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LA « GUERRE HORS-LA-LOI », 1919-1930 NOTE DE RECHERCHE: Les origines de la définition d'un ordre politique international Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2004/1 - n° 151-152 pages 91 à 95 ISSN 0335-5322 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-1-page-91.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Sacriste Guillaume et Vauchez Antoine, « La « guerre hors-la-loi », 1919-1930 » NOTE DE RECHERCHE: Les origines de la définition d'un ordre politique international, Actes de la recherche en sciences sociales, 2004/1 n° 151-152, p. 91-95. DOI : 10.3917/arss.151.0091 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.135.242.125 - 31/10/2012 23h09. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.135.242.125 - 31/10/2012 23h09. © Le Seuil

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LA « GUERRE HORS-LA-LOI », 1919-1930NOTE DE RECHERCHE: Les origines de la définition d'un ordre politique internationalGuillaume Sacriste et Antoine Vauchez Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2004/1 - n° 151-152pages 91 à 95

ISSN 0335-5322

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-1-page-91.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sacriste Guillaume et Vauchez Antoine, « La « guerre hors-la-loi », 1919-1930 » NOTE DE RECHERCHE: Les origines

de la définition d'un ordre politique international,

Actes de la recherche en sciences sociales, 2004/1 n° 151-152, p. 91-95. DOI : 10.3917/arss.151.0091

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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91ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 150 p.91-95

La «guerre hors-la-loi», la «paix par ledroit»:ces expressions, consacrées politi-quement par le «protocole de Genève»de 1924 et par le pacte Briand-Kelloggd’août 1928, font figure d’emblèmes.Caractéristiques au mieux des bonnesintentions naïves de « l’esprit deGenève », au pire de la cécité coupabledes démocraties européennes, ellesauront définitivement et unanimementété renvoyées, au lendemain de laSeconde Guerre mondiale, au rang desimples maximes morales1. Pourtant, lesdénonciations de « l’épisode genevois»,qui fait désormais fonction de mythenégatif de la politique internationale,auront longtemps fait écran à uneanalyse de ce moment historique à biendes égards inédit et de sa contributiondurable à l’invention de dispositifs et deprocédures propres à un ordre politiquemultilatéral.

Ce qui frappe en effet à lire lescontributions, projets, interventionsdiverses des protagonistes de « l’espritde Genève» – qu’ils soient professeursde droit, juges, hommes politiques oufonctionnaires internationaux –, c’estbien moins la naïveté ou l’ingénuité deleurs propositions pour la paix quel’étonnant réalisme et pragmatisme dontils font preuve au travers des montages

institutionnels sophistiqués qu’ils élabo-rent pour garantir une politique inter-nationale durablement pacifiée. Bienplus que la pétition de principe à laquelleon a toujours réduit l’expression, la misehors-la-loi de la guerre renvoie en effetavant tout à un ensemble d’outils etsavoir-faire juridiques (médiationpolitique, arbitrage juridique, juridic-tion internationale…), à toute uneingénierie institutionnelle, auxquels onprête une certaine capacité à enserrerles diplomaties nationales dans unsystème de contraintes. L’expressioninvite dès lors à s’interroger sur lesconditions historiques dans lesquelles,tout au long des années 1920, les juris-tes sont parvenus à imposer auxpolitiques le fait que le droit pouvaitfaire office de science réaliste et efficacedu gouvernement international.

En réduisant « l’expérience gene-voise» à son échec politique dans la crisedes années 1930, on s’est égalementinterdit de prendre toute la mesure desa contribution à l’invention d’un ordrepolitique multilatéral qui fixe, au fil dessolutions juridiques et des montagesinstitutionnels, un espace des possiblesde la politique internationale – dont lescontroverses récentes autour des rôlesrespectifs du droit et de la guerre ou

encore des grandes puissances et desorganisations internationales dans ledésarmement de l’Irak auront montré laprégnance pérenne. De ce point de vue,la constitution d’une communautéjuridique transnationale et sa participa-tion, au lendemain de la Première Guerremondiale, à la codification des nouvellesinstitutions internationales constituentun point d’observation privilégié pourune histoire des conditions d’émergenced’un espace de positions institutionnel-les relativement autonomisées parrapport aux logiques politiques natio-nales et, partant, constitutives d’un ordrepolitique proprement international2.

L’intrusion d’un magistèrejuridique dans le jeu diplomatique

À la veille de la Première Guerremondiale, les diplomaties des grandespuissances n’accordent en effet encorequ’une place marginale au droit inter-national. Les ministères des Affairesétrangères sollicitent bien à partir desannées 1890 une expertise juridique,qu’il s’agisse de la position de juriscon-sulte permanent qu’occupe en Francejusqu’à la guerre le professeur de droitLouis Renault, ou de structures spécia-lisées comme le Conseil du contentieux

Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez

NOTE DE RECHERCHE :

Les origines de la définition d’un ordre politique international

La «guerre hors-la-loi », 1919 -1930

1. Pour des points de vue différents mais néanmoins convergents sur le diagnostic, voir Karl Polanyi, The Great Transformation, Boston, Beacon Press, 1957 (1944),et Charles de Visscher, Théories et réalités en droit international public, Paris, Pedone, 1953. 2.Sur la contribution de la communauté des juristes internationalistesà la formalisation d’un ordre politique européen, voir les premiers éléments dans Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez, «L’impact d’une science juridique interna-tionale sur la construction d’une organisation politique européenne (1899-1930) », in Actes du colloque :Frontières d’Europe XIX-XXIe, Éd. de l’ENS, à paraître.

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diplomatique en Italie. Mais les juristesinternationalistes qui occupent ces postesrestent le plus souvent cantonnés à untravail de techniciens dans le cadre desnégociations internationales. Les confé-rences de la paix de La Haye de 1899 et1907 avaient sans doute consacré lapossibilité pour le droit international defaire office de garant des traités entreÉtats, par le biais notamment de l’arbi-trage et de la formalisation de règleshumanitaires minimales applicables entemps de guerre3. Mais la plupart desgrandes conférences multilatéralesrestaient avant tout cantonnées à la facili-tation des échanges commerciaux, à l’ins-tar des nombreux accords conclus enmatière de lettres de change, de propriétélittéraire et artistique ou encore de droitmaritime. L’échec du projet de Courpermanente de justice à l’occasion de laseconde des conférences de La Hayeconsacre en fait l’incapacité des juristesinternationalistes à s’immiscer – horstemps de guerre – dans le cours même dela politique internationale.

Surtout, le droit international estloin de constituer alors un corps deconnaissances susceptible d’offrir à ceuxqui s’y consacrent – Français, Allemands,Belges, Américains, etc. – une visionunifiée de son rôle et de ses missionsqui puisse apparaître indépendante desappartenances nationales et des circons-tances politiques. Spécialisation peu,voire pas reconnue au sein des facultésde droit européennes, enseignée demanière récente et, le plus souvent, àtitre accessoire par des professeurs dedroit interne, la discipline n’offre qu’unespace embryonnaire de débats savants4.Ce qui existe en revanche, c’est unensemble de services juridiques surl’international étroitement liés aux minis-tères des Affaires étrangères, de sorteque, engagés dans un travail de miseen forme des résolutions de leursgouvernements dans le cadre decommissions internationales d’experts,ces juristes et leurs prises de positionsdoctrinales apparaissent le plus souventmarqués au sceau d’une loyautépolitique nationale.

Il existe pourtant déjà un embryonde communauté savante internatio-nale : les années 1880 avaient ainsi vuse constituer autour de diverses sociétéssavantes, comme l’Institut de droit inter-national5, un groupe restreint de juris-

tes internationalistes animés par ladouble volonté d’être « la consciencejuridique du monde civilisé», indépen-damment des appartenances nationales,et de produire non plus un ensemblehétérogène de consultations juridiquesad hoc, mais une véritable science dudroit. Ce petit cercle de spécialistesprend même une certaine importancequand, à la veille de la guerre, laDotation Carnegie pour la paix, acquiseà l’idée d’une paix garantie par le droit6,lui offre un soutien financier incondi-tionnel. Cette intervention contribue àinternationaliser ce premier groupejusqu’alors exclusivement européen, enl’élargissant aux juristes internationa-listes américains fortement imprégnésdes idées des divers mouvements pacifis-tes et humanitaristes chrétiens alors enplein essor outre-Atlantique7. Les finan-cements tous azimuts dont bénéficientainsi les divers organes et institutionssavantes déjà existants, qu’il s’agisse desrevues scientifiques (Revue générale de

droit international public, Revue de droit

international et de législation compa-

rés, American Journal of International

Law…) ou des sociétés savantes commel’Institut de droit international (IDI),permettent d’ouvrir durablement unespace de production scientifique inter-national relativement indépendant desdifférentes diplomaties et propice audéveloppement d’une vision proprementinternationaliste d’un droit valable entoutes circonstances et opposable auxÉtats. Si la guerre vient interromprecertains de ces projets les plus ambitieux– à commencer par celui d’uneAcadémie de droit international devantpermettre de dispenser aux élites diplo-matiques les enseignements de cettenouvelle science –, elle consacrenéanmoins à leurs yeux la nécessitéd’intervenir non plus seulement à lamarge de la politique internationale (parle seul prisme du droit de la guerre oudu droit du commerce) mais en soncœur même. Certains d’entre eux,comme les juristes du continent améri-cain rassemblés autour de l’Institutaméricain de droit international ou lesjuristes européens issus des pays neutres,se trouvent ainsi étroitement associéspar le biais des diverses organisationspacifistes (Ligue internationale pour laSociété des Nations, Organisationcentrale pour une paix durable, League

to Enforce Peace…) aux projets qui, dès1915 et 1916, jettent les bases d’unenouvelle politique internationale où ledroit – codifié par les juristes interna-tionalistes et interprété par une Courpermanente de justice – fait figure declef de voûte.

Sans doute la conférence de la Paixde Paris déçoit-elle, de ce point de vue,une partie des espoirs qui avaient puêtre fondés pendant la guerre. Lacréation d’une Société des Nations,l’acceptation de principe d’une Courpermanente de justice, ou encore lerenvoi aux tribunaux arbitraux mixtespour le règlement des litiges issus de lamise en œuvre des traités ne parvien-nent pas, en effet, à occulter le faibleattachement marqué par les gouverne-ments européens à la «nouvelle donnediplomatique » voulue par WoodrowWilson8. Mais le développement dumultilatéralisme que consacrent lestraités de paix et les multiples confé-rences internationales qui ponctuentl’après-guerre n’en constitue pas moinsune opportunité politique inédite d’ins-crire l’expertise juridique internationa-liste au cœur du nouveau dispositif desrelations internationales. La longuepériode de négociation qui s’ouvre àParis avec la conférence de la Paix de1919 et qui, en l’espace de six mois,maintient à demeure les délégations detous les pays de l’Entente offre ainsi unepremière occasion de réactiver, aux yeuxdu concert diplomatique internationalainsi rassemblé, l’existence d’un collec-tif des juristes internationalistesapparaissant tout à la fois commeextérieur aux jeux de la politique inter-nationale et comme disponible pourl’encadrer. Présents en nombre à Paris autitre de conseillers techniques des diver-ses délégations nationales, ces spécia-listes du droit international seremobilisent ainsi en marge des négocia-tions : inexistant depuis 1913, l’Institutde droit international relance ses activi-tés dès mai 1919, tandis que deux semai-nes plus tard, à l’initiative du doyen dela faculté de droit de Paris, FerdinandLarnaude, lui-même étroitement associéà la délégation française négociant alorsle traité de Versailles, est fondée uneUnion juridique internationale (UJI)réunissant les principales autorités scien-tifiques du droit international. D’emblée,un accord minimal intervient pour

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constamment inscrire leurs discussionssavantes dans le cadre de la nouvelledonne politique qui s’échafaude conco-mitamment. Constatant la crise du droitinternational traditionnel fondé sur lasouveraineté absolue des États et leurégalité juridique complète, ils engagentainsi collectivement un travail de défini-tion des nouveaux principes organisantles relations internationales, c’est-à-direla limitation des souverainetés étatiqueset la gestion collective de la paix dans lecadre de la Société des Nations9. Lenouveau droit international qui s’éla-bore ainsi dès mai 1919, notamment autravers des discussions scientifiques surl’écriture d’une Charte des droits et desdevoirs des Nations, se présente commeune compilation en même temps qu’unerationalisation savante de la nouvellepolitique internationale voulue par letraité de Versailles. Insistant tout parti-culièrement sur les devoirs desÉtats :«Les États ont des devoirs les unsenvers les autres. Ils en ont tous à l’égardde la communauté internationale», lesChartes qui sont discutées à l’UJI ou àl’IDI s’attachent ainsi à codifier le cadredans lequel devront et pourront désor-mais se déployer les souverainetés natio-nales10. Dans le langage performatifpropre à l’écriture juridique, ils contri-buent, par le travail de neutralisation etd’universalisation qu’ils opèrent, àconstruire et à légitimer la nouvellescène internationale issue des traités depaix. En participant de la sorte à sonédification, le magistère juridiques’impose dans le même mouvementcomme une pièce essentielle du nouveaudispositif multilatéral.

Au-delà de ce moment inaugural queconstitue l’après Première Guerremondiale, où peuvent s’observer demanière quasi expérimentale tout à lafois le travail d’intéressement des juris-

tes internationalistes à l’égard des diplo-maties nationales réunies à Paris et leurcontribution à la codification des princi-pes et des dispositifs organisant le nouvelordre politique international, il faudraitindiquer ici l’ensemble des transforma-tions (centralité de la Société des Nationsdans le règlement des conflits – désar-mement, réparations… – à partir de1923-1924, mais aussi montée enpuissance parallèle des institutions savan-tes internationales sous l’effet notam-ment des financements des fondationsCarnegie et Rockefeller…) qui contri-buent, chemin faisant, à articuler toujoursplus étroitement l’agenda politique et cesconstructions savantes au cours desannées 1920. On ne compte plus en effetles commissions d’experts qui, de laCommission consultative nommée en1920 à la demande de la Société desNations pour définir la Cour permanentede justice aux multiples commissions decodification du droit international,permettent aux juristes internationalis-tes de participer à part entière au travaild’invention et de fixation des principes,des procédures et des règles susceptiblesde faire exister une « société politiqueinternationale» (juges, fonctionnaires,experts) indépendante des États.

L’édification progressive d’une loyauté internationale

Cet ensemble d’institutions internatio-nales fondées sur le multilatéralisme etdont la SDN constitue le fer de lancefait ainsi émerger, pour les spécialistesde droit international, une multitude depositions d’expertise. Elles ont pourspécificité d’être prises dans une tensionentre une allégeance traditionnelle àl’intérêt national (aux gouvernementsnationaux) et une indépendance relativeà son égard, au nom de l’intérêt inter-

national dont sont porteuses les nouvel-les institutions multilatérales. Du juris-consulte d’un des « petits États »,scandinave par exemple, se faisant l’apô-tre constant du multilatéralisme, enaccord avec les directives de son gouver-nement qui voit dans l’idée de sécuritécollective une garantie essentielle deson indépendance, à l’expert déléguéd’une des «grandes puissances» qui, luiaussi sous la coupe de son gouverne-ment, n’est en mesure d’avaliser cesmêmes mécanismes que pour autantqu’ils ne contredisent pas la diploma-tie de son pays ;du juriste fonctionnaired’une organisation internationale,membre du comité juridique de la SDNpar exemple, essayant de promouvoirun intérêt multilatéral à l’encontre desréticences de nombre d’États, àcommencer peut-être par celui dont ilest le ressortissant, au professeur dedroit international, enseignant àl’Institut universitaire des hautes étudesinternationales de Genève, membre denombreuses sociétés savantes spéciali-sées tel l’Institut de droit international,et fondateur d’une revue internationa-liste et pacifiste, la palette des relationsqu’entretiennent alors ces juristes avecl’international impose en fin de compteune représentation relativement éclatéeet hétérogène de la communauté desspécialistes du droit international.Pourtant, par delà la diversité desintérêts politiques nationaux ou inter-nationaux dont ils assurent la formali-sation juridique, ces derniersparviennent à se prévaloir d’unecommunauté internationale porteused’une vision relativement unifiée de sesmissions.

L’invocation d’une telle « commu-nauté» de spécialistes du droit interna-tional se trouve certainement facilitéepar le fait que ses tenants s’organisent au

3.Sur les solutions juridiques discutées aux conférences de la paix, voir John Brown Scott, Les conférences de la paix de La Haye de 1899 et 1907, Paris, Pedone,3 vol., 1927. 4.Sur l’espace des débats savants dans le droit international d’avant-guerre, voir Jean-Louis Halpérin, Entre nationalisme juridique et communauté

de droit, PUF, 1999. 5. Il faudrait aussi évoquer ici le développement concomitant des Sociétés nationales de droit comparé. Voir le Livre du centenaire de la

Société de législation comparée, Paris, LGDJ, 1969. 6.Sur la position particulière et les constructions savantes des fondateurs de l’IDI - belges, suisses et hollan-dais-, réformistes acquis aux idées du libéralisme économique, voir l’ouvrage de Martti Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations. The Rise and Fall of International

Law 1870-1960, Cambridge University Press, 2001. Voir aussi Irwin Abrams, « The Emergence of the International Law Societies », Review of Politics, 1957, p. 361-390. 7.Sur les liens entre les mouvements pacifistes chrétiens, le droit international et la Dotation Carnegie, symboliquement attestés par la fondationen 1914 de la Carnegie church peace union, voir notamment C. Roland Marchand, The American Peace Movement and Social Reform 1898-1918, Princeton UniversityPress, 1973. 8.Sur la position de la France vis-à-vis des nouvelles institutions internationales, voir Marie-Renée Mouton, La SDN et les intérêts de la France 1920-

1924, Berne, Lang, 1995. 9.Voir, entre autres, Lord Phillimore, « Droits et devoirs fondamentaux des États », in Recueil de cours de l’Académie de droit inter-

national de La Haye, t.1, 1923, p. 29-71 ; Nicolas Politis, « Le problème des limitations de la souveraineté », op. cit., t. 6, 1925, p. 5-117 ; ou encore GilbertGidel, « Droits et devoirs des nations. La théorie classique des droits fondamentaux des Etats », ibid., t. 10, 1925, p. 541-599. 10. Voir « Première session17-24 mai 1919 » in Union Juridique Internationale, Séances et travaux, Paris, Pedone, 1920, p. 15-93, et « Session octobre 1921 », dans Annuaire de l’Institut

du droit international, 1921.

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cours des années 1920 autour d’unnoyau relativement restreint de profes-seurs de droit qui exercent successive-ment, mais aussi concomitamment, desrôles aussi divers que ceux de juriscon-sulte de leur gouvernement, d’ensei-gnant, d’expert international dans lecadre des commissions de juristes de laSDN, ou encore de juge à la Courpermanente de justice internationale.Cette multipositionnalité, érigée enprincipe d’organisation, est à l’origined’un resserrement de la population quifavorise, si ce n’est une convergenceimmédiate des points de vue, tout aumoins la constitution d’un ensemble deprincipes communs de vision et dedivision du monde : l’indispensablemaîtrise des schèmes juridiques pour

appréhender les relations internationa-les par opposition au simple savoir-fairetechnique aux mains des diplomaties, etindissociablement l’idée que la manipu-lation de ce droit international – par lesorganisations internationales comme parles diplomaties nationales – doit désor-mais relever d’hommes de science recon-nus comme tels par la communauté deleurs pairs ;ou encore la supériorité desmécanismes judiciaires par rapport auxtechniques d’arbitrage pour le règlementdes conflits interétatiques.

De même, cette multipositionnalitéconstitue certainement l’une des condi-tions de l’articulation étroite des insti-tutions politiques multilatérales(instances de la SDN, Cour permanentede justice internationale) et des organes

de cette communauté savante transna-tionale (sociétés savantes de droit inter-national, institutions d’enseignementsupérieur, etc.). Il faudra ainsi analysercomment le jeu croisé de reconnais-sance et d’accréditation, que le cumul des positions rend possible, contribue à réserver aux membres de ce cercle de spécialistes les diverses fonctionsinstitutionnelles internationales (juges,hauts fonctionnaires internationaux,experts…). Une telle enquête permet-trait de comprendre comment cetteposition quasi monopolistique a pu lesmettre en situation de participer demanière décisive à la définition d’unsystème de positions institutionnellesconstitutif d’un ordre politique multila-téral relativement unifié11.

Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez

Le processus d’élaboration du statut de la Courpermanente de justice internationale constitue unexemple de « jeu à facettes » diplomatique1. Le13 février 1920, à l’initiative de Léon Bourgeois, leConseil de la SDN charge un comité indépendant dedix juristes spécialistes de droit international d’éla-borer un avant-projet dans le cadre symbolique duPalais de la paix de La Haye. Au sein de ce comitéautonome à l’égard des directives nationales, les dixjurisconsultes promeuvent librement les mécanismesjuridiques qu’ils avaient préalablement façonnés dansles séances de leurs associations scientifiques oudans des articles de revues spécialisées et concluentà une très large juridiction de la future Cour – allantjusqu’à organiser, dans certains cas, sa compétenceobligatoire sans accords conventionnels préalablesentre deux États membres2.

Mais, le 28 octobre 1920, les représentants desgouvernements se prononcent au Conseil contrecette clause juridique considérée par trop contrai-gnante envers les États. En décembre, une sous-commission de l’Assemblée générale de la SDN,composée pour moitié des spécialistes du droit inter-national ayant fait partie du comité de La Haye, estchargée de rédiger un nouveau rapport. Ce sont doncles mêmes jurisconsultes qui, quelques mois seule-ment après avoir promu la judicature obligatoire dela Cour en tant que juristes indépendants, doivent denouveau se prononcer sur cette même question, maiscette fois-ci en tant qu’experts délégués de leursÉtats. Et dans cette nouvelle position, ces derniersrenoncent aux solutions de La Haye et s’alignent surla décision arrêtée par le Conseil au mois d’octobre

1920. C’est le professeur Nicolas Politis, pourtantl’un des plus fervents apôtres du droit international,soutenu par le juriste norvégien Francis Hagerup,décisif dans l’adoption du dispositif retenu à La Haye,qui affirment de concert, à l’encontre de tout le travailqu’ils avaient effectué quelques mois auparavant,qu’« il vaudrait mieux que la sous-commission conser-vât le texte adopté par le Conseil car il se pourraitqu’autrement la constitution même de la Cour setrouvât en danger3 ».

En sauvant une Cour permanente de justice inter-nationale qui possède certes une juridiction restreintemais constitue néanmoins l’un des mécanismes qu’ilspréconisent depuis un quart de siècle dans certainesde leurs sociétés savantes, ces apôtres du droit inter-national transigent avec leurs principes scientifiquesen abandonnant la clef de voûte de leur système – lajuridiction obligatoire – pour se plier aux logiquesnationales et témoigner, au passage, de leur loyautéà l’égard de leurs autorités de tutelle, réservant ainsipour l’avenir la plénitude de leurs solutions.

1.Entre autres commentaires juridiques sur l’instauration de laCour, voir Manley O. Hudson, The permanent court of interna-

tional justice : 1920-1942, New-York, Mcmillan Cie, 1943 etPaul Fauchille, Traité de droit international public, tome I, partie3, Rousseau, 1926, p.646 sq. 2.Sur les nombreux débatsjuridiques au sein du comité :Procès-verbaux des séances du

Comité des juristes, La Haye, Publications de la Cour permanentede justice internationale, 1920 et particulièrement le rapport finald’Albert Geouffre de Lapradelle. 3.«Séance de la sous-commis-sion de la IIIe commission de l’Assemblée de la Société desNations », Journal Officiel de la SDN, 20 décembre 1920, p.379-380

Un « jeu à facettes »

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La « guerre hors-la-loi », 1919 - 1930

Ces juristes, toujours prompts àpromouvoir les mécanismes multilaté-raux, continuent à pourtant à être sollicités par leurs gouvernements d’ori-gine :mandatés au sein de négociationsinternationales, leurs prises de positionapparaissent régulièrement susceptiblesd’être rabattues sur les logiques natio-nales de leur diplomatie. Il ne faudraitcependant pas en conclure que l’invo-cation du droit international par sespromoteurs ne serait qu’une rhétoriqueservant à dissimuler les logiques cachéesplus proprement politiques des Étatsdont ils sont les ressortissants. C’estbien plutôt un jeu à plusieurs facettesqu’il faudrait analyser dans toute safinesse et sa variété, un jeu instauréentre la nécessité pour ces juristesd’attester auprès de leur gouvernementleur loyauté envers les intérêts natio-naux, au principe de leur mandatementen tant qu’expert national délégué, etleur attachement aux valeurs universa-listes de leur communauté profession-nelle, au principe de la légitimité de leurexpertise. La manipulation alternativede ces deux registres permet de péren-niser la confiance que leur accordentleurs gouvernements pour inscrire laquestion juridique sur l’agenda politiqueinternational ou se voir confier direc-tement telle ou telle mission d’exper-tise. En dépossédant les États d’unepartie de leurs prérogatives, les spécia-listes de droit international se mettenten situation de libérer de l’empriseétatique des espaces sociaux intermé-diaires sous forme d’institutionsjuridiques internationales, autorisant àleur tour la création de nouvelles margesde manœuvre et bâtissant les conditionsd’une réelle émancipation vis-à-vis desdirectives gouvernementales.

C’est ainsi que les internationalistess’emploient à fixer eux-mêmes leslimites à ne pas dépasser dans la promo-tion d’un ordre juridique internationalafin de conserver la confiance de leursgouvernements sans laquelle la réalisa-tion pratique de leurs plans seraitimpossible. Knut Hammarskjold enindique bien ses ressorts à propos dela Cour : « créer peu à peu, grâce à dessolutions pratiques et graduelles, lesentiment de la justice dans la commu-nauté des Nations, inspirer à cettecommunauté l’amour de la justice […]tels sont les résultats que ceux qui sontà égale distance de l’enthousiasmeirréfléchi de certains, et du scepticismeirraisonné d’autres, peuvent espéreravec confiance de la nouvelle institu-tion »12. Au demeurant, la création dela Cour permanente de justice interna-tionale, mais aussi les différentesCommissions de codifications du droitinternational ou encore la prégnancedes catégories juridiques internationa-les dans le cadre même des arbitrages,etc., attestent la réussite de ce « jeu àfacettes » et l’emprise sans précédentdes schèmes juridiques dans l’appré-hension des questions politiques inter-nationales qui en résulte13. En dernierlieu, cette gestion très calculée du tempsde la réforme doit certainement êtrerapportée à l’un des postulats essentielsde la communauté des spécialistes dedroit international qui prend la formed’une prophétie autoréalisatrice :

l’inexorabilité historique de l’instaura-tion prochaine d’un ordre juridiqueinternational garant de la Paix desNations. C’est ce qu’exprime demanière particulièrement caractéris-tique celui qui deviendra, quelques moisplus tard, le premier président de la

Cour permanente de la justice interna-tionale, le juriste hollandais B. Loder, àl’occasion de l’Assemblée plénière desSociétés des Nations en décembre 1920où il doit affronter les réticences desgrandes puissances face aux progrèsd’un ordre juridique international :« Vous nous avez dit : “le temps n’estpas venu” et qu’avons-nous répondu ?Nous avons cédé simplement. Nousavons dit : “vous croyez que nous allonstrop vite” et vous avez pris en main les rênes, pour nous retenir et ralentirnotre pas. Eh bien, nous le ralentironssi vous le désirez, même au point qu’ilsera presque un pas manqué. Vousdésirez pour vous l’aujourd’hui, c’estbien vous qui l’aurez ; mais le demainsera à nous14. »

Ainsi, loin de s’opposer terme àterme, loin de s’exclure l’un l’autre,comme on l’a trop souvent supposé àpropos de l’épisode genevois, réalismeet idéalisme, loyauté nationale et loyautéinternationale, logique politique etlogique savante gagnent au contraire àêtre analysés, pour chacun des membresde la communauté des juristes interna-tionalistes, comme autant de modalitésde l’affirmation d’une même cause, celledu droit international. En rendantcompte, comme on a cherché à le faireici à propos de cette communautéjuridique transnationale, de l’imbrica-tion constante de ces différenteslogiques ainsi que du sens pratique quesuppose leur agencement en situation,on se donne peut-être les moyens decomprendre ce qui est constitutif de« l’esprit de Genève» dans son ensem-ble, et tout particulièrement l’articula-tion inédite dont il est le cadre entre lascience du droit international et lenouvel ordre politique multilatéral.

11. Il faudrait pour rendre compte précisément de la participation de ces juristes internationalistes à la définition des rôles institutionnels internationaux évoquertout à la fois le travail de transposition des expériences nationales (par importation de savoir-faire spécifiques et de schèmes intellectuels acquis au niveau natio-nal au cours d’une socialisation antérieure au sein des professions juridiques) et le travail d’invention de dispositifs juridiques inédits rendant possible une formed’indépendance à l’égard des directives nationales (voir le travail doctrinal sur le statut des fonctionnaires internationaux : à titre d’exemples, S. Basdevant, La condi-

tion juridique des fonctionnaires internationaux, thèse, Paris, 1930 et José Gascon y Marin, « Les fonctionnaires internationaux », in Recueil de l’Académie de droit

international de La Haye, Nijhoff, t. 34, 1930, p.5-75). 12.K. Hammarksjold, La Cour permanente de justice internationale – The Permanent Court of International

Justice, Genève, SDN, 1921, p.21. 13.Les montages juridiques ainsi imposés seront autant de points d’appui dans l’écriture en 1945 de la Charte de San Franciscoconstitutive des Nations unies, à commencer par celui de la Cour permanente de justice qui sera intégralement réutilisé pour l’écriture du statut de la nouvelleCour de justice. 14. « XXe séance plénière de l’Assemblée de la Société des Nations », Journal Officiel de la SDN, 13 septembre 1920, p. 445.

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