Guespin, Louis -Introduction Types de Discours Ou Fonctionnements Discursifs

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Guespin. Introducción a los tipos de funcionamiento discursivo

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  • Louis Guespin

    Introduction : types de discours ou fonctionnements discursifs ?In: Langages, 10e anne, n41, 1976. pp. 3-12.

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    Guespin Louis. Introduction : types de discours ou fonctionnements discursifs ?. In: Langages, 10e anne, n41, 1976. pp. 3-12.

    doi : 10.3406/lgge.1976.2301

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1976_num_10_41_2301

  • L. GUESPIN Universit de Rouen

    INTRODUCTION

    TYPES DE DISCOURS, OU FONCTIONNEMENTS DISCURSIFS?

    1. La notion de discours.

    Six ans aprs le n 13 de Langages, consacr par J. Dubois et J. Sumpf l'analyse du discours, nous pourrions presque nous passer d'introduire l'objet discours . De nombreux ouvrages thoriques ou pratiques ont dsormais vulgaris la notion (v. bibliographie en fin d'article). Reste un problme important qui nous oblige revenir sur la question, non pour une nouvelle prsentation des concepts, mais pour une rflexion sur la notion d'analyse du discours.

    En France, dans ce front scientifique que constitue la communaut des linguistes, la conviction qu'il faut tudier, aussi, ou exclusivement, le discours nat la fois des directions de recherches fournies par J. Dubois, de sa contribution au Colloque de Saint-Cloud et du n 13 de Langages. Or, si nous reprenons ce numro de Langages, nous y trouvons, avec de premires recherches pratiques, la fois la traduction du Discourse analysis de Z. Harris et l'article de J. Dubois Enonc et nonciation. D'un ct, dcision d'extension de la linguistique l' analyse du discours , de l'autre, approche d'un problme et mise jour de contradictions qu'on ne saurait trancher sans simplisme. Cette prsence d'un article sur renonciation tait l'indice d'un problme : ne peut-on rtrospectivement considrer que la prsence de l'article de Harris tait une prsentation-dngation ?

    1.1. Analyse du discours et discours. Le pragmatisme tout amricain de Harris pouvait sduire : on ten

    dait au texte l'analyse qui tait cense avoir fait ses preuves aux niveaux infrieurs. A la sortie de l'tude, on allait trouver matire conclusions varies. C'est sans remords que nous utiliserons ici l'article de J. Sumpf dans ce n 13 de la revue, pour montrer les grandes esprances de l'poque : nous avons tous partag ces exigences de rponses rapides, parce que nous mesurions mal la nature de la recherche o nous nous engagions. J. Sumpf se demande : Quelles sont les catgories signifiantes, intuitives sans doute, mais operatives, telles qu'un jeu de diffrentes analyses rende compte de tout discours, mme le moins normal ? II suffisait en effet, pour croire la dcidabilit de semblables questions, d'accepter les postulats de Harris :

    1) Le monologisme du texte : on peut fournir le modle du texte, le rduire un discours didactique. Au point que les distinctions de Quine entre idologique/ontologique, opaquejvague sont contestes, non dans leur inadquation au discours, mais parce qu'elles oprent plus un passage qu'une distinction franche. Il nous faut un processus dcisoire .

    2) La clture structuraliste du texte : d'o la possibilit, inscrite dans le texte, de partir des descriptions d'objets individuels pour aller vers des noncs plus gnraux .

    3) L'adquation au nouvel objet des outils forgs aux niveaux inf-

  • rieurs d'analyse linguistique. Par les mthodes structurales (qu'elles comportent les transformations harrissiennes ou chomskyennes), on pouvait aboutir sur le texte une rduction modlisante.

    1.2. La pratique de l'analyse du discours. Il a fallu quelque temps aux chercheurs pour constater la fois l'am

    pleur des distorsions qu'ils devaient faire subir Harris et la ncessit o les plaait l'objet discours de renouveler entirement leur horizon problmatique. Jusqu' la pratique de l'analyse du discours, en effet, l'incompatibilit entre la grammaire et la smantique, ainsi qu'entre l'tude du strict nonc et la thorie de renonciation, restait un simple nuage planant sur une scientificit affirme.

    Pour illustrer les rapports entre grammaire et smantique, on peut rappeler la msaventure de la smantique interprtative. Il s'agit d'un modle rendant compte d'un peu de smantique *. Contrairement ce qui s'tait pass lors de la critique de la grammaire taxinomique par la grammaire generative , o la polmique, malgr son pdantisme, avait port sur le fond, sur l'attitude pistmologique, cette fois-ci la communaut linguistique s'empressait d'abandonner le modle assez vite pour qu'il soit invalid sur contre-exemples (c'est--dire sur des noncs sophistiqus baptiss faits empiriques) et non sur sa valeur d'objet scientifique, contrairement la demande de bon sens qui serait : allons assez loin dans le modle pour voir si le principe de base est scientifiquement invalidable.

    Quant renonciation, problme que nous abordons dans notre article, rappelons simplement ici qu'on proposait des dcoupages savants (. Ben- veniste acceptait les performatifs, mais refusait la notion de force illo- cutionnaire), ou qu'on se rsignait aisment une recherche schizode (Jakobson menait paralllement une recherche thorique sur l'opposition message/code, acceptant par l l'abstraction saussurienne, et une recherche pratique sur le texte littraire qui l'affiliait l'analyse du discours 2).

    Le dsir d'une pratique qui serait analyse du discours fait crever le nuage : elle n'est pas possible dans le modle. Mais, nous l'avons vu prcdemment, cette incompatibilit ne s'prouve pas par dcision thorique.

    1.2.1. L'objet-discours. Nous crivions en 1971 3 : Le discours, c'est l'nonc considr du

    point de vue du mcanisme discursif qui le conditionne. Ainsi, un regard jet sur un texte du point de vue de sa structuration en langue en fait un nonc ; une tude linguistique des conditions de production de ce texte en fera un discours. Nous avions cru tre explicite. Toutefois, relevant une quivoque qui nous avait chapp, Rgine Robin suspend son accord une certaine lecture : s'il entend par l que les conditions de production (cadre institutionnel, appareil idologique dans lequel il s'inscrit, reprsentations qui le sous-tendent, conjoncture politique, rapport de forces, effets stratgiques recherchs, etc.) ne sont pas un simple contexte, des circonstances qui exerceraient leur faon de simples contraintes sur le

    1. crivant ceci, nous sommes toutefois pleinement d'accord avec M. Pcheux et C. Fuchs (Langages n 37) pour considrer : 1 que l'intention gnrale de la smantique interprtative tait d'intgrer la smantique, en considrant que la smantique appartient tout entire au champ de la linguistique , et 2 que la polmique mene par G. Lakoff n'autorise pas pour autant classer la smantique generative dans une catgorie distincte quant au rapport qu'elle tablit entre smantique et linguistique.

    2. Cf. en particulier le Post scriptum Questions de potique, d. du Seuil. 3. Langages n 23.

  • discours, mais que ces conditions caractrisent le discours, le constituent, et, le constituant, sont reprables par l'analyse linguistique 4. C'est bien videmment notre propos : la relation d'appartenance d'un discours une formation discursive est facteur constitutif du discours, et cette relation est reprable par l'analyse linguistique .

    1.2.2. Discours et philosophie du langage. C'est l'occasion d'un numro de Langages intitul Epistemologie de la

    linguistique que M. Pcheux a voqu l'incapacit du modle saussurien rendre compte de la smantique. Quel que soit l'horizon de la recherche, la considration de la relation langue/monde demande en effet que soit repens le concept de langue. On trouvera dans Introduction la socio- linguistique de J. B. Marcellesi et B. Gardin le dossier des rapports langue/monde et celui de l'hypothse Whorf-Sapir. Nous voudrions ajouter que toute position du problme compte non tenu du discours est dsormais incomplte. Ce qui nous amne dire les insuffisances, lgitimes parce qu'historiques, de nombreux travaux pour lesquels nous pouvons avoir estime et admiration pour ce qu'ils apportent par ailleurs.

    Si l'on refuse de se donner une thorie du discours prenant en compte le rel reflt dans les conditions de production discursives, le raisonnement risque de s'inflchir vers deux ples :

    1) Le discours est action , vrit dbattre et travailler, mais vrit qui, hors d'une thorie du discours, fonctionne comme une invite au pragmatisme : comment rendre le discours efficace, en faire un instrument de conviction ? Donnons-en pour exemple le livre de F. Richaudeau, le Langage efficace 5, rhtorique moderniste, psychologisante, voisine des manuels du parfait vendeur l'amricaine ; on y trouve des aphorismes comme pour convaincre, il faut d'abord tre convaincu .

    2) A l'autre extrmit, tout est discours , et l'on en vient l'empi- riocriticisme rnov du RP de Certeau et des lectures ; comme dit de Certeau, toute lecture (...) remploie le texte ; elle invente un sens 6, et tout est renvoi ; chaque texte reu renvoie d'autres et (...) ces renvois disent ce qu'aucune de ces interprtations ne peut donner ni fixer .

    Hors de ces deux extrmes, d'autres chercheurs sont victimes de l'absence de prise en compte du fait discours. C'est ainsi que des philosophes soucieux de poser des problmes voisins de ceux qui se posent nous risquent, tout en offrant des matriaux, de n'tre pas susceptibles de nous aider directement rsoudre une question qui leur chappe. G. Klaus et A. Schaff posent le problme du sens, mais de faon forcment schmatique, le premier en acceptant un dcoupage entre smiotique, sigmatique et pragmatique 7, le second en mettant en rapport base sociale et strotypes sans rendre compte du mode d'acquisition et du mode de fonctionnement des strotypes dans le langage ; la dfinition que donne A. Schaff de l'idologie pourrait s'appliquer n'importe quel consensus l'intrieur de n'importe quel groupe humain. A l'oppos, quelques rserves qu'on fasse

    4. Histoire et linguistique, A. Colin, 1973. 5. Editions Denol. 6. L'absent de l'histoire, d. Marne, p. 44. Si nous choisissons notre exemple dans

    l'histoire et non dans la littrature, c'est que nous acceptons pour le texte littraire le bnfice du doute, La littrarit tant partiellement d'autre nature, c'est l'extension de la problmatique d'intertextualit d'autres discours qui fait difficult.

    7. G. Klaus, Die Macht des Wortes et Sprache der Politik, Berlin VEB Deutscher Verlag der Wissenschaften, 1963.

    A. Schaff, Langage et connaissance, d. Anthropos, 1969.

  • sur les mcanismes qu'il propose, L. Althusser offre une thorie de l'idologie plus labore (on verra ici-mme l'illustration qu'en fournit B. Gar- din), mais il manque penser les rapports entre langage et idologie. Avec J. Kristeva et R. Robin 8, nous remarquerons que, chez Althusser, la matrialit de l'idologie est pense comme extrieure au domaine spcifique, la matrialit spcifique dans laquelle se produit l'idologie, savoir le langage et plus gnralement la signification . Il va de soi que nos rserves sont celles de l'analyse du discours, et que, pour aucun des auteurs cits, il ne nous paratrait lgitime de juger de faon rtroactive, donc de rclamer la prise en compte d'une thorie en voie d'laboration.

    Il en va de mme pour les travaux de Leroy-Gourhan ou de Tran- duc-Thao 9 : ces ouvrages permettent certes de s'approcher du matrialisme au sujet du langage, mais gense du langage et fonctionnement du langage dans les formations discursives d'une socit labore ne sont pas forcment dtermins par les mmes dominantes.

    1.2.3. Dmarches. Ce tour d'horizon problmatique aura, nous l'esprons, prpar le

    lecteur l'vocation de problmes matriels. Prenons l'exemple-limite du travail d'application, par G. Provost-Chauveau, de la mthode harrissienne la masse d'un corpus 10. Dans une premire approche (Langages, n 13), G. Provost-Chauveau semble croire la valeur typifiante de la mthode, et accepter les conclusions de J. Sumpf qui crit : Ce qui tait relativement intuitif au niveau documentaire devient : 1) acceptable au sens logique et aussi chomskyste du terme ; 2) clos. Le type de discours trouve dans la didaxie sa validation et sa clture.

    Mais plus tard, dans la conclusion de sa thse, G. Provost-Chauveau corrige : Ces analyses portent essentiellement sur l'information donne par le texte. La mthodologie harrissienne, on l'a souvent soulign, rduit tout texte un nonc informatif ; mais peut-on prtendre que cette rduction n'est pas un appauvrissement ? L'obstacle majeur est donc constitu par renonciation du texte, et non par le texte lui-mme. Le nouvel horizon problmatique a suscit une masse de recherches pratiques, dont nous avons dit plus haut le caractre indispensable au progrs thorique. Citons, de faon non exhaustive (v. bibliographie), les travaux de D. Maldidier sur discours ambigu et discours dsambigus, de J. B. Marcellesi sur communaut puis individuation linguistiques, de R. Robin et D. Maldidier sur le discours politique la veille de la Rvolution. Tous ces travaux sont issus de Harris, aux deux sens du mot : la fois en tant que Discourse analysis leur a donn naissance, et en tant qu'ils s'en sparent, contribuant dterminer le nouvel objet scientifique. Et ce n'est pas un hasard si ces travaux ont lieu dans une perspective marxiste :

    1) La dcision de Harris brisait un interdit positiviste qui dlimitait le phnomne linguistique au niveau maximal de la phrase.

    2) Le choix du discours politique permettait de poser des paramtres relativement clairs, et donc de faire litire de bien des imprcisions volontiers cultives.

    3) Le niveau du discours est celui o linguistique et socit s'articulent.

    8. J. Kristeva, cite par R. Robin, Histoire et linguistique, p. 96. 9. Tran Duc Thao, Recherches sur l'origine du langage et de la conscience, d.

    Sociales, 1973. 10. V. bibliographie.

  • Toutefois, la question pistmologique reste pose : quel stade en sommes-nous? Le lyrisme hypothtico-dductif que l'avnement de la linguistique chomskyenne a sembl autoriser n'est plus de saison u. Les beaux modles composantes semblent bien morts, en tant que compte rendus de l'activit langagire.

    Nous voudrions avancer deux propositions : 1) L'analyse du discours travaille avec les outils qu'elle possde. Ce

    numro le dmontre, puisque J. B. Marcellesi travaille avec une contre- grammaire (grammaire de reconnaissance) issue du modle de Chomsky, B. Gardin dans la problmatique de Volochinov, nous-mme dans celle de Jakobson. Toutefois, nous avons indiqu l'inadquation relative des outils forgs dans une autre intention. Ne va-t-on pas crier ds lors l'empirisme ? C'est qu'en effet, en matire d'analyse du discours, et pas seulement l, l'empirisme ne peut se concevoir que corrig par la notion d'assimilation critique.

    2) L'analyse du discours ne se forge de nouveaux outils que dans la pratique. C'est de la pratique que nous avons voque plus haut, thorise, que commencent natre les outils susceptibles de permettre la validation scientifique des hypothses linguistiques nouvelles qui sont celles des analystes du discours 12.

    C'est pourquoi il nous a sembl honnte et clairant la fois de situer ce numro dans l'histoire d'une recherche jalonne depuis 1969 par de nombreux numros de Langages et de Langue franaise, ainsi que par les livres de J. B. Marcellesi, M. Pchetjx, R. Robin en particulier. Notre travail amne certaines propositions nouvelles pour la pratique, ainsi que des suggestions et des formulations thoriques. Mais il importait de signaler qu'il s'agit de la pratique et de la thorie de ce que nous pouvons et devons dsormais concevoir comme un front scientifique original, l'cole franaise d'analyse du discours.

    2. Recherches en linguistique sociale.

    Outre l'unit profonde du groupe de recherche 13, la cohrence du prsent travail rside dans la recherche d'une nouvelle typologie des discours poli-

    11. C'est l'ide qu'un compte rendu de l'activit langagire fond sur l'abstraction pauvre du locuteur-auditeur idalis , hors socit, puisse avoir valeur de modle scientifique qui nous parat condamne : l'analyse du discours, renversant le problme, montre ce qu'un modle linguistique doit intgrer. Ceci ne retirant rien, en revanche, l'intrt pratique des syntaxes, smantiques et phonologies constitues dans ce paradigme scientifique ou dans les prcdents ; la condamnation pistmologiquement juste du modle structural par Chomsky n'te leur intrt ni la grammaire, ni la lexicologie, ni la phonologie structurales. De mme, le dpassement pistmologique de Chomsky n'te rien l'intrt des grammaires de Lees, Bach, Dubois, etc. Si les chercheurs groups autour de la smantique generative parviennent au stade des ralisations, ce sera passionnant et fructueux.

    12. J. C. Chevalier, dans Information littraire (1975, n 1) crit que l'analyse du discours s'inspire de la formalisation pour construire des stratgies d'analyses . Ceci nous semble partiellement vrai seulement : en tant qu'en effet l'analyse du discours ne se conoit pas dans un autre horizon que celui de la formalisation, et en tant que c'est sur la formalisation d'une langue hors discours qu'elle est contrainte s'appuyer. Mais la phrase nous semble insuffisante en tant qu'elle parat limiter l'analyse du discours cette dpendance, sans envisager que le travail sur l'objet-discours soit en voie de modifier les donnes du problme, vers une modlisation plus conforme au rel.

    13. Le GRECO, Groupe de recherches sur la covariance des faits linguistiques et sociaux.

  • tiques. Les travaux prsents posent tout le problme du reprage linguistique d'une dominante discursive dans des discours-occurrences donns. Ils prsupposent ou tendent dmontrer le rle des formations discursives contrastes dans la construction de la signification. B. Gardin voque, la suite de Volochinov, le problme de la responsabilit idologique ; il constate le dveloppement d'une sorte d'irresponsabilit idologique du locuteur dans les pratiques langagires modernes 14. On peut se demander si une typologie du discours politique ne doit pas prendre cette opposition pour source ; disons, dans une optique taxinomique, provisoirement accepte, que le taxon de rang suprieur serait alors responsabilit/irresponsabilit idologique.

    J. B. Marcellesi travaille en opposant des rsolutions de congrs, c'est--dire des fusions de textes, ds lors assums par un locuteur-intellectuel collectif , selon la dfinition donne dans l'Introduction la sociolin- guistique. Confronter le discours socialiste et le discours communiste , c'est bien en fait, pour J. B. Marcellesi, confronter les archtypes, les taxa du rang suprieur : ce sont deux responsabilits idologiques collectives, garanties par la discussion, la rdaction et le vote en congrs, qui se confrontent ; on pourrait parler alors avec quelque lgitimit des discours abstraits S. F. I. O./P. C. 15.

    Notre recherche gnrale va dans le mme sens ; toutefois, le travail que nous prsentons ici s'intresse un cas d'opposition interne ; l'tude contrastive des discours de L. Blum en 1935 et en 1936 nous permet de dceler un fait propre au discours de 1935 : la contradiction entre l'existence d'un sujet nonciation unique (Lon Blum) et les diverses places conjointement assumes en fonction des divers rles jous par Blum dans les structures de son parti : adhrent, leader, rapporteur du groupe parlementaire. A l'intrieur d'une formation discursive unique (le discours de congrs S. F. I. O.), tout se passe comme si les rles diffrents d'un mme sujet d'nonciation entranaient des processus discursifs distincts. La responsabilit idologique plurielle de L. Blum est l'origine de troubles nonciatifs impliquant l'effet de sens.

    Le travail de B. Gardin prsente l'avantage de se situer hors du terrain coutumier de l'analyse du discours politique ; les conditions de production et de rception sont diffrentes (au lieu d'un journal ou de la tribune d'un congrs, le studio et le petit cran) ; les groupes metteurs sont diffrents : au groupe homogne des syndicalistes s'oppose le groupe htrogne des journalistes, chefs d'entreprises, petites gens du discours patronal. Ce travail parallle nous aide sans doute mieux poser certains problmes : l'analyse du pur discours politique nous aurait peut-tre cach l'aspect essentiel de la question de la domination discursive, pour autant que, dans les genres qui se donnent ouvertement pour politiques (rsolutions, ditoriaux, etc.), la communaut d'option politique peut cacher des divergences idologiques.

    Se donner le discours d'une formation politique, c'est donc rsoudre provisoirement le problme typologique par la facilit. Il va de soi que cette premire approche, ncessaire, devra tre dpasse : tudier par exemple le discours de la Rsistance franaise dans la presse clandestine, c'est voir

    14. C'est une constatation abondamment faite par l'ERA 353 du C. N. R. S. (dirige par L. Guilbkrt) dans son tude de la nologie lexicale au cours de la campagne des lgislatives 1973 (cf. Langages n 33).

    15. L'intrt du GRECO pour le travail de rcriture collective s'est galement traduit par l'tude du travail de la Commission de la Rsolution du xxie Congrs du P. C. F. Cf. L. Guespin, Du projet la rsolution , Nouvelle Critique, dc. 1974.

  • coexister les affrontements de classes l'origine de clivages discursifs, et l'affrontement sur les options patriotiques, ds lors que la Rsistance devient guerre nationale. Les bourgeois enrls dans les F. T. P. F., qui se sont reconnus dans leur Bulletin et dans l'Humanit clandestine, auraient jur deux ans plus tt que c'tait impensable et qu'ils ne parlaient pas la mme langue que ces gens-l . Comme chez B. Gardin, le problme de la domination discursive se posera dans cette tude du discours politique de la Rsistance, assume collectivement par le GREGO.

    3. La typologie des discours.

    De mme qu'on a cru une analyse du discours, sur le modle de Hakris, on a pu croire la possibilit d'une typologie rapide des discours.

    3.1. La ncessit.

    Qu'il faille y parvenir, c'est ce dont le titre du numro veut porter tmoignage. Il va de soi que la science du discours sera une science du gnral, et qu'elle formulera donc ses catgories. J. Sumpf dit fort justement ie : II s'agit d'une catgorisation relativement intuitive grce laquelle, ensuite, un systme de propositions devient possible . Toutefois, nous voudrions dfinir cette phase comme pr-taxinomique : on a l'illusion du stade de la taxinomie, mais, tant que les catgories sont empruntes, mtaphoriques, on est avant la taxinomie. Qu'on nous comprenne bien : la typologie des discours est une ncessit, mais elle est future. Tant que les catgories dcrivant le discours sont philosophiques (par exemple, ontologique/idologique) ou rhtoriques (par exemple, didactique/polmique), on se condamne l'artefact. Ce qu'il faut catgoriser, c'est ce qui fait qu'un discours fonctionne, et non le jugement qu'on peut porter sur lui.

    3.2. Les cueils. Une typologisation htive abstrait sur critres pauvres. Qu'est-ce

    qui nous garantit que le mode essentiel de fonctionnement d'un discours est tel ou tel trait ? Par ailleurs, les projets de typologie des discours n'envisagent pas le problme des contraintes croises , ni de la hirarchie des types et des sous-types. Enfin, et l'on s'approche alors de la question fondamentale, a-t-on le droit d'opposer, en matire de discours, ontologique et idologique ? Y a-t-il des discours dont la dominante soit cette coupure logique ? N'est-il pas essentiel au fonctionnement du discours de mler dans des proportions varies langage de la vie relle 17, langage charg d'idologie, langage conceptuel ? Quelque prcaution qu'on prenne, ne risque-t-on pas de donner des critres (intuitifs) de recherche pour principe de causalit, ce qui est la dfinition de l'artefact ? Autre dfaut d'une typologie prmature : elle passe ct de ce qui peut tre aussi important, et ventuellement essentiel. On verra dans ce numro nos rserves sur le primat accord par L. Courdesses l'opposition je/nous, par rapport un autre trait de fonctionnement galement mis en vidence par elle.

    Nous ne sommes pas sans crainte devant l'opposition tablie par D. Mal- didier et R. Robin dans leur travail du Mouvement social entre discours aristocratique, voire fodal, oppos un discours bourgeois 18. Aussitt,

    16. Langages n 13. 17. Selon l'expression de K. Marx dans l'Idologie allemande. 18. le Mouvement social, p. 73.

  • les auteurs sont amens corriger, opposant Turgot et le roi ; c'est dire que le fonctionnement discursif n'est pas si simple, et qu'une abstraction d'historien a prsid l'opration.

    3.3. Vers la nouvelle typologie.

    En revanche, ce mme travail nous semble tout fait important et pertinent notre propos, en tant qu'il s'interroge sur la place de cet affrontement discursif dans la conjoncture politique et idologique et dans les luttes sociales de la fin de l'Ancien Rgime , et en tant qu'il conclut que tout se passe comme si l'affrontement idologique dans le discours 19 avait pour seule fonction la reconnaissance, c'est--dire une fonction de signe qui permette tous ceux qui dfendent les mmes valeurs de se reconnatre, de se retrouver, de se scuriser dans la communion d'un mme groupe, non la connaissance, encore moins la persuasion de l'autre . Un constat de cette nature, qui parat fondamentalement juste, contribue branler les catgorisations a priori sur lesquelles il tait normal de travailler l'origine.

    Nous voulons dire ici notre plein accord avec ce raisonnement fonction- naliste fond sur les formations discursives, et, en tant que tel, rejetant le fonctionnalisme de la communication tel qu'on peut le trouver formul chez les logiciens ou les linguistes gnralistes.

    Reste qu'une telle intention, prsente chez tous les analystes du discours, n'est pas l'abri des simplifications htives et des dangers de l'abus de langage. Tenter de typifier les discours des diffrentes formations discursives, c'est--dire dgager les dominantes de leur fonctionnement, ne va pas sans quelque simplisme dans la dlimitation provisoire de ces formations. Quand J. B. Marcellesi dcrit le discours de la bolchvisation du P. C. F., il pose un problme individuation linguistique, donc un problme typologique. Rfutant A. Kriegel, qui imagine peu prs l'expdition du vocabulaire bolchevique en wagon plomb, il voque le passage au discours bolchevique franais comme un processus dialectique du mme et du diffrent ; mais il va de soi que le fait de se limiter aux rsolutions de congrs restriction impose par le caractre minutieux de l'tude rduit provisoirement l'efficacit de la recherche diachronique. C'est un ensemble restreint qui est ici rput discours de la bolchvisation . Les recherches de B. Gardin sur le reportage tlvisuel, type nouveau par son exploitation de la relation discours rapporteur/discours rapport, sont prcieuses ; elles dbouchent, on le verra, entre autres, sur la typiflcation suivante du discours patronal tlvisuel : II est donc possible d'effacer totalement le verbe introducteur, de faire disparatre de la squence orale l'identit de l'auteur du discours rapport, de raliser au maximum l'effacement du rapporteur, au profit (apparent) de l'auteur du discours rapport . Reste que dfinir le film de F. Ceyrac comme discours patronal public n'est pas sans danger ; c'est encore un problme de formation discursive. B. Gardin consacre une note indiquer qu'il prfre parler de forme discursive ne de l'usage de la tlvision, et non de formation discursive. Scrupule terminologique honorable, mais a-t-il raison ? Traiter la tlvision comme un simple support, en considrant que le processus discursif met en rapport patronat et Franais, n'est-ce pas contredire la belle dfinition du type tlvisuel donn ci-dessus ? Ce discours patronal envisage effet-tlvision et en joue (avec adresse) : par le medium TV, c'est aux tlspectateurs que

    19. Nous comprendrons : dans le systme discursif tudi .

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  • s'adresse le film. N'est-ce pas l la marque mme d'une formation discursive ?

    Quant notre recherche, elle contribue certes jeter l'incertitude sur les tentatives typologiques fondes sur la rhtorique ; on peut toutefois se demander si les spci ficateurs de formation discursive envisags, traversant les catgorisations de la grammaire et du lexique, peuvent dboucher sur des gnralisations satisfaisantes.

    Les contributions prsentes ici se situent donc dans la phase prtaxi- nomique dont nous parlions, et en prouvent les limites. J. B. Marcellesi, en s'intressant au passage (du non-difrenci au diffrenci) tablit le type du discours d'individuation. B. Gardin oppose le discours patronal public comme type de discours polyphonique occultant son fonctionnement, au discours syndical public comme posant le problme de la conqute du discours . Nous-mme, nous approuvons la fois les conclusions de L. Courdesses (opposant le discours de Blum en 1936 comme discours enunciation par je et le discours de Thorez la mme date comme discours enunciation par nous ) et ses propres rserves (les discours tudis sont traverss par des oppositions du type didactique/polmique, etc.) ; mais nous proposons paralllement cette double catgorisation un autre niveau typique : celui des configurations nonciatives non-rhtoriques, o renonciation n'est plus dans l'cart l'nonc, mais doit tre envisage comme procs constitutif de la matire nonce, ce qui implique que soit repense la notion d'embrayeur. Ce sont donc des pices verses au dossier, au mme titre que le travail de D. Maldidier et R. Robin cit plus haut, au mme titre que les propositions de G. Chauveau aprs le constat minutieux de l'insuffisance de la mthode harrissienne. Avant tout progrs typologique, il faut que la recherche, au moins dans le cadre troit du discours politique, fasse le tour des fonctionnements discursifs.

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  • REPRES BIBLIOGRAPHIQUES

    Les revues.

    Langages n 13 (l'Analyse du discours) ; n 23 (le Discours politique) ; n 36 (la Nologie lexicale) ; n 37 (Analyse du discours, langue et idologies).

    Langue franaise n 9 (Linguistique et socit). Cahiers de lexicologie (Actes du colloque de Saint-Cloud sur le vocabulaire politique),

    n 15, 1969.

    Travaux thoriques.

    L. Guespin : l'Analyse du discours ; problmes et perspectives, Ed. de la Nouvelle Critique, 1975.

    D. Maldidier, Cl. Normand, R. Robin : Discours et idologie : quelques bases pour une recherche , Langue franaise, n 15, 1972.

    J. B. Marcellesi et B. Gardin : Introduction la sociolinguistique ; la linguistique sociale, Larousse, 1974.

    M. Pcheux : l'Analyse automatique du discours, Dunod, 1969. Cl. Haroche, P. Henry, M. Pcheux : la Smantique et la coupure saussurienne :

    langue, langage, discours , Langages n 24, 1972.

    Travaux de recherche applique.

    G. Chauveau : Analyse linguistique du discours jaursien, Paris X Nanterre, 1974. B. Gardin : les Niveaux de langue : discours patronal et discours syndical, Parix X,

    Nanterre, 1975. M. R. Guyard : le Vocabulaire politique d'luard, Klincksieck, 1973. J. B. Marcellesi : le Congrs de Tours ; tudes sociolinguistiques, Le Pavillon, 1971. D. Maldidier : Analyse linguistique du vocabulaire de la guerre d'Algrie, Paris X-

    Nanterre, 1971.

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    InformationsAutres contributions de Louis Guespin

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    Plan1. La notion de discours. 1.1. Analyse du discours et discours. 1.2. La pratique de l'analyse du discours.

    2. Recherches en linguistique sociale. 3. La typologie des discours. 3.1. La ncessit. 3.2. Les cueils. 3.3. Vers la nouvelle typologie.

    Repres bibliographiques