23
Vers une logique qualitative plutôt que quantitative dans les politiques éducatives en matière de langues étrangères : Le cas du néerlandais en Belgique francophone. Philippe Anckaert Haute Ecole Francisco Ferrer (Bruxelles) [email protected] Eloy Romero-Muñoz Haute Ecole Francisco Ferrer (Bruxelles) [email protected] Résumé Cet article aborde la question des réformes éducatives en matière d’enseignement des langues étrangères au travers du prisme de l’enseignement du néerlandais en Belgique francophone. Ce dernier se caractérise par un paradoxe entre, d’une part, la désaffection lente mais constante du cours de néerlandais LM1 et, d’autre part, le succès croissant d’autres formes d’enseignement du néerlandais dont l’enseignement immersif. Au travers d’une analyse des perceptions populaires, mises en perspectives avec les indicateurs officiels du système scolaire belge francophone et les choix politiques posés ou envisagés, les auteurs postulent une forme de défiance par rapport à l’enseignement du néerlandais qui incite à une réflexion qualitative plutôt que quantitative de l’offre. Les auteurs proposent de se pencher sur le climat motivationnel instauré par l’enseignant, identifié dans la littérature comme un préalable à une amélioration de l’enseignement. Abstract This article approaches educational reforms in foreign language education through the prism of Dutch as a foreign language teaching in French-speaking Belgium. The latter is characterized, one the one hand, by a slow yet steady disaffection from traditional Dutch as a first foreign language classes and, on the other hand, the growing success of CLIL in Dutch. The authors put the popular ethos about 1

he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

Vers une logique qualitative plutôt que quantitative dans les politiques éducatives en matière de langues étrangères : Le cas du néerlandais en Belgique francophone.Philippe Anckaert Haute Ecole Francisco Ferrer (Bruxelles)

[email protected]

Eloy Romero-MuñozHaute Ecole Francisco Ferrer (Bruxelles)

[email protected]

Résumé Cet article aborde la question des réformes éducatives en matière d’enseignement des langues étrangères au travers du prisme de l’enseignement du néerlandais en Belgique francophone. Ce dernier se caractérise par un paradoxe entre, d’une part, la désaffection lente mais constante du cours de néerlandais LM1 et, d’autre part, le succès croissant d’autres formes d’enseignement du néerlandais dont l’enseignement immersif. Au travers d’une analyse des perceptions populaires, mises en perspectives avec les indicateurs officiels du système scolaire belge francophone et les choix politiques posés ou envisagés, les auteurs postulent une forme de défiance par rapport à l’enseignement du néerlandais qui incite à une réflexion qualitative plutôt que quantitative de l’offre. Les auteurs proposent de se pencher sur le climat motivationnel instauré par l’enseignant, identifié dans la littérature comme un préalable à une amélioration de l’enseignement.

Abstract

This article approaches educational reforms in foreign language education through the prism of Dutch as a foreign language teaching in French-speaking Belgium. The latter is characterized, one the one hand, by a slow yet steady disaffection from traditional Dutch as a first foreign language classes and, on the other hand, the growing success of CLIL in Dutch. The authors put the popular ethos about Dutch in perspective with official data about the educational system in French-speaking Belgium and political decisions that have been made or are in the pipeline, which leads them to the conclusion that there is a general lack of confidence for Dutch as a foreign language teaching methods. This conclusion should lead decision makers to shift the emphasis from quantitative solutions to qualitative ones. The authors further suggest a closer examination of teachers’ motivational style which has been identified in previous research on motivation as a key factor in the improvement of the system.

1

Page 2: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

KeywordsDutch as a second/foreign language, foreign language education policy, French-speaking Belgium, Educational reform, motivation in foreign language teaching / learning, teaching styles

Mots clésNéerlandais langue étrangère/seconde, politique linguistique dans l’enseignement des langues étrangères, Belgique francophone, Réforme éducative, motivation dans l’enseignement / apprentissage des langues étrangères, style motivationnel de l’enseignant

0. IntroductionL’Europe est riche de sa diversité linguistique et culturelle. Cette richesse nécessite toutefois une réflexion pragmatique sur les politiques locales, nationales et transnationales en matière d’éducation aux langues étrangères. La Belgique francophone, petite région d’un pays à la grande complexité institutionnelle et aux conflits communautaires endémiques, constitue un cas d’école dans le cadre de cette problématique.

La Belgique est en effet régulièrement agitée de tensions entre Wallons et Bruxellois francophones d’une part et Flamands néerlandophones d’autre part, lesquels représentent les deux grandes communautés linguistiques du pays1. Ce différend communautaire s’invite parfois dans la sphère politique, quand il s’agit notamment de statuer sur la place du néerlandais dans l’enseignement francophone.

On parle parfois de supprimer carrément le néerlandais, parfois au contraire de le rendre obligatoire comme première langue étrangère dans les écoles. Malheureusement, ce débat qui devrait être purement pragmatique est parasité par les questions politiques, où une certaine indifférence voire une franche hostilité à l’Autre et à sa langue. Les spécialistes du néerlandais de tous bords ne sont pas en reste avec des propos qui frisent parfois le corporatisme. Ces positions à l’emporte-pièce sont abondamment relayées voire alimentées par les médias.

Dans le cadre d’une grande réforme du système éducatif en cours en Belgique francophone, les auteurs se sont attelés à clarifier la situation afin de permettre des choix de politiques éducatives raisonnés tant au niveau local (c’est-à-dire en Belgique francophone) que dans d’autres contextes.

Dans un premier temps, les auteurs abordent la problématique de l’enseignement du néerlandais en Belgique francophone à la lumière des statistiques officielles (2005 – 2015). Les données analysées reflètent le choix de langues dans l’enseignement obligatoire, c’est-à-dire le fondamental ordinaire (qui correspond à l’enseignement primaire), le secondaire ordinaire (uniquement jusqu’à 16 ans), ainsi que l’enseignement immersif. Les données des élèves francophones inscrits dans l’enseignement de la communauté flamande sont aussi prises en compte. L’image qui en ressort est, comme le disaient déjà Hiligsmann et Rasier (2015), plus « mitigée » que ne le laisse supposer la perception générale, relayée dans les médias : le néerlandais perd du terrain dans certains contextes d’enseignement alors qu’il se maintient voire gagne spectaculairement du terrain dans d’autres.

La diminution des effectifs choisissant le néerlandais comme première langue étrangère dans l’enseignement ordinaire, quand elle est mise en perspective avec le succès du néerlandais dans d’autres formes d’enseignement ou contextes, illustre à tout le moins une défiance par rapport au

1 La troisième grande communauté linguistique, la Communauté germanophone, se situe dans l’est du pays et est fait partie de la région wallonne.

2

Page 3: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

système traditionnel. Ce constat induit les auteurs à proposer une approche alternative mais complémentaire à la recherche sur la motivation, actuellement essentiellement focalisée sur l’apprenant (Mettewie, 2004). En s’inspirant principalement de la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2000, 2002), les auteurs proposent le climat motivationnel instauré par l’enseignant comme extension nécessaire au champ de recherche sur la motivation par rapport au néerlandais en FWB.

1. Quand la doxa médiatique se fraie un chemin jusqu’au Parlement

L’enseignement du néerlandais en Belgique francophone fait régulièrement les gros titres des médias francophones et néerlandophones. Si l’on en croit les journalistes, on observerait un net déclin du néerlandais au profit de l’anglais. Sur la base des statistiques officielles, sur lesquelles nous reviendront ultérieurement (section 3 – Indicateurs de l’enseignement), la Dernière Heure chiffre par exemple cette désaffection à 10% depuis 2009 (DH, 22/03/2015), un chiffre alarmant s’il en est.

L’attention médiatique a généré un questionnement parlementaire : doit-on renforcer l’enseignement du néerlandais en le rendant obligatoire ou, au contraire, doit-on viser plus de pragmatisme dans le choix des langues à enseigner dans nos écoles ? Suite à ces interpellations et en capitalisant sur l’élan progressiste de la grande réforme éducative en cours (le Pacte pour un enseignement d’excellence), la Ministre de l’enseignement a commandé une étude sur l’enseignement-apprentissage du néerlandais dont cet article présente les premières constatations / conclusions.

2. Méthodologie2.0 Préambule

Suite au décret du 27-03-2002, l’Enseignement belge francophone s’est adjoint une commission de pilotage dont l’une des missions est « de doter notre enseignement d’un système cohérent d’indicateurs » (article 3 alinéa 2) afin « d’assurer le suivi statistique des élèves » (article 3 alinéa 8). Ces données nous permettent de cartographier l’enseignement des langues en Belgique francophone sur la base de statistiques officielles, disponibles sur le site enseignement.be et sur l’Etnic (www.etnic.be)2.

2.1 Echantillonnage

La règle de non-publicité des résultats, qui vise à limiter le marché scolaire, complexifie grandement l’obtention de données, même dans le cadre d’un projet commandé par la Ministre de l’enseignement. Bien que des données antérieures soient disponibles, cet article se limite aux données publiées pour les années 2005 à 2015, sauf pour le CE1D3 en néerlandais ou nous nous concentrons sur les données disponibles (2013, 2014 et 2016 – l’épreuve de 2015 ayant été annulée pour fraude) ainsi que pour le choix de LM2 en Région Wallonne (le décret régissant le 1er degré commun date de 2006). Comme le montre le tableau ci-dessous, la disponibilité est variable en fonction du type de données avec, toutefois, une constante : plus le type d’enseignement représente une part importante de la population étudiante, plus il y a de données. Les données disponibles sont notées V, celles qui ne le sont pas, X.

2 ETNIC est l’entreprise publique de services informatiques des entités de la Fédération Wallonie-Bruxelles.3 Le CE1D, Certificat d’Etude du Premier Degré, et une épreuve externe commune certificative en 2e année du secondaire. Cette épreuve couvre 4 matière : les mathématiques, les sciences, le français et une deuxième langue. La réussite de cette épreuve conditionne le parcours de l’élève au-delà de la 2e année.

3

Page 4: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

Période Fondamental (ordinaire)

Secondaire (ordinaire – LM1)

Secondaire (ordinaire – LM2)

Immersion CE1D NL

05 – 06 V V X X X06 – 07 V V V V X07 – 08 V V V V X08 – 09 V V V V X09 – 10 V V V V X10 – 11 V V V V X11 – 12 V V V V X12 – 13 V V V V V13 – 14 V V V V V14 - 15 V X V X X15 - 16 X X X X V16 -17 X X X X V

Tableau 1 : Inventaire des données analysées dans cette recherche

2.2 Variables étudiées

La sélection des variables à analyser a été effectuée sur la base de la « Loi concernant le régime linguistique dans l’enseignement » (L. 30-07-1963 - M.B. 22-08-1963). Cette loi détermine le cadre légal pour l’enseignement de la « seconde langue »4 en Belgique. Il s’agit d’une loi fédérale qui, en vertu de l’article 4 de la constitution, ne peut être modifiée qu’au prix d’un accord entre les différentes communautés linguistiques du pays. Un tel accord ne peut intervenir qu’avec une majorité spéciale, laquelle est très difficile à obtenir5. A ce titre, le Groupe central, chargé de « développer la mise en œuvre progressive du Tronc commun », s’y réfère pour élaborer les différents scenarii concernant l’enseignement des langues modernes (Rapport 28.4.1976 Groupe central p ?). Notre recherche envisage donc en priorité ce qui est « possible » dans ce cadre légal, c’est-à-dire les actions qui ne nécessitent pas une modification de cette loi fédérale.

En vertu de la loi précitée, les décisions éventuelles sur l’enseignement des langues s’appliquent à tous les élèves, quels que soient leur sexe ou le réseau d’enseignement. Ces variables, aussi

4 Notons ici une différence de terminologie dans les documents officiels. Le texte de loi parle de « seconde langue », un terme repris dans les documents disponibles sur l’Etnic concernant l’enseignement fondamental ordinaire. Quand il s’agit de l’enseignement secondaire ordinaire, on parle plutôt de « langue moderne 1 ».

5 Une loi prise à la majorité spéciale doit remplir six conditions de majorités qui la rendent virtuellement

inchangeable :

réunir la majorité des suffrages du groupe linguistique néerlandophone à la Chambre des représentants ;

réunir la majorité des suffrages du groupe linguistique francophone à la Chambre des représentants ;

réunir les deux tiers des suffrages à la Chambre des représentants ;

réunir la majorité des suffrages du groupe linguistique néerlandophone au Sénat ;

réunir la majorité des suffrages du groupe linguistique francophone au Sénat, et

réunir les deux tiers des suffrages au Sénat.

4

Page 5: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

pertinentes soient-elles, ne sont donc pas prises en considération dans notre analyse. Pour la même raison, nous n’abordons les différences entre provinces wallonnes que dans la perspective d’étayer la discussion sur la valeur du néerlandais en termes d’emploi (le taux de réussite est-il plus élevé dans une région limitrophe avec la Flandre ou les Pays-Bas ?) et pour vérifier l’impact de la variable socio-économique dans l’analyse des résultats (existe-t-il une corrélation entre le niveau socio-économique d’une région et les résultats aux épreuves externes ?).

En revanche, la différence entre Wallonie et région de Bruxelles-Capitale est centrale dans la loi de 1963, ce qui en fait un axe important de notre analyse. La « Loi concernant le régime linguistique dans l’enseignement » impose6 le néerlandais à Bruxelles jusqu’à la fin du premier degré commun de l’enseignement secondaire ordinaire, alors que les élèves Wallons peuvent choisir entre le néerlandais, l’anglais ou l’allemand. Pour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie7 indépendamment de celles relatives à la région Bruxelles-Capitale. Cela vaut également pour les changements de langues en Wallonie, déconseillés mais pas impossibles, comme le précise la circulaire 5375 (p15) :

Cette recherche vise à objectiver les choix qui seront bientôt nécessaires dans le cadre de l’élargissement du tronc commun (un allongement de la scolarité obligatoire et commune à tous les élèves francophones jusqu’à 15 ans). Dans cette perspective, il a été jugé utile de s’attarder également sur l’introduction d’une deuxième langue étrangère (langue moderne 2 dans les textes officiels) qui, à l’heure actuelle, s’effectue entre la S2 et la S3, et est commun à toutes les écoles belges francophones. Notre analyse se penchera donc également sur le choix que font les élèves à cette étape de leur parcours scolaire.

Une dernière variable consiste en l’analyse des résultats à l’épreuve certificative à la fin du premier degré commun (CE1D). Cette épreuve est identique en Wallonie et dans la région de Bruxelles-Capitale même si le néerlandais est imposé à Bruxelles et que l’enseignement de cette langue y débute plus tôt (P3 contre P5). Cette particularité nous permettra de comparer les résultats des deux régions sur une base objective et d’évaluer les gains d’apprentissages en cas de généralisation de l’obligation du néerlandais dès la P3.

3. Les indicateurs de l’enseignement3.1 Enseignement primaire ordinaire

6 Il existe bien quelques cas où une autre langue est choisie, mais ces occurrences sont tout à fait marginales et nous choisissons de les ignorer ici.7 Pour être totalement exact, nous devrions également établir une distinction entre la Wallonie et les communes à facilités, bénéficiant d’un régime linguistique spécial. L’enseignement du néerlandais est en effet obligatoire dans les communes wallonnes de Comines-Warneton, Mouscron, Flobecq et Enghien. Dans les communes de Malmédy, Waimes, Baelen, Plombières et Welkenraedt, par contre, la seconde langue peut être soit l'allemand, soit le néerlandais.

5

Page 6: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

% % % % % % % % % %0020406080

Evolution des effectifs dans le fondamental

Néerlandais Anglais Allemand

Graphique 1 : Evolutions des effectifs dans le fondamental par langue

Le Graphique 1 donne des indications sur l’évolution des effectifs dans l’enseignement fondamental (primaire). L’axe des x représente les années (2005 à 2015) tandis que l’axe des y illustre les pourcentages d’élèves par langue. Entre 2005 et 2008, on note une augmentation faible des effectifs dans les cours de néerlandais avant d’assister à une baisse, tout aussi faible mais continue cette fois-ci, par la suite au profit de l’anglais. La prédominance du néerlandais au niveau des effectifs ne doit donc pas cacher une autre réalité : le déclin lent mais constant du néerlandais par rapport à l’anglais (environ 4% sur 10 ans).

60.0

38.1

1.9

Moyenne des effectifs dans le fondamental (sur 10 ans)

Néerlandais Anglais Allemand

Graphique 2 : Moyenne des effectifs dans le fondamental par langue (sur 10 ans)

Le Graphique 2 présente une vue synthétique du choix de langue dans l’enseignement fondamental entre 2005 et 2015. Les données sont exprimées en pourcents. Comme le montrent les données du Graphique 2, le choix de seconde langue s’oriente de manière assez significative vers le néerlandais et cette tendance est pérenne avec, en moyenne ces dix dernières années, 60% des élèves qui optent pour cette langue. Ce chiffre doit cependant être relativisé. En effet, le choix de la seconde langue dans le fondamental est fonction du choix posé par l’école. Comme indiqué à l’article 7 du décret du 13 juillet 1998, l’école peut « en théorie » proposer deux langues :

6

Page 7: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

En pratique, pour des raisons organisationnelles ou parce que c’est un choix exprimé dans le projet pédagogique, les écoles optent pour une des trois langues dans 68% des cas et s’y tiennent8. C’est ce que l’on peut déduire du Tableau 2 ci-dessous qui représente à titre d’illustration le choix de langue au fondamental pour l’année 2016-17. Le Tableau 2 nous informe sur le choix de langue et sur le nombre d’implantations / écoles ayant fait un choix déterminé.

NL AN ALL NL+AN NL+ALL ALL+AN PAS DE LANGUE9

710

334 27 395 1 13 99

Tableau 2 : Seconde langue dans le fondamental en FWB (2016-17)

Il est donc difficile de savoir si les élèves ont effectivement choisi le néerlandais ou si, au contraire, il s’agit d’un choix par défaut dicté par l’offre. Les écoles choisissent majoritairement le néerlandais plutôt que l’anglais ou l’allemand, ce qui pourrait constituer un indicateur de la popularité de cette langue en Wallonie au niveau des Pouvoirs organisateurs10. Dans le même temps, on pourrait supposer que la popularité du néerlandais est artificiellement gonflée par le choix des écoles d’organiser l’enseignement de cette langue plutôt qu’une autre.

3.2 Enseignement secondaire ordinaire 3.2.1 Langue moderne 1 (choix de langue en S1)

4. Néerlandais Anglais Allemand Pas de LM1Choix au fondamental

58,06% 39,87% 2,05% N/A

Choix en S1 40,9% 56% 1,9% 1,1%Tableau 3 : choix de langue au fondamental et en S1 (2012 – 2013)11.

Le tableau 3 reprend les populations scolaires dans l’enseignement secondaire ordinaire (dit aussi « de plein exercice » sur l’Etnic) pour ce qui est du choix des langues au début du 1 er degré commun (langue moderne 1). Comme expliqué précédemment, seules sont reprises les données concernant la Wallonie, le néerlandais étant imposé en région de Bruxelles-Capitale.

La tendance au déclin pointée au fondamental semble s’intensifier dans l’enseignement secondaire ordinaire. Le néerlandais y perd du terrain au profit de l’anglais. On parle d’une baisse d’environ 10% sur les dix dernières années (contre environ 4% au fondamental).

Toutefois, on est loin des chiffres publiés dans la Dernière Heure (22/03/2015) et cité précédemment. L’article annonce un déclin de 10% depuis 2009, ce qui ne correspond à rien dans les statistiques officielles d’autant que le journaliste ne précise pas s’il parle du fondamental, du secondaire ou des deux confondus. Nous avons chiffré le déclin dans le fondamental à environ 4% sur 10 ans. Les statistiques du secondaire montrent bien un déclin d’environ 10%, mais uniquement si 8 La loi précitée les oblige à garantir qu’un élève puisse terminer tout cursus commencé dans une langue.9 Il s’agit d’écoles sans élèves en P5 ou P6.10 Le Pouvoir organisateur est responsable des activités éducatives menées dans un ou plusieurs établissements scolaires. 11 Nous avons comparé les dernières données disponibles pour les deux types d’enseignement.

7

Page 8: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

l’on regarde les 10 dernières années. Une autre possibilité pour donner du sens à ces chiffres serait de mettre en relation la « seconde langue » choisie au fondamental à la « langue moderne 1 » choisie en S1. Les chiffres ne semblent pas non plus coller. Cela étant dit, cette dernière comparaison nous apporte deux informations capitales dans notre débat. On note tout d’abord une première rupture du continuum pédagogique12 entre la P6 et la S1, pourtant crucial pour assurer l’apprentissage sérieux d’une langue. On remarque ensuite que le choix des élèves se porte plus massivement vers l’anglais quand le choix est possible.

3.2.2 Langue moderne 2 (choix de langue en S3)

Que se passe-t-il quand on envisage le choix de langue moderne 2 qui s’opère au niveau du deuxième degré de l’enseignement secondaire ordinaire en Wallonie13 ? Comme nous l’avons noté ci-dessus, le néerlandais perd du terrain par rapport à l’anglais au fondamental (cf. 3.1) et, plus encore, au moment de la transition P6-S1 où le choix de langue moderne est de nouveau possible (cf. 3.2.1). Comme le montre le Tableau 4, la réalité est bien différente pour le choix de LM2.

Choix de langue Moyenne des effectifs Néerlandais 31,6Anglais 48,3Allemand 4,5Espagnol 2,5Italien 0,3Pas de LM2 12,8

Tableau 4 : choix de LM2 en Wallonie (moyennes entre 2006 et 2015)

Le Tableau 4 nous montre en effet une tendance nette en faveur du néerlandais par rapport à toutes les autres langues. Le pourcentage élevé de l’anglais s’explique par le fait que les élèves choisissant l’anglais en LM2 ont, pour la très grande majorité, choisis le néerlandais en LM1. En d’autres termes, si le néerlandais perd du terrain en tant que LM1 comme nous l’avons montré plus haut, il reste le choix privilégié par les élèves en tant que LM2. Ce choix positif pour le néerlandais s’opère malgré la possibilité d’opter pour des langues que l’on pourrait croire plus attrayantes comme l’espagnol ou l’italien. Notons aussi que toutes les écoles ne proposent pas le choix de ces langues romanes, ce qui, comme nous l’avons fait remarquer plus haut au niveau du fondamental (cf. 3.1), pourrait aussi contraindre le choix de l’apprenant.

3.3 Enseignement immersif et submersif

Depuis l’autorisation officielle de l’apprentissage par immersion en 1998, cette forme d’enseignement n’a cessé de gagner en popularité en Belgique francophone14. Cette croissance constante est illustrée dans les graphiques ci-dessous. Bien que le Graphique 5 montre une réalité contrastée par province, l’augmentation quasi constante du nombre d’implantations offrant un enseignement de type immersif est manifeste.

12 On entend par « continuum pédagogique » le maintien du choix d’une langue entre deux cycles (ici le primaire et le premier degré du secondaire).13 Cette donnée n’a pas d’intérêt en région de Bruxelles-Capitale, car l’anglais est imposé presque de facto.14 En Flandre, on parle d’enseignement multilingue (« meertalig onderwijs » dans l’original) plutôt que d’enseignement immersif. On notera que l’enseignement immersif est nettement moins développé en Flandre, peut-être à cause d’une l’implémentation plus tardive.

8

Page 9: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

Graphique 5 : Evolution du nombre d’implantations proposant l’immersion par province de 2006 à 2012 (indicateurs 2013, p35).

Il n’est pas surprenant dès lors, comme l’illustre le Graphique 6, que les effectifs en immersion augmentent avec le nombre d’implantations :

Graphique 6 : évolution du nombre d’élèves suivant l’enseignement en immersion par province de 2006 à 2012 (indicateurs 2013, p35)15.

Outre une croissance importante et régulière, on remarque aussi que la langue d’immersion est très majoritairement le néerlandais. Il ne s’agirait pas non plus d’oublier que le choix d’une autre langue d’immersion que le néerlandais peut être expliqué par la variable géographique (par exemple l’allemand dans le Luxembourg ou les communes proches de la Communauté germanophone).

Néerlandais Anglais Allemand Totalécoles % écoles % écoles %

Préscolaire et 124 75,52 40 23,39 7 4,09 171

15 Les chiffres officiels pour 2013 – 2015 n’ont pas encore été publiés sur l’Etnic.

9

Julien Perrez, 07/12/17,
Par ailleurs, Y a-t-il des données plus récentes  qui confirmeraient la tendance à l’augmentation ?
Julien Perrez, 07/12/17,
Primaire et secondaire ensemble ? Si oui, il faut peut-être le spécifier ? Idem pour ci-dessous
Eloy Romero-Muñoz, 13/12/17,
À vérifier
Page 10: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

primaireSecondaire 77 66,38 35 30,17 4 3,45 116Total FWB 201 70,04 75 26,13 11 3,83 287

Tableau 5 : nombre d’implantations par langue par niveau d’enseignement en FWB pour 2013 - 2014 (adapté de Chopey-Paquet, 2015 : 18).

L’enseignement immersif est présenté dans les indicateurs de l’enseignement (2012) comme une addition récente à l’offre scolaire. Il n’est donc pas étonnant, selon les autorités francophones en charge de l’enseignement, que cette forme d’enseignement soit actuellement beaucoup plus représentée dans le fondamental que dans le secondaire. Cependant, comme le conclut le rapport 2012 des indicateurs de l’enseignement, « [l]a croissance se répercutera dans les années ultérieures et donc, dans les années à venir » (34).

Notre discussion sur la popularité du néerlandais se doit également d’aborder un contexte d’enseignement souvent oublié : le cas des enfants francophones qui fréquentent l’enseignement de la Communauté flamande. Ce phénomène n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique du côté francophone. On imagine que ce cas de figure est un sujet sensible depuis la publication des études PISA, lesquelles montrent que l’enseignement flamand est plus performant que l’enseignement francophone. Par contre, il est pris très au sérieux du côté néerlandophone. Les zones frontalières entre les communautés francophone et néerlandophone sont caractérisées par une mobilité importante des élèves francophones vers l’enseignement flamand. Dans la périphérie bruxelloise, par exemple, la proportion de non néerlandophones est de 40% en moyenne, avec une grande majorité d’élèves dont le français est la langue parlée à la maison (Van den Branden & Haeck, 2011:4).

Malgré leur succès respectif, l’enseignement immersif et submersif restent largement minoritaires en Belgique francophone16. L’augmentation des effectifs ne compense donc pas quantitativement le déclin du néerlandais dans l’enseignement ordinaire. On peut d’ailleurs douter que ce soit un jour le cas malgré les appels populaires à la généralisation de l’immersion17. L’enseignement submersif en Flandre n’est pas non plus une option réaliste pour améliorer la maîtrise du néerlandais chez les élèves francophones. Les écoles flamandes de la périphérie bruxelloises sont déjà saturées de francophones et penser que les élèves y sont mieux formés devrait plutôt inciter les autorités du côté francophone à revoir leur copie. Le succès de l’enseignement immersif et submersif devrait cependant nous interpeller en ce qu’il sonne comme une défiance de l’enseignement traditionnel.

4. Quels enseignements pour l’avenir du néerlandais en Belgique francophone ? Au-delà des a priori médiatiques et populaires, les chiffres montrent que l’on apprend toujours le néerlandais en Belgique francophone même si cet apprentissage s’effectue soit comme deuxième choix, soit dans le cadre de l’enseignement immersif / submersif, une forme d’enseignement dont les effectifs sont croissants mais marginaux. Il n’est par ailleurs pas simple de déterminer dans quelle mesure l’offre conditionne le choix au niveau des langues modernes tant et si bien que les élèves qui

16 Comme nous le rappelle Chopey-Paquet (2015), l’enseignement immersif représente moins de 5% des effectifs si on combine fondamental et secondaire (11). Il n’y a pas de chiffres officiels pour le submersif.17 La raison la plus souvent invoquée est le manque d’enseignants qualifiés (cf. Eurydice, 2005 :51). Dans le contexte communautaire tendu de notre pays, on note également une réticence en communauté flamande par rapport à l’afflux d’élèves non-néerlandophones.

10

Page 11: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

choisissent le néerlandais, en langue seconde (au fondamental) ou en LM2 (S4), y sont peut-être contraints par l’offre de leur école.

Ces constats nous amènent à une question cruciale et récurrente : ne serait-il pas souhaitable, dans ce contexte, d’imposer le néerlandais en Wallonie comme c’est déjà le cas en région Bruxelles-Capitale ? Si l’on impose cette langue en Wallonie, le niveau de maîtrise augmentera inévitablement. Il s’agirait là, le cas échéant, d’un choix politique ; cet article ne prétend d’ailleurs pas apporter une réponse à cette question.

La logique du néerlandais obligatoire fait souvent référence à la situation en Flandre où le français est imposé au fondamental même si la circulaire du ministre Smet (2004) a assoupli cette règle. On tient depuis lors compte des caractéristiques des élèves (« instroomkenmerken van de leerlingen » dans l’original) avec la possibilité laissée à chaque établissement scolaire de renforcer le néerlandais pour les élèves qui ne parlent pas cette langue à la maison, ce qui est par exemple souvent le cas dans la périphérie bruxelloise (Van den Branden & Haeck, 2011). On ne peut donc plus dire que le français est imposé de manière aussi stricte dans l’enseignement flamand comme il a pu l’être par le passé.

Dans ce contexte, on parle également souvent du niveau bien plus élevé des élèves néerlandophones en français, attribué dans l’inconscient populaire au fait que cette langue soit imposée. Bien que l’on ne dispose que de mesures indirectes, il semble pourtant que le français soit en perte de vitesse en Flandre. Le dernier rapport de l’inspection dans l’enseignement flamand pointe par exemple une maitrise insuffisante chez les enseignants du primaire, pourtant chargés d’enseigner le français (REF). Or, comme on le sait, la qualité de l’enseignement ne peut excéder la qualité des enseignants qui le dispensent (REF). Un rapport du VDAB, un service visant à l’accompagnement des demandeurs d’emploi en Flandre, chiffre la connaissance des langues modernes en Flandre en fonction des tests ELAO18 des demandeurs d’emploi, et les résultats vont dans le même sens :

Province / région Niveau moyen (en français) Niveau moyen (en anglais)Anvers A2 B1Flandre orientale A2 B2Brabant Flamand A1 B1Flandre occidentale A2 B2Limbourg A2 B1

Tableau 6 : connaissance des langues chez les demandeurs d’emploi par province (Hermans, DATE ?)

Comme le montrent les chiffres, les demandeurs d’emploi flamands maitrisent en moyenne bien mieux l’anglais que le français19.

En d’autres termes, le portrait de l’enseignement du français en Flandre n’est peut-être pas aussi idyllique qu’on se le représente en Belgique francophone et en tirer des conclusions comme on le fait en FWB pour notre propre système semble hasardeux.

De plus, on semble oublier que la décision d’imposer le français en Flandre n’a rien à voir avec une quelconque volonté belgicaine20 ; il s’agit d’un choix rationnel. Le français est reconnu comme une langue de grande diffusion, notamment dans le rapport Eurydice 2012 mais aussi, plus récemment, 18 Il s’agit d’un test adaptatif basé sur le Cadre européen (et les fameux niveaux A1 > C2).19 Les résultats pour la région de Bruxelles-Capitale n’ont pas été pris en compte en raison des trop nombreuses variables impliquées.20 Le terme « belgicain » fait référence aux partisans d’une Belgique unitaire et en opposition aux velléités communautaristes de partis flamands séparatistes comme la NV-A ou le Vlaams Blok.

11

Page 12: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

dans l’étude sur les langues les plus puissantes réalisée à l’INSEAD21 qui place le français en 3e

position. Le français y est décrit comme une langue majeure au regard de sa présence comme langue officielle de la plupart des grandes institutions mondiales (comme la Commission européenne ou le Comité International Olympique) ainsi que comme lingua franca d’une grande partie de l’Afrique. On ne peut pas en dire autant du néerlandais qui, s’il a une importance reconnue au niveau belgo-belge (cf. Mensel & Mettewie, 2014), reste une langue éminemment locale.

Contrairement au français et à l’anglais, le néerlandais standard n’est pas une langue de grande diffusion et ce statut est renforcé par le regain de la dialectophonie en Flandre (Absilis et al., 2012). Le néerlandais est de fait une langue de nature pluricentrique (Diepeveen & Hüning, 2013) dont les variantes régionales et locales sont parfois mutuellement inintelligibles, même pour des natifs. Cette situation suscite un vrai débat en Flandre et, plus fondamentalement pour notre propos, il s’agit d’un facteur aggravant pour l’image déjà négative du néerlandais chez les francophones.

En d’autres termes, si l’on devait suivre la logique pragmatique flamande, on commencerait donc par imposer une bonne demi-douzaine de langues avant le néerlandais et pourquoi pas l’allemand qui figure en 7e place dans le classement de l’INSEAD mentionné ci-dessus et est – officieusement il est vrai – la troisième langue en Belgique. Bien que le choix de l’anglais en Wallonie fasse sens, imposer le néerlandais demeure une option privilégiée par bon nombre de professionnels de l’enseignement de cette langue, certainement dans les universités francophones. Il s’agit malheureusement d’une position qui pourrait passer pour du corporatisme.

Comme nous l’avons évoqué au point 2.1 ci-dessus, les décisions passées et malheureusement à venir22 en termes d’enseignement des langues en Belgique sont conditionnées par la loi de 1963. Cette loi autorise des différences entre régions qui, sur papier, sont susceptibles d’influencer les résultats obtenus par les élèves. Comme le montre le Tableau 7 ci-dessous, la réalité est que les élèves bruxellois, pour qui l’apprentissage du néerlandais n’est pas un choix et qui bénéficient de surcroit d’une plus grande exposition à la langue, n’obtiennent pas de meilleurs résultats aux épreuves certificatives externes organisées à l’issue du premier degré commun de l’enseignement secondaire ordinaire (le CE1D).

Wallonie Région Bruxelles-Capitale20132014 57, 6 55,52015 Épreuve annulée Épreuve annulée2016 64,6 57,82017

Tableau 7 : Pourcentages de réussite au CE1D en néerlandais par région23

Le recours à des moyennes ne permet bien entendu pas de saisir la distribution réelle des résultats, laquelle n’est pas communiquée aux écoles pour limiter le marché scolaire même si l’existence d’une grande disparité entre les bonnes et les moins bonnes écoles est un secret de polichinelle. En ce qui concerne la Wallonie, par exemple, on remarque une différence importante entre les zones de Verviers (77,4% de réussite) et de Charleroi-Hainaut Sud (55,6% de réussite). Par extrapolation, on peut imaginer une telle disparité dans la zone Bruxelles-Capitale aussi. Toutefois, le résultat de

21 (Institut européen d'administration des affaires.22 En effet, le Groupe Central Tronc commun y fait explicitement référence (RAPPORT SUR LES ÉLÉMENTS DU PLAN D’ACTION RELATIFS AU NOUVEAU TRONC COMMUN23 Les moyennes ne tiennent pas compte des effectifs, ce qui rend leur validité mathématique limitée mais ne déforce pas notre argument : plus d’heures ne donne pas forcément de meilleurs résultats.

12

Page 13: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

Verviers, pourtant considéré comme une zone défavorisée par beaucoup, nous rappellent qu’il n’existe pas une corrélation univoque entre indice socio-économique et performance. Imposer le néerlandais comme seconde langue (au fondamental) et langue moderne 1 (en secondaire) traduit probablement une volonté d’ouverture du côté francophone, ce qui n’est pas négligeable dans le contexte communautaire tendu de notre pays. Cependant, malgré le surcoût engendré par l’encadrement, il semble donc que cette obligation d’apprendre le néerlandais ne produisent pas les gains d’apprentissages espérés.

Quand on parle d’imposer le néerlandais, on oublie souvent aussi le côté pragmatique de la question. Malgré ce que l’on peut lire régulièrement dans les médias, il n’existe pas de mesure objective de la pénurie d’enseignants. Cependant, la pénurie est avérée pour les professeurs de langues modernes en Belgique francophone. L’ajout d’heures de langues dans le qualifiant (enseignement technique et professionnel) et la volonté politique de mettre en place un apprentissage plus précoce des langues ont encore accentué cette pression. Toute augmentation quantitative des heures de néerlandais risque donc de compliquer une situation qui l’est déjà (RAPPORT SUR LES ÉLÉMENTS DU PLAN D’ACTION RELATIFS AU NOUVEAU TRONC COMMUN [PRESTATION II], p50). Il n’existe pas non plus de données sur le choix de langue que font les futurs enseignants, mais il semble que le néerlandais pourrait être le grand perdant de l’allongement de la formation initiale, portée initialement par le Ministre Marcourt et destinée à harmoniser l’enseignement supérieur francophone par rapport au décret Bologne, qui permettra de choisir une seule langue germanique en combinaison avec une autre matière.

Par ailleurs, l’enseignement du néerlandais pâtit indirectement de la dialectophonie du néerlandais, une langue protéiforme à l’échelle belge dont les variantes locales sont parfois mutuellement inintelligibles. Les enseignants francophones privilégient une « norme » relevant d’un registre linguistique plutôt formel et écrit, elle-même enseignée dans le cadre de la formation initiale des maîtres. Les référentiels mettent pourtant clairement en avant l’oralité, certainement dans le cadre de l’enseignement qualifiant. Il y a donc une triple incongruence entre ce que les enseignants enseignent, ce que les apprenants devraient apprendre et l’utilisation effective de la langue néerlandaise par les natifs. Certains proposent une approche dialectophonique centrée sur le néerlandais parlé en Flandre (la « tussentaal » qui est une sorte de régiolecte) en complément à une étude du néerlandais plus classique (l’Algemeen Nederlands, peut-être même dans sa version flamande), comme c’est le cas de Begine (2017) dans son projet Goesting voor Taal. Il reste à voir si une telle approche permettrait effectivement de réconcilier l’apprenant francophone avec le néerlandais et, avant même de l’envisager, de s’assurer de l’adhésion des enseignants, des formateurs d’enseignants et des décideurs.

En d’autres termes, imposer le néerlandais ne ferait qu’accentuer des problèmes existants (comme la pénurie d’enseignants et le coût déjà élevé de notre système) sans réelle garantie pour l’apprentissage. C’est pourtant bel et bien cette logique quantitative qui prévaut dans les discussions actuelles sur les nouvelles grilles horaires. En effet, il est question de renforcer l’apprentissage des langues étrangères de deux manières : un apprentissage plus précoce en primaire et l’introduction d’une deuxième langue étrangère dès la première année du secondaire. Au total, sur l’ensemble du parcours scolaire obligatoire, on estime que les élèves bénéficieront de 150 heures supplémentaires pour l’apprentissage des langues étrangères. Toutefois, si la corrélation entre durée d’exposition à la langue et acquisition ne fait pas débat – c’est d’ailleurs une des clés de l’efficacité de l’immersion linguistique, il semble que d’autres paramètres plus qualitatifs aient été négligés dans l’équation du politique. Il n’est par exemple pas prévu de confier les heures d’éveil aux langues à des maîtres qualifiés, c’est-à-dire des enseignant formés spécifiquement à la didactique des langues étrangères.

13

Page 14: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

Ce constat ne devrait-il donc pas nous inciter à réfléchir à une amélioration qualitative plutôt que quantitative de l’offre en FWB ? Comme le disent certains chercheurs (par exemple Blondin et al., 2011 ; Etienne, 2011 ; Romero-Muñoz, 2011), nous devrions dépasser l’opposition idéologique au changement, largement représentée sur les forums de discussion liés au Pacte, et oser la question de l’efficacité (l’enseignement remplit-il son rôle tel que décrit dans le décret « missions » ?) et de l’efficience (Quel est le rapport entre investissements et résultats ?) du système. Les études PISA, devenues un véritable baromètre de l’enseignement au niveau de l’OCDE, nous donnent une première image, peu flatteuse il est vrai, de l’enseignement en FWB. Les résultats au CE1D en néerlandais et la désaffection des cours de néerlandais dans l’enseignement traditionnel complètent un tableau déjà sombre. Nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur notre enseignement du néerlandais. C’est d’ailleurs l’une des idées directrices du Pacte pour un enseignement d’excellence, exprimée en son temps déjà dans la Déclaration de Politique Commune de la FWB (p3) : « Notre système éducatif bénéficie d’un des meilleurs [taux d’] encadrements 24. A l’heure où la bonne gouvernance est sur toute les lèvres, notre devoir est de le rendre plus efficace en utilisant mieux les moyens mis à sa disposition » (p3).

5. ConclusionCet article a montré qu’il existait bel et bien une lame de fond quant à la baisse de popularité du néerlandais dans l’enseignement ordinaire en Belgique francophone sans pour autant nous autoriser de conclure à un déclin pur et simple du néerlandais comme le prétendent les médias.

Les indicateurs de l’enseignement confirment l’impression générale : nous assistons à un déclin du néerlandais dans l’enseignement ordinaire. Cette tendance s’amorce dans le fondamental bien qu’elle y reste contenue. Notre hypothèse est que les écoles choisissent encore de proposer majoritairement le néerlandais – et le néerlandais seulement – comme seconde langue. Les élèves n’ont donc pas toujours le choix d’une autre langue. Au moment de la transition entre le fondamental et le secondaire, par contre, un vrai choix est possible et beaucoup d’élèves font le choix d’une autre langue que celle étudiée au fondamental (pour rappel : majoritairement le néerlandais) en dépit des recommandations officielles (cf. 2.1).

Dans l’enseignement en immersion, par contre, le choix de la langue se porte en grande majorité vers le néerlandais. On note aussi un nombre important d’élèves francophones dans l’enseignement flamand en périphérie bruxelloise, dans certaines communes proches de la frontière linguistique et dans la partie de la Flandre qui jouxte la France. Cette tendance inverse ne permet pas de compenser la perte des effectifs dans l’enseignement ordinaire. Toutefois, elle nous autorise à considérer ce plébiscite du néerlandais dans l’enseignement en immersion et l’exode vers l’enseignement flamand comme une remise en question de l’enseignement traditionnel wallon, certainement en ce qui concerne les langues modernes en général, et le néerlandais en particulier.

Les auteurs recommandent d’envisager une meilleure démarche pédagogique, et non l’augmentation quantitative des heures de cours, comme préalable à une redynamisation de l’offre de langues moins populaires comme le néerlandais dans l’enseignement ordinaire.

Bibliographie

Absillis, K., Jaspers, J. et Van Hoof, S. (2012) De manke usurpator. Over Verkavelingsvlaams. ENDROIT De Academische Pers.

24 STATS SUR LE COUT DU SYSTÈME FWB ?

14

Page 15: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

ASSOR A., KAPLAN, H. et ROTH, G. (2002) « Choice is good, but relevance is excellent: Autonomy-enhancing and suppressing teacher behaviours in predicting student’s engagement in school work ». British Journal of Educational Psychology, vol. 72:261-278.

Begine, S. (2017) “Goesting in taal” in niet hetzelfde als een taal moéten leren. https://www.mo.be/opinie/goesting-in-taal-is-niet-hetzelfde-als-talen-moeten-leren (consutlé le 14/9/2017).

Blondin, C., Fagnant, A., et Goffin, C. (2008) L’apprentissage des langues en Communauté française : curriculum, attitudes des élèves et auto-évaluation, http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/2996 (consutlé le 14/9/2017).

Chenu, F., Crépin, Fr. et Jehin, M. (2003) La motivation, Comprendre et agir, www.enseignement.be/index.php?page=26044&id_fiche=115&dummy=25589 (consutlé le 14/9/2017).

Chan, K. L. (2016) Power Language Index http://www.kailchan.ca/wp-content/uploads/2016/12/KC_PLI-top-10-languages_May-2016_v1.pdf (consutlé le 21/9/2017).

Deci, E. L., et Ryan, R. M. (1985) Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. New

York, NY: Plenum.

Deci, E. L., et Ryan, R. M. (2000) ‘The “what” and “why” of goal pursuits: Human needs and the self-

determination of behavior,’ Psychological Inquiry, 11:227-268.

Diepeveen, J. et Hüning, M. (2013) ‘Tussentaal als onderwerp van (vreemde talen)onderwijs», (La Langue intermédiaire en tant qu’objet d’enseignement),’ Ons Erfdeel, LVI, n° 4:82-89.

Dörnyei, Z. (2001) Teaching and Researching Motivation. London: Longman.

Gardner, R. C. (1985) Social psychology and second language learning: The role of attitudes and

motivation. London: Edward Arnold.

Gardner, R. C. et Lambert, W. E. (1959) ‘Motivational variables in second-language acquisition,’

Canadian Journal of Psychology. 13: 266–272.

Pintrich, P. R. & Schunk, D. H. (1996) Motivation in education: Theory, research and applications.

Englewood Cliffs, NJ: Prentice Hall.

Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2000) ‘Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation,

social development, and well-being,’ American Psychologist, 55:68-78.

Rasier, L. et Hilligsmann, P. (2015) « L’enseignement-apprentissage du néerlandais en Fédération Wallonie-Bruxelles : objectifs, méthodes, résultats », conférence sur invitation dans le cadre de la journée d’études "De la pertinence du néerlandais dans le nord de la France" (Prof. Armand Héroguel), Université Charles-de-Gaulle / Lille 3, Villeneuve d'Ascq, France, 30 septembre 2015. [En ligne], mis en ligne le 30 septembre 2015, consulté le 1 mars 2017. URL : http://hdl.handle.net/2268/178891

15

Page 16: he-ferrer · Web viewPour vérifier l’évolution des populations choisissant le néerlandais comme langue moderne 1 en S1, nous devons donc traiter les statistiques de la Wallonie

Romero-Muñoz, Eloy (2011). Il faut en finir avec l’enseignement des langues. Namur: PUN.

Sarrazin, P., Tessier, D., et Trouilloud, D. (2006). « Climat motivationnel instauré par l’enseignant et implication des élèves en classe : l’état des recherches », Revue française de pédagogie [En ligne], 157 | octobre-décembre 2006, mis en ligne le 01 décembre 2010, consulté le 1 mars 2017. URL : http://rfp.revues.org/463 ; DOI : 10.4000/rfp.463

STEFANOU C. R. ; PERENCEVICH K. C. ; DI CINTIO M. & TURNER J.C. (2004). « Supporting autonomy in the classroom : Ways teachers encourage student decision making and ownership ». Educational Psychology, vol. 39, n° 2, p. 97-110.

Van den Brande, M. et Haeck, M. ‘Frans- en anderstalige leerlingen in de Brusselse randgemeenten. Hoe is de situatie vandaag en wat kunnen scholen doen?’, school + visie, nr. 01, augustus-september 2011: 4-7.

Van Mensel, L. & Mettewie, L. DATE ‘De economische (meer)waarde van meertaligheid: vreemde talen in het Brusselse bedrijfsleven’ n/f. 8, p. 101-124 24 p.

VIAU, R. (2009) Motivation en contexte scolaire. Bruxelles : De Boeck.

http://www.lesoir.be/1499020/article/actualite/belgique/2017-05-08/patron-l-ares-estime-secondaire-sous-performant-et-surfinance

http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/22229_003.pdf (décret maternel et primaire)

http://www.enseignement.be/index.php?page=27151&navi=17 (promsoc)

http://www.nieuwsblad.be/cnt/dma05112006_004

http://www.onderwijsinspectie.be/onderwijsspiegel-2017

http://www.hbvl.be/cnt/dmf20140820_01224765/kennis-frans-nog-nooit-zo-slecht

16