Hérodote 2011-3 Géopolitique Du Sahara

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Dsordre, pouvoirset recompositions territoriales au Sahara 1

Emmanuel Grgoire 2, Andr Bourgeot 3

Depuis une dizaine dannes, on assiste un retour du Sahara sur la scne politique internationale et mdiatique. Cette immense tendue dsertique traverseen effet une priode agite en raison de linstallation de groupes terroristes isla-mistes sur son sol, du dveloppement de trafi cs en tous genres (cigarettes, drogues,armes, etc.), de limmigration clandestine de Subsahariens qui fait craindre lUnion europenne larrive massive dAfricains dans ses pays membres et enfi n de la comptition engage entre pays du Nord et mergents pour sapproprier ses richesses minires et ptrolires.

Espace trs convoit, le Sahara est dsormais morcel en une srie de territoires et de routes contrls par des acteurs multiples et varis qui se moquent des fron-tires tatiques. Sa gopolitique sen trouve bouleverse, les cartes se redistribuent sans que lon sache encore qui aura les meilleurs atouts dans son jeu. Vieille de plus de cent ans, lhgmonie franaise est dores et dj battue en brche par les tats-Unis dont le retour en force (2002) sexplique par des motifs scuritaires : lutter contre le terrorisme international aprs les attentats du 11 septembre 2001. Depuis 2007, elle est galement remise en cause par la Chine qui effectue une perce remarque en Afrique.

1. Ce numro a t dcid et pens lautomne 2010 soit avant les vnements du prin-temps arabe et achev en juin 2011.

2. Directeur de recherche lInstitut de recherche pour le dveloppement (IRD), Centredtudes africaines (UMR 194 EHESS-IRD).

3. Directeur de recherche mrite au Centre national de la recherche scientifi que (CNRS), Laboratoire danthropologie sociale (UMR 7130 CNRS-Collge de France-EHESS).

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Au nord du Sahara, le suicide dun petit vendeur de fruits et lgumes rackettpar la police tunisienne a dclench la rvolution des jasmins qui entrana la chute du prsident Zine el-Abidine Ben Ali, puis les printemps arabes dont leprsident gyptien Hosni Moubarak fut la seconde victime. En Libye, le mouve-ment de contestation prend la forme dune insurrection arme qui constitue un vnement majeur. Quelle que soit son issue, il y aura un avant et un aprs avec, ou trs probablement sans, le colonel Mouammar Kadhafi . Stable depuis delongues annes, le Maghreb est en pleine effervescence, des rgimes forts sont fragiliss ou seffondrent, ce qui ne sera pas sans consquences sur leur politiquesaharienne.

Au sud du Sahara, la conjoncture est moins incertaine. On est ici face des tats faibles (Mauritanie, Mali, Niger et Tchad) dont la gographie est caract-rise par un fort contraste entre une zone agricole autrefois qualifi e dutile et uneaire semi-dsertique (zone pastorale) et dsertique beaucoup plus tendue. Tous sont des PMA (pays moins avancs), confronts la persistance de la pauvret etayant pour priorit dassurer lautosuffi sance alimentaire de leur population avecle soutien permanent de laide extrieure. La composition de leurs populations est identique : tous ces tats sont peupls, au sud, de populations noires sden-taires vivant de lagriculture tandis que leur partie Nord est le berceau de pasteursmaures, touaregs et toubous ainsi que doasiens.

Les contributions rassembles ici prsentent des recherches entreprises, parfois depuis de longues annes, tant en Afrique du Nord quen Afrique subsaharienne. Notre propos ltude des chamboulements gopolitiques et des recomposi-tions territoriales luvre au Sahara sordonne autour de quatre thmes : les cir culations marchandes et humaines, quelles soient licites, illicites ou crimi-nelles ; la porosit des frontires, comme le montre le dveloppement de la fraude et des trafi cs y compris dotages, qui est li au faible contrle tatique dont lespac e sahlo-saharien est lobjet et dont a profi t AQMI (Al-Qada au Maghreb islamique) pour simplanter au Mali ; la captation des rentes engendres par cette situation de dsordre et de transformations goconomiques : lexploitation des richesses ptrolires et minires sahariennes donne lieu leur prise de contrle par des entreprises trangres qui assurent des rentes que les lites nationales acca-parent ; lapparition de nouveaux pouvoirs lis ces rentes (groupes terroristes, contrebandiers et trafi quants, rseaux dimmigration clandestine, etc.) pose des enjeux scuritaires qui conduisent les tats-Unis et lEurope ne plus tolrer de tels troubles.


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Le Sahara des circulations

Chaque priode de lhistoire saharienne se caractrise par ses propres circula-tions marchandes et humaines, les oasis et les villes en tant les points nodaux : lre prcoloniale a t marque par les caravanes de sel et de natron qui reliaient, par exemple, les oasis de Bilma et de Fachi au Niger la ville de Kano (Nigeria) ou celle de Taoudenni (Mali) Tombouctou. Dautres caravanes acheminaient des vivres (dattes, crales), du btail et diverses marchandises. Enfi n, les esclaves faisaient lobjet dune traite intense entre les deux rives du Sahara qui constituait une aire de transit. Tous ces fl ux ont permis lmergence de grandes fortunes saha-riennes ; la colonisation entrana un changement gopolitique radical : parfois non sans mal (rvoltes touargues de 1916 et 1917), elle imposa des frontires dans un espace auparavant ouvert et le scinda en une srie de territoires que la confrence de Berlin 1884-1885 attribua principalement la France et la Grande-Bretagne. Ces puissances affaiblirent le commerce transsaharien au profi t de fl ux ctiers et de voies quelles avaient ouvertes depuis les ports du golfe de Guine. Paralllement, elles tracrent de nouvelles routes indispensables leur contrle politique et la circulation de leurs camions militaires et de ravitaillement. partir des annes 1930, larrive de lautomobile rvolutionna le transport saharien en rappro-chant lieux et populations. Les commerants sahariens investirent dans lachat de camions qui leur permirent de rduire les temps de parcours, de couvrir des distances plus grandes et de dvelopper ainsi leurs affaires. Grce ces progrs technologiques et sous leffet de besoins grandissants en sources dnergie, les campagnes de prospections ptrolires et minires europennes sintensifi rent au cours des annes 1950, le Sahara tant convoit pour les richesses de son sous-sol (ptrole, uranium, fer, charbon, manganse, etc.).

Au lendemain des indpendances des pays dAfrique du Maghreb et du Sahel, la naissance dtats modernes ne modifi a pas la nature des fl ux locaux et trans-sahariens qui demeuraient modestes tant en valeur quen quantit. Certains dentre eux furent interrompus sous leffet des confl its rgionaux (celui de la bande dAozou au Tchad ou celui du Sahara occidental) ou intrieurs comme les rbel-lions touargues.

Avec les annes 1970 apparat un nouvel acteur sur la scne saharienne : le touriste. Le Sahara qui a toujours fascin les Europens possde de srieux atouts avec les massifs de lAhaggar, de lAjjer, de lAr et de lAdrar des Iforas spars par de vastes tendues dunaires comme le dsert du Tnr, parfois qualifi de dsert des dserts . Ses villes (Agadez, Tombouctou, Tamanrasset, Atar, Ght, etc.) contribuent aussi son intrt touristique si bien que lactivit connut un certain essor puis priclita sous leffet de linscurit ; le rallye Paris-Dakar le dserta en 2009.


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Les annes 1990 et plus encore 2000 marquent une nouvelle re marque parde profondes transformations, celles de la mondialisation et de linscurit qui, dersiduelle aprs les rbellions touargues, devient structurelle. Le commerce saharien sest alors diversifi et internationalis, le Sahara tant dsormais, pourpartie, approvisionn depuis la Chine. cette mme poque, aux fl ux locaux et longue distance traditionnels sajoutrent des mouvements importants portant sur le btail et plus encore sur les cigarettes importes au Niger depuis les portsde Cotonou et de Lom puis rexportes clandestinement en Libye et en Algrieo lentre de ces produits est prohibe ; ce ngoce est lorigine de la fortune dhommes daffaire s et de hautes personnalits politiques.

ces fl ux marchands transsahariens se greffrent, autre chamboulement des annes 1990, des mouvements migratoires de grande ampleur qui sont le fait deSubsahariens (voir le texte de Julien Brachet, Armelle Choplin et Olivier Pliez).Ces fl ux participent llargissement de lespace migratoire lorsque la migra-tion destination du Sahara se sont ajoutes une migration entre les deux rives du Sahara puis une migration transsaharienne destination de lEurope .Ces circulations comportent des enjeux conomiques travers le dveloppementdes activits quelles impulsent en termes de transport et de logement dans les localits de transit.

Les rbellions touargues des annes 1990 puis 2000 ont affect les cir culations marchandes et humaines en instaurant un climat dinscurit : le Sahara redevient un espace dangereux aux mains de trafi quants de toutes sortes et de groupes arms constitus danciens rebelles touaregs. Paralllement, il est devenu une aire de transit de stupfi ants : Simon Julien dans son texte dcrit les principales routes empruntes par les trafi quants de hachisch et de cocane, ainsi que lorganisation de leurs rseaux (15 % de la production mondiale de cocane transiterait par lAfrique de lOuest). une conomie entre licite et illicite sest donc juxtapose une conomie criminelle qui constitue un mode dinsertion dans lconomie mondiale. La brigade salafi ste dAl-Qada au Maghreb islamique est implique dans le transport de la prcieuse marchandise et touche une dme lors de son passage dans la zone quelle contrle, ce qui nest pas sans dangers pour la stabilit de la rgion. Auparavant limites lAlgrie, les actions du GSPC (Groupe salafi ste pour la prdication et le combat) devenu AQMI en janvier 2007 se sont tendues lespac e saharo-sahlien occidental (Mauritanie, Mali et Niger) o lorganisation se livre aussi au trafi c dotages. Ses oprations de commando pour enlever des Europens ont contribu faire de lespace saharien une aire de non-droit qui tait auparavant limite aux seules rgions frontalires.


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La porosit des frontires sahariennes

Les frontires sahariennes, comme ailleurs en Afrique, sont nes du dcoupage colonial que les indpendances nont pas remis en cause. Mais la guerre civile actuelle en Libye pourrait conduire lclatement de ce pays en trois entits distinctes (la Cyrnaque, la Tripolitaine et le Fezzan), voire mme dautres red-coupages sous la pression de nouvelles revendications territoriales, notamment celles de groupes touaregs.

Les frontires sahariennes nont jamais constitu un obstacle aux changes marchands. Comme ailleurs en Afrique, elles en ont t plutt un adjuvant dans la mesure o leur permabilit fournit des opportunits de commercer. Les acteurs peuvent jouer et se jouer des diffrences de politiques conomiques suivies par les tats, de leur appartenance des zones montaires distinctes (franc CFA, dinar algrien et libyen, dirham marocain, ouguiya mauritanien, livre gyptienne et soudanaise) et du prix et de la disponibilit des marchandises de part et dautre des frontires. En prenant lexemple du gros commerce de fraude portant sur le lait en poudre lahda subventionn en Algrie, Judith Scheele qualifi e dans son article les frontires de ressource pour les commerants et les populations qui parviennent se ravitailler bon march. Plus encore, elles sont devenues indispensables aux conomies locales : une intgration relle des conomies inter-rgionales sest opre de fait et en labsence dorganisation supranationales, la Cen-Sad (Communaut des tats sahlo-sahariens) tant plus ltat de projet quune ralit (lAlgrie ny a pas adhr).

propos du trafi c du hachisch et de la cocane, la porosit des frontires sahariennes et la faiblesse des systmes judiciaires et policiers nationaux ont constitu pour les trafi quants un avantage comparatif dterminant dans leur choix demprun ter, depuis 2006, la voie sahlienne vers lEurope. Loin dtre combattue par leurs dirigeants, larrive de ces produits est, au contraire, tolre car ils permettent lapport de cash que lconomie formelle et les projets de dveloppe-ment sont incapables de fournir aux populations. Ces trafi cs de drogue vont de pair avec une acclration de la circulation des armes, dabord lgres, puis lourdes depuis la guerre civile en Libye. Aussi, la zone sahlo-saharienne se caractrise-t-elle par un fort dveloppement des activits criminelles qui seffectuent en toute impunit : les frontires protgent les trafi quants locaux des poursuites et ralen-tissent les enqutes. De plus, ils bnfi cient de lappui de rseaux structurs au sein desquels sont impliques de hautes personnalits politiques (cas de la Guine-Bissau notamment) et des militaires de haut rang comme lattestent les arrestations de personnages importants et de membres des forces de scurit.

Le Sahara est aussi en passe de devenir une frontire migratoire de lEurope. Laccroissement des contrles des migrants en zone saharienne a redfini la


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gopolitique de lespace et trois frontires se dessinent (voir Brachet, Choplin, Pliez). La premire correspond aux limites politiques de lespace Schengen et estde plus en plus effi cacement ferme. La deuxime, le long des ctes dAfrique du Nord et de lOuest, prend la forme dun espace-tampon parsem de camps dertention, dans lequel soprerait le fi ltrage des migrants et des rfugis. Une troi-sime frontire, aux contours fl ous et mouvants, quasi dmatrialise, se met enplace par rpercussion des milliers de kilomtres au sud. Cette dernire frontirenest pas une ligne, mais un vaste espace saharo-sahlien o les circulations versle Nord sont de plus en plus entraves. En son sein, le long des routes, les migrantssont soumis des contrles, des taxes, des arrestations et des refoulements.

Les frontires jouent galement un rle important dans le domaine du terro-risme. LAQMI utilise la frontire nigro-malienne dans sa stratgie de prises dotages (voir le texte dAndr Bourgeot). Ce groupe sapprovisionne en territoire nigrien, comme lont montr les enlvements de Michel Germaneau (avril 2010), des sept employs des groupes Areva et Satom (septembre 2010) etdes deux jeunes gens dans un restaurant de Niamey (janvier 2011), puis stocke ses otages dans la rgion montagneuse du Timtrine situe au nord-ouest de lAdrar des Iforas (Mali). La prsence de ce groupe salafi ste y transforme les pra-tiques sociales des populations locales dans leur vie quotidienne o elles se voientcontraintes de se plier leurs normes religieuses (statut de la femme). Toutefois,lassise sociale de lAQMI parat encore faible, ce groupe reprsentant 300 500 personnes selon des sources policires occidentales.

Lenlvement des sept Franais a subitement arrt le chantier de construc-tion de la nouvelle mine duranium dImouraren qui doit pourvoir au besoin des nouvelles centrales nuclaires franaises et assurer dans lavenir des recettes importantes au Niger. Le problme de la gestion de sa frontire avec le Mali se pose donc avec acuit au gouvernement de Niamey afi n que lexploitation des gisements duranium ne soit pas perturbe, objectif poursuivi par lAQMI qui entend dstabiliser les tats de la rgion pour en tirer profi t afi n de mettre en place des mirats.

Sur un vaste ensemble, on assiste une parcellisation et une spcialisation de lespace sahlo-saharien en une srie de territoires ou de routes affects des acti-vits prcises : chaque groupe en a ses propres perception et utilisation. Dans ce contexte, les frontires et lhinterland saharien sont de moins en moins contrls par les tats, notamment subsahariens qui sont les plus faibles.


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Le Sahara des rentes

Paralllement lacclration des flux de marchandises sous leffet de la mondialisation, les ressources naturelles de la plante deviennent lobjet de mul-tiples convoitises comme en tmoignent les recherches ptrolires et minires dsormais effectues dans des zones autrefois ngliges pour des raisons de cot (voir larticle de Benjamin Aug). Les cours levs des matires premires ont modifi en profondeur la gographie des zones dexploration dans le monde et en particulier dans la zone saharienne de lAfrique. Les pays sahlo-sahariens (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Soudan) deviennent stratgiques dans la comp-tition laquelle se livrent les socits nationales dAfrique du Nord pour des raisons de contrle gopolitique de leur arrire-pays, des socits asiatiques commencer par la CNPC (China National Petroleum Corporation) et des multinationales. Ces socits mettent en place des stratgies labores pour saccaparer la rente (diplomatie du cadeau pour la Chine). Lexploitation de luranium au Niger (voir le texte dEmmanuel Grgoire) montre comment les lites politiques, savoir le prsident Mamadou Tandja, prsent destitu, et son entourage, ont mis en place un dispositif pour accaparer la rente issue de la dlivrance de permis dexplora-tion. De manire analogue au ptrole, luranium qui est aussi une source dnergie indispensable lconomie mondiale, favorise la corruption et infl ue fortement sur la vie politique intrieure et trangre des tats, comme lillustre lexemple du Niger. Ces rentes issues de lexploitation ptrolire ou uranifre ont aussi donn naissance des confl its rgionaux, notamment la rbellion touargue nigrienne qui a dnonc le faible bnfi ce tir par cette communaut de lexploitation des gisements miniers dArlit qui, selon elle, profi taient des populations haoussas et djermas originaires du sud du pays davantage quaux populations locales.

Les relations entre les rseaux de commerce rgionaux et les tats, lieux daccumulation par excellence, posent le problme de la rente marchande. Commerants et hommes daffaires ainsi que pouvoirs politiques se rencontrent pour se partager les rentes frontalires, animateurs et protecteurs ayant un intrt commun. Les seconds interviennent pour soumettre les premiers leurs vises politiques et fi nancires tandis que les premiers tentent de les englober, parfois de les dborder, en vue de maximiser leur accumulation. quelque chelle que ce soit, du plus simple contrebandier au trafi quant de drogue, la corruption est omni-prsente dans la zone sahlo-saharienne et permet aux affaires de se concrtiser. On la retrouve dans le domaine de la migration o les agents de ltat (policiers et douaniers) chargs du contrle de la mobilit en tirent profi t.

Les trafi cs de stupfi ants donnent videmment lieu des rentes beaucoup plus importantes qui se situent au niveau mme des dirigeants des tats comme la presse sen est fait lcho propos de la Guine-Bissau, pays par o transite


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la cocane depuis lAmrique latine, ce qui souligne le caractre transcontinentalde lactivit. Que ce soit donc pour le commerce saharien et transsaharien illicite,les trafi cs lis lconomie criminelle, les mouvements migratoires ou lexploita-tion des richesses minires et ptrolires, lenjeu est identique : lappropriation dela rente mme si celle-ci nimplique pas les mmes moyens.

Les nouveaux enjeux scuritairesLa prsence de mouvements terroristes islamistes, le dveloppement du trafi c

des stupfi ants et des armes, les migrations clandestines et les nouveaux enjeux miniers et ptroliers ont fi ni par mettre la question de la scurit sur le devant dela scne, les tats sahariens et les puissances occidentales ne pouvant plus tolrerun tel dsordre : le Sahara est dsormais un front de guerre contre le terrorisme ,les tats-Unis jugeant que leur propre scurit est dpendante des succs contrele terrorisme, tout particulirement au Maghreb-Sahel dont sont originaires des combattants affronts en Afghanistan. Ds 2002, soit un an aprs les attentats du11 septembre 2001, les tats-Unis cherchent renforcer les capacits des gouver-nements de la rgion. La stratgie amricaine consiste en effet sous-traiter aux tats la lutte contre le terrorisme et les trafi quants de drogue tout en leur endonnant les moyens. En cela, ils tirent les conclusions de leurs interventions en Irak et en Afghanistan.

Les intrts vitaux de la France sont aussi menacs par linstabilit de la rgion qui sest traduite par lenlvement de plusieurs de ses ressortissants et des menaces non dissimules sur ses intrts conomiques et politiques. Cest pour-quoi elle cherche dvelopper sa coopration scuritaire et militaire avec ses anciennes colonies sahliennes, notamment dans le domaine des fl ux migratoires destination de lEurope. Les amalgames entre terrorisme et migration clan-destine sont de plus en plus rcurrents si bien que des tats comme lAlgrie ont renforc leurs contrles des dplacements dans la zone la satisfaction des tats-Unis et de lEurope. LAlgrie entend bien en effet tre la puissance hgmonique au Maghreb et au Sahel dans la mesure o elle dispose dun certain savoir-faire dans la lutte antiterroriste comme en tmoigne son histoire rcente (voir le texte de Salim Chena).

Seule la Libye du colonel Kadhafi aurait pu lui contester ce rle, ce dernier stant tourn ds son arrive au pouvoir en 1969 vers le sud du Sahara. la fi n des annes 1980, il incite les Touaregs sengager dans la lgion islamique puis joue un rle important dans la rsolution des rbellions touargues. La guerre civile en Libye risque de bouleverser la gopolitique rgionale quelle que soit son issue (voir J.-F. Daguzan et de J.-Y. Moisseron). Les enjeux sont considrables


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et les consquences diffi cilement envisageables tant les scenarios peuvent tre nombreux. Une chose est certaine : la distribution massive darmes non seulementlgres, mais aussi lourdes, laquelle sest massivement livr le guide de la rvo-lution pour lutter contre les insurgs de Benghazi va considrablement accrotreune inscurit dj trs forte. LAQMI en a profi t pour squiper en armes lourdes(missiles antiariens et explosifs) tandis que des Touaregs maliens et nigriens, dont plusieurs centaines combattent aux cts des forces pro-Kadhafi , se sont quips en armes lgres avec certainement lobjectif de sen servir un jour.

Dans cette conjoncture agite et changeante, les tats sahliens paraissent dmunis. Malgr les efforts des tats-Unis et de la France, les carences de leursforces militaires demeurent relles, ltendue des zones contrler ne facilitant pas la surveillance. Face aux divergences entre pays du Sahel et entre ceux-ci etlAlgrie, la rgionalisation de la lutte contre le terrorisme parat impossible, le Sahara demeurant un enchevtrement de logiques gopolitiques contradictoires osentremlent les objectifs des tats, ceux des puissances trangres et, entre lesdeux, des populations dmunies et sans avenir qui ne se reconnaissent parfois pasdans les tats ns de la dcolonisation (voir Antonin Tisseron).


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Sahara, perspectiveset illusions gopolitiques

Yves Lacoste

La guerre civile meurtrire qui se droule, depuis fvrier 2011, dans le nord de la Libye, aux abords de la Mditerrane, va probablement avoir, quelle quen soit lissue, de grandes consquences dans lensemble du Sahara et pas seulement dans le dsert libyen. Ainsi, de nombreux mercenaires mais aussi des volontaires viennent du sud et de louest du Sahara senrler dans les forces du colonel Kadhafi pour lutter disent-ils contre limprialisme qui agresse la Libye. la fi n du confl it, nombredentre eux iront sans doute dans dautres parties du Sahara, avec les armements quils auront conservs. Il est donc utile denvisager le Sahara dans son ensemble pour mieux comprendre comment peuvent voluer des situations proccupantes depuis des annes et qui dsormais vont probablement saggraver rapidement.

Le Sahara est, depuis plusieurs annes dj, trs mdiatis via le dveloppe-ment des trafi cs clandestins et lucratifs de migrants, depuis les pays dAfrique noire vers lAfrique du Nord, destination de lEurope, mais aussi en tant quimmens e plate-forme pour le trafi c des drogues apportes clandestinement en Afrique de lOuest depuis lAmrique latine par bateau ou par avion afi n dtre transportes vers le Maghreb et lEurope par camion sur les pistes du Sahara occi-dental ou du Sahara central.

Tous ces trafi cs, connects aux grandes mafi as internationales, sont le fait de groupes organiss et arms qui savent, par tradition, franchir discrtement de grandes distances dans le dsert. Tout cela relve videmment de stratgies, combinant les diffrents niveaux danalyse spatiale, depuis les pistes du dsert sur des milliers de kilomtres jusquaux planques dans tel ou tel quartier des villes europennes.

Il est aussi de plus en plus question du Sahara depuis que sa partie centrale et mridionale est devenue thtre doprations des islamistes jihadistes du GSPC,


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Groupe salafi ste pour la prdication et de combat. En 1998, celui-ci avait rompuavec le GIA (Groupe islamiste arm) car, aprs avoir men depuis 1992 la guerrecivile contre les forces des gnraux algriens, ce dernier commenait ngocierune amnistie avec le prsident Boutefl ika. Le GSPC replia progressivement ses commandos au Sahara, en faisant de nouvelles recrues. En 2006, il se plaa souslgide de Ben Laden et prit le nom dAl-Qada au Maghreb islamique (AQMI).

Ce groupe a tendu ses oprations vers la Mauritanie puis, en septembre 2010, a orchestr la prise dotages (dont cinq expatris franais la seule femme fut rel-che rapidement pour raison de sant) prs des mines duranium dArlit exploites par Areva. En janvier 2011, cest dans un restaurant situ en plein centre de Niamey que furent enlevs par AQMI deux jeunes Franais. Comme des forces spcialesfranaises et des hlicoptres avaient t positionns au Burkina pour retrouver etlibrer les otages dAreva, celles-ci reprrent et interceptrent sur la route du Mali les pick-up des combattants dAQMI et les deux Franais quils venaient denlever. Malheureusement ceux-ci furent tus dans le combat. Lchec dune telle opration a montr que la situation tait encore plus grave quon le croyait.

Les rpercussions en Libye et au Sahara dun printemps arabe qui a tourn au tragique

Cette guerre de Libye qui dure et saggrave, malgr les interventions ariennes de pays de lOTAN, est une des consquences de ce que lon a appel le prin-temps arabe . Ces soulvements populaires, partis de Tunisie pour gagner lgypte, ont engendr dimportants changements la tte de ltat : Tunis, le dpart de Ben Ali et de sa clique familiale, et au Caire, celui du vieux marchal Moubarak.

La rvolution tunisienne a surpris par sa rapidit et sa facilit. Tunis, elle a t surtout le fait des classes moyennes comme lindiquent limportance du rle des tlphones portables parmi les manifestants et leur allure vestimentaire qui, excdes dtre spolies depuis des annes par les proches du Prsident (les nombreux frres et cousins de la coiffeuse devenue lpouse de Ben Ali qui se voyait dj rgente), ont exprim leur sympathie, dans un premier temps, lgard de la marche de pauvres gens venus du bled pour protester contre leur misre et limmolation spectaculaire dun des leurs. Le prsident Ben Ali fut dautant plus rapidement mis dans un avion vers lexil que lambassade amricaine a fait part de son souhait de le voir partir. Depuis, la rvolution tunisienne est divise entre linfl uence des classes moyennes et celle des milieux populaires.

Au Caire, dans les quartiers du centre-ville, cette fulgurante rvolution tuni-sienne, largement commente par les mdias internationaux, a t aussitt imite


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CARTE 1. LE SAHARA, LES FRONTIRES ET


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IRES ET LES GRANDS GROUPES ETHNIQUES


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par les jeunes des classes moyennes, avec un dploiement de chars de larme pour empcher la rpression policire. Tout cela sopra dautant mieux que le prsident amricain, dispensateur du milliard de dollars par an aux militaires gyptiens, fi tsavoir quil conseillait au prsident gyptien de se retirer au plus vite et de laisserle pouvoir aux gnraux, ses adjoints.

Ces deux rvolutions du printemps arabe , dont les chanes de tlvision fi rent grand cas, eurent dimportants chos dans le monde arabe et suscitrent parmi la jeunesse des mouvements comparables.

Les polices tout dabord leur laissrent prendre plus ou moins dampleur avantde rprimer. Cependant, en Algrie, latroce guerre civile qui sest droule dansles annes 1990 nest pas oublie, aussi lopposition fait-elle preuve de prudence.Il en fut de mme parmi les Palestiniens.

Par contre, en Libye, les opposants au rgime du colonel Kadhafi crurent quiltomberait lui aussi rapidement ds les premires grandes meutes. Celles-ci cla-trent, lest, Benghazi dont la population se plaignait dtre nglige au profi tde Tripoli alors que cest en Cyrnaque quest extraite la plus grande partie du ptrole. Cest aussi en Cyrnaque que se trouvait le ple du pouvoir royal avant lecoup dtat men par Kadhafi en 1969. Il est signifi catif que les rebelles libyens ds les premires meutes Benghazi aient adopt lancien drapeau, celui du roiIdriss Ier, trs diffrent de lemblme vert de Kadhafi .

Ces rebelles de Benghazi, issus eux aussi des classes moyennes, ont rapide-ment constitu un Comit national de transition , et sont partis librer la Libye dans de belles voitures en tirant des coups de feu en lair. Mais, aprs de specta-culaires succs sur la longue route qui mne Tripoli, ils se sont bientt heurts des forces qui elles ont montr quelles savent faire la guerre et qui ont employ les grands moyens.

Partageant la sympathie gnrale lgard du printemps arabe , le gouverne-ment franais suivi par celui de Grande-Bretagne a trs vite apport son soutien aux rebelles libyens et, devant la violence de la rpression qui les frappait, il a obtenu lONU un vote du Conseil de scurit autorisant des oprations ariennes pour assurer la protection des populations civiles. Ces oprations, menes partir daro-dromes italiens et du porte-avions Charles-de-Gaulle, et initialement destines empcher Kadhafi de mettre en uvre son aviation contre les populations civiles, se sont traduites durant plusieurs mois par le bombardement de divers objectifs mili-taires. Elles associent des chasseurs-bombardiers de quelques pays de lOTAN, mais les tats-Unis ny participent plus directement, le Congrs amricain et lopinion publique amricaine ne voulant pas tre progressivement engags dans une nouvelle guerre, celle dIrak et dAfghanistan ntant toujours pas acheves.

Mais les partisans de Kadhafi peuvent proclamer quune fois encore un pays arabe est agress par lOTAN et demander la mise en accusation notamment des


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tats-Unis et de la France. De nombreux volontaires anti-imprialistes affl uent travers le Sahara pour soutenir le combat de Kadhafi . La Ligue arabe sinquitede lvolution de la situation, dautant plus quen Syrie des manifestations contrele rgime de Bachar el-Assad ont entran une rpression massive qui ntouffe cependant pas la contestation. lONU, la Russie, la Chine, le Brsil et lInde sopposent absolument ce que lintervention arienne sur la Libye, pour obtenirle dpart de Kadhafi , soit complte par des oprations au sol. On aurait pu penser,depuis laggravation de la situation en Libye, que les militaires gyptiens, qui ont tolr, sinon encourag, la rvolution au Caire, apporteraient leur soutien aux rebelles libyens . Mais, pour le moment, cette aide napparat gure moinsquelle soit fort discrte.

Le pouvoir de Kadhafi se rvle moins fragile quon pouvait le croire

Si les rvolutions tunisienne et gyptienne ont permis rapidement la chute dun rgime oppresseur, la rvolution en Libye se heurte donc forte partie et lesinsurgs de Benghazi dans leur marche vers Tripoli ( prs de 1 000 km) ont subide cuisants revers, malgr le soutien arien franco-britannique, et les habitants dela grande ville de Misrata subissent depuis des semaines un long sige meurtrier.Cest que le rgime de Kadhafi est plus solide que pouvaient le laisser penser les costumes extravagants et les rodomontades de celui qui sest proclam en 1980 chef et guide de la rvolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste .

Le terme de jamahiriya (littralement chose des masses ), lanc en 1977 pour remplacer celui de rpublique, laisserait croire quil ny a plus dtat et que le pouvoir est au peuple (nest-ce pas la ruse de ceux qui instaurrent autrefois en Russie le pouvoir de conseils dnomms soviets ). Mais il sagit dun habile appareil de pouvoir totalitaire qui a, autrefois, bnfi ci du modle des services policiers des tats socialistes de lpoque. Cet appareil a volu vers un systme de milices, soi-disant inspir par le systme tribal traditionnel, chacune delles tant diriges par des fils ou des apparents de Mouammar Kadhafi. Celui-ci choisit dans les tribus, celles qui ont fait allgeance et qui sont en principe galitaires, un petit nombre dhommes quil comble de faveurs et qui sont chargs de mener et de surveiller tous les autres.

Outre cela, le Chef et le Guide quest Kadhafi dispose des trs gros moyens fi nanciers que lui versent les compagnies ptrolires. Ceci permet de distribuer des revenus apprciables lensemble des citoyens libyens (dont le nombre nest dailleurs pas considrable, 8 millions ?) et de faire travailler leur place, sur de grands chantiers, de trs nombreux immigrs qui, eux, sont chichement


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pays : Tunisiens, gyptiens, Africains au sud du Sahara, mais aussi Asiatiques. Les revenus du ptrole permettent aussi de recruter de nombreux mercenaires etsurtout de fi nancer en Afrique de nombreux mouvements rvolutionnaires (notam-ment parmi les Touaregs) et de mener de grandes manuvres diplomatiques au sud du Sahara et dans le cadre de lUnion africaine.

Depuis sa prise de pouvoir en 1969 (qui fut aussi lanne de la premire grandedcouverte ptrolire en Libye), le slogan du capitaine et bientt colonel Kadhafi a t la lutte contre limprialisme. Cest dailleurs pour obtenir la fermeture dela base arienne amricaine de Weelus Field que les auteurs du coup dtat justi-fi rent le renversement du roi Idris, pourtant assez populaire. Kadhafi a ensuite, des annes durant, multipli ses entreprises anti-imprialistes, ouvertement ou sournoisement. Aussi, en reprsailles dun attentat terroriste contre un avion de ligne amricain, la rsidence de Kadhafi Tripoli fut-elle bombarde par lavia-tion amricaine en avril 1986. Sans doute impressionn par la violence de la raction amricaine aprs les attentats du 11 septembre 2011, Kadhafi a cess sesproclamations contre limprialisme et a cherch habilement renouer avec les pays occidentaux : dabord avec lItalie (aprs repentance pour obtenir dimpor-tants investissements), puis avec le prsident franais qui, dans lespoir de gros contrats, stait entremis pour faire librer les infi rmires bulgares accuses davoir inocul le sida lhpital de Benghazi. noter que le magistrat qui les avait fait condamner mort, et qui fut ensuite nomm ministre de la Justice, se trouve maintenant parmi les dirigeants des rebelles libyens.

Les projets gopolitiques de Kadhafi sur lensemble du Saharasont plus srieux quon le croyait

Peu aprs sa prise de pouvoir, le colonel Kadhafi est all au Caire demander lunion avec lgypte au colonel Nasser qui la poliment conduit. Ds le dbut des annes 1980, Kadhafi avait lanc travers le Sahara algrien des colonnes de volontaires pour aller soutenir au Sahara occidental les militants du Polisario contre larme marocaine. Ces colonnes libyennes furent discrtement liquides au Sahara par larme algrienne.

la tte dun pays dsormais grand producteur de ptrole, Kadhafi a souhait conforter sa puissance en lanant lide des tats-Unis du Sahara. Ceci a provoqu lopposition radicale des Algriens qui ne veulent videmment pas renoncer au gros morceau de Sahara qu la fi n du XIXe sicle avaient conquis les Franais, plus prcisment des offi ciers franais de larme de terre (lautre partie encore plus vaste du Sahara franais fut conquise par des offi ciers de marine, ceux-ci naimant gure ceux-l, nous y reviendrons).


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Ses projets vers louest tant ainsi contrecarrs, Kadhafi a tourn ses ambitionsvers le sud, vers lAfrique tropicale et dabord vers le Tchad, ce qui lui aurait permis daccder au grand lac du mme nom. Celui-ci a longtemps t considrpar les gographes et stratges europens (notamment les Allemands avant 1914)comme le cur mme du continent. Kadhafi fi t dune ancienne revendication fron-talire sur la bande dAozou, le long de la frontire libyenne, un moyen de jouerun rle dominant dans les affaires tchadiennes. Sur cette longue bande de terri-toire, les Turcs, la fi n XIXe sicle, avaient implant quelques postes militaires que les militaires franais occuprent durant la guerre de 1914-1918 mais que les Italiens revendiqurent aprs avoir conquis la Libye. Le gouvernement fran-ais, pour plaire Mussolini (et viter quil se tourne vers Hitler), signa un traitreconnaissant la bande dAozou lItalie. Mais Mussolini stant alli Hitler, cetrait ne fut pas ratifi par les dputs franais et aprs la guerre, lindpendancede la Libye en 1951, la question tait toujours en suspens. Or il se trouve que legouvernement du Tchad, devenu indpendant en 1960, sest trouv confront ds1968 une srie de rbellions des populations sahariennes, des nomades toubousdu Tibesti. ces trs bons guerriers, Kadhafi apporta son aide, en change de lapromesse de leur chef de lui laisser la bande dAozou, promesse qui fut oublieds que les rebelles du Nord eurent conquis la capitale en 1979. Kadhafi ,contre la mme promesse sur Aozou, suscita donc avec dautres clans toubous unenouvelle rvolte dont les chefs, une fois vainqueurs, rompirent aussitt avec le dirigeant libyen et ainsi de suite, jusqu ce que Kadhafi en 1987 dcide dengager directement larme libyenne avec ses chars dans le nord du Tchad. Elle y subit une dfaite retentissante devant les combattants toubous effi cacement arms et guids par leurs conseillers franais. Aprs ce fi asco, dont la presse internationale se fi t lcho, Kadhafi remit plus tard ses grands projets.

bien y rfl chir, ces vises libyennes sur une trs grande partie du Sahara ne datent pas de Kadhafi . On peut dater leur dbut au XIXe sicle et au grand dvelop-pement de la grande confrrie des Senoussi. Ce fut, ds son origine, une confrrie anti-imprialiste avant la lettre et ses rseaux ont pris une grande extension dans tout le Sahara. Elle fut fonde ds 1840 par un mystique soufi algrien (originaire de Mostaganem), Mohamed Senoussi, qui refusa immdiatement la domination franaise en Algrie pour aller dnoncer, dans les pays proches, les dangers des infl uences europennes. Il fut mal accueilli en gypte qui, sous lgide de Mhmet Ali et de ses conseillers franais, tait alors en pleine modernisation. Il en fut de mme en Tunisie. Mohamed Senoussi rencontra moins dobstacles dans les territoires de lactuelle Libye dpendances anciennes de lEmpire ottoman, mais la Sublime Porte tait alors accapare par les problmes balkaniques. Tripoli, port actif proche du dtroit de Sicile, rgnaient en fait, comme Alger avant 1830, les hritiers de corsaires barbaresques, mais aussi de trafi quants desclaves. Le bey


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de Benghazi tait plus lcart des affaires et il donna son accord Senoussi pourquil implante sa confrrie dans le Djebel Akhdar, la montagne verte , qui, lest de Benghazi, domine la mer et le dsert. Le Grand Senoussi comme on le nommera plus tard, btit ds 1843 ses premires zaouas (couvents fortifi s) qui se multiplirent. Il fut en 1894 contraint par les autorits ottomanes, dont il dnonait les soucis de modernit, daller installer sa capitale dans une oasis loindans le dsert, Koufra, do les rseaux de la Senoussiya, avec le soutien du sultan du Ouada ( lest du Tchad actuel), se sont tendus presque toutes les rgions sahariennes et au-del. Certains chefs senoussis se sont lancs dans le trafi c desclaves. Cest ainsi quun Senoussi tait associ au grand ngrier Rabahqui ravageait les pays entre le haut Nil et le lac Tchad, lorsquen 1900 larme decelui-ci fut vaincue par la colonne Foureau-Lamy qui venait dAlger et par cellesqui venaient du Congo et du Niger (le nom de Fort-Lamy fut donn la future capitale tchadienne NDjamena). Ce sont des Senoussi, allis des Turcs, qui, en 1916, sont alls tuer le pre Charles de Foucault Tamanrasset, dans le Hoggar, etqui ont aussi suscit une grande rvolte touargue.

Les membres de cette confrrie ont men la lutte contre les Italiens ds 1911et dans lentre-deux-guerres, puis contre lAfrikakorps pendant les batailles du dsert durant la Seconde Guerre mondiale. Laide des Senoussis fut alors prcieuse pour les Anglais. Ceux-ci occuprent la Libye de 1943 1951 et cest avec leurrenfort quIdris Ie Senoussi fut proclam roi de Libye. Plutt que Tripoli, le centre politique du royaume devint la Cyrnaque, o ont t reconstruites les zaouas snoussies qui avaient t dtruites par les Italiens dans le Djebel Akhdar.

Le coup dtat de Kadhafi , alors que le roi Idris tait ltranger, na pas pouss les Senoussi de Libye dans une opposition radicale ; par la suite un Abdallah Senoussi a pous la sur de Kadhafi (il est loncle de Saf al-Islam, dauphin semble-t-il de Kadhafi ) et il est le chef des services secrets de la Jamahiriya. Le grand rseau des Senoussi, dans la plupart des rgions sahariennes mais aussi sahliennes, a favoris les relations et les projets quy entretient Kadhafi . En 2002, il prside la formation dune Communaut des tats sahlo-saharien : la Cen-Sad qui rassemble 28 membres. En avril 2006, il annonce Tombouctou la cration de la Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara . Il considre en effet comme absolument factices toutes les frontires qui divisent les tendues sahariennes. Dans le mme temps, il pousse sunir les Touaregs dAlgrie, du Mali et du Niger et il soutient leur rbellion. Dans certains de ses discours, Kadhafi tend ce Grand Sahara de la Mauritanie lIrak, en incluant lArabie, ce qui nest videmment pas pour plaire au souverain saoudien.

Au Sahara et dans la zone sahlienne, les rseaux jihadistes dAQMI sont galement actifs. Certes, depuis des annes Kadhafi dnonce les Frres musul-mans comme agents de limprialisme (ceux-ci suscitrent des rvoltes en


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Cyrnaque) et il impute Al-Qada lactuelle rvolte. De faon gnrale, les islamistes ne sentendent gure avec les soufi s, notamment parce que ceux-ci acceptent le culte populaire des saints. Or la Senoussiya est dorigine soufi e, mais le Grand Senoussi fut fondamentalement anti-imprialiste et ses disciples le sont encore plus ou moins. Lintervention actuelle de lOTAN au-dessus de la Libye peut rapprocher les uns et les autres.

Lide du jihad nest pas seulement la volont dimposer la loi coranique, cest aussi un combat pour faire lunit du monde musulman en attaquant les tats qui le divisent. Le fait que le Sahara soit un immense ensemble, et que les frontires des tats qui se le partagent soient apparemment tout fait factices, incite sans doute des intellectuels jihadistes vouloir eux aussi lunit saharienne, aprs quen auraient t chasses les trs maigres infl uences occidentales. Le Sahara ne pourrait- il pas devenir la grande base de dpart pour reconstituer lunit du monde musulman ?

Lillusion mobilisatrice dun heartland saharien

Dans les divers milieux qui sintressent de plus en plus la gopolitique (et les islamistes y viennent leur tour) on a entendu parler de heartland, car ce terme fi gure au dbut de la plupart des ouvrages de vulgarisation qui traitent des relations internationales . On y apprend quen 1904 un Anglais (ou plutt un cossais) Mackinder pronona une confrence la Socit royale de gogra-phie de Londres, dont le texte fut ensuite publi sous la forme dun bref article : The Geographical Pivot of History . Ses admirateurs contemporains en font le fondateur de la gopolitique (en vrit il ne mentionne pas ce terme) sur la base disent-ils de lide fondamentale que toute lhistoire du monde (y compris, au xxe sicle, celle de lAmrique) graviterait autour dun immense territoire naturel, qui devint celui de lEmpire russe. Ce territoire, qui correspond aux plaines et plateaux de Sibrie et dAsie centrale, a t qualifi (trs brivement, entre paren-thses dans le texte initial) de heartland par Mackinder.

On pourrait traduire heartland par le cur du monde ou le pays central et il est de nos jours employ tel quel, accompagn du slogan Qui contrle le heartland devient matre du monde . Dans son article de 1904, Mackinder voque longuement, pour tayer cette ide, les grandes invasions mongoles du XIVe sicle, notamment celles des cavaliers de Gengis Khan dont lempire stendit des pays du Danube en Europe lensemble de la Chine. Mais il ne sattarde pas sur le fait que ce gigantesque empire ne dura gure et qu partir du XVIe sicle cest lEmpire russe qui stendit lest de lOural, dabord en Sibrie puis sur lAsie centrale au XIXe sicle.


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Larticle de Mackinder neut pas grand succs avant la Premire Guerre mondiale, mais son audience saccrut avec la rvolution bolchevique. Les gopo-liticiens allemands fi rent grand cas de la thorie du heartland en la prolongeant vers lAtlantique comme vers le Pacifi que et le Japon, ce qui assurait, soi-disant,une matrise du monde encore plus probable. Cest surtout aprs la Seconde Guerre mondiale, lorsquon sinquita des vises mondiales de lUnion sovitique,que les stratges de la Maison-Blanche prirent la thse du heartland comme pointde dpart de leur schma. Cest, selon eux, parce que lURSS tenait le heartland quil fallait, pour sopposer elle, tenir le rimland (terme lanc en 1941 par un continuateur de Mackinder), cest--dire la priphrie littorale de lEurasie. Les stratges sovitiques, tout en dnonant la gopolitique comme imprialiste, ontraisonn pour leur part de la mme faon et, aprs la dislocation de lURSS, lesgopoliticiens russes font de mme.

Dans tous ces discours, il sagit de reprsentations partisanes qui ne tiennent pas compte des vritables donnes gographiques et historiques, chacun des protagonistes choisissant ce qui larrange et passant sous silence le point de vue de ladversaire. videmment, je ne partage absolument pas cette faon de voir les choses.

Il se trouve que, pour diverses raisons, la dislocation de lURSS et la fi n du communisme ont t progressivement suivies dans de nombreux pays (dont la France) par une sorte dengouement mdiatique pour ce quon a appel gopoli-tique . Cela sest traduit par le succs de divers ouvrages qui, dentre de jeu, font grand cas du heartland de Mackinder. Un journaliste amricain de grande noto-rit, Robert D. Kaplan, spcialiste de relations internationales, ne manque pas de citer Mackinder pour dramatiser et schmatiser de multiples problmes. noter par ailleurs quaux tats-Unis heartland est aussi devenu un terme marketing (voir Google) utilis notamment comme titre de sries tlvises pour voquer du senti-ment (heart) et du territoire naturel, notamment lors de randonnes questres.

Mais, lorsque Kaplan dans de grands journaux et magazines (outre une douzaine douvrages best-sellers aux tats-Unis) se rfre maintes reprises lide de heartland, cest au sens mackindrien du terme, lide dun immense tremplin naturel do lon peut se lancer pour la matrise du monde. Aussi peut-on penser que cette ide se rpand parmi les jihadistes (nombre dentre eux ont frquent les milieux intellectuels europens ou amricains) et on ne manque sans doute pas de faire aujourdhui une relation entre les projets kadhafi stes dunit saharienne et la ressemblance de limmense unit gologique quest le Sahara avec celle de la Sibrie qui, jusqu prsent, correspondait au heartland de Mackinder. Je fais donc lhypothse que cette reprsentation gopolitique est reprise par les milieux intellectuels jihadistes car elle sert leur projet gopolitique puisque, selon le slogan tout fait illusoire et abusif que lon associe au terme heartland, qui tient le heartland tient le monde .


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Robert Kaplan en est peut-tre assez proche, lorsque, aprs avoir soulign les consquences dangereuses de la formidable croissance dmographique de l Afrique noire , 200 millions dhommes en 1950, un milliard aujourdhui, deux milliards en 2050 (alors que les taux de fcondit sont en diminution partoutailleurs), il voque le Sahara comme une barrire qui pourrait tre oppose dnormes migrations vers le nord. Mais il admet que cette barrire est incapablede jouer ce rle, cause mme du vide humain qui la caractrise et de la faiblessedes appareils dtat qui stendent au Sahara sur de trop vastes territoires. Kaplansuggre lide que le Sahara pourrait devenir un ple de puissance, do il seraitpossible dabsorber la pousse dmographique de lAfrique tropicale.

Lide du Sahara futur ple de puissance connat depuis peu une actualit surprenante avec la rvlation (suite la dcision allemande dabandonner termele nuclaire ) dun trs grand plan de production dnergie solaire au Sahara parun consortium de grosses entreprises allemandes.

Une ide qui nest, somme toute, pas trs loigne du projet kadhafi ste dunitsaharienne. En effet, pourquoi vouloir lunit du Sahara, si ce nest pour en faireune norme base de puissance ? Kadhafi quittera probablement le pouvoir mais certains de ses proches lui succderont et les jihadistes qui combattent maintenantavec lui ne svaporeront pas ; les forces arabes qui soutiennent fi nancirement lopration de lOTAN sur la Libye cest notamment le cas du Qatar (qui poussedans tous les domaines la modernit de lislam) noublieront pas les projets dunit du Sahara et lide dun heartland.

Pour que lexpression de heartland saharien ne soit pas quun jeu de mots, et pour lui donner plus de vraisemblance, il nest pas inutile de comparer le Sahara avec le territoire qui correspond au heartland que sest reprsent Mackinder. Certes, lun et lautre sont du mme ordre de grandeur : ils se mesurent en milliers de kilomtres ; grosso modo, ce sont les mmes formes de relief et ils sont, lun et lautre, trs faiblement peupls. Mais les plaines et plateaux de Sibrie, qui souvren t sur locan Glacial arctique, ne sont pas du dsert pardon de profrer une telle vidence puisquils sont pour une grande part couverts de forts. Celles-ci sont mme inondes lt par des cours deau venus du sud, de contres o les arbres font place aux herbes de grandes steppes. Cest de celles-ci que se sont lances au Moyen ge les fameuses invasions mongoles auxquelles Mackinder accorde abusivement une importance plus fondamentale dans son ide de heartland qu la progressive expansion de lEmpire russe depuis les forts et les clairires de la rgion de Moscou.

Par contre, le dsert saharien, que bordent la Mditerrane et lAtlantique, ne passe pas vers le sud des steppes herbeuses mais une zone darbres rabougris, puis des savanes de hautes herbes. Celles-ci sont encore parcourues par des tribus de pasteurs, mais ceux-ci sont leveurs de bovins et ne peuvent donc saventurer


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au Sahara (sauf il y a bien longtemps, sous un autre climat, quand les Garamantesde lAntiquit menaient vers Tripoli leurs chariots trans par des bufs).

Certes, comme le heartland de Mackinder, selon lui trs marqu par les inva-sions mongoles, le Sahara a t envahi et conquis pour lessentiel de son territoirepar des tribus nomades qui venaient dArabie.

Cette comparaison montre quel point les caractres gographiques du heart-land de Mackinder sont diffrents de ceux du Sahara, mme si de nos jours on peut voquer la prsence dans lun et dans lautre de grands gisements dhydrocarbures.

Le Sahara et lautre grand ensemble de dserts

Le fait que les tendues sahariennes fassent dsormais partie de lespace du jihad, qui est une stratgie de combattants musulmans lchelle du Vieux Monde(lislam nest pas encore autant reprsent dans le Nouveau Monde), conduit envisager le Sahara en gographe et sur les temps longs, non seulement dans sonensemble, mais aussi en le comparant avec un autre grand ensemble de dserts quitraverse toute lAsie et qui forme une grande partie du monde musulman. En effet,cet autre grand ensemble de dserts compte, outre des pasteurs, surtout dans de grosses oasis, dimportantes populations musulmanes. En comparaison, le Saharaest nettement moins peupl, moins quon y inclue statistiquement la valle du Nil bien quelle le traverse somme toute en trangre.

Depuis lArabie, son foyer dorigine, lislam historiquement sest tendu sur un grand nombre de rgions arides, sur le nord de lAfrique et les deux rivages de la Mditerrane, le Moyen-Orient et ses dserts jusquau sud de lOural et louest de la Chine ; lislam de la pluvieuse Asie des moussons, nonobstant son poids dmo-graphique, na pas encore la mme importance dans les reprsentations du monde.

La mise en vidence des diffrences entre ces deux grands ensembles de dserts que sont le Sahara et les dserts dAsie permet de mieux comprendre celui qui nous concerne, ne serait-ce quen raison de limportance que vont sans doute lui accorder dsormais ceux qui se veulent nos adversaires.

Le Sahara nest que la partie principale de la longue bande de dserts qui, dans lAncien Monde (en Afrique et en Asie), stend de lAtlantique la mer Rouge et, sur le continent asiatique, depuis lArabie jusquau dsert de Gobi au nord de la Chine. Dans ce trs grand ensemble aride, il faut distinguer deux sous-ensembles trs diffrents tant du point de vue des tempratures que de celui des grandes formes du relief. Alors qu louest le Sahara et lArabie sont des dserts chauds (sans hiver froid) et sont surtout de vastes tendues de plaines et de plateaux, lest les dserts dIran et surtout ceux dAsie centrale sont des dserts hivers froids qui sont domins et traverss par de puissantes chanes de montagnes,


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plus ou moins obliques par rapport lHimalaya. Le Tibet, hormis ses valles, nepourrait- il pas tre aussi considr comme un dsert daltitude ?

Autre contraste majeur entre ces deux ensembles dsertiques : le Sahara, limit vers le nord par la Mditerrane, passe vers le sud aux forts claires et aux savanes, formations vgtales de la zone tropicale. En Asie, lensemble arideprend fi n vers le sud la zone arrose lt par le phnomne de la mousson. Les records mondiaux de prcipitations se trouvent dans les rgions de lInde quisont aux mmes latitudes que le Sahara.

La relative platitude du Sahara tient au fait quil est la partie septentrionale, et la plus large douest en est, de la grande plaque africaine qui stend au nord comme au sud de chacun des tropiques. En tant pousse vers le nord par les courants profonds de la visqueuse asthnosphre (ce quautrefois les physiciensdu globe appelaient le sima) qui se trouve sous l corce terrestre , la plaque africaine rebrousse lentourage tectonique de la Mditerrane occidentale, ce quiforme les reliefs dAfrique du Nord. noter que cette plaque (on parlait autre-fois de socle granitique) est recouverte, sauf en bordure de lAtlantique, de dptssdimentaires, des grs continentaux et des calcaires marins, qui forment de vastesplateaux sous lesquels se trouvent des gisements dhydrocarbures et des nappes deau fossile.

En revanche, la grande plaque eurasiatique, qui se trouve de bien plus hauteslatitudes jusquau-del du cercle polaire, est au niveau du tropique, soumise au glissement vers le nord de la plaque indienne (ou du Deccan). Cette pression soulve lHimalaya mais provoque aussi des cassures de la plaque asiatique en chanes plus ou moins parallles entre lesquelles se trouvent des blocs affaisss. Ceux-ci ne sont gure atteints en t par les prcipitations quapporte la mousson vers le nord car elles tombent surtout sur lHimalaya. En hiver, lAsie centrale est soumise lair froid et sec de lanticyclone sibrien qui descend du cercle polaire.

Absentes au Sahara, ces chanes de montagnes qui dominent les dserts dAsie centrale ont un rle capital, surtout lt, pour les populations qui vivent dans cet ensemble aride. En t, les sdentaires des grosses oasis de pimont profi tent de la fonte des neiges pour irriguer leurs cultures, tandis que les nomades montent avec leurs troupeaux vers les pturages daltitude. Ces oasis de pimont furent aussi des tapes pour les caravanes des routes de la soie qui, pendant des sicles, allren t de la Chine aux abords de lEurope ; leurs chameaux sont de grands animaux porteurs qui, dans les cols de haute altitude, peuvent cheminer dans de grosses paisseurs de neige. Les forts montagnardes fournissent aux pasteurs et aux oasis le bois pour se chauffer la saison froide. Les basses terres ont lavantage de laridit en hiver car les chutes de neige y sont faibles et les troupeaux peuvent encore tirer parti, en grattant la neige, dune vgtation relativement abondante bien que rabougrie.


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CARTE 2. LE SAHARA ET LES DSERTS DASIE

Au Sahara, latout naturel que constituent ces grandes chanes de montagnes nexiste pas : ce dsert est surtout form de vastes tendues de relativement faible altitude, do slvent, ici et l, quelques massifs isols (volcans teints) dont lalti tude nest pas assez grande pour y provoquer des prcipitations importantes. De ces massifs descendent des valles profondes, creuses autrefois par dassez puissants cours deau, qui ont disparu depuis ltablissement du climat dser-tique. Les sables qui furent arrachs par lrosion aux massifs granitiques ou aux plateaux grseux (les tassilis) se sont accumuls dans des dpressions endoriques (sans coulement vers la mer) et forment les ergs, les grands ensembles dunaires.

Donc, au Sahara, faute de grande chane de montagnes, pas de pturage dalti-tude ni doasis de pimont, sauf sur le versant mridional du Haut Atlas qui borde le dsert sur seulement quelques centaines de kilomtres. La plupart des oasis sahariennes sefforcent de tirer parti de nappes aquifres ingalement profondes.


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La puissance gopolitique des tribus nomades des steppeset la faiblesse gopolitique des tribus sahariennes

Contrairement aux reprsentations courantes, les nomades sahariens et leurs troupeaux, avant le dclin qui les frappe depuis quelques dcennies, ne se trou-vaient gure dans le vrai dsert saharien (sauf en bordure de lAtlantique) mais dans les steppes qui le bordent au nord et au sud. Leur vgtation permet dy nourrir des troupeaux dont limportance, en vrit, tait bien maigre en regard de ceux dAsie centrale. De ce fait, lensemble des tribus nomades des steppes en bordure du Sahara nont jamais dispos deffectifs aussi nombreux que cellesdAsie centrale dont le rle gopolitique fut considrable. On se souvient videm-ment de lempire turco-mongol de Gengis Khan qui fut le plus grand de ces empires turco-mongols que lon appela aussi empires des steppes (notammentRen Grousset). Cette appellation de steppe mrite attention. Pour les Russes, y compris leurs biogographes, le mot steppe (step) dsigne une formation herbeuse, quelle soit ferme (continue) ou ouverte (discontinue), cest--dire forme par des touffes spares par des tendues plus ou moins vastes de sol nu. On passe ainsi en Eurasie, du nord vers le sud, de la steppe-prairie (la steppe russe) la steppe subdsertique. Cest une caractristique des vastes dserts dAsie centrale que de passer progressivement vers le nord des steppesherbeuses continues. Cest surtout le cas en Mongolie o lon passe, depuis le nord vers le sud, des steppes-prairies au dsert de Gobi. Ces steppes furent historique-ment le domaine de puissantes tribus de cavaliers, tant par leurs effectifs que par leur valeur guerrire. Mackinder en fait grand cas, mais il passe sous silence les infl uences politiques de la Chine et il ignore que les chevaux des armes turco-mongoles furent historiquement les premiers avoir des sabots ferrs, ce qui permettait de couvrir des distances bien plus grandes que les cavaleries dont les sabots des montures susaient rapidement (le fer cheval fut invent par des Turcs mtallurgistes, grands fabricants de charbon dans les forts proches du lac Bakal).

Ajoutons encore une donne trs gographique pour mieux comprendre les invasions turco-mongoles vers lEurope : le fait que, dans les montagnes qui entourent la Mongolie, souvre un couloir vers louest, la fameuse Porte de Dzoungarie .

Lempire de Tamerlan, lEmpire seldjoukide, lEmpire ottoman viennent eux aussi de ces dserts dAsie centrale et des steppes qui les bordent. Lempire des Turcs ottomans, qui stendra depuis lAnatolie sur tout le sud-est de lEurope et le nord de lAfrique, dut sa persistance jusquau dbut du XXe sicle (en dpit des rivalits tribales) au fait quaprs la crise de Constantinople il sut rcuprer les fonctionnaires grecs de lappareil dtat byzantin.


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Si jvoque tout cela sur les temps longs propos des dserts asiatiques, cest afi n de mieux comprendre, en termes de gohistoire, ce que lon pourrait appeler la relative faiblesse du rle gopolitique du Sahara, en raison principa-lement de la faiblesse des effectifs de sa population, et ce en dpit de son unit gologique et de son immensit. Il na pas connu lquivalent des empires des steppes asiatiques qui se sont tendus vers le nord de la steppe dsertique la steppe-prairie susceptible de nourrir un important cheptel et de nombreux chevaux pour la guerre.

Il existe pourtant des steppes au Sahara mais, vers le nord, leur extension est limite au Maghreb par les montagnes qui sont soumises la scheresse dt et nont, pour la plupart, gure de neige en hiver en raison de leur mdiocre altitude. Vers lest, il ny a gure de steppe ctire puisque le dsert atteint la mer, sur 2 000 km, depuis le sud de la Tunisie jusqu lgypte, lexception, en Libye, du Djebel Akhdar, la montagne verte . Dans louest du Sahara, le long du littoral atlantique existe un dsert ctier o les phnomnes de condensation de lhumidit de lair marin entretiennent une steppe qui permettait aux Reguibat de maintenir en permanence un assez grand nombre de dromadaires.

Au sud du Sahara stendent aussi des steppes mais, alors quen Asie le dsert et sa vgtation trs rare passe vers le nord des steppes herbeuses, en Afrique, la vgtation saharienne passe vers le sud de maigres buissons, des arbres clair-sems (les phytogographes parlent de steppes arbustives et arbores) puis des savanes de hautes herbes dures soumises autrefois, chaque saison sche (en hiver), des incendies pour que les populations paysannes puissent cultiver la terre. Il y a certes au sud du Sahara, dans toute la zone sahlienne, des peuples de pasteurs, comme les Peuls, surtout leveurs de bovins car les chevaux sont relativement rares ( cause notamment de la trypanosomiase). Le rle historique des Peuls a t grand car ce sont eux qui ont diffus lislam, mais les empires quils ont un temps constitus nont pas eu lenvergure de ceux quont conquis et organiss les souverains turco-mongols. Les formes de pouvoir dans les pays de lAfrique tropi-cale se sont traduites durant des sicles (bien avant lintervention des Arabes ou des Europens) moins sur la taille des espaces contrls que sur le commerce des esclaves achemins et vendus loin du lieu de leur capture (pour quils ne puissent se sauver et retourner chez eux).

Alors que les dserts, les steppes dAsie, comme leurs grandes oasis (mais aussi des pays population paysanne comme lIran ou mme lest de lEurope), ont connu plusieurs reprises la formation dempires turco-mongols fonds par la puissance de leurs cavaleries, le Sahara et les pays du Maghreb nont pas connu, mon avis, la formation de tels empires conquis par des tribus nomades. ce point de vue personnel, lon peut videmment objecter la conqute arabe, ce que certains appellent les invasions arabes .


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Larabisation partielle du Maghreb et du Sahara

Certes, le Maghreb de peuplement berbre, plus ou moins romanis selon lesrgions, connut dans la seconde moiti du VIIe sicle lexpansion de lislam apport par dassez petits groupes de musulmans arabes venus dArabie (les Arabes quiau dbut du VIIIe sicle franchissent le dtroit de Gibraltar sont pour une grandepart des Berbres) ; un peu auparavant, dautres groupes de musulmans arabes faisaient la conqute de la Syrie, puis de lEmpire perse. Au Maghreb, le succs des musulmans sexplique principalement par leur volont dabolir lesclavage introduit par lEmpire romain et continu par les Byzantins. Mais, au milieu du VIIIe sicle,les gouverneurs du calife omeyyade de Damas prtendant rtablir lesclavage sur les Berbres, une grande insurrection dite kharedjite (du nom dune hrsie galitairemoyen-orientale contemporaine de lapparition du chiisme) tablit en 730-740 lind pendance des pays du Maghreb lgard des empires arabes et leur indpen-dance sera dfi nitive jusqu ce que les puissantes cits corsaires dAlger, de Tunis et de Tripoli fassent appel au XVIe sicle lEmpire ottoman pour les protger dune grande offensive espagnole. Le Maroc reste absolument indpendant jusquau dbut du XXe sicle. En revanche, lgypte, aprs sa conqute par les musulmans (642)passera sous lautorit de plusieurs empires turco-mongols successifs, le derniertant celui des Ottomans. Sa domination sur Le Caire cessera en fait avec la prise de pouvoir de Mhmet Ali (1804) aprs lexpdition dgypte de Bonaparte.

Cependant, malgr son indpendance ancienne, le Maghreb berbre devenu musulman sest, au cours des sicles et pour une grande part, progressivement arabis linguistiquement. Il en a t de mme pour la majeure partie des popu-lations du Sahara qui, elles aussi, taient berbres pour la plupart. Or nombre dauteurs franais veulent toute force que le Maghreb ait t soumis toute une srie dinvasions arabes, non seulement au XIIe sicle, mais surtout au XIe o auraient dferl, telles les hordes de Gengis Khan , les soi-disant terribles tribus des Beni Hilal venues dArabie. Ces tribus nomades, crit-on encore, auraient commis de terribles ravages et chass des plaines les paysans berbres qui auraient d se rfugier dans les montagnes o ils se trouvaient encore lors de larrive des Franais. Le chantre principal de cette lutte sculaire entre nomades arabes et berbres sdentaires fut, au dbut du XXe sicle, mile Flix Gautier qui mani-pula, pour ce faire, luvre du trs grand historien maghrbin du XIVe sicle, Ibn Khaldoun. Le livre de Gautier intitul Les Sicles obscurs du Maghreb (1934) eut un grand succs dans les milieux colonialistes, car il impliquait que les Franais, peuple sdentaire, taient venus au Maghreb, du fait de la colonisation, prendre la dfense des paysans sdentaires contre des Arabes qui pouvaient encore venir du Moyen-Orient. En vrit, Ibn Khaldoun na pas dcrit une lutte nomades/sdentaires, une lutte Arabes contre Berbres. Il a cherch comprendre la logique


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des nombreuses luttes auxquelles se livraient des royaumes berbres, chacun deux sappuyant aussi bien sur des tribus semi-nomades que sur des tribus surtoutformes de paysans sdentaires. Quant aux terribles Beni Hilal, Ibn Khaldounsignale quils ont t battus maintes reprises par de grands souverains marocainsberbres qui les ont rduits ltat de suppltifs-mercenaires pour aller en Espagne repousser loffensive des royaumes chrtiens.

Il nen reste pas moins, objectent les tenants de la thse du confl it nomades/sdentaires, que larabisation linguistique quasi complte du Maghreb est la preuve de la domination arabe. Il faut tenir compte que la langue berbre est seulementune langue orale, sans criture, quelle que soit la richesse de sa littrature orale (pomes, contes, etc..). On dit que le tifi nagh est lcriture des Touaregs qui sontdes Berbres ; en fait cest une srie de signes qui permettent un certain nombre dejeux desprit.

Larabisation au Maghreb a dabord t longtemps le fait des appareils dtat qui avaient besoin de transmettre des ordres et des informations et de les consigner pour lavenir. Dans les milieux dirigeants, lcriture latine continuait dtre utilise avant la diffusion de lislam qui a ensuite impos aux religieux de savoir lire et crire larabe pour clbrer le Coran. Les grands souverains marocains parlaient berbre et ils fi rent crire des scribes en arabe. Le rle international du Maghreb a pris de limportance en Mditerrane avec la reprise, au XIe sicle, des routes de lor en provenance du Soudan et les transactions commerciales ont t enregistres en arabe. Les popula-tions montagnardes ont continu de parler berbre, en raison de leurs faibles contacts avec les appareils dtat et surtout du refus de leur payer limpt.

Par contre, au Sahara, bien quautrefois les appareils dtat ny existaient gure, limportance de larabisation est bien plus grande. Cela tient au fait que des tribus nomades sont venues dArabie, par lgypte, en suivant le littoral mditer-ranen jusquau Sud tunisien, puis le pimont de lAtlas saharien et celui du Haut Atlas, et certaines jusqu la cte atlantique et de l quelques-unes ont continu vers le fl euve Sngal, dans lactuelle Mauritanie. Ces tribus se sont installes sur des territoires de parcours, en repoussant les tribus berbres qui taient dj l ou en sassociant elles et en les assimilant. Ces tribus arabes parlent un arabe dit hassaniya, celui du Moyen-Orient qui est assez diffrent de larabe maghrbin. Elles ont tabli des rapports de domination ou dassociation avec les sdentaires berbres des grandes oasis du Nord Sahara. Certains, comme au Mzab, continuent de parler berbre et pratiquent encore un islam kharedjite alors que, aprs la grande rvolte maghrbine du XIIIe sicle, lislam sunnite sest impos partout au nord.

Ainsi lensemble du Sahara est-il arabophone. Il y a pourtant la clbre excep-tion des Berbres que sont les Touaregs du massif du Hoggar et des plateaux qui lentouren t. Les diffrents groupes touaregs, selon la rgion quils occupent, forment une sorte de grande confdration, chacun deux tant, surtout autrefois,


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extrmement hirarchis, la diffrence des autres groupes berbres. Les Touaregs, en dpit de leur clbrit, ne sont pas de grands nomades car leurs territoires deparcours sont limits et ils nont pas la grande tente de laine, la khama des nomades arabes, mais de bien plus petites tentes faites de peaux cousues. Singularit anthro-pologique, alors que tous les Arabes et les Berbres (sauf exception) se rfrent aux rgles de la patrilinarit qui laissent aux femmes fort peu de pouvoirs, les Touaregs relvent de la matrilinarit. Les femmes y ont davantage de pouvoirs et ce sontelles qui sont propritaires de la tente. Les rapports entre les tribus touargues etles tribus arabes du Nord Sahara ont longtemps t tendus. Ce sont les Arabes dela grande tribu des Chaamba qui ont soutenu les Franais lors de leur conqute du Hoggar en 1902 et cest ensuite parmi les Chaamba que furent recruts les mha-ristes des fameuses compagnies sahariennes diriges par des offi ciers franais.

Lautre exception au peuplement arabophone du Sahara est celle, beaucoup moins clbre, des Toubous ou Tdas du massif du Tibesti dans le nord du Tchadet le Sud-Est libyen. Ces derniers, islamiss tardivement, sont des nomades maisaussi des marcheurs montagnards dune extraordinaire endurance. Leur langue estconsidre comme faisant partie du groupe nilo-saharien qui couvre une partie du Soudan. Ils sont dailleurs apparents aux Zagawa du Darfour, centrs sur le grand massif volcanique (comme le Tibesti) quest le Djebel Marra. Les Toubouscomme les Zagawa sont diviss non pas en grandes tribus,

Documents

Hérodote 2011-3 Géopolitique Du Sahara