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Conformément à la loi du 30 juin 1994, modifiée par la loi du 22 mai 2005, sur le droit d'auteur, toute reproduction partielle ou totale du contenu de cet ouvrage –par quelque moyen que ce soit– est formellement interdite. Toute citation ne peut être autorisée que par l'auteur et l’éditeur. La demande doit être adressée exclusivement aux Presses Universitaires de Bruxelles a.s.b.l., avenue Paul Héger 42, 1000 Bruxelles, Tél. : 02-649 97 80 – Fax : 02-647 79 62 – Http//:www.ulb.ac.be/pub – E-mail : [email protected] PRESSES UNIVERSITAIRES DE BRUXELLES UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Histoire des Temps modernes Bruno BERNARD Chargé de cours D/2015/0098/126 6e édition – Tirage 2015-16/1 HIST-B-110_Z HIST-B-_Z$ En application de l’article 23 du Décret du 31 mars 2004, l’auteur consent à mettre son support de cours obligatoire à la disposition des étudiants régulièrement inscrits. Toute reproduction, communication au public, commercialisation ou autre forme d’exploitation de ce fascicule est interdite et pourra faire l’objet de poursuites disciplinaires, civiles et/ou pénales, conformément à la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, à moins qu’il s’agisse d’une reproduction effectuée par un étudiant régulièrement inscrit, dans le cadre de son usage strictement privé d’étudiant, qui ne porte pas préjudice à l’exploitation normale de l’oeuvre. Toute citation doit mentionner le nom de l’auteur et la source. Tél. : 02-649 97 80 – Fax : 02-647 79 62 – Http://www.ulb.ac.be/pub – E-mail : sdeconni@ulb.ac.be

HIST-B-110 Z (2015-2016) - de l'ulb asbl · Jonathan I. ISRAËL, Les Lumières radicales : la philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (1650-1750), (trad. de l’anglais),

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Conformément à la loi du 30 juin 1994, modifiée par la loi du 22 mai 2005, sur le droit d'auteur, toute reproduction partielle ou totale du contenu de cet ouvrage –par quelque moyen que ce soit– est formellement interdite. Toute citation ne peut être autorisée que par l'auteur et l’éditeur. La demande doit être adressée exclusivement

aux Presses Universitaires de Bruxelles a.s.b.l., avenue Paul Héger 42, 1000 Bruxelles, Tél. : 02-649 97 80 – Fax : 02-647 79 62 – Http//:www.ulb.ac.be/pub – E-mail : [email protected]

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Histoire des Temps modernes

Bruno BERNARD Chargé de cours

D/2015/0098/126 6e édition – Tirage 2015-16/1 HIST-B-110_Z

HIST-B-_Z$ En application de l’article 23 du Décret du 31 mars 2004, l’auteur consent à mettre son support de cours obligatoire

à la disposition des étudiants régulièrement inscrits. Toute reproduction, communication au public, commercialisation ou autre forme d’exploitation de ce fascicule est interdite et pourra faire l’objet de poursuites disciplinaires, civiles et/ou pénales, conformément à la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins,

à moins qu’il s’agisse d’une reproduction effectuée par un étudiant régulièrement inscrit, dans le cadre de son usage strictement privé d’étudiant, qui ne porte pas préjudice à l’exploitation normale de l’oeuvre.

Toute citation doit mentionner le nom de l’auteur et la source.Tél. : 02-649 97 80 – Fax : 02-647 79 62 – Http://www.ulb.ac.be/pub – E-mail : [email protected]

« C’est l’usage que l’homme fait de la Science qui peut être fautif et non la

Science elle-même. »

Frans van den Dungen (1898-1965) Professeur à l’ULB ; recteur en 1941, il s’oppose publiquement aux nazis par la fermeture de l’ULB et participe aux cours clandestins.

Le label FSC : la garantie d’une gestion responsable des forêtsLes Presses Universitaires de Bruxelles s’engagent !

Les P.U.B. impriment depuis de nombreuses années les syllabus sur du papier recyclé. Les différences de qualité constatées au niveau des papiers recyclés ont cependant poussé les P.U.B. à se tourner vers un papier de meilleure qualité et surtout porteur du label FSC.

Sensibles aux objectifs du FSC et soucieuses d’adopter une démarche responsable, les P.U.B. se sont conformé aux exigences du FSC et ont obtenu en avril 2010 la certification FSC (n° de certificat COC spécifique aux P.U.B. : CU-COC-809718-HA).

Seule l’obtention de ce certificat autorise les P.U.B. à utiliser le label FSC selon des règles strictes. Fortes de leur engagement en faveur de la gestion durable des forêts, les P.U.B. souhaitent dorénavant imprimer tous les syllabus sur du papier certifié FSC. Le label FSC repris sur les syllabus vous en donnera la garantie.

Qu’est-ce que le FSC ?FSC signifie “Forest Stewardship Council” ou “Conseil de bonne gestion forestière”. Il s’agit d’une organisation internationale, non gouvernementale, à but non lucratif qui a pour mission de promouvoir dans le monde une gestion responsable et durable des forêts. Se basant sur dix principes et critères généraux, le FSC veille à travers la certification des forêts au respect des exigences sociales, écologiques et économiques très poussées sur le plan de la gestion forestière.

Quelles garanties ?Le système FSC repose également sur la traçabilité du produit depuis la forêt certifiée dont il est issu jusqu’au consommateur final. Cette traçabilité est assurée par le contrôle de chaque maillon de la chaîne de commercialisation/transformation du produit (Chaîne de Contrôle : Chain of Custody – COC). Dans le cas du papier et afin de garantir cette traçabilité, aussi bien le producteur de pâte à papier que le fabricant de papier, le grossiste et l’imprimeur doivent être contrôlés. Ces contrôles sont effectués par des organismes de certification indépendants.

Le label FSC apposé sur des produits en papier ou en bois apporte la garan-tie que ceux-ci proviennent de forêts gérées selon les principes et critères FSC.

® FSC A.C. FSC-SECR-0045

FSC, le label du bois et du papier responsable

Plus d’informations ? www.fsc.beA la recherche de produits FSC ? www.jecherchedufsc.be

Cette page d’information n’est pas comptée dans le prix du syllabus.

Les 10 principes et critères du FSC 1. L’aménagement forestier doit respecter les lois nationales,

les traités internationaux et les principes et critères du FSC.2. La sécurité foncière et les droits d’usage à long terme sur

les terres et les ressources forestières doivent être claire-ment définis, documentés et légalement établis.

3. Les droits légaux et coutumiers des peuples indigènes à la propriété, à l’usage et à la gestion de leurs territoires et de leurs ressources doivent être reconnus et respectés.

4. La gestion forestière doit maintenir ou améliorer le bien-être social et économique à long terme des travailleurs fo-restiers et des communautés locales.

5. La gestion forestière doit encourager l’utilisation efficace des multiples produits et services de la forêt pour en ga-rantir la viabilité économique ainsi qu’une large variété de prestations environnementales et sociales.

6. Les fonctions écologiques et la diversité biologique de la forêt doivent être protégées.

7. Un plan d’aménagement doit être écrit et mis en œuvre. Il doit clairement indiquer les objectifs poursuivis et les moyens d’y parvenir.

8. Un suivi doit être effectué afin d’évaluer les impacts de la gestion forestière.

9. Les forêts à haute valeur pour la conservation doivent être maintenues (par ex : les forêts dont la richesse biologique est exceptionnelle ou qui présentent un intérêt culturel ou religieux important). La gestion de ces forêts doit toujours être fondée sur un principe de précaution.

10. Les plantations doivent compléter les forêts naturelles, mais ne peuvent pas les remplacer. Elles doivent réduire la pression exercée sur les forêts naturelles et promouvoir leur restauration et leur conservation. Les principes de 1 à 9 s’appliquent également aux plantations.

Votre aVis compte !

u n i v e r s i t é l i b r e d e b r u x e l l e s

Évaluation des enseignements

dès le quadrimestre terminé,évaluez vos enseignements

pour :⇢ Donner une rétroaction à vos enseignants⇢ proposer des améliorations⇢ participer à l’évolution des enseignements⇢ Valoriser les activités d’enseignement

4 www.ulb.be/enseignements/evaluation

une évaluationà plusieurs dimensions

portant sur :⇢ La prestation des enseignants⇢ L’organisation de l’enseignement⇢ Le déroulement des séances⇢ L’évaluation des apprentissages (examens)

L’évaluation institutionnelle des enseignements est organisée par l’ULB.elle a lieu dès que les enseignements sont terminés.elle se déroule en deux campagnes d’enquête en ligneaprès les sessions de janvier et de juin.

L’étudiant répond anonymement à un questionnaire pour chaque enseignement auquel il a participé. chaque questionnaire est analysé et les résultats sont envoyés aux enseignants et à la commission pédagogique facultaire.

Les étudiants et les enseignants ont l’obligation de participer aux évaluations.

BERNARD Bruno Histoire des civilisations : Temps modernes

HIST-B-110_Z PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles I

POURQUOI CE COURS ?

Il s’agit, pour l’essentiel, de montrer et d’expliquer en quoi les Temps modernes, qui

s’étendent de la seconde moitié du XVe au début du XIXe siècle, et consacrent la maîtrise

croissante de l’homme sur le monde et sur son propre destin, ont préparé (notamment à

travers une plus grande valorisation du travail et du profit, ainsi que du bonheur et de la

liberté individuelle), l’avènement du libéralisme et de la démocratie parlementaire, de la

société largement laïcisée dans laquelle nous vivons, ainsi que d’une nouvelle anthropologie,

individualisée et de plus en plus dégagée des préjugés religieux, culturels et raciaux.

Le cours s’articulera donc autour des principaux traits de civilisation de la période, qu’il s’agit

de comprendre dans sa singularité, et non de juger.

J’attirerai particulièrement l’attention sur un certain nombre de tensions présentes en

permanence au sein de nos sociétés. Notamment celle entre une vision rationnelle, laïque et

plutôt optimiste de l’homme et de son action sur le monde (qu’expriment bien par exemple

la pensée humaniste, certains courants de la Réforme, ou encore les Lumières), et une vision

plus sentimentale et souvent aussi plus pessimiste (que l’on retrouve notamment dans les

mouvements dévots de la période baroque, dans le jansénisme, ou encore dans le

romantisme, qui naît dans le dernier quart du XVIIIe siècle).

Je m’appuierai régulièrement sur le commentaire d’œuvres particulièrement représentatives

des courants de pensée et des traits de mentalité propres aux différentes générations qui se

sont succédé au cours des Temps modernes, qu’il s’agisse d’ouvrages philosophiques,

politiques, littéraires ou artistiques. Ceux-ci seront naturellement traités non en fonction de

critères formels ou esthétiques, mais essentiellement eu égard à ce qu’ils révèlent en termes

de contenu idéologique.

BERNARD Bruno Histoire des civilisations : Temps modernes

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I - DICTIONNAIRES ET ATLAS

Le Petit Robert des noms propres, Paris Le Robert, 2005 (1987)1 (très pratique

pour une information succincte et rapide)

Michel MOURRE, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1996

(1968) (pour une information plus complète)

Encyclopedia Universalis, Paris, 2008 (1968) (pour une étude approfondie)

Georges DUBY, Grand atlas historique, Paris, Larousse, 2004 (1978)

II - MANUELS

Jérôme HELIE, Petit atlas historique des Temps modernes, Paris, Armand Colin,

2000 (Coll. U - Série « Petit atlas historique »)

François LEBRUN, L’Europe et le monde. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand

Colin, 2008 (1987) (Coll. U)

André CORVISIER, Précis d’histoire moderne, Paris, Presses Universitaires de

France (PUF), 1999 (1971)

Une Histoire du monde aux Temps modernes, (ouvr. coll.), Paris, Larousse,

2008

III - QUELQUES SYNTHESES THEMATIQUES

Anne-Laure ANGOULVENT, L’esprit baroque, Paris, PUF, 1994 (Coll. « Que sais-

je ? », n° 3000)

1 Entre parenthèses est indiquée la date de la première édition. Dans la plupart des cas, l’ouvrage en question a été revu et augmenté depuis lors.

BERNARD Bruno Histoire des civilisations : Temps modernes

HIST-B-110_Z PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles III

Philippe ARIES et Georges DUBY (dir.), Histoire de la vie privée, tome 3 De la

Renaissance aux Lumières (Roger CHARTIER dir.), Paris, Le Seuil, 1999 (1986)

(Coll. « Points Histoire », n° 262)

Fernand BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme. XVe-XVIIIe

siècle, 3 tomes, Paris, Le Livre de Poche, 1993 (1979) (Coll. « Références »)

Peter BURKE, La Renaissance européenne, Paris, Le Seuil, 2002 (2000) (Coll.

« Points Histoire », n° 310)

Pierre CHAUNU, Conquête et exploitation des nouveaux mondes. XVIe siècle,

Paris, PUF, 1995 (1969) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jean DELUMEAU, La Civilisation de la Renaissance, Arthaud, 2005 (1966) (Coll.

« Les Grandes Civilisations »)

Jean DELUMEAU, Monique COTTRET, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire,

Paris, PUF, 1996 (1971) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jean DELUMEAU, Thierry WANEGFFELEN, Naissance et affirmation de la

Réforme, Paris, PUF, 2003 (1965) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jacques GODECHOT, Les Révolutions (1770-1799), Paris, PUF, 1986 (1963)

(Coll. « Nouvelle Clio »)

Bernard GUENEE, L’Occident aux XIVe et XVe siècles. Les Etats, Paris, PUF,

1998 (1971) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Hervé HASQUIN (dir.), La Belgique autrichienne, 1713-1794. Les Pays-Bas

méridionaux sous les Habsbourg d’Autriche, Bruxelles, Crédit Communal, 1987

Paul HAZARD, La crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, Le Livre

de Poche, 1994 (1961) (Coll. « Références »)

Jonathan I. ISRAËL, Les Lumières radicales : la philosophie, Spinoza et la

naissance de la modernité (1650-1750), (trad. de l’anglais), Paris, Editions

Amsterdam, 2005 (2001)

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Dominique POULOT, Les Lumières, Paris, PUF, 2000 (Coll. « Premier Cycle »)

Francis RAPP, L’Eglise et la vie religieuse à la fin du Moyen Age, Paris, PUF,

1999 (1971) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jean ROHOU, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, Paris, Le

Seuil, 2002

Paolo ROSSI, La naissance de la science moderne en Europe, Paris, Le Seuil,

1999 (Coll. « Faire l’Europe »)

Guy SAUPIN, Naissance de la tolérance en Europe aux Temps modernes,

Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1998 (Coll. « Didact Histoire »)

Quentin SKINNER, Les fondements de la pensée politique moderne, Paris,

Albin Michel, 2001 (1978) (Coll. « Evolution de l’Humanité »)

Raymond TROUSSON, Histoire de la libre pensée. Des origines à 1789,

Bruxelles, Editions du Centre d’Action Laïque, 1993, (Coll. « Espace de

Libertés »)

BERNARD Bruno Histoire des civilisations : Temps modernes

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TABLE DES MATIERES

POURQUOI CE COURS ? ....................................................................................................... I

I - DICTIONNAIRES ET ATLAS .............................................................................................................................. II

II - MANUELS ...................................................................................................................................................... II

III - QUELQUES SYNTHESES THEMATIQUES ........................................................................................................ II

TABLE DES MATIERES .......................................................................................................... V

INTRODUCTION .................................................................................................................. 1

I - QU'EST-CE QUE LES « TEMPS MODERNES » ? ........................................................................................................... 1

II - DEFINITION DES TEMPS MODERNES ET PROBLEMES DE DATATION ................................................................................ 2 1. Le début des temps modernes............................................................................................................... 2 2. La fin des temps modernes .................................................................................................................... 3 3. Le progrès .............................................................................................................................................. 4

III - LES GRANDES CARACTERISTIQUES DES TEMPS MODERNES .......................................................................................... 4 1. La redécouverte de l’Antiquité et la renaissance d'une société urbaine ............................................... 4 2. L'apparition d'un capitalisme commercial puis industriel ..................................................................... 4 3. Les progrès scientifiques et techniques ................................................................................................. 4 4. Les Grandes Découvertes ...................................................................................................................... 5 5. Des Etats centralisés en Europe ............................................................................................................ 5 6. L'individuation ou individualisation....................................................................................................... 5

TEXTE 1 ........................................................................................................................................................ 6

PREMIERE PARTIE AVANT 1450 : LA VILLE, L’UNIVERSITE, L’ÉTAT, FERMENTS D’UNE NOUVELLE SOCIETE ............................................................................................................. 7

I - L'ESSOR DES VILLES ET SES CONSEQUENCES ............................................................................................................... 7 1. Les cités de l'Italie du Nord .................................................................................................................... 8 2. Les banques et le crédit ......................................................................................................................... 9 3. Une nouvelle éthique, plus favorable aux activités économiques et commerciales .............................. 9 4. La révolution technologique : métallurgie et agriculture .................................................................... 10

- dans la métallurgie ........................................................................................................................................ 10 - en agriculture ................................................................................................................................................ 11

5. En 1348 la peste noire marque le début d'une période de dépression économique ........................... 11 6. La démographie des sociétés préindustrielles ..................................................................................... 12

- Les dégâts des guerres .................................................................................................................................. 13

II - LES UNIVERSITES : FOYER DU DEBAT POLITIQUE ET RELIGIEUX .................................................................................... 13 1. Les premières universités .................................................................................................................... 13 2. La redécouverte de l'Antiquité classique en Italie ............................................................................... 14

- les textes ....................................................................................................................................................... 14 - les traces archéologiques .............................................................................................................................. 15

3. L'affirmation du libre-arbitre et ses conséquences ............................................................................. 16 4. Les nouvelles relations entre les Etats et l'Église ................................................................................. 17

- Théocratie et césaropapisme ........................................................................................................................ 17 - La lutte entre papes et empereurs (XIe - XIIIe s.) et la querelle des Investitures .......................................... 17

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- Philippe le Bel et la naissance du gallicanisme .............................................................................................. 19 - La théorie de la supériorité du concile sur le pape ....................................................................................... 20 - le Grand schisme (1378 - 1417) ..................................................................................................................... 21

5. Jean Gerson et la contestation de la monarchie absolue .................................................................... 22 6. Les précurseurs de la Réforme ............................................................................................................ 22

- Pierre Valdo ................................................................................................................................................... 23 - John Wycliffe (1329 - 1384) et les Lollards .................................................................................................... 23 - Jean Hus ........................................................................................................................................................ 24 - La devotio moderna ...................................................................................................................................... 25

III - L'EVOLUTION DES PRINCIPAUX ÉTATS EUROPEENS ENTRE 1200 ET 1450 ................................................................... 26 1. La mosaïque italienne ......................................................................................................................... 26 2. La Reconquista espagnole et les premières expéditions portugaises en Afrique ................................ 27

- L'Espagne musulmane et les califats de Damas et de Bagdad ...................................................................... 27 - les premières expéditions maritimes portugaises en Afrique ....................................................................... 29 - Les grands empires africains ......................................................................................................................... 31

3. La guerre de Cent Ans (1337-1453) ..................................................................................................... 32 4. Le Saint Empire romain germanique et la Bulle d'Or de 1356 ............................................................. 32 5. La Scandinavie sous la domination danoise ........................................................................................ 33 6. La monarchie polonaise et la dynastie des Jagellon ........................................................................... 34 7. La Russie d'Ivan III : un État enclavé .................................................................................................... 34 8. L'Empire ottoman en expansion .......................................................................................................... 35

DEUXIEME PARTIE HUMANISME, RENAISSANCE, REFORME (V.1450- V.1550) .................. 36

I - LES GRANDES DATES .......................................................................................................................................... 36

II - L'HUMANISME ................................................................................................................................................ 37 1. Le processus d’individuation ............................................................................................................... 37

- la « civilisation » des mœurs ......................................................................................................................... 38 - la notion d'intimité ........................................................................................................................................ 38 - Une vision « démiurgique » de l’homme ...................................................................................................... 38 - Quelques Humanistes ................................................................................................................................... 39

Texte 2 ....................................................................................................................................................... 39 - Le mécénat .................................................................................................................................................... 39

Texte 3 ....................................................................................................................................................... 40 2. Le renouveau des études philologiques et la critique des textes sacrés .............................................. 41 3. Les principaux vecteurs culturels de l'humanisme .............................................................................. 42

- Vecteurs géographiques ................................................................................................................................ 42 - Vecteurs techniques : l'imprimerie et l'estampe. .......................................................................................... 43

4. Le caractère unificateur de la démarche scientifique ......................................................................... 44 5. L'Europe des intellectuels et l'affirmation des caractères nationaux .................................................. 45

III - LA REFORME PROTESTANTE .............................................................................................................................. 46 1. la recherche d'un humanisme chrétien ............................................................................................... 46

- Renaissance et Réforme ................................................................................................................................ 46 - Érasme : le premier intellectuel « européen » .............................................................................................. 47

2. Le luthéranisme ................................................................................................................................... 48 - Luther et la question du salut........................................................................................................................ 48 - La dénonciation des dérives de l'Église romaine ........................................................................................... 48 - La rupture avec Rome et la mise au ban de l'empire .................................................................................... 49 - la création de l’Église réformée ..................................................................................................................... 50 - l’expansion du luthéranisme au nord de l’Europe ........................................................................................ 51

3. Les courants radicaux : anabaptisme et guerre des Paysans .............................................................. 51 - Thomas Münzer ............................................................................................................................................ 51 - les Anabaptistes à Münster ........................................................................................................................... 52

4. Le calvinisme ....................................................................................................................................... 52 - Jean Calvin (1509-64) .................................................................................................................................... 52 - La Genève calviniste ...................................................................................................................................... 53 - L'expansion du calvinisme en France et en Europe ....................................................................................... 54

5. La « Réforme catholique » ou « Contre-réforme » .............................................................................. 54

BERNARD Bruno Histoire des civilisations : Temps modernes

HIST-B-110_Z PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles VII

- le Concile de Trente (1545-63) et l’action du pape Paul III Farnèse .............................................................. 54 - Ignace de Loyola et la fondation de la Compagnie de Jésus ......................................................................... 55

IV - L'ESSOR ECONOMIQUE ..................................................................................................................................... 56 1. Une mentalité plus favorable au travail et au commerce ................................................................... 56

- la question de la dérogeance ........................................................................................................................ 56 - le prêt à intérêt ............................................................................................................................................. 57 - la création des premières bourses ................................................................................................................ 57

2. La naissance de l'économie politique .................................................................................................. 57 - Jean Bodin et l’inflation ................................................................................................................................. 57 - Le mercantilisme ........................................................................................................................................... 58

V - NOUVEL URBANISME ET UTOPIES SOCIALES ........................................................................................................... 58

VI - LES GRANDES DECOUVERTES ............................................................................................................................ 61 1. Les Portugais font essentiellement du commerce côtier ..................................................................... 62

- L'ouverture de la route des Indes .................................................................................................................. 62 - L'Inde moghole .............................................................................................................................................. 63 - la découverte du Brésil .................................................................................................................................. 63

2. Les Espagnols conquièrent et exploitent les territoires et les populations .......................................... 64 - Christophe Colomb ........................................................................................................................................ 64 - Le traité de Tordesillas (1494) ....................................................................................................................... 65 - La Casa de Contratación de Indias et les encomiendas ................................................................................. 66 - Balboa traverse l'isthme de Panama ............................................................................................................. 66 - Le tour du monde de Magellan ..................................................................................................................... 67 - Cortés et le Mexique, Mayas et Aztèques .................................................................................................... 68 - Pizarre et le Pérou : l'empire quechua ou Inca .............................................................................................. 68

3. Anglais et Français en Amérique du Nord ........................................................................................... 69 4. Les conséquences économiques des Grandes Découvertes ................................................................. 70

- un énorme afflux de métaux précieux .......................................................................................................... 70 5. Le débat sur la colonisation................................................................................................................. 70

- les dégâts de la colonisation : hécatombes et esclavage .............................................................................. 70 - Las Casas : le premier anticolonialiste ? ........................................................................................................ 71 - La naissance du relativisme culturel .............................................................................................................. 72

6. L’Extrême-Orient : Chine et Japon ....................................................................................................... 73 - la Chine .......................................................................................................................................................... 73 - Le Japon ......................................................................................................................................................... 73

VII - MACHIAVEL .................................................................................................................................................. 74 1. La montée du pouvoir princier en Italie du Nord ................................................................................. 74 2. Machiavel ............................................................................................................................................ 74

Texte 4 ....................................................................................................................................................... 75

VIII - VERS LA MONARCHIE ABSOLUE ........................................................................................................................ 75 1. Les Etats européens à l'aube des temps modernes ............................................................................. 75 2. La France : fin de la féodalité et centralisation du pouvoir ................................................................. 76

- la fin de la féodalité ....................................................................................................................................... 76 - la centralisation ............................................................................................................................................. 76 - Le règne de François Ier (1515-47) ................................................................................................................. 76

3. L'Angleterre et l'anglicanisme : le règne d'Henri VIII (1509-47) .......................................................... 77 - Édouard VI (1547-53) .................................................................................................................................... 79

4. Charles Quint et les divisions religieuses dans le Saint Empire ........................................................... 79 5. La naissance de la Suède ..................................................................................................................... 80 6. La Pologne : tolérance religieuse et élection du souverain ................................................................. 80 7. Soliman le Magnifique et l'apogée de l'empire ottoman .................................................................... 81

TROISIEME PARTIE LES GUERRES DE RELIGION ET L'AGE BAROQUE (V. 1550 – V. 1660) LA DIFFICILE NAISSANCE DU PLURALISME RELIGIEUX ........................................................ 83

I - LES GRANDES DATES .......................................................................................................................................... 83

BERNARD Bruno Histoire des civilisations : Temps modernes

HIST-B-110_Z PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles VIII

II - BAROQUE ET CLASSICISME : SENTIMENT ET RAISON ................................................................................................. 84 1. Un conflit entre deux visions du monde .............................................................................................. 84 2. Le Concile de Trente (1545-1563) ........................................................................................................ 85

- Le refus de tout compromis avec les protestants ......................................................................................... 85 - la restauration de la discipline ...................................................................................................................... 86

3. Le baroque : un instrument de la propagande catholique .................................................................. 87 - Les résistances ............................................................................................................................................... 87

4. Les progrès de l'individuation .............................................................................................................. 89 - Dans la vie quotidienne ................................................................................................................................. 89 - Dans les arts et la littérature ......................................................................................................................... 90 - La naissance de l'écrivain à succès ................................................................................................................ 91 - la naissance de l’opinion publique ................................................................................................................ 91 - La culture des salons et le rôle nouveau des femmes ................................................................................... 92

5. Les bases de la science moderne sont posées ..................................................................................... 93 - Bernardino Telesio ........................................................................................................................................ 93 - Giordano Bruno ............................................................................................................................................. 93 - Francis Bacon ................................................................................................................................................ 93 - Descartes ....................................................................................................................................................... 93

Texte 5 ....................................................................................................................................................... 93 - Galilée ........................................................................................................................................................... 94 - William Gilbert .............................................................................................................................................. 95 - William Harvey ............................................................................................................................................. 95 - Johannes Swammerdam (1627-1680) ........................................................................................................... 95 - Les libertins érudits et le matérialisme, en France et en Italie ...................................................................... 95

6. Dévots et Jansénistes .......................................................................................................................... 95 - les dévots ...................................................................................................................................................... 96 - le jansénisme ................................................................................................................................................. 96

III - LA QUESTION DE LA TOLERANCE RELIGIEUSE ......................................................................................................... 97 1. Tolérance négative, tolérance positive ............................................................................................... 97 2. Les premiers défenseurs de la tolérance ............................................................................................. 97 3. Les « Politiques » ................................................................................................................................. 98 4. Les guerres de religion en France ........................................................................................................ 98

- Catherine de Médicis et Coligny recherchent le compromis ......................................................................... 98 - La Saint-Barthélemy et ses conséquences..................................................................................................... 99 - L'abjuration d'Henri de Navarre et l'édit de Nantes .................................................................................... 100 - La politique antiprotestante et « machiavélienne »de Richelieu ................................................................ 101

4. L'Angleterre sous Marie Tudor et Élisabeth Ière ................................................................................. 101 - Marie Tudor (1553-58) ................................................................................................................................ 101 - Élisabeth Ière (1558-1603) ............................................................................................................................ 102

5. L'Espagne de Philippe II ..................................................................................................................... 103 6. Le Saint Empire : la Paix d'Augsbourg et l'exercice de la parité ........................................................ 103

IV - L'EXPANSION ECONOMIQUE ISSUE DES GRANDES DECOUVERTES ............................................................................. 104 1. Une conjoncture économique positive jusque vers 1620 .................................................................. 104 2. L’interventionnisme ........................................................................................................................... 105 3. L'essor du capitalisme ....................................................................................................................... 105

- Bourses, sociétés à actions, expansion du crédit ........................................................................................ 106 - l’accroissement des inégalités ..................................................................................................................... 107

4. Les résistances au nouveau cours des choses. .................................................................................. 108 - les corporations ........................................................................................................................................... 108 - la noblesse ................................................................................................................................................... 108

V - LES GRANDES PUISSANCES ECONOMIQUES EUROPEENNES: ..................................................................................... 108 1. Le « siècle d'or » espagnol (1520-1640) ........................................................................................... 108 2. En France : le poids de la démographie et de l’Etat .......................................................................... 109 3. Les Provinces-Unies au cœur du marché européen ........................................................................... 111 4. L'Angleterre : une image de l'avenir .................................................................................................. 112

VI - LE DEBAT SUR LE POUVOIR DU SOUVERAIN ......................................................................................................... 114 1. La question du tyrannicide ................................................................................................................ 114

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2. La théorie de la monarchie absolue .................................................................................................. 114 - Les Machiavéliens et la raison d'État........................................................................................................... 114

Texte 6 ..................................................................................................................................................... 115 - L'essor de la tragédie : Shakespeare, Corneille, Racine ............................................................................... 115 - Jean Bodin et Thomas Hobbes : la peur du chaos social ............................................................................. 115

Texte 7 ..................................................................................................................................................... 116 3. Le constitutionnalisme ...................................................................................................................... 116

- Grotius et le droit des gens ......................................................................................................................... 116 - La politique l’emporte sur la religion .......................................................................................................... 117

VII - LES PRINCIPALES MONARCHIES EUROPEENNES ENTRE 1550 ET 1660 ..................................................................... 118 1. La poursuite de la construction des identités nationales .................................................................. 118 2. Philippe II et le soulèvement des Pays-Bas ........................................................................................ 118

- L'indépendance des Provinces-Unies .......................................................................................................... 119 3. La montée de la centralisation en France ......................................................................................... 119

- Richelieu ...................................................................................................................................................... 119 - La Fronde ou les Frondes ............................................................................................................................ 120 - La réaction absolutiste ................................................................................................................................ 122

4. Échec de l’absolutisme et mouvements républicains en Angleterre ................................................. 122 - Élisabeth Ière ................................................................................................................................................ 123 - Jacques Ier Stuart ......................................................................................................................................... 123 - Charles Ier .................................................................................................................................................... 123 - Cromwell et les Niveleurs ............................................................................................................................ 124

5. Le Saint Empire romain germanique ................................................................................................. 126 - La guerre de Trente Ans .............................................................................................................................. 126 - Les Traités de Westphalie de 1648 .............................................................................................................. 127

6. L'expansion de l'État prussien ........................................................................................................... 127 7. L’hégémonie suédoise sur la Baltique ............................................................................................... 127 8. L’avènement des Romanov en Russie ............................................................................................... 128 9. L'Empire Ottoman ............................................................................................................................. 128

QUATRIEME PARTIE LE SIECLE DES LUMIERES ET LE CLASSICISME (V.1660 – V.1775) ABSOLUTISME ET « IDEE NOUVELLE DU BONHEUR » ....................................................... 130

I - LES GRANDES DATES ........................................................................................................................................ 130

II - LE NEOCLASSICISME ........................................................................................................................................ 131 1. Le règne de Louis XIV et la réaction contre le baroque ..................................................................... 131 2. La redécouverte de l'Antiquité gréco-romaine .................................................................................. 132 3. Les réactions au néoclassicisme ........................................................................................................ 133

- « Style rocaille », « rococo », « chinoiseries » et Gothic Revival ................................................................. 133 - Les débuts du romantisme .......................................................................................................................... 134 - Quiétisme et piétisme ................................................................................................................................. 134

III - VERS LE LIBERALISME ECONOMIQUE.................................................................................................................. 134 1. Deux pays pionniers : les Provinces-Unies et la Grande-Bretagne .................................................... 134 2. L'éloge du travail ............................................................................................................................... 135

Texte 8 ..................................................................................................................................................... 135 - L'intérêt personnel, moteur du progrès ...................................................................................................... 136 - le débat sur le luxe ...................................................................................................................................... 136

Texte 9 ..................................................................................................................................................... 136 Texte 10................................................................................................................................................... 137

3. Physiocrates et libéraux français ....................................................................................................... 137 - Turgot et la guerre des Farines.................................................................................................................... 139

4. L'évolution des économies européennes ........................................................................................... 139 - Le colbertisme ............................................................................................................................................. 139 - La question du prêt à intérêt ....................................................................................................................... 140 - Le grand commerce colonial ....................................................................................................................... 140 - Les colonies ................................................................................................................................................. 141 - La révolution agricole en Angleterre ........................................................................................................... 141

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- Les débuts de la révolution industrielle en Angleterre ............................................................................... 141 - le salariat ..................................................................................................................................................... 142

IV - LES LUMIERES ET LE TRIOMPHE DE LA RAISON ..................................................................................................... 143 Texte 11................................................................................................................................................... 143

1. La conversion des élites au cartésianisme : le primat de l'expérience .............................................. 143 2. Le nouveau statut des sciences ......................................................................................................... 144

- Les académies ............................................................................................................................................. 144 - La médecine ................................................................................................................................................ 145 - La vulgarisation des connaissances scientifiques ........................................................................................ 146

3. L'alphabétisation et ses conséquences.............................................................................................. 146 4. L'Encyclopédie ................................................................................................................................... 147 5. Quelques découvertes scientifiques décisives ................................................................................... 148 6. Le progrès des conditions de vie : hygiène, santé, démographie, confort ........................................ 148

- L'hygiène ..................................................................................................................................................... 148 - La santé ....................................................................................................................................................... 149 - la démographie ........................................................................................................................................... 149 - le confort ..................................................................................................................................................... 149

7. Le débat sur le progrès ...................................................................................................................... 150 Texte 12................................................................................................................................................... 150 Texte 13................................................................................................................................................... 150

8. L'anticolonialisme.............................................................................................................................. 151

V - L'AVENEMENT DE L'INDIVIDU ........................................................................................................................... 152 1. Une nouvelle sociabilité .................................................................................................................... 152

- les sociabilités « restreintes » ..................................................................................................................... 152 2. La recherche du bonheur individuel .................................................................................................. 153

- Le maintien des contraintes collectives et le règne de la réputation .......................................................... 154

VI - LE COMBAT POUR LA TOLERANCE ..................................................................................................................... 154 1. Gallicanisme et césaropapisme ......................................................................................................... 154

- la dissolution de la Compagnie de Jésus. .................................................................................................... 155 2. La question de l'intolérance en France sous Louis XIV et Louis XV .................................................... 155

- La Révocation de l'Édit de Nantes ............................................................................................................... 155 Texte 14................................................................................................................................................... 156

- le jansénisme et la bulle Unigenitus ............................................................................................................ 156 - Voltaire et les affaires Calas et La Barre ...................................................................................................... 157

3. Plaidoyers pour la tolérance .............................................................................................................. 158 - Spinoza (1632-1677) ................................................................................................................................... 158 - Pierre Bayle (1647-1706) ............................................................................................................................. 158 - John Locke (1632-1704) .............................................................................................................................. 158 - Voltaire (1693-1778) ................................................................................................................................... 158 - Denis Diderot (1783). ................................................................................................................................. 159 - le curé Meslier ............................................................................................................................................. 159

VII - MONARCHIE ABSOLUE, DESPOTISME ECLAIRE ET REGIME PARLEMENTAIRE ............................................................... 160 1. L'absolutisme louis-quatorzien .......................................................................................................... 160

- « L'Europe française » ................................................................................................................................. 161 2. Le déclin espagnol ............................................................................................................................. 161 3. Le despotisme éclairé ........................................................................................................................ 161

- La Prusse de Frédéric II ................................................................................................................................ 162 - La politique de Marie-Thérèse et Joseph II et son application dans les Pays-Bas autrichiens .................... 164 - La Russie sous Pierre le Grand et Catherine II ............................................................................................. 166

4. Le recul des Ottomans ....................................................................................................................... 168 5. La monarchie constitutionnelle anglaise ........................................................................................... 168

Texte 15................................................................................................................................................... 169 Texte 16................................................................................................................................................... 170

CINQUIEME PARTIE L'ERE DES REVOLUTIONS (VERS 1775 - 1800) LE LIBERALISME ET LES DEBUTS DE LA QUESTION SOCIALE ............................................................................. 172

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I - LES GRANDES DATES ........................................................................................................................................ 172

II - LA REVOLUTION AMERICAINE ........................................................................................................................... 173 Texte 17................................................................................................................................................... 174

III - LA FIN DE L'ANCIEN REGIME ............................................................................................................................ 175 1. Joseph II et la révolution brabançonne ............................................................................................. 175 2. En France : l’entêtement suicidaire des privilégiés ........................................................................... 177

IV - L'AVENEMENT DE LA BOURGEOISIE ................................................................................................................... 178 1. De nouvelles valeurs .......................................................................................................................... 178

- la liberté ...................................................................................................................................................... 178 - la sûreté....................................................................................................................................................... 178 - L'égalité ....................................................................................................................................................... 178 - La fraternité ................................................................................................................................................. 179 - La question de la traite des Noirs et de l'esclavage ..................................................................................... 179

2. La mise en œuvre d'une politique de libéralisme économique .......................................................... 179 - Turgot .......................................................................................................................................................... 179 - Joseph II ....................................................................................................................................................... 180 - Les lois d'Allarde et Le Chapelier ................................................................................................................. 180

V - LA REVOLUTION FRANÇAISE ............................................................................................................................. 181 1. Les droits de l'homme et l'émancipation de l'individu ...................................................................... 181

Texte 18................................................................................................................................................... 181 2. Vers une société sécularisée .............................................................................................................. 182

- La constitution civile du clergé .................................................................................................................... 182 - l'instauration de l’état-civil .......................................................................................................................... 182 - La séparation de l'Eglise et de l'État ............................................................................................................ 182

3. La question sociale ............................................................................................................................ 183 Texte 19................................................................................................................................................... 183 Texte 20................................................................................................................................................... 183

- L'affirmation du droit à une vie décente ..................................................................................................... 184 Texte 21................................................................................................................................................... 184

CONCLUSION ................................................................................................................... 185

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INTRODUCTION

I - QU'EST-CE QUE LES « TEMPS MODERNES » ?

Les Temps modernes vont, en principe, de la Renaissance à 1789.

Cette période est marquée par la maîtrise croissante de l'homme sur le monde et sur son

propre destin. Elle a préparé le libéralisme et la démocratie parlementaire, aboutissant à

une société laïcisée, à une nouvelle anthropologie ainsi qu'une nouvelle conception de

l'homme qui est celle d'un monde dans lequel chaque individu est censé faire ses choix et

c'est un trait particulier de la société occidentale que d'être individualiste, alors qu'autrefois

l'individu faisait partie d'une communauté, d'un groupe dont il était le membre.

L’individuation crée une société de plus en plus libérée des préjugés religieux, culturels et

raciaux. Toutefois, il y a en permanence des tensions dans la société, notamment entre les

partisans :

- d'une vision rationnelle, laïque et plutôt optimiste de l'homme qui peut se transformer,

choisir son destin : c'est la pensée humaniste ; ce sont les courants de la Réforme

protestante, les idées du siècle des Lumières, notamment celles de tolérance religieuse et de

progrès.

- ou une vision plus affective, plus pessimiste, plus sentimentale et moins rationnelle, qui a

une image de l'homme plutôt négative comme dans les mouvements dévots de la période

baroque et que l'on retrouve aussi chez Jean-Jacques Rousseau, dans le jansénisme, dans le

romantisme. Elle est porteuse notamment de cette idée de l'homme coupable du péché

originel vis-à-vis de la nature...

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II - DEFINITION DES TEMPS MODERNES ET PROBLEMES DE DATATION

Le mot « moderne » est difficile à définir. Étymologiquement il vient du latin modernus,

déformation de hodiernus (hodie veut dire « aujourd'hui ») : « ce qui est actuel ».

En réalité, les limites des temps modernes sont arbitraires car les choses se font

progressivement, et il n'y a pas de cassure brutale.

1. Le début des temps modernes

Deux dates sont possibles :

1453 : qui marque la chute de Constantinople (auj. Istanbul) capitale du dernier empire

chrétien d'Orient avec le renversement des empereurs romains d'Orient par les Turcs

ottomans. Aujourd'hui, cette date, trop « européocentrique », n'est plus celle qui est

généralement retenue.

1492 : qui marque la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb. C'est la première

fois que l'on traverse l'Atlantique.

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1492 est d’ailleurs aussi la

date qui marque la fin de la

Reconquista espagnole, la fin

des États musulmans en

Espagne.

Aujourd'hui, tout le monde

retient la date de 1492

comme étant celle du début

des temps modernes. Il s'agit

néanmoins d'une date

symbolique, arbitraire, mais qui ne constitue en rien une frontière formelle.

2. La fin des temps modernes

Pour les pays francophones et latins: la Révolution française de 1789 marque un tournant

majeur.

En Belgique, la Révolution française a certes des conséquences en Belgique, notamment

avec la survenue d'une Révolution Brabançonne et d’une Révolution Liégeoise. Mais 1830,

date de la naissance du royaume de Belgique marque pour certains historiens le véritable

début de la période « contemporaine ».

Les historiens anglo-saxons et germaniques ne situent pas la fin des temps modernes à

1789. Les Anglais n'ont, en effet, pas connu de Révolution en 1789 et la Révolution

américaine a commencé en 1776. Les historiens anglo-saxons préfèrent donc parler de Early

modern (en allemand : Frühmoderne) et de modern pour la période « contemporaine » qui

commence en 1914, avec la Première Guerre Mondiale.

Tout cela veut dire que la conception des temps modernes « à la française » n'est pas

universelle.

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3. Le progrès

Il n'est pas continu et selon Voltaire c'est une ligne ascendante brisée, «un trend positif »

comme on dit en économie, mais avec des mouvements de recul et des résistances. La

Renaissance et le XVIIIe siècle sont des périodes de progrès alors que le XVIIe siècle est

plutôt marqué par un recul par rapport à certaines évolutions de la Renaissance comme

l'illustrent les guerres de religion qui marquent un retour des fanatismes.

III - LES GRANDES CARACTERISTIQUES DES TEMPS MODERNES

Les Temps modernes posent les bases du monde contemporain :

1. La redécouverte de l’Antiquité et la renaissance d'une société urbaine

Les temps modernes vont retrouver des modes de pensée et de comportements plus

proches de l'Antiquité : la Renaissance, qui en est clairement issue, commence en Italie au

XIVe siècle. Les Temps modernes voient aussi la renaissance des villes.

2. L'apparition d'un capitalisme commercial puis industriel

Toutes les régions ne connaîtront pas ce même développement, car ce seront surtout les

régions les plus avancés économiquement, l'Italie du Nord et la Flandre, puis plus tard

l'Angleterre, la Wallonie et les Provinces-Unies, qui verront apparaître ce capitalisme.

3. Les progrès scientifiques et techniques

Ces progrès donnent à l'homme, la possibilité et/ou le sentiment de maîtriser l'univers. Des

découvertes capitales comme celles du microscope et du télescope font prendre conscience

à l’homme qu’il peut prendre connaissance d’un monde invisible à l’œil nu. Cela crée le

sentiment que l'homme arrivera un jour à tout connaître et comprendre.

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4. Les Grandes Découvertes

Les continents donnent une vision nouvelle du monde, différente de celle que l'on

envisageait au Moyen Âge. Ces découvertes ont entraîné une hégémonie européenne sur

l'ensemble du monde avec notamment les phénomènes de colonisation.

5. Des Etats centralisés en Europe

Quelques grands Etats européens vont se cristalliser, tandis que d’autres encore morcelés

(Italie, Allemagne) ne se constitueront qu'au XIXe siècle. De grandes monarchies

centralisées s'organisent notamment en France, Espagne et Angleterre, et quelques

républiques comme les Provinces-Unies.

6. L'individuation ou individualisation

C'est le fait que la société repose désormais sur les individus. C'est une spécificité

européenne (auj. « occidentale ») qui n'existe pas partout dans le monde. Cette conception

de la société a été apportée ailleurs par les Européens et elle est soit adoptée, soit rejetée

car d’origine étrangère par certaines sociétés non-occidentales.

Dans cette société, le destin de l'individu lui appartient ; c'est à lui de faire ses choix et il

peut en effet faire ses propres choix religieux, politiques, culturels, sexuels, en toute liberté.

Ce phénomène est quelque chose qui naît pendant cette période des temps modernes et qui

est soutenu par ceux qui considèrent que c'est pour l’homme une libération des contraintes

collectives.

C'est à partir de là, que l'on voit naître une société pluraliste, c'est-à-dire où aucun courant

politique, religieux ou culturel ne peut prétendre à l'unanimité, ni à l’emporter

définitivement. La diversité fait partie de la société, et les choix politiques sont réversibles.

Aucune certitude ne peut être imposée par les uns aux autres.

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TEXTE 1 

« Auparavant (la société ancienne), l'orientation majeure de la civilisation était une adhésion

à un ordre antérieur et supérieur aux hommes. Leur attitude était dominée par une

aspiration à la sagesse et au salut dans l'intégration à un ordre divin, naturel,

communautaire et idéologique, préétabli, qui définissait le bien, le juste, ainsi que le statut et

la personnalité même des individus. Par la suite au contraire, remplaçant cette soumission

par une volonté de domination pour la satisfaction de leurs désirs, les hommes ont entrepris

de se rendre« maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes discours de la méthode, VI),

d'émanciper leur pensée des dogmes, traditions et autorités, de substituer aux communautés

holistes de libres associations d'individus, et même de soumettre la religion à la conscience

personnelle ».

Jean ROHOU, Le XVIIe siècle : une révolution de la condition humaine (Paris, 2002)

Après avoir écrit le Discours de la méthode, René Descartes s'est réfugié en Hollande (pays

protestant) car il savait qu'en publiant ce texte, il serait censuré par l'Église catholique. Le

seul fait d'écrire que l'homme peut se rendre « maître et possesseur de la nature » rend

l'auteur hérétique et passible d'un procès ecclésiastique. Il a insulté Dieu, seul maître de la

nature. Quel orgueil pour l'homme que de croire qu'il va en devenir le « possesseur »!

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PREMIERE PARTIE

Avant 1450 : la ville, l’université, l’État,

ferments d’une nouvelle société

La plupart des traits de civilisation des Temps modernes, notamment les concepts politiques,

trouvent leur origine dans les derniers siècles du Moyen Âge.

En effet, dès le XIIe siècle apparaissent les premiers signes d'une modification des

structures politiques et économiques issues de la féodalité.

Trois grands éléments apparaissent durant cette période et préfigurent ce que seront les

temps modernes : les villes, les universités, les Etats.

I - L'ESSOR DES VILLES ET SES CONSEQUENCES

Du IIIe au Ve siècle, l'empire romain fait l'objet d'invasions germaniques et ces invasions

aboutissent à son effondrement en 476, date à laquelle l'empire romain cesse d'exister en

Occident.

L'empire romain se replie sur Constantinople et ne possède donc plus que la partie

extrême-orientale de l'Europe. Aucun Etat centralisé ne le remplace en Occident. et la

civilisation urbaine s’écroule. La population des villes décroît alors, les monuments se

dégradent et se transforment en carrières. L'insécurité règne ce qui conduit à la mise en

place de la féodalité, laquelle instaure, en échange d’une protection, un lien de dépendance

vis-à-vis des seigneurs.

L'économie devient essentiellement rurale, basée sur les grands domaines agricoles. La

plupart des constructions sont en bois, à la différence des maisons construites en pierre de

l'époque romaine.

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Au XIIe siècle, on assiste à un essor démographique assez important, que l'on n'explique pas

vraiment, mais qui sera à l'origine du début de changements importants. Des défrichements

agricoles seront nécessaires pour nourrir la population. Les villes commencent à se

repeupler. Des villes nouvelles se créent (que l'on appellera souvent « Villeneuve »,

« Villefranche ») et les seigneurs leur accordent des avantages en échange de leur

soumission.

La société ne s'urbanise cependant que progressivement, et les villes demeurent de taille

très modeste : en Europe, seules trois ont plus de 100 000 habitants : Paris, Rome et Naples

(à titre de comparaison, au IIIe siècle, Rome avait plus d’un million d’habitants, tout comme

Bagdad, au IXe, ou Nankin, au XIVe ; au XVie siècle, Tenochtitlan/Mexico comptera 500.000

habitants, et Istanbul 700.000).

1. Les cités de l'Italie du Nord

Parmi ces villes, qui cultivent le souvenir de leur passé sous l’Empire romain, les cités de

l'Italie du Nord sont les plus en pointe du point de vue politique. Ce sont aussi des villes très

commerçantes : au bas Moyen Âge, les deux plus riches régions d'Europe sont le Nord de

l’Italie et les Flandres (Bruges par exemple). Dans ces villes, qui étaient la plupart du temps

soumises à l'évêque ou au seigneur, vont se former des corps politiques municipaux élus

Florence vers 1490, estampe (Chroniques de Nuremberg, 1493)

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par la bourgeoisie locale. Ces municipalités élues vont se dégager, petit à petit, de

l'influence des seigneurs et de l'Église.

La première de ces villes à s'émanciper est Pise, dès la fin du XIe siècle.

Puis d'autres villes d'Italie du Nord vont suivre l'exemple de Pise et se regrouper dans une

Ligue lombarde pour défendre leur libertas c'est-à-dire leur indépendance vis-à-vis des

pouvoirs supérieurs, notamment celui du Saint Empire romain germanique. Ces villes

doivent en effet à l'empereur, leur suzerain, une certaine solidarité militaire et financière.

Au XIIIe siècle, on assiste à la revanche des seigneurs: le mouvement d’émancipation des

villes est vaincu par la force.

2. Les banques et le crédit

Ce phénomène commence vers 1180 environ en Italie du Nord. Les banquiers, que l'on

appelle des Lombards, du nom de leur province d’origine, sont de grands marchands qui

prêtent leur argent contre intérêt.

L'Église catholique est totalement opposée à ce prêt à intérêt; pour elle, cela constitue un

vol (nous verrons que les protestants penseront différemment). Cette interdiction morale

est régulièrement contournée par l’usage de la lettre de change, instrument de paiement

différé semblable au chèque, mais grevé d’un escompte (la banque prélève des agios sur la

somme remboursée au créancier).

Malgré ce conflit entre l'Église et l'économie, les banquiers lombards vont créer des

succursales, s'installer en Flandre, en France, en Angleterre, en Allemagne, autour de la

Méditerranée. Ces banquiers sont si riches qu'ils prêtent parfois aux rois.

3. Une nouvelle éthique, plus favorable aux activités économiques et

commerciales

Ceux qui font des profits sont assez mal vus de la population et de la société qui est en

grande majorité catholique. D'autre part, la société médiévale, qui décomposait la

population entre ceux qui prient, ceux qui font la guerre, et ceux qui travaillent, évolue, et la

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bourgeoisie apparaît avec le commerce des villes. Cette catégorie sociale nouvelle va peu à

peu se rebeller contre ces valeurs ecclésiastiques désuètes, contre l'immobilisme d'une

société dans laquelle les privilèges de l'Église apparaissent énormes.

Simultanément, l'économie monétaire métallique (le papier-monnaie, qui a été introduit en

Chine dès le XIe siècle, n’est utilisé en Europe qu’à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle)

se répand en Europe, en conséquence de la découverte de mines d'argent en Europe

centrale, au XIVe siècle.

Cette catégorie de bourgeois qui représente 10 à 15 % de la population s'enrichit et gagne

de l’influence. Elle va devenir un élément moteur du changement de la société.

Parmi les nouvelles valeurs, on découvre donc le travail et le profit, alors que le travail n'a

jamais été une valeur aristocratique ; l'aristocratie ne travaille pas - pour elle, le travail n'est

pas une valeur mais une tâche réservée aux manants et aux pauvres. Quant à l'Église, elle

prône et fait plutôt la charité.

4. La révolution technologique : métallurgie et agriculture

- dans la métallurgie

On augmente la température des hauts-fourneaux qui sont construits en briques

réfractaires et dans lesquels on fond le métal. C'est d’abord dans les environs de Liège que

les progrès les plus importants sont faits, au cours du XIVe siècle. Puis, à Liège et en

Angleterre, on voit apparaître aux XIVe et XVe siècles le charbon de terre, qui remplace le

charbon de bois. Il permet d'atteindre des températures plus élevées apportant ainsi une

plus grande pureté du métal. C'est donc une avancée technique importante. L'outillage de

fer sera en effet, de meilleure qualité.

La découverte de mines d'argent en Europe centrale va augmenter la production de ce

métal, et la circulation monétaire.

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- en agriculture

Il ne faut pas négliger le rôle important des moines

cisterciens qui ont été les meilleurs exploitants agricoles

de la fin du Moyen Âge, améliorant la rentabilité des

abbayes qui possédaient de grands domaines. Ils

pratiquent le défrichement et construisent des fermes

modèles dès le début du XIIe siècle.

On note également des progrès dans la traction animale

(les bœufs s'avèrent meilleurs que les chevaux pour tirer

les charrues). On invente « le collier d'épaule » qui apporte une plus grande force de

traction.

Les chariots s'équipent d'un avant-train mobile à partir du XIVe siècle qui leur permet de

mieux négocier les virages.

Les sources d'énergie au bas Moyen Âge sont principalement l'eau et le vent : les moulins

constituent une source énergétique naturelle et essentielle.

5. En 1348 la peste noire marque le début d'une période de dépression

économique

Il s'agit cette fois d'un élément négatif. À côté d'une démographie qui progresse sans que

l'on comprenne véritablement pourquoi, survient au milieu du XIVe siècle (1348) la peste

noire, catastrophique par ses conséquences. Elle vient de Mongolie, avec laquelle il existe

un courant commercial qui passe par la mer Noire.

Les échanges avec les marchands italiens se font dans une ville de Crimée : Caffa (auj .

Feodossia). En 1346, des bateaux génois partent de Caffa vers l'Italie avec à bord des rats

infestés. Le rat n'est pas l'agent de transmission mais son principal vecteur. La transmission

se fait en réalité, à partir des puces du rat qui piquent l'homme, lequel devient alors

contagieux.

1347 : la maladie se répand en Méditerranée et suit les courants commerciaux

Deux colliers d'épaule

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1348 : toute l'Europe occidentale est touchée entraînant une hécatombe massive : 12 à 60

% de la population, selon les villes et les régions, est touchée. Cologne, Paris, Naples,

Valence, Francfort, Bâle et Londres perdent plus du tiers de leur population entre 1348 et

1350.

Il n'y a pas de traitement et on ne comprend pas ce fléau, dont on croit que la transmission

est aérienne et que l'on rattache à la volonté de Dieu. Aussi, utilise-t-on des fumées pour

tenter de contrarier la transmission et la diffusion de la maladie.

Cette peste a eu des conséquences économiques désastreuses, constituant un énorme frein

à la consommation et au commerce. Il a fallu un siècle pour que l'Europe récupère son

niveau de population d'avant 1348.

À cette crise économique, s'ajoute une crise morale : la religion tient en effet une place

importante et la peste est considérée comme « un signe du ciel », un châtiment de Dieu.

Naissent alors des sectes religieuses appelées millénaristes, qui prédisent la fin du monde et

annoncent le châtiment de Dieu, ce qui va alors déclencher deux courants de pensée :

- l'un considérant que l'homme est pécheur et doit se repentir

- l'autre considérant que puisque c'est la fin du monde, les lois morales ne comptent plus.

Dans le Decameron, œuvre littéraire (1348-53) de l’Italien Boccace, ce dernier met en scène

des jeunes gens réfugiés dans une propriété de Toscane, à l’abri de la peste, et dont le

comportement amoureux est totalement désinhibé par ce contexte de « fin du monde ».

6. La démographie des sociétés préindustrielles

La fécondité des femmes est quasi naturelle à cette époque et on observe en moyenne la

naissance de sept enfants par femme. Cependant, la mortalité est aussi très importante : un

enfant sur quatre meurt dans la première année ; un second meurt dans les 20 premières

années. Cela limite donc l'expansion démographique, tandis que l'espérance de vie

moyenne est de l'ordre de 40 ans.

À côté de crises majeures comme la peste de 1348, il peut y avoir des variations

démographiques dues aux famines et aux guerres.

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- Les dégâts des guerres

Le premier désastre, d’un point de vue numérique : ce sont les épidémies (plus de 50% des

décès). Les populations des campagnes se réfugient dans les villes, qui sont dès lors

surpeuplées, ce qui entraîne des problèmes d’approvisionnement, mais aussi d’hygiène,

notamment celui de l’évacuation des eaux usées car il n’y a pas de tout-à-l’égout. Les fosses

septiques débordent et contaminent l’eau des puits et des rivières.

D’autre part il n’y a pas de casernes (qui ne feront leur apparition qu’au XVIIIe siècle) et les

soldats, souvent porteurs de maladies, logent chez l’habitant.

Les combats se déroulent en été et les récoltes ne peuvent être faites. D’où des famines. Au

total, plus de 80% des décès ne sont pas liés directement aux combats.

La baisse de population provoque une chute des naissances, tout comme la diminution de la

fertilité des femmes, atteintes de carences alimentaires. Ces classes d’âge peu nombreuses

(dites « classes creuses ») ont des répercussions démographiques sur plusieurs générations.

On observe cependant après les guerres un phénomène spontané de rattrapage qui corrige

en partie le déficit démographique.

II - LES UNIVERSITES : FOYER DU DEBAT POLITIQUE ET RELIGIEUX

1. Les premières universités

Bologne est la première université du monde. Elle est créée par des juristes en 1088.

Suivront notamment : Oxford (1167), la Sorbonne (1170), Cambridge (1229), Salamanque

(1239), Vienne (1365). L’université de Louvain ne sera fondée qu’en 1425, celle de Leyde en

1575.

Elles naissent souvent dans le sillage d’anciennes « écoles cathédrales ». Les universités sont

toutes créées ou patronnées par l'Église et les professeurs sont tous membres du clergé;

aucune université n'est créée alors par l'État. Elles sont de très petite taille : quelques

dizaines de professeurs, quelques centaines d’étudiants au maximum. Toutes se consacrent

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uniquement à l'enseignement de la théologie et des « deux droits » : droit civil et droit

« canon », c’est-à-dire celui de l'Église catholique.

À la fin du XVe siècle, il y a environ 80 universités en Europe.

2. La redécouverte de l'Antiquité classique en Italie

- les textes

Dans ces universités, on redécouvre l'Antiquité latine et grecque. Cette réappropriation

s'est d'abord faite en Italie où l’on n'a jamais perdu tout à fait le contact avec l'Antiquité au

cours du Moyen Âge, même si beaucoup de textes ont disparu. Aux XIVe et au XVe siècles on

va s’attacher à redécouvrir certains textes et certains monuments du passé. L'université de

Bologne a, de ce point de vue, joué un rôle important car on va y étudier le droit romain

(c'est une spécificité de l'université de Bologne que de remettre au goût du jour le droit

romain pour en faire une relecture et s'en inspirer le plus possible pour l'appliquer au droit

que l'on pratique en Italie, à l'époque du bas Moyen Âge).

Il faut ici signaler le rôle particulier d'un érudit italien, à la fois

poète et moraliste qui pratique le latin : Pétrarque ou

Francesco Petrarca (1304 -1374). Il a fait des études de droit à

Montpellier et à Bologne, a beaucoup voyagé, est allé en

France et en Allemagne. C'est un érudit, un personnage

d'envergure européenne. Il est le premier moteur de la

Renaissance en matière littéraire et philosophique. C'est en

effet, à partir de ses recherches assidues de textes anciens

que des intellectuels vont se mobiliser, faire la visite d'un

certain nombre de bibliothèques, d'archives... pour retrouver

ces textes latins et grecs antiques perdus ou simplement

oubliés, se lancer dans l'exploration d'un certain nombre de couvents, de monastères où l'on

conservait des textes anciens que l'on recopiait.

Francesco Petrarca

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Il va le premier nommer « temps obscurs» la période de dix siècles séparant l'effondrement

de l'empire romain du XIVe (notre moyen âge) qui marque le début de la Renaissance.

L’histoire des « temps modernes » commence donc par la « redécouverte » de textes et de

monuments qui ont plus de 1000 ans.

Il existe cependant un deuxième vecteur de transmission des textes antiques : c'est celui du

Califat de Cordoue (929-1031). Dans ce royaume musulman d'Espagne, on conserve et

étudie les textes anciens grâce à des traductions en arabe. En effet, à partir des XIe-XIIe

siècles, un certain nombre de savants espagnols chrétiens ont commencé à retraduire en

latin (alors la langue universelle de savants) des textes qui étaient perdus dans leur version

latine d'origine. Ce ne sont donc plus des originaux mais des textes latins, grecs et juifs

autrefois traduits en arabe (ils avaient été rassemblés à Bagdad, dans la « Maison de la

Sagesse » - Bayt al-hikma - fondée à la fin du VIIe siècle par un calife omeyyade, et qui fut

ouverte aux savants à partir de 832) et qui sont maintenant retraduits en latin.

- les traces archéologiques

Une partie des bâtiments de l'Antiquité était enfouie dans le sol, dont on sait que le niveau

monte de siècle en siècle (voir l’exemple de l’aula magna qui, sous la Place royale de

Bruxelles, abrite les vestiges du palais dans lequel Charles Quint a abdiqué).

Des fouilles sont organisées autour de Rome par les intellectuels de

l'époque, à savoir les évêques, les cardinaux, les papes qui deviennent

les premiers collectionneurs d'art et d'antiquités. Se crée ainsi au XIVe

siècle, et se développe au XVe siècle un musée pontifical regroupant des

objets d'art. L'idée de collection et de musée existe déjà à Rome dès le

XVe siècle, et c'est à Rome que ce mouvement commence.

Retrouvant l'art antique et ses sujets profanes, on s'inspire aussi des

canons artistiques de l'Antiquité. La première statue de nu depuis plus

de 10 siècles est le David de Donatello, qui fait alors scandale.

Le David de Donatello (1443)

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3. L'affirmation du libre-arbitre et ses conséquences

Le libre-arbitre, c'est le fait que l'homme est maître de ses décisions. Or, la philosophie

médiévale a longuement débattu de cette question :

- ou bien Dieu a créé l'homme et dirige tout; les hommes ne sont alors que des

marionnettes, c'est ce que l'on appelle le serf-arbitre dans lequel la volonté de l'homme est

déterminée par Dieu, l'homme ne pouvant vouloir que ce que Dieu veut qu'il veuille.

Jusqu'au XIVe siècle c'est cette position du serf-arbitre qui l'emporte.

- ou bien Dieu a laissé aux hommes une certaine liberté de faire des choix, de pencher vers

« le bien » ou « le mal » : c’est la thèse du libre-arbitre.

Au XIIIe siècle, un théologien dominicain italien, Thomas d'Aquin

(Tomaso d'Aquino: village dont il est originaire), qui enseigne en Italie et

en France, insiste sur le libre arbitre et gagne de l’influence. Il veut

concilier la foi et la raison. Ce faisant, il valorise la connaissance et

déclare que « par la science, l'homme peut connaître le monde » et que

ses idées créatrices peuvent être bonnes et profitables. Cette image

optimiste de l’homme s'oppose évidement à celle, pessimiste, fondée sur

le péché originel d’Adam et Eve. Par cette mise en valeur du libre-arbitre et d’une vision

optimiste de l’humanité, Thomas d’Aquin laisse la liberté à l'homme de décider de ce qui

est bon ou mauvais pour lui-même.

Un de ses disciples, le moine franciscain anglais Guillaume d'Occam ou d’Ockham (première

moitié du XIVe siècle) qui enseigne à l'université d'Oxford va plus loin : puisque Dieu a donné

à l'homme la capacité et la liberté de s'approprier les richesses terrestres de l'univers et de

les faire fructifier à son profit, sciences et techniques ne doivent pas connaître de limites.

Cette opinion a d’importantes conséquences politiques : si les sciences et les techniques

peuvent évoluer, les institutions politiques peuvent également se transformer. Les Etats ne

sont pas créés par Dieu mais par les hommes, qui sont donc libres de se rassembler pour

désigner leurs chefs, ou se constituer en communautés. Ce sont donc là des idées

proprement révolutionnaires.

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Autre conséquence: il n'est pas clairement mentionné dans les Ecritures qu'il doit y avoir un

pape à Rome. Cette hiérarchie ecclésiastique est donc une création humaine. Des textes

parlent d'Ecclesia, mais ce mot grec signifie « assemblée » et non une institution verticale.

Les écrits de Guillaume d'Occam portent donc en germe des idées politiques et religieuses

proprement révolutionnaires.

Il devra d’ailleurs se réfugier à Munich où il sera protégé par l’électeur Louis IV de Bavière,

échappant ainsi à la persécution de l'Église et des souverains alliés du pape. (Il est à noter

que ce n'est pas l'Église qui frappe : elle condamne dans ses tribunaux, et c'est l'État qui

exécute ensuite la sentence).

L'archevêque Simone Saltarelli, aux pieds d'Innocent VI,

admoneste Guillaume d'Ockham. À droite du pape, l’empereur

Charles IV de Luxembourg (chapelle des Espagnols, église Santa-

Maria-Novella à Florence)

4. Les nouvelles relations entre les Etats et l'Église

- Théocratie et césaropapisme

Soit l'État domine l’Église: c’est le césaropapisme.

Soit l'Église domine l’Etat: c’est la théocratie dans laquelle les lois civiles se confondent avec

celles de la religion.

- La lutte entre papes et empereurs (XIe - XIIIe s.) et la querelle des Investitures

Au niveau le plus élevé, elle oppose les empereurs du Saint Empire romain germanique et

les papes pour la domination sur l’espace européen

- « Saint » : parce qu'il est catholique

- « Empire » parce qu’il prétend à l’imperium européen

- « romain » parce qu'il prétend être l'héritier de l'empire romain disparu, balayé par les

invasions barbares.

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- « germanique » car cet empire est basé essentiellement en Allemagne, même s'il domine

aussi l'Italie du Nord ou la Bohême par exemple..

Les conflits entre les papes et les empereurs ne sont pas de nature religieuse, mais il est

question de savoir qui a le pouvoir et qui perçoit les revenus ? Ce conflit est donc purement

politique, les empereurs ne se mêlant pas de religion.

La querelle des Investitures porte, elle, sur la nomination et l'installation des prélats de

l'Église : les évêques et les abbés des grandes abbayes.

Qui du pape ou de l'empereur doit les nommer ? Que se passe-t-il pour les revenus de

l'abbaye ou de l'évêché durant la période, qui dure parfois plusieurs années, séparant la

mort d'un prélat et la nomination de son successeur ?

Pour le pape, en tant que chef de l'Église, c'est à lui que revient le pouvoir de nommer les

évêques et les abbés. Mais l’empereur (comme certains souverains) demande un droit de

regard sur ces nominations car cela se passe dans son empire.

Concernant les revenus : pour le pape il s’agit de revenus ecclésiastiques. Pour le souverain,

il y a vacance de l'Église, et durant ce temps-là les revenus reviennent au pouvoir civil.

Le pape n'a pas d'armée mais sa puissance est d'ordre spirituel. Il peut en effet

excommunier l'empereur, l'exclure de la communauté chrétienne et inviter ses sujets à

s'affranchir de leur obéissance envers un souverain excommunié. L'empereur ne peut alors

plus entrer dans une église et participer au sacrifice divin. La puissance du souverain est,

elle, d'ordre militaire.

En 1122, le concordat de Worms est signé entre le pape et l'empereur allemand Henri V et

qui met fin à la querelle des Investitures. Le pape donne l'investiture spirituelle (l’anneau et

la crosse), l’empereur l'investiture temporelle (le sceptre) pour les biens fonciers et les

fonctions régaliennes de l'évêque; ainsi, le souverain conserve-t-il un droit de regard sur

cette nomination et reste maître chez lui. Mais il restitue à l'Église les biens et « régales

temporelles », c'est-à-dire le droit de percevoir les revenus d'un siège épiscopal vacant, et

garantit en outre paix et assistance à l'Église.

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Selon la papauté, le souverain pontife a reçu de Dieu deux glaives : l'épée spirituelle et

l'épée temporelle. Il donne l'épée temporelle au souverain, à l'empereur ou au roi de France

ou d'Angleterre.

Pour l'empereur c’est le contraire : c’est lui qui a reçu de Dieu le pouvoir, avec comme

contrepartie, le devoir et l'objectif de protéger l'Église.

En général les souverains catholiques sont réticents à laisser trop d’influence à la papauté

dans leurs Etats.

- Philippe le Bel et la naissance du gallicanisme

En France, au début du XIVe siècle, un conflit survient sur le thème des investitures entre le

roi de France, Philippe le Bel, et le pape.

En 1302, le roi obtient le soutien du clergé français contre le pape de Rome, sur les

questions économiques, notamment celles des investitures en cas de vacance d’évêché ou

d’abbaye.

En 1303 Philippe le Bel est excommunié par le pape Boniface VIII. C'est l'équivalent d'un

appel aux Français, les sujets de l'Église sont invités à ne plus respecter et ne plus obéir au

souverain qui est mis au ban de la société.

Le souverain envoie des troupes en Italie. Guillaume de Nogaret gifle le pape c'est:

«l'attentat d'Anagni» (du nom de la ville où a lieu l’événement).

Le pape étant mort trois semaines plus tard, les troupes françaises investissent la ville de

Rome et obligent les cardinaux à élire un pape. On les enferme dans une église et on les

affame : un pape français est élu : Clément V.

Clément V déplace la papauté de Rome à Avignon : de 1305 à 1378 la papauté est en

Avignon, alors à la frontière de la France.

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La cité des papes à Avignon

Ainsi apparaît le gallicanisme, c'est-à-dire d'une Église française relativement indépendante

par rapport à Rome mais cette indépendance ne s'exerce que sur le plan temporel, c(est-à-

dire politique et financier. Dans ces matières l’Église de France obéit d'abord à son roi avant

d'obéir au pape. Théologiquement, elle demeure cependant soumise au pape...

- La théorie de la supériorité du concile sur le pape

Le pape est-il un souverain absolu ? Ou bien les conciles (réunissant les cardinaux et les

évêques) lui sont-ils supérieurs ?

La théorie conciliariste a commencé à prendre de l'ampleur dès le XIIe siècle. Pise, ville de

l'Italie centrale où il y a beaucoup d'intellectuels ecclésiastiques, est partisane de la

supériorité des conciles sur le pape.

Un docteur en théologie de la Sorbonne, d'origine italienne, Marsile de Padoue publie en

1324 le Defensor pacis. Il y défend l'idée selon laquelle le défenseur de la paix n'est pas le

pape mais l'empereur, qui dispose du pouvoir temporel suprême. Marsile va jusqu'à

proposer que les conciles soient convoqués par les empereurs. Quant au pape, il n’est qu’un

évêque élu par le concile, seul pouvoir suprême dans l’Église, pour en être le porte-parole.

Comme Guillaume d'Occam, dont il est l'ami, Marsile de Padoue sera condamné pour ses

idées, devra fuir la Sorbonne et la France pour se réfugier à Munich chez le prince électeur

Louis IV de Bavière, tout comme Guillaume d'Occam, dont l’électeur partage les idées

avancées.

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En 1438, le roi de France Charles VII déclarera également, dans une Pragmatique Sanction,

que le concile est supérieur au pape.

- le Grand schisme (1378 - 1417)

Certains ecclésiastiques, notamment italiens, s’opposent à l’installation des papes en

Avignon. En 1378, un pape concurrent du pape d'Avignon est élu en Italie où l’on ne

reconnaît plus le pape d'Avignon, bien qu'il ait décidé de se réinstaller à Rome. Il y a donc

deux papes concurrents à Rome.

En 1409 un troisième pape est élu. De 1409 à 1415 il y a donc trois papes en fonction,

chacun ayant ses partisans parmi les souverains européens.

Le clergé se divise... Cela pose un problème à la fois religieux et politique.

Les souverains vont intervenir, considérant que ce désordre religieux génère également un

désordre dans l'État. L'Église est en effet un important élément de la paix sociale, elle est

présente dans tous les villages et dispose d'un meilleur maillage du territoire que celui de

l'État. Les messages de l'État à la population sont souvent relayés par les autorités

ecclésiastiques : les deux pouvoirs sont étroitement liés.

Dès lors, ce sont l’empereur et les grands souverains européens qui vont provoquer la

réunion d'un concile, à Constance, en 1414 -1415. La ville est assez centrale en Europe,

située aux confins de la Suisse et de l'Allemagne.

Jean XXIII et Grégoire XII acceptent de démissionner, mais l’Espagnol Benoît XIII n'accepte

pas la procédure. Déposé par le concile, il s'installe en Espagne, prétendant qu'il est le seul

pape légitime. On élit finalement un nouveau pape, reconnu par l'empereur et les grands

souverains européens : Martin V.

Ce qu’il est intéressant d'observer c'est :

- la victoire du conciliarisme sur la « monarchie » pontificale

- l'importance de la prise de pouvoir des souverains qui ont convoqué ce concile et y ont été

très influents : l’Église, n'a pas réussi à régler seule ce problème et elle est désormais

affaiblie face au pouvoir civil.

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5. Jean Gerson et la contestation de la monarchie absolue

Jean Gerson (1363-1429) est professeur de théologie à la Sorbonne. Il a participé au concile

de Constance, et y a soutenu avec force les libertés de l'église gallicane.

Partisan du conciliarisme, il en applique les principes à la politique :

- le pouvoir appartient fondamentalement à la collectivité et non pas à un individu.

- les souverains ne sont que les « ministres » de la collectivité

- Ils doivent gouverner pour le bien commun, l'intérêt général.

Cette thèse met évidement en danger le pouvoir absolu des souverains.

6. Les précurseurs de la Réforme

Ce sont des mouvements que l'on dit « évangéliques » et qui apparaissent dès le XIIIe siècle.

Le discours de ces mouvements est toujours le même et sera aussi celui de Luther, qui lui

réussira à s’imposer.

Ils contestent essentiellement :

- le pouvoir temporel de l'Église : elle doit s'occuper que de questions de théologie et non

de politique

- son enrichissement, qui prend des proportions importantes en cette fin de Moyen Âge :

elle doit au contraire se consacrer à faire la charité

Ces mouvements donnent un rôle important à des laïcs, qui ne sont pas membres du clergé.

Ils sont souvent soutenus par des prédicateurs qui se répandent alors dans toute l'Europe :

les Franciscains et les Dominicains, ordres religieux mendiants, qui ont fait vœu de pauvreté

et vivent de façon itinérante.

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- Pierre Valdo

Le mouvement des « Vaudois » naît à Lyon au XIIIe siècle.

Pierre Valdo (ou Valdès, †1217) est un marchand de Lyon qui, à

la suite d'une crise religieuse, donne tous ses biens pour vivre

l'idéal de pauvreté apostolique. Il défend un idéal de pauvreté

de l'Église et, puisque celle-ci n'est pas capable de mettre en

pratique sa propre doctrine, il fonde un mouvement connu sous

le nom de « Fraternité des Pauvres de Lyon » qui vivra selon

l'Évangile. Ce mouvement vaudois est réprimé dans la violence

(4.000 morts environ).

- John Wycliffe (1329 - 1384) et les Lollards

En Angleterre cette fois, John Wycliffe (1329 - 1384). John Wycliffe

est un théologien qui milite pour un retour aux évangiles, pour un

certain « augustinisme » (en référence à saint Augustin, voir ci-

dessous la devotio moderna) et défend ce que l'on appelle « le

sacerdoce universel », c’est-à-dire le droit pour tous (et non

seulement pour les ecclésiastiques) d’exécuter des fonctions

ecclésiastiques, de participer activement à la vie de l'Église.

Tout se fait alors en latin dans l’Église, ce qui empêche toute participation des fidèles, dont

une grande partie est analphabète. De plus le culte s’exerce dos tourné aux fidèles et

derrière un jubé (une clôture), qui sépare le chœur de la nef de l’église. La Bible est

réservée aux ecclésiastiques, en posséder une chez soi est passible de condamnation. Seul

le clergé peut lire, interpréter et expliquer aux fidèles les textes sacrés. Wycliffe et ses amis

entreprennent donc la traduction en anglais de la Vulgate (1397), bravant par là l'interdit de

l'Église.

Wycliffe affirme qu'il existe une relation directe entre l'homme et Dieu, qui s’exerce sans

l'intermédiaire des prêtres. De ce fait, tout chrétien est pour lui capable de donner les

sacrements. La hiérarchie, qui sépare l'Église des fidèles, ne correspond pas au message

Statue de P. Valdo sur le Mémorial Luther, à Worms (Allemagne)

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évangélique : c’est même un véritable abus de pouvoir. Conciliariste, il préconise la

désignation du pape par tirage au sort.

Il critique aussi la corruption de l'Église d'Angleterre et plaide pour un partage des richesses

ecclésiastiques.

Enfin, il veut séparer l'Église et l'État : les domaines temporel et spirituel doivent être

clairement distincts, et l’Église doit se limiter au domaine spirituel, préparer les croyants au

« Jugement dernier » et à la vie après la mort.

Les partisans de Wycliffe « les Lollards », (les « chuchoteurs »), répandent son enseignement

après sa mort. Ce mouvement débouche sur des révoltes religieuses mais aussi contre le

pouvoir civil et contre les inégalités sociales. En 1414, une insurrection parcourt

notamment les campagnes du Kent.

- Jean Hus

1Jean Hus (†1415), ecclésias que tchèque, professeur de théologie à l'université de Prague.

Il soutient les mêmes idées que John Wycliffe. Il est amené à Constance de force pour

défendre y être jugé par le concile.

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Il est alors condamné pour hérésie, et brûlé publiquement. En Bohême, ses partisans, les

Hussites, continueront militairement son combat jusqu’en 1471, date à laquelle leur ville

fortifiée de Tabor (en République tchèque) sera prise. Le courant hussite subsistera ensuite,

plus ou moins clandestinement, en Bohême-Moravie et s’entendra ensuite notamment aux

Etats-Unis.

- La devotio moderna

Ce courant soutient l'idée, qu'au lieu de se battre politiquement pour faire changer la

société, il est plus important de se changer soi-même, de l'intérieur, de se préparer à

paraître devant Dieu après la mort.

En 1381, à Deventer (Pays-Bas) Geert Groote, un diacre (un laïc, auxiliaire de l’Église,

notamment dans la gestion des aumônes), fonde le mouvement des «frères de la Vie

Commune ». C'est une communauté mystique qui cherche à vivre le message des évangiles

en s'isolant de la société, dans la pauvreté et en s'adonnant à des exercices spirituels afin de

se réformer moralement.

Leur théologie est notamment inspirée de celle de saint Augustin, un des « pères de

l'Église » c'est-à-dire un des fondateurs de la théologie chrétienne. Il a vécu en Afrique du

Nord, en Tunisie notamment, au IVe siècle. Sa théologie « pessimiste » insiste sur le péché

originel, et considère que l'homme est foncièrement mauvais. Le but de la vie est de donc

de racheter le péché originel d'Adam et Eve et de l'humanité en général pour obtenir le

pardon de Dieu. La vie terrestre n’est qu’un « passage », un « pèlerinage » vers ce but

ultime. Pour saint Augustin et ses adeptes, « la grâce de Dieu » est indispensable à l’homme

pour qu’il soit sauvé : la foi et les bonnes actions ne suffisent pas. Luther puis Calvin

reprendront par la suite ce thème d'une vision pessimiste de l'homme et d'un homme

complètement dépendant de la grâce de Dieu pour son salut éternel.

Ces idées sont synthétisées dans un ouvrage datant des environs de 1420, attribué à Thomas

a Kempis (un Allemand, originaire de Kempen) : L’Imitation de Jésus-Christ. Le Christ y est

posé en modèle d’une « vraie vie chrétienne ».

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En 1496-97, durant sa jeunesse, Luther séjournera durant deux ans à Magdebourg (nord de

l'Allemagne), dans une communauté des frères de la Vie Commune. Il en sera fortement

marqué.

III - L'EVOLUTION DES PRINCIPAUX ÉTATS EUROPEENS ENTRE 1200 ET 1450

1. La mosaïque italienne

L'Italie n'existe pas en tant qu'État à cette époque. Tout le nord de l'Italie, sauf les

« républiques maritimes » de Gênes et de Venise, est sous l'autorité (assez lointaine

cependant) de l'empereur du Saint Empire romain germanique.

Les deux républiques possèdent un contado c'est-à-dire des terres intérieures qui leur

permettent de s’approvisionner. Toutes deux sont dirigées par un doge, élu au sein d’une

des grandes familles commerçantes qui constituent une véritable oligarchie.

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Outre la Toscane (Florence) et Pise, il existe deux autres Etats importants dans le nord de

l'Italie : le Milanais, ou Lombardie, et le Piémont-Savoie autour de Turin, à cheval sur les

Alpes.

Les Etats du Pape occupent tout le centre de l'Italie. Les papes sont donc aussi des

souverains avec des territoires, une petite armée et des revenus agricoles. (Les papes ont

réussi à conserver ce statut depuis, notamment grâce à Mussolini qui les à fait admettre au

rang de chefs d'État – l’état du Vatican – avec les privilèges diplomatiques que cela confère).

Au sud de l'Italie, Naples est la capitale du royaume des Deux-Siciles. Ce royaume est aux

mains de la famille française d'Anjou de 1250 à 1442. Puis il passe aux Aragon espagnols qui

s'en emparent militairement avec l'aide des Vénitiens.

2. La Reconquista espagnole et les premières expéditions portugaises en

Afrique

- L'Espagne musulmane et les califats de Damas et de Bagdad

622 est la date qui marque le début de l'Islam dans l’Arabie saoudite actuelle.

Très rapidement, en un siècle

environ, les Arabes musulmans

conquièrent toute l'Afrique du Nord

jusqu'aux confins de l'Espagne.

En 711, les Arabes pénètrent en

Espagne (alors occupée par Wisigoths

et Vandales) et la conquièrent très

rapidement remontant vers la France.

En 732, ils sont vaincus à Poitiers, ce qui met un terme à leur progression. Ils se replient

ensuite au-delà des Pyrénées, où une Espagne musulmane prend forme sous le nom d’Al

Réductions successives du royaume wisigoth de 711 à 714.

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Andalus (« le pays des Vandales »). Al Andalus dépend du calife de Damas, alors chef

temporel et spirituel du monde musulman, héritier légitime de Mahomet. En 750, le calife

abbasside de Bagdad le remplace à la tête du monde musulman. L'Espagne musulmane

cultive son particularisme (musulmans, juifs et chrétiens y cohabitent, c’est la convivencia)

et recherche l’autonomie : en 756, un Emirat de Cordoue est créé au sud de l'Espagne, et va

se transformer en califat indépendant en 929.

En 1258 Bagdad est assiégée, prise, mise à sac et détruite par les Mongols. Les héritiers des

califes abbassides se réfugient en Égypte, à Alexandrie où règne depuis 1250, suite à un

coup d’état, la dynastie des Mamelouks (« esclave blanc » en arabe), des militaires d'élite

issus de Turquie et du Caucase qui étaient entrés au service des sultans égyptiens.

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Les Mamelouks reprennent dès lors le flambeau du califat, au sein duquel l'Espagne

demeure autonome. [=> En 1517, les Turcs ottomans reprendront le califat, devenant ainsi

les nouveaux maîtres du monde musulman.]

Après avoir vaincu les Arabes à Poitiers, les chrétiens entreprennent une lente Reconquista

de l’Espagne. Elle va durer sept siècles et demi, de 732 à 1492 (en 1636, Le Cid, de Corneille

est une de ses plus célèbres représentations littéraires).

A partir du XIIIe siècle, la situation se fige avec :

- au sud : le royaume de Grenade (dont Cordoue est la capitale intellectuelle et religieuse)

qui recouvre l'Andalousie actuelle.

- au nord : le royaume du Portugal à l'ouest ; le royaume de Castille au centre ;le royaume

d'Aragon à l'est, le long de la Méditerranée.

- les premières expéditions maritimes portugaises en Afrique

Elles sont impulsées par le frère de Jean Ier, roi du Portugal : Henri le Navigateur (1394-

1460) qui s'intéresse beaucoup aux découvertes maritimes. Il lance à partir du Portugal, des

Le mausolée des Mamelouks au Caire

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navires vers les côtes du Maroc afin d’y installer des comptoirs (places de commerce

fortifiées sur la côte).

Quatre pôles d'intérêt poussent les Portugais:

- le blé : le Portugal est relativement peuplé et manque de ressources

- le sel : c'est une denrée stratégique car permettant la conservation des viandes. Il y a des

gisements de sel au Sahara, dont les Arabes font commerce.

- l'or : que l'on trouve dans le Sahel et sur les côtes d'Afrique occidentale (golfe de Guinée)

- les esclaves : les Portugais savent que les Arabes réduisent depuis des siècles en esclavage

les Noirs africains faits prisonniers. Cette main-d’œuvre gratuite les attire.

En 1415 la ville côtière de

Ceuta (auj. espagnole) est

prise.

Puis les Portugais continuent

de descendre le long des côtes

africaines jusqu'au cap

Bojador en 1434 (au sud du

Maroc)

En 1445, ils arrivent au Cap-

Vert.

Toutes ces expéditions

maritimes sont permises, en

grande partie, grâce aux

progrès techniques.

Pour naviguer dans ces régions parcourues de courants maritimes inconnus, il faut disposer

de techniques de navigation qui permettent de s'éloigner des côtes dangereuses. La

boussole (invention chinoise, comme le papier et la poudre à canon) est perfectionnée vers

1250.

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On ajoute aux voiles latines traditionnelles et triangulaires des voiles rectangulaires, en plus

grand nombre, venant équiper des bateaux que l'on appelle caravelles.

Le gouvernail est perfectionné : autrefois on se dirigeait avec une rame actionnée par un

marin situé à l'arrière du bateau. Au XIIIe siècle, on invente le gouvernail d'étambot, qui est

attaché à la quille du bateau.

En 1410, un cardinal et chancelier de France, Pierre d'Ailly a publié une carte, l'Imago

Mundi, sur laquelle l'Afrique était raccourcie de plusieurs milliers de kilomètres au sud par

rapport à ce que l’on sait aujourd’hui. Les Portugais considèrent dès lors qu'il n'est sans

doute pas difficile de la contourner par le sud pour aller en Orient.

Qu'est-ce qui attire les Portugais en Asie ?

- les épices : elles sont extrêmement chères car il y a eu une invasion mongole en 1150,

rendant le Proche-Orient difficile d'accès et dangereux par voie de terre, ce qui a fait

énormément monter les prix ; les Arabes font de gros bénéfices en les revendant aux

Vénitiens et aux Génois, qui disposent pratiquement du monopole en Europe, et que les

Portugais veulent concurrencer.

- la légende du « royaume du prêtre Jean », totalement imaginaire et réputé très riche.

D’abord situé en Inde aux XIe-XIIe siècles, on le voit désormais en Éthiopie, à l’est de

l'Afrique. On pourrait donc le rejoindre en contournant l’Afrique par le sud. Les Portugais

espèrent veulent à la fois s’approprier ses richesses et aider les chrétiens d'Éthiopie et du

sud de l’Egypte (les coptes, coupé du monde chrétien depuis l’invasion arabe de l’Afrique du

nord au VIIe siècle, et qui ont développé une forme particulière de christianisme) à lutter

contre les musulmans. C'est en quelque sorte, une idée de « croisade ». [=> En 1526, un

corps expéditionnaire portugais débarqué au Kenya rejoindra en effet les chrétiens coptes

d'Éthiopie.]

- Les grands empires africains

Avant l'arrivée des Portugais en Afrique il existe en Afrique noire trois grands empires :

L'empire Songhaï ou du Mali au nord-ouest, qui va du Sénégal au Nigéria en suivant à peu

près le cours du fleuve Niger. L'empire Kongo au centre-ouest de l'Afrique, qui va du Gabon

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à l'Angola sur la côte occidentale de l'Afrique centrale. Le Monomotopa ou Grand

Zimbabwe au sud-est, situé le long du fleuve Zambèze dans des pays dont le nom sera

influencé par le Zambèze : la Zambie actuelle, le Mozambique et les îles Zimbabwe.

3. La guerre de Cent Ans (1337-1453)

Elle oppose Français et Anglais pour la possession du royaume de France, mais un troisième

partenaire intervient : le duc de Bourgogne. La « Bourgogne », dont Bruxelles et Dijon sont

les villes principales, s’étend alors des Flandres, au nord-ouest, à la Bourgogne d’aujourd’hui

au sud-est. Le duc de Bourgogne est le principal rival du roi de France. Il s’allie souvent avec

le roi d’Angleterre pour tenter d’assouvir ses ambitions sur la couronne française.

Le conflit dure de 1337 à 1453 avec des périodes de trêve.

Ce conflit a lieu pour une raison plus ou moins imprévue : l'alliance en 1152 entre Henri II de

Plantagenêt et Aliénor d'Aquitaine.

Les rois d'Angleterre sont ducs de Normandie, et détiennent des territoires que revendique

le roi de France. Mais les Plantagenêt sont aussi comtes d'Anjou : avec l'Aquitaine toute la

façade atlantique de la France est aux mains des Anglais. Ainsi, le roi d'Angleterre est le

plus important vassal du roi de France qui ne peut le considérer que comme un concurrent,

ses propres domaines étant plus petits que ceux de son vassal.

Les conséquences du conflit sont :

- la montée d’un protonationalisme en France et en Angleterre

- une remise en cause de la féodalité car un vassal plus puissant que son roi pose problème

- cela invite à plus de centralisation du pouvoir pour contre les effets « pervers » de la

féodalité (par mariage et héritages un vassal peut devenir plus puissant que son roi)

4. Le Saint Empire romain germanique et la Bulle d'Or de 1356

C'est une confédération d'Etats, très peu centralisée, et qui comprend plus de 300 entités

de trois types:

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- des royaumes, comme la Bavière ou la Saxe

- des principautés ecclésiastiques, gouvernées par des princes-évêques, comme les évêchés

de Cologne ou de Trèves

- des villes libres, comme Francfort ou Hambourg

L’empereur, qui est l'un des quatre souverains importants de l'Europe avec le roi de France,

le roi d'Espagne et le roi d'Angleterre, exerce seulement une domination politique (et de

type féodal) sur le Saint Empire. Mais il veille à son unité, religieuse notamment.

Il est élu : en 1356 la Bulle d’Or fixe le nombre de « grands Electeurs » à sept:

- trois ecclésiastiques : les princes évêques (ou archevêques) de Trêves, Mayence et

Cologne, toutes trois au centre-ouest de l’Allemagne

- quatre laïcs : le roi de Bohême, le margrave de Brandebourg (au nord-est de l'Allemagne,

autour de Berlin), le comte palatin du Rhin (le Palatinat se trouve au nord-est de la France

actuelle, autour de Karlsruhe), le duc de Saxe (au centre-est de l'Allemagne actuelle, autour

de région Dresde).

Au XVIIIe siècle, le duc de Bavière sera le huitième grand Electeur.

À partir de 1438, à part deux exceptions (qui provoqueront d'ailleurs des conflits armés),

tous les empereurs sont choisis dans la famille des Habsbourg, originaire de Suisse, mais

dont la plupart des domaines se trouvent dans l’Autriche actuelle.

Il arrive que l’élection soit achetée : ce sera notamment le cas de Charles Quint en 1519.

5. La Scandinavie sous la domination danoise

Trois royaumes se partagent cet espace géographique : le Danemark, la Suède et la Norvège.

Depuis 1397, ils sont unis par l'union de Kalmar (une ville située sur la côte orientale de la

Suède) qui consacre en fait la domination danoise sur la Scandinavie. Le Danemark de

l'époque possède en effet une bonne partie du nord de l'Allemagne actuelle et est donc

beaucoup plus important qu'aujourd'hui. L’union de Kalmar subsistera jusqu'en 1523.

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6. La monarchie polonaise et la dynastie des Jagellon

Elle est beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui, notamment à l’est où elle englobe une

bonne partie de l’actuelle Biélorussie et quelques territoires baltes. La dynastie des grands-

ducs de Lituanie, les Jagellon (Jagiello en polonais), convertie au catholicisme, règne aussi

sur la Pologne de 1386 à 1572 (c’est une « union personnelle » seulement : les deux

royaumes demeurent indépendants l’un de l’autre). Craignant les ambitions territoriales des

Habsbourg, la Pologne s’allie au XVIe siècle aux Turcs ottomans.

Issu des croisades, l’ordre des chevaliers teutoniques, à la fois militaire et religieux, s’est

replié au début du XIIIe siècle sur les rives de la Baltique avec pour objectif de contenir

l’avancée vers l’ouest des Slaves et de les convertir au catholicisme. Peu à peu ils se

constituent un véritable « royaume » sur les rives sud-est de la mer Baltique devenant

dangereux pour la Pologne. Battus par Ladislas II Jagellon en 1410 (bataille de Tannenberg),

ils se replient vers la Prusse orientale (auj. la région de Kaliningrad/Königsberg) et se

soumettent au roi de Pologne. [=> En 1525, le grand-maître sécularisera l’ordre et se

proclamera duc de Prusse]

7. La Russie d'Ivan III : un État enclavé

A cette époque, la Russie n'est pas encore un état « européen ». Elle est beaucoup plus

tournée vers l'Est et on la considère plutôt comme un pays « asiatique », où règne

notamment le servage [qui sera légal jusqu’en 1861].

Ivan III (1462-1505) est le premier souverain qui donne un certain prestige à la Russie. Il

épouse la fille du dernier empereur de Byzance. Les Russes ont été convertis au

christianisme par des missionnaires byzantins orthodoxes et l’essentiel des relations

diplomatiques de la Russie sont dirigées vers le sud et l'empire byzantin. L’orthodoxie ayant

été vaincue par la conquête ottomane, les Russes reprennent le flambeau du christianisme

« d’Orient ». [=> En 1547, Ivan IV, dit le Terrible, s'autoproclamera « tsar », c’est-à-dire

Caesar. Le tsar de Russie est « le nouveau César ». Au travers de cette proclamation, il se

présente comme l’héritier et du christianisme. Après Rome et Byzance, la Russie se voit

comme le troisième empire chrétien, et Moscou comme « la troisième Rome »].

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8. L'Empire ottoman en expansion

« Ottoman » vient du nom du souverain Osman (ou Otman) Ier(1281-1326), fondateur de la

dynastie.

En 1453, Mehmet II, dit le Conquérant (1429-81) prend Constantinople, entraînant la chute

de l'empire byzantin.

En 1463, la Bosnie et la Serbie tombent entre leurs mains et ils poursuivent leur expansion

vers le nord-ouest. Ils sont aussi présents en Méditerranée : la ville d'Otrante, dans le sud

de l’Italie, est occupée pendant environ un an (1480-81).

Les Ottomans contrôlent aussi les rives de la Mer Noire et la Crimée, où aboutissent

traditionnellement les caravanes venues d’Orient. Ils y côtoient les commerçants génois et

vénitiens qui achètent les produits orientaux pour les revendre en Occident. Un accord

commercial (péage au passage du détroit turc des Dardanelles) permet à ceux-ci de

continuer ce commerce maritime :

- d’épices (poivre, cannelle, noix de muscade, clou de girofle), utilisées dans la cuisine mais

aussi et surtout dans la pharmacie.

- de porcelaines de Chine, dont on ne connaît pas encore en Europe le secret de fabrication

[=> il ne sera découvert en Saxe qu'à la fin du XVIIe siècle]

- de soieries, également venues de Chine.

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DEUXIEME PARTIE

Humanisme, Renaissance, Réforme (v.1450- v.1550)

I - LES GRANDES DATES

1453 : prise de Constantinople par les Turcs ottomans

1455 : à Mayence, Gutenberg publie le premier ouvrage imprimé

1477 : Maximilien de Habsbourg épouse Marie de Bourgogne

1485 : les Tudor montent sur le trône d'Angleterre

1492 : fin de la Reconquista espagnole

1492 : premier voyage de Christophe Colomb en Amérique

1498 : ouverture de la route des Indes par Vasco de Gama

1500 : les Pays-Bas bourguignons deviennent espagnols

1511 : les Portugais atteignent le détroit de Malacca

1513 : Machiavel : Le Prince

1513 : Balboa découvre l'océan Pacifique

1516 : Charles Quint monte sur le trône d'Espagne

1517 : Luther affiche ses 95 thèses à Wittenberg

1517 : transfert du califat d'Égypte aux Turcs ottomans

1517 : les Portugais arrivent à Canton

1519 : Charles Quint est élu empereur

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1519 – 1521 : Cortez conquiert le Mexique

1519 - 1522 : l'expédition de Magellan fait le premier tour du monde

1529 : les Turcs Ottomans assiègent Vienne

1531 – 1533 : Pizarre conquiert le Pérou

1534 : acte de Suprématie d'Henri VIII

1540 : fondation de la Compagnie de Jésus

1541 : Calvin s'installe à Genève

1542 : les Portugais arrivent au Japon

1543 : Copernic expose ses thèses hélio centristes

1545 : ouverture du Concile de Trente

II - L'HUMANISME

1. Le processus d’individuation

L'individuation est ce phénomène par lequel, de façon lente mais croissante (tout le monde

n’évolue pas au même rythme et c'est un mouvement qui prendra des siècles pour

l’emporter finalement, en Occident au moins, dans le dernier quart du XXe siècle) progresse

l'idée que l'individu n’est pas seulement le membre d'un groupe (de groupes) et comme tel

soumis à de nombreuses contraintes collectives, mais qu’il doit surtout jouir d’une

autonomie individuelle dans tous les domaines. Cette idée qui, aujourd'hui en Occident,

apparaît assez évidente n'était pas du tout bien reçue autrefois. Les choix individuels

n’étaient pas la règle, et les contraintes sociales, religieuses et morales s’imposaient aux

individus, que ce soit dans la famille, le quartier, la paroisse, le métier, le groupe d’âge, la

classe sociale, etc.

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- la « civilisation » des mœurs

Les mœurs se « civilisent », s’affinent, peu à peu. Cela a d’abord été décrit, en 1969, dans

l’ouvrage du sociologue allemand Norbert Elias (Über den Prozeß der Zivilisation, traduit en

français par La civilisation des mœurs). Il y montre que la civilisation occidentale moderne

est le résultat d'un lent processus de domestication des pulsions, que ce soient celles de la

violence, la sexualité, etc..

Ceci est en partie lié à la ré-urbanisation de la fin du moyen âge et à l’avènement d’une

classe bourgeoise qui en découle. Celle-ci veut se distinguer du peuple par ses « belles

manières ». On raffine par exemple les manières de table : il est désormais considéré comme

choquant de manger avec les mains (couteau et fourchette personnels apparaissent), ou de

s’essuyer sur la nappe.

C’est l’Italie, pays de l’humanisme, qui est à l'avant-garde de ce point de vue en Europe [=>

ses coutumes se répandront notamment en France à l’occasion des guerres d’Italie qu’y

mèneront, fin XVe-début XVIe siècle, Charles VIII, Louis XII et François Ier. C’est en Italie aussi

que paraîtra, en 1528, le premier grand manuel de savoir-vivre : Il Cortegiano (Le Courtisan)

de Balthazar Castiglione.]

La définition de « l'honnête homme » repose surtout, désormais, sur la domination de soi, le

raffinement des mœurs et de l'esprit.

- la notion d'intimité

De plus en plus, on distingue ce que l'on peut faire et pas faire en public. On estime

désormais qu'il y a des gestes ou des fonctions corporelles qui doivent être réservés à

l’intimité. La « chaise percée » est inventée au XVe siècle et se répand ensuite peu à peu des

cours aristocratiques aux maisons bourgeoises.

- Une vision « démiurgique » de l’homme

Démiurge signifie « créateur ». C’est une vision positive de l'homme qui ira croissante. On

valorise le savoir, la connaissance qui permettent d'accéder à une vie meilleure et de

transformer la nature au profit de l'homme (ce qui va à l’encontre du message de l'Église).

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- Quelques Humanistes

Par « Humanistes » on désigne un certain nombre d’érudits,

représentatifs d’un mouvement intellectuel qui remet en cause

les « vérités » chrétiennes, en s’appuyant notamment sur les

sciences et sur la redécouverte de l’héritage de l’Antiquité

gréco-latine.

L’Italien Jean Pic de la Mirandole (1463-1494) fréquente

l'université de Padoue, y apprend l'hébreu, s'intéresse à la

kabbale juive et aux sciences occultes. Il fréquente à Florence

l'Académie, une société de pensée fondée par les Médicis, dans laquelle on étudie

notamment l'œuvre de Platon [voir ci-dessous à propos du mécénat]. C'est à la fois un

philosophe, un érudit, un linguiste, un personnage important protégé par Laurent de

Médicis. Il a des idées avancées, dangereuses même pour sa sécurité car ce qu'il dit va à

l'encontre du message de l'Église catholique.

Texte 2 

« Toutes les autres créatures ont une nature définie, régie par des lois (...); Toi, tu n'es limité

par aucune barrière; c'est de ta propre volonté (...) que tu détermineras ta nature ». Pic de la

Mirandole, De la dignité humaine (1496)

L'homme peut donc se transformer, progresser, dominer ses instincts. Il est libre de faire

des choix et est seul responsable de ses actes. Pic de la Mirandole donne ainsi de l'homme

une vision démiurgique, celle d’un homme « créateur de lui-même ». [=> bientôt, on le

verra avec Descartes, l'homme va justifier l’utilisation de la nature à son profit].

Ces idées sont notamment partagées par l’écrivain français François Rabelais, les poètes

italien Torquato Tasso (dit « Le Tasse ») et portugais Luis de Camoens.

- Le mécénat

La « protection » et l’entretien des artistes et des intellectuels par les « Grands», c'est-à-

dire des riches et des puissants, se répand d’abord en Italie. L'exemple le plus célèbre est

celui de Laurent de Médicis à Florence. Il abrite Marsile Ficin (Marsilio Ficino, 1433-99),

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grand intellectuel florentin et traducteur des Dialogues de Platon, dans une villa sur les

hauteurs de Florence pour y faire, avec d'autres savants, des recherches (auj. la « Villa

Médicis » abrite le centre culturel français à Florence). Inspirée de la Grèce antique,

« l’académie » de Florence sera le modèle d'un grand nombre de sociétés de pensée et de

recherche formées autour de savants durant la Renaissance, mais aussi plus tard.

Les papes, souvent eux-mêmes lettrés, intellectuels, collectionneurs sont également

d’importants mécènes.

Pour les artistes et les intellectuels, c’est le signe désormais d’une reconnaissance

individuelle. Au moyen âge, il était souvent difficile d'identifier les auteurs de fresques ou

autres œuvres d'art, et la créativité individuelle était rarement encouragée. À la renaissance,

l'artiste va devenir un personnage plus important, mieux considéré et qui va très souvent

signer ses œuvres. Léonard de Vinci, artiste emblématique de la Renaissance, cultive

l’individualisme : pour lui, «un artiste ne doit pas imiter la manière d'autrui», ni d’ailleurs

chercher à reproduire telle quelle la réalité, mais plutôt à l’interpréter.

Le progrès technique (la découverte, en Italie au XIIIe siècle, des lois de la perspective, et

l’invention, en Flandre au XIVe, de la peinture à l'huile) permet par ailleurs d’individualiser

désormais les portraits. Les deux régions alors les plus riches d’Europe contribuent de la

sorte au progrès de l’individuation.

Texte 3 

« Jusqu'au XIVe siècle, l'artiste n'était qu'un artisan voué à l'anonymat, travaillant selon les

traditions et les commandes, qui définissaient le sujet, les dimensions, les caractères de

l'œuvre. Maintenant, dans ces deux régions (Italie et Flandres), se développe la création

originale et l'idée de génie. Les peintres signent plus fréquemment leurs œuvres. Bientôt les

plus célèbres seront couverts d'honneur et d'argent. Or, cette promotion est liée à l'entrée

dans l'économie de marché, à l'individualisation (c'est l'heure des premiers portraits

ressemblants) et un une nouvelle maîtrise du monde par le réalisme et la perspective, dont la

mise au point progresse du XIIIe au XVIe siècle »

Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine (Paris, 2002)

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En Allemagne, Albrecht Dürer (1471-1528) est le premier peintre et graveur à

commercialiser lui-même ses œuvres, qu’il signe de ses initiales. Le plus souvent, il ne

travaille pas sur commande mais selon son inspiration.

Hans Holbein, artiste allemand, développe l’art du portrait à la cour d'Angleterre. En France,

François Clouet fait de même.

Quelques écrivains commencent à jouir d’une notoriété internationale : c’est le cas de

Rabelais et de Machiavel.

2. Le renouveau des études philologiques et la critique des textes sacrés

Au début du XVIe siècle on commence à étudier les textes sacrés (essentiellement la Bible)

d’un point vue neutre, philologique, on est ainsi amené les « désacraliser ».

Pour cela la maîtrise des « trois langues » (hébreu grec, latin) est nécessaire. On crée donc

des « collèges trilingues ». Le premier est fondé à Alcala de Henares, près de Madrid, en

1498. La connaissance de l'arabe, encore présente alors en Espagne, est d’ailleurs aussi utile

puisque certains textes sacrés ont été traduits en arabe

En 1517, un second collège trilingue est fondé à Louvain, université la plus septentrionale du

monde catholique. En 1530, François Ier en crée un troisième à Paris. Où, dès 1514-17 est

parue la première Bible « polyglotte » (dans les trois langues).

Jan Van Eyck, L'homme au turban rouge (1433)

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L'exégèse des textes comprend non seulement l'étude philologique mais aussi des

commentaires. En 1440, l’universitaire italien Lorenzo Valla (1407-57) dénonce la fausse

donation de Constantin, empereur romain du IVe siècle converti au christianisme et qui

aurait « donné » à l'évêque de Rome un pouvoir suprême sur la chrétienté (la nécessité de

l’établissement d’un « pape » n’était nulle part mentionnée dans la Bible). Etudiant le texte

de la donation, Valla constate que le vocabulaire qui y est employé ne date pas du IVe siècle,

mais du VIIIe. Ce texte est donc un faux, fabriqué dans une abbaye, et sur lequel les papes

basent leur pouvoir. Cela arrange évidemment certains souverains, opposés à un trop grand

pouvoir du pape.

3. Les principaux vecteurs culturels de l'humanisme

- Vecteurs géographiques

Ce sont des endroits où se produisent les contacts culturels qui facilitent l'expansion de

l'humanisme.

Le premier est Avignon. De 1305 à 1378, les papes y sont installés avec leur cour. Pétrarque

y passera quelques années, tout comme un certain nombre d'intellectuels italiens, français,

anglais ou allemands. Ainsi, les idées et les modes de l'humanisme vont se répandre en

Europe du nord et du nord-ouest.

Le second, ce sont les guerres d'Italie. Trois rois de France : Charles VIII, Louis XII, François

Ier, « descendent » en Italie fin XVe-début XVIe siècle, notamment pour y défendre les droits

de la maison française d'Anjou sur Naples. Lors de ces campagnes, qui durent plusieurs mois

voir plus d’un an, le souverain et sa cour ne font pas que combattre. Ils y entrent en contact

avec « les modes italiennes » en matière culturelle (beaux-arts, raffinement de la vie

quotidienne).

La cour pontificale, notamment sous Jules II (1503-13), important mécène, possède deux

des œuvres majeures de la sculpture antique, dont l’influence sur l’art européen des temps

modernes est déterminante:

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- l'Apollon dit « du Belvédère » (exposé au Belvédère à

partir de 1509) d'époque romaine, redécouvert au début

du XVIe siècle, très typique du classicisme romain. Il

inspire notamment Raphaël, leader du courant

« classique » de la Renaissance.

- le Laocoon, œuvre

« hellénistique », découverte en

1506 dans les régions orientales de

l'empire. L'inspiration en est très

différente : musculature saillante,

aspect « torturé » inspireront

notamment Michel-Ange et

annoncent l’art baroque.

- Vecteurs techniques : l'imprimerie et l'estampe.

Inventé en Chine, et fabriqué à partir de chiffons, le papier est importé en Europe au XIIe

siècle, par les Génois et les Vénitiens. Il est demeure longtemps un produit de luxe, et ne

commence à supplanter le parchemin qu'au XVe siècle. C'est alors que naît l'imprimerie. En

1455, à Mayence, l’Allemand Gutenberg invente l'imprimerie à partir de caractères mobiles

en plomb (les Chinois utilisaient depuis le XIe siècle des caractères mobiles en bois) qu'il faut

L'Apollon du Belvédère (IVe siècle av. notre ère) (Rome, musée du Belvédère)

Le Laocoon (Musée du Vatican)

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assembler un à un, avant de pouvoir imprimer feuille par feuille à l'aide d'une presse à bras.

Les quantités restent modestes au début. Les progrès de l'imprimerie sont très rapides pour

l’époque : entre 1450 et 1550, tous les grands centres urbains européens voient s'installer

au moins une imprimerie, et le nombre d’ouvrages publiés chaque année est multiplié par

cinq en un siècle.

Cela induit une extension à la bourgeoisie de l'alphabétisation, jusqu’alors réservée aux

clercs et aux aristocrates,. Cependant, les femmes demeurent nettement moins

alphabétisées que les hommes.

L'estampe est née au début du XVe siècle. On encre une plaque de bois ou de cuivre gravée

avant de l’appliquer sur le papier. L'estampe devient pour plusieurs siècles le seul moyen de

reproduction des images.

Progrès connexe : l'usage des lunettes. On en trouve trace dès la fin du XIIIe siècle dans les

deux plus riches régions d’Europe: l'Italie du Nord et les Flandres, mais cela demeure rare.

Après les débuts de l'imprimerie, l'usage des lunettes devient plus fréquent et l’optique

progresse dans la correction de la myopie (la presbytie n'est pas encore corrigée).

4. Le caractère unificateur de la démarche scientifique

C'est en 1537 qu'apparaît en français le mot « méthode » (lat. methodus ; gr. Methodos, de

meta et hodos : « le chemin qui mène au but »).

En 1537 également, le mathématicien italien Niccolo Tartaglia prône, dans son ouvrage

Nova Scientia, le « mécanisme » contre le « vitalisme ». Jusqu’alors, le vitalisme (des

« forces vitales » gouvernent la nature) l’emportait dans les milieux scientifiques. Or les

expériences menées par Tartaglia montrent qu'il est possible d'expliquer les phénomènes

naturels par des lois, celle de la « physique ». [Il influencera Descartes dans son Discours de

la méthode]. Le savant devient d'abord un mathématicien, un technicien : les sciences « de

la nature » commencent à se séparer clairement des sciences « humaines ».

Au XVIe siècle, la vérification expérimentale devient au XVIe siècle la seule preuve admise

communément par les savants du XVIe siècle. Seules des expériences renouvelées donnant,

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dans des conditions identiques, des résultats constants sont considérées comme

scientifiquement probantes.

En 1543, deux importants progrès sont annoncés :

- en astronomie, Nicolas Copernic (Mikolaj Kopernik), un Polonais, émet l'hypothèse de

l'héliocentrisme et la démontre par ses calculs et par l'observation. Avec l'héliocentrisme, on

reconnaît que le soleil est le centre de notre système planétaire, ce qui contredit la Bible où

la terre est considérée comme « le centre du monde » créé par Dieu. [Les idées de Copernic

seront reprises par Galilée, qui sera condamné par l'Église, voir ci-dessous].

- en médecine, le Bruxellois André Vésale (Andries van Wesel) décrit de façon assez précise

l'anatomie humaine. Il a dû pour cela pratiquer des dissections (notamment à Montpellier,

une des universités les plus réputées en Europe pour la médecine) interdites par l’Église.

5. L'Europe des intellectuels et l'affirmation des caractères nationaux

Le latin est la langue universelle des intellectuels et des savants, dont la plupart sont aussi

des ecclésiastiques, qui voyagent de plus en plus entre la France, l'Angleterre, les Pays-Bas,

l'Italie et l'Allemagne. Le Hollandais Érasme (1469-1536) est l’emblème de cette mise en

place d’une communauté intellectuelle européenne.

Dans le même temps, on assiste cependant à une montée en puissance des identités

nationales, notamment pour les raisons suivantes :

- la guerre de Cent Ans (1337- 1453) entre Français et Anglais.

- la volonté des souverains européens de s'assurer un meilleur contrôle de leurs Etats face

aux " grands féodaux"

- les conflits qui opposent la papauté romaine et une partie de l’Italie au Saint Empire

romain germanique.

- la Réforme protestante en Allemagne

- la rivalité coloniale entre l'Espagne et le Portugal

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- le contrôle des universités (en principe soumises à l’Église) par l’Etat, qui souhaite qu’on y

enseigne la défense des intérêts du souverain avant ceux de l’Église et du pape

- la création de styles artistiques différenciés : gothique, puis classicisme national en France;

styles espagnol et portugais plus exubérants, influencés par les découvertes coloniales ;

gothique « tardif », puis « style anglo-normand » en Angleterre, caractérisés par les hautes

et étroites fenêtres et l'utilisation de colombages décoratifs

- le développement d’histoires « nationales » : on recherche les documents historiques et

on les publie, les récits des chroniqueurs commencent à construire un début de « mémoire

nationale »

- le XVIe siècle voit aussi la naissance de littératures nationales. En France, Joachim du

Bellay publie en 1549 Défense et illustration de la langue française où il tente de fixer les

règles d'une langue française unifiée et uniformisée. Le « français d'oïl », celui qui du centre

et du nord de la France s’impose sur le « français d’oc » (occitan), parlé au sud qui vient du

sud occitan. En Italie le Dante, Boccace, l'Arioste, Le Tasse magnifient la langue et la culture

italiennes. [=> Camoens publiera en 1572 Les Lusiades, poèmes à la gloire du Portugal et de

ses expéditions maritimes. En Angleterre, la fin du XVIe siècle sera l’époque de Shakespeare.

Cervantès publiera son Don Quichotte au début du XVIIe siècle.].

III - LA REFORME PROTESTANTE

1. la recherche d'un humanisme chrétien

- Renaissance et Réforme

La plupart des chrétiens n'ont pas un accès direct aux « Écritures » (la Bible et les

Évangiles), en principe réservées au clergé et aux universitaires, très souvent membres de

l'Église. Quelques traductions en langue « vulgaire » ont toutefois paru

clandestinement avant le XVIe siècle: en Angleterre par exemple, dès 1395. Les Ecritures

deviennent ainsi accessibles à tous ceux qui savent lire, mais aussi aux fidèles auxquels on en

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fait la lecture, ce qui favorise la formation chez ces « laïcs » (ceux qui ne sont pas membres

du clergé) d’interprétations personnelles, redoutées par l’Église.

De plus, la prédication itinérante des membres de deux ordres religieux dits « mendiants »,

les Dominicains et les Franciscains, est souvent très critique à l'égard des richesses de

l’Église, du pouvoir temporel exercé par certains évêques (notamment dans le Saint Empire)

et du comportement parfois peu moral du clergé.

- Érasme : le premier intellectuel « européen »

Didier Érasme est né à Rotterdam en 1469 et mort à

Bâle en 1536. Bâtard né de l'union d'une femme mariée

et d'un prêtre, il est placé encore enfant dans le couvent

des Augustins (adeptes de la devotio moderna) à Steyn,

en Hollande. Devenu prêtre sans grande vocation, il

demande au pape la permission de servir comme

précepteur pour la haute bourgeoisie et la noblesse.

C'est ainsi qu'il va beaucoup voyager.

En Angleterre, il fait la connaissance de John Colet et de Thomas More, les deux grands

humanistes anglais. Sujet de Charles Quint (roi d'Espagne et héritier des Pays-Bas

bourguignons, voir ci-dessous) il en deviendra, grâce à sa brillante réputation intellectuelle,

l’un des conseillers. A Venise, il se lie d'amitié avec le célèbre imprimeur Alde Manuce (Aldo

Manuzio), spécialiste des éditions de textes grecs de l’Antiquité, créateur notamment de

l’écriture italique, et premier imprimeur à employer le point-virgule et l’apostrophe, et

rencontre des intellectuels grecs qui ont fui Constantinople prise par les ottomans.

Sa grande œuvre littéraire, L’Eloge de la folie (Encomium Moriae, 1511).Y faisant parler « la

folie » contre l'Église et les Grands, il ne prend pas de risques vis-à-vis de la censure. Avant

lui, l’Allemand Sébastian Brant avait utilisé le même procédé en 1494 dans La nef des fous

(Das Narrenschiff)

Érasme, par Hans Holbein (Musée du Louvre)

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Bien qu’il critique l'Église, Érasme reste cependant catholique et préfère tenter de la

réformer de l'intérieur que de créer une église concurrente comme le fera finalement Luther

(qui lui non plus, au départ, ne désirait pas se séparer de Rome).

2. Le luthéranisme

- Luther et la question du salut

Au début du XVIe siècle, on croit fermement à la vie après la mort,

au paradis, à l’enfer, au purgatoire. La perspective d’une vie

éternelle passée dans le feu de l'enfer est extrêmement

angoissante. « Faire son salut », devient donc un enjeu

extrêmement important.

Très croyant, le Saxon Martin Luther (1483-1546) est

particulièrement angoissé par cette question. Influencé par

l’augustinisme et par la devotio moderna il a une vision très

pessimiste de l’homme et ne le voit « sauvé » que par la grâce de Dieu. C’est la thèse du

serf-arbitre : seul Dieu, tout-puissant, peut décider de sauver l'homme et ses « bonnes

actions », sa foi elle-même, ne suffisent pas, ce qui est particulièrement angoissant.

Docteur en philosophie de l’université d’Erfurt, il entre chez les Augustins en 1505. En 1510,

il est envoyé en mission Rome, centre de la chrétienté. Il est profondément choqué par le

faste, la richesse, la « corruption » (Rome est la ville européenne où il y a le plus grand

nombre de prostituées) qui règnent dans cette capitale de la Renaissance

- La dénonciation des dérives de l'Église romaine

En 1513, il est nommé professeur de théologie à l'université de Wittenberg. Il va bientôt

dénoncer les dérives de l'Église romaine, à l’occasion de la question des Indulgences. Rome

a des besoins financiers importants pour reconstruire le palais du Vatican. On crée donc

cette taxe, perçue en échange d’une intercession de l'Église auprès de Dieu afin qu’il

pardonne les péchés.

Martin Luther en 1529 par Lucas Cranach l'Ancien

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En 1516, une grande campagne de levée d'Indulgences est lancée dans toute l'Europe en

réalité. Le « marché » en est disputé entre différents ordres religieux qui y voient une

possibilité de s’enrichir au passage. Dans le nord de l'Allemagne c'est Albert de Brandebourg

(1490-1545), archevêque de Mayence et de Magdebourg (à ne pas confondre avec le

premier duc de Prusse mentionné plus loin), l'un des sept princes Électeurs, qui obtient le

marché (il en profite pour rembourser ses dettes aux banquiers Fugger !). Il charge un moine

dominicain, Johannes Tetzel, de prêcher en faveur de cette campagne d'Indulgences.

Luther, qui sait ce qui se passe à Rome, est furieux, d’autant plus que les Dominicains sont

les grands rivaux des Augustins. Il s'oppose donc violemment à cette campagne et

commence à faire la liste de tous ses griefs contre l'Église de Rome, telle qu'elle fonctionne.

En 1517, il affiche sur la porte de l'église de Wittenberg ses 95 « thèses » condamnant les

corruptions et les fautes de l'Église. Des ecclésiastiques et quelques princes laïques

l’appuient, comme le chevalier Ulrich Von Hutten, ami d’Érasme.

Il dénonce notamment la corruption financière et morale de l'Église ; sa trop grande

immixtion dans les affaires temporelles ; l'ignorance de certains membres du bas clergé ;

l'ivrognerie, la luxure, le népotisme au sein de l'Église.

- La rupture avec Rome et la mise au ban de l'empire

En décembre 1520, Luther brûle sur la place publique de Wittenberg la bulle Exsurge

Domine par laquelle le pape l’a excommunié en juin, ainsi qu’un exemplaire du droit canon.

Pour lui, en effet, la justice n’est pas l’affaire de l'Église, mais des princes, Dieu seul détenant

par ailleurs la justice « suprême ».

L'empereur du Saint Empire, Charles Quint, est inquiet de ce début de contestation car

l'unité de religion est une garantie essentielle de la paix dans l’empire. En 1521, il convoque

à Worms (ouest de l’Allemagne) une diète (ou Reichstag, assemblée des dignitaires du Saint

Empire). Luther y refuse de se rétracter et se réfugie chez son souverain immédiat, le duc de

Saxe Frédéric le Sage, prince-Électeur. Charles Quint met Luther « au ban de l'empire », il

est donc menacé d’arrestation.

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Réfugié dans la forteresse de la Wartburg, située sur un piton rocheux près d’Erfurt, il

commence à y traduire la Bible en allemand. Pour lui, en effet, chaque fidèle doit avoir un

contact direct avec les Écritures – et par là même avec Dieu - et s’en faire sa propre opinion.

- la création de l’Église réformée

En 1522, soutenu par de nombreux princes laïques de l'empire du nord de l'Allemagne, il

rentre à Wittenberg et décide de créer une nouvelle église, l’Eglise réformée (qu’on nomme

aussi « évangélique », ou plus tard « luthérienne », pour la distinguer de celle fondée par

Calvin ; voir ci-dessous).

Il refuse que son Église s'implique dans les affaires temporelles (civiles, politiques,

économiques) car la religion ne doit s'occuper que du rapport entre l’homme et Dieu. Ce

qui implique une position politique de soumission au pouvoir civil quel qu'il soit :

l'important ce n’est pas cela, c'est le royaume de Dieu, la vie après la mort. Luther est donc

opposé à toute révolte politique ou sociale contre les princes (voir ci-dessous : Th. Münzer

et les Anabaptistes).

Il n'y a pas de hiérarchie dans l'Église luthérienne, ni pape, ni évêques, et les pasteurs, qui

peuvent se marier, sont des individus comme les autres et ne sont là que pour organiser les

cérémonies religieuses et prêcher. Les ordres monastiques sont abolis

Cette Église a du succès surtout en Allemagne du Nord et dans le nord de l’Europe. Dans le

nord du Saint Empire, de nombreux princes se convertissent, parfois par intérêt. En effet :

- les énormes biens de l'Église sont confisqués à leur profit

- l’absence d’interventions politiques de la part de l’Église réformée les libère d’une

importante pression

- les juridictions ecclésiastiques étant abolies, les affaires qui en dépendaient reviennent à

la justice civile

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Thomas Müntzer (billet de 5 marks de l’ancienne

RDA)

- l’expansion du luthéranisme au nord de l’Europe

En 1525, le grand-maître de l'Ordre Teutonique Albert de Brandebourg (1490-1568, à ne

pas confondre avec l’évêque de Mayence et Magdebourg cité plus haut) se convertit au

luthéranisme. Luther ayant aboli les ordres religieux, les chevaliers teutoniques deviennent

des chevaliers laïcs et le grand-maître se proclame « duc de Prusse » du nom des principaux

territoires occupés par l’Ordre. Un nouvel État vient de naître.

La même année, le roi de Suède se convertit également au luthéranisme, suivi par Henri VIII

d’Angleterre en 1534 (voir ci-dessous) , puis le roi Danemark en 1536.

Dans quelques grandes « villes libres » du sud de l’Empire, une majorité de la population a

fait de même, à Augsbourg, Francfort, ou Strasbourg par exemple.

3. Les courants radicaux : anabaptisme et guerre des Paysans

Certains disciples de Luther vont former des courants plus radicaux.

- Thomas Münzer

Ancien Augustin, devenu prédicateur, Münzer trouve Luther trop modéré sur le plan

politique et social. Influencé par le « millénarisme » (un courant né avec la « grande peur »

de l'an 1000 où l’on a cru à la venue de l’Antéchrist et à la fin du monde) il est partisan d'une

révolution sociale, de l’abolition du servage, des corvées, et des dîmes (prélèvement de

10% des récoltes), ainsi que d’un partage immédiat des richesses. Münzer est également

l’inspirateur du mouvement des Anabaptistes, pour lesquels, si un

premier baptême peut « protéger » un nouveau-né cas de décès en

bas âge (ce qui est fréquent alors), un second baptême, à l’âge

adulte, est nécessaire pour confirmer la foi d’un individu. Prêchant

dans le sud de l'Allemagne, Münzer y mène en 1525 un mouvement

insurrectionnel : « la guerre des Paysans », attaquant et pillant les

châteaux. Il est rapidement pris et exécuté avec ses partisans.

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Luther a clairement pris position contre Münzer et condamné son action qu'il assimile à de

l'anarchie. Pour lui, « les paysans ont de la paille dans la tête » (extrait des Propos de table

de Luther relevés par l'un de ses commensaux).

- les Anabaptistes à Münster

Les choses se passent dans la ville épiscopale catholique de Münster, à proximité de la

frontière hollandaise. En 1534, deux anabaptistes hollandais, le pécheur Jean de Leyde et le

boulanger Johann Matthijs prennent, avec

leurs disciples, le contrôle de la ville, et y

instaurent le partage des biens, et la

polygamie. Ils seront finalement écrasés

militairement par les troupes de l'évêque,

appuyé par des soldats protestants envoyés

par Luther, qui condamne toute anarchie.

4. Le calvinisme

C'est le deuxième grand courant de la Réforme protestante. Il survient après le

luthéranisme, apparaît en France et se développe d’abord à Genève.

- Jean Calvin (1509-64)

C'est un intellectuel humaniste, professeur de théologie et membre du

« collège trilingue » de Paris. Il fréquente la cour et l'entourage de

Marguerite d’Angoulême (ou de Navarre), sœur du roi François Ier, qui

s’entoure d’artistes et d’intellectuels pratiquant une certaine liberté

Les cages où furent exposés les cadavres des chefs anabaptistes.

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d'esprit. On les appellera « libertins », au sens de la liberté de pensée, notamment en

matière de religion. Le roi les tolère dans la mesure où cela demeure dans un cercle fermé.

Mais, le 1er novembre 1533, alors que le luthéranisme s’étend en Allemagne, lors de la

rentrée universitaire à la Sorbonne, le discours du recteur Nicolas Cop (en partie rédigé par

Jean Calvin) est marqué par une réelle influence luthérienne. En octobre 1534, sont affichés

dans diverses villes de France, et jusque sur la porte du roi au château d’Amboise, des textes

luthériens proclamant que : « la messe est idolâtrie, le culte des saints aussi ». Recherché,

Calvin se réfugie chez Marguerite de Navarre, installée à Angoulême pour ne pas faire

scandale à Paris. Il part peu après pour Bâle, ville comptant de nombreux imprimeurs. Il y

publie en 1536 son principal ouvrage L'institution de la religion chrétienne.

Reprenant le principe luthérien de la grâce nécessaire pour le salut, il va plus loin encore, et

considère que la grâce de Dieu est accordée à des hommes prédestinés et que lui seul

connaît. Cette conception, plutôt angoissante puisque le chrétien ne sait pas s’il a été ou

non « élu » par Dieu, est paradoxalement aussi en partie libératrice : les calvinistes sont par

exemple les plus libéraux en matière économique, là où l’Église catholique persiste

notamment à interdire le prêt à intérêt.

- La Genève calviniste

Calvin s’installe en 1541 dans cette petite république indépendante (elle ne rejoindra la

Confédération helvétique qu’en 1815) et en prend bientôt la direction. Il y instaure une

véritable théocratie : la ville est dirigée par le « Consistoire », assemblée de six « pasteurs »,

dont Calvin, et de douze « anciens », des bourgeois choisis parmi les plus « sûrs » de la ville.

Plus rigoriste que Luther, Calvin instaure à Genève une véritable dictature morale : la vie

quotidienne doit être entièrement conforme aux préceptes religieux : distractions et jeux

sont interdits.

L’intolérance s’installe aussi : l'exemple de Michel Servet (Miguel Serveto), un théologien et

médecin espagnol réfugié à Genève, l’illustre bien. Membre d’un courant protestant radical,

les antitrinitaires (qui nient la divinité du Christ), il est aussi panthéiste (Dieu est partout

dans la nature). Inquiet de ces « déviances », Calvin le fait chasser de Genève. Peu après,

Servet étant entré au service d'un évêque français, il le dénonce à celui-ci comme hérétique.

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Chassé par l’évêque, Servet, qui ignore d’où provient cette dénonciation, se réfugie à

Genève où il est arrêté, condamné et brûlé pour hérésie en 1553.

- L'expansion du calvinisme en France et en Europe

Le calvinisme se développe en France, dans les régions de l'Ouest, en Normandie, en Poitou-

Charentes, et dans le Languedoc. Si quelques « grands noms » se convertissent (le prince de

Condé, l’amiral de Coligny) les protestants demeurent cependant très minoritaires en France

(environ 10%).

Ils sont toutefois considérés comme « dangereux » par les autorités car ils troublent l’unité

du royaume : dès 1523, qualifiés de « blasphémateurs », ils risquent le bûcher ; en 1540,

François Ier publie l'édit de Fontainebleau dans lequel il condamne les « prétendus

réformés », et interdit en France toute autre religion que le catholicisme.

Son fils et successeur, Henri II ira encore beaucoup plus loin : en 1547 il instaure une

« chambre ardente », c'est-à-dire un tribunal d'exception qui siège jour et nuit pour juger les

hérétiques. En trois ans, environ 500 calvinistes sont condamnés à mort et brûlés. La

censure d’état est établie sur les livres.

Ailleurs, le calvinisme s’étend surtout dans les Provinces-Unies (actuels Pays-Bas), en

Angleterre et en Écosse où John Knox établit en 1560 l’Église presbytérienne (très

décentralisée). Le Palatinat, la Bohême, la Pologne et la Hongrie sont également concernés,

mais les calvinistes n’y seront jamais majoritaires.

Au total le protestantisme forme un substrat globalement favorable aux futurs

bouleversements de la société européenne : l’individuation, le pluralisme, la

démocratisation.

5. La « Réforme catholique » ou « Contre-réforme »

- le Concile de Trente (1545-63) et l’action du pape Paul III Farnèse

La guerre franco-espagnole retarde la réunion du concile, que le pape Paul III (1534-49)

convoque finalement à Trente (Trento) dans le nord de l’Italie. Les sessions du concile

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s’étaleront sur une vingtaine d’années, avec des interruptions. Il s’agit de répondre aux

critiques protestantes :

- en réformant les abus : la discipline doit être rétablie au sein de l’Église.

- mais on ne touche pas au dogme, ni aux structures de l’Église. Traduction des Ecritures,

prédestination, baptême des adultes, mariage des prêtres, suppression des ordres

monastiques ou de la hiérarchie ecclésiastique sont considérés comme pures hérésies.

L’Église catholique, conforme à la volonté de Dieu, est seule à détenir la « Vérité ».

En 1542, Paul III a créé le tribunal du Saint-Office (de son nom complet la « Sacrée

congrégation de l'Inquisition romaine et universelle ») chargé de juger le comportement et

la foi des ecclésiastiques. C’est le Saint-Office qui condamne, en 1633, l’astronome italien

Galilée (Galileo Galilei, 1564-1642) pour avoir démontré la justesse de la thèse

héliocentriste de Copernic (voir plus haut). Pour sauver sa vie, Galilée acceptera de se

rétracter, avant de vivre en résidence surveillée jusqu’à la fin de ses jours.

- Ignace de Loyola et la fondation de la Compagnie de Jésus

Avec quelques disciples, le gentilhomme espagnol Ignace de Loyola (Iñigo Lopez de Loyola),

veut ré-évangéliser la Terre Sainte. En 1534, il se rend à Rome afin d’obtenir l’appui du pape.

Paul III les détourne de cet objectif et leur assigne plutôt la « reconquête » de l’Europe à la

foi catholique. Créée en 1540, la Compagnie de Jésus est placée sous la protection spéciale

du pape auquel elle prête un vœu exclusif d’obéissance. Ordre séculier d’élite, les Jésuites

fondent de nombreux collèges où ils dispensent un enseignement de très grande qualité,

exerçant ainsi une grande influence. C'est le principal instrument de la « reconquête

catholique », de la Contre-Réforme, mais d’autres ordres religieux miltants sont également

créés à la même époque, comme par exemple les Théatins, les Oratoriens ou les Carmélites.

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IV - L'ESSOR ECONOMIQUE

1. Une mentalité plus favorable au travail et au commerce

On s'oppose de plus en plus à l'oisiveté : ne pas travailler est désormais de plus en plus mal

vu. L’Utopia de Thomas More (voir ci-dessous) veut que tous travaillent six heures par jour,

y compris les nobles et le clergé, car c’est une contribution normale au bien commun. Or, la

société européenne est fondée depuis les débuts du moyen âge sur une tripartition entre

oratores (ceux qui prient), bellatores (ceux qui combattent) et laboratores (ceux qui

travaillent).

De même, la Réforme protestante a supprimé les communautés religieuses régulières (les

monastères et couvents) parce qu'elles sont oisives. L’éthique du travail est une

caractéristique importante de la mentalité protestante.

L’espagnol Juan-Luis Vives (†1540), qui vit dans les Pays-Bas espagnols (voir ci-dessous)

propose à la ville de Bruges dans son De Subventione pauperum un projet visant à donner du

travail à tous pour supprimer la mendicité et supprimer l'assistanat. Il considère en effet

l'oisiveté et la dépendance comme dégradantes.

Tout cela va à l’encontre de l’exercice de la charité largement exercée par l’Eglise, qui aide

une bonne partie de la population en difficulté (mendiants invalides, nombreux en raison de

l’inefficacité de la chirurgie ; veuves, orphelins et vieillards pour lesquels il n’y a pas

d‘assistance sociale publique) à survivre.

- la question de la dérogeance

En France et en Espagne notamment, on considère que le fait de travailler est dégradant

pour un noble. Les nobles en effet sont voués uniquement à l’activité militaire au service du

souverain. Travailler – y compris investir ailleurs que dans l’achat et la mise en valeur de

terres - c'est donc « déroger », perdre son statut de noble. Cette règle arrange bien les

bourgeois, qui seuls peuvent ainsi exercer des activités commerciales. Si, en 1556, les nobles

bretons normands et marseillais ont obtenu du roi de pouvoir s’adonner au grand

commerce maritime, les députés du tiers-état représentant la bourgeoisie aux États

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généraux de 1560 refusent, par crainte de la concurrence, de voter les nouvelles exceptions

à la dérogeance demandées par la noblesse. Celle-ci ne va donc que très peu contribuer à

l’essor économique de la France, ce qui sera un handicap important. On verra qu’en

Angleterre et dans quelques autres pays européens, la noblesse a au contraire tout à fait le

droit de commercer.

- le prêt à intérêt

Il est interdit par l'Église, qui le considère comme immoral. En 1522, le roi de France,

François Ier a besoin d'argent et bien que défenseur de l'Église, il passe outre cette

interdiction et emprunte à ses sujets par le biais de l’Hôtel de Ville de Paris. Celui-ci va en

effet émettre ce que l'on appelle des rentes. Les particuliers lui prêtent de l’argent en

échange d’une rente à vie.

Les protestants ont vis-à-vis de cette question une attitude beaucoup plus libérale, Luther et

Calvin prônant respectivement des taux d'intérêts annuels maximum de 5 % et 12 %.

- la création des premières bourses

Le mot « bourse » vient de celui d'une famille de commerçants brugeois, les Van der Beurse.

La bourse est d’abord l'endroit où se font les importantes transactions commerciales et

financières. Une première ouvre à Bruges au XVe siècle, d’autres se créent à Anvers et à

Amsterdam au début du XVIe siècle. Bientôt toutes les grandes places commerciales

européennes ont leur « bourse ».

2. La naissance de l'économie politique

- Jean Bodin et l’inflation

Juriste et économiste français du XVIe siècle, Il étudie le

phénomène de l'inflation, que les Grandes Découvertes (voir ci-

dessous) ont provoqué en Europe, en y accroissant

considérablement la quantité de métaux précieux. D'autres

économistes, italiens, anglais, allemands ou espagnols ont

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également commencé depuis le début du XVIe siècle à publier des ouvrages d’économie

politique. C’est une science nouvelle: celle de la gestion de l'État. Une théorie l’emporte à

cette époque, celle du « mercantilisme ».

- Le mercantilisme

Il s’agit de maximaliser le stock monétaire d’un État, d’avoir dans les coffres un maximum

de monnaie métallique, d’or et d’argent surtout. Pour les transactions quotidiennes, on

utilise plutôt la monnaie dite « de billon », en cuivre, parfois mêlé d’argent. Il n'existe pas

encore alors de papier-monnaie. Pour les transactions différées dans le temps ou à distance

on utilise des lettres de change (voir ci-dessus).

Partant du principe que le stock monétaire dans le monde est relativement stable, la seule

façon pour un Etat d’accroître sa richesse est d’appauvrir ses voisins. On agit

essentiellement pour cela sur les droits de douane, à l’entrée et à la sortie.

Il faut faire entrer un maximum de métal précieux et en laisser sortir le moins possible. On

abaisse donc les droits d’entrée sur les matières premières dont on manque, afin de les

transformer puis revendre plus cher et en partie à l’étranger ces produits manufacturés (on

abaisse les droits de sortie pour ces produits). A l’inverse, on élève les droits d’entrée pour

les produits manufacturés étrangers susceptibles de concurrencer la production

« nationale ».

Le mercantilisme domine l’économie politique au XVIe et au début du XVIIe siècle. [=>Le

libéralisme le supplantera, d’abord en Angleterre et dans les Provinces-Unies, au cours du

XVIIe siècle]

V - NOUVEL URBANISME ET UTOPIES SOCIALES

Les villes médiévales sont faites de rues étroites, tortueuses, sans aucun souci de géométrie.

À la Renaissance, en Italie dès le XVe siècle, apparaissent, des quartiers nouveaux, bâtis sur

un plan géométrique, avec des rues larges, bordées d’hôtels particuliers, avec cour à l’avant

et jardin à l’arrière. L'urbanisme y est plus espacé, moins dense. L’hygiène et la santé y

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gagnent car l’air y est mieux renouvelé (le tout-à-l’égout n’existe pas encore), ce qui limite

les risques de propagation des maladies.

Depuis les XIVe et XVe siècles, grâce au retour de la sécurité dans les campagnes, nobles et

riches bourgeois italiens se font construire des villas où ils aiment y séjourner en été. C’est

aussi une marque de distinction sociale dont la mode va se répandre dans toute l’Europe au

XVIe siècle.

Quelques intellectuels pensent également à une réforme générale de la société dans un

sens plus égalitaire, parfois même collectiviste.

Thomas More (1478-1535) est juriste mais aussi le chancelier

roi d'Angleterre Henri VIII (voir ci-dessous). C’est, comme

Érasme, un catholique réformateur.

Dans Utopia (1516), « le pays de nulle part », il critique les

dégâts sociaux et sociétaux (maisons et églises abandonnées,

notamment) que provoque l’appropriation privée des terres

par les enclosures, et imagine au contraire une forme de

société proto-communiste. Il insiste sur le fait que ses

« Utopiens » pratiquent mieux le christianisme que les

chrétiens du XVIe siècle. Cet ouvrage est donc surtout pour lui

une occasion de critiquer l’Église et les mœurs de son temps.

Utopia contient 54 villes de six mille habitants chacune, une taille « idéale » selon More pour

organiser de bonnes relations sociales. Le gouvernement d’Utopia est élu, ce qui est à la fois

révolutionnaire et une allusion à certaines cités grecques de l’Antiquité. Les citoyens sont

égaux, ce qui veut dire qu'il n'y a plus de noblesse, plus de privilèges alors que c'est, depuis

des siècles, le fondement même de la société européenne.

La terre est une propriété collective, travaillée à tour de rôle par tous les individus adultes, à

raison de six heures de travail par jour. Les revenus des habitants sont distribués par l'État,

qui est le seul employeur.

Portrait de Thomas More par Hans Holbein (1527)

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La vie quotidienne est très réglementée : on se lève à quatre heures du matin, on se couche

à vingt heures. Les repas sont pris en commun et en musique. Le comportement moral des

individus est très contrôlé.

Les mariages ont obligatoirement lieu entre 18 et 22 ans, et l'adultère est puni de mort. Le

« suicide assisté » est envisagé pour les malades incurables, les cadavres sont brûlés (ce qui

est sacrilège pour l’Eglise catholique qui croit en la résurrection des morts)

La religion est unique et se réduit à croire qu’il n'y a qu'un seul Dieu, créateur du monde et

éternel. Il n'y a donc plus besoin d’un clergé nombreux. Athéisme et « fanatisme » sont

totalement condamnés.

On constate clairement que, comme beaucoup d’utopies sociales postérieures, ce projet a

des aspects totalitaires qu’on retrouve également dans La Citta del Sole (« La Cité du

Soleil », écrite en 1602 (publiée en latin à Francfort, en 1623) par l’Italien Tommaso

Campanella (1568 - 1639).

Dominicain originaire de Calabre, il a des idées

très avancées. Suspecté de magie (il s'est

intéressé à la kabbale juive), il est emprisonné

durant 27 ans par l’Inquisition. C’est en prison

qu’il écrit son ouvrage, dont le sous-titre est

Réforme de la religion chrétienne.

Il prône un communisme intégral et est

considéré comme l’un de ses précurseurs. Les

enfants par exemple sont élevés en commun,

car le foyer conjugal n’est pas la base de la

société. Les mariages sont d'ailleurs très

souvent imposés : il faut procréer dans l’intérêt

de la société et de l'espèce. Les travaux agricoles se font en commun durant quatre heures

chaque jour. Le logement est collectif, tous portent un habit identique afin d’exclure toute

distinction sociale.

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Ecrivain français, François Rabelais (1483-1553) est

d’abord moine, puis prêtre et médecin. Il est

notamment l’auteur de Gargantua (1534) où il décrit

la vie des moines de l'abbaye imaginaire de

« Thélème ». Au contraire de l’Utopia de Thomas

More, c’est la liberté qui y règne. On y a supprimé les

horloges, tout comme les vœux de chasteté et

d’obéissance que prononcent traditionnellement les

moines. Le but de la vie est de s’enrichir

matériellement, spirituellement et intellectuellement.

Pour Rabelais, la liberté est le bien le plus précieux pour l’homme.

Juriste, Francis Bacon (1561 - 1626) est garde des Sceaux et

chancelier sous Jacques Ier d’Angleterre. Sa New Atlantis (« La

Nouvelle Atlantide », 1620) est une utopie scientifique et

technocratique. Ce n'est pas un changement social qu'il

espère, mais plutôt l’heureux résultat des progrès scientifiques

et technologiques. Pour lui, le gouvernement doit être confié à

des savants non élus. Tout ce qui est scientifiquement possible

doit être réalisé : la science ne doit pas avoir de frontières,

notamment celles imposées par l'Église, car Dieu a donné à l’homme une intelligence qui lui

permet d’agir sur la nature. Bacon va jusqu'à envisager des manipulations génétiques et la

création de nouvelles espèces.

VI - LES GRANDES DECOUVERTES

Ce sont les découvertes maritimes faites par Portugais et les Espagnols entre 1450 et 1530

(voir cartes ci-dessous).

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1. Les Portugais font essentiellement du commerce côtier

Globalement, les Portugais ne cherchent pas à conquérir les territoires ; ils s'installent sur

les côtes (le plus souvent de force) pour y installer des comptoirs (places commerciales

fortifiées).

- L'ouverture de la route des Indes

Après la prise de Ceuta en 1415, les Portugais commencent à descendre vers le sud le long

des côtes. Vers 1450, ils passent le Sénégal et atteignent le Golfe de Guinée, en Afrique de

l’Ouest. Cette région, très riche en métaux précieux (or), en épices (poivre) et en esclaves,

les retient longtemps. Les esclaves africains sont capturés par les Portugais eux-mêmes ou

achetés aux peuples de la côte qui les ont fait prisonniers. Depuis des siècles, les Arabes

pratiquaient l’esclavage des Noirs, et le Africains eux-mêmes réduisaient temporairement les

vaincus en esclavage.

Ce ne sont donc pas les Européens qui l’ont créé, mais ils vont, du XVIe au XVIIIe siècle lui

donner une énorme extension, en

faisant un véritable marché et les

exploitant parfois jusqu’à la mort sur

les plantations portugaises ou dans les

futures colonies américaines.

En 1475, ils atteignent l'Équateur.

En 1487, Bartolomeu Dias franchit pour la première fois le "cap des tempêtes" aujourd'hui

appelé le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud. Parti de Lisbonne, Vasco de Gama

arrive le 20 mai 1498 à Calicut (auj. Khozikode), sur la côte sud-ouest de l'Inde, où il fonde

un comptoir. Bientôt, les Portugais contrôlent le détroit d'Ormuz, qui ferme le Golfe

Persique par où transitent les marchandises qui vont d'Orient en l'Occident sur des bateaux

chinois et arabes.

Monument dédié aux découvertes portugaises dans le quartier de Belém à Lisbonne.

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En 1505, est créé l'Estado da India, c'est-à-dire de l'administration portugaise des Indes. Il ne

s'agit surtout du contrôle des comptoirs portugais installés sur les côtes de l’Océan Indien.

L’exploration continue vers l’est, notamment vers les îles Moluques où se trouvent

l'essentiel des épices. En 1511 les Portugais franchissent le détroit de Malacca (au sud de la

Malaisie actuelle).

- L'Inde moghole

L'Inde dans laquelle arrivent les Portugais est un royaume hindou dirigé par une toute

nouvelle dynastie musulmane, celle des Mongols timurides de Babur Shah (1504-30),

bientôt appelés « Moghols ». Tout le nord de l'Inde et les régions allant à l’ouest jusqu'à la

Turquie on en effet été progressivement conquis, à partir du XIVe siècle, par les Mongols

conduits alors par Tamerlan (Timur-lang). Cette conquête a coupé la traditionnelle « route

de la soie » et celle des épices, rendant plus difficile et donc plus coûteux

l'approvisionnement de l'Occident. [=> L’empire moghol va subsister dans le nord de l’Inde

jusqu'au milieu du XIXe siècle. Les colons anglais, arrivés au XVIIIe siècle, ont en effet garanti

son autorité et son autonomie politique – c’est le système dit de l’indirect rule – car leur seul

intérêt était de contrôler l’économie indienne].

- la découverte du Brésil

Amilcar Cabral, un marin portugais débarque sur la côte nord du Brésil actuel en 1500. Il

semble que cette découverte soit due au hasard des courants, car on ignorait alors

l'existence de l’Amérique du Sud. Mais il se trouve aussi qu'à l'occasion du partage qui avait

eu lieu en 1494 à Tordesillas (voir ci-dessous) entre Espagnols et Portugais, la limite

occidentale extrême des territoires portugais avait été située 370 lieues à l'ouest des îles

portugaises du Cap-Vert (en face du Sénégal). Cette ligne passant au milieu du Brésil actuel,

certains historiens pensent que les Portugais connaissaient déjà en 1494 l’existence de

l’Amérique du Sud, mais rien n’a jamais pu être prouvé à ce sujet.

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2. Les Espagnols conquièrent et exploitent les territoires et les populations

En contraste avec la politique des Portugais, les « conquistadors » Espagnols ne restent pas

sur les côtes mais pénètrent à l’intérieur des terres afin de les exploiter et d’y évangéliser les

populations (les Portugais tentent aussi de convertir les autochtones qu’ils soumettent ou

côtoient). Il se trouve d’ailleurs que les Espagnols vont découvrir de très importants

gisements d’or et d’argent.

- Christophe Colomb

Cristoforo Colombo (1451-1506) est un marin génois chevronné, qui participe à de

nombreuses expéditions maritimes en Méditerranée et dans l'Atlantique avant de faire

naufrage, en 1476, au large de Lagos, au sud du Portugal.

Il continue dès lors son métier sur des navires

portugais, et épouse la fille du gouverneur portugais

des Açores. Il s’intéresse à la cartographie, notamment

à l'Imago Mundi de Pierre D'Ailly (voir ci-dessus), et

peut-être aux travaux du géographe florentin Paolo

Toscanelli. Comme Pierre D'Ailly celui-ci se trompe sur

la distance existant à l’ouest entre l'Europe et l'Asie

(on ne connaît pas l’existence de l'Amérique, mais on

sait depuis Ptolémée, au IIe siècle, que la terre est

ronde, une idée cependant longtemps oubliée avant

d’être définitivement prouvée au XIIIe siècle). Les deux

cartographes voient la terre beaucoup plus petite qu'elle n'est et estiment la distance entre

l'Europe et l'Asie à deux ou trois semaines de navigation.

Cette distance ne fait pas peur à Christophe Colomb qui est déjà allé en Islande. Il

entreprend donc en 1480 des démarches auprès du roi Jean II de Portugal, qui refuse

finalement en 1485, car le Portugal est alors essentiellement tourné vers l'Afrique et la

future « route des Indes ».

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Colomb se tourne alors vers l'Espagne et obtient en 1492 la protection de la reine Isabelle

de Castille, avec laquelle il signe les « capitulations de Santa Fe » : il obtient le titre d’amiral

et de vice-roi des Indes (on est persuadé qu’il va débarquer en Asie), ainsi que 1/8e des

revenus des terres conquises pour la couronne espagnole, à laquelle revient tout le reste. Il

a en outre obligation d’évangéliser les populations conquises, et son expédition sera

accompagnée de prêtres.

Parti le 3 août 1492 sur trois bateaux, Colomb et sa centaine d’hommes d’équipage, qui

commencent à manquer de vivres, n’arriveront que neuf semaines plus tard, le 12 octobre

1492, en vue de l’île des Antilles qu’il baptisera San Salvador. Assez bien reçus par les

indigènes, ils ne rentrent qu’en mars 1493 au Portugal. Il fera trois autres voyages dans ces

régions, colonisant notamment Cuba et Saint-Domingue, et allant même jusqu’au Costa-Rica

en sur les côtes du Venezuela actuel. Il mourra persuadé d’avoir découvert des îles voisines

du Japon et des côtes inconnues de l’Asie. En 1507, le cartographe allemand Martin

Waldseemuller propose de baptiser « Amérique » ces régions, d’après le prénom

d’Amerigo Vespucci (1454-1512), un navigateur florentin qui y a fait trois voyages

d’exploration sur des navires espagnols.

- Le traité de Tordesillas (1494)

Signé dans une petite ville proche de Valladolid par Isabelle de Castille, son mari Ferdinand

d’Aragon et le roi Jean II Portugal, il trace dans l’Océan Atlantique et les territoires adjacents

une ligne de démarcation entre les zones de conquête espagnoles et portugaises. En 1529,

un traité semblable est signé à Saragosse pour l’Océan Pacifique. Représentant de Dieu sur

terre, le pape avalise ce partage.

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Les Portugais ont ce qui est à l'est de la ligne, soit l'Afrique et l’Asie, les Espagnols ce qui est

à l'ouest. L’accord est notamment nécessité par le fait que les Espagnols doivent traverser

les mers portugaises pour rejoindre leurs colonies américaines.

- La Casa de Contratación de Indias et les encomiendas

Les Espagnols organisent de façon très centralisée leurs conquêtes et l'exploitation

économique des territoires. Créée à Séville en 1503, non loin du port de Cadix d’où partent

les navires, la Casa de Contratación (« la maison du contrat ») est le centre administratif de

la colonisation espagnole. C’est là que se signent les contrats entre le souverain et les

« entrepreneurs de conquêtes », les encomiendas qui précisent, comme dans le cas de

Colomb, que les terres découvertes appartiennent au souverain espagnol, qu'un petit

pourcentage des revenus ira au conquistador et que celui-ci se voit « confier » les

populations locales qui travailleront de gré ou de force au bénéfice des Espagnols.

- Balboa traverse l'isthme de Panama

Les Espagnols Vasco Nuñez de Balboa et Francisco Pizarro explorent l'Amérique centrale et,

en 1513, traversant le continent qui n’est large à cet endroit (Isthme de Panama) que de 80

km environ, il découvre à l’ouest un océan qu’il baptise « Pacifique ». On sait dès lors de

façon certaine que ce n’est pas l’Asie que Colomb a découvert et exploré.

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- Le tour du monde de Magellan

Ce nouvel océan met les Européens au défi de rejoindre cette fois réellement l’Asie par

l’ouest. Patronné par Charles Quint, le Portugais Magellan (Fernao de Magalhaes) part en

1519, avec 280 hommes et cinq caravelles, pour un tour du monde. Il longe l'Amérique du

Sud, la contourne par le détroit qui porte aujourd’hui son nom, puis traverse l'Océan

Pacifique et y découvre un certain nombre d'îles, notamment les îles Philippines (baptisées

en 1527 du nom du fils de Charles Quint, le futur Philippe II d’Espagne), qui seront attribuées

définitivement à l’Espagne en 1529, par le traité de Saragosse (voir ci-dessus). Magellan

meurt aux Philippines en 1521, lors d’un combat avec les indigènes. En 1522, son équipage

rentre en Espagne par la route des Indes, contournant l’Afrique. Seuls 35 hommes et un

bateau arrivent à Cadix, près de trois ans après leur départ. Les combats mais aussi le

scorbut, maladie des marins due à une carence en vitamine C, ont décimé le reste de

l’équipage.

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- Cortés et le Mexique, Mayas et Aztèques

Hernán Cortés (1485-1547) est le prototype du conquistador sans scrupules : violent, avide

et souvent irrespectueuse vis-à-vis des souverains espagnols.

Depuis le XIVe siècle, l’empire aztèque domine le Mexique. Cortés va essayer de diviser pour

régner en s'alliant avec les ennemis des Aztèques : les Mayas, implantés surtout au Yucatan,

une presqu’ile à l’est du Mexique, et qui ont dominé le Mexique aux XIIe et XIIIe siècles,. Le

vaste empire aztèque est très centralisé et très urbanisé. La capitale, Tenochtitlan, (sur le

site de Mexico), au plan géométrique, compte 500 000 habitants, chiffre que n’atteint alors

aucune ville européenne.

En 1520-21, Cortés envahit le Mexique et s'empare des richesses disponibles. Tout cela avec

500 hommes seulement, mais avec des armes à feu, inventées en Europe au XVe siècle, et

des chevaux, animal alors inconnu au Mexique. Les Espagnols bénéficient aussi d’une

légende aztèque annonçant le retour d’un Dieu vengeur, avec lequel Cortes et ses hommes

sont confondus.

Les Espagnols s’emparent aussi des importantes mines d'argent (et aussi d’or, de cuivre, de

mercure) exploitées par les Aztèques à Zacatecas, ce qui va considérablement augmenter la

richesse de l’Espagne pendant plus d’un siècle. De nouvelles plantes comestibles comme la

pomme de terre et le maïs sont également ramenées en Europe, même si on les destine

d’abord au bétail. Les Européens ne commenceront à les consommer qu’au XVIIe et surtout

au XVIIIe siècle. Le cacao, pris uniquement sous forme de boisson amère (parfois même

comme médicament), et le tabac, d’abord « prisé » plutôt que fumé, font aussi leur entrée

dans la vie quotidienne des colons avant de se répandre en Europe à partir de la seconde

moitié du XVIIe siècle [originaire d’Ethiopie, le café, importé en Europe par les Vénitiens

devient à la mode en Europe vers le milieu du XVIIe siècle ; d’origine chinoise, le thé est

introduit en Europe par les Hollandais au XVIIe siècle et se popularise au XVIIIe)

- Pizarre et le Pérou : l'empire quechua ou Inca

Fr-ancisco Pizarre (Pizarro) est un conquistador comme Cortés. Au Pérou, dans l'empire très

centralisé des Quechuas (grosso modo, le Pérou et la Bolivie actuels), les Incas constituent

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une oligarchie privilégiée en même temps qu’une « caste sacerdotale »: ils gèrent le

rapport avec les dieux, gouvernent l'État et possèdent environ deux tiers des terres. Même

s’ils disposent d’un réseau de sentiers dense et bien entretenu, les Quechuas ignorent le

cheval, et la roue, deux éléments qui donnent aux 200 hommes et 37 chevaux emmenés par

Pizarre une grande mobilité.

Pizarre arrive au Pérou en 1531. Ses hommes pratiquent systématiquement la terreur et le

pillage pour s’emparer de l’or que le pays recèle en abondance. On estime qu’ils sont

revenus de l’expédition avec 18 kilos d'or chacun en moyenne. Les Espagnols découvrent

aussi les mines d’argent de Potosi (auj. en Bolivie), extrêmement rentables, et qui seront

exploitées de 1545 à la fin du XVIIIe siècle.

Comme au Mexique, le Pérou est « christianisé » par la force, en commençant pas son chef

politique et religieux, le grand Inca Atahualpa, qui est étranglé après sa conversion publique

et son baptême. Ceci afin de montrer aux populations locales que le dieu des Européens est

plus puissant que ceux des Incas qui n'ont pas su protéger l’Inca. Les populations se

soumettent assez facilement.

3. Anglais et Français en Amérique du Nord

Ils tentent d’investir l'espace laissé vacant au nord-ouest par les Espagnols et les Portugais,

et cherchent aussi une route maritime vers l’Asie qui contournerait l'Amérique du Nord.

Dès 1497, l’Italien Giovanni Cabotto (John Cabot), part de Bristol et explore les côtes

d'Amérique du Nord Il découvre l’île de Terre-Neuve, zone de pêche extrêmement

prolifique. En 1508-09, son frère Sebastian explore le Labrador et la baie d'Hudson,

essayant sans succès de trouver un passage vers l’Asie.

En 1523-24, financé par François Ier, le Lyonnais d’origine vénitienne Giovanni da

Verrazzano longe les côtes de l’Amérique du Nord et atteint Terre-Neuve. En 1534, le

Français Jacques Cartier, financé lui aussi par le roi de France, part explorer ces mêmes

régions. Il entre dans la large embouchure du fleuve Saint-Laurent, croyant y trouver un

passage vers l’ouest. Il remontera jusqu’aux emplacements actuels de Québec et Montréal.

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Ces navigateurs ne sont pas des colonisateurs, mais plutôt des explorateurs. Il faudra

attendre le XVIIe siècle pour voir le Français Samuel Champlain implanter en 1608 une petite

colonie à Québec.

4. Les conséquences économiques des Grandes Découvertes

- un énorme afflux de métaux précieux

En Europe les principaux gisements de métaux précieux sont situés dans le sud de

l'Allemagne et en Bohême. Mais ils sont très inférieurs en production aux gisements

américains : en quelques décennies, la quantité d’argent disponible en Europe est

multipliée par trois, la quantité d'or par deux.

L'un des résultats de l'accroissement de cette masse monétaire est l'inflation. En une

cinquantaine d'années, les prix sont multipliés par six en France.

Autre conséquence : l'Espagne et le Portugal sont désormais des pays riches, mais ce

sentiment de prospérité est relativement artificiel, car ils ne vont pas suffisamment en

profiter pour développer leur économie, préférant profiter des richesses acquises pour

procéder à des achats à l'étranger. Un exemple de ce manque d'esprit entrepreneurial : les

vêtements sacerdotaux des prêtres sont cousus de broderies de fils d'or et d'argent. Au

Mexique et au Pérou, le savoir-faire nécessaire n’existe pas et les meilleurs artisans en

Europe sont les Lyonnais. On importe donc les métaux précieux des colonies espagnoles

pour faire fabriquer ces broderies en France puis renvoyer le produit fini vers les colonies

espagnoles. La France récolte ainsi le fruit d’une certaine insouciance espagnole.

5. Le débat sur la colonisation

- les dégâts de la colonisation : hécatombes et esclavage

Au moins 80 % des indigènes décèdent à la suite de la colonisation des Amériques.

Ces décès ne sont pas majoritairement dus aux combats et aux massacres délibérément

pratiqués les colons. Ce sont surtout les effets :

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- d’abord du choc microbien face aux maladies contagieuses des Européens contre

lesquelles les populations indigènes ne sont pas immunisées, la grippe notamment

- du travail forcé, notamment dans les mines, les colons utilisant la main-d’œuvre locale,

sans se soucier de son bien-être ou de sa santé

- de la fuite des indigènes vers des zones inhospitalières, plus difficiles à exploiter.

Dès 1501 a commencé la déportation des Noirs d’Afrique vers les colonies américaines :

environ 5 millions de Noirs seront ainsi déportés au cours des Temps modernes.

- Las Casas : le premier anticolonialiste ?

Fils d'un colon espagnol, Bartolomé de Las Casas

(1474-1566) est lui-même colon à Cuba. Choqué par

le sort fait aux indigènes sur les plantations, il entre

dans les ordres et est fait prêtre en 1507. En 1517, il

rencontre Charles Quint en Espagne et tente de le

convaincre d’améliorer le sort des indigènes. En 1522 il

rejoint l’ordre mendiant des Dominicains. Devenu

prédicateur, il soutient la colonisation et

l‘évangélisation, mais demande qu’on traite les

« Indiens » correctement, comme des travailleurs

espagnols. Face à l’opposition des colons, il se rend à plusieurs reprises en Espagne où il

obtient notamment le soutien de Francisco de Vitoria (†1546), dominicain, juriste qui plaide

à l’université de Salamanque pour le « droit naturel », un droit universel de la personne

humaine préfigurant les droits de l’homme. Las Casas dédie en 1542 à Charles Quint (roi

d’Espagne, 1516-1555) sa Brevisima relación de la destrucción de las Indias (« Brève

relation de la destruction des Indes »). La même année, Charles Quint édicte les Leyes

Nuevas qui ordonnent aux colons de traiter humainement les populations colonisées, sans

grand effet sur le terrain cependant.

Las Casas, promu évêque de Chiapas en 1543, est plutôt un humaniste qu’un

anticolonialiste. Et encore… Pour protéger les Indiens qu’il souhaite voir traiter comme des

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sujets espagnols, il va jusqu’à appuyer la déportation de Noirs africains qui commence dans

les Antilles dès les années 1510-1515 (voir ci-dessous).

A plusieurs reprises cependant, l'Église condamne clairement l'esclavage :

- lors du concile de Trente

- sous le pape Urbain VIII, à la fin du XVIe siècle

- sous le pape Benoît XIV, « pontife « éclairé », au milieu du XVIIIe siècle

- La naissance du relativisme culturel

C’est le fait de considérer qu'il n'y a pas de valeurs universelles, mais que chaque civilisation

a ses propres valeurs, et qu'elles se valent. Dans ce cas, l'Occident n'avait pas le droit

d'imposer ses valeurs au reste du monde.

L'un des premiers exemples de relativisme culturel se trouve chez Bartolomé de Las Casas

qui estime qu'il faut respecter les coutumes des Indiens d'Amérique, y compris les sacrifices

humains et le cannibalisme.

Les Grandes Découvertes posent aussi la question de l'unicité de l'espèce humaine. Il y a

des débats au sein de l'Église, pour savoir si les « Indiens » sont des hommes comme les

Européens ou non. En fait, la question est surtout de savoir s'ils ont une âme. Car dans ce

cas, ils peuvent être convertis et « sauvés » du point de vue de la religion. Sinon, ce sont

seulement des animaux perfectionnés, qui peuvent être traités comme tels.

En 1550 a lieu à ce sujet, à Valladolid, une controverse où Las Casas soutient la thèse

humaniste face au théologien Juan Gines de Sepúlveda. Mais l’Eglise ne tranche pas

nettement.

Enfin, du XVIe au XVIIIe siècles des explorateur européens tentent d’ étudier de façon

relativement neutre ces peuples et leurs coutumes : ce sont les timides débuts de

l’ethnologie. Mais celle-ci ne deviendra une discipline scientifique qu’aux XIXe et XXe siècles.

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6. L’Extrême-Orient : Chine et Japon

Sur la côte chinoise, un comptoir est fondé par les Portugais à Canton en 1517, à Macao en

1533 (elle restera portugaise jusqu'en 1997). En 1543, ils débarquent dans le sud du Japon,

dans l’île de Kyushu.

Chaque fois, les Portugais sont accompagnés d'évangélisateurs jésuites.

- la Chine

La dynastie Ming règne depuis 1368, et ce règne se poursuivra jusqu'à la fin du XVIe siècle.

La Chine des temps modernes est un pays extrêmement centralisé, où l'empereur a un

pouvoir absolu sur une administration très nombreuse et très hiérarchisée. La Chine compte

alors environ 70 millions d'habitants (auj. : 1, 3 milliard).

À la fin du XVIe siècle, la dynastie Ming est renversée par une invasion venue du Nord, celle

des Mandchous. En 1644, la dynastie mandchoue des Qing (« Tching ») s'installe, et règnera

jusqu'en 1912. Elle connaît deux règnes particulièrement longs : ceux de Kangxi (1661-1722)

et celui de Qien-Long (1736-1796). Au XVIIIe siècle, en Europe, l'empereur chinois sera

considéré (notamment par Voltaire) comme le modèle du « despote éclairé » (voir ci-

dessous).

Au début, les Chinois acceptent assez facilement la venue des européens. Les empereurs

chinois sont notamment intéressés par les connaissances astronomiques et astrologiques

des jésuites qu’il prennent comme conseillers. Ceux-ci tentent évidemment de convertir

l’empereur, ce qui faciliterait la conversion du pays. Mais sans succès.

- Le Japon

Dans cet empire très militarisé, la dynastie Ashikaga se repose sur les shogun

(« commandant en chef contre les barbares ») pour ce qui est du contrôle du territoire. Être

sacré, l’empereur est retiré dans son palais et ne se montre pas à la population.

Au départ, les missionnaires jésuites y sont bien accueillis. et font rapidement des centaines

de milliers de conversions. Mais cela va finir par inquiéter le pouvoir.

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En 1573, la dynastie des Ashikaga est renversée par un coup d'Etat militaire entrepris par le

général Hideyoshi dont le régime dure de 1573 à 1598 : les persécutions contre les

chrétiens commencent.

Après une période de troubles, la dynastie des Tokugawa règne de 1603 à 1868.

Des persécutions radicales vont peu à peu éliminer toute présence chrétienne au Japon.

En 1638, tous les étrangers sont expulsés. Seuls les Hollandais peuvent continuer à faire du

commerce avec les Japonais. Ils n’ont en effet pas tenté de convertir les Japonais au

calvinisme. Ils sont cependant étroitement encadrés et n’ont accès qu’au port de Dejima

(sur une île artificielle près de Nagasaki), qui leur est réservé et dont ils ne peuvent sortir [=>

Cette situation perdurera jusqu'au milieu du XIXe siècle].

VII - MACHIAVEL

1. La montée du pouvoir princier en Italie du Nord

Dans la plupart des grandes villes italiennes, une oligarchie détient le pouvoir. Dans

certaines cités, des dynasties princières se sont formées : les Médicis à Florence ; les Este à

Ferrare et Modène ; les Gonzague à Mantoue ; les Visconti à Milan. La vie politique y est

extrêmement mouvementée, avec des vengeances familiales, des coups d'Etat, des

meurtres, etc.

2. Machiavel

Nicolas Machiavel (Niccolò di Bernardo dei Machiavelli,

1469-1527) est un haut-fonctionnaire de la République

florentine. Opposé en 1512 au retour au pouvoir des

Médicis, Il va connaître la torture, la prison et l’exil.

En 1513, il écrit Le Prince (lat. De Principatibus ; ital. Il

Principe) qui se présente comme un manuel de Machiavel par Santi di Tito (Palazzo Vecchio, Florence)

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gouvernement pour un prince souverain. En politique, il faut mettre de côté les principes de

la morale si l’on veut assurer la stabilité du pouvoir et la paix publique. La liberté des

citoyens ne vient qu’ensuite.

Texte 4  

« Quand la sécurité de son pays repose entièrement sur la décision à prendre, aucune

attention ne doit être portée à la justice ni à l'injustice, à la bonté ni à la cruauté, au mérite ni

à l'ignominie. Au contraire, toute autre considération étant mise de côté, il faut adopter sans

hésitation le parti qui sauvera l'existence et préservera la liberté de son pays. »

Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, livre IV (1531)

La fin justifie donc les moyens, l’efficacité passe avant tout. Même s’il y a une part d’ironie

dans l’ouvrage de Machiavel, un grand nombre d’hommes d’Etat des XVIe et XVIIe siècles

suivront ses conseils [=>ci-dessous le cardinal de Richelieu, lequel appliquera avant la lettre

ce qu’on appellera au XIXe siècle la Realpolitik]]

Le Prince sera très critiqué pour son cynisme, par Érasme notamment, et il sera

naturellement censuré par l’Église.

VIII - VERS LA MONARCHIE ABSOLUE

1. Les Etats européens à l'aube des temps modernes

De façon générale, ils se structurent et renforcent leur administration. Les souverains

cherchent tous à obtenir le monopole :

- en matière fiscale

- dans le domaine juridique

- du point de vue de la force armée (de plus en plus professionnelle, et où la pratique de

l’architecture militaire et l’usage des armes à feu se perfectionent)

Ces trois monopoles constituent la « colonne vertébrale » d’un Etat au sens moderne.

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2. La France : fin de la féodalité et centralisation du pouvoir

Avec 16 millions d'habitants au début du XVIe siècle, la France est de loin l’Etat le plus

peuplé en Europe (l'Espagne n’a alors que 6 millions d’habitants ; l'Angleterre et le Pays de

Galles 4 millions seulement).

- la fin de la féodalité

Fin XVe-début XVIe siècle, on assiste à la fin des valeurs dites chevaleresques. Louis XI (1461-

83) est, avant la lettre, le modèle du souverain « machiavélien », fourbe et cynique. Lors des

guerres d’Italie (1494-1513), les armées de Charles VIII et de Louis XII pratiquent

systématiquement le pillage, l’incendie, le viol, le meurtre, la prise d’otages afin d’inspirer la

terreur et de conquérir plus vite le pays .

Le souverains cherchent à diminuer le pouvoir des grands féodaux notamment les ducs de

Bourgogne, alors principaux rivaux des monarques français.

- la centralisation

On réunit le moins possible les Etats généraux, que le souverain convoque lorsqu’il le

souhaite (le plus souvent pour des raisons fiscales) et où siègent le clergé, la noblesse (qui

représente le peuple des campagnes), et le tiers-état (qui représente la bourgeoisie

urbaine). Ils ne sont pas réunis entre 1484 et 1560.

Afin de progresser vers un monopole juridique de l’Etat central, Louis XII ordonne en 1505 la

codification des coutumes. Jusque-là le droit était oral et se transmettait de génération en

génération. Quelques textes seulement existaient. On commence donc un relevé de

l'ensemble des lois de toutes les provinces du royaume.

- Le règne de François Ier (1515-47)

Souverain autocratique (« car tel est notre bon plaisir ») il prend de nombreuses initiatives

centralisatrices :

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- fiscale : il crée trois impôts permanents : taille, gabelle et

aides

- linguistique : désormais seule la langue d'oïl (celle de

centre et du nord de la France) est langue officielle.

- démographique : les curés tiennent des « registres

paroissiaux » où sont notés baptêmes (donc pas toutes les

naissances, car il y a une forte mortalité infantile), mariages

et funérailles. Dès 1539, l’Église doit fournir à l’État un

double de ces registres, afin de mieux connaître les

ressources fiscales et de recrutement militaire. [=>ce n'est

qu'à partir de la Révolution française de 1789 que seront

créés les registres actuels de l'état-civil].

En 1516, François Ier signe avec le pape le Concordat de Bologne. Désormais c'est le roi qui

choisira les évêques et les abbés des grandes abbayes, le pape se contentant de les

consacrer. La politique gallicane l’emporte sur « l’ultramontanisme ».

3. L'Angleterre et l'anglicanisme : le règne d'Henri VIII (1509-47)

Très pauvre dans sa partie nord et au Pays de Galles, l’Angleterre a surtout deux grands

atouts en matière économique et commerciale :

- l'élevage de moutons y est répandu, permettant de nourrir la population et d'exploiter la

laine, tissée en Angleterre et dans les Flandres

- la pêche et le commerce maritime, favorisé par des Navigation Acts depuis le règne

d’Henri VII (1485-1509) : les navires anglais ont le monopole du transport de certaines

marchandises

François Ier vers 1527, par Jean Clouet

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Bon chrétien, Henri VIII est cependant désireux de contenir le pouvoir de l'Église et de la

subordonner à l'État. Entouré de juristes et de théologiens césaropapistes, il commence dès

1525, sous divers prétextes à confisquer un

certain nombre de biens ecclésiastiques.

Vers 1527, n’en ayant pas de fils survivant

(seule leur fille Marie Tudor survit, mais elle ne

peut monter sur le trône), il souhaite faire

annuler par le pape son mariage avec

Catherine d'Aragon, qui est aussi la tante de

Charles Quint. Cette démarche déplait bien

entendu à l'Espagne et à ses alliés.

D’autant qu’une autre raison pousse Henri VIII à se séparer de Catherine d’Aragon : il veut

épouser sa maîtresse, Anne Boleyn. Pour obtenir l’annulation de son mariage, il plaide le

fait que Catherine a d’abord été mariée à son frère aîné, Arthur, décédé en 1502. Or un

passage de la Bible interdit d’épouser la veuve de son frère. Le pape Clément VII Médicis, qui

est sous l'influence de Charles Quint, refuse, essentiellement pour des raisons politiques

(craignant son passage au protestantisme, la France, soutenait la cause d’Henri VIII).

Henri VIII décide donc, en 1531, de rompre avec Rome et de se proclamer seul chef de

l'Église d'Angleterre. En 1533, il épouse Anne Boleyn [=> qui lui donnera une fille, la future

Elisabeth Ière]. Le chancelier Thomas More, qui a démissionné en 1532 et refuse de

reconnaître la légitimité du divorce du roi, sera condamné à mort et exécuté en 1535.

En 1534, Henri VIII édicte le Supremacy Act (l’acte de Suprématie) qui officialise la rupture

avec Rome et crée une Église d’Angleterre qui mêle traditions catholique (hiérarchie,

ecclésiastique, messe) et protestante (suppression des ordres réguliers et des monastères,

mariage des ecclésiastiques).

Henri VIII par Hans Holbein le Jeune

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Le roi confisque les vastes domaines de l’Église, qui représentent plus d’un quart du

territoire. Cela aura des conséquences importantes pour la société anglaise car la couronne

va peu à peu revendre ces biens. De nombreux bourgeois enrichis vont ainsi s'installer à la

campagne pour y mener un genre de vie aristocratique, transformant couvents et prieurés

en manoirs. Cette nouvelle classe sociale, la gentry constitue une particularité de la société

anglaise.

- Édouard VI (1547-53)

Fils d’Henri VIII et de sa troisième épouse, Jane Seymour, il a à peine dix ans lorsqu’il monte

sur le trône. Il est encadré par deux régents qui, calvinistes convaincus, vont donc faire

l'Église anglicane vers le protestantisme.

4. Charles Quint et les divisions religieuses dans le Saint Empire

En 1519, Charles Quint est élu empereur par

les sept princes-Électeurs. Né à Gand, en 1500,

son arbre généalogique est particulièrement

impressionnant.

Il est le fils de Philippe le Beau (†1506), et le

petit-fils de la duchesse Marie de Bourgogne

(†1482) et de l’empereur Maximilien de

Habsbourg (†1519). Sa mère est Jeanne la

Folle (†1555), la fille d’Isabelle de Castille (†1504) et de Ferdinand d’Aragon (†1516).

Il hérite donc :

- par son père, de droits sur les États bourguignons (dont les « Pays-Bas », grosso modo la

Belgique et le Luxembourg actuels) et le Saint Empire (où un Habsbourg est pratiquement

certain d’être élu)

- par sa mère, des royaumes espagnols de Castille et d’Aragon, qu’il unifie à son accession

au trône, en 1516 (sa mère est écartée en raison de son état mental).

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Les territoires qu’il contrôle sont immenses, allant du sud de l’Espagne à la mer Baltique, et

encerclant la France. Il va d’ailleurs les étendre également à une partie de l’Italie.

Après la condamnation de Martin Luther à Worms en 1520 (voir ci-dessus), Charles Quint

lutte contre l’expansion du protestantisme. C’est d’ailleurs dans nos régions, qui sous son

règne sont devenues « Pays-Bas espagnols » (ils étaient jusqu’alors « bourguignons ») que

commence la persécution contre les protestants : en 1520 deux moines Augustins luthériens

sont condamnés à mort et brûlés à Anvers. La répression s’accentuant, en 1529 ont lieu les

premiers affrontements armés entre princes catholiques et protestants dans le Saint

Empire. Les protestants se sont unis au sein de la Ligue de Smalkalde (Schmalkalden, ville

de Thuringe, en Allemagne orientale).

En 1547, à Mühlberg (Saxe) Charles Quint est vainqueur. En 1548, dans l'Intérim

d'Augsbourg (une ville de Bavière), il réaffirme la catholicité du Saint Empire. Cette situation

ne dure pas, et les combats reprendront très vite.

5. La naissance de la Suède

Sous la domination du Danemark depuis 1397 (voir ci-dessus), la Suède et la Norvège sont

des états principalement agricoles. Le Danemark contrôle alors les deux rives du détroit du

Sund (la rive orientale est aujourd’hui suédoise), ce qui lui permet de prélever un péage très

rentable sur l’entrée et la sortie des bateaux qui font du commerce en mer Baltique.

En 1518, un noble suédois, Gustave Vasa, prend la tête d’une révolte contre le Danemark.

Fait prisonnier, il s'évade. En 1523, les Danois sont repoussés du territoire suédois et

Gustave Ier est proclamé premier roi de Suède. En 1525, il se convertit au protestantisme

luthérien, qu’embrasse bientôt l’immense majorité des Suédois.

6. La Pologne : tolérance religieuse et élection du souverain

La prospérité économique (exportations de bois et de blé), la coexistence pacifique, unique

en Europe, de nombreuses confessions religieuses (catholiques, protestants, orthodoxes,

mais aussi juifs, favorablement accueillis dès le XIIIe siècle, ou même musulmans, au sud-est

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du royaume) et la stabilité politique caractérisent la Pologne au XVIe siècle, mais ne vont pas

durer.

En 1572, la dynastie lituanienne des Jagellon cesse de régner sur la Pologne. Un régime

d'élection du souverain par une diète de plusieurs milliers de nobles (elle siège en plein air)

se met en place. En 1652 sera instauré le liberum veto qui accorde à tout noble la possibilité

de contester une élection, désormais soumise à la règle de l’unanimité. La diète est dissoute

dans ce cas, extrêmement fréquent, ce qui menace le pays d’anarchie. Lorsque le futur roi

Henri III de France est élu roi de Pologne en 1573, il se trouve rapidement dans l’incapacité

d’y exercer le pouvoir et rentre peu après en France.

Au XVIIe siècle, la Contre-Réforme s'impose en Pologne, notamment sous l'action des

Jésuites. La tolérance religieuse n’y est plus qu’un souvenir.

7. Soliman le Magnifique et l'apogée de l'empire ottoman

L'empire ottoman connaît une expansion

importante dans la première moitié du XVIe

Soliman (Suleyman Ier, 1520-66) poursuit les

conquêtes de son prédécesseur Mehmet II qui

avait déjà commencé à avancer le long du

Danube, sur lequel il navigue pendant que ses

troupes font des conquêtes dans les régions

avoisinantes.

En 1521, Belgrade est prise, et la Croatie tombe

peu après. En 1526, la victoire de Mohács ouvre

aux Ottomans les portes de la plaine hongroise.

Soliman II le Magnifique

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La Hongrie est conquise, et les troupes impériales (Charles Quint a hérité de l’Autriche des

Habsbourg) reculent jusqu'à Vienne dont Soliman fait le siège en 1529, mais il échoue.

L’avant-garde turque fera même des incursions jusqu’aux environs de Linz (ouest de

l’Autriche actuelle). Les Turcs sont repoussés en Hongrie où ils vont rester durant un siècle et

demi.

A l’est, les Ottomans prennent Bagdad en 1534. En Méditerranée orientale, et parfois plus à

l’ouest aussi, des corsaires « barbaresques » travailleront pour le sultan jusqu'à la fin du

XVIIIe siècle.

Suite à ces extensions territoriales, Istanbul (Constantinople), capitale désormais d’un

puissant empire, atteindra, vers 1600, les 700. 000 habitants, ce qui en fera la plus grande

ville d'Europe.

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TROISIEME PARTIE

Les guerres de religion et l'âge baroque (v. 1550 – v. 1660)

La difficile naissance du pluralisme religieux

I - LES GRANDES DATES

1555 : Paix d'Augsbourg dans le Saint Empire

1555-1556 : abdications de Charles Quint

1558-1603 : règne d'Élisabeth Ière Angleterre

1563 : fin du Concile de Trente

1566: début de la révolte des Pays-Bas espagnols

1570 : grave défaite navale des Turcs ottomans à Lépante

1572 : massacre de la Saint-Barthélemy à Paris

1581 : proclamation de la République des Provinces-Unies

1593 : Henri IV se fait catholique pour monter sur le trône de France

1603 : les Stuart succèdent aux Tudor sur le trône d'Angleterre

1610 : assassinat d'Henri IV

1613 : la dynastie des Romanov s'impose en Russie

1618-1648 : guerre de Trente Ans dans le Saint Empire

1624-1642 : Richelieu exerce le pouvoir

1628 : découverte de la circulation sanguine par William Harvey

1632 : Galilée : Dialogue sur les deux grands systèmes du monde

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1635 : Richelieu fonde l'Académie française

1637 : Descartes : Le discours de la méthode

1648 : Traités de Westphalie

1648-1653 : la Fronde

1649-1658 : exécution de Charles Ier Stuart et dictature de Cromwell

II - BAROQUE ET CLASSICISME : SENTIMENT ET RAISON

1. Un conflit entre deux visions du monde

Le classicisme, régulier, symétrique, sobre, s'inspire de l'Antiquité. Le baroque, plus

exubérant, est une création de la Contre-réforme catholique.

L'art baroque est clairement un art de propagande faisant appel à l'émotion du spectateur,

par sa magnificence, notamment dans les bâtiments religieux. Le but est de produire du

merveilleux, de séduire le spectateur. La religion catholique prône d’ailleurs la simple

soumission à un ordre éternel : la parole de l’Église doit être crue par le croyant sans qu’il se

pose de questions.

On est dans un contexte bien différent avec le protestantisme qui se veut une religion plus

intellectuelle, dans la mesure où elle fait appel à la réflexion individuelle des croyants : il

faut lire les Écritures, traduites en langue « vulgaire » afin de se faire sa propre idée. On

cultive donc plus l’esprit rationnel ainsi qu’une certaine austérité bourgeoise à côté de

laquelle l’art baroque paraît outré et décadent. Un style classique et assez dépouillé

correspond mieux à la mentalité protestante.

Ainsi, en Allemagne du Nord, en Scandinavie, en Angleterre et dans les Provinces-Unies,

une certaine forme de sobriété classique va s'imposer.

La société des pays catholiques se distingue également de celle des pays protestants par la

place et l’attitude de la noblesse. Après 1600, en France comme en Espagne, elle se ferme

de plus en plus, notamment dans l’armée où elle monopolise les grades d'officiers. La

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pratique du duel est considérée par la noblesse comme l’un de ses privilèges que les

souverains, inquiets d’une possible hécatombe parmi des sujets utiles à l’armée, s'efforcent

sans succès d’interdire. Fidèle à la tradition féodale, la noblesse est d’ailleurs opposée au

renforcement du pouvoir central tout comme à l’armée de métier.

Dans les pays protestants, si la noblesse reste prestigieuse, son rôle politique est plus

modeste, et la bourgeoisie commence à imposer ses valeurs.

2. Le Concile de Trente (1545-1563)

- Le refus de tout compromis avec les protestants

Presque un tiers de la population européenne n’est plus catholique au milieu du XVIe siècle.

L'influence des Jésuites dans la reconquête catholique, la Contre-Réforme est majeure : ils

représentent la pointe avancée de la réflexion catholique. Ils réaffirment le principe du

libre-arbitre selon lequel l’homme est responsable de ses actes devant Dieu. Les "œuvres"

sont donc déterminantes pour le salut éternel, contrairement aux thèses protestantes de la

grâce et de la prédestination (voir ci-dessus).

Pour les catholiques, l’Église n'est pas la « congrégation des fidèles » dont parlent les

protestants. C’est un corps institué par le Christ et conduit par un berger que l'on appelle le

pape.

L’Église refuse la traduction des Saintes Ecritures en langue vulgaire : les fidèles n’ont pas à

interpréter l’Écriture Sainte, seul le

clergé doit y avoir accès et en donner le

sens, souvent symbolique.

Réunion du concile de Trente à Sainte-Marie-Majeure (Musée diocésain de Trente)

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- la restauration de la discipline

L’évêque (ou son représentant) doit visiter une fois par an chacune des paroisses dont il a la

charge, afin de vérifier le comportement des prêtres, la connaissance qu’ils ont de la

théologie, la bonne tenue des registres, etc.

Pour les fidèles, la communion devient obligatoire une fois par an au minimum, à Pâques.

Les affaires de mœurs sont susceptibles d'être traduites devant les tribunaux

ecclésiastiques, seuls compétents dans les questions relatives au mariage, puisque seul le

mariage religieux existe.

Dans un grand nombre de pays catholiques de l'Europe du XVIe siècle, on relève d’ailleurs

l'âge du mariage sans consentement des parents à 25 ans pour les femmes et 30 ans pour

les hommes (mais on peut se marier plus tôt si les parents sont d'accord). C’est aussi, pour

l'Eglise, un moyen d’augmenter les chances de voir des jeunes gens s’engager dans les

ordres.

Enfin un Index est créé en 1559, contenant la liste des ouvrages interdits (qu’on dit alors

« mis à l’Index »). Parmi ceux-ci figure la Bible, dont la lecture est réservée aux membres du

clergé et aux personnes autorisées par celui-ci. En France, en 1564, la permission de l’évêque

suffit ; à partir de 1593, il faut celle du pape lui-même. En Italie, en Espagne, au Portugal et

dans les états des Habsbourg, la possession non-autorisée d’une Bible sera sévèrement

punie jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, mais rien n’empêchera qu’elle soit diffusée

clandestinement partout, y compris dans des traductions « en langue vulgaire ». En 1697, les

Jésuites en donnent même une traduction « officielle » en français, afin de lutter contre les

« mauvaises » traductions.

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3. Le baroque : un instrument de la propagande catholique

C’est un art spectaculaire, qui joue sur la dramatisation, souvent sur le trompe-l’œil.

Au XVIIIe siècle, il va évoluer vers le rococo, notamment en Italie, dans les pays

germaniques et en Europe centrale, ou même en France où il sera brièvement à la mode

sous Louis XV. Le rococo est une sorte de « maniérisme » de l'art baroque, une

sophistication allant jusqu'à la déstructuration des formes, la dissymétrie, la création de

formes quasi végétales, loin du premier baroque tel qu’inventé XVIe siècle en Italie.

- Les résistances

Cependant, il y a dans certains pays catholiques, des résistances, notamment en France où le

pouvoir qui impose sa mode, fait le choix d'une plus grande sobriété. L'art baroque semble

trop ornementé, pas assez solennel et équilibré. Le mot « baroque » a d’ailleurs longtemps

eu une connotation péjorative en français, synonyme de quelque chose d’excessivement

« chargé ».

La Chapelle Cornaro à Rome (1645-52)

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Il y a deux pays où le baroque n'a absolument pas sa place : l'Angleterre et les Provinces-

Unies, pays protestants où la bourgeoisie impose ses valeurs. En Angleterre, c'est le

palladianisme qui va l'emporter, du nom de l'architecte italien Andrea Palladio (1508-1580)

né à Vicence, à proximité de Venise, et qui a construit de nombreuses « villas » en Vénétie,

notamment au bord du Pô.

Ce goût classique et qui fait référence à l'Antiquité va influencer les architectes anglais. Dans

la première moitié du XVIIe siècle, Inigo Jones va construire pour les anglais des villas dans le

goût palladien. Ce style n'est pas réservé à l'aristocratie, car la gentry va également adopter

le style palladien.

Dans les Provinces-Unies, l'architecture est très sobre, c'est la même qu'aujourd'hui. La

peinture hollandaise met en avant des valeurs bourgeoises dans les tableaux de Vermeer,

de Franz Hals et de Rembrandt (1606-1669). Les portraits de groupes très réalistes

montrent des bourgeois dans le cadre de leurs fonctions municipales, dans leur société de

chasseurs, ou lors de banquets, tous habillés de noir et témoignant d’une certaine austérité

sensée refléter une vie simple, honnête et morale.

Villa Almerico Capra, dite la Rotonda (1556)

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Dans les Pays-Bas espagnols

catholiques au contraire,

l’Anversois Peter Paul Rubens

(1577-1640) peint des sujets

religieux ou mythologiques où

chairs et couleurs

exubérantes, postures et

décors irréels reflètent tout le

« merveilleux » de l’art

baroque.

4. Les progrès de l'individuation

- Dans la vie quotidienne

On se « civilise » (le mot est apparu en français en 1568). Le besoin d'intimité est croissant,

l'espace privatif dans les habitations nobles et bourgeoises se développe. Dans les maisons

des classes populaires, urbaines ou rurales, il y a une pièce unique (« la salle » en français,

« the hall » en anglais, « die Stube » en allemand) chauffée par une cheminée et entourée de

coffres. Parfois une alcôve fermée par des rideaux et où l’on dort offre un peu d'intimité. On

commence à voir apparaître dans les maisons bourgeoises des pièces spécialisées :

chambres, bureau.

Au XVIIe siècle, apparaît dans certains châteaux ou hôtels particuliers le couloir, qui permet

de passer d'une pièce à l'autre sans gêner l'entourage. Il ne va cependant se généraliser

qu’au XIXe siècle.

La pudeur se répand et l'on voit apparaître au XVIIe siècle, dans les milieux les plus aisés, les

toilettes, un siège caché par une « petite toile ». En 1623, un architecte parisien, Pierre le

Muet prévoit dans son Traité d'architecture, qu'une maison "moderne" comporte une

toilette à chaque étage (il faudra pratiquement trois siècles pour y parvenir).

Rubens, Le massacre des innocents

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- Dans les arts et la littérature

C'est dans la deuxième moitié du XVIe siècle que naissent le théâtre (jusqu’alors, seuls

existaient les « mystères », tableaux vivants à sujet religieux, et les farces du théâtre forain)

et l'opéra.

Nés d’abord dans les cours royales et seigneuriales, ces spectacles profitent d’une

urbanisation croissante. Shakespeare en Angleterre, ou Lope de Vega en Espagne,

s’inspirent à la fois du théâtre antique et de la Commedia del Arte italienne.

Sur le plan des arts, on assiste à l'essor des collections privées (le « musée » ouvert au public

n'existe pas encore). Ces œuvres, souvent accompagnées de curiosités de la nature sont

exposées dans des « cabinets de curiosités » (studiolo en Italie, Wunderkammer en

Allemagne) La plupart des grands souverains et aristocrates ont le leur, comme certains

riches bourgeois. La visite est réservée aux personnes autorisées et aux voyageurs issus de

classes aisées.

Le « Théâtre olympique » construit par Andrea Palladio en 1580, permet de donner des spectacles dans un décor à l'antique ((à Vicence, près de Venise)

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- La naissance de l'écrivain à succès

Le phénomène reste encore marginal. Le premier best-seller, les Lettres provinciales de

Blaise Pascal paraît en France en 1656-57. Quelques dizaines de milliers d’exemplaires

vendus en sont vendus en quelques semaines et les Provinciales font toutes les

conversations dans les salons de Paris et des grandes villes françaises.

Philosophe et savant, Blaise Pascal (1623-62) fait parler un « provincial » découvrant ce qu'il

appelle « la morale relâchée des casuistes », c'est-à-dire des Jésuites qui, pour mieux

reconquérir les âmes, se montrent trop indulgents vis-à-vis du péché. Pascal en effet est

proche des Jansénistes, un courant catholique rigoriste et moralisateur, très influencé par

l’augustinisme, qui est né au début du XVIIe siècle des écrits de l’évêque d’Ypres Cornelius

Jansen, dit Jansénius.

Les Jansénistes se rapprochent des protestants par la critique de l'Eglise catholique, mais

veulent la réformer de l'intérieur. Pascal passionne de semaine en semaine le public et le

fait rire en se moquant des confesseurs Jésuites.

- la naissance de l’opinion publique

Avec ce genre de publications à succès, une « opinion publique » est en train de se former,

grâce notamment à l’alphabétisation qui progresse dans les milieux bourgeois. Le débat sur

le tyrannicide (voir ci-dessous) au début du XVIIe siècle, ou encore l’épisode de la Fronde

(voir ci-dessous) entre 1648 et 1653 y contribueront également.

La presse elle-même naît peu avant le milieu du XVIIe siècle. A partir de 1631, patronnée

par Richelieu et dirigée par le protestant converti Théophraste Renaudot, paraît chaque

vendredi sur quatre pages la Gazette de France, premier journal français. Étroitement

contrôlée par le pouvoir, elle contient des nouvelles de la cour de France et des cours

étrangères, sans commentaire. En Allemagne et en Angleterre, des feuilles similaires

apparaissent à la même période.

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- La culture des salons et le rôle nouveau des femmes

Les jeunes filles des milieux privilégiés sont en effet désormais éduquées dans des collèges

ou des pensionnats jusqu’à l’âge de 15 ou 16 ans. Dans le cadre de la Contre-Réforme, deux

ordres religieux féminins, les Ursulines (1535) et les Visitandines (1610) se consacrent

spécifiquement à l'éducation des filles des milieux aisés. Dans les pays protestants,

l’alphabétisation des filles est encore plus systématique, même si cela ne mène pas à une

plus grande émancipation.

À l’époque, dans les milieux aisés, le mariage est surtout une alliance entre deux familles,

un mariage « de raison » ou d’argent. Mari et femme menaient donc souvent une vie assez

indépendante et quelques femmes ont eu l’idée de recevoir une fois par semaine, de « tenir

salon ». Afin de ne pas se faire concurrence, chacune, à Paris et dans les grandes villes, avait

son jour de la semaine. Etaient reçus, les habitués, familiers de la maison, mais aussi leurs

invités. C’est l’occasion pour ces femmes de jouer un rôle dans la vie sociale et culturelle.

Par le biais des salons, certaines commencent à avoir une certaine influence, qui deviendra

plus importante à la fin du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe (voir ci-dessous).

Si les femmes ne peuvent alors jouer au théâtre ou à l’opéra (où des hommes jouent leurs

rôles), certaines, émules de Christine de Pisan (1364-1430), se font connaître par leurs

écrits telles Louise Labé (†1566), une poétesse qui anime à Lyon un salon littéraire, ou Marie

de Gournay (†1645), l’amie de Montaigne. A Venise des poétesses et courtisanes

entretiennent des « cours d'amour » dès le XVIe siècle. Dans les Pays-Bas espagnols existent

des « chambres de rhétorique», sortes de sociétés de poésie où s’illustrent quelques

femmes, dont à Anvers, au XVIe siècle, Anna Bijns.

La reine Christine de Suède (1632-54) se passionne pour les arts et la littérature. En 1654,

elle quitte le pouvoir pour aller s’établir à Rome où elle mourra en 1689. Convertie au

catholicisme, elle y tient pendant plusieurs décennies un salon littéraire et artistique.

Si l’éducation et le rôle culturel des femmes progressent globalement pendant cette

période, les exemples cités ci-dessus ne sont que de brillantes exceptions. La femme mariée

restera en effet juridiquement « mineure » jusqu’au XIXe siècle au moins.

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5. Les bases de la science moderne sont posées

- Bernardino Telesio

Contestant, dans son De rerum natura juxta propria principia (« De la nature des

choses selon leurs propres principes », 1565-1587), la vision théorique, statique et

« définitive » de l’univers proposée par Aristote (IVe siècle av. notre ère), vision qu’on

enseigne alors dans toutes les universités, ce docteur en philosophie de l’université de

Padoue plaide au contraire pour l’ouverture à de nouvelles découvertes grâce l’observation

par les sens, et sans préjugés philosophiques ou religieux, de la nature. Il est le véritable

père de la science moderne, auquel ont rendu hommage tous les auteurs cités ci-dessous.

- Giordano Bruno

En 1584, le moine dominicain italien Giordano Bruno écrit que l'univers est infini,

contredisant ainsi les Écritures, et suggérant l'existence des galaxies. Accusé de panthéisme

il est arrêté, condamné et brûlé, à Rome en 1600.

- Francis Bacon

Dans son The Advancement of Learning (1605) puis le Novum Organum Scientiarum (« Une

nouvelle méthode pour les sciences», 1620) l’Anglais Francis Bacon, faisant le bilan de ses

longs travaux scientifiques, conclut que seule la méthode expérimentale permet de

connaître le réel.

- Descartes

En 1637, René Descartes (1596-1650) publie Le discours de la méthode. Après une carrière

miliaire dans différentes armées, il s’est installé en Hollande afin de ne pas être inquiété par

la censure de l’Église catholique, et s’y consacre aux sciences et à la philosophie.

Texte 5 

« Il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et (...) au lieu de

cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique

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par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux

et de tous les autres corps qui nous environnent, (...) nous les pourrions employer (...) à tous

les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la

nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui

feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités

qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans

doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ».

Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, chap. 6

(1637).

Proche des idées de Bacon, Descartes déclare que :

- le monde peut s'expliquer par les lois mécaniques, il suffit de les découvrir

- l'expérience en est le moyen

- le « doute méthodique » doit être la règle : il faut mettre en doute tout ce qui n'est pas

démontré (y compris donc les affirmations contenues dans les textes sacrés)

Descartes a aussi l'intuition de l'atomisme : "tous les corps sont faits d'une même matière,

différemment arrangée" (Démocrite avait déjà émis cette hypothèse au IVe siècle av. notre

ère)

Cette approche est notamment due aux progrès de l'optique (microscopes et télescopes) : la

réalité est plus complexe que ce qui est perceptible à l’œil nu.

- Galilée

Professeur de mathématiques et astronome, il écrit en 1623 : « le monde est écrit en

langage mathématique ». L’esprit humain est donc capable de l’expliquer scientifiquement.

En 1632, Galilée démontre, à l’aide de la lunette astronomique qu’il a perfectionnée, la

thèse héliocentrique de Copernic qui met le soleil (et non la terre) au centre de la galaxie, et

évoque aussi l'atomisme. Or, l’Église n’admet pas que l’on puisse, à l’aide d’un instrument

fabriqué par l’homme, voir plus que ce que l’on voit à l’œil nu, car cela ouvre la perspective

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de découvertes susceptibles de remettre en cause les Écritures. Les ouvrages de Galilée sont

donc mis à l'Index, et il est condamné en 1633 par le Saint-Office.

- William Gilbert

Ce physicien anglais découvre en 1600 les lois du magnétisme et de l’électricité statique.

- William Harvey

Explique en 1628 la circulation du sang et le rôle du cœur. Il sera l’un des fondateurs de la

Royal Society (voir plus loin).

- Johannes Swammerdam (1627-1680)

Ce médecin hollandais découvre l’existence des ovaires. A Leiden est ouvert en 1690, le

premier « théâtre anatomique » destiné à la dissection des corps humains.

- Les libertins érudits et le matérialisme, en France et en Italie

Les libertins érudits sont des penseurs, des savants qui s'affranchissent des dogmes,

notamment religieux. On les appelle aussi des « esprits forts » ou des « libres-penseurs ».

En Italie, à l'université de Padoue un cercle s’est constitué autour de Pietro Pomponazzi

(†1525), un matérialiste athée pour lequel l'âme meurt en même temps que le corps. C’est

une remise en cause de la croyance chrétienne en la résurrection.

En France, un petit groupe s'organise autour des savants Pierre Gassendi, Gabriel Naudé et

Savinien de Cyrano de Bergerac. Mais défendre des idées hétérodoxes peut être dangereux :

en 1619, à Toulouse, le libertin érudit italien Lucilio Vanini est brûlé pour athéisme (ainsi

qu’en raison de son homosexualité).

6. Dévots et Jansénistes

Ces deux mouvements, catholiques et fondamentalistes, s’opposent au « laxisme » de

l'Église et des Jésuites.

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- les dévots

En France, le « parti dévot » est constitué de gens issus souvent de milieux aisés et qui vont

tenter d’influencer le souverain et la cour en faveur d’une religion plus intérieure, et d’un

certain mysticisme. En 1604, le cardinal de Pierre de Bérulle (1575-1629), chef des dévots,

introduit en France l’ordre des Carmélites réformé par sainte Thérèse d’Avila, où l’on fait

vœu de silence, afin de « se fondre en Dieu ».

- le jansénisme

En 1608, Angélique Arnaud réforme une abbaye dont elle est l'abbesse : Port-Royal-des-

Champs (qui dépend de Port-Royal, à Paris), une orientation dévote. Elle rencontre alors

l'abbé de Saint-Cyran, lui-même disciple du Hollandais Cornelius Jansen, évêque d’Ypres, dit

« Jansénius » (1585-1638), auteur de l’Augustinus, connu dès 1625 par des copies

manuscrites avant d’être imprimé en 1640.

En 1625, la réforme est étendue à Port-Royal à Paris. Richelieu s'en inquiète : en 1638, Saint-

Cyran est arrêté. Entre-temps, le mouvement a en effet pris de l'expansion et est passé sous

l'obédience janséniste.

Dans l’Augustinus, Jansénius critique:

- les Humanistes et leur admiration pour l’Antiquité préchrétienne

- les « esprits forts » en général, et « l’orgueil » des hommes face à Dieu

Il souligne que l’homme est mauvais depuis le péché originel, et que la vie sur terre n’est

qu’une épreuve de réhabilitation face à Dieu. Comme les protestants, il estime la grâce de

Dieu nécessaire au salut.

Les Jansénistes vont tenter de réformer l’Église de l'intérieur. Pour eux, elle est trop

compromise dans les affaires temporelles et trop soumise au pouvoir civil.

Dès les années 1630, les autorités politiques et religieuses françaises s’allient contre les

Jansénistes. Ce conflit durera pratiquement jusqu’à la fin de l’ancien régime (voir ci-

dessous).

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III - LA QUESTION DE LA TOLERANCE RELIGIEUSE

1. Tolérance négative, tolérance positive

Tolérer a deux sens possibles:

- on tolère ce que l'on ne peut empêcher : c'est une attitude pragmatique, de tolérance

« négative » (angl. toleration)

- on accepte le pluralisme : c'est la tolérance « positive » (angl. tolerance).

2. Les premiers défenseurs de la tolérance

L’Europe de la seconde moitié du XVIe siècle connaît trois confessions chrétiennes rivales et

la plupart des pays européens sont confrontés au problème de leur coexistence.

Cela mine en partie l'idée de « vérité absolue » et profite à un certain relativisme. On verra

que celui-ci est la condition de la mise en place de la laïcité moderne. [=> Celle-ci, qui

n’adviendra qu’après la Révolution française, sépare l'Église (les Églises) de l'État, lequel

désormais neutre sur le plan religieux, admet la coexistence des différents cultes].

Afin d’éviter la guerre civile, Érasme, bien que catholique, est partisan de la tolérance.

Selon Sébastien de Castellion, calviniste tolérant, puisqu'il n’y a aucune certitude en matière

de foi, on n'a pas le droit de forcer les consciences.

Montaigne et Jean Bodin, tous deux catholiques, mais penchant vers le déisme (à l’image du

prédicateur Pierre Charron, dont la devise est « Je ne sais ») pensent de même.

Mais s’engager dans ce sens amène à la relativisation du religieux et à sa minorisation par

rapport au politique, ce que l’Église catholique ne peut pas accepter.

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3. Les « Politiques »

Ceux qu’on appelle, en France dans la seconde moitié du XVIe

siècle, « les Politiques » (ce qui signifie « les pragmatiques »)

sont des responsables qui veulent faire passer la sauvegarde de

l'intérêt général avant les oppositions religieuses. Pour eux, la

paix publique et la sécurité des citoyens sont l’essentiel.

Michel de L'Hospital (1507-1573) un « Politique » est, en 1560,

chancelier de Catherine de Médicis. (†1589). Veuve d’Henri II, elle assure la régence pour

son fils Charles IX, qui n’a que dix ans (le roi de France est majeur à treize ans). L’Hospital

conseille la pacification : pour lui, on est d’abord citoyen avant d'être catholique ou

protestant.

Il organise en 1561 le « Colloque » de Poissy, une négociation entre représentants

catholiques et protestants Mais, les bonnes résolutions prises à Poissy ne vont pas tenir très

longtemps.

4. Les guerres de religion en France

- Catherine de Médicis et Coligny recherchent le compromis

De 1560 à 1572, Catherine de Médicis, conseillée par Michel de L'Hospital, mais aussi par

l’amiral Gaspard de Coligny, un protestant modéré, tente de rechercher l'apaisement et

d’éviter la guerre civile. En 1562, par exemple, elle propose au concile alors réuni à Trente

d’autoriser la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres, et d’interdire le

culte des images, trois points directement repris du protestantisme.

Mais, les extrémistes catholiques, menés par le duc Henri de Guise et son frère Louis,

cardinal, excluent toute reconnaissance officielle du culte réformé. En 1562 toutefois,

Catherine de Médicis promulgue, au nom du roi, un édit l’autorisant hors des villes, afin de

ne pas y créer un « scandale » qui provoquerait les catholiques. En 1571, les protestants

obtiennent dans le sud de la France, où ils sont assez nombreux, quatre « places de sûreté »,

villes fortifiées où ils peuvent se réfugier en cas de persécution.

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De 1560 à 1589, les trois fils d’Henri II et de Catherine de Médicis (Charles IX, qui meurt à

l’âge de 23 ans, François II, mort à vingt ans, et Henri III) se succèdent sur le trône. Aucun

n’ayant de descendant mâle, la reine-mère et régente (qui demeure influente jusqu’à sa

mort) arrange en 1572 le mariage de leur sœur Marguerite de Valois, dite « la Reine

Margot », avec Henri, roi de Navarre (royaume situé dans le sud-ouest de la France).

Descendant de saint Louis par son père Antoine de Bourbon, cousin des rois de France, Henri

est le chef du parti protestant. Elevé par une mère protestante (Jeanne d’Albret, fille de

Marguerite d’Angoulême), il s’est cependant converti au catholicisme lors de son

adolescence passée à la cour, avant de revenir ensuite au protestantisme. Peu religieux,

c’est surtout un opportuniste, plutôt enclin à la tolérance.

Ce mariage d’une « fille de France » avec un protestant est ressenti par le parti catholique

comme une grave provocation. De plus, à cette occasion, plusieurs milliers de protestants

vont venir à Paris, ville où le culte est formellement interdit, même s’il y a des protestant qui

le pratiquent discrètement.

- La Saint-Barthélemy et ses conséquences

Le mariage a lieu le 18 août 1572, et les festivités se poursuivent pendant plusieurs jours.

Dans la nuit du 23 au 24 août, jour de la Saint-Barthélemy, le clan catholique, rassemblé par

les Guise, procède au massacre

systématique des protestants

présents à Paris, environ 3.000

d’entre eux sont tués à l’arme

blanche, poussés par les fenêtres ou

jetés dans la Seine. Henri de Navarre

est cependant épargné,, mais il doit

pour la seconde fois se convertir au

catholicisme. Au cours des semaines

suivantes le massacre se poursuit en

province : environ 20.000

protestants y perdront la vie.

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Après cela, les protestants n'ont plus la moindre confiance envers les catholiques : la guerre

civile est inévitable. Elle ne cependant dure pas de façon continue : trêves et périodes de

combats se succèdent pendant près de vingt ans. En 1576, le parti catholique se constitue en

Sainte Ligue autour des Guise, avec le secret objectif de mettre Henri de Guise sur le trône.

En 1588, Henri III fait assassiner les Guise. Il sera lui-même assassiné l’année suivante par le

moine « ligueur » Jacques Clément.

- L'abjuration d'Henri de Navarre et l'édit de Nantes

A la mort d’Henri III, Henri de Navarre, qui a depuis longtemps rejoint le camp protestant,

devient l'héritier légitime du trône. Le parti catholique rejette l’hypothèse d’un souverain

protestant. En 1593, Henri abjure solennellement le protestantisme pour la troisième fois

afin, d’accéder au trône ("Paris vaut bien une messe" aurait-il dit). Ne pouvant être sacré à

Reims (la ville du sacre des rois de France) en raison d’une forte opposition catholique, il est

reconnu comme le roi Henri IV (1589-1610) à Chartres, en 1594.

Sa « conversion » est donc purement politique et opportuniste : la France est très

majoritairement catholique et il le reconnaît avec réalisme.

En 1598 cependant, il signe l’Édit de Nantes, qui autorise le culte protestant à certaines

conditions :

- la liberté de conscience est reconnue : on accepte il y ait des Français qui puissent ne pas

avoir les mêmes idées religieuses que les catholiques

- la liberté de culte est limitée à un certain nombre de villes (deux par « bailliage », une

circonscription territoriale), mais Paris est exclu

- les temples protestants devront être discrets, des maisons particulières sans aucun signe

extérieur

- les protestants ont accès aux emplois publics,

- 151 places de sûreté sont créées

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Henri sera assassiné en 1610 par le catholique François Ravaillac (qui sera torturé puis

écartelé peu après ; voir ci-dessous).

- La politique antiprotestante et « machiavélienne »de Richelieu

De 1624 à 1642, Richelieu, un homme d’Église, est le principal ministre de Louis XIII (1610-

1643), fils d’Henri IV et de Marie de Médicis. (le mariage d’Henri avec Margot a été annulé

par le pape).

Opposé à l’édit de Nantes, il veut réduire, sinon supprimer, les droits accordés aux

protestants français, qui sont les alliés « naturels » de pays ennemis de la France comme

l’Angleterre. Le port de La Rochelle, une « place de sûreté » sur la côte atlantique, lui paraît

être la source de trop grands contacts entre protestants des deux pays. En 1628, l’armée du

roi, conduite par Richelieu lui-même, en fait le siège, l’accusant de « trahison ».

[A cette occasion, il faut signaler que l’Espagne, pays très catholique mais ennemi de la

France, fait preuve d’un comportement très « machiavélien » en soutenant discrètement les

Rochelais assiégés. Plus tard, Richelieu lui-même soutiendra les princes protestants contre

les Habsbourg catholiques lors de la guerre de Trente ans dans le Saint Empire].

Après la chute de La Rochelle, Richelieu fait signer au roi en 1629, l’édit « de grâce » d'Alès.

Cet édit qui « pardonne » les protestants pour leur rébellion contre le souverain, supprime

les 151 places de sûreté créées par l’édit de Nantes, considérées par Richelieu comme des

foyers de révolte.

4. L'Angleterre sous Marie Tudor et Élisabeth Ière

- Marie Tudor (1553-58)

Après la mort d’Édouard VI, et neuf jours seulement de

règne de la protestante Jane Grey, une nièce d’Henri VIII

(elle est arrêtée et sera décapitée en 1554), c’est la fille

aînée de celui-ci, Marie Tudor qui monte sur le trône.

Catholique convaincue, comme 30 à 40 % des Anglais, elle

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replace l’Eglise anglaise sous l’obédience du pape et épouse le roi d’Espagne Philippe II (voir

ci-dessous), un mariage plus politique que sentimental. Le protestantisme est désormais

interdit en Angleterre. En cinq ans, Bloody Mary ("Marie la sanglante") fait procéder à

environ 300 exécutions.

- Élisabeth Ière (1558-1603)

Fille d'Henri VIII et d'Anne Boleyn, Élizabeth Ière est protestante.

Toutefois, comme Catherine de Médicis elle va essayer jusqu’en

1570 de s'entendre avec les catholiques (près d’un tiers des

Anglais) pour assurer la paix intérieure.

Mais, en 1570, Élisabeth est excommuniée puis « déposée » de

son trône par le pape. Il y a des complots pour l'assassiner et

l'on sait que Philippe II, veuf de Marie Tudor, les soutient (il

note, en marge d’un rapport : « d'abord assassiner la reine »),

tout comme le pape.

Après son excommunication, Élisabeth opte pour la répression. En 1584, le catholicisme est

interdit en Angleterre. 200 exécutions de catholiques, souvent des prêtres, auront lieu sous

son règne.

Certains manoirs ou maisons bourgeoises ayant appartenu à des catholiques conservent

encore les priest holes ("des cachettes de prêtres", souvent pratiqués dans l’épaisseur des

murs) où ses dissimilaient, en cas de perquisition, les missionnaires catholiques, souvent des

Irlandais. Le culte a en effet continué à être pratiqué clandestinement à divers endroits.

En tant que chef de la High Church anglicane, Elisabeth se méfie aussi, il faut le signaler, des

calvinistes radicaux.

En 1588, les complots ayant échoué, Philippe II envoie vers les côtes anglaises ce que l'on a

appelé par dérision l'Invincible Armada, une flotte de 200 bateaux prêts à envahir

l'Angleterre. Vaincue par les anglais, l’Armada sera dispersée par une tempête, certains

navires étant finalement coulés au nord de l'Écosse.

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5. L'Espagne de Philippe II

Fils de Charles Quint, Philippe II (1556-98) est un roi très catholique et particulièrement

intolérant.

Après la Reconquista, de nombreux Juifs (en 1492) et Musulmans (en 1526) ont été expulsés

vers l’Afrique du Nord. Certains, cependant, ont choisi de rester en Espagne et de se

convertir au catholicisme : on appelle Marranes les Juifs convertis ; Morisques les

musulmans convertis. La plupart de ces conversos continuent cependant à pratiquer

clandestinement leur religion et sont par ailleurs l’objet d’une méfiance de la part des

chrétiens espagnols. Parfois, ils sont même dénoncés. Certains relaps (ceux qui sont revenus

à leur religion après s’être convertis) sont même brûlés sur le bucher.

Pour tenter de « remédier définitivement » à ce problème, Philippe II ira jusqu’à faire

enlever des enfants pour les faire éduquer dans la religion catholique ailleurs en Espagne.

En 1566, une révolte éclate dans les Pays-Bas espagnols (grosso modo le Benelux actuel,

moins la principauté de Liège ; Charles Quint a conquis les provinces hollandaises). Les

protestants sont minoritaires dans les Pays-Bas mais une partie des nobles catholiques les

soutiennent contre l’intolérance espagnole. Cette révolte a également un aspect

« national », et fiscal, l’Espagne imposant lourdement les riches Pays-Bas.

6. Le Saint Empire : la Paix d'Augsbourg et l'exercice de la parité

En 1555, Charles Quint qui n’a pu museler les princes protestants signe la Paix d'Augsbourg.

Trois religions sont reconnues dans l’Empire, mais seuls les princes ont la liberté religieuse :

Selon le principe du Cujus regio, ejus religio (« de tel prince, de telle religion ») leurs sujets

doivent les suivre.

Cependant, à certains endroits, une tolérance pragmatique s’installe.

Ainsi, le royaume de Hongrie appliquera-t-il, à partir de 1606, une stricte égalité entre les

confessions catholique, luthérienne et calviniste.

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Ainsi, dans la ville bavaroise d’Augsbourg, luthériens et catholiques se partagent les églises

en alternance. Une étude a cependant montré qu’il y a très peu de contacts entre les deux

communautés, sinon en matière commerciale. Le nombre de conversions est inférieur à 1 %

de même que celui des mariages mixtes, où l’épouse est d’ailleurs systématiquement rejetée

par sa communauté.

Un autre exemple est la petite ville d’Altona, enclave danoise proche de la « ville libre » de

Hambourg. À partir de 1610, il y a à Altona, ville qui ne vit que du commerce sur l’Elbe, une

totale tolérance des cultes. Le réalisme économique prime sur les convictions religieuses

Dans la principauté de Brandebourg, autour de Berlin, luthérienne depuis 1525, on tolère

catholiques et calvinistes dans la seconde moitié du XVIe siècle pour des raisons

économiques. Quand, en 1613, le margrave passe au calvinisme, il continue cette politique

de tolérance en faveur des luthériens et des catholiques.

A partir de 1632, la ville de Maastricht est gérée conjointement par le prince-évêque de

Liège et les États-généraux (le parlement) des Provinces-Unies. Les deux religions y

coexistent sans trop de difficultés alors que dans le reste de sa principauté le prince-évêque

est plutôt intolérant envers les protestants.

C’est donc d’abord par pragmatisme économique ou politique que s’installe la tolérance.

IV - L'EXPANSION ECONOMIQUE ISSUE DES GRANDES DECOUVERTES

1. Une conjoncture économique positive jusque vers 1620

La « phase A » (1530-1620), expression qui désigne une période de croissance, est suivie

d’une « phase B », d’une dépression (1620-1700).

La phase A est due aux Grandes Découvertes et à l'afflux massif de métaux précieux,

essentiellement en Espagne. Cette phase commence vers 1530, une fois les conquêtes bien

établies et les mines exploitées. En moyenne, pendant les dix meilleures années de cette

période, 740 kg d'argent et 5 kg d'or arrivent chaque jour dans le port de Cadix !

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À partir de 1620 et jusqu'en 1700, on passe, en raison d'une baisse de rendement des

mines, à une phase de dépression ou phase B. Les rentrées commencent à diminuer.

L'Europe entière est concernée, car l'Espagne dépense beaucoup à l'étranger. Cette

dépression provoque la stagnation économique et le chômage.

2. L’interventionnisme

L’État intervient en vue de donner les impulsions nécessaires au développement

économique. La plupart des économistes de l’époque soutiennent cette intervention qui se

matérialise :

- par l’octroi de monopoles : moyennant paiement, un entrepreneur privé obtient de l'État

un privilège lui accordant le monopole d'une production dans une région donnée pour une

durée assez longue, le plus souvent de 30 ans. À cette occasion, est jointe au monopole une

exemption d'impôts pour une partie ou la totalité de la période, le temps que l’entreprise

devienne rentable

- par la création de manufactures, entreprises d'État dans des domaines stratégiques

comme la fabrication des armes ou la « haute technologie » (porcelaine par exemple).

3. L'essor du capitalisme

Au début du XVIIe siècle, deux hommes d’affaires et économistes français prônent

modération du mercantilisme vers plus de libéralisme :

- Barthélemy de Laffemas, un protestant, conseiller économique d’Henri IV

- Antoine de Montchrestien, directeur d’une manufacture d’outils et auteur, à son retour

d’Angleterre en 1615, du premier Traicté d’oeconomie politique.

Pour eux, l'État doit d'encourager l'activité des entrepreneurs privés et l'esprit d'entreprise

en général. Il faut décomplexer l'appât du gain car les hommes n’entreprennent que s’ils

espèrent un profit. Et ces initiatives sont en fin de compte profitables à l’ensemble de la

société.

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Ces idées apparaissent aussi, au même moment, dans d'autres pays : en Angleterre et dans

les Provinces-Unies bien entendu, mais aussi en Italie et dans le Saint Empire.

Exemple : la première grande dynastie de capitalistes en Europe : les Fugger à Augsbourg.

D’origine suisse, les Fugger commencent à prospérer dans l'exploitation de mines d'argent et

de cuivre. Ils obtiennent ensuite le monopole de la frappe des monnaies dans plusieurs Etats

et principautés. Ayant amassé un capital important, ils se lancent dans le commerce

international de produits de luxe (tissus, bijoux, épices). Ils ouvrent enfin une banque et vont

notamment jouer un rôle important dans l'élection de Charles Quint, el lui prêtant 1.200 kg

d’or pour favoriser son élection (il a « acheté » au moins deux des sept princes-Électeurs).

En 1546, ils disposeront de l’équivalent de 13 tonnes d’or et seront alors la famille la plus

riche d'Europe. En 1521, Jakob Fugger a créé à Augsbourg le quartier de la « Fuggerei »,

première cité sociale au monde, destinée notamment aux personnes âgées. Ces 140

appartements sont bien éclairés, et confortables. C'est une façon pour les Fugger d’investir

une partie de leur fortune dans une action de charité chrétienne.

- Bourses, sociétés à actions, expansion du crédit

Depuis Anvers et Amsterdam, les bourses essaiment partout en Europe. A la fin du XVIe

siècle, la plupart des grandes villes commerçantes en sont pourvues : Londres (le Stock

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Exchange), Augsbourg, Nuremberg, Cologne, Hambourg, Rouen (l’avant-port de Paris),

Toulouse, Bordeaux, Lyon, Marseille, etc.

Les sociétés à actions se généralisent, dès la 2ème moitié du XVIe siècle, dans les grandes

villes protestantes, plus tolérantes envers le profit que dans les pays catholiques. En France

par exemple, ce phénomène ne débute que vers 1620.

Pour ce qui est du crédit, la lettre de change est devenue banale au XVIe siècle et les

banques s’établissent partout à la fin du siècle.

- l’accroissement des inégalités

En même temps que la mentalité capitaliste se répand dans la bourgeoisie, la charité

pratiquée les Eglises chrétiennes s'émousse. On tolère de moins en moins l’entretien de

nombreuses personnes « oisives » : parfois plus d’un tiers de la population dépend de

l’assistance (personnes âgées, invalides, veuves, pauvres sans travail, mendiants).

Les solidarités familiales traditionnelles (souvent, trois générations cohabitaient)

commencent à se déliter avec l’urbanisation et la montée du salariat.

La distance entre ceux qui "réussissent" et les autres s’accroît : d’où une montée des grèves,

des émeutes urbaines et des émeutes de la faim. Très localisés, ces mouvements ne sont

cependant pas politiquement conscientisés.

Suite à ces troubles, et au rejet croissant de l’oisiveté par les bourgeois, commence, au

début du XVIIe siècle, ce que Michel Foucault a appelé, en 1970, «le grand enfermement» :

pauvres, invalides et mendiants sont ramassés et mis au travail forcé dans des « hôpitaux »

ou « maisons de force ». Les pays protestants (l’oisiveté y est considérée comme un vice :

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » Genèse, 3, 19), notamment les Provinces-

Unies, sont pionniers en ce domaine. A Paris, un « hôpital général » est cependant créé en

1611, un autre à Lyon, en 1614.

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4. Les résistances au nouveau cours des choses.

- les corporations

À contre-courant de l’évolution économique, les autorités publiques continuent très souvent

à favoriser les corporations et « métiers » traditionnels, avec leur structures

monopolistiques très rigides et peu favorables à l’innovation. Ces groupes pratiquent

d’ailleurs une solidarité économique à l’ancienne (caisse d’entraide) qui va à l’encontre des

nouvelles tendances libérales. Pour contrer le monopole des corporations urbaines sur de

nombreuses productions, les entrepreneurs bourgeois se lancent dans des technologies

nouvelles, non couvertes par les « métiers » traditionnels (mines, verre, métallurgie,

imprimerie), ou emploient une main-d’œuvre rurale (notamment en hiver) dans le tissage

notamment où, chaque travailleur passant un contrat individuel avec le patron, il n’existe

plus aucune solidarité collective.

- la noblesse

Dans de nombreux pays, elle privilégie l'action désintéressée et méprise les activités

commerciales « vulgaires », « l’utile » promu par les économistes. Montaigne oppose même

« l'utile », que défend Montchrestien, à « l'honnête » (au sens de « l'honnête homme »).

L’Astrée d’Honoré d'Urfé, un roman à succès (1607-1609), est une utopie rurale située au

temps des Gaulois, une époque présentée comme une sorte de paradis perdu. Le monde

moderne y est condamné pour avoir perdu les valeurs communautaires traditionnelles au

profit de l’individualisme. Dans l'Astrée il n’y a ni argent, ni villes, ni État.

V - LES GRANDES PUISSANCES ECONOMIQUES EUROPEENNES:

1. Le « siècle d'or » espagnol (1520-1640)

L’Espagne est alors le pays le plus riche et de toute l'Europe, qu’elle domine en outre

militairement (sauf sur les mers : voir ci-dessus l’Invincible Armada).

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De plus, de 1580 à 1640, elle annexe le Portugal et également les colonies portugaises, se

constituant ainsi un immense empire colonial.

Malgré cette prospérité, certaines faiblesses apparaissent dans le domaine économique : un

très grand nombre d’oisifs et d’assistés, ainsi qu’un manque d’investissements, entretenu

par l’illusion d’une richesse assurée pour des siècles. L’administration est pléthorique et pas

toujours efficace.

Une grande partie de la noblesse espagnole défend les antiques traditions de la chevalerie.

C’est ce dont se moque Miguel de Cervantès Saavedra dans Don Quichotte (El Ingenioso

hidalgo Quijote de la Mancha, 1605-15), histoire d’un petit noble ruiné qui continue, malgré

l’évolution du monde, à défendre les valeurs médiévales.

À partir de 1566, la révolte des Pays-Bas espagnols va mobiliser une bonne partie des

armées espagnole et coûter très cher à l’Espagne, puisqu’une bonne partie des taxes

prélevées sur ces régions prospères ne rentrent plus. [=> en 1648 l’Espagne devra

reconnaître l’indépendance des sept provinces septentrionales des Pays-Bas : les

« Provinces-Unies »]

En 1640, la perte du Portugal où une nouvelle dynastie s'installe avec l’appui de la France,

celle des Bragance.

C'est pour l'Espagne, le début d'un long déclin, avant un relatif rebond au XVIIIe siècle.

2. En France : le poids de la démographie et de l’Etat

La France dépasse alors les 20 millions d'habitants. Au cours du XVIIe siècle, elle va peu à

peu concurrencer l'Espagne, tant sur les champs de bataille que du point de vue du prestige.

[=> du règne de Louis XIV à la fin de l’ancien régime, elle « donnera le ton » en Europe sur le

plan politique et intellectuel].

Le règne d’Henri IV commence réellement en 1594. La pacification religieuse assure un

retour au calme et un certain redémarrage économique après plusieurs décennies de

troubles.

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Principal ministre, le duc de Sully pratique une politique mercantiliste et d'encouragement

aux industries nouvelles et de luxe (soierie notamment). L’administration connaît une

croissance fulgurante, passant de 5.000 à 20.000 fonctionnaires environ, en moins de vingt

ans [=> sous Louis XIII, l'État disposera de 37 000 fonctionnaires].

Mais n’est pas le souci de mieux contrôler et gérer les territoires n’est pas le seul motif de

cet accroissement. En manque d’argent, le roi, conseillé par Sully et Charles Paulet, a décidé

en 1604 la création d’une taxe sur les offices, la « paulette ». Désormais, les « offices », les

charges de fonctionnaires, sont soumis à une taxe (souvent un an de salaire), que le candidat

doit payer pour accéder à son emploi. C’est ce qu’on appelle la vénalité des charges (ou des

offices). Louis XIII puis Louis XIV (1661-1715) seront tentés de créer des offices (ou même de

les partager entre plusieurs fonctionnaires qui se relaient par semestre, puis par trimestre),

uniquement afin de percevoir la paulette, d’où une augmentation du nombre des

fonctionnaires.

Autre inconvénient : ceux qui achètent des offices ne sont pas toujours compétents. En

effet, on achète surtout un office pour le prestige et les avantages qu’il procure (exemption

d’impôts, privilèges juridiques). Pour renvoyer le propriétaire d’un office, le roi doit le

rembourser, ce dont l’Etat, toujours déficitaire, n’a pas les moyens. Enfin, beaucoup de

charges deviennent quasi héréditaires (la paulette est parfois acquittée dès la naissance du

futur successeur), ou font simplement l’objet de spéculations financières de la part de leurs

propriétaires qui espèrent les revendre plus

cher qu’ils ne les ont achetées.

Le règne d’Henri IV voit aussi le début de la

colonisation du Québec. En 1608, Samuel de

Champlain fonde un comptoir qui deviendra

Québec, future capitale de la Nouvelle-

France.

L’Amérique du Nord au début du XVIIIe siècle

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En 1610, Louis XIII (†1643), âgé de 9 ans, succède à son père assassiné. Sa mère Marie de

Médicis, assure la régence. Ils seront fréquemment en conflit jusqu’à la victoire du roi sur les

armées de sa mère (1620). Armand du Plessis de Richelieu, principal ministre de Louis XIII

de 1628 à 1642, aidera à la réconciliation et en sera récompensé par le chapeau de cardinal

en 1622.

Inquiet de l’inefficacité des fonctionnaires, Richelieu crée, pour les contrôler, le corps des

intendants, d’abord peu nombreux [=> ils couvriront l’ensemble du territoire sous Louis XIV].

Ils sont payés par le pouvoir et donc révocables à volonté. De plus, on les déplace d’une

région à l’autre, ils ne sont donc pas sensibles, comme les autres fonctionnaires, aux intérêts

locaux et à la corruption.

La France souffre d’un important handicap en matière militaire : la faiblesse de sa marine.

Elle a en effet pris beaucoup de retard sur les Provinces-Unies et l'Angleterre pendant les

guerres de Religion. Richelieu lance donc la construction de chantiers navals (au Havre et à

Brest sur l’Atlantique, à Toulon sur la Méditerranée). Il décide en outre de développer le

commerce maritime et crée des compagnies de navigation dont une, en 1628, pour le

commerce avec la Nouvelle-France.

3. Les Provinces-Unies au cœur du marché européen

Les Provinces-Unies deviennent au XVIIe siècle la « plaque tournante » du commerce

maritime européen. L’expansion économique est en effet soutenue avec constance, car le

commerce est vital pour ce pays maritime.

Calvinistes, les Hollandais tolèrent par pragmatisme économique les minorités luthérienne,

catholique et juive.

En 1585, dans le cadre de la rivalité avec les Espagnols, les Hollandais ferment l'Escaut : le

port d’Anvers décline rapidement, et une bonne partie des commerçants vont s’installer à

Amsterdam qui connaît dès lors un rapide essor. Au XVIIe siècle s’y déroule l'essentiel des

transactions commerciales de l’ouest et du nord de l'Europe (de l’Espagne à la Russie). Les

Hollandais installent en effet dans la ville toutes les commodités nécessaires au commerce

(banques et agences de change notamment) et on y échange tous les produits d’Orient

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contre ceux du Nord (bois, fourrures, ambre). Diamants africains (taillés à Amsterdam) et

bulbes de tulipes (une plante importée de Turquie) font notamment l’objet d’intenses

spéculations.

Les Hollandais ont de plus créé une énorme flotte commerciale qui représente près de 50%

des bateaux de commerce en Europe au XVIIe siècle. Leur monopole commercial au Japon

(voir ci-dessus) est également très profitable.

Enfin, le pays étant en grande partie inondable, un ministère des polders (le Waterstaat)

organise la construction de digues. Les premiers polders on été créés dès le XVIe siècle. Ces

terres, extrêmement fertiles, permettent une agriculture intensive et très productive. La

Hollande exporte notamment ses pommes de terre et ses fromages.

4. L'Angleterre : une image de l'avenir

L’Angleterre accorde également la priorité à l’économie et la société doit s’y adapter

(ailleurs, notamment dans les pays catholiques, c’est souvent l’inverse)

Afin d’éviter que le bétail (qui errait librement) ne piétine les récoltes, on enclot les prairies

de haies, ou de murs de pierre. Cela préserve également les pousses d’arbres dans les forêts,

essentielles pour le développement de la marine.

Conséquences des enclosures :

- le développement d'un élevage intensif ce qui provoque une augmentation de la

consommation de viande (le roastbeef), les travailleurs Anglais sont plus robustes que la

main-d’œuvre sur le continent

- l’augmentation de la fumure des terres agricoles et la meilleure santé des animaux de trait

(bovins) du bétail entraîne la hausse des rendements agricoles, multipliés par deux ou trois

- en privatisant la terre et en rentabilisant au maximum l'agriculture et l'élevage, on crée du

chômage dans les campagnes. Une main-d’œuvre nombreuses est ainsi disponible pour être

employée dans les industries qui commencent à se créer dans les villes [=> les conditions

salariales seront cependant très mauvaises et les solidarités traditionnellement pratiquées à

la campagne vont disparaître].

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Parmi les propriétaires pratiquant les enclosures, beaucoup appartiennent à la gentry, cette

classe de bourgeois enrichis adoptant le genre de vie noble à la campagne, dans des manoirs

ou d'anciennes abbayes sécularisées par Henri VIII (=> ci-dessus)

L’argent étant devenu un critère reconnu et accepté de distinction sociale, il peut même

mener à l’anoblissement. Sous Elisabeth Ière (1558-1603), un tarif des titres de noblesse est

publié : moyennant un certain revenu annuel, on est susceptible d’être anobli par la reine.

Cela renverse totalement (sans trop de protestations pourtant) les valeurs de l'ancienne

noblesse chevaleresque, qui gagnait ses titres sur les champs de bataille. De 1560 à 1600 on

dénombre plus de 2.000 anoblissements.

Les industries anglaises sont à la pointe :

- le textile : les élevages de moutons anglais sont nombreux et très productifs.

Progressivement cependant, la laine va être concurrencée par le coton des Indes. La ville de

Manchester dispose des principales filatures et connaît une grande expansion aux XVIIe et

XVIIIe siècles.

- la métallurgie : les Midlands (au nord de Londres) et le pays de Galles recèlent de

nombreux gisements de métaux et de charbon « de terre » (par opposition au charbon de

bois, largement utilisé auparavant). Relativement économique et permettant d’atteindre des

températures dépassant les 1000°, ce combustible autorise la fabrication de matériaux plus

solides. Il permet aussi d’épargner les forêts dont le bois est

disponible pour les chantiers navals.

A partir de 1620, l'Angleterre commence à se constituer en

Amérique du Nord un empire colonial. Treize colonies seront

fondées dans la première moitié du XVIIe siècle, chacune avec

une orientation religieuse assez précise, liée à l’origine des

colonisateurs (Irlandais catholiques ; Anglais puritains ou plus

libéraux). Toutes sont rattachées à la couronne anglaise par un

contrat passé entre les colons et le monarque. Le tabac de

Virginie est une des premières nouveautés qu’apporte cette

entreprise en Europe.

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VI - LE DEBAT SUR LE POUVOIR DU SOUVERAIN

1. La question du tyrannicide

Après la Saint-Barthélemy, au cours de laquelle le souverain a laissé faire et n'est pas

intervenu pour empêcher le massacre, une question revient dans les milieux intellectuels,

protestants notamment : peut-on éliminer un souverain qui faillit à sa tâche en ne

remplissant pas le rôle de protection de ses sujets à laquelle sa fonction l’oblige.

Cette question n’est pas totalement neuve. Elle a déjà été soulevée dans l’Antiquité et, en

1408 notamment, Jean Petit, professeur à la Sorbonne a été condamné par ses supérieurs,

puis par le Concile de Constance, pour y avoir répondu positivement.

Chez les protestants, la tendance n'est pas, en principe, à la révolte : Luther et Calvin ont

même prêché la soumission au pouvoir civil en vue du maintien de l'ordre public. Cette

attitude neutre devient cependant difficile à tenir après les guerres de religion.

Ainsi, apparaît fin XVIe- début du XVIIe siècle, soutenue en France par des écrivains comme

Théodore de Bèze, François Hotman, ou Philippe de Duplessis-Mornay, appelés

« monarchomaques » (« tueurs de roi »), la théorie dite du « tyrannicide », à laquelle sont

notamment liés l’assassinat d’Henri IV, et les projets fomentés contre la reine d’Angleterre

Élisabeth Ière ou la reine catholique d’Écosse Marie Stuart (voir ci-dessous).

Cette théorie pose en principe que le peuple est le seul véritable dépositaire du pouvoir (en

Ecosse, John Knox, et l’historien humaniste George Buchanan soutiennent par exemple

cette thèse). Les souverains ne sont que des mandataires et leur pouvoir n’est pas absolu.

On peut voir là l’origine du constitutionnalisme (voir ci-dessous).

2. La théorie de la monarchie absolue

- Les Machiavéliens et la raison d'État

Conséquence des principes énoncés par Machiavel dans Le Prince, le concept de « raison

d'État » fait passer les intérêts suprêmes de l’État avant les principes de la morale. Le terme

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est créé en 1589 par le Jésuite italien Giovanni Botero dans son ouvrage Della raggione di

stato, où Il écrit que « l'utilité publique » est la finalité suprême du pouvoir, et qu’elle est

même supérieure au droit (il en arrive ainsi à justifier, entre autres, les excès de Cortès au

Mexique, ou le massacre de la Saint-Barthélemy à Paris).

Ainsi, bien que « très catholique », Charles Quint n’a pas hésité, en 1527 à faire occuper et

saccager (20.000 morts) par ses troupes la ville de Rome, le pape Clément VII ayant eu le tort

de s’allier avec François Ier.

En 1616, Richelieu, pourtant membre du clergé catholique, a écrit à Henri de Schomberg,

ambassadeur de France à Londres :

Texte 6 

« Autres sont les intérêts de l'État (...) Et autres les intérêts du salut de nos âmes (...) Nul

catholique n'est si aveugle que d'estimer, en matière d'État, un espagnol meilleur qu'un

français huguenot ».

Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, 2002, p. 262-63

L’expression « en matière d'État » montre bien que Richelieu fait la différence entre intérêts

de l'État et convictions religieuses. Un catholique français doit préférer, en matière

politique, un Français protestant à un Espagnol, car celui-ci, même s'il est catholique, est un

ennemi de la France : une certaine forme de « patriotisme » rejoint donc ici la raison d’État.

- L'essor de la tragédie : Shakespeare, Corneille, Racine

Ce n'est pas un hasard si, à la même époque, la tragédie connaît un grand succès. Elle

repose en effet presque toujours sur le déchirement de l’homme entre les grands principes

et les intérêts immédiats, transposant ainsi en matière littéraire les dilemmes posés par

l’application de la raison d’État.

- Jean Bodin et Thomas Hobbes : la peur du chaos social

Horrifié par les désordres des guerres de religion, le juriste catholique Jean Bodin (1530-96)

prône l’établissement d’un pouvoir fort. Le souverain doit être la source (mais non l’objet)

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du droit. Il ne peut être soumis qu'à la loi divine et à celles « de la nature » : respect de la

parole donnée et de la propriété privée.

L’Anglais Thomas Hobbes (1588-1679) séjourne longuement en France en tant que

diplomate, notamment pendant la Fronde (voir ci-dessous), et vivra aussi la première

révolution anglaise et le Protectorat de Cromwell. Dans Le Citoyen (De Cive, 1642) puis

Leviathan (Leviathan or The Matter, Form and Power of a Common Wealth Ecclesiastical and Civil,

1651) il pose les bases de la monarchie absolue.

Dans l’état de nature, comme l’a écrit Plaute au IIe siècle avant notre ère, « l'homme est un

loup pour l'homme » (« Homo homini lupus »). Afin d’éviter l'anarchie et le règne de la

violence un pouvoir fort est absolument nécessaire:

Texte 7 

« Il faut qu'il y ait une seule volonté de tous, qui donne ordre aux choses nécessaires pour la

manutention de [la] paix et commune défense. Or, cela ne peut se faire si chaque particulier

ne soumet sa volonté propre à celle d'un certain autre, ou d'une certaine assemblée, dont

l'avis sur les choses qui concernent la paix générale soient absolument suivi et tenu pour celui

de tous ceux qui composent le corps de la république (…) La volonté de cet homme, ou de ce

conseil, qui a la puissance souveraine, est tenue pour la volonté de toute la cité, et celle-ci

enferme les volontés de tous les particuliers. D'où je conclus que le souverain n'est point

attaché aux lois civiles (car il serait obligé à soi-même) ni ne peut point être obligé à aucun de

ses concitoyens. »

Thomas Hobbes, De Cive (1642), V, 5-6 ; VI, 12 et 15

3. Le constitutionnalisme

- Grotius et le droit des gens

Après de nombreux autres polémistes protestants soutenant d’une façon ou d’une autre le

droit souverain du peuple, le juriste hollandais Hugo de Groot, dit Grotius (1583-1645)

théorise, en 1625, la notion d’État dans Du droit de la guerre et de la paix (De Jure Belli ac

Pacis).

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Une assemblée de personnes libres s’associent pour former un État et se mettre ainsi sous

la protection des lois, établies pour l’utilité commune. Le Mayflower Compact, conclu en

1620 entre les futurs colons de la Virginie, en est le premier exemple concret aux Temps

modernes.

Dans un « État juste », le peuple demeure le souverain, le dépositaire du pouvoir, et les

« droits naturels » des individus sont garantis.

Innée, et commune à tous les hommes, c’est la raison - et non la morale religieuse - qui

nous fait connaître qu'une action est moralement bonne ou non. C’est la thèse de

la « morale naturelle ».

Cette laïcisation de la morale esquisse déjà ce que seront les Lumières (voir ci-dessous).

- La politique l’emporte sur la religion

Dans Les six livres de la république (1576) Jean Bodin écrit que le maintien de l'ordre public

est plus important que l’unité de foi. Mieux vaut encore accepter les protestants que

d'avoir la guerre civile. Et le souverain ne peut imposer à ses sujets une conviction religieuse

qu’il est libre par ailleurs de professer en tant qu’individu.

Dans le même sens, aucun roi de France n’a osé valider les décrets du Concile de Trente lors

des guerres de Religion, afin de ne pas provoquer les protestants français [=> ils seront

validés en 1615 – cinquante ans après la fin du concile - par la régente Marie de Médicis].

Par sa conversion, puis par l’Édit de Nantes, Henri IV montre clairement que la paix civile est

son principal objectif, bien avant la défense de telle ou telle conviction religieuse. Et

l’adhésion de Richelieu au concept de raison d’État (voir ci-dessus) va dans le même sens.

Ce pragmatisme, qui fait passer le politique avant le religieux, est un total renversement de

perspective et va aider plus tard à progresser vers la tolérance.

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VII - LES PRINCIPALES MONARCHIES EUROPEENNES ENTRE 1550 ET 1660

1. La poursuite de la construction des identités nationales

Pendant cette période, dans tous les pays d'Europe, y compris la Russie, on redécouvre ce

que l'on a appelé : "les antiquités nationales". On redécouvre notamment l'histoire du

Moyen Âge et on développe la philologie, c'est-à-dire l'étude de la langue nationale et de

son évolution.

En 1647 par exemple, Vaugelas définit, dans ses Remarques sur la langue française le bon

français, par opposition aux expressions régionales et aux patois... La volonté de construire

une identité nationale passe par une langue et une histoire communes.

2. Philippe II et le soulèvement des Pays-Bas

A l’avènement de Philippe II (1556-98), les Pays-Bas espagnols (le Benelux, moins la

principauté de Liège, plus le nord de la France jusqu’à Arras) connaissent une expansion du

protestantisme. Pour l’anéantir, le souverain, très catholique, tente de mettre en place dans

ces régions l'Inquisition espagnole. L’opposition à cette mesure est accompagnée dans les

Pays-Bas de la montée d’un sentiment « national » alimenté par la présence des troupes

espagnoles. Un sentiment qui a toutefois un aspect particulariste, car les dix-sept

principautés réunies au sein des Pays-Bas espagnols ont chacune une forte identité (duché

de Brabant, comté de Flandre, comté de Namur, duché de Luxembourg, etc.). S’ajoute à ces

griefs eux contre la fiscalité espagnole sur des régions dont certaines sont riches, les

Flandres notamment.

Au printemps 1566, à Bruxelles, plusieurs centaines de nobles des Pays-Bas, tant catholiques

que protestants, remettent à la gouvernante Marguerite de Parme, demi-sœur de Philippe II,

une pétition traditionnellement appelée" le compromis des nobles ", qui demande

notamment la fin de l’Inquisition et la réunion des états généraux où siègent noblesse,

clergé, et tiers-état. Seul le souverain peut décider de ces matières. Averti, Philippe II répond

en 1567 par l’envoi de troupes commandées par le duc d'Albe, chargé de réprimer la révolte.

Il restera trois ans dans les Pays-Bas et y mettra en place "le conseil des troubles", sorte de

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tribunal extraordinaire qui fera notamment décapiter sur la Grand-Place de Bruxelles, le 5

juin 1568, les deux principaux leaders du mouvement : les comtes Lamoral d'Egmont et

Philippe de Hornes.

Les biens des protestants sont confisqués et nombre d’entre eux fuient à l’étranger,

notamment en Angleterre et dans les Provinces-Unies. Artisans, commerçants et

intellectuels pour la plupart, ils vont contribuer à faire prospérer l’industrie textile anglaise

ou les imprimeries hollandaises. Certains reviendront cependant et récupèreront leurs biens

quelques dizaines d'années plus tard.

- L'indépendance des Provinces-Unies

Suite à l’action du duc d’Albe, les protestants constituent une armée : c’est la « guerre de

Quatre-Vingt Ans ». En 1579, les sept provinces protestantes du Nord (à peu près les

provinces hollandaises actuelles) se rassemblent dans l’Union d'Utrecht. Les dix provinces

catholiques du sud y répondent par l'Union d'Arras.

Toutefois, il reste des catholiques au nord, et des protestants au sud : Bruges, Ypres, Gand,

Anvers, par exemple, adhèrent en 1579 à l’Union d’Utrecht.

En 1581, les sept provinces de l’Union d’Utrecht proclament leur indépendance sous le nom

de République des Sept Provinces-Unies. L'Espagne ne reconnaît pas cette indépendance

avant le traité de Münster de 1648, et la guerre continue donc, entrecoupée de trêves.

La République est gouvernée par les États généraux (Staten-Generaal), secondés par le

« Grand Pensionnaire » (Raadpensionaris), élu par les États de la province de Hollande. Le

Stadhouder, presque toujours issu de la famille d’Orange-Nassau, commande l’armée.

3. La montée de la centralisation en France

- Richelieu

Il est le premier « premier ministre » français et a la responsabilité de la gestion quotidienne

des affaires, même s’il ne peut prendre des décisions importantes qu’avec l’accord du roi.

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Sous Richelieu, la pression fiscale est pratiquement multipliée par trois. L’envoi d’intendants

dans les provinces (voir ci-dessus) aide d’ailleurs à mieux faire rentrer l’impôt, même si des

révoltes antifiscales, souvent appuyées par les nobles locaux, se produisent

périodiquement.

Autre ecclésiastique opportuniste l’Italien Giulio

Mazzarini, « Mazarin » (1602-61) lui succède, et

poursuit la même politique centralisatrice.

- La Fronde ou les Frondes

En fait, deux « frondes » (révoltes) se succèdent entre 1648 et 1653 : la Fronde

parlementaire et la Fronde des Princes.

Louis XIV est encore enfant, et Mazarin est le principal ministre (et amant) de la régente

Anne d’Autriche, mère du roi. Mazarin sera pour Louis XIV un véritable tuteur en même

temps que son plus proche conseiller jusqu’en 1661.

L’augmentation de la fiscalité atteint des proportions énormes dans les années 1640, et l’on

sait par ailleurs que Mazarin s’enrichit personnellement, notamment en amassant au Palais-

Royal (ancien « Palais cardinal » sous Richelieu) une importante collection d’œuvres d’art

[=> elle formera la base des collections du Musée du Louvre]

En 1648 le parlement de Paris (qui est à la fois un tribunal et une sorte de « conseil

constitutionnel » chargé d’enregistrer les édits du souverain) entre en rébellion.

Ce n’est pas la première fois : le parlement de Paris et ses homologues des provinces

défendent traditionnellement « les libertés » contre les tentatives de centralisation des

Le cardinal Mazarin (Chantilly, Musée Condé).

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monarques. En fait ils défendent surtout leurs propres privilèges, mais le peuple, qu’ils

abusent, les suit dans ce combat contre « l’arbitraire du roi ».

Cette fois, ils se plaignent des intendants, que le peuple déteste, comme il déteste aussi

Mazarin, et demandent la suppression de « la Ferme générale » qui, depuis Philippe le Bel

au XIVe siècle, collecte l’impôt au nom du roi.

Liés à l’État par un contrat (un bail « à ferme » d’où leur nom), les Fermiers généraux, des

financiers, avancent au roi les sommes dont celui-ci à besoin et se chargent ensuite de les

récupérer auprès des contribuables, non sans prélever un bénéfice au passage. Cela épargne

à l’État les frais de la perception qu’assurent avec un grand zèle les « commis de la

Ferme générale» [=> ils seront plusieurs dizaines de milliers à la fin de l’ancien régime,

travaillant pour une soixantaine de Fermiers généraux].

Il faut signaler ici que les communautés locales (souvent au niveau de la paroisse) décident

collégialement de la répartition de l’impôt entre les citoyens. La noblesse, qui paye

« l’impôt du sang » sur les champs de bataille, et le clergé, qui fait régulièrement au roi un

« don gratuit » (« volontaire »), ne payent pas d’impôts.

La première révolution anglaise (voir ci-dessous) menée alors par le parlement anglais

(assemblée représentative) n’est pas sans influence sur la Fronde parlementaire.

On prône à Paris l’établissement, comme en Angleterre en 1640, de l’habeas corpus, une

garantie contre toute arrestation arbitraire (présence d’un avocat et détention préventive

limitée à 48 heures), alors qu’en France, le roi peut, par simple lettre de cachet, faire arrêter

qui il veut, sans avoir à donner de motivation et pour une durée illimitée.

A l’occasion de la Fronde, la presse joue, pour la première fois en France, un rôle politique

important : de nombreux journaux et pamphlets alimentent le débat public, tout comme en

Angleterre au même moment.

En janvier 1649, le jeune roi est réveillé en pleine nuit et doit suivre sa mère, Mazarin et une

partie de la cour pour quitter Paris de peur d’une arrestation et se réfugier au château de

Saint-Germain-en-Laye. Louis XIV n’a jamais oublié ce départ, qu’il a ressenti comme une

véritable humiliation.

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On n’ose cependant, à Paris, instaurer ouvertement la république. A Bordeaux, par contre,

les partisans de l’Ormée, un mouvement influencé par les Niveleurs anglais (voir ci-dessous),

la proclament.

Dans le courant de l’année 1649, la Fronde des Princes succède à celle des parlements.

Beaucoup plus dangereuse pour le pouvoir, elle menace directement la dynastie car, à la

faveur de l’affaiblissement de la monarchie, certains grands aristocrates ambitionnent le

trône. Ainsi, le prince Louis de Condé, appuyé par le parlement de Paris, mène le combat

contre les troupes de Louis XIV.

Les deux Frondes ont un intérêt commun : renverser le souverain ou au moins diminuer son

pouvoir, mais elles ont des motivations divergentes. Les parlementaires veulent s’instituer

en contre-pouvoir, tandis que la Fronde des Princes ne vise qu’à remplacer une dynastie par

une autre. En 1652, ils sont vaincus par Turenne.

- La réaction absolutiste

En 1653, la famille royale rentre à Paris. Mazarin, qui s’est exilé en Allemagne, reste en

retrait pendant quelque temps mais est en correspondance permanente avec la régente.

Louis XIV – qui, à 15 ans, est maintenant majeur - décide de rétablir les intendants et de

mettre au pas la noblesse. [=> Versailles apparaîtra plus tard comme une façon de mieux

surveiller la noblesse en « l’enfermant » à la cour, l’empêchant ainsi de fomenter des

rébellions dans les provinces.]

Le roi décrète par ailleurs que les parlements ne doivent pas « se mêler des affaires de

l’État ». Désormais l’enregistrement des lois par le parlement de Paris se fera après leur

entrée en vigueur.

4. Échec de l’absolutisme et mouvements républicains en Angleterre

Les rapports entre le souverain et le parlement – qui n’est réuni que sur convocation royale

-sont depuis longtemps difficiles. La plupart du temps c’est pour consentir à l’impôt que le

parlement est réuni. Une négociation s’engage alors sur les montants à percevoir et on

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aboutit à un compromis. Comme en France, l’impôt est ensuite réparti « en cascade » par

consensus, jusqu’à la circonscription la plus petite, généralement la paroisse.

- Élisabeth Ière

Peu désireuse de négocier avec lui, Elizabeth Ière ne réunit le parlement que tous les trois

ans en moyenne. Elle tente de tirer un maximum d’autres revenus que l’impôt direct,

notamment les droits de douane et les confiscations de biens, essentiellement motivées par

un soupçon de complot, ou de catholicisme.

- Jacques Ier Stuart

Elizabeth, dernière souveraine de la dynastie Tudor, ne s’est pas mariée et n’a pas d’héritier

direct. Son cousin James Stuart, Jacques VI en Écosse, lui succède sous le nom de Jacques Ier

(1603-25). Ce n’est toutefois qu’une « union personnelle », Écosse et Angleterre ont le

même souverain, mais demeurent indépendantes l’une de l’autre.

Jacques Ier est un souverain absolutiste. Plus proche de l’Église d’Angleterre, dont il est

devenu le chef, que de l’Église presbytérienne écossaise, décentralisée et démocratique, il

favorise l’extension à l’Ecosse de la High Church, ce qui suscite l’hostilité de nombreux

Écossais.

- Charles Ier

Charles Ier (1625-49) est marié avec Henriette de France, la fille d’Henri IV. Catholique, elle

s’entoure à la cour de coreligionnaires, ce qui suscite l’hostilité et la crainte que le roi ne se

convertisse.

De plus, Charles Ier est un absolutiste convaincu. En 1629, en conflit avec le parlement (les

membres des Communes sont partisans de la Low Church, les Églises « dissidentes »), il le

dissout. Il ne le réunira plus jusqu’en 1640 : cette période est appelée « the Eleven Years

Tyranny ».

Pressé par des besoins financiers, il se résout à le rappeler, mais les parlementaires sont

particulièrement amers de n’avoir plus été consultés. La situation s’envenime, et le roi fait

arrêter certains parlementaires.

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De 1642 à 1649, une guerre civile oppose les Cavaliers, l’armée du roi, aux Roundheads

(« Têtes rondes », en raison de la forme de leur casque), l’armée levée par le Parlement (en

1638, déjà le National Covenant écossais avait levé une armée contre le roi). Bien que

monarchique, l’Angleterre n’accorde pas au roi la préséance sur le parlement. La formule

traditionnelle the King in Parliament symbolise bien l’union étroite qui doit en principe

régner entre ces deux forces politiques dans la direction des affaires.

L’armée parlementaire est formée et dirigée sous la conduite d’un parlementaire qui va

s’avérer être un très bon stratège, alors qu’il n’est pas militaire de formation : Oliver

Cromwell.

- Cromwell et les Niveleurs

Petit propriétaire terrien du Norfolk (est de l’Angleterre)

Oliver Cromwell (1599-1658) appartient à la gentry.

Puritain sur le plan religieux (il justifiera toutes ses

actions en se référant à la Bible), il est donc, comme la

plupart de ses collègues de la Chambre des Communes

favorable à la tolérance envers les courants protestants

dissidents.

En 1645, les troupes du parlement remportent la victoire

de Naseby (au nord de Londres). Le roi se réfugie alors

en Écosse, dont il est également le souverain. Opposés à

son attitude autocratique comme à l’Eglise anglicane qu’il dirige, les Écossais le font arrêter

et le livrent aux Anglais en 1647 pour la somme de 400.000 livres.

Jugé par le parlement anglais (qu’il refuse de reconnaître comme tribunal) il est condamné à

mort pour haute trahison car il a levé une armée pour combattre un parlement avec lequel

il était censé collaborer. Il est décapité à la hache à Whitehall en janvier 1649.

De 1649 à 1658 s’installe un régime de type républicain, le Commonwealth of England (« le

bien commun de l’Angleterre», la res publica). Après avoir longtemps hésité, Cromwell, qui

le dirige, prend en 1653 le titre de Lord Protector qui désigne traditionnellement les régents

Cromwell, par Samuel Cooper

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en Angleterre. Il semble donc qu’il n’ose pas totalement assumer la rupture avec la

monarchie.

Contesté au parlement pour ses méthodes autoritaires (il s’appuie essentiellement sur

l’armée) il n’hésite pas à y envoyer la troupe, qui pénètre à plusieurs reprises dans l’enceinte

de la Chambre des Communes, laquelle est épurée par l’expulsion de ses membres les

moins « dociles » (la Chambre des Lords subsiste, mais sans réel pouvoir). Une dictature

militaire est ainsi instaurée en Angleterre. Par ailleurs l’Écosse et l’Irlande sont envahies.

Catholique, l’Irlande est très durement traitée : les Anglais s’octroient les meilleures terres

(le Pale, à l’est, autour de Dublin) et repoussent les Irlandais vers les zones déshéritées de

l’ouest.

En Angleterre, la paix civile revient, maintenue au besoin par la force, même si Cromwell est

populaire dans une bonne partie de la population, et les affaires reprennent. Le parlement

vote des lois très favorables à l’essor économique, notamment au commerce maritime qui

connaît le début d’une grande expansion [=> de 1600 à 1688 le tonnage transporté par les

bateaux anglais doublera].

Muselé au parlement, le débat politique se développe au sein de l’armée où apparaît un

mouvement radical, celui des Niveleurs (Levellers). Présocialistes, ils plaident pour l’abolition

de la monarchie, le règne du parlement, et surtout une répartition égalitaire de la terre,

base de la subsistance des populations, et donc le partage des grandes propriétés. Ils

protestent aussi contre la politique brutale de Cromwell en Irlande. Mutinés en 1649, ils

sont immédiatement réprimés.

Un autre mouvement radical, évangélique et partisan d’un « communisme chrétien », les

Diggers (« Piocheurs » ; ils se désignent eux-mêmes comme les « Vrais Niveleurs »), est

fondé par l’apprenti Gerrard Winstanley (1609-76). Méfiants envers l’État et la politique en

général, ils veulent construire « une autre société » et s’éloigner de la corruption des villes

pour travailler collectivement la terre en petites communautés autogérées. En 1649-50,

dans le sud de l’Angleterre, ils s’approprient et cultivent des parcelles de common land

(terres peu exploitées appartenant aux communautés villageoises) mais aussi de propriétés

appartenant à la gentry et à la noblesse, dont ils sont rapidement chassés.

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« Aussi longtemps que les gouvernants diront que la terre leur appartient, en soutenant ce

principe d'une propriété particulière, du mien et du sien, jamais les gens du commun n'auront

leur liberté (...). Qu'on cesse d'enclore et de clôturer quoi que ce soit sur terre en disant ceci

est à moi ».

G. Winstanley, cité par Olivier Lutaud, Cromwell, les Niveleurs et la République, 1978, p. 225-26

[=> Les mêmes termes seront employés en 1751 par Jean-Jacques Rousseau dans son

Discours sur les origines de l’inégalité]

5. Le Saint Empire romain germanique

Au début du XVIIe siècle, trois confessions religieuses y coexistent difficilement :

catholiques plus nombreux au sud; luthériens et calvinistes, plus nombreux au nord. En 1608

se crée l’Union Evangélique (die Evangelische Union), pacte de défense commune entre

entités protestantes. En 1609 lui répond la Ligue catholique (die Katholische Liga).

- La guerre de Trente Ans

C’est, avant la Première Guerre Mondiale, le conflit qui a fait le plus de victimes en Europe.

Son déclenchement est accidentel. En 1617, l’empereur Matthias Ier (1612-19), pourtant

partisan de la tolérance religieuse, désigne son cousin, le très catholique Ferdinand de Styrie

(une principauté autrichienne) comme son successeur au trône de Bohème, pays en grande

majorité protestant.

Le 23 mai 1618, a lieu la «défenestration de Prague » : deux envoyés de Ferdinand sont

jetés des fenêtres du château du Hradschin par les nobles Tchèques (ils tombent dans un tas

de fumier). Ce geste marque une rupture et la guerre est inévitable : les alliances

protestante et catholique vont s’affronter.

En 1619, Ferdinand de Styrie devient l’empereur Ferdinand II. Dès lors le conflit

s’internationalise. Provinces-Unies, Suède et Danemark viennent au secours de leurs alliés

protestants, qu’appuie aussi la France de Richelieu afin de nuire aux Habsbourg.

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Un tiers de la population du Saint Empire (soit plus de 10 millions de personnes) va périr au

cours de ces trente années (voir ci-dessus, « Les dégâts des guerres »).

- Les Traités de Westphalie de 1648

Ces traités sont signés dans deux villes allemandes proches de la frontière hollandaise :

Münster où siègent les négociateurs catholiques, et Osnabrück où siègent les négociateurs

protestants.

Ils consacrent notamment :

- la reconnaissance par l’Espagne, de l’indépendance des Provinces-Unies

- l’affaiblissement du pouvoir impérial considéré désormais comme relativement

symbolique. Les Habsbourg se concentrent leurs possessions personnelles : l’Autriche, la

Hongrie et la Bohème, et interviennent moins en Allemagne même s’ils y conservent un

pouvoir d’influence.

6. L'expansion de l'État prussien

Future rivale des Habsbourg, la Prusse protestante s’étend progressivement au XVIIe siècle,

surtout par héritage. En 1614, elle acquiert les villes de Clèves (Kleve) et Juliers (Jülich) dans

la région de la Ruhr. Eloignées de Berlin, elles permettent au grand-duc de Prusse de

disposer de troupes plus proches des théâtres d’opérations d’Europe occidentale. En 1618,

il hérite de la Prusse orientale, au nord-ouest de la Pologne. En 1648, il acquiert lors des

Traités de Westphalie, la Poméranie orientale au nord-est. La Prusse est dès lors un État qui

compte dans l’Empire, et dont le souverain, qui se proclame « roi en Prusse » en 1700, reste

l’un des sept Princes-Électeurs.

7. L’hégémonie suédoise sur la Baltique

La Suède a une ambition : posséder tous les territoires autour de la mer Baltique, en faire

« un lac suédois ». Cet objectif sera presque atteint.

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Gustave-Adolphe II Vasa (1611-32) est un grand soldat. Il acquiert la Finlande, les pays

Baltes et une petite partie du littoral allemand occidental. Venu au secours des protestants

lors de la guerre de Trente Ans dans le Saint Empire, il y meurt au combat.

Charles XII (1697-1718), lui aussi grand militaire, affrontera surtout la Russie. Il ne

parviendra pas non plus à réaliser « le rêve suédois ».

8. L’avènement des Romanov en Russie

Sous Ivan IV le Terrible (1553-84) la Russie est encore centrée sur le bassin de la Volga et se

tourne plutôt vers l’Asie.

De 1584 à 1613 : la Russie traverse « la Période des Troubles ». On ne parvient pas à se

mettre d’accord sur le nom du successeur d’Ivan IV. Sous le fameux Boris Godounov (1598-

1605 ; poème de Pouchkine, opéra de Moussorgski) l’Église russe s’affranchit de la tutelle

symbolique de Constantinople, et on commence à coloniser la Sibérie. Enfin, Godounov,

tente de tourner davantage la Russie vers l’ouest.

En 1613, le Zemski Sobor (« Conseil de la Terre, composé des grands propriétaires) désigne

Michel Romanov, descendant d’une fille d’Ivan IV, comme tsar (tiré de « césar »). Il règnera

jusqu’en 1645 [=> et fonde une dynastie qui durera jusqu’en 1917].

9. L'Empire Ottoman

En 1570, la flotte ottomane est défaite à Lépante (sur la côte occidentale de la Grèce) par

l’Espagne et les États du Pape (qui occupent toute l’Italie centrale).

Sur le plan intérieur, après une période d’instabilité, des vizirs appartenant à famille

albanaise Köprülü se succèdent au pouvoir de 1656 à 1719. Le vizir, « premier ministre » et

chef des armées exerce la réalité du pouvoir, le sultan se contentant la plupart du temps

d’occuper le trône. Le vizir Fazil Ahmed Pacha (1661-76), intéressé par les arts et les

sciences crée à Istanbul une importante bibliothèque importante, embryon de la future

Bibliothèque Nationale turque.

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Dans l’Empire ottoman, Juifs et chrétiens sont tolérés moyennant le versement d'une taxe.

[=> au XVIIIe siècle, près de la moitié de la population d’Istanbul n’est pas musulmane].

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QUATRIEME PARTIE

Le siècle des Lumières et le classicisme (v.1660 – v.1775)

Absolutisme et « idée nouvelle du bonheur »

I - LES GRANDES DATES

1660 : restauration des Stuart sur le trône d'Angleterre

1660 : fondation de la Royal Society of London

1661-1715 : règne de Louis XIV

1670 : Spinoza : Le Tractatus theologico-politicus

1679 : l'habeas corpus est instauré par le parlement anglais

1683 : échec du second siège de Vienne par les Turcs ottomans

1685 : révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV

1687 : Newton énonce la loi de la gravitation universelle

1689 : Marie Stuart et Guillaume d'Orange acceptent le Bill of Rights

1689 -1725 : règne de Pierre Ier le Grand en Russie

1695-97 : Bayle : le Dictionnaire historique et critique

1714 : la dynastie des Hanovre monte sur le trône d'Angleterre

1715 : les Pays-Bas espagnols deviennent autrichiens

1717 : fondation à Londres, de la franc-maçonnerie

1734 : Voltaire : les Lettres philosophiques

1740 : Frédéric II et Marie-Thérèse, premiers despotes éclairés

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1748 : Montesquieu De l'esprit des lois

1751-72 : publication de l'Encyclopédie par Diderot et d'Alembert

1754 : Rousseau : le Discours sur l'origine de l'inégalité

1757 : Winckelmann publie les fouilles d'Herculanum et de Pompéi

1761-62 : Rousseau : La Nouvelle Héloïse, Émile, Le Contrat social

1762-96 : règne de Catherine II en Russie

1764 : Beccaria : Des délits et des peines

1765 : Voltaire obtient la réhabilitation de Jean Calas

1769 : James Watt perfectionne la machine à vapeur

1773 : suppression par le pape de la Compagnie de Jésus

1774 : Goethe : Les souffrances du jeune Werther

II - LE NEOCLASSICISME

Aujourd'hui, on fait commencer le siècle des Lumières vers 1660, car les idées qui vont

éclore au XVIIIe siècle sont émises dans la seconde moitié du XVIIe, plus tôt même parfois.

L'absolutisme est le trait dominant de cette période, inauguré en France par le règne de

Louis XIV. Toutefois, les philosophes posent en principe que la gestion des affaires

communes doit avoir pour but ultime le bonheur des citoyens. C’est une idée nouvelle car,

jusqu’alors, la gloire du souverain et la puissance de l’État étaient les objectifs déclarés de

pratiquement tous les gouvernants.

1. Le règne de Louis XIV et la réaction contre le baroque

Pays catholique, la France est toutefois assez réticente à l’égard de l’art baroque, dont

l’ornementation lui paraît excessive (le mot « baroque » a une acception péjorative en

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français). La « bon goût » français (on dit aussi « le grand goût »), défini dans la seconde

moitié du XVIIe siècle, est synonyme de solennité, de mesure et d’équilibre, un peu sur le

modèle du « cartésianisme » qui l’emporte à la même époque en matière intellectuelle : la

« Raison » doit primer sur l’émotion. Inspiré de l’Antiquité, que des fouilles permettent peu

à peu de redécouvrir, le « classicisme » correspond- parfaitement à cette vision des choses

et va peu à l’emporter dans le goût français.

Toutefois, l’aristocratie française se démarque au XVIIe siècle de cette tendance, qu’elle

associe à cette classe montante qu’est la bourgeoisie, qu’elle voit comme une dangereuse

rivale. Louis XIV, qui se méfie depuis la Fronde de la haute noblesse (voir ci-dessus), est

d’ailleurs critiqué par elle pour s’être entouré de conseillers issus de la noblesse « de robe »

(bourgeois anoblis provenant de la haute finance ou de la magistrature) et de la bourgeoisie.

Le château de Versailles, dont la construction commence en 1661, après l’accession de Louis

XIV au pouvoir personnel (après le décès de Mazarin et la perte d’influence de la reine

mère), témoigne pleinement de ce goût classique. Mais Louis XIV et sa cour ne s’y installent

qu’en 1682, et les travaux ne seront totalement achevés qu'en 1710.

2. La redécouverte de l'Antiquité gréco-romaine

D’abord effectuées sans grande méthode au XVIIe siècle, des

fouilles commencent à être organisées scie-ntifiquement au sud

de Naples à Herculanum (1738) et Pompéi (1763).

Originaire de Saxe et installé à Rome en 1754 grâce à une pension de son souverain le

Prince-Électeur Auguste III de Pologne, l’historien de l’art et archéologue Johann Joachim

Winckelmann (1717-68), protestant converti au catholicisme, est considéré comme le

fondateur de ces disciplines. C’est également un actif propagandiste du néoclassicisme. Il

publie notamment, en allemand, des Réflexions sur l'imitation des œuvres des Grecs en

Johann Joachim Winckelmann, par Angelika Kaufmann (1764)

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peinture et en sculpture (1755 ; trad . fr. 1766), où il prône le retour aux canons de l’art

antique, puis, en italien, Les monuments de l'Antiquité expliqués et illustrés (1767), ouvrage

qui vulgarise par le dessin les principales découvertes faites lors des fouilles en Italie et dont

les artistes et architectes de toute l’Europe vont s’inspirer.

À côté de cela, des voyageurs, anglais notamment, se rendent dans l'empire ottoman et s’y

procurer statues et objets d’art grecs qu’ils dérobent ou que les Ottomans leur vendent sans

grande difficulté (l’original de la frise du Parthénon d’Athènes se trouve au British Museum

depuis le XVIIIe siècle).

Les musées ouverts au public sont encore extrêmement rares: l’Ashmolean Museum

d’Oxford et sans doute le premier à ouvrir assez facilement ses portes, en 1678. Créé en

1753, le British Museum, n’est ouvert au grand public qu’en 1759 (tous deux sont des

fondations privées). De nombreuses collections privées sont cependant accessibles sur

demande à un public sélectionné. [=> la plupart des grands musées européens n’ouvriront

qu’à la fin du XVIIIe siècle, ou dans la première moitié du XIXe].

3. Les réactions au néoclassicisme

- « Style rocaille », « rococo », « chinoiseries » et Gothic Revival

En France, en réaction au « grand goût » classique louis-quatorzien, le style « rocaille »,

exubérant et parfois même dissymétrique, apparaît vers 1715 sous la Régence. De son côté,

en Italie, en Allemagne et en Europe centrale, l’art baroque évolue vers le « rococo », un art

décoratif particulièrement chargé.

La mode décorative des « chinoiseries » est, pour l’essentiel, une adaptation de motifs

chinois sur une architecture et des objets européens. Un « salon chinois » est aménagé dans

de nombreuses demeures aristocratiques au XVIIIe siècle., où des œuvres d’art ou des objets

décoratifs importés de Chine (meubles, porcelaines, tissus) sont insérés dans un décor

européen.

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Dans les Îles Britanniques, le Gothic Revival apparaît, vers 1740, comme une réaction

« nationale » contre le néoclassicisme. Ce sont aussi les racines de la « vieille Europe

chrétienne » que l'on tente d’y retrouver.

- Les débuts du romantisme

Une littérature particulièrement « sentimentale » apparaît au XVIIIe siècle. Plusieurs des

« best-sellers » de l’époque ressortissent à ce genre littéraire : Manon Lescaut (1731) de

l'abbé Prévost ; Clarissa Harlowe (1748) de l’Anglais Samuel Richardson ; La Nouvelle Héloïse

(1761) de Jean-Jacques ; enfin Les Souffrances du jeune Werther (1774) de l’Allemand

Johann Wolfgang von Goethe, qui génère une épidémie de suicides en Allemagne, et

marque la naissance du courant littéraire du Sturm und Drang (« tempête et élan »), et

annonce la future Allemagne romantique.

En Écosse, les poèmes épiques « d'Ossian », supposés dater du IIIe siècle, paraissent en

1760. Ecrits (on le saura plus tard) par le poète James Macpherson, ils soulèvent

l’enthousiasme de la jeunesse romantique..

- Quiétisme et piétisme

Version mystique d’un protestantisme devenu, selon ses adeptes, trop rationnel et

matérialiste, le piétisme se développe surtout en Allemagne du Nord, à partir de 1670. Il est

assez similaire au quiétisme que « Mme Guyon » tente d’implanter vers 1680 dans les

milieux catholiques français (Fénelon, notamment, y adhérera) , avant d’être arrêtée puis

emprisonnée.

III - VERS LE LIBERALISME ECONOMIQUE

1. Deux pays pionniers : les Provinces-Unies et la Grande-Bretagne

Depuis le milieu du XVIIe siècle, la réussite économique est devenue le principal critère de

distinction sociale dans ces pays. Le modèle bourgeois s'est imposé.

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Le libéralisme économique demande, y compris en matière religieuse, l’absence d’entraves

aux affaires..

Ainsi par exemple, en 1713, dans le Traité d'Utrecht qui met fin à la guerre de Succession

d'Espagne (voir ci-dessous) Anglais et Hollandais imposent pratiquement la mise en place du

libre-échange entre eux et les Pays-Bas autrichiens dont ils ont contribué à sécuriser

l’existence face aux ambitions françaises.

Par pragmatisme économique, ces deux pays pratiquent une politique de tolérance

religieuse (sauf, en Angleterre, envers les catholiques, ressentis comme un danger pour

l’État)

2. L'éloge du travail

L’économiste anglais William Petty écrit en 1662 que le travail est « le père et le principe

actif de la richesse ».

Texte 8 

« Bien que la nature ait donné toutes choses en commun, l'homme néanmoins, étant le

maître et le propriétaire de sa propre personne, de toutes ses actions, de tout son travail, a

toujours en soi le grand fondement de la propriété (...). Ainsi, le travail, dans le

commencement, a donné droit de propriété. »

John Locke, Two Treatises of Government 1689),, II, 4- 5

En France, Voltaire est l’un des premiers propagandistes du libéralisme économique, tout

comme Rousseau sera l’un des ancêtres du socialisme.

Pour Voltaire, la terre et le travail sont la source de tout. Le travail doit donc être considéré

comme une valeur essentielle. L'esprit d'entreprise, l'esprit capitaliste, sont partie

intégrante du « travail », dans l'esprit d’un libéral comme Voltaire, qui a lui-même bien fait

fructifier son argent (parfois hélas dans le commerce « négrier », la déportation d'esclaves

africains vers les Amériques).

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Au XVIIIe siècle, un débat s’engage en France sur la légitimité de la dérogeance, qui

immobilise d’importants capitaux qui pourraient être investis dans les secteurs dynamiques

de l’économie.

- L'intérêt personnel, moteur du progrès

La poursuite de l'intérêt personnel est en principe condamnée par la morale. Fin XVIIe-début

XVIIIe siècle, quelques auteurs libéraux veulent cependant démontrer qu’elle sert sans le

savoir l’intérêt collectif.

- le débat sur le luxe

Les libéraux soutiennent que le luxe, en favorisant une importante consommation de biens,

fournit du travail à de nombreux individus. Le janséniste Pierre Nicole ironise sur ce thème :

Texte 9 

« Les hommes étant vides de charité par le dérèglement du péché, demeurent néanmoins

pleins de besoins et sont dépendants les uns des autres dans une infinité de choses. La

cupidité a donc pris la place de la charité pour remplir ces besoins et elle le fait d'une manière

que l'on n'admire pas assez. (...). Quelle charité serait-ce que de bâtir une maison tout entière

pour un autre, de la meubler, de la tapisser, de la lui rendre la clef à la main ? La cupidité le

fera gaiement. Quelle charité (...) de s'abaisser aux plus vils ministères et de rendre aux

autres les services les plus bas et les plus pénibles ? La cupidité fait tout cela sans s'en

plaindre. »

Pierre Nicole, De la charité et de l'amour-propre (1675) (cité par Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une

révolution de la condition humaine, 2002, p. 479)

Le Hollandais d’origine française Bernard de Mandeville publie à Londres, en 1714, The

Fable of the Bees, ouvrage traduit en français en 1740 seulement (La Fable des abeilles). Le

sous-titre en est particulièrement provocateur : « les vices privés font les vertus

publiques ». C’est exactement ce que Pierre Nicole reprochait aux libéraux comme

Mandeville qui écrit notamment que « les défauts des hommes peuvent être utilisés à

l'avantage de la société civile et on peut leur faire tenir la place des vertus morales. »

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Impressionné par l’économie anglaise lors de son exil Outre-manche (1726-28), Voltaire écrit

en 1734 dans ses Lettres philosophiques (d’abord intitulées Lettres anglaises) :

Texte 10 

« Le commerce qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et

cette liberté a étendu le commerce à son tour ; de là s'est formée la grandeur de l'État. (...).

Tout cela donne un juste orgueil à un marchand anglais, et fait qu'il ose se comparer, non

sans quelque raison, à un citoyen romain. Aussi le cadet d'un pair du royaume ne dédaigne

point le négoce (...). En France, est marquis qui veut, et quiconque arrive à Paris du fond

d'une province avec de l'argent à dépenser et un nom en ac ou en ille, peut dire un homme

comme moi, un homme de ma qualité et mépriser souverainement un négociant ; le

négociant entend lui-même parler si souvent avec dédain de sa profession qu'il est assez sot

pour en rougir ; je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État, ou un seigneur bien

poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se

donne des airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre, ou

un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate [en Inde] et au

Caire, et contribue au bonheur du monde ».

3. Physiocrates et libéraux français

La physiocratie (« gouvernement par la nature ») domine le débat économique en France

dans les années 60 et au début des années 70.

Sous la Régence, en 1719-20, « l’expérience de Law » a rendu la France particulièrement

méfiante envers le libéralisme à l’anglaise. Écossais, John Law un de ces « hommes à

projets » qui parcourent l’Europe pour vendre à prix d’or une de leurs idées « de génie » a

réussi à convaincre en 1718 le Régent Philippe d’Orléans d’autoriser l’émission de papier-

monnaie par la Banque Royale, afin d’accroître les quantités monétaires en circulation en

vue notamment de soutenir les compagnies de commerce colonial.

A tout moment, le détenteur de ce papier-monnaie peut venir se faire rembourser ses billets

en monnaie métallique. Le système repose donc sur la confiance, puisque que le stock

métallique est loin de représenter l’équivalent monétaire des billets en circulation. Une

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rumeur de dépréciation du papier-monnaie - lancée par des spéculateurs ennemis de Law -

provoque la panique : une bonne partie des détenteurs de papier-monnaie se présentent en

même temps afin de se faire rembourser, ce qui est impossible. Le papier-monnaie se

dévalue rapidement et certains, ruinés se suicident. Des émeutes ont lieu et John Law, qui

avait été nommé contrôleur général des Finances, doit quitter le pays. [=> Il faudra attendre

1776 pour que soit créée à Paris, à l’initiative du banquier suisse Isaac Panchaud, la « Caisse

d’Escompte » qui permettra aux particuliers fortunés de prêter de l’argent à l’Etat]

Un demi-siècle plus tard, les Physiocrates présentent le libéralisme comme le système

économique le plus « naturel ». « Il faut laisser faire, et laisser passer » aurait dit l’un d’eux,

le négociant Vincent de Gournay, c’est-à-dire supprimer tous les obstacles à la libre

entreprise et abaisser les droits de douane.

Pour les Physiocrates (le médecin François Quesnay, l’abbé Baudeau, le futur ministre

Turgot) il suffit de laisser faire la nature, qui rétablit spontanément les équilibres rompus :

si un produit devient rare (comme le blé lors d’une famine) son prix augmente ; cela attire

les vendeurs et augmente d’autant l’offre, d’où une diminution du prix [cette « loi de l’offre

et de la demande » sera formulée au XIXe siècle). Intervenir est

donc contre-productif.

Très influent, Quesnay écrira les articles « Blés » et « Pain » dans

l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Toutefois, les Physiocrates voient l'agriculture comme la seule activité « productive »,

artisanat et industrie ne faisant que transformer ses produits et ceux de la nature. Afin de

motiver les producteurs, ils plaident pour des prix agricoles élevés. Or, le prix du pain est

alors une variable économique (et sociale) de première importance. Il représente une part

importante du budget dans les milieux populaires et, en cas de mauvaise récolte, la hausse

du prix des céréales met en danger la survie même des plus faibles. Les États ont donc pris

pour habitude dans ces circonstances de « taxer » (fixer autoritairement) le prix des blés, et

François Quesnay

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de contrôler les greniers où les propriétaires stockent le blé, les obligeant parfois à vendre

au prix fixé. Pour les Physiocrates, mieux vaudrait laisser faire la loi du marché.

- Turgot et la guerre des Farines

Brillant intendant dans la région de Limoges, Jacques Turgot (1727-

81) est nommé contrôleur général des Finances en 1774, à

l’avènement de Louis XVI. En 1775-76, il tente de mettre en

pratique les théories physiocratiques après une mauvaise récolte.

Mais l’état des transports ne permet pas de combler rapidement

les manques d’une région à l’autre, et les producteurs de blé

attendent pour vendre que le prix des blés soit le plus élevé

possible.

La « guerre des Farines » est fatale à Turgot, victime également d’une cabale à la cour et qui

est renvoyé par Louis XVI en 1776.

Il a également lutté contre le monopole sclérosant des corporations et en faveur de la liberté

d’entreprise.

4. L'évolution des économies européennes

- Le colbertisme

Fils d’un drapier de Reims, Jean-Baptiste Colbert (†1683) dirige l’économie française sous

Louis XIV à partir de 1661.

Surtout synonyme d’interventionnisme étatique (Colbert crée de nombreuses

manufactures et compagnies commerciales), le « colbertisme » a également une facette

libérale :

- en 1666, il réduit le nombre de jours chômés : les impératifs de l’économie passent avant

le respect des prescriptions religieuses.

- en 1669, il met un frein à la création de couvents, dont la population participe peu à

l’économie et n’engendre pas d’enfants, privant le pays de bras et l’armée de soldats

Turgot

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- en 1681 commence la répression de la mendicité par la généralisation des « hôpitaux

généraux » (voir ci-dessus)

- en 1681 les exceptions à la dérogeance sont coulées en forme de loi afin d’inciter les

nobles à investir dans les industries verre, de la métallurgie et dans les mines. Le succès est

cependant très relatif : un siècle plus tard, seul un peu plus de 1% des nobles aura osé

investir dans l'économie et les affaires. Le mépris pour la « marchandise » se double sans

doute ici d’une méfiance envers l’État, particulièrement avide sous Louis XIV en raison des

guerres et de la politique de prestige, et donc toujours capable de reprendre par l’impôt une

partie des gains éventuellement réalisés.

- La question du prêt à intérêt

En 1671, Colbert tente avec l’accord du roi de mettre en place, dans les grandes villes

commerçantes et dans les ports des sociétés de crédit par l’intermédiaire de «négociants de

prêts». Cette tentative n'a que peu de succès car peu de volontaires se présentent : on se

méfie en effet d'un État qui crée de régulièrement nouvelles taxes.

Dans les pays protestants, banques et sociétés de crédit prospèrent au contraire ce qui

permet notamment à l'Angleterre et aux Provinces-Unies de financer leur essor économique

et commercial.

Autre forme de crédit, le papier-monnaie est introduit en Suède en 1661, en Angleterre en

1694.

- Le grand commerce colonial

Il est assuré par des compagnies, le plus souvent privées, installées dans les grandes villes

portuaires de l'Atlantique et plus accessoirement de la Méditerranée. Un milieu européen

du grand commerce international se constitue, disposant de succursales dans plusieurs pays.

Ainsi Bordeaux abrite-t-il des négociants de plusieurs nationalités, Portugais et Allemands

notamment.

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- Les colonies

Une politique de peuplement se met en place dans la plupart des colonies. A la fin du XVIIe

siècle, la Louisiane française comptabilise environ 15.000 colons, mais les colonies anglaises

d’Amérique en comptent déjà 400 000.

Si la France est le plus grand et le plus puissant des pays européens aux XVIIe et XVIIIe siècles,

Louis XIV a considérablement déforcé son économie en révoquant l’Édit de Nantes en 1598.

300.000 protestants environ, pour la plupart commerçants ou intellectuels, ont alors quitté

le pays pour s’installer en Angleterre, dans les Provinces-Unies ou en Prusse.

Par contre, les dissidents protestants anglais, ou les catholiques irlandais, persécutés sous

Elisabeth Ière et Jacques Ier, ont en grand nombre émigré en Amérique, où des terres leur

sont attribuées et où ils peuvent plus ou moins librement pratiquer leur culte. Le poids de

l’État anglais est très faible en outre dans les colonies, où les entrepreneurs privés règnent

en maîtres, à la faveur des chartes très libérales accordées par le souverain, tandis que la

Nouvelle-France est plus soumise à l’interventionnisme étatique.

- La révolution agricole en Angleterre

Dans la plupart des pays européens, 80 à 90 % de la main-d’œuvre est employée dans

l'agriculture. En Angleterre, la moitié seulement, car les enclosures et la hausse de la

productivité agricole qui s’en est ensuivie ont libéré une abondante main-d’œuvre

désormais employée dans l’artisanat et l’industrie.

Les rendements céréaliers sont parlants : 3 quintaux à l'hectare en Russie ; 6 quintaux à

l'hectare en France ; plus de 10 quintaux à l'hectare en Angleterre.

- Les débuts de la révolution industrielle en Angleterre

Principalement basée à proximité des gisements de fer et de charbon dans les Midlands et

au Pays de Galles, l’industrie anglaise bénéficie de progrès techniques importants (et d’une

main-d’œuvre bon marché en raison de l’exode rural):

- largement utilisé comme combustible dans l'industrie, le charbon de terre nécessite le

creusement de profondes galeries de mine d’où les eaux infiltrées sont difficiles à évacuer.

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On utilise en général une noria actionnée en surface par des chevaux. La pompe de Thomas

Newcomen (1712), qui fonctionne à la vapeur, est beaucoup plus efficace. Elle sera

également utilisée dans le Nord de la France et en Wallonie à partir de 1726.

- à partir de 1735 la métallurgie anglaise utile le coke, un charbon distillé qui permet

d’atteindre de très hautes températures et de fabriquer de la fonte, un métal extrêmement

solide [procédé connu en Chine depuis le IVe siècle]. La France fait de même, mais en petites

quantités, à partir de 1756.

- obtenu également grâce à l’utilisation du coke, l'acier, qui demeurera longtemps une

spécialité anglaise, est notamment utilisé dans la fabrication du petit outillage de précision

(ciseaux, épingles, rasoirs) et les armes blanches (Wilkinson à Londres en 1772).

- dans le textile, l’invention de la « navette volante » (1733) fait gagner un temps

considérable aux tisserands et diminue les coûts de main-d’œuvre

- dès 1740, en Angleterre, le coton l'emporte en quantité sur la laine

- vers 1750, la première véritable usine (900 ouvriers) est ouverte à Birmingham par

Matthew Boulton, un industriel polyvalent (" je vends tout ce que le monde désire"),

membre de la Royal Society, qui donne par ailleurs à l’Écossais James Watt, qui a

perfectionné la machine à vapeur de Newcomen, les moyens de mettre son invention en

pratique

- l’Angleterre innove en matière commerciale : la fabrication « en série » (les faïences

anglaises sont six fois moins chères que celle fabriquée sur le continent) permet de

distribuer au public un catalogue : c’est le cas chez Boulton, mais aussi chez Wedgwood

pour la porcelaine, ou chez Chippendale, qui donne son nom à un style de meubles.

- le salariat

Les travailleurs de l’industrie anglaise sont des salariés, souvent précarisés. L’individuation

se manifeste ici par la disparition des solidarités villageoises et l’absence ou de corporations.

Un licenciement peut avoir lieu du jour au lendemain, et aucune protection n’est garantie au

chômeur.

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Partout en Europe, filage et tissage à domicile de la laine ou du coton (Verlasgssystem en

allemand ; putting-out en anglais) offrent en hiver aux agriculteurs, liés par un contrat

individuel à un entrepreneur urbain, un revenu complémentaire en hiver

IV - LES LUMIERES ET LE TRIOMPHE DE LA RAISON

En 1784, en réponse à un concours de l’académie de Berlin, le philosophe Immanuel Kant

donne cette définition des Lumières :

Texte 11 

« Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même

responsable. L’état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans la

conduite d'un autre. Sapere aude ! [Ose savoir] Aie le courage de te servir de ton propre

entendement ! Voilà la devise des Lumières. »

Cité par Gérard Raulet, Aufklärung. Les lumières allemandes (1995), p. 25

Les Lumières supposent par conséquent une alphabétisation généralisée et l’accession de

tous à l’enseignement, afin que chacun devienne capable de « se faire sa propre idée » et de

ne pas obéir aveuglément aux dogmes, qu’ils soient religieux ou politiques.

1. La conversion des élites au cartésianisme : le primat de l'expérience

Les milieux scientifiques et intellectuels sont devenus pratiquement unanimes à ce propos :

seule l’expérience fait foi.

En 1708, le philosophe et savant Bernard le Bovier de Fontenelle (1657-1757) peut écrire

que « l'Autorité a cessé d'avoir plus de poids que la Raison ». [Par «autorité », il entend ici

le dogmatisme, l’argument d’autorité.]

En 1666, les statuts de l'Académie des sciences fondée par Louis XIV donnent pour consigne

aux académiciens de « bannir tous les préjugés » et de ne s'appuyer que sur l’expérience.

En 1671, la sorcellerie est condamnée par la loi au nom de la rationalité et de l'expérience.

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En 1687, l’Anglais Isaac Newton énonce, après avoir effectué de nombreuses expériences,

le phénomène de l'attraction « universelle » (qui concerne aussi les planètes) :

« Tous les corps matériels s'attirent mutuellement avec une force inversement

proportionnelle au carré de la distance qui les sépare et proportionnelle à leurs masses

respectives ».

En 1690, John Locke publie An Essay upon Human Understanding (Essai sur l'entendement

humain) où il donne une version matérialiste de l’intelligence, qui se construit chez les

individus à partir des sensations physiques.

En 1695-97, le protestant français Pierre Bayle (1647-1706), exilé à Amsterdam, y publie un

Dictionnaire historique et critique où il démystifie les Saintes Ecritures en les confrontant à

la critique philologique, historique et scientifique.

2. Le nouveau statut des sciences

- Les académies

Les académies ne sont pas une création des Temps modernes. D’origine grecque, elles

revivent d’abord en Italie lors de la Renaissance. L'Accademia dei Lincei (Académie des Lynx)

de Rome, société savante composée d’amateurs de culture, d’intellectuels, de poètes,

d’artistes et de scientifiques, se constitue au début du XVIIe siècle (elle recevra notamment

Galilée). Plusieurs dizaines d’académies de ce type naîtront dans les grandes villes italiennes

au cours du siècle, protégées le plus par un souverain ou un prince.

En 1636, Richelieu fonde l'Académie française. Son but est en réalité de mieux contrôler, en

les encadrant dans une structure dépendant du pouvoir, intellectuels et savants français. Le

roi, qui « pensionne » les académiciens, dispose en outre trois représentants officiels au sein

de l’académie. En 1663 Colbert y adjoint l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres,

chargée de composer les devises présentes sur les monuments, les bâtiments officiels et les

monnaies, inscriptions qui chantent la gloire du souverain, puis, en 1666, l’Académie des

Sciences.

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Créée par des savants en 1660, la Royal Society of London for Improving Natural

Knowledge (« Société Royale pour l’amélioration de la connaissance de la nature ») ne

bénéficie qu’ensuite du patronage royal, et le souverain n’y envoie aucun représentant,

hormis à l'occasion de la séance annuelle d'ouverture. Les sociétaires payent une cotisation

et ne reçoivent aucune pension. Ils sont donc totalement indépendants. La Royal Society est

principalement orientée vers les sciences appliquées et le bien qu’elles peuvent procurer à

l’économie du pays.

Des sociétés savantes, dites « académies de province », sont fondées dans de nombreuses

villes françaises au XVIIIe siècle. Certaines se rapprochent de la Royal Society par leur

composition. L’une des plus avancées sur le plan scientifique est celle de Montpellier, où se

trouve l’une des meilleures facultés de médecine d’Europe

Un peu partout en Europe, des académies sont créées au XVIIIe siècle, le plus souvent par les

souverains : en 1710 à Berlin ; en 1724 à Saint-Pétersbourg par Pierre Ier le Grand ; en 1739

à Stockholm, etc.

En 1769 à Bruxelles, capitale des Pays-Bas autrichiens, est créée, à l’initiative de quelques

membres du gouvernement, une « Société littéraire ». En 1772, après avoir vaincu les

réticences du gouvernement de Vienne, elle prend le nom d’académie. A Liège, une

« Société d’Émulation » est fondée en 1779.

Toutes les académies ont des « membres étrangers », des correspondants. Se crée ainsi un

réseau européen de savants et d’intellectuels.

- La médecine

Quelques facultés de médecine (Montpellier, Padoue, Paris, Londres) sont prestigieuses,

mais la médecine demeure assez peu efficace. Dans les grandes villes, des « collèges de

médecins » sont créés par les autorités afin de surveiller la santé publique et de lutter contre

les épidémies. A Anvers et Bruxelles par exemple, c’est le cas dès la première moitié du XVIIe

siècle, à Liège en 1690. Au XVIIIe siècle, les collèges de médecins se généralisent.

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- La vulgarisation des connaissances scientifiques

Une presse spécialisée se crée dans toute l'Europe.

En 1662 apparaissent les Philosophical transactions, bulletin scientifique de la Royal Society.

En 1665 est créé à Paris Le Journal des Savants.

Certains des Philosophes publient également des ouvrages de vulgarisation. Ainsi Emilie du

Châtelet (1796-49) qui traduit, avec l’aide de Voltaire (1693-1778), l’ouvrage de Newton, de

façon à ce qu’il soit compréhensible par un public non scientifique

Denis Diderot (1713-84), qui assiste régulièrement aux séances de l'Académie des sciences,

publie un certain nombre d'ouvrages de physiologie, d'optique, de chimie, et vulgarise les

dernières découvertes dans son Encyclopédie.

Jean-Jacques Rousseau (1712-78) publie des ouvrages de botanique, J.W. von Goethe

(1749-1832) de minéralogie et de zoologie.

Le Suédois Carl von Linné établit en 1753 la classification des plantes, tandis que le comte

de Buffon fait de même pour les espèces animales en 1744.

L’intérêt pour les sciences croît rapidement : de 7% d’ouvrages scientifiques en 1650,

l’édition française passe à 20 % en 1720, puis à 33% en 1780.

3. L'alphabétisation et ses conséquences

Au XVIe siècle, en moyenne un tiers des hommes savent lire (pas nécessairement écrire) et

un cinquième des femmes savent lire. A la fin du XVIIIe siècle, en moyenne ce sont les deux

tiers des hommes et le tiers des femmes (mais moins du quart des individus dans les classes

populaires), pour l’essentiel en milieu urbain.

On mesure la montée progressive du débat politique en France en considérant la hausse

fulgurante du nombre d’ouvrages d’économie politique publiés: 10 au XVIIe siècle ; 35 entre

1710 et 1740 ; 88 entre 1741 et 1750 ; 363 entre 1751 et 1760 ; 829 entre 1781 et 1791.

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4. L'Encyclopédie

Ses 28 volumes in-folio (dont onze, contenant 2.800 planches techniques) sont publiés entre

1751 et 1772.

En 1745, Diderot commence à traduire de l’anglais la Cyclopaedia or An Universal Dictionary

of arts and Sciences (1728) d’Ephraïm Chambers. Constatant qu’en de nombreux domaines,

celle-ci est déjà dépassée par les progrès scientifiques et techniques, il décidé d’éditer plutôt

une toute nouvelle encyclopédie, en collaboration avec le savant Jean Le Rond d’Alembert

(1717-83) qui sera plus tard secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.

Dans le préambule de l’ouvrage, d’Alembert écrit :

« L'ouvrage dont nous donnons aujourd'hui le premier volume, a deux objets : comme

Encyclopédie, il doit exposer autant qu'il est possible, l'ordre et l'enchaînement des

connaissances humaines : comme dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers,

il doit contenir sur chaque science et sur chaque Art, soit libéral, soit méchanique, les

principes généraux qui en sont la base, et les détails les plus essentiels, qui en font le corps et

la substance. »

Près de 130 auteurs collaborent à l’Encyclopédie, le chevalier Louis de Jaucourt (1704-79)

écrivant à lui seul plus de 17.000 des 60.000 articles. Diderot lui-même en fournira près de

5.000. L’ouvrage, au coût élevé, est d’abord tiré a 2050 exemplaires. On en diffusera

finalement près de 4.000.

Après la parution des sept premiers volumes, entre 1751 et 1757, l’entreprise est

interrompue jusqu'en 1761, en raison de sa mise à l'Index. Responsable de la censure

royale, mais ami des Philosophes, Malesherbes propose alors à Diderot de mettre ses

manuscrits en lieu sûr, chez lui où on ne songera pas à les chercher. En 1762, l’édition

reprend.

Tous les articles de l’Encyclopédie ne sont pas des brûlots révolutionnaires. Diderot (qui

assume seul la direction à partir de 1757) a eu l’intelligence d’éviter les provocations en

« cachant » dans des articles en apparence anodins les affirmations les plus « scandaleuses »

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tandis que les articles les plus susceptibles d’attirer l’œil des censeurs (« Bible », « Église »,

« Roi », etc.) sont relativement modérés.

5. Quelques découvertes scientifiques décisives

Entre 1660 et 1670, le microscope est perfectionné par le Hollandais Antoni van

Leeuwenhoek qui découvre notamment les spermatozoïdes, tandis que Newton

perfectionne le télescope.

Entre 1724 et 1742 : on perfectionne le thermomètre (Réaumur en France, Fahrenheit en

Allemagne, Celsius en Suède).

Vers 1730 les Français Maupertuis, en Laponie, et La Condamine, au Pérou, mesurent les

Méridiens et constatent un aplatissement des pôles ce qui renverse la thèse jusqu’alors

admise d’une terre de forme ovale.

En 1770-1780, l’Anglais Henry Cavendish et le Français Antoine Lavoisier procèdent à

l’analyse chimique de l'air et de l'eau et étudient le phénomène de la respiration.

Vers 1780, on tente d’exploiter les phénomènes électriques. Le « baquet de Messmer » a

beaucoup de succès dans les salons parisiens où l’on s’amuse à pratiquer un magnétisme

que le médecin autrichien Franz-Anton Messmer prescrit pour « rétablir l’équilibre

des fluides » dans le corps des malades [=> en 1800, l’Italien Alessandro Volta inventera la

première « pile » permettant de stocker l’électricité].

6. Le progrès des conditions de vie : hygiène, santé, démographie, confort

Ces progrès ne profitent d’abord qu’aux couches les plus aisées de la population.

- L'hygiène

- utilisation des sous-vêtements

- utilisation des couverts. On ne mange plus avec les mains ce qui limite les risques de

contamination

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- absorption de boissons fermentées ou bouillies (thés) plutôt que d’eau, très souvent

impure

- La santé

On découvre deux protections contre la variole, maladie parfois mortelle :

- l’inoculation, importée de Turquie en Angleterre vers 1725 par lady Montagu, épouse de

l’ambassadeur anglais à Istanbul, consiste à injecter à un sujet sain du pus prélevé sur un

malade, ce qui provoque la formlation d’anticorps (ce qu’on ne sait pas alors, c’est une

pratique purement pragmatique). Cette technique répand sur le continent dans la seconde

moitié du XVIIIe siècle.

- la vaccination, mise au point entre 1776 et 1796 par le médecin écossais Charles Jenner,

qui a constaté que les personnes travaillant au contact des bovins ne contractent pas la

maladie. Il a l’idée d’injecter à des sujets sains la « vaccine » (cow pox), une maladie du pis

de la vache, qui les protège en effet de la variole.[=> Ce procédé sera diffusé au XIXe siècle]la

démographie

Au cours du XVIIIe siècle, l’Europe occidentale passe d’environ 92 millions d'habitants à

environ 145 millions.

Cependant, il y a des disparités: l'Angleterre connaît une progression de 65 %, notamment

en raison de l'augmentation des rendements agricoles et des progrès de la médecine. Sa

population passe de 5 à 8,5 millions d'habitants. La population française croît de 32%,

passant de 22 à 29 millions d'habitants.

- le confort

L'Angleterre et les Provinces-Unies connaissent un urbanisme très moderne, géométrique et

aéré. En 1666, le « Grand Incendie » de Londres (un tiers des bâtiments a brûlé) a provoqué

une limitation drastique de l’utilisation du bois dans les nouvelles constructions.

La fonte pénètre largement dans les foyers : poêles, fourneaux, garnitures de cheminée, et

balcons notamment. Le charbon de terre (dont le prix a été divisé par deux grâce à

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l’amélioration de l’exhaure des eaux et à la construction de canaux pour le transport)

remplace de plus en plus le bois comme combustible de chauffage.

Construite en 1761, la maison de l’industriel Matthew Boulton à Soho (Birmingham) est à la

pointe du progrès : water-closets et eau chaude et froide à tous les étages ; chauffage à air

pulsé à travers les murs et les escaliers en fonte. A la même époque, dans ses Mémoires la

sœur du roi de Prusse Frédéric II, Wilhelmine, se plaint du froid des couloirs et du confort

rudimentaire des chambres de son château de Bayreuth : désormais, les bourgeois aisés

vivent dans de meilleures conditions que nombre d’aristocrates.

7. Le débat sur le progrès

Le progrès matériel suscite certaines réticences. Si Fontenelle ou Voltaire par exemple, en

sont de fervents partisans, Jean-Jacques Rousseau s'y oppose avec fracas.

Texte 12 

« Nos âmes se sont corrompues à mesure que les sciences et les arts se sont avancés à la

perfection. Dira-t-on que c'est un malheur particulier à notre âge ? Non, Messieurs ; les maux

causés par notre vaine curiosité sont aussi vieux que le monde. (...) On ne peut réfléchir sur

les mœurs, qu'on ne se plaise à se rappeler l'image de la simplicité des premiers temps. C'est

un beau rivage, paré des seules mains de la nature, vers lequel on tourne incessamment les

yeux. »

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts (1750)

Il y a là une espèce de nostalgie poétique d’un passé idéalisé dont Rousseau sera le porte-

parole, jusqu'à la fin de sa vie. Ayant envoyé à Voltaire un exemplaire de son discours, celui-

ci lui répond ironiquement : " il me prend envie de marcher à quatre pattes en vous lisant,

mais j'en ai passé l'âge...". L’année suivante, Voltaire consacre un opuscule à cette

question :

Texte 13 

« Dieu merci ! J'ai brûlé tous mes livres, me dit hier Timon.

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- Quoi ! Tous sans exception ? (...)

- J'ai tout brûlé, répliqua-t-il : ce sont des corrupteurs du genre humain. (...) Les sciences sont

le plus horrible fléau de la terre. Sans elles, nous aurions toujours eu l'âge d'or. (...) Il est clair

qu'il n'y a que les Iroquois qui soient gens de bien : encore faut-il qu'ils soient loin de Québec,

où je soupçonne que les damnables sciences de l'Europe se sont introduites. (...) Vous

conviendrez (...) que l'industrie (ici : dans le sens d'activité, travail) donne à l'homme de

nouveaux besoins. Ces besoins allument les passions, et les passions font commettre des

crimes. (...)

- Vous pensez donc, lui dis-je, qu'Attila, Genséric, Odoacre [respectivement rois des Huns, des

Vandales et des Hérules qui envahirent l'Europe au Ve siècle] et leurs pareils, avaient étudié

longtemps dans les universités ?

- Je n'en doute nullement, me dit-il, et je suis persuadé qu'ils ont beaucoup écrit en vers et en

prose; sans cela auraient-ils détruit une partie du genre humain ? (...) Ce n'est qu'à force

d'esprit et de culture que l'on peut devenir méchant. Vivent les sots pour être honnêtes gens !

(...) Je le laissai dire. Nous partîmes pour aller souper à la campagne. Il maudissait en chemin

la barbarie des arts, et je lisais Horace. Au coin d'un bois, nous fûmes rencontrés par des

voleurs, et dépouillés de tout impitoyablement. Je demandai à ces Messieurs dans quelle

université ils avaient étudié. Ils m'avouèrent qu'aucun d'eux n'avait jamais appris à lire. »

Voltaire, Sur le paradoxe que les sciences ont nui aux mœurs (1751)

8. L'anticolonialisme

En 1704 le Français La Hontan, qui a vécu dix ans en Nouvelle-France publie ses Dialogues

avec un sauvage, où ce dernier est vu sous un jour plus favorable que les Européens. Ce

thème du « bon sauvage » annonce clairement les idées qui seront défendues plus tard par

Jean-Jacques Rousseau.

Le débat sur le « commerce triangulaire » est vif également. Il s’agit du transport en Afrique

(région du golfe de Guinée) de produits européens de faible qualité qu’on y échange contre

des esclaves (capturés par les Européens ou par les populations de la côte), lesquels sont

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ensuite emmenés en Amérique afin d’y travailler sur des plantations dont les produits sont

ensuite apportés en Europe.

Aidé par Diderot, l'abbé Raynal Guillaume-Thomas Raynal publie dans les années 1770 trois

éditions successivement augmentées de son Histoire de l’ Établissement et du commerce

des Européens dans les deux Indes [les Indes « occidentales désignant l’Amérique].

Compilation de nombreux récits de voyages, l’Histoire des deux Indes est truffée de

nombreux commentaires anticolonialistes, en grande partie dus à Diderot, et dont le

nombre et la virulence augmentent au fil des éditions.

Une autre forme d’anticolonialisme, moins humaniste, est celle des Physiocrates pour

lesquels envoyer des colons outre-mer pour cultiver des produits « de luxe » est une erreur

et prive de nombreux bras l’agriculture européenne.

V - L'AVENEMENT DE L'INDIVIDU

La promotion d’un individu faisant librement ses choix dans tous les domaines est, depuis

le XVIIIe siècle, une caractéristique de la civilisation occidentale.

1. Une nouvelle sociabilité

- les sociabilités « restreintes »

Dans la société d’ancien régime, les relations entre les individus sont fortement

conditionnées par leur appartenance à un milieu social et à une religion. A contrario les

sociabilités dites « restreintes », qui se développent particulièrement au XVIIIe siècle, sont

librement choisies, et transcendent les clivages sociaux traditionnels..

Les collèges d'enseignement secondaire (l’enseignement n’est pas encore obligatoire)

regroupent fils de bourgeois et d’aristocrates. Des affinités personnelles s’y créent.

Pour les jeunes filles, les couvents et quelques pensionnats jouent le même rôle, et

augmentent un niveau d’éducation que l’ouverture, dans la seconde moitié du XVIIe siècle,

de nombreux « salons » dans les grandes villes leur permet de mettre en valeur. Les

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fréquent « mariages d’argent » rendent en effet mari et femme assez indépendants l’un de

l’autre et les femmes disposent donc d’une certaine liberté pour recevoir. A Paris, au XVIIIe

siècle, les salons de Mme du Deffand ou de Mme Geoffrin, où se pressent hommes d’affaires,

savants et écrivains, sont eu centre de la vie mondaine et intellectuelle.

En Angleterre, à partir de la fin du XVIIe siècle, les clubs, exclusivement masculins, se

réunissent généralement dans des tavernes. On y parle surtout politique et littérature. Sur le

continent, les cafés littéraires tel, à Paris, le Procope, ont également un certain succès.

A partir de 1725 environ, des soirées musicales privées sont organisées dans de nombreuses

grandes villes européennes

Autre forme de libre sociabilité, la franc-maçonnerie est créée en 1717 en Grande-Bretagne.

Elle se répand sur le continent au cours des deux ou trois décennies qui suivent. Vers 1740, il

y a des loges maçonniques dans tous les pays européens. Il y en aura aussi assez rapidement

dans les colonies anglaises d’Amérique. Société initiatique et discrète, aux objectifs

philanthropiques, la franc-maçonnerie est exclusivement masculine. Issus de classes

sociales variées, les frères se côtoient en loge dans la plus stricte égalité et on y pratique la

tolérance en matière de convictions religieuses.

2. La recherche du bonheur individuel

Pour John Locke « le bonheur est le but que chaque homme vise constamment ». Comme

chacun a sa propre conception du bonheur, la société doit faire en sorte que chacun puisse

trouver le chemin vers son propre bonheur.

La lecture individuelle, silencieuse, est en croissance : on lit de moins en moins à haute voix

pour d’autres personnes.

Les journaux intimes sont de plus en plus nombreux au XVIIIe siècle. Les Confessions de

Jean-Jacques Rousseau constituent la première autobiographie intime.

La reconnaissance des droits d'auteur est un fait acquis en Angleterre en 1735. [=> en

France, Beaumarchais fonde en 1777 la Société des auteurs, mais la loi ne sera votée qu’en

1793]

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La comparaison entre le destin des trois plus grands musiciens de cette époque Haydn,

Mozart et Beethoven est un bon exemple des progrès de l’individuation. Musicien « de

cour », Joseph Haydn (1732-1809) est au service de la famille hongroise Esterházy. Il n'a

pratiquement pas eu de congé pendant les trente premières années de sa carrière. W.A.

Mozart (1756-91) commence sa carrière au service de l’archevêque de Salzbourg, mais s’en

libère pour vivre de façon relativement, non sans dépendre encore en grande partie des

commandes et des recettes de ses concerts. [=> L. van Beethoven (1770-1827) compose

plus souvent en fonction de son inspiration et est subsidié à plusieurs reprises par des

mécènes].

- Le maintien des contraintes collectives et le règne de la réputation

Jusqu’au XIXe siècle, dans les classes populaires, les contraintes collectives (notamment la

dépendance intergénérationnelle) demeurent la règle.

Parmi ces contraintes le règne de la réputation. Le « charivari » est ce cortège moqueur qui

se promène sous les fenêtres des jeunes filles un peu trop légères ou « mal mariées » (avec

un homme plus âgé, qui les enlève de la sorte aux jeunes gens). La société fait ainsi savoir à

certains individus que leur comportement n'est pas admis, pas conforme aux règles sociales.

Ce contrôle social demeure très présent, surtout dans les campagnes où tout le monde se

connaît.

VI - LE COMBAT POUR LA TOLERANCE

1. Gallicanisme et césaropapisme

En France, comme dans les pays catholiques en général, l’opposition entre Église gallicane

(ou nationale) et « ultramontanisme » (obéissance au pape de Rome) est vive. En 1682,

Louis XIV réaffirme :

- l'indépendance de l’Église de France (qui lui est soumise) en matière temporelle

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- les décisions doctrinales de Rome n'ont pas de valeur en France tant qu’elles ne sont pas

validées « par l'Église de France » (en fait par le souverain lui-même)

- la supériorité du concile sur le pape

- la dissolution de la Compagnie de Jésus.

Les Jésuites ont joué un grand rôle dans la colonisation espagnole et portugaise. Ils ont

acquis d'immenses domaines, (notamment au Paraguay en Amérique du Sud) où ils traitent

les indigènes de façon plus humaine que les colons, les faisant travailler sans contrainte, en

les éduquant et en les christianisant. Gênés par cette concurrence, agacés aussi par la

fidélité inconditionnelle des Jésuites envers le pape, plusieurs souverains catholiques

cherchent à détruire la Compagnie. Au Portugal, en 1759, le marquis de Pombal, premier

ministre anticlérical, les fait expulser pour complot contre l’État et malversations.

La France suit en 1764, puis l'Espagne en 1767, la Toscane, alors autrichienne, en 1768, et

sur la pression des souverains et des ordres rivaux des Jésuites au sein de l’Église, le pape

finit par supprimer, en 1773, la Compagnie de Jésus [=> elle sera restaurée au début du XIXe

siècle].

A noter que Frédéric II, roi de Prusse et en principe protestant (en réalité il est agnostique),

se fait un plaisir de se montrer plus tolérant envers les Jésuites que ses homologues

catholiques. Après la suppression, il fait savoir qu’il accueillera volontiers les Jésuites

défroqués comme professeurs dans ses collèges, à condition qu’ils n’y fassent pas de

propagande catholique.

2. La question de l'intolérance en France sous Louis XIV et Louis XV

- La Révocation de l'Édit de Nantes

Elle n’arrive pas comme un coup de tonnerre : 587 temples protestants sont fermés ou

détruits entre 1630 et 1685. Et depuis 1681, les Cévennes (au sud-est du Massif central)

sont le théâtre des « dragonnades » : des régiments à cheval, les dragons, harcèlent les

protestants pour les pousser à se convertir.

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En 1685, Louis XIV révoque l'Édit de Nantes (voir ci-dessus), influencé notamment par son

principal conseiller en matière ecclésiastique, Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704),

précepteur du Dauphin et évêque de Meaux. Pour celui-ci :

Texte 14 

« L’hérétique est celui qui a une opinion, et c'est ce que ce mot signifie [en grec, c'est « celui

qui fait un choix »] : suivre sa propre pensée et son sentiment particulier. Mais le catholique

est catholique, c'est-à-dire qu'il est universel ; et sans avoir de sentiment particulier, il suit

sans hésiter celui de l’Église. »

Bossuet, Première instruction pastorale sur les promesses de l'église (1700)

L'Église a reçu de Dieu la vérité. « Faire un choix » en matière de foi est donc inconcevable.

Les protestants n'ont dès lors plus le droit de pratiquer leur culte en France, ni même de se

proclamer protestants. Il ne leur reste le choix qu’entre la conversion, une condamnation

aux galères, ou l’exil, solution que près de 300.000 d’entre eux choisissent, s’installant pour

la plupart en Angleterre, en Prusse ou dans les Provinces-Unies. On les appellera, eux et

leurs descendants, les gens du Refuge ». A la fin du XVIIIe siècle, 20. 000 protestants

d’origine française habitent Berlin où ils forment une véritable communauté.

Pour ceux restés en France, la situation est parfois dramatique : ainsi, en Ardèche, Marie

Durand, dont les parents sont déjà emprisonnés pour avoir hébergé une assemblée de

protestants, est-elle arrêtée à l’âge de dix-huit-ans, en 1730. Egalement arrêté, son mari sera

pendu. Elle passera 38 ans en prison sans voir renié sa foi.

- le jansénisme et la bulle Unigenitus

Le jansénisme (voir ci-dessus) s'est répandu en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et surtout en

France. Au début du XVIIIe siècle, le couvent de Port-Royal à Paris et l’abbaye de Port-Royal–

des-Champs sont des foyers de résistance à l’absolutisme monarchique et à l’Église de

France, dont on critique la soumission au pouvoir politique et la « corruption ». En 1711,

Louis XIV fait disperser ces communautés et raser Port-Royal–des-Champs.

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En 1713 Louis XIV obtient du pape la bulle Unigenitus qui condamne le jansénisme à travers

des propositions « hérétiques » figurant dans l'ouvrage du janséniste français Pasquier

Quesnel.

Or, les jansénistes contestent la présence de ces propositions dans le livre de Quesnel.

Pour faire cesser les troubles, Louis XV fait en 1730 de la bulle Unigenitus une loi de l'État.

Cela ne calme pas les jansénistes, nombreux notamment dans les milieux « parlementaires »

depuis toujours adversaires de la monarchie absolue (voir la Fronde, ci-dessus). Très

remuants, ceux-ci seront à plusieurs reprises renvoyés sous Louis XV, et les parlements

suspendus.

- Voltaire et les affaires Calas et La Barre

En 1761, à Toulouse un protestant nommé Jean Calas est accusé d'avoir tué son fils, âgé

d'une vingtaine d'années, parce qu'il s'était converti au catholicisme. Or, l'enquête démontre

que celui-ci s'est pendu pour des raisons inconnues, et que son père, âgé n’aurait pu faire le

geste dont on l’accuse. Traduit en justice, il est accusé d'homicide et de pratique clandestine

de sa religion par des voisins catholiques. Condamné à mort, il est écartelé.

Bouleversé par cette affaire, Voltaire reçoit chez lui à Ferney (seigneurie française, aux

portes de Genève) la veuve et les enfants de Calas. A coup de pamphlets et de contre-

enquêtes, il démontrera l’innocence de Jean Calas dont il obtient en 1765, il obtient la

réhabilitation. Cette véritable « campagne de presse » est une des premières du genre et

Voltaire est demeuré le modèle des « intellectuels engagés ».

Une nuit de 1766, à Abbeville en Normandie, un crucifix qui se trouve sur un pont est

« vandalisé » : il y a donc profanation et sacrilège, des crimes très graves. Or, un jeune

homme, le chevalier de La Barre est dénoncé pour ne pas ne s’être décoiffé au passage

d’une procession (les passants doivent s’agenouiller spontanément dans la rue en ce cas).

Arrêté, on découvre chez lui des ouvrages mis à l'Index, de Voltaire notamment, ce qui le

rend hautement suspect. Comme Calas, il est condamné à mort, supplicié (poing tranché,

langue arrachée) et brûlé vif malgré les interventions de Voltaire et d'autres personnalités (il

semble qu’il ait été décapité afin d’abréger ses souffrances). Le combat mené par Voltaire

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pour sa réhabilitation n’aboutira pas car un « athée » ne peut être pardonné [=> La Barre

ne sera réhabilité que sous la Révolution française].

3. Plaidoyers pour la tolérance

- Spinoza (1632-1677)

Baruch Spinoza est issu d'une famille juive portugaise installée

dans les Provinces-Unies. Dans son Tractatus theologico-

politicus (1670) il défend la liberté de conscience comme un

droit naturel.

- Pierre Bayle (1647-1706)

C’est un protestant « du Refuge », installé dans les Provinces-

Unies. Dans son Dictionnaire historique et critique il plaide pour

la tolérance, la vérité étant incertaine en matière religieuse.

- John Locke (1632-1704)

Dans ses Letters Concerning Toleration (Lettres sur la tolérance

1689-92) John Locke justifie la tolérance par pragmatisme : elle

favorise la vie en société. Compte tenu de toutes les violences

auxquelles a mené l'intolérance, la religion devrait être reléguée

dans le domaine privé. Le spirituel doit être séparé du

temporel.

- Voltaire (1693-1778)

Protégé par sa fortune (fils du notaire Arouet, il a su gérer et

placer son argent), installé à Ferney, d’où il peut facilement se

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réfugier en Suisse en cas de danger, Voltaire n’hésite pas à s’engager ouvertement dans le

débat politique et philosophique, même s’il publie aussi de nombreux ouvrages et

opuscules anonymes ou sous pseudonymes. En 1763 le Traité sur la tolérance.

Déiste et anticlérical, il estime que chaque individu doit simplement rendre en son for

intérieur un culte au Créateur. Mais, en l’absence d'éducation obligatoire, cela doit être

réservé à une élite, car le peuple a besoin de la religion pour avoir une morale, garante de

l'ordre social.

- Denis Diderot (1783).

Diderot, est le seul des Philosophes qui soit devenu athée,

après avoir été agnostique. Toutefois, cette évolution

spirituelle n'a été connue qu’après sa mort, car il n’a pas

publié de son vivant ses œuvres les plus sulfureuses, par

peur de la prison. Pour lui, la raison et la science suffisent à

expliquer les phénomènes naturels. Il n’est donc pas besoin

pour cela de faire intervenir une puissance supérieure.

- le curé Meslier

Curé d'un petit village des Ardennes françaises, Jean Meslier (1664-1729) tient un journal

intime qui ne sera découvert qu'après sa mort. Il y avoue être devenu athée, et regretter de

tromper ses paroissiens en leur enseignant la religion. Annonciateur de la Révolution

Le château de Ferney

Diderot par Louis-Michel Van Loo(1767)

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française, Il rêve, écrit-il, de « pendre le dernier noble avec les boyaux du dernier prêtre ».

Voltaire ayant eu en main une copie du « Testament » de Meslier le publie en 1768, mais

censurant les passages où Meslier évoque son athéisme, il en fait un déiste, comme lui.

VII - MONARCHIE ABSOLUE, DESPOTISME ECLAIRE ET REGIME PARLEMENTAIRE

1. L'absolutisme louis-quatorzien

Louis XIV gouverne en monarque absolu de 1661 à 1715. Dans un texte destiné à son

successeur il explique sa conception du métier de roi :

« Ce qui distingue les princes qui sont véritablement

rois, c'est qu'une passion maîtresse et dominante,

qui est celle de leur intérêt, de leur grandeur et de

leur gloire, étouffe toutes les autres en eux. » Et plus

loin : « Tous les yeux sont attachés sur lui seul ; c'est

à lui seul que s'adressent tous les vœux, lui seul

reçoit tous les respects, lui seul est l'objet de toutes

les espérances ; on ne poursuit, on n'attend, on ne

fait rien que par lui seul (...) : Tout le reste est

rampant, tout le reste est impuissant, tout le reste

est stérilité ».

Il a considérablement modernisé la France.

- Du point de vue administratif :

- il s’entoure de quatre conseils de gouvernement spécialisés

- les intendants « de justice, police et finances » sont envoyés dans toutes les provinces

- les parlements sont mis au pas : le parlement de Paris doit enregistrer les édits du roi

avant de faire éventuellement des « remontrances »

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- du point de vue législatif, on progresse vers l’uniformisation de la législation dans

l’ensemble du royaume [=> la Révolution française achèvera cette uniformisation].

- du point de vue militaire, une armée permanente de 200 à 300. 000 hommes est

constituée. La France acquiert l'Alsace et de la Franche-Comté à l'est, et la frontière nord

actuelle est à peu près établie [seuls la Savoie et le comté de Nice viendront s’ajouter à la

carte de France, en 1860]

- « L'Europe française »

Le prestige du roi et de sa cour de Versailles est immense. La langue française est parlée par

toute l’aristocratie européenne jusqu’à la fin de l’ancien régime. La seule vraie rivale de la

France est l’Angleterre, dont la puissance économique l’emportera au XIXe siècle et qui

propose un autre type de culture, plus démocratique et moins centré sur le monarque et sa

cour.

2. Le déclin espagnol

Le déclin entamé dans la deuxième moitié du XVIIe siècle s'accentue dans les premières

décennies du XVIIIe siècle : économie sclérosée, défaites militaires et une dynastie qui se

termine avec Charles II, souverain à la santé fragile, mort sans héritier en 1700.

La guerre de succession d'Espagne (1700-1713) permet à Louis XIV d’imposer sur le trône

espagnol son petit-fils, Philippe V qui inaugure la dynastie des Bourbon.

Mais l’Espagne perd successivement, au profit de l’Autriche, les riches régions des Pays-Bas

(1713) et de la Lombardie (1725).

3. Le despotisme éclairé

Diderot a inventé cette expression, à première vue contradictoire.

Les « despotes éclairés » s’inspirent de Louis XIV pour ce qui est des méthodes

« despotiques » ou autocratiques de gouvernement : ils décident seuls et de tout. Ils se

veulent rationnels et efficaces.

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« Éclairés » cependant par la philosophie des Lumières, fréquentant même parfois les

Philosophes (voir-ci-dessous), ils s’en inspirent en matière de tolérance religieuse, et en

donnant pour but à leur action politique le bonheur de leurs concitoyens.

Ce type de régime, qui se développe entre 1740 et la Révolution française ne concerne ni la

France (absolutiste), ni l'Angleterre (parlementariste), ni les Provinces-Unies (républicaines).

Prusse, Autriche et Russie sont les trois principales monarchies « éclairées », même si des

expériences similaires ont lieu, par exemple, dans diverses principautés italiennes (Toscane,

Parme, royaume de Naples), en Espagne sous Charles III (1759-88), ou en Suède sous

Gustave III (1771-92).

- La Prusse de Frédéric II

Frédéric II (1740-86) est à la fois un grand soldat et un

despote éclairé. Le bien de ses sujets est pour lui

conditionné par la grandeur de l’Etat et la puissance de son

armée. De bonnes rentrées fiscales sont essentielles pour

cela. Il faut donc promouvoir l’économie, notamment à

travers un progrès de l'éducation, mais aussi comme c’était

le cas sous le règne de son père Frédéric-Guillaume, par

l’appel à une main-d’œuvre étrangère (un tiers des habitants

de Berlin étaient des réfugiés Huguenots français à la fin du XVIIe siècle).

Admirateur de Voltaire, alors surtout connu comme poète et tragédien, il entre en

correspondance avec lui dans les années 1730, alors qu’il n’est encore que prince de Prusse.

En juillet 1750, il le fait venir à Berlin (châteaux de Potsdam et de Sans-Souci), où il aime à

s’entourer de Philosophes français (Maupertuis, La Mettrie, plus tard d’Alembert) dont il

parle la langue (il ne connait, en allemand, que le dialecte de Berlin), et où Voltaire restera

jusqu’en mars 1753. Cette relation est cependant biaisée par le fait que le roi voit surtout en

Voltaire, célèbre alors dans toute l’Europe, un faire-valoir (il aurait dit à « on presse l’orange

et puis on jette l’écorce »). Voltaire, qui s’est querellé avec plusieurs personnes à la cour et

se sent de instrumentalisé par le souverain quitte précipitamment Berlin. Frédéric II, qui

craint qu’il ne diffuse certaines de ses poésies d’amateur (il l’avait engagé comme

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« professeur de poésie ») le fait arrêter et assigner à résidence pendant cinq semaines à

Francfort. Ils se réconcilieront plus tard, mais Voltaire ne retournera pas à Berlin.

Déiste comme Voltaire, Frédéric est à la tête d’un royaume protestant qui est devenu

calviniste au début du XVIIIe siècle. Il maintient ce culte, sans y participer. Sa large tolérance

s'étend jusqu’aux catholiques (il accueille les Jésuites supprimés en 1773 ; voir ci-dessus) et

aux Juifs, qui aident respectivement à améliorer l’enseignement et le crédit. Berlin va

d’ailleurs devenir, pour un siècle et demi, une des grandes capitales du judaïsme

intellectuel. Gottold Ephraïm Lessing, qui, en 1779, fait dialoguer un Juif, un chrétien et un

musulman dans sa pièce Nathan le Sage (Nathan der Weise), est un des principaux

représentants de la Haskala, les « Lumières juives ».

Sur le plan économique, le roi fait venir d'un peu partout en Europe 300.000 colons, dont

beaucoup de Hollandais, pour mettre en culture les régions orientales de ses États, aux

confins de la Pologne et de la Russie. Il accorde des privilèges aux industries et développe un

réseau de canaux pour faciliter la circulation des marchandises.

En matière d'éducation, la Prusse est le premier pays où l'école devient obligatoire jusqu'à

l'âge de 13 ans. Dans les pays catholiques, les enfants du peuple apprennent seulement à

lire, à compter, parfois à écrire, le dimanche après la messe.

L’Académie de Berlin, qui a un grand nombre de membres et de correspondants étrangers

devient l'une plus prestigieuses d'Europe.

Le servage est aboli dans les domaines royaux.

En matière de justice, les citoyens sont égaux devant la loi et tous jugés par les mêmes

tribunaux. C’est une rupture avec les pratiques discriminatoires traditionnelles de la justice

d’ancien régime (à chaque catégorie sociale ses privilèges et ses tribunaux).

La torture, qui faisait régulièrement partie des procédures judiciaires, est interdite. Cette

question est débattue partout en Europe depuis la parution, en 1764, d’un ouvrage du

juriste Italien Cesare Beccaria, Dei Delitti e delle pene (« Des délits et des peines »), qui

plaide également contre la peine de mort. Il prône au contraire la mise au travail des

condamnés, afin de réparer le tort commis et de préparer la réinsertion. Il ne s’agit pas

d’abord de punir, mais d’éduquer.

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- La politique de Marie-Thérèse et Joseph II et son application dans les Pays-Bas

autrichiens

Empereurs du Saint Empire, les Habsbourg possèdent en outre, à titre personnel, les « États

héréditaires » : Autriche, Bohème, Hongrie (qui contient la Slovaquie, la Slovénie et la

Croatie actuelles) et, au XVIIIe siècle, les Pays-Bas, la Lombardie et la Toscane (à partir de

1736).

Chacun de ces Etats a une administration et une législation séparées, et à Vienne, capitale

des Habsbourg, chacun dépend d’un département particulier du gouvernement.

De 1749 à 1792, Anton-Wenzel prince de Kaunitz est Chancelier de cour et d'État, à la fois le

principal conseiller souverain et le chef du gouvernement. Ses relations avec l’impératrice

Marie-Thérèse (1740-80) sont confiantes même si quelques désaccords ont lieu parfois en

matière de politique ecclésiastique (Kaunitz est anticlérical). Profondément catholique,

Marie-Thérèse estime cependant que l'Église ne doit pas être « un État dans l'État » ni

interférer dans la politique. Sous Joseph II (1780-90) Kaunitz a moins d’influence, le

souverain étant décidé à gouverner seul.

Marie-Thérèse et sa famille Les armoiries des Habsbourg

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Sous Marie-Thérèse une politique de centralisation croissante est menée, tandis que le souci

du développement économique est constant, afin de renflouer les caisses de l’Etat et

d’entretenir une armée puissante face à l’ennemi prussien.

Réformatrice mais prudente, elle veille, conseillée par le chancelier Kaunitz, à "ménager ses

peuples", en n’agissant pas manière brutale. Le duché de Milan (la Lombardie), où des

fonctionnaires éclairés comme Beccaria sont au service du pouvoir autrichien, sert

fréquemment de « laboratoire » pour tester des réformes ensuite diffusées ou non dans les

autres États héréditaires.

En 1767, on va ainsi y créer la Giunta economale, sorte de ministère de l'économie. C'est en

Lombardie, en 1769, qu'un certain nombre de couvents contemplatifs vont être pour la

première fois fermés et transformés en école afin de les rendre « utiles ».

Joseph II va approfondir, radicaliser et accélérer cette politique. Il publie plus

d’ordonnances en 10 ans que sa mère en 40 ans. Elles sont d’ailleurs très modernes par leur

présentation brève et précise. Joseph II vise à l’efficacité

et à la rapidité d’exécution.

S’il a lu les Philosophes (dont les idées faisaient plutôt

peur à sa mère par leur impiété) il ne leur prête pas

allégeance. En 1775, de retour de Versailles où il a rendu

visite à sa sœur Marie-Antoinette, il passera non loin de

Ferney, sans s’y arrêter comme cela était prévu.

Dans les Pays-Bas autrichiens, le pouvoir (composé pour

l’essentiel de fonctionnaires locaux, seuls le gouverneur

général, lié aux Habsbourg, et le ministre

plénipotentiaire sont étrangers) veille à assurer le développement économique et donc les

rentrées fiscales.

- en augmentant la population par la formation de sages-femmes, garantie d’une moindre

mortalité infantile.

- en améliorant le réseau routier par des chaussées pavées et en développant le réseau de

canaux.

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- en encourageant l'agriculture, en Flandre notamment, par une politique fiscale favorable

et une modernisation des techniques agricoles.

- en encourageant les industries nouvelles : extraction du charbon, métal, verre, chimie,

porcelaine à Tournai [=> ainsi est préparé l’extraordinaire essor industriel de la future

Belgique, deuxième puissance mondiale après l’Angleterre au XIXe siècle].

La politique ecclésiastique est assez anticléricale et anti-ultramontaine dans les Pays-Bas

autrichiens.

Tout d’abord, l’Université de Louvain est reprise en main. En 1754, Patrice François de

Neny, qui préside par ailleurs le conseil privé pendant un quart de siècle, reçoit le titre de

« commissaire royal » chargé de réformer l’université. L’enseignement de la théologie et du

droit ecclésiastique ne doit pas attenter aux droits du souverain, les disciplines scientifiques

(physique et chimie) sont renforcées et on introduit l’enseignement de l’histoire.

Pour des raisons essentiellement économiques Joseph II (catholique convaincu) est partisan

d’une tolérance affirmée. Il s’agit d’attirer les protestants les plus

actifs et industrieux dans ses États. P.F. de Neny, qui rédige en

1781, pour les Pays-Bas autrichiens une version un peu adoucie

de l’Édit de tolérance en vigueur en Autriche, écrit : « la tolérance

civile […] sans examiner la croyance, ne considère dans l’homme

que le citoyen ». Le spirituel est totalement séparé du temporel.

Seules quelques centaines de familles protestantes vivent alors

dans les Pays-Bas autrichiens (qui comptent 2,5 millions

d’habitants), notamment le long de la frontière française où des

troupes hollandaises stationnent depuis 1715 (Traité de la Barrière). Dans les forts, le culte

protestant est déjà autorisé. L’Édit de Joseph II étend cette tolérance aux villes des Pays-Bas,

où le culte ne pourra toutefois s’exercer que discrètement, dans des maisons particulières

et sans manifestations extérieures, afin de ne pas créer de « scandale ».

- La Russie sous Pierre le Grand et Catherine II

Pierre le Grand et Catherine II n’ont aucun lien de parenté.

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Pierre le Grand (1689-1725) est un souverain autoritaire et violent. Souhaitant moderniser

et « occidentaliser » la Russie, Il voyage en Europe de l'Ouest, notamment en France et

dans les Provinces-Unies. Centralisateur, partisan de l’interventionnisme en économie, il

veut aussi contrôler l'Église orthodoxe. C’est donc un despote éclairé.

Pour symboliser l’occidentalisation de la Russie, Il fait bâtir, de 1703 à 1712, par des dizaines

de milliers d'ouvriers et dans des conditions difficiles et insalubres, une nouvelle capitale au

bord de la mer Baltique : Saint-Pétersbourg.

Catherine II (1762-96) née Sophie d’Anhalt-Zerbst, est d'origine allemande. En 1762, elle

fait éliminer son mari, l’incapable tsar Pierre III, petit-fils de Pierre Ier le Grand.

L’immensité de la Russie et l’énorme puissance des

aristocrates, qui disposent de millions de sujet astreints

au servage, rend sa centralisation et sa modernisation

très difficiles. Comme Frédéric II en Prusse, Catherine II

mène une politique de colonisation agricole (800.000

colons, venant notamment du Saint Empire)

Souveraine éclairée, elle correspond régulièrement

avec Voltaire et surtout Diderot qui séjourne à Saint-

Pétersbourg d’octobre 1773 à mars 1774, Ils se voient

presque chaque jour et évoquent ensemble les

réformes à faire en Russie. Des commissions se mettent

place pour réfléchir à une refonte de l’administration et

de la justice notamment. Diderot remet à l’impératrice de nombreux rapports en ce sens.

Mais tout cela n’aboutira à rien car l’aristocratie russe freine toute réforme et l’impératrice

ne se décide pas à rompre avec elle.

Elle va développera un peu l'enseignement cependant, mais uniquement dans les grandes

villes de l'ouest du pays.

Convertie à l’orthodoxie à son arrivée dans la famille impériale, Catherine II pratique une

politique de tolérance religieuse, tant des protestants que des catholiques.

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A la fin de son règne, effrayée par la Révolution française, elle reniera les idées des

Philosophes qui ont finalement amené le renversement des trônes et l’anarchie.

Elle achètera cependant la bibliothèque de Voltaire après sa mort, en 1778. Quant à celle de

Diderot elle l’a acquise dès 1765, en échange d’une importante somme « pour doter sa

fille » et d’une pension annuelle. A sa mort, elle la fera transporter à Saint-Pétersbourg [où

elle se trouve toujours, comme celle de Voltaire].

4. Le recul des Ottomans

Les Turcs ont connu leur plus grande avancée en Europe en 1683, lors du second siège de

Vienne, qui échoue comme celui de 1529, cette fois grâce à l’aide apporté à l’empereur par

le roi de Pologne Jean III Sobieski.

Les Ottomans perdent la Hongrie (1680-90) et finissent par signer, en 1718, le Traité de

Passarowitz avec l’Autriche, qui occupe la Croatie et la Serbie, et Venise qui récupère

l’essentiel des possessions perdues le long de la côte dalmate.

5. La monarchie constitutionnelle anglaise

A la mort d’Oliver Cromwell (1658, voir ci-dessus) son fils Richard lui succède, mais n'est pas

très soutenu par l'armée. De plus, le peuple est las de la dictature. Le parlement et l’armée

se décident dès lors à rappeler au pouvoir la dynastie des Stuart.

Les deux fils de Charles Ier (décapité en 1649 ; voir ci-dessus) se sont exilés en France.

Cousins de Louis XIII par leur mère, ils sont secourus financièrement par Louis XIV. A leur

retour en Angleterre, un fort soupçon de catholicisme pèse sur eux [on sait aujourd’hui

qu’ils avaient en effet conclu un accord secret avec le roi de France afin de rétablir le

catholicisme en Angleterre].

Avant de monter sur le trône, Charles II (1660-85) doit prêter serment de conserver la

religion anglicane en Angleterre. S’il se tient à son serment, il favorise cependant l’ascension

d’un certain nombre de catholiques dans l’armée et se livre à une féroce répression contre

les partisans de Cromwell (dont le cadavre est même exhumé et pendu).

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Jacques II (1685 - 1688) est ouvertement catholique et en butte à l’hostilité du parlement et

de la majorité de l’opinion. En 1688, le baptême catholique de son premier fils, le futur

Jacques III, est ressenti comme un provocation.

Pour empêcher tout retour au catholicisme, le Parlement appelle le stadhouder de Hollande,

Guillaume III d'Orange-Nassau (petit-fils de Charles Ier par sa mère) et son épouse et cousine

Marie II Stuart, (la propre fille de Jacques II), protestants convaincus et « héritiers

légitimes », à prendre le pouvoir. C’est la « Glorieuse Révolution » par opposition à celle de

Cromwell quarante ans plus tôt.

À leur avènement, en février 1689, leur est lu le Bill of Rights, dont voici quelques extraits:.

Texte 15 

« 1. Le prétendu pouvoir de suspendre les lois ou leur application par autorité royale, sans le

consentement des parlements, est illégal.

2. Le prétendu pouvoir de dispenser des lois, ou de leur application, par autorité royale, (...)

est illégal.

4. Il est illégal d'invoquer la prérogative royale pour lever des impôts à l'usage de la Couronne

sans le consentement du Parlement (...)

5. Tous les sujets ont le droit d'adresser des placets au roi, et il est illégal de poursuivre ceux

qui usent de ce droit.

6. Il est contraire à la loi de lever ou d'entretenir une armée permanente en temps de paix, à

moins que le Parlement ait donné son consentement.

13. Afin de corriger tous les abus et d'amender, renforcer et préserver des lois, les Parlements

seront convoqués régulièrement. »

La « Glorieuse Révolution » est notamment l’application des principes énoncés par Samuel

von Pufendorf dans Du droit de la nature et des gens (1672), et dont s’inspire John Locke

(revenu, dans la suite des nouveaux souverains anglais, d’un bref exil dans les Provinces-

Unies) dans son Traité du gouvernement civil:

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Texte 16 

« La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c'est de conserver ses biens

propres ; et la fin pour laquelle on choisit et revêt de l'autorité législative certaines

personnes, c'est d'avoir des lois et des règlements qui protègent et conservent ce qui

appartient en propre à toute la société, et qui limitent le pouvoir et tempèrent la domination

de chaque membre de l'État. (...) Toutes les fois donc que la puissance législative violera cette

règle fondamentale de la société (...) Elle perdra entièrement le pouvoir que le peuple lui

avait remis pour des fins directement opposés (...) Et [ce pouvoir] sera dévolu au peuple,

lequel a droit de reprendre sa liberté originaire et, par l'établissement d'une nouvelle autorité

législative telle qu'il jugera à propos, de pourvoir à sa propre conservation, à sa propre

sûreté. »

John Locke, Two Treatises of Government (1689), chap.19.

C’est ce qu’on appellera plus tard « le droit de résistance à l'oppression ».

En 1689 se met donc en place, en Angleterre, un « régime parlementaire » au sein duquel

vont bientôt se créer les premiers partis politiques de l’histoire: les Whigs, plutôt

progressistes (et partisans de la nouvelle dynastie issue de la Glorious Revolution) et les

Tories plutôt conservateurs (et souvent nostalgiques des Stuarts).

Dès 1695, la censure de la presse est supprimée. Au XVIIIe siècle, la presse d’opinion connaît

une grande efflorescence, avec notamment The Spectator et The Tattler (« La Commère »).

En 1707, Angleterre, Pays de Galles, Ecosse et Irlande forment ensemble le Royaume uni de

Grande-Bretagne par un vote de la Chambre des Communes (110 voix contre 69). Les élites

écossaises s’y sont surtout ralliées par pragmatisme économique : entre 1707 et 1755 les

exportations de l’Écosse vers l’Angleterre et ses colonies augmenteront en effet de 250%.

En 1748, dans De l’Esprit des lois, le philosophe français Montesquieu présentera

l’Angleterre comme un modèle de pays libre, où les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire

sont séparés, qui pratique la tolérance religieuse, où le commerce est l’activité principale, et

le mérite personnel la base essentielle de la réussite sociale.

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Toutefois, la tolérance envers les catholiques est toujours un sujet sensible : en 1780, des

émeutes (les Gordon Riots) enflamment les grandes villes anglaises après le vote d’un

Catholic Relief Act. [Celui-ci ne sera finalement appliqué qu’en 1829].

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CINQUIEME PARTIE

L'ère des révolutions (vers 1775 - 1800)

Le libéralisme et les débuts de la question sociale

I - LES GRANDES DATES

1773 : la Boston Tea Party : début de la Révolution américaine.

1774-1776 : avènement de Louis XVI et ministère Turgot

1776 : proclamation de l'indépendance des États-Unis d'Amérique

1776 : Adam Smith, The Wealth of Nations

1778 : décès de Voltaire et de Rousseau

1778 : intervention de la France aux côtés des Insurgés américains

1781 : Édit de Tolérance de Joseph II et abolition du servage

1781-1787 : mouvement des Patriotes dans les Provinces-Unies

1783 : l'Angleterre reconnaît l'Indépendance des États-Unis

1784 : Joseph II instaure le mariage civil pour les protestants

1785 : Cartwright invente le métier à tisser mécanique

1789 : Révolution française et Déclaration des droits de l'homme

1789 : Révolutions brabançonne et liégeoise

1791 : lois d'Allarde et Le Chapelier

1792 : instauration de l'état-civil en France

1794 : la Convention décrète la séparation de l'Eglise de l'État

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1796 : Jenner pratique la première vaccination

II - LA REVOLUTION AMERICAINE

La Révolution américaine est d’abord provoquée par l'exploitation des colonies américaines

au profit de la métropole anglaise.

En 1773, à Boston, des Américains jettent par-dessus-bord une cargaison de thé venue des

Indes, afin de protester contre les taxes qui frappent les marchandises anglaises importées

dans les colonies (sur des bateaux anglais, qui en ont le monopole): c’est la Boston Tea Party

Une révolte armée commence en 1775 et aboutit le 4 juillet 1776 à la proclamation de

l’Indépendance des treize colonies (reconnue par l’Angleterre en 1783). Celles-ci se

constituent en confédération (une union d’États souverains) les Etats-Unis d’Amérique.

Toutefois, il faudra attendre 1789 pour qu’une Constitution américaine [elle a peu changé

depuis] soit définitivement adoptée par les treize Etats, et qu’un premier président, George

Washington, soit élu

La Constitution américaine est surtout consacrée aux droits garantis aux citoyens, à leur

protection contre toute action arbitraire de la part de l’État. Celui-ci suscite en effet la

méfiance et ses interventions doivent limiter au strict nécessaire.

Le pouvoir appartient au peuple qui ne fait que le déléguer. Ceux qui exercent le pouvoir ne

sont que ses représentants.

L'autorité ne être exercée que pour le bien commun. Aucun citoyen ne peut avoir de

privilèges, ni de naissance ni de par ses fonctions. La noblesse est donc abolie. Tous les

citoyens sont strictement égaux devant la loi, y compris le Président.

Les pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire sont strictement séparés. Le président et le

gouvernement ne peuvent rien sur les juges, ni sur les parlementaires. Dès 1748, le Français

Montesquieu avait posé en principe, dans De l’esprit des lois, cette « séparation des

pouvoirs ».

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La presse est libre à condition de ne pas attenter à la morale publique. La censure préalable

est interdite.

La liberté des cultes est proclamée aux mêmes conditions.

Texte 17 

Déclaration des droits de l'État de Virginie (juin 1776)

« 1. Tous les hommes sont nés également libres et indépendants [on ne dit pas qu'ils sont

égaux] : ils ont des droits certains, essentiels et naturels, dont ils ne peuvent, par aucun

contrat, priver, ni dépouiller leur postérité: tels sont le droit de jouir de la vie et de la liberté,

avec les moyens d'acquérir et de posséder des propriétés, de chercher et d'obtenir le bonheur

et la sûreté.

2. Toute autorité appartient au peuple, et par conséquent émane de lui : les Magistrats sont

ses mandataires, ses serviteurs, et lui sont comptables dans tous les temps.

3. Le gouvernement est, ou doit être institué pour l'avantage commun, pour la protection et

la sûreté du Peuple, de la Nation, de la Communauté. (...) Toutes les fois donc qu'un

gouvernement se trouvera insuffisant pour remplir ce but, ou qu'il lui sera contraire, la

majorité de la communauté a le droit indubitable, inaliénables et imprescriptibles de le

réformer, de le changer ou de l’abolir, de la manière qu'elle jugera la plus propre à procurer

l'avantage public.

4. Aucun homme, ni aucun collège ou association d'hommes ne peuvent avoir d'autres titres

pour obtenir des avantages ou privilèges particuliers (...) que la considération de services

rendus au Public; et ce titre n'est ni transmissible aux descendants, ni héréditaire.

5. La puissance législatrice et la puissance exécutrice de l'État doivent être distinctes et

séparées de l'autorité judiciaire.

7. Aucune partie de la propriété d'un homme ne peut lui être enlevée, ni appliquée aux

usages publics, sans son propre consentement ou celui de ses représentants légitimes (...)

10.(...) Aucun homme ne peut être privé de sa liberté, que par un jugement de ses Pairs en

vertu de la loi du pays.

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14. La liberté de la presse est un des plus forts boulevards de la liberté de l'État, et ne peut

être restreinte que dans les Gouvernements despotiques.

18.(...) tout homme doit jouir de la plus entière liberté de conscience, et de la liberté la plus

entière aussi dans la forme de culte que sa conscience lui dicte, (...) à moins que sous prétexte

de Religion il ne trouble la paix, le bonheur ou la sûreté de la société (...). »

Extrait de Philippe Ardant, Les textes sur les droits de l'homme (1990), p. 15-17

De 1781 à 1787, les Provinces-Unies sont agitées par le mouvement républicain des

Patriotes (de Patriotten), qui, se réclamant clairement de l’exemple américain, combattent

les velléités absolutistes du stadhouder Guillaume V d’Orange-Nassau.

III - LA FIN DE L'ANCIEN REGIME

1. Joseph II et la révolution brabançonne

Après un bref voyage dans les Pays-Bas autrichiens, en 1781 (c’est le premier souverain qui

s’y rend depuis Philippe II en 1556), Joseph II, estime que ceux-ci doivent être profondément

réformés. Il prend dès lors une série de décisions radicales qui vont susciter le

mécontentement de la population, mais aussi de l’Église et d’une partie de l’appareil

gouvernemental et judiciaire. Des siècles de traditions sont bouleversés en quelques

années :

En 1783, il décide la suppression des 200 couvents contemplatifs afin de les transformer en

école et en hôpitaux.

En 1784, il s’attaque au monopole économique des corporations.

En 1786, il reprend en main la formation du clergé, qui ne pourra désormais être effectuée

que dans des « séminaires généraux » gérés par l’État.

En 1787, il divise le pays en dix « cercles » (sur le modèle des Kreise autrichiens) chacun

étant dirigé par un intendant, et centralise l’administration de la justice.

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Enfin, il va imposer la tolérance dans un pays foncièrement catholique. Outre l’Édit de 1781

(voir ci-dessus), il autorise en 1784 le mariage civil (par des fonctionnaires de l’État) des

protestants, leur donnant ainsi à eux et à leur futur enfant, un statut reconnu. Jusqu’alors

seul l’extrait de baptême catholique faisait office de certificat d’identité et seuls les mariages

catholiques étaient reconnus comme légitimes.

Le mouvement vers la tolérance est d’ailleurs assez général en Europe à cette période : en

1787 un édit de tolérance est promulgué en France en faveur des protestants ; en

Angleterre, on commence en 1791 à tolérer les catholiques, même s’ils sont étroitement

surveillés [=> la liberté de culte leur sera accordée en 1830].

Par contre, dans la Genève calviniste il y a peu d’évolution : en 1794, lors d’un référendum

sur la tolérance 90 % des votants votent non.

Après la rafale de mesures « éclairées » prises par

Joseph II, les États de Brabant (assemblée

représentative) refusent en avril 1787 de voter

l'impôt. Deux avocats brabançons vont prendre la

tête de la résistance ;: le démagogue conservateur

Henri Van Der Noot et le démocrate modéré Jean-

François Vonck.

Si Van der Noot, appuyé par l’Église, les corporations et le petit peuple de Bruxelles, plaide

pour un pur et simple retour au régime de Marie-Thérèse, Vonck souhaite surtout la fin de

l’arbitraire et une meilleure représentation de la bourgeoisie, où il a quelques soutiens,

dans les États de Brabant.

Une fois le pouvoir autrichien chassé, en décembre 1789 (il se replie dans le duché de

Luxembourg), et les diverses provinces ralliées au nouveau pouvoir, les Vandernootistes, qui

dominent nettement en nombre font régner une certaine terreur à Bruxelles contre les

Vonckistes.

Un régime confédéral, sur le modèle américain, est mis en place, les États Belgiques Unis,

qui ne dure que de janvier à décembre 1790.

Henri van der Noot

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Cette révolution conservatrice, et même réactionnaire, est cependant pénétrée du

vocabulaire et des concepts de son temps.

2. En France : l’entêtement suicidaire des privilégiés

Au début de son règne, Louis XVI (1774-1791) entreprend, de 1774 à 1776, une expérience

de despotisme éclairé et de libéralisme économique, menée par Turgot. Les privilégiés

l'emportent cependant et Turgot est renvoyé, notamment à la suite de la guerre des Farines.

La France est bloquée par ses élites : la noblesse et le clergé.

En 1776, entre au gouvernement un financier suisse opposé au libéralisme économique, le

protestant Jacques Necker (en tant que non-catholique, il ne peut pas porter le titre habituel

de « Contrôleur général des Finances », qu’occupe un prête-nom, Necker n’étant que

« Directeur général du Trésor royal »). En 1781, Necker remet au roi un rapport alarmant

relatif au déficit de l’État. Ce Compte-rendu au Roi est peu après rendu public : les Français

découvrent à la fois la gravité de la situation et la gabegie financière qui règne à la cour.

Frère du roi, le futur Louis XVIII a par exemple près de trois millions de livres de dettes de

jeu, et ce ne sont pas les seules ! [un salarié agricole gagne moins d’une livre par jour].

Necker est renvoyé peu après, pour avoir dévoilé cette situation, d’autant plus

embarrassante que la noblesse ne paie pas d’impôts et que l’Eglise, très riche, se contente

de faire de temps en temps un « don gratuit » au souverain.

En 1787 est convoquée une Assemblée des Notables (clergé et noblesse uniquement) pour

évoquer la question de leur contribution pour résorber le déficit. Or, ils se cramponnent

totalement à leurs privilèges et refusent tout compromis.

Le roi n’a plus le choix et convoque pour mai 1789 les États généraux, qui n’ont plus été

réunis depuis 1614. On sait ce qu’il en est advenu.

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IV - L'AVENEMENT DE LA BOURGEOISIE

1. De nouvelles valeurs

Elles signent pour l’essentiel « le triomphe de l’individu » et se déclinent tant sur les plans

politique et religieux qu’économique.

- la liberté

Liberté de penser certes, mais aussi et surtout d'entreprendre, dans le cadre du libéralisme

économique. De ce point de vue, les corporations sont une entrave et doivent être peu à

peu supprimées.

En 1776 paraît The Wealth of Nations (« La Richesse des nations») de l’Écossais Adam

Smith. « Bible » de l’économie libérale, cet ouvrage plaide pour que l’on laisse agir la « loi

de l'offre et de la demande » (voir ci-dessus), et qu’on améliore la productivité par la

« division du travail », même s’il est bien conscient de l’aliénation que cela peut provoquer

chez les travailleurs. Il est traduit en français dans les années 1780.

- la sûreté

C’est la « sécurité », la protection du citoyen contre l’arbitraire de l’État et des Églises, mais

aussi contre toute atteinte à la propriété privée, notamment les entreprises.

- L'égalité

Il ne s'agit que de l'égalité des droits, et de l’égalité devant la loi, pas d’une égalité de fait.

Cela suppose notamment l’affranchissement des serfs qui dépendent encore juridiquement

du seigneur [il y en a encore en France, dans le Jura, ils seront affranchis par la loi en 1790].

L’égalité de fait, qui ne peut être obtenue que par l’établissement autoritaire de

l’égalitarisme, a notamment été prônée par le curé Meslier, mais aussi par Jean-Jacques

Rousseau et, lors de la Révolution française, par Gracchus Babeuf, considéré comme « le

premier communiste ».

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Liberté et égalité de fait sont donc largement contradictoires : la mise en pratique sans

« garde- fous » de l’une entraine immanquablement la fin de l’autre.

- La fraternité

La charité cède la place à philanthropie : on aide son semblable par pure humanité, sans

plus aucune connotation religieuse. Pour les révolutionnaires français, la fraternité doit

s’étendre à tous les peuples de la terre. D’où leur déclaration « universelle » des Droits de

l’Homme, par contraste avec les « Déclarations des Droits » anglaise et américaine.

- La question de la traite des Noirs et de l'esclavage

En 1685, Louis XIV a adopté le « Code Noir" qui prétend empêcher les propriétaires

d'esclaves dans les colonies françaises de les soumettre à de mauvais traitements : l'esclave

a droit, dit le Code Noir à la nourriture, à l'habillement, à pouvoir se marier et fonder une

famille. C'est un début modeste et peu appliqué (motivé aussi en partie par la volonté

conserver la main-d’œuvre servile « en bon état »), mais il pose les bases d’un mouvement

humaniste que l’anticolonialisme (voir ci-dessus va amplifier.

En 1788, le journaliste Jacques Brissot (qui fera partie du mouvement modéré des Girondins

sous la Révolution française et sera guillotiné sous la Terreur) fonde à Paris la Société des

Amis des Noirs qui lutte résolument pour l’affranchissement des esclaves africains dans les

colonies françaises. Le 4 février 1794 : la Convention Nationale abolit l'esclavage sur tous les

territoires de la République [=> sous la pression des planteurs, Napoléon le rétablira en

1802 ; il sera aboli définitivement en 1825 dans les colonies anglaises ; en 1848 dans les

colonies françaises ; en 1866 aux États-Unis].

2. La mise en œuvre d'une politique de libéralisme économique

- Turgot

Turgot tente sans succès une politique libérale fait l'expérience en France en 1775-76 (voir

ci-dessus).

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- Joseph II

En 1782 Joseph II supprime tous les droits féodaux relevant de lui dans tous les États

héréditaires. En matière agricole, il met en place une politique annonaire pragmatique :

selon l’état du marché, les tarifs douaniers sur les grains (« droits d’entrée et de sortie »)

sont abaissés ou élevés afin de garantir un approvisionnement correct des populations. Il

tente également de supprimer un maximum de douanes intérieures.

Parvenu sans trop de difficulté à supprimer les corporations en Autriche (où les institutions

représentatives sont très faibles), il tente en vain la même chose dans les Pays-Bas

autrichiens en commençant par les regrouper. Il ne pourra aller plus loin.

Partout où il le peut, il installe des courtiers et des agents de change afin de faciliter les

opérations commerciales, en leur donnant un soutien financier

Il fait d'Ostende un port franc (les taxes y sont abolies). La guerre d’Indépendance

américaine, au cours de laquelle la flotte anglaise connaît des difficultés, profite beaucoup à

Ostende, qui exporte notamment vers les colonies révoltées des armes liégeoises.

Dans le même esprit, Joseph II aide au maximum les industries nouvelles en leur offrant des

conditions fiscales favorables.

- Les lois d'Allarde et Le Chapelier

En mars 1791 la loi d'Allarde abolit en France les corporations.

En juin 1791, la loi Le Chapelier interdit les « coalitions » en matière économique. Cela vise

les ententes entre patrons (les « cartels »), mais aussi les grèves et les syndicats. Cela fait

l’affaire de la bourgeoisie entrepreneuriale : désormais, les salariés sont seuls face aux

employeurs.

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V - LA REVOLUTION FRANÇAISE

1. Les droits de l'homme et l'émancipation de l'individu

La Déclaration universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen est votée par l’Assemblée

Nationale le 26 août 1789 :

Texte 18 

« 1. les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne

peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et

imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance

à l'oppression.

3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul

individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui [...]

6. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir

personnellement, par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous

[...]

7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et

selon les formes qu'elle a prescrites.[...]

9. Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable [...]

10. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur

manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

11. (...) Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de cette liberté

dans les cas déterminés par la loi.

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17. Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est

lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition

d'une juste et préalable indemnité. »

2. Vers une société sécularisée

- La constitution civile du clergé

En novembre 1789, la Révolution française nationalise les biens du clergé : ces biens ont

confisqués par l’État au nom du peuple français, de la Nation.

Le 12 juillet 1790, la loi sur la constitution civile du clergé est votée par l'Assemblée

Constituante. Les ecclésiastiques (le clergé séculier uniquement, car abbayes et couvents

ont été fermés) deviennent des fonctionnaires publics élus, payés par l’État. Afin de

s’assurer de leur adhésion (suspecte) ils doivent prêter serment à la Constitution, au roi (en

place jusqu’en août 1792) et à la Nation. Le clergé français se divise en « jureurs » [10 % des

évêques et un peu moins de 50 % des curés] et « réfractaires ».

- l'instauration de l’état-civil

L’état-civil est créé en France par la loi du 20 septembre 1792. Désormais naissances,

mariages, divorces et décès son enregistrés dans les « registres d’état-civil », qui sont les

seuls à avoir valeur légale. Les registres paroissiaux, tenus par l’Eglise ne valent que pour

elle.

- La séparation de l'Eglise et de l'État

En 1794 une religion d’État de type déiste est instauré par Robespierre et Saint-Just afin de

remplacer le christianisme : le culte de l'Être Suprême, un hommage rendu au Créateur et à

la Création, à l’universalité.

Robespierre est renversé et guillotiné en juillet 1794 [la Terreur a fait en moyenne 60

victimes par jour].

En février 1795, le Directoire proclame la séparation de l'Église et de l'État.

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3. La question sociale

Le thème de l'égalité de fait est très débattu lors de la Révolution française. Mais, dès le

milieu du XVIIIe siècle des penseurs présocialistes comme Jean-Jacques Rousseau les ont

posés comme un objectif à atteindre, tandis que les libéraux, au premier chef Voltaire, y

voient une utopie, basée sur dangereuse méconnaissance de la nature humaine et du

fonctionnement de l’économie.

Texte 19 

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes (1754)

« Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens

assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de

guerres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui,

arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : gardez-vous d'écouter

cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est

à personne. »

Texte 20 

Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, article « Egalité » (1764).

« Il est impossible, dans notre malheureux globe, que les hommes vivant en société ne soient

pas divisés en deux classes, l'une d'oppresseurs, l'autre d'opprimés [...]. Le genre humain, tel

qu'il est, ne peut subsister, à moins qu'il n'y ait une infinité d'hommes utiles qui ne possèdent

rien du tout ; car certainement un homme à son aise ne quittera pas sa terre pour venir

labourer la vôtre ; et, si vous avez besoin d'une paire de souliers, ce ne sera pas un maître des

requêtes qui vous la fera. L'égalité est donc à la fois la chose la plus naturelle et en même

temps la plus chimérique. »

L’influence de Mandeville (voir ci-dessus), que Voltaire a lu, est visible dans ce passage, par

l’allusion à la « nécessaire interdépendance » entre possédants et prolétaires.

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- L'affirmation du droit à une vie décente

Les Droits de l’Homme tels que posés par les Insurgents américains, ou par la Déclaration

française de 1789, sont des droits « formels », de résistance à l'oppression, mais qui ne

débouchent pas sur un changement des conditions matérielles d’existence.

Votée pendant la phase la plus radicale de la Révolution, la constitution de 1793 prévoit un

droit à l’assistance publique et à l’instruction, condition indispensable à une véritable

égalité.

Texte 21 

« 21. Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens

malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui

sont hors d'état de travailler.

22. L'instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès

de la raison publique, et mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens. »

Constitution de la République française (24 juin 1793)

[=> Ces droits seront brièvement mis en application en France lors de la Révolution de 1848,

pendant laquelle on créera des « ateliers nationaux » pour donner du travail aux chômeurs,

et on décrètera l’instruction obligatoire ; mais c’est seulement au XXe siècle que ces droits

entreront progressivement en vigueur dans la majorité des pays du globe].

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CONCLUSION

Au cours de ces trois siècles, on assiste, en Europe occidentale, à une émancipation

progressive de l'individu. Du moins, le principe de l’autonomie individuelle s’impose dans la

civilisation européenne comme un idéal, le but à atteindre lors de l’évolution de la société.

La fin de l’ancien régime en France, la Révolution française puis l’Empire napoléonien

marquent un tournant dans l’histoire européenne. Non seulement les valeurs bourgeoises

l’emportent, globalement, sur les valeurs aristocratiques, mais le concept de « Nation » est

désormais devenu primordial.

En effet, à côté de la question sociale et de celle des Droits de l’Homme, la construction

d’Etat-Nations sera, et cela dans le monde entier grâce à la décolonisation, la « grande

affaire » du XIXe et de la première moitié du XXe siècle.

Mais c’est bien sûr « une autre histoire »…