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CAS CLINIQUE Hémorragie létale dans le post-partum par rupture d’un anévrisme de l’artère splénique Fatal hemorrhage in postpartum by rupture of a splenic artery aneurysm C. Lebreton-Chakour a, * , C. Boval a , J. Torrents b , C. Bartoli a , G. Leonetti a , M.D. Piercecchi-Marti a a Service de médecine légale et droit de la santé, CHU Timone, Aix Marseille université, 13005 Marseille, France b Service d’anatomopathologie, CHU Timone, Aix Marseille université, 13005 Marseille, France Reçu le 4 juillet 2012 ; accepté le 18 mars 2013 Disponible sur Internet le 2 octobre 2013 Résumé La mortalité maternelle est rare, lorsqu’elle survient au cours ou au décours d’une prise en charge médicale, la famille de la patiente met très souvent le corps médical en position de coupable. Nous présentons le cas d’une femme de 38 ans, décédée dans le post-partum dans un contexte de douleurs dorsales intenses. L’autopsie permit de mettre en évidence un syndrome hémorragique secondaire à la rupture en deux temps d’un anévrisme de l’artère splénique dont nous discuterons l’étiologie. L’autopsie et l’examen anatomopathologique ne sont pratiqués que dans à peine plus d’un quart des cas alors qu’ils seront la pièce maîtresse du dossier en cas de litige et permettront à la famille de faire son deuil. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The maternal mortality is rare and when it arises, the family often puts the medical profession in guilty’s position. We present the case of a 38-year-old woman, died in the post-partum in a context of intense back pains. The autopsy found an incidental hemorrhagic syndrome to a two-stage rupture of the splenic artery. We shall discuss the aetiology. The autopsy and the anatomopathological examination are practiced only in hardly more than a quarter of the cases while they will be important in proceedings and will allow the family to go into mourning. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Anévrisme artère splénique ; Post-partum ; Péridurale ; Responsabilité médicale Keywords: Splenic artery aneurysm; Post-partum; Epidural; Medical responsibility 1. INTRODUCTION La mortalité maternelle est définie comme le décès non accidentel d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après l’accouchement. Avec 70 à 75 décès annuels, en France, elle reste rare [1]. Nous présentons le cas d’un décès maternel secondaire à la rupture d’un anévrisme de l’artère splénique (AAS) ayant fait l’objet d’une procédure pénale pour homicide involontaire. Nous discuterons les étiologies des AAS et l’intérêt de pratiquer une autopsie et l’examen anatomopathologique pour l’expertise mais également pour permettre à la famille de faire son deuil. Gynécologie Obstétrique & Fertilité 41 (2013) 617–619 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Lebreton-Chakour). 1297-9589/$ see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.09.002

Hémorragie létale dans le post-partum par rupture d’un anévrisme de l’artère splénique

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Page 1: Hémorragie létale dans le post-partum par rupture d’un anévrisme de l’artère splénique

CAS CLINIQUE

Hémorragie létale dans le post-partum par ruptured’un anévrisme de l’artère splénique

Fatal hemorrhage in postpartum by rupture of a splenicartery aneurysmC. Lebreton-Chakour a,*, C. Boval a, J. Torrents b, C. Bartoli a, G. Leonetti a,M.D. Piercecchi-Marti a

a Service de médecine légale et droit de la santé, CHU Timone, Aix Marseille université, 13005 Marseille, Franceb Service d’anatomopathologie, CHU Timone, Aix Marseille université, 13005 Marseille, France

Reçu le 4 juillet 2012 ; accepté le 18 mars 2013Disponible sur Internet le 2 octobre 2013

Résumé

La mortalité maternelle est rare, lorsqu’elle survient au cours ou au décours d’une prise en charge médicale, la famille de lapatiente met très souvent le corps médical en position de coupable. Nous présentons le cas d’une femme de 38 ans,décédée dans le post-partum dans un contexte de douleurs dorsales intenses. L’autopsie permit de mettre en évidence unsyndrome hémorragique secondaire à la rupture en deux temps d’un anévrisme de l’artère splénique dont nousdiscuterons l’étiologie. L’autopsie et l’examen anatomopathologique ne sont pratiqués que dans à peine plus d’unquart des cas alors qu’ils seront la pièce maîtresse du dossier en cas de litige et permettront à la famille de faire son deuil.� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The maternal mortality is rare and when it arises, the family often puts the medical profession in guilty’s position. Wepresent the case of a 38-year-old woman, died in the post-partum in a context of intense back pains. The autopsy found anincidental hemorrhagic syndrome to a two-stage rupture of the splenic artery. We shall discuss the aetiology. The autopsyand the anatomopathological examination are practiced only in hardly more than a quarter of the cases while they will beimportant in proceedings and will allow the family to go into mourning.� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Mots clés : Anévrisme artère splénique ; Post-partum ; Péridurale ; Responsabilité médicale

Keywords: Splenic artery aneurysm; Post-partum; Epidural; Medical responsibility

Gynécologie Obstétrique & Fertilité 41 (2013) 617–619

1. INTRODUCTION

La mortalité maternelle est définie comme le décès nonaccidentel d’une femme survenu au cours de la grossesse ou

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Lebreton-Chakour).

1297-9589/$ see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves

http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.09.002

dans un délai de 42 jours après l’accouchement. Avec 70 à75 décès annuels, en France, elle reste rare [1]. Nousprésentons le cas d’un décès maternel secondaire à la ruptured’un anévrisme de l’artère splénique (AAS) ayant fait l’objetd’une procédure pénale pour homicide involontaire. Nousdiscuterons les étiologies des AAS et l’intérêt de pratiquer uneautopsie et l’examen anatomopathologique pour l’expertisemais également pour permettre à la famille de faire son deuil.

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2. OBSERVATION

Madame C., 38 ans, sans morphotype remarquable niantécédent signalé, accouchait par voie basse à 39 SA (G4P4)après une grossesse d’évolution normale. Lors de la pose d’uneanesthésie péridurale, elle présentait une chute tensionnellerapidement résolutive sans traitement. Les suites de couchesétaient sans particularité avec une sortie à j4. À j7,brutalement, elle présentait des douleurs abdominaleslatéralisées à droite suivies d’une perte de connaissance.Aucune prise en charge particulière n’était sollicitée et aucunépisode identique ne survenait jusqu’à j13 où la patienteprésentait à son domicile, devant ses proches, des douleursdorsales intenses, rapidement suivie d’un arrêt cardiorespi-ratoire irréversible.

L’époux portait plainte contre X mais relatait, dans le procèsverbal, des griefs envers l’anesthésiste, sur l’argument dumalaise présenté par la défunte lors de la pose du cathéterpéridural. Une autopsie médicolégale était pratiquée pourrechercher les causes de la mort. L’examen externe retrouvaitun point de ponction de péridurale en regard des espacesintervertébraux L3-L4. L’ouverture des cavités révélait unhémopéritoine de 2 L avec infiltration hémorragique dupancréas et fusant vers la loge rénale gauche, alors que l’aorteétait intacte. Le saignement imprégnait fortement le tissugraisseux mésentérique et rétropéritonéal rendant la dissec-tion difficile. Le large territoire infiltré de sang était prélevé envue d’un examen anatomopathologique. Cet examen identifiaitune rupture récente d’un anévrisme de la paroi de l’artèresplénique. Il identifiait dans le tissu adjacent la présence desidérophages et de mottes d’hématoïdine au sein d’un tissuconjonctif cicatriciel. Ces remaniements signaient l’existenced’au moins un épisode de saignement survenu au moins dixjours avant le décès, contemporain de l’accouchement. Aucuneanomalie de la paroi n’était identifiée sur les techniqueshistologiques.

3. DISCUSSION

Les étiologies de décès maternel se répartissent en causesdirectes et indirectes. Les causes obstétricales directesreprésentées par l’hémorragie d’origine utérine, l’embolieamniotique ou les complications thromboemboliques, parexemple, sont les plus fréquemment observées. Les causesindirectes, dont nous présentons ici une observation, neconcernent que moins d’un tiers des cas [1]. Leur fréquenceest toutefois probablement sous-estimée car en France ilexiste un défaut de réalisation autopsique dans le cadremédical (à la demande du médecin selon les obligations deslois de bioéthiques) ou médicolégal (à la demande de la justiceselon le Code de procédure pénale ou le Code de procédurecivile). En effet, toutes étiologies confondues, seuls 25 à 28 %des décès maternels feront l’objet d’une autopsie etseulement 17,5 % en cas de causes obstétricales indirectes[1]. Dans notre cas, l’autopsie et les analyses anatomopa-thologiques ont permis d’une part de déterminer la cause etl’étiologie du décès, une déplétion sanguine par rupture d’un

AAS, d’autre part, de démontrer le mécanisme en deux tempsde la rupture. Cet AAS était imputable à la grossesse, seulfacteur de risque retrouvé. L’hypothèse d’une iatrogénie parponction péridurale a immédiatement été écartée. Le pointde ponction était normalement situé, soit en regard desespaces L3-L4, donc bien en dessous de l’artère splénique quinaît le plus souvent du tronc cœliaque en regard de T12. Lemalaise présenté par la patiente lors de la pose de lapéridurale pouvait être en rapport soit avec l’effet hypo-tenseur des anesthésiants, soit plus probablement d’originevagale en rapport avec la douleur provoquée par l’intromis-sion du trocart. Le caractère rapidement résolutif, sanstraitement, du malaise est également en faveur de sabénignité. Cette observation démontre la nécessité deréaliser une autopsie lorsque le décès maternel n’a pu êtreévité. Ici, elle a permis de dégager la responsabilité pénale del’anesthésiste et d’enlever le doute au conjoint qu’un tiers soitresponsable de la mort de la mère de son enfant.

Outre le fait que l’autopsie peut répondre à desinterrogations précises dans le cas de procédures judiciaires,elle participe à la prévention des décès maternels enaméliorant la visibilité auprès des praticiens de certainescauses rares de décès maternels. Le certificat de décès nepermet pas de faire une discussion diagnostique ou d’êtrerédigé comme un décès de cause inconnue. Aussi, l’origine dudécès peut être attribuée à tort et sans preuves formelles auxétiologies les plus fréquentes. Ceci peut réduire l’incidenceréelle des décès par rupture vasculaire durant la grossesse.L’incidence des AAS dans la population générale est estimée àmoins de 1 %, ce qui n’en fait pas un diagnostic de premièreintention [2]. Outre la grossesse, les facteurs favorisantsretrouvés dans la littérature sont l’athérosclérose, les maladiesdu tissu conjonctif (fibrodysplasie, Ehler-Danlos), l’hyperten-sion portale, les maladies de système (lupus, périartéritenoueuse, maladie de Buerger, maladie de Kawasaki), lespancréatites, les traumatismes abdominaux et les lésionsiatrogènes [2]. La grossesse entraîne une modificationstructurale du réseau artériel (dysplasie des fibres élastiquesde la média, dédoublement puis rupture de la lame élastiqueinterne) ainsi qu’une hypertension portale induite parl’augmentation du volume utérin. Ces remaniements sont àl’origine d’une augmentation de l’incidence des anévrismes,notamment chez les multipares [3]. Dans 95 % des cas, les AASsont asymptomatiques, mais ils peuvent se manifester par dessignes non spécifiques comme des douleurs abdominalesintermittentes, comme dans notre observation, ou directe-ment par leurs complications, la plus grave étant la rupture [3].Celle-ci entraîne classiquement des douleurs abdominales encoup de poignard, voire un signe de Kehr, puis s’accompagned’un choc hémorragique. La rupture peut se faire dans la cavitépéritonéale ou dans les organes creux, provoquant ainsi deshémorragies extériorisées [3–5]. Vingt à trente pour cent desruptures surviennent en deux temps, avec des signes initiauxparfois plus insidieux [3,5]. Le saignement, initialementcontenu dans la bourse rétroépiploïque, gagne secondaire-ment la grande cavité péritonéale provoquant un hémopéri-toine massif avec collapsus. Le temps entre les deux

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saignements est variable (10 jours minimum dans notreobservation). Chez la femme enceinte, le taux de ruptureserait de 62 % pour des anévrismes de moins de 2 cm, contre2 à 5 % hors grossesse [3,6]. Elle peut survenir lors des deuxpremiers trimestres (12 %), du troisième trimestre (70 %), del’accouchement (6 %) ou du post-partum (13 %) [7].Jusqu’alors, le taux de mortalité maternelle avoisinait les75 % et le taux de mortalité fœtale 90 et 95 % [2,8]. Cependant,une étude récente retrouve une mortalité maternelle de 22 %et fœtale de 15,6 % [3]. Les retards diagnostics sont fréquents,notamment du fait de la méconnaissance de cette étiologie [9].Devant un tableau de douleurs abdominales au troisièmetrimestre, les obstétriciens envisageront en priorité lesdiagnostics différentiels les plus fréquents comme l’hématomerétroplacentaire ou la rupture utérine [3,8,10]. Il faut doncrappeler le risque particulier d’observer ces pathologiesvasculaires au cours de la grossesse même si un diagnosticétabli ne vaut pas « guérison ».

4. CONCLUSION

Cette observation rappelle la nécessité de pratiquer desexamens complémentaires devant des douleurs abdominalesatypiques dans le post-partum, afin d’éviter un décès maternelet de rappeler le risque particulièrement élevé de rupturevasculaire pendant la grossesse ou le per-partum. Lorsquecelui-ci survient, la réalisation d’une autopsie est indispensablepour connaître la cause exacte, et non supposée, du décès, maisaussi pour écarter un éventuel manquement à la pratiquemédicale pouvant engager la responsabilité du praticien et/oude l’équipe soignante.

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

RÉFÉRENCES

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