tre, de la part dun tout purement fonctionnel : humanit, socit, tat, auquel lindividu humain est incorpor comme membre fonctionnel et quant lagir seulement. [56]La socit, qui est un tout dordre, oriente les individus vers le bien commun sans les absorber ni leur enlever lopration propre quils ralisent hors de lopration du tout. [57]

    Haut de page5. Ltat ne saurait transfrer au mdecin un pouvoir quil ne possde pas lui-mme sur lecorps des individusSi donc, comme nous lavons vu au n II-11, ltat qui gouverne la socit na pas de pouvoir surles organes physiques des hommes qui la composent, il ne saurait transmettre aux mdecins unpouvoir quil ne possde pas, que ce soit des fins de recherche ou de thrapie :

    Or, les interventions mdicales dont il sagit ici atteignent immdiatement et directement ltre physique, soit de lensemble, soit des organes particuliers de lorganisme humain. Mais en vertu duprincipe prcit, le pouvoir public na en ce domaine aucun droit ; il ne peut donc pas le communiquer aux chercheurs et aux mdecins. () Mme quand il sagit de lexcution dun condamn mort, ltat ne dispose pas du droit de lindividu la vie. Il est rserv alors au pouvoir public de priver le condamn du bien de la vie en expiation de sa faute, aprs que, par son crime, il sest dj dpossd de son droit la vie. [58] Lautorit publique na en gnral aucun droit direct disposer de lexistence et de lintgrit

  • des organes de ses sujets innocents. La question des peines corporelles et de la peine de mort, Nous ne lexaminons pas ici, puisque Nous parlons du mdecin, non du bourreau.- Comme ltat ne dtient pas ce droit direct de disposition, il ne peut donc pas le communiquer au mdecin pour quelque motif ou but que ce soit. [59]

    Haut de pageConclusion partielle

    Nous voil donc arriv au point de conclure la premire partie de notre tude dvaluation sur lesgreffes, transplantations et dons dorganes. Quon ne croit pas que nous nous soyons gars dansdes considrations accidentelles ou priphriques. Tout ce que nous avons nonc plus haut, en nousappuyant sur des textes du magistre de lglise (surtout du pape Pie XII), nous servira plus loinafin de dmontrer la moralit ou limmoralit de telle ou telle pratique contemporaine en matire degreffe et de transplantation.

    En guise de conclusion, reprenons les conclusions auxquelles nous sommes arrivs jusquici :

    Haut de page 1 Dieu est le matre du corps humain.

    2 Lhomme est usufruitier et non propritaire de son corps.

    3 Lusage des membres du corps humain est rgl par leur finalit naturelle.

    4 Lusufruitier peut sacrifier une partie du corps humain pour sauver le tout.

    5 Le sacrifice de la partie en faveur du tout relve du principe de totalit.

    8 nonc du principe de totalit.

    9 Lorganisme humain est un tout physique qui subsiste en soi.

    10 La socit est un tout moral qui jouit dune unit de finalit et daction.

    11 Le principe de totalit ne donne ltat aucun pouvoir sur le corps et les organes des citoyens.

    12 Ltat ne saurait transfrer au mdecin un pouvoir quil ne possde pas lui-mme sur les corpsdes individus.

    6 Les mmes principes obligent lindividu, ses parents, son conjoint ou son mdecin.

    7 Ici, pas plus quailleurs, la fin (ou lintention) ne justifie les moyens.

    Haut de page

    Dans le but dallger au maximum les notes de ce travail, sans rien sacrifier de leur clart, nous avons muni chaque discours de Pie XII utilis ici dun sigle, suivi dun numro en chiffre arabe. Ce dernier se rfre au numro de la page du tome correspondant des uvres compltes de Pie XII dites par les Editions Saint Maurice. Ceci afin de faciliter la recherche du texte et lanalyse de soncontexte. Voici les sigles utiliss :

    ACH : Allocution au Congrs dHistopathologie, 14 septembre 1952AMA : Allocution aux Mdecins Allis, 30 janvier 1945AMM : Allocution la VIII Assemble de lAssociation Mdicale Mondiale, 30 septembre 1954CAP : Allocution au Congrs de lAssociation Internationale de Psychologie Applique, 10 avril 1958

  • CDC : Allocution au Congrs de Chirurgie, 20 mai 1948CDU : Allocution au XXVI Congrs dUrologie, 8 octobre 1953

    CGI : Allocution au Ier Congrs International de Neuro-psycho-pharmacologie, 9 septembre 1958CMC : Allocution au Congrs des Mdecins Catholiques, 29 septembre 1949CMM : Allocution au XVI Congrs de Mdecine Militaire, 19 octobre 1953CTS : Allocution au VII Congrs International pour la Transfusion du Sang, 5 septembre 1958DDS : Allocution aux Donneurs de Sang, 9 septembre 1948MPA : Allocution des Mdecins sur les Problmes Moraux de lAnalgsie, 24 fvrier 1957PDR : Allocution sur les Problmes de la Ranimation, 24 novembre 1957SCO : Allocution des Spcialistes de la Chirurgie de lil, 14 mai 1956USL : Allocution lUnion Mdico-biologique Saint Luc, 12 novembre 1944

    Haut de page[35] CAP, 190

    [36] Cum membrum aliquod sit pars totius humani corporis, est propter totum, sicut imperfectum propter perfectum. Unde disponendum est de membro humani corporis secundum quod expedit toti.Membrum autem humani corporis per se quidem utile est ad bonum totius corporis : per accidens tamen potest contingere quod sit nocivum, puta cum membrum putridum est totius corporis corruptivum. Si ergo membrum sanum fuerit et in sua naturali dispositione consistens, non potest prscidi absque totius corporis detrimento. (II-II, 65, 1c)[37] Si saluti totius corporis humani expediat prcisio alicujus membri, puta cum est pudridum etcorruptivum aliorum, laudabiliter et salubriter abscinditur. (II-II, 64, 2c). On peut trouver de nombreuses mentions du principe de totalit qui parsment luvre de S. Thomas dAquin dans Jean Madiran, Le Principe de Totalit, N.E.L., Paris, 1963, p. 12-14.[38] Membrum non est prescindendum propter corporalem salutem totius nisi quando aliter toti subveniri non potest. (II-II, 65, 1, ad. 3)[39] ACH, 463-464

    [40] USL, 204

    [41] ACH, 457-458

    [42] CDU, 493

    [43] CMM, 535

    [44] CGI, 495

    Haut de page [45] Pie XII, Encyclique Mystici Corporis, 29 juin 1943 (D.S. 3810)[46] USL, 204

    [47] ACH, 462-463

    [48] SCO, 261

    [49] USL, 204

    [50] ACH, 462-463

    [51] SCO, 261

  • [52] Sur la diffrence entre tout substantiel et tout accidentel, voir Jean Madiran, op. cit., p. 39-46

    [53] Jean Madiran, op. cit., p. 19-23

    [54] USL, 203

    [55] CMM, 535

    [56] SCO, 260-261

    Haut de page [57] Cf. Saint Thomas dAquin, Commentaire sur lEthique Nicomaque, Lib. I, lect. 1, n 5 : Il faut savoir que ce tout quest la foule civile ou la famille domestique na quune unit dordre, de sorte quil nest pas quelque chose dabsolument un. Cest pourquoi la partie de son tout peut avoir une opration qui nest pas lopration du tout, comme le soldat dans larme a uneopration qui nest pas celle de toute larme. Cependant, le tout a lui aussi une opration qui nestpas propre lune ou lautre de ses parties mais au tout, par exemple le combat de toute larme. Mais il y a des touts qui ont une unit non seulement dordre mais aussi de composition ou de coalition, ou encore de continuit, unit qui fait que quelque chose est absolument tout, et alors il ny a aucune opration de la partie qui ne soit au tout. Voir les commentaires de Jean Madiran, op. cit., p. 43-46 et du R.P. Julio Meinvielle, Critique de la Conception de Maritain sur la Personne Humaine, Ecne, s.d. : La comparaison avec larme nous amne lide du tout dordre, qui est la socit politique, dans lequel la partie a une opration propre, en dehors de lopration du tout. (p. 74) La socit politique, dont la venue est postrieure lexistence des personnes singulires, de la famille et des socits infrieures, ne supprime pas ce quelles taient et ce quelles possdaient. Elle respecte donc leur ordre, leur causalit et leur fin. Elle respecte leurs droits et leurs obligations. Mais elle sagrge elles, comme un ordre nouveau et plus parfait, de causalit plus universelle ; elle sagrge en subordonnant leurs fins sa fin propre fin dune autre catgorie, avec une autre orbite, lorbite du Bien commun complet et omnisuffisant dans le domaine naturel-, et sa causalit leur causalit. (p. 85) Cest pourquoi [Aristote] a soulign avec tant de force que le tout de la socit domestique et de la socit civile nest pas un unum per se mais un tout avec unit dordre, lintrieur duquel chaque partie conserve sa propre opration, hors de lopration du tout. (p. 142) Mais ltat ne peut lgitimement prescrire que le bien de ce tout quest un tout avec unit dordre. De la sorte, il est limit non seulement par lide de bien honnte, mais encore par celle dutout dordre qui ne supprime ni nabsorbe mais canalise ou oriente vers sa fin propre universelle les oprations propres particulires de ses composants. (p. 151)[58] ACH, 463

    [59] CMM, 535

    Haut de page

    III VALUATION MORALEDES GREFFES ET TRANSPLANTATIONS.

    1.- Divers types de transplants

    Haut de page 1.1.- Du point de vue mdical. [60]

  • Daprs les types de transplant, on peut classer les diffrentes sortes de transplantations de la manire suivante :

    On doit compter en premier lieu les transplantations intracellulaires. Ainsi la transfusion dADN au moyen de virus slectionns, technique que lon cherche raliser en vue de la thrapie gnique[61].

    Se prsentent ensuite les transplantations cellulaires, auxquelles on peut associer les transplantations de tissus : simple transfusion sanguine, greffe de peau, dos, de tendon, de corne, de nerf, dartre, etc.

    Puis viennent les transplantations dorganes proprement dits : un organe complet prlev sur lecorps du donneur est implant dans lorganisme du receveur o il assurera sa fonction vitale. Lesplus connues sont celles du rein, du cur et mme du foie. On greffe parfois un groupe dorganes,par exemple lensemble cur-poumon (au moins poumon gauche).

    Enfin, existent maintenant les greffes ou transferts dembryons qui amnent ces petits organismes complets se dvelopper dans un milieu qui nest pas celui de leur filiation. Mais cette dernire technique relve dautres principes dont nous ne parlerons pas ici.

    Haut de page 1.2.- Du point de vue moral.Dans un discours aux spcialistes de la chirurgie de lil, le pape Pie XII distinguait les diffrents types de greffes comme suit :

    La terminologie, que nous avons trouve dans les rapports et dans les textes imprims, distingue : autogreffe, transfert de tissus dune partie lautre du corps dun seul et mme individu ; homogreffe, transfert de tissus dun individu un autre de la mme espce (cest--dire ici dhomme homme) ; htrogreffe, transfert de tissus entre deux individus despces diffrentes (cest--dire entre un animal et un organisme humain). [62]Nous reprendrons cette division tripartite en essayant de prciser au cas par cas les principes en cause et lvaluation morale de chaque technique mdicale.

    2.-Autogreffes Haut de page

    2.1.- DfinitionLa premire catgorie de greffe est lautogreffe o le donneur et le receveur sont identiques. Il va sans dire quil ne sagit jamais dorganes, mais de greffes de tissus (sang, peau, vaisseaux, extrmits, etc.). Trs couramment pratiques, ces greffes donnent des rsultats constants et forts apprciables.

    tant donn que le donneur et le receveur sont identiques, il ny a pas pour les autogreffes de problmes immunologiques[63]. Lorganisme na pas se dfendre contre un tissu issu dune autre personne : les problmes de rejet que nous rencontrerons ailleurs nexistent pas ici.

    Haut de page 2.2.- Application du principe de totalit.Quant laspect moral des autogreffes, il est rsolu positivement par une application stricte du principe de totalit tel quexpliqu plus haut (II-8) :

  • En vertu du principe de totalit, de son droit dutiliser les services de lorganisme comme un tout,[lhomme] peut disposer des parties individuelles pour les dtruire ou les mutiler, lorsque et dans la mesure o cest ncessaire pour le bien de ltre dans son ensemble, pour assurer son existence, ou pour viter, et, naturellement, pour rparer des dommages graves et durables, qui ne pourraient tre autrement ni carts ni rpars. [64]

    Haut de page 2.3.- Conditions de licitHabituellement, le principe de totalit sert justifier les interventions mutilantes qui ont pour but deconserver ou sauver le corps entier, en sacrifiant une partie malade en elle-mme.

    Cest aussi vrai lorsquune partie est nocive pour tout le corps :

    Le point dcisif ici nest pas que lorgane amput ou paralys soit malade lui-mme, mais que son maintien ou son fonctionnement entrane directement ou indirectement pour tout le corps une menace srieuse. Il est trs possible que, par son fonctionnement normal, un organe sain exerce surun organe malade une action nocive de nature aggraver le mal et ses rpercussions sur tout le corps. Il peut se faire aussi que lablation dun organe sain et larrt de son fonctionnement normalenlve au mal, au cancer par exemple, son terrain de croissance ou, en tout cas, altre essentiellement ses conditions dexistence. Si lon ne dispose daucun autre moyen, lintervention chirurgicale sur lorgane sain est permise dans les deux cas. [65]

    Haut de page Quil sagisse de sacrifier une partie malade en elle-mme ou nocive pour le tout, cette mutilation est alors permise aux conditions suivantes :

    Trois choses conditionnent la licit morale dune intervention chirurgicale qui comporte une mutilation anatomique ou fonctionnelle : 1) Dabord le maintien ou le fonctionnement dun organe particulier dans lensemble de lorganisme provoque en celui-ci un dommage srieux ou constitue une menace ; 2) Ensuite que ce dommage ne puisse tre vit, ou du moins notablement diminu que par la mutilation en question et que lefficacit de celle-ci soit bien assure ; 3) Finalement, quon puisse raisonnablement escompter que leffet ngatif, cest--dire la mutilation et ses consquences, sera compens par leffet positif : suppression du danger pour lorganisme entier, adoucissement des douleurs, etc. () Par consquent, celui qui a reu lusage de tout lorganisme a le droit de sacrifier un organe particulier, si son maintien ou son fonctionnement cause au tout un tort notable, quil est impossible dviter autrement. [66]

    Haut de page On peut lgitimement tendre ces explicitations du principe de totalit au cas des autogreffes : il sagit alors de compenser les dommages corporels subis par accident ou maladie grce laide fournie par une autre partie du mme corps. La licit morale dune telle autogreffe dcoulera mutatis mutandis[67] du respect des mmes conditions donnes par Pie XII pour la justification morale de la mutilation :

    1) Le danger ou le dommage est srieux et rel pour le corps entier ;

    2) Lautogreffe est un moyen ncessaire et efficace ;

    3) Leffet positif de lautogreffe compense leffet ngatif du prlvement.

    Haut de page Sil est permis damputer un membre gangren pour conserver la vie de tout le corps, il sera aussi

  • permis :

    de retirer des lamelles de peau pour les greffer sur les parties brles,

    damputer un orteil pour remplacer un doigt perdu ou malform,

    de greffer temporairement une main sur la jambe en attendant sa rimplantation in situ dans des conditions optimales,

    de retirer des veines du pied pour procder un pontage coronarien,

    de prendre des tendons du talon dAchille pour les greffer dans le mnisque du genou,

    de prendre de los du tibia pour reconstituer une tte de fmur,

    dutiliser une partie de lintestin grle pour reconstituer une vessie,

    de rallonger lintestin grle avec un bout du gros intestin,

    de transfrer des cheveux de la rgion occipitale vers le front en cas de calvitie.

    On trouverait de nombreux autres exemples dans la chirurgie reconstructive rendue ncessaire aprsun accident (reconstruction du front, de la mchoire, etc.).

    3.- Homogreffes Haut de page

    3.1.- Introductiona) DfinitionDans les homogreffes, le donneur et le receveur appartiennent la mme espce animale, mais sont des individus diffrents, en loccurrence ici des hommes.

    Au point de vue mdical, elles font lobjet dune difficult trs spciale et inconnue des prcdentesautogreffes, celle de limmunologie[68]. De mme que la transfusion sanguine ne se pratique que si les groupes sanguins sont compatibles (A, B, O et facteur rhsus), de mme tout tissu vivant et a fortiori tout organe nest compatible avec un autre corps vivant qu des conditions trs prcises, celles de limmunit.

    Haut de page b) Pas dapplication du principe de totalit. la diffrence des autogreffes, les homogreffes ne sauraient tre justifies par le principe de totalit. En effet, le principe de totalit rgit les obligations de lhomme envers son corps, ses membres, ses organes et ses fonctions. Or, ici, il sagit de transplanter un tissu ou un organe dun homme (vivant ou mort) un vivant sans quintervienne une relation de partie tout.

    plus forte raison, ne saurait-on appliquer ici la version totalitaire du principe de totalit, rfute par Pie XII (cf. II-9 11).

    Haut de page c) Distinguer selon que le donneur est vivant ou mort.Afin de clarifier les choses, nous distinguerons les transplantations qui se font entre vivants et cellesqui se font dun cadavre un vivant. En effet, si le vivant a des devoirs de justice et de charit, le cadavre, lui, a cess dtre un sujet humain.

    Les principes mis en cause tant diffrents, nous traiterons successivement des homogreffes entre vivants (3.1), puis des homogreffes dun cadavre un vivant (3.2).

    Haut de page

  • 3.2.- Les homogreffes entre vivants Les homogreffes entre vivants ont-elles t rprouves par Pie XII ?Certains ont cru voir dans ce passage dun discours de Pie XII une rprobation des homogreffes entre vivants :

    Pour dmontrer que lextirpation dorganes ncessaires la transplantation faite dun vivant lautre est conforme la nature et licite, on la met sur le mme pied que celle dun organe physiquedtermin faite dans lintrt dun organisme physique total. Les membres de lindividu seraient considrs ici comme parties et membres de lorganisme total que constitue lhumanit, de la mme manire -ou presque- quils sont partie de lorganisme individuel de lhomme. On argumentealors en disant que, sil est permis, en cas de ncessit, de sacrifier un membre particulier (main, pied, il, oreille, rein, glande sexuelle) lorganisme de lhomme, il serait galement permis de sacrifier tel membre particulier lorganisme humanit (dans la personne dun de ses membres malade et souffrant). Le but que vise cette argumentation, remdier au mal dautrui, ou du moins de ladoucir, est comprhensible et louable, mais la mthode propose, et la preuve dont on lappuie, sont errones. On nglige ici la diffrence essentielle entre un organisme physique et un organisme moral, ainsi que la diffrence qualitative essentielle entre les relations des parties avec le tout dans ces deux types dorganismes. [69]Or, il nen est rien, car ds le dbut de ce discours, le pape affirmait vouloir parler dans ce discoursdes greffes entre un cadavre et un vivant :

    Nous nous limitons aux aspects religieux et moraux de la transplantation de la corne, non entredes hommes vivants (de celle-ci Nous ne parlerons pas aujourdhui), mais du corps mort sur levivant. [70]Il fait toutefois une parenthse dans son discours pour rfuter une fausse justification deshomogreffes entre vivants : appliquer le principe de totalit de telle sorte que lEtat, la socit oulhumanit pourraient requrir de certains hommes le sacrifice dun membre pour le bien dautreshommes. En ralit, cest ce totalitarisme mdical qui est fltri par la mise au point du SouverainPontife, pas les homogreffes entre vivants.

    Haut de page 3.2.1. Pas dapplication du principe de totalitLa question de la moralit des homogreffes est particulirement dlicate dans la mesure o elles nese justifient pas par le principe de totalit :

    Dans le domaine des transplantations organiques le problme le plus pineux concerne lhomogreffe vitale, ou transplantation homologue entre vivants, qui se dfinit comme la transplantation dune partie dun corps humain vivant une autre personne vivante. Au milieu du sicle, les transplantations russies du rein entre vrais jumeaux ainsi que les efforts de la recherche sur le phnomne des rejets dans les greffes de tissus accrurent lintrt pour les homogreffes vitales ; en sorte que de nouveaux problmes se prsentrent pour la thologie et la loicivile. Les thologiens se demandrent comment concilier la mutilation chirurgicale du donneur avec le principe de totalit qui enseigne que, dans le cadre de lordre juste, les parties du corps sont ordonnes au bien de ce corps et ce de manire plutt exclusive. Les transfusions de sang ne prsentrent pas de rel problme en raison du remplacement immdiat de ce tissu ; loppos, lextraction positive dun rein, destin tre transplant chez quelquun dautre, prsentait des difficults. [71]

    Haut de page 3.2.2. Les homogreffes lsent-elles le principe de totalit chez le donneur ?

  • Essayons de saisir la difficult pose par les homogreffes entre vivants.

    Selon les principes tant de fois rappels par le pape Pie XII, cest Dieu qui a le souverain domaine sur la vie humaine en tant que Crateur (I-1) et lhomme na que lusufruit de son corps, de ses organes et de ses fonctions (I-2). Si lapplication du principe de totalit aux autogreffes ne reprsente pas de difficult particulire de comprhension, on ne saurait en dire autant des homogreffes :

    La distinction entre administration et proprit est ici aussi difficile quimportante circonscrire.Dans la mesure o le danger li aux exprimentations augmente, on atteint le point o tout lobjet moral change et o un acte, qui pouvait tre class parmi ceux de sage administration et licite, devient un acte compltement diffrent, propre exclusivement au propritaire absolu, et comme tel usurpation immorale dune prrogative exclusivement divine. [72]

    Haut de page En sacrifiant lun de ses organes ou de ses tissus pour autrui, lhomme ne ferait-il pas usage dun droit de proprit qui ne lui appartient pas, selon les propres termes de Pie XII : Dans cette dmarche, il sagit en fin de compte de disposer dun bien non personnel, sans en avoir le droit. Lhomme nest que lusufruitier, non le possesseur indpendant et le propritaire de son corps, de sa vie et de tout ce que le Crateur lui a donn pour quil en use, et cela conformment aux fins de la nature [73] ?Ne mutilerait-il pas ce corps qui lui a t confi pour quil en fasse usage selon les finalits naturelles de chaque organe, alors quaucun mal viter ou bien acqurir ne viendrait justifier unetelle mutilation ?

    Nest-ce pas le sens des avertissements du Pasteur Anglique contre certaines expriences mdicales : Le patient na donc pas le droit dengager son intgrit physique et psychique en des expriences ou recherches mdicales, quand ces interventions entranent avec ou aprs elles des destructions, mutilations, blessures ou prils srieux [74] ?Donner autrui une partie de son corps, nest-ce pas dj poser des actes de destruction ou de mutilation de caractre anatomique ou fonctionnel. [75] ? Trois cas o le sacrifice dun bien corporel en faveur du prochain sont explicitement permis.

    Face ces doutes, il faut pourtant rappeler quelques faits qui nous conduirons prciser jusquo stend le droit dusage qua lhomme sur son propre corps et ses organes.

    Haut de page a) Le don du sangMentionnons tout dabord les encouragements prodigus par le pape Pie XII aux donneurs de sang :

    Le cas est analogue celui de la transfusion sanguine : cest un mrite pour le donneur de refuser un ddommagement ; ce nest pas ncessairement un dfaut de laccepter. [76]Certes, le pape examine ici la licit du ddommagement pour le donneur de sang et ne dit rien du don lui-mme. Mais, il nest pas difficile de voir que si, aux yeux du Pontife, le don du sang tait ensoi immoral, il naurait pu conclure la licit de son ddommagement pcuniaire.

    Cette conclusion trouve sa confirmation dans les paroles que le Pontife adressa directement aux donneurs de sang, en les comparant au Christ qui rpandit son Sang pour le salut de lhumanit :

    Votre nom de volontaires du sang vous donne, chers fils, dj lui-mme un titre spcial Notre accueil paternel. Un titre spcial, car lorsque Nous jetons le regard sur votre groupe si nombreux, Nous voyons en esprit et adorons le souverain et divin Donneur de son sang, Jsus, Rdempteur, Sauveur, Vivificateur des hommes. Modle de toute charit, Il est le vtre dune manire toute particulire. () Donner son propre

  • sang pour la sant dinconnus ou mme dingrats, qui oublieront peut-tre ou ne chercheront mmepas connatre le nom et les traits du visage de leur sauveur ; faire don de sa propre vigueur uniquement pour communiquer ou rendre dautres celle quils ont perdue ; ne rtablir ses forces puises que pour recommencer et renouveler le mme don et le mme sacrifice : telle est luvre laquelle vous vous tes gnreusement vous. [77]Dans un autre discours, Pie XII parle du remde que constituent les transfusions sanguines sans mettre aucune rserve dordre moral, mme si leur efficacit est en loccurrence douteuse :

    La thrapeutique la plus attentive ne pourra que prolonger une vie de malaises et de souffrances ;malgr de nombreuses transfusions de sang, qui reprsentent pour les familles une charge trs coteuse, lissue fatale sera invitable. [78]

    Haut de page b) La csarienne au profit de lenfant natreDautre part, les auteurs ne voient aucune objection grave ce que soit permise la csarienne de la mre, qui est une mutilation, quand cela est requis par le bien de lenfant natre :

    Dailleurs, le commun des moralistes a depuis longtemps approuv et reconnu lobligation pour la mre de se soumettre, dans certaines conditions, une csarienne pour le bien de son enfant natre. Il sagit l certainement dune mutilation directe recherche pour le bien dun tiers et base sur la loi de la charit. [79]Ils sappuient sur le dcret du Saint-Office du 4 mai 1898 :

    Qu. 2 : Lorsque ltroitesse du bassin maternel est telle quil nest mme pas possible de recourir laccouchement prmatur, est-il permis de recourir lavortement ou la csarienne au moment opportun ? Rp. 2 : A la premire partie : Non, conformment au dcret du 14 juillet 1895 touchant linterdiction de lavortement. la seconde partie : rien nempche la femme de subir lopration csarienne en temps opportun. [80]

    Certains argumenteront que ce qui rend moralement licite le don du sang et la csarienne, cest leur caractre temporaire puisque le sang se reconstitue et que la matrice se cicatrise. Cet argument ne nous semble pas convaincant car si lhomme navait vraiment aucun pouvoir sur son corps, hormis les soins ncessaires sa conservation (selon le principe de totalit), il ne pourrait mme pas procder des mutilations rversibles ou temporaires[81].

    Haut de page c) Certains prlvements de corne sur les vivantsIl faut affirmer la mme chose du cas mentionn par un autre auteur[82] : celui du prlvement de lacorne dun vivant (ayant perdu irrmdiablement lusage de son il) pour la greffer sur le prochain. Ici aussi, il y a atteinte lintgrit matrielle du corps du donneur, laquelle serait moralement illicite si lhomme navait dautre pouvoir sur son corps que le strict usage.

    Haut de page3.2.3. Lhomogreffe et la charitLa solution nous semble devoir tre recherche ailleurs, cest--dire du ct de la charit fraternelle qui conduit sacrifier du mien pour venir en aide au prochain. Cest la solution suggre par le R.P. ODonnell S.J. dans son commentaire cit plus haut. [83]

    Certes, pour S. Thomas, lhomme est davantage tenu de pourvoir sa propre vie qu celle de son prochain. [84] Mais, la vie propre et lintgrit fonctionnelle du corps humain tant

  • conserves, cest vertu que de souffrir certains dommages corporels pour venir en aide au prochain :

    Lhomme doit accepter pour son ami des dommages corporels ; et, ce faisant, il saime davantageselon la partie spirituelle de lui-mme, car cela relve de la perfection de la vertu, qui est le bien delme. [85] Se livrer soi-mme la mort pour son ami est lacte de vertu le plus parfait. Cest pourquoi lhomme vertueux dsire cet acte plus que sa propre vie corporelle. Aussi celui qui donne sa vie corporelle pour son ami ne le fait pas parce quil aime plus son ami que lui-mme, mais parce quilaime plus en lui-mme le bien de la vertu que le bien corporel. [86]

    Haut de page Le R.P. Garrigou-Lagrange se pose la question : Lhomme peut-il exposer sa propre vie corporellepour la vie corporelle du prochain ? Il semble que ce soit illicite car ce serait aimer plus son prochain que soi-mme. Et de rpondre : Cest certainement permis, et mme obligatoire, lorsquil sagit de sauver la vie dune personne ncessaire lavenir pour le bien commun. Mais la difficult rebondit quand il sagit de sauver la vie dun gal. Il faut rpondre que cest probablement permis par vertu chrtienne, mais que ce serait illicite si on ne considrait que la vie dgale valeur. Ainsi pensent S. Thomas, Bannez, Victoria, Soto, Billuart, etc. Ceci parce quil est permis de prfrer le bien de la vertu au bien du corps quand la ncessit lexige. Voir S. Thomas, III Sent. dist. 29, art. 5, ad. 3 : alors lhomme naime pas plus son ami que lui-mme, mais il aime plus en lui-mme le bien de la vertu que le bien corporel. [87]Ds lors, sil est licite dexposer son corps pour le bien corporel du prochain, plus forte raison peut-on accepter lhomogreffe qui conserve la vie propre et lintgrit fonctionnelle du donneur.

    Car, dit Pie XII, la vie, la sant, toute lactivit temporelle, sont en effet subordonnes des fins spirituelles [88] , dont lexercice de la charit fraternelle fait sans nul doute partie.

    Haut de page 3.2.4. Limites de lhomogreffe : respect de la vie et de lintgrit fonctionnelle du donneurNanmoins, la charit envers le prochain elle-mme se meut dans certaines limites. Si nous devons aimer le prochain pour lamour de Dieu, la mesure de cette charit est bien claire : nous devons aimer le prochain comme nous-mme. Aimer le prochain au point de nous causer un tort quivalent ne serait pas charit bien ordonne.

    Quelles sont ces limites dans lesquelles la charit du donneur dorgane doit se mouvoir ?

    Le respect de la vie et de lintgrit fonctionnelle[89] du donneur :

    Le cinquime commandement non occides (Ex 20, 13) synthse des devoirs qui regardent la vie et lintgrit du corps humain, est fcond en enseignements, aussi bien pour le matre qui enseigne du haut dune chaire universitaire que pour le mdecin praticien. [90] Mme quand la vie elle-mme nest pas en jeu, vous disposez et vous en tes pleinement conscients- de deux grandes chose : lintgrit du corps humain, la mystrieuse ralit de la souffrance humaine. () Il nest pas permis de mettre la vie en danger, jamais de la supprimer, si ce nest par lespoir de protger un bien plus prcieux, ou de sauver ou de prolonger cette vie mme. [91] Lhomme ne peut entreprendre sur soi ou permettre des actes mdicaux physiques ou somatiques qui sans doute supprimeraient de lourdes tares ou infirmits physiques ou psychiques,mais entranent en mme temps une abolition permanente ou une diminution considrable et durable de la libert, cest--dire de la personnalit humaine dans sa fonction typique et caractristique. [92]

  • Ce qui vaut du mdecin lgard du patient vaut aussi du mdecin envers lui-mme. Il est soumisaux mmes grands principes moraux et juridiques. Aussi ne peut-il pas non plus se prendre lui-mme comme objet dexpriences scientifiques ou pratiques, qui entranent un dommage srieux oumenacent sa sant ; encore moins est-il autoris tenter une intervention exprimentale qui, daprs un avis autoris, puisse entraner mutilation ou suicide. [93]

    Haut de page Or, dans les 3 exemples dhomogreffes entre vivants mentionns plus haut, lintgrit matrielle du corps humain est sacrifie, sans toutefois attenter la vie ni lintgrit fonctionnelle de celui qui fait le sacrifice.

    On comprend alors les restrictions nonces par Pie XII contre les exprimentations mettant en prilla vie ou lintgrit fonctionnelle du sujet de telles expriences :

    Le patient na donc pas le droit dengager son intgrit physique et psychique en des expriences ou recherches mdicales, quand ces interventions entranent avec ou aprs elles des destructions, mutilations, blessures ou prils srieux [94]

    Haut de page 3.2.5. Quelles sont les homogreffes entre vivants moralement permises ?Si nous appliquons aux homogreffes entre vivants la loi de charit exerce dans les limites du respect de la vie et de lintgrit fonctionnelle du donneur :

    Il ne saurait tre question pour un vivant de donner un organe unique (cur, foie, pancras) pour sauver la vie du prochain : ce serait proprement parler se suicider.

    Dans le cas des organes doubles (poumon, il, oreille, etc.), la prsence des deux organes est en soi ncessaire lexercice intgre de la fonction correspondante et lablation volontaire de lun des deux conduirait une mutilation grave que la charit ne saurait justifier.

    Le don mesur de tissus renouvelables (sang, moelle osseuse, peau, etc.) est permis car il ne met en pril ni la vie ni lintgrit fonctionnelle du donneur.

    Le rein est un organe double, mais dont la fonction est supple par le rein restant, en cas de perte (volontaire ou involontaire) de lautre[95]. Aussi, le don dun rein serait moralement permis. En effet, bien quatteignant lintgrit matrielle du donneur (il conserverait matriellement un rein au lieu de deux), ce don prserverait son intgrit fonctionnelle (la fonction rnale dpuration serait maintenue) :

    La transplantation organique est licite dans la mesure o elle cause un bnfice proportionn au receveur, sans exposer le donneur un grand risque pour sa vie, ni le priver compltement dune fonction importante. Cette thse est propose comme fortement probable, non comme certaine. Largument principal en faveur de cette opinion est la loi de charit qui, base sur lunit naturelle et surnaturelle du genre humain, affirme que le prochain dun chacun est comme un autre soi-mme. [96]

    Haut de page 3.2.6. Dans quelle mesure la charit oblige-t-elle se prter une homogreffe ?La charit peut-elle nous obliger donner un tissu ou un organe corporel pour le bien du prochain ?

    moins que les circonstances nimposent une obligation, il faut respecter la libert et la spontanit des intresss ; dhabitude on ne prsentera pas la chose comme un devoir ou un acte de charit obligatoire. [97]Cette obligation de la charit doit donc tre mesure :

    1. Selon la proportion entre linconvnient subi par le donneur et lavantage acquis par le

  • receveur : le don du sang ou de la moelle osseuse pourrait facilement devenir une obligation de charit, l le don dun rein pourrait ntre quune suggestion de charit.

    2. Selon la proximit avec le prochain quil sagit de secourir : lobligation envers un frre serait suprieure lobligation envers un simple ami.

    3. Selon certaines expressions particulires de la volont de Dieu.

    3.3.- Les homogreffes dun mort un vivant Haut de page

    3.3.1. Quelques exemplesAprs les homogreffes entre vivants, il nous faut considrer celles qui se pratiquent dun mort un vivant : La transplantation de structures et de tissus anatomiques non-vitaux de lanimal lhomme () trouve son pendant dans le transfert de ces mmes tissus dun cadavre humain un homme. De telles homogreffes statiques, ou transplantations homologues, sont frquentes en chirurgie osseuse et vasculaire, ainsi que dans la transplantation de corne. [98]Nous conserverons le terme de greffes, par commodit de langage, tout en gardant prsentes lesprit les prcisions donnes par Pie XII qui signalait quil valait mieux parler dimplant ou dinclusion que de greffe car le mort nest plus un homme. [99]

    Haut de page 3.3.2. En soi, les prlvements dorgane sur un cadavre sont licitesEn soi, selon lenseignement de Pie XII, le prlvement dun organe sur un mort pour limplanter sur un vivant ne reprsente pas de difficult du point de vue moral :

    Du point de vue moral et religieux, il ny a rien objecter lenlvement de la corne dun cadavre, cest--dire aux kratoplasties lamellaires aussi bien que perforantes, quand on les considre en elles-mmes. Pour qui les reoit, cest--dire, le patient, elles reprsentent une restauration et la correction dun dfaut de naissance ou accidentel. lgard du dfunt dont on enlve la corne, on ne latteint dans aucun des biens auxquels il a droit, ni dans son droit ces biens : Le cadavre nest plus, au sens propre du mot, un sujet de droit ; car il est priv de la personnalit qui seule peut tre sujet de droit. Lextirpation nest pas non plus lenlvement dun bien ; les organes visuels, en effet, (leur prsence, leur intgrit) nont plus dans le cadavre le caractre de biens, parce quils ne lui serventplus et nont plus aucune relation aucune fin. Cela ne signifie pas du tout qu lgard du cadavre dun homme, il ne pourrait y avoir, ou il ny ait pas en fait, des obligations morales, des prescriptions ou des prohibitions ; cela ne signifie pas non plus que les tiers, qui ont le soin du corps, de son intgrit et du traitement dont il sera lobjet, ne puissent cder, ou ne cdent en fait, des droits et des devoirs proprement dits. Bien au contraire. [100]

    Haut de page 3.3.3. Accidentellement, les prlvements dorgane sur un cadavre peuvent tre immorauxLe Pape, qui reconnat la licit de ces prlvements en eux-mmes, est conscient que limmoralit pourrait sy introduire par ailleurs : Les kratoplasties, qui ne soulvent en elles-mmes aucune objection morale, peuvent aussi par ailleurs ne pas tre irrprochables et mme tre directement immorales [101] et cela de deux manires :

  • w En considrant le cadavre comme une chose ou un animal : Il faut respecter les exigences de la morale naturelle, qui dfend de considrer et de traiter le cadavre de lhomme simplement comme une chose ou comme celui dun animal. [102] Or, cette vision matrialiste du cadavre passe sous silence que le corps tait uni lme dans une unit substantielle, quil tait le temple du Saint-Esprit chez le baptis (1 Cor 6, 19) et quil ressuscitera pour la vie ternelle.

    w En lsant les droits ou la sensibilit des tiers qui incombe le soin du cadavre, les proches parents dabord ou dautres personnes en vertu de droits privs ou publics. Certes, il faut duquer le public et lui expliquer avec intelligence et respect que consentir expressment ou tacitement des atteintes srieuses lintgrit du cadavre dans lintrt de ceux qui souffrent, noffense pas la pit due au dfunt, lorsquon a pour cela des raisons valables. Mais, dautre part, il ne devrait pas tre permis aux mdecins dentreprendre des extirpations ou dautres interventions sur un cadavre sans laccord de ceux qui en sont chargs, et peut-tre mme en dpit des objections formules antrieurement par lintress. [103]

    Haut de page 3.3.4. La dtermination du moment de la mortLe prlvement dorganes sur un cadavre pour les greffer sur un vivant soulve la question du moment de la mort. Dans certains cas, comme celui de la corne, il est possible dattendre quelques heures avant de procder au prlvement ncessaire. On a donc tout le loisir pour sassurer de la mort du donneur.

    Mais, dans le cadre des rcentes techniques de transplantation du cur ou de lensemble cur-poumon, il ne saurait tre question dattendre aussi longtemps car les organes viss seraient inutilisables. Paradoxalement, ces nouvelles techniques requirent de retirer des organes vivants dun corps mort ! Pour que la greffe soit possible, pour que le greffon (cest--dire lorgane prlev) soit utilisable, il faut que le donneur ne soit pas mort, tout au moins physiologiquement. Cest--dire que loxygnation des cellules de lorgane prlev nait pas t compromise par un arrt circulatoire. Do la ncessit dune ranimation essentiellement cardio-respiratoire- qui entretient loxygnation du sujet jusquau prlvement chirurgical. [104] On ne saurait donc faire lconomie dune constatation certaine de la mort, sous peine de commettre un homicide sur le donneur afin de satisfaire les ncessits du receveur.

    Do lavertissement de Pie XII :

    Les pouvoirs publics ont le devoir () de prendre des mesures pour quun cadavre ne soit pas considr et trait comme tel avant que la mort nait t dment constate. [105]Les critres mdicaux de constatation de la mort ne dpendent pas de lEglise : En ce qui concerne la constatation du fait [de la mort] dans les cas particuliers, la rponse ne peut se dduire daucun principe religieux et moral, et sous cet aspect, nappartient pas la comptence delEglise [106], mais plutt de la science mdicale : Il appartient au mdecin, et particulirement lanesthsiologue, de donner une dfinition claire et prcise de la mort et du moment de la mort dun patient, qui dcde en tat dinconscience. [107]On prsume que la vie est toujours l tant que les fonctions vitales sont assures :

    Des considrations dordre gnral permettent de croire que la vie humaine continue aussi longtemps que ses fonctions vitales la diffrence de la simple vie des organes- se manifestent spontanment ou mme laide de procds artificiels. Un bon nombre de cas font lobjet dun doute insoluble, et doivent tre traits daprs les prsomptions de droit et de fait, dont Nous avons parl. [108]

    Haut de page Voici quelques dcennies quest apparue une nouvelle dfinition lgale de la mort appele mort

  • crbrale ou mort clinique. De quoi sagit-il ?

    La mort crbrale se fonde sur le caractre destructeur et irrmdiable des altrations du systme nerveux central dans son ensemble, altrations mises en vidence par labsence de respiration autonome, labolition de tout rflexe et la disparition de tout signal EEG[109]. Or, cette nouvelle dfinition dans la plupart des pays concide chronologiquement avec les ncessits toujours plus pressantes des greffes et transplantations. De l, certaines questions angoissantes :

    w Cette nouvelle dfinition lgale de la mort est-elle si dsintresse que cela ?w Parler de mort crbrale est-ce prciser le critre utilis pour dterminer le fait de la mort ? Ou est-ce introduire une diffrence spcifique par rapport la mort tout court ?

    w Suffit-il quune seule des fonctions vitales cesse pour pouvoir conclure que lme a perdu toute emprise sur le corps et quelle sen est spare ?

    w Nest-ce pas confondre le non-exercice de certaines puissances de lme avec la perte de ces mmes puissances et la disparition de lme o elles senracinent ?

    Dans la mesure o les critres de la mort crbrale et de son caractre irrversible ne sont pas dfinis avec certitude [110], on ne peut moralement se limiter au seul critre crbral pour dterminer le moment de la mort.

    Dans les cas o une telle certitude ne saurait tre acquise en gnral, on sarrtera [la prsomption] de la permanence de la vie, parce quil sagit dun droit fondamental reu du Crateur et dont il faut prouver avec certitude quil est perdu [111] et le prlvement dun organe sur un tre humain dont la mort nest pas certaine serait immoral.

    Aussi, dans ltat actuel de la science : w nul ne saurait signer les cartes de donneur volontaire dorganes ou de tissus sous peine de sesuicider ou dautoriser son propre meurtre ;w nul ne saurait accepter un organe (par ex. un rein) tir dun tre dont la mort nest pas certaine, sous peine de cooprer un possible homicide ;wles parents eux-mmes ne sauraient consentir la greffe dun organe issu dun mort sur lunde leurs enfants mineur, car ils tomberaient par procuration dans le mme pril moral.

    4.HtrogreffesHaut de page

    4.1. DfinitionEnfin, il existe un 3 type de greffes, lhtrogreffe, transplantation entre espces animales diffrentes, en loccurrence lhomme recevant des tissus animaux.

    Si dans les homogreffes, limmunit provoquait de graves problmes de rejet, on doit en dire autant,sinon plus, des greffes ralises dun animal un homme.

    Il est vrai que certaines de ces greffes sont ralises avec la certitude initiale du rejet, mais pour une fin autre. Ctait le cas des greffes de peau de porc qui se pratiquaient autrefois sur les grands brls. Le rejet tait prvu, mais on arrivait par ce subterfuge acheter les 15 jours de survie ncessaires pour que le patient passe le premier cap des pertes en liquide et en sels minraux qui lauraient conduit immanquablement la mort. On procdait ensuite une greffe de tissu humain par homogreffe.

    Haut de page4.2. Pas dapplication du principe de totalit.

  • Il ne saurait tre question ici dappliquer le principe de totalit puisque lon passe dun tout, animal, un autre tout, humain. Le pape Pie XII encore une fois nous servira de guide puisquil a envisag ce type dhtrogreffes dans le cadre des transplantations de corne. Le pape Jean-Paul II lui-mme,dans un rcent discours sur les transplantations dorganes [112], se rfrait lenseignement donn le pape Pie XII dont voici quelques extraits :

    Ce dernier cas [transferts de tissus entre un animal et un organisme humain] appelle quelques prcisions du point de vue religieux et moral. On ne peut pas dire que toute transplantation de tissus (biologiquement possible) entre individus despces diffrentes soit moralement condamnable ; mais il est encore moins vrai quaucune transplantation htrogne biologiquement possible ne soit interdite ou ne puisse soulever dobjection. Il faut distinguer daprs les cas et voir quel tissu ou quel organe il sagit de transplanter. La transplantation de glandes sexuelles animales sur lhomme est rejeter comme immorale ; par contre, la transplantation de la corne dun organisme non-humain un organisme humain ne soulverait aucune difficult morale, si elle tait biologiquement possible et indique. Si lon voudrait fonder sur la diversit des espces linterdiction morale absolue de la transplantation, il faudrait en bonne logique dclarer immorale la thrapie cellulaire[113], qui se pratique actuellement avec une frquence croissante ; on emprunte souvent des cellules vivantes un organisme non-humain pour les transplanter dans un organisme humain, o elles exercent leur action. [114]Lenseignement de lglise en matire dhtrogreffe nest ni une condamnation absolue, ni une acceptation universelle. Il faut examiner chaque cas et chaque technique pour en juger la moralit, en gardant prsent la mmoire ce que Jean-Paul II rappelait la suite de Pie XII : En principe, une htrogreffe ne peut tre licite que si lorgane transplant ne porte pas atteinte lintgrit de lidentit psychologique ou gntique de la personne qui le reoit. [115]

    Haut de page 4.3. Quelques exemples.Le R.P. Thomas J. ODonnell sj mentionne quelques exemples dhtrogreffes :

    Suite aux recherches menes par les scientifiques et les praticiens de toute la terre en matire detransplantation organique, les htrogreffes parmi les animaux infrieurs ont t ralises enlaboratoire dans une large mesure et avec succs. Dans le domaine humain, os, cartilage, vaisseaux sanguins et fascia [116] pris sur des animaux etlyophiliss ont t greffs sur des hommes comme arcs-boutants ou supports mcaniques surlesquels le tissu du receveur pouvait se dvelopper. La greffe de type statique ne sincorpore pas, nine crot dans le receveur humain : elle sert uniquement de structure de support. Il ny a aucuneobjection morale aux htrogreffes de type statique de lanimal lhomme, telles que dcrites ci-dessus. () La thrapie endocrine qui administre lhomme des hormones produites naturellement parlanimal (extraits de tyrode, extraits dadrnaline corticodal, etc.) ne prsente aucun problmemoral. [117]

    Haut de page 4.4. Lhomme est-il un cobaye ?Dans son document de mai 1998 intitul La transplantation dorganes de lanimal lhomme. Note pour aider la formation du jugement thique [118], la confrence piscopale allemande fait tat des diverses tentatives dhtrogreffes au cours de 30 dernires annes :

    Le 5.11.1963, le professeur K. Reemtsma Toulane (Etats-Unis) a greff six reins de chimpanzs des patients dont les reins ne fonctionnaient plus. La plus longue survie a t de 9 mois.

  • galement en 1963, le professeur T. Starzl Denver (E.U.) a greff six reins de babouins, avec une dure de survie maximale de trois mois. Le 23.1.1964, le professeur J.D. Hardy a greff un cur de chimpanz sur un tre humain, mais ilna pas fonctionn. En 1968, le professeur C. Barnard, en Afrique du Sud, a transplant la fois un cur de chimpanz et un cur de babouin, non compatibles, en drivation. On a fait tat dun quatre jours dactivit. En 1985, le professeur L. Baily Loma Linda (E.U.) a transplant un cur de babouin sur un nouveau-n (la petite Fae). Lenfant a survcu trois semaines et a succomb au blocage de multiples fonctions organiques. En 1992 Pittsburgh (E.U.), le professeur T. Starzl et son quipe ont nouveau tent de greffer des foies de babouins deux patients souffrant de blocage hpatique d lhpatite B. Ces patientsmoururent au bout lun de 28, lautre de 71 jours. [119]Certes, ds labord, le document prcise que les xnotransplantations [120] cliniques pratiques jusqu prsent avec des organes animaux non modifis nont pas t de grandes russites. De toute faon, ces tentatives obissaient plus au dsir dexprimentation mdicale qu lespoir fond de les voir russir, transformant ainsi ltre humain en cobaye. Dans cette mesure mme, ces transplantations taient immorales.

    Haut de page 4.5. Extension la pose dinstruments mcaniques dans le corps humain.Il nous semble lgitime dtendre ce que Pie XII enseigne concernant les htrogreffes la pose dinstruments qui aident au fonctionnement des organes propres (cur artificiel, pile cardiaque, valve cardiaque, tte de fmur en titane, stimulateur lectrique insr dans le cerveau des malades de Parkinson, pompe insuline pour les dficiences du pancras, implant de corail en chirurgie dentaire, prothses du genou ou de la hanche, etc.).

    Le jugement moral sur la pratique de telles oprations devrait prendre en compte :

    1) La gravit de la maladie,

    2) Le bnfice attendu,

    3) La conservation de la vie de lindividu par les moyens ordinaires sa porte.

    Haut de page CONCLUSIONAu terme dun expos dj long et dtaill, nous ne saurions conseiller au lecteur autre chose que salecture attentive et pntrante, car la morale naturelle et chrtienne maintient partout ses droits imprescriptibles ; cest deux, et non de considrations de sensibilit, de philanthropie matrialiste,naturaliste, que drivent les principes essentiels de la dontologie mdicale : dignit du corps humain, prminence de lme sur le corps, fraternit de tous les hommes, domaine souverain de Dieu sur la vie et la destine. [121] P. Franois KNITTEL

    Dans le but dallger au maximum les notes de ce travail, sans rien sacrifier de leur clart, nous avons muni chaque discours de Pie XII utilis ici dun sigle, suivi dun numro en chiffre arabe. Ce

  • dernier se rfre au numro de la page du tome correspondant des uvres compltes de Pie XII dites par les ditions Saint Maurice. Ceci afin de faciliter la recherche du texte et lanalyse de soncontexte. Voici les sigles utiliss :

    ACH : Allocution au Congrs dHistopathologie, 14 septembre 1952AMA : Allocution aux Mdecins Allis, 30 janvier 1945AMM : Allocution la VIII Assemble de lAssociation Mdicale Mondiale, 30 septembre 1954CAP : Allocution au Congrs de lAssociation Internationale de Psychologie Applique, 10 avril 1958

    CDC : Allocution au Congrs de Chirurgie, 20 mai 1948CDU : Allocution au XXVI Congrs dUrologie, 8 octobre 1953

    CGI : Allocution au Ier Congrs International de Neuro-psycho-pharmacologie, 9 septembre 1958CMC : Allocution au Congrs des Mdecins Catholiques, 29 septembre 1949CMM : Allocution au XVI Congrs de Mdecine Militaire, 19 octobre 1953CTS :