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Que sais-je? Hervé Domenach et Michel Picouet pulati nonne

Hervé Domenach et Michel Picouet pulati

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Quesais-je?Hervé Domenachet Michel Picouet

pulati•nonne

Page 2: Hervé Domenach et Michel Picouet pulati

QUE SAIS-JE "

Populationet environnement

HEH vÉ DüMEN ACH

MICHEL PICOIJET

Directeurs de rechercheau laboratoire Population-Environnement

[f Hl i-Llniveraifè de Provence)

Page 3: Hervé Domenach et Michel Picouet pulati

DES MÊMES AUTEURS

La dimention migratoire des Antilles, Economica, 1992.Les migrations, n° 224, PUF, coll. « Que sais-je? », 1995.

ISBN 2 130505074

Dépôt légal - 1" édition: 2000, avril

© Presses Universitaires de France, 2000108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

Page 4: Hervé Domenach et Michel Picouet pulati

INTRODUCTION

Le 12 octobre 1999, la planète Terre enregistraitsymboliquement la naissance du six-milliardième hu­main l

• Imaginons qu'aux temps du Néolithique, oùl'homme vivait de cueillette et de chasse, nous eus­sions été aussi nombreux... Mère Nature aurait-ellepu tous nous nourrir? Certainement pas! A cetteépoque, chaque groupe humain avait besoin d'unvaste territoire pour y prélever sa nourriture, en com­pétition avec les autres espèces, lui-même étant inscritau banquet de ses propres prédateurs. La loi del'équilibre entre proies et prédateurs eut tôt fait deréduire la prolifération des espèces.

En traitant de l'optimum de population, AlfredSauvy en donna une interprétation allégorique avec lafable de « L'île aux chèvres » : sur une île, il y avaitdes chèvres qui se nourrissaient d'herbe, et plusl'herbe se faisait abondante et plus le nombre de chè­vres prospérait, jusqu'à ce que l'herbe ne repousseplus, diminuant le nombre des chèvres. On introduisitalors dans l'île un prédateur de la chèvre: un couplede loups! disposant d'une nourriture abondante, ilsse reproduisirent rapidement et décimèrent les chè­vres, qui se firent de plus en plus rares. Les loupsdépérirent alors à leur tour, faute de leur nourriture

1. Selon le musée de l'Homme, qui entendait ainsi médiatiserl'événement (www.popexpo.netl, dont la date réelle reste évidemmentcomplétement incertaine. Rappelons, en effet, que les estimations depopulation mondiale connaissent une marge d'incertitude de l'ordre de2 %, soit une centaine de millions de personnes. Pour 1999, par exemple.le Population Reference Bureau fait état de 5 982 millions de Terriens,contre 5 901 pour la Division de la population des Nations Unies.

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favorite, jusqu'à ce qu'un nouvel équilibre s'établisseentre la quantité d'herbe, le nombre des chèvres etcelui des loups.

Sur toute la Terre, entre les espèces vivantes et lesressources, ce même équilibre est la règle, et tout man­quement se traduit par une régulation par la mortalité.Mais il se trouve que, dans ce schéma, l'homme est uncas particulier: en passant de l'état de chasseur­cueilleur à celui de cultivateur-éleveur, en substituant,pour la quête de sa nourriture, la houe et la charrue àl'arc et l'épieu, il entamait un long processus de trans­formation de la nature pour vivre mieux et se repro­duire en nombre. Des écosystèmes aménagés pourmultiplier les usages des ressources, à la sélectiond'espèces végétales et animales, il se lançait dans untravail de domestication, fondé sur une volonté sanspartage de domination de l'environnement. Pendantlongtemps, la lente progression de l'espèce humainen'a pas eu d'effets majeurs sur l'environnement, et lesentiment que la Terre était prodigue de ses ressourcesétait bien ancré dans la mémoire collective. Que s'est-ilpassé pour qu'aujourd'hui émerge l'idée que la Terre ades limites et qu'il est grand temps de s'en préoccu­per? Pourquoi les démographes se penchent-ils plusque jamais sur leurs données, afin de prévoir les carac­téristiques de la population de demain, et intervien­nent-ils ainsi de plus en plus dans le débat population­environnement, à l'instar de cet ouvrage?

La population de la planète comptait 1 milliardd'hommes en 1800,3 milliards en 1960, et elle se stabi­lisera probablement aux environs de 9 milliards aumilieu du siècle prochain. Cette accélération prodi­gieuse de la croissance démographique nourrit l'idéequ'elle est à la source de tous les problèmes actuels.Mais l'analyse révèle une très grande diversité desituations démographiques, que l'on a tendance à sim­plifier en opposant les pays du Nord et les pays duSud; or, la croissance démographique n'est pas le seul

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facteur à agir sur le développement et l'envi­ronnement, et pas nécessairement le plus prépondé­rant, comme le montre l'examen des relations entre lesusages des ressources et les populations concernées.

La complexité de ces interrelations suppose uneconscience des enjeux, qui dépend de nos connaissan­ces objectives concernant l'état de la planète (chap. 1),des débats et controverses qui agitent l'opinion et lesscientifiques, puisant dans l'idéologie leur pessimismeou leur optimisme concernant le futur de l'espècehumaine (chap. II). Plus proche des réalités, l'examendes relations entre les activités humaines et les res­sources qu'elles utilisent pose le problème de la pré­servation des ressources et de leur qualité. Les con­traintes sur l'eau, la forêt, les sols, dépendent desusages, qui diffèrent selon les sociétés (chap. III) : cer­tains sont nuisibles et déterminent des évolutions irré­versibles de la biodiversité, d'autres au contrairepermettent une préservation du milieu, voire unereconstitution des écosystèmes dégradés. Jusqu'oùpourrons-nous aller, et avec quelle sécurité alimen­taire, dans la production de déchets et de pollutions,avec leurs multiples conséquences sur la qualité desressources et sur nos modes de vie, en particulier surla santé: vivrons-nous mieux demain? (chap. IV).Par ailleurs, les modifications de l'environnementdues à l'urbanisation et à l'aménagement du territoiresont souvent mal appréciées; l'espace, en tant queressource, est de plus en plus aménagé, posant le pro­blème d'une partition écologique de la planète régu­lant les activités humaines (chap. V). Enfin, le dernierchapitre consacré aux politiques gouvernementales,montre combien il est difficile de concilier les vœuxexprimés par les États, lors des grandes conférencesinternationales, avec les réalités économiques nationa­les, et de promouvoir un développement durable quisatisfasse les besoins des populations locales et soitcompatible avec les lois du marché.

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Au regard des contraintes écologiques et de la mul­tiplication des signes de perturbations environnemen­tales, on peut - on doit - s'interroger sur le modèlede croissance économique des pays occidentaux quicontinue, malgré tout, à servir de parangon : le tempssemble venu de se préoccuper du patrimoine plané­taire, propriété de toute la population de la Terre.

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Chapitre 1

L'ÉTAT DE LA PLANÈTE

En 1972, le professeur Meadows, de l'Institut tech­nologique du Massachusetts, établit un rapport solli­cité par le Club de Rome, intitulé « Les limites de lacroissance )), qui annonçait l'imminence du désastreque provoquerait la surpopulation humaine au regarddes ressources naturelles de la planète. Avec à l'appuiun modèle mathématique fort complexe qui concluaitque très prochainement l'eau, les terres arables et lesressources minières s'épuiseraient, et qu'il était doncurgent de stabiliser le développement des pays auniveau atteint. Ce rapport fut à l'origine de diversesstratégies de régulation des populations dans uneambiance psycho-institutionnelle de fin du monde:certaines agences internationales conditionnèrent ainsil'attribution de prêts aux gouvernements à la mise enplace de politiques de contrôle des populations... Onaccusa les dirigeants politiques des pays du Nord delaisser se développer des conflits et des génocides dansles pays du Sud pour permettre de diminuer la pres­sion sur les ressources naturelles, etc.

A la suite de cette phase catastrophiste, vint letemps des évaluations des potentialités et des perspec­tives raisonnées. On apprit ainsi qu'en l'état actueldes connaissances, existaient encore environ un mil­lier d'années d'utilisation de réserves d'aluminium,cinq cents ans pour celles de zinc, cinquante ans pourle pétrole, près d'un siècle pour le gaz naturel... avec

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une hypothèse de population mondiale stabiliséeautour de 9 milliards d'habitants. Reste évidemmentà prendre en compte l'évolution des technologies et lacapacité humaine à s'adapter aux situations de crise,et surtout les structures des populations de demain.Serons-nous une majorité de personnes âgées commele prévoient certaines hypothèses, atteindrons-nousun équilibre entre les différentes générations (jeunes,adultes, troisième âge), serons-nous entassés dans degrandes métropoles ou disséminés dans les campa­gnes? Les territoires vides actuellement seront-ilsoccupés? Autant de questions qui conditionneront lanature de nos relations avec l'environnement.

1. - La population de la planète

Les perspectives de population sont construites àpartir d'hypothèses sur l'évolution des facteurs naturels(mortalité et fécondité) et de la migration en fonctionde l'évolution passée et de l'appréciation de ce qu'ellerecèle de tendances futures. L'exercice est délicat etsoumis à des ajustements permanents. La division de lapopulation des Nations Unies a ainsi revu plusieurs foisà la baisse les perspectives mondiales pour tenir comptede la baisse de la fécondité, plus rapide que prévue dansles pays en développement. Dans leur dernière version,et sous l'hypothèse moyenne adoptée par l'ONU, quenous apprennent-elles?

1. La croissance de la population mondiale. - Endeux siècles, la population mondiale a augmenté de5 milliards d'individus, suivant un processus de crois­sance qui a atteint son intensité maximale dans lesannées 1960-1970. Le poids des générations nées pen­dant ces années continuera, malgré la baisse de fécon­dité généralisée, à maintenir ce processus de crois­sance jusqu'en 2010. C'est vers cette date, seulement,que la population mondiale entamera une phase deralentissement progressif de sa croissance.

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Population mondiale:nombre d'années pour atteindre un accroissement

de 1 miUiard d'individus

De 1 à 2 milliardsDe 2 à 3 milliardsDe 3 à 4 milliardsDe 4 à 5 milliardsDe 5 à 6 milliardsDe 6 à 7 milliardsDe 7 à 8 milliardsDe 8 à 9 milliards

123 ans entre 1804 et 192733 ans entre 1927 et 196014 ans entre 1960 et 197413 ans entre 1974 et 198712 ans entre 1987 et 199914 ans entre 1999 et 201315 ans entre 2013 et 202826 ans entre 2028 et 2054

Il faudra ainsi attendre une cinquantaine d'annéesavant de retrouver un rythme de croissance plusmodéré. Le ralentissement se poursuivra-t-il ensuite etavec quelle intensité? Des phénomènes de dépopula­tion sont-ils à craindre dans certaines régions dumonde et en particulier dans les pays où la féconditéest déjà très faible (pays occidentaux) ?

Environ 95 % de l'accroissement démographiqueactuel dans le monde concerne les pays en développe­ment, et la proportion de leurs effectifs dans la popu­lation mondiale passerait de 67,7 % en 1950 à 87 %en 2050. Si ces estimations étaient confinnées l

, onassisterait donc à une fonnidable redistribution de lapopulation mondiale entre les différents continents etpays (tableau 1). En 2050, l'Inde deviendrait le paysle plus peuplé (l 529 millions d'habitants en 2050)devançant la Chine (1 478 millions); le Pakistanserait à peu près autant peuplé que les États-Unis, etl'Afrique compterait trois fois plus d'habitants quel'Europe, alors que la situation était exactementinverse en 1950.

1. Les projections de population dépendent des hypothèses fonnuléespour la fécondité et la mortalité et nécessitent donc des réajustementspermanents. La mortalité, en Afrique notamment, donne lieu à des hypo­thèses très diverses en raison des incertitudes concernant la diffusion despandémies à terme. Il est à noter que, depuis quelques années, lesNations Unies revoient régulièrement leurs projections à la baisse.

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Tableau l. - Effectifs (en millions) de populationselon les grandes régions, 1956-2050

Régions 1950 1970 1995 2025 2050*

Afrique 224 364 719 1 298 1 766Amérique du Nord 166 226 297 364 392Amérique latine 165 283 477 696 809Asie 1402 2147 3438 4723 5268Europe 549 656 728 702 628Océanie 13 19 28 40 46

Monde 2519 3697 5687 7823 8909

Source: United Nations The Sex and Age Distributionof World Population, The 1996 Revision, New York, 1998.

2. Rajeunissement et vieillissement. - La structurepar âge de la population accompagne avec retardl'évolution du niveau de la mortalité et de la fécondité.A cet égard, les années 1970 marquent certainement untournant: la plupart des pays en développement ontentamé le processus de transition démographique et labaisse de la fécondité, largement engagée dans lesannées soixante en Amérique latine, s'est propagée enAsie et en Afrique du Nord. Seule l'Mrique sub­saharienne marque un retard sensible dans cette évolu­tion (tableau 2).

Tableau 2. - Nombre moyen d'enfants par femme,selon les grandes régions (1956-2050)

Régions 1950-1955 1970-1975 1990-1995 2050-2055

Afrique 6,64Amérique

du Nord 3,47Amérique latine 5,87Asie 5,86Europe 2,56Océanie 3,84

Monde 4,97

6,67

2,545,515,642,353,55

4,88

5,71

2,022,932,80l,572,51

2,96

2,06

2,062,062,082,062,06

2,07

Source: United Nations, World Populazion Prospects.The 1998 Revision, New York. 1998.

JO

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C'est pourtant en 1970 que la part des enfants demoins de 15 ans dans la population mondiale est laplus élevée (tableau 3). Trois régions du mondecomptent alors plus de 40 % de leur population danscette tranche d'âge (Amérique latine, Asie etAfrique).

Tableau 3. - Importance de la populationdes 0-14 aos (en %) par grande région (1950-2050)

Régions 1950 1970 1995 2025 2050

Afrique 42,5 44,7 44,0 35,7 24,4Amérique

du Nord 27,1 28,4 21,9 19,6 18,7Amérique latine 40,2 42,3 33,8 23,6 19,9Asie 36,5 40,3 32,0 23,2 20,0Europe 26,1 25,3 19,2 16,3 17,1Océanie 29,7 32,2 26,0 22,1 19,5

Monde 34,4 37,5 31,5 24,7 20,7

Source: United Nations The Sex and Age Distributionof World Population, The 1994 Revision, New York, 1995.

Après un rajeunissement de la population mon­diale, dû exclusivement aux pays en développement,on assiste depuis les années 80 à une diminution rela­tive de cette tranche d'âge, et en 2050, seules l'Asie etl'Afrique dépasseront encore les 20 % d'enfants demoins de 15 ans.

Cette diminution des enfants de moins de 15 ansest liée à la baisse de la fécondité qui diminuel'effectif des générations actuelles et à venir, mais éga­lement à une plus grande longévité des individus.Dès 1950, l'espérance de vie à la naissance en Europeet en Amérique du Nord avait un niveau que n'at­teindront les autres régions du monde que quaranteans plus tard (tableau 4). Cela étant, en cette fin de

Il

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millénaire, l'Afrique, partant de très bas (37,8en 1950), passe néanmoins la barre des 50 ans (54,2),toutes les autres régions du monde ayant déjà atteint65 ans d'espérance de vie. En 2050, quasiment tousles humains pourront compter sur une espérance devie au-delà de 70 ans.

Tableau 4. - Espérance de vie à la naissance (1950-2025)

Régions 1950-1955 1970-1975 1995-2000 2020-2025

Afrique 37,8 46,0 53,8 64.4Amérique

du Nord 69,0 71,3 76.9 79,8Amérique

latine 54,4 61,1 69,6 74,9Asie 41,3 56,3 66,2 72,9Europe 66,1 70,8 72,6 77,0Océanie 60,8 66,6 73,8 78,1

Monde 46,4 57,9 65,6 72,1

Source: United Nations, The Sex and Age Distributionof Wor/d Population, The 1996 Revision, New York, 1998.

Ainsi, la population du monde vieillit. En 1998, onestimait à 66 millions le nombre des personnes âgéesde 80 ans et plus, dont quelque 135 000 centenaires.D'ici à l'an 2050, les effectifs de plus de 80 ans passe­ront à 370 millions environ et le nombre de centenai­res dépassera les 2 millions. Les personnes âgées de65 ans et plus seront trois fois plus nombreuses, enEurope elles formeront le quart de la population et enAmérique du Nord le cinquième, dépassant largementdans ces régions les effectifs des enfants de moins de15 ans (tableau 5). Dans certains pays, le renouvelle­ment des générations ne sera plus assuré, et l'effectifde la population active ne sera plus suffisant pourassurer les retraites. De ce point de vue, l'Afriqueconnaîtra dans la première moitié du prochain siècle

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la chance d'avoir, contrairement aux autres conti­nents, une charge faible d'enfants et de personnesâgées. Sa population en âge d'activité devrait se situerentre 65 et 70 % de sa population totale, ce qui pour­rait lui donner un atout socio-économique considé­rable face aux autres régions du monde.

Tableau 5. - Importance de la population (en %)des 65 ans et plus (1950-2050)

--_._-

Régions 1950 1970 1995 2025 2050

Afrique 3,1 3,1 3.1 4,1 7,7Amérique

du Nord 8,1 9,6 12,5 18,1 20,9Amérique latine 3,4 4,0 5,2 9,7 16,6Asie 4,1 4,0 5,3 9,3 15,3Europe 8,2 10,4 13,7 19,7 24,4Océanie 7,3 7,2 9,5 13,7 18,3

Monde 5,1 5,4 6,4 9,7 14,6

Source: United Nations, The Sex and Age Distributionof World Population, The 1994 Revision, New York, 1995.

La structure future des populations jouera un rôledéterminant sur l'avenir des villes et leurs fonctions,tout comme sur celui des campagnes. Le passage d'unmonde plutôt jeune à un monde plutôt vieux, impli­quera de profondes mutations des sociétés, et il fauts'attendre à des répercussions majeures sur nos modesde vie, nos habitudes de consommation et de confort,dans un contexte de prise de conscience des limites denos ressources.

II. - L'environnement

Une certaine confusion règne quand on parled'environnement, qui peut désigner le contexte social,économique, culturel..., ou l'environnement biophy-

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sique de la planète avec tous ses attributs: monde duvivant (végétal et animal), monde physique (terres etocéans) et les conditions qui les régissent (atmo­sphère, climat, érosion, sédimentation, etc.). C'est àcette dernière signification que nous nous référons enabordant la relation population-environnement.

L'environnement est un ensemble complexe de mi­lieux anthropisés (transformés par l'homme) et demilieux naturels (peu ou pas atteints par l'actionde l'homme). Pourquoi parle-t-on tant aujourd'huide l'environnement et en quoi son état nous préoc­cupe-t-il?

1. L'émergence de la notion d'environnement. - Lanécessité d'assurer une certaine préservation de l'envi­ronnement trouve son origine au cours de l'histoire,et en particulier avec l'apparition de l'industriali­sation et de la croissance urbaine. Un bref survol his­torique permet de marquer les temps forts de cetteévolution dans le monde industrialisé, et particulière­ment en France :

A) Jusqu'à la fin du XVIII' siècle. - La pollution estessentiellement liée au manque d'hygiène, en particu­lier en milieu urbain, et se traduit par la forte crois­sance de maladies infectieuses. Les déchets que pro­duisent les villes, essentiellement organiques et enfaibles quantités, sont assimilables sans difficultésmajeures et il n'existe pas encore de conscience envi­ronnementale au sens de la protection.

B) Le XIx' siècle et la première moitié du xx' siècle.- Le développement industriel change rapidement lanature des choses puisque les industries sont concen­trées en milieu urbain. L'air des villes est jusqu'à dixfois plus pollué qu'aujourd',hui ; la législation tente decontrôler les établissements les plus polluants, maissans succès véritable (décret impérial de 1810 et loide 1917). Mais on assiste à une prise de conscience

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des problèmes provoqués par la présence de cesindustries au cœur des villes, qui s'opère dans labourgeoisie et conduit à les éloigner des centresurbains. Pour autant, la question du devenir des pol­luants déversés dans l'environnement n'est pas encorede mise.

C) Entre 1950 et 1974. - La production industrielleest multipliée par quatre; les industries du pétrole, dela chimie et de l'électricité connaissent un essor fulgu­rant, et, avec elles, la production et les émissions dedioxyde de soufre, les rejets d'hydrocarbures, lesdéchets d'emballages plastique, etc. Cette période estaussi marquée par l'explosion de l'urbanisation: enquelque trente ans, la population des villes double; laFrance, qui était majoritairement rurale, passe à unepopulation aux trois quarts urbaine. La pollution aug­mente alors à un rythme voisin du taux de croissancedes villes et atteint des seuils préoccupants, provo­quant une prise de conscience des capacités limitées del'environnement à absorber des quantités sans cessecroissantes de déchets, et de l'existence de problèmesglobaux de pollution, par opposition aux pollutionslocalisées. Les pouvoirs publics ne réagissent pasencore véritablement, les politiques se contentant denormaliser les équipements publics dans les domainesliés à l'urbanisation (assainissement, déchets...), avantd'admettre la nécessité de prendre en compte les pol­luants. En France, c'est en 1971 qu'est créé le minis­tère de l'Environnement: un début de politique géné­rale est mis en place, mais il s'agit surtout de réparerles erreurs les plus visibles commises dans le passé.

D) 1975-1985. - La crise pétrolière, qui marquecette période, provoque un ralentissement dans l'ef­fort et la prise en compte des problèmes d'envi­ronnement. La crise énergétique réduit l'intérêt queportaient les industriels aux problèmes de l'envi­ronnement et ils commencent alors à s'interroger sur

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les impacts économiques des mesures antipollution.Les menaces économiques étant devenues pluspesantes, l'opinion publique s'intéresse alors moinsau thème de la lutte contre la pollution, qui neretrouve de l'attrait qu'à l'occasion de catastrophesmajeures.

E) De nos jours. - Les contraintes nouvelles résul­tant des politiques de rattrapage en matière d'envi­ronnement (cf. chap. VI) pèsent lourdement sur lescoûts de production énergétique, tandis que l'effi­cacité globale des politiques visant à parer aux urgen­ces n'apparaît plus aussi évidente que dans le passé.Les gains obtenus dans la lutte contre les pollutionssont régulièrement remis en cause par l'apparition deproblèmes chaque fois nouveaux, et on est passé ainside risques probables mais à peu près identifiés et limi­tés, à des risques plus nombreux, plus complexes etplus diffus.

2. L'état de l'environnement. - L'environnementest régi par un ensemble complexe de systèmes dontla plus petite unité est l'écosystème, soit l'ensembledes structures relationnelles qui lient les êtres vivantsentre eux et à leur environnement inorganique (EIlen­berg, 1973). Plusieurs complexes d'écosystèmes cons­tituent un biome, caractérisé par des espaces de vied'un paysage homogène, et des zonobiomes par zonesclimatiques. A l'échelle supérieure se trouve la bio­sphère, qui définit l'espace de la vie organique.Celle-ci ne forme qu'une mince couche à la surface dela Terre (10 à 20 km) et s'étend jusqu'à 10 km dansles fosses océaniques l .

De par ses fonctions existentielles fondamentales(vie, habitat, nourriture, travail, etc.), l'homme

1. Ces notions sont amplement décrites dans D. Heinrich etM. Hergt, Atlas de l'écologie, Encyclopédies d'aujourd'hui, La Pocho­thèque, 1993.

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modifie les structures et les performances des écosys­tèmes, et, par ricochet et accumulation, agit sur lesbiomes et la biosphère. L'état de l'environnementrésulte ainsi des phénomènes naturels qui modèlent laplanète depuis des millions d'années et, depuis peu,de l'action généralisée de l'homme sur les milieux.Celle-ci s'exerce aussi bien sur les écosystèmes terres­tres (forêts, savanes, montagnes, plaines, steppes, etc.)que sur les écosystèmes aquatiques (océans, mers,lacs, lagunes, etc.); en termes de prélèvements, elleconcerne aussi bien les ressources renouvelables queles ressources non renouvelables.

A) Les ressources non renouvelables. - Ce sont lesroches carbonées (charbon et hydrocarbures) etl'uranium, principales sources de notre énergie, lesmétaux (cuivre, fer, bauxite, zinc, nickel, argent,or, etc.) et les substances non métalliques (soufre,phosphates, potasse, borates, amiante, etc.) transfor­mées pour nos usages industriels et agricoles. Cessubstances utiles, présentes dans la partie superficiellede l'écorce terrestre, sont disséminées un peu partout,mais seulement exploitables lorsqu'elles existent àl'état de gisements, qui sont des concentrations anor­males dues à l'histoire géologique de notre planète.Elles sont rares et l'homme dépense beaucoup d'éner­gie pour les localiser, employant des techniques deprospection de plus en plus perfectionnées. Laconsommation mondiale d'énergie est aujourd'hui del'ordre de 8500 millions de tonnes équivalent pétrole(tep), contre 4 500 millions dans les années 60. Sicette progression tend aujourd'hui à se stabiliser pourles hydrocarbures, elle augmente considérablementpour d'autres substances. Or, on ne connaît pas exac­tement l'état des réserves et les estimations peuventévoluer selon l'état de la prospection. Ce qui est cer­tain, c'est qu'elles sont épuisables à plus ou moinslongue échéance et que dans un siècle, au rythme

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actuel, les réserves connues d'hydrocarbures mobilisa­bles seront épuisées, et celles de charbon, dans deuxsiècles. Nous sommes aujourd'hui confrontés à unelogique d'exploitation qui a des limites prévisibles.

B) Les ressources renouvelables. - La situation desressources renouvelables est beaucoup plus complexe,car elle dépend du fonctionnement des écosystèmes,de leur évolution, de la nature et de l'intensité desinteractions fIxant les grands équilibres entre les bio­mes et la biosphère. La nature, dans ses différentscomposants, est entièrement solidaire à des échellesde temps et d'espace que nous ignorons encore large­ment. La disparition d'une espèce animale ou végé­tale, les changements dans l'état d'une ressource,même infmitésimales, peuvent avoir ainsi des consé­quences insoupçonnées. Par exemple, le cycle de l'eaudépend du relief, du couvert végétal, des conditionsclimatiques locales, mais aussi des grands équilibresentre les masses d'eau marine et l'atmosphère; cecycle de l'eau est connu: pluie, ruissellement, inf1ltra­tion, cours d'eau, accumulation dans les lacs et lesmers, évaporation, nouvelle précipitation... maisl'impact des activités humaines sur toutes ces étapesest mal apprécié. La répartition des précipitations,leur régularité peuvent être transformées, sans quesoit bien identifIée la cause de ces changements.

L'eau, la forêt et le couvert végétal sont des res­sources indispensables dont le renouvellement peutêtre compromis par un usage trop intensif entraînantla désertifIcation (disparition du couvert végétal, pro­cessus d'érosion des sols) au niveau local, compro­mettant la régénération, mais également avec desconséquences sur le climat (sécheresse, pluies dilu­viennes, marées exceptionnelles, etc.). Par ailleurs,nos activités industrielles, nos formes de consomma­tion et les déchets qu'elles engendrent ont de plus enplus d'incidences sur la qualité de ces ressources (pol-

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lution et salinisation des nappes phréatiques, pluiesacides, etc.). Toutes ces ressources ont une valeurmarchande et leur poids dans l'économie, tant mon­diale que des nations, va bien au-delà de la régulationdes marchés internationaux des matières premières(hydrocarbures, minerais, bois, etc.) et des marchéscéréaliers et autres produits agricoles (cacao, café,coton, etc.).

3. L'économie et l'utilisation des ressources. - Dansla conception libérale, les lois du marché et la régula­tion de l'offre et de la demande se montrèrent incapa­bles de résoudre la possible régulation des ressourcesnaturelles, ce qui fut à l'origine du concept des « exter­nalités économiques»l, supposées définir les agentséconomiques extérieurs au marché. Mais on peut aussiappréhender cette question des extemalités à l'échellede la planète: la nécessité par exemple, de maintenirles forêts de nombreux pays du Sud, qui contribuent àabsorber les énormes quantités de dioxyde de carboneémis par les combustions industrielles des pays duNord, pose le problème des éventuels dédommage­ments financiers. Selon l'idéologie libérale, les paysproducteurs d'extemalités négatives devraient eninclure le coût et les pays producteurs d'externalitéspositives en recevoir les bénéfices... mais il faudraitpour cela une régulation par les États, ce qui est parnature contraire à la régulation libre à laquelle estattaché le libéralisme! A l'opposé, dans la conceptionsocio-environnementale, c'est la volonté politique quirégit la sauvegarde des ressources naturelles et la miseen valeur de l'environnement: dans ce cas, la coerci­tion est forte et la régulation résulte des dispositionslégales de protection.

1. On distingue les externalités positives: création de nouveauxespaces verts, en milieu urbain notamment, mise en défense, reforesta­tion... et les externalités négatives: processus de contamination de l'air,de l'eau...

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La détérioration de l'environnement a d'impor­tantes conséquences économiques dont le coûts'avère délicat à établir et dont on ne sait pas biendéfinir les responsabilités. Les processus de contami­nation (eau, air...) ont des conséquences sur la santédes populations et donc des coûts indirects pour lesÉtats, etc. Ainsi, l'environnement a évidemment uncoût social, que les nombreuses études réalisées surce thème ne permettent pas d'appréhender claire­ment; par exemple, les excès de la déforestation enAsie du Sud-Est ont probablement été à l'origine desmultiples inondations qui ont provoqué des milliersde morts.

Par ailleurs, les pays peu développés possèdent desgisements de matières premières parmi les plus impor­tants: fer, cuivre, zinc, phosphates, sans parler desréserves en hydrocarbures. S'y ajoutent leur énormepatrimoine forestier et une considérable concentrationd'espèces végétales et animales. Cette richesse estmobilisée, souvent à l'excès, pour assurer leur déve­loppement, comme seul recours à leurs faiblessesindustrielle et économique. Fournisseurs de matièrespremières, ils sont soumis aux lois des marchés, impo­sées par les pays développés, aux prix fluctuants etbas qui les amènent à brader leurs réserves pourmaintenir le niveau de leurs revenus. Ce cycle infernalde la surconsommation des uns et de la pauvreté desautres, a un coût environnemental dont on commenceà peine à estimer l'importance.

Tous ces problèmes relatifs à la population et auxressources qu'elle utilise, déterminent l'avenir de laplanète et le nôtre; ils alimentent les controverses etdonnent prise aux idéologies les plus diverses.

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Chapitre II

ÉCOLOGIEET DÉMOGRAPHIE

On s'accorde à souligner l'intensité de l'actuellecroissance du nombre des hommes comme un événe­ment historique à l'échelle de notre planète, dont ondécouvre en même temps les limites, révélées par lepoids des hommes. Ainsi, l'écologie et la démographiene feraient pas bon ménage, et la scène de rupture n'enserait qu'au premier acte, les suivants ne pouvant êtreque calamiteux! Cette opinion largement répanduepourrait cependant n'être que l'expression d'un self­control protectionniste au regard de toutes les manifes­tations de la dégradation de notre environnement. Defait, à l'examen, il semble qu'il s'agisse plus d'un senti­ment latent de précarité du confort acquis et accaparépar une minorité, qui ne voudrait ni s'en séparer, ni lepartager. En un mot, elle illustre le syndrome del'harpagon, prompt à invoquer les pires désastres sil'on venait à toucher à ce qui est le centre de son exis­tence... La vision est ici pessimiste, elle est celle dunanti! Elle s'oppose fortement à celle qui considèreque plus nombreux sont les hommes, plus fortes sontles capacités d'innovation, et, par là même, les facultésde sunnonter et résoudre les problèmes.

Entre ces deux positions extrêmes, il existe unegrande variété d'argumentations plus nuancées, expo­sées tout aussi bien par le philosophe, l'économiste oule politique, que par le démographe! Mais souvent,

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les OpInIOnS exprimées reposent plus sur une cons­cience philosophico-morale plus ou moins aiguë desproblèmes environnementaux, que sur un raisonne­ment scientifique. En fait, on peut examiner sans tropd'ambiguïté les relations entre écologie et démo­graphie, à travers les grandes positions doctrinalesqui agitent les démographes concernant les évolutionsde population.

1. - De l'écologie et de la démographie

Ces termes qui nous paraissent familiers sont pour­tant récents dans notre histoire.

1. L'écologie ou la science de l'approximation pro­bable. - C'est le biologiste Ernest Haeckel (1834­1919) qui décrivit, le premier, l'écologie comme lascience des relations entre les êtres vivants et lemonde qui les entoure. Il en donnait ainsi une expres­sion plus savante que celle de Friedel à la mêmeépoque, qui la dénommait « l'économie domestiquede la maison Terre ».

Ne s'intéressant pratiquement, au début, qu'auxensembles naturels, et considérant alors les actionshumaines seulement comme facteurs de destruction,l'écologie prit ensuite un sens beaucoup plus large,intégrant la biologie, la géographie et la sociologie,tout en gardant son autonomie à l'égard de ces disci­plines. Aujourd'hui, elle couvre l'ensemble des échan­ges réciproques des végétaux, des animaux et deshommes avec leur environnement. Science des sys­tèmes complexes, « l'exactitude mathématique en estexclue, les conjectures y sont plus fréquentes que lesvérités - souvent relatives -, les conclusions se bor­nant souvent à proposer les meilleures approxima­tions », comme le soulignent Hierich et Hergt1

• Les

l. D. Heinrich et M. Hergt, Atlas de l'écologie, op. cit.

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indications corrélatives sont essentiellement formula­bles en termes d'approches probabilistes, où chacunpeut choisir son échelle de référence et discriminer lesrelations. L'écologie s'inscrit dans « un procédémonstratif plus que démonstratif », pense Jean­Claude Levy!, qui ajoute: « Elle permet à chacund'évoquer des objets et des phénomènes qui n'ont encommun qu'une approximation avérée et d'endéduire des formules explicatives généralisantes.»Science à part entière, celle des écologues, et non pasdes écologistes - qui sont les militants de l'écologie -,elle procède d'une accumulation de connaissancesscientifiques, qui peuvent être précises dans leurs élé­ments, sans pour l'instant en maîtriser complètementles interrelations.

2. La démographie entre objectivité et idéologie. ­Comme l'écologie, la démographie est une science quidraine derrière elle croyances, opinions religieuses etpolitiques. Tout comme pour l'écologie, il y a lesdémographes scientifiques d'une part et les militantsdes causes démographiques d'autre part, dénommésselon leur conviction: populationnistes, natalistes,malthusiens... L'amalgame s'arrête là ! Les objets dela démographie sont bien identifiés et les mécanismesde son évolution sont aujourd'hui bien connus.Henry2 rappelait que la démographie est « une scienceayant pour objet l'étude des populations humaines,traitant de leur dimension, de leur structure, de leurévolution et de leurs caractères généraux envisagésprincipalement d'un point de vue quantitatif ». Il pré­cisait qu'il n'y a pas de démographie sans chiffres nistatistiques, et que l'analyse quantitative y est néces­sairement prépondérante.

1. Débat à l'occasion de la Conférence mondiale de la Terre de Rioen 1992, Libération, 10 janvier 1992.

2. L. Henry, Démographie. analyses et modèles, Larousse, coll.« Sciences humaines et sociales », 1972.

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Faisant figure de « science exacte », la démographieest sollicitée pour expliquer la migration, les variationsde fécondité, la surmortalité d'une population, le vieil­lissement, la pression démographique, la prévision dufutur, etc., et mettre en relation ces divers phénomè­nes. Elle peut répondre à ces demandes pour autantque le phénomène soit mesurable; mais les conclu­sions qu'elle en tire, ne traitent que de leur nature et deleur calendrier, et non pas des conséquences sociales,politiques ou économiques. Ce hiatus donne lieu à biendes controverses, lesquelles prennent appui sur lesdoctrines de population, qui sont le plus souventd'obédience religieuse. La dernière Conférence mon­diale de la population, tenue au Caire en 1994, l'a bienmontré, le débat « démographique» ayant été large­ment supplanté par le problème de l'avortement.

L'étude des populations humaines pourrait se limiterà répondre à deux questions essentielles: combien som­mes-nous, combien serons-nous? L'objectivité seraitdans ce domaine de bon aloi, mais quelle significationpourrait-on accorder à ces considérations quantitativessans référence aux modes de relations des individusdans la société, et entre la société et son environne­ment? Quelle signification donner aux analyses faceaux préoccupations concernant l'avenir et commentapprécier les théories qui s'en dégagent? La démo­graphie perd vite, dans ce domaine, de sa neutralité etde son objectivité, et l'on ne s'étonne plus guère qu'ellesoit aujourd'hui impliquée dans le champ des interrela­tions sociales, environnementales ou culturelles.

La relation entre écologie et démographie est ainsid'abord scientifique, par l'accumulation des connais­sances, mais aussi sociale, politique et doctrinale, parses implications multiples.

II. - Entre science et doctrines

C'est au XVIIe siècle, avec les mercantilistes, qu'estabordée la relation population-ressources, principale-

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ment sous l'angle économique. Repris par les écono­mistes classiques, le débat se focalisa vite avec l'Essaisur le principe de population de Malthus (1798). Danscet ouvrage, il lance l'idée de surpopulation, affir­mant que « la population tend constamment à s'ac­croître au-delà des moyens de subsistance et qu'elleest arrêtée par cet obstacle». Au xxe siècle,l'émergence de la notion de développement concentrele débat sur la relation population-développement,mais celui-ci demeure de nature essentiellement éco­nomique jusqu'à une époque très récente. Avecl'introduction du concept de développement humain,puis de développement durable, l'environnementtrouve enfin sa place dans cette équation.

A travers cette évolution conceptuelle et idéolo­gique, les clivages originels (entre le réformateur pro­gressiste et le rentier) persistent. En simplifiant àl'extrême, deux tendances s'affrontent: pour l'une, lacroissance démographique est la source de tous lesdrames humains (guerres, épidémies, famines, infanti­cide, pauvreté, etc., et aujourd'hui dégradation del'environnement) ; pour l'autre, elle n'est qu'un facteurcomplexe, mais dont le rôle est finalement mineur. Desnéo-malthusiens purs et durs aux antimalthusiens, lagamme des opinions s'est considérablement élargie;les nuances ont pris de la consistance par les connais­sances nouvellement acquises en écologie et surl'évolution des populations. En particulier, la formali­sation de plus en plus sophistiquée des relations popu­lation-environnement et la modélisation basée surl'observation, permettent de s'opposer, par une argu­mentation scientifique, aux modèles théoriques quitraduisaient en termes mathématiques l'idéologie dumoment. Cette position modérée et plus réaliste tendaujourd'hui à devenir courante.

1. Le pessimisme des néo-malthusiens. - Revenonsà Malthus pour mieux comprendre pourquoi sa

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théorie a eu tant de zélateurs depuis deux siècles etcomment elle s'inscrit dans le débat contemporain. Lesuccès de Malthus repose essentiellement sur l'am­biguïté de ses propositions permettant paradoxale­ment des considérations péremptoires et générali­santes. Comme le fait remarquer Meillassoux l :

Malthus « ... confond d'emblée deux notions: celles desurpopulation absolue et relative. Or, il y aurait surpo­pulation absolue par rapport aux subsistances, si lapopulation parvenait à croître jusqu'à être capable dese reproduire au-delà des capacités nutritionnelles desressources existantes; il s'agit donc d'une spéculationirréaliste. Par contre, il y a surpopulation relativequand une population existante est privée des ressour­ces qui lui ont permis de croître jusqu'à son état pré­sent ». Cette critique n'enlève rien à la vision de Mal­thus, qui révèle en quelque sorte aux nantis, lanécessité d'intervenir sur la démographie des classesexploitées, ou sur les pauvres pour qu'ils ne soient pasà leur charge. Faute d'intervention, ils seront submer­gés, annihilés par l'aberration prolifique des pauvres.L'héritage de Malthus est ainsi le catastrophismedémographique et il n'y avait qu'un pas à franchirpour l'étendre à l'environnement.

Ainsi, Ehrlich, à la première conférence surl'environnement de Stockholm en 1972, ne crée pas desurprise en publiant son livre La Bombe p2, s'assurantun succès médiatique dans le courant néo-malthusien.Le postulat utilisé, transcrit à travers le concept decapacité de charge3

, devient le leitmotiv des organisa­tions internationales et d'un grand nombre de scientifi­ques qui prennent conscience des limites physiques et

1. C. Meillassoux, La leçon de Malthus: le contrôle démographiquepar la faim. Les spectres de Malthus, Paris, Éds üRSTüM, EOl, CEPED,1991, p. 15-32.

2. P. Ehrlich, The Population Bomb, New York, Ballantine Press,1971, publié chez Fayard sous le titre La Bombe P, Paris, 1972.

3. Carrying capacity en anglais, soit le nombre d'individus que peUlsupporter un territoire:

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biologiques de la Terre. Nous sommes dans « unmonde fini », et tout accroissement de la population setraduit par une accélération de la dégradation. Cer­tains agronomes et biologistes pensent que nous avonsdéjà atteint le seuil de l'irréversibilité. L'effet de serre,la couche d'ozone, l'amenuisement de la biodiversité,l'érosion des terres cultivables et la raréfaction del'eau... , autant de phénomènes qui rendent crédibles lacatastrophe imminente. Pour les néo-malthusiens, unseul remède: il faut inverser la tendance à la proliféra­tion des hommes. Le biologiste J. Dorst l parle d'unevéritable pullulation, comme certains animaux en pré­sentent des exemples, l'écologiste F. Ramade assureque la catastrophe majeure qui affecte l'humanité etdont découle la plupart des maux... provient de sareproduction anarchique. Plus nuancé, l'appel d'Hei­delberg2 signé par plusieurs centaines de scientifiques,dont une bonne cinquantaine de prix Nobel, considèrela surpopulation comme un mal à soigner d'urgence.Cette idéologie catastrophiste a fortement orienté,dans les années 60 et 70, les politiques démographiquesvis-à-vis des pays du Tiers Monde. Ces politiques sou­vent agressives, du type: « Point de salut en dehors dela pilule », n'ont pas eu les effets escomptés, mais elleseurent les faveurs du grand public des pays industriali­sés et des organisations internationales. On ne fera pasinjure à la mémoire du grand vulgarisateur qu'était leCommandant Cousteau, en rappelant qu'il préconi­sait, du haut de son autorité médiatique, un nombreidéal d'hommes pour sauver la Terre, de 800 millions3

seulement!

1. J. Dorst, Avant que nature meure, Neuchâtel, Delachaux &Niestlé, 1962.

2. L'appel d'Heidelberg s'élevait contre l'émergence d'une idéologieirrationnelle qui s'oppose au progrès scientifique et considérait l'ur­gence d'une écologie scientifique qui permettrait de venir à bout defléaux tels que la surpopulation, la faim et les pandémies. Il fut présentéà la conférence de Rio en 1992.

3. « Demain la Terre », dossier n° Il du Nouvel Observateur, Paris,1992 (Interview du Commandant Cousteau par J. Daniel).

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2. L'optimisme des antimaIthusiens. - Les ennemisnaturels de Malthus furent et demeurent les autoritésdes grandes religions qui, suivant l'injonction divine« Croissez et multipliez-vous », s'opposent à toutelimitation des naissances. Mais la justification de cetteopposition est purement théologique, nulle part n'estévoquée la capacité de la Terre à nourrir les hommes,hormis l'évocation d'une sorte de fatalisme fondé surla croyance que Dieu y pourvoira bien. Il ne s'agit pasici d'optimisme, mais de la conviction que, si les hom­mes respectent les lois de Dieu, la nature prodigue leurdonnera le nécessaire. Le contraire provoquerait, selonl'expression de l'historien Pierre Chaunu, le plus grandautogénocide de l'Histoire l .

Dans un autre registre, la critique des thèses mal­thusiennes va venir des réformateurs et des socialis­tes: Phroudon, Marx, Engels, etc. Sans être forcé­ment complètement populationnistes, ils réfutent enbloc l'argument de Malthus sur la surpopulation:« Chaque mode de production, chaque système socialpossède ses propres lois de population », et, complé­tant cette affirmation de Marx, MeiHassoux portaitcette conclusion: « La démographie ne commandepas l'histoire, elle en est d'abord le produit.» Or,l'histoire montre que l'homme s'est adapté à unenature hostile qu'il a toujours surmontée, et aaffronté les risques attachés à sa survie. En simpli­fiant, l'homme a une capacité intrinsèque d'adap­tation et d'innovation, c'est un être social avant tout,et pas seulement un animal qui se reproduit. Les vraisproblèmes n'ont guère à voir avec le nombre deshommes, mais plutôt avec l'organisation sociale, lepartage des ressources, l'inadéquation des pratiquesagricoles, les inégalités sociales, foncières, politiques,les conditions de dépendance, etc.

1. Celle thèse d'une catastrophe par la dèpopulation est présentéedans Europe.' l'hiver démographique, F. Gienoz, M. Tricot et al.,Genève, L'Age d'Homme, 1990.

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Les politiques de limitation des naissances ne sontqu'un moyen pour camoufler ces urgences et imposeraux populations défavorisées le diktat économiquedes populations riches. Cette position peut êtreextrême, allant jusqu'à nier les problèmes d'environ­nement. J. Simon' pose ainsi comme principe, qu'iln'y a pas de problème de population, du moinsquand elle s'accroît. Plus elle est nombreuse, plus sacapacité d'invention et d'innovation technologiqueaugmente. L'accumulation des connaissances s'entrouve renforcée et accélère le processus d'adaptation.S'il reconnaît que la croissance démographique dumonde sous-développé agit aujourd'hui comme unecontrainte, il considère qu'elle ne peut être que béné­fique à long terme. Plus axée sur le développementagricole, la thèse de E. Boserup2 met en avant l'idéeque l'homme évolue, s'adapte et progresse technologi­quement, en fonction du risque attaché à sa survie; lararéfaction de la terre provoque l'intensification agri­cole, la recherche de systèmes de production plus effi­caces, un usage moins dégradant des ressources natu­relles, une gestion plus rationnelle de l'eau. En unmot, la croissance démographique est une conditiondu progrès.

Si cette vision sur le mode de la juste adaptation,fait pendant au pessimisme catastrophiste néo­malthusien, elle occulte souvent à dessein, les diffi­cultés à mettre en œuvre une réelle gestion des res­sources; par exemple, à travers l'intensification oul'extension des zones irriguées. Bien souvent, les nou­velles techniques de production agricole amènent ladisparition de pratiques traditionnelles qui préser­vaient l'équilibre homme-nature. La croissance des

1. J. Simon, The ultimate ressource, Princeton University Press,1981.

2. E. Boserup, Évolution agraire et pression démographique, Paris,Flammarion, 1970, du même auteur, Causes and effects of desequilibriain food production. Les spectres de Malthus, op. cit.

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densités rurales dans le Tiers Monde entraîna uneemprise agricole souvent anarchique sur des terresdéjà dégradées ou fragiles. La confiance accordéeau progrès et au génie de l'innovation, part del'hypothèse que les systèmes sociaux, politiques,religieux, sont aptes à les promouvoir. De plus, ladépendance économique et politique de nombrede pays les rend vulnérables à l'exploitation exten­sive de leurs ressources (bois, cultures d'exporta­tion, etc.), au détriment des initiatives locales et deleurs besoins alimentaires.

Le mérite de ces thèses est finalement d'avoir tem­péré les aspects négatifs de la croissance démogra­phique, et de montrer que la catastrophe malthusiennen'était pas inéluctable. Au niveau international, ellesont obligé à examiner les faits de plus près, à nuancerles politiques de population et à promouvoir des posi­tions plus modérées.

3. L'émergence des positions réalistes. - De parleurs outrances, aucune de ces thèses extrêmes netient à l'examen des faits; la surpopulation est rela­tive et les problèmes écologiques les plus générauxportent sur des phénomènes dont on connaît encoremal les mécanismes. Dans ce domaine, les hypothèsesdes scientifiques ne convergent pas toujours; parexemple, dans quelle mesure peut-on affirmer que leréchauffement de la planète résulte effectivementd'activités humaines, alors que les paléométéorolo­gues s'emploient encore à comprendre les grandscycles de glaciation et de réchauffement que la pla­nète a déjà connu?

Dans son ouvrage Les limites de la planète, le démo­graphe H. Le Bras l s'efforce de démontrer que touteaffirmation tirée de la corrélation entre deux ou plu-

1. H. Le Bras, Les limites de la planète: mythes de la nature et de lapopulation, Paris, Flammarion, 1994.

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sieurs phénomènes peut être infirmée en changeantl'échelle temporelle et en intégrant d'autres facteursdans l'analyse, ou tout simplement en leur attribuantle poids qu'ils devraient avoir effectivement, s'ilsn'avaient pas été sciemment ou inconsciemment occul­tés. En s'attachant aux changements climatiques et àl'effet de serre, il rappelle que le « moteur thermique »de la planète dépend de nombreux éléments: la densitéet l'abondance des nuages, leur capacité à réfléchir lalumière solaire, la texture de la surface terrestre, lerayonnement infrarouge de la Terre absorbé dansl'atmosphère par des gaz comme les CFC, le méthane etle gaz carbonique, etc. Certains de ces élémentsaccroissent ou diminuent plus ou moins l'effet de serresuivant des conditions physiques qui, corrélées deux àdeux, conduisent à des raisonnements partiels concer­nant l'évolution du climat: l'augmentation de la tem­pérature augmente l'humidité, donc l'effet de serre, quià son tour augmente la température, etc. En réalité, lacomplexité de l'ensemble du système interdit de tirerdes conclusions issues de corrélations partielles, ayantchacune une échelle temporelle spécifique, et dont lesprocessus interactifs sont encore loin d'être maîtrisés.L'intérêt du discours de ce démographe réside dans laconfrontation relative des évolutions: il admet que lechangement climatique est probable et préoccupant,mais il conclut qu'il « s'ajoutera à des changementsplus importants de l'éducation, des productions, de laconsommation, des modes de vie, de l'organisationsociale et surtout de la répartition interne de chaquepopulation nationale». On ne voit pas, ajoute-t-il,pourquoi l'espèce humaine n'y ferait pas face.

Cette position, qui tente de relativiser le risque éco­logique, se démarque nettement d'un courant interna­tionaliste modéré, représenté par les agences interna­tionales pour le développement et les ONG I , qui prend

1. Organisations non gouvernementales.

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acte de ce que la pression démographique n'est plusla cause directe des problèmes d'environnement, maisun facteur accélérateur et aggravant pouvant, danscertaines conditions, bloquer le processus de dévelop­pement. Le FNUAP' illustre assez bien ces idées. Aucœur des politiques de population, cette agenceinternationale annonce d'abord un positionnementnéo-malthusien en affirmant2: « Par ses activités,l'homme soumet la nature à des contraintes qui setraduisent par une ponction de plus en plus lourdesur les ressources naturelles essentielles à toute vie:l'eau et la terre... Dans les pays en développement, unralentissement de la croissance et une répartition pluséquilibrée de la population permettraient d'atténuerles pressions économiques qui s'exercent sur les terresagricoles, les sources d'énergie, les bassins versants,les forêts ... » Puis elle souligne l'importance d'autresfacteurs : la pauvreté, le degré de concentration de lapopulation, l'état de dépendance et le remboursementde la dette extérieure, l'épuisement des ressourcesnaturelles par le prélèvement des industries extrac­tives et de produits agricoles pour l'exportation,l'obsolescence des techniques adaptées à de petitespopulations et incompatibles avec l'accroissementrapide de la population. La prise en considération detous ces facteurs n'empêche cependant pas que leremède qu'elle préconise en premier lieu reste leralentissement de la croissance démographique et sastabilisation.

Le développement durable est au centre de cespositions: la précarité de l'environnement doit êtreprise en compte et l'écologie doit, à terme, trouverdes réponses à la fragilité des mutations provoquéespar les hommes, et notamment la pression démogra­phique. Ainsi, le rapport Bruntland constate que la

1. FNUAP: Fonds des Nations Unies pour la population,2. L'état de la population mondiale en 1998, rapport de Nafis

Sadik, FNUAP,

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pauvreté est à la fois effet et cause des problèmesd'environnement. Tabutin et Thiltges 1 relevaient,dans le rapport de la Commission Sud de 1990, cettephrase qui en dit long sur le changement d'attitudedes grandes agences internationales concernant larelation entre environnement et population: «Lapression démographique n'est qu'un des sept facteursportant atteinte à l'environnement, les autres étant lesrégimes fonciers, le type de développement agricole,la pression économique du Nord, l'impératif d'indus­trialisation et de croissance, l'adoption d'habitudes deconsommation nécessitant toujours plus d'énergie, etenfin l'exode des populations rurales vers le Nord. »

En résumé de ces points de vue doctrinaux, onretiendra qu'on est passé d'un simplisme idéologiqueà un réalisme qui tente d'intégrer la complexité desrelations entre l'écologie et la démographie. Cettecomplexité peut-elle être formalisée?

III. - Du global au sectoriel:une formalisation hésitante

La population s'accroît en progression géomé­trique, tandis que les subsistances suivent une pro­gression arithmétique2• Pendant longtemps, cette rela­tion mathématique, imaginée par Malthus, n'a pasfait beaucoup d'émules, partisans ou adversaires secontentant de l'approuver ou de l'infirmer. A notreépoque, la première tentative pour formaliser l'en­semble des relations qui régissent notre vie dans sonenvironnement, est celle du Club de Rome, sousl'hypothèse à venir d'une «croissance zéro ». Dans

1. D. Tabutin et E. Thiltges, Démographie eT environnemenT: unesynthése des faits, doctrines et politiques dans les pays du Sud, UNESCO,Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1991.

2. La progression géométrique correspond à un coefficient multipli­cateur de l, 2, 4, 8, 16, 32, 64... ; et la progression arithmétique, à uncoefficient multiplicateur de 1,2. 3,4, 5, 6, 7, 8...

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cette lignée de modèles à grande échelle, citons lafamille des modèles « Bachue », mis en œuvre par leBureau International du Travail dans les années 70.Outre leur complexité (250 équations, 1 000 varia­bles), l'environnement n'intervenait que comme unevariable exogène, interprétée comme une contrainte.

En écologie, le passage de l'approche analytique(analyse des éléments et prise en considération de lanature des interactions, la durée est indépendante) àl'approche systémique (analyse des interactions entreles éléments et prise en considération de leurs effets, ladurée est intégrée ainsi que l'irréversibilité des phéno­mènes) a permis de mieux comprendre le fonctionne­ment des écosystèmes et en particulier celui des popu­lations animales. Le concept de « niche écologique»pour une population animale a donné lieu à des modè­les où l'aspect biologique domine; les facteurs sociauxne sont considérés que sous l'angle des comportementsreproductifs et des adaptations aux prédateurs. Dansces modèles, l'homme est un facteur perturbateur (pré­dateur), vu sous le seul aspect quantitatif. Par ailleurs,les systèmes autorégulateurs observés dans le mondeanimal, suivant lesquels une raréfaction de la nourri­ture entraîne une surmortalité, ou un suicide collectifcomme dans le cas des lenmings (petits rongeurs dunord de l'Europe), ne sont pas applicables à l'homme.

Cependant, les sociétés s'adaptent et peuvent, à unmoment donné, mettre en place des règles qui régu­lent l'expansion démographique. Historien et démo­graphe, Dupâquier l a ainsi mis en évidence troisrègles qui permettaient de freiner la croissance démo­graphique dans la France rurale du XVIIe siècle lorsd'une pénurie des terres (et par là même des ressour­ces vivrières): pas de cohabitation des familles, pasde naissances hors mariage, pas de création d'un nou-

l. J. Dupâquier. De l'animal à l'homme: le mécanisme autorégula­teur des populations traditionnelles, Revue de l'Institut de sociologie,n" 2.1972

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pollution

production

veau feu sans terres où s'installer; la conséquenceétait un célibat prolongé et un déficit des naissances.A notre époque de mondialisation, de systèmessociaux et économiques de plus en plus interconnec­tés, les relations sont évidemment devenues beaucoupplus complexes.

Actuellement, dans l'optique réaliste, les essais deformalisation sont guidés par un principe de base quipeut s'énoncer ainsi: les actions exercées sur les systè­mes écologiques dépendent du fonctionnement dusystème sociétal, de la façon dont les êtres humainsperçoivent l'environnement et de la valeur qu'ils luiaccordent. Mais comment intégrer un facteur aggra­vant et immédiat comme la croissance de population,à ce qui relève de facteurs structurels (modèle decroissance, pauvreté, problèmes de survie, inégalitésNord-Sud), difficiles et longs à changer et qui doiventêtre reliés aux facteurs écologiques?

Une réponse simple est apportée par l'équation deCommoner1 : l'impact sur l'environnement (1) estdéterminé par trois facteurs: la taille de la popula­tion (P), la consommation de biens par tête (A) et latechnologie (T). Ce dernier facteur résume plus préci­sément la quantité de ressources utilisée et de dégra­dation générée par la production et la consommationpar unité de biens et services.

Soit : 1 = P x A x TCette formule peut se lire, en termes de dégrada­

tion, de la manière suivante:

., . productionDegradatIOn = populatIOn x • x

populatIOn

Appliquée à un cas concret, elle permet d'estimerl'évolution de l'impact relatif de la croissance de la

1. B. Commoner, Rapid Population Growth and EnvironmentalStress. in Consequences of Rapid Population Growth in Developing Coun­tries. UN expert group Meeting, New York, 1988, p. 231-263.

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population. Par exemple, aux États-Unis entre 1960et 1985, la population a augmenté de 1,33 % et laconsommation d'énergie de 2,76 % par an ; en suppo­sant que les changements technologiques soient peuimportants, la part de la population dans l'augmen­tation de consommation d'énergie serait de 48 %(l ,33/2,76). La réalité est, bien entendu, pluscomplexe. Les trois facteurs sont interdépendants, ilsvarient d'un lieu à un autre et surtout la nature durisque de dégradation est très dépendante du poidsdes technologies employées. Dans ses travaux, Com­moner montre en comparant 65 pays du Sud que lepoids de la technologie utilisée est deux à trois foissupérieur au poids démographique.

En se plaçant dans le cadre de l'approche systé­mique, nombre de modèles ont vu le jour, fondés engénéral sur des schémas plus ou moins complexesmettant en interaction les divers facteurs retenus, quidépendent de l'objectif assigné au modèle. Ils ont encommun de s'écarter des modèles globaux, s'inté­ressant plutôt à comprendre un phénomène particu­lier (par exemple, la déforestation, la densificationrurale) ou à étudier l'usage d'une ressource (eau,hydrocarbures, sols, couvert végétal) à une échelleobservable. Cependant, peu d'entre eux ont été réelle­ment vérifiés sur le terrain; citons parmi d'autres, lemodèle de l'nASAl expérimenté à l'île Maurice sousl'hypothèse que la pénurie d'eau provoquée parl'élévation du niveau de vie, du tourisme et del'irrigation, conditionnera les scénarios futurs selondiverses options: démographie moderne (croissancefaible), ou traditionnelle (croissance forte) ; « boom»ou crise de l'industrie textile d'exportation; actionvolontariste sur l'environnement ou laissez-faire.

En fait, le niveau de formalisation ne peut acquérir

1. W. Luz! (éd.), Understanding Population-Development-Environ­ment Interactions: A case Study on Mauritius. Vienne, BASA, 1993.

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une nature opérationnelle, que s'il est focalisé sur unnombre limité de phénomènes: par exemple, un agro­système où le mode d'exploitation est relativementuniforme, lui-même correspondant à un écosystèmedominé par une ressource naturelle (oasis = eau;forêt =bois; steppes =couvert végétal, etc.). Dans cecas, il est plus facile de définir un « champ de réfé­rence écologique » avec ses composantes et leurs pro­priétés et d'isoler la problématique environnementaledominante: déforestation, raréfaction de l'eau, déser­tification, etc. 1•

La validité de ces modèles est toujours difficile àdémontrer: les interférences entre facteurs sont multi­ples, les échelles d'observation dans le temps sontinnombrables. Ils sont influencés peu ou prou par lesdoctrines dominantes du moment concernant les rela­tions entre l'écologie et la population, et peuventperdre, par trop de déterminisme idéologique, leurlégitimité.

1. Cette méthode a été expérimentée en Tunisie rurale dans le pro­gramme DYPEN (Dynamique de population et environnement). Cf.M. Picouet, Population et environnement: du cadre théorique àl'expérience, in Population et environnement au Maghreb, Paris, Acade­mia, L'Harmattan, 1995.

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Chapitre III

LA TERRE, LA FORÊT, L'EAUET L'HOMME

Pour assurer sa sécurité alimentaire, depuis qu'il estpassé de la simple cueillette à la production agricole,l'homme utilise trois ressources naturelles: le couvertvégétal, les sols et l'eau. Mais « le nombre de paramè­tres à prendre en compte chez les chasseurs-cueilleursest beaucoup plus réduit que dans le cas des sociétéscomplexes comme la nôtre »1. A la conférence mon­diale de la Terre (Rio de Janeiro, 1992), les nations,unanimes, ont insisté sur la nécessité de mettre enœuvre des systèmes de production agricole plus respec­tueux des équilibres écologiques. Mais cela ne ressem­blait-il pas à un vœu pieux au regard des difficultés àconcilier la protection de l'environnement avec lasatisfaction des besoins élémentaires des populationsdémunies? Dans les pays occidentaux, ces besoinssont largement satisfaits et la production est excéden­taire; dans les pays en développement, c'est le con­traire; la production agricole se heurte à des difficul­tés aussi diverses que le surpâturage des terres deparcours, l'érosion et le lessivage des sols, le tarisse­ment des points d'eau, la salinisation des terres, etc. ;la forme d'utilisation de la main-d'œuvre agricole, lestechniques de production, les comportements fami-

1. D. Bley, G. Boëtsch, L'anthropologie démographique, Paris, PUF,coll, « Que sais-je? », n" 3441, 1999,

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liaux et communautaires, la commercialisation et lanature des produits, les régimes fonciers ... importenttout autant que la pression démographique.

1. - Terres et pratiques agricoles

Dans les pays développés, la population rurale s'estconsidérablement réduite sous l'effet de la concentra­tion des exploitations et de l'intensification agricole.L'agriculture n'a plus la place prépondérante qu'elleoccupait il y a peu, même si son poids politique resteimportant. La mise en friche de centaines de milliersd'hectares en Europe donne l'illusion que, dansnombre de lieux, la nature reprend ses droits; ceserait oublier l'abus d'intrants chimiques et les pro­blèmes de pollutions que connaît cette partie dumonde, en particulier la pollution des nappes phréati­ques par les nitrates. A l'inverse, dans la plupart despays en développement, l'agriculture est le secteurdominant; les densités de population rurale ont ten­dance à augmenter, l'emprise agricole l et les défriche­ments restent largement incontrôlés. La diversité dessituations y est énorme, non seulement en raison del'extrême variété des conditions socio-économiques etenvironnementales dans lesquelles fonctionnent lesdifférentes sociétés agraires, mais également par lesvitesses de transition du pastoralisme à l'agro­pastoralisme, puis à l'agriculture moderne.

1. Dégradation des terres et systèmes de production.- L'Organisation des Nations Unies pour l'alimen­tation et l'agriculture (FAO) estime que, sans mesuresde conservation, la dégradation des sols et l'érosionse traduiront d'ici l'an 2100 par une disparition de544 millions d'hectares de terres cultivables (65 % du

1. L'emprise agricole est l'expression désignant l'augmentation dessurfaces cultivées; son antonyme: la déprise agricole, correspond à lamise en friche définitive de terres cultivées.

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potentiel actuel) en Asie, en Afrique et en Amériquelatine. Cette perte serait imputable à une mauvaisegestion des sols déjà appauvris par le surpâturage,l'arrachage, le déboisement, la surutilisation de l'eauentraînant la salinisation, etc., ce qui amène à formu­ler deux remarques:

- l'observation de la dégradation reste très relative.Dire qu'une terre est actuellement dégradée dansun site donné signifie seulement qu'elle est com­parée à la même terre, qui dans le passé étaitmoins dégradée, soit la confrontation de l'étatactuel avec un état antérieur de référence (Bra­bant, 1992)1 ;sur une échelle de temps aussi vaste, l'estimationde la FAO ne peut être qu'un scénari02 parmid'autres, qui prendrait mieux en compte les possi­bilités de changements sociaux, démographiques,écologiques.

Dans les grandes zones où l'on constate une accélé­ration de l'érosion, et particulièrement sur le conti­nent africain, il est difficile de discerner la part del'érosion naturelle, qui suppose de bien connaître lesétats antérieurs de référence, et celle de l'actionde l'homme. Dans la chaîne « érosion-dégradation­désertification », l'action de l'homme est certainementaggravante lorsque les sols sont pauvres et faiblementcouverts par la végétation, ou fortement soumis àl'érosion des eaux pluviales. Ainsi, le surpâturage, unlabour mal adapté, trop profond ou dans le sens de lapente, sont également des causes connues de dégrada­tion ; de même, les techniques anciennes, adaptées àde grands espaces, deviennent prédatrices sur un

1. P. Brabant, La dégradation des terres en Afrique, in Afriquecontemporaine, l'environnemenl en Afrique, Paris, La Documentationfrançaise, n" 161, 1992.

2. Repris par le FNUAP, il sert à mettre en garde contre le danger desurpopulation et devient ainsi nettement malthusien.

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espace limité: les cultures extensives assèchent laterre et réduisent la fertilité. L'insécurité climatiqueponctuelle ou cyclique devient chronique. Il n'y aplus d'alternance entre les bonnes et les mauvaisesannées, ces dernières devenant la norme. La désertifi·cation s'installe.

Ces phénomènes affectent nombre de populationsrurales des zones tropicales ou arides de notre planètesur de vastes territoires. A l'échelle d'une région éco­logique (steppes, savanes, etc.), peuvent très biens'intercaler des zones marquées par l'érosion avecd'autres plus épargnées. Ces différences sont rarementle fait d'un poids variable de la pression démogra­phique, mais tiennent en général au système agraireen place et à l'importance des aménagements liés à lalutte contre l'érosion. Ceux-ci dépendent souvent del'importance politique et stratégique qui est accordéeà la région concernée, comme l'illustre la situation duMoyen-Orient, par exemple.

2. Des situations contrastées pour un même dia­gnostic.

A) Au Chili, dans la reglOn du Limari. - Troismodes d'exploitation du milieu se partagent cettezone aride dominée par les cimes enneigées desAndes: les grandes haciendas, les communautés agri­coles (les comuneros) et le secteur irrigué. Le paysagerural est très contrasté: le secteur irrigué trèsmoderne (les fondos), ouvert sur les marchés interna­tionaux par l'exportation du raisin de table (parro­nal), occupe les vallées étroites parcourues par destorrents venant de la fonte des glaciers andins(53 000 ha); le reste est un vaste secteur sec (lesecano), où dominent l'élevage extensif des ovins dansles haciendas, sur un million d'hectares, et l'élevagecaprin dans les comuneros, sur 350 000 ha. Le terri­toire des comuneros montre des terres érodées et for-

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tement dégradées par le surpâturage ancien et lesmodes culturaux intensifs; l'agriculture y disparaîtprogressivement sous l'effet d'une double désertifica­tion écologique et humaine (déplacement de la forcede travail vers les fondos et les villes). Dans ledomaine des haciendas, la dégradation est au con­traire peu apparente, l'élevage extensif a relativementpréservé les sols et le couvert végétal, conservantl'équilibre de cet écosystème fragile. La cause de cettedualité pourrait être la plus forte densité de popula­tion dans les comuneros par rapport à celle faible deshaciendas, mais, outre que cette densité n'a jamais étéexcessive, la véritable cause réside dans les pratiquesagricoles sur des terres fragiles: surpâturage descaprins, particulièrement ravageur pour la végétation,défrichements pour des cultures en céréales à hautrisque compte tenu de la faible pluviométrie, etc.

B) En Tunisie présaharienne. - Le passage d'unesociété essentiellement pastorale à une société agro­pastorale avec la sédentarisation des nomades, d'uneéconomie de subsistance à une économie de marché,de l'appropriation communautaire des terres à l'ap­propriation privée, etc., ont créé les conditions d'unprocessus de désertification. Dans les années 60, lacroissance démographique est à son niveau le plusélevé; elle pousse les populations de cette zone àdéfricher et à labourer de nouvelles terres, bien au­delà de ce qui était nécessaire à leur subsistance, enta­mant largement les parcours traditionnellement desti­nés à la transhumance. L'ouverture aux marchésinternes et internationaux s'est révélée très attractivepour les paysans. Leur sécurité alimentaire satisfaite,ils pouvaient accéder à un confort moderne jusque-làinaccessible, et surtout assurer une promotion socialeà leurs enfants scolarisés. La céréaliculture etl'arboriculture se sont ainsi rapidement développéesaux dépens des meilleurs pâturages de la région.

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L'intensification, l'introduction du tracteur dans cesrégions à très faible pluviométrie (150 mm par annéeen moyenne) ont entraîné une destruction progressivede la couverture végétale, un accroissement de lamobilité des sédiments, et une diminution de laremontée biologique lors des bonnes pluies: autantd'indices de la désertification d'un écosystème autre­fois en équilibre, plus en raison du changement desmodes d'exploitation du milieu que par l'accrois­sement de la population.

C) En Afrique noire. - Le taux de croissance de lapopulation rurale a été le plus élevé de son histoire aucours de la dernière décennie. Cette croissance s'estaccompagnée de changements importants, signesd'une transformation des systèmes d'exploitation,dans la structure de la population active agricole:plus de femmes et d'enfants, plus de vieux parmi leshommes adultes, plus d'émigration des jeunes, etc.Auparavant, l'économie domestique, axée sur des cul­tures vivrières, concordait avec une faible croissancedémographique. Dans divers pays (Côte d'Ivoire,Togo, par exemple), le changement de régime démo­graphique, associé au développement des cultures derente, a conduit à l'extension des surfaces cultivées età la modernisation de l'agriculture avec la cultureattelée, l'introduction d'intrants, la sélection des plan­tes cultivées. Il en est résulté une nouvelle distributiondes espaces de cultures entre les hommes et les fem­mes qui favorisent les premiers par l'accaparementdes meilleures terres pour les cultures de rente,conduisant les femmes à pratiquer les cultures vivriè­res traditionnelles sur d'autres terres plus fragiles.Ainsi, la saturation foncière s'accentue, les jachèresdiminuent, la diversité agronomique et la productivitéégalement, les sols s'épuisent. Ce processus de dégra­dation, d'autodestruction, conduit inévitablement àdes situations de ruptures: désengagement partiel ou

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total de la population la plus jeune de la productionagricole, migration des femmes vers les villes, etc.Selon A. QuesneP, ces situations sont dues essentielle­ment à l'orientation des politiques économiques quin'ont jamais, jusqu'à présent, privilégié le développe­ment agricole en direction d'un marché interne. Ainsi,conclut-il, « la déprise agraire constitue un risque plusgrand que la simple croissance démographique pourle devenir des agricultures africaines et de leur envi­ronnement ». Elle est un frein à leur reconversion.

Malgré les contrastes entre les tendances observéesdans ces trois exemples, une certaine convergenceapparait dans le diagnostic de dégradation des terres :c'est bien l'action de l'homme qui aggrave l'érosionnaturelle, qui crée des processus durables de désertifi­cation; mais cette action dépend moins de la crois­sance démographique, que du contexte social, écono­mique et politique.

II. - La forêt est-eUe menacéepar le nombre des hommes?

Ressource emblématique, la forêt est menacée par­tout dans le monde : pluies acides en Europe (mêmesi leur impact est moindre qu'on ne le pensait encorerécemment), déforestation gigantesque en Amazonie,à Madagascar et en Asie, déboisements intempestifspar l'agriculture d'abattis-brulis... Selon la FAO, lasurface des forêts intertropicales diminuerait de17 millions d'hectares chaque année2• Cette réductionserait parmi les principales causes de l'accroissementde gaz carbonique dans l'atmosphère et contribueraitau réchauffement global de la planète, sans compter

1. A. Quesnel, Population et devenir des agricultures africaines, inPopulation et environnement dans les pays du Sud, Paris, Karthala­CEPED, p. 113-124, 1996.

2. Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimen­tation (FAO), Tropical Forest. Rome, Newsletter, 1990.

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l'amenuisement de la biodiversité et l'appauvris­sement des sols défrichés. C'est l'un des grandsproblèmes écologiques de notre époque, et, pournombre d'experts internationaux, c'est la pressiondémographique qui est à l'origine de ce désastre. Auregard de cette affirmation, voyons ce qu'il en estdes principaux problèmes.

1. Les « pluies acides» et la forêt en Europe. - Laforêt européenne est façonnée par l'homme. Exceptéen Europe de l'Est, de la forêt originelle (primaire)ne subsistent çà et là que quelques bosquets, témoinsde ce qui fut autrefois la couverture forestière del'Europe. Largement défrichée au XVIIe siècle pourles besoins de l'agriculture et la conquête des mers,puis plus tard pour la construction des lignes de che­mins de fer, elle regagne du terrain aujourd'hui- malgré une opinion couramment répandue - sousl'effet du reboisement et de la mise en friche de ter­res cultivées. Elle serait pourtant menacée de dépéris­sement en raison des pollutions acides des pluies. Cephénomène provoqué par la pollution atmosphériqued'origine humaine (combustion de plastique, gazd'échappement des automobiles, incinération desdéchets, rejets des centrales thermiques, etc.) seraitresponsable du déclin de santé des arbres, observé audébut des années 80. L'alerte donnée par les profes­sionnels de la forêt et par les écologistes prit vite untour médiatique en raison de la menace de dispari­tion éventuelle de toutes nos forêts. Des chiffresalarmants ont été affichés: 7 millions d'hectares deforêt seraient affectés (soit 14 % du total) dans15 pays d'Europe, 52 % des forêts de l'Allemagneseraient endommagées, et le phénomène concerneraitégalement la Suisse, le Canada et le nord-est desÉtats-Unis, où les forêts d'érable seraient détruitespar l'acidité des sols.

Après plusieurs années d'observations du phéno-

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mène, et de comparaisons avec des états anté­rieurs, les scientifiques! présentaient leurs premièresconclusions:- les symptômes de dépérissement (jaunissement et

chute précoce des feuilles, éclaircissement du feuil­lage, etc.) sont localisés dans les massifs monta­gneux et n'intéressent que 15 % des arbres;des effets à retard d'années sèches aussi lointainesque 1947-1949 ou même 1921, aggravées par lemanque de pluie des années 1972-1976, ren­voyaient à un phénomène chronique de dépérisse­ment, pouvant se répéter à intervalle de tempsplus ou moins long;

- enfin, ce phénomène chronique est aggravé parla pollution de l'air résultant de l'activité hu­maine, mais n'a pas, pour l'instant, de caractèreirréversible.

Au final, le constat est donc nuancé: il metl'accent sur le déséquilibre durable des écosystèmesles plus fragiles, provoqué par les activités humainesnon contrôlées, mais rappelle également que la naturea des cycles liés aux variations du climat qui relèventd'une échelle de temps différente de celle du tempshumain.

2. L'agriculture d'abattis-brûlis. - Utilisée pardes millions d'hommes dans de nombreuses régionsd'Afrique, d'Asie et d'Amérique, cette technique agri­cole figurerait parmi les pratiques à éradiquer poursauver l'équilibre écologique mondial. Cette pratiqueancestrale consiste en une alternance d'exploitationagraire et forestière avec une courte période derécolte, et en une rotation des surfaces avec une

l. En particulier le programme DEFORPA (1983-1990). Cf. M. Bon­neau, D'une problématique sociale à une problématique scientifique: lecas des pluies acides, Natures sciences et sociétés, vol. 1, n° 3, Paris,Dunod. 1993.

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longue période de repousse forestière de dix ouquinze ans. L'abattage de la parcelle de forêt choisieest un travail long et pénible: les grands arbres sontconservés sur pied, on laisse sécher les arbustes cou­pés avant d'y mettre le feu par des techniques quilimitent sa propagation à la forêt entourant la par­celle, et les cendres constituent l'engrais. Ce systèmede culture est efficace, son caractère reproductiblelaisse finalement peu de traces dans l'écosystèmeforestier quand la densité de population est faible;mais si celle-ci vient à augmenter, la période de fricheentre les cultures se raccourcit, la fertilité des solsdiminue, ce qui incite à d'autres défrichages, etl'écosystème forestier se dégrade rapidement.

En fait, ce dernier scénario lié à une forte augmen­tation démographique est pourtant peu répandu; enrevanche, l'espace forestier où peut être pratiquél'abattis-brulis se réduit par l'extension de l'exploi­tation industrielle du domaine forestier et par le défri­chement pour la mise en cultures d'exportation. Parailleurs, la culture sur brûlis a évolué au cours desdeux dernières décennies en raison d'un changementd'affectation des cultures, et cela en l'absence d'ac­croissement de la population (dans certaines régions,la densité de la population occupant la forêt, a mêmediminué l

). De productrice de grains, elle est devenueun moyen efficace de produire du fourrage pour lesbêtes. Ainsi, au Mexique, Y. Cochet2 observe quel'aspect des parcelles a changé: la durée de repousseforestière est réduite à cinq ans (au lieu de quinze àvingt ans) et le brûlis n'ayant plus la même efficacité,l'érosion apparaît et la forêt ne peut se reconstituer.

1. La possibilité d'émigrer vers les pays du Nord, le développementdes périmètres irrigués, la diminution de leur espace ont poussé lespopulations forestières à s'exiler.

2. Y. Cochet, Agriculture, élevage extensif et dégradation del'environnement en Amérique latine (un exemple en Sierra Madre deiSur au Mexique), Revue Tiers Monde, t. XXXIV, n" 134, Paris, PUF,

1993.

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Par opposition à ces nouveaux systèmes de produc­tion agricole sur brûlis, il rappelle que la pressionexercée sur l'écosystème forestier soumis à la culturetraditionnelle sur brûlis ne compromet pas sa péren­nité, puisqu'elle autorise le maintien d'une durée derepousse de vingt ans, et conclut que « ce n'est doncpas la pression démographique qui explique les modi­fications apportées au système de culture sur brûlis etla dégradation de l'écosystème forestier ». De sembla­bles conclusions ont été faites en Afrique par d'autresscientifiques l

.

3. Les prédations dominantes: l'élevage extensif etl'exploitation du bois.

A) L'élevage extensif: une nouvelle spéculation. ­Le développement de l'élevage extensif est particulière­ment spectaculaire dans la plupart des pays d'Amé­rique latine, ouvrant de nouveaux eldorados. Desrégions tropicales humides du Mexique au bassin ama­zonien, les fronts pionniers font reculer la forêt. La« frontière agricole» est le siège d'affrontements entreles paysans pauvres et les propriétaires éleveurs: lespremiers défrichent et cultivent, avant d'être obligés decéder leur parcelle aux seconds lorsque la forêt estdéfinitivement transformée en prairie. De nouvellesdéfriches sont alors engagées suivant le même prin­cipe, et avec les mêmes effets. La progression est deplusieurs kilomètres par an, évinçant peu à peul'agriculture sur brûlis. En Amérique centrale, l'éle­vage extensif a détruit plus de 20 000 km2 de forêt paran au cours des années 80. Le phénomène atteint enAmazonie des proportions alarmantes non seulementen raison de la migration de paysans démunis venants'installer sur les fronts pionniers, mais surtout en rai­son de la «conquête» spéculative d'immenses terri-

1. Pourtier, Brabant, Hogan...

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toires par les grandes entreprises d'élevage, productri­ces de viande à bon marché pour l'Amérique du Nordet l'Europe. Chaque année, 50000 kms2 de forêts ontété transformés en prairies, durant la période de 1998à 1990. L'État brésilien a suspendu les mesures incita­tives pour limiter cette déforestation sauvage, sanspouvoir contrôler réellement son avancée. La cause dela déforestation est ainsi principalement la conversiondes terres forestières en terres productives agricolesd'exportation (élevage extensif au Brésil, Nicaragua,Mexique, plantations de Café en Colombie, CostaRica), bien plus que l'extension des cultures vivrières.Dans une moindre mesure, ces situations s'observentaussi en Asie et en Afrique.

B) L'exploitation du bois. - Elle répond à lademande de bois de chauffe, de charbon de bois et debois d'œuvre. La consommation du bois de chauffe etdu charbon de bois pour la cuisine et l'habitat résultede prélèvements de type traditionnels, dont les consé­quences peuvent être dramatiques dans certainesrégions, même si elle tend à diminuer dans nombred'entre elles, par l'introduction du gaz et de l'élec­tricité. Son impact sur l'environnement est ainsi enrégression, mais demeure cependant préoccupant enAfrique notamment et dans la plupart des régionspauvres et soumises à l'aridité.

L'exploitation du bois d'œuvre est en pleine exten­sion et nécessite la mise en place d'une véritableindustrie, majoritairement aux mains de grandessociétés privées des pays du Nord. Les concessionssont accordées par les gouvernements avec une com­plaisance qui est directement en rapport avec leniveau de leur dépendance économique. Tous lescontinents sont concernés; la grande richesse desforêts asiatiques en essences exportables a entraînéune telle surexploitation que certaines espèces ont dis­paru des régions où elles étaient endémiques (cas du

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teck en Thaïlande, obligée maintenant d'importer deBirmanie pour ses besoins propres) ; en Indonésie, legouvernement a favorisé l'installation de migrants surles zones « déforestées », empêchant ainsi toute possi­bilité de reconstitution de la forêt. L'absence de con­trôle, la déficience et la corruption administrativesinterdisent toute gestion à terme. L'abattage et lesinstallations agricoles sont fréquemment anarchiques.C'est dans ce désordre que l'Indonésie a subi en 1997l'incendie le plus dévastateur que notre planète aitconnu, ravageant des centaines de milliers d'hectares.A ce rythme, les forêts primaires de l'Asie du Sud­Est auront pratiquement disparu dès la prochainedécennie. Ni l'Afrique, ni l'Amérique latine ne sontépargnées; l'Afrique, principal fournisseur de bois del'Europe, a connu et connaît encore une exploitationsélective des essences « nobles» les plus rentables. Lesipo et le moabi ont quasiment disparu des forêts del'Afrique de l'Ouest. L'épuisement en qualité et envolume est tel que l'exploitation a beaucoup diminué.Tous ces espaces forestiers déboisés deviennent desterres agricoles, mais de très mauvaise qualité puisquerapidement érodées et lessivées, ce qui se termine sou­vent par un processus de désertification irréversible,comme tout le nord-ouest d'Haïti par exemple, iné­luctablement suivi de l'émigration des populationsconcernées.

Les causes de la déforestation sont ainsi bien iden­tifiées, elles ont - que ce soit la conversion des terresforestières en terres agricoles pour produire de laviande, du café ou d'autres produits exportables, oula production de bois d'œuvre - peu de rapport avecla pression démographique. Celle-ci a certes uneinfluence sur l'extension des cultures annuelles vivriè­res, ou sur la consommation du bois de chauffe, maisson impact est fortement relativisé au regard desdéboisements à but commercial.

Le devenir des forêts tropicales dépend ainsi de

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multiples enjeux extérieurs: les marchés internatio­naux de bois tropicaux, la croissance des secteursd'exportation (bois, café, cacao, palmier à huile,viande, etc.), les nouveaux systèmes de productiond'agroforesterie, les conventions internationales, etc.

III. - Le facteur décisif: l'eau

L'eau est plus abondante sur la Terre que suraucune autre planète du système solaire. C'est la pla­nète bleue: l'eau et la vie y sont indissociables. L'eauest en effet le constituant majeur de la matière vivanteet à la surface du globe, c'est l'agent géologique leplus important, ainsi qu'un redoutable agent chi­mique. L'état des ressources est à la fois bien et malconnu: les eaux de surface sont en effet bien estimées(les moyens pour les connaître ont progressé, notam­ment par l'étude des bassins versants), mais les eauxsouterraines renouvelables (nappes phréatiques, lacset rivières souterraines) ne le sont que très appro­ximativement, leurs processus de renouvellementn'étant pas encore complètement identifiés. Le poten­tiel des eaux dites fossiles est diversement connu, leurpénétration dans le sous-sol se situant à l'échelle destemps géologiques, soit plusieurs dizaines de millé­naires. Se pose ainsi et en premier lieu le problème del'évaluation de la ressource, avant d'examiner son uti­lisation par l'homme: domestique, agricole, indus­trielle... et enfin, les conséquences de ces usages sur laqualité de l'eau.

1. L'évaluation et la mobilisation des ressources eneau. - L'eau, que nous utilisons pour nos différentsbesoins, vient pour l'essentiel de l'évaporation de lamasse d'eau des mers et océans. Transformée en nua­ges, l'eau est transportée vers les continents. La pluietombe, ruisselle sur les pentes, s'accumule en lacs, ali­mente les réservoirs souterrains que sont les nappes

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phréatiques, descend vers la mer en empruntant leplus court chemin par les rivières et les fleuves, sculp­tant les paysages sur son passage. Selon l'altitude, leclimat et le relief, elle peut être rare ou abondante,son écoulement lent ou rapide. L'évapotranspiration,très variable, tantôt accélère les pertes en eau, tantôtalimente la formation de nuages et permet un recy­clage non négligeable; les situations selon les conti­nents sont ainsi très diverses.

En Asie, hormis les zones désertiques et semi­désertiques, les pluies sont abondantes et les besoinsen eau des populations sont, au moins en quantité,assurés dans presque toutes les régions du sud-est.

En Afrique, bien que la population soit plus faible,les ressources sont bien inférieures; les grands fleuvesSénégal, Niger, Volta, Logone-Chari et Nil, malgréles grands barrages construits, ne suffisent pas auxbesoins principalement agricoles et domestiques despopulations. Dans ce contexte de pénurie, l'éva­luation des ressources mobilisables est primordialeet d'énormes efforts ont été consentis pour fairel'inventaire aussi bien des eaux de surface que souter­raines, et trouver les moyens pour les mobiliser.Ceux-ci ont été considérables; au Maghreb, parexemple, 20 grands barrages ont été édifiés enAlgérie, 17 en Tunisie, plus de 30 au Maroc, ajoutésaux petits barrages et retenues collinaires dans lesprincipaux bassins versants; quelques milliards demètres cubes ont été ainsi mobilisés, mais ce volumereste faible par rapport aux 650 milliards de mètrescubes d'eau pluviale reçus annuellement par cetterégion. Les potentialités sont donc importantes, maisles mobiliser nécessite des investissements lourds quidoivent être étalés dans le temps, ce qui n'est pas for­cément compatible avec l'augmentation rapide de lademande. Au sud du Sahara, la mobilisation des eauxdes grands fleuves par la grande hydraulique a ététardif; l'un des plus récents, le barrage de Manentali

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sur le fleuve Sénégal, peut à plein rendement stockerprès de 9 milliards de mètres cubes, soit 37 % dudébit annuel du fleuve à ce niveau; le Fouta Djalonconstitue, avec ses prolongements en Haute-Guinée,le véritable château d'eau de l'Afrique de l'Ouest, etl'aménagement du fleuve Gambie rendrait possible lamise en valeur de 80 000 ha en Gambie, de 60 000 haau Sénégal, mais l'édification de sept barrages seraitnécessaire. De tels aménagements sont très coûteux,dépassant largement les capacités financières des paysconcernés et ne correspondent pas toujours à uninvestissement judicieux: plus de dix ans après samise en eau, le barrage de Manentali au Mali ne pro­duit toujours pas d'électricité, ni ne permet l'irri­gation, qui étaient pourtant ses objectifs initiaux.Certains barrages n'ont jamais reçu d'apport en eau,d'autres se sont envasés très rapidement, etc. La lour­deur des investissements et la difficulté d'en apprécierl'intérêt réel sont sans doute le problème majeur del'Afrique en ce qui concerne ses ressources en eau.

Enfin, l'Amérique du Sud bénéficie d'un niveau depluviométrie élevé et d'un réseau de fleuves et rivièrestrès important: 26 % des ressources mondiales y sontconcentrées. Les régions peu arrosées (moins de500 mm de pluie) sont peu peuplées et à peine 12 %du potentiel hydroélectrique est utilisé (surtout auBrésil). De grandes zones sont cependant soumises àde grandes sécheresses, provoquant alors d'im­portantes migrations vers des régions plus clémentes(le nord-ouest brésilien, par exemple).

Ce panorama mondial, plutôt positif, ne rend pascompte des situations locales ou régionales où sévit lapénurie d'eau, où le moindre caprice climatique estdramatique pour les récoltes ou pour le cheptel. C'estle cas de la plupart des zones arides. Des investisse­ments considérables peuvent remédier à la rareté del'eau douce, comme par exemple le dessalement del'eau de mer pratiqué intensivement en Arabie Saou-

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dite, mais le coût l de cette technique la rend cepen­dant inaccessible à la plupart des pays de ces zonesdéfavorisées. Par ailleurs, les retenues d'eau ont aussides conséquences négatives indirectes: si la Thaïlandedonne suite à son projet de barrage sur le Mékong,cela diminuerait considérablement le débit du fleuveen aval dans le détroit, qui subirait alors une forteremontée des eaux salées de la mer de Chine, et stéri­liserait alors des milliers d'hectares de riziculture.

Les ressources en eau sont donc abondantes maistrès inégalement réparties2

, ce qui conditionne les sys­tèmes d'usage et leur évolution.

2. Pratiques et usages de l'eau. - La demanded'eau est fonction du nombre des consommateurs,qui augmente rapidement. Ils n'ont pas cependantles mêmes besoins: un Africain consomme enmoyenne 50 m3 d'eau par an, et dans certainesrégions 20 m3 seulement, un Européen environ600 m3, un Japonais environ 1000 m3, un Américain2200 m3, allant parfois jusqu'à 3000 m 3 en Cali­fornie, par exemple. Outre l'accroissement de lapopulation, la consommation moyenne par tête aug­mente régulièrement. « L'eau va-t-elle manquer? »,s'interroge C. Allègre dans son ouvrage, Économiserla planète3

• Sans même parler des problèmes de qua­lité, qui seront exposés plus loin, la réponse est

1. L'Arabie Saoudite dessale 500 millions de mètres cubes par an aucoût de 2,70 $ par mètre cube. Or, la production d'un kilo de maïsnècessite 1,4 m' d'eau, 1 kg de riz: 4,65 m', 1 kg de fibres de coton:17 m'... D'après M. Griffon et 1. Marty, Prospective des déséquilibresem'ironnementaux dans les pays tropicaux, CIRAD, 1993.

2. La Banque mondiale envisage pour 2025 une pénurie d'eaupotable, sur la base d'un seuil d'alerte de 2 000 m' par habitant, quiconcernerait 52 pays et 3 milliards d'habitants. En Afrique du Nord etau Moyen-Orient, les ressources ne seraient plus, alors. que de l'ordrede 700 m' par habitant. L'eau pourrait ainsi rapidement devenir uneressource stratégiq\le et susciter des conflits.

3. C. Allègre, Economiser la planéte, Paris, Fayard, « Le Temps dessciences », 1990.

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incertaine: les ressources en eau de la planète sontconsidérables et suffiraient largement à l'ensemble del'humanité si on pouvait les répartir, par un coup debaguette magique, partout où elles sont insuffisantes.Pendant longtemps, l'homme s'est accommodé de larareté, concentrant ses implantations là où la res­source était disponible, modelant ses modes de vie etde production à la quantité d'eau dont il pouvaitdisposer. Cela a façonné les cultures et les sociétésqui, aujourd'hui, se trouvent confrontées à unedemande d'eau tendant à dépasser les réserves dispo­nibles. Partout, l'évolution des techniques de produc­tion agricole et industrielle, des conditions de vie(confort, habitat, etc.) ont entraîné une utilisationintensive pour satisfaire tantôt des populations crois­santes, dont les besoins évoluent rapidement (paysen développement à faible capacité de mobilisationde la ressource, de par la rareté et le coût des amé­nagements), tantôt des populations à très faiblecroissance, mais grandes consommatrices d'eau (paysdéveloppés).

A l'échelle mondiale, les grands secteurs utilisa­teurs d'eau sont: l'agriculture (69 %), l'industrie(23 %) et la consommation domestique (8 %). Cetterépartition est extrêmement variable suivant les payset dépend principalement du niveau de développe­ment économique, de l'importance du secteur irriguédans l'agriculture et de l'importance de la popula­tion pour les besoins domestiques. En France, parexemple, l'usage domestique consomme 20 % del'eau mobilisée, l'industrie et l'agriculture 40 % cha­cune, tandis qu'aux États-Unis la part domestiqueest seulement de 10 %, la consommation industriellede 50 % et l'agriculture de 40 %. En revanche, dansun pays comme l'Inde, la part du secteur irriguédépasse les 80 %; cette importance du secteur agri­cole dans la consommation d'eau se retrouve dans laplupart des pays en développement; elle diminue

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progressivement lorsque le pays se développe, lessecteurs domestique et industriel devenant plusimportants.

Dans les pays où les ressources en eau ont étéentièrement mobilisées au maximum de la technologieactuelle (barrages collinaires pour les eaux de surface,forage, hydrogéothermie pour les eaux souterraines),la compétition entre les différents utilisateurs est par­ticulièrement âpre. Prenons le cas de la Tunisie, dontles ressources en eau mobilisables sont estiméesaujourd'hui à environ 4 500 millions de mètres cubes,l'allocation des ressources a suivi une évolutiond'abord favorable au secteur agricole irrigué (qui estpassé en quarante ans de 30 000 ha à plus de300 000 ha, la progression étant particulièrementforte au cours des années 80: plus de 100000 ha),concurrencé ensuite par le développement de l'in­dustrie et du tourisme (tableau 6). Il s'agit bien d'unecompétition, qui, au niveau de certaines régions, a vurégresser la production agricole au profit des activi­tés touristiques fortement consommatrices d'eau, aupoint que l'État s'est vu obligé de réglementer l'allo­cation de l'eau entre le secteur agricole et les besoinsdes villes, auxquels sont entièrement affectés certainsbarrages.

Selon les ressources évaluées, la Tunisie serait défi­citaire dès l'an 2000! Cette situation se répète avecune gravité variable dans la plupart des pays aridesou semi-arides. En Israël, malgré un important pro­gramme de recyclage des eaux d'égouts et des eauxsaumâtres, la pénurie d'eau va croissante, face àl'augmentation de la population et au développementindustriel et agricole. Les conflits nécessitent de lapart des autorités des arbitrages difficiles, situationqui ne pourra qu'être aggravée lorsque Israël devracéder à ses voisins jordaniens et palestiniens, unepartie des ressources en eau qu'il tire en ce momentdu fleuve Jourdain.

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Tableau 6. - Importance relative des besoins sectorielsen eau en Tunisie

Années

Secteurs 1980 1985 2000 2030

Domestique 10,5 7,2 12,8 22,8Industriel 3,5 5,1 11,6 Il,6Agricole 86,0 87,7 75,6 65,6

Total 100,0 100,0 100,0 100,0

Volume (en millionsde mètres cubes) 1865 2282 2909 4882

Source ACsAo-Shgaier, 1995.

La situation de la mer d'Aral apporte un autreéclairage sur la nature de cette compétition, qui mènejusqu'au sacrifice écologique d'une région entière aubénéfice de la culture industrielle du coton. A la suitedu détournement, dans les années 50, des fleuvesAmou Daria et Syr Daria qui l'alimentaient, le rivagede la mer d'Aral a reculé de 65 km; la zone s'estcomplètement désertifiée (disparition de la flore et dela faune terrestre et aquatique originelles) ; la popula­tion en pleine croissance s'est concentrée dans leszones irriguées, où elle subit les conséquences d'uneirrigation défectueuse, de la pollution par les engrais,herbicides, défoliants et pesticides depuis plusieursdécennies. L'air est pollué par le sel des zones dessé­chées, l'eau et les produits vivriers sont devenus toxi­ques. La mortalité, surtout infantile, a augmenté.

3. La qualité de l'eau menacée. - L'exemple de lamer d'Aral montre que tout aménagement d'en­vergure a des conséquences imprévisibles non seule­ment sur l'écosystème, mais également sur la qualité

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de la ressource prélevée. S'y ajoutent les effets plusglobaux des activités humaines. On sait que l'eau estchargée d'aérosols d'origine naturelle (sels marins,poussières des déserts, cendres volcaniques), maiségalement de tout ce que l'homme rejette dans lanature sous la forme de produits sulfurés ou azotés.A l'échelle mondiale, la qualité de l'eau peut êtrecompromise par les rejets industriels et la combustiondu pétrole, portant atteinte non seulement au cycle del'eau mais également à sa composition chimique. Al'échelle régionale ou locale, la qualité de l'eaudépend étroitement des techniques agricoles envIgueur.

A) Irrigation, gaspillage et salinisation. - L'irri­gation a pris une importance considérable et particu­lièrement dans les pays en développement, où l'onestime à 271 millions d'hectares la superficie actuelle­ment irriguée. Dans nombre de pays, la productionen irrigué dépasse les cultures en sec. En Inde, 30 %des terres irriguées fournissent 55 % des denrées ali­mentaires, en Chine 50 à 70 %. L'évolution va versun accroissement, cette technique permettant en effetde hauts rendements qui assurent à la fois la sécuritéalimentaire et un niveau de vie convenable auxpopulations rurales. Les procédés sont devenus plusperformants par l'introduction du goutte à goutte etdes techniques de drainage. Pourtant on relève unpeu partout un phénomène de salinisation, qui stéri­lise les sols et condamne à terme les plantations, dûessentiellement au mauvais système de drainage, lui­même dû au manque d'expérience des paysans selançant dans l'irrigation, aux aménagements inadé­quats et précaires, ou tout simplement au manque demain-d'œuvre agricole pour entretenir le réseau irri­gué. L'exemple de nomades transhumants transfor­més en paysans cultivateurs par la sédentarisation etmanquant d'expérience est courant. Les nappes

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phréatiques peuvent être aussi polluées par infiltra­tion d'eau provenant de forages profonds (pompagede nappes fossiles). Dans le sud du Maghreb, l'eauprovenant de la nappe profonde est ainsi souventgaspillée: tirée en trop grande quantité, mal drainée,elle s'infiltre chargée de sel et pollue la nappe phréa­tique. Une eau non renouvelable dégrade une eaurenouvelable. Dans les oasis atteints, une auréoleblanche signe de salinisation se dessine tout autour,visible par photo-satellite.

B) La pollution chimique. - La première révolutionverte concernait l'obtention de meilleurs rendementspar la sélection des variétés cultivées, par l'intro­duction d'intrants (engrais) et par la lutte contre lesparasites. Engagée dans les années 50, un peu partoutdans le monde, massivement dans les pays du Nord,progressivement et tardivement dans les pays du Sud,cette transformation s'est soldée effectivement par desrendements nettement supérieurs, mais avec un prixlourd de pollution des sols. Ceux-ci lessivés par lespluies ont à leur tour pollué l'eau, faiblement pourl'eau de ruissellement alimentant rivières et fleuves,fortement pour l'eau souterraine. La teneur en nitra­tes et phosphates des nappes souterraines a ainsi for­tement augmenté dans la plupart des pays d'Europe,rendant impropre à la consommation l'eau qui enétait tirée. Les pesticides, répandus lors de campagnesd'éradication de certains parasites, même trente ansaprès, peuvent continuer à chaque orage de polluerles nappes, les étangs et lacs (phénomènes observésdans les étangs de la côte languedocienne en France,redevables, semble-t-il, au DTT répandu dans lesannées 50 pour lutter contre la prolifération desmoustiques). La Bretagne, la Hollande ont leurs res­sources en eau tellement polluées par le lisier prove­nant de l'élevage des porcs qu'elles sont considéréescomme des régions sinistrées.

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Ces pollutions, difficiles à détecter lorsqu'il s'agitdes nappes souterraines, sont très étendues et diffu­ses; elles agissent lentement et d'une manière irrémé­diable. Ce constat a amené les agronomes à changerd'attitude, à nuancer la politique du rendement à toutprix, prônant enfin l'emploi d'engrais moins nocifs etdes moyens biologiques, plutôt que chimiques, contreles parasites.

L'exploitation des ressources, basée sur l'idée d'unenature inépuisable, a vécu, tandis qu'est fortementrelativisé l'impact de l'augmentation des hommes surles problèmes écologiques de la planète. Qu'il s'agissedes sols, des forêts ou de l'eau, les menaces sur l'étatet la qualité des ressources sont bien réelles. Ellesatteignent dans certaines régions des situations irré­versibles de désertification et de disparition de laressource. Les formes d'exploitation, la nature desproductions, les modes de vie basés sur une consom­mation excessive, en sont les causes majeures.

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Chapitre IV

POLLUTIONS,MUTATIONS ET SANTÉ:VIVRONS-NOUS MIEUX DEMAIN?

La perspective de mieux vivre demain sur une pla­nète peuplée de quelque 3 milliards d'habitants sup­plémentaires - selon les perspectives moyennes - sup­pose que soit réunie une somme de conditions: lamise en valeur harmonieuse des écosystèmes et lerenouvellement des équilibres biologiques, la maîtrisede la consommation et de toutes les formes dedéchets, le contrôle des risques technologiques etindustriels et de toutes les formes de pollution, lasécurité alimentaire pour tous, l'amélioration desniveaux de santé, etc.

A l'évidence, la réalisation de tous ces objectifs,dont la liste n'est pas limitative, passe nécessairementpar l'amélioration des niveaux d'éducation et la prisede conscience des enjeux environnementaux, condi­tion nécessaire pour l'obtention de choix politiquesadaptés.

1. - La diversité biologiqueet le devenir des espèces

Élaboré par Walter Rosen en 1985, le concept debiodiversité est constitué de trois diversités: géné­tique (des individus au sein d'une espèce), spécifique(des espèces) et des ensembles écologiques, ainsi

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qu'aux interactions entre elles. Cependant, la diversitébiologique ne saurait se réduire à une simple compta­bilité des évolutions catégorielles de la richesse dumonde vivant, essentiellement parce qu'elle doit inté­grer les hommes qui fragilisent la biosphère. De fait,les enjeux scientifiques et économiques qui se pro­filent actuellement sont considérables et de nature àremettre en cause le patrimoine naturel planétaire etsa valeur d'héritage pour les générations à venir.

1. L'indispensable gestion des ressources génétiques.

A) La diversité biologique: une richesse à préserver.- La diversité est une nécessité biologique fonda­mentale aux équilibres écosystémiques, qui sont deplus en plus fragilisés par les perturbations humaines.La transformation de la Mésopotamie fertile endésert, le déboisement de l'Europe de l'Ouest auMoyen Age, de l'Amérique du Nord au siècle dernier,des forêts tropicales d'Asie du Sud-est et d'Amériquedu Sud actuellement, la dégradation irréversible de lamer d'Aral, etc., ont entraîné une baisse de la biodi­versité, dont on mesure encore mal les conséquencessur l'équilibre écologique de la planète. Le nombredes espèces vivantes est actuellement estimé! entre 5et 50 millions, mais seulement 1,4 million d'espècesont été recensées2

. De même, on estime que ce sont 50à 300 espèces végétales et animales qui s'éteignentchaque jour.

Dans les forêts tropicales humides, la végétationest d'une telle densité qu'on ne peut apercevoir le sol,et recouvre une biodiversité végétale et animale extrê­mement riche. En Guyane française par exemple, leschercheurs de l'Institut de recherche pour le dévelop-

l. Cf. A. Zecchini. La nature en sursis. Le Monde diplomatique,octobre 1998.

2. Dont 990000 invertébrés, 45000 vertébrés et 360000 plantes etmicro-organismes.

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pement (iRD, eX-ORSTOM) et diverses équipes universi­taires ont recensé plus de 5 000 espèces de plantes,dont 1 200 espèces d'arbres, mais on ignore encorequel pourrait être le nombre total d'espèces existan­tes. De même, on a dénombré sur un seul arbre del'Amazonie péruvienne 47 espèces de fourmis diffé­rentes. Ces forêts humides n'occupent plus que 7 %de la superficie des terres émergées et la transforma­tion des forêts en pâturages (Amazonie brésilienne)ou en plantations de monocultures (cacao et café enAfrique), de même que les exploitations minières oucoupes de bois domestiques sont source de dégâtsirréversibles. On considère que disparaissent ainsichaque année environ 135000 km2

, soit une surfaceéquivalente à celle de la Grèce, et il semble acquisque, même si la démonstration du processus n'est pasencore scientifiquement maîtrisée, la destruction decet écosystème influe sur le régime des pluies tropica­les qui conditionne les exploitations agricoles de mil­lions de personnes et influe vraisemblablement sur leclimat, au moins sur le réchauffement.

B) La prise en main par l'espèce humaine de son des­tin biologique. - Depuis la description en 1953 dusupport de l'information génétique constitué par l'ADN(acide désoxyribonucléique, composant essentiel des23 paires de chromosomes) par J. Watson et F. Crick,les comités d'éthique discutent de la possibilité de bre­veter ou non le « vivant ». En réalité, un point de non­retour semble maintenant avoir été dépassé avec leclonage d'une brebis, derrière lequel se profile celui del'homme, même si le rajeunissement des cellules repro­duites semble encore loin d'être maîtrisé. Jusqu'oùacceptera-t-on ce processus de reproduction des cellu­les, sachant qu'il ouvre aussi la voie à des améliora­tions thérapeutiques importantes? Par contrecoup, lesscientifiques, inquiets de leurs propres découvertes, setournent maintenant vers les législateurs pour trouver

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des solutions éthiques satisfaisantes pour l'homme etson environnement; mais en la matière, seuls lesaccords planétaires ont valeur, ce qui suppose unerévision conséquente de l'ordre international!

C'est en 1980 que fut validé pour la première fois,par la Cour suprême des États-Unis, un brevet concer­nant une bactérie génétiquement modifiée, qui futrapidement généralisé à travers le GATTI d'abord, puisl'oMd après 1995. La richesse biologique étant large­ment localisée dans les pays tropicaux, on peut sedemander s'ils pourront empêcher le transfert desgênes du Sud vers le Nord et devenir un jour maîtresde l'exploitation de leurs propres ressources généti­ques... au risque qu'ils reproduisent à leur tour le sys­tème de mercantilisation de la biodiversité ? L'exempledu Brésil, qui contrôle aujourd'hui l'utilisation desespèces végétales naturelles à des fins agro-alimen­taires ou pharmaceutiques, sera-t-il suivi par d'autrespays? Enfin, les ONG3

, ou certaines fondations, ou cer­tains États, font valoir que le patrimoine génétiquedoit rester patrimoine commun de l'humanité, et nepas être soumis aux lois des marchés du grand capital.Or, le Sommet de la Terre de Rio en 1992 a clairementconsidéré les États comme souverains pour leur poli­tique environnementale, en dépit de recommandationsde prudence et d'équité.

La mainmise sur les ressources vivantes par quel­ques grandes firmes semencières, spécialisées dans lesbiotechnologies végétales (Monsanto, Novartis, Astra­Zeneca, Pioneer Hi-Bred, Rhône-Poulenc...), passedorénavant avant tout par la course aux brevets4 qui

1. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.2. Organisation mondiale du commerce.3. Organisations non gouvernementales.4. Mais cette évolution de l'ultra libéralisme économique appliqué

aux biotechnologies semble toutefois dépasser les limites que s'au­torisent nombre de chercheurs qui ont vigoureusement manifesté leuropposition auprès du gouvernement américain à l'appel du RuralAdvancement Foundation International.

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•11

, 1

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leur permettra de se partager les droits de propriétéintellectuelle des quelques dizaines de plantes qui ris­quent de fournir dans un avenir proche l'essentiel del'alimentation mondiale. Sachant qu'en mars 1999 unprocédé de stérilisation génétique des semences, Ter­minator, a été mis au point par le ministère américainde l'Agriculture lui-même (USDA)I, ce qui condamnerales agriculteurs, s'il est appliqué à grande échelle, àracheter chaque année de nouvelles semences, onprend la mesure du processus de dépendance crois­sante qui se met en place, à l'image de ce qui existedéjà dans certains pays en développement depuis unedizaine d'années. La mise au point de Tenninatorconstitue l'aboutissement concret des théories ultrali­bérales, défendues par les États-Unis et leurs alliés dugroupe Cairns (Australie, Nouvelle-Zélande, Argen­tine, Brésil...), qui prônent le retour d'investissementpour les semenciers et l'abolition de toutes les aides etsubventions à l'agriculture, soit la neutralisation detoutes les tentatives pour l'établissement d'un proto­cole international des mesures dites biosécuritaires.L'Union européenne, sous la pression d'une opinionpublique plutôt virulente, a adopté en juin 1999 unmoratoire de fait concernant toute nouvelle autorisa­tion d'oov et tend à faire prévaloir le « principe deprécaution» et la « traçabilité » des produits alimen­taires, c'est-à-dire l'étiquetage de toutes les informa­tions concernant la production des aliments.

Le droit international en la matière est donc dansune phase d'incertitude complète et les négociationscommerciales de Seattle en novembre 1999 ont nette­ment mis sur la place publique les divergences concer­nant à la fois la gestion des organismes génétique­ment modifiés (OGM) et les droits à la (dé)régulationde l'Organisation mondiale du commerce (ove),

1. En collaboration avec la firme Delta & Pine Land. Puis ce pro­cédé a ensuite été racheté par Monsanto, première multinationale desbiotechnologies végétales.

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En France, c'est le Bureau des ressources généti­ques (BRG), créé en 1983, qui veille à la sauvegarde dela biodiversité, mise à mal par la mondialisation desmarchés, l'intensification de la production agricole,l'urbanisation, etc. Cette institution est notammentchargée d'appliquer la Charte nationale pour la ges­tion des ressources génétiques élaborée en 1988 quivise à conserver les espèces animales, végétales etmicrobiennes « au plan national et pour le longterme ».

Enfin, on doit aussi évoquer les utilisations perver­ses de la biodiversité: la lutte pour le contrôle desarmes biologiques, fondée sur la dissémination debactéries infectieuses dans les populations ennemies;le trafic d'animaux rares1 ou d'espèces horticoles pro­tégées, etc.

2. Les manipulations génétiques et la chaîne alimen­taire. - De la production à la consommation des ali­ments, l'homme est intervenu à tous les niveaux de lachaîne alimentaire pour améliorer leurs qualités nutri­tionnelles, hygiéniques et organoleptiques. Les compa­gnies de biotechnologie contrôlent largement l'offrealimentaire et disposent de multiples brevets à tous lesstades de la chaîne alimentaire, depuis les semencesjusqu'aux aliments conditionnés. Mais le transfert degènes d'une espèce à l'autre présente des risques impré­visibles, ce pourquoi les pollutions chimiques et généti­ques seront peut-être les plus grands défis que devraaffronter la population de la planète au XXIe siècle.

A) Les biotechnologies. - De l'agriculture à lachimie et à la pharmacie, en passant par les processus

1. Par exemple, plus de 150000 médicaments à base de tigre sontvendus chaque année, selon une enquête de l'association Traffic, réa­lisée en 1998. La pharmacopée traditionnelle asiatique a de multiplescomposantes, soumises aux mêmes trafics: bile d'ours, poudre de rhi­nocéros, glandes du chevrotin porte-musc...

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de décontamination de l'environnement ou la fabriquede matières plastique, les biotechnologies font l'objetd'applications multiples et hautement rentables, puis­qu'on estime' à plus d'une centaine de milliardsd'euros les bénéfices potentiels du marché vers 2005,contre 20 à 30 milliards d'euros actuellement. Onassiste ainsi à la montée en puissance d'un complexegénético-industrie1 qui risque d'être lourd de consé­quences. Les firmes privées américaines ne s'y sontd'ailleurs pas trompées puisque sur les 15 plus grandesfirmes privées qui se consacrent à la recherche sur lesbiotechnologies agricoles, 13 sont américaines.

On appelle aliments transgéniques des aliments éla­borés par génie génétique, c'est-à-dire en incorporantdes gènes issus d'animaux, bactéries ou autres espècesqu'on introduit dans les plantes. Le génie génétique aconsidérablement modifié l'évolution des produits ali­mentaires depuis la fin des années 70. En 1995, lesorganismes génétiquement modifiés arrivent sur lesmarchés agro-alimentaires et affectent notamment lescultures de blé, de maïs, de colza et de soja. La trans­genèse végétale améliore la productivité dans lamesure où elle permet aux cultures de résister auxmaladies bactériennes, mycosiques ou virales et amé­liore les possibilités de stockage et de conservation.

Mais cette progression considérable des techniquesagro-alimentaires suscite de nombreuses polémiquesconcernant les risques d'utilisation. Si la transgenèseaboutit à la sélection de plantes génétiquement modi­fiées qui permettent d'accroître la résistance auxmaladies et donc de diminuer l'utilisation de pestici­des, on est conduit à s'interroger sur le moins mau­vais choix pour le consommateur? Et, pour aller plusloin, est-ce la solution pour assurer la sécurité alimen­taire de la planète? Le problème est d'autant plus

1. Cf. C. Aubertin et F. D. Vivien, Les enjeux de la biodiversité,Economica, 1998.

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complexe qu'il faut aussi le replacer dans le contextedes débats d'ordre éthique ou religieux, qui condam­nent l'utilisation des produits transgéniques car ilsbouleversent l'ordre naturel de la reproduction desespèces. Se pose également le problème de la conser­vation de ces espèces végétales naturelles, puisque lesprogrammes de sélection génétique éliminent progres­sivement celles qui n'offrent pas la meilleure rentabi­lité. Il en va de même pour le monde animal, où l'onse préoccupe de conserver les races locales en voie dedisparition, parce que menacées par la productionspécialisée (lait, viande, œufs...) qui sélectionne lesraces hybrides les plus productives au détriment de lavariété.

Enfin, à la différence de la contamination chimiqueet même nucléaire, on ne peut ni se protéger contre ladissémination (eaux, vents, insectes), ni se débarasserde la contamination génétique, ses effets se transmet­tant aux générations suivantes.

B) Les productions agricoles en question. - Nombrede problèmes environnementaux résultent de la surex­ploitation des terres et du pompage intensif de l'eau,de l'extension des cultures et de la déforestation:régions irriguées touchées par la salinité, utilisationaccrue des pesticides et engrais artificiels qui affectentla fertilité des sols (cf. chap. III), etc. Le marché mon­dial représentait, au début des années 90, plus d'unmillier de produits différents et près de 3 millions detonnes par an. L'accroissement de la productivité agri­cole est devenu une préoccupation prioritaire, quiprend peu ou mal en compte les limites de l'écosystèmeau-delà desqueIles il va se dégrader et donc diminuerl'offre de ressources natureIles pour la populationconcernée. CeIle-ci devra alors ajuster sa demandeselon divers moyens: modification des modes de vie etde consommation, émigration... Les politiques agrico­les, orientées, soit vers la production alimentaire, soit

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vers l'exportation, sont fondées sur le principe demaximisation des profits à court terme au détrimentd'une gestion à long terme des ressources, sans égardpour la conservation des ressources génétiques. La dif­fusion d'espèces hybrides à haut rendement, mais quine sont pas autoreproductives, rend chaque jour plusdépendants les exploitants agricoles: en Bolivie, parexemple, on note le remplacement de la vingtained'espèces de pommes de terre locales par deux ou troisvariétés hybrides bien plus rentables, mais dont lespaysans doivent racheter chaque année les plants à desinstituts spécialisés qui ne sont évidemment pas boli­viens! Se profile ainsi un processus de contrôle desressources qui relèvera de quelques institutions duNord seulement, ce qui contribuera à accroître lemécanisme des lois du marché et la dépendance despays pauvres, autant de paramètres antinomiques avecle développement durable.

Dans ces conditions, l'usage croissant de polluantsorganiques persistants (pop) devient préoccupant.Caractérisés par leur stabilité chimique et leur persis­tance dans l'environnement, évaluée entre dix ettrente ans et parfois plus, il s'agit de produits phyto­sanitaires, tels l'insecticide DDT ou le fongicide HCBou encore les fluides de refroidissement industriel dutype BPC ou enfin des sous-produits comme les dioxi­nes issues de la combustion d'un ou plusieurs compo­sés chimiques. Les POP sont tenaces et au fil de lachaîne alimentaire se retrouvent dans les assiettes depresque toute la planète, comme l'a montré notam­ment une étonnante étude du Centre de santépublique du Québec, réalisée au milieu des années 80,qui a analysé le lait maternel de 24 échantillons dejeunes mères Inuit, vivant dans le Grand Nord cana­dien, loin des pollutions urbaines et des usines. Lesrésultats ont montré que leur lait était contaminé parles polluants industriels (DDT et BPC), avec des dosesde dix à quinze fois supérieures à celles des mères

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canadiennes des milieux urbains du sud du pays!L'explication en est que les pOP se concentrent dansles graisses animales dont sont friands les Inuits quicontinuent à vivre aux trois quarts de leur chasse etde leur pêche. Certes les pOP sont dorénavant interditsdans les pays occidentaux, mais on continue à lesproduire et à les diffuser dans de nombreux autrespays moins soumis aux réglementations.

Si les industriels persistent à considérer que cessubstances sont trop diluées dans l'environnementpour affecter l'homme, il en va différemment del'opinion des scientifiques alertés par de curieusesanomalies qui se traduisent par d'importants dérègle­ments hormonaux et affectent essentiellement les sys­tèmes de reproduction: régression des populations defaucons pèlerins, alligators floridiens aux pénisminuscules, œufs stériles de mouettes californiennescontaminées au DDT, etc. La liste de ces exemplesdans le monde animal est longue et a conduit parcontrecoup à de multiples interrogations concernantl'homme; c'est ainsi qu'en 1992, une équipe suédoiseannonça que le volume moyen de sperme humainavait diminué de près d'un tiers depuis 1938... Lapublication du livre de Colborn, Dumanoski etMyers, en 1997, L'homme en voie de disparition ?, pré­facé par Al Gore, vice-président des États-Unis, con­tribua à une forte médiatisation de ces questions,preuve, s'il en était besoin, des préoccupations crois­santes provoquées par la mutation des systèmes pro­ductifs agricoles.

C) Les grandes peurs de l'alimentation industrielle.- De la vache folle au poulet à la dioxine, en pas­sant par les céréales transgéniques, la viande aux hor­mones... , la liste des dérives de la production alimen­taire a de quoi préoccuper les consommateurs quivoient disparaître sous leurs yeux le monde paysan,au profit de l'industrie agro-alimentaire qui assimile

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la biodiversité à une marchandise l . Ce n'est rienmoins que la fin de l'ancestrale civilisation rurale, quilaisse ainsi la place à l'agro-industrie : agrandissement,concentration, course à la valeur ajoutée, à la produc­tivité et au profit immédiat... Les consommateurs,qu'ils soient du Nord ou du Sud, ne savent plus d'oùviennent les aliments du bétail, ni les leurs: quelsmélanges, quelles adjonctions, quels conditionne­ments ? .. Dans les systèmes économiques modernes,les agriculteurs, devenus « exploitants agricoles »,subissent des évolutions technologiques et commer­ciales opaques, fruit des manipulations des firmesmultinationales agro-alimentaires. Sous couvert d'in­novation, on retrouve sur le marché, des produits quiméritent à peine le nom d'aliments.

Les produits alimentaires dits « biologiques »,longtemps perçus, tant par les technocrates que par legrand public (en France, ils concernaient une clientèlede l'ordre de 2 à 3 %, en 1998), comme une mode ouun luxe, commencent à remporter un certain succès,en raison de la réaction de consommateurs « demasse» ahuris par des affaires de poulets à la dioxineou de « vache folle» et de graisse animale extraite decadavres d'animaux de rebut, et transformée en fari­nes pour animaux d'élevage ou d'aquaculture!

Or, les gouvernements commencent à prendreconscience que des protections sont difficiles à instau­rer : actuellement, il s'agit essentiellement d'embargosle plus souvent curatifs, mis en place après qu'épi­démies et bactéries aient traversé toutes les frontiè­res! Pourtant, la situation paraît susceptible d'évo­luer vers des stratégies préventives. C'est ainsi, parexemple, qu'à compter du 1er juillet 1999, sur recom­mandation de son Comité directeur scientifique, laCommission européenne a interdit l'utilisation dequatre antibiotiques, sur les huit encore autorisés,

l. Cf. J.-P. Maréhal, Le Monde diplomatique, juillet 1999.

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après avoir constaté que, du fait d'une consommationexcessive d'antibiotiques (qui servent à accélérer lacroissance du bétail notamment), les bactéries devien­nent de plus en plus résistantes.

Mais alors se pose le problème des échanges com­merciaux (cf. chap. 6), car à quoi servent les interdic­tions si l'importation de produits animaux d'origineétrangère - où les antibiotiques, hormones, etc., sontautorisés - reste possible? C'est là une source de con­flits permanents avec les États-Unis notamment, quiconsidèrent, au nom de la liberté du commerce, quele citoyen-consommateur dispose en bout de chaîne dulibre arbitre. De fait, le débat concernant les facultésde discernement des consommateurs au regard del'offre alimentaire est loin d'être clos, d'autant que lademande de la grande majorité de la population mon­diale répond aux seuls critères de prix à bon marchédes produits alimentaires, sans autre considération.Dans ces conditions, il est clair que la conjuguaisondu cycle infernal de la pauvreté et des faibles niveauxd'instruction promet de beaux jours à l'alimentationindustrielle et à la consommation de masse stan­dardisée... quelles que soient les manipulationseffectuées !

II. - Les hommes, les déchetset les poUutions

Pendant des millénaires, les causes de pollutionfurent peu nombreuses et résultaient essentiellementde bactéries pathogènes et de substances fermentesci­bles. Aujourd'hui, la nature, qui gère les cycles de lamatière, est souvent dépassée par les événements:notre civilisation maîtrise mal les rejets qu'elle a misen circulation, parce qu'ils sont largement sortis descycles biologiques; le point d'équilibre entre les acti­vités polluantes et les activités épuratrices s'avèred'autant plus difficile à atteindre que la chaîne des

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acteurs n'est pas toujours facile à déterminer. Enrevanche, on voit apparaître progressivement les fon­dements salutaires d'une éco-industrie, susceptible demarier la rentabilité et l'écologie en économie de mar­ché, la lutte antipollution tendant à devenir unesource de profits. Fait de civilisation, les déchets don­nent maintenant lieu à de multiples études et analysesqui relèvent d'une nouvelle spécialité: la rudologie1•

1. Consommation mondiale et traitement des dé­chets. - Marchands de peaux de lapin au début dusiècle, puis ramasseurs de vieux papiers, ferrailleurs ...les récupérateurs de toutes sortes ont accompagné lacroissance économique de notre société. L'évolutionde nos modes de consommation a entraîné l'accrois­sement de la production de déchets, dont l'élimi­nation doit répondre à des exigences sans cesse plusrigoureuses, comme le montrent bien les nombreuseset récentes décisions législatives européennes.

A) L'augmentation prodigieuse des déchets. - Laproduction des déchets, leur quantité et leur nocivitédépendent essentiellement des modes de production,des consommations, des transformations chimiques àhaut risques, de la diffusion de produits toxiques pardes vecteurs fluides (cours d'eau, nappes, vents, etc.),qui font d'une substance toxique concentrée et bienlocalisée à l'état naturel, un agent pathogène pour lemonde vivant, végétal et animal.

Les quantités de déchets sont en augmentationcontinue: on produit et on consomme toujoursdavantage avec le matériel électroménager, les voitu­res, les équipements, les emballages, etc. En France,nos grands-parents, en majorité ruraux, produisaient

J. Du latin ruduJ (décombres), la rudologie est la science desdéchets des biens et espaces déclassés. On observe actuellement diversestypologies nationales concernant les déchets, ce qui complique forte­ment les estimations globales.

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en moyenne 75 kg d'ordures ménagères par personneet par an, dont une fraction importante était biodê­gradable, soit - soulignons-le - approximativement leniveau des pays en développement actuellement.En 1995, les Français en ont produit 352 kg par habi­tant en moyenne l, les Parisiens atteignant même491 kg, dont une forte proportion qui n'est pas bio­dégradable, tout au moins à court terme. Au total, lepays a produit, en 1998, quelque 627 millions de ton­nes de déchets, dont 375 sont d'origine agricole (éle­vage, cultures, déchets de forêts), 105 d'origine indus­trielle et 100 de nature inerte (mines, carrières,bâtiment).

Les déchets organiques, qui se décomposent aisé­ment, représentent environ 40 % des ordures ména­gères, qui ne représentent elles-mêmes que 5 à 10 %du total des déchets dans les pays occidentaux. Al'évidence, les pays de la planète sont très inégaux auregard de la production de déchets et des pollutionsqui en résultent. De même, ces inégalités recouvrentaussi celles des classes sociales dans les pays riches, etprogressivement se fait ainsi jour la nécessité de res­ponsabiliser les nations et les individus en fonction deleurs niveaux de déchets produits; en Belgique, parexemple, il est fixé chaque année un seuil de produc­tion de déchets ménagers au-delà duquel est perçuepar les communes une taxe supplémentaire propor­tionnelle à la quantité (en 1999, ce seuil était de270 kg par habitant dans la région wallone).

B) Le recyclage: une perspective volontariste? ­Les hommes ont de tous temps recyclé les déchetsorganiques pour fertiliser les sols, et cette pratique,qui n'était jamais que l'expression du bon sens, est entrain d'être remise en vigueur dans nos sociétés indus­trielles - amusant paradoxe - au nom des principes

1. L'environnement en France, La Découverte, 1999.

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d'écocitoyenneté, qui semblent émerger ici ou là.Mais le recyclage des déchets est multiforme et tend àdevenir aussi une activité industrielle rentable. Savaleur marchande va croissante pour des raisons derentabilité concurrentielle évidentes, mais aussi parceque le recyclage a depuis longtemps engendré desfilières clandestines à forte valeur ajoutée, principale­ment dans le domaine des déchets contaminants(médicaux, nucléaires... ).

Par exemple, en France, selon la loi du 13 juil­let 1992, les quelque 6000 décharges brutes existantesdevraient être supprimées avant 2002 pour laisser laplace à des traitements de déchets: valorisation éner­gétique, recyclage, incinération, broyage ou compos­tage. Mais le 22 avril 1998, fut décidée une réorienta­tion radicale de la politique des déchets, imposant50 % de recyclage parmi les modes de traitement, etla mise en place du tri sélectif en France devra êtregénéralisée à l'horizon 2002 environ.

Aujourd'hui, on estime que le plomb est recyclé à50 %, le papier-carton à 36 % et le verre d'emballageà 34 %. La totalité des métaux ferreux récupérésreprésente un tiers de la matière première pourl'industrie de l'acier. La consommation de papier estde plus de 100 kg/hab.lan, et seulement 10 à 12 % despapiers-cartons sont récupérés.

Le recyclage des plastiques dépend largement descours du pétrole, une crise de l'énergie se traduisantpar une plus forte rentabilité des produits recyclés...Sur les 2 millions de tonnes de déchets plastiquesindustriels et ménagers produits chaque année enFrance, environ 8 % sont recyclés sous forme dematière secondaire et 25 % valorisés sous forme ther­mique, ce qui est peu... d'autant plus que ce sontessentiellement les déchets dits « propres» (c'est-à­dire issus de fabrication industrielle) qui sont remisdans le circuit, tandis que le recyclage des emballagesusagés et des produits de grande consommation reste

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embryonnaire: l'industrie recyclait en 1995 moins de5 % des bouteilles d'eau minérale en pvc et les mil­liards de sacs distribués par les circuits de grande dis­tribution terminent dans les fours d'incinération oules décharges.

Les usines d'incinération ont constitué pendantlongtemps la solution la plus courante, puis on apris la mesure du danger des gaz rejetés dans l'at­mosphère; en effet, lorsque la température d'in­cinération est inférieure à 900 oC, soit le cas le plusfréquent, les plastiques, les pesticides, les produits detraitement peuvent produire des dioxines qui dégra­dent toute la chaîne alimentaire. A moyen terme,l'incinération risque de faire d'importants progrèsdans les années à venir concernant les polluantsgazeux contenus dans les fumées et la dénitrificationdes oxydes d'azote et de dioxines, qui atténuera lespanaches de fumée et ôtera les odeurs. En dépit detous les progrès technologiques et de l'accroissementdu recyclage, restera cependant à résoudre le pro­blème des déchets de déchets, c'est-à-dire les déchetsultimes, et particulièrement ceux qui sont radioactifs,qui seront mis dans des « centres d'enfouissementtechnique» dont on ne maîtrise pas, loin s'en faut,l'évolution à long terme.

C) Les déchets à risque toxique: l'inégale responsa­bilité! - L'évaluation des déchets toxiques, à fortrisque pour les populations, reste encore très incer­taine. A titre d'exemple!, à la fin des années 80,l'Italie et la France en ont produit 2 millions de ton­nes, l'Allemagne 5 millions, la Hongrie 7 millions...les États-Unis 250 millions, et on ne dispose pas deschiffres concernant l'URSS à cette époque!

Les déchets toxiques proviennent en majorité de

1. Cf. Dictionnaire de l'écologie, p. 308, Encyclopœdia Universalis,Albin Michel, 1999, 1 398 p.

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l'industrie chimique, et dans une moindre mesure del'industrie des métaux et des hôpitaux. Traités essen­tiellement par incinération, ils font aussi l'objetde trafics divers, en forte progression; ainsi l'ex­portation vers les pays pauvres où les traitementssont moins onéreux et moins réglementés, est deve­nue un commerce florissant, source de revenuspour des pays dépendants. La convention de Bâletente bien de régir ce commerce, mais elle n'a pasencore été ratifiée par de nombreux pays, dont lesÉtats-Unis, premier producteur mondial de déchetstoxiques!

Au premier plan des déchets à risques figurent lesdéchets nucléaires. De 1967 à 1982, date d'inter­diction des rejets en mer, les océans en ont reçu94 000 t. Selon l'Agence internationale de l'énergieatomique, 217 substances radioactives ont été misesau jour depuis 1993, dont 18 concernent le plutoniumou l'uranium enrichi, ce qui donne une idée del'ampleur croissante du problème! Il existe deux sor­tes de déchets radioactifs : ceux qui sont à vie courtefaiblement et moyennement radioactifs, qui fontl'objet de stockage en surface et ceux qui sont à vielongue, fortement radioactifs, qui proviennent descendres de la combustion nucléaire pour lesquels onattend toujours des solutions pour la gestion de cesdéchets à long terme (le stock accumulé en 1996 attei­gnait les 3 600 t). De par sa composante militaire, lagestion des déchets nucléaires a longtemps relevé dustrict ressort du pouvoir exécutif, mais la situationévolue d'autant que les nations, et la France en parti­culier, ne peuvent plus envisager une politique énergé­tique nationale et indépendante, puisque les politi­ques de protection climatique et environnementalerelèvent désormais largement des directives européen­nes et des conventions internationales.

Même si le nucléaire connaît un déclin progressif,la question des risques radioactifs pour les popula-

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tions impliquées1, notamment pour les stockages desurface, constitue un risque majeur que nos sociétésindustrielles laisseront inévitablement en héritage auxgénérations futures (cf. chap. V et VI).

Principales catastrophes humainesprovoquées par les déchets industriels toxiques

1957 Mayak (Russie), nuage radioactif de 23000 km2 suiteà l'explosion d'une cuve de stockage de déchets nu­cléaires.

1959 Minimata (Japon), déversement de mercure dans lesvoies navigables.

1967 Marée noire du Torrey-Canyon.

1976 Seveso (1 ta lie ), fuite de dyoxyde dans une usine chimiq ue.

1978 Manfredona (Italie), fuite d'ammoniaque dans uneusine chimique.

1978 Marée noire de l'Amoco-Cadiz en Bretagne.

1979 Panne du système de re(roissement de l'usine nucléairede Three Miles Island (Etats-Unis).

1984 Bhopal (Inde), fuite de pesticides en provenance d'uneusine.

1986 Nuage radioactif de Tchernobyl (Russie).

1989 Marée noire de l'Exxon Valdez en Alaska.

1996 Contamination de l'atmosphère et du Rhin lors deJ'incendie des usines Sandoz (Suisse).

2. Les déflS des pollutions. - On appelle pollutiontoute intervention de l'homme dans les équilibresnaturels par la mise en circulation de substancestoxiques, nuisibles ou encombrantes, qui troublentou empêchent l'évolution naturelle du milieu. Lesprincipales pollutions de l'environnement provien­nent de la production et de l'utilisation des diversessources d'énergie, des activités industrielles et desexploitations agricoles. Organique, chimique ouradioactive, la pollution affecte surtout l'air, mais

1. Plus ou moins évalués à un millier d'années.

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aussi l'eau et les sols (cf. chap. III), et est toxiquepour les plantes, les animaux et les hommes.

A) Les rejets toxiques dans l'atmosphère. - Concer­nant les engagements souscrits au sommet de la Terretenu à Rio de Janeiro en 1992, puis lors de la Confé­rence de Kyoto en 1997, on est en droit de s'interrogersur leur mise en application. Les États-Unis, qui sontresponsables de la moitié des émissions de gaz carbo­nique des pays industrialisés, proposent d'instaurer àpartir de 2008 des « permis de polluer» qui seraientcommercialisables. Avec ce système, les «permisd'émissions négociables» concerneraient les entrepri­ses ou les pays qui ne pourraient réduire leurs rejetsqu'au prix d'investissements coûteux et achèteraientun droit d'émission à une autre entreprise ou à unautre pays, susceptible de réaliser cette réduction dansdes conditions plus avantageuses. Ce mécanisme fonc­tionne déjà aux États-Unis depuis 1989 pour les émis­sions de dioxyde de soufre et aurait permis de réduireles rejets de quelque 3 millions de tonnes par an. Resteà définir les droits initiaux qui seraient attribués àchaque pays après avoir défini un volume totald'émissions acceptables sans risque de réchauffementclimatique majeur. Ensuite, les pays surproducteurs derejets pourraient acheter les droits d'émission annuellenon utilisés, en fonction des effectifs de population,par ceux qui n'auraient pas épuisé leurs quotas. End'autres termes, les pays industrialisés auraient ainsi lapossibilité de racheter des droits aux pays les plus pau­vres à un coût inférieur à celui des mesures internes delutte contre l'effet de serre! Ce système pourrait pour­tant avoir certains avantages: inciter tous les pays, duNord comme du Sud, à faire les choix énergétiques lesmoins consommateurs d'oxyde de carbone pour unemeilleure gestion de leurs quotas, apporter des res­sources financières aux pays en développement enéchange de leurs quotas, qui favoriseraient l'adoption

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de technologies énergétiques propres. Il s'agirait ainside l'organisation d'un marché des émissions, que lesBourses de Londres et Amsterdam ont d'ailleurs déjàproposé d'organiser, mais cette prise de position enfaveur des mécanismes de flexibilité économique,ignore délibérément la question des sanctions, qui ser­viraient de garanties, et laisse quelques doutes sur lebon fonctionnement des transferts de technologiesvers les pays démunis, les stratégies mercantiles pou­vant aisément pervertir le système.

La quatrième conférence des Nations Unies surles changements climatiques (Buenos Aires, novem­bre 1998), qui a réuni les représentants de 180 payset de nombreuses associations, a porté sur les techni­ques que les pays industrialisés doivent adopter pouratteindre en 2010 une réduction d'environ 5 % desémissions de gaz à effet de serre. L'ambition du pro­gramme reste modeste et plutôt décevante, maiscomment réduire les émissions de gaz à effets deserre sans affecter la croissance et modifier les com­portements de consommation, s'il n'y a pas devolonté politique forte?

En France, divers réseaux de mesure (Airmar, Air­fobep, Qualitair...) fédèrent au niveau local lesmoyens de surveillance et appliquent la politiquenationale de prévention et de surveillance définie parle ministère de l'Environnement. Il existe trois typesde stations d'observation; elles concernent:

- la pollution de proximité du trafic automobile,toxique à court terme pour la santé humaine;

- la pollution urbaine dense ou suburbaine, concer­nant une population plus large, à l'échelle d'unsecteur et distante des voies de trafic, toxique àlong terme;

- la pollution rurale de fond: mesure de l'ozone enpériode estivale, niveaux témoins des autrespolluants...

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B) L'automobile et la santé des populations. - Lesprincipaux polluants atmosphériques connus sont lesparticules en suspension produites par les moteursdiesel, le dioxyde de soufre et le dioxyde d'azote, dontles manifestations humaines, lorsqu'elles sont inhaléeslors des pics de pollution, sont l'inflammation des al­véoles pulmonaires (asthme), et les affections cardio­vasculaires; bien qu'il n'existe pas encore de preuvesscientifiques, les cancers respiratoires sont aussi uneconséquence probable. A Athènes, on considère lacirculation automobile comme responsable pourplus de 50 % de la pollution de l'air; en Italie, la plu­part des grandes villes ont interdit maintenant lescentres-ville à la circulation automobile l , à Oslo despéages urbains obligent à acquitter un droit d'entréeen ville, tandis que de nombreuses villes pratiquent lacirculation alternée, etc.

Cette question de la pollution par la circulationautomobile empoisonne désormais toutes les villes dumonde ou presque, et sur ce point, pays riches et pau­vres sont logés à la même enseigne au regard des nui­sances subies par les urbains, faute de solutions alter­natives mises en place par les autorités et qui passenécessairement par l'implantation de transports encommun non polluants: autobus avec «carburantspropres», tramways, métros, parkings de délestage àl'entrée des villes, etc.

C) Les défis climatiques et l'effet de serre. - Lesémissions de substances produites par les activitéshumaines modifient les propriétés physiques et chimi­ques de l'atmosphère et interfèrent avec l'évolutiondu système climatique. L'augmentation de la teneuren gaz carbonique, en méthane, en fluorocarbones eten oxydes d'azote, modifie le bilan radiatif de laTerre. Les scientifiques considèrent que si cette accu-

1. En France (1999), seule la ville de Strasbourg l'a fait.

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mulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphèren'est pas interrompue, il faut s'attendre à un réchauf­fement de la température de plusieurs degrés, ce quiperturberait le cycle hydrologique et se traduirait parune élévation du niveau des mers, et entraînerait toutun mécanisme d'adaptation des espèces végétales etanimales.

Les manifestations de la pollution atmosphériquesont de plus en plus importantes et leurs interactionsavec les activités humaines ont fait l'objet d'une litté­rature abondante l

. La plus importante date de 1999,avec l'accroissement marqué du nuage de pollutionqui stagne une partie de l'année au-dessus du sous­continent indien, résultant vraisemblablement desémissions polluantes des deux milliards d'habitants dela région, qui bénéficient d'une abondance énergétiquepeu coûteuse, et dont les industries en pleine crois­sance ne se soucient pas encore vraiment de produiresans rejets polluants.

III. - L'environnement et la santé

La corrélation de la santé physique avec l'environ­nement n'est pas nouvelle, puisque Hippocrate avait,il y a environ deux mille cinq cents ans, publié untraité judicieusement intitulé: Des airs, des eaux etdes lieux. Dans la Charte européenne de l'environ­nement et de la santé diffusée par l'OMS en 1989, il estécrit: « Bonne santé et bien-être exigent un environ­nement propre et harmonieux dans lequel tous lesfacteurs physiques, psychologiques, sociaux et esthéti­ques, reçoivent leur juste place. Un tel environnementdevrait être traité comme une ressource en vue del'amélioration des conditions de vie et de bien-être. »Or, dans la relation environnement-santé, sont abor-

1. Cf. L'état de l'environnement dans le monde, La Découverte,438 p., 1993.

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dées essentiellement les questions de maladies entraî­nées par les diverses formes de pollution '.

1. Les facteurs globaux et l'action politique interna­tionale. - Le réchauffement de la planète, le trou dela couche d'ozone, la déforestation, le non-renou­vellement des ressources énergétiques, etc., sontautant de situations de dégradation environnementalequi ont un impact général sur l'état de santé de toutel'espèce humaine. Pour étudier les rapports existantsentre les divers facteurs environnementaux et l'obser­vation des pathologies (type, fréquence, évolution),les études épidémiologiques sont apparues dans lesannées 50. Elles analysent la mortalité et la santé desindividus qui ont été soumis à un risque. De nom­breuses études réalisées auprès de communautésissues de la migration ont permis de dissocier l'im­portance des facteurs environnementaux par rapportaux facteurs génétiques. Mais tous les facteurs envi­ronnementaux qui ont un impact sur la santé del'homme ont aussi un coût économique, ce qui obèred'autant les marges de manœuvre décisionnelles despouvoirs publics.

Les conséquences des facteurs environnementauxsur la santé sont le plus souvent pernicieuses. Ainsi,les usages intensifs de pesticides sont fortement misen cause dans la maladie de Parkinson, dans les leu­cémies et certains cancers... l'hypertension se révèlefréquente dans les populations soumises à desniveaux de bruit élevés... les leucémies du nucléairesont insidieuses et difficiles à diagnostiquer... Du faitde la complexité des chaînes alimentaires, de la diffi­culté des contrôles intégrant la succession des trans­formations des produits bruts en produits consom­mables, de l'effet immédiat ou à retardement d'une

1. Cf. L'écologie, c'est la santé, S. Deoux et P. Deoux, Frison­Roche, 1997, 539 p.

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affection, le risque de contamination est permanentsans que l'on puisse apprécier son degré de gravité nisur les populations actuelles ni pour celles à venir.Mais, en dépit de toutes les fortes présomptions cau­sales, comment démontrer que les manipulationsgénétiques sur les produits alimentaires présentent desrisques importants pour la santé publique à terme,que les polluants chimiques, hormis leurs effets immé­diats, ont une probable incidence sur la fertilité deshommes ou sur l'apparition de nouvelles patholo­gies? et en la matière, l'administration de la preuverisque fort d'arriver à contretemps.

En fait, depuis la Conférence internationale sur lapopulation et le développement (CIPD), tenue au Caireen 1994, tous les pays admettent désormais quel'amélioration du capital humain et du développe­ment social sont au centre des stratégies de dévelop­pement durable. Mettant fin à l'option exclusive de« contrôle de la population », le Programme d'actionde la conférence a mis au premier plan de ses préoc­cupations l'accès des individus à tous les services desanté, y compris en santé de la reproduction et enplanification familiale', et la réduction des mortalitésinfantile et maternelle, en les considérant comme lesfacteurs majeurs de la diminution de l'accroissementde la population. Mais, cinq ans après, ce programmed'action connaît une application difficile et les pro­grès sont excessivement lents, de par la faiblesse desfinancements mobilisés mais aussi de par la mécon­naissance de toute la complexité des phénomènes enjeu. En effet, les transitions démographiques et sani­taires suivent des logiques et des calendriers distinctsselon les pays, et, si la nature des facteurs environne­mentaux, culturels, sociaux, économiques et poli­tiques est souvent commune, leur poid respectif varie

1. Cf. Politiques démographiques et transition de la fécondité enAfrique, P. Vimard et B. Zanou (éd.), L'Harmattan, coll. « Popula­tions », 1999.

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selon les pays et les populations. A l'heure oùl'épidémie du sida devient un problème majeur pourcertains pays, en particulier en Afrique où cette pan­démie s'étend principalement en contamination hété­rosexuelle mais aussi de la mère à l'enfant, la ques­tion de la santé de la reproduction occupe une placeimportante dans les politiques de santé des gouverne­ments et les champs d'intervention des organisationsinternationales comme des institutions non gouverne­mentales. Ce sujet a largement focalisé les débats à laConférence du Caire et à celle sur les « femmes» dePékin,.en 1995, où furent recommandées: la mise enœuvre de politiques de population avec des objectifsde maîtrise de la fécondité visant une amélioration del'adéquation de l'offre et de la demande de planifica­tion familiale, une meilleure accessibilité économiqueaux programmes de santé, une attention particulièreaux conséquences du sida sur la vie reproductive desindividus, et aux changements dans les relations hom­mes/femmes, notamment d'un point de vue social etjuridique.

2. Les nouvelles menaces. - La plus récente desmaladies neurodégénératives affectant l'espèce hu­maine est la maladie de Creutzfeldt-Jakob, transmiseà l'homme par l'agent pathogène responsable del'encéphalopathie spongiforrne bovine, ou encore« maladie de la vache folle ». Or, c'est bien la modifi­cation des procédures industrielles de fabrication desfarines de viandes et d'os données aux bovins qui futla cause de la diffusion du prion pathogène de ces ani­maux. De manière plus large, les populations humai­nes sont soumises à de nouveaux risques sanitaires,provoqués par les mutations éco-environnementales :concentrations urbaines, productivisme agricole, mo­bilité ... mais également par certains produits indus­triels, comme en témoigne par exemple la découverterécente des conséquences de l'utilisation de l'amiante

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dans les toitures et isolations: 500 000 décès par can­cers annoncés en Europe de l'Ouest, en hypothèsebasse, pour les trente années à venir.

Les infections causées par des bactéries résistantesaux antibiotiques sont en train de devenir un véri­table problème de santé publique mondiale. Lesmaladies qui semblaient irréversiblement vaincues,comme la tuberculose, refont leur apparition, essen­tiellement parce qu'on n'a toujours pas vaincu la pau­vreté et le manque d'hygiène dans de nombreuxendroits, en particulier urbains. De même, la résur­gence du paludisme qui provoquait environ un décèstoutes les douze secondes en 1998, selon l'Or­ganisation mondiale de la santé (OMS). Or, les mousti­ques sont devenus résistants aux pesticides; commeceux-ci constituent de sérieux dégâts pour l'environ­nement, on limite donc leur utilisation, d'autant plusque le processus d'adaptation des moustiques n'a pasde limites connues. Si l'on ajoute à cela que leréchauffement de la planète risque fortement d'ag­graver la situation dans les zones à risques, on réaliseque la situation est pour le moins préoccupante. Lesrécents rapports de l'OMS sur la santé dans le mondenotent aussi le retour de la fièvre jaune, du choléra, etmême une persistance de la peste en Inde!

Par ailleurs, on note l'émergence des préoccupa­tions en matière de bioéthique, la protection des per­sonnes contre les applications abusives des progrèsbiologiques et médicaux étant devenue une questionpréoccupante. Le premier texte juridique internatio­nal contraignant, baptisé « Convention sur les droitsde l'homme et la biomédecine », a été publié enjuin 1994 par le Conseil de l'Europe à Strasbourg etest entré en vigueur' l~ 1er décembre 1999. Son préam­bule précise que les Etats membres, « convaincus de

1. Seuls le Danemark, la Gréce, Saint-Marin, la Slovaquie et la Slo­vénie ont officiellement ratifié la convention. et 19 autres pays euro­péens ont exprimé un accord de principe.

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la nécessité de respecter l'être humain, à la foiscomme individu et dans son appartenance à l'espècehumaine (...), sont conscients des actes qui pourraientmettre en danger les dignités humaines par un usageimpropre de la biologie et de la médecine ».

IV. - La sécurité alimentaire

Ce n'est que très récemment que les questions desécurité alimentaire ont été considérées qualitative­ment (cf. chap. IV). Sur le plan quantitatif, lesbesoins nutritionnels sont les quantités d'énergie et denutriments nécessaires pour assurer les fonctions phy­siologiques normales et pour prévenir tout symptômede carence. La sécurité alimentaire d'une populations'évalue ainsi en comparant les besoins nutritionnelsdans un espace donné avec les disponibilités alimen­taires. Selon la FAü (Organisation des Nations Uniespour l'alimentation et l'agriculture), la sous-alimen­tation chronique contemporaine concerne en 1998 unpeu plus de 800 millions de personnes environ, soitun peu moins de 15 % de la population mondiale, quisont en dessous du seuil minimal des besoins alimen­taires. Néanmoins, cette sinistre comptabilité n'estpas exempte d'incertitudes dans la mesure où les chif­fres sont fournis par les États concernés qui, d'unepart ne disposent pas toujours des moyens requispour l'observation statistique, et d'autre part sontlogiquement préoccupés d'attirer l'aide internationaleet donc tendent parfois à surestimer leurs résultats.

Lors de la Conférence mondiale de 1974, lesexperts de la FAü avaient avancé le chiffre de dix anspour éliminer la faim sur la Terre; rendus prudentsdepuis... , ils ont seulement proposé aux 194 nationsparticipantes au dernier sommet de la FAü tenu àRome en 1996 d'approuver la réduction de moitiédu nombre d'habitants concernés par la faim àl'échéance 2015. Par-delà les querelles des modélisa-

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teurs, reste donc posée la question: Comment nonseulement lutter contre la faim endémique du sixièmede la population mondiale actuelle, mais aussi nourrirles 3 milliards de personnes à venir, tout en préser­vant les ressources?

1. L'évolution des capacités nourricières de la pla­nète. - Chaque année, des millions d'hectares nou­veaux sont mis en culture, mais contre une quantitésupérieure qui disparaît par érosion ou épuisement. Ily avait, en 1998, 1,4 milliard d'hectares cultivés sur laplanète, soit 0,23 ha par habitant en 1998; cettemoyenne pourrait baisser jusqu'à 0,18 ha par habi­tant en 2025. Actuellement, le Koweit, le Japon,Oman et Singapour sont les pays les moins bien lotisde la planète avec 0,07 ha par habitant, mais leursituation économique leur permet d'importer les den­rées nécessaires à la satisfaction de leurs besoins; ilen ira différemment des 29 pays qui devraient lesrejoindre à ce niveau vers 2025, parmi lesquels secomptent les plus défavorisés : Bangladesh, Somalie,Yemen... Selon les experts de la FAü, pour subvenir àses besoins, le continent africain, notamment, devraitmultiplier ses capacités nourricières par 4,6 fois envi­ron d'ici 2050, soit un taux annuel moyen de crois­sance de la production végétale de l'ordre de 3 %,alors que jusqu'à présent, il n'a jamais dépassé 2,4 %.

On peut relativiser ces approches sectorielles enraisonnant sur la production agricole mondiale pourrelever le défi. Or, celle-ci est en baisse sensibledepuis le début des années 80, mais probablementplus en raison de la volonté des grands pays expor­tateurs de céréales de maintenir les prix que par dessituations de pénurie ou de limitations naturelles;soit finalement plus un problème de richesses malréparties que de contraintes environnementales. Parailleurs, sachant que la main-d'œuvre agricole repré­sente souvent plus de la moitié de la population

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active dans de nombreux pays, la question de la for­mation à des techniques de production écologiquesse pose donc au même titre que la mise en culture denouvelles terres, dans la mesure où celle-ci se faitbien souvent au détriment des zones forestières et,s'il s'agit d'agriculture extensive, implique beaucoupplus d'eau, d'engrais et de pesticides.

Si la production mondiale de viande ovine etbovine a été multipliée par 2,8 depuis le milieu duxxe siècle, ce résultat a été obtenu au prix d'un surpâ­turage conséquent (cf. chap. III) et de la mise en cul­ture extensive d'espaces céréaliers pour la nourrituredes élevages d'animaux en batterie. Or, l'apport nutri­tif pour l'homme de la viande par rapport aux céréa­les est à peu près équivalent!, et 40 % environ de laproduction céréalière sont destinés aux animaux deboucherie. Comme on considère qu'il faut environ7 kg de céréales pour produire 1 kg de viande, onprend ainsi la mesure de la déperdition alimentairequi résulte de cette logique de production de viande.Si les pratiques actuelles de consommation de viandedevaient perdurer, alors que la population mondialeva en s'accroissant, cela nécessiterait inévitablementde nouvelles augmentations de la production céréa­lière. En supposant que l'Europe et les États-Unisexploitent les terres qui sont actuellement « gelées»pour réduire l'offre et donc maintenir les prix, lasuperficie céréalière mondiale augmenterait de 1,6 %,ce qui serait encore très insuffisant.

2. Les contraintes. - Les signaux omniprésents descontraintes écologiques: saturation des terres culti­vables, perte de productivité des terres agricoles,surexploitation des pâturages... ont ouvert de nou­veaux défis à l'agronomie, et la recherche de variétés

1. La viande apporte seulement les acides aminés en plus. néces­saires à l'homme mais en petite quantité seulement.

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céréalières plus productives est considérée par beau­coup comme un facteur décisif d'une croissance de laproduction agricole susceptible d'absorber l'inévitableaugmentation des besoins nutritionnels. Après avoirconcerné le blé, le maïs et le riz, la recherche géné­tique agronomique se consacre également depuis peuaux cultures de racines et tubercules dans une pers­pective de productivité accrue, sans préoccupationsde qualité et de protection environnementale maisseulement de quantités. De plus, il semble acquismaintenant que ce processus ne peut aboutir que s'ils'accompagne de l'intégration des masses paysannesdans ce processus de transformation des systèmesagricoles. Or, la plupart d'entre elles pratiquentencore l'autoproduction alimentaire et se heurtentaux grandes exploitations agro-alimentaires dans unelutte inégale pour conserver leurs terroirs; ainsi, lesproblèmes tenant à l'appropriation et à la concentra­tion foncière constitueront sans doute l'une des con­traintes majeures à la mise en place d'une agriculturedurable. Suivant les situations écologiques, la ten­dance au morcellement, la privatisation des terres col­lectives, en fait tout ce qui concerne le foncier, ontdes répercussions sur l'environnement. Il est certainque la sécurité alimentaire ne peut être envisagée sielle n'est pas accompagnée par une sécurité foncière.

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Chapitre V

LES ESPACES DU FUTUR

Depuis la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, onsait que, le vent n'appartenant à personne, les pertur­bations environnementales d'une région peuventaffecter directement les régions voisines, ce qui a faitprogressivement émerger la notion de communautéd'intérêts planétaires de toutes sortes. On passe ainside la notion de protection institutionnelle d'espacesnationaux à celle de régulation institutionnelle del'environnement planétaire. Celle-ci relève d'une sortede synthèse, encore bien mal définie, du patrimoineplanétaire avec ses ressources et ses potentialitésd'une part, de sa mise en valeur raisonnée et nondégradante d'autre part. Or, les rapports entre lespopulations et leur environnement n'ont pas la mêmevaleur pour les peuples des pays nantis soucieux de lavalorisation de leur santé et de leur cadre de vie, etpour les pays démunis contraints de satisfaire leursbesoins élémentaires, ce qui explique en partie leséchecs successifs des conférences internationalesconcernant la gestion des espaces du futur.

L'analyse des interrelations entre populations etenvironnement passe d'abord par la déterminationdes échelles spatiales de référence, qui varient selonles problèmes traités. La pratique séculaire, quiconsistait à tout simplement aller un peu plus loinlorsque les sols et les ressources végétales donnaientdes signes d'épuisement, n'est plus aujourd'hui pos-

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sible: non seulement l'espace est quasiment saturé,mais encore tous les territoires ont un propriétaire, cequi a fait récemment émerger des contraintes juridi­ques qu'on ne sait pas encore très bien gérer'. Lesconcentrations de population urbaine en forte crois­sance, les choix de production énergétique et la mobi­lité future contribueront également à déterminer unesorte de partition écologique de la planète.

1. - Vers un monde de citadins

La Terre ne comptait que 10 % de citadins environau début du xx" siècle, et en 1950 le monde étaitencore essentiellement rural; seules l'Europe et l'Amé­rique du Nord avaient une population urbaine supé­rieure à celle des campagnes, tandis qu'en Asie et enAfrique, plus de 80 % de la population était rurale.

1. Une urbanisation irréversible. - A cette époque,la population mondiale était de 2,5 milliards d'ha­bitants, mais on dénombrait déjà 83 villes de plus de1 million d'habitants. Il y en avait 282 en 1998 et il yen aura vraisemblablement plus de 500 en 2015. Demême, si, en 1950, New York était la seule conurba­tion de plus de 10 millions d'habitants, il y enavait Il en 1970 (Buenos Aires, Londres, Los Ange­les, New York, Osaka, Paris, Pékin, Rio de Janeiro,Sâo Paulo, Shangaï, Tokyo), tandis qu'on en compteactuellement une vingtaine, en ajoutant notamment:Bombay, Calcutta, Delhi, Jakarta, Karachi, Lagos,Le Caire, Séoul, Tianjin, et on estime qu'il y en auraune trentaine environ en 2015, dont les deux tiers enAsie, et seulement six dans les pays occidentaux.

Ainsi, la population des campagnes continueravraisemblablement à diminuer en valeur relative puis-

1. Le nomadisme pastoral, par exemple, est probablement con­damné à disparaître, avec les pratiques sociales qui en découlent.

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qu'en 2025 on ne compterait plus que 39 % de rurauxdans le monde si les prévisions concernant les tauxd'urbanisation' s'avèrent exactes (tableau 7).

Tableau 7. - Taux d'urbanisation (en 'Yo)par grandes régions du monde de 1950 à 2025

Régions 1950 1970 1995 2025

Afrique 14,7 23,0 34,4 53,8Amérique

du Nord 63,9 73,8 76,3 84,8Amérique latine 41,6 57,4 74,2 84,7Asie 16,8 23,4 34,6 54,8Europe 52,2 64,4 73,6 83,2Océanie 61,6 70,8 70,3 74,9

Monde 29,3 36,6 45,2 61,1

Source: United Nations, World Urbanization Prospects, 1995.

Cette tendance à la concentration présente unegrande diversité. Dans plusieurs régions du continentafricain et dans le cône sud de l'Amérique latine,l'absence de villes moyennes a exacerbé la croissanceexagérée des capitales créant des distorsions économi­ques et sociales qui grèvent le développement des pays.En Asie du Sud-Est, d'immenses zones sont devenuesentièrement urbaines englobant villages, villes et hin­terlands dans un rayon de plus de 100 kilomètres.Dans bien des cas, cette urbanisation galopante nerelève pas d'un dynamisme économique, mais plutôtde la pauvreté, du sous-équipement des campagnes,des crises agricoles, tant économiques qu'écologiquesou foncières, qui jettent sur les routes de l'exode lespopulations paysannes de régions entières.

1. Le taux d'urbanisation mesure le nombre de citadins pour100 habitants.

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2. Une gestion urbaine de plus en plus complexe. ­Cette accélération brutale de l'urbanisation résulte dela conjonction de plusieurs facteurs:

- l'augmentation endogène de la population urbaine;- la poursuite du processus migratoire des zones

rurales ou partiellement urbanisées vers les gran­des cités, qui affecte en bonne part des individusen âge de reproduction, dont la progéniture naîtet s'installe dans le milieu urbain récepteur;

- l'allongement de la durée de vie et la diminutionde la mortalité;

- l'absorption croissante des zones péri-urbaineshybrides par les conurbations.

Le fait que les milieux urbains soient plus largementsoumis aux risques de malnutrition, d'hygiène défec­tueuse et de maladies infectieuses, de promiscuité, etaux divers fléaux sociaux... pose de graves problèmesen matière de logement, d'éducation, de santé, etc.Mais d'aucuns considèrent que, en revanche, l'urbani­sation contient les remèdes à ses propres déséquilibres,en permettant notamment une hausse de la producti­vité agricole (augmentation de la demande et mécani­sation accrue de terres dépeuplées), une meilleure pré­servation des ressources naturelles et une meilleuregestion des effectifs de population à investissementégal, ce qui relativiserait les préoccupations concernantle futur des mégapoles du monde en développement.

En réalité, les situations sont très diverses et dépen­dent à la fois du niveau des infrastructures disponi­bles et de la maîtrise d'une organisation socio­économique urbaine toujours plus complexe. Laquestion de la distribution démo-spatiale devient pré­pondérante : la concentration facilite l'administrationlogistique, réduit les coûts de gestion des transports,des services sanitaires, de sécurité, d'éducation, etc.,et limite les déperditions de productivité.

Cette diversité peut aussi exister à l'intérieur d'une

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même ville, les écarts de fécondité, de mortalité, et enparticulier de mortalité infantile, pouvant être d'uneampleur telle qu'ils répondent à des niveaux d'or­ganisation différents entre quartiers pauvres etriches.Ce phénomène n'épargne d'ailleurs pas les grandesmétropoles des pays développés, où la population àforte précarité ne cesse d'augmenter.

L'observation du phénomène urbain révèle aussiquelques surprises. Ainsi, la baisse de la fécondité desfemmes immigrées en milieu urbain peut devenir uneraison de favoriser l'exode rural, rompant ainsi avecles politiques de population menées depuis vingt ans:après avoir été obsédés par la taille des villes et lamultiplication des conséquènces, au premier rang des­quelles figure l'environnement, les planificateurs enarrivent à considérer que la gestion de la ville ou dela « mégarégion urbaine »' est plus déterminante quesa taille ou sa croissance.

Au regard des paramètres environnementaux, lesmégapoles du futur, susceptibles de dépasser les30 millions d'habitants à terme, poseront donc desérieux problèmes; la gestion des populations ur­baines devra affronter essentiellement:

- l'alimentation en eau potable en quantité et qua­lité suffisantes. Dans la plupart des aggloméra­tions urbaines, il faut aller chercher l'eau de plusen plus profond ou de plus en plus loin, A Bang­kok, Djakarta et Mexico, l'abus de pompages aprovoqué un affaissement des sols qui a endom­magé les constructions et infrastructures. Les fui­tes et les gaspillages coûtent très cher aux collecti­vités, pénalisant ainsi l'équipement des réseaux etce sont les populations démunies, non raccordées,qui sont pénalisées en retour;

1. Cf. E. Brennan, La prolifération des mégapo1es, in La populationdu monde (Chasteland & Chesnais, éditeurs scientifiques, Travaux etdocuments, n° 139, tNED, 1997).

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- les problèmes de contamination liés au déversementdes déchets non traités, au ruissellement des eaux desurface qui aboutissent dans les nappes phréati­ques, ou plus simplement par les matières fécales;

- la gestion des eaux usées en rapport avec la capa­cité d'absorption des sols, les niveaux d'épurationet la pollution qui en résulte. L'exemple du traite­ment des olives sur le pourtour méditerranéenaprès la cueillette au mois de janvier est instruc­tif: chargées en matières organiques azotées, enphosphate et en potasse, l'eau extraite des olivesest rejetée le plus souvent sans aucun traitementdans les rivières, qui contaminent ensuite les solset les nappes phréatiques. A Shangaï, l'eau dufleuve est tellement polluée par les rejets deségouts que de nouvelles usines de traitement ontdû être construites à 40 km en amont de laville, soit une dépense supplémentaire d'environ1,5 milliard de francs!

- le traitement des déchets et les niveaux de récupé­ration et de recyclage. Les conséquences sanitairespour les populations sont évidentes, mais ellessont à rapprocher des coûts d'équipements néces­saires si l'on applique les normes occidentales, soitde 1 000 à 2 500 F par habitant selon le niveau desophistication des infrastructures choisies, ce quiles rend inaccessibles à de nombreux pays, endehors de l'aide internationale;

- la pollution atmosphérique.

Enfin, l'accroissement urbain s'accompagne de trèsfortes pressions sur les marchés fonciers, les ressour­ces disponibles en eau et l'approvisionnement énergé­tique; plus les concentrations de population urbainese développent, plus elles risquent de mobiliser lesréserves au-delà du raisonnable et de peser sur lesprocessus de renouvellement des ressources.

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II. - Choix énergétiques et usagesdes territoires

Les questions énergétiques sont au cœur des choixde développement, qu'ils soient planétaires ou seule­ment locaux. Elles conditionnent directement leschoix d'aménagement des territoires et les schémas deplanification.

1. La fm des certitudes. - La confusion persistanteentre les concepts de croissance et de développement aservi de support à de multiples études sur le dévelop­pement « durable », au sens de la garantie pour lesgénérations futures de recevoir en héritage, un envi­ronnement d'une qualité au moins égale à celui reçupar les générations précédentes. Or, l'urbanisationgalopante, la contamination des nappes phréatiquesmais aussi des rivières et des mers, ainsi que les pollu­tions diverses... continuent d'augmenter les dégrada­tions que subissent les sols, l'atmosphère et l'eau,conditionnant à tenne l'aménagement des territoires.De nombreux gouvernements du Sud ne veulent pasadmettre que la dégradation des écosystèmes entraînedes dommages irréversibles qui entament le patri­moine planétaire. En réalité, ils estiment avoir lesmêmes droits à la dégradation que ceux qu'ont connusles pays occidentaux lors de leur développement indus­triel. Ce pourquoi, la question des choix énergétiqueset donc des conflits d'usage des territoires est devenuehautement sensible en politique internationale.

La donne énergétique mondiale a été totalementmodifiée par rapport aux années 70, puisqu'on estpassé de préoccupations portant sur le coût énergé­tique, la raréfaction des ressources et l'indépendancede l'approvisionnement, à une situation d'énergie bonmarché, mais avec fortes contraintes de pollutionaffectant notamment le climat.

La consommation mondiale d'énergie était en 1997

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de 8,4 milliards de « tonnes-équivalent-pétrole» (tep),dont 3,4 de pétrole brut, 2,3 de combustibles solides,1,9 de gaz naturel et 0,8 d'électricité. Les États-Unisconsomment environ le quart du total à eux seuls,suivis par la Chine (9 %) et le Japon (6 %). En 2020,les prévisions font état de 27 milliards de tep. Si tousles pays adoptaient à terme les niveaux de consom­mation nord-américains, la planète risque d'être rapi­dement saturée!

Le protocole signé à Kyoto en décembre 1997 pré­voit que les pays développés signataires devront avoirréduit en moyenne de 8 % leurs émissions de gaz àeffet de serre en l'an 2010. En réalité, la marged'amélioration pour les pays occidentaux ne concernepas tellement la production d'énergie électrique quireprésente, par exemple, 30 % des émissions de gazcarbonique dans la CEE, et est plus à rechercher dansles améliorations du secteur industriel, du chauffagedomestique, des transports...

En France, l'électricité du pays est produite à 75 %environ par le nucléaire, soit le record mondial en lamatière, mais l'électricité ne représente que quelque20 % de la production d'énergie globale du pays. Laproduction d'électricité d'EDF résulte à 82 % dunucléaire, 13 % des combustibles fossiles et 5 % del'hydraulique. Si la France est le pays industrialiséqui émet le moins de gaz carbonique (384 millions detonnes en 1996) en raison de l'importance de son parcnucléaire, la gestion des déchets et celle du démantèle­ment des réacteurs, prévu vers 2010, constituent despréoccupations majeures.

2. L'avenir des énergies douces. - Les vents,l'énergie solaire, l'hydroénergie... sont les seules éner­gies douces inépuisables. Aujourd'hui, elles restenttrès marginales, mais elles préfigurent probablementl'avenir puisque leur croissance dépend des volontéspolitiques, elles-mêmes soumises aux seuils de dégra-

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dation et aux pressions populaires. Certains paysémergents ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, même sila rentabilité actuelle reste faible; c'est le cas notam­ment du Brésil, de la Tunisie, etc.

En France, la plus puissante centrale éolienne a étémise en service à Dunkerque début 1999; elle doublele modeste parc d'équipement français et développeune puissance de 2,7 MW pour 9 machines installées,soit l'alimentation de 3 200 ménages hors chauffage...ce qui est insignifiant et donne une idée du cheminqu'il reste à parcourir, sachant que le reste del'Europe alimente par ce moyen environ 3 millions defoyers en énergie électrique.

III. - La mobilité futureet les distributions spatiales de population

La révolution des technologies et moyens de com­munication a provoqué, entre autres effets, d'une partla forte relativisation des distances à la fois physiqueset psychologiques, et d'autre part l'accélération de lamobilité humaine. La consommation d'espace vacroissante et conditionne les nouveaux espaces de vieet la recomposition des territoires selon des usages enmutation.

1. La révolution des transports. - Le parc automo­bile mondial dépasse aujourd'hui les 400 millionsd'unités et atteindra vraisemblablement 1 milliardvers 2020, tandis que les distances kilométriques par­courues annuellement sont en accroissement continu!De même, le trafic aérien mondial est en progressionpermanente et atteignait 2477 milliards de «passa­gerslkm» en 1995. On considère que la croissance dutrafic aérien sera de 5,1 % par an en moyenne jus­qu'en 2015, avec d'importantes variations selon leszones : la Chine, par exemple, verrait son trafic aérienprogresser de 14 % par an.

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Si les transports ont considérablement favorisé lacroissance économique, ils ont aussi été la sourcede multiples nuisances diverses et atteintes à l'envi­ronnement: consommation énergétique et pollutionatmosphérique, qui figurent au premier rang des cau­ses des effets de serre; pollution de l'eau et des sols,dégradation de paysages, bruit...

A) Les choix de transport et l'environnement. - Lestransports utilisent environ 30 % de la productioncommerciale mondiale d'énergie et consomment 60 %de la production mondiale de pétrole. Le choix poli­tique de favoriser tel ou tel type de transport a doncdes répercussions considérables sur l'environnement.Transport aérien, marin, fluvial, ferroviaire, routier...les implications en termes d'infrastructures plus oumoins consommatrices d'espaces et de pollutions sonttrès variables'. Selon la distribution spatiale despopulations et les niveaux de concentration urbaine,les conséquences sont très diverses. Il semble acquisque le « laissez-faire» en matière de transports abou­tit inéluctablement au développement massif de la cir­culation automobile, qui entraîne d'invraisemblablescongestionnements urbains à travers le monde entier,à l'exception peut-être de Singapour, seul pays aumonde à contrôler la quantité de véhicules automobi­les et la régulation des flux de circulation, grâce à unsystème de taxes particulièrement pénalisant. Il fautsouvent plusieurs heures pour traverser Bangkok ouMexico, mais on aurait tort de croire que ce soit seu­lement le lot des mégapoles ! toutes proportions gar­dées, traverser Port-au-Prince ou Marseille est à peineplus facile à certains moments. La congestion desvoies de circulation représente un énorme gaspillageénergétique mais aussi de temps de travail. De plus,

1. Cf Pour une politique soutenable des transports. Synthèse et recom­mandations (1. 1), Enjeux et moyens (1. II), Ministère de l'Environnement(cellule prospective). La Documentation française, 1995.

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selon l'aménagement des terntOlres et la dissémina­tion de l'habitat, notamment dans les zones péri­urbaines, l'usage automobile' se développe irréversi­blement, contribuant à un modèle social de plus enplus individualisé.

B) Le cas de la France2. - Avec 35 000 km de rou­tes nationales et d'autoroutes, 30000 km de voiesferrées et 8 500 km de voies navigables, la Francepossède un réseau de transport particulièrementdense. Pour autant, le déséquilibre en faveur de laroute, d'une part, et la concentration des flux surquelques grands axes seulement, d'autre part, laisseperplexe. Par exemple, sur l'autoroute entre Paris etLille, on dénombrait, en 1998, plus de 15000 camionspar jour moyen annuel. Le probable doublement àmoyen terme d'un tel trafic conduit à s'interroger surles modes de transport alternatifs à l'automobile,alors même que l'avenir est déjà fortement engagéjusqu'en 2005 en faveur de la route, en raison desprogrammes en place concernant les infrastructureslourdes. Les corrélations avec les choix de politiqueurbaine s'imposent de plus en plus: si l'on implantedes zones d'aménagement concerté (ZAC) dans toutesles périphéries urbaines de France, on implante inévi­tablement une « civilisation du camion ».

De fait, le rail et le transport fluvial représententen 1998 respectivement 28 % et 3 % du tonnage totaltransporté, tandis que 69 % des marchandises sontacheminées par camion, alors même que, selonl'ADEME, un camion de 35 t consomme 2,5 fois plusd'énergie qu'un train complet pour 1 t de marchan­dise transportée sur 1 km! La sous-tarification du

1. Pouvant impliquer jusqu'à 3 ou 4 voitures par ménage dans lesbanlieues pavillonnaires aisées ou les zones résidentielles.

2. Cf. Les enjeux du transport combiné rail-route, publication del'Agence de l'environnement et de maîtrise de l'énergie (ADEME), CELSE,cotI. « Cibles», 1998.

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gazole, de la taxe à l'essieu et des péages incitent à lacroissance du transport routier dont le coût environ­nemental est pourtant très lourd.

2. Migrations et environnement. - Trois forcesprincipales concourent à l'actuelle mutation des struc­tures socio-économiques qui induisent de nouvellesdynamiques migratoires l

: la croissance démogra­phique planétaire et sa distribution spatiale, la géné­ralisation des rapports marchands, la révolution destechnologies et des moyens de communication. Leprocessus irréversible de l'urbanisation drainera desflux de migrants dans des milieux denses, assujettis àdes contraintes environnementales nouvelles, et pluslargement soumis à la malnutrition, l'hygiène défec­tueuse, la promiscuité, la criminalité, etc. Aux trèsfortes migrations internes vers des villes-mégapoles,s'ajoutera le poids des migrants internationaux queles mesures politico-institutionnelles contrôleront dif­ficilement. En outre, se posera le problème de larépartition spatiale des populations à terme; selonJ. Vicari2, les projections moyennes à l'horizon 2050indiquent qu'il n'y aurait plus dans les pays dits du« Nord» qu'une centaine de millions d'agriculteurspour exploiter 650 millions d'hectares de terres ara­bles, alors qu'il y en aurait 3,3 milliards au « Sud »,qui devraient se partager 800 millions d'hectares. Deplus, l'auteur estime qu'entre 2000 et 2050, au Sud,56 millions d'hectares seraient nécessaires pouraccueillir les activités économiques non agricoles etpour loger les 1,4 milliard de nouveaux habitantsdans les villes existantes, auxquels il faudrait ajouter23 millions d'hectares pour les besoins en habitat des2,4 milliards environ de nouveaux habitants attendusdans les villes à croissance informelle.

l. Cf. Les migrations. H. Domenach et M. Picouet, PUF, coll. « Quesais-je? », n° 224, 1995.

2. In Les défis de la démographie. éd. sc. L. Lassonde, La Décou­verte, 1996, p. 135.

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Au Caire, par exemple, on considère que la villecompte 13 millions d'habitants la nuit mais 16 mil­lions pendant la journée; la concentration peutatteindre jusqu'à 100 000 personnes par kilomètrecarré dans certains quartiers. L'exode rural amènechaque année un peu plus de 200000 habitants sup­plémentaires en ville: la probabilité d'y trouver dutravail est bien plus importante, le logement, les soinset l'éducation y sont bien meilleurs. Restée longtempssans plan d'urbanisme ni réseaux, la ville a connu unecroissance anarchique que l'implantation de citéssatellites périphériques n'a pas vraiment rééquilibrée.

Dans la mesure où les migrations influent sur lesdéséquilibres économiques, la pauvreté, l'accès auxservices éducatifs et sanitaires, l'usage des terres agri­coles, la reproduction sociale, etc., on conçoit que laquestion des politiques migratoires, interne et interna­tionale, préoccupe plus d'un gouvernement!

IV. - Vers une partition écologiquede la planète?

Les États-nations ne peuvent plus prétendre con­trôler seuls les gigantesques flux de capitaux et lesmarchés de consommation qui sous-tendent les dyna­miques de croissance économique, d'emploi et demigration. De même, ils ne peuvent plus résoudre demanière autonome les problèmes d'environnement.Des espaces perturbés aux espaces abandonnés, lesmutations sont profondes. L'urbanisation, les infras­tructures et les activités polluantes mettent en dangerde nombreuses espèces végétales et animales. C'esttoute une gestion «durable» des espaces, et parfoisdes espèces, qu'il convient de mettre en œuvre.

1. L'émergence de situations périlleuses. - Ellesrelèvent à la fois de la montée en puissance des ris­ques écologiques et des contraintes sociales qui les

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accompagnent. Si les changements climatiques sonteffectivement corrélés aux activités humaines, onestime que la température pourrait s'accroître de 4 oCau cours du XXI" siècle, provoquant la disparition denombreuses espèces animales et végétales, une aug­mentation de la désertification 1 et une élévation duniveau de la mer. Ces changements d'échelle des ris­ques encourus illustrent bien à quel point l'humanitéest dépendante de l'organisation de l'espace. D'aprèsles estimations des Nations Unies, 60 % de la popula­tion mondiale du début des années 90 vivait à moinsde 50 km des côtes, proportion qui devrait dépasser70 % au début des années 2000, soit une croissancede 1,5 % par an, selon l'Unesco. Plus des deux tiersde l'humanité sont donc concernés à tenne par ceschangements environnementaux, d'autant que septdes dix plus grandes agglomérations mondiales sontau bord de la mer. En Afrique, Monrovia, Abidjan,Freetown, Lomé regroupent 50 % des citadins deleurs pays, Cotonou les deux tiers et Conakry prèsde 80 %.

En Russie, la péninsule de Kola dans le GrandNord est devenue hautement radioactive; dans larégion de Mourmansk sont stockés 274 réacteursnucléaires et des milliers de tonnes de déchetsradioactifs; la baie de Vladivostok est devenue uncimetière pour sous-marins nucléaires; la région dulac Karatchaï (près de l'usine de Mayak) est entière­ment contaminée; la ville de Karabache est totale­ment polluée par les fonderies de cuivre... Les peuplesminoritaires de ces régions continuent pourtant àvivre dans ces territoires ravagés, avec parfois de mai­gres indemnisations, tandis que le gouvernementrusse envisage de modifier sa Constitution pour rece­voir du combustible nucléaire usagé de pays étran-

1. Selon l'UNICEF, les zones arides ou semi-arides couvrent, en 1999,48 milliards de kilomètres carrès, et le processus d'érosion en ajouteenviron 200000 supplémentaires par an.

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gers, la préservation de l'environnement n'étant guèredans ces conditions qu'un obstacle à un enrichisse­ment rapide. Ces exemples montrent qu'un point denon-retour a été déjà atteint dans la perturbation desécosystèmes et que certains territoires seront pure­ment et simplement condamnés à devenir des récep­tacles des déchets ingérables de notre civilisation.

En un siècle, le niveau de la mer Morte a chuté de20 m. A partir des années 1960, le détournement deseaux du Jourdain à des fins d'irrigation et le pompagedes eaux salées pour l'extraction de la potasse commefertilisant ont accéléré le phénomène. En 1997, le lac leplus bas et le plus salé de la planète (340g/l) avait unecote de 410 m en dessous du niveau moyen des mers etune profondeur maximale de 350 m. Les eaux conti­nuent de baisser d'environ 0,8 m par an l

, et il n'est passûr que le processus soit réversible, hypothéquant ainsifortement l'avenir de toute la région.

Ces exemples, qu'on pourrait multiplier à l'envi, desituations plus ou moins périlleuses à tenne donnentune idée des fortes contraintes spatiales auxquellesseront confrontées les populations du globe dans unavenir proche. L'accroissement de ces différents ris­ques et la conjonction des différents facteurs ontattiré l'attention des instances nationales et interna­tionales, qui cherchent désonnais à mettre en placedes dispositifs de protection adaptés.

2. Recomposition des territoires et aménagement. ­En 1999, on ne sait toujours pas exactement si laChine dispose de 95,5 millions d'hectares cultivables(selon le gouvernement chinois) ou bien de 140 mil­lions (selon les photos-satellite des Occidentaux) ; or,la différence détermine les usages territoriaux de plu­sieurs dizaines de millions de personnes! L'exemplede la colonisation en Amazonie brésilienne montre les

1. Cf. La Recherche, n" 313, octobre 1998.

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problèmes du développement de l'agriculture en zonemarginale: les populations rurales ne cherchent plusseulement à se nourrir mais à investir leur force detravail dans une production leur permettant d'in­tégrer la société globale; le fait qu'elles ne limitentplus leur reproduction sociale ni aux champs clos deleurs terroirs, ni à la seule production agricole,impose que soient révisées les notions d'espace de vieet que l'on porte une attention particulière à la distri­bution spatiale des populations!.

Les prévisibles concentrations urbaines auront-ellespour corollaire de forts déséquilibres spatiaux, voiredes déserts ruraux? Dans le cône sud de l'Amériquelatine, par exemple, notamment en Argentine, Chili etUruguay, l'urbanisation a toujours été prépondérantedu fait du système latifundiste privilégiant les grandsdomaines d'élevage; il en résulte que ces trois pays ontune capitale qui concentre environ 35 % de leur popu­lation totale, alors même que de gigantesques espacespériphériques restent vides alentour. A l'inverse, auVietnam, où la tradition rurale est très forte, la faibleconcentration de population urbaine (25 % environ)pose de sérieux problèmes de coûts d'équipements col­lectifs. En France, la déruralisation de territoires déjàéquipés pose le problème de la fixation des popula­tions et des activités économiques existantes, mises àmal par les processus de concentration et de grandedistribution. Ainsi, un aménagement équilibré des ter­ritoires, avec des concentrations de population modé­rées mais bien réparties, pourrait offrir des solutionsd'avenir à la dérégulation environnementale.

La population côtière du bassin méditerranéen adoublé entre 1950 et 1995. En Algérie, le ruban côtierqui représente 2 % du territoire national héberge plusde 40 % des habitants. Des concentrations sur les

1. De nouveaux outils, tels que les systèmes d'information gèogra­phique, autorisent maintenant d'excelIentes analyses démo-spatiales.

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milieux naturels littoraux, résulte une pression anthro­pique accrue tant par l'intensification d'usages anciensque par l'apparition d'usages nouveaux: pêche, agri­culture élevage industrie, loisirs, tourisme, piscicul­ture, crevetticulture, ostréiculture, salines, foresterie ...Par exemple, bien que ne représentant que le tiers duterritoire national, le littoral sénégalais renferme lapresque totalité des activités économiques et les troisquarts de la population du pays; la pêche a multipliésa production artisanale par 15 depuis le courant desannées 50 ; le tourisme a multiplié par 5 sa capacitéd'accueil et par 10 ses recettes brutes entre 1974et 1994. Les régions côtières, qui constituent aujour­d'hui des milieux fortement attractifs, concentrent surun espace exigu un nombre croissant d'activités. Il enrésulte une multiplication des risques environnemen­taux et sociaux.

3. Les aires protégées: une fausse solution? - Lemonde disposait en 1998 de 9,3 millions de kilomètrescarrés d'aires protégées, soit 7 % des terres émergées,correspondant à un doublement de la surface de­puis 1970, selon le World Conservation MonitoringCenter, situé à Cambridge. Mais qu'entend-on par« aires protégées»? L'agrégation simple de tous lessites sous protection juridique recouvre évidemmentdes réalités bien différentes. Les normes actuelles dela conservation internationale résultent du concept de« réserve» qui consiste à sauvegarder des zones pré­sentant un intérêt écologique particulier en limitantles interférences humaines. Or, les populations localesn'acceptent pas aisément d'être privées d'utiliser deszones disposant souvent d'un potentiel économiquenon négligeable, rejetant ainsi une vision occidentalefortement dichotomisée entre l'exploitation et laconservation. Toutefois, des stratégies nouvellesapparaissent: en Afrique du Sud, la société Cons­corp. a pris entente avec des propriétaires terriens

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pour rendre à leur état originel plusieurs milliersd'hectares de terre arable, et y réintroduire la faunesauvage. L'hectare qui rapportait de 25 à 70 $ par anen exploitation agricole, rapportera de 2 à 300 $ enexploitation cynégétique et touristique.

L'exploitation de l'environnement devrait répondreà des critères de valorisation. Or, on observe plutôtune montée en puissance du concept d'« éco­certification» qui tend à créer un processus de com­pensation par la mise en place de réserves permettantde légitimer toutes sortes d'exactions provoquées parles besoins du profit économique, sans se préoccuperni du sort des populations, ni finalement de celui del'environnement. Se pose ainsi la question du patri­moine planétaire, propriété du « peuple de la Terre »,concept qui n'a pas encore vraiment émergé. De fait,les conflits d'appropriation de l'espace recouvrentainsi de sévères affrontements entre puissances écono­miques, tandis que diverses associations écologiquescomme le WWF (Fonds mondial pour la nature) ten­tent de s'interposer en valorisant la création de ré­serves, ce qui renvoie par ailleurs au problème del'exclusion des populations locales indigènes.

Seul exemple au monde d'un milieu ayant faitl'objet d'un protocole international destiné à en assu­rer la protection, l'Antarctique a été déclaré «Terrede science » en 1991.

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Chapitre VI

QUELLES POLITIQUESPOUR L'AVENIR ?

Un gouvernement de la planète capable de satis­faire les besoins essentiels des hommes tout en préser­vant à la fois les ressources qu'ils utilisent et les droitsfondamentaux des personnes: telle pourrait être lafinalité d'une politique idéale entre l'humanité et sonenvironnement, dont notre monde cloisonné et inégalparaît encore bien éloigné !

Il s'avère difficile de concilier les politiques desnations avec les objectifs planétaires revendiqués lorsdes grandes conférences internationales. L'adoptionde l' « Agenda 21 », à Rio de Janeiro en 1992 lors dela conférence mondiale de la Terre, illustrait pour lapremière fois une volonté institutionnelle internatio­nalisée de prendre en compte à la fois la précaritéhumaine et la précarité écologique, en les associantdans le concept de « développement durable », mar­quant ainsi clairement que si la croissance écono­mique restait une condition nécessaire, elle n'étaitplus suffisante.

Ce document de quelque 800 pages traitait de lapauvreté, de la croissance démographique, de l'iné­galité de l'accès aux ressources, de la modification dessystèmes de production agricoles, de la nécessaireprotection de l'atmosphère, de l'eau, de la forêt, etc.Dans son chapitre V, consacré à la population, il for-

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mulait notamment des propoSitions concernant lesgrandes lignes des politiques nationales à suivre enmatière d'environnement et de développement enrelation avec les dynamiques démographiques.

La suite a montré que, en dépit de son succèsmédiatique, ce plan d'action a rencontré de très sérieu­ses difficultés d'application, dans la mesure où les poli­tiques étatiques ont largement continué à privilégierla croissance économique, n'accordant qu'un intérêtconjoncturel à la protection de l'environnement, selonl'urgence des pollutions ou la pression politique desécologistes, et sans que les mesures prises n'aient fina­lement beaucoup de cohérence entre elles.

Dans un contexte planétaire où la richesse des uns,tout autant que l'extrême pauvreté des autres consti­tuent de graves menaces pour l'environnement, quel­les peuvent être les politiques à mener pour surmon­ter les antagonismes entre la satisfaction des besoinsprimaires de nombreux pays du Sud et la surconsom­mation de certains pays du Nord, entre les acteursdes pollutions et ceux qui les subissent, entre politiqueéconomique et gouvernance écologique?

C'est un ensemble complexe d'interactions denature économique, sociale, écologique et politiqueque les États doivent désormais arbitrer de manièrecohérente à différentes échelles institutionnelles: ré­gionale, nationale, planétaire... soit, en d'autres ter­mes, la recherche d'une articulation interscalaire despolitiques globales nécessairement technocratiques,avec les politiques locales, qui supposent l'implicationdes sociétés concernées.

1. - Société et environnement

1. L'expression politique de la relation population­environnement. - On peut distinguer plusieursniveaux d'expression:

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A) A travers les références idéologiques. - Le sen­timent du risque écologique et la nécessité d'un déve­loppement durable sont très inégalement partagés.Luc Ferry, dans son ouvrage Le nouvel ordre écolo­gique'; renvoyait dos à dos les anthropocentristes,dont la référence est l'homme et sa maîtrise dumonde, et les biocentristes, qui, dans leur visionholistique du vivant, mettent sur un pied d'égalité leshommes et les arbres. Le philosophe tentait d'alerterl'opinion contre un écologisme trop fondamentaliste,susceptible de légitimer un antihumanisme, les bio­centristes allant jusqu'à prôner une diminution consi­dérable de la population, une production agricole laplus faible possible et le retour aux activités de cueil­lette! Mais, à l'inverse, il mettait également en gardecontre les anthropocentristes adeptes des préceptesde l'économie néo-classique avec une libéralisationtotale des marchés équilibrant l'offre et la demande,la pénurie et l'abondance. Bien qu'utopistes etextrêmes, ces positions ont pourtant largementalimenté certaines polémiques politico-écologistes,constituant ainsi une sorte d'effet pervers de la prisede conscience des contraintes environnementales,parce qu'elles ont conduit à une relative proliféra­tion d'organisations et associations variées, allantdes fondamentalistes activistes aux simples militantsd'une meilleure qualité de vie, soit une sorte d' « hy­permarché environnementaliste », où se diluent lesresponsabilités, s'éparpillent les financements, ets'émiettent les actions publiques de médiation".Depuis les années 80, le vote écologiste dans les paysoccidentaux, et en France particulièrement, marqueune nette et constante progression. Conjointement,

1. Cf. L. Ferry, Le nouvel ordre écologique. L'arbre. l'animal.l'homme, Grasset. 1992, 275 p.

2. Cf. M. Pouyllau, Environnement et gouvernance: mariage deraison pu concubinage forcé, in Regards sur les politiques de développe­ment. Editions L'Harmattan, 1997, p. 283-327.

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les programmes politiques, qu'ils soient dirigistes oulibéraux, ont tous intégré de manière sensible despréoccupations environnementales.

B) A travers le phénomène associatif. - La pres­sion sociale en faveur de la prise en compte del'environnement s'est cependant organisée pour sefaire entendre et parfois pallier les insuffisances et leslenteurs des pouvoirs publics. Ces associations appa­raissent souvent sur un mode défensif à l'occasiond'un problème environnemental particulier, mais, deplus en plus, elles s'intéressent aux actions pluridi­mensionnelles à moyen et long terme, et tendent ainsià devenir de véritables partenaires dans l'élaborationet la mise en place des politiques environnementaleslocales.

En France, depuis le décret du 7 juillet 1977, uneprocédure d'agrément donne aux associations dedéfense de l'environnement des pouvoirs juridiques;à compter de cette date, les associations à fortecapacité de mobilisation, considérées comme étantles mieux placées pour permettre une meilleure miseen œuvre des décisions de l'État, ont été instituéescomme des partenaires officiels de la politiquepublique. Il en existe actuellement 116, nationale­ment agréées au titre de la protection de l'en­vironnement. Avec la décentralisation et le retrait del'État dans les domaines de l'aménagement et del'action urbaine, ce mouvement se renforce, en parti­culier au niveau local; on observe actuellement laprolifération de nouvelles alliances et démarches par­tenariales entre les associations et les institutions àtous les niveaux de la vie locale (région, dépar­tement, municipalité). En 1999, on relevait ainsi1 715 associations régionales et locales agréées par leministère de l'Aménagement du territoire et del'Environnement.

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Principales ONG dans le domaine de l'environnementet nombre d'adhérents en 1998

En France.-- Fondation Cousteau: 80000 adhérents;- France-Nature-Environnement : 850000 adhérents.

Aux États-Unis .-

- National Wildlife Federation: 4000000 d'adhérents;- The Nature Conservancy : 900000 adhérents;- Environmental Defense Fund : 300 000 adhérents;- Sierra Club: 500 000 adhérents.

Internationales .-

- Greenpeace: 3000 000 d'adhérents;-- World Wildlife Fund : 4 700 000 adhérents.

C) A travers l'évolution des modes de consommation.- Les Européens sont prêts à 78 % (Eurobaromètre,1998) à acheter des produits respectant l'environ­nement, et cela, même s'ils sont plus chers. Si l'onconsidère que le choix d'un « produit vert» est unindicateur de conscience écologique, on peut considé­rer que la prise en compte de l'environnement devientaussi de nos jours déterminante dans nos modes deconsommation, sachant qu'au final les modes deconsommation déterminent les modes de production.On observe actuellement une véritable émergence duphénomène de « marketing vert», les stratégiesd'entreprises devant intégrer à la fois l'évolution deslégislations protectionnistes et l'opinion publique,pour s'adapter à ce nouveau contexte; on commencemême à considérer l'environnement comme une forceindustrialisante.

2. QueUes mesures en faveur de la qualité de la vie?- Dans les sociétés pourvues de l'essentiel, la qualitéde l'environnement tend ainsi à devenir une revendi­cation structurelle. La qualité de l'air, de l'eau, desaliments consommés, ainsi que la prise en compte desrisques divers, notamment nucléaire, ont, par leur

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résonance sur l'opinion, un impact fort sur les politi­ques concernant la santé des populations. Les gouver­nements occidentaux y sont très sensibles, et la créa­tion, dans la plupart d'entre eux, d'un ministèrechargé de l'environnement répond souvent plus à unepréoccupation sur les risques majeurs contre la santéqu'à la préservation des ressources.

En revanche, dans nombre de pays du Sud, lanotion de qualité concerne d'abord la lutte contre lamalnutrition, et éventuellement la qualité des ressour­ces et des produits alimentaires, mais essentiellementdans le but d'éradiquer toutes les pathologies asso­ciées à la faim et à la malnutrition. La prévention durisque environnemental coûtant cher, l'intervention sefait le plus souvent ponctuellement et selon la gravitédu problème: par exemple, la qualité des eaux d'ir­rigation ne sera vérifiée qu'en cas d'épidémie grave(typhoïde, choléra, dysenteries...). Or la qualité de vieest un tout et ce n'est qu'en envisageant la politiquede développement à un niveau local que peuvent luiêtre associée tous les facteurs déterminants sur lasanté et l'alimentation, sur la préservation et la qua­lité des ressources. Comprendre les stratégies familia­les qui sont à la source des actions sur l'environ­nement, soutenir par des mesures publiques localesbien ciblées celles qui évoluent vers sa préservation,constituent des politiques susceptibles de promouvoirun développement durable.

A) Agir au niveau local. - Les stratégies familia­les résultent d'une confrontation entre les logiquesdes divers acteurs: individus, familles, communautésvillageoises, institutions locales, services de l'État ouorganisations non gouvernementales, etc. Elles chan­gent sous la pression d'événements qui peuvent êtreaussi bien de nature démographique (croissance oudécroissance de la population), qu'économique (nou­velles opportunités économiques ou crises), politique

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(insécurité liée à des conflits, délabrement des pou­voirs publics, etc.) ou écologique. Cette confronta­tion trouve aujourd'hui son expression dans lanotion de gouvernance l qui met l'accent sur la capa­cité des populations, organisées en sous-systèmes etréseaux de toutes sortes, à résister aux injonctionsdes gouvernements2•

B) Revoir les politiques de distribution spatiale. ­En milieu rural, si les systèmes d'exploitation agricolerestent les principaux médiateurs entre l'homme et sonenvironnement pour une large partie de la planète, lesmobilités et les migrations par leur rôle de substitutionaux activités agricoles rendent cependant les popula­tions rurales moins dépendantes des écosystèmes danslesquels elles vivent. Les mouvements de populationne servent pas exclusivement de régulateurs, mais sontde plus en plus l'expression des stratégies familialesdes ruraux qui cherchent à optimiser l'investissementde leur force de travail. Les actions politiques peuventintégrer ces tendances, en aidant à l'organisation et àla sécurité des réseaux migratoires: une politiquemigratoire inductive, qui ne serait plus seulement axéesur le contrôle restrictif des flux, permettrait le main­tien de populations dans des zones écologiques défa­vorables à l'agriculture, bien plus facilement qu'enintroduisant, à des coûts financiers élevés, des amélio­rations aux systèmes de production agricole.

C) Promouvoir la diversification des sources de reve­nus. - Dans les sociétés occidentales, le cumul des

1. Apparue au début des années 90, cette notion partait du principeque les gouvernements n'ont plus la capacité de résoudre les grandsproblèmes planétaires nationaux et locaux du fait de la diffèrenciationet de l'automisation de plus en plus poussée des sociétés et renvoyaitl'action publique à un rôle de coordination entre les différents acteurs(R. Maynt, 1993, Governing, failures and the problem of governability,in J. Kooiman (éd.), Modern Governance, Londres, Sage).

2. Voir, par exemple, P. Le Galès, Du gouvernement des villes à lagouvernance urbaine, Revuefrançaise de science polilique, 45. 1, p. 57-95.

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revenus au sein de la cellule familiale est devenu lanorme avec l'accès grandissant des femmes à l'emploiet le développement des activités annexes. Dans lessociétés du Sud, cette diversification des revenuspasse par une pluriactivité presque exclusivementmasculine qui crée, particulièrement dans les campa­gnes, des changements d'affectation de la force detravail, les femmes étant parfois amenées à prendreen charge l'exploitation familiale. Le développementde la pluriactivité peut donc affecter les systèmes agri­coles, par le biais des activités complémentaires quicontribuent au maintien des populations dans lescampagnes, à la réduction de l'exode rural et de lapression sur les ressources au cours des années diffici­les; de plus, par l'accroissement des échanges et lamobilité, la polyvalence du travail tend à faciliterl'intégration du monde rural aux politiques de .déve­loppement autocentrées.

D) Des libertés individuelles à prendre en compte. ­Les actions sur la migration et sur l'activité n'ont guèred'efficacité si elles ne s'attachent pas à faire évoluer lessociétés vers un consensus social où la place des libertésindividuelles est déterminante: liberté de circuler, maiségalement de se reproduire dans des conditions accep­tables par tous. Dans ce domaine, le statut de la femmeaccuse un retard considérable; les enquêtes confirmentque le nombre des naissances qu'elles souhaitent estsouvent bien inférieur à celui qu'elles ont réellement.Pauvres parmi les pauvres, les femmes de nombreuxpays ne disposent pas de la liberté de procréation qui,pourtant, serait le meilleur moyen de favoriser unrythme modéré de croissance de la population.

II. - Politiques globales et environnement

La notion de durabilité est au cœur des politiquestraitant de l'environnement. Elle implique une dé­marche prospective induite par la responsabilité de

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chaque génération d'hommes à l'égard des suivantes,le développement durable répondant à des principesde moins en moins controversés: équité territoriale etsociale concernant l'accès aux ressources, préserva­tion et protection des milieux fragiles, maintien de labiodiversité, etc. Tous les acteurs: gouvernements,société civile, individus... sont concernés, leur implica­tion dépendant de leurs niveaux de conscience decette durabilité et des antagonismes sociaux, politi­ques, territoriaux... , qu'ils soient à l'échelle macro­environnementale (confrontation Nord-Sud, etc.) oumicro-environnementale (conflits d'usage de l'es­pace, etc.). Dans ce débat, nombre de pays de l'Estou du Sud sont peu présents, subissant plutôt les ini­tiatives multiples qui sont prises à leur égard, dans uncontexte de mondialisation qui tend à les culpabili­ser: atteintes à la biodiversité, déforestation, dégra­dation des écosystèmes, dilapidation des ressourcesnaturelles, crise économique, croissance démogra­phique... Mais peut-on réduire les problèmes de laplanète à la caricature simpliste d'un monde dual oùles uns se préoccuperaient de son avenir tandis queles autres la peuplent?

1. Quel modèle de croissance économique? ­Face aux grandes organisations écologiques commeGreenpeace, les gouvernements occidentaux ont dûaffronter la pression de mouvements écologistes ren­forcés par le contexte de libéralisation intervenantdans les grandes négociations internationales. Lespays en développement voient avec inquiétude sedévelopper des normes environnementales qu'ilsjugent comme des barrières « vertes» à l'extensionde leurs marchés et accusent les pays occidentaux deprotectionnisme environnemental. Dans tous les cas,il n'a été nullement question de réviser le modèle decroissance, mais plutôt de le « verdir », en faisant del'environnement un marché où les éco-produits se

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vendent et s'achètent, où les contrevenants aux règlesédictées payent une taxe.

A) Écotaxes et compétitivité. - L'écotaxe est uneextension du principe « pollueur-payeur» déjà enplace dans la plupart des pays occidentaux et en parti­culier en France. Mais ce principe, en raison de la dif­ficulté de repérage des pollutions et de la preuve de lacause de la pollution, n'a qu'une efficacité relative.L'institution d'une fiscalité verte sur certains produitset la redistribution du montant prélevé pour conforterla compétitivité de secteurs économiques moins pol­lueurs (éco-bonus) pourraient fournir, pour certainséconomistes environnementalistes, une solution plusefficace et équitable. Cette idée a fait son chemin enAllemagne, où plusieurs études l montrent qu'une taxesur les énergies fossiles et l'électricité n'aurait guèred'incidences sur la compétitivité des entreprises, tandisque, à l'inverse, des mesures compensatoires auraientdes effets positifs sur l'emploi et les revenus des ména­ges modestes. Peu de pays ont entrepris cettedémarche, car elle implique une réforme fiscale impor­tante - que les gouvernements ont toujours tendance àremettre à plus tard - et surtout la crainte d'une pertede compétitivité internationale, justifiée notammentpar les pratiques de dumping de certains pays quin'hésitent pas à brader leurs ressources, ou par la délo­calisation d'activités de production vers des paysmoins regardants sur la législation environnementale.Là encore, les pays en développement sont jugés res­ponsables. Dans leur majorité, ces pays sont effective­ment moins ambitieux sur les politiques environne­mentales, mais par ailleurs ils sont moins industrialiséset donc moins polluants, et, surtout, ils ont besoind'accéder aux marchés internationaux pour écoulerleurs produits dans des conditions acceptables.

l. Voir, par exemple: S. Bach, M. Kholhass et autres, Wirtschaft­liche Auswirkungen einer ekologischen Steuerreform, Deutsches InstitutWirtschaftsforschung, 1995.

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B) Règles internationales et environnement. - Crééaprès la seconde guerre mondiale, par et pour lesgrandes puissances, le commerce international estresté réglementé jusqu'en 1994 par les accords duGATI. Cet organisme accordait peu de place àl'environnement et la création de l'Office mondial ducommerce (OMC), en conclusion de l'Uruguay Roundde Marrakech en 1994, avait pour objectif de corrigercette défaillance en apportant au système internatio­nal du commerce des modifications propres à favori­ser les mesures environnementales et le développe­ment durable. Cette initiative n'a pas débouché surune nouvelle donne du commerce international. Boy­cotté même par certains pays, l'OMC a du mal à faireadmettre la légitimité des normes sur les procédés deproduction ou sur un label écologique. De plus, lestraités de libre échange régionaux tels l'accord nord­américain de l'ALENA, du MERCOSUR pour les pays duCône sud latino-américain, ou auparavant la Conven­tion de Lomé de 1975 entre la Communauté euro­péenne et 46 États des régions Afrique-Caraïbes­Pacifique, portent davantage sur une régulation pluséquilibrée à l'intérieur d'une zone préférentielle quesur la protection de l'environnement. La préoccupa­tion des pays en développement et leur lutte par tousles moyens contre la pauvreté et la précarité de leurspopulations est compréhensible, mais cette situationserait-elle un obstacle à la préservation de l'environ­nement si par ailleurs un peu plus d'équité étaitassurée aux transferts financiers et technologiques, àl'accès aux marchés internationaux à leur égard?

A tous les niveaux d'interventions (local, national,planétaire), les principes des politiques de demainsont en place. Ils reçoivent cependant peu d'appli­cations. Depuis la Conférence de Rio de 1992, lesÉtats ont signé des accords et des traités, qui ne sontrespectés que pour autant que la croissance écono­mique et la compétitivité internationale ne soient pas

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remises en cause. La croissance démographique sertsouvent d'excuse commode pour stigmatiser leséchecs des pays en développement, leur dérive écono­mique et environnementale, leur incapacité à pro­mouvoir un développement durable. En fait, on serend compte que le facteur démographique est un élé­ment bien moins déterminant du développementdurable que les enjeux commerciaux, et que dans cesconditions, il faudra de longues années pour mettreen place des politiques environnementales de grandeenvergure.

Critiquant le principe de libre échange commemoyen d'atteindre le développement durable, PaulEkins 1 préconisait à ce sujet une révision complète ducommerce international en proposant notamment:

« d'identifier les pratiques, sources de dommagesenvironnementaux et de distorsions commerciales(comme les subventions aux intrants en agricul­ture) et négocier leur suppression dans le cadre del'oMc;

- d'admettre que les effets environnementaux desprocédés et méthodes de production peuvent justi­fier des restrictions commerciales;

- d'éviter que la protection de l'environnementconduise à adopter des mesures commerciales dis­criminatoires vis-à-vis des produits et producteursétrangers;d'établir des mécanismes financiers d'aide auxpays pauvres pour appliquer les normes minimalesaux produits les plus néfastes à l'environ­nement, etc. »

La solidarité intergénérationnelle ne saurait cepen­dant se réduire à une simple régulation des marchésinternationaux, mais à moins d'une évolution pro-

1. Cf. P. Ekins, Trading off the Future: Making World Trade Envi­ronmentally Sustainable, Londres, News Economies Fondation, 1993.

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fonde des modes de production et de consommationde nos sociétés, c'est sans doute elle qui déterminerale degré de richesse ou de pauvreté de notre descen­dance dans une nature dégradée ou préservée.

2. Dualité et antagonisme Nord-Sud. - Il fautprendre en compte le fait que la majorité des étudessur le thème population et environnement est concen­trée sur des zones à la marge! des milieux urbains,c'est-à-dire hors des grandes concentrations de popu­lation et des zones de production intensive. Al'évidence, les bailleurs de fonds orientent largementles financements de la recherche environnementaledans ce sens, ce qui conduit à s'interroger surl'existence d'une volonté politique pour que la problé­matique environnementale ne perturbe pas les pro­cessus économiques: veut-on créer une dualité del'espace en dédiant les zones à la marge de l'économiemondiale à l'environnement protégé, pour compenseret permettre la survie d'un modèle économique basésur la surconsommation et la prédation? Que signifiele «développement durable» dans ces conditions deprédétermination de zones «écologiquement correc­tes» pour l'attribution d'aides internationales auxpopulations défavorisées tout en minimisant l'im­portance des études consacrées aux analyses causalesdes dégradations à l'échelle globale, planétaire?

L'inégalité de développement entre les pays occi­dentaux et le reste de la planète est longtemps restéefondée sur une dualité antagonique que les pays« émergents» (Brésil, Thaïlande, Inde, etc.) remettentprogressivement en question. On sait que la transitiondémographique est en cours dans la plupart des paysdu Sud et on estime également qu'au rythme actuel,les pays du Sud produiront 60 % de la richesse mon­diale vers 2010 et représenteront 40 % des marchés

1. Au sens de « peu ou pas intégré au marché ».

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d'investissement l. L'antagonisme est ici essentielle­

ment économique et peut être faut-il y voir une cer­taine crainte des pays du Nord face à une viveconcurrence potentielle de la part de ces nouveauxriches à terme?

Cette redistribution du pouvoir économique a desconséquences importantes dans le domaine environ­nemental et porte sur le dilemme suivant: approxi­mativement 20 % de la population mondiale (paysriches) contribuent actuellement à 80 % de la pollu­tion totale de la planète, tandis que les 80 % restantsde la population mondiale (pays pauvres et émer­gents) s'échinent à rattraper et à adopter le modèle decroissance de la minorité des «grands pollueurs»!En supposant qu'ils réussissent, la charge polluanteserait telle que la planète en serait asphyxiée... Uneseule voie semble donc être possible: revoir le modèlede croissance de l'Occident en s'appuyant sur ce quepourraient induire les gouvernements de demain: uneglobalisation qui ne soit pas seulement économique,mais également sociale et environnementale.

l. Cf. L. Tubiana. Courrier de la planète, n° 26, 1995.

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CONCLUSION

La pression anthropique affecte dorénavant labiosphère tout entière à travers les évolutions des bio­cénoses, des biotopes et des climats. Par-delà les pro­blèmes d'environnement, se profile la question cen­trale des niveaux de solidarité socio-institutionnelleentre les peuples, mise à mal par le cycle infernal dela croissance et du productivisme.

Si, en 1970, le monde craignait de ne pas pouvoirnourrir une population en croissance rapide, enl'an 2000 l'humanité commence à s'interroger sur lesconditions de survie de son espèce et sur sa placedans l'économie de la nature. La révolution technolo­gique nous a doté d'outils tellement puissants quenous pouvons transformer notre environnement trèsrapidement mais aussi irréversiblement. Toute laquestion est de savoir si nous serons capables de maέtriser ces outils pour que notre espèce puisse s'adap­ter - et donc survivre - aux changements environne­mentaux que nous induisons.

La croissance démographique n'est que l'une descauses de l'exploitation accrue des ressources dispo­nibles et n'est pas nécessairement le facteur le plusdéterminant de la dégradation de l'environnement.Les baisses de la fécondité et de la croissance natu­relle s'accélèrent et la question n'est plus tant d'en­diguer une croissance démographique incontrôlée,que de promouvoir des politiques de développementqui assurent aux populations une amélioration subs­tantielle de leurs conditions de vie et un développe­ment humain et social de qualité. Si l'on suit ce

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raisonnement, la valorisation de l'environnement soustoutes ses formes ne serait alors plus qu'une résul­tante parmi d'autres des améliorations sociétales:éducation, santé, protection de la chaîne alimentaire,aménagement des territoires...

Mais, pour l'heure, les sociétés pauvres sont vic­times de la dégradation environnementale bien avantd'en être les acteurs. Un Nord malade de sa crois­sance économique, un Sud prêt à tout pour survivre...telle pourrait être la caricature binaire de la situationplanétaire actuelle, s'il n'y avait un certain nombre depays émergents et de mutations en cours, qui restentporteuses d'espoir. Les conventions internationalessur le thème des relations population-environnementreprésentent un embryon d'action planétaire com­mune; on en prendra pour preuve l'adoption récentedu principe de précaution, selon lequel il n'est plusindispensable d'avoir réuni toutes les preuves scienti­fiques d'un processus de nuisance, pour pouvoirprendre des mesures concrètes en matière de pro­tection de l'environnement, des espèces et des écosys­tèmes. Peut-être s'agit-il là des premiers pas du peuplede la Terre, finalement soucieux de la préservation deson patrimoine!

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BIBLIOGRAPHIE

Chasteland (J.-C) et Chesnais (J.-C), La population du monde, enjeuxet problèmes, PUF-INED, cahier n° 139, 1997, 630 p.

Dictionnaire de l'écologie. Encyclopœdia Universalis, Albin Michel, 1999,1398 p.

Institut français de l'environnement (IFEN), L'environnement en France,La Découverte, 1998, 480 p.

lollivet (M.) (sous la dir. de), Sciences de la nature, sciences de lasociétè, CNRS Éditions, 1992, 589 p. ,

Ripa di Meana (C), Adieu la Terre, Les Editions de l'Environnement,1993, 264 p.

Revues:

- Le courrier de la planète;- La Hulolle ;- Décision Environnement;- Greenpeace.

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction 3

Chapitre 1 - L'état de la planète 71. La population de la planéte, 8 - II. L'en­vironnement, 13.

Chapitre II - Écologie et démographie 211. De l'écologie et de la démographie, 22 - II. Entrescience et doctrines, 24 - III. Du global au sectoriel :une formalisation hésitante, 33.

Chapitre III - La terre, la forêt, l'eau et l'homme 381. Terres et pratiques agricoles, 39 - II. La forêt est-elle menacèe par le nombre des hommes ?, 44 - III. Lefacteur décisif: l'eau, 51.

Chapitre IV - Pollutions, mutations et santé, vivrons-nous mieux demain? 611. La diversité biologique et le devenir des espèces, 61- II. Les hommes, les déchets et les pollutions, 72 -III. L'environnement et la santé, 82 - IV. La sécuritéalimentaire, 87.

Chapitre V - Les espaces du futur 911. Vers un monde de citadins, 92 -II. Choix énergé-tiques et usages des territoires, 97 - III. La mobilitéfuture et les distributions spatiales de population, 99 -IV. Vers une partition écologique de la planéte'1, 103.

Chapitre VI - Quelles politiques pour l'avenir? 1091. Société et environnement, 110 - II. Politiques glo-bales et environnement, 116.

Conclusion 123

Bibliographie 125

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BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE« QUE SAIS-JE?»

Les migrations, no' 224L'eau no' 266La p;llution des eaux, n° 983La pollution des mers, n° 1555La croissance urbaine, n° 1843Les déchets et leur traitement, n° 1946Énergie, environnement et urbanisme durable, n° 2044La démographie, n° 2546La défense de l'environnement en France, n" 2662L'aménagement urbain, n° 2664L'environnement, n" 2667Les nouvelles politiques urbaines, n" 2839Population et développement, n" 2842Le contentieux de l'environnement, n° 2871L'écotoxicologie, n° 2931L'éthique de l'environnement et du développement, n° 2967L'environnement spatial, n° 3032Les politiques de la ville, n" 3232Les politiques forestières, n" 3335La forêt, n° 3464La population mondiale au xX" siécle, n° 3509

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Imprimé en FranceImprimerie des Presses Universitaires de France

73, avenue Ronsard, 41100 VendômeAvril 2000 - N° 47 122

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COLLECTION ENCYCLOPÉDIQUElot/ die pa r Pa,,1Ango/llvmt

hltp ://www.puf.com 22415560/041 200 0

La population de la planète compta it1 milliard d'h omm es en 1800 . 3 milliardsen 1960, e t eue se stab il isera probab le­ment aux environs de 9 milliards au milieudu siècle prochain . Celt e accélérati onprodigieuse de la croissance démogra­phique nourrit l'idee qu'elle es t " la sourcede lous les problèmes actuels.Mais l'analyse r évèle une Ires grandediv ersit é de si t ua tio ns d èrnoqraphique s.

que l'on a tend an ce à simplifieren opposant les pays du Nord et les paysdu Sud: or, la croissance demographiquen'est pas le seul facteur à agir surle d éveloppement et l'environnement.et pas nécessai rement le plus prepon ­derant. comme le mon Ire l'examendes relat ions en tre les usagersdes ressources et les popu lat ionsconce rnées .L'ouvrage présente les connaissa ncesobjectives sur l'Cial de la plan ète,indispensabl es pour comprendrela complexite de ces inte rrelationsel pour pouvoir sc préoccuperdu patri moine plan etaire.

Hervé Oomenach et Michel Picouetsont directeurs de recherche, laboratoirePoputat ion- Envir onnement. (Unive:rsitl:.de Provence cl IRD) .

1111111111111111111111119 782130 505075

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3501 GandhiR. OElIÈ GE

350 2 Science el communi calion1 CARAÇA

350 3 Les respons abil itè sdes jurid ict ionsF. SARDA

3504 lnternet el le droitA.-R. BERTRAND el T. PIÈTÉ- C OUDOl

3505 L'Assis lance publique ­hôpitaux de ParisM. DUPONT el F. SALAUN

3506 Lcs mesures de la qua lit" de vicA. LEPlÈGE

3507 La crise des banlieuesl-M. STÈSÈ