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1 Université de Nîmes Rue du docteur Georges Salan, 30021 Nîmes cedex 01 Nicolas LEROY DEUXIÈME ANNÉE DE LICENCE DE DROIT (2010-2011, PREMIER SEMESTRE) HISTOIRE DES INSTITUTIONS PUBLIQUES II COURS Lorsque, le 8 aout 1788, Louis XVI rend officielle la convocation pour le 1 er mai suivant, des États Généraux, le souverain absolu est loin de se douter qu’il vient d’enclencher un processus qui aboutira au triomphe de la République. À son terme, le régime politique le plus stable connu par la France, la monarchie installée depuis 1300 ans et entre les mains des Capétiens depuis 800 ans, sera balayée, ne sera plus que l’Ancien Régime. Si ce n’est pas Tocqueville qui emploie le premier l’expression Ancien Régime, c’est lui qui contribua, avec son ouvrage l’Ancien Régime et la Révolution (1856), à son succès. Avec cette expression, Tocqueville traduit l’idée selon laquelle la Révolution n’a pas seulement mis fin à un régime politique, la monarchie absolue, mais à une organisation sociale, une société. Celle dans laquelle règnent les privilèges, l’inégalité juridique, la division (en ordres, en corps…), la décentralisation, l’hétérogénéité, le corporatisme voire le communautarisme. Une société à laquelle la Révolution va substituer un nouveau modèle social fondé sur l’individualisme, l’égalité juridique, la centralisation, en un mot l’unité. Le droit a été le principal instrument qui a permis de forcer cette révolution sociale et morale. Il a été en effet utilisé non pour suivre l’évolution morale mais pour la contraindre. Il a été utilisé comme arme politique. Cette Révolution sociale, qui n’est pas forcément la plus visible, est la plus rapide et efficace. Dès la Révolution c’est en effet une nouvelle société qui se met en place et sur laquelle notre société s’est construite en évoluant sur les bases fixées en 1789-1793. Le succès de la Révolution a été beaucoup plus limité au niveau institutionnel. Elle n’a pas su trouver le régime politique qui pouvait remplacer la stabilité monarchique. Il fallut un siècle pour que la République parvienne à s’imposer. C’est ce siècle que nous allons suivre de 1789 à 1870. (ou bien : nous ne pourrons suivre ce siècle entier dans le cadre de ce cours, nous devrons nous contenter de la première période (1789-1848), celle, très riche, qui vit la France découvrir les trois traditions constitutionnelles sur lesquelles sont bâties encore nos institutions actuelles. Dans tout ce qui sera dit, il faut comprendre que ce n’est pas une nouvelle France que nous décrirons mais la même France que celle d’avant 1789. Tocqueville le premier a montré que la Révolution n’est que l’aboutissement logique de l’évolution suivie par la France monarchique, de la royauté féodale à la monarchie absolue. Pour Tocqueville ainsi, c’est la

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Université de Nîmes Rue du docteur Georges Salan, 30021 Nîmes cedex 01 Nicolas LEROY

DEUXIÈME ANNÉE DE LICENCE DE DROIT (2010-2011, PREMIER SEMESTRE)

HISTOIRE DES INSTITUTIONS PUBLIQUES II

COURS

Lorsque, le 8 aout 1788, Louis XVI rend officielle la convocation pour le 1er mai suivant,

des États Généraux, le souverain absolu est loin de se douter qu’il vient d’enclencher un processus qui aboutira au triomphe de la République. À son terme, le régime politique le plus stable connu par la France, la monarchie installée depuis 1300 ans et entre les mains des Capétiens depuis 800 ans, sera balayée, ne sera plus que l’Ancien Régime. Si ce n’est pas Tocqueville qui emploie le premier l’expression Ancien Régime, c’est lui

qui contribua, avec son ouvrage l’Ancien Régime et la Révolution (1856), à son succès. Avec cette expression, Tocqueville traduit l’idée selon laquelle la Révolution n’a pas seulement mis fin à un régime politique, la monarchie absolue, mais à une organisation sociale, une société. Celle dans laquelle règnent les privilèges, l’inégalité juridique, la division (en ordres, en corps…), la décentralisation, l’hétérogénéité, le corporatisme voire le communautarisme. Une société à laquelle la Révolution va substituer un nouveau modèle social fondé sur l’individualisme, l’égalité juridique, la centralisation, en un mot l’unité. Le droit a été le principal instrument qui a permis de forcer cette révolution sociale et

morale. Il a été en effet utilisé non pour suivre l’évolution morale mais pour la contraindre. Il a été utilisé comme arme politique. Cette Révolution sociale, qui n’est pas forcément la plus visible, est la plus rapide et

efficace. Dès la Révolution c’est en effet une nouvelle société qui se met en place et sur laquelle notre société s’est construite en évoluant sur les bases fixées en 1789-1793. Le succès de la Révolution a été beaucoup plus limité au niveau institutionnel. Elle n’a pas

su trouver le régime politique qui pouvait remplacer la stabilité monarchique. Il fallut un siècle pour que la République parvienne à s’imposer. C’est ce siècle que nous allons suivre de 1789 à 1870. (ou bien : nous ne pourrons suivre ce siècle entier dans le cadre de ce cours, nous devrons nous contenter de la première période (1789-1848), celle, très riche, qui vit la France découvrir les trois traditions constitutionnelles sur lesquelles sont bâties encore nos institutions actuelles. Dans tout ce qui sera dit, il faut comprendre que ce n’est pas une nouvelle France que

nous décrirons mais la même France que celle d’avant 1789. Tocqueville le premier a montré que la Révolution n’est que l’aboutissement logique de l’évolution suivie par la France monarchique, de la royauté féodale à la monarchie absolue. Pour Tocqueville ainsi, c’est la

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naissance et la croissance du pouvoir administratif qui, en donnant l’habitude aux Français de l’égalité, à fait naître l’idéologie égalitariste qui est pour beaucoup dans la survenance de la Révolution. PARTIE I. LA RÉVOLUTION (1789-1799)

Chapitre I. La monarchie constitutionnelle Lorsqu’il convoque, en 1788, les États Généraux, Louis XVI en tire un regain de

popularité. Le roi est aimé de ses sujets, les cahiers de doléances lui témoignent leur sympathie et leur loyauté. Pourtant, Louis XVI sera exécuté trois ans et demi après le début des États Généraux preuve que ses relations avec la Révolution se sont rapidement détériorées.

Section I. De la souveraineté royale à la souveraineté populaire

I. La Révolution juridique A. La paralysie des États Généraux

Les États Généraux sont ouverts à Versailles le 5 mai 1789. Les trois ordres du royaume ont dépêché des députés, soit un total de près de 1200 députés (300 pour la noblesse, 300 pour le clergé et 600 pour le Tiers État, qui comprend 98% de la population française)1. Parmi ces groupes de députés, celui du clergé se caractérise par sa grande hétérogénéité2 :

les 200 curés de campagne se sentent en effet plus proches du Tiers que du haut clergé, proche de la noblesse. Cette remarque est moins vraie pour la noblesse3 et surtout pour le Tiers État, exclusivement composé de bourgeois robins, la frange la plus haute de cet ordre4. Dès les premiers jours, faute d’une décision claire de la part du roi, les États butent sur la

question des modalités de vote. Pour le Tiers État, le vote ne peut se faire que par tête, ce qui lui assurerait la majorité, du

fait de son nombre et de la sympathie d’une partie du clergé. Pour les ordres privilégiés, il va de soi que le vote ne peut se faire que par ordre, ce qui

leur assure, malgré le nombre de députés du Tiers, une majorité inévitable et donc une opposition maintenue contre les réformes qui leur seraient défavorables. À l’issue de la séance d’ouverture, les trois ordres entrent, indirectement en conflit sur le

sujet. Les deux ordres privilégiés se retirent en effet dans des appartements propres5, ce qui traduit l’idée d’une négociation interne à l’ordre et donc un vote par ordre, le Tiers, quand à lui, refuse de quitter la salle principale (la salle des Menus-Plaisirs6), ce qui traduit son désir que les délibérations se fassent tous les ordres confondus et donc le vote par tête. Le Tiers, qui s’est rebaptisé Communes sur le modèle anglais (6 mai) appelle de plus les autres ordres à se rejoindre. Le mois de mai fut marqué par le blocage lié à ce désaccord, largement conséquence de

l’absence de décision royale.

1 On ne connaît en fait pas précisément la composition des États Généraux. 2 2/3 sont des curés, 46 seulement sont des évêques. 3 Même si 90 nobles peuvent être considérés comme ouverts aux nouvelles idées (dont le héros d’Amérique, La Fayette) 4 A quelques exceptions près comme Sieyès, exclu du clergé, et Mirabeau, exclu de la noblesse. En tout cas, il n’y a ni paysan, ni artisan, surtout des officiers de justice (218), avocats (151) et notaires (14), des hommes de loi, juristes expérimentés, avant tout plus que des capitalistes en puissance 5 Pour la vérification des pouvoirs des députés. 6 L’Hôtel des Menus Plaisirs comprenait des ateliers de théâtre et d’accessoires de sport ou jeux destinés au roi (salle du jeu de paume)

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Le coup de théâtre intervient finalement le 13 juin avec le ralliement de trois membres du

clergé aux Communes, l’unité des ordres privilégiés est alors détruite7. Pour Louis XVI, la convocation des États Généraux est motivée par la nécessité d’appuyer

sa politique sur le peuple, contre les privilégiés qui s’opposent systématiquement à ses propositions de réformes, notamment fiscales. Si ces réformes doivent assouplir la société d’ordre en remettant en cause certains privilèges (notamment fiscaux), elles ne doivent pas déboucher, dans son esprit, sur une réforme institutionnelle de la monarchie. Celle-ci restera absolue, les autres privilèges ne seront pas abolis, le roi restera un père pour ses sujets. Les éléments les plus éclairés du Tiers ne sont évidemment pas de cet avis, mais ils voient

en Louis XVI un roi éclairé, ouvert aux idées de l’époque, à la réforme de la monarchie, ce que refuse Louis XVI. C’est ce décalage, qui explique la paralysie des États Généraux dès leur ouverture. Mais Louis XVI pêche largement par son indécision, il ne sait que trop quelles

conséquences aurait une décision dans un sens ou dans l’autre, il craint ces conséquences, mais ce qu’il rate c’est l’occasion de prendre la tête de la Révolution. Il n’a pas pris de décision, elle a été prise par les États eux-mêmes et donc imposée au roi. Le roi n’a dès lors plus la main, ce qu’il aurait pu avoir en prenant lui-même la décision.

B. Le « coup d’État » du 17 juin Le ralliement des députés du clergé au Tiers État augmente la représentativité de la nation

française, dont Sieyès estimait qu’elle pouvait être représentée par le seul Tiers. Le ralliement du clergé se poursuivit, en effet (bien que très partiellement) après le 13 juin. Le 17 juin, c’est ainsi 19 députés du clergé qui se sont ralliés au Tiers. Sur la proposition

de Sieyès, le Tiers et ces ralliés décident de se proclamer Assemblée Nationale. Cette décision spectaculaire est lourde de significations. Ce sont les bases même de la

monarchie qui sont touchées. Depuis le Moyen Age, le roi était le souverain. Dorénavant si il n’est pas encore affirmé que la Nation est détentrice de la souveraineté, la voie vers ce bouleversement est ouverte. Par ailleurs, ce n’est pas le roi qui représente le peuple, comme cela a toujours été le cas, mais l’assemblée de la Nation, Assemblée Nationale. Dorénavant, les Ordres n’ont plus de signification juridique en tant que représentation du

peuple français, le peuple ne forme qu’une seule Nation, sans division interne et ne doit être représentée que par une Assemblée unique. Les États Généraux ont donc vécu, avec l’organisation institutionnelle de l’Ancien Régime, c’est le premier temps de la Révolution juridique. Le clergé a compris que la situation a change, le 19, il décide dans son ensemble de se

réunir au Tiers, en fait à la nouvelle Assemblée. Aussitôt la nouvelle Assemblée décide de prendre sa première décision : autoriser la

perception provisoire des impôts. Cette décision est intelligente car elle range l’immense majorité des contribuables, donc de

la population française en faveur de l’Assemblée. Dès lors le roi ne peut prononcer la dissolution de l’Assemblée sans craindre des réactions négatives du peuple. Il faut ici remarquer une contradiction du point de vue démocratique. Les députés avaient

été en effet élus dans un but bien particulier. Ils étaient dotés d’un mandat particulier (représentant chacun un bailliage) et consultatif (devant donner au roi un avis, ce dernier se réservant le pouvoir de décider). Ils se donnent lors de cette séance un mandat général et souverain. Ils débordent donc largement le mandat donné par le peuple, trahissant en

7 Il s’agit de trois curés poitevins qui rejoignent le Tiers sous ses acclamations.

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quelque sorte sa volonté. Ce sont les députés, acteurs principaux de la Révolution qui vont dès lors écrire les règles du jeu plus que le peuple et pendant les premiers mois de la Révolution, sans le peuple (ou tout au moins sans son mandat officiel). Un pas important a été fait, il sera difficile voire impossible de revenir en arrière.

Néanmoins, la noblesse refuse de rallier l’Assemblée et en appelle au roi pour défendre les intérêts de l’État. Les nobles ont compris la gravité de la situation, il est temps que le roi reprenne les choses en main.

C. Le serment du jeu de paume (20 juin 1789) Appelé par la noblesse et semblant enfin prendre la mesure des évènements, Louis XVI

convoque les députés pour une séance royale le 23 juin. Mais l’Assemblée n’a pas l’intention de laisser le roi reprendre la main. Le 20 juin, dans la

salle du jeu de paume8, les députés de l’Assemblée Nationale prêtent le serment (à eux-mêmes, et non au peuple) de ne pas se séparer tant qu’ils n’auront pas « établi » une constitution pour le royaume9. Il s’agit d’une nouvelle étape de la Révolution juridique. Jusqu’à présent, la monarchie

française avait une constitution orale, il s’agissait des Lois Fondamentales. Par ce serment « du jeu de paume », les Révolutionnaires rejettent cette conception. La France (il faut remarquer que l’on ne parle pour l’heure pas d’autre chose que du royaume, il est en effet hors de question de remettre en cause l’existence de la monarchie) n’a pour eux pas de constitution, parce qu’elle n’a pas de constitution écrite. Il s’agit donc d’en faire une. Mais le serment présente des ambiguïtés, qui gêneront par la suite les comités de préparation de la constitution. Il indique qu’il faut établir une constitution, ce qui peut signifier que l’intention est d’édifier de toute pièce une constitution tout autant que de stabiliser, mettre par écrit des règles qui existent déjà sous une autre forme (les Lois fondamentales), Non contente de s’être érigée en représentante de la Nation souveraine, l’Assemblée se

proclame donc pouvoir constituant. La réponse de Louis XVI était attendue. Ne suivant pas les conseils de transition souple

vers une monarchie à l’anglaise (Necker), le roi décide de se raidir en déclarant « nulles » toutes les délibérations prises par les députés du Tiers le 17. Cette décision ne peut que lui créé des inimitiés (au sein du Tiers et parmi les jusque-boutistes de la noblesse). Dans le même temps, il essaie de montrer sa volonté de réforme : il proclame l’égalité

fiscale, la liberté de conscience et de la presse. Mais ces avancées importantes s’évanouissent derrière l’opposition du roi à l’idée d’Assemblée Nationale.

8 Ils se réunissent dans cette salle car ils ont trouvé le matin du 20 juin la porte de la salle des Menus plaisirs fermée. 9 « L'Assemblée nationale, Considérant qu'appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l'ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu'elle ne continue ses délibérations. Dans quelque lieu où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale ; Arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront à l'instant serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides; et que ledit serment étant, prêté, tous les membres et chacun d'eux en particulier confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable. (...) », la formulation est de Mounier. Elle est votée à l’unanimité moins une voix, celle de Joseph Martin-Dauch de Castille, député du Tiers de Castelnaudary qui ne voulait pas exécuter une délibération non sanctionnée par le roi.

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Le roi demande, pour exécuter sa décision que les trois Ordres délibèrent séparément,

comme prévu à l’origine, ce que refusent les députés du Tiers par la voix de Mirabeau10. Dans ce bras-de-fer, le roi a finalement le dessous, d’autant plus qu’il se retrouve de plus

en plus seul. Dès le 24 en effet le clergé et une partie de la noblesse11 se sont ralliés à l’Assemblée. Il décide donc d’accepter, le 27 juin, la fusion des Ordres des États Généraux, ce qui revient à valider les décisions du 17 juin. L’Assemblée Nationale a gagné la première manche de la Révolution, qui se limite pour l’heure à une Révolution de palais, mais la Révolution va rapidement gagner la rue.

D. L’entrée en scène du peuple 1. La révolution municipale et la prise de la Bastille

Si les premiers épisodes de la Révolution sont d’ordre parlementaire, il ne faut pas oublier l’état de tension forte qui existe dans le pays, notamment dans les villes, et pas seulement à Paris, au cours de l’été 1789. Deux hivers catastrophiques ont entraîné des disettes inconnues depuis des décennies, disettes qui se cumulent à la crise financière (qui est la cause de la réunion des États Généraux), provoquant une hausse des prix et du chômage (poussant vers les villes les désœuvrés de la campagne). Très vite, les actes de vandalisme se multiplient contre les symboles du pouvoir fiscal notamment, à Paris comme ailleurs (Rouen, Saint-Denis, Saint-Germain en Laye début juillet). Rien en fait que des émeutes très classiques en temps de crise (cf. la Ligue ou la Fronde). Mais cette fois-ci, il y a plus. La bourgeoisie est en effet (plus que le menu peuple) au

courant de ce qui se passe à Versailles, par la correspondance qu’elle échange avec les députés. Par ailleurs, la bourgeoisie qui a, de plus en plus, une conscience de classe (qui l’éloigne principalement des masses populaires), craint que les émeutes débordent. C’est par cette crainte qu’elle cherche à s’armer, à former des milices bourgeoises. C’est évidemment à Paris que ces évènements furent les plus spectaculaires. Le roi

commettant une fois de plus l’erreur de ne pas comprendre ces désordres. La capitulation royale du 27 était en effet d’apparence, destinée à lui faire gagner du

temps. Il décide en effet début de juillet de rétablir sa position par la force, par un coup de force militaire. Il concentre ainsi aux abords de Paris des troupes dirigées par le Maréchal de Broglie. Le peuple parisien effrayé par cette menace et la bourgeoisie parisienne effrayée par le

peuple décident de s’armer contre des adversaires divers. Le 11 juillet les électeurs de Paris, c'est-à-dire les bourgeois de Paris, se réunissent à l’Hôtel de Ville pour organiser une milice bourgeoise devant protéger Paris et maintenir l’ordre. C’est alors que Louis XVI commet une erreur qui met le feu aux poudres. Il décide le 12 de

renvoyer Necker le populaire (bien qu’incompétent) directeur Général des Finances et nomme un nouveau ministère de tendance aristocratique. À la peur des bourgeois qui, en plus de la foule, craignent les conséquences financières du renvoi, se cumule alors la peur du peuple, qui voit dans cet acte une réaction aristocratique qui se poursuivra par l’assaut de Paris par les troupes royales, ce que semble confirmer quelques heurts. Dès lors, tout va aller très vite, la tension monte le 13 et le 14, le peuple surexcité part en

quête d’armes pour défendre Paris et la Révolution. Il en trouve aux Invalides12, mais pas à

10 S’adressant au marquis de Dreux-Brézé, Mirabeau affirme : « Je déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car [nous sommes ici par la volonté du peuple et] nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes. » Dans le même temps, Bailly affirme que « la Nation assemblée n’a pas à recevoir d’ordres ». 11 47 députés, dont le duc Philippe d’Orléans 12 Il y en a 30 à 40 000.

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l’Arsenal, déçu et surtout en quête de poudre et de balles, il se retourne vers la prison-forteresse royale toute proche, la Bastille, qu’il prend d’assaut, massacrant au passage le gouverneur et libérant les premiers héros de la Révolution13. Le peuple est alors maître de Paris, débutant les massacres de tout ce qu’il estime suspect. La Prise de la Bastille est en province l’étincelle qui met le feu aux poudres. La situation

était déjà tendue au début du mois, elle devient explosive, révolutionnaire dans toutes les grandes villes du royaume, à partir du 20, c’est la Révolution municipale. Dans les grandes villes, l’administration déconcentrée du roi s’écroule et avec elle la

construction centralisatrice royale. Les intendants, déprimés depuis quelques décennies par le manque de soutien royal, abandonnent leurs places et laissent se mettre en place des embryons d’administrations élues, fortement décentralisées, voire autonomes. Le roi doit réagir. Il craint que l’émeute prenne une ampleur dangereuse. Il décide donc

dès le 15 de renvoyer les troupes aux casernes, rappelle Necker puis se rend lui-même à Paris auprès de la municipalité révolutionnaire pour recevoir des mains du maire de Paris, Bailly, la cocarde bleue et rouge, aux couleurs de Paris, qu’il unit à la sienne, blanche. En arborant la cocarde tricolore, le roi donne l’impression d’associer la royauté aux évènements (alors que dans le même temps, il se considère comme prisonnier et prévient son cousin roi d’Espagne, que ses déclarations officielles sont nulles à compter du 15 juillet)

2. La Grande Peur

Les évènements de la mi-juillet ont plusieurs conséquences. Elles frappent tout d’abord fortement les esprits des nobles qui craignent le soulèvement général du peuple et commencent à émigrer. Mais la peur se retrouve surtout dans le camp des paysans. Les désordres ont effet

engendré des rumeurs de brigandages, voire d’invasion qui paniquent les paysans désarmés. Comme le peuple parisien, les paysans courent aux armes. Leur panique, largement liée à des rumeurs sans fondement, laisse de grandes troupes armées dans les campagnes. Celles-ci décident alors de s’en prendre à leurs véritables ennemis les nobles et leurs châteaux. Nombreux sont alors les châteaux pris et incendiés, principalement dans le but de se débarrasser des archives, titres et autres justifiant les impôts, taxes et droits seigneuriaux. Le peuple des campagnes montre ainsi son désir d’en finir avec l’ordre seigneurial, la

féodalité d’Ancien Régime. La conséquence première est bien sûr, la fuite des nobles, mais également, ce qui était plus inattendu, celle des bourgeois qui sont en fait les principaux bénéficiaires des taxes et droits seigneuriaux (qu’ils ont rachetés aux nobles endettés). Ceux-ci, particulièrement attachés à la propriété, sont effrayés par la tournure des évènements. C’est sa réaction qui est la cause première de la nuit du 4 août 1789, relayée par l’envoi de

Gardes nationales pour rétablir l’ordre. 3. L’abolition des privilèges (4-5 août 1789)

L’Assemblée Nationale est principalement constituée de propriétaires fonciers, conservateurs de l’ordre. S’ils sont favorables à un changement institutionnel, ils refusent que celui-ci se fassent dans un désordre menaçant pour leur position sociale.

13 Il s’agissait de deux fous, quatre faussaires et un prisonnier sous lettre de cachet pour une sombre histoire d’héritage, qui furent pour la plupart de nouveau enfermés (sauf le dernier dont le peuple fera un héro).

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Pour désarmer les émeutes provinciales, l’Assemblée vote dans un élan enthousiaste,

lancé par deux nobles (le duc d’Aiguillon et le vicomte de Noailles)14, l’abolition des droits féodaux et de la dîme. Le décret, finalement adopté le 11 août, débute par un célèbre article 1er : « L’Assemblée

nationale détruit entièrement le régime féodal ». C’est le seul que retinrent les paysans, ce qui les calma. Mais ce qu’ils ne virent pas tout de suite, ce sont les précisions de la suite, qui distingue suivant les droits immédiatement abolis (les droits seigneuriaux anachroniques pesant sur la personne, pour l’essentiel)15, et ceux qui étaient simplement rachetables. Les modalités du rachat furent fixées plusieurs mois plus tard et très complexes, si bien que les paysans ne virent que peu de différence avec leur situation d’avant le 4 août. Il s’agissait en effet pour les bourgeois de défendre leurs droits fonciers16. Il faut remarquer de plus que le roi, toujours persuadé que les évènements se calmeraient

avec le temps, chercha ici encore à gagner du temps, en refusant de signer le décret ce qui empêcher son exécution. Quoi qu’il en soit, malgré sa complexité, malgré ses réserves et les calculs dont elle est le

fruit, cette mesure est importante. Elle est l’incarnation du processus de destruction de l’Ancien Régime, complexe, fait d’enchevêtrements dus à des siècles de superpositions, qui va permettre la construction de la nouvelle France, égalitaire et uniforme. Mais une France de propriétaires, une France bourgeoise, celle du libéralisme triomphant du XIXe siècle, celle dont nous sommes encore très largement tributaires.

II. 17La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789)

A. Pourquoi adopter une « Déclaration » ? Les Cahiers de doléances, s’inspirant de ce qui s’était produit quelques années avant en

Amérique, avaient demandé une Déclaration. Plusieurs projets avaient d’ailleurs été préparés avant 1789. Le 20 juin, l’Assemblée Nationale s’était donné pour rôle de donner une Constitution à la

France. Elle se mit aussitôt au travail, principalement derrière une des figures du début de la Révolution, Jean-Joseph Mounier18. Le 9 juillet, elle prend le nom d’Assemblée Nationale Constituante. Le 14 juillet, l’Assemblée Constituante décide que la Constitution devra contenir une

« Déclaration des Droits de l’Homme »19. Le terme même de Déclaration est intéressant. Il ne s’agit en effet pas de donner des droits à l’homme, d’énoncer des droits et libertés, c'est-à-dire non de les créer, mais de les déclarer, ce qui signifie qu’ils existent déjà, qu’il ne s’agit que de les mettre par écrit, ou plutôt de les graver dans le marbre pour les protéger.

14 Ce qui est habile et réfléchi, l’abolition a en effet été largement discutée auparavant dans un groupe de révolutionnaires (le club breton) 15 Corvée, servage, mainmorte, justices, chasse, garenne, colombiers. 16 Il faudra en fait attendre le 17 juillet 1793 pour que soient supprimés tous les droits seigneuriaux et que soit donné l’ordre de brûler tous les titres sous peine de 5ans de fer. 17 Morabito, Caporal 18 1758-1806) : Juge royal de Grenoble, célèbre avant la Révolution par sa participation aux Etats de Vizille (où se trouve aussi Barnave), il est élu par le Tiers-Etat du Dauphiné aux Etats Généraux. Au début de la Révolution, il se révèle favorable à une monarchie constitutionnelle ce qui en fait un des principaux promoteurs du Serment du Jeu de Paume (20 juin 1789). Mais les journées révolutionnaires de l’été l’inquiètent. Il émigre dès 1790, revient en France sous l’Empire pour lequel il est préfet et membre du Conseil d’Etat. Il meurt à 48 ans. Il symbolise l’erreur de perception noble de la Révolution. 19 Mounier dès avant cette date avait souhaité : « Pour qu’une constitution soit bonne, il faut qu’elle soit fondée sur les droits de l’homme et qu’elle les protège. »

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B. Les conditions de préparation du texte

Tout est accéléré à partir de la nuit du 4 août. Il faut élaborer rapidement la Déclaration, pour calmer l’agitation qui touche le pays et la proclamer sans attendre que la Constitution soit prête. Elle constituera même le Préambule de la Constitution. La préparation et la discussion de la Déclaration furent longues et parfois difficiles. Cette élaboration est permise par la nuit du 4 août. En effet, par la destruction de la

société inégalitaire et corporatiste d’Ancien Régime, l’homme existe en tant qu’individu et non plus en tant que membre d’un groupe. Seul et autonome, il a des droits qu’il faut affirmer, mais il est également fragile, il faut donc le protéger, notamment contre un retour de l’Ancienne société. Le projet retenu, celui du 6e bureau, est modéré, il est discuté du 20 au 26, jour de sa

proclamation. À cette date, l’assemblée est unanime pour considérer que la Déclaration est inachevée et devra être complétée et ses articles classés, mais après l’élaboration, plus urgente, de la Constitution20. Les débats furent cependant soutenus, notamment sur l’orientation générale de la

Déclaration. Les députés furent ainsi très partagés sur l’idée d’adjoindre une déclaration des devoirs à celle des droits (ce qui aurait temporisé le caractère individualiste de la DDHC)

C. Les ambiguïtés de la Déclaration À sa lecture, la Déclaration fait apparaître toute la difficulté de son élaboration et son

caractère inachevé. Elle est désorganisée, parfois confuse, souvent imprécise21. Ainsi, si l’article 2 énonce les droits « naturels et imprescriptibles » de l’homme et du

citoyen, il ne précise pas si tous sont naturels et imprescriptibles ou certains seulement. Quoi qu’il en soit ces droits sont énumérés : la liberté, la propriété, la sûreté (c'est-à-dire la garantie contre les arrestations, détentions et condamnations arbitraires) et la résistance à l’oppression. La grande absente est l’égalité. L’esprit bourgeois des auteurs l’exclut sinon au niveau

juridique : l’égalité est en droit, c'est-à-dire que chacun doit avoir les mêmes droits22, en revanche, il ne s’agit pas de corriger l’inégalité naturelle, d’atteindre l’égalité sociale (que souhaiteront atteindre plus tard les auteurs socialistes et socialisants). La Déclaration précise par ailleurs de quelle manière doivent être organisés les pouvoirs

publics afin d’assurer la protection des droits naturels et imprescriptibles et de l’égalité de droit. C’est la loi qui doit exprimer la volonté générale et être la même pouvoir tous (art. 6). C’est elle, par son caractère général, qui est la meilleure garante de l’égalité en droit, elle trouve évidemment sa conséquence en matière judiciaire (art. 6)23. On trouve ici l’influence claire de Rousseau, corrigée par Sieyès24. Mais surtout, la Déclaration affirme que la souveraineté trouve son origine (principe25)

dans la Nation. Les Révolutionnaires officialisent ici ce qui était déjà sous-jacent dans le coup

20 Ce qui sera rendu impossible par l’impact de la Déclaration devenue « sacrée » (Thouret) 21 Le meilleur exemple en est donné par la confrontation des articles 2 qui consacre le droit à la résistance à l’oppression comme un droit naturel et imprescriptible, et 7 qui pose que « Tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. » 22 Le même accès aux emplois publics (art. 6), égalité devant l’impôt (art. 13) 23 « La loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » 24 « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leur représentants à sa formation. » 25 Ce qui laisse une grande latitude au niveau de l’exercice de la souveraineté, que les Révolutionnaires entendent laisser au roi.

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d’État du 17 juin. Le roi n’est plus souverain en France, c’est la Nation qui l’est, mais la Nation n’est pas définie clairement, notamment par rapport au peuple26. Le nouveau régime fondé sur la Nation souveraine doit être organisé (art. 16) sur la base

de la séparation des pouvoirs (Locke, Montesquieu), condition à l’existence d’une constitution. Mais la Déclaration ne précise pas la nature de cette constitution. Le rejet de la concentration des pouvoirs est seulement un rejet du despotisme (les deux idées étant synonymes dans l’esprit des contemporains). Les différents droits naturels sont précisés27, il est à remarquer que le second est la

propriété, précisé dans l’article 17. On retrouve ici l’influence libérale de Locke et l’orientation bourgeoise de la Déclaration28. Les principes sont vagues, traduisant une ambition transcendante, ne se limitant pas à la

France, visant à donner à la Déclaration un caractère sacré, universel, intemporel, quasi-religieux. La conséquence en est beaucoup d’incertitude sur la signification des termes : citoyen par

exemple, mais également sur l’application du texte. Quelle est sa nature ? Comment l’appliquer ? Le débat agitera les juristes jusqu’en 1971, certains n’y voyant qu’un texte dogmatique sans portée autre que morale, d’autres lui donnant valeur constitutionnelle. Depuis 1971, on sait que la Déclaration a été intégrée par le Conseil Constitutionnel dans le Bloc de Constitutionnalité et a donc valeur positive. Mais nous en sommes encore loin à l’époque et l’incertitude est grande. Quoi qu’il en soit, ainsi que cela a été si justement affirmé, la Déclaration est « l’acte de

décès de l’Ancien Régime », dès lors, il reste à construire le Nouveau. Celui-ci ne peut, dans l’esprit des Révolutionnaires, ainsi qu’ils l’ont exprimé le jour du serment du jeu de paume, se bâtir que sur un fondement constitutionnel. Section II. La Constitution du 3 septembre 179129

I. La monarchie constitutionnelle A. Une naissance sous la pression des évènements

Mounier, le chef de file des monarchiens, qui domina les premiers débats préparatoires de la Constitution, souhaitait que le comité de constitution travaille à l’écart, à l’abri de la pression populaire qui commence à se faire sentir à partir de la mi-juillet 1789. L’Assemblée Nationale Constituante rejeta cette proposition. Un premier comité de Constitution est nommé le 7 juillet 178930. Après l’adoption de la DDHC, les débats portèrent sur la place du roi dans la nouvelle

organisation politique : devait-il ou non conserver un pouvoir important (véto, partage du pouvoir législatif en deux chambres) ? C’est dans ce contexte que le roi, refusant toujours de promulguer le décret du 11 août

ravive les tensions. De plus, il recommence à faire venir des troupes à Versailles. Le peuple de Paris décide alors d’aller chercher le roi à Versailles. Prévenu, le roi fait atteler puis

26 Préambule : « Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale… » 27 Liberté, individuelle seulement, aux articles 7 à 9, qui posent des articles repris dans les Codes pénal et de procédure criminelle, 10 (liberté de conscience, de pensée : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu qu’elles ne troublent par l’ordre public. », 11 (liberté de la presse). 28 Au-delà du rejet de l’égalité réelle, sociale, on remarque qu’aucune liberté collective n’est consacrée (liberté de réunion, d’association) 29 Caporal § 10-14. 30 Il est composé de Mounier, Sieyès, Le Chapelier et Bergasse pour le Tiers, Talleyrand et Champion de Cicé pour le clergé ainsi que de Clermont-Tonnerre et Lally-Tollendal pour la noblesse, soit une majorité de monarchiens, modérés et partisans d’une monarchie à l’anglaise.

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dételer les carrosses pour s’enfuir, mais hésite et finalement ne fait rien. Le 6 octobre le peuple parisien (principalement conduit par des femmes) envahit le palais de Versailles, massacre la garde et exige du roi de venir avec sa famille à Paris. Le roi accepte, il se rend aux Tuileries, suivi par l’Assemblée. Il est à présent prisonnier du peuple de Paris. Dès lors s’ouvre une période d’apparente collaboration entre le roi et la Révolution. Le roi,

s’enferme dans une passivité attentiste (il espère que le temps de la mutinerie passera et que ses sujets reviendront vers lui) qui culmine le 14 juillet 1790, jour de la fête de la Fédération des Gardes nationaux et anniversaire de la prise de la Bastille31. Dans le même temps, l’Assemblée, également rapatriée à Paris continue ses travaux, mais

elle le fait au contact du peuple parisien, beaucoup plus sous sa pression qu’à Versailles. Cette pression s’exprime principalement par la presse extrême (Brissot, Desmoulins, Marat32) et les Clubs qui commencent à se former (club des Jacobins33 et des Cordeliers34). À l’occasion de ses débats, se dégagèrent deux groupes de députés : les partisans du

pouvoir fort du roi à la droite du président de séance (Aristocrates et une partie des Patriotes, appelés Monarchiens35), les adversaires à sa gauche. On trouve ici les lointaines racines du clivage traditionnel des forces politiques françaises. La droite est rapidement malmenée, les monarchiens mis en minorité perdent rapidement

tout rôle (démission puis émigration de Mounier). La gauche elle-même est très divisée. Un centre-gauche est constitué des patriotes constitutionnels dirigés par les deux hommes forts de cette période, l’Aixois Mirabeau36 et le marquis de La Fayette, commandant de la garde nationale. Tous les deux sont favorables à une monarchie constitutionnelle dans laquelle ils joueraient le rôle de premier ministre du roi. À leur gauche se trouve le Triumvirat (Duport, Barnave et les frères Lameth), qui joueront un rôle également central. Ils sont défavorables à un pouvoir fort de l’exécutif, c'est-à-dire du roi, et se méfient de Mirabeau. Enfin, à l’extrême gauche, peu influents dans l’Assemblée, mais très populaires dans le petit peuple, se trouvent les démocrates, un groupe de députés du Nord de la France (Pétion, Robespierre, l’abbé Grégoire…), favorable au suffrage universel. Les débats furent bouleversés par le comportement du roi, après la période de

collaboration, le roi est profondément affecté par la crise religieuse consécutive à la

31 Cette date deviendra fête nationale en 1880 (plus que la prise de Bastille, entachée de sang) 32 Le Courrier de Provence (Mirabeau), Le Patriote français (Brissot), Les Révolutions de France et de Brabant (Desmoulins), l’Ami du Peuple (Marat) 33 Fondé à l’origine par quelques députés bretons (Le Chapelier) à Versailles, dès mai 1789, le Club breton s’installa à Paris dans l’ancien couvent des Dominicains, que l’on appelait jacobins dans l’ancienne France (rue Saint-Honoré). Ce Club est ouvert également aux non-députés qui doivent verser une cotisation assez élevée (un mois de salaire ouvrier environ), ce qui le réserve aux patriotes aisés. Le Club bénéficie surtout de l’affiliation de centaines de clubs provinciaux. Les Feuillants voient le jour après la fuite à Varennes, à la suite d’une scission du club des jacobins, avec le départ des bourgeois modérés, royalistes et constitutionnels, derrière Barnave (16 juillet 1791), ce qui laisse les Jacobins aux mains de la gauche dure (Pétion, Robespierre) 34 Le Club, installé dans l’ancien couvent des Cordeliers (c’est-à-dire les Franciscains), rive gauche, est fondé par Danton en juillet 1790. Prenant le contre-pied des Jacobins, il est ouvert à tous (ou presque, par la cotisation modeste), ce qui lui donne une autre allure, une virulence s’exprimant de manière beaucoup plus véhémente, même si les propositions sont aussi ardentes chez les jacobins. 35 Mounier. 36 Habile et populaire, Mirabeau doit faire face à l’hostilité de l’Assemblée à lui voir jouer un rôle trop important. Dans le même temps, Louis XVI qui a compris son influence tente de se l’attacher. Mirabeau meurt subitement le 2 avril 1791 privant ainsi le roi de celui qui aurait pu être un de ses alliés les plus efficaces.

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constitution civile du clergé, il décide alors de fuir Paris pour trouver à la frontière est le soutien des armées européennes qui lui permettraient de retrouver un trône plus confortable. L’échec de la fuite à Varennes, la nuit du 20 au 21 août 1791, accompagné de la découverte

d’une lettre révélant que le roi n’a jamais rien accepté de ce qui lui a été imposé depuis le début de la Révolution, font perdre à Louis XVI sa popularité et la confiance de l’Assemblée. Néanmoins, l’Assemblée craint d’être débordée par le mouvement populaire

démocratique ou de mettre le pays militairement en péril en renversant le roi. Elle le rétablit donc, prévoyant même un renforcement de ses pouvoirs37. Ce choix provoque un éloignement entre les Révolutionnaires modérés (Feuillants) et les radicaux (Cordeliers et Jacobins) qui culmine le 17 juillet 1791 avec la fusillade du Champ de Mars38. C’est donc dans un climat tendu, mais dans lequel les modérés gardent la main, que le

texte de la constitution est finalement adopté le 3 septembre 1791 puis accepté par le roi le 14 septembre (ce qui lui permit de retrouver son pouvoir exécutif). Le 30 septembre, la Constituante, ayant terminé son travail, décide de se retirer pour laisser la place à une nouvelle assemblée, dans laquelle les Constituants ne seront pas éligibles (proposition de Robespierre), l’Assemblée Législative.

B. La séparation des pouvoirs

1. Un pouvoir législatif tout puissant Le principe sur lequel se fonde la souveraineté nationale est celui de la représentation. Les

Révolutionnaires, conquis par l’idée de souveraineté nationale de Rousseau, se sont donc éloignés du philosophe genevois quant à la mise en pratique de ce principe et ont suivi l’un des grands animateurs de la période prérévolutionnaire et des premiers mois de la Révolution, l’abbé Sieyès. La souveraineté nationale est donc représentée par l’Assemblée nationale législative,

assemblée composée de 745 députés élus pour deux ans. Celle-ci est élue par un corps électoral qui ne reprend pas la totalité du peuple français. Seuls peuvent en effet voter ceux qui sont particulièrement attachés à la chose publique et sa gestion, les citoyens actifs : les majeurs (25 ans), payant des impôts et ayant prêté le serment civique. Il s’agit donc d’un suffrage censitaire qui élimine une grande partie de la population française, les catégories les plus modestes principalement. Cette Assemblée a le pouvoir législatif, elle ne peut être dissoute, mais elle n’a pas le

pouvoir de renverser les ministres.

2. Un pouvoir exécutif subordonné Le roi a perdu sa souveraineté, il n’est même pas considéré comme représentant de la

nation souveraine, il est en effet soumis à l’Assemblée législative, dès lors que le pouvoir suprême est incarné par la loi. Le roi n’a ainsi de pouvoir que par la loi et dans les limites fixées par la loi. Thouret dira que « le roi est le premier fonctionnaire de la Nation ». La Constitution va dans le même sens, il est présenté comme « le chef suprême de l’administration générale du royaume » (chap. IV, art. 1er), ce qui le subordonne aux représentants, les députés. Être représentant donne une grande latitude dans l’action, le roi

37 Afin de faire accepter par le peuple le rétablissement du roi, d’abord suspendu, l’Assemblée utilise la fiction de l’enlèvement du roi par les Aristocrates. Elle cherche par ailleurs à protéger le roi en le déclarant inviolable dans la Constitution 38 Les meneurs des Cordeliers (Danton, Marat, Desmoulins) organisèrent une manifestation destinée à porter sur l’Autel de Patrie une pétition demandant la déchéance du roi. La municipalité (Bailly) envoyant un bataillon de gardes nationaux qui se sentant menacé, ouvrit le feu tuant plusieurs dizaines de personnes.

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n’est pas représentant, il n’est qu’administrateur, en d’autres termes, exécuteur de la volonté du souverain, la Nation, volonté exprimée par ses représentants. Le roi est chargé de la promulgation (ce qui fait du décret voté une loi) et de l’application

des lois. En revanche, il n’en a pas l’initiative. Son pouvoir réglementaire est quasiment inexistant, conséquence du monopôle normatif de la loi, qui intervient dans des domaines très variés et avec une précision sans précédent (visant à rendre toute autre réglementation, c'est-à-dire toute réglementation issue d’une autre autorité, inutile). Il n’en est pas moins chef de l’administration, ce qui lui permet de nommer les ministres

de les diriger et de les révoquer. Il conserve également, vieux souvenir de sa souveraineté, la direction suprême des armées et la gestion des affaires étrangères (nomination des ambassadeurs) sauf pour les questions importantes (déclaration de guerre). Il faut néanmoins, une nouvelle fois, nuancer ces fonctions puisque ministres et roi sont, dans leurs attributions administratives souvent concurrencés par les comités de l’Assemblée (comité diplomatique, des finances, de surveillance –police…) Personnage sacré et inviolable (ce qui était une mesure protectrice adoptée à la suite de la

fuite à Varennes), il peut néanmoins être déchu de son trône en cas de trahison à l’encontre de la Nation.

II. L’échec d’un régime non viable L’expression de la séparation des pouvoirs se trouve dans l’impossibilité pour chaque

pouvoir de renverser l’autre (sauf trahison du roi) : le roi ne peut dissoudre l’Assemblée, l’Assemblée ne peut révoquer les ministres, irresponsables politiquement, si ce n’est devant le roi. Cela s’ajoute à la collaboration des deux pouvoirs dans la procédure législative : un décret

ne devient loi qu’avec la promulgation royale, ce que le roi peut refuser (droit de véto). Dans le cas où les deux pouvoirs refusent de céder, on se retrouve donc dans une situation de blocage institutionnel. La Constitution prévoit bien le moyen d’en sortir, mais en pratique, cela peut prendre une dizaine d’années. La collaboration des pouvoirs, indispensable au bon fonctionnement des institutions se révèlera donc difficile dès le moindre désaccord entre eux. Cela arriva rapidement. L’échec de la fuite à Varennes, le 21 juin 1791, puis l’ambigüité du

comportement royal dans la guerre (déclarée le 20 avril 179239) provoquèrent la méfiance de l’Assemblée à l’égard du roi. Les vétos successifs royaux contre les lois sur la saisie des biens des émigrés et contre celle condamnant les prêtres refusant de prêter le serment à la constitution civile du clergé achevèrent de détériorer la situation40. Le 25 juillet, Manifeste du duc de Brunswick, général en chef des armées prussiennes et

autrichiennes, qui menace Paris de représailles s'il était porté atteinte à la personne du roi, peut-être demandé par Marie Antoinette pour effrayer les Révolutionnaires, elle provoqua la chute de la monarchie (nous y reviendrons).

39 La guerre n’était pas souhaitée par les Feuillants qui craignaient que la désorganisation de l’armée aboutisse à la défaite, mais elle était souhaitée par le roi qui croyait en la victoire étrangère balayant la Révolution et la gauche qui pensait que ce serait le moyen de démasquer le roi : s’il coopère, la Révolution sera consolidée, s’il trahit, il sera éliminé. Seul Robespierre s’y oppose prophétiquement car il craint qu’une défaite emporte la Révolution et qu’une victoire, suscitant la haine des étrangers, provoque l’avènement d’une dictature militaire pour protéger la France. 40 Louis XVI qui n’accepte pas la Révolution a choisi la politique du pire : laisser faire les extrémistes, ce qui doit provoquer deux réactions selon lui. D’une part le peuple, effrayé par les excès et désireux d’ordre, ne peut que revenir vers lui, garant de l’ordre, de l’autre les monarques européens (au premier plan desquels Léopold II d’Autriche, son beau-frère) ne peuvent qu’être effrayés de la tournure des évènements et du risque de propagation, ce qui doit les conduire à intervenir en France.

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Section III. L’œuvre de l’Assemblée Constituante, les bases de la nouvelle France41 Au-delà de la préparation de la Constitution, la Constituante a, pendant deux ans, fait

œuvre aussi bien d’assemblée constituante que d’assemblée législative. Première assemblée de la Révolution, son œuvre est considérable, elle dépasse largement la constitution, même si nombre de textes législatifs se retrouvent, dans leur esprit ou leur lettre dans la constitution, ce qui rend la réglementation de l’époque quelque peu confuse.

I. La réforme de la justice

A. La justice à la veille de la Révolution À la veille de la Révolution, la justice est tout-à-fait symbolique de la complexité de

l’organisation des institutions de l’Ancien Régime. Compétences et tribunaux sont enchevêtrés, superposés. Ils sont les fruits d’une longue histoire faite de concurrence et de réformes progressives n’ayant que rarement supprimé les tribunaux et cours de l’époque précédente. À la veille de la Révolution, il est donc particulièrement difficile pour un justiciable de savoir quel tribunal est compétent pour traiter son affaire (tribunal ecclésiastique, seigneurial, municipal, royal) et parmi eux quel degré de juridiction (tribunal de prévôté, de bailliage/sénéchaussée, parlement, cours spéciale ?). À cela s’ajoute la grande imperfection de la justice. Les juges, propriétaires de leur charge

(office), rémunérés par les épices sont souvent partiaux, les parlements poursuivent parfois dans leur fonction judiciaire des buts politiques d’opposition au roi… Le justiciable fait évidemment les frais de ces dysfonctionnements. La monarchie a conscience de ces graves défauts. En 1771, le chancelier Maupeou tente

d’y trouver une parade en s’en prenant au Parlement de Paris, à la vénalité des offices (nomination par le roi) et au système des épices (il instaure la gratuité de la justice). Cette réforme, moderne, mais très critiquée, est abandonnée par Louis XVI dès son avènement en 1774. Le problème restait pourtant entier et le garde des sceaux François de Lamoignon s’y

attèlera en 1788 à la demande d’un Louis XVI plus inspiré. Mais il verra sa réforme bloquée par le Parlement42. Le roi échoue peu après à imposer de force sa réforme. Au moment de la convocation des États Généraux, la monarchie n’a pas réussi à réformer la justice. Pourtant de désir de réforme voire même de profonde réorganisation est fort dans le pays.

Les souhaits de réformes sont omniprésents dans les cahiers de doléances (simplification des procédures, de l’organisation juridictionnelle, réforme du droit pénal). Dans les premiers temps de la Révolution, les acteurs sont unanimes dans la volonté de

réformer la justice. Mais deux positions s’affrontent. Les parlements souhaitent plus d’autonomie voire une totale indépendance pour la justice. De l’autre côté, le roi et les Constituants sont d’accord pour casser l’indépendance des parlements. Le conservatisme de ces derniers est en effet un obstacle aux réformes voulues par le roi, il est un danger pour les Révolutionnaires qui souhaitent faire de la loi le socle sur lequel sera construite la nouvelle société. Il est hors de question que la jurisprudence conserve le rôle qu’elle avait avant 1789. Il est donc hors de question que les parlements conservent leur puissance.

B. Une loi fondamentale, la loi des 16-24 août 1790 Le décret du 11 août (qui reprend les principes de la nuit du 4 août) et la DDHC posent les

premiers principes de la révolution de la justice. La loi en sera la base, l’égalité sera la règle

41 Caporal § 165-170 et 270-281 42 Qui invoque contre elle les Lois fondamentales parmi lesquelles il fait figurer l’indépendance des juridictions et l’inamovibilité des juges.

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(égalité devant la loi et la justice). Autant de principes qui remettent en cause tout à fait les fondements mêmes de la justice d’Ancien Régime. Les Révolutionnaires poursuivent leur œuvre de destruction en posant à plat les questions

pénales (interdiction de la torture, publicité des débats, suppression du serment…) Mais l’élément fondamental est la grande loi des 16-24 août 179043. Après le temps de la

remise en cause vient en effet celui de la construction. Cette loi vient en effet poser les bases de la nouvelle organisation judiciaire. La loi pose tout d’abord les grands principes, les fondements sur lesquels la nouvelle

justice doit être construite : interdiction de la vénalité des offices, abolition des privilèges judiciaires, égalité devant la justice, gratuité de la justice (juges salariés par l’État), droit d’appel, publicité des débats, création du jury populaire en matière criminelle, proportionnalité des peines et séparation des fonctions judiciaires et administratives. Nombre de ces principes sont encore ceux qui régissent notre justice. Les Révolutionnaires y ajoutent l’élection des juges 44qui, pour être indépendants, sont

élus à vie, mais également l’interdiction pour le juge de prendre des règlements, des précédents (rejet des arrêts de règlement des parlements) et même d’interpréter la loi (le juge doit se tourner vers le législateur qui peut seul interpréter sa loi)45. Mais la loi n’en reste pas aux principes, elle prévoit également l’organisation

juridictionnelle qui devra être en place en France, sur le principe de la séparation entre justice civile et justice pénale. Le principe ici recherché est l’uniformité sur l’ensemble du territoire46, l’existence de

règles précises de répartition des compétences, principalement en fonction de la gravité de l’affaire (la gravité financière du litige en matière civile, la gravité criminelle du délit en matière pénale). Ainsi sont distingués en matière civile le juge de paix (dans chaque canton ou grande

ville, ancêtre de notre TI, il perdure jusqu’en 1958), le tribunal de première instance (tribunaux de district, ancêtres des TGI). Il faut remarquer l’absence des cours d’appel, les TPI étant compétents en appel pour une décision du même niveau suivant un principe d’appel circulaire. Le but est d’éviter la renaissance de juridictions supérieures, susceptibles d’acquérir une puissance qui rappellerait celle des parlements détestés. D’autres juridictions plus originales sont mises en place : les tribunaux de famille,

tribunaux arbitraux composés de parents, amis ou voisins des personnes rencontrant des difficultés dans leur famille (tutelle, discipline, contestations diverses). Les tribunaux de commerce présentent également une originalité puisqu’ils sont le prolongement (ce sont les seules juridictions de ce type) de juridictions d’Ancien Régime (les juges des marchands, institués au XVIe siècle, mais qui trouvent leurs racines bien plus loin47), toujours élues. Sont en revanche supprimées les très anciennes juridictions des prud’hommes qui

jugeaient les litiges entre maîtres et ouvriers dans certaines grandes villes (réapparition en 1806).

43 Deux dates, fréquentes dans la législation révolutionnaires : la première est celle de l’adoption du texte, la seconde celle de sa sanction royale. 44 On ne peut quand même pas élire n’importe qui, les juges doivent avoir exercé pendant cinq ans comme juges (avant la Révolution) ou hommes de loi. Les officiers du ministère public restent nommés par le roi 45 Ce qui traduit la grande méfiance à l’égard du pouvoir des juges. 46 Dans cette ambition d’uniformité et de connaissance de la loi, la loi de 1790 émet le vœu de voir élaborée une codification générale des lois, un Code de procédure civile et un Code pénal. 47 Exemple des tribunaux arbitraux spécialisés existants à Avignon au XIIIe siècle.

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Enfin, une grande création de la loi de 1790 est celle du Tribunal de Cassation. Malgré leur

méfiance à l’égard d’une juridiction supérieure, qui leur rappelait les parlements, les Révolutionnaires mettent en place par deux lois de l’hiver 1790 (27/11 et 1/12) et du printemps 1791 (19/4) un Tribunal de cassation chargé d’assurer l’unité de la jurisprudence, mais dont la compétence est limitée à l’examen des vices de procédure et au respect de la loi, sans pouvoir connaître du fond de l’affaire. Les Révolutionnaires entendent surtout limiter le pouvoir des juges de cassation par l’interdiction qui leur est faite d’interpréter la loi. Pour toute interprétation, ils doivent surseoir à statuer et consulter le législateur pour qu’il éclaire le sens de sa loi. Cette organisation du Tribunal suprême évoluera peu jusqu’à la fin de la Révolution, on trouvera surtout toujours la volonté très forte de le soumettre (et plus généralement l’organisation juridictionnelle) au pouvoir suprême, le pouvoir législatif. En matière pénale, la loi de 1790 est moins précise. Elle se contente de prévoir que les

contraventions aux règlements de police municipaux seront jugées et sanctionnées par des tribunaux municipaux, sous réserve d’appel devant les TPI (tribunaux de district). Mais cela ne concerne que les délits les moins graves (contre tranquillité publique, bon ordre, divagation des animaux dangereux…) C’est une réforme de 1791 (deux décrets des 19-22 juillet et 16-29 septembre) qui organise

les juridictions pénales, mettant ainsi fin à l’application de la vieille ordonnance criminelle de Colbert (1670). Dorénavant la justice pénale est construite sur trois degrés : un tribunal de police municipal (juge de paix), un tribunal de police correctionnelle par canton (délit de gravité moyenne) et un tribunal criminel départemental pour les plus graves. C’est dans l’organisation de ce dernier que se trouvent les principales nouveautés. En

effet, elle prévoit que s’y appliquera le principe du jury populaire. Il doit en fait y en avoir deux, le premier pour décider du renvoi en jugement de tel ou tel crime et le second pour décider de la culpabilité ou non du suspect. La peine est ensuite fixée, en cas de réponse positive (et sans appel –vox populi, vox dei) par des magistrats professionnels. On trouve ici les fondements de nos Cours d’assises. Dans le même temps, la Constitution de 1791 pose les principes de la procédure pénale

(instruction orale et publique, contradictoire, présence d’un conseil juridique48, non bis in idem…) Mais le principal apport de la grande loi de 1790 est d’affirmer clairement la séparation

des fonctions judiciaires et administratives (le principe avait déjà été posé en 1641, mais dans le cadre d’une organisation différente). Ainsi, les contestations des décisions administratives devront être portées devant le

ministre compétent, c'est-à-dire devant l’administration elle-même, c’est la naissance du ministre-juge, qui durera jusqu’à l’arrêt Cadot du Conseil d’Etat en 1889. Celle-ci, en revanche, n’aura aucun pouvoir d’intervention dans le domaine de la justice. En d’autres termes, cette loi pose les bases de la juridiction administrative. Même s’il est

trop tôt pour parler d’un ordre administratif (ce sont les administrations elles-mêmes qui jugent et non des tribunaux administratifs), c’est sur ce principe que va se construire la justice administrative telle que nous la connaissons.

C. Les dérèglements terroristes Après les grands principes du début de la Révolution, les années 1792-1794 porteront de

durs coups à l’organisation juridictionnelle et même à l’idée de justice.

48 Les avocats sont en revanche supprimés.

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C’est ainsi que la Convention, l’Assemblée qui gouverna la France de 1792 à 1795, décida

de contourner l’organisation juridictionnelle de droit commun pour juger elle-même le roi Louis XVI en décembre 1792 – janvier 179349. Mais c’est surtout ainsi qu’est créé en mars 1793 le Tribunal Révolutionnaire, chargé de

juger les atteintes à la liberté, l’égalité, l’unité et l’indivisibilité de la République, proclamée quelques mois auparavant, la sûreté intérieure et extérieure, soit une compétence extrêmement large et permettant des accusations souvent floues. Principalement appuyée sur un accusateur public, le sinistre Fouquier-Tinville, et des jurys populaires, le Tribunal prononce des sentences sans recours, immédiatement exécutoires et pouvant aller jusqu’à la mort (guillotine). La puissance du Tribunal Révolutionnaire sera accrue par la loi des suspects du 17 septembre 1793 qui supprime la présomption d’innocence et la défense des personnes considérées comme suspectes de porter atteinte à la sûreté, à la Révolution ou à la République. Il n’y a donc dès lors plus d’avocat, les accusés (suspects) sont laissés à la merci du Tribunal, qui sera l’arme principale de la Terreur. Conséquence de cette orientation, la Convention supprime les facultés de droit (ainsi que

celles de médecine et de théologie) au prétexte que le peuple étant juge et sa voix étant la sagesse, il n’y a plus besoin de juristes, ni même de savants. Plus rarement utilisés après la chute de Robespierre le 9 thermidor (27 juillet 1794), le

Tribunal Révolutionnaire disparaît après avoir condamné à mort Fouquier-Tinville en mai 1795. Il prononça au total 2700 condamnations à mort, suivies d’exécution (pour 5300 accusés)50.

II. La réforme de l’administration A. L’administration centrale

Parmi les prérogatives laissées au roi par la Constitution de 1791 figure la direction de l’administration. Placé au sommet de l’administration, c'est-à-dire des serviteurs de la Nation, ceux qui doivent exécuter ses ordres, le roi est à la tête d’une équipe de ministres. Les Révolutionnaires ont ici largement suivi le modèle donné par l’Ancien Régime, c'est

ainsi que trois des quatre secrétaires d’État d’avant 1789 sont reconduits avec le titre de ministres : Affaires Étrangères, Marine et Guerre, le chancelier est remplacé par un ministre de la justice, le très puissant contrôleur des finances par deux ministres (des contributions et de l’intérieur)

B. Les administrations locales C’est sans doute en matière d’administration territoriale que la continuité entre l’Ancien

Régime et la Révolution apparaît le mieux. On ne peut ainsi opposer un Ancien Régime décentralisateur à une Révolution centralisatrice. En effet, l’emploi du terme décentralisation pour l’Ancien Régime n’a pas de sens. La décentralisation n’existe que si elle prend appui sur un système centralisé, ce qui n’était pas le cas sous l’Ancien Régime. La monarchie française a en effet toujours cherché à reconstituer une centralisation qui a disparu avec la chute de l’Empire romain. Charlemagne puis les rois de l’époque moderne ont tenté de lutter contre les forces centrifuges, la trop grande autonomie des communautés… L’Ancien Régime a été centralisateur.

Mais cette centralisation se fait de manière difficile et très imparfaite. Pour contrecarrer et contrôler les communautés autonomes, le roi commence (après Charlemagne) à partir de la

49 Le roi eut alors droit à des avocats dont un y laissa la vie, l’un des trois, Tronchet, devint par la suite rédacteur du Code civil. 50 Ce qui représente 1/6e des exécutions officielles de la Révolution (16600)

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fin du XIIe siècle à mettre en place des agents locaux, expression de son œuvre de centralisation (prévôts, baillis, sénéchaux puis intendants). Ces institutions royales ne viennent cependant pas remplacer les institutions locales. À la

fin de l’Ancien Régime, malgré les efforts du roi, le territoire du royaume reste profondément divisé. Il l’est principalement en provinces très unies, homogènes ethniquement, culturellement, linguistiquement, juridiquement. Le roi, plutôt que de casser ces cadres très autonomes, tente de les rattacher à la capitale par ses agents locaux. De plus elles se cumulent avec les réformes sans se remplacer. Cette situation provoque

une grande complexité. L’administration n’est pas comprise par les sujets et ce d’autant moins que l’administrateur est également juge. On retrouve ainsi les défauts de complexité et de lourdeur de la justice à ce niveau. Enfin, ces institutions royales soulèvent de nombreuses oppositions, tant et si bien qu’à la

veille de la Révolution une réforme royale de 1787 envisage une grande démocratisation de l’administration locale (appuyée sur des assemblées élues à chaque niveau administratif). La Révolution prendra pourtant une tout autre orientation. Les cahiers de doléances

composés pour les Etats généraux de 1789 étaient nombreux à demander une réforme de l’administration locale. Attachés au cadre provincial, ils souhaitaient un rapprochement entre l’administration et les administrés, souhaitant notamment qu’il soit possible de se rendre au chef-lieu administratif en une journée de cheval (ce qui devait donner à la circonscription un rayon de 30 à 40 km).

Les Révolutionnaires tinrent compte de ces demandes, ils appliquèrent également à ces nouveaux cadres leur philosophie égalitariste et participative. C’est ainsi qu’il fut décidé qu’à chaque niveau de l’administration locale, les principes de la séparation des pouvoirs devaient être respectés, mais également que les administrateurs devaient être désignés par l’élection, mode de désignation permettant la participation des administrés à l’administration de l’Etat, mode de désignation le plus respectueux de la souveraineté nationale. Mode de désignation, surtout, qui assurait une grande indépendance aux administrations locales car le peuple ne peut mal choisir dans la vision idéalisée de la souveraineté populaire de 1789.

Néanmoins, afin d’éviter toute tentation de fédéralisme, il est prévu que les différentes administrations locales n’auront que des attributions administratives et jamais politiques. Limitées à des fonctions administratives, les nouvelles circonscriptions devront néanmoins servir à toutes les branches de l’administration du pays et non seulement à l’administration fiscale comme avaient pu le prévoir les tentatives de réforme de la fin de l’Ancien Régime. Le nouveau découpage de la France, permis par l’abolition des privilèges, intéressa très

rapidement les Révolutionnaires. Dès les 14-18 décembre 1789, sont ainsi créées les communes, cellules administratives de

base au nombre de 44000, héritées des paroisses de l’Ancien Régime, mais toutes dotées de la personnalité juridique et d’un statut uniforme.

Le gros morceau se situait néanmoins à l’échelon supérieur, celui des provinces de l’Ancien Régime. À ce niveau, les Révolutionnaires étaient unanimes pour souhaiter que cet échelon administratif soit cassé et remplacé.

Plusieurs projets, plus ou moins réalisables furent proposés51. Notamment celui de Thouret qui voulait diviser la France en 80 circonscriptions carrées de taille exactement égales (72 km de côté), dont le but est la destruction de la diversité qui rappelait l’Ancien

51 On proposa même des projets de division en cercles.

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Régime. L’autre projet principal est celui de Mirabeau qui s’appuie sur la géographie et l’histoire, en 120 circonscriptions issues des anciennes provinces.

L’appellation proposée pour ces circonscriptions est le département, qui est formé sur la base du verbe départir, partager. C’est ce terme qui fut employé pour le projet retenu, formule de compromis entre les deux principaux projets. Basé sur la proposition de Thouret, ce projet est amendé pour plus de réalisme, le projet strictement égalitaire de Thouret se heurtant à des problèmes géographiques notamment.

La loi du 22 décembre 1789 qui créé le principe les départements est rapidement complétée par le décret du 26 février 1790 sur le nouveau découpage de la France. Loin de faire table rase du passé, celui-ci est un compromis entre les besoins administratifs de la nouvelle France, d’une Nation unie et le respect de données géographiques et historiques. Il est ainsi décidé que le territoire français serait découpé en départements de taille assez réduite. En revanche le découpage purement géométrique de ceux-ci est abandonné au profit du réalisme géographique. Dans tous les cas où l’utilité ne réclamait pas le contraire, les frontières des anciennes provinces servirent ainsi pour les nouveaux départements. Ainsi furent notamment respectées les frontières naturelles.

En revanche, afin de casser les anciennes solidarités provinciales, les noms des anciennes provinces ne furent pas retenus, les départements reçurent des noms tirés de leur géographie (fleuve, rivière, montagne…), noms qui étaient de plus ceux qui prêtaient le moins le flanc aux susceptibilités locales52. Ainsi furent constitués 83 départements de taille sensiblement identiques, mais d’une grande variété en termes de richesse et de population.

Un autre problème était posé par les chefs lieux, une nouvelle fois, les susceptibilités locales pouvaient être mises à mal en cas d’existence de plusieurs villes pouvant prétendre au titre de chef-lieu, ce qui s’ajoutait à la nécessité de l’installer au milieu du département, dans la mesure du possible53. Face aux difficultés, la Constituante dut renoncer à certains de ses principes, au premier rang desquels l’unité et la centralité. Des systèmes de chef-lieu tournant (l’alternat) furent ainsi mis en place dans certains départements, sans grand avenir (Ariège, Cantal, Landes54…, le système est supprimé dès sept. 1791), tandis que certaines administrations furent réparties entre différentes villes du département, notamment par le détachement d’un siège de justice du reste de l’administration (Vaucluse).

Pour ce qui est de l’organisation, la loi du 22 décembre 1789 s’inspire de la réforme de 1787, elle prévoit la mise en place d’un conseil général élu dans le cadre du canton pour 4 ans, assemblée délibérante peu réunie, complétée par un organe exécutif collégial permanent, un directoire de 8 membres, chargé de l’administration active du département55, désigné par l’assemblée des administrateurs, c’est-à-dire le conseil non encore amputé de ses 8 directeurs). Enfin, un procureur-général syndic élu est chargé de veiller à l’application des lois dans le département, relais donc du pouvoir central au sein de l’administration 52 Il y en eu quand même, en témoignent les changements des noms de départements intervenus, notamment suivant des considérations touristiques : Alpes de Haute Provence pour les Basses Alpes, Côte d’Armor pour les Côtes du Nord, Charente-Maritime pour Charente-Inférieure, Pyrénées-Atlantiques pour –Basses-Pyrénées, Loire-Atlantique pour Loire inférieure… 53 Dès que l’on eut connaissance en province des progrès du projet Thouret, des représentants des villes de province se précipitèrent à Paris les bras chargés de généreux pots de vin, produits du terroir… afin d’obtenir le chef-lieu du nouveau département et donc la vie officielle, l’animation et les ressources que cela entraîne. 54 Mont-de-Marsan et Dax pour les Landes. On raconte que les départements actuels des Landes et de Gironde, très grands devaient en fait à l’origine en constituer trois avec le département ayant pour chef-lieu Bazas. Mais lors d’une séance de nuit, pendant laquelle le cas de ces départements venait au débat, le département de Bazas se serait endormi, ses collègues de Bordeaux et Mont-de-Marsan se seraient alors entendus sans lui… à son réveil, le département de Bazas n’existaient plus. 55 Expédition des affaires courantes, exécution des décisions du conseil.

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départementale, appelé à défendre les intérêts de l’administration générale. Les procureurs devaient être, tout en respectant le principe de la souveraineté populaire, un moyen de donner de la cohérence à l’ensemble des administrations, servir de lien entre elles et l’exécutif central.

Cette organisation est chargée d’une administration générale au sein de la circonscription, elle a vocation à gérer toutes les matières administratives au nom du roi, ce qui limite les prétentions autonomistes qu’elles pourraient avoir.

En pratique, elle fut constituée de représentants des catégories les plus riches de la population, riches bourgeois, nobles, anciens officiers royaux, propriétaires fonciers.

III. Les bouleversements socio-économiques

A. La Révolution face à la crise financière L’enthousiasme des premiers temps ne fit pas oublier à l’Assemblée la cause première de

la réunion des États-Généraux : la situation financière du royaume. Après avoir rejeté l’idée de Necker (de rembourser les emprunts contractés pour la guerre d’Amérique par de nouveaux emprunts), l’Assemblée adopta la proposition de Talleyrand de saisir les immenses biens du clergé pour les mettre à la disposition de la Nation, en contrepartie de quoi la Nation s’engageait à assumer l’entretien du clergé et des lieux de culte. La saisie ne pouvant se faire en un coup, l’Assemblée décida de recourir dans un premier

temps à l’emprunt, remboursable grâce à la progressive vente des biens du clergé sur présentation d’un titre (l’Assignat56). Trop largement utilisé l’assignat devint rapidement un papier-monnaie. L’assignat instrument financier était également un instrument politique, les Révolutionnaires pensant, en contrôlant les assignats, contrôler le roi. En fait en multipliant les assignats sans les retirer de la circulation, malgré la vente des biens du clergé, ils ont provoqué l’écroulement de leur valeur et une forte inflation. Ce système conduisit la Révolution tout droit à la faillite et les Français à une grande méfiance à l’égard du papier-monnaie. Dans le même temps, l’Assemblée procède à la vente des biens de l’Église, celle-ci profita

principalement aux bourgeois et gros paysans qui s’enrichirent considérablement par l’achat de ces terres vendues au-dessous de leur prix. Bourgeois et riches paysans devinrent ainsi les principaux soutiens du nouveau régime, du fait de leur désir de conserver la fortune ainsi acquise.

B. La Constitution civile du clergé Si le clergé avait docilement accepté la suppression de la dîme, de ses privilèges et la

saisie de ses biens, il n’en fut pas de même de la volonté de réorganisation de l’Église, consécutive à l’engagement de la Nation d’assurer son entretien. En février 1790, la Constituante décide de fermer les couvents car les vœux perpétuels

sont considérés comme attentatoires à la liberté. Mais surtout, le 12 juillet 1790, elle adopte la Constitution civile du clergé (promulguée par le roi le 24 août) : dorénavant les prêtres et évêques seraient élus, ce qui provoque une violente rupture avec Rome. Le pape tarda à condamner le texte, ce qui troubla le clergé. Beaucoup s’opposaient à la

constitution civile, ce qui poussa la Constituante à exiger de tout prêtre de prêter serment à la Constitution civile. Une partie du clergé, sans règle de conduite du fait du silence pontifical prêta serment, mais très peu au sein du haut clergé57. Le pape condamna finalement le texte le 10 mars 1791 provoquant un schisme au sein du

clergé français (clergé constitutionnel et clergé réfractaire), ce qui conduira la Révolution à prendre la forme trop souvent d’une guerre de religion (en Vendée, mais également ailleurs 56 À l’origine titre d’une valeur de 1000 livres portant intérêt à 5%, puis à 3 puis sans intérêt ( !) 57 La moitié des prêtres, mais seulement 7 prélats sur 160 évêques et archevêques.

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en France, avec des massacres de prêtres ou de moines et moniales), voire d’une guerre de déchristianisation. Cette rupture entre la Révolution et l’Église dura longtemps. Jusqu’à la fin du XIXe siècle,

l’Église s’opposa très fermement à la Révolution et ce qui lui était rattaché, la République principalement.

C. La montée en puissance du petit peuple parisien : les Sans-culottes

Les bouleversements politiques ont rapidement des répercussions sur le peuple parisien, notamment. Les émeutes populaires (14 juillet et 5-6 octobre 1789, 17 juillet 1791) sont nombreuses, principalement lié à l’incapacité des Révolutionnaires à faire face aux réclamations des catégories les plus modestes de la population. Leur exclusion du droit de vote et le fiasco des assignats mettent le feu aux poudres. À la

fin de l’année 1791, le peuple parisien commence à s’organiser en Commune de Paris, et obtient l’oreille de la municipalité, tenue (à la suite d’une malheureuse manœuvre –la politique du pire- du roi) par le démocrate Pétion. Au printemps 1792 apparaissent les Sans-culottes, très radicaux, démocrates et

égalitaristes, ils souhaitent l’avènement de la République et s’opposent à tout ce qui y fait obstacle : le roi, la reine, les modérés (Feuillants), les prêtres réfractaires, les aristocrates, dans un amalgame haineux. Ils constitueront l’incarnation de la Révolution, le peuple en arme, avec bonnet rouge à cocarde, pantalon (sans culotte), usage du tutoiement et du « citoyen » préféré à « monsieur ». Les Sans-culottes vont être appelés à jouer un rôle central dans la Révolution après le

début de la guerre. Ce sont eux qui mettront à mort l’Assemblée législative et la première constitution écrite française.

Chapitre II. La naissance de la République (1792 – 1794) Section I. De l’élection de la Convention à l’adoption de la Constitution

I. La Convention et l’instauration de la République A. La chute de la monarchie

La tension causée par les revers subis par l’armée française et les vétos royaux provoquent la colère du peuple parisien. Début août 1792, le maire de Paris, Pétion, demande la déchéance du roi, ce que refuse l’Assemblée. Les Sans-culottes décident alors de prendre les choses en main : ils s’organisent, dans la nuit du 9 au 10 août 1792, en Commune insurrectionnelle qui décide aussitôt de passer à l’action. C’est la journée du 10 août, une des journées les plus importantes de l’histoire de la France. Les 400 nobles et 900 gardes suisses qui défendent le roi dans les Tuileries sont massacrés, le roi se réfugie dans l’Assemblée qui se retrouve assiégée. Sous la pression, elle prend alors une série de décrets : suspension du roi, institution du suffrage universel, élection d’une Convention (une nouvelle assemblée constituante, dont le nom est emprunté au modèle américain) et désignation d’un comité exécutif provisoire de 6 ministres (dont Brissot et Danton). Quelques jours après, Danton fait voter l’abolition sans rachat de tous les droits féodaux. Ce vote associe chute de la monarchie et fin de la féodalité, ce qui rend très difficile une restauration monarchique, qui serait, pour l’immense masse des paysans, synonyme de retour de la féodalité. Après la chute du roi, l’Assemblée est désertée par la droite, effrayée par la tournure des

évènements. C’est de ce fait la Commune insurrectionnelle des Sans-culottes qui dicte sa conduite aux députés restants. Les nouvelles catastrophiques de la guerre conduisent le peuple à une véritable hystérie qui se traduit par des arrestations et lynchages. Du 2 au 6 septembre sont ainsi massacrés par la Commune 1500 prisonniers (de nombreux prêtres réfractaires).

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L’Assemblée échoue donc, elle se sépare lamentablement le 20 septembre 1792, alors

même qu’à Valmy, en Argonne, l’armée révolutionnaire de Dumouriez et Kellermann remporte sa première victoire sur les Prussiens58. Si la victoire est sans doute stratégiquement mineure, elle a un retentissement immense en France, c’est celle d’une armée de citoyens, jeunes et expérimentés, mais libres et enthousiastes, sur l’armée d’ancien régime qui paraissait la meilleure du monde. Pour beaucoup c’est l’aube d’une nouvelle époque, d’un nouveau monde, l’ère de la République.

B. La proclamation de la République Les élections qui ont lieu à la fin de l’été 1792 ont lieu au suffrage universel masculin à

deux tours, sans condition de cens. Pourtant, la participation ne fut que de 10% (700 000 votants sur 7 millions d’électeurs, peur, ignorance, indifférence ?). Ce sont donc sans doute les plus motivés (exaltés ?) des révolutionnaires qui désignèrent les 749 membres de la Convention (conventionnels), très largement issus de la petite ou moyenne bourgeoisie, sauf quelques clercs et deux ouvriers, et tous largement favorables aux conquêtes obtenues depuis 1789, mais aussi attachés à la conservation sociale. Tous sont également, contrairement aux membres de l’assemblée législative de 1791, expérimentés (juristes, 2/5 sont des anciens constituants, la ½ ont déjà exercé des fonctions dans les administrations locales). Les premiers actes de la Convention traduisent une volonté évidente de rompre avec un

Ancien Régime que Louis XVI a lui-même condamné par sa trahison. Le 21 septembre, Collot d’Herbois fait voter que la royauté est abolie en France et le 22,

sans que la République soit officiellement proclamée, les actes officiels sont datés de l’an I de la République. Sans proclamation officielle, la République est donc établie pour la première fois en France. La Convention est chargée de donner à la France une nouvelle constitution, une

constitution républicaine. En attendant que celle-ci soit prête, la Convention devra exercer la souveraineté, gouverner la France. La situation des conventionnels est tout de suite difficile. Ils représentent une minorité de

Français, les révolutionnaires, dans un pays menacé de l’extérieur par la guerre de la coalition européenne et à l’intérieur par la contre-révolution des royalistes et catholiques et par la pression populaire du peuple parisien. Libéraux, ils rejettent les thèmes égalitaristes des sans-culottes. Pourtant, bien que minoritaires et menacés, les conventionnels sont peu protégés. Leur

protection est assurée par la Garde nationale, une armée de citoyens-soldats, pas toujours très sûrs et entraînés, et par une armée neuve, l’armée de la République, rapidement expérimentée par la guerre européenne, encadrée par un état-major renouvelé de jeunes hommes qui doivent leurs commandements à leur faits d’arme et non à leurs origines nobles, qui se révèleront rapidement excellents, permettant à cette jeune armée de rapidement remporter nombre de victoires. C’est cette armée qui deviendra la Grande armée de Bonaparte. La naissance compliquée de la République trouva son prolongement durant toute son

histoire, marquée par les coups de force, politiques, populaires, voire militaires de l’extrême-droite ou de l’extrême-gauche, jusqu’au coup de force final du général Bonaparte qui emportera avec lui la République.

58 Plus que de bataille on parle de canonnade : 20000 coups de canons seront tirés, 300 morts sont comptés du côté français, 184 pour les Prussiens. La France avancera alors jusqu’à la bataille de Neerwinden, le 18 mars 1793.

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C. Girondins et Montagnards

Très vite au sein de la Convention s’opposent plusieurs courants, autrefois à gauche de l’assemblée, mais devenus l’assemblée elle-même du fait de l’absence des royalistes. Tous sont des bourgeois, généralement originaires de province. Tous sont également de fervents révolutionnaires. Mais les personnalités fortes de leurs leaders les amenèrent à rapidement s’affronter, plus que leurs idées au final assez proches. Il s’agit d’abord de l’ancienne gauche de la législative, les Brissotins. Ils sont dorénavant

les plus modérés de la Convention, rejetés à droite et prennent le nom de Girondins, donnés par le fait que leurs leaders sont des députés originaires de la Gironde. Les Girondins, au nombre d’environ 200 députés, sont attachés à la conservation de l’ordre social, de la propriété, sont des bourgeois libéraux, attachés aux idées des Lumières. Bons orateurs, ils ne sont pas des hommes d’action Les Girondins appuient leur politique sur les administrations départementales. Ce sont

des provinciaux qui se méfient de Paris et de son peuple, ils sont de ce fait taxés de « fédéralistes » par leurs détracteurs jacobins parisiens. Leur but est la mise en place d’une république de propriétaires, de notables, assez

conservatrice de l’ordre républicain, celui de l’esprit de 1789, de la DDHC. Ils souhaitent un gouvernement énergique assurant le libéralisme économique. Leurs meneurs sont Brissot, Pétion (ancien ami de Robespierre), les Bordelais Vergniaud,

Guadet, Gensonné, les Provençaux Isnard et Barbaroux et le pasteur nîmois Rabaud Saint-Etienne. Le second courant tient son nom du fait qu’ils siègent en haut de l’assemblée, il s’agit des

Montagnards. Groupés autour de quelques anciens députés de l’extrême-gauche du temps de la Constituante ou de la Législative, ils forment la frange progressiste de la Convention, celle qui souhaite les réformes les plus audacieuses. Les Montagnards sont presque tous membres du club des jacobins. Ils forment un groupe

assez hétéroclite avec des idéalistes fanatiques (Robespierre, Saint-Just) ou plus modérés (Desmoulins), des opportunistes (Danton, Fabre d’Églantine), des démagogues aigris (Marat), des clercs extrémistes (Chabot, Billaud-Varenne) et d’autres personnalités hautes en couleurs (l’acteur raté Collot d’Herbois, le juriste Couthon dans son fauteuil roulant, Carnot, le Prussien naturalisé, qui se présentait modestement comme « ennemi personnel de Jésus-Christ » Clootz59, un modeste clerc d’avoué –Tallien-, un Provençal corrompu, Barras et même un ancien prince de sang, le duc d’Orléans, qui s’est rebaptisé Philippe-Égalité. Malgré l’hétéroclisme du courant, tous sont des révolutionnaires exaltés, proches du petit

peuple parisien (les 24 députés de Paris sont tous des Montagnards), bien plus en tout cas que les Girondins (pourtant bourgeois comme eux). Comme lui, ils estiment que le triomphe de la Révolution nécessite les mesures les plus rigoureuses, la force voire la terreur. Ils sont prêts à suspendre l’application des lois ordinaires pour permettre la mise en place d’un gouvernement efficace, une dictature qu’ils dirigeraient. Ils souhaitent la mise en place d’un gouvernement fort, parisien, cherchant l’égalité plus

que la liberté, qui doit avant tout lutter contre les ennemis de la Révolution : les aristocrates, les fanatiques (c'est-à-dire les catholiques, considérés comme obscurantistes), mais aussi les gros bourgeois, les riches par la réduction des écarts de fortune. Enfin, un dernier groupe est plus indécis, par opposition à la Montagne, ils sont appelés la

Plaine (ou le Marais) car ils siègent sur les rangs bas de l’assemblée. Comme souvent, c’est ce

59 Il est inventeur du concept de « frontières naturelles de la France ».

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groupe incertain qui a fait la politique en faisant évoluer son soutien. Il soutiendra en effet d’abord la Gironde, puis la Montagne, avant de la renverser pour exercer elle-même le pouvoir, sous le Directoire. La Plaine incarne la continuité de 1789 par son attachement à la liberté et la propriété, ce

qui la rapproche des Girondins. Mais son attachement à la Révolution lui fait prendre conscience qu’il faut avant tout abattre les ennemis de la Révolution, les Contre-révolutionnaires, ce qui les fait approuver les mesures rigoureuses de la Montagne.

D. Le procès du roi Le point final de la rupture avec l’Ancien Régime, voulue par les conventionnels est le

procès du roi. Les Montagnards sont en effet convaincus de la culpabilité du roi depuis la fuite de Varenne et la révélation de son alliance avec les puissances étrangères. Son procès (Robespierre et Saint-Just souhaitent même la mort sans procès) et son exécution seront le moyen d’en finir définitivement avec l’Ancien Régime, empêchant tout compromis entre la République et la monarchie. Les Girondins tenteront d’empêcher le procès puis la mort (y compris en proposant la condamnation à la mort avec sursis), en vain. Après un procès bâclé, le roi est condamné à mort par une faible majorité de la

Convention60 et exécuté le 21 janvier 1793. Les Girondins divisés, alors que les Montagnards ont à nouveau montré leur unité,

perdent la bataille.

II. La Constitution de l’an I (24 juin 1793) Les Conventionnels invitèrent les citoyens à proposer des projets de constitution. Ils en

reçurent près de trois cents, mais ce sont finalement deux projets principaux qui s’imposèrent, sans trop tenir compte de ces projets venus « d’en bas ».

A. L’échec des Girondins 1. Le rejet des projets girondins

Les premiers jours de la Convention sont l’occasion d’une première confrontation entre Girondins et Montagnards. Dès le 23 septembre 1792, les Girondins, qui craignent le peuple parisien, s’en prennent à ceux qu’ils considèrent comme les trois meneurs des émeutes parisiennes, les « triumvirs » ou « dictateurs », Danton, Marat et Robespierre. Craignant que ces trois meneurs tentent de s’appuyer sur le peuple parisien pour installer

une dictature, ils appellent la Convention à se protéger contre les émeutiers afin de conserver son indépendance, de ne pas subir la pression des Sans-culottes. Pour cela, ils proposent à la Convention de se doter d’une garde de 5000 fédérés venus de province. Les Montagnards réagissent, ils comprennent que c’est le rôle premier de Paris dans la

Révolution qui est attaqué. C’est la lutte de Paris contre la province. Ils accusent les Girondins de fédéralisme, de menace pour l’unité nationale. La Convention donne raison à Robespierre et ses amis, et proclame le 25 septembre que la

République est et doit rester « une et indivisible ». Les Girondins ont perdu la bataille. Dès le 20 septembre 1792, la Convention jure de donner à la France une constitution

fondée sur les principes de liberté et d’égalité. Le lendemain, Danton s’en prend même à la DDHC estimant qu’elle n’est pas sans tache.

60 Les Girondins se sont divisés entre opposés la mort (Condorcet, Lanjuinais, Rabaud Saint-Etienne) et favorables (Guadet, Barbaroux…) et favorables à la mort avec sursis (Pétion, Isnard, Vergniaud…), les Montagnards ont voté la mort du roi (y compris le cousin du roi, Philippe-Égalité).

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La Convention met donc aussitôt en place un nouveau comité de constitution chargé de

préparer la première constitution républicaine de la France et de corriger les « erreurs » de la première constitution. Ce comité est principalement composé de Girondins (Sieyès, Brissot, Pétion, Vergniaud,

Gensonné, Barère, Danton, Paine61, Condorcet62…) Le projet, rédigé par Condorcet, est présenté à la Convention en février 1793 au moment où se déclenche la guerre entre Girondins et Montagnards. Le projet proposait notamment l’élection au suffrage universel des ministres, chargés de former un comité exécutif, à côté de l’assemblée. Du fait de la crise, le projet ne vient pas à discussion et tombe dans les oubliettes de l’histoire.

2. L’élimination des députés girondins Les affrontements entre Girondins et Montagnards se multiplient en effet après la mort du

roi. La situation se complique de plus pour les Girondins avec l’évolution de la guerre. Les premières victoires de septembre 1792 leur avaient donné bon espoir que leur guerre serait un succès. Mais la mort du roi et surtout le partage de la Pologne entre la Prusse et la Russie au même moment, entraîne l’union des monarchies européennes contre la France. Au printemps 1793, les Français ont perdu toutes leurs conquêtes (Belgique et

Rhénanie)63, mais ils doivent également déplorer la trahison de leur principal général, Dumouriez, le vainqueur de Valmy, proche des Girondins, passé à l’ennemi Prussien. Enfin, dernière mauvaise nouvelle pour les Girondins, la levée en masse de 300 000 hommes exigée par la Convention en février provoque le soulèvement du nord ouest catholique du pays, à partir de la Vendée. Les Montagnards reprochent alors aux Girondins de ne pas savoir mener la guerre qu’ils

avaient voulue. La situation dans le pays est mauvaise, notamment à Paris où l’anarchie financière

provoque ses premières conséquences. Les impôts ne sont plus levés depuis 1791, la « planche à billets » des assignats a aggravé le problème. Les prix montent, le peuple a faim. La Convention décide alors de prendre des mesures d’exception, auxquelles les Girondins

s’opposent en vain : envoi en province de représentants du peuple en mission pour accélérer la levée de troupes, création d’un tribunal révolutionnaire pour juger et éliminer les suspects, création de comités de surveillance dans les départements pour lutter contre la contre-révolution, mise en place du comité de salut public pour surveiller les ministres, instauration du Maximum, prix maximal autorisé des grains et farines, emprunt forcé sur les riches. La Gironde a compris alors qu’elle était en train de perdre la partie. Elle décide de réagir

en soulevant devant la Convention la menace que fait peser sur elle le peuple de Paris, incarnée par la Commune insurrectionnelle de la capitale. Les Sans-culottes voient dans ces accusations une menace. Ils décident de réagir en assiégeant la Convention à la fin du mois de mai et en demandant notamment l’arrestation des députés girondins. La Convention ne sait trop quoi faire, elle décide de tenter de présenter un front uni aux

émeutiers en faisant une sortie groupée (mais plusieurs députés montagnards refusent de

61 Thomas Paine est né en Angleterre, il soutint les Insurgés pendant la guerre d’Indépendance américaine, ce qui lui vaut une immense popularité dans les jeunes États-Unis. Rédacteur de la Constitution de Pennsylvanie, il est ami de Condorcet et de Danton. Il figure parmi les étrangers illustres qui reçurent la citoyenneté française de la Législative (avec Schiller, Washington, Madison, Hamilton, Bentham...) 62 Dernier philosophe des Lumières, esprit brillant et polyvalent, Condorcet est un mathématicien, membre de l’Académie des Sciences. Il refusa de voter la mort de Louis XVI et se rapprocha des Girondins avant que ne se déchaîne l’opposition entre Gironde et Montagne. 63 La France avance jusqu’à la bataille de Neerwinden, le 18 mars 1793.

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suivre, dont Robespierre et Marat), mais menacée par les canons, elle rentre et vote, le 2 juin 1793, l’arrestation d’une trentaine de députés girondins, qui seront exécutés avant la fin de l’année. La Montagne a maintenant la majorité, mais cet évènement est très grave. Pour la première fois en effet le peuple parisien s’en est pris aux représentants élus de la Nation, il y a ici une désacralisation du gouvernement, des représentants qui ouvre la porte aux nombreux coups d’État ou de force qui marqueront la suite de la Révolution.

B. La Constitution montagnarde 1. La réalisation de l’idéal démocratique

Une fois les Girondins éliminés, les Montagnards se remettent au travail. La situation est à l’urgence, la guerre civile (dans laquelle les Girondins ont rejoint les royalistes pour s’opposer à la dictature parisienne64), s’ajoute à l’invasion du pays par les armées étrangères. L’élaboration d’un nouveau projet de constitution est confiée à un jeune juriste aristocrate

proche de Danton, Jean-Marie Hérault de Séchelles. Comme la constitution de 1791, la nouvelle constitution, finalement adoptée le 24 juin

1793, débute par une Déclaration des droits de l’homme, sensiblement différente de celle de 1789. La nouvelle déclaration est en effet nettement plus longue. Elle reprend les droits naturels

et imprescriptibles de 1789 (liberté, propriété, sûreté et résistance à l’oppression), mais la propriété est reléguée, sous l’influence de Robespierre, au dernier rang des droits fondamentaux. Elle leur ajoute surtout l’égalité. Cette égalité est une égalité réelle, concrète et non plus seulement une égalité juridique, comme en 1789. Cela se traduit par le droit à l’assistance pour les pauvres (art. 21) et un droit à l’instruction pour les « déshérités de la culture »65. La Constitution de l’an I, consacre la démocratie comme mode de gouvernement, une

démocratie appuyée sur le suffrage universel masculin, qui doit être le plus possible directe, dans la droite ligne de la pensée de Rousseau. Cette idée se retrouve tout d’abord dans le fait que la constitution a été approuvée par le peuple après son élaboration par la Convention, élue avec le mandat de préparer une constitution (différence avec l’assemblée nationale constituante de 1791). Elle se retrouve également dans le corps de la constitution. La procédure législative

symbolise en effet le caractère démocratique de la constitution. Celui-ci se retrouve dans la procédure de révision constitutionnelle, dont l’initiative revient, suivant une procédure assez complexe, aux citoyens eux-mêmes.

2. Le pouvoir écrasant d’une Assemblée unique La Constitution, élaborée sous l’influence de Robespierre, est d’inspiration largement

rousseauiste. La souveraineté y réside dans la nation, unie et indivisible, elle ne peut l’aliéner. La constitution instaure une démocratie : tout citoyen de plus de 21 ans dispose ainsi d’un

droit de vote, y compris lorsqu’il est né hors de France, étranger d’origine, sous certaines conditions (travailler en France, épouser une France ou y avoir une propriété…) La répartition des pouvoirs est clairement faite en faveur du Corps législatif, élu au

suffrage majoritaire. Cette assemblée, unique, domine le pouvoir exécutif, assez faible, constitué de 24 ministres désignés par l’assemblée (parmi les 83 candidats élus, un par 64 Marat est ainsi assassiné le 13 juillet 1793 par Charlotte Corday, une admiratrice des Girondins. 65 Ce qui passe par l’instruction obligatoire pendant 3 ans et en français, uniquement, pour lutter contre les particularismes locaux.

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département, par les électeurs). Elle vote les décrets et élabore les lois qui sont soumises à l’approbation du peuple (référendum législatif). La Constitution de l’an I est approuvée à une très large majorité par le peuple français en

juillet 179366, mais son application est aussitôt suspendue en raison de la guerre qui empêche aux yeux des Montagnards (et principalement de Robespierre et Saint-Just) le bon fonctionnement des institutions67. Ceux-ci considèrent que le gouvernement doit rester « révolutionnaire jusqu’à la paix » et ce n’est qu’après la paix que l’on pourra appliquer la constitution.

Section II. Le gouvernement révolutionnaire I. Les principes du gouvernement révolutionnaire

A. L’organisation du gouvernement révolutionnaire À côté de la Convention existent en effet, depuis l’automne 1792 plusieurs comités : Le

comité de sûreté générale est créé le 2 octobre 1792, le conseil provisoire (6 ministres choisis par la Convention en dehors d’elle) et le Comté de défense générale qui assure les relations entre le comité exécutif et l’assemblée (janvier 1793). À l’appel de Barère, la Convention constitue le 6 avril 1793 un comité de salut public qui

vient remplacer le comité de défense générale. Il est composé de neuf puis de douze membres désignés, en son sein, par la convention. Le Comité doit rendre compte mensuellement de son action à la Convention qui doit voter pour son renouvellement, les membres du comité sont donc politiquement responsables devant la Convention. Mais cette responsabilité est plus théorique que réelle. En effet, la Convention reconduit généralement les membres du Comité. On y trouve les plus grands noms de la Révolution : Robespierre (le 27 juillet), Saint-Just,

Danton, Marat, Barère, Couthon ont font ainsi partie. Dans le cadre du gouvernement révolutionnaire, qui se met en place au cours de

l’automne 1793, le Comité de salut public apparaît ainsi comme le véritable gouvernement de la France. Il délibère en secret, surveille et stimule l’action de l’exécutif. En pratique, il dicte ses vues à la Convention, pendant que le Comité de sûreté générale assure la police de la République, ce qui en fait le bras de la terreur. Tout puissant le Comité de salut public se voit donner pour rôle de la Convention de sauver la République. C’est ainsi le Comité qui, par la voix de Saint-Just, fait décréter, le 10 octobre 1793, à

l’assemblée que « le gouvernement sera révolutionnaire jusqu’à la paix », ce qui ne peut que renforcer le poids politique du comité. Pour Robespierre, alors que le gouvernement constitutionnel a pour rôle de conserver la

République, le gouvernement révolutionnaire doit la fonder. Les mesures prises sont à la mesure de l’objectif. Le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) dispose que la Convention est le centre

unique de l’impulsion du gouvernement. Les élections locales sont supprimées. La constitution suspendue, les libertés individuelles soumises à la liberté collective (le salut public), tous les moyens doivent être mis en œuvre pour parvenir au rétablissement de l’ordre (à l’extérieur comme à l’intérieur) et à l’instauration pérenne de la République. La Convention est en effet toute puissante, elle dispose en droit de tous les éléments de la

souveraineté. Mais elle n’exerce en fait pas le pouvoir effectif, c’est le comité de salut public organe exécutif issu d’elle-même, qui la prolonge, qui en dispose. C’est lui qui fixe la ligne de 66 Sur 7 à 8 millions d’électeurs potentiels, 2 millions votèrent oui, et seulement 11000 non. 67 Les Montagnards considèrent en effet qu’en l’état, la constitution permettrait le retour au pouvoir des royalistes et des girondins.

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conduite de la Convention. Mais il veut aller plus loin. Il est ainsi décidé que les arrêtés des représentants en mission, membre de la Convention, n’ont valeur que valeur de lois provisoires, jusqu’à leur confirmation par le Comité. En avril 1794, un nouveau pas est franchi avec la suppression du comité exécutif

provisoire, remplacé par douze commissions exécutives, aux pouvoirs limités et surtout rattachés directement au Comité de salut public Une telle organisation n’était possible que grâce à une domination politique forte d’un

parti, il s’agit des Montagnards qui, depuis l’élimination des Girondins, maîtrisent la vie politique. Mais ce courant est en fait lui-même dominé par une organisation fortement structurée, le club des jacobins. Lui-même est en fait tenu par un homme, l’Incorruptible, Maximilien Robespierre68, discret à l’aube de la Révolution, mais dont l’extrémisme démocratique le fit rapidement percevoir comme dangereux au sein de la Constituante, bien que très populaire auprès du petit peuple parisien. Avec l’élection de la Convention, Robespierre progresse, l’année passée hors de

l’assemblée lui a permit d’affermir sa popularité et de faire progresser ses idées. Son honnêteté intellectuelle, son intransigeance lui assurent le respect et l’admiration, mais également la crainte de ses adversaires. Après l’élimination de Danton, il est élu en juillet 1793 au sein du Comité de salut public,

contre sa volonté dira-t-il. Robespierre est en effet un homme d’action plus qu’un administrateur, un inspirateur plus qu’un gouvernant. Pourtant, il devint le meneur du comité de salut public, installant une dictature de fait de près d’un an, celle du Comité, la sienne.

B. La philosophie du gouvernement révolutionnaire : la Terreur et la Vertu

Les moyens pris par le Comité, véritable gouvernement de la France, pour parvenir à ses fins sont rapidement présentés par Saint-Just. Celui-ci indique que toute résistance au gouvernement révolutionnaire sera considérée comme un attentat contre la liberté publique.

L’action du gouvernement révolutionnaire s’appuie ainsi sur une législation terroriste à destination de ceux qui sont considérés comme des menaces pour la construction révolutionnaire. Cette menace est perçue très largement. Saint-Just indique ainsi qu’il faut « punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes. »

Pour Robespierre, ces valeurs doivent fonder la République, une république de petits propriétaires, dans laquelle les inégalités doivent être gommées au maximum.

68 Issu de la petite bourgeoisie provinciale, il est né à Arras d’une famille d’homme de loi. Boursier pauvre, il suit grâce aux Oratoriens de bonnes études au collège Louis le Grand à Paris, c’est alors qu’il rencontre le roi, qui ne daigne même pas le regarder alors que le jeune Robespierre vient de lire sous la pluie un hommage dithyrambique au roi. Au moment de la convocation des États Généraux, Robespierre n’est qu’un obscur avocat de province, mince, voire maigre, mais toujours très bien mis. Il se fait connaître sous la Constituante par son extrémisme qui le fait défendre, souvent seul les positions les plus progressistes et démocratiques (abolition de l’esclavage, suffrage universel). Ces positions lui permettent de connaître rapidement une grande audience, notamment dans le club des jacobins, qui devient sa tribune. Idéaliste et fasciné par Rousseau, Robespierre se sent investi d’une mission qui le conduira à sa perte, faire triompher l’égalité et la démocratie, quel qu’en soit le prix. Bien que détestant l’Ancien Régime, Robespierre est dévot, il croit en l’Être suprême qui doit donner la vertu aux pauvres. Il déteste tout autant la bourgeoisie aisée et matérialiste. Idéaliste toujours, il se veut un exemple de pureté et de vertu, ce qui, dans un monde corrompu, lui fait choisir l’honnêteté la plus parfaite et lui vaut son surnom d’Incorruptible, qui lui vaut une immense popularité dans le petit peuple parisien et la haine de nombreux conventionnels.

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Cette société n’est pas athée. Robespierre sans être catholique est déiste, il vénère l’Être

suprême dont il veut faire du culte, le culte républicain (en mai 1794 un décret affirme officiellement l’existence de l’Être suprême).

Cette philosophie pure, violente, impitoyable, intransigeante marqua l’histoire, tout

autant que la structuration partisane du gouvernement révolutionnaire. Staline s’en inspirera, s’en réclamera même ouvertement.

II. L’œuvre du Gouvernement révolutionnaire A. Le temps de la réussite (été 1793 – mars 1794)

Pour les Montagnards, il s’agit tout d’abord de satisfaire les émeutiers parisiens, qui les ont portés au pouvoir, mais qui surveillent de près leur politique. Il s’agit en d’autres termes, très rapidement de donner à la Montagne les moyens de sa réussite. Le 17 juillet 1793 sont ainsi abolis tous les droits féodaux (loi de colère), sans rachat, il

s’agit enfin d’une application parfaite de l’article 1er du décret du 5-11 août 1789. Ainsi les Montagnards s’attachaient plus fortement le soutien des masses paysannes et des bourgeois propriétaires, qui voyaient s’éloigner le spectre d’une réforme agraire. En même temps, on décide de mettre en vente en petites parcelles le patrimoine national (pour favoriser les paysans pauvres). Cette loi s’ajoute à une mesure de la fin août 1793 instituant le Grand Livre de la Dette, il

s’agit d’un registre recensant tous les titres d’emprunts en cours qu’ils soient datés de l’Ancien Régime ou de la République. Surtout ce registre ne précise pas l’origine de la créance et sa mise en place s’accompagne de la destruction de tous les titres initiaux. Ainsi, toutes les créances d’emprunt sont rattachées à la République, ce qui rattache les rentiers à la République, leur intérêt est son succès puisqu’un retour de la monarchie pourrait s’accompagner d’une annulation de leurs créances (pour caractère républicain, l’origine ne pouvant être prouvée). À cela s’ajoute la loi (27 juillet 1793) contre les accaparements qui punit de mort le marché

noir et organise la répartition des produits de nécessité (satisfaction du petit peuple urbain, à Paris et en province). Enfin, la Convention organise une levée en masse de troupes. En théorie tous les hommes

valides de 18 à 50 ans doivent rejoindre la troupe, en pratique, tous les célibataires et veufs de 18 à 25 ans le firent, donnant à la France une armée de près d’un million d’hommes, certains expérimentés, d’autres novices, mais tous enthousiastes. C’est cette armée, l’armée de la Révolution qui permit à la France de devenir la meilleure armée du monde pendant 25 ans. Au début de l’automne 1793, sous la pression des Sans-culottes, menés par Hébert, la

Terreur est mise à l’ordre du jour. Cette politique est directement dirigée contre ceux qui sont appelés les « suspects ». La loi « des suspects » du 17 septembre 1793 vient donner une application pratique au principe : tous ceux qui par leur conduite, leurs relations, leurs propos sont considérés comme ennemis de la Liberté, défenseurs de la tyrannie ou du fédéralisme relèvent du tribunal révolutionnaire (formulation vague qui permet une grande souplesse). La terreur est politique, elle est aussi économique (contre les accapareurs avec la loi du

Maximum général, qui bloque les prix et salaires et s’accompagne de visites domiciliaires organisées par la Commune de Paris) et morale (instauration du calendrier révolutionnaire le 6 octobre, qui s’accompagne d’une politique de déchristianisation, mais irrités par les excès d’athéisme, Robespierre et Danton font décréter la liberté de culte par la Convention en décembre).

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Les moyens sont rigoureux, mais les résultats suivent. Dès septembre, l’invasion étrangère

est stoppée, les Vendéens sont arrêtés (Savenay, 23 décembre) puis écrasés dans un véritable génocide (colonnes infernales de Turreau en janvier 94, dont les excès provoqueront la reprise de la guerre civile). Cependant, à la fin de l’hiver, la Montagne longtemps tellement unie se divise sur la

nécessité de maintenir la politique de Terreur. Le Comité de Salut public de Robespierre se retrouve face à deux lignes : une ligne dure, celles des Sans-culottes d’Hébert qui réclament que la Terreur soit accentuée. Ceux-ci tentent un coup de force déjoué par Robespierre qui fait arrêter les meneurs, qui sont condamnés avec quelques députés corrompus, pour trahison ou pour athéisme, et exécutés en mars 1794. L’autre ligne est modérée, c’est celle de Danton et de ses amis. Ils souhaitent la fin de la

Terreur, la paix avec l’Europe et le pardon pour les députés corrompus arrêtés (Fabre d’Églantine). Robespierre, après quelques hésitations, décide que la Terreur doit se poursuivre jusqu’à

la victoire militaire, le 30 mars (10 germinal), il fait arrêter Danton et ses amis (Desmoulins, Hérault de Séchelles…), qui sont exécutés entre le 5 et le 13 avril.

B. Le temps des questions (mars – juillet 1794) En mai 1794, Robespierre fait organiser une grande fête de l’Être suprême, c’est sa

véritable apothéose, il a atteint le sommet de sa puissance. Sans rival, il semble parvenir à ses buts, à la fondation de sa République, appuyée sur ses valeurs. En fait, même si la peur les rend discrètes, les oppositions sont présentes. Celle des

catholiques, des sans-culottes, des athées, mais également les conventionnels effrayés par les purges et vivants sous une menace permanente. La loi du 22 prairial an II (juin 1794) instaure la « Grande Terreur ». Préparée par

Robespierre et Couthon, cette loi doit permettre au Comité de salut public de châtier plus efficacement les ennemis restants (plus difficile à trouver) de la Révolution, c'est-à-dire principalement les opposants politiques : simplification et accélération de la procédure contre les « suspects » (suppression de l’interrogatoire préalable et de l’audition des témoins, disparition des défenseurs, choix pour le jury limité entre acquittement et mort). C’est une justice expéditive qui se met en place. Un mécanisme dont le but est d’envoyer au plus vite les suspects à la guillotine. Les résultats sont spectaculaires, en un mois et demi, il y a à Paris plus de 1300 exécutions.

Le peuple parisien se noie alors dans un dégoût du sang versé (on déplace la guillotine de la centrale place de la Concorde –alors place Louis XV- à la place de la Nation –place du Trône). Cette accentuation de la Terreur est pourtant mal comprise par les Conventionnels qui constatent les succès militaires (le 26 juin 1794, le général Jourdan remporte la bataille décisive de Fleurus qui rouvre la Belgique et l’Allemagne aux armées de la République). La victoire rend, à leurs yeux, la Terreur inutile. En juillet, le climat de peur est insoutenable pour les membres de la Convention qui se

sentent suspectés en permanence par le Comité, par Robespierre. C’est à la suite d’une nouvelle menace lancée à leur égard par le maître que les Conventionnels, modérés (Carnot…) aussi bien qu’ancien hébertistes (Tallien, Fouché, Barras, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne) décident d’en finir avec sa domination. Le 27 juillet 1794, 9 thermidor an II, après ce nouveau discours accusateur de Robespierre

(qui ne nommant personne, laisse planer la suspicion et la peur). La Convention fait arrêter

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Robespierre et ses amis, les membres du Comité (Saint-Just, Couthon). Le lendemain, ils sont exécutés, c’est la fin de la Terreur, la fin aussi du deuxième âge de la Révolution69. Un an après le 2 juin 1793, c’est un nouveau coup de force qui renverse le pouvoir

légitime. C’est une nouvelle fois le peuple parisien (cette fois-ci pas le petit peuple de l’est), mais le peuple bourgeois de l’ouest qui décide de l’orientation politique de la France.

Chapitre III. La République conservatrice : le Directoire (1794 - 1799)

Section I. La réaction thermidorienne (août 1794 – août 1795) I. La fin de la Terreur

Dans un premier temps, on s’attache à assurer le rétablissement de l’ordre, ce qui passe par l’élimination des derniers éléments perturbateurs : fermeture du club des Jacobins (nov. 1794), arrestation des terroristes les plus virulents ayant échappé au coup d’État de juillet (Billaud-Varenne, Collot d’Herbois70, Barère et Fouquier-Tinville…, destruction des symboles de l’époque précédente (annulation des lois les plus avancées, retrait des cendres de Marat du Panthéon…) et même des derniers Montagnards (appelés « crétois », car ils siégeaient tout en haut de l’assemblée, sur sa crête). On s’attache également à rompre avec le climat de Terreur de l’époque précédente. Le

temps est venu pour les nouveaux riches, enrichis pas l’achat des biens du clergé, et autres profiteurs de guerre, de sortir de la clandestinité pour étaler leur luxe. Les gouvernants ne sont pas les derniers à en profiter (les costumes des nouveaux gouvernants seront d’un luxe tapageurs, mais surtout le régime sera profondément corrompu). La Convention prend par ailleurs une série de mesures dans le domaine économique qui

s’inscrit également dans la rupture par rapport à l’époque précédente : suppression du maximum général, ce qui rend leur liberté aux prix. Ceux-ci flambent alors (300% d’inflation en trois mois de l’hiver 1794-1795 sur certaines denrées alimentaires) tandis que la valeur des assignats s’écroule définitivement (en mars 1795, les assignats n’ont plus que 8% de leur valeur initiale). Dans le même temps, la Convention décide, pour faire des économies, de ne plus faire

aucun frais dans le domaine des cultes. Ce qui revient à révoquer l’accord qui avait permis la saisie des biens du clergé. On instaure ainsi dans la plus grande malhonnêteté la séparation de l’Église et de l’État.

II. Conservatisme et République La situation économique désastreuse explique les tensions sociales qui se font fortes au

printemps 1795. Le 1er prairial an III (20 mai 1795), une foule issue du petit peuple parisien envahit la Convention pour réclamer de quoi manger. La Convention fait alors appel à la Garde Nationale (dont les éléments les plus modestes

ont été exclus, et qui est donc redevenue comme en 1789 une Garde bourgeoise) pour la

69 Alertés par la mise en accusation de Robespierre, la Commune et les Jacobins décident de venir en aide à leur idole et ses amis. Ils les libèrent et les amène à l’Hôtel de Ville, mais Robespierre, voulant respecter la légalité, refuse l’appel aux armes pour le défendre. La Convention le déclare alors hors la loi, ce qui la dispense d’un procès. Barras est chargé de la force armée pour s’en emparer et attaque l’Hôtel de Ville, il le prend dans la nuit du 9 thermidor, il trouve Robespierre ensanglanté pour avoir tenté de se suicider. Robespierre et ses amis sont guillotinés le lendemain matin (au total 108 exécutions) 70 Tous les deux sont condamnés à la déportation en Guyane (la « guillotine sèche ») : Collot d’Herbois y meurt de la fièvre (1796), Billaud-Varenne survit à quatre ans d’emprisonnement, Bonaparte le graciât mais il décide de rester en Guyane où il devient agriculteur. Il ne quitte la Guyane qu’en 1816 avec la Restauration, il part alors pour Haïti où il mourra.

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défendre. Celle-ci disperse les émeutiers et, dans les jours qui suivent, s’emploie à désarmer le petit peuple parisien. Ainsi est brisée la dernière insurrection populaire parisienne de la Révolution. Il faudra attendre 1830 pour que le peuple parisien joue de nouveau un rôle politique de premier plan. La réaction conservatrice de la Convention provoqua le réveil des monarchistes. Ceux-ci

considérèrent que la Convention leur est moins défavorable et que l’affaiblissement de celle-ci après thermidor pourrait leur permettre de revenir aux affaires. Avec l’annonce de la mort du jeune Louis XVII (8 juin 1795), le chef de file des monarchistes devient le frère de Louis XVI, Louis XVIII, qui a émigré lors de la fuite de Varenne. Celui-ci affirme alors ne concevoir le retour de la monarchie que dans le cadre absolutiste et menace les régicides (la majorité des Conventionnels). Cette déclaration (de Vérone) marque une rupture définitive. Monarchistes et

Conventionnels, dans le cadre des conceptions de Louis XVIII ne peuvent s’entendre. Les Conventionnels sont condamnés à faire triompher la République, sous peine de mort (en cas de retour des monarchistes ou même d’émigration dans un des pays alliés de Louis XVIII). Les monarchistes tentent alors un débarquement en Vendée, mais l’opération, mal préparée, est repoussée (fin juin 1795). Pour les monarchistes, il reste alors l’espoir de parvenir au pouvoir par les urnes. Les

Conventionnels qui ont cherché à s’appuyer avant tout sur les conservateurs du pays, s’exposent à une défaite électorale face aux monarchistes. Afin de l’éviter, ils prennent, peu avant l’élection le décret des deux tiers. Celle-ci prévoit que les deux tiers des 750 députés devront être choisis par les électeurs

parmi les Conventionnels déjà en place et, si cette proportion n’est pas atteinte, ce sont les Conventionnels réélus eux-mêmes qui désigneront les députés manquant pour parvenir à 500 députés maintenus. Cela revenait (du fait des purges de la Terreur) à reconduire à la quasi-totalité des conventionnels et donc à barrer la route du pouvoir aux monarchistes. Les monarchistes comprennent alors que leur seul recours est la force. Un coup de force

est tenté, en vain, contre la Convention, ce qui pousse les Conventionnels à donner les pleins pouvoirs à un ancien montagnard, devenu un des chefs de file du coup d’État de Thermidor, le Conventionnel varois Paul Barras, homme de gauche, aux mœurs dites dissolues, adepte de la corruption. Cette désignation provoque la crainte des modérés de voir renaître la dictature

montagnarde. La tension est de nouveau forte. Barras décide pour y mettre fin de faire appel à deux jeunes généraux réputés pour leur jacobinisme. Le premier est le général corrézien Guillaume Marie-Anne Brune, âgé de 32 ans. Proche

de Danton (comme Barras), Brune avait été un des hommes de main des Montagnards contre les Girondins. Il est rapidement chargé par Barras de pacifier le Midi (Gard, Vaucluse et Drôme, où règnent la Terreur blanche). Le second est le jeune général corse Napoléon Bonaparte (âgé de 26 ans seulement) qui

s’est notamment illustré dans la libération de Toulon, bloquée par la flotte anglaise, où il avait déjà servi Barras. Proche du frère de Robespierre, Bonaparte avait été mis à l’écart en 1794. Mais Barras se souvient de ce fervent jacobin en 1795. Bonaparte est alors chargé de réprimer l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), qui visait à forcer la Convention à renoncer aux décrets sur les élections. Bonaparte fait alors tirer au canon sur les 25000 insurgés royalistes et gardes nationaux. 300 tombent, l’insurrection se disperse. Bonaparte en obtient le surnom de général vendémiaire et une grande réputation de défenseur de la République. Il reprend là sa brillante carrière, qui ne sera plus arrêtée.

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Pour parvenir à se libérer du peuple parisien et à se défendre des monarchistes, la

Convention a du faire appel à l’armée. Cette alliance se révèle vitre très dangereuse puisque d’otage des Sans culottes, la Convention devient otage de l’armée et de ses jeunes et populaires généraux. Cette alliance dangereuse porte néanmoins rapidement ses fruits. La France parvient en

effet à vaincre la coalition européenne71, obtient que sa frontière soit portée aux Alpes et au Rhin (frontières naturelles). Il reste donc à rétablir l’ordre institutionnel.

Section II. La Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795)

Les Thermidoriens, nom pris par les auteurs du complot qui visa la chute de Robespierre, étaient unis dans leur peur et leur haine de l’Incorruptible, beaucoup moins sur ce qu’il fallait faire du pouvoir une fois celui-ci conquis. En effet, le groupe comprenait des membres de la Plaine, qui avaient soutenu la politique

montagnarde puis avaient retourné leur veste, effrayés par les excès de Robespierre (Barère, Cambacérès, Boissy d’Anglas, Sieyès…), quelques rescapés des purges de Robespierre : Dantonistes, Girondins et même quelques Montagnards, anciens Terroristes craignant que leurs corruption ou excès soient sanctionnés par le dictateur (Tallien, Barras, Fouché…) Tous veulent la stabilisation de la République, grâce aux victoires militaires et à la réconciliation française. C’est sur les modalités que l’accord est moindre. Pour les uns, il fallait revenir à la Constitution de l’an I, voire maintenir le gouvernement

révolutionnaire, mais sans la Terreur, pour les autres (adversaires des Montagnards), il fallait revenir sur la Constitution de l’an I. C’est finalement cette seconde option qui s’impose, ce qui implique de modifier la

Constitution de l’An I. Les travaux de la commission de préparation de la constitution (dite commission des Onze) débouchent sur un projet largement inspiré par Sieyès et nettement différent de la constitution de l’an I. La constitution préparée par la Commission des Onze (menée par le Girondin Pierre

Daunou) est votée par la Convention le 22 août 1795. Elle est très longue.

I. Les précautions prises à l’égard des revendications démocratiques D’entrée de jeu, les Thermidoriens ont entendu revenir sur les principes démocratiques

(ce dont ils se défendent d’ailleurs)72. Ils le font en faisant précéder la constitution d’une déclaration des droits de l’homme, ce qui est habituel, mais également d’une déclaration des devoirs de l’homme, qui traduit la volonté de revenir à l’ordre après les abus du début de la Révolution. La déclaration des droits consacre, de manière très classique, la liberté, l’égalité, la sûreté

et la propriété, conciliant ainsi 1789 et 1793 (égalité), la souveraineté réside toujours dans l’universalité des citoyens, pourtant, le suffrage est censitaire et plus limité encore qu’en 1791. Il faut remarquer que, par rapport aux déclarations précédentes, la déclaration de l’an III s’attache à définir précisément les concepts. Il est ainsi notamment précisé que l’égalité est exclusivement juridique (même si l’égalité est intégrée dans les droits naturels, on en revient à 1789)73.Conséquence de cela, les aspects sociaux de la déclaration de 1793 disparaissent (assistance, éducation…)

71 Sauf l’Autriche, qui est plus préoccupée par la Pologne, et l’Angleterre, préoccupée par sa crise financière. 72 Ainsi, Boissy d’Anglas indique que la commission a cherché dans la constitution de l’an I tout ce qui pouvait être conservé, mais n’y a trouvé que des instruments susceptibles de servir l’avidité des hommes. 73 L’égalité est ainsi définie par l’égalité devant la loi

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Celle des devoirs se présentent comme la condition du maintien de la société, elle est

basées sur deux principes : « ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit. » et « faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir ». Enfin, l’accès à la citoyenneté est assez limité : tout Français n’est pas citoyen, par contre

tout citoyen est nécessairement français.

II. Le morcellement des pouvoirs pour empêcher toute dictature A. Le morcellement du pouvoir législatif

Pour les Thermidoriens, la cause principale des malheurs du gouvernement révolutionnaire était la toute puissance de la Convention, assemblée unique. Ils décident donc d’en finir avec cette assemblée unique et d’instaurer (pour la première fois en France74) le bicaméralisme, sur le modèle anglais. Ainsi est prévue un Conseil des Cinq-Cents, formé de députés d’au-mois 30 ans,

disposant de l’initiative des lois. La seconde assemblée est le Conseil des Anciens (250 membres), ouverts aux députés

d’au-moins 40 ans, qui vote les lois. Celui-ci vote ou rejette les lois, il ne peut les modifier, les amender. Identiques en pouvoir, les deux chambres sont renouvelées par tiers tous les ans (pour

éviter des brusques changements de majorité, toujours le conservatisme) et comprennent des députés qui, bien qu’élus au niveau des départements sont, tous, censés représenter la Nation dans son ensemble. Ils ne peuvent donc recevoir de mandat impératif de leurs électeurs, deux principes qui sont encore à la base de notre droit constitutionnel actuel. Les élections, comme en 1791, sont censitaires (avec un cens plus élevé qu’en 1791), ce qui

tend à renforcer le caractère conservateur du régime (majorité à 25 ans et non plus à 21). Ces restrictions font que le corps électoral se limite à 30000 hommes contre 7 millions en 1793 (propriétaires, fortunés, attachés à la conservation sociale). Durée limitée et division du pouvoir sont donc les maîtres mots de l’organisation du

pouvoir législatif, les moyens trouvés pour l’affaiblir après sa toute puissance pendant la Convention.

B. Le morcellement du pouvoir exécutif Au niveau de l’exécutif, le principe de division est le même. L’exécutif est ainsi confié à

une commission exécutive, un Directoire (ce qui donna son nom au régime), constitué de cinq directeurs nommés par le Conseil des Anciens sur la base d’une liste constituée par le Conseil des Cinq-cents. Les Directeurs sont nommés pour cinq ans (mais, pour le premier mandat, chaque année, l’un d’eux, tiré au sort, est remplacé). Ils disposent de la force armée et du pouvoir réglementaire, ils nomment et révoquent les

ministres. La Constitution prévoit que les directeurs ne peuvent dissoudre les assemblées et ne

peuvent pas être renversés par les Conseils. De même qu’en 1791, c’est donc une séparation rigide des pouvoirs qui est mise en place, et ce d’autant plus que la réforme de la constitution est extrêmement compliquée à obtenir. Une telle séparation rigide, stricte, est évidemment susceptible de conduire à un blocage institutionnel en cas de mésentente entre les deux pouvoirs.

Section III. Le coup d’État permanent (1795 – 1799) I. Les soubresauts du régime

A. La menace jacobine

74 Celui-ci devient alors une constante de l’histoire constitutionnelle française (sauf entre 1848 et 1851)

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Le mauvais fonctionnement du régime est la conséquence de cette construction

constitutionnelle, mais également de la difficulté des Conventionnels à faire face aux deux dangers que Robespierre, en son temps, avait eu à affronter : la Contre-Révolution à droite et l’ultra-jacobinisme à gauche. Les directeurs cherchèrent à y faire face par la force, les coups de force ou d’État sont très fréquents (annuels). Ils sont permis par l’armée, étroitement liée au régime dès sa naissance. Les premières menaces pour le Directoire viennent de la gauche. Elles sont causées par la

situation financière désastreuse, que les mesures libérales de Thermidor n’ont pas arrangée. Les assignats ne valent plus rien. En 1797, le retour de la monnaie métallique ne change rien à la crise financière. La crise financière pèse alors sur les charges de l’État. Le Directoire décide que les dettes

de l’État, inscrites dans le Grand Livre de la Dette ne seront pas totalement assumées. C’est la banqueroute des deux tiers, en effet le Directoire décide de répudier les deux tiers de ces dettes, les prêteurs ne recouvreront donc pas leurs prêts, à hauteur tout au moins des deux tiers. À la fin de l’année 1797, la France est donc en perdition du point de vue financier. La

Révolution, qui a éclaté pour des causes largement financière a donc échoué à y faire face. Les conséquences sont évidemment désastreuses sur le petit peuple, qui redécouvre la famine, la surmortalité, même dans les villes. Un homme va se faire le porte-parole du mal-être populaire, il s’agit du journaliste

François-Noël (dit Gracchus) Babeuf75. Homme d’action plus que de théorie, le programme politique de Babeuf est assez simple,

voire simpliste, il s’agit d’organiser la collectivisation des terres, par la destruction de la propriété privée individuelle, pour assurer la parfaite égalité, l’égalité réelle, et non seulement l’égalité juridique de la DDHC, et donc le bonheur commun.

D’abord favorable à une action légitime, à une installation du communisme (par la voie légale, il est poussé vers l’action violente à la suite de l’interdiction de son journal (le Tribun du Peuple) et de son groupe de réflexion (le club du Panthéon, fermé par Bonaparte et Brune). Ayant compris que ses idées ne pourraient triompher par les voies légales, étant interdites, il créé avec quelques proches la Conjuration des Égaux, « premier parti communiste » (Marx), secret mais bien installé dans tous les arrondissements parisiens et les principales villes de province. Le but de la Conjuration est de continuer la Révolution, qui a été arrêtée, considère-t-il,

avec Thermidor, pour aboutir au communisme, but qui ne peut être atteint que par l’insurrection qu’il prépare. Celle-ci débouchera sur une dictature qui préfigure la dictature du prolétariat (temporaire, impersonnelle, appuyée sur l’armée), avant l’établissement de la démocratie (rétablissement de la Constitution de l’An I) et finalement du communisme. Eventé par un conjuré indicateur de la police, la conjuration est démantelée, Babeuf arrêté

le 2 mai 1796. Condamné à mort, il tente de se suicider à coup de stylet et est conduit mourant sous la guillotine. Peu avant sa mort éclate une insurrection (ou une manœuvre du gouvernement), visant à

entraîner une partie de l’armée dans le mouvement babouviste/jacobin. Malheureusement

75 Journaliste, plus un homme d’action qu’un théoricien. Proche de Marat mais particulièrement extrême dans ses idées, ce qui lui vaut plusieurs incarcérations. Partisan de Robespierre, il condamne la réaction thermidorienne avec un grand succès pour ses journaux, notamment le Tribun du peuple. C’est à cette époque qu’il prend le prénom de Gracchus en hommage aux Gracques qui avaient voulu réaliser la réforme agraire à la fin de la République romaine.

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(et comme par hasard) pour la centaine d’insurgés, au camp de Grenelle qu’ils visaient se trouvait le général Brune, qui fait échouer leur projet. Le Directoire et, en son sein principalement le directeur (et ancien terroriste, membre du

Comité de Salut Public, avant de se retourner contre Robespierre) Lazare Carnot se saisit alors de l’affaire pour liquider l’opposition de gauche, éliminant au passage trois anciens conventionnels montagnards. Ainsi le Directoire débarrassa la République du péril égalitariste, l’imposant comme un

régime conservateur, une nouvelle fois avec l’aide de l’armée.

B. La menace royaliste L’écrasement de l’extrême gauche redonna espoir aux royalistes. Ceux-ci ont compris

qu’il n’y avait pas d’autre solution pour eux que de faire avec les membres « perpétuels » des assemblées et leurs modes électoraux, qui leur sont très défavorables. Un groupe se forme néanmoins autour du général Pichegru et du diplomate modéré François Barthélémy. Ce groupe, sans être soutenu par Carnot, est permis par l’orientation droitière de sa politique. Ces royalistes sont des modérés. Ils souhaitent en effet la restauration de la monarchie

constitutionnelle, celle de 1791, et non le retour à l’Ancien Régime, ainsi que la paix avec les monarchies européennes. Cette modération leur pose problème. Les successeurs légitimes de Louis XVI, depuis la mort de Louis XVII, sont trop intransigeants pour être acceptés par les Français. L’autre candidat, le jeune Louis-Philippe d’Orléans, est déshonoré par son père régicide, Philippe-Égalité. Aux élections de mars-avril 1797, les royalistes remportent un large succès. Ils bénéficient

de leur image pacifiste et sont perçus comme les restaurateurs de l’ordre. La République étant encore associée à la Terreur et à la guerre (intérieure et extérieure). Ainsi, su 216 sortants, seulement 11 sont réélus, 170 royalistes sont élus. Ils pèsent alors de tout leur poids sur les conseils dans lesquels ils parviennent à construire une majorité qui leur offre la présidence des deux Conseils et l’entrée de l’un des leurs au Directoire (Barthélemy). La majorité royaliste entend aussitôt revenir sur les lois les plus extrêmes (lois concernant le clergé) et éliminer les plus jacobins des ministres. Dès la fin mai 1797, trois des directeurs (Barras, Reubell et La Réveillère) décident

d’organiser un coup de force devant renverser la majorité royaliste. Ils contactent Bonaparte qui est retenu en Italie où il dirige l’armée aux prises avec l’Autriche. Bonaparte leur envoie un de ses lieutenants, Charles Augereau, aussitôt nommé commandant de la division militaire de Paris Dans la nuit du 17 au 18 fructidor an V (4-5 septembre 1797), les troupes d’Augereau

occupent Paris, Pichegru et Barthélemy sont arrêtés, tandis que Lazare Carnot prend la fuite. Dans la foulée, les quelques députés qui ont été trouvés décident de casser les élections dans 49 départements (ce qui concerne 198 députés, que l’on dira « fructidorisés », dont un certain nombre sera déporté en Guyane, de même que Barthélemy. Aussitôt s’engage un durcissement politique, vers la gauche : restauration de la législation

de la Terreur contre les émigrés (qui étaient revenus nombreux en France après Thermidor) et les prêtres réfractaires. Sont exécutés une centaine d’émigrés rentrés au pays, tandis que près de 2000 prêtres sont déportés76. La censure de la presse est restaurée. L’armée a donc, encore une fois, sauvé la République et surtout les directeurs

« perpétuels ». La survie du Directoire est donc placée entre les mains des généraux. La constitution de 1795, an III, est donc un échec.

76 Notamment au désert de Sinnamary où le taux de mortalité est de plus de 50%, Barthélemy y fut envoyé, mais parvint à s’évader et à gagner la Guyane hollandaise.

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II. Le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) Pendant les évènements parisiens, Bonaparte poursuit sa carrière. Il a été nommé par

Barras pour dirigé une offensive secondaire contre l’Autriche en Italie. Pendant que les armées principales (Jourdan et Moreau) attaquent l’Autriche dans l’Est de la France et en Allemagne et Suisse, l’armée de Bonaparte doit tenter d’ouvrir un second front en Italie du Nord pour affaiblir les positions autrichienne du Rhin. En fait, le génie du jeune général va lui permettre de faire de son offensive l’offensive

principale qui conduira les Autrichiens à l’armistice et à la paix de Campoformio (17 septembre 1797) que Bonaparte signe lui-même. Il faut dire qu’il s’est comporté pendant toute la campagne d’Italie en véritable chef d’État, traitant directement avec l’ennemi, mais également avec les républiques italiennes (promettant l’indépendance à Venise). Le Directoire tolère ces abus de positions car il a trop besoin de Bonaparte. Protégé par Barras, Bonaparte est, à la fin de l’année 1797, le général le plus populaire à

Paris. Il se permet alors d’entrer en contact avec Sieyès pour envisager de quelle manière modifier les peu satisfaisantes institutions. Les élections d’avril-mai 1798 doivent renouveler plus de la moitié des Conseils (les

fructidorisés n’ayant pas été remplacés). Les royalistes ayant abandonné la partie, ce sont les jacobins qui s’imposent largement. Les Directeurs avaient néanmoins préparé la réponse à la menace que pouvaient faire peser une majorité jacobine défavorable. Appuyant sur les scissions au sein du mouvement, ils obtiennent, le 11 mai 1798 (22 floréal an VI) l’invalidation de 106 élus jacobins (floréalisés). Les jacobins entrent alors dans l’opposition extra-parlementaire au régime dont ils

soulignent la corruption et l’enrichissement des dirigeants. Ils le font d’autant plus facilement que la politique internationale agressive de la France (républicanisation des pays « libérés » provoque la formation d’une nouvelle coalition anti-française à laquelle la France ne parvient pas à faire face. Assez vite, les défaites s’accumulent et les Français perdent toutes leurs conquêtes italiennes, le spectre de l’invasion réapparaît. En effet le Directoire ne peut compter sur Bonaparte, parti (encouragé par les Directeurs, qui commençaient à le trouver encombrant) combattre les Anglais (qui n’avaient pas signé la paix depuis le début de la Révolution) en Egypte, sans grand succès, ni sur Brune (retenu en Hollande), ni sur les principaux généraux de l’armée révolutionnaire, qui ne cachent pas leur sympathies jacobines (Augereau, Jourdan, Bernadotte, Joubert, Masséna…) Devant l’impuissance et la totale perte de crédibilité du régime, l’idée de révision de la

constitution fait son chemin. Cette orientation est matérialisée par l’élection de Sieyès, qui n’a jamais caché son hostilité à la constitution de l’an III et dont le rappel de son ambassade à Berlin, a été perçu comme la reconnaissance de la nécessité de réforme constitutionnelle. Aux élections de 1799, les jacobins remportent une nouvelle victoire contre laquelle les

Directeurs n’osent (ou ne peuvent, faute d’un appui militaire) rien faire. Les jacobins passent alors à l’action le 29 prairial an VII (17 juin 1799) en contraignant deux directeurs à la démission et invalidant l’élection d’un troisième. Sieyès fait alors élire trois obscurs proches, tandis que l’inusable Barras parvient à se maintenir. Sieyès provoque en plus une purge parmi les ministres, éliminant les plus corrompus et installant ses amis (l’ancien terroriste Fouché à la police, Cambacérès à la justice, Bernadotte à la guerre). Le club des jacobins se reconstitue, on croit revivre l’été 1793.

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Les Jacobins font alors voter des lois violentes, notamment à l’égard des émigrés (loi des

otages, votée le 12 juillet77). En effet, même si le Directoire est parvenu, en reconstituant une administration fiscale, le climat en France est mauvais, à cause d’un très fort brigandage, dont les Jacobins rendent les royalistes responsables. Les Jacobins, se croyant en 1793, alimentent la haine et la division dans un pays qui aspire

à présent à la stabilité, au retour de l’ordre et de la paix, dans la consolidation des acquis de 1789. Fouché comprit cet état de fait et le danger que faisait peser sur le régime les jacobins, il ferme le club dès le mois d’août. Dans le même temps, Sieyès confie qu’il est à la recherche d’un « sabre », d’un général, un

homme fort, pour renverser ce régime corrompu et inefficace, pour sauver la République. Évitant les jacobins, ne pouvant compter sur Brune et Bonaparte, hors de France, il le trouve en Moreau78. Moreau accepte sans grand enthousiasme, lorsque le 9 octobre, on apprend que Bonaparte, abandonnant son armée en Egypte a réussi à traverser le blocus anglais et débarque en France. Moreau alors cède bien volontiers sa place79. Sieyès prépare alors un coup d’État qui doit permettre d’en finir avec le Directoire pour

lui permettre d’installer la Constitution qu’il souhaite. Lui qui a commencé la Révolution entend être celui qui la finira. Les conjurés ont monté un coup bien réfléchi. Ils font peser la menace un complot jacobin

aux Conseils pour les éloigner de Paris et les réunir à Saint-Cloud, plus accessible à l’armée et éloignée de possibles réactions du peuple parisien. Les Conseils déménagent le 18 brumaire (9 novembre) sont alors placés sous la protection du général Bonaparte. Le même jour, Barras (acheté par les conjurés) quitte Paris, Sieyès et son compère Roger-

Ducos démissionnent de leur poste de directeur tandis que les deux derniers directeurs sont arrêtés. Il n’y a dès lors plus de Directoire. À Saint-Cloud se joue le deuxième acte, le 19 brumaire. Mais les choses risquent alors de

mal tourner. Interrogé par les députés non complices, Bonaparte perd son sang-froid. Il est alors sauvé d’une mise en accusation (comme Robespierre l’avait été) par l’habileté de son frère Lucien, président du Conseil de Cinq-cents, qui suspend la séance au moment où certains députés tentaient de s’en prendre physiquement au général. Les soldats commandés par Murat, appelés à l’aide par Lucien, investissent la salle pour protéger le général80. S’en suit une débandade ridicule durant laquelle les députés s’enfuient (dans leurs beaux habits chamarrés et empanachés) dans le jardin du château. Il n’y alors plus de Conseils. Il reste donc à conclure la pièce. On trouve quelques députés volontaires pour voter le

remplacement du Directoire par une Commission de trois consuls (Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos), chargée de modifier la constitution. C’est la fin du Directoire. Doit lui succéder une République fondée sur un exécutif fort capable de conserver les acquis de 1789. Sieyès croyait avoir trouvé en Bonaparte un homme malléable susceptible d’obéir à ses projets institutionnels. Au lieu de ça, il trouvera un homme autoritaire et intelligent qui aura tôt fait de le reléguer dans un placard doré et d’installer une nouvelle monarchie.

PARTIE II. LES EXPÉRIMENTATIONS MONARCHIQUES (1799 – 1848) Chapitre I. Le Césarisme (1799 – 1814)

77 Elle consiste dans le fait que tous les parents d’émigrés, les nobles et les parents de « contre-révolutionnaires » pourront être pris en otage par le gouvernement qui se réserve le droit d’en déporter 4 pour chaque assassinat de fonctionnaire, militaire ou acheteur des biens nationaux. 78 Il avait d’abord voulu contacter Joubert, mais celui-ci se fait tuer en Italie, à Novi, le 15 août. 79 Il dit à Sieyès : « Voilà votre homme, il fera votre coup d’État mieux que moi. » 80 Murat : « Foutez-moi tout ce monde dehors »

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Le terme césarisme n’apparaît qu’en 1853 pour désigner le gouvernement de Napoléon

III, mais il est incontestable que le modèle en est fourni par Napoléon Ier. Il s’agit d’un régime politique fondé sur la légitimité charismatique d’un homme, tel Jules César, à la fin de la République romaine. Légitimité avant tout fondée sur la compréhension par le César des attentes du peuple. Bonaparte construit en effet son régime en tenant compte des besoins du pays, mais

également de l’enseignement du passé, il conserve le meilleur, adopte ce qui a fait ses preuves, abandonne le reste. C’est le triomphe du pragmatisme, à la lisière de la démagogie, contre la théorie, l’idéologie. Le Césarisme, comme plus tard le fascisme, est avant tout une action et non une doctrine.

Section I. La Révolution confisquée

I. Le Consulat A. La constitution de l’an VIII

Le 24 frimaire an VIII (15 décembre 1799), les trois consuls proclament : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie. » Il est donc hors de question de revenir sur les acquis révolutionnaires, ceux de 1789. Il est par ailleurs maintenant temps d’installer un pouvoir stable, durable, en finir avec l’insécurité politique qui a caractérisé la Révolution. La Constitution « républicaine » de l’an VIII s’inscrit dans cette logique. Deux jours avant a été adoptée cette constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre),

ratifiée par referendum (3 millions de oui, 1562 non), -après avoir été mise en application. Sur la base d’un projet préparé par Sieyès, mais largement modifié par Bonaparte, elle est « courte et obscure », ce qui doit laisser une grande liberté d’action au pouvoir. Elle se caractérise en effet par un renforcement de l’exécutif et le maintien d’un législatif faible.

1. Le retour d’un exécutif fort Bonaparte considère que la stabilité de l’organisation politique ne peut passer que par

l’existence d’un pouvoir exécutif fort. Dans le même ordre d’idée, il est évident que le pouvoir doit être concentré. En théorie, il

y a donc trois consuls, nommés pour dix ans, rééligibles (sans limitation), puis nommés à vie (1802). Ces consuls sont désignés par la constitution, il s’agit de Bonaparte, Premier consul, de Cambacérès, second consul et de Lebrun, troisième consul (royaliste modéré nommé surtout en raison de ses compétences financières) En pratique, c’est le Premier consul qui détient l’effectivité du pouvoir. En effet,

contrairement donc au roi constitutionnel ou aux commissions exécutives de la Révolution, Bonaparte entend gouverner. Il n’est donc pas simplement chef de l’administration ou de l’exécutif. Il est l’incarnation du gouvernement de la France. Compétent pour mener la politique intérieure tout autant que la défense à l’extérieur du pays. S’il est entouré de ministres, ceux-ci n’ont qu’un rôle de conseiller, préparant les dossiers,

le Premier consul ayant seul le pouvoir de décider. Le Premier consul dispose, seul, du pouvoir d’initiative et de promulgation de la loi,

nomme les ministres et les principales fonctions publiques (administratives, militaires et juridictionnelles). À ce niveau, les autres consuls n’ont qu’une voix consultative. Il dispose également du pouvoir réglementaire (application des lois) Au niveau de la politique étrangère, il a un pouvoir sans limite pour négocier les traités,

déclarer et mener la guerre, en dirigeant personnellement les armées. En pratique donc, c’est le seul Premier consul qui domine l’exécutif et exerce l’essentiel de

ses pouvoirs. Il concentre le pouvoir entre ses mains. Ces pouvoirs seront même renforcés

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après thermidor an X (août 1800) puisqu’il obtient le pouvoir de choisir les deux autres consuls, désigne son successeur, exerce le droit de grâce… Les consuls sont assistés dans leurs fonction par un Conseil d’État qui a, principalement

pour fonction de conseiller les consuls, exercer la justice administrative, rédiger les lois et les présenter aux assemblées. Ses membres sont désignés par le Premier consul. Le Conseil d’État est donc fortement

soumis à Bonaparte, qui le préside.

2. L’affaiblissement du législatif Bonaparte considère qu’un grand pouvoir laissé aux assemblées est une cause

d’affaiblissement de l’organisation politique. Il considère de plus, en disciple de Rousseau, que les assemblées faussent les rapports entre le gouvernant et le peuple, qu’elles trahissent la volonté du peuple en la reformulant. La concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif et plus particulièrement du

Premier consul implique évidemment l’affaiblissement du pouvoir législatif, des assemblées. Celles-ci se voient reléguées à un statut de chambres d’enregistrement des décisions du Premier consul. Cet affaiblissement est accentué par le maintien du bicaméralisme. Le Tribunat (100

membres 25 ans, renouvellement par 5e tous les ans) discute et adopte les projets de lois, le Corps législatif (300 membres d’au moins 30 ans, renouvelés par 5e tous les ans) est chargé de voter les lois, sans les discuter, sans pouvoir les amender. Cette impuissance du Corps législatif, simplement appelé à voter (au scrutin secret) pour ou contre le projet, l’a fait appelé « corps des muets » Ainsi la procédure législative est très divisée, faisant intervenir de nombreuses instances :

le Premier consul (qui a l’initiative), le Conseil d’État qui prépare, met en forme le projet, le Tribunat, qui le discute sur cette base de travail et émet un vœu favorable ou non, enfin le Corps législatif, qui adopte ou rejette le projet Afin d’affaiblir encore le législatif, les consuls se réservent le pouvoir de prendre des

décrets-lois, dans les domaines prévus constitutionnellement comme relevant de la loi. La procédure d’adoption de ces décrets-lois, beaucoup plus rapide, légère, efficace, explique leur succès rapide. Enfin, à côté des chambres législatives, Sieyès, poursuivant l’idée de la jurie

constitutionnaire de ses opuscules du début de la Révolution, souhaitait la mise en place d’une assemblée conservatrice (appelée Collège des conservateurs) chargée de protéger la constitution et les institutions. En mettant notamment en accusation toute personne enfreignant la constitution, menaçant la République. Bonaparte qui sent qu’une telle institution était directement dirigée contre lui évite qu’elle

soit consacrée par la Constitution. Il obtient qu’elle soit remplacée par un Sénat (inspiration romaine, mode de l’Antiquité81), formé de 80 membres d’au moins 40 ans, inamovibles, nommés à vie, par cooptation, et inéligibles à toute autre fonction publique. L’âge a été choisi afin de ne pas absorber Bonaparte, mais de pouvoir absorber Sieyès et Roger-Ducos, qui furent les premiers nommés, ce qui permettait à Bonaparte de se débarrasser d’eux (ils sont remplacés par Cambacérès et Lebrun). Ce Sénat qui nomme les consuls ainsi que les membres du Tribunat et du Corps législatif,

joue surtout le rôle de cour constitutionnelle puisque le Tribunat peut lui transmettre un

81 Qui se retrouve dans l’organisation politique (Sénat, Tribunat, Consuls, Empire).

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projet de loi dont il doute de la constitutionnalité. Le Sénat va en déduire un pouvoir d’interprétation de la constitution, qui confine à un pouvoir constituant, ce à quoi l’encouragea le Premier consul. Le Sénat dispose pour agir, du pouvoir de prendre des sénatus-consultes, par lesquels il

modifie la constitution. C’est ainsi qu’il proclame le consulat à vie (14 et 16 thermidor an X – 2 et 4 août 1802), décision ratifiée par plébiscite. Cette révision constitutionnelle renforce de plus les pouvoirs du Sénat, qui se voit reconnaître officiellement le pouvoir d’interpréter et modifier la constitution (par sénatus-consulte) et obtient en outre le pouvoir de dissoudre les Assemblées, sur demande des consuls, d’annuler les jugements attentatoires à l’État. Très fragmenté, le pouvoir législatif est, de plus, par la composition des assemblées très

largement soumis au Premier Consul.

B. Le césarisme républicain Les auteurs du Coup d’État sont environ 500 personnes, élus à la Convention en 1792, qui

ont subi la Terreur, éliminé Robespierre, gouverné la France pendant le Directoire, échappant aux différents coups d’État. Liés entre eux et à la République par le fait qu’ils avaient condamné le roi (régicides). Tous sont par ailleurs de fervents républicains, attachés aux acquis révolutionnaires (libertés publiques, égalité civile, propriété privée, tolérance religieuse, frontières naturelles). Pour eux, l’utilisation d’un général devait permettre d’établir un pouvoir fort susceptible de ramener l’ordre et la stabilité, dans le respect de ces acquis. La personnalité de Bonaparte, sur laquelle ils se sont trompés, va bouleverser leurs projets. Comme Auguste avant lui, Bonaparte se présente en sauveur de la République. Dans son

esprit, République doit, cependant être pris dans le sens romain de res publica, la République se confond pour lui avec l’État. Comme lui, Bonaparte maintient une façade d’institutions républicaines et multiplie le recours aux symboles républicains romains tout en les trahissant. Il se présente également comme l’incarnation du vœu des Lumières. Il est le despote

éclairé qui doit régner sur un peuple non encore éclairé par les Lumières. Par la force, il doit assurer le maintien et donc le succès des acquis révolutionnaires, de la liberté et de l’égalité. Le Césarisme, consulaire ou impérial, est en fait une monarchie. Il est fondé sur la

concentration des pouvoirs entre les mains du Premier consul ou de l’Empereur. Le pouvoir ne se partage pas, comme sous l’Ancien Régime. Bonaparte d’ailleurs met fin à la conception collégiale du pouvoir, qui avait cours pendant la Révolution, malgré la triade, il détient seul le pouvoir. Très symbolique est ainsi son installation au Palais des Tuileries, résidence royale, et non au Palais du Luxembourg où siégeait le Directoire. Mais, très habilement, ce caractère monarchique cohabite avec un semblant de démocratie

en ce que toute décision d’importance, tout changement institutionnel est présenté au peuple et sort renforcée d’une approbation populaire. En effet, Bonaparte considère que la force de l’exécutif, condition de la stabilité du régime, ne peut être obtenue que par une très forte légitimité. Celle-ci sera trouvée par l’appui du peuple, son appui direct. Bonaparte rejette donc toute forme de corps intermédiaire entre le peuple et le pouvoir, lui-même. Cette approbation prend la forme d’un plébiscite (le mot réferendum apparaît plus tard). L’adhésion du peuple à la politique du gouvernement renforce donc sa légitimité. En pratique, il faut néanmoins nuancer le caractère démocratique du régime. Le suffrage

est certes universel (masc.), mais très indirect (à trois degrés). Il repose sur le système des listes de notabilités, qui interdisent l’élection directe des représentants et dont le

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fonctionnement fut réduit à néant par Bonaparte (qui était hostile au système et le supprima dès l’an X). La recherche de l’adhésion populaire au régime fait sa force, mais aussi sa faiblesse. D’une

part, le soutien, manifesté par le plébiscite, est le soutien apporté à un homme plus qu’à un régime. Cela se matérialise principalement par le fait que le caractère personnel du pouvoir est consacré officiellement par la Constitution de l’an VIII, qui nomme premier consul le citoyen Bonaparte. En cas de disparition du César, le régime est donc très menacé. D’autre part, dans le cas où le soutien populaire faiblit, c’est tout le régime qui est fragilisé. C’est ce qui se passa. Avec les victoires, la soif de gloire et la confiance dans le César est totale, les referendums sont des succès complets. Lorsque vint le temps des défaites, le soutien populaire s’évanouit et le régime s’écroula. Ayant pacifié la France en seulement deux ans, Bonaparte entend, dès 1802, renforcer son

pouvoir. Celui-ci, malgré ses succès politiques est en effet encore menacé. Il l’est notamment par les généraux de l’armée républicaine, plus ou moins jaloux de l’ascension de l’un des leurs, plus ou moins opposés également à l’œuvre de réconciliation avec les royalistes qu’il mène (Brune, Augereau, Moreau, Bernadotte). Bonaparte réagit vivement, faisant arrêter certains meneurs ou éloignant les autres (Brune

est envoyé comme ambassadeur à Constantinople, Lannes à Lisbonne), rappelant surtout l’obligation de totale soumission de l’armée au Premier consul. Dans le même temps, Bonaparte, soucieux de détruire en amont tout complot fondé sur

son illégitimité, se fait octroyer le consulat pour dix ans par le Tribunat (8 mai 1802), ce que doit approuver le peuple. En fait, la question posée fut « Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie ? », le plébiscite est favorable et le 2 août, le Sénat proclame Bonaparte consul à vie. Le Premier consul établit alors une nouvelle Constitution par le sénatus-consulte du 4

août 1802 (16 thermidor an X) qui renforce encore ses pouvoirs en faisant un roi sans le titre. La nouvelle constitution rompt encore plus clairement avec la démocratie. Bonaparte prolonge l’orientation monarchique du régime : le 15 aout devient jour de fête nationale, l’année suivante, son effigie est frappée sur les pièces de monnaie en lieu des place des symboles républicains. Il est alors clair que les jours de la République sont comptés.

II. L’Empire A. Le compromis impérial

C’est le sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804) qui donne naissance à l’empire, en indiquant simplement dans son article 1er que « Le Gouvernement de la République est confié à un Empereur, qui prend le titre d'Empereur des Français », avant d’ajouter, dans son article 2 : « Napoléon Bonaparte, Premier consul actuel de la République, est Empereur des Français. » Ce sénatus-consulte, la constitution de l’Empire établit une monarchie héréditaire, sacrale

(sacre le 2 décembre 1804 par le pape Pie VII, mais c’est Napoléon lui-même qui se couronna afin de montrer qu’il ne tenait sa couronne de personne, si ce n’est de lui-même). Le nom d’Empire est préféré afin d’éviter le recours à roi, royauté, monarchie qui auraient rappelé la monarchie capétienne. On retrouve surtout ici une fascination par l’ERG, mais surtout sans doute l’empire romain, fascination déjà marquée dans la Constitution de l’an VIII et confirmée par la symbolique impériale (aigles…) L’Empire ne se veut cependant pas un retour simple à la monarchie d’Ancien Régime.

Napoléon assume le passé, l’histoire de la France, « de Clovis au Comité de Salut public », il cherche donc à faire un compromis, à concilier l’Ancien Régime et la Révolution. Même s’il déteste les abus de la Révolution, il admire Rousseau et Robespierre. Il reste ainsi attaché à la

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méritocratie qui était un des principes de la DDHC (Murat était un garçon de café, Lannes était un ouvrier teinturier)82. Bonaparte se veut en effet, dès sa prise de pouvoir au-dessus des partis, il se dit

« national », il se veut l’artisan de la réconciliation nationale83. Le passé a montré ses sympathies jacobines, son opposition (traduite par des actions) à la restauration monarchique. C’est sans doute pourquoi, dès le lendemain de Brumaire, Bonaparte prend une série de mesures visant à rassurer les aristocrates et prêtres : abrogation de la loi des otages, rappel des proscrits, libération des prêtres réfractaires… Mais dans le même temps, il entend rappeler qu’il est le chef et ne souhaite pas le retour du roi (plusieurs Chouans sont fusillés, écrasement du parti royaliste à la suite de l’attentat de la rue Saint-Nicaise84). Son message est clair : il veut la réconciliation des Français dans le respect des principes de 1789. Pour le reste, le rétablissement de l’ordre passe, pour Bonaparte, par l’utilisation de tout

ce qui fonctionnait bien dans l’Ancien Régime, ce qu’il concilie avec les principes de 1789. C’est dans ce compromis entre l’Ancien et le Nouveau Régime que réside pour l’essentiel le génie de Bonaparte. Cette volonté de compromis se retrouve dans l’entourage de Bonaparte. Entourage choisi,

sans a priori politique par le Premier consul, prenant en compte plus la qualité de chacun que leur passé. L’entourage de Bonaparte associe ainsi jacobins et royalistes modérés. Les meilleurs exemples sont les consuls : Cambacérès, conventionnel, régicide,

thermidorien, excellent juriste montpelliérain, auteur de plusieurs projets de Code civil pendant la Révolution, il sera un des principaux artisans du Code de 1804. Charles-François Lebrun, secrétaire du chancelier Maupeou avant la Révolution, ancien constituant puis élu au Conseil des Anciens après avoir frôlé la guillotine85, il reste royaliste, modéré, excellent spécialiste des institutions monarchiques. Le consulat est donc l’expression la plus parfaite de l’œuvre de réconciliation nationale que veut mener Bonaparte. C’est le cas également au niveau des ministres : Lucien Bonaparte (intérieur), Talleyrand

(relations extérieures), Fouché (Police), Lazare Carnot (Guerre), Gaudin, fonctionnaire des finances de la monarchie (Finances)86. La logique est la même dans la composition du Conseil d’État (où figure notamment Brune), du Sénat (Kellermann, les scientifiques, du voyage d’Egypte, Monge, Lacepède, Laplace, Cabanis), du Tribunat (Say, Constant)

82 Metternich appellera Napoléon « Robespierre à cheval » 83 « Ni bonnet rouge, ni talon rouge, je suis national » 84 Dans un premier temps, les royalistes avaient cru que Bonaparte allait permettre la Restauration. Louis XVIII avait même adressé au Premier consul des lettres flatteuses lui demandant d’œuvrer pour la Restauration. Bonaparte attend que ses premières victoire sur la coalition européenne le renforcent pour lui opposer une fin de non recevoir. Comprenant leur erreur, les royalistes tentent d’assassiner le Premier consul au moyen d’une « machine infernale » (Rue Saint Nicaise, 24 décembre 1800). L’attentat fit 22 morts, mais Bonaparte en sortit indemne. Une centaine de royalistes furent arrêtés, les auteurs de l’attentat guillotinés. Par la suite viendra une nouvelle tentative des royalistes avec le complot de Cadoudal, soutenu par Pichegru et Moreau. Eventé en mars 1804, ce complot fut déjoué, Pichegru se suicida, Cadoudal fut exécuté, par contre malgré ses efforts Bonaparte ne put obtenir la condamnation de Moreau. La dernière victime, tout à fait innocente, fut le jeune duc d’Enghien, enlevé en territoire allemand, accusé de vouloir diriger le complot. Par cet assassinat d’un Bourbon, Bonaparte rejoignait les rangs des régicides, ennemis de la monarchie, ce qui ne pouvait que favoriser le ralliement de ces derniers à Napoléon. 85 Il sera sauvé par sa nièce Henriette Lebrun qui réussira à voler son dossier d’accusation provoquant ainsi un retard. Retard qui fit que la tête de Robespierre tomba avant la sienne. 86 Seront vite écartés les plus indociles : Lucien Bonaparte et L. Carnot.

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B. De la République impériale à la Monarchie impériale87

Avec l’Empire, évidemment, la puissance de l’exécutif se renforce. Plus même que de l’exécutif, il faut parler de la puissance de Napoléon Bonaparte. En effet, le pouvoir se définit moins en termes de droit qu’en terme politique. Les décisions de l’empereur obéissent moins à une procédure, à des règles qu’à son pouvoir discrétionnaire (despotisme), qui lui permet de dépasser toute règle, de les réformer pour lui permettre de prendre la décision qui lui convenait et que l’organisation institutionnelle venait bloquer ou même freiner. À ses côtés, les ministres ne font plus que de la figuration. Les fortes personnalités sont éliminées, remplacées par des serviteurs zélés, souvent choisis parmi l’ancienne noblesse (Talleyrand et Fouché seront ainsi écartés entre 1807 et 1810). Le législatif est encore affaibli de manière à ne plus représenter la moindre opposition à

l’empereur. Le Tribunat jugé trop indocile est supprimé (1807). Le corps législatif, composé de fonctionnaires et militaires fidèles devient une simple chambre d’enregistrement des décisions impériales. Le peuple n’est plus interrogé que pour approuver une modification constitutionnelle. Et malgré cette soumission du législatif, l’empereur préfère parfois contourner tout à fait la procédure législative par le biais du sénatus-consulte ou du décret-loi. Le Conseil d’État lui-même ne joue plus qu’un rôle contentieux Mais le Sénat est maintenu, il reçoit toujours les remarques sur l’inconstitutionnalité des

lois, mais il doit les transmettre à l’Empereur qui juge seul de celle-ci. Le Sénat se trouve donc relégué à un rôle de simple conseiller constitutionnel de l’Empereur (rôle du Chancelier à l’époque royale), sans pouvoir de blocage (le Sénat ne peut comme le Parlement d’Ancien Régime refuser d’enregistrer une loi, le pouvoir de promulgation appartenant à l’Empereur). En fait le Sénat se montrera toujours extrêmement docile, tolérant notamment l’usage très fréquent des décrets-lois par l’Empereur. Le Sénat ne soulignera cet usage abusif qu’en 1814. L’Aigle est alors abattu, vaincu en

Russie, il rentre piteusement en France, le Sénat sentant alors le vent tourner (sans doute un peu tard) prononce la déchéance de l’Empereur au motif notamment de l’usage institutionnel du décret-loi. Le drame de l’Empire, la cause de sa chute finale, est en effet, l’état de guerre permanent.

Après les guerres révolutionnaires, les Français aspiraient à la paix, la paix avec l’Europe. Une paix dans laquelle la France issue de la Révolution cohabiterait avec les monarchies européennes. Les monarchies européennes ne pouvaient cependant tolérer la présence à leurs

frontières, d’une République dans laquelle les sujets étaient des citoyens libres et égaux, participant au pouvoir. L’Empire est donc né dans la guerre et il vécut dans la guerre, jusqu’à sa mort par la guerre. Bonaparte comprit en effet vite que le succès de la Révolution passait par le fait que les

acquis révolutionnaires devaient s’imposer en Europe. Pour y parvenir, il a choisi la voie des armes, assimilant conquête par les acquis révolutionnaires et conquête militaire. Pour sauver les acquis révolutionnaires que l’Europe monarchique, Napoléon décide de conquérir l’Europe monarchique, détruire les monarchies et y imposer les acquis révolutionnaires. La Révolution sera un succès que si l’Europe entière en adopte les principes. Malgré ce but, la fin du règne de Bonaparte est marquée par un progrès du despotisme.

En 1804, en effet, l’Empire est conçu, et présenté, comme une modalité du régime républicain, au même titre par exemple que la démocratie. Bonaparte était donc empereur de 87 À l’origine, l’Empire n’était qu’une modalité de fonctionnement de la République, comme la Démocratie

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la République française. En fait, en pratique, Bonaparte dirige une monarchie militaire qui va progressivement révéler un caractère despotique, très éloigné de la République et de plus en plus de la Révolution. Le droit est détourné, la police omniprésente (censure, détentions arbitraires, surveillance

de l’opinion publique88…) S’éloignant du peuple, épuisé par la guerre, sentant la fragilité de son soutien, Bonaparte

chercha à consolider son pouvoir en renforçant ses aspects monarchiques. Il le fit en se rapprochant des monarchies européennes (mariage avec Marie-Louise d’Autriche, ce qui faisait de Napoléon le neveu de Louis XVI) et en tentant de faire naître une dynastie, appuyée sur une aristocratie d’empire (la noblesse d’empire est officiellement crée par le sénatus-consulte du 14 août 1806, et réglementée en 1808, appuyée sur le majorat, patrimoine héréditaire et inaliénable attaché à un titre). En prenant ce virage, tournant le dos à la Révolution dont il était le produit, Bonaparte

commit l’erreur de vouloir s’appuyer sur les grands bourgeois et aristocrates, alors que ces derniers le méprisaient tel un parvenu, et les premiers s’inquiétaient de son bellicisme. Il ne comprit pas alors que son principal soutien était le petit peuple. En s’éloignant de lui, il perdit son principal soutien. Le petit peuple comprit mal, critiqua la naissance de la noblesse d’empire, atteinte trop flagrante à l’égalité. Lorsque viendra la défaite, nul ne le soutiendra plus. Sa noblesse d’empire s’empressera notamment de se rallier aux Bourbons, pour protéger leur situation établie. Louis-Napoléon Bonaparte comprendra, plus tard l’importance du petit peuple et s’en servira pour prendre le pouvoir.

Section II. Un régime fondateur

I. La refonte de l’administration Au niveau administratif, le recours à l’expérience monarchique est très net. Bonaparte a

en effet entendu rompre rapidement avec les tendances décentralisatrices de la Révolution pour en revenir à la logique centralisatrice monarchique. Néanmoins, Bonaparte entend également largement profiter de l’œuvre révolutionnaire.

La table rase et la réorganisation rationnelle de l’administration, notamment l’uniformisation de l’administration locale permit en effet au Premier consul de mettre en place une administration bureaucratique fortement centralisée, assurant le succès de l’État autoritaire qu’il entendait mettre en place en France. C’est la grande loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) qui réforme l’administration

française, lui donnant en bonne partie une forme proche de celle qui s’est maintenue jusqu’à nos jours.

Bonaparte reprend tout d’abord largement les cadres administratifs établis par la Révolution. L’uniformisation révolutionnaire servait en effet la centralisation à laquelle il aspirait. Il lui suffisait de conserver les cadres, tout en changeant les organes. Ainsi, même si, comme ses précédentes, la constitution de l’an VIII rappelle que « la République française est une et indivisible », les départements sont maintenus. Ils atteindront le nombre de 130 au plus fort du pouvoir napoléonien, nombre ramené à 86 après sa chute. Les conseils de départements (conseils généraux, aux attributions essentiellement budgétaires, et de préfecture) sont maintenus mais perdent tout pouvoir, si ce n’est un rôle de juridiction, encore très limités pour les seconds89, ancêtres de nos juridictions administratives.

88 « Surveillez tout le monde, excepté moi. » 89 Contentieux des contributions directes, procès entre l’Administration et les entrepreneurs publics, réclamations des particuliers contre les entrepreneurs, indemnités en matière d’expropriation.

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Au niveau inférieur, la loi du 28 pluviôse an VIII instaure un nouveau cadre

administratif, héritage direct du district révolutionnaire, l’arrondissement (4 ou 5 par départements). Le canton est quant à lui ramené à un simple rôle électoral.

Enfin, les communes retrouvent avec Bonaparte, en 1800 les municipalités, dont elles avaient été privées par la révolution radicale,. Mais les très petits villages perdent leur rang de commune. Cependant, les conseils municipaux, nommés par le pouvoir central à partir des listes de notables, perdent tout rôle administratif. Toutes les communes sont de plus placées, pour les rares pouvoirs, essentiellement financiers90, qui leurs sont laissés, sous la tutelle du préfet.

Là se situe la principale nouveauté. Avec Bonaparte, le principe de la nomination, encore

minoritaire sous le Directoire est systématisé à tous les niveaux de l’administration, de même que la rémunération par l’Etat qui préfigure la fonctionnarisation des agents de l’Etat.

Mais l’essentiel est ailleurs. Il se situe dans la concentration du pouvoir. C’est la fin de la collégialité révolutionnaire, déjà écornée il est vrai par la Convention et le Directoire. L’agent unique est le représentant direct, au niveau local, du gouvernement. Les conseils maintenus à chaque niveau n’ont plus qu’un rôle consultatif. L’agent unique par excellence est celui qui est placé à la tête de la principale circonscription administrative, le département. Créé par la loi de pluviôse an VIII, il prend le nom tiré de l’antiquité romaine, de préfet. Ces préfets ne sont plus de simples contrôleurs des organes administratifs locaux (procureur-général syndic du début de la Révolution), ils incarnent à eux-seuls l’administration. Ils disposent, au niveau du département, d’une compétence administrative générale (sauf rares exceptions : la justice, l’administration forestière, les universités, les finances publiques). Les préfets sont évidemment nommés par le gouvernement, furent souvent très stables et extrêmement loyaux envers le prince91. Leur efficacité rappelle celle des intendants de l’ancien régime, dont ils étaient inspirés92.

Leur rôle tend autant à veiller à l’application de la politique gouvernementale qu’au contrôle de l’opinion publique93.

Le préfet voit son rôle complété par des sous-préfets nommés par le gouvernement, au niveau des arrondissements. Leur rôle principal est l’exécution dans sa circonscription des ordres des préfets. Ils perdent rapidement tout rôle véritable et deviennent administrateurs de second ordre, simple relais de transmission des ordres du préfet aux communes et de renseignements des arrondissements au préfet.

Poursuivant cette logique, la loi de pluviôse nomme un agent unique au niveau municipal également, il s’agit du maire, nommé par le gouvernement (directement ou non, dans les communes de moins de 5000 hab. il est nommé par le préfet). Le maire est un personnage important. Chargé des anciennes attributions municipales (notamment la police), il décide seul, mais est très étroitement contrôlé par le préfet.

Ces trois agents uniques sont liés entre eux par un rapport de hiérarchie qui mène de la commune au gouvernement et assure une grande vitesse et efficacité de l’administration, strictement soumise au pouvoir central94. Efficacité facilitée par les progrès des moyens de communication avec la découverte et la généralisation du télégraphe. Ces agents uniques

90 Répartition des contributions entre les contribuables… 91 Ils sont néanmoins régulièrement contrôlés par des conseillers d’Etat envoyés en inspection. 92 Ils sont d’ailleurs souvent installés dans les anciens palais des intendants. 93 La loi de pluviôse indique simplement que « le préfet sera chargé, seul, de l’administration » (art. 3), Napoléon dira de lui que c’est un « empereur aux petits pieds » dans son département. 94 Chaptal : « Le préfet ne connaît que le ministre, le ministre ne connaît que le préfet. Le préfet ne discute pont les ordres qu’on lui transmet : il les applique, il en assure et en surveille l’exécution. »

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détiennent l’essentiel de l’administration, les autres organes locaux se réduisent à un rôle de figurants, sans pouvoir de décision.

L’efficacité du système mis en place par Napoléon lui permit de survivre à la chute de

l’empereur. La restauration maintient ainsi le principe de l’agent unique, mais la nouvelle période est marquée par un progressif renforcement des responsabilités et autonomies locales.

II. La réforme judiciaire95 La grande loi de réforme de l’organisation judiciaire est celle du 27 ventôse an VIII (18

mars 1800, un mois seulement après la loi de réforme de l’administration). Bonaparte reprend également à ce niveau largement les réformes de la Révolution.

Il y apporte néanmoins quelques modifications substantielles : suppression de l’élection des juges, nommés par le Premier consul, mais maintien de leur inamovibilité, gage d’indépendance. Cette indépendance est cependant à fortement nuancer. Les juges reçoivent en effet leur traitement et leur avancement du gouvernement, ils sont donc, malgré l’inamovibilité, largement soumis au Premier consul qui les a choisis. Le ministère public, démantelé par la Révolution, est par ailleurs rétabli.

On retrouve donc également à ce niveau la volonté de conciliation de Bonaparte entre Révolution et Ancien Régime. La personnalité des principaux juges nommés s’inscrit dans ce même cadre. Le Tribunal de Cassation est ainsi confié à Tronchet (futur rédacteur du Code civil, défenseur de Louis XVI pendant son procès), dont le procureur général est l’auteur de la loi des suspects (Merlin de Douai).

Au moment du durcissement monarchique du règne de Napoléon, on assiste à des abus très graves de la part de l’empereur. Malgré l’inamovibilité, Napoléon décide ainsi d’épurer à deux reprises le corps des magistrats (1808 et 1810). Par ailleurs, Napoléon renoue avec les habitudes d’Ancien Régime (Le tribunal de cassation devient cour de cassation, de même que le tribunal d’appel cour d’appel). Plus grave encore, l’empereur utilise des procédures d’exception qui concurrencent les juridictions ordinaires (jugement du duc d’Enghien en 1804).

III. L’unification du droit privé : Le Code Napoléon A. La rédaction du Code

1. Les projets du Code civil La volonté d’unifier le droit français remonte loin. Le vœu est formulé dès le XVIe siècle

(Dumoulin). On tente, à la fin de l’Ancien Régime, de parvenir à ce but (ordonnances de d’Aguesseau). Mais l’ordonnancement juridique était trop diversifié (coutumes, droit écrit…) et complexe pour y parvenir. Il fallut, pour ce faire, passer par une remise à plat du droit français, qui fut l’œuvre de la Révolution. Le titre 1er de la constitution de 1791 impose que soit fait un « code de lois civiles

communes à tout le royaume ». C’est le juriste montpelliérain Cambacérès qui est chargé de sa préparation. Il rend son premier projet très court (695 articles), respectueux des principes de 1789, qu’il

présente à la Convention en août 1793, au moment où les Montagnards commencent à imposer leur plein pouvoir sur l’assemblée. Le Code arrive alors à contretemps, il est considéré comme trop peu révolutionnaire et écarté. Cambacérès présente un nouveau projet, très jacobin, très révolutionnaire, très bref (297

articles seulement) qu’il termine un mois et demi après la mort de Robespierre, le 14 septembre 1794. Son projet arrive, pour peu de temps, à nouveau à contretemps, il est écarté 95 Caporal, p. 214

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par les Thermidoriens qui veulent rompre avec les excès de la Terreur et revenir à plus de conservatisme. Cambacérès se remet à nouveau au travail et prépare un Code beaucoup plus

conservateur qu’il présente au Conseil des Cinq-cents en juin 1796. Il recherche l’apaisement après la excès de la Terreur, mais il intervient en pleine difficulté pour le Directoire, il n’est même pas porté à discussion. Après un ultime projet présenté par Jacqueminot le lendemain du coup d’État de

Brumaire et caractérisé par le retour de la technique juridique (10 novembre 1799), immédiatement écarté, Bonaparte se lance dans l’aventure.

2. La rédaction du Code Le Premier consul nomme une commission de quatre juristes chargés de préparer le Code

le 13 août 1800 (24 thermidor an VIII). Sa composition reflète la volonté de Napoléon de préparer un compromis entre les différents éléments composant le droit français : deux juristes viennent du Midi, un pur juriste de droit écrit, fortement influencé par le droit romain (Jean-Etienne-Marie Portalis), un juriste bordelais (originaire du Périgord), inspiré par le droit écrit, mais également par le droit coutumier méridional (Jacques de Maleville), un juriste breton, représentant des très importantes coutumes de l’ouest (Bigot de Préameneu) et un juriste parisien royaliste, spécialiste de la principale coutume du royaume, la coutume de Paris (Tronchet, ancien défenseur du roi). Tous sont très expérimentés, ils sont chargés par le Premier consul de travailler vite, ce

qu’ils firent : en quatre mois son projet est achevé et présenté au Conseil d’État chargé de préparer le texte final (après que les principaux tribunaux aient formulé des remarques). Au sein du Conseil d’État, Bonaparte pesa de tout son poids sur les modifications apportées. Le projet de Code est ensuite présenté au Tribunat, qui s’opposa fermement au projet, qui

reprochait au Code d’être trop peu original, de ne pas faire avancer la société, de se contenter de reprendre l’ancien droit. Le Corps législatif sur les vœux du Tribunat rejeta le premier livre du Code. Ce rejet provoqua la colère du Premier consul qui décida de réformer complètement le

Tribunat pour détruire toute opposition. Une fois le Tribunat épuré et domestiqué, le vote des 36 lois composant le Code fut une formalité. Ainsi fut promulgué par la loi du 30 ventôse en XII (21 mars 1804) un code de 2281 articles.

B. Le contenu du Code 1. L’esprit du Code

Le Code est voulu par Bonaparte comme la charte de la nouvelle société, stabilisée, qu’il veut mettre en place. Celle-ci passe notamment par une lutte contre l’individualisme que la Révolution avait fait triompher et qui menace sa construction politique. Le moyen de lutter contre les progrès de l’individualisme et du libéralisme est la

reconstitution de corps intermédiaires, de ces corps intermédiaires entre le pouvoir et le peuple que la Révolution avait détruit. Ces corps intermédiaires furent la renaissance d’élites intellectuelles (grâce à la naissance

du lycée, ouvert avant tout à la petite et moyenne bourgeoise, destinée à fournir les cadres du nouveau régime, puis grâce à l’Université impériale, créée en 1806, devant former les enseignants, eux-mêmes chargés d’inculquer les valeurs impériales à la jeunesse française, mais aussi des officiers et fonctionnaires), d’une noblesse d’empire (Légion d’honneur, créée en 1802 et immédiatement critiquée car remettant en cause le principe révolutionnaire d’égalité, mais surtout pratique des majorats96). 96 Ensemble de biens fonciers ou de rentes immobilisées, inaliénables et produisant un revenu fixé en fonction du titre de noblesse auquel il était affecté. Institué par Napoléon Ier par les statuts du 1er mars

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En plus d’être la charte sociale du nouveau régime, le Code se voulait le produit de

l’unification du droit français, but que ni la monarchie, ni la Révolution (faute d’une volonté politique suffisante) n’avait réussi à atteindre. Ce but était la conséquence logique du principe révolutionnaire en vertu duquel la loi doit être la même pour tous, ce qui implique qu’elle soit également connue par tous et donc aisément consultable.

2. Les sources du Code Le Code est une œuvre de compromis. Il trouve ses sources dans : - Le droit coutumier, notamment la coutume de Paris réformée (de 1580),

principalement en matière de situation juridique de la femme mariée (incapacité), régimes matrimoniaux, successions, autorité paternelle (renforcée par le Code) - Le droit romain (propriété, obligations, régime dotal) qui permet notamment le

triomphe de la propriété libérale, droit absolu sur son bien (art. 544, surtout pensé comme un moyen d’empêcher le retour de la féodalité avec la coexistence des droits, saisines, sur le même bien)97. - Les grandes ordonnances royales de l’époque moderne : état civil (Villers-Cotterêt

notamment), donation et testament (D’Aguesseau 1731 et 1735), la preuve… -Le droit canonique (mariage, filiation) - Le droit révolutionnaire (dit intermédiaire) par l’intermédiaire de l’insertion des

principes de liberté, d’égalité, la tolérance religieuse, pour ne pas dire la laïcité (divorce, laïcisation de l’état civil). C’est sur ces bases que le Code devint le symbole de la Révolution pour l’Europe entière,

qu’il a été largement exporté (ce qui fut assuré parfois par le conquérant français lui-même), y compris bien au-delà de la chute de Napoléon et bien au-delà de l’Europe98. C’est sur ces mêmes bases que le Code devint l’un des apports les plus importants (le plus

important pour lui ?) de l’ère napoléonienne99.

IV. L’œuvre de stabilisation socio-économique A. La pacification religieuse : le Concordat

Le Directoire, en trahissant les engagements de l’État à l’égard de l’Église a instauré un régime de séparation de l’Église et de l’État. Bonaparte revint sur cette politique. Le Premier consul n’est pas vraiment chrétien. Il méprise en fait la religion. Mais il voit

dans le rapprochement avec le pape plusieurs intérêts. En effet malgré les coups portés au catholicisme par la Révolution, celui-ci reste très fort, notamment dans le petit peuple. Avec son idéologie de soumission, le catholicisme est perçu, par Bonaparte comme le

moyen de s’assurer de l’obéissance du peuple (= opium du peuple), dès lors qu’il incarne, comme le roi en son temps, le pouvoir légitime aux yeux de l’Église. D’autre part, Bonaparte a compris que la contre-révolution est largement menée par les

clercs émigrés (évêques). Se réconcilier avec l’Église est donc le moyen d’affaiblir la Contre-révolution et même de se rendre plus sympathique aux yeux de la coalition européenne.

1808, la constitution d'un majorat était indispensable pour rendre un titre de noblesse d'Empire transmissible à la descendance. Ils sont supprimés progressivement à partir de 1835 et définitivement abolis en 1848. 97 « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » 98 En Argentine, Bolivie, Egypte, Québec 99 «Ma vraie gloire, ce n'est pas d'avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code Civil»

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Bonaparte veut, comme bien avant lui Clovis ou Pépin le Bref, se servir de l’Église pour

asseoir sa légitimité, dans et hors du pays. De longues et difficiles négociations sortit le Concordat du 16 juillet 1801, dans lequel si la

religion catholique n’est pas reconnue comme religion d’État, elle est reconnue comme religion de la majorité des Français, en contrepartie de quoi le pape reconnaît la République. Les évêques et prêtres doivent tous être renvoyés (conventionnels et réfractaires) et remplacés par des évêques nommés par le Premier consul, évêques qui, à leur tout pourront nommer les prêtres. L’Église de France est ainsi tout à fait subordonnée au pouvoir. Ces nominations furent cependant faites dans le respect de la logique de réconciliation nationale. Enfin, question grave, le pape ne remet pas en cause la vente des biens du clergé et

obtient, en contrepartie que l’État français subvienne aux besoins des évêques et prêtres en leur versant un traitement. Cependant, quelques mois après, Portalis, chargé par Bonaparte de mettre en application

le Concordat, rédigea les articles organiques (8 avril 1802) qui modifiaient tout à fait l’esprit du Concordat, soumettant très strictement l’Église de France à l’État, remettant en vigueur les doctrines gallicanes d’Ancien Régime (ce qui donnait une grande indépendance à l’Église de France et remettait en cause la primauté du pape au sein de l’Église) et restaurant les congrégations religieuses, dissoutes par la Révolution (mais seulement celles qui furent jugées utiles à l’État : pour l’éducation ou l’assistance principalement, et sous condition d’une autorisation gouvernementale). Le Concordat et les articles organiques ont donc fait de l’Église un rouage administratif de

l’Empire. L’Église française accepta cette situation, elle fut soumise et fidèle à l’empereur. Elle le fut jusqu’à ce que les relations entre l’empereur et le pape se détériorent. En 1809, L’empereur qui occupe depuis quelques années l’Italie décide d’annexer Rome. Le pape Pie VII,, qui ne tolère pas l’occupation de ses états par les Français décide alors d’excommunier l’empereur. Celui-ci ordonne en réaction l’arrestation et l’emprisonnement du pape (à Savone, puis Fontainebleau). Le pape refuse de se soumettre en entre en résistance, il refuse ainsi se consacrer les

évêques choisis (en vertu du Concordat) par l’empereur. Ainsi, progressivement, plusieurs évêchés français deviennent vacants. Le conflit se durcit, mais ne déboucha pas sur un accord avant la chute de l’empereur. Ce conflit, sans grande conséquence sur les fidèles, détacha progressivement le clergé de l’empereur, le rapprochant des prétendants Bourbons.

B. L’assainissement de l’économie Après les difficultés de la fin de l’Ancien Régime et de la Révolution, Bonaparte voulut

rapidement assainir l’économie, ce qui passait par la mise en place d’une administration fiscale stable et rationnelle. Conservant les impôts établis pendant la Révolution (notamment l’impôt sur les portes et les fenêtres du Directoire), Bonaparte installe une administration fiscale complexe dans laquelle sont distinguées répartition (par l’administration des contributions directes, dirigée par une Direction Générale, relayée au niveau local, et appuyée sur des inspecteurs et contrôleurs) et perceptions (mise en place de percepteurs dans les communes, et de trésoriers-payeurs et receveurs généraux dans les départements). Au niveau financier, Bonaparte créé en 1800 (loi du 24 pluviôse an VIII / 13 février 1800)

une Banque de France, largement inspirée des institutions financières d’Ancien Régime. Cette Banque de France est une société privée, chargée de développer le crédit et d’augmenter la circulation monétaire. Elle reçoit pour ce faire assez vite le monopole de

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l’émission des billets de banques pour Paris. Ce monopole fut détenu jusqu’à la nationalisation de la Banque de France en 1936. Les résultats de la réforme financière et plus généralement de l’assainissement

économique, finalement permis par des réformes assez légères, notamment par rapport à ce que la France connaissait avant la Révolution, sont rapidement excellents. Dès 1802, le budget français, en déficit depuis la fin de l’Ancien Régime, est en équilibre. Bonaparte a réussi où l’Ancien Régime s’était écroulé et la Révolution avait largement échoué. Le point faible principal de l’empire fut la guerre interminable contre des coalitions

européennes sans cesse renouvelées. Après s’être enlisé en Espagne en 1808, Napoléon connaît de plus en plus de difficultés à vaincre ses adversaires (défaite d’Essling en 1809, avant que Wagram vienne restaurer temporairement la confiance). En juin 1812, Napoléon incapable de vaincre l’Angleterre, se tourne contre son allié russe,

à qui il reproche de ne pas jouer honnêtement le jeu du boycott contre les Anglais. La campagne de Russie engage la plus grande armée de l’histoire européenne, près de 700 000 hommes, la Grande armée, dans une aventure désastreuse contre l’immensité russe. Seuls 90 000 reviendront en France. La retraite sonne le temps de la Révolte pour l’Europe, Napoléon et les Français se

battront courageusement, mais le temps n’est plus alors aux victoires décisives, l’Europe entière s’est révolté, les coalisés parviennent à porter, pour la première fois depuis près de 20 ans, la guerre sur le territoire français. Le 6 avril 1814, Napoléon signe sa capitulation. Il a échoué à vaincre l’Europe, à imposer à

l’Europe monarchique les principes révolutionnaires. La France était vaincue, pour la première fois depuis 1789, les troupes ennemies entraient à Paris, occupaient la capitale (du jamais vu depuis la guerre de Cent ans). Le 20 avril, Napoléon déchu, quitte Fontainebleau pour l’île d’Elbe qui lui a été donnée en souveraineté. La Révolution semblait échouer, pourtant, là où les armes semblaient avoir échoué, le temps triomphera et les idées révolutionnaires, dont la diffusion avait largement été permise par les conquêtes de Bonaparte, allaient progressivement cheminer dans les esprits jusqu’à triompher au milieu du siècle.

Chapitre II. La Restauration (1814 – 1830) Section I. La Première Restauration

I. La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 A. Les conditions de rédaction de la Charte

Le 31 mars 1814, les coalisés (Autriche et Russie) entrent à Paris. Le 2 avril, le Sénat prononce la déchéance de Napoléon. Victorieux, les coalisés n’ont pas préparé leur victoire. Ils n’ont pas arrêté quel devait être

le sort politique de la France. Ils ne sont d’accord que sur le fait que les conquêtes impériales devaient être annulées. La France revient ainsi aux frontières de 1792. Les royalistes français en profitent alors pour restaurer la monarchie, en la personne du frère de Louis XVI, Louis XVIII. Le 6 avril, le Sénat l’appelle ainsi sur le trône, à la condition qu’il prêtre serment à la constitution que ce même Sénat a préparé et qui assure, pour l’essentiel le maintien de la législation révolutionnaire et impériale, le maintien également des Sénateurs. Intelligent, Louis XVIII est sans doute, des trois frères qui accédèrent au trône, celui qui

était le plus fait pour la fonction. Il rongea son frein toute sa jeunesse, espérant au fur et à mesure que son frère semblait peu disposé à avoir des enfants. La naissance d’un dauphin bouleverse ses rêves de règne. Mais la Révolution intervient. Il fuit Paris, comme son royal frère, la nuit du 21 juin 1791, mais parvient de son côté à gagner la frontière. C’est de

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l’étranger qu’il devient donc régent le 21 janvier 1793 puis roi en exil à la mort du jeune Louis XVII. Enfermé pendant la Révolution dans une conception du pouvoir fidèle à l’Ancien Régime

qui interdit, aux yeux des Révolutionnaires, toute hypothèse d’un retour du roi. Favorable à Bonaparte, il déteste Napoléon et patiente en Angleterre jusqu’à la chute de l’empereur. À son retour en France, Louis XVIII a muri. Il reste attaché à la fonction royale, est imbu

de son rang et de sa naissance, mais est conscient que la France de 1814 n’est plus celle de 1789. S’il n’entend pas se laisser dicter sa conduite par les Français, notamment le Sénat, il ne peut revenir sur les principaux acquis de 1789. Son discours de Saint-Ouen, du 2 mai, la veille de son entrée à Paris, est l’expression de ce

compromis. Il rejette le projet de constitution du Sénat, affirme octroyer une charte constitutionnelle aux Français, en reprenant donc une terminologie médiévale, affirme être dans sa 19e année de règne, ce qui revenait à nier toute l’époque révolutionnaire et impériale. Ce qui revenait également à une monarchie patriarcale de droit divin, comme celle d’avant 1789. Il affirme en effet par ce biais ne tenir sa couronne de personne, et surtout pas du peuple ou du Sénat. Tirant toutes les conséquences de ce principe, il revient sur la drapeau tricolore, abandonné au profit du drapeau blanc de la monarchie. Mais dans le même temps, il admet que les bases du projet sénatorial étaient bonnes, que

sa constitution sera libérale et qu’il garantira les libertés données aux Français par la Révolution (représentativité, liberté politique et individuelle, liberté de la presse, du culte, propriété privée, égal accès aux emplois publics, indépendance du pouvoir judiciaire…) Son régime s’inspire clairement du modèle britannique qu’il connaît bien. Le 30 mai, les alliés, satisfaits de cette solution qui s’imposent à eux, évacuent la France,

une France ramenée par le Traité de Paris, à ses frontières d’avant le début des guerres révolutionnaires.

B. Le contenu de la Charte Le 4 juin 1815, Louis XVIII promulgue sa charte constitutionnelle. Elle est marquée dans

sa lettre, par un retour net à l’Ancien Régime. Le roi, personnage inviolable et sacré (même si Louis XVIII ne le fut pas en pratique) est

pénalement et politiquement irresponsable. Il a la jouissance de la souveraineté. Il concentre l’ensemble des pouvoirs. Le roi détient le pouvoir exécutif, qu’il exerce par l’intermédiaire de ministres,

responsables politiquement seulement devant lui, c’est-à-dire qu’il les nomme et qu’il les révoque librement. Le roi détient également l’essentiel du pouvoir législatif. En effet, il est seul à détenir

l’initiative des lois, il promulgue la loi, dispose du pouvoir réglementaire, pour l’application des lois et d’un véto absolu. Enfin, l’article 14 de la Charte prévoit qu’il peut prendre par ordonnance toute mesure

nécessaire à sécurité de l’État. Néanmoins, la Charte prévoit l’existence de deux chambres (bicaméralisme) :

- La chambre représentative, chambre basse, est la Chambre des députés. Le nombre de ses membres évolue pour se fixer à 395 députés, élus pour 5 ans, renouvelables par 1/5e, au suffrage censitaire, dans des conditions qui limitent le pays électoral à 100 000 électeurs (et seulement 15 000 éligibles). - La chambre haute est la Chambre des pairs, dont les membres sont nommés à vie (et détiennent une fonction héréditaire) par le roi, ils le sont en nombre indéterminé

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(ce qui permet au roi placé en difficulté par une élection de reconstituer une majorité qui lui serait favorable).

Les chambres ont une fonction représentative, notamment pour l’une d’elles. Les chambres votent les lois et les impôts. Elles n’ont en revanche pas l’initiative des lois, mais un droit d’amendement, avec l’autorisation du roi, et le droit de « supplier le roi de proposer une loi ». Elles n’ont pas le pouvoir de renverser les ministres, qui ne sont responsables devant elles qu’au niveau pénal. Surtout, la Charte témoigne du désir d’apaisement, de réconciliation nationale du roi. Elle

confirme, ainsi, en bloc les lois et principes hérités de la Révolution et de l’Empire : égalité civile, égal accès aux fonctions publiques, liberté de conscience et de culte, liberté de la presse, inviolabilité de la propriété privée, irrévocabilité de la vente des biens nationaux, Code civil, Universités, noblesse impériale. De plus, une amnistie générale est prononcée et la conscription détestée de la fin de

l’Empire est abandonnée. Enfin, et surtout, si le roi a la jouissance de la souveraineté, il décide de ne pas en avoir

l’exercice. Il l’abandonne en effet aux Chambres. C’est ainsi que si le gouvernement, appelé le ministère, est en théorie politiquement responsable seulement devant lui, le chef du ministère, qui commence à cette époque à prendre le nom de chef du conseil (le premier est Talleyrand), applique assez rapidement le principe (coutumier) de démissionner lorsqu’il ne dispose plus de la majorité dans les Chambres (notamment la Chambre des députés). C’est ainsi que malgré une lettre assez rigoureuse, la pratique de Charte se révèle assez

libérale. L’intransigeance formelle de Louis XVIII déplaît néanmoins aux modérés et, a fortiori aux

Républicains, elle entraîne de plus la méfiance des révolutionnaires et anciens partisans de l’Empire. Mais d’un autre côté, son désir de conciliation provoque la colère des royalistes extrémistes. Le roi ne bénéficie donc pas du soutien qu’il escomptait, surtout du fait de son ouverture.

II. La parenthèse des Cent jours A. Le retour de l’Aigle

Napoléon, souverain d’Elbe, se trouve un peu à l’étroit sur sa petite île. Tenu régulièrement au courant des évènements en France, il apprend avec les difficultés de Louis XVIII, que son retour pourrait lui être favorable. Il s’enfuie de son île, débarque le 1e mars 1815 à Golfe Juan et, préférant passer par les

Alpes pour éviter la vallée du Rhône royaliste, il entre triomphalement à Paris, qu’a quitté le roi dans un nouvel exil, peu après avoir profité du ralliement de l’armée envoyer à sa rencontre par le roi. Il est acclamé par les Français qui voient en lui le Général républicain qui doit les débarrasser du retour de l’Ancien Régime, oubliant les excès de la fin de l’Empire, Napoléon l’a compris. Il affirme rapidement une volonté de réconciliation et un grand sens du pardon destiné à

lui assurer le soutien de la population, il cherche par ailleurs à pacifier les relations de la France avec ses voisins, en vain. Cela lui vaut néanmoins une grande popularité et le soutien d’un très grand nombre. En plus de celui de son armée, il peut ainsi compter sur le soutien de Lazare Carnot ou même de La Fayette.

B. L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire Napoléon fait préparer un Acte additionnel aux constitutions de l’Empire par le très

libéral Benjamin Constant.

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Napoléon pensait que son libéralisme lui vaudrait la sympathie de l’empereur d’Autriche,

qu’il estime progressiste, qui plus est brouillé avec le tsar de Russie. Cependant, dès son arrivée, la coalition des puissances européennes contre la France se forme de nouveau. Le 18 juin, Napoléon est battu par la coalition à Waterloo en Belgique. Le 8 juillet les coalisés entrent à Paris pour la deuxième fois en un an et demi. À nouveau déchu, Napoléon est envoyé, par les Anglais, sur l’île perdue de l’Atlantique,

Sainte-Hélène. Le retour de l’Empereur a donc été de courte durée, mais il a surtout eu des conséquences

catastrophiques pour les Français. La France doit céder certains de ses territoires d’avant 1792 (Savoie et Nice), elle est soumise (contrairement à l’année précédente) à une très lourde amende (700 millions de francs, soit à peu près le montant du budget de la monarchie), dont le paiement est garanti par l’occupation du pays par une armée de 150 000 hommes, pendant 3 à 5 ans (elles quitteront le territoire en 1818). La France est, enfin perçu avec une grande méfiance pour de longues années par la plupart des pays européens. Ils voient en effet le peuple français comme orgueilleux et belliqueux.

Section II. La Seconde Restauration I. La Restauration libérale (1815-1820)

A. Des ultras aux libéraux Le retour de Napoléon est mis, par les extrémistes royalistes sur le compte de la pratique

libérale de la Charte, avant les Cent-jours. Ceux-ci rejettent ce libéralisme et considérant que le roi n’a pas la volonté (le courage ?) de faire justice à la royauté de ses malheurs révolutionnaires, ils décident de faire payer aux Révolutionnaires les excès de la Terreur. On voit ainsi rapidement, notamment dans l’Ouest et le Midi, apparaître des violences, contre ceux qui sont considérés comme d’anciens terroristes (jacobins), ou contre des symboles de la Révolution et de l’Empire. Les persécutions reprennent contre les protestants, Le général Brune est ainsi massacré par une foule en délire à Avignon. C’est la Terreur blanche. Cette flambée de violence est en rupture totale avec la politique de réconciliation à

laquelle le roi reste attaché. Il appelle ainsi le régicide et ancien terroriste Fouché au ministère, ainsi que Talleyrand, il maintient également la majorité des préfets déjà en place pendant l’Empire, retenant leur efficacité plus que leurs anciennes opinions politiques. Les élections qui se déroulent dans la foulée (14-22 août 1815) lui donnent cependant tort.

La majorité élue est en effet très largement royaliste (350 députés sur 402). Leur royalisme exacerbé les fit appeler ultra-royalistes, ou ultras, ce qui soulignent qu’ils étaient plus royalistes que le roi lui-même. Le roi est d’abord enchanté par les résultats, il n’espérait pas un tel raz-de-marée en

faveur de la royauté, c’est pourquoi il aurait qualifié cette chambre de « chambre introuvable » En fait, il va rapidement déchanter face à l’utracisme de cette chambre composée pour la majorité de jeunes nobles fanatiques (y figure également Louis de Bonald, ancien chef de file de la Contre-révolution). Face aux exigences de la Chambre, Louis XVIII doit aussitôt renvoyer Fouché et

Talleyrand, il appelle le duc de Richelieu comme chef du conseil à la place de Talleyrand démissionnaire100. Celui-ci est mis à la tête d’un ministère principalement composé d’anciens fonctionnaires impériaux. Malgré ce ministère modéré, la Chambre impose immédiatement des mesures terroristes :

100 Le duc, arrière, arrière, arrière petit-neveu du cardinal, proche du tsar est un royaliste modéré, mais surtout très inexpérimenté. Son expérience diplomatique est, en revanche un atout pour le roi qui veut faire sortir rapidement la France de son isolement diplomatique en se rapprochant de la Russie.

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- Loi de sûreté générale, qui autorise la détention sans jugement - Rétablissement de la censure et peine de mort pour les écrits séditieux - Amnistie, sauf pour les régicides et dirigeants des Cent-jours, loi qui instaure une véritable proscription qui contraint à l’exil Carnot, Fouché ou encore Cambacérès.

La chambre voulut poursuivre son œuvre de destruction des acquis révolutionnaires : suppression de l’Université, remise en cause du Concordat, remise en cause de la vente des biens nationaux, mais Louis XVIII parvint à s’y opposer, il ne recula que face à la suppression du divorce (loi Bonald du 8 mai 1816). Le conflit entre le roi et sa majorité se cristallise surtout autour de la loi électorale.

Persuadés qu’ils disposent d’un soutien sans faille des paysans, les ultras demandent l’abaissement du cens et l’instauration du parlementarisme. Sur le conseil d’Elie Decazes, le roi profite du conflit pour se débarrasser de cette majorité gênante. Il dissout l’assemblée le 5 septembre 1816. Les élections de 1816 puis de 1817 marquent un net glissement à gauche, vers les libéraux

de la Chambre. En 1818, tenant compte de ce changement de majorité, Richelieu démissionne, Louis XVIII appelle comme chef du conseil son favori, le jeune Elie Decazes (38 ans), ancien magistrat sous l’Empire, préfet de police au début de la Restauration, rapidement devenu très proche du roi sur lequel il exerce un ascendant réel. Decazes est un modéré, qui déteste les ultras, et notamment le frère du roi. Appuyé à présent sur une majorité modérée, à tendance libérale, Louis XVIII poursuit,

sous l’influence de Decazes sa politique de réconciliation, mais surtout, il instaure un grand libéralisme dans sa pratique constitutionnelle, dans son application de la Charte. L’objectif politique poursuivit par le roi et son ministère est, ici, de s’assurer du soutien de la majorité des notables (aristocrates et bourgeois) :

- Loi Laîné (1817), loi électorale qui prévoit que, dans le cadre des élections censitaires, il n’y aura désormais plus qu’un collège électoral, unique, par département, ce qui avantage les bourgeois citadins, plutôt libéraux, par rapport aux aristocrates ruraux, plus royalistes - Loi Gouvion de Saint-Cyr en matière militaire (1818) qui rétablit la conscription avec faculté de remplacement (c’est-à-dire de rachat), qui profite principalement aux plus riches - Loi de Serre sur la presse (1819) qui supprime l’autorisation préalable et la censure, alors que l’essentiel de la presse de l’époque est une presse d’opinion, plus que d’information. Les formalités sont largement allégées pour la création d’un journal.

Avec Decazes, Louis XVIII semble gagner son pari d’enraciner la restauration grâce au soutien des notables provinciaux, grâce à la bourgeoisie qui trouve dans les tendances libérales du régime les conditions idéales à sa prospérité.

B. Vers le parlementarisme ? On assiste surtout, grâce à cette pratique libérale de la constitution, à l’apparition d’une

ébauche de parlementarisme. On ne peut, pour l’époque pas encore parler de partis politiques, puisque une fois élus, les

députés restent libres dans leur vote, sans recevoir de consigne de vote, sans être soumis à une discipline partisane. Néanmoins on commence à voir apparaître de réelles tendances politiques : les ultras-royalistes à droite, favorables au retour à l’absolutisme, destructeurs des Lumières, le centre constitutionnel, soutien du gouvernement (Richelieu, Decazes, de

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Broglie, Royer-Collard, Guizot101…), la gauche libérale (J. Laffitte, La Fayette, Constant, Casimir-Périer) qui soutient largement le ministère Decazes, et l’extrême gauche, républicaine, très minoritaires, nostalgiques de l’an II (Cavaignac, Raspail). Par ailleurs, dans la pratique constitutionnelle, le ministère laisse de plus en plus de place

à la chambre des députés qui n’hésite pas à remettre en cause, très prudemment et respectueusement, les choix politiques du gouvernement. La Chambre le fait par deux techniques :

- L’adresse au roi, formulée à la suite du discours du Trône, discours d’ouverture de la session annuelle de la Chambre. Cette adresse devint assez rapidement un acte politique qui approuve ou blâme la politique gouvernementale. - Les questions et interpellations du gouvernement, en cours de session, c’est-à-dire une demande d’explication adressée par un député au gouvernement, ce qui permet d’ouvrir un débat - La discussion du budget, qui est permise par le droit reconnu aux Chambres de consentir à l’impôt.

II. La tentative de retour de l’absolutisme (1820-1830)

A. Les causes du durcissement Néanmoins le point faible du régime vint dérégler ce beau projet. Louis XVIII n’avait en

effet pas d’enfant. Son successeur présomptif était donc son frère, Charles X. Celui-ci est âgé (en 1820, il a 63 ans) a lui-même deux fils : Louis, duc d’Angoulême, qui se révèle impuissant et le second, Charles, duc de Berry, qui a déjà une fille et qui porte donc sur ses épaules tous les espoirs dynastiques de la famille de Bourbon. Or, le 13 février 1820, un ouvrier républicain fanatique, Louvel, poignarde à mort le duc

de Berry dans le but d’éteindre la dynastie. Le crime se révèle absolument inutile puisque la duchesse est enceinte et accouche, sept mois après d’un fils, Henri, qui devient donc, héritier présomptif de la couronne. Celui-ci, duc de Bordeaux, sera le comte de Chambord, qui sera en mesure, vers 1873 de restaurer la monarchie et hésitera puis renoncera à le faire, épuisant la dernière chance de restauration (il meurt en 1883). Les ultras profitent de l’attentat, pour tenter de revenir en force. Ils mettent en cause la

politique trop libérale de Decazes. Le roi, profondément touché par l’assassinat et qui commence à partir de 1820 à subir fortement sa maladie (goutte qui le maintien en fauteuil roulant et gangrène), se révèle fatigué et beaucoup moins combatif politiquement, cède pour retrouver la paix sociale. Il rappelle Richelieu au ministère en 1820, mais celui-ci se révélant, aux yeux des ultras trop modérés, il fait appel au comte toulousain Jean-Baptiste de Villèle. En fait à cette époque, c’est le frère du roi, le comte d’Artois, assez extrême dans ses positions, qui influence très fortement le gouvernement de la France. Artois demande à Villèle d’amplifier la politique de restauration de l’absolutisme. C’est

ainsi que les libertés publiques (opinion, presse) sont réduites, la censure est rétablie. Dans le domaine électoral, afin d’assurer le succès des ultras aux élections, est instaurée la

pratique du double vote en vertu de laquelle une partie importante des députés ne doivent être élus que par le quart des électeurs le plus imposé, donc a priori le plus conservateur. Des mouvements défavorables éclatent contre cette loi tout à fait antilibérale. Villèle les réprime (les cours de Guizot, jugés trop libéraux sont ainsi interdits à la Sorbonne). Villèle craignant un soulèvement de l’armée, largement hostile au retour de l’absolutisme,

décide de l’éloigner, de l’occuper par une campagne contre la tentative de révolution libérale en Espagne. À la demande de la Sainte-alliance, la France est ainsi envoyée, en 1822, en

101 Pour qui la charte permet l’avènement de la classe moyenne et est donc la fin de l’histoire.

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Espagne pour rétablir sur son trône le monarque absolu Ferdinand VII. La campagne française est un succès total, qui renforce Villèle102. Le chef du conseil, sur du soutien des notables, en profite alors pour dissoudre

l’Assemblée. Les élections de 1824 lui donnent raison, c’est un raz-de-marée ultra, la gauche n’a plus que 19 députés sur 430. Villèle porte alors le mandat de député de 5 à 7 ans, sans renouvellement partiel, pour enraciner son action dans le temps et profiter pleinement de sa nouvelle majorité. Les dernières années de Louis XVIII, caractérisées par l’effacement d’un roi malade et

épuisé, sont donc marquées par la domination des ultras.

B. Charles X et la trahison de la Charte Contrairement à ses frères, l’ancien comte d’Artois, Charles X est fin et élancé, il a

beaucoup d’allure, mais il est sans doute beaucoup mois intelligent que son prédécesseur. Avant 1789, c’est un prince gâté, coureur, libertin et inculte, qui jouit pourtant, bel homme, d’un certain prestige aux yeux du peuple. Il est, dès juillet 1789, un des premiers à émigrer. Il faut dire qu’il est et resta toujours très attaché à ses convictions absolutistes. C’est ainsi qu’à la mort de Louis XVIII, en 1824, Charles, contrairement à son frère, se fait

sacrer roi de France et de Navarre, dans la plus pure tradition capétienne, à Reims (mai 1825). Son règne marque le retour d’une application très rigoureuse de la charte, en violation de l’esprit conciliateur dans lequel elle avait été élaborée. L’ébauche de parlementarisme s’effondre alors. Villèle resté au pouvoir poursuit en effet son œuvre de restauration de l’absolutisme, avec

le soutien complet du roi et de sa majorité. Il prend ainsi une série de mesures particulièrement rétrogrades :

- Dans le domaine religieux, il accorde des facilités administratives et financières aux congrégations, qui avaient été frappées de plein fouet par la Révolution et instrumentalisées par l’Empire. Il fait surtout voter la loi du sacrilège qui punit de mort quelques sacrilèges et de prison tout vol d’objet sacré (adoucissement obtenu par Villèle lui-même). Ces lois, en faisant de la religion catholique une religion officiellement défendue, remettent en cause la liberté de culte, et plus largement de conscience. Elles provoquent en réaction une vague anticléricale. - Dans le domaine social, les acquis révolutionnaires sont attaqués. Une loi (sur le milliard des émigrés) prévoit ainsi l’indemnisation des émigrés pour les biens confisqués par la Révolution. Mal pensée, elle profite en fait surtout à la haute noblesse, oubliant les victimes plus modestes, qui se retournent contre le gouvernement.

Cette politique provoque nombre de réactions négatives. Ainsi, en 1827, passant en revue la garde nationale, le roi entend des cris défavorables aux réformes. Faisant preuve du pouvoir qu’il estime avoir retrouvé, Charles X n’hésite pas à supprimer la garde nationale. Afin de rassurer le roi et se rassurer lui-même, afin de se prouver que ces

mécontentements sont le reflet d’une minorité sans poids politique, Villèle décide de dissoudre son assemblée. Les élections de novembre 1827 sont, pour lui, une terrible désillusion. La majorité ultra

s’écroule, la gauche obtient 180 députés, auxquels s’ajoutent 70 opposants de droite au ministère. Celui-ci ne peut compter que sur le soutien de 180 députés, il est en minorité. Villèle tirant les conséquences de l’élection, décide de démissionner. Charles X pourtant

102 Notamment marquée par la victoire de Trocadero.

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refuse le résultat des urnes et s’enferme dans une logique jusqu’au-boutiste qui ne peut conduire que jusqu’à la rupture.

C. La Révolution de 1830 Après le départ de Villèle, Charles X appelle au ministère le Bordelais Martignac, un

aristocrate modéré inquiet de la tournure conservatrice prise par le gouvernement. Il estime que les excès des ultras peuvent mettre en péril le régime. Il cherche donc à calmer la gauche et renoue, donc, en quelque sorte avec la politique conciliatrice de Decazes : réouverture des cours de Guizot à la Sorbonne, suppression de la censure… Mais Martignac ne convient pas au roi qui ne le soutient pas et regrette Villèle, qui partageait davantage ses vues. De plus, trop modéré dans son ouverture, Martignac n’obtient pas le soutien de la gauche. Charles X, convaincu de sa popularité (après un voyage triomphal dans l’Est) le pousse à la démission. Convaincu que le peuple approuve sa politique restauratrice, il nomme comme chef du

conseil le prince de Polignac, chef de file des ultras et incarnation de l’Ancien Régime (il est le fils d’une amie proche de Marie-Antoinette). Par cette nomination, Charles X rejette l’application libérale de la charte qu’avait faite son frère. Le ministère en place ne traduit en effet pas du tout la majorité et les aspirations politiques de la majorité de la Chambre. Pour les députés, il est évident que le roi va au coup de force, que son but est la

restauration absolutiste, le renversement du régime de la Charte. La résistance s’organise alors, regroupant toute l’opposition au roi : les libéraux de La Fayette, les Républicains du carpentrassien Raspail et surtout les monarchistes modérés. Ceux-ci notamment menés par Talleyrand, le puissant banquier Jacques Laffitte et un

jeune journaliste marseillais venu à Paris faire fortune, Adolphe Thiers (rédacteur d’un des journaux politiques les plus en vogue, le National), soutiennent la candidature de Louis-Philippe, duc d’Orléans pour remplacer Charles X. Leur idée est de « faire un 1688 français » (référence à la Glorieuse révolution anglaise qui avait renversé le roi absolutiste Jacques II et l’avait remplacé par Guillaume III d’Orange, favorable à une collaboration avec le Parlement, changement de personne sans changement institutionnel). Pour Thiers, l’idée est de conserver la Charte et donc l’organisation institutionnelle, mais de changer les hommes, de remplacer Charles X et plus généralement les Bourbon, et de le remplacer par Louis-Philippe, qui incarne, par son passé, la conciliation entre Révolution et royauté (fils de Philippe-Égalité, il s’est battu à Valmy et Jemmapes). Derrière cette idée va se former le parti « orléaniste ». À l’occasion du discours du trône de mars 1830, lors duquel Charles X annonce

l’expédition d’Alger, la Chambre réagit par une adresse au roi signée par 221 députés (adresse des 221) qui réclame la mise en place de la responsabilité politique des ministres devant la Chambre (en d’autres termes le parlementarisme). Charles X réagit en se raidissant dans ses principes. Il dissout l’assemblée rebelle le 15

mai. Il organise par ailleurs de nouvelles élections qui lui paraissent lui être promises, notamment du fait que le roi escompte de grandes retombées en termes de prestige du fait de la prise d’Alger, et des pressions préfectorales. Les élections de juillet 1830 lui sont pourtant très défavorables : l’opposition sort encore

plus forte (274 députés, contre 250, à opposer aux 143 « ministériels ». Charles X réagit alors par un véritable coup de force. Il refuse de se soumettre à cette

nouvelle majorité. Il utilise, pour ce faire, pour la première fois dans la Restauration, l’article 14 de la Charte qui donne au roi la faculté de prendre par ordonnance toute mesure nécessaire à la sûreté de l’État. Il prend ainsi quatre ordonnances, dites de Saint-Cloud, où il réside : rétablissement de la censure (autorisation préalable), dissolution de l’assemblée (qui n’a même pas siégé), modification de la loi électorale (limitation du droit de vote à

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l’aristocratie foncière, principal soutien du régime), convocation de nouvelles élections pour septembre. L’opposition rejette ces ordonnances qui, si elles ne sont pas contraires à la lettre de la

Charte, le sont à son esprit. Plusieurs journalistes dont Thiers organise ainsi un mouvement de désobéissance civile, mais ils se voient disperser par la police. Cette répression déclenche la réaction des foules. À partir du 27 juillet et pour trois jours « les Trois glorieuses ». Paris, qui retrouve un rôle moteur dans les mouvements révolutionnaires, se couvre de barricades. Au terme des trois jours, c’est une armée de 50 000 insurgés qui est maîtresse de Paris. Dans la confusion, Laffitte, Thiers et Talleyrand lancent le nom de Louis-Philippe

d’Orléans pour remplacer le roi en fuite, vers l’Angleterre. Le 31 juillet, le duc se présente au peuple parisien, aux côtés du très populaire La Fayette. Après avoir pris un drapeau tricolore, il est acclamé par foule. Le 2 août, Charles X a compris que la partie était perdue. Affolé, il abdique en faveur du

duc de Bordeaux, le jeune Henri, et confie la lieutenance royale au duc d’Orléans, qui la refuse. Le lendemain, les députés et pairs déclarent le trône vacant et y appellent « Louis-

Philippe Ier, roi des Français par la grâce de Dieu et la volonté nationale. » Ils en profitent pour réviser la Charte dont est supprimé l’article 14, le cens est abaissé, le drapeau tricolore rétabli, le catholicisme rabaissé à son statut de religion de la majorité des Français du Concordat. C’est la fin de la seconde Restauration, de la Restauration bourbonne, le début de la

monarchie de juillet, c'est-à-dire née des trois glorieuses, la Révolution de juillet 1830. Chapitre III. La Monarchie de Juillet (1830 – 1848)

Section I. La Charte révisée du 14 août 1830 I. Un nouveau contexte politique

La monarchie de Juillet est née d’un malentendu, qui explique que le nouveau régime ne soit jamais parvenu à obtenir l’adhésion des Français. Si le régime instauré par les frères de Louis XVI a finalement échoué c’est avant tout parce

que les Français détestent cette famille imposée aux Français par les étrangers. Les Français en renversant Charles X, affirme leur désir de revanche, notamment contre l’Angleterre de Waterloo. Ils obtiennent un roi anglophile et pacifiste qui les déçoit rapidement. Par ailleurs, la Révolution de 1830 est une révolution populaire, menée par les quartiers

modestes de Paris, désireux de voir la République rétablie. Or elle est immédiatement récupérée dans la confusion de juillet par la haute bourgeoisie qui installe un régime qui lui convient, fondé sur des principes libéraux, mais ceux de 1789 et non ceux, voulus par le peuple, de 1793. Un gouvernement conservateur des principes de 1789 qui la protège contre l’émergence et les revendications du prolétariat industriel en cours de constitution. Le nouveau roi, Louis-Philippe est un personnage complexe. Proche cousin de Charles X

et Louis XVI, Bourbon comme eux, il est le fils de Philippe-Égalité, le cousin régicide de Louis XVI, guillotiné sous la Révolution, et dont le comportement décrédibilisa Louis-Philippe pendant assez longtemps. Louis-Philippe lui-même est, à l’origine, comme son père, assez favorable à la Révolution,

jeune homme, il s’enrôle même dans les armées révolutionnaires, participe aux victoires de Valmy et Jemmapes sous les ordres de Dumouriez, mais il suit son général dans sa trahison en 1793. Émigrés, il est cependant mis à l’écart à cause du comportement de son père.

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Louis-Philippe rentre en France en 1817, mais est écarté du pouvoir, il vit discrètement,

comme un bourgeois, avec une fortune considérable (il est le première bénéficiaire de la loi du million des émigrés), au Palais Royal à Paris103. Pendant le renforcement autoritaire de la Restauration, le Palais royal devient le point de ralliement de l’opposition libérale au régime, ce qui le fait de plus en plus apparaître comme un potentiel prétendant au trône. Louis-Philippe rassure les libéraux, il apparaît comme un bourgeois débonnaire

convaincu des idées révolutionnaires. Pourtant, Louis-Philippe cache une autre personnalité, imbue de sa naissance (il est descendant de Louis XIV, de Richelieu et de Mazarin), orgueilleuse, obstiné et ambitieux (pour la France104 autant que pour lui), il est surtout autoritaire, ce qu’il révéla progressivement une fois au pouvoir, en s’éloignant petit à petit des promesses libérales de 1830. Louis-Philippe est, enfin, un roi mal aimé. Il est détesté par les légitimistes qui le

considèrent comme un usurpateur. Il est rejeté par les Républicains, aux yeux de qui seule une république démocratique trouve grâce. Il ne peut donc compter que sur les modérés qui sont, eux-mêmes profondément divisés entre ceux qui veulent la conservation sociale, estimant que l’avènement de la classe moyenne est la fin de l’histoire, c’est la politique du « juste milieu », équilibrée et conservatrice de cet équilibre (Broglie, Casimir Périer, Guizot) et ceux qui estiment que la monarchie doit avancer vers le parlementarisme et la démocratie (La Fayette, Laffitte, Odilon Barrot, ces derniers sont désignés par l’expression « orléanisme du Mouvement »).

II. Le fragile équilibre des pouvoirs La chambre des députés déclare aussitôt Charles X renversé que la Charte de 1814 sera

mise à jour, ce qui passe, en premier lieu, par la suppression du préambule qui « [blessait] la dignité nationale ». Plus que la lettre de la charte, c’est son esprit qui est modifié : ce n’est plus une Charte octroyée, mais un pacte entre la Nation et le roi, une Charte qui vient de la Nation. Le nom même du roi confirme que le roi ne s’inscrit pas dans la continuité monarchique (il aurait pris le titre de Philippe VII), mais entend ouvrir une nouvelle ère. Louis-Philippe est alors appelé sur le trône, à la condition qu’il accepte les réformes

apportées à la Charte, à laquelle il doit prêter serment. Pour la première fois depuis Hugues Capet, le roi en place n’est donc pas désigné par les

lois fondamentales, par le principe de l’hérédité, complété par la primogéniture. Il n’est pas un roi légitime aux yeux des royalistes, il est un roi « constitué », un roi établi par la constitution, non par les règles royales. La Charte du 14 août 1830 est construite sur la base de celle de 1814. Elle réaffirme les

libertés des Français, en évitant de proclamer une déclaration des droits de l’homme qui rappellerait trop la Révolution. Le roi détient l’exécutif, il reste inviolable et sacré, irresponsable politiquement et

pénalement. Il dirige l’armée et mène la diplomatie. Au niveau législatif, il partage l’initiative avec les chambres et promulgue la loi à l’occasion de laquelle il dispose d’un droit de veto (limité, puisque une loi bloquée par le roi peut être, de nouveau, présentée aux chambres lors de la session législative suivante, en fait Louis-Philippe ne l’utilisera qu’une seule fois). Il a, enfin, le droit de dissoudre la Chambre des députés.

103 Louis XVIII : « Il ne remue pas et cependant je m’aperçois qu’il chemine. » 104 C’est lui qui sauve Versailles de la ruine en faisant un musée national et en payant de ses fonds propres sa remise en l’état.

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Le roi, qui conserve le pouvoir réglementaire. Il perd en revanche le droit de suspendre

les lois, de prendre des ordonnances nécessaires à la sûreté du royaume, de l’article 14 de la Charte de 1814. La Chambre des députés reste désignée par l’élection censitaire. Le cens est simplement

élargi. Le double vote est supprimé. Les électeurs restent, néanmoins, une toute petite minorité des Français. Les Chambres conservent leurs appellations de 1814. Elles sont l’initiative des lois et,

conjointement, votent la loi. En fait, du fait de leurs compositions respectives, et la faiblesse du nombre des sessions des pairs, c’est la Chambre des députés qui a une nette prééminence. Elles ont enfin un droit d’interpellation à l’encontre du ministère. Ce droit d’interpellation s’exerce contre les ministres et permet aux députés d’accorder ou de retirer leur confiance au ministère. Décision dont le ministère tirait les conséquences politiques. Il arrivait même au ministère de demander un vote de confiance pour renforcer sa légitimité politique. L’interpellation, même si elle n’est pas la responsabilité politique, a donc contribué aux

progrès du parlementarisme. Le ministère est composé de ministres nommés par le roi et révocables seulement par lui.

Les ministres ne sont en effet politiquement responsables que devant le roi (ils le sont au pénal devant les chambres). La charte de 1830 n’est donc pas plus parlementaire que celle de 1814, mais c’est une nouvelle fois la pratique qui en sera faite qui permettra la poursuite de la marche du parlementarisme qui fait respecter l’orientation politique de la Chambre des députés par le roi se poursuit, principalement par le droit d’interpellation. Louis-Philippe s’y tint. Il prit ses présidents du Conseil au sein de la majorité et demanda

leur démission lorsque la majorité lorsque la majorité se renverse. Mais il utilisa largement la pratique de la dissolution qui lui permettait de se débarrasser des majorités qui lui déplaisaient.

Section II. Le difficile enracinement du parlementarisme I. La monarchie de Juillet face à l’instabilité (1830-1840)

A. Le roi face à l’agitation L’agitation qui marque la période est multiforme. Elle a aussi des sources variées. Elle ne

vint cependant pas des légitimistes qui se limitèrent à des tentatives très limitées et rapidement réprimées. L’agitation est d’abord sociale. Le petit peuple est en effet frustré de sa victoire de 1830

sur la monarchie. Il est surtout victime du début de la Révolution industrielle. Face à la Révolution, le gouvernement, libéraux comme modérés s’en tiennent à une position de neutralité non-interventionniste fondée sur le respect de la liberté contractuelle et l’application de la loi Le Chapelier de 1791 qui interdit toute organisation professionnelle, donc tout syndicat capable de porter les revendications des ouvriers. La misère ouvrière, qui touche déjà l’Angleterre (où elle émeut Engels) et l’Allemagne,

touche également la France, même si c’est dans une moindre mesure (du fait du retard en matière industrielle de la France), ne provoque aucune réaction du pouvoir. Au contraire, le Président du conseil Casimir Périer, lui-même puissant industriel répond aux plaintes : « Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation. » C’est dans le domaine textile que la situation est la plus catastrophique, en raison

notamment de la concurrence anglaise qui provoque une détérioration des conditions de travail des ouvriers, les poussant à des gestes désespérés. Le cas le plus grave est celui des

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Canuts de Lyon, les ouvriers de la soie, qui se révoltent en novembre 1831105. La cause de la révolte est la décision du préfet du Rhône de fixer un tarif des salaires, un salaire imposé, donc, pour endiguer la baisse de ceux-ci. Cette décision du préfet est désavouée par le Président du Conseil Casimir Périer, ce qui provoque la révolte des Canuts. L’émeute, qui naît sur la colline de Croix-Rousse, met en difficulté l’armée. Du 20 au 22

novembre les combats provoquent environ un millier de victimes avant que l’armée ne rebrousse chemin, laissant la ville aux insurgés. Les Canuts sont alors maîtres de la seconde ville du royaume, ce qui ne provoque pas de débordements, mais qui les laissent sans programme, ils ne voulaient en effet que l’amélioration de leurs conditions de travail, pas le pouvoir (ils ne soutiennent pas d’ailleurs les tentatives de récupération républicaines du mouvement). Le gouvernement réagit en envoyant sur place une armée de 20 000 hommes dirigée par l’ancien maréchal d’empire, Soult. Celui-ci reprend la ville début décembre sans effusion de sang. Seules quelques arrestations sont faites, mais le tarif préfectoral est annulé, et le préfet révoqué. Cette révolte n’avait rien de politique, contrairement à celles qui suivront. Les

Républicains106 se sont en effet rendu compte de l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de l’insatisfaction sociale pour utiliser le peuple à leurs fins. Celles-ci sont classiques chez ces nostalgiques de 1793, revanchards de 1815 et déçus de

1830 : instauration du suffrage universel, instruction populaire, remise en cause des traités de 1815. En 1832, c’est à Paris qu’éclate une nouvelle insurrection. En pleine épidémie de choléra,

qui provoque la mort de 20 000 parisiens, dont le président du Conseil, Casimir Périer, les Républicains provoquent de la panique causée par la maladie pour tenter un coup de force. Utilisant leurs réseaux, ils lancent une émeute au début du mois de juin. Les barricades sont mises à Paris, comme en 1830. Mais l’émeute est rapidement encerclée par la Garde nationale renforcée par l’armée. Les derniers résistants sont massacrés dans le centre de Paris, la répression aura fait environ 800 morts L’agitation républicaine se poursuit, notamment au sein de la Société des droits de

l’homme, constituée sur les cendres de celle des Amis du Peuple. Le ministère y répond par des lois d’exception contre les vendeurs de journaux et les associations. Ces lois d’exception provoquent la réaction des républicains qui organisent des émeutes en avril 1834 à Paris et Lyon (seconde révolte des Canuts). Le gouvernement y répond par la force. À Paris et surtout à Lyon, Thiers inaugura une méthode qu’il mettra à profit pour vaincre la Commune en 1871 : abandonner la ville ou certains quartiers aux émeutiers, pour mieux les encercler et les écraser en reprenant progressivement la ville. L’émeute parisienne notamment est marquée par le massacre de la rue Transnonain (aujourd’hui rue Beaubourg)107. Le mouvement républicain est alors décapité, mais il vit encore comme en témoigne

l’attentat de l’aventurier corse Giuseppe Fieschi (moins républicain qu’attiré par l’argent fournie par un conspirateur républicain) dont la machine infernale explose au passage du roi le 28 juillet 1835, tuant 18 personnes dont le Maréchal Mortier, et blessant le roi108. Unanimement dénoncé, l’attentat permet au gouvernement de durcir, en la personne de

105 Les Canuts s’en prennent avant tout à ce qui cause, à leurs yeux, leur malheur, c'est-à-dire les métiers à tisser qu’ils contraignent les tisserands à fermer 106 Leur principal représentant (à côté de François Raspail) est le journaliste Godefroy Cavaignac, appuyé sur la Société des Amis du Peuple et sur les agitateurs Auguste Blanqui et Armand Barbès. 107 Dans une maison de cette rue, proche d’une barricade, à la suite d’un coup de feu sur un officier, les soldats entrèrent et massacrèrent tous les habitants : hommes, femmes, enfants, vieillards, ce qui provoqua une indignation générale, largement relayée par la presse. 108 Fieschi, lui-même blessé, sera condamné à mort et guillotiné.

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Thiers, sa politique de répression à l’égard des Républicains. La loi de septembre 1835 sur la presse prévoit ainsi des poursuites contre l’auteur de toute attaque contre la forme et le principe du gouvernement. Il est de plus dorénavant interdit de se dire « républicain »109. Les Républicains s’en tiendront dorénavant à une opposition politique plus pacifique. Ils maintiennent et approfondissent, néanmoins, leur pratique de sociétés plus ou moins secrètes présentes sur l’ensemble du territoire, sur laquelle ils pourront s’appuyer le moment venu. L’opposition républicaine se fait en effet, de nouveau plus vive à partir de 1846. La fermeté du gouvernement est donc indiscutable. Elle se retrouve d’ailleurs dans la loi

sur les attroupements du 10 avril 1831 qui autorise les troupes à tirer sur des émeutiers après trois sommations et la loi Soult sur le service militaire du 21 mars 1832 qui porte la durée du service à sept ans, constituant ainsi une armée de métiers, professionnelle, tout en restant fondée sur la conscription.

B. Le roi et le jeu des institutions

La monarchie de juillet est caractérisée par une grande instabilité institutionnelle. Au niveau du ministère, mais également au niveau des Chambres. L’agitation explique pour beaucoup cette instabilité, mais également le comportement du roi qui, pour renforcer son pouvoir, n’hésita pas à utiliser l’instabilité ministérielle et la dissolution de la Chambre des députés. Ainsi, une dizaine de ministères se succédèrent en 18 ans, dont un dura sept ans, à l’opposé celui du duc de Bassano ne dura que 3 jours en 1834. De même, aucune législature ne parvint à son terme, il y eu ainsi 6 dissolutions en 18 ans, soit une environ tous les trois mois. Le roi chercha par ce biais à constituer un parti de la couronne qui le soutiendrait à la chambre. Le premier ministère formé par le roi est le ministère dirigé par Jacques Laffitte, acteur

central de la Révolution de 1830 et orléaniste libéral, favorable au Mouvement. Le roi lui est peu favorable et il pense en l’appelant à la présidence du conseil pouvoir discréditer son parti, du fait des grandes difficultés liées au rétablissement de l’ordre. En fait, Laffitte, peu préoccupé par sa popularité parvient à faire face aux difficultés. Il se permet même de gêner Louis-Philippe par une diplomatie clairement libérale (soutien aux insurgés italiens et polonais, révoltés contre les monarchies autrichienne et russe). Le roi décide alors de le renvoyer. Le modéré et orléaniste conservateur Casimir Périer le remplace en 1831. Homme à

poigne, il écrase la révolte des Canuts de Lyon et peu soucieux, également de sa popularité, mène une politique qui convient au roi, mais il est emporté par l’épidémie de choléra de juin 1832. Louis-Philippe décide alors de diriger quelques mois lui-même le gouvernement. Avant

d’y nommer successivement plusieurs présidents du conseil fantoches. Se succèdent alors plusieurs ministères, mais les affaires sont alors effectivement dirigées par un triumvirat composé par le ministre des affaires étrangères le duc Victor de Broglie (détesté par le roi), le ministre de l’intérieur, l’énergique Adolphe Thiers et le ministre de l’instruction publique François Guizot110, puis surtout par Thiers et Guizot dont Louis-Philippe utilise, à son profit, l’opposition. Le roi se permettra même de diriger lui-même le gouvernement pendant 2 ans et demi par

l’intermédiaire de l’opportuniste Louis Molé (qui servit Napoléon, Louis XVIII et Louis- Philippe avec le même enthousiasme).

109 Les Républicains s’appelleront désormais démocrates ou radicaux (partisans d’un changement radical du régime), ce qui est la racine du nom du parti radical. 110 Ministères Soult (oct. 1832-juill. 34), Mal Gérard (juill-nov. 1834), Maret, duc de Bassano (nov. 1834), Mal Mortier (nov. 1834-mars 1835), Victor de Broglie (mars 35-févr. 36), Thiers (févr.-sept. 1836), Molé (sept. 36-avril 37), Molé (avril 37-mars 39), Soult, Thiers puis Soult

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C. L’évolution du régime face à l’adversité Cherchant dans l’instabilité, qu’il provoque largement, à se constituer un parti et à

gouverner le plus possible par lui-même, contrairement au souhait de Thiers en 1830 : « le roi règne, mais ne gouverne pas). Louis-Philippe fit prendre à ses ministères plusieurs lois qui montrent clairement l’orientation bourgeoise du régime. La loi électorale du 19 avril 1831 abaisse ainsi le cens, ce qui fait passer le pays légal de

90 000 à 166 000 électeurs (sur 32 millions de Français, soit 1/65 majeurs), ouvrant donc l’action politique à la haute bourgeoisie, et non plus seulement aux aristocrates. Les lois municipale et départementale de 1831 et 1833 vont dans le même sens en réservant l’élection des conseils aux notables. Mais pendant toute la Monarchie de Juillet (comme pendant la Restauration), le gouvernement utilise la pression pour tenter d’orienter le vote des électeurs (candidatures officielles soutenues par les préfets, qui interviennent dans les campagnes). La chambre des pairs voit par ailleurs sa composition modifiée en 1831, la dignité de pair

reste viagère, mais n’est plus héréditaire, ce qui permet au roi de recomposer plus facilement cette chambre. La Garde nationale est réorganisée par la loi du 22 mars 1831. Cette garde de la monarchie

est en principe ouverte à tous les Français, mais en pratique seulement à ceux qui paient l’impôt individuel et peuvent s’équiper à leurs frais, c'est-à-dire les bourgeois. La Garde Nationale est une garde bourgeoise, fidèle au roi, jusqu’à 1840 où le roi, passant les troupes en revue, entend des cris « Vive la réforme » qui reviennent à condamner sa politique conservatrice. Louis-Philippe (sans tomber dans les excès de Charles X) s’abstiendra alors de passer en revue la Garde, ce qui l’éloignera de la petite et moyenne bourgeoisie. Enfin, la loi Guizot sur l’instruction, du 28 juin 1833 pose le principe de l’enseignement

primaire libre, ne retenant ni la gratuité, ni l’obligation réclamées par les Républicains. Elle prévoit en revanche que toute commune à l’obligation d’ouvrir une école, qu’elle soit laïque ou non. Pour Guizot, cette protection de l’école libre doit permettre d’éviter que l’enseignement soit entre les seules mains des légitimistes ou des républicains.

II. La stabilisation du régime : le « moment Guizot »111 (1840-1848) Le 29 octobre 1840, Louis-Philipe appelle comme président du Conseil, pour la troisième

fois le Maréchal Nicolas Soult. Ce ministère durera sept ans, par sa stabilité, il traduit celle du régime qui a semble à cette époque avoir su passer l’épreuve des agitations des dix premières années. En fait, Soult est un président du Conseil fantoche, l’homme fort du gouvernement est le ministre des affaires étrangères, François Guizot, qui remplace d’ailleurs Soult en 1847. Cet homme fort du régime convient parfaitement au roi. Guizot et le roi fonctionnèrent pendant huit ans en ticket, soudé et orienté vers un but commun, dans une entente parfaite, permettant au roi de réellement gouverner, dans la durée. Le Nîmois François Guizot (1787-1874) est un historien, il fait parler de lui dès la

Restauration par son opposition libérale au pouvoir bourbon. Ses cours à la Sorbonne, jugés trop libéraux, sont ainsi suspendus à plusieurs reprises. La Révolution lui permet de jouer un rôle politique de premier plan, au sein du groupe des orléanistes conservateurs, qui jouissent de la faveur du roi. Plusieurs fois ministre au cours de la première décennie de la monarchie de Juillet, il

s’oppose fréquemment à Thiers, mais entre dans la sympathie du roi. C’est lui qui mène la politique de la seconde partie du règne, jusqu’à incarner dans l’histoire le conservatisme de la monarchie de Juillet.

111 P. Rosanvallon

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Pour Guizot, le roi doit être politiquement actif (« le trône n’est pas un fauteuil vide ni une

machine inerte »), sa politique est conservatrice à l’intérieur (conservation de la Charte et conservatisme social par le non-interventionnisme de C. Périer) et pacifiste à l’extérieur (ce qui déplait aux sentiments revanchards des Français). Ce qui ne l’empêche pas de mener une politique coloniale ambitieuse, qui passa principalement par la conquête de l’Algérie, pilier de l’empire colonial français qui est alors en cours de constitution. Guizot parvient à installer la stabilité politique en domestiquant les députés,

récompensant ceux qui votent pour lui, n’hésitant devant aucune manœuvre pour y parvenir, y compris la corruption (en effet les députés ne touchent alors pas d’indemnité) : attributions de places de fonctionnaires, concessions minières ou ferroviaires, marchés de travaux publics, argent, décorations, accélération de l’avancement pour les députés fonctionnaires… Il parvient ainsi à attacher un par un les députés au régime (ce qu’il appelle ses « conquêtes individuelles »). Cette corruption, si elle assure à Guizot le soutien de la Chambre, le discrédite largement dans l’opinion. Les Français apprécient peu la diplomatie de Guizot, fondée sur l’entente cordiale avec

l’ennemi anglais. Ils témoignent d’une grande nostalgie pour l’épopée napoléonienne, notamment dans les milieux paysans. Le retour triomphal des cendres de l’empereur à Paris en 1840 en est un des témoignages les plus spectaculaires. Guizot répond aux attaques en mettant en avant les avantages, notamment économiques, tirés de l’alliance anglaise. En 1846, cependant, la situation change avec un éloignement de l’Angleterre lié au

mariage de la reine d’Espagne (pour lequel le candidat de la France fut préféré au candidat de l’Angleterre). Guizot décide alors de se tourner vers l’Autriche. L’opinion publique française est consternée (ainsi qu’en témoigne la condamnation par le nationaliste Thiers et son Constitutionnel). Certes, les Anglais sont abandonnés, mais pour les autres ennemis, la patrie de Metternich, le vainqueur de Napoléon. Mais le plus grave est ailleurs. Louis-Philippe a en effet trouvé en Guizot un compagnon

de route qui partage son intransigeance. Intransigeance qui se manifeste principalement dans le refus d’abaisser le cens. Aux demandes d’augmenter le pays légal, d’étendre le droit de vote par l’abaissement du cens, Guizot répond par un célèbre « Enrichissez-vous » et il est certain que le pays s’enrichit, ce qui permet, sans baisser le cens une extension du pays légal. Entre 1840 et 1847, le pays légal passe de 166 000 à 250 000, principalement grâce à une

conjoncture économique favorable (jusqu’en 1847), que le gouvernement ne perturbe pas, restant attaché à sa neutralité dans le domaine juridico-social. Ces succès expliquent le triomphe électoral de 1846, après la dernière dissolution112. Guizot et le roi semblent triompher. Persuadés du soutien populaire, de docilité des

masses paysannes (à juste titre) et de la division de leurs adversaires. Ils restent fermement attachés à leur politique conservatrice, voire immobiliste. Cependant, au moment où il semble triompher, Guizot est en fait très impopulaire, en

situation très dangereuse. Il a réussi à liguer contre lui les légitimistes (Le Siècle d’O. Barrot, les républicains (Le National de Marrast et la Réforme de Ledru-Rollin, Arago et L. Blanc), les orléanistes du Mouvement (Thiers), les ouvriers socialistes et les petits bourgeois, exclus par le cens du droit de vote. Tous rejettent le matérialisme et le cynisme du gouvernement de Guizot.

112 Sur 459 députés, 291 élus sont des ministériels (dont 188 fonctionnaires), et seulement 16 légitimistes et 12 républicains. La chambre des députés est à la botte du ministère et de son homme fort.

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Or, c’est dans ce contexte que la conjoncture économique s’inverse en 1846, d’abord avec

une crise agricole provoquant une disette d’un autre âge, puis une crise industrielle, financière et commerciale. En 1847, le chômage connaît un pic qui entraîne une baisse des salaires, non réglementés à l’époque, de 30% tandis que le prix du blé augmente de 100%113. Dans la tourmente, Louis-Philippe maintient le cap, appelant même Guizot à devenir Président du Conseil. C’est dans ce contexte que l’opposition décide d’agir.

III. La Révolution de 1848 Depuis les lois répressives de la décennie précédente, les réunions politiques sont

interdites. Les opposants au gouvernement, républicains et orléanistes du mouvement trouvent l’idée de banquets payants (d’un coût assez élevé, ce qui permet d’en tenir éloigner le peuple), à l’issue duquel sont prononcés des discours qui tournent autour de la réforme, c'est-à-dire l’abaissement du cens ou tout au moins un cens reconnaissant les capacités intellectuelles, ouvert aux gens instruits (professions libérales, enseignants des facultés) même s’ils ne paient pas le cens, mais également l’incompatibilité des fonctions parlementaires et administratives. Furent ainsi organisés jusqu’à la fin de l’année 1847, 70 banquets qui réunirent près de

17000 personnes. Cependant, l’opinion publique ne semble pas suivre le mouvement. Le succès de celle-ci se révèle donc très limité. Le roi et Guizot ne s’inquiètent pas, mais décident de mettre fin à cette pratique. Le

ministère décide d’interdire le banquet prévu à Paris le 22 février 1848, qui doit clôturer la campagne des banquets. Les organisateurs s’inclinent, mais une poignée d’étudiants manifestants contre l’interdiction se forme le jour prévu pour le banquet, aux cris de « Vive la Réforme » et « à bas Guizot ». La manifestation est dispersée par la police, sans que le gouvernement soit inquiété. Le lendemain, pourtant, l’agitation reprend et la Garde nationale décide de se rallier aux

manifestants. Le pouvoir découvre alors que Paris qu’il a délaissée ne le soutient plus. Le roi doit (enfin) réagir. Il panique. Il demande, un peu hâtivement à Guizot sa démission et rappelle Molé. Les émeutiers, ayant obtenu gain de cause, se dispersent. Mais une foule agitée par les

Républicains se rend alors sous les fenêtres de l’habitation de Guizot pour célébrer son succès et conspuer le ministre. La foule s’y heurte à la troupe. Un coup de feu d’origine inconnue est tiré, ce qui met le feu aux poudres, 16 manifestants sont tués. Les Républicains entassent les corps dans une charrette qu’ils promènent dans Paris. C’est l’embrasement. Le lendemain, Paris est couverte de barricades. L’armée fait défection. Le roi est dans une

impasse, il décide d’abdiquer en faveur de son petit-fils, le comte de Reims114. Les émeutiers envahissent alors le Palais Bourbon où se rendait le nouveau roi. La famille royale effrayée, décide de s’enfuir. Les Républicains, menés par Lamartine, conduisent alors la foule à l’Hôtel de Ville où la République est proclamée, le 24 février 1848. La monarchie bourgeoise, qui semblait si forte, s’écroule donc en seulement deux jours. La stabilisation du régime assurée par Guizot n’était que de façade, elle ne parvint pas à

renforcer le fragile édifice de 1830 : l’organisation politique mesurée et équilibrée de 1830 est en effet viciée de l’intérieur par l’erreur sur le caractère de Louis-Philippe. Son intransigeance, renforcée par celle de Guizot auront finalement raison d’un régime aveugle à aux véritables attentes des Français (et aveuglé par la soumission des députés, dont l’opposition a été cassée par les dissolutions), ou tout au moins de la partie des Français qui

113 Conséquence d’une surchauffe liée au début de la révolution industrielle. 114 Son fils aîné était mort accidentellement.

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compte à la fin des années 1840. La Monarchie de Juillet est morte de ne pas avoir perçu que la France avait changé entre 1830 et 1848. Il reste de la Monarchie de Juillet la mise en place d’un véritable régime parlementaire,

mais le roi par son action permanente sur les institutions en a faussé le jeu, ce qui explique en bonne partie l’échec final du régime. Le roi en effet n’a pas compris son rôle, fixé par la Charte. Il devait être l’arbitre au-dessus des partis, sans intervenir dans la politique du pays. Louis-Philippe l’a oublié en s’associant très étroitement au ministère, ce qui fait que l’échec du ministère fut également celui du roi, la chute de Guizot emporta celle du roi qu’il croyait protéger par son conservatisme. PARTIE III. D’UNE RÉPUBLIQUE À L’AUTRE (1848-1879)

Chapitre I. La IInde République L’époque est au romantisme, notamment dans la littérature. Les jeunes auteurs (Hugo,

Mérimée, Stendhal) estiment étouffer dans la société bourgeoise sclérosée et frileuse, préoccupée avant tout par son bonheur matériel, oubliant les grands combats, la soif de liberté... Ils estiment être nés trop tard, ils n’ont en effet pas connu l’époque folle, historique et enthousiasmante de la Révolution ou la gloire de l’Empire. Cette fièvre, qui connaît déjà un sommet avec la Révolution de 1830, culmine avec celle de

1848, avant de retomber lourdement dans l’échec de la République. Le romantisme laisse alors sa place à la littérature réaliste, qui porte un regard désabusé sur l’homme. Le 24 février 1848, Paris est laissée à l’anarchie que les chefs de l’opposition, les journalistes

des journaux d’opposition, le National et la Réforme ont tôt fait de récupérer. De même qu’en 1789 et 1830, le rôle du peuple parisien est décisif dans la Révolution de

1848. La République naît dans l’enthousiasme à la suite de la Révolution de février 1848, elle s’assagit en mai-juin suivant pour prendre une forme conservatrice qui la conduit à l’échec.

Section 1. Hésitations républicaines I. La République sociale

A. Une naissance enthousiaste Le gouvernement provisoire constitué le 24 février 1848 à l’occasion de la Révolution n’est

pas un gouvernement socialiste. Composé pour l’essentiel de proches du journal républicain, bourgeois et modéré, le National, il comprend pour l’essentiel l’astronome Arago, les avocats libéraux Marie et Crémieux, le célèbre écrivain Lamartine, le « verbe de la Révolution », malgré son origine légitimiste, le républicain Carnot, l’orateur démocrate Ledru-Rollin, mais aussi le journaliste socialiste Louis Blanc et l’ouvrier Albert (Alexandre Martin Albert). Ce gouvernement proclame aussitôt la République, mais réussit en la personne de Lamartine à sauver le drapeau tricolore alors que la foule parisienne voulait le drapeau rouge. Le geste est symbolique, le gouvernement est hostile aux bouleversements sociaux. Dans

un élan romantique, il considère que cette Révolution doit permettre l’avènement de la fraternité humaine, une réconciliation entre les bourgeois et les ouvriers, mais aussi entre laïcs et l’Eglise, qui s’associe très vite à la joie populaire. L’enthousiasme gagne très vite le peuple parisien et est relayé par le gouvernement. Le 25

février, celui-ci proclame au peuple parisien, regroupé sur la très révolutionnaire place de Grève, devant l’hôtel de Ville que l’unité de la nation est formée de toutes les classes de citoyens, ouvriers y compris, ce que la monarchie de Juillet n’avait pas fait. Il affirme surtout « le gouvernement de la nation par elle-même » et pose les fondements du nouveau régime : « la liberté, l’égalité, la fraternité pour principes, le peuple pour devenir et pour mot d’ordre » Le nouveau régime doit donc être une démocratie. L’enthousiasme s’incarne parfaitement dans la plantation des arbres de la Liberté qui rappellent ceux de la Révolution de 1789, arbres bénis par les prêtres, ralliés au nouveau régime.

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Très vite les premières mesures sont prises. Dès le 28 février, la peine de mort est abolie

pour motifs politiques. Il s’agit en effet pour le gouvernement provisoire de rassurer la France. La dernière expérience républicaine avait débouché sur la Terreur, à l’enthousiasme avait succéder la répression. Lamartine entend affirmer que 1848 n’est pas 1792 et qu’il n’est pas Robespierre, la Révolution et la République doivent s’imposer sans le sang. Un célèbre chansonnier républicain synthétise tout l’espoir apporté par le nouveau régime : « l’amour est plus fort que la haine ». Les mesures républicaines suivantes s’attachent à mettre en pratique les principes posés.

L’esclavage est ainsi aboli dans les colonies, les titres de noblesse sont supprimés, de même que les châtiments corporels en matière pénale. La libération de la presse permet l’apparition d’une multitude de nouveaux journaux qui chantent les louanges du nouveau régime, affirment leur espoir de voir changer la société Si la République se veut douce, il ne s’agit pas pour autant de risquer de voir la Révolution

échouer. L’administration, principal soutien de l’ancien régime, est donc reprise en main. Elle est purgée tandis que les préfets, supprimés, sont remplacés par des commissaires extraordinaires de la République, chargés d’enraciner le nouveau régime dans une province qui a été plus spectatrice qu’actrice de la Révolution et qui se caractérise par son conservatisme paysan. La principale mesure intervient néanmoins le 2 mars. À cette date, un décret donne à la

France une avance sur tous les autres pays d’Europe, le suffrage, indique-t-il, « sera universel et direct sans la moindre condition de cens ». Ce suffrage exclut encore les femmes, jugées, comme par le passé, incapables de défendre un choix politique autonome. Néanmoins l’avancée démocratique est considérable, le nombre d’électeurs passe de 250 000 à 9 millions. Ainsi le peuple fait irruption dans le monde politique. Mais c’est un peuple qui n’est pas parisien, qui n’est pas non plus ouvrier. C’est un peuple

rural, conservateur, dont le poids réservera de nombreuses déconvenues au nouveau régime. Dans un premier temps néanmoins, la Révolution croit pouvoir s’appuyer en province sur une nouvelle classe moyenne d’avocats, médecins… souvent des républicains du lendemain, qui entendent maintenir la société de la monarchie de Juillet, sous une forme plus démocratique. On est loin en province des ambitions ouvrières parisiennes. Hippolyte Carnot115, ministre de l’Instruction publique, a bien compris le danger. Il projette

la mise en place d’une école primaire publique, gratuite et laïque, assortie d’une obligation sociale soutenue par des bourses. Ainsi devait se faire l’éducation politique des masses, sans laquelle la République ne pourrait triompher, mais aussi se constituer la nouvelle administration républicaine, méritocratique. La République devait sa naissance aux ouvriers, elle se devait donc de répondre à leurs

attentes pour assurer son succès. Le gouvernement provisoire ne voulait toutefois pas aller trop loin dans ce sens et les exigences ouvrières, relayées à Louis Blanc, ne trouvent qu’un écho modéré chez lui. La gauche du gouvernement parvient néanmoins à faire proclamer le droit au travail (25

février). Le décret rédigé par Louis Blanc proclame que le gouvernement « s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. » Ce programme devait être assuré grâce aux propositions d’une Commission gouvernementale pour les travailleurs (à défaut d’un ministère du travail), installée au palais du Luxembourg. Celle-ci, composée de représentants élus des travailleurs et patrons

115 Fils de Lazare, père du président Sadi Carnot et frère du physicien Sadi Carnot qui exposa les principes du moteur à explosion.

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parisiens, devient très vite le « parlement des travailleurs ». Elle s’attela à la préparation d’une législation sociale devant améliorer rapidement le sort des ouvriers. La journée de travail est ainsi ramenée à 10 heures à Paris et à 11 en province. Mais ce sont les Ateliers Nationaux qui constituent le principal moyen trouvé par le

gouvernement pour calmer les ardeurs des ouvriers émeutiers. Ils reprennent, en les modérant, les propositions d’ateliers sociaux de Louis Blanc. Ils devaient fournir un travail d’utilité publique aux chômeurs contre une indemnisation assez substantielle, puisque voisine d’un véritable salaire (2 francs par jours). Les Ateliers Nationaux deviennent rapidement une issue de secours pour les chômeurs qui

se précipitent de la France entière vers Paris. Dès le mois de mai, ils sont 100 000 à en faire partie.

B. La République face au problème social Le temps de l’enthousiasme passé, le gouvernement provisoire se retrouve très vite face

aux difficultés de la réalité. La crise financière n’est pas terminée, elle s’est même aggravée avec la panique causée dans les milieux d’affaires, principalement bancaires, par la Révolution. Les recettes fiscales sont en chute tandis que le budget est sérieusement alourdi, notamment par le poids des Ateliers Nationaux. Ceux-ci n’ont pas permis de résorber le chômage qui s’est, au contraire alourdi. Le gouvernement décide d’y faire face par une augmentation des impôts (de 45%), après avoir pourtant annoncé un allègement des taxes. Cette hausse pèse avant tout sur le monde paysan, favorisant le divorce entre la province et Paris. Malgré ses difficultés, le gouvernement doit encore faire face aux demandes des ouvriers

qui exigent une augmentation des salaires. La Commission du Luxembourg permet à la conscience ouvrière de considérablement progresser. Les ouvriers y formulent l’idée de voir la société réorganisée autour du travail, facteur d’une nouvelle harmonie sociale entre travailleurs et patrons. La bourgeoisie parisienne, mais surtout provinciale s’inquiète face au mouvement social et

à ses exigences. Pour elle, la France court à la ruine et ce par la faute de la République ouvrière, de la Commission du Luxembourg et des augmentations de salaires. Les bourgeois, soutenus par les paysans provinciaux, s’opposent de plus en plus aux ouvriers qui sont durant tout le printemps 1848, les meilleurs soutiens de la République, ne serait-ce que grâce aux ateliers nationaux qui empêchent une grande partie d’entre eux de plonger dans le désespoir et la violence. Les Ateliers Nationaux sont pourtant particulièrement stigmatisés. Poids considérable

pour les finances publiques (malgré une diminution du salaire, fixé à 1F50), ils n’apportent pas grand-chose puisque les ouvrages effectués se limitent à de vagues travaux de terrassement. Ils concurrencent de plus par la rémunération accordée aux inscrits, le salaire en baisse des usines et permettent une opposition des ouvriers aux patrons. Ils sont surtout devenus, entre les ouvriers désœuvrés, des nids du socialisme, qui inquiètent les bourgeois et les paysans. Les ouvriers parisiens ont bien compris le danger. Le gouvernement provisoire cherche en

effet une légitimité qu’il espère trouver dans l’élection au suffrage universel. Légitimité qui lui permettrait d’en imposer à l’agitation parisienne. Les clubs ouvriers parisiens sentent la menace d’une vague réactionnaire provinciale qui balaierait tous leurs progrès et leurs espoirs. Ils appellent le gouvernement à reporter les élections prévues pour le 9 avril, au motif que les masses sont trop ignorantes pour comprendre les besoins de la République sociale.

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Un courant révolutionnaire, notamment incarné par Blanqui, souhaite même la mise en

place d’une dictature temporaire du prolétariat parisien pendant la période nécessaire à l’éducation des masses provinciales qui risque de voler la Révolutions aux ouvriers. Le gouvernement ne cède que très peu, il reporte les élections de deux semaines jusqu’aux

23 et 24 avril 1848. Ces premières élections au suffrage universel sont un succès pour la démocratie : 84% des inscrits ont voté, parfois au prix de longues marches jusqu’au chef-lieu. Le résultat confirme les craintes des ouvriers. L’enthousiasme prend fin, il est temps pour les bourgeois de rétablir l’ordre.

II. La République de l’ordre A. La guerre civile

La vague conservatrice (ou réactionnaire) est dévastatrice. Sur 900 députés élus, seulement 25 sont ouvriers. Les notables traditionnels qui devaient être évincés du pouvoir par les Révolution de février reviennent au pouvoir. La nouvelle assemblée compte 200 monarchistes plus ou moins sincèrement ralliés à la

République, une centaine de radicaux démocrates derrière Ledru-Rollin, défenseurs de la République sociale, quelques socialistes (Louis Blanc, Proudhon) et surtout une majorité de 500 républicains modérés derrière Lamartine et Arago. Les ouvriers sont déçus et avec eux tous les partisans de la république sociale. Le suffrage

universel leur interdisant d’obtenir le succès de leurs revendications, il ne leur reste plus d’option. Seule la force peut leur permettre de parvenir à leurs fins. Le 15 mai 1848, l’extrême gauche décide de passer à l’action. Une manifestation populaire

de soutien au peuple polonais révolté contre les Russes prend une tournure politique plus franco-française. Les émeutiers envahissent l’Assemblée et la déclarent dissoute. À l’Hôtel de Ville, Albert et Barbès proclament un nouveau gouvernement provisoire, plus révolutionnaire et décrètent un impôt sur la fortune. Le gouvernement réagit avec force. La garde nationale investit le Palais-Bourbon et en

chasse les émeutiers. Le coup de force a échoué. Ses conséquences sont graves pour les ouvriers. Le pays entier est effrayé et à présent totalement indisposé à leur encontre. Le mouvement est décapité : Louis Blanc s’exile, Blanqui, Barbès, Raspail et Albert sont déportés. L’Assemblée tire les conséquences de l’évènement et en profite pour faire un sort aux

Ateliers nationaux détestés. Les ateliers sont fermés le 21 juin, les inscrits doivent être dispersés en province. Chacun était conscient des conséquences de cette décision attendue. Pour les ouvriers, c’est le dernier acte qui les prive de leur révolution. Pour eux, la Révolution est à refaire. Pour les conservateurs, c’est le moyen d’en finir avec le mouvement social. Tous sont prêts à la confrontation. Elle éclate dès le 22 juin dans les quartiers populaires de l’est parisien. Le 23, le général républicain Cavaignac est chargé du rétablissement de l’ordre. Venu

d’Algérie, celui-ci, fervent républicain, apparaît aux yeux des partisans de l’ordre de l’Assemblée, comme l’homme de la situation. Le 24, il reçoit une dictature républicaine, tous les pouvoirs lui sont remis par l’Assemblée. Cavaignac décide d’abandonner Paris aux insurgés avant d’en mener la reconquête méthodique et sans pitié, à la tête de 50 000 soldats. Du 23 au 26, les combats font rage et l’insurrection est écrasée dans le sang (on compte de 3000 à 6000 morts, dont 1500 fusillés sans jugement), les déportations en Algérie sont nombreuses. Le fossé est surtout définitivement creusé entre les bourgeois et paysans, principalement provinciaux, d’un côté, et les ouvriers, dégoûtés d’une République qui les a trahis, de l’autre. Cette haine sociale est particulièrement incarnée par les 100 000 gardes

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nationaux de province arrivés pour prêter main-forte à l’armée de Cavaignac, gardes animés venus pour « libérer la nation de l’oppression des ouvriers ». Marx parlera au sujet des évènements de « lutte des classes ». Il faut néanmoins relativiser

le tout. L’Assemblée est en effet soutenue par le pays presque entier. Les émeutiers sont, à l’échelle du pays, très minoritaires. Ils sont en tout et pour tout environ 50 000 à Paris, auxquels s’ajoutent quelques milliers dans les grandes villes de province. Des ouvriers, parmi les plus jeunes ont même été enrôlés avec une forte rémunération, dans la toute nouvelle garde mobile qui, aux côtés de l’armée, participa à l’écrasement de l’insurrection. La République a déjà semé déjà les graines qui la condamnent. Ce n’est plus Paris qui fait

la politique en France mais la province, une province conservatrice et largement rurale, très hostile aux revendications ouvrières

B. La réaction républicaine Le libérateur Cavaignac se voit confier, provisoirement, les rênes de l’Etat. Républicain

modéré, très hostile au socialisme, mais également convaincu que la répression de juin ne suffira pas à rétablir l’ordre, Cavaignac est l’homme qui convient au parti de l’ordre. Le gouvernement qu’il installe est composé de républicains modérés, proches du National,

qui bénéficient, cette fois-ci de la légitimité populaire qui leur manquait en février. Des lois répressives sont aussitôt prises contre la presse, les réunions, les clubs et mettent fin à la liberté des premiers temps de la République. La constitution que l’Assemblée prépare marque un net recul par rapport à l’enthousiasme du printemps. Les principes qui président à la nouvelle organisation de l’Etat négligent les revendications

ouvrières. Le droit au travail disparaît et le droit à l’assistance qu’elle prévoit n’est que la consécration de l’ancienne charité privée de l’époque monarchique. La Constitution organise une stricte séparation des pouvoirs. Le bicamérisme est rejeté car

il rappelle trop la monarchie passée, qui s’appuyait sur la chambre haute. L’Assemblée sera donc unique. Elle disposera du législatif, l’exécutif étant remis, après débats, à un Président de la République. L’idée d’un régime parlementaire, inspirée de la Convention de 1792, émise par le jeune républicain Jules Grévy est rejetée. Les débats furent également virulents concernant le mode de nomination de celui-ci. Il fut finalement décidé qu’il serait élu, comme les députés au suffrage universel, ce qui lui donnait donc une légitimité égale à ces derniers et donc une puissance politique considérable. Le Président devait être chef de l’Etat et du gouvernement. Président fort, il ne devait néanmoins pas être tout puissant, c’est pourquoi il ne devait être élu que pour quatre ans non renouvelables et surtout il ne devait pas pouvoir dissoudre l’Assemblée législative, élue au suffrage universel pour 3 ans. Le Président nomme et révoque librement les ministres qui ne sont responsables que

devant lui. L’Assemblée législative ne pouvait donc pas plus renverser le Président ou le gouvernement. Le risque du blocage, en cas de désaccord entre le Président et l’Assemblée était donc très fort. Le problème étant que c’est le Président qui disposait de la force armée et pouvait donc être tenté de recourir au coup de force pour sortir de l’impasse. La constitution est adoptée le 4 novembre, la Constituante s’empresse alors de la mettre en

application et prévoit l’élection du Président de la République pour le 10 décembre, trop tôt donc pour permettre une campagne qui pourrait permettre à un candidat républicain de l’emporter. Seul paraît en mesure de le faire Cavaignac, auréolé de l’écrasement du mouvement ouvrier, mais détesté par Paris.

Section 2. Echec républicain I. La République trahie par le suffrage universel

A. La surprise de l’élection présidentielle

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L’avènement du suffrage universel a pris de vitesse l’éducation politique des masses

françaises. Les Français du milieu du XIXe siècle sont très largement illettrés, surtout attachés à l’ordre, l’autorité et la propriété. Un opposant libéral à l’Empire qui naîtra de la République dénonce ainsi la « profonde couche d’imbécillité rurale et de bestialité provinciale » sur laquelle s’appuiera l’Empereur. C’est de cet état de fait que naîtra la prise de conscience de la nécessité d’accompagner le retour de la République de l’enseignement obligatoire au début de la IIIe République. Les Républicains de 1848 en ne le comprenant pas avaient oublié une leçon de l’histoire remontant à la démocratie athénienne. Périclès y avait en effet déjà compris que l’ouverture maximale de la démocratie devait nécessairement s’accompagner de l’éducation politique des masses (rôle des sophistes). Les Quarante-huitard l’oublièrent et condamnèrent une République venue trop tôt. Les élections présidentielles de décembre 1848 provoquent en effet la stupeur de

l’Assemblée législative. Cavaignac obtient 1 million et demi de voix républicaines, le démocrate Ledru Rollin 370 000 voix, le socialiste Raspail 36000, Lamartine qui était persuadé d’être élu, n’en recueille que 17 000. Le grand vainqueur de l’élection est Louis-Napoléon Bonaparte avec 5 millions et demi de voix (74% des voix). Louis-Napoléon n’a pas joué de grand rôle dans la jeune république, ce qui lui assure la

sympathie des notables, largement déçus par les débuts de la République. C’est en grande partie un inconnu. Il s’est fait remarqué par deux coups d’éclats antérieurs à 1848, au cours desquels il avait tenté de s’emparer du pouvoir par des coups d’Etat (en 1836 à Strasbourg et en 1840 à Boulogne, ce qui lui valut deux emprisonnements). Il est aussi l’auteur d’un ouvrage sur le paupérisme (l’extinction du paupérisme) qui lui assure une réputation d’ouverture aux questions sociales. Pour les politiciens du temps, c’est un piètre orateur, voire un inconstant hésitant qui sera aisément manipulable. Pour la grande majorité des Français, c’est un nom. Louis-Napoléon c’est le « neveu de l’oncle », du grand empereur, celui qui a été réhabilité par la monarchie de Juillet, celui qui avait assuré l’union des Français, le bonheur des paysans comme des ouvriers, celui qui avait assuré la grandeur de la France, celui enfin dont on préfère garder en mémoire les victoires qu’une fin de règne plus difficile.

B. Le triomphe du parti de l’ordre Ce que voulait la majorité des Français en élisant Bonaparte était le rétablissement de

l’ordre. Le Président devait l’assurer. Il s’y attacha, mais il ne disposait pas d’un personnel politique. Il fit alors appel à des orléanistes modérés (Odilon Barrot) ainsi qu’aux antirépublicains qui dirigeaient le parti de l’ordre (le comte de Falloux). La politique de Bonaparte dépendait en fait du résultat des élections législatives de mai 1849. Le Président dirige alors un rassemblement surprenant de légitimistes, orléanistes et bonapartistes ralliés au programme d’ordre, propriété et religion. Les élections marquent l’effondrement des républicains modérés (10% des voix), le parti de

l’ordre ressort grand vainqueur (53% et 450 députés sur 750 élus), mais sa victoire est gâtée par la forte poussée de la « Montagne », nom tirée de la République de 1792, marquant l’orientation à gauche et le radicalisme de ses membres, dirigée par Ledru-Rollin (35% et 210 députés). Ainsi se révèle un partage entre une France blanche, conservatrice et religieuse et une France rouge socialisante et laïque (Massif Central, Alpes et Est), qui marque la naissance de la répartition géographique durable des oppositions entre gauche et droite françaises. L’élection de 1849 n’ouvre pas pour autant le libre jeu démocratique. Les « rouges »

refusent en effet de se soumettre à la politique gouvernementale. Ils s’opposent dès le mois de juin au soutien apporté par le gouvernement à la restauration à Rome, dans une Italie marquée par un fort mouvement révolutionnaire, de la pleine autorité pontificale. La gauche

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manifeste dans les rues de Paris. Les 30 000 manifestants sont dispersés le 13 juin. La répression s’abat alors durement sur la gauche. Ledru-Rollin quitte la France pour l’Angleterre, 34 députés montagnards sont poursuivis, les lois répressives se multiplient. Le gouvernement s’en prend à la liberté de réunion qu’il peut interdire pour un an (19 juin 1849), et entrave sans la supprimer la liberté de la presse (16 juillet 1850). Surtout, le gouvernement profite de sa victoire pour imposer son programme

conservateur. La loi Falloux du 15 mars 1850 rompt avec l’idéal méritocratique de l’enseignement voulu par Carnot. Elle autorise n’importe qui à ouvrir une école et donne surtout à l’Eglise des avantages conséquents dans l’organisation de l’Instruction et même de l’Université. Cette loi permet surtout la restauration d’un enseignement secondaire chrétien, indépendant de l’Instruction publique d’Etat, excellent rempart contre les progrès des idées socialistes ou même démocrates. Ainsi va naître chez les Intellectuels une haine durable pour l’Eglise et le cléricalisme, considéré comme hostile à la République

II. La République trahie par le Président Louis-Napoléon Bonaparte était presque un inconnu en 1848. Mais il sut se placer en

héritier d’une gloire passée, défenseur du suffrage universel et champion de l’ordre social contre les excès des socialistes et des monarchistes. Louis-Napoléon, ancien conspirateur, ne s’est pas converti à la République. Dès lors que les

« rouges » ont été éliminés, il se retrouve face à une assemblée qui ne l’aime pas tellement, qui espérant en faire un pantin à ses ordres. Le Prince-président sut fort intelligemment profiter des discordes au sein de l’Assemblée. Discordes entre les monarchistes (légitimistes et orléanistes) principalement, ceux-ci ne parvenant pas à s’accorder sur la personne du prétendant qui devaient prendre le pouvoir une fois la République supprimée. Le Président exploite par ailleurs parfaitement la peur que suscite l’élection présidentielle

de 1852, à laquelle il ne peut se représenter aux termes de la Constitution. Afin d’en profiter, il tente dans un premier temps de demander une réforme de la constitution qui le rendrait rééligible, ce que refuse l’Assemblée. Fort habilement, le Président propose alors l’abrogation de la très impopulaire loi électorale du 31 mai 1850. Cette loi avait limité le suffrage universel en n’octroyant le droit de vote qu’aux électeurs domiciliés dans le canton de vote depuis trois ans. Cela revenait à écarter des urnes de nombreux ouvriers et travailleurs journaliers, population instable et itinérante, également la moins conservatrice du pays électoral. La loi permit de réduire d’un tiers le nombre de votants et d’assurer plus fermement le pouvoir de la droite. Bonaparte propose donc d’abroger cette loi. Il sait qu’il n’a aucune chance de réussir mais il sait que le refus qu’il essuiera de la part de l’assemblée lui assurera une certaine popularité chez les ouvriers et travailleurs les plus modestes (1/3 de l’électorat). L’Assemblée tombe dans le piège et refuse l’abrogation. Soutenu par une grande partie du pays, il ne reste à Bonaparte qu’à s’emparer du pouvoir.

Il attend pour ce faire un jour fondateur de la dynastie, le 2 décembre (jour du sacre de Napoléon 1er et de la bataille d’Austerlitz) 1851 pour son coup d’Etat. Il proclame alors la dissolution de l’assemblée, le rétablissement du SU et l’élaboration d’une nouvelle constitution inspirée de celle du Consulat de 1799. L’opposition parlementaire est rapidement mise en déroute par une armée vouée à Bonaparte, mais l’opposition dépasse les bancs de l’assemblée. Le 3 décembre, quelques républicains font élever des barricades à Paris (Hugo, Hippolyte

Carnot…) L’armée est contrainte d’employer la force, plusieurs centaines de révoltés sont fusillés. Des soulèvements se produisent également en province où ils sont également réprimés sans pitié par l’armée. Ce que Bonaparte voulait une prise pacifique et populaire du pouvoir, populaire car antiparlementaire, se révéla une action sanglante et antirépublicaine : l’élite républicaine est anéantie (exécutions et déportations). A la fin du mois de décembre,

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un plébiscite donne les pleins pouvoirs au Président, avec pouvoir de modifier la constitution (7, 5 millions de voix pour). La république se meurt, l’Empire va pouvoir renaître.

Chapitre II. Le Second Empire116 Napoléon III eut l’intelligence, comme son oncle avant lui et Auguste bien avant lui, de se

placer en défenseur de la République pour mieux la confisquer à son profit. Il maintint ainsi le suffrage universel et des acquis révolutionnaire et évita ainsi le retour aux affaires de l’aristocratie censitaire. Pourtant l’Empire ne parviendra jamais à faire oublier sa naissance sanglante, ni sa défaite finale qui longtemps interdiront l’avènement d’un régime présidentiel en France. Depuis Lavisse, au début du XXe siècle, on considère que la période couverte par le second

Empire peut être divisée en deux temps. À l’empire autoritaire succéda un empire libéral. Toute la question est de savoir quand le changement intervint. Comme souvent dans l’histoire, on ne peut pas considérer que ce changement ait été total et brutal. Il fut plutôt progressif. On peut néanmoins considérer qu’un évènement marqua le début de l’évolution. Il s’agit du traité de commerce conclu en 1860 entre la France et l’Angleterre. Celui-ci supprimait toute interdiction d’entrée et de sortie sur un certain nombre de marchandises entre les deux Etats et diminuait les droits de douanes. La France quittait ainsi une ancienne politique protectionniste. Ce traité fut largement profitable à l’économie française, pourtant, il provoqua un basculement dans la population qui soutenait l’empereur. Avant 1860, l’empire reposait sur le soutien de la bourgeoisie d’affaires et de l’Eglise catholique. En 1860, à la suite du traité de libre-échange avec l’Angleterre, les industriels se détournent de l’empereur en craignant la concurrence anglaise. Dans le même temps, Napoléon III, désireux de se placer en libérateur des peuples opprimés, décide d’intervenir en Italie pour favoriser l’unification du pays, ce qui soulève le mécontentement du pape et des catholiques français. Napoléon doit alors trouver de nouveaux soutiens, il se tourne vers les libéraux et républicains et, pour se les attacher décide d’assouplir sa politique, s’ouvre dès lors la période de libéralisation de l’Empire.

Section 1. L’Epoque autoritaire Lorsqu’il prend le pouvoir, en 1851, Louis-Napoléon Bonaparte a 43 ans. Fils de Louis

Bonaparte, frère de l’empereur, il a été élevé par sa mère, Hortense de Beauharnais, fille du premier lit de l’impératrice Joséphine, dans le culte de Napoléon Ier, mais également avec l’idée qu’il était l’héritier spirituel du grand empereur. Intelligent, il est conscient du problème social que connaît la France du temps, il pense que cette question peut-être réglée par le développement de la société industrielle qui seul permettra le progrès matériel des Français et donc des ouvriers. Cette politique interventionniste constitue une totale rupture avec les politiques antérieures (notamment de la Restauration). Mais, dans la droite ligne de l’empereur, il est également persuadé que ce programme ne

peut être rempli que de manière autoritaire. Il pense pouvoir y parvenir en concentrant les pouvoirs, mais également en légitimant ses choix grâce au suffrage universel, au soutien populaire, un soutien qu’il souhaite obtenir par tout moyen.

I. La concentration de l’autorité A. De la république césarienne à l’empire

116 Antonetti ; Démier ; Godechot

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Appuyé sur un très large soutien populaire, le prince-président souhaita rapidement

réorganiser les pouvoirs à son profit. Ce sont les juristes Troplong et Rouher qui rédigèrent un projet de constitution en un temps record, projet largement inspiré de la constitution de l’an VIII. Le président signa le projet le 14 janvier 1852, il fut publié le 15. La constitution promulguée après le coup d’Etat de décembre 1851, le 14 janvier 1852,

donne à Louis-Napoléon une présidence pour dix ans, mais un pouvoir présidentiel très concentré. Ce régime permettait un gouvernement autoritaire et le fut. Il se rapprochait même

largement de l’empire que la personne du président rappelait évidemment. Celui-ci hésita pourtant à franchir le pas qui le séparait de l’empire tout au long de l’année 1852. Si le peuple appréciait l’ordre que Louis-Napoléon avait su rétablir dans le pays, il craignait la soif des conquêtes, le bellicisme que rappelait le nom de Bonaparte. Le prince-président chercha à rassurer sur ce point. À Bordeaux, le 15 octobre, il affirme que « Certaines personnes disent que l’empire c’est la guerre ; moi, je dis : l’Empire c’est la paix ». Louis-Napoléon décide alors de franchir le pas. Un sénatus-consulte du 7 novembre 1852

rétablit ainsi la dignité impériale au profit de Louis-Napoléon Bonaparte qui prit le nom de Napoléon III. Ce texte fut soumis à l’approbation populaire fut approuvé, le 21 novembre par une large majorité (7, 8 millions de oui contre 253000 non). Le 2 décembre 1852, un an après le coup d’Etat, l’empire est rétabli. Ce changement de

régime n’entraîna que des changements légers de la constitution, davantage sur la forme des institutions que sur le fond de l’organisation politique. Le président, puis l’empereur exerce en effet, tout d’abord le pouvoir exécutif avec ses

ministres. Ceux-ci lui sont étroitement soumis. Ils ne sont en effet responsables que devant lui. Si des ministres l’entourent, ce sont plus des conseillers que des collaborateurs. Peu nombreux (une dizaine), ils ne forment pas un cabinet, ne sont pas solidaires politiquement, ils sont, de plus, choisis parmi des familiers, voire dans la famille même de Napoléon (Morny son demi-frère, Walewsky, bâtard de Napoléon Ier et donc cousin de l’empereur, Persigny, ami de toujours du nouvel empereur, Achille Fould est le spécialiste des finances). Ces ministres sont néanmoins des techniciens, ce que n’est pas l’empereur, ils retrouvent ainsi une importance dès lors que les dossiers deviennent techniques. Le président détient ainsi l’ensemble du pouvoir exécutif (commandement des armées, diplomatie, droit de nomination…). La justice est rendue en son nom. Les fonctionnaires, les ministres et les députés doivent lui prêter serment. De plus, il partage le pouvoir législatif avec les assemblées. C’est en effet le président qui a

l’initiative des lois. À ses côtés, la constitution met en place un Corps législatif de députés (261) élus pour 6 ans au suffrage universel, non rémunérés (ce qui assure une composition conservatrice). Son rôle est de voter (ou de rejeter) les lois. En revanche, cette assemblée n’a pas le droit d’initiative, mais peut proposer des amendements. Le président peut l’ajourner ou la dissoudre. Le Corps législatif n’a pas le pouvoir d’interpeller le gouvernement ou de voter une adresse en réponse à un message du président. Il est surveillé par le président jusqu’au niveau des comptes rendus de ses séances. Le Corps législatif ne représente pas la Nation, mais les intérêts de l’arrondissement d’où vient chaque député. Il est composé pour l’essentiel de propriétaires et juristes, mais également d’industriels et financiers (les intellectuels, très présents pendant la Monarchie de juillet, en disparaissent en revanche). C’est l’empereur et lui seul qui incarne la Nation. La seule attribution importante du Corps législatif est le vote du budget. Ce rôle accuse un net recul par rapport à l’époque monarchique.

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La chambre haute (de retour après l’intermède républicain) est le Sénat. Celui-ci compte

peu de membres (150), membres de droit (cardinaux, maréchaux, amiraux) ou nommés à vie par le président. En principe, ils ne sont pas rémunérés, mais peuvent recevoir des dotations personnelles de l’empereur. Le Sénat a un rôle de conservation de la constitution. Il peut en effet annuler les votes du Corps législatif s’il les juge inconstitutionnels. Il peut également interpréter ou compléter la constitution par des sénatus-consultes. Le Conseil d’Etat complète l’organisation législative. Il est chargé, comme pendant le Ie

Empire, de préparer les lois proposées par le chef de l’Etat, avant leur envoi au Corps législatif. Ce rôle technique lui assure une certaine autonomie par rapport à l’empereur. Il constitue en cela une des rares limites apportées au pouvoir absolu du Prince. En d’autres termes, l’empereur concentre entre ses mains l’essentiel du pouvoir. Fort du

soutien populaire que lui apporte son élection comme président, ainsi que le plébiscite de décembre 1851, Napoléon III entend gouverner seul. La période qui s’ouvre alors est celle d’un gouvernement personnel de l’empereur, un gouvernement autoritaire.

B. Des résultats encourageants L’empereur souhaitait développer la France grâce à la croissance industrielle. La prospérité

devait naître, pour tous les Français, y compris les classes les plus modestes, celles qui avaient menacé l’Etat en 1848, du développement économique rapide de la France. En cela, Napoléon se révèle un disciple du saint-simonisme (du nom de l’économiste

Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon), une doctrine économique fondée sur l’idée que la civilisation est faite pour la production et donc la croissance économique. Cette production doit être obtenue par l’industrie. Il faut la favoriser en encourageant les entrepreneurs, développant les moyens de transport et répartir au mieux le travail suivant les compétences et les régions. L’école saint-simonienne eut un rôle important dans les années 1830-1850 avec notamment Michel Chevalier, professeur d’Economie politique au Collège de France. C’est lui qui inspira Napoléon III. Pour l’empereur, l’instabilité politique connue par la France au cours de la première moitié

du XIXe siècle a été causée par le « sous-développement » français causé par le conservatisme parlementaire. L’Etat doit permettre par un fort volontarisme politique d’y mettre à fin. Au moment où il prend le pouvoir, les affaires étaient paralysées par la peur des

« rouges ». Par le coup d’Etat, Napoléon écarte brutalement la menace et met en place les conditions d’un redémarrage économique rapide. En effet, les capitaux accumulés par la monarchie de Juillet sont encore importants et l’or qui vient d’être découvert en Californie commence à arriver en Europe, permettant un quart de siècle de prospérité internationale (1848-1873). Les perspectives économiques sont optimales, restent à l’empereur à permettre à la France d’en profiter. Il y parvint assez bien. Les résultats industriels et économiques français des années 1850

sont excellents marquant le début dans notre pays de la révolution industrielle. Les moyens de communication sont en plein essor avec le télégraphe117, mais surtout le rail. Les chemins de fer connaissent un développement rapide. De 3800 km de voies ferrées en 1852, la France passe à 17000 en 1870. Tandis que la Bourse de Paris est en plein développement, les créations de banques sont nombreuses. Ainsi se mettent en place des établissements plus ou moins ambitieux, tel le Crédit mobilier des frères Pereire, créée en 1852, mais rapidement détruite par ses concurrents, mais qui donna aux entrepreneurs d’importants et forts utiles crédits. C’est également à cette époque que naissent le Crédit industriel et commercial (CIC,

117 En 1850 est installé le premier câble télégraphique entre la France et l’Angleterre.

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1859), le Crédit Lyonnais (1863) et la puissante Société Générale en 1864. Le droit des sociétés permet cette reprise. En 1867 sont ainsi créées les sociétés anonymes modernes, qui vont devenir le support juridique des principales entreprises françaises. C’est aussi l’époque qui voit apparaître les premiers grands magasins, ancêtres de nos supermarchés, critiqués par Zola dans « Au bonheur des Dames » : le Bon Marché de Boucicaut (1852), les Magasins du Louvre (1855), suivront le Bazar de l’Hôtel de Ville (Ruel), le Printemps (Jaluzot), la Samaritaine (1869, Cognacq-Jay)118. Les campagnes ne sont pas en reste. Elles sont, dans le même temps, contraintes de se

moderniser, poussant une grande partie de leur population à l’exode vers les villes. L’agriculture atteint de ce fait au cours des années 1860 une prospérité jusqu’alors inconnue. Les villes connaissent de ce fait une croissance démographique sans précédent119.

L’empereur y conçoit de très ambitieux programmes d’urbanisme. Les grands travaux fourniront du travail aux chômeurs, enrichiront les entrepreneurs, amélioreront la salubrité en détruisant les vieux quartiers hérités du Moyen Age et en ouvrant de larges artères, susceptibles de servir aux déploiements de troupes en cas de mouvements urbains. C’est à Paris que cette politique atteint ses plus spectaculaires résultats sous l’influence du préfet de la Seine, le baron Haussmann. Le Paris populeux laisse la place au Paris bourgeois, les ouvriers et modestes salaires étant expulsés vers les banlieues, à moins qu’ils préfèrent vivre dans les minuscules appartements des derniers étages des bâtiments haussmanniens. Dans les années 1860, le plein-emploi est ainsi presque réalisé. De tels résultats assurent au pays une grande prospérité qui assoient la popularité de

l’empereur, vu comme un l’ « homme providentiel » qui a su mettre fin à la crise qui avait marqué la période couverte par la seconde république, comme l’avait été avant lui son oncle au sortir de la Révolution.

II. La manipulation des élections A. Les moyens de la manipulation

Dans la droite ligne de son oncle, Louis-Napoléon entend s’appuyer sur le peuple pour gouverner. Il souhaite conjuguer autorité et légitimité du suffrage universel. Comme son oncle, il cherche à s’assurer le soutien populaire en se présentant comme garant des acquis révolutionnaires. Le préambule de la constitution du 14 janvier 1852 ainsi, « reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789. » Ce soutien doit par ailleurs être matérialisé, grâce au suffrage. Ce suffrage, il ne peut, depuis 1848, qu’être universel, Louis-Napoléon se présentant comme défenseur de la République. Mais, comme pendant le Première Empire, il sera tourné vers le soutien personnel du Prince-président, en plébiscites. Le plébiscite, « appel au peuple », consultation directe de la Nation, s’apparente au

referendum en ce qu’il est une expression de la démocratie directe. Cependant, par un tel biais, les électeurs sont moins appelés à se prononcer sur un texte qu’à témoigner leur confiance à un homme, leur soutien à une politique, celle de celui qui le leur soumet. Le peuple est alors appelé à répondre simplement par oui ou non à la question posée. Un tel recours au peuple donne à l’empereur une légitimité égale aux députés, mais lui

permet surtout d’acquérir cette légitimité et donc ses pouvoirs en passant par-dessus la tête des députés. Il détruit par ce biais tout corps intermédiaire, toute limitation à son pouvoir. Si le suffrage est universel, Napoléon ne veut pas se laisser dicter sa conduite par le peuple.

Le vote sera donc orienté dans le sens des intérêts du gouvernement. Prétextant le manque

118 Les Galeries Lafayettes viendront plus tard en 1895 (Bader) 119 50% de croissance entre 1850 et 1870 à Lyon et Marseille (de 200 à 300000 hab.) ; 100% à Lille (150000 habitants) ; Saint-Etienne passe de 56 à 120 000 hab. ; Paris compte 1 800 000 hab. en 1870

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d’expérience électorale du peuple (que la seconde République avait permis de souligner, mais qui avait permis à Louis-Napoléon de parvenir au pouvoir), l’administration impériale désignera les candidats qui s’engagent à soutenir le gouvernement lors des élections. Il y a donc un candidat officiel, un candidat que le gouvernement conseille d’élire au peuple. Seuls ces candidats ont le droit de poser des affiches à caractères noirs sur fond blanc, de distribuer des brochures, bref de se faire connaître par les masses. La démocratie est donc dénaturée et détournée au profit du gouvernement. La principale arme entre les mains du gouvernement est une administration très

développée et parfaitement dévouée à l’empereur, grâce à un recrutement élargi et au privilège de toucher une retraite. L’administration est construite pour l’essentiel sur le préfet, dont l’exemple le plus parfait est le baron Haussmann, préfet du Var et de la Nièvre avant de devenir l’homme qui bouleversa Paris. Disposant d’un corps de gendarmerie à leurs ordres, les préfets sont chargés d’assurer localement le maintien en place du régime, par tous les moyens respectant une façade de démocratie. Le gouvernement sait par ailleurs qu’il peut compter sur l’armée, reconnaissante d’avoir

retrouvé avec le nouveau régime une place importante. La magistrature est également aux ordres, épurée et recomposée grâce à une bourgeoisie modeste, reconnaissante d’accéder à des postes prestigieux. L’Eglise, enfin, est, dans les premières années de l’empire, un soutien fort du

gouvernement. Elle s’est jetée dans les bras de l’empereur par peur du socialisme. Si l’empereur n’aime pas trop l’Eglise, il est conscient de l’importance de son soutien. C’est la raison pour laquelle il a accepté la loi Falloux alors qu’il était encore président de la République. Mais le soutien ecclésiastique pose assez vite problème au pouvoir qui doit le concilier avec une bourgeoisie de plus en plus douteuse vis-à-vis d’une religion trop conservatrice, mais aussi du fait de la position du pape en Italie où l’empereur aimerait voir naître un Etat unifié.

B. Les résultats de la manipulation Les résultats sont à la hauteur des espérances du gouvernement. Dans le premier Corps

législatif, élu en février 1852, il n’y a aucun opposant au gouvernement. En juin 1857, les élections sont à nouveau un grand succès, les candidats officiels obtiennent 5,5 millions de voix contre 665 000 à leurs opposants (et 2 millions d’abstention, celle-ci étant pour cette époque le principal marqueur de l’opposition au régime). Les Républicains, qui n’avaient pas eu le droit de faire campagne, obtiennent 7 élus, mais trois seulement acceptent de prêter serment à l’empereur et donc de siéger (dont Emile Ollivier). Le groupe est complété en 1858 par deux nouveaux députés républicains, ce sera la seule opposition jusqu’en 1863. À droite du gouvernement en effet, les royalistes sont divisés. Les orléanistes, fidèles à la

famille de Louis-Philippe, sont satisfaits de la politique bonapartiste et se rallient au gouvernement. Les légitimistes sont au contraire fortement opposés au gouvernement, mais du fait qu’ils ne participent pas à la politique, ils ne représentent aucun danger pour Napoléon III. Le danger principal vient des Républicains. Pleins de rancoeurs contre l’homme qui a renversé leur régime, ils restent très divisés entre socialistes et les modérés de Ledru-Rollin. La figure principale du mouvement est celle de Victor Hugo, exilé dans les îles anglo-normandes (Jersey et Guernesey), qui présente l’empereur comme un imposteur, opposant « Napoléon le petit » à Napoléon le grand. Les Républicains manifestent régulièrement leur opposition, ce qui leur vaut des déportations régulières également. L’attentat d’Orsini, le 14 janvier 1858, qui provoqua la mort ou des blessures chez 150 personnes, mais rata sa cible principale, l’empereur, sert de fondement, tout fictif120, pour

120 Orsini était un patriote italien qui voyait en Napoléon III un obstacle à l’unification italienne.

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Napoléon pour faire adopter une loi de sûreté générale (19 février 1858) afin de maintenir l’ordre en France. Cette loi permettait au ministère de l’intérieur d’interner et détenir toute personne jugée dangereuse sur simple décision administrative. Elle fut employée principalement contre les opposants républicains. Les manières d’encadrer les élections et de museler l’opposition peuvent également être

autres. La liberté de la presse est entravée par des mesures préventives (autorisations préalables et auto-censure par le système de l’avertissement adressé par le préfet, deux avertissements entraînant une suspension du journal). À la fin des années 1850, les oppositions sont ainsi réduites au silence. L’opinion voit,

majoritairement, en Napoléon III, l’« homme providentiel »

Section 2. L’Epoque libérale Dès 1852, l’empereur préparant la mise en place de son régime autoritaire avait promis que

« la liberté serait le couronnement de l’édifice ». À la fin des années 1850, les circonstances vont l’aider à prendre un virage qui conduira progressivement l’empire autoritaire vers une forme plus libérale puis parlementaire.

I. Les causes de l’évolution A. Les ambiguïtés du bonapartisme

À la fin des années 1850, l’empereur est tout puissant, mais il mesure également sa faiblesse. La menace de sa mort que lui a révélé l’attentat d’Orsini lui a révélé la fragilité du régime. Il n’a qu’un enfant de quatre ans. Il sait qu’il doit s’associer fortement un Corps législatif qui pourrait être appelé à jouer un rôle important en cas de régence. Mais, au même moment, il s’est lancé, en tant que champion des peuples contre les monarchies conservatrices, ce qui l’a fait intervenir en Italie. Il peut dès lors difficilement s’attaquer en France aux libertés au moment où il s’en fait le défenseur en dehors des frontières. Par ailleurs, s’il a su museler l’opposition, l’empire a toujours eu du mal à trouver un

fondement stable. Napoléon III était un homme complexe. Attaché aux principes de 1789, il fonde son pouvoir sur la souveraineté nationale. Mais il est aussi un démocrate, contrairement à son oncle (il a recours au suffrage universel là où son oncle préférait les listes de notabilité). C’est ainsi qu’on a pu parler pour ce régime de « césarisme démocratique », gouvernement fort appuyé sur la souveraineté populaire et le suffrage universel. Comme son oncle, il est hostile au parlementarisme, dominé par les affrontements

partisans. Il souhaite se placer au-dessus des partis et tendances, estime avoir vocation à un rassembler la Nation derrière sa personne (plus que derrière un programme ou des idées). Ces idées empêchaient la naissance d’une doctrine susceptible d’assurer un soutien stable et durable au gouvernement. Ce soutien est assez large mais mouvant, suivant les orientations, elles-mêmes variantes, de la politique impériale. Il n’existera jamais de véritable parti bonapartiste, gouvernemental, solide et inconditionnel soutien à la politique impériale. C’est ce défaut qui explique l’évolution de la politique impériale à partir de 1860. Dans un premier temps appuyé sur les conservateurs (bourgeoisie d’affaire et catholiques), l’empereur doit s’appuyer ensuite sur les libéraux et républicains, favorisant ainsi la renaissance d’une opposition politique.

B. Des choix diplomatiques critiqués Même si « l’Empire c’est la paix », ainsi que l’avait affirmé le président Bonaparte en 1851,

Napoléon III n’ignorait pas que pour une grande majorité de Français, il était l’héritier des souvenirs de grandeurs, de gloire de son oncle, auquel les innombrables anciens combattants rendaient un culte fidèle qui les avaient conduit à voter et à faire voter pour son neveu.

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Il en résultait des devoirs pour le nouvel empereur. Il s’était d’ailleurs, dès son élection à la

présidence, déclaré favorable à une politique étrangère active, capable de redonner à la France une place importante dans le concert des Nations. Il s’opposait ainsi tout à fait aux traités de 1815 qui opprimaient les peuples et les nationalités et s’affirmait en faveur d’une Europe républicaine et libre, unie derrière le modèle français. C’est contre la Russie que Napoléon décida de mettre en pratique ses ambitions de

libérateur des Nationalités. Le Tsar Nicolas Ier voulait profiter de l’affaiblissement ottoman pour dépecer le grand empire oriental. Il se heurta sur ce point aux Anglais qui ne voulaient pas voir les Russes maîtres de la route vers les Indes. Napoléon s’engagea dans le conflit afin de briser le front anti-français de 1815 et de débuter sa lutte contre les grands empires européens. Ainsi les Français prirent part à la guerre de Crimée où Français et Anglais vainquirent les Russes lors de batailles restées célèbres (l’Alma, Sébastopol, Malakoff). Le Traité de Paris de 1856 marque le retour de la France comme première des grandes puissances européennes. Elle y acquiert, surtout en Orient, un grand prestige. La Roumanie peut voir le jour (1861), de même que le Monténégro (1857). Napoléon III apporta ensuite son soutien au mouvement unificateur italien. Or

l’unification italienne devait se faire aux dépens des Autrichiens et des Espagnols, mais surtout aux dépens du pape, maître de l’Italie centrale. Les victoires franco-sardes (Magenta, Solferino) ouvrent la porte à l’unité italienne qui mettra encore quelques mois à se terminer, elles valent à la France Nice et la Savoie, mais coupent l’empereur de son soutien catholique. C’est, cependant au niveau commercial que le principal choix impérial intervient.

Napoléon en bon saint-simonien était convaincu des bienfaits du libre-échange. De plus, Napoléon III craint l’hostilité politique anglaise consécutive à l’intervention française en Italie, pour calmer les Anglais, il pense que l’ouverture du marché français serait une excellente solution. Il se heurtait sur ce point aux industriels qui avançaient la supériorité industrielle anglaise pour exiger le maintien des protections commerciales du marché français. Napoléon III conclut néanmoins le 23 janvier 1860, un traité de libre-échange avec l’Angleterre. Il s’agissait pour lui de faire sortir la production française de la routine confortable dans laquelle l’avait placé le protectionnisme. L’ouverture aux produits anglais devait pousser l’industrie française à la modernisation. Ainsi baisseraient les prix et s’amélioreraient les conditions de vie de tous. Le bilan de cette ouverture est très positif du point de vue économique. L’industrie

française et la production ont connu, au cours des années 1860, leur plus forte croissance. C’est ainsi en France qu’avec l’appui impérial, est découvert l’aluminium (Saint-Claire Deville). Mais du point de vue politique, elle coupe Napoléon de la haute bourgeoisie industrielle. Coupé des catholiques et des industriels. Napoléon III chercha à s’appuyer sur les ouvriers,

mais ceux-ci ne se révélèrent pas de fidèles soutiens, ils glissèrent rapidement vers le républicanisme, ainsi qu’en témoigne principalement le Manifeste des soixante en 1864. Manifeste dans lequel 60 ouvriers, présentant la candidature de l’un d’eux à des élections législatives partielles, expliquent vouloir le suffrage universel sans entrave, la liberté de presse et de réunion, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’instruction primaire laïque et obligatoire. L’empereur cherche également à obtenir le soutien des Républicains. En 1859, l’empereur

accorde une amnistie aux exilés républicains. Nombreux sont ceux qui s’empressent alors de rentrer en France, même si Victor Hugo refuse de le faire.

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Dès 1861, ainsi, se reconstituent les partis qui s’étaient opposés pendant la seconde

république (le Parti catholique et conservateur d’un côté, le parti laïque et républicain de l’autre). Aux élections de 1863, les deux parties décident de s’allier contre l’empereur, c’est l’Union libérale. L’Union présenta un candidat unique face aux candidats officiels de l’empereur. Même si le gouvernement remporte alors une large victoire (5,3 millions de voix contre 2 millions), la poussée de l’opposition est forte et conduit à l’assemblée 32 députés. Les députés s’allient, les orléanistes derrière Thiers et les républicains derrière Emile

Ollivier, au sein du Tiers parti121. C’est ce parti qui devient rapidement la principale force d’opposition. Ils parviennent même à attirer à eux quelques bonapartistes modérés désireux d’une accélération des réformes libérales.

II. Les étapes de l’évolution

A. Les premières ouvertures La première mesure par laquelle l’empereur libéralisa le régime fut un décret du 24

novembre 1860. Napoléon autorisa à cette occasion au Sénat et au Corps législatif de voter chaque année une « adresse » en réponse au discours du trône. Le décret établit par ailleurs des ministres chargés des relations avec les chambres et autorisait la publication d’un Journal Officiel rendant un compte exact des débats devant les chambres. On en revenait à un régime plus proche de celui de Louis XVIII. Aussitôt se développèrent des oppositions à droite et à gauche du gouvernement. Ces

oppositions furent renforcées par les échecs de l’ambitieuse politique étrangère impériale : le désastre de l’expédition mexicaine (le corps expéditionnaire rembarque en février 1867122), la victoire de la Prusse sur l’Autriche (Sadowa, 1866) débouchant sur la formation d’une puissante et hostile confédération en Allemagne du Nord, hésitations en Italie par la défense du pape face à l’unification italienne. L’empereur décide d’assouplir le régime. Il légalise ainsi le 2 mai 1864, le droit de grève en

abrogeant la vieille loi Le Chapelier. En revanche, il maintien l’interdiction des syndicats. L’évolution du mouvement ouvrier ne permit cependant pas à Napoléon de profiter du soutien de cette catégorie de la population. En 1864 est créée l’Association Internationale du Travail (AIT ou Première Internationale), dans lequel parvint rapidement à s’imposer un théoricien allemand, Karl Marx123. En 1868, l’Internationale passe sous influence purement marxiste, les théories mutualistes françaises (tirées de Proudhon), sur lesquelles l’empereur entendait s’appuyer, sont balayées. Le pouvoir français décida de lutter contre la Section Française de l’Internationale, coupa définitivement les ouvriers de l’empereur. Le socialisme césarien rêvé par Napoléon III ne vit jamais le jour. Cet échec ne devait pas condamner l’ouverture du régime, les républicains et les

bonapartistes modérés pouvaient également fournir un soutien pour l’empereur. Ce sont eux qui vont permettre la mise en place de l’empire libéral.

121 Les trois forces politiques dominantes sont le fragile parti soutenant Bonaparte dit « Bonapartiste », les Monarchistes-Orléanistes et le Tiers parti républicain. 122 Napoléon III voulait renverser au Mexique le gouvernement Juarez et le remplacer par un empereur européen, catholique et latin, pour contenir l’expansion américaine (Maximilien d’Autriche). Mais la mésentente entre Maximilien et le général français Bazaine provoqua le rapatriement des troupes françaises. Maximilien fut pris par les Mexicains et fusillé en août 1867. L’échec est du au fait que l’expédition n’avait pas été préparée, fondée sur une idée plus que sur une bonne connaissance de la situation, elle coûta très cher aux Français (360 millions de francs et 6000 soldats). 123 Elu à la tête de la Première Internationale en 1864 contre Proudhon, avant que Bakounine ne s’impose en 1869, ce qui poussera Engels à fonder la Seconde Internationale en 1889, après la mort de Marx. La Troisième Internationale ou Kominterm sera créée après la Révolution bolchévique.

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B. L’Empire libéral La libéralisation entamée par l’empereur combinée à ces revers diplomatiques le

poussèrent à répondre positivement aux pressions de l’opposition et à assouplir davantage le régime. Un SC du 18 juillet 1866 autorise ainsi le Corps législatif à discuter les amendements, même s’ils ont été au préalable repoussés par le Conseil d’Etat. Le droit d’adresse octroyé en 1860 est remplacé en janvier 1867 (SC 19/1/1867) par un droit d’interpellation reconnu aux députés à l’égard des ministres. Le Sénat voit également ses pouvoirs élargis (SC du 14/3/1867) puisqu’il dispose d’un veto suspensif d’un an contre toute loi votée par le Corps législatif et de la faculté de renvoyer la loi rejetée devant la chambre basse pour une seconde lecture. La presse est également concernée par le libéralisme impérial. La loi du 11 mai 1868 abolit ainsi les mesures préventives concernant la presse. Enfin la loi du 6 juin 1868 supprime l’obligation d’autorisation préalable aux réunions publiques. Les ouvertures impériales renforcèrent l’opposition. Les bonapartistes autoritaires sont

opposés à la nouvelle politique impériale tandis que les républicains estiment que les réformes ne vont pas assez vite et assez loin. C’est ainsi que la réforme de l’armée voulue par l’empereur en 1868 échoue, laissant l’armée française dans une organisation dépassée qui explique en grande partie la déroute de 1870. Aux élections de 1869, l’opposition républicaine, conduite par un jeune avocat brillant,

Gambetta, présente son programme lors d’un discours à Belleville. Elle réclame le suffrage universel, les libertés individuelles, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’instruction primaire, laïque et obligatoire pour tous et la suppression des armées permanentes. Gambetta évite soigneusement les questions sociales et économiques. L’opposition obtient 3,5 millions de voix contre 4,4 au gouvernement. L’opposition obtient

même la majorité dans les deux plus grandes villes du pays (Paris et Lyon). À la chambre basse, c’est le Tiers parti d’Emile Ollivier qui obtient la majorité (125 sièges, contre 97 aux Bonapartistes autoritaires, 41 aux Orléanistes de Thiers et 30 aux Républicains). Il demande la transformation de l’Empire en régime parlementaire, ce à quoi l’empereur semble résolu. Le 8 septembre 1869, un SC débute le processus de transformation du régime. Les droits

reconnus au Corps législatif sont largement accrus (droit d’élire son président et son bureau, initiative des lois, interpellation du gouvernement, vote de l’ordre du jour…). Le Sénat devient une assemblée législative. Les ministres pouvaient être pris parmi les députés et devenaient responsables, mais seulement du point de vue pénal. Ne manquait donc plus que la reconnaissance de leur responsabilité politique pour que le régime parlementaire soit rétabli. Napoléon décida de franchir le pas au début de l’année 1870. Il chargea Emile Ollivier de

former un gouvernement pris dans la majorité de la Chambre, le Tiers Parti, malgré l’opposition radicale des Républicains. Un SC constitutionnel du 20 avril 1870 tire les conséquences de l’évolution des dix dernières années. Il substitue à l’Empire autoritaire de 1852 un empire parlementaire qui ouvrait la porte potentiellement à la république, en cas de remplacement de l’empereur héréditaire par un président élu. Le SC rend ainsi officiellement responsables les ministres devant la chambre. Le Sénat perd ses pouvoirs constituants et devient une simple chambre législative, mais ses membres restent inamovibles. Le Conseil d’Etat reste l’instance de préparation des projets de loi déposés par le gouvernement (les chambres peuvent également faire des propositions de loi). L’empereur conserve des pouvoirs importants. S’il gouverne « avec le concours » des

ministres, responsables devant les chambres (le texte dit simplement qu’ils sont

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responsables, mais ne précise pas si c’est politiquement devant les chambres, ce qui laisse la porte ouverte à l’interprétation, plus ou moins libérale), il détient le pouvoir de faire la guerre, le pouvoir constituant (qu’il partage avec le peuple, par le biais du plébiscite). Le projet constitutionnel fut adopté par plébiscite le 8 mai 1870, par 7,3 millions de voix

pour contre 1,5 millions de non et 2 millions d’abstention. L’empire parlementaire était né et bien né. Malheureusement pour lui, il ne devait pas vivre longtemps. Le chancelier prussien

Bismarck qui rêve d’en découdre avec la principale puissance du temps, tend ainsi un piège à Napoléon III grâce à la dépêche d’Ems. L’empereur français se laisse prendre et déclare le 19 juillet la guerre à la puissante Prusse. Napoléon III, à la tête de ses troupes, est battu et encerclé dans Sedan le 2 septembre, il doit capituler. C’est la consternation dans le pays. Les Républicains profitent de la torpeur générale pour s’emparer du pouvoir. La foule

envahit le Corps législatif et Gambetta prononce la déchéance de l’empereur. Les manifestants sont conduits à l’Hôtel de Ville où la République est proclamée le 4 septembre par Jules Favre124.

Chapitre III. La naissance de la Troisième République (1870-1879)125 La Troisième République est, pour l’instant, le plus long régime qu’ait connu la France, il se

met en place en 1870-1875 et ne prend fin qu’en 1940, soit une durée de 70 ans environ. Né de la guerre, il a disparu dans la guerre également. Il a pourtant également (et c’est le seul dans l’histoire de France) sut faire face également à une troisième guerre. Il a su résisté aussi à de nombreuses crises qu’elles soient politiques ou économiques. Malgré ses nombreux défauts, c’est ce régime, modéré, tout au moins à l’origine, qui a permis l’enracinement en France de la République, grâce à l’habileté des chefs Républicains des années 1870-1880, grâce aussi à une constitution modérée, fruit des circonstances difficiles de la naissance de la République. Bien que particulièrement long, il est né dans des conditions difficiles et paraissait

particulièrement fragiles dans ses premières années, ce qui a fait assez longtemps douté de sa viabilité.

Section 1. Faire face à la guerre I. Le choix de la paix

A. La défaite face à la Prusse Lorsque le gouvernement provisoire de la République (appelé Gouvernement de Défense

Nationale) est mis en place le 4 septembre 1870, il s’agit avant tout d’essayer de faire face à la grave crise que traverse la France. Les Prussiens approchent dangereusement de Paris, il s’agit de tenter d’éviter la défaite, d’obtenir une paix dans l’honneur. Le gouvernement est, dans cette optique placée sous la direction d’un général catholique, gouverneur de Paris depuis le mois d’août, Trochu. Le gouvernement comprend également les principales figures du parti républicain (Favre, Jules Simon et Léon Gambetta). Le gouvernement échoua à desserrer l’étau prussien126. La Prusse encercle Paris et toutes

les tentatives de sorties de l’armée française se soldent par des échecs. Le défaitisme touche

124 Resté connu pour ses nombreuses maladresses diplomatiques. Le 6 septembre 1870, il déclare que nous, Français, ne céderions aux Prussiens « pas un pouce de nos territoires, pas une pierre de nos forteresses ». Ce à quoi Bismarck répondit, le 19 septembre, en déclarant à Favre qu’il faudrait céder l'Alsace et la Lorraine comme condition de paix. 125 Antonetti ; Démier ; Godechot ; 126 L’armée française fut mal servie par son haut commandement. Le 28 octobre 1870, le maréchal Bazaine se rend à Metz avec 180 000 hommes après avoir joué un rôle assez ambigu, peut-être avoir tenté d’obtenir une autorisation des Prussiens de marcher sur Paris pour restaurer l’Empire. Le

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les membres du gouvernement, notamment Trochu qui démissionne en janvier 1871127. Le 28 janvier, dix jours après la proclamation, dans la galerie des glaces de Versailles, de l’Empire allemand, le gouvernement français se résout à signer un armistice temporaire de 21 jours avec le nouvel Etat. Les conditions à la paix qu’y pose Bismarck sont très lourdes pour la France : perte de l’Alsace (moins Belfort128) et d’un tiers de la Lorraine (c'est-à-dire les pays annexés par Louis XIV en 1681, en fait principalement la Moselle), versement d’une indemnité de cinq milliards de francs, occupation partielle de la France jusqu’au paiement de cette somme). Bismarck exige de plus la capitulation de Paris et l’élection d’une Assemblée nationale qui devra décider de la conclusion de la paix ou de la reprise des hostilités. Dans l’attente de l’élection, les pleins pouvoirs sont donnés à Jules Simon qui provoque la démission de Gambetta, favorable à la poursuite de la guerre. Les élections ont lieu le 8 février. Le résultat est très favorable aux monarchistes. Un tel

vote s’explique moins par une inclination des votants en faveur d’une nouvelle Restauration que par un vote en faveur de la paix. Les monarchistes (légitimistes et orléanistes) voulaient en effet la fin d’un conflit perdu, tandis que les Républicains restaient, tel Gambetta, attachés à ne rien abandonner du territoire national aux Prussiens. L’assemblée ainsi élue se réunit à Bordeaux, dans la partie non occupée de la France. Elle nomme l’orléaniste Adolphe Thiers, 73 ans, chef du pouvoir exécutif de la République française, élu dans plusieurs départements (26)129 avec pour mission de terminer la guerre, quel qu’en soit le prix130. Thiers s’exécute. Le 10 mai 1871 est signé le traité définitif de paix à Francfort. La France

obtient la paix, aux conditions allemandes. L’élection complémentaire qui intervient alors confirme les attentes des Français. La paix obtenue, le vote est majoritairement républicain131. Le Républicain modéré Jules Grévy est nommé président d’une assemblée qui n’en reste pas moins majoritairement monarchiste, mais divisée sur l’identité du prétendant et soucieuse pour l’instant de faire assumer le prix de la guerre par la République, histoire de ne pas imposer à la Restauration une contrainte qui lui avait jadis coûté cher (en 1814-1815).

gouvernement bloqué dans Paris, ne peut communiquer avec l’extérieur qu’avec des ballons et des pigeons voyageurs. 127 Il démissionne après la désastreuse tentative de sortie de Buzenval, le 22 janvier, Victor Hugo l’appela « Trochu, participe passé du verbe Trop choir ». Trochu était convaincu que toute résistance de Paris était vaine. 128 En l’hommage à l’héroïque résistance des troupes de Denfert-Rochereau, ce qui est à l’origine d’un nouveau département, le Territoire de Belfort. 129 Le scrutin était un scrutin à candidature multiple, ce qui explique cette situation, mais également que sur 768 postes à pourvoir, 650 sièges seulement l’aient été. Dont 200 légitimistes (partisans du petit-fils de Charles X, le comte de Chambord) et 200 orléanistes (partisans du comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe), 200 Républicains et 30 Bonapartistes. 130 Thiers est né en 1797 à Marseille. Petit par la taille (l’écrivain Mme de Girardin l’appelait « Mirabeau-mouche »), il ne fait en effet qu’1m55. Avocat et historien, il se lança dans la carrière politique avec la révolution de 1830. Il joue un rôle important sous la monarchie de Juillet, sous laquelle il devient ministre de Louis-Philippe et principal opposant au tout puissant Guizot. Partisan du président en 1848, il devient opposant sous l’empire. En juillet, il est le principal opposant à la guerre, ce qui lui vaut une grande popularité à la suite de la défaite. Austère, vaniteux et insensible, l’homme est un bourgeois intelligent, mais qui sait facilement s’attirer les inimitiés. Qualifié de « croutard abject » (Flaubert), de « gnome monstrueux » (Marx) ou de « bourgeois cruel et borné qui s'enfonce sans broncher dans le sang » (Clémenceau) il sera salué comme « libérateur du territoire » par Gambetta après sa mort. Son tombeau sera suivi par un million de personnes jusqu’au Père Lachaise, là où avait été écrasée la dernière poche de Communards six ans avant. 131 Sur 118 députés élus, 100 sont républicains, 12 royalistes.

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Dans l’optique de l’Assemblée, la République n’est qu’un état transitoire avant la

Restauration. Thiers en tire les conséquences dans le Pacte de Bordeaux. Il s’engage à cette occasion envers l’Assemblée de ne préparer aucune solution constitutionnelle à son insu. Il s’engage seulement à relever la France défaite, à être loyal envers la majorité monarchiste de l’Assemblée.

B. La Commune de Paris La défaite provoque assez rapidement en France quelques mouvements. On voit ainsi se

mettre en place, début mars 1871, quelques communes révolutionnaires dans les grandes villes de France. Mais le mouvement est rapidement réprimé par l’armée et semble disparaître. Paris se révèle cependant une nouvelle fois un cas particulier. Plusieurs raisons contribuèrent à déclencher la colère parisienne. Tout d’abord, Paris a été

la ville qui a le plus durement subi la guerre. Elle a en effet du faire face à un siège de quatre mois causant nombre de destruction et la famine. Le traumatisme est d’autant plus rude que malgré son héroïsme, le peuple parisien a du accepter la défaite qu’elle impute à la province qui, contrairement à lui, n’a pas poursuivi le combat et tenté de le libérer. À cela s’ajoute le défilé des troupes allemandes sur les Champs-Élysées, accepté par Thiers afin de garder Belfort. Ce défilé est perçu comme une humiliation par les Parisiens. Cette situation s’ajoute au fait que le gouvernement a quitté Paris pour Bordeaux où se

trouvait déjà l’Assemblée, et qu’après la paix, il a décidé, non pas de revenir à Paris dont l’assemblée se méfie, mais de s’installer à Versailles (le 20 mars 1871), l’ancienne capitale des rois. Paris pense alors avoir perdu son statut de capitale. Ces vexations viennent féconder un terreau rendu particulièrement favorable par la

politique urbaine de l’empereur. Les grands travaux haussmanniens ont bouleversé Paris et ont spécialement touché les petits artisans et ouvriers. Prolétariat lui-même très ouvert depuis les années 1830 aux idées socialistes voire marxistes. C’est à Paris en effet que se trouvent, à l’exception de Blanqui, les leaders du socialisme français132. Paris avait d’ailleurs déjà bougé sous leur influence tout au long du siège. Assez rapidement en février 1871, on voit l’administration parisienne évoluer. Le maire de

Paris, Jules Ferry ne parvient plus à se faire respecter, les maires d’arrondissements et surtout le Comité central, composé de délégués de comités d’arrondissements prennent le dessus. À cela s’ajoute la mise en place d’une fédération des gardes nationaux de la capitale, désireux de préserver la République, qu’ils estiment menacée. Les fédérés nomment des délégués qui forment une Assemblée générale très puissante. De plus, Paris reste armée depuis le siège. Elle est au bord de la Révolution, le moindre

faux pas peut la déclencher. L’installation du gouvernement et de l’Assemblée à Versailles, le 20 mars, est mal ressentie.

Mais les premières décisions du gouvernement le seront encore davantage. L’Assemblée décida en effet de supprimer la solde versée quotidiennement aux membres de la garde nationale, solde très importante tant que les gardes n’auraient pas repris le travail, ce qui était encore le cas en mars. Elle prend également des mesures pour imposer le paiement de leurs dettes par les petits commerçants et suspend la presse d’extrême gauche. Au mal-être parisien, que l’Assemblée comprend comme une menace sociale, l’Assemblée décide donc de répondre par l’épreuve de force. Thiers de passage à Paris constate l’effervescence de la capitale, il tente alors de retirer

leurs armes aux Parisiens. La décision déclenche la révolte. Les Parisiens s’opposent à la 132 Aux élections du 8 février, sur 43 députés, Paris en a élu 37 d’extrême gauche, ceux que l’on appelle les Rouges (Gambetta, Louis Blanc, Victor Hugo, Garibaldi…). Plusieurs de ces radicaux démissionnent dès le 1er mars après la ratification du traité de Francfort.

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décision gouvernementale, des chefs militaires loyalistes sont massacrés. Thiers refuse toute conciliation et rejette les appels à la discussion de Ferry et du jeune Clemenceau. Il décide de faire évacuer Paris par la troupe, comme l’avait fait Cavaignac en 1848 (stratégie que Thiers lui-même avait utilisée pour vaincre les Canuts à Lyon sous Louis-Philippe). La ville est abandonnée aux insurgés. Les nouveaux maîtres de Paris décident aussitôt d’organiser des élections municipales. Ils

souhaitent simplement obtenir pour Paris un statut particulier, mais l’Assemblée refuse de discuter « avec des assassins ». Une seule issue est donc possible, le règlement par la violence. Les élections ne sont pas un triomphe pour les insurgés. Un peu moins de la moitié des

Parisiens seulement est allée voter et portent la moitié de leur voix aux partisans de l’Insurrection. C’est donc avec une légitimité très limitée que la Commune parisienne va se mettre en place. Après la démission de la majorité des modérés, le Conseil général de la Commune a une orientation clairement socialiste (et non marxiste, un seul élu s’en revendique). Il n’est cependant en aucune façon uni (Blanquistes extrémistes et violents, jacobins, ouvriers de l’Internationale…) Le Conseil général fait preuve de grandes ambitions. Dans sa Déclaration aux Français,

présentée par Jules Vallès le 19 avril 1871, il présente son programme : reconnaissance et consolidation de la République, mais également autonomie absolue de la commune étendue à toutes les localités de France, une mosaïque de communes librement fédérées. La Commune a donc des ambitions républicaines, mais fortement décentralisatrices, voire fédéralistes. Le Conseil souhaite par ailleurs le partage du travail (partage des terres entre les paysans, coopératives industrielles), ce qui choque une population française largement propriétaire et conservatrice. Les réalisations ne sont pas à la hauteur des ambitions, du fait de la division de ses leaders.

La Commune prit seulement des mesures républicaines modérées, proches du programme de Belleville de Gambetta (séparation Eglise et Etat, mise en place du service militaire obligatoire pour tous, instruction laïque et gratuite…) plus quelques mesures plus radicales (drapeau rouge…) Même si la Commune n’est pas allée très loin, le gouvernement ne peut laisser la situation

en l’état. Une haine farouche oppose les Versaillais, majoritairement ruraux, qui ne supportent pas la ville révolutionnaire qui a toujours eu la prétention de dicter à la France son destin politique, et les Parisiens qui détestent une assemblée qu’ils considèrent comme réactionnaire, et antirépublicaine. La reconquête fut néanmoins problématique car si les chefs de la Commune étaient divisés,

le peuple communard était fortement uni. Il est composé de travailleurs (patrons comme ouvriers) républicains et anticléricaux, détestant les propriétaires bourgeois provinciaux et monarchistes que défendent les troupes versaillaises. La tension entre les deux partis est forte dès le mois d’avril. Après le massacre des

généraux loyalistes des premiers jours, Thiers fait fusiller les chefs communards capturés. La Commune répond par le décret des otages (5 avril 1871) qui prévoit que pour toute exécution d’un prisonnier communard, trois otages seront exécutés par la Commune. Ainsi sont emprisonnés et seront exécutés nombre de prêtres, dont l’archevêque de Paris, ainsi que des policiers. La reconquête menée de l’extérieur à grand renfort de troupes a lieu lors de la semaine

sanglante (21-28 mai 1871). Elle l’est au prix de rudes combats de rue qui provoquent l’incendie des plus importants bâtiments parisiens (Hôtel de Ville, Tuileries, Palais de Justice, Palais royal…) Les combats tournent rapidement en faveur des troupes versaillaises. Les

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derniers insurgés sont massacrés au cimetière du Père-Lachaise (au mur des Fédérés) le 31 mai. Le bilan est lourd. Si les Versaillais n’ont perdu que 1000 hommes, 10 à 20 000 Communards ont été tués, dont de nombreux ont été fusillés, 7500 sont déportés en Nouvelle-Calédonie. Au total, Paris a perdu dans les évènements près de 100 000 personnes. Le bilan politique de la Commune est profitable pour la République. La plupart des

intellectuels (sauf Verlaine et Rimbaud) approuvent l’écrasement de l’insurrection des « partageux », même si certains, comme Hugo, regrettent la férocité des Versaillais. Les chefs républicains gardent prudemment le silence, afin de ne pas être associés au mouvement insurrectionnel. Un nouveau fossé se creuse ainsi entre travailleurs et républicains. En revanche, le pays, rassuré par la victoire versaillaise et conscient de l’échec de la Commune à s’étendre au reste du pays, reste attaché au régime et au gouvernement de Thiers. Le socialisme est vaincu, il mettra une dizaine d’années à se relever133. Le pays prend la

direction, voulue par Thiers, de la République conservatrice. Marx s’en servira néanmoins, en faussant largement la réalité des évènements, pour présenter la Commune comme une révolte du prolétariat industriel (alors que les Communards étaient loin d’être tous ouvriers, il y avait d’ailleurs également des patrons avec eux) contre la bourgeoisie capitaliste. Thiers, le chef de file des orléanistes devient ainsi au soir de sa vie le fondateur de la

République. Eliminée sa frange rouge, la République ne faisait en effet plus peur aux Français.

II. Le prix de la paix Thiers a compris que le vote du 8 février 1871 était fondé sur un quiproquo et que les

Français ne souhaitaient pas le retour de la monarchie. Il doit avoir une fonction plus claire pour mener sa mission de rétablissement de la France à bien. La loi Rivet, le 31 août 1871, lui confère le titre de Président de la République, titre temporaire, encore suspendu à la fixation définitive, encore incertaine, de la constitution. L’assemblée se réserve en effet le droit d’ « user du pouvoir constituant, attribut essentiel de la souveraineté. » Néanmoins, Thiers est en même temps président du conseil, ce qui lui confère de très

larges pouvoirs. Il nomme et révoque les ministres qui sont responsables devant l’Assemblée et devant lui-même. Il cherche par ailleurs à rassurer les monarchistes, pour se maintenir au pouvoir : « un essai loyal de République est nécessaire avant de relever la monarchie » indique-t-il à l’assemblée. En fait, il pense que « si nous réussissons la réorganisation de la France, elle se fera sous la forme de la République, et à son profit… » L’œuvre de Thiers fut orientée vers le rétablissement de la France après la guerre

prussienne et la guerre civile. Thiers devait en premier lieu en finir avec la présence prussienne, libérer le pays. Les Allemands étaient en effet toujours dans le pays, attendant le versement par les Français de l’indemnité de 5 milliards. Afin de payer cette somme énorme, Thiers avait le choix entre mettre en place un nouvel impôt, les Républicains radicaux demandaient la mise en place d’un impôt sur le revenu, et utiliser des méthodes plus exceptionnelles. Le président refusa de créer le nouvel impôt, rejeté par la grande bourgeoisie d’affaire. Il lança ainsi des emprunts « de libération du territoire ». Ce qui lui vaut le soutien des financiers et épargnants. Les emprunts rencontrèrent un énorme succès qui permit à la France de payer l’indemnité en un temps qui surprit les Allemands134. Ils quittent le pays bien avant la date prévue à l’origine, dès le 18 septembre 1873.

133 Encore en 1877, Thiers déclare : « On ne parle plus de socialisme et on fait bien. Nous sommes débarrassés du socialisme » 134 Afin de rembourser l’emprunt, Thiers releva les droits de douanes et instaura un impôt de 3% sur le revenu des valeurs mobilières.

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Pour le reste, la politique de Thiers est une politique de compromis. S’il tire les

conséquences administratives de la chute de l’Empire, il reste assez conservateur concernant notamment l’administration locale afin de maintenir les moyens permettant une action administrative de l’Etat, dans une optique principalement centralisatrice. Pas de bouleversement non plus dans la réorganisation de l’armée, rendue nécessaire par le désir unanimement partagé de revanche rapide sur l’Allemagne. La loi du 27 juillet 1872 pose le principe du service militaire obligatoire pour tous, mais les dispenses qui permettent d’y échapper sont nombreuses et modère l’originalité de la réforme135. Il y est ajouté que l’armée doit être tenue à l’écart de la politique, qu’elle doit être la Grande Muette, ce pourquoi, le droit de vote est refusé aux militaires. Thiers a rempli sa mission. Au cours de celle-ci, il a également marqué un nouvel

attachement pour la République. Une république conservatrice selon ses vœux. Son action a montré aux Français que République pouvait être synonyme d’ordre, de fermeté et de stabilité, aussi bien, si ce n’est mieux que la monarchie. Le succès de l’emprunt pour la libération de la France retombe sur la République. Si l’occupation de 1815 avait été mal gérée par la Monarchie restaurée, celle de 1871-1873 est un succès pour la République. Dès 1872, un an après la Commune et alors même que la France est encore occupée, la municipalité parisienne décide de poursuivre les travaux d’Haussmann, témoignage de la vitesse du redressement français. La République profite également de la modération de ses chefs. Gambetta a revu ses

ambitions radicales pour plus de nuances et de conciliation. La modération des Républicains rassure les Français qui avaient gardé un mauvais souvenir de l’expérience de 1848. La fermeté de Thiers face au socialisme fait de la République un régime stable et conservateur qui rassure tout autant. L’interdiction de l’Internationale, votée en mars 1872, le confirme. Gambetta profite de cette situation pour faire un prosélytisme en province. Il s’agit de

montrer que République rime avec sérieux et ordre. Thiers révèle alors ses ambitions. Rompant le pacte de Bordeaux, il affirme, fort des résultats des élections partielles de septembre 1872, très favorables aux Républicains, que « la République existe, elle est le gouvernement légal du pays » avant d’ajouter que « tout gouvernement doit être conservateur, la République sera conservatrice ou elle ne sera pas ». La majorité royaliste de l’Assemblée se sent trahie, il est temps pour elle de se débarrasser

de Thiers qui pourrait contrecarrer ses plans. Le 13 mars 1873, elle adopte une loi interdisant au président de prendre la parole devant l’Assemblée. Malgré cela, les Républicains progressent à chaque élection136. Le 24 mai 1873, à la suite de l’élection comme député d’un « Rouge » contre le ministre des affaires étrangères, ami de Thiers (Charles de Rémusat), l’Assemblée demande au président de faire prévaloir une politique résolument conservatrice. Thiers répond par un message indiquant que « pratiquement la monarchie est impossible : il n’y a qu’un trône, et on ne peut l’occuper à trois (le comte de Paris, le comte de Chambord et le prince impérial, fils de Napoléon III) ». Il ajoute que la majorité conservatrice est dans l’erreur car, dans les masses « la république a une immense majorité. » Pour l’Assemblée, c’en est trop, elle désavoue le président, mais par une courte majorité. Thiers démissionne, persuadé d’être aussitôt rappelé. Il ne le sera pas et mourra quatre ans plus tard.

Section 2. Faire face à l’opposition monarchiste

135 Il y a 60 000 exemptés (instituteurs, élèves des grandes écoles, curés…), d’autre part le contingent est divisé en deux par tirage au sort, les uns doivent un service de 5 ans, les autres d’un an. 136 Le 27 avril, une élection partielle donne six sièges sur sept aux Républicains.

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Dès lors que Thiers s’inclina vers la République, il ne pouvait plus être soutenu par une

Assemblée qui l’avait mis en place pour assurer la transition vers la monarchie. Thiers avait achevé sa mission de relèvement de la France, la France était libérée, son maintien n’est plus nécessaire aux royalistes, au contraire, il pourrait menacer leur ambition restauratrice. Il est temps de mettre au gouvernement celui qui conduira la République vers la Monarchie.

I. Une timide confirmation de la république Contrairement à ce qu’il prévoyait, Thiers ne fut pas rappelé par l’Assemblée. Celle-ci élit

comme président Patrice de Mac-Mahon. Ce sénateur est loin d’être inconnu. Maréchal de France depuis ses victoires en Algérie, en Italie (Magenta), en Crimée (Malakoff) et face aux Communards contre lesquels il dirigeait la troupe des Versaillais. Il jouit d’une forte popularité, malgré ses défaites dans la guerre contre la Prusse137. Ce militaire loyal, resté célèbre pour son sens de la formule, peut-être plus ou moins avérées138, est également un légitimiste de tradition familiale. Elu président, il n’a d’autre objectif que celui, demandé par l’Assemblée, de préparer la restauration. Dans cette optique, il prend comme ministre le duc Albert de Broglie, orléaniste intelligent et anti-républicain, qui méprise Thiers qu’il considère comme un parvenu, et sa conception modérée du pouvoir. Ainsi est mise en place la politique dite de l’ordre moral, politique qui vise à imposer un

mode de vie plus conforme à la morale chrétienne, quitte à diminuer les libertés individuelles. Politique qui doit surtout permettre, pour Albert de Broglie139, de rassembler durablement les monarchistes. Le programme tient en peu de mot, éviter la dissolution qui serait favorable aux Républicains, faire voter des lois constitutionnelles qui protégeraient les institutions du suffrage universel et ouvrir ainsi la voie à la Restauration. Cette nouvelle orientation politique implique un rapprochement avec le pape, voulu par

les légitimistes140. Ce rapprochement se traduit par plusieurs mesures liberticides : retour de la nomination des maires, suspension de journaux républicains ou anticléricaux, surveillance des débits de boissons… Pour les légitimistes, il s’agit de faire appliquer en France le Syllabus du pape Pie IX de 1864, dans lequel le pape conservateur dénonce le socialisme, le libéralisme, le matérialisme, le nationalisme, l’athéisme, bref les évolutions de la société de la fin du XIXe siècle. Le temps de la restauration semblait donc s’approcher. À l’été 1873, les vieilles divisions

monarchistes entre légitimistes et orléanistes semblent en effet se calmer. Le prétendant, généralement admis, est celui des légitimistes, le petit-fils de Charles X, Henri d’Artois, le comte de Chambord, qui devait devenir Henri V. Celui-ci devait être appelé par Mac-Mahon et acclamé par l’Assemblée. Les carrosses royaux étaient déjà construits pour l’entrée royale d’Henri V à Paris. Cependant, le prétendant était fortement réactionnaire. Très dévot, il souhaitait un retour à l’Ancien Régime, comme son grand-père Charles X. Il demandait

137 C’est par sa faute (manque de réaction, de reconnaissance, non prise en compte des éléments techniques qui firent pour beaucoup la victoire prussienne), que les Français subirent plusieurs défaites, notamment celle de Sedan. 138 Après la prise de la tour de Malakoff pendant la guerre de Crimée, il prononce son célèbre « J’y suis, j’y reste » Il aura également des formules moins heureuses. Devenu président de la république, il visite la ville de Toulouse, victime d’inondation et y prononce un étonnant « Que d’eau ! que d’eau ! » Il aurait encore la paternité de : « La fièvre typhoïde est une maladie terrible. Ou on en meurt, ou on en reste idiot. Et je sais de quoi je parle, je l'ai eue » 139 Fils de Victor de Broglie, ministre de Louis-Philippe. 140 Celui-ci se traduisit rapidement par le début de la construction, à Paris, sur la colline fortement marquée politiquement de Montmartre, d’une basilique dédiée au Sacré-Cœur de Jésus, pour expier les crimes de la Commune.

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notamment le retour du drapeau blanc, ce que refusait les Orléanistes141. Le refus de tout compromis de la part du comte de Chambord provoqua la colère des Orléanistes et le retrait de leur soutien. Le candidat légitimiste n’avait dès lors plus le soutien de la majorité de l’assemblée. La Restauration n’eut pas lieu. Les Orléanistes préférèrent attendre la mort du comte pour soutenir la candidature de leur prétendant, le petit-fils de Louis-Philippe, qui devait succéder à Henri V, celui-ci n’ayant pas d’enfant. La République est donc maintenue, en attendant une nouvelle occasion de Restauration. Mais il faut que le président Mac-Mahon ait le moyen d’assurer cette attente, le ministre de

Broglie souhaite qu’il dispose d’un long délai au pouvoir pour le faire. En novembre 1873, faut d’avoir obtenu un mandat de 10 ans, les monarchistes obtiennent la prorogation des fonctions présidentielles pour sept ans, c’est la naissance du septennat. Dans le même temps est mise en place une commission chargée de préparer des lois constitutionnelles pour assurer le fonctionnement des institutions dans l’attente de la restauration orléaniste. La République reste donc une solution transitoire dans les esprits de la majorité. Dès 1874, néanmoins, la majorité monarchiste commence à se disloquer. Les Orléanistes,

mécontents de l’intransigeance des légitimistes et inquiets des progrès des Bonapartistes, décident de se rapprocher des Républicains, que la modération a rendu fréquentables142. Ce changement d’alliance est déterminant pour la naissance de la République, une république modérée, alliée aux monarchistes modérés. Au début de l’année 1875, l’Assemblée débute l’examen des textes constitutionnels, le 30

janvier, elle adopte, par une voix de majorité, l’amendement Wallon qui prévoit que « le président de la République est élu par le Sénat et la Chambre ». Par cette courte majorité, la présidence de la République, état de fait plus que de droit jusqu’alors devient une institution. La porte est dès lors ouverte vers la République, reconnue implicitement. Celle-ci est installée en trois textes constitutionnels, les lois du 24 février (sur le Sénat), du 25 (sur l’organisation des pouvoirs publics) et du 16 juillet (sur les rapports entre eux des pouvoirs publics). Ces textes forment la Constitution de la Troisième République, une constitution courte et souple, susceptible de nombreuses interprétations. Les Monarchistes notamment estimaient que le président pourrait être facilement remplacé par un roi. En pratique, le président, élu pour sept ans renouvelables par les Assemblées, détient le

pouvoir exécutif. S’il nomme les ministres, ceux-ci sont responsables politiquement devant les Assemblées. Le président peut, par l’intermédiaire de ses ministres, faire des projets de lois. Il dispose également des pouvoirs classiques de l’exécutif : nomination aux emplois civils et militaires, droit de grâce, commandement des armées, mais aussi droit de dissoudre la Chambre des députés (sur avis conforme du Sénat néanmoins). Le pouvoir législatif donne aux deux chambres, la Chambre des députés, élue au suffrage

universel direct pour quatre ans et le Sénat, élu au suffrage universel indirect (élus locaux) pour neuf ans, renouvelable par tiers (malgré les Républicains, attachés au monocaméralisme). Mais un quart des Sénateurs restent élus à vie par l’Assemblée Nationale, c'est-à-dire la réunion du Sénat et de la Chambre des députés. Les deux chambres ont, à égalité, l’initiative et le vote des lois. Le président a donc des pouvoirs très étendus. Il apparaît comme un monarque

constitutionnel. Elu par les assemblées, il en tire de ce fait une légitimité moindre que celle

141 En fait, il semble que cela ait été un peu plus compliqué mais assez personnel : hésitations quant à la volonté d’être un roi sans pouvoir, incertitudes de son épouse… 142 Après la chute du gouvernement de Broglie (16 mai 1874) par l’alliance contre-nature des légitimistes et des Républicains, les élections partielles de mai à février 1875 donnent 7 sièges sur 13 aux Républicains, 5 aux Bonapartistes et 1 seulement aux Monarchistes.

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des assemblées. Cette situation pouvait néanmoins entraîner des tensions avec les Assemblées. Celles-ci éclatèrent rapidement.

II. L’affrontement avec les monarchistes La constitution élaborée, l’Assemblée nationale se sépare le 31 décembre 1875. Les élections

de 1876 sont très favorables aux Républicains. Si le Sénat (notamment grâce aux 75 sénateurs inamovibles) reste d’une courte majorité, entre les mains des monarchistes, la Chambre des députés est majoritairement républicaine (340 députés, contre 170 conservateurs, eux-mêmes divisés entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes)143. Les Républicains recueillent ainsi les fruits d’un long travail, notamment mené par Gambetta144, afin d’enraciner l’idée républicaine dans les campagnes, traditionnellement conservatrices. Il s’appuie, pour cela, sur l’éducation politique, grâce à l’école élémentaire, outil essentiel de la culture démocratique et la modération. Mac-Mahon décide de laisser le sénateur républicain Jules Simon nommer le ministère145. Celui-ci, se déclarant « profondément conservateur et profondément républicain » cherche

à rassurer la gauche et la droite, mais il n’y parvient pas vraiment. Les monarchistes, principalement les légitimistes, s’enferment dans leur logique cléricale et antirépublicaine, favorable au pape Pie IX. Les républicains, de leur côté, sont à présent majoritaires et sûrs de leur force, ils peuvent révéler leurs ambitions anticléricales. Gambetta, un de leur chef de file lance le 4 mai 1877 « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ». Pour les Républicains, il n’y a pas de classes ou d’ordres, il n’y a que des citoyens. Les socialistes, défenseurs de la vision des classes, ont été abattus, à présent c’est aux clercs de l’être, défenseurs d’une société dépassée. Le 16 mai 1877, Mac-Mahon blâme Simon pour ces débordements et provoque la

démission du ministère. Le duc de Broglie est rappelé pour reconstituer un ministère d’ordre moral, dans le mépris le plus complet donc de la majorité républicaine. Le même jour, 363 députés lancent une adresse dans laquelle ils estiment que les libertés sont menacées par une tentative antiparlementaire de gouvernement personne. L’affrontement entre la puissance présidentielle et la légitimité de la chambre éclate. Vite mis en minorité par la chambre, De Broglie fait prononcer sa dissolution par le président, le 25 juin 1877. Ce sont les électeurs qui sont chargés de mettre un terme à la crise. Gambetta prévient le président qu’en cas de victoire républicaine, « il faudra se soumettre ou se démettre ». La campagne est une période de tension. Les bonapartistes poussent au coup d’Etat, le

ministère fait pression par l’administration sur les électeurs. Les menées monarchistes réussissent, aux élections d’octobre, les républicains reculent mais pas assez pour être minoritaires146. Le 19 novembre 1877, de Broglie démissionne et après avoir tenté de résister, Mac-Mahon accepte de se soumettre. Il charge, le 12 décembre 1877, le républicain Jules Dufaure de former un ministère. Au terme de la crise du 16 mai 1877, une nouvelle interprétation de la constitution s’est fait

jour. Le pouvoir est effectivement détenu par la chambre des députés, le président est réduit,

143 Les Républicains remportent 55% des suffrages exprimés. Les conservateurs sont ainsi répartis : 25 légitimistes, 55 orléanistes et 75 bonapartistes. 144 Pour Gambetta, « Il faut mériter la victoire. Le suffrage universel est à celui qui s’en occupe sans trêve ni repos » 145 Simon était membre de la puissante Gauche républicaine qui comprenait également Ferry et Grévy. La Gauche républicaine s’opposait à l’Union Républicaine de Gambetta et aux radicaux, attachés au programme de Belleville, dont Gambetta s’est éloigné (les 48ards Louis Blanc, Schoelcher, Quinet, Hugo, Esquiros et les plus jeunes Clemenceau, Pelletan) 146 318 républicains sont élus, contre 208 conservateurs. Mais en voix la différence est faible : 600 000 voix séparent républicains et conservateurs.

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malgré ses pouvoirs et du fait d’un déficit de légitimité, à un rôle d’arbitre, neutre politiquement. Il doit charger du ministère la majorité de l’assemblée. La crise a assuré à l’assemblée d’être un régime d’assemblée, un régime parlementaire. Le président est enfermé dans un rôle réduit qui marquera la tradition républicaine jusqu’en 1958. Une tradition d’opposition entre autorité et démocratie. En janvier 1879, les républicains remportent une large victoire aux élections sénatoriales.

Maîtres du pouvoir législatif et donc du pouvoir, ils décident de renouveler une administration qui leur est encore nettement hostile. Dufaure présente ainsi au président plusieurs décrets de cessation de fonctions, mais Mac-Mahon refuse de signer ceux qui concernent certains généraux, ses anciens compagnons d’armes. Il préfère démissionner le 30 janvier. Le même jour, l’Assemblée Nationale élit comme nouveau président un républicain

modéré, Jules Grévy, président de la Chambre des députés. Léon Gambetta devient, quant à lui, président de la Chambre. La IIIe République, sans doute la République qui est née dans le climat le moins

enthousiaste est alors bien installée et avec elle l’idée républicaine.