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Histoire d'une annexion Author(s): Gay, Charles Source: Foreign and Commonwealth Office Collection, (1860) Published by: The University of Manchester, The John Rylands University Library Stable URL: http://www.jstor.org/stable/60232908 . Accessed: 16/06/2014 00:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Digitization of this work funded by the JISC Digitisation Programme. The University of Manchester, The John Rylands University Library and are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Foreign and Commonwealth Office Collection. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.78.43 on Mon, 16 Jun 2014 00:11:12 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Histoire d'une annexion

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Histoire d'une annexionAuthor(s): Gay, CharlesSource: Foreign and Commonwealth Office Collection, (1860)Published by: The University of Manchester, The John Rylands University LibraryStable URL: http://www.jstor.org/stable/60232908 .

Accessed: 16/06/2014 00:11

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The University of Manchester, The John Rylands University Library and are collaborating with JSTOR todigitize, preserve and extend access to Foreign and Commonwealth Office Collection.

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Page 2: Histoire d'une annexion

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HISTOIRE

D'UNE

ANNEXION

PAR

CHARLES GAY

PARIS

AMYOT, EDITEUR, 8, RUE DE LA PAIX

M DCCC LX

Err as

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Page 6: Histoire d'une annexion

II a 6t& annonce" qu'une plume bien connue se disposait a retracer l'histoire des consequences politiques de la guerre d'ltahe. Je suis alle" aux renseignements et on m'a assure

qu'il n'en 6tait rien. Je m'y attendais, a vrai dire. II se

passera quelques mois encore, quelques annfes peut-6tre, avant que l'esprit le plus perspicace, la plus haute intelli¬

gence, rhomme d'fitat le plus autoris6, puisse surpendre le dernier mot de la guerre d'ltalie. Un jour sans doute la lumiere se fera; mais ce jour-Ki n'est pas venu.

Le travail qu'on va lire, ne se heurte point a cet 6cueil. II ne concerne que des fails accomplis. Autre ^cueil, plus dangereux peut-6tre, plus fertile encore en naufrages, Y6- cueil de l'indiffgrence et de l'inoppor'tunit6. Je m'en suis

longtemps effraye\ Longtemps j'ai pense" que ces pages, Rentes loin de Paris, au lendemain d'e>6nements bien effa-

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Page 7: Histoire d'une annexion

4 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

66s depuis, ne seraient jamais publiees. Quoiqu'elles con-

tinssent plus d'un detail ignore, plus d'un Episode demeure'

secret ou oublie" dans les archives des chancelleries, j'en

prenais, en definitive, assez facilement mon parti. Qui

pouvait s'occuper de la Suisse ou de l'Allemagne, quand le

canon grondait a Magenta, quand une paix inattendue

succedait a une guerre glorieuse, et quand un congres at-

tendu devait rdgler les destinies de l'ltalie? De quel inte>et

etait le traite" de Paris, au lendemain du trait£ de Zurich, et qu'importait l'histoire d'une annexion, quand il n'6tait

pas question d'annexion? Une brochure c^lebre a change la face des affaires; le congres s'est dvanoui; nous n'avons

vu venir ni le prince Gortschakoff, qu'on dit assez mecon-

tent, ni le cardinal Antonelli, qu'on suppose peu satisfait.

Des combinaisons nouvelles se discutent; on parle de rema-

niements de territoire; il est question d'agrandir le Piedmont

aux depens de l'ltalie centrale, et la France aux depens du

Pi6"mont.

Tout cela se r^alisera-t-il Lord John Russell esperait

que non lorsqu'il prenait la parole, le 28 fevrier, devant

la Chambre des communes; il eut voulu le programme

plus restreint. L'espere-t-il encore aujourd'hui? G'est peu

probable depuis le 1" mars. Moi qui ne m'occupe pas ici de

politique, au moins de la politique du moment, je laisse

ceux qui s'en occupent, espe>er ou d^sesperer; je veux

seulement profiter des circonstances, et, puisqu'on parle d'annexions a faire, essayer de raconter une annexion deja faite. Loin de moi la pens^e d'assimiler des e>6nements qui n'ont pas, a coup sur, une complete analogie, aussi bien

quant a leur origine qu'au point de vue de leurs conse-

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Page 8: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 5

quences ; d'etablir des rapprochements qui peut-etre vien-

dront a l'esprit du lecteur, mais contre lesquels je proteste de toute mon 6nergie. Je ne plaide pas une cause; je saisis

un a-propos, et si, en lisant ce r6cit, on en arrivait a cette

conclusion que les puissances qui ont sign^ le trait6 du

26 mai 1857, ne sont guere en droit de se plaindre des

changemenls qui peuvent s'ope>er en Europe, ce ne serait

pas la faute de l'historien; ce serait la faute de l'histoire.

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Page 9: Histoire d'une annexion

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Page 10: Histoire d'une annexion

II

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Page 11: Histoire d'une annexion

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Page 12: Histoire d'une annexion

II

II y a plus de deux ans que la cession de Neuchatel est un fait accompli. G'est d6ja bien loin de nous, mais c'est encore

trop pres pourl'histoire. L'histoire est comme les presbytes: elle ne voit bien qu'a distance. Aussi, n'est-ce pas un livre

que je veux faire. Je jette sur le papier quelques souvenirs

personnels, je raconte ce que j'ai vu, ce que j'ai recueilli de la bouche de t^moins oculaires, ce que j'ai extrait, en par- tie, de documents entierement inddits, et qui probablement ne seront jamais publics. Si la proximite" des 6v6nements

m'impose une reserve facile a comprendre, si je dois aux hommes d'Sltat qui ont joue un role dans cette longue et laborieuse negotiation, au comte Walewski, au comte de

Ilatzfeld, au baron de Manteuffel, de ne m'exprimer sur leurs actes qu'avec la plus entiere deference, j'espere, sans

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Page 13: Histoire d'une annexion

1

10 HISTOIRE D'TJNE ANNEXION.

manquer aux managements qui rne sont commandos, 6clai-

rer peut-Stre certains c6t£s de la question. II s'agit d'un petit Etat dont la population totale est loin

d'6galer celle du moins peuple" de nos d£partements. Le

pays de Neuchatel n'a pas quarante lieues carries, presque toutes en pays de montagnes. Et cependant, par un singulier

contrasts, ces quarante lieues de montagnes ont plus d'une

fois, depuis deux siecles, mis en mouvement la diplomatie; Louis XIV et Napoleon III, Fr£de>ic Ier et Fr6d6ric-Guil-

laume IV, s'en sont 6galement pr6occup6s; peu s'en est fallu

qu'en 1857 une guerre g6n6rale ne succ^dal aux protocoles, et que le canon, ce supreme n^gociateur, n'elevat la voix au

milieu des deliberations des cabinets. II y a la un fait cu-

rieux, qui me>iterait a lui seul l'attention de l'historien,

quand m6me la solution du d£bat, en portant une nouvelle

atteinte au droit public europfen, tel qu'il existait depuis

1815, n'eut fait de cette insignifiante question de territoire

un des e>6nements importants de notre 6poque. Tout le monde connait cette capitale en miniature qu'on

appelle la ville de Neuchatel, assise au bord de son beau lac, devant le magnifique panorama des Alpes, aux pieds des der-

niers contre-forts du Jura. Tout le monde s'est promen6 sur

ses beaux quais planted d'arbres; tout le monde a visits son

vieux chateau. G'estla qu'ont r6gn6, de 1143 a 1707, quatre maisons princieres, j'ai presque dit quatre dynasties, la mai-

son de Neuchatel, la maison de Fribourg, la maison de

Bade-Hochberg et la maison d'Orl^ans. Neuchatel elait un

arriere-fief de l'Empire, relevant directement des comtes de

Chalons.

La ligne masculine des comtes de Neuchatel s'eleignit

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 11

en 1373. Suivant le droit ftodal allemand, Neuchcttel devait

revenir au* comtes de Chalons, comme fief vacant. La puis- sante protection de Berne fit 6chouer leurs reclamations et as-

sural'execution du testament de lacomtesse Isabelle, fille du

dernier comte, morte comme lui, sans enfants, qui disposa de Neuchatel en faveur de son neveu, le comte Conrad de

Fribourg. Conrad et ses successeurs n'en reconnurent pas moins la suzerainete" de la maison de Chalons. La meme

reconnaissance est formellement stipulee dans un acte

du 13 aout 1406, 6manant du conseil et de la bourgeoisie de

Neuchatel, ou Jean de Chalons, prince d'Orange, est qualifie" de souverain et de seigneur du lief de Neuchatel. Pr^voyant le cas ou la maison de Fribourg viendrait a s'eteindre, dans

la personne de Conrad ou de ses descendants, et ou ces der-

niers voudraient aligner le fief, soit par testament, soit de

toute autre maniere, le conseil et la bourgeoisie s'engageaient, aux termes de Facte dont il s'agit, a conside>er comme nulle

toute disposition de cette nature, et a reconnaitre, le cas

echgant, l'autorite" immediate des seigneurs de CMlons.

Jean, fils de Conrad, deuxieme et dernier repr6sentant de

la seconde dynastie des comtes de Neuchatel, mourut enl457, sans laisser de post6rite. Malgre l'acte rapporte plus haut, il

avait institue" le margrave Rodolphe de Bade-Hochberg, petit- fils de la comtesse Anne, sa tante, son Mritier et son suc-

cesseur. Ce dernier fut mis en possession, a l'aide des

seigneurs de Berne, le 7 avril 1458. Le prince Louis de Cha¬

lons-Orange rfelama vainement et porta ses protestations jus- qu'aux pieds du pape Pie II. Prisonnier de Louis XI, son fils

Guillaume ne put mieux que lui faire valoir ses droits. Le

sombre confident de Tristan l'Ermite pr^parait en silence

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12 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

l'ceuvre politique de Richelieu et la vie de Guillaume ne fut qu'une longue captivite. Ainsi s'elablit la troisieme dy- nastie.

Aussi 6ph<5mere que la seconde, elle ne dura d'ailleurs que

quarante-cinq ans et s'eleignit en 1503, dans la personnedu

margrave Philippe de Bade-Hochberg. Sa fille Jeanne, qui

6pousa Louis d'OrMans, plus tard due de Longueville, ap-

porta Neuchatel en dot a la maison d'Orl^ans-Longueville. Un coup de main, tentdpar le comte de Valangin, au nom de

Philiberte de Luxembourg, mere du jeune prince de Cha¬

lons-Orange, pour revendiquer par la force les droits de sa

maison, 6choua devant la resistance de Berne, comme les

reclamations du comte Jean IV, a l'av6nement des comtes

de Fribourg, et comme celles de ses successeurs a l'av6ne-

ment des margraves de Bade.

La quatrieme dynastie, qui offrit le spectacle unique d'un abb6 d'OrMans, comte souverain d'un Etat protestant, finit

avec ce dernier, en 1694. N^anmoins sa sceur, Marie de Ne¬

mours, conservala r^gence jusqu'en 1707. La mort de cette

princesse laissa la principaute' vacante. II y avait eu trois

prdtendants a la succession d'Espagne. II y en a eu treize a la succession de Neuchatel.

Parmi ces derniers on remarquait de simples particuliers, comme Mme de Martines, le baron de Montjoie, la duchesse

de Lesdiguieres, la marquise de Mailly, le marquis d'Allegre, le comte Jacques de Matignon.

Les compeliteurs issus de souche princiere etaientle prince de Nassau-Siegen, Mile de Soissons, Leopold Eberhard, due

de Wurtemberg-Montbeliard, Emmanuel-Philibert-Ame^e de Savoie, FrMe>ic I", roi de Prusse et Louis de Bourbon,

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Page 16: Histoire d'une annexion

H1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 13

prince de Conti, neveu du grand Condd, le mfime qui fut elu

roi de Pologne apres la mort de Sobieski.

A des titres tres-diffe>ents, ces deux derniers candidats

etaient seuls v^ritablement serieux, parce qu'ils repr^sen- taient les deux principes qui divisaient l'Europe, la pens6e de

Louis XIV et Fesprit de la coalition.

Le prince de Conti se fondait sur un testament de l'abb6

d'Orl^ans qui lui assurait la succession de Neuchatel. Ce tes¬

tament, cass6 par les « trois Etats » de la principaute, avait

6t6 confirm^ par un arret du Parlement de Paris.

Arriere-petit-fils, par les femmes, de Henri-FrM6ric de

Nassau, Fr6de>ic Icr se presentait comme he>itier de la mai¬

son de Chalons. On sait que cette maison s'elait successive-

ment fondue dans celle d'Orange, puis dans celle de Nassau, dite depuis de Nassau-Orange, dont le dernier repr&en- tant, Guillaume III, apres elre monte sur le tr6ne d'Angle-

terre, sous le nom de Guillaume I"', venait de mourir sans

enfants. D6ja en 1694, dans le cours de la longue guerre qui suivit l'affaire des chambres de reunion, ce prince avait c6d6

au roi de Prusse, qui n'elait encore qu'electeur de Brande-

bourg, tous ses droits sur Neuchatel et Valangin, a la seule

condition qu'ils devraient 6tre reconnus par les Etats. En

1697, pendant qu'on traitait de la paix, il avait fait en outre

declarer, par l'organe de son pl6nipotentiaire, que parmi les

possessions qui devaient lui 6tre restitutes, se trouvait com-

pris le comte' de Neuchatel, dont l'extinction de la maison

Longueville allait amener la rdversion. Outre l'he>itage natu-

rel dont il r^clamait la mise en possession, Frederic I01' invo-

quait done les stipulations d'un traits formel et le texte d'une

declaration inscrile au protocole des conferences de Ryswik.

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Page 17: Histoire d'une annexion

14 / HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

Le conseil federal a depuis contests tout a la fois, pour justifier la separation violente de 1848, et les droits de la maison de Brandebourg, et ceux m£me de la maison de Cha¬

lons. Aux uns il a objects qu'ils decoulaient de dispositions testamentaires, contraires au droit feudal, comme ceux des

Hochberg, des Longueville et des Conti. Aux autres, il a op¬

pose les effets de la prescription. II a ete r^pondu que les deux testaments qui transmet-

taient aux Nassau-Orange l'heritage de la maison de Chalons

(celui de Philiberte de Chalons et celui du comte Ren£ de

Nassau) avaient 6t6 confirmed par le suzerain, c'est-a-dire

par l'empereur. Cette sanction leur conferait des lors une force legale que n'avaient pas les dispositions testamentaires sur lesquelles s'appuyaient les comtes de Fribourg, les comtes de Hochberg et la maison de Longueville.

La seconde objection souleve une importante question de droit des gens. La prescription, qui atteint les particuliers, est-elle applicable aux relations internationales Agitfe par les publicistes les plus eminents, elle a <5te diversement resolue. Les uns se prononcent pour la negative, comme Schultze et Klubers, les autres pour l'affirmative, comme

Grotius, Wolff, Vattel et Puffendorff. Mais ils s'accordent a admettre que la prescription ne saurait etre opposed au

proprielaire, si, se trouvant dans l'iinpossibilite de faire pr6- valoir ses droits, il telnoigne de son intention de les mainte- nir. Heffter l'elablit de m6me. II convient done de distinguer deux sortes de prescriptions, la prescription de droit civil et la prescription de droit public ; l'une qui est limine en

temps, Fautre qui ne Test, ni ne peut l'elre; la premiere qui r6sulte de l'expiration d'un certain nombre d'ann^es, la se-

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Page 18: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 15

conde qui depend de l'abandon tacite ou formel, implicite ou

explicite du proprielaire. Sur un terrain aussi mobile que celui des relations internationales, en raison de l'instabilite

qui preside aux destinees des peuples comme des dynasties, et de l'absence de toute force coactive pour faire respecter les

bases d'une legislation commune, on ne peut asseoir sur des

principes plus arretes la duree des droits des tftats. Or,

non-seulement, a aucune epoque, la maison de Chalons, pas

plus que les maisons d'Orange et de Nassau, n'avait neglige de maintenir ses pretentions, mais de nombreux actes diplo-

matiques les avaient expressement confirmees. En 1544,1a

paix de Crespy reconnait a Guillaume l^ de Nassau l'heri-

tage universel de toutes les proprietes de la maison de Cha¬

lons et aussi, comme le stipule formellement le texte du

traite, de celles qui en avaient ete detournees. La paix de

Cateau-Cambresis, en 1559, et, en 1598, le traite deVervins,

garantissent de nouveau aux princes de Nassau-Orange la

restitution des biens de cette maison. De inteie, en 1648, a

la paix de Munster et, en 1678, a la paix de Nimegue. Rien de plus precis, de plus categorique et de plus positif.

Au reste, il s'agissait beaucoup moins, dans la pensee des

cabinets, d'une question de droit feodal ou de droit des gens,

que d'une question d'equilibre europeen. En politique, il

n'y a pas de details. Tout a son importance, les petites choses comme les grandes, et la chetive succession de Neu¬

chatel touchait aux mfimes interels que la vaste succession de Charles II. « II n'y a plus de Pyrenees, » avait dit Louis XIV en acceptant pour son petit-tils la couronne d'Es-

pagne. Pour FEurope, il fallait que ces paroles ne devinssent

pas une realite. De la cette lutte fameuse, cette contre-partie

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Page 19: Histoire d'une annexion

16 H1ST0IRE D'UNE ANNEXION.

de guerre de trente ans, qui bouleversait le monde a l'epoque ou nous sommes arrives, toute pleine de succes et de revers, de gloires eclatantes et de catastrophes sanglantes, ou l'admi- ration se partage entre les Villars et les Marlborough, les Vendome et les Eugene, entre l'infatigable perseverance des allies et l'heroique Constance du vieux Roi. Aux yeux de la

coalition, et apres l'annexion recente de laFranche-Comte, des considerations identiques s'opposaient a l'etablissement d'un prince Francois sur les bords du lac de Neuchatel. La, comme en Espagne, elle poursuivait le meme but et s'in-

spirait de la meme politique. Pas plus que la ligne des Pyre¬ nees, la ligne du Jura ne devait elre forcee; a l'est comme au

sud, on voulait des barrieres contre la France. Que devenait d'ailleurs la neutralite de la Suisse si une armee francaise

pouvait, en pleine paix, pousser ses avant-postes, sur une frontiere entierement degarnie, jusqu'a huit lieues des portes de Berne Que devenait mfime son integrite territoriale En dehors des considerations de droit, des considerations po- litiques de premier ordre donnaient done a la candida¬ ture de la maison de Brandebourg une importance toute parti¬ cular e.

Cette candidature excluait en effet l'eventualite d'une an¬ nexion. Berlin etait trop loin. Dans l'hypothese dontil s'agit, Neuchatel n'etait ni une menace pour la France, ni un danger

pour la Suisse. Au contraire ce petit E^tat couvrait sa frontiere

occidentale et compietait son systeme de defense. On rentrait ainsidans l'esprit du traite de Westphalie. Nous assisterons

plus tard au developpement de la meme pensee lorsqu'une autre coalition, issue des grandes luttes de l'Empire, fit entrer la principaute duns le sein de la Confederation helvetique.

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Page 20: Histoire d'une annexion

H1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 17

Pour les Neuchatelois, c'etait a coup sur le meilleur de tous

les regimes, joignant la stabilite d'une monarchie aux li¬

beries d'une republique, une de ces dominations qui s'exer-

cent a distance et dont le poids n'est pas sensible; quelque chose comme celle des Espagnols en Franche-Comte, domi¬

nation tellement regrettee, qu'en plein dix-neuvieme siecle, on a vu ce fait vraiment incroyable d'immuables partisans du passe se faisant enlerrer la face contre terre en protes¬ tation contre la conquete de Louis XIV. Enfin, une ques¬ tion de liberte de conscience achevait de plaider en faveur

de la Prusse. On etait au lendemain de la revocation de

1'edit de Nantes : a Neuchatel protestant, il fallait un prince

protestant. J'entre dans ces details pour bien montrer la nature des

principes qui etaient en jeu, leur importance et leur diver-

site. II semble qu'a toutes les epoques, Neuchatel ait eu le

privilege d'occuper l'Europe. Toutefois si les competitions etaient ardentes, si elles se compliquaient des plus serieux

interets, au moins ne furent-elles pas sanglantes.' Murie

depuis longtemps par la prevoyance de la diplomatie, v6-

solue d'avance par la logique des evenements, la question ne se vida pas sur un champ de bataille. II etait reserve a la

juridiction des Trois-Etats, sorte de parlement neuchatelois, de prononcer elle-meme sur les droits des pretendants.

Le proces s'ouvrit le 27 juillet 1707. Neuchatel offraitalors un curieux spectacle. Dans lagrande salle du chateau, douze notables jugcant en dernier ressort les pretentions de tant de souverains et de tantde princes; au dehors,lesenvoyes ou les

agents des competiteurs, M. de Puisieux pour la France, le comte de Metternich pour la Prusse, 6puisant tour a tour les

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Page 21: Histoire d'une annexion

18 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

representations ou les promesses. La candidature du prince de Conti fut ecartee la premiere, puis celle de la duchesse de

Lesdiguieres, du comte de Matignon et de mademoiselle de Soissons. Louis XIV menaca, mais que pouvait-il? Nous ve-

nions de succomber devant Turin et ce desastre succedait a deux autres, Hochstett et Ramillies. Jamais pareilles catastro¬

phes n'avaient accable une meme famille. L'ltalie perdue pour longtemps, l'Espagne envahie, la France menacee de

l'etre; l'acharnement des allies croissant avec leurs succes; l'archiduc Joseph heritant a la fois de la couronne imperiale et des ressentiments de son pere. Et pour conjurer l'orage

qui grondait de toute part, les fieaux de la famine, le tresor

vide, des armees demoralisees ou detruites, des peuples epuises d'hommes et d'argent! L'infortune monarque son-

geait, on le sait, a se retirer derriere la Loire, et Philippe V a quitter l'Espagne pour conserver au moins, sous le beau ciel de ses colonies, la moitie du sceptre de Charles II. Voila ce qui se passait en Europe pendant que le petit parlement de Neuchatel poursuivait en silence le cours de ses delibe¬ rations.

Le 3 novembre, au jour de la sentence, tous les preten- dants avaient tour a tour abandonne la cause, sauf le roi de Prusse et le prince de Carignan. Le tribunal se prononca le premier. Le droit autorisait cette decision, les evenements la faisaient prevoir, la sagesse la conseillait et le bien du pays l'exigeait1. Le meme jour le prince de Metternich preta ser- ment pour le roi son maitre et regut celui des corps poli- tiques. Le sort de Neuchatel etait fixe.

1. Le Pi nice el le peuplc de Xeuchdtel, parM. de Rougemont.

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Page 22: Histoire d'une annexion

HIST01RE D'UNE ANNEXION. 19

J'ai cru devoir consacrer quelques pages a cette partie de

mon sujet. Montrer dans quelles circonstances la maison de

Brandebourg s'etablit a Neuchatel, a la faveur de quels prin-

cipes, au nom de quels interets, c'est expliquer par avance

les racines qu'elle y poussa et les regrets qu'elle y a lais-

ses. On le comprendra mieux encore quand j'aurai expose le caractere des institutions neuchateloises et la situation

exceptionnelle dela principaute sous le regime prussien. Ici

encore on voudra bien me pardonner quelques details. Je

les crois peu connus et instructifs a plus d'un titre. Je me

bornerai ensuite a un rapide expose des evenements, pour arriver aux faits contcmporains. La tache me sera facile, car

plus heureux que d'autres Etats, pendant le dix-huitieme

siecle et la premiere partie du dix-neuvieme, Neuchatel

n'eut pas d'histoire.

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Le grand Frederic ecrivait a Voltaire : & Je n'ai point eu

« recours dans ce pays (a Neuchatel) au remede dont se sert

« la cour de France pour obliger les parlements du royaume « a obtemperer a ses volontes. Je respecte les conventions

« sur lequelles ce peuple fonde saliberte et ses immunites et

« je me resserre dans les limites d'un pouvoir qu'ils ont

* prescrites eux-memes en se donnant a ma maison. »

Ce respect de la legality cette religion du serment, con¬

stituent toute la politique de la maison de Brandebourg pen¬ dant les cent quarante ans que dura sa domination de fait

a Neuchatel.

Les libertes de ce petit Etat sont les plus anciennes de

l'Europe. Anterieure d'un an a l&grandc charle d'Angleterre, sa premiere charte date de 1214 et remonte a la premiere

dynastie.Loinde se restreindreavec le temps, ses franchises

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24 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

ne firent que s'accroitre de siecle en siecle, et Frederic Ifr les etendit encore en ratifiant, l'annee qui suivit son avene-

nient, les articles generaux de 1707.

Cette constitution reservait aux seuls Neuchatelois tous les

emplois civils, militaires et ecciesiastiques. Le gouverneur seul pouvait etre etranger. En cas de guerre, elle isolait en- tierement Neuchatel des intents de la Prusse, sauf le cas ou le souverain, agissantentant que prince de Neuchatel, aurait a defendre la principaute. Les Neuchatelois etaient libres de

prendre du service a l'etranger, a l'exception des Etats avec

lesquels le prince de Neuchatel se trouvait en guerre, en cette derniere qualite et non comme roi de Prusse. Enfin

pour 6ter toute prise a l'arbitraire, toute action aux caprices des cours, l'article 8, qui reservait au prince la nomination des agents del'Etat, lui en interdisait la revocation, si leur

gestion ne tombait sous le coup d'aucune penalite legale. 11 fallait un jugement. Singulier monument de la prevoyance des sujets et de la sollicitude du souverain, sauvegarde ecrite de la nationalite neuchateloise, deses libertes et de ses fran¬

chises, qui s'inspirait moinsde defiances injustesque de legi¬ times susceptibilites et qui tendait a realiser la pensee de Fenelon en rendant le prince « absolu pour faire le bien, impuissant pour faire le mal. »

Aujourd'hui, on parle beaucoup de decentralisation Je ne crois pas que, dans aucun pays du monde, elle ait ete plus complete qu'a Neuchatel, jusqu'i l'epoque toute recente de

1848, et cela par le devcloppement progressif du regime municipal. Je n'en excepterai que l'Aragon. En France, ou le

systeme inverse a prevalu, on sait que la commune est un

mineur; elle n'apas d'existencepropre; placee sous latutelle

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 25

immediate de l'administration departementale, elle est plu-

t6t consultee sur ses affaires qu'elle n'est appeiee a les gerer

elle-meme; ses conseils, qui n'etaient pas m6me eiectifs sous

le premier Empire, se meuvent dans un cercle d'attribu-

tions extrfimement restreint; un decretpeut lesdissoudre; il

suffit pour les suspendre d'une simple mesure administrative.

La loi leur interdit toute excursion surle terrain des faits poli-

tiques, et si les gouvernements, dans certaines circonstances

exceptionnelles, ont quelquefois toiere des manifestations de

cette nature, on ne peut y voir qu'une derogation expresse a

la legislation etablie. A Neuchatel au contraire la commune

etait tout, le centre de tous les intents, le foyer de la vie

politique; la base de l'edifice social, comme le principe mo-

narchique en etait le faite. Sans doute ce systeme presentait des inconvenients ; les bourgeoisies devenaient parfois de

petits Etats dans l'Etat; mais le mal n'etait pas incurable :

l'administration franchise l'a prouve. Heureux d'ailleurs le

peuple qui ne souffre que d'un exces deliberte! Sans doute,

aussi, il en resultait frequemment des difficultes pourle pou-

voir; il y avait des resistances; les communes etaient souve-

rainement jalouses de leurs droits ; mais ces resistances,

toujours legales de la part des sujets, furent toujours res-

pectees par les rois de Prusse, comme la manifestalion r6gu- liere des forces vives de la nation. « On ne s'appuie que sur ce qui resiste.» C'est Napoleon I" qui l'a dit'.

Je pourrais en citer bien des exemples. Je me bornerai a un seul, parcequ'il est caracteristique et qu'il peint bien l'es-

prit traditionnel de la maison de Brandebourg. II avait pris

.Neuchdtel principaute, par M. Guillebert.

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26 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

fantaisie a un ministre neuchatelois de nier l'eternite des

peines de l'enfer. La compagnie des pasteurs, se fondant sur le premier des neuf articles generaux, crut devoir le deposer comme heretique. C'etait sous le regne du grand Frederic. La tolerance du monarque y vit un acte de persecution reli-

gieuse et refusa de ratifier la mesure. On discuta longtemps, la question s'envenima, au point que les bourgeoisies inter- vinrent dans le debat au nom des droits constitutionals de la « venerable classe du clerge.» Que fit le grand Frederic? Les bourgeoisies avaient raison : il sut avoir tort et ceda, ne se vengeant que par une malice : « Si mes fideies sujets neuchatelois veulent etre eternellement damnes, je n'y mets, dit-il, aucun obstacle. »

Qu'on ajoute a ce qui precede, pour achever l'expose des in¬

stitutions du pays, l'entiereliberte commerciale dontjouissait la principaute; l'absence de toutes lignes de douanes, de tous

droits d'entree,de sortie, oude circulation;lesimpdts directs,

inconnus, les impots indirects, presque nuls; les plus hauts

emplois rendus accessibles a tous, sans distinction de caste

et de naissance; des tribunaux tellement independants du pou-

voir, que Malte-Brun a pu croire que la justice elle-meme ne

se rendait pas au nom du prince ; qu'on tienne compte d'une

situation si exceptionnelle a tant de titres, et Ton compren- dra que ce petit Etat, perdu dans ses montagnes, ait attire a

toutes les epoques l'attention des publicistes; que Jefferson, l'un des presidents des Etats-Unis,voyageant sur le continent

pour etudier le mecanisme politique des diverses constitu¬

tions, ait donne la preference a celle de Neuchatel, sous le

rapport de l'equilibre des pouvoirs, et que le peuple, dont

j'essaye de retracer les modestes annales, aussi confiant dans

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 27

ses souverains que fier de ses immunites, rat a la fois le plus

monarchique et le plus libre de l'Europe. Assurement, je ne conseillerai pas ce regime a tous les

Etats. Pour le supporter il faut une societe fagonnee par le

temps, cantonnee sur un etroit espace; il faut en outre que le pouvoir ne puisse 6tre discute et qu'il soit assez respecte

pour n'avoir pas besoin de se faire sentir. Mais je n'en aime

pas moins a arreter mes regards sur le tableau de ces institu¬

tions si larges, de ces forces si sagement pouderees, ne fut-ce

que pour montrer, aux uns, que les libertes ne sont pas

partout filles des revolutions; aux autres, tout ce qu'elles peu- vent apporter de garanties reelles et de veritable prosperite.

Aussi, quand la tourmente de 93 s'abattit sur la vieille

Europe, la principaute de Neuchatel, malgre sa proximite de nos frontieres ne fut pas entrainee dans le tourbil-

lon. Qu'avait-elle a demander de plus et que pouvaient lui

promettre les perilleuses experiences de ses voisins? Suc-

cessivement couverte par la neutralite de la Suisse, comme

Etat allie de la Confederation, pendant les guerres de la France contre la Prusse, et, par la neutralite de la Prusse, comme dependance de cette puissance, apres la paix de Bale, lors de l'invasion de la Suisse par les armees republicaines, elle dut a cette double neutralite de conserver l'integrite de son territoire. Gela dura jusqu'en 1806, epoque des desastres de la Prusse. Moralement vaincu a Austerlitz, Frederic-Guil-

laume venait de l'£tre materiellement a iena. Neuchatel, cede

a l'Empereur par le traite de Schcenbrunn, regut des mains

de son nouveau maitre un marechal de France pour souve¬

rain et un membre du Corps legislatif pour gouverneur. Ce dernier, qui s'appelait le baron de Lesperut, etait un

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28 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

homme d'esprit et de sagesse. Avant de toucher a l'antique edifice que ses instructions lui prescrivaient de niveler dans

l'esprit de la legislation franchise, il voulut consulter un

philosophe devenu senateur, l'une des rares illustrations lit- teraires de l'epoque imperiale, le ceiebre auteur des Mines. « Laissez ce peuple a ses lois, » lui repondit Volney; et, par un privilege dont on voit peu d'exemples dans l'histoire. une sixieme dynastie s'etablit a Neuchatel, en respectant, comme les precedentes, le faisceau de ses vieilles franchises. Le

gouvernement du prince Alexandre Berthier rendit meme a la principaute le service reel de reformer plusieurs abus; il restreignit les empietements des bourgeoisies, fortifia le conseil d'Etat ou pouvoir executif, et les rouages de 1'admi¬

nistration, sensiblement reMches par suite des embarras de la Prusse, fonctionnerent de nouveau d'une manifere regu- liere. Les huit annees du regime frangais suffirent pour introduire ces reformes et pour replacer sur ses veritables bases la constitution du pays K

Les evenements de 1814, en renversant le colosse imperial, entrainerent successivement la chute du prince Berthier et

la restauration de la maison de Brandebourg. Une charte, connue sous le nom de charte constitutionnelle de 1814, et

datee du 18 juin de la meme annee, renouvela les garanties de 1707. Elle s'ecartait peu de l'esprit des sept articles gen6- raux, mais elle modifia la composition du Corps legislatif,

qui reprit son ancien nom (['audiences generates. Au reste, le

nom seul rappelait le passe. Compose d'eiements tres-diffe-

rents, il devait correspondre en quelque maniere aux grands

1. M. de Rougemont — Le prince et le peuple de Neuchdtel. — R6ponse au M£moire du Conseil f6deral.

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H1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 29

conseils des republiques suisses. C'est que Neuchatel allait

entrer dans une nouvelle phase de son existence et jouer un

nouveau role dans les calculs des cabinets. Des considera¬

tions generales, tirees de l'ordre public europeen, et dont je dois donner un apergu. avaient fait arreter en principe que la principaute, tout en conservant avec la Prusse ses rap¬

ports anterieurs, en contracterait de plus etroits avec la

Confederation helvetique. On se preparait a en faire un vingt et unieme canton. II importait des lors de pouvoir presenter a la diete, occupee elle-meme a reformer son pacte, un

programme politique redige de telle maniere qu'il put cadrer

avec les institutions generales de la Suisse et s'harmoniser, au moins sous le rapport des formes, avec les institutions

locales des cantons deja confederes.

Cette admission d'un Etat monarchique dans une confede¬

ration d'Etats republicans, paraitra sans doute etrange au

premier abord. Comme elle a ete d'une importance decisive

pour la suite des evenements, je ne puis me dispenser de

l'expliquer en quelques mots.

La Suisse confine a six Etats, dont deux de premier ordre. Elle est le point d'attache de la charpente osseuse de l'Eu-

rope; de la son importance strategique et le role qu'elle a

joue dans les calculs de la diplomatic. Sa neutralite, posee en principe par le traite de Westphalie, couvre la France du c6te de l'AUemagne en interrompant toute combinaison entre ses armees du Rhin et ses armees d'ltalie. Par un effet in¬

verse, elle met l'Autriche a l'abri d'un choc de la France et fait de la ligne du Rhin une veritable barriere pour tous les

partis. Pour que celte neutralite, necessaire a la paix du

monde, sauvegarde de l'independance helvetique, ne fut pas

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30 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

une simple fiction du droit des gens et que, de l'ordre spe- culatif elle passat dans la pratique, il etait indispensable, surtout apres l'experience de 1798, de l'asseoir sur des ga- ranties materielles. La diplomatic ne procede pas autrement.

Et en effet, les conventions internationales resultant de 1'ac¬ cord toujours imparfait, souventprecaire, d'Etats inegaux en

forces et divises d'interets, n'ont de duree possible qu'autant sm'elles tirent une sanction permanente, soit de la pondera- tipn de ces forces, soit de l'antagonisme de ces intents, soit

encore du regime interieur des divers peuples. De ces pre¬

cipes tres-simples decoulait pour les puissances l'absolue

necessite de donner a la Suisse un gouvernement a part

qui, par son impuissance m6me, la mit a l'abri de ses pro-

pres entrainements et de Taction de ses voisins. Tel fut l'es-

prit du pacte de 1815. On fit de la Suisse non pas unerepu-

blique unitaire, ni meme une republique federative, mais une collection d'Etats confederes, jouissant chacun du plein exercice de leur souverainete et places les uns vis-a-vis des

autres sur le pied d'une independance a peu pres complete. Le nceud federal ne fut pas seulement extrfimement faible; on le voulut mobile, si je puis me servir de cette expression, en attribuant tour a tour aux gouvernements particuliers de

trois cantons differents, qui devenaient alternativement can¬

ton directeur ou Vorort, le gouvernement central de la Suisse entiere.

Dans ces conditions, l'annexion de Neuchatel cessait d'etre une anomalie. Quel etait en effet le raisonnement des puis¬ sances? II paraissait tout simple. On assimilait la Confedera¬ tion Suisse a la Confederation germanique, et les cantons,

qui cpmposaient la premiere, aux Etats divers, monarchies

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 31

ou villes libres, qui composaicnt la seconde. Partant de ce

point de vue, on disait: le roi de Prusse est souverain de la

principaute de Neuchatel, comme il Test du royaume de

Prusse, et la principaute de Neuchatel est independante comme la Prusse elle-meme. L'independance de Neuchatel

ne sera point affectee par la transformation de cette princi¬

paute en un canton Suisse et par son incorporation a la Con¬

federation helvetique, pas plus que l'independance de la

Prusse ne sera affectee par son incorporation a la Confede-

ration des Etats de l'Allemagne. Tres-plausible en tbeorie, cet arrangement paraissait d'ailleurs d'une application fa¬

cile. Les anciens comtes de Neuchatel n'etaient-ils pas bour¬

geois de Berne, et ne voyait-on pas leurs armes, alors

comme aujourd'hui, sur la fagade d'une maison de cette

ville Neuchatel lui-meme n'avait-il pas ete de tout temps le fiddle allie" des Suisses Enfin ne devait-il pas a ses sou-

verains des institutions tellement libres, tellement emprein- tes de l'esprit d'une sage democratie, qu'elles eussent fait

envie a la meilleure des republiques? Voila ce que disaient

les negociateurs des traites de 1814 ; et il faut convenir que la pensee qui les dirigeait ne semblait en desaccord, ni avec

les moeurs du pays, ni avec les conditions d'existence qu'on faisait a la Suisse, ni avec l'exercice regulier de la souverai-

nete de la maison de Brandebourg. S'il importait d'ailleurs que la Suisse fut politiquement

faible, comme gage de sa neutralite, il n'importait pas moins qu'elle fut geographiquement forte, comme gage de son inviolability. Or, la principaute de Neuchatel compietait admirablement son systeme de defense; elle la couvrait du c6te de la France, en s'appuyant tout a la fois sur la ligne

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32 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

du Doubs et sur la ligne du Jura. Canton suisse, elle rendait la Confederation plus compacte; annexe de la Prusse, elle la

plagait en quelque sorte sous la sauvegarde de la maison de

Brandebourg. Ces considerations prevalurent. Accomplie de

faitle 12 septembre 1814, l'incorporation de Neuchatel recut

une premiere sanction diplomatique par la declaration du

congres de Vienne qui porte la datedu 20 mars 1815. L'acte de reunion est du 10 mai.

Tout cela, je le repete, semblait alors tres-sage, tres-habi- lement congu, tres-heureusement ordonne. Neanmoins, dans

la pratique, dans l'avenir surtout, n'etait-il pas a craindre

que, des deux elements qui presidaient a Texistence de Neu¬

chatel, l'eiement suisse et l'eiement prussien, le premier n'absorbat l'autre Les circonstances memes qui accompa-

gnerent l'annexion de la principaute ne faisaient-elles pas

deja pressentir des embarras? La diete ne voulut pas traiter

avec le prince de Neuchatel. Derriere lui, elle craignait de

trouver un jour le roi de Prusse. Le prince dut deieguer une

partie de sa souverainete au conseil d'Etat. Ce fut ce corps

qui conclut avec la Suisse le traite de reunion, le 19 mai 1815, et ce fut par sonorgane que, de 1814 a 1848, Neuchatel vecut

de la vie federale. Sans doute, je ne pretends pas dire que ce

regime fut impossible. La preuve du contraire, c'est qu'il s'est soutenu 33 ans. Mais ilreposait tout entiersur le main-

tien du pacte de 1815, et qui pouvait garantir sa duree?

Dans l'hypothese d'une atteinte serieuse portee a la consti¬

tution helvetique, que devenait Neuchatel? Ge qu'il devint

plus tard, lorsqu'apres avoir resiste aux entrainements

de 1830, il succomba sous la pression de 1848. La, comme

ailleurs, l'irre.-astible enchainement des faits deconcerta la

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IIIST01RE D'UNE ANNEXION. 33

sagesse des previsions humaines, et il etait reserve aux

principes conservateurs de 1815 de preparer dans l'avenir, au benefice de l'unitarisme federal, la ruine d'un petit Etat

monarchique. Au reste, d'autres causes exterieures contribuerent puis-

samment sinon a precipiter le mouvement, au moins a lui laisser un libre cours. Ceci m'amene a examiner rapidement

quelle fut l'attitude de l'Angleterre, depuis l'epoque ou nous

sommes arrives, dans la politique generale de l'Europe, et

plus particulierement dans les affaires de la Suisse.

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IV

La Grande-Bretagne avait et6 l'ame de la coalition. Elle

l'avait payee de ses subsides, elle l'avait dirigee de ses con-

seils, avec cette perseverance et cet esprit de suite qui carac-

terise ses hommes d'Etat. Plus que tout autre aussi, elle

avait profite de ses succes. Mais si des interests du moment

l'unissaient, en 1815, a la cause que representait la Sainte-

Alliance, elle ne devait pas tarder, sous l'empire d'autres

circonstances, a reprendre sa liberte d'action. Deja en 1820, au congres de Troppau, tout en autorisant de son consen-

tement une intervention armee dans le royaume de Naples, on lui voit faire ses reserves au sujet de la declaration de

principes formuiee par le protocole preiiminaire du 9 novem-

bre. Au congres de Verone, elle s'isole compietement de

Tancien concert europeen. G'est l'attitude qu'elle conserve

en 1830, lorsqu'elle reconnait la revolution beige, au detri-

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38 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

ment de la maison d'Orange et contrairement aux traites de Vienne ; en 1834, pendant les troubles de la Peninsule, en

signant avec l'Espagne, le Portugal et la France, le traite de la quadruple alliance; en 1845, dans les affaires de Grece, sous le ministere Colletti; de 1841 a 1848, pendant le travail

preiiminaire des revolutions d'ltalie.

Nous vivons a une epoque ou il est impossible de mecon-

naitre l'influence de certaines idees. Je ne crois pas qu'elles datent de 1789 ; les idees ne naissent pas en un jour, il leur faut des siecles pour murir. A y regarder d'un peu prds, on se convaincrait sans doute que les Louis XI et les Richelieu

y sont bien pour quelque chose. Mais c'est en 1789 qu'elles ont acquis leur complet developpement. Je suis de ceux qui les tiennent pour une des grandes conquetes de notre temps. D'autres les condamnent: libre a eux. Je n'ai ni la preten¬ tion ni 1'envie de les convaincre. Bonnes ou mauvaises, ces

idees existent, elles sont entrees dans nos mceurs, elles ont

fait ou elles feront le tour du monde. Des lors, il faut bien

les accepter; il faut surtout compter avec elle. A ce point de

vue, les hommes d'Etat de la Grande-Bretagne opposant

resolument, au drapeau de la Sainte-Alliance, le drapeau des

liberies constitutionnelles, ne se conformaient pas seule-

ment a leurs tendances personnelles et a l'esprit de leurs

institutions interieures; ils faisaient preuve d'une rare pre-

voyance de l'avenir et d'une remarquable intelligence du

caractere du dix-neuvieme siecle. Aucun systeme d'alliance

ne pouvait leur assurer une influence plus decisive dans les

affaires du continent, ni fonder sur des bases plus durables

la preponderance de l'Angleterre. Au congres de Verone, elle s'isolait des cabinets; de fait, elle se mettait a la tete

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 39

de l'Europe.Voila ce qu'il faut reconnaitre, et reconnaitre tres-

haut,si l'on veut s'abstenir de toute recrimination passionnee

et rester sur le terrain d'une discussion serieuse. Est-ce a dire

qu'a toutes les epoques, dans toutes les questions, la politi¬

que de la Grande-Bretagne se soit toujours inspiree, non pas d'un entier desinteressement, ce serait pueril; non pas meme des veritables besoins des peuples, en politique on ne

consulte gudre que les siens; mais d'un respect suffisant de leurs

conditions d'existence; que sa propagande constitutionnelle

ait ete toujours exempte d'excitations revolutionnaires, et

qu'enoffrant a certains pays l'appat souvent trompeur d'une

liberie pour laquelle ils n'etaient pas murs, elle n'ait pas contrihue d'une maniere active aux recents bouleversements

de l'Europe Les evenements ont prouve le contraire et ils

ont mis en lumiere la moderation de la France qui, Isolde, elle aussi, depuis les evenements de 1830, mais isolee mal-

gre elle, poursuivait un but analogue. Rien ne peint mieux

l'attitude respective de ces deux puissances que l'ambassade

de M. Rossi a Rome et la mission de lord Minto en Italie.

Nous retrouverons la meme divergence dans les affaires de

la Suisse.

Sur ce dernier point, l'Angleterre ne s'ecarta qu'assez tard

de l'esprit des stipulations de Vienne. Voici ce qu'ecrivait lord Palmerston, le 9 juin 1832, a M. Percy, ministre d'An-

gleterre en Suisse: * La neutralite dela Suisse est essentiellement liee au sys-

«teme federal actuellement etabli dans ce pays; en conse- « quence, lorsqu'en 1815 les grandes puissances de l'Europe « ont propose, dans l'interet general de tous, non moins que « pour le bien particulier de la Suisse, d'investir son terri-

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40 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

« toire du caractere d'inviolabilite et de neutralite perpetuelle, «les puissances contractantes ont exige, comme preiiminaire « indispensable d'une pareille garantie de leur part, que tous «. les cantons, sans exception,'souscrivissent au pacte federal.

« Vous ne devez pas perdre de temps pour faire les de- « marches necessaires afin de faire connaitre a qui de droit « les sentiments du gouvernement anglais ace sujet; vous lui a direz qu'il est bien loin des intentions du gouvernement de « Sa Majeste d'intervenir dans les affaires purement inte- « rieures du gouvernement suisse, mais que, dans une si¬ te tuation qui a un rapport si direct avec les stipulations des <t traites dans lesquels la Grande-Bretagne est partie, le gou- « vernement de Sa Majeste se persuade qu'une expression <t franche et sans reserve de ses opinions sera regue comme « une preuve d'interet et d'amitie.

« Vous direz que, si les changements que 1'on al'intention « de proposer dans le pacte federal portent seulement sur « des dispositions reglementaires, il pourrait etre plus pru- « dent de les remettre a une epoque future, lorsque l'esprit « public sera devenu moins agite qu'il nc Test maintenant, « de peur qu'en soulevant ces questions cela ne mdne a d'au- K tres discussions plus embarrassantes. Mais si Ton a la pen¬ ce see de faire des changements tels, qu'ils empieteraient sur « la souverainete independante et 1'existence politique et se¬ tt paree des cantons, vous representerez fortement toutes les

a difficultes et les dangers que 1'execution d'un pareil projet « peut produire, et combien il parait incompatible. Vous fe-

<t rez observer qu'il est tout a fait improbable que tous les

a cantons s'accordent sur un plan qui ferait un tort manifeste

« a beaucoup d'entre eux, et que, par consequent, toute ten-

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1I1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 41

« tative de mettre a execution une telle reforme, conduirait « a une guerre civile'.»

Le langage, alors tres-sage, du principal secretaire d'Etat

de Sa Majeste Britannique, repondait mai aux esperances d'une minoriteardente, composee en partie d'eiements etran-

gers, qui tendait a exercer, de l'autre cote du Jura, une in¬

fluence toujours croissante. C'est ce parti qui, jetant la Suisse

dans les plus perilleuses aventures, la rendit solidaire, en 1834, de 1'expedition du colonel Ramorino contre la Sar-

daigne, et faillit, en 1836, lui causer de serieuses difficultes

avec l'Autriche. Au dedans, il faisait du renversement du

pacte federal le but avoue de ses efforts. Et de fait, le pacte n'existait plus. La diete l'avait dechire en decretant la sup¬

pression des couvents d'Argovie, malgre le texte parfaite- ment clair de l'article 12 ; elle allait le dechirer encore, par la suppression des jesuites, en s'immisgant dans une ques¬ tion religieuse qui relevait uniquement de la souverainete

cantonale, et en autorisant une levee de boucliers qui inau-

gurait la guerre civile. Je veux parler, on l'a compris, des

corps francs de M. Ochsenbein.

J'ai connu M. Ochsenbein, alors que par un singulier re-

tour des evenements, il etait general de brigade au service

de la France, et charge du recrutement dela 2° legion etran-

gbre. Ces lignes lui tomberont peut-etre sous les yeux, et je seraisdesoie qu'il y trouvatrien de personnel ou de blessant. On se tromperait d'ailleurs, si Ton voyait en lui un de ces

revolutionnaires comme 1848 en a fait surgir des bas-fonds de

la societe. C'est un homme modeste, presque timide, d'une

1. Histoire de la politique exterieure du gouvcrnement [rancais, par M. d'Haussonville.

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42 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

grande instruction et d'un esprit vraiment distingue. Je suis

convaincu qu'il a ete entraine par son parti, bien plus qu'il ne l'a dirige. C'est chose commune en temps de revolution, et il est juste d'en tenir compte. Mais si je veux etre mesure vis-a-vis de l'homme, je conserve vis-a-vis des faits mon en-

tiere liberie d'appreciation. Je dois deplorer hautement ce

fatal aveuglement des esprits, cette fievre des mauvais jours

qui precipitait en pleine paix, en dehors de toute autorite

etablie, sur un canton paisible, les recrues cosmopolites d'un eondottierisme tristement fameux. L'expedition de Lucerne n'avait que l'image de la guerre : c'etait du bri¬

gandage politique. La Suisse laissa faire, et les paysans lu- cernois parvinrent a repousser l'invasion. Malheureuse-

ment, partout ailleurs, la revolution suivait son cours. Cinq annees lui avaient suffi pour se rendre maitresse du Tessin et

desGrisons,des cantons deZurich, de Berne, deVaudetdeGe- neve. Leseiections de Saint-Gall, du resultat desquelles allait

dependre la majorite de la diete, assurerent, le 3 mai 1847, la victoire du radicalisme. Quelques jours apres, le canton de

Berne, Vorort depuis le 1" Janvier, appelait a la presidence de son conseil d'Etat, et par consequent a celle de la Suisse, M. Ochsenbein, l'ancien chef de l'expedition de Lucerne. Ce

jour-la, la confederation fut dissoute.

Cet ensemble de circonstances constituait pour les cantons

de la minorite un danger non equivoque. Ils etaient menaces dans leur existence, dans leur nationalite, dans la foide leurs

pdres, car la question des jesuites envenimait le debat po¬

litique de toute l'ardeur des luttes de religion. La commu-

naute des perils leur dictait une entente commune; telle fut

l'origine de l'alliance separee qu'on appela le Sonderbund. La

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Page 46: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 43

diete y repondit en pronongant la dissolution immediate de

l'alliance, l'expulsion des jesuites de la Suisse entiere, la re¬

vision du pacte par une Constituante, puis elle s'ajourna au 18 octobre pour aviser auxmoyens d'execution.

Tant que la Suisse s'etait bornee a modifier, en 1830 et

en 1831, les constitutions interieures des cantons aristocra-

tiques, la France etait restee simple spectatrice des evene¬

ments. C'etait son droit, c'etait son interet, c'etait aussi et

surtout, la force des choses. L'attitude du cabinet des Tuile-

ries devait necessairement changer, du jour ou il fut evident

pour tout le monde que le pactelui-meme etait mis en cause.

Convaincu qu'un accord prealable des grandes puissances

pouvait seul prevenir des complications plus graves, le mi-

nistere du 29 octobre chargea M. le ducde Broglie, ambassa-

deur de France a Londres, de reveiller la sollicitude de

lord Palmerston, sensiblement ralentie depuis la note du

9 juin 1832. M. le comte de Bois-le-Comte, notre ministre a

Berne, regut, de son cote, pour instructions, de moderer, au-

tant qu'il dependrait de lui, l'attitude Un peu agressive de

son coliegue d'Autriche, M. le baron de Rayserfeld. Entre

le silence de la Grande-Bretagne, qui devait encourager les

esperances du radicalisme, el les notes comminatoires du

cabinet de Vienne, qui pouvaient envenimer le debat, il y avait evidemment un juste milieu. G'est sur ce terrain que se plagait M. Guizot pour etablir, au prix de quelques con¬

cessions reciproques, les bases d'une action commune ou

tout au moins d'un langage identique. M. de Bois-le-Comte, en arrivant a Berne, a lafin de 1846,

trouva la question tellement engagee, qu'il lui devenait fort

difficile d'accomplir le principal objet de sa mission. M. de

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44 H1ST01RE D'UNE ANNEXION.

Kayserfeld, comme les ministres de Prusse et de Russie, avait dejci rompu d'une maniere a peu pr£s irrevocable avec le gouvernement central. A Londres, lord Palmerston, tout en approuvant la ligne de conduite adoptee par le cabinet du 29 octobre, accueillit assez froidement les ouvertures de M. de Broglie ; « Analysons un peu la question, dit-il a notre « ambassadeur. De quoipeut-on menacerla diete On ne peut * la menacer que d'une chose, de lui retirer la garantie de i la neutralite, et cela, dans un seul cas, celui ou la division « de la Suisse en vingt-deux cantons disparaitrait pour faire « place a une republique unitaire. Ce cas n'existe que dans « les apprehensions de M. de Melternich. Cetle menace n'est « pas de nature a effrayer des hommes qui se promettraient « de bouleverser toute l'Europe. » Puis il demanda s'il serait

impossible de determiner le pape a retirer les jesuites dela

Suisse, ou M. de Metternich a provoquer, de la part des petits cantons, la dissolution deleur alliance. Sur le premier point, M. de Broglie fit observer que la negotiation entrainerait cer-

tainement de grandes difficultes, et que l'urgence des cir-

constances exigeait une prompte determination. Cependant, a la seconde question du principal secretaire d'Etat de Sa Ma¬

jeste Britannique, il rappela que le Sonderbund n'etait point un traite ecrit, contraire au pacte federal, mais une ligue de

fait contre les attaques des corps francs, necessaire, a defaut

de toute protection efficace; que par consequent M. de Met¬

ternich n'interviendrait jamais pour la dissoudre. II parais- sait done avant tout desirable d'oblenir de lui, et sans doute

aussi, par son exemple, de la Prusse et de la Russie, un lan-

gage plus modere vis-a-vis de la diete. On y parviendrait vraisemblablement, si le concours de la France et de l'Angle-

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 45

lerre donnait au cabinet de Vienne l'espoir fonde de reunir

toute l'Europe dans une demarche commune. Cette unani-

miteferait hesiter la diete, confianteaujourd'hui devantl'Eu-

rope divisee, et qui peut-6tre meme comptait sur l'appui de

la Grande-Bretagne'. Lord Palmerston objecta alors, en citant de recents exem-

ples, qu'une intervention quelconque dans les affaires d'un

pays independant presentait de grandes difficultes pour le

gouvernement anglais. « Dois-je en conclure, fit M. de Bro-

glie^-que tout accord avec le gouvernement du roi devienne

impossible sur cette question. — Pas absolument, repondit lord Palmerston, mais il faudrait que le langage adresse a la

diete fut bien amical et bien general, bien exempt de toute

signification comminatoire. *

La depSche, dont j'extrais cette conversation, est du

5 juillet. Le 9, M. de Broglie communiquait au chef du Fo¬

reign-Office, les instructions destinees a M. de Bois -le-Comte.

Lord Palmerston les accueillit avec une entiere approbation. Sans promettre positivement que son cabinet se rallierait au

systeme d'une note identique, il exprima nettement 1'opinion

qu'il devait agir dans le meme esprit. Aussi M. le due de

Broglie ecrivait-il a Paris : « II y a tout lieu de croire, M. le

ministre, que Faction du gouvernement du roi sera desor-

mais secondee par l'attitude de la legation britannique. »

Comment expliquer l'eclatant dementi que les faits oppo- serent aux esperances de M. le due de Broglie? C'est un

mystere que je n'essayerai pas d'eclaircir. M. Morier, mi-

nislre d'Angleterre a Berne, venait de quitter la Suisse pro-

1. Depeche de M. de Broglie, atubassadeur a Loudres, a M. Guizot, 5 juillet 1847.

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46 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

fondement decourage et ne prevoyant que des catastrophes. En partant, il avait dit iM.de Bois-le-Comte: « Je n'aurai

plus rien de commun avec eux; je ne leur repondrai pas; je ne les verrai pas; je renvoie le tout a ma cour; elle fera ce

qu'elle jugera convenable de faire. Je vais passer quinze

jours a la campagnejde Ik je pars pour Paris, en disant a ja¬ mais adieu a ce pays'. » M. Peel, fils de l'illustre sir Robert, le remplacait en qualite de charge d'affaires. Toute la Suisse se souvient encore des bruyantes excentricites de ce jeune homme et de l'eclatant sans-fagon de ses allures. On pou- vait etre indulgent pour des ecarts de jeunesse, mais qui eut vu sans surprise, apres l'attitude si mesuree de M. Mo-

rier, les relations intimes du nouvel agent britannique avec les membres les plus compromis du Vorort radical Qui

pouvait surtout pressentir, apres la derniere conversation de lord Palmerston et du due de Broglie, que le cabinet de

Saint-James, levant l'espece d'interdit dont le corps diplo¬ matique avait frappe l'ancien chef des corps francs, lui ferait

parvenir,' dans une depfiche officielle, un temoignage direct de sa consideration personnelle II n'en fallait pas tant pour pretipiter les evenements. Desormais assure de l'appui de

l'administration whig, pousse d'ailleurs par l'animosite

des ultra-radicaux, M. Ochsenbein, que les declarations de la France avaient contenu jusque-la, soit vis-a-vis de lui-

meme, soit vis-k-vis de son parti, ne songea plus dhs lors

qu'a se mettre a sa tele et a hater les decisions de la diete.

Je ne raconterai pas cette luttetristement fameuse qui jeta sur le berceau de l'ancienne Suisse les cinquante mille

1. Depeche de M. de Bois-le-Comte a M. Guuot, 4juin 1847.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 47

baionnettes d'une Suisse nouvelle. Une voix. eioquente a

fait retentir a ce sujet du haut de la tribune frangaise, des

echos qui vibrent encore en Europe. La France voulut s'in-

terposer une seconde fois, en faisant appel le 4 novembre

1847 k la mediation des cours d'Angleterre, d'Autriche, de

Prusse et de Russie, et en leur soumettant un projet de note

identique. Deja l'armee radicale etait en marche; pour pre- venir l'effusion du sang, pas une minute n'etait a perdre; il

fallait agir et agir immediatement. Gependant, k la note

dejk acceptee par les cabinets de Vienne et de Berlin, note

qui lui fut communiquee le 6 novembre, lord Palmerston

ne repondit que le 16, et en offrant de lui substituer un con-

tre-projet. Enfin, comme si ces delais n'etaient pas suffisants

pour neutraliser Faction de la diplomatie, etpour laisser aux

forces considerables des radicaux le temps d'ecraser la faible

resistance des cantons du Sonderbund, le principal secretaire

d'Etat de Sa Majeste Britannique faisait hater sous main la

marche des troupes expedites de Berne contre les malheu-

reux defenseurs de Fribourg et de Lucerne1. Ges faits sont

trop graves pour que je les mentionnea laiegere.Sije les si-

gnale, c'est qu'ils resultent de pieces officielles, que M. Peel

les a avoues lui-meme2, et qu'en raison de l'influence qu'ils

1. M. d'Haussonville, anoien depute. Histoire de la politique extdrieure du gouvernement francais.

2. a M. Peel disait hier a 1'ambassade qu'il avait envoyfi quelqu'un k Lu¬ cerne. II parait tres-embarrass6 depuis queiques jours.... On pensait qu'il avait bien envoys a Lucerne, non pas dans la ville, mais bien au quartier general pour pre>enir le g6n§ral Dufour et lui conseiller de presser les choses. Je cite a regret cette supposition. » (DipSche de M. de Bois-le-Comte a M. Guizol, 25 novembre 1847, n° 201).

Voici ce que m'ecrit de Berne M. de Massignac : « L'affaire de la mission du chapelainde la legationd'Angleterre est fclaircie. « Ce matin (29 novembre 1847) je fus chez M. le ministre d'Espagne. Apres

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48 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

exercerent sur l'avenir de la Suisse, il ne m'appartient pas plus de les taire qu'il ne depend de moi de les absoudre. Je le fais d'ailleurs sans passion, car je suis loin de partagerles preventions trop communes qu'on nournt en France contre

l'Angleterre; j'admire 1'initiative de cette grande nation; -j'aime ses liberies, et je crois que l'alliance anglaise, qui fut celle du roi Louis-Philippe, qui est devenue celle du second

Empire, n'est pas, en general, la moins conforme a nos vrais interfits.

Neuchatel, comme canton protestant, ne pouvait identifier sa cause avec celle des cantons du Sonderbund ni entrer dans leur alliance; bien moins encore pouvait-il, pour servir les

desseins d'une majoritesubreptice, autoriser de son concours

avoir caus§ avec lui de la lettre que j'ai eu Phonneur de vous adiesser ce matm et a laquelle ll donne son entiere approbation quant & Pexactitude « Je voudrais bien savoir, lui dis-je, si vraiment Temperly a 6te, de la part de Peel, due au general Dufour de presser l'attaque contre Lucerne. — QuJest-ce qui en doute' me repondit-il, pour moi, j en suis sur, je le tiens de bonne source etj'en mets ma main au feu, me r6p6tat-il a plusieurs reprises — Je le crois, ajoutai-je, mais j'aurais quelque mteret a le faire avouer a Peel lui-meme, et devant quelqu'un, vous, par exemple »

a. L'occasion s'en est presentee des ce matm. Nous parlions avec Zayas et Peel des affanes suisses et de la maniere dont les diflterents cabinets les jugeaient «Aucun cabinet de l'Europe, excepte celuide l'Angleterre n'a com- pris les affaires de Suisse, dit ll, et lord Palmerston a cess6 delescomprendie lorsqu'il a approuve la note identique — Avouez au moins, lui dis je, qu'il a fait au moins une belle fin et que vous nous avez joue un tour en pressant les £v6nements *> II se tut J'ajoutai <x Pourquoi faire le mystSneux? Apres une partie, on peut bien dire le jeu qu'on a joufi — Eh bien' c'est vrai, dit-il alois J'ai fail dire au geneial Dufour d'en fintr vile. » Je regaidai H de Zajas pour constater ces paioles, son regaid me cherchait aussi

« Cependant, monsieur l'ambassadeur. je n'ai pas voulu vous appiendre cet a^eu 16geiement et, ce soir, j'ai demande a M de Zayas s'll conside- rait l'aveu commo complet « Je ne sais pas ce que vous voudnez de plus, me repondit ll, a moins que voue ne vouliez une de'claiation 6cnte Quand ]e vous disais ce matin que j'en mettrais ma main au feu1 » (Depiche de M. de Bou-le-Comte a M. Gunot, 31 dicembie 1847, n° 240

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H1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 49

les bouleversements qui se preparaient. Mis en demeure

de fournir son contingent a l'armee federale, il refusa. Je ne

voudrais pas, sous l'empire de sympathies, d'ailleurs bien

legitimes, donner aux incidents dont je m'occupe des pro¬ portions exagerees. Je sais que, si la question de Neuchatel a pris a diverses epoques le caractere d'une question euro-

peenne, Neuchatel, comme Etat, n'est qu'un point impercep¬ tible sur notre continent; l'obscurite de ses annales con- traste avec les complications qu'il a fait naitre, et il serait

pueril d'attribuer aux unes une importance qui n'appar- tient qu'aux autres. C'est le principal ecueil de ce travail.

Je ne tiens pas moins a me defendre d'un sentimentalisme

qui n'est de mise, ni en affaires, ni en histoire. Mais je tiens

aussi a honorer les bonnes causes partout ou je les rencon¬ tre ; je tiens surtout a repudier une tendance trop commune

qui mesure leur justice a leur succes. Qu'on me permette done de rappeler avec quelque interet cette seance du 29 oc¬

tobre ou les modestes legislateurs neuchatelois oserent seuls

declarer a la Suisse en armes que la force ne fait pas le

droit. Sans doute on ne devait pas se meprendre sur les con¬

sequences de ce vote. Comme le disait M. de Chambrier, dans

un tres-remarquable discours, e'etait une occupation fede¬

rale en perspective, une revolution peut-etre. Pour conju¬ rer ce danger, fallait-il, a l'exemple de Bale, se soumettre en

protestant? Le Corps legislatif ne le pensa pas. II crut que l'honneur du pays lui commandait une autre attitude. Ce fut aussi l'avis unanime des quatre bourgeoisies qui adhererent sans reserve, le 2 novembre, k la resolution de ce corps en votant une adresse au gouvernement, et en plagant la con¬ stitution sous la sauvegarde de la Prusse. Une certaine effer-

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50 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

vescence se manifestait en effet dans les centres industriels du Locle et de la Chaux-de-Fonds, et il etait facile de prevoir

que le radicalisme bernois ne negligerait rien pour l'attiser.

Deja des proclamations incendiaires, venues de Berne, avaient et6 saisies; tout indiquait une crise prochaine, quand bien meme la chute de Lucerne, survenue le 24 novembre, n'eut pas enhardi encore les esperances de la revolution.

Ce n'est que le surlendemain 26, que lord Palmerston

signa enfin la note identique. En y apposant sa signature, il dit a M. de Broglie : « Notre mediation, je le crains bien, sera devancee par les evenements'. » Nous savons si lord

Palmerston disait juste et comment avaient et6 employes ces

funestes delais. En presence de la victoire decisive des

troupes federales, il n'etait plus temps de sauver le Sonder-

bund; on pouvait encore sauver les vaincus. De radical, lord

Palmerston devenait conservateur, un peu tard, sans doute, mais enfin son nom figurait au bas de la note. Sir Strafford

Canning arrivait k Berne, avec des instructions conciliantes

et mettait fin a l'interim de M. Peel. D'un autre c6te, un re-

virement caracteristique semblait s'operer dans la politique des cabinets. Des symptdmes evidents temoignaient chez eux

du desir de se rapprocher de la France et de se concerter

avec elle a l'exclusion de l'Angleterre2. Lefait est peu connu

et peut-etre ne fut-il pas sans influence sur le changement d'attitude du chef du Foreign-Office. Deja la ville de Neucha¬

tel avait ete choisie comme lieu de reunion d'un congres ou

les grandes puissances devaient s'occuper tres-activement

1. D6peche de M. le ducde Broglie a M. Guizot, 2 d^cembre 1847, citee par M. le comte d'Hausson\ille.

2. M. d'Haussonvilie. Hist, de lapolilique exlerieure dugouicrn. francais.

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Page 54: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 51

de la Suisse. II s'agissait de proteger, pendant la revision de

la constitution federale, la souverainete des cantons contre

le radicalisme triomphant et de retirer la principaute neu-

chateloise d'une alliance qui causait sa ruine. Mais tout se

reduisit a une note identique de la France, de l'Autriche et

de la Prusse, datee de Neuchatel le 18 Janvier 1848. La date

de cette piece explique son inutilite.

Un mois apres, Paris etait en pleine revolution; de Paris, l'ebranlement gagnait l'Europe; les rois s'en allaient et

Louis Blanc pouvait s'ecrier du haut de la tribune de l'an-

cienne Chambre des pairs, devant les deiegues du proletariat de Paris : « Je quitte mon coliegue Lamartine. II nous ap-

porte chaque jour quelques lambeaux des vieilles monar¬

chies '. >' Au milieu de cet orage, que pouvait le petit Etat de

Neuchatel, travailie par les clubs de Berne, menace par les

corps francs et place, depuis le 19 novembre, sous le coup des ressentiments du Directoire? Neuchatel succomba et il devait succomber. Quelques insurges de la Chaux-de-Fonds,

presque tous etrangers au pays, aides de bandes armees ve¬

nues de Bern'e et de Vaud, suffirent pour renverser, le 1" mars, le gouvernement etabli. Le conseil federal s'en est

depuis prevalu pour attribuer a la revolution de Neuchatel

le caractere d'un mouvement national. Etait-ce un mouve- ment national que celui qui nous donnait la republique, qui ebranlait l'Allemagne, qui mettait le monde en feu? De pa- reils vertiges ne s'expliquent pas; ils sont, c'est tout ce qu'on peut dire; ils se reproduisent fatalement a certaines epo-

1. Je ne puis preciser la date de cette seance. Les journaux ne l'ont pas publiee; mais c'elaitfort peu de jours apres le 24 fevrier. Un hazard m'y lit assister.

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52 HlSTOiRE D UNE ANNEXION.

ques de la vie des peuples; tous, tant que nous sommes, nous en avons ete les temoins, les complices ou les victimes;

et, s'ils prouvent quelque chose, c'est le neant des institu¬

tions humaines. Le conseil d'Etat redama l'intervention du Directoire, ga-

rant de sa constitution. On lui envoya des commissaires

federaux, mais ils surent arriver trop tard et leur premier acte fut de reconnaitre le gouvernement provisoire. En

quittant Neuchatel, le 3 mars, M. de Sidow leur adressa la

note suivante: « Les circonstances que le soussigne, ministre du roi de

« Prusse aupres de la Confederation suisse, a exposees par sa « lettre d'hier et recemment de bouche avec plus de details « encore k MM. Schneider, conseiller d'Etat, et Migy, mem-

« bre du tribunal d'appel, commissaires federaux, existent « encore aujourd'hui et n'ont pas subi de changements.

« Une faction, composee en minorite de ressortissants de

« la principaute de Neuchatel et en majorite de corps francs

« armes des cantons voisins, contrairement aux arreies de

« la diete, continue a occuper la ville de Neuchatel et le

« chateau du prince, siege du gouvernement du pays. <t Bien plus, l'arrestation violente des membres du gou-

« vernement legitime n'a pas cesse. Le soussigne se voit en

« consequence oblige de quitter Neuchatel jusqu'a nouvel « ordre. Mais il ne peut pas commencer son voyage sans « vous recommander encore de la maniere la plus pressante « qu'il soit r6pondu sans retard, dans tout l'ensemble de

« leur contenu, aux demandes faites au Vorort federal du

« ierdece mois, par l'Etat confedere de Neuchatel, et en

« particulier que la liberie violemment ravie hier aux mem-

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HIST01RE D'UNE ANNEXION. 53

« bres du gouvernement leur soit rendue sans retard. En

« meme temps, il renouvelle, par la presente, au nom du

« roi, son auguste souverain, la protestation solennelle qu'il « a deposee par sa note d'avant-hier devant le haut Vorort «. federal.

« II proteste contre tous les evenements, arretes et mesures

« quelconques, de quelque c6t6 qu'ils viennentetdequelque « nom ou de quelque pretexte qu'on veuille les couvrir, par « lesquels les droits du prince de Neuchatel, garantis par la

« Confederation, ainsi que la constitution de ce canton et

« principaute, ont ete vioies ou endommages, ou pourraient « l'6tre encore. II proteste aussi expressement contre tout ce

« qui s'est fait et contre tout cequi pourrait se faire a l'ave-

« nir pour arreter le libre exercice de l'autorite du prince « par ses organes legitimes.

« Le soussigne saisit cette occasion, etc.

ot Neuehafel, 3 mars 1848. «c R. DE SYDOW. »

II faut 6tre indulgent pour les revolutions. On ne saurait

attendre de ces crises sociales beaucoup de moderation ni

beaucoup de logique ou de methode. Je ne me donnerai pas le facile plaisir d'opposer aux promesses du nouveau regime, les actes par lesquels il signala son avenement. Je demande-

rai seulement s'il n'etait pas permis d'y voir la meilleure

preuve de sa faiblesse? M. de Rougemont, dans sa reponse au memoire du conseil federal, rapporte a ce sujet des faits

extremement curieux. Je n'en citerai qu'un seul parce qu'il est caracteristique. Au lendemain de la republique, il fallut

suspendre la liberie de lapresse. Et qu'on ne s'y trompe pas:

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54 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

ce n'etait pas seulement le resultat de l'effervescence des

premiers jours. G'etait l'application d'un systeme commande

par l'inferiorite numerique des vainqueurs. La constitution du 30 avril s'inspira de ces defiances necessaires. Fajte sans les royalistes, car ils s'abstinrent tous, la cour de Berlin ne les ayant pas encore deiies de leur serment, elle le fut aussi

et surtout contre eux. Ainsi, on bouleversa compietement

l'ancjen systeme communal en enlevant aux bourgeoisies et

communes toutes leurs attributions politiques1. Paria, on

frappait le royalisme dans son organisation seculaire. On

voulait de plus en faire une minorite, malgre les fails et mal-

gre les chiffres, sinon dans le present, au moins dans un

avenir rapproche. Cefut l'ceuvre del'article 29, qui attribuait

aux Suisses etrangers au canton, et k la seule condition

qu'ils y fussent etablis depuis deux ans, les droits politiques des citoyens neuchatelois. Je vais essayer de faire compren- dre la portee de cet article.

De tout temps, les etrangers avaient joui de certains pri¬ vileges k Neuchatel. Les rois de Prusse favorisaient leur

etablissement dans l'interet du developpement agricole et

industriel de la principaute. Ils n'y payaient a peu pres au- cun imp6t. Grace k ces conditions exceptionnelles, le nombre

s'en accrut dans une proportion considerable. En 1848, on en

comptait environ 26 000 sur une population totale de 70 000 ames, et il etait facile de prevoir que, sous l'influence

des derniers evenements, le mouvement tendrait encore h

1. Une loi subsfiquente autorisa a prendre part aux Elections municipales, non-seulement les Suisses d'autres cantons, mais les etrangers, francais, allemands, italiens ou autres, pourvu qu'ils eussent une annfie d'lHablisse- rnent, je ne dis pas dans la commune, mais dans le pays. Il n'y a pas d'eiemple de rien de semblable, meme en AmGrique.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 55

s'acceierer. En effet, en 1854, la population depassait deja 73 000 habitants, sur lesquels on comptait 28 433 non-

Neuchatelois, dont 22 845 Suisses etrangers au canton et

5588 etrangers k la nationalite helvetique. D'apres un calcul

assez curieux, on estimait a cette epoque qu'au bout de

treize ans la population etrangere aurait plus qu'egaie la

population indigene; que dans vingt-six ans, la seule popu¬ lation suisse aurait egalement depasse le chiffre de la popu¬ lation autochtone et que dans trente ans cette derniere po¬

pulation ne serait qu'une minorite. L'avenir dira quelle est

l'exactitude de ces calculs; ce qui est certain, c'est qu'aujour- d'hui le canton de Neuchatel est litteralement envahi par

l'immigration du dehors. Dans dix-neuf communes, la popu¬ lation etrangfere depasse la population indigene; elle lui fait

equilibre dans onze communes et elle ne lui est inferieure

que dans quarante-trois. Encore sur ces derniferesy en a-t-il,

comme leLocle, ou, sur 8962 habitants, on trouve 3626 etran¬

gers. L'immigration est surtout allemande, et elle en est

venu a avoir ses journaux, des journaux allemands, sur une

terre aussi frangaise que les departements du Doubs et du

Jura. Elle a fait plus, elle s'est pris a demander un jour

que les actes officiels fussent publies dans les deux lan-

gues. Je ne crois pas qu'il s'opere, sur aucun point du globe, un mouvement de transformation aussi marque.

Si l'on songe que cette population avait ete le principal ap¬

point de l'insurrection du l"mars, oncomprendrafacilement

1'importance de l'article 29. On absorbait l'eiement national

au profit de l'eiement non-indigene; on deplagait, par une

manoeuvre habile, une majorite menagante pour le nouvel

ordre de choses. Sous ce rapport, c'etait plus qu'une revolu-

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56 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

tion politique, c'etait une revolution sociale, j'ai presque dit une conquete.

Le meme caractere se retrouve dans tous les actes du

gouvernement de 1848. La republique neuchateloise n'etait

possible qu'a la condition de ne pas etre neuchateloise. Elle

bouleversa, par necessite autant qu'en haine du passe, ces anciennes institutions si admirees des meilleurs esprits, si fecondes dans leur application, si etroitement unies a l'his- toire des liberies du pays. Nulle part plus qu'a Neuchatel, le

clerge n'etait independant de l'Etat; elle fit des ministres du culte des fonctionnaires a ses gages; avant 1848, les juges etaient inamovibles; elle les soumit a de continuelles re- elections. Le jury, qu'elle avait institue, resta toujours une lettre morte : on craignait des jures royalistes ou conserva- teurs. Je pourrais multiplier les exemples, mais je crois en avoir dit assez pour expliquer combien ce regime etait anti-

national, combien il devait amasser de haines et autoriser de

regrets. Le 12 septembre, parut la constitution federate, qui substi-

tuait la republique federative de 1848 k la confederation

d'Etats regie par le pacte de 1815. Cette constitution avait certainement des avantages; elle assurait a la Suisse une cohesion plus grande; elle s'inspirait moins de 1'excessive unite imposee par la France en 1798, que de l'equilibre in- troduit par Facte de mediation. Mais, independant de son

origine, le pacte de 1848 pechait par un vice fondamental. II

prenait la force du nombre pour principe de la loi eiectorale; il ne tenait compte ni de l'histoire de la Suisse ni de ses na- tionalites distinctes; ce que la constitution de Neuchatel, son ainee de quelques mois, avait fait sur une petite echelle, la

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 57

constitution federale le faisait en grand. De plus, en fortifiant

Faction du gouvernement central, en subordonnant la souve-

rainete des cantons a la souverainete del'Etat; elle n'etait pas seulement en desaccord avec les traites existants, elle offrait

une prise a Faction des grandes puissances. G'est ce qui ex-

plique pourquoi les cabinets ont si facilement accepte le nou-

veau droit public que sedonnait la Suisse. En 1814eten 1815, des considerations tirees de l'equilibre europeen, avaient sur- tout inspire leurs conseils et dirige leurs actes; depuis 1848, les puissances durent compter surtout avec l'esprit revolu-

tionnaire, et plus cet esprit avait seme de ruines sur le sol

de la Confederation, plus il pouvait en produire au dehors,

plus il importait de trouver a Berne un gouvernement rcs-

ponsable sur lequel on put peser au besoin. A ce point de vue, le radicalisme fournissait des armes contre lui-meme. Jamais

l'affaire des relugies, des passeports et des consulats, qui a fait tant de bruit il y a deux ans, n'eut ete possible avec

l'ancien ordre de choses.

L'autorite supreme residant dans une assembiee federale

partagee en deux sections ou conseils, le conseil national et

le conseil des Etats; le premier, compose des deputes du

peuple suisse eius a raison d'un membre par 20 000 ames; le

second, compose de quarante-quatre deputes nommes par les

grands conseils des cantons en raison de deux pour chacun; ces deux conseils eiisant un conseil federal ou pouvoir execu-

tif: tels etaient les rouages fort simples de la Confederation.

Cette constitution generale devait en quelque sorte servir de

patron aux diverses constitutions locales. Aussi Particle 6

imposait-il aux cantons l'obligation de placer leurs statuts

particuliers sous la garantie federale. Elle devait leur etre ac-

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58 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

cordee pourvu que les statuts ne continssent rien de contraire a l'esprit de la constitution commune; qu'elles assurassent 1'exercice des droits politiques d'apres les formes republi- caines; enfin (lettre C) qu'elles eussent ete acceptees par le

peuple et qu'elles pussenl etre revisees a la demande de la majo¬ rity des citoyens.

Gette disposition etait en desaccord avec la constitution de Neuchatel (article 71), comme aussi avec celle de Fribourg, toutes deux anterieures a la promulgation du nouveau pacte et qui etablissaient qu'aucune revision ne pourrait etre de- mandee avant neuf annees revolues. Ce que j'ai dit de l'esprit de la premiere explique suffisamment le but de la clause res¬ trictive dont il s'agit. Victorieux sur un de ces deux points par une veritable surprise; sur l'autre, par l'appui des ba'ion- nettes federales, le radicalisme craignait surtout un reveil de

Fopinion conservatrice et voulait lui oter toute occasion de se faire jour. Pour plus de precautions, il avait pris les de-

vants et s'etait hate de presenter son ceuvre a la garantie fe¬

derale, qui, en depit de celle deja acquise k l'ancienne consti¬

tution de ces cantons, lui avait ete immediatement accordee.

Ce n'est pas une des inconsequences les moins bizarres de cette

epoque de desordres. Tant il est vrai que le pacte de 1815, si

souvent invoque contre le Sonderbund, n'etait qu'une lettre morte quand il g6nait. On s'en armait d'une main, on le

dechirait de l'autre. Au moins semblait-il que la constitution

generale de 1848, mise en vigueur peu de temps apres, dut

exclure des constitutions cantonales toute stipulation con¬

traire a ses prescriptions positives. Que le radicalisme bernois

montrat peu de respect pour l'ceuvre des legislateurs de 1815, cela se concevaitaiarigueur; qu'il infirmat la sienne propre,

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 59

on le concevait beaucoup plus difficilement. Mais c'etait expo- ser aux chances d'une reaction facile a prevoir deux gouver- nements issus de la revolution; ils ne se maintenaient que

park force; le temps seul pouvait les consolider; ilfallaitles

appuyer a tout prix. Placee entre l'interet politique du mo¬

ment etles termes precis du nouveau pacte, la majorite du

conseil federal eut recours a une distinction etrange qui fut

consacree par Particle 4 des dispositions transitoires annexees

a la constitution federale, et qui portait que les dispositions

speciales de Particle 6 (lettre C) ne seraient pas applicables aux constitutions cantonales actuellement en vigueur.

Si Ton se place au point de vue du conseil federal, cette

mesure pouvait se justifier, sinon par beaucoup de logique, au moins par une apparente utilite; mais elle cachait des

perils et des complications nombreuses. Oter a une fraction considerable de l'opinion les moyens legaux de faire preva- loir ses droits, c'etait ne lui laisser que deux alternatives : le

suicide ou la revolte. Or, il pouvait se rencontrer des hom¬

ines assez energiques pour preferer la seconde. Telle fut la

cause des souievements reiteres dont Fribourg fut le theatre

et qui ne cesserent qu'en 1857 avec la chute du gouverne¬ ment radical. Telle fut aussi, en partie, 1'origine de la levee

deboucliers, qui, k Neuchatel, devait prendre les proportions d'un evenement europeen.

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V

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Page 66: Histoire d'une annexion

V

On ne reforme pas en un jour les mceurs d'un E"tat, lors-

quelles ont ete fagonnees piece a piece par six siecles d'un

meme regime. Le radicalisme dominait dans la plaine; il

n'avait que peu de racines dans les villages des montagnes, ou l'opinionroyaliste, sans Contact avec les centres industriels, se maintenait comme une sorte de culte. II y a chez le mon-

tagnard neuchatelois quelque chose de l'aprete de son cli-

mat, une tenacite que rien n'ebranle, jointe a un certain

penchant a l'exaltation; peu d'idees, mais toutes profondes, ardentes etopiniatres; je ne saisquoi de grave et de meian-

colique, comme la nature qui l'entoure. Son esprit est in¬

capable d'abstractions. II ne comprend pas la theorie; la pra¬ tique et le devoir resument toute sa vie. De la une scission

profonde entre les vainqueurs et les vaincus. Les royalistes ne participaient pas aux elections federates; un petit nombre

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Page 67: Histoire d'une annexion

64 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

seulement aux elections cantonales. G'etait une faute assure-

ment; les partis ne doivent jamais abdiquer, ne fut-ce qu'en prevision de l'avenir; mais ce que je viens de dire du carac- tere neuchatelois explique comment aucune transaction de ce

genre n'etait possible. Pour le montagnard, la question de Neuchatel n'etait pas une question politique; il en faisait une

question d'ordre moral, presque une question religieuse. Pla- cee sur ce terrain, elle excluait tous compromis.

Dans les plus pauvres demeures, dans les derniers chalets de la montagne, on voyait le portrait du souverain suspendu aupres du foyer. Achaque anniversaire, des adresses, couvertes de milliers de signatures, partaient pour Berlin et toute la surveillance de la police n'y pouvait rien. Recueillies par des mains invisibles, elles allaient de maison en maison, de com¬ mune en commune, puis franchissaient la frontiere, sans que le secret fut jamais train.

L'organisation interieure de cette petite Vendee a souvent servi de texte aux correspondances des agents de tous ordres

que les puissances entretenaient en Suisse. J'ai sous les yeux plusieurs de ces rapports dont un, qui date de la fin de

1854, contient des details tres-pretis. Presque tous sont

inexacts. A voir l'ensemble qui presidait aux actes du parti royaliste, on pouvait croire qu'il se mouvait sous l'empire d'une organisation tres-forte, une sorte de franc-magonne- rie ou de carbonarisme monarchique. La verite c'est que les royalistes n'avaient pas d'organisation. II existait bien

des comites locaux et au-dessus un comite central; mais tout cela s'etait forme spontanement en dehors de tout calcul

prealable et de toute regie ecrite. Les comites locaux n'e- taient pas subordonnes au comite central, et ce dernier ne

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Page 68: Histoire d'une annexion

H1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 65

s'arrogeait sur eux aucune autorite, pas plus qu'il n'etait

regulierement constitute; il ne tenait son mandat que de

lui-meme. Ce qui faisait la force du royalisme, ce n'etait pas une hierarchie qui n'existait pas; c'etait une identite com¬

plete de sentiments et de vues.

Parmi les hommes qui etaient k la tele de l'opinion et qui,

par le fait de leur propre initiative, personnifiaient les espe-

rances d'un retour a l'ancien ordre de choses, il en est trois

qui meritent une mention spetiale. M. le comte de Wesdehlen avait debute, jeune encore,

dans !a diplomatie pfussienne. Revenu a Neuchatel, apres 1830, il y administra jusqu'en 1848, le departement de l'in- terieur. Son independance et sa position sociale lui assu- raient parmi les siens, une tres-grande et tres-tegitime in¬ fluence. II avait epouse Mile de Waldbourg-Truchsess, dont la mere etait une princesse de Hohenzollern-Hechingen, fille, sceur et tante des trois derniers souverains qui regn&- rent sur ce petit pays. II cachait sous une apparente froi- deur toute l'ardeur de convictions profondes. C'etait moins l'homme d'un parti que l'homme d'un principe. Ce principe, il le defendit toute sa vie, au prix de tous les sacrifices, avec une activite vraiment incroyable, a Neuchatel devant la

revolution, en Europe, devant les cabinets. Aujourd'hui encore, qu'apres avoir assiste au naufrage de ses esperances, il n'a plus qu'un desir, ainsi qu'il me l'ecrivait lui-meme il

y a peu de semaines, celui de «finir ses jours dans une pai- sible obscurite, oublte de tous, excepte de ses amis », M. de" Wesdehlen n'a rien perdu de sa foi premiere; il la conserve tout entiere, aussi exempt de recriminations que de fai-

blesses, indulgent pour les hommes, invariable dans ses

5

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Page 69: Histoire d'une annexion

66 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

idees. Si je ne partage pas toutes ses opinions, au moins

puis-je dire tres-haut que j'ai rarement rencontre un type

plus remarquable de simplicite et de droiture, ni plus de me-

rite reel allte a plus de modestie.

Une nature chevaleresque et ardente, une bravoure eprou-

vee, faisait de M. le comte Frederic de Pourtates le chef

militaire du royalisme neuchatelois, comme M. de Wes¬

dehlen en etait le chef politique. Les memes convictions le

mettaient au service de la meme cause. Atteint depuis par les memes deceptions, il partage aujourd'hui sa retraite et

son silence. M. de Pourtales avait servi en Prusse dans la

cavalerie de la garde, puis dans les milices neuchateloises et

dans l'etat-major federal, en qualite de lieutenant-colonel.

Les evenements de 1848 le trouverent en Italie. II ne revint

pas a Neuchatel et se fixa dans une de ses terres, pr6s de

Berne. On le savait d'ailleurs pret a agir au premier signal, et a apporter a ses amis, en cas d'un mouvement arme,

l'appui de son nom, de son experience et de sa popularity.

Quoique moins en relief que les precedents, M. Boscawen-

Ibbetson doit trouver sa place dans cette histoire. Anglais de naissance, il possedait au plus haut degre l'esprit d'entre-

prise de sa patrie d'origine; marie a Neuchatel, il s'etait

voue, avec une extreme ardeur, aux intents de sa patrie

d'adoption. Je levois encore en Janvier 1857, lorsqu'il sortait, a peine vetu, des prisons de Neuchatel, et je conserve l'im-

pression que me causa cette energique figure. C'etait le bras

du parti. Je regrette de ne pouvoir raconter les demarches inces-

santes des trois homines quj je viens de nommer pour assu¬

rer, pendant les premieres annees qui suivirent la revolu-

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H1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 67

tion de 1848, le triomphe d'une cause maintenant perdue. Le plus autorise d'entre eux n'a pas cru devoir le faire ', et c'est a sa demande que je m'abstiens moi-meme. Le lecteur ne les eut pas suivis sans interet dans leurs voyages en

France, en Angleterre et en Allemagne, toujours a la veille

d'executer leurs desseins, longtemps forces de les ajourner. II y aurait plus d'un detail a mettre en lumiere, plus d'un

fait curieux a signaler. Au reste, nous les retrouverons plus tard quand le cabinet de Berlin, libre des embarras qui avaient entrave son action, crut que le moment etait venu

d'autoriser un mouvement decisif.

On sait l'influence qu'exercerent en Allemagne les idees

de 1848 et les questions compliquees qu'elles y firent naitre.

Cela devait etre chez un peuple d'imagination, facilement ac¬

cessible aux theories philosophiques et sociales. On sait de

ntemejl quoi elles aboutirent. Cela s'expliquait encore, car

l'Allefnagne est aussi, dans la pratique, le pays de la sagesse et du bon sens. Frederic-Guillaume IV, resume d'une ma¬

nure frappante ces aspirations et ces mecomptes. Personne,

parmi les teles couronnees, n'accepta plus franchement les

ardenfes chimeres de cette epoque, pour s'en accuser dans

la suite avec une plus touchante humilite; personne n'en au-

gura davantagepour l'avenir de 1'Allemagne ou pour la gran¬ deur de la Prusse : personne aussi n'y puisa le germe de

plus de deceptions. On comprendrait mai l'histoire de son

regne, et Ton se montrerait trop severe pour les faiblesses

de sa politique, si 1'on ne tenait compte de ses decourage- ments.

1. Rccils des dvenements de septembre au pays de NeuchdleU

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Page 71: Histoire d'une annexion

68 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

Au lendemain de cette constitution du 3 tevrier 1847, si

savante, si consciencieusement etudtee, si parfaitement ap- proprtee, sinon a 1'esprit, du moins aux formes de la societe

prussienne telle qu'elle etait sortie des mains de l'histoire, dont il avait fait l'oeuvre de toute sa vie et pris spontane- ment l'initiative, Frederic-Guillaume se croyait a la tete du mouvement liberal de l'Allemagne. La revolution le d£-

borda, elle l'abreuva d'outrages, et les scenes sanglantes de Berlin furent l'origine de cet ebranlement moral qui vient de le contraindre k resigner le trone. Pousse a bout, il pro- nonga la dissolution de la Constituante, en octroyant le meme jour une seconde constitution qui devait etre soumise

a l'examen d'un parlement compose de deux chambres, l'une et l'autre electives. Le statut du 5 decembre ne ressem- blait pas a celui de 1847 ; le souffle de la revolution y avait

passe, et Frederic-Guillaume se flattait d'avoir fait sincere- mentalliance avec l'espritnouveau.Mais cette transaction ne fut pas comprise. La seconde chambre se precipita sur les

traces de l'Assembtee constituante. II fallut encore la dis-

soudre, et deux annees s'ecouterent avant que le pays put asseoir sur des bases durables la constitution qui le regit

aujourdliui1. La question allemande semblait ouvrir a la Prusse d'autres

perspectives et d'autres horizons. Tous les yeux etaient fixes

sur Frederic-Guillaume. Un moment on put penser que le

r6ve de l'unite germanique cesserait d'etre une fiction bril-

lante, et qu'il se realiserait au profit de la suprematie prus¬ sienne. Rendu timide par ses propres experiences, paries

1. 31 Janvier 1850.

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Page 72: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 69

difficultes de la tache, par l'attitude de l'Autriche, Frederic-

Guillaume n'osa point accepter cette couronne imperiale,

objet de ses convoitises et des ambitions de son peuple; il

prefera s'en donner une autre en substituant au systeme alle-

mand du parlement de Francfort le systeme prussien du

parlement d'Erfurt. Qu'en advint-il de l'union restreinte et

du traite du 26 mai 1849 Ce qu'il en etait advenu de l'oeu-

vre de Francfort. La convention d'Olmutz et le congres de

Dresde consacrerent, avec le triomphe partiel des vues du

cabinet de Vienne, le retour pur et simple a l'ancien ordre

de choses. Ainsi s'en allaient une a une les esperances de la

Prusse.

1848 l'avait trouvee diplomatiquement engagee dans la

question danoise. C'etait la lutte de retement teutonique contre l'eiement scandinave. II y avait de quoi seduire un

prince qui, se sentant a la tete d'une grande nation, visait

a l'hegemonie de l'AUemagne. Frederic-Guillaume jeta dans

la balance le poids de sa vaillante armee. La pression des

grandes puissances, de la Russie surtout, plus encore que la

bataille de Fredericia, perdue par les troupes holsteinoises,

l'obligerent a signer avec le Danemark, sous la mediation

de l'Angleterre, la paix de Berlin, du 2 juillet 1850. Paix dou-

teuse assurement, qui n'empecha la Prusse, ni de soutenir

moralement la resistance des duches, ni de mettre a leur tete le general Willisen, mais qui preparait, pour un avenir

prochain, l'abandon force du Holstein. Ce n'etait plus qu'une question de temps. Au-dessus des scrupules du roi, il y avait l'interet de l'Europe, de la Prusse elle-meme. II ne restait a Frederic-Guillaume qu'a recevoir des mains heureuses du

prince de Schwartzemberg Particle 2 des stipulations d'Ol-

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Page 73: Histoire d'une annexion

70 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

miitz1, et a signer a Londres le traite du 8 mai 1852l. De tous les sacrifices que ce prince crut devoir faire k la paix du

monde, aucunne lui fut plus penible et ne lui laissa plus de

regrets. Ici se place un document diplomatique extremement cu-

rieux, tres-important pour la suite de cette histoire, poste- rieur de seize jours seulement au traite de Londres, et

qui fut signe dans la meme ville. Ce document, connu sous

le nom du protocole du 24 mai 1852, reconnaissait formel- lement les droits du roi de Prusse sur la principaute de

Neuchatel, en tant qu'etablis par les actes du congres de

Vienne, et il rappelait que ce prince les avaient exerces sans

1. La convention d'Olmiitz, signSe le 29 novembre 1850, par le prince de Schwartzemberg pour l'Autriche, et le baron de Manteuffel pour la Prusse, preparait la solution de la question allemande et tranchait la question da- noise. L'article II, relatif a cette derniore question, est ainsi congu :

a L'Autriche et la Prusse, apres s'etre entendues avec leurs allies, en- verront dans le Holstein, aussi promptement qu'il sera possible, des com¬ missaires qui exigeront de la lieutenance, au nom de k Confederation, la suspension des hostilites, la retraite des troupes derriere l'Eider, et la re¬ duction de l'arm6e a un tiers de l'effectif actuel, en les menaijant d'une execution commune en cas de refus. D'un autre cote, les deux gouverne- ments inviteront le cabinet danois a n'entretenir dans le ducli6 de Sleswig que le nombre de troupes n^cessaires au maintien de la tranquillite.

2. Un premier traite fut sign6 a Londres le 4 juillet 1850, en dehors de la Prusse, deux jours apres le traits de Berlin. Ce traits partait du principe de I'int6grit6 de la monarchie danoise; les puissances y exprimaient le vceu de voir maintenues dans leurs rapports actuels toutes les possessions reunies sous la souveraineto du roi de Danemark et elles indiquaient un changement dans 1'ordre de succession comme le noeud de la difficulty. Lo traite du 8 mai 1852 allait plus loin : il r£glait d6finitivement cet ordre de succes¬ sion en faveur du prince Christian de Sleswig-Holstein-Sonderbourg-Gluck- sbourg, en rappelant, dans le prfiambule a. que le maintien de I'inl6grit6 de « la monarchie danoise, liG aux intfirets de l'equilibre europfien, 6tait d'una « haute importance pour la conservation de la paix. d C'est ce traitfi que signa la Prusse, de concert avec le Danemark, la France, l'Autriche, la Grande-Bretagne et la Suede.

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Page 74: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 71

opposition jusqu'en 1848; la France, l'Autriche, la Grande-

Bretagne et la Russie promettaient de se concerter sur les

mesures les plus propres a obtenir du gouvernement fede¬

ral qu'il tint compte des stipulations arretees a Vienne en

1815, et qu'il reconnut la validite legale des droits de la

Prusse. Le roi de Prusse s'engageait de son cote a s'abstenir

de l'emploi des forces dont il pouvait disposer et a attendre, avant d'agir, le resultat des negotiations ouvertes par ses

allies. Les cinq puissances reunies dans la conference de Lon¬

dres etaient aussi d'accord sur ce point important qu'en sup-

posant que la Suisse eut pu modifier a quelques egards sa si¬

tuation interieure, comme elle Favait fait par sa nouvelle

constitution federate, elle ne pouvait pas modifier du meme

coup ses engagements internationaux.

Le protocole du 24 mai produisit en Europe une assez vive

sensation, et des interpellations eurent lieu le 7 juin dans

la Chambre des communes. Lord Malmesbury, depuis la

chute recente du cabinet whig, etait ministre secretaire

d'Etat au departement des affaires etrangeres. Lord Stanley

d'Alderley, sous-secretaire d'Etat, repondit pour le gouver¬ nement qu'effectivement une conference s'etait tenue a Lon¬

dres, et que les representants des cinq puissances avaient

signe un protocole relatif aux affaires de la Suisse. « II est

incontestable, continuait le noble lord, que le roi de Prusse

a des droits sur Neuchatel; c'est un point essentiel du traite

de Vienne. Je ferai de plus observer que ce protocole est la

premiere occasion dans laquelle la France, sous son chef

actuel, aitreconnu Facte de 1815 comme reglant la situation

de l'Europe.» Le Times insistait de meme sur ce dernier point qui tenait

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72 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

singulterement a cceur au public anglais :« Louis-Napoteon, disait cette feuille, s'etant jusqu'ici abstenu de toute recon¬ naissance directe et positive des traites de 1815, il n'est pas sans importance que les autres puissances aient ainsi obtenu de son gouvernement une application directe des deux ar¬ ticles essentiels de Facte final du congres de Vienne.» G'etait en effet l'une des grosses questions du moment. La France sortait du 2 decembre et elle marchait a l'Empire. En Angle- terre comme en Allemagne, on s'effrayait facilement de ses

projets de conquete, et le souvenir du passe autorisait, jusqu'a un certain point quelques apprehensions pour l'avenir. Mais plus ces apprehensions etaient vives, plus il etait de l'interet du Prince-President de donner a sa politique un caractere essentiellement conservateur. Aussi son concours ne fit-il pas defaut au cabinet de Berlin; il fut meme tres-

empresse. M. Barman ' assure que la premiere redaction

proposee par la Prusse et approuvee par l'Autriche, l'Angle¬ terre et la Russie, fut rejetee par la France comme impliquant une intervention effective des Etats signataires. Je crois sa- voir au contraire que cette premiere redaction avait ete pro¬ posee par la France elle-meme, et que c'est FAngleterre qui lui fit substituer une redaction moins favorable a la Prusse.

Quels que fu'ssent d'ailleurs les changements apportes au

projet primitif, les circonstances qui dicterent l'attitude du

cabinet des Tuileries, le soin que mit le chef du Foreign-Of¬ fice a representer le protocole de Londres comme un succes

de sa politique, de quelque poids qu'eut pese dans la balance

l'influence de la Russic, Facte de reconnaissance du 24 mai

1. Des ne'gociations diplomatiques relatives ANeuchdlel, par le colonel Barman, ancien ministre plenipotentiaire.

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Page 76: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 73

n'en etait pas moins un evenement fort important; il pouvait

ouvrirlaportea de serieuses complications, et la Prusse, jus-

qu'alors si isotee, semblait autorisee a s'en prevaloir comme

d'une victoire de sa diplomatic Cependant, je ne pense pas me faire l'echo de rumeurs sans fondement, en ajoutant qu'a Berlin, les hommes d'Etat les mieux au courant des affaires de

leur pays n'en accueillirent la nouvelle qu'avec une satisfac¬ tion douteuse. Voyaient-ils dans la question de Neuchatel un

embarras pour la Prusse et un embarras sans compensation Subissaient-ils, a leur insu, l'influence de cette jalousie

qu'inspira toujours k la nation prussienne l'inebranlable

attachement de ses rois pour leurs sujets neuchatelois? Etait-

ce encore parce quele protocole dont je viens de parler, suc-

cedant de si pres au traite de Londres du 8 mai, traite arra-

che en quelque sorte k la conscience de Frederic-Guillaume, on pouvait peut-6tre y voir, je ne dis pas un compromis, le mot rendrait imparfaitement ma pensee, mais une sorte de

dedommagement moral de l'abandon du Holstein? Ce sont

de simples conjectures dont je n'entends pas prendre la res-

ponsabilite, si vraisemblables qu'elles puissent paraitre. J'af-

firme seulement que le traite souleva peu d'enthousiasme, meme chez les membres de la droite, et je doute que le fait

soit serieusement conteste. Au point de vue de la restauration de Neuchatel, le proto¬

cole de Londres avait un cote faible. Le roi de Prusse s'enga-

geait a ne pas faire valoir ses droits par la force, sans avoir

acquis l'engagement qu'on les ferait valoir a sa place. Mais si

le traite lui interdisait toute revendication active et isotee, rien ne l'empfichait de faire en sorte qu'un mouvement venu de Neuchatel n'obligeat les cabinets a regler definitivement

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74 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

la question. Telle semblait etre sa pensee, car, immediate- ment apres la signature du protocole, M. de Bunsen disait a un personnage considerable de la principaute, alors acciden- tellement a Londres: « A l'heure qu'il est, un bon Neuchate¬ lois devrait etre chez lui.» Le ministre de Prusse engagea de meme M. Ibbetson a se rendre dans le pays, afin d'y pro- voquer soit une levee de boucliers, soit une demonstration d'une autre nature. Les paroles de M. de Bunsen n'etaient

pas assez explicites et ne furent pas surtout suffisamment

confirmees par ce diplomate pour qu'un appel aux armes

parut prudent. Tout aboutit a une adresse, charged de six mille signatures, que M. le comte de Wesdehlen porta lui-

meme a Londres et qui fut la derniere avant la prise d'armes

de 1856. En effet, une question bien autrement grave, la

question d'Orient, allait absorber toute l'activite du cabinet de Berlin.

Au moment ou la lutte eclata, la Prusse venait de se relever

aux yeux de l'Allemagne dans la question du Zolverein. Cette

union restreinte, qu'elle n'avait pu realiser au profit de sa

preponderance politique, elle l'avait victorieusement mainte-

nue sur le terrain de sa preponderance commerciale. C'etait

le cas ou jamais de revendiquer, d'une main ferme, le role

dont la convention d'Olmiitz l'avait depossedee. Tout l'y ap-

pelait, et son importance comme grande puissance, et son

caractere essentiellement germanique, —car l'Autriche est

slave pour les deux tiers de sa population, — et la place qui lui est assignee dans le mouvement intellectuel de la patrie allemande. A la tete de ses idees, elle devait etre a la tete de

sa diplomatic. II faut bien le reconnaitre, Faction de la Prusse

fut plus modeste, moins en rapport avec son influence mo-

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m

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 75

rale. Elle n'eut dans les debats ni l'attitude franchement

russede laplupart des Etats secondaires, ni l'attitude relati-

vement independante du cabinet de Vienne. Une fois encore

elle laissa echapper l'hegemonie de l'Allemagne. II semblait

que, decouragee par ses echecs de 1849 et de 1850, elle ne

songeat qu'a vivre au jour le jour, laissant aux evenements

le soin de trancher pour elle les difficultes de l'avenir. Cet en¬

semble de mesures dilatoires qu'expliquait sans doute l'etat

de la sante du roi, chaque jour plus inqutetant, quoiqu'on en

fit encore un mystere; ses sympathies, d'ailleurs fort legi¬

times, mais temperees par l'excessive prudence du premier

ministre, pour un prince qui lui tenait de si pres; et, chez

M. de Manteuffel, un ardent amour de la paix, bien que sa

politique ait eu pour resultat de prolonger la guerre en fai-

sant esperer a la Russie un appui qu'il ne lui donna pas: tout

cela, dis-je, devait, a la longue, constituer au gouvernement

prussien une position tres-fausse, soit vis-a-vis du pays, soit

vis-a-vis des cabinets. De ia les interpellations qui se produi- sirent dans la seconde chambre, par l'organe de MM. de

Vincke et de Bethmann-Hollweg, lors de la discussion de

l'emprunt, et, a l'ouverture de la session suivante, pendant la discussion du projetd'adresse; de la la retraite du general de Bonin et la disgrace du prince de Prusse, frere du roi, Fun

des princes les plus edaires de l'Allemagne, aujourd'hui re¬

gent du royaume; de ia les manifestations enthousiastes, dont

l'anniversaire de son mariage avec la princesse Auguste de

Saxe-Weimar fut le pretexte plut6t que l'occasion, et les

quatre-vingt-dix deputations venues de tous les points de la

monarchie pour lui apporter l'expression de leurs sympa¬

thies; deia^ enfin, l'isolement de la Prusse, qui se trouvait

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76 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

exclne du concert europeen au moment ou se reunit le con¬

gres de Paris. Ce n'est que le 10 mars 1856, a la septieme seance, lorsqu'on eut arrete, sans elle, les clauses principales du traite general, que le cabinet de Berlin fut invite a se faire

representer aux conferences, en tant que signataire de la con¬

vention du 13 juillet 1841. Le roi designa comme premier

ptenipotentiaire M. le baron de Manteuffel, president du con-

seil, ministre des affaires etrangeres, et comme second pte-

nipotentiaire M. le comte de Hatzfeld-Wildenbourg-Schoen- stein, envoye extraordinaire et ministre ptenipotentiaire de Prusse a Paris. Ces deux diplomates, qui ne furent introduits au sein du congres que le 18 mars, avaient pour instructions

precises de remettre sur le tapis la question de Neuchatel. Ministre d'un auguste malade dont on disait tout has, a

Berlin, que les facultes n'etaient pas moins ebrantees que la

sante, M. de Manteuffel avait rendu de grands services a la monarchie. II avait parcouru tous les degres de la carriere administrative dans laquelle il fit ses debuts, d'abord k

Francfort, puis en Prusse, en qualite d'administrateur du

cercle de Zielenzig et du district deLuckau. Membre dela de¬

putation des chevaliers a la diete provinciate des margraviats de Brandebourg et de la basse Lusace, en 1833; conseiller

superieur au gouvernement de Koenigsberg, en 1841; vice-

president du gouvernement de Stettin, en 1842; un peu plus tard, conseiller superieur prive du roi, et conseiller rappor¬ teur du prince de Prusse, alors president du conseil d'Etat; chef de division au ministere" de l'interieur, en 1845, il fut

charge du portefeuille de ce departement, lors de la forma¬ tion du cabinet preside par le comte de Brandebourg, en 1849.

On se rappelle les conditions critiques ou se trouvait la

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Page 80: Histoire d'une annexion

^

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 77

Prusse. G'est M. de Manteuffel qui, de concert avec le president du conseil, et grace k ltenergique concours de l'arntee, osa

dissoudre la Constituante, issue des elections de 1848. C'est

lui encore qui, appete au ministere des affaires etrangeres

apres la mort du comte de Brandebourg, signa, le 29 novem¬

bre 1850, dans des circonstances non moins critiques, la fa-

meuse convention d'Olmutz. J'ai dit plus haut quels sacrifices

elle imposait a la Prusse. Mais l'avant-garde du general de

Groeben echangeait deja des coups de feu avec l'armee bava-

roise aFulda; si legitimes que fussent les susceptibilites de

l'honneur prussien, la question de la Hesse, servant de pre¬ texts aux hostilites, semblait, il faut en convenir, engager la

lutte sur un terrain brulant. Au surplus, M. de Manteuffel

n'avait pas fait la situation : il en heritait. Un moment

ebrante devant le parlement qu'il fut oblige de proroger, il

reprit bientot une influence preponderate, particulierement sur l'esprit du roi. Nous avons vu qu'elle fut plus puissante

que le prince de Prusse; nous avons vu de meme ou elle avait conduit le pays, au moment ou M. de Manteuffel se

rendait au congres de Paris. Aussi, ses actes etaient-ils tres-

diversement apprectes dans une cour qui etonne par son

franc-parler. Les uns, avec le parti gouvernemental ou bu-

reaucratique, preconisaient en lui le ministre de la paix, l'homme qui, par'son incontestable savoir-faire, avait su

traverser, sans complications serieuses, une periode pleine de dangers etde perils. Les autres, avec le comte de Schwerin,

qui avait remplace M. de Vincke a la tete du parti constitu-

tionnel, s'eievaient energiquement contre un systeme de

transactions et de demi-mesures qui pouvait assurer le pre¬

sent, mais qui reduisait la Prusse au rdle d'une puissance de

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78 H1ST01RE D'UNE ANNEXION.

deuxieme ordre. D'autres enfin, avecM. de Gerlach et, en ge¬ neral, tout ce qui tenait a la cour, lui reprochaient une tac-

tique dont, a les entendre, il se departissait rarement. Elle consistait a epouser sans reserve, du moins en apparence, toutes les idees qui passionnaientle roi son maitre, pour le ra- mener insensiblement, au moyen d'obstacles habilement sus-

cites, a la solution qui repondait le mieuxa sesvues.Tel etait,

pretendaient-ils, le secret de sa faveur; telle etait aussi la

clef de ces incertitudes, de ces oscillations, de ce melange de force et de faiblesse, de hardiesses et de timidites, dont la po¬

litique prussienne n'a pas toujours ete exempte, avant et

apres l'epoqueou nous sommes arrives. M. le baron de Man¬

teuffel n'est plus aupouvoir, et je ne choisirai pas ce moment

pour me faire ltecho de ses adversaires. Peut-6tre des luttes

d'influence lui rendaient-elles ces habitetes necessaires. Je

crois d'ailleurs que peu de ministres se sont trouves dans

des circonstances plus difficiles; il est juste de lui en tenir

compte. Ce qui parait certain, toutefois, c'est que si ce diplo- mate n'a pas puissamment contribue a l'affaiblissement de la

maison de Hohenzollern, il n'a rien fait pour l'en faire sor-

tir. L'ecole de M. de Radowitz augurait trop peut-etre de la

puissance materielle de la Prusse : M. de Manteuffel n'y

croyait pas assez. Je n'invente pas; je pourrais titer au be-

soin. II possedait au plus haut degre l'experience de l'admi-

nistrateur, l'intelligence de l'homme d'Llat, la finesse du ne¬

gotiates ; il lui manquait la foi dans l'avenir de son pays. Ses doutes reagissaient sur sa politique, et sa politique

reagissait a son tour sur les destinees de la monarchie. On

peut dire que M. de Manteuffel n'a cesse de tourner dans ce

cercle vicienx, en depensant, pour transiger avec les evene-

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 79

ments, dix fois plus de ressources et de talent qu'il ne lui en

aurait fallu pour les dominer.

Avant de soulever officiellement la question de Neuchatel, le premier ptenipotentiaire de la Prusse crut devoir sonder

les dispositions de ses coltegues. II vit entre autres lord Cla¬

rendon, chez lequel le charge d'affaires dela Confederation suisse le suivit de fort pres. Voici ce qutecrivait M. Barman

au sujet de cette visite :

a Paris, 4 avril 1856.

« Pressentant que, des la conclusion de la paix, M. le baron « de Manteuffel chercherait k donner suite au protocole de « Londres, du 24 mai 1852, j'ai redouble de vigilance. Hier,

«je me suis rendu chez lord Clarendon, soit pour prendre « les informations que j'attendais de son obligeance, soit

« pour soumettre quelques explications a Sa Seigneurie.... « Lord Clarendon me repondit que des son entree au minis-

« tere, M. de Bunsen ayant, au nom du roi, insiste pour que « la question de Neuchatel fut reprise, il lui avait dit qu'il * allait l'etudier; que d'apres les informations venues plus « tard de Suisse, il s'etait convaincu que le peuple neuchate- « lois etait satisfait de sa nouvelle position, et que la Confe- « deration la defendrait, les armes k la main; qu'il s'etait <t empresse de porter ces renseignements a la connaissance <t de M. de Bunsen, en lui declarant que le moment d'enga- <t ger la discussion lui paraissait d'autant moins favorable, que « le roin'indiquait aucune proposition a soumettre a la con- « f6rence.

« Lord Clarendon n'entendit plus parler de cette affaire

«jusqu'amercredi dernier, ou M. de Manteuffel allale prier,

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80 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

« au nom du roi, de realiser les promesses faites par le pro- « tocole du 24 mai 1852. La revolution de Neuchatel, dit en- « tre autres choses M. de Manteuffel, s'est operee par les « etrangers; toutes les families honorables du pays s'y sont « opposees; elles demeurent fideies au roi, et insistent pour « qu'il retablisse l'ancien ordre de choses.

« Lord Clarendon lui repondit qu'il avait perdu de vue « cette question, mais qu'il etait persuade que le gouverne- « ment s'etait fortifte, et que l'ancien avait perdu des parti- « sans; que telle devait etre la consequence naturelle des « choses; que toutes les sympathies de la Suisse etant acquises « a Neuchatel, elle se teverait comme un seul homme pour « defendre son independance; qu'il serait imprudent de pra¬ te voquer un tel resultat, et que si le roi de Prusse desirait « ouvrir des negotiations, il devait les faire preceder par de « l'artillerie.

« M. de Manteuffel insista peu et ne se montra pas trop « ntecontent de la reponse

« Lord Clarendon ne me dissimula pas d'ailleurs que l'at- « titude prise par la Prusse, pendant la guerre, n'engageait « guere a lui venir en aide.

« II est possible que malgre Finsucces de cette premiere * tentative, M. de Manteuffel ne soit pas decourage. Dans « cette prevision, je profiterai de la premiere occasion favo- « rable pour en entretenir M. le comte WalewskiJ. »

M. Barman n'en eut pas le temps, car, le jour meme ou il ecrivait a Berne, le premier ptenipotentiaire de la Prusse

1. Des nigociations diplomatiques relatives a Neuchdtel.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 81

introduisait sa demande officielle devant le Congres. Cette

seance du 4 avril est restee cetebre. On n'a pas oublte les

questions brulantes qui y furent effleurees par M. le comte

Walewski, et celle, non moins importante du droit maritime

en temps de guerre, qui y fut discutee pour la premiere fois

avant d'etre formutee dans la declaration du 14 avril. Repon- dant au premier ptenipotentiaire de la France, M. de Man¬

teuffel n'hesita pas a declarer que les principes maritimes

•que le Congres etait invite a s'approprier avaient toujours ete professes par la Prusse, et que, bien que depourvu d'in-

structions, il se croyait autorise a prendre part a tout acte

qui aurait pour objet de les faire admettre definitivement

dans le droit public europeen. Sans meconnaitre la haute

importance des autres questions dont le Congres venait d'etre

saisi, il ajouta qu'il en etait une autre d'un interet majeur

pour sa cour et pour les cabinets monarchiques; il voulait

parler de celle de Neuchatel. Cette principaute etait peut-etre le seul point en Europe ou, contrairement aux traites et a ce qui avait ete formellement reconnu par toutes les grandes

puissances, dominait un pouvoir revolutionnaire qui ntecon- naissait les droits du souverain. D£s lors, il se croyait en droit d'insister pour que la question fut au nombre de celles

qui devraient etre examinees.

A part la declaration de principes relative au droit des

neutres, qui sera l'eternel honneur du Congres de Paris et de la France qui en a pris Finitiative, les ouvertures du comte Walewski ne furent accueillies qu'avec une certaine reserve par la plupart des membres du Congres. Celles de M. de Manteuffel ne parurcnt pas susceptibles d'etre prises en consideration. Le protocole de la seance du 4 avril ne

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82 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

mentionne meme pas l'opinion des ptenipotentiaires. Je

crois cependant savoir, s'il faut ajouter foi a des paroles tombees d'assez haut, dans une circonstance que je pourrais

pretiser, que lord Clarendon fut extremement vif et M. de

Buol peu encourageant. Le comte Orloff et le comte Walewski

ne dirent rien ou presque rien. Diverses causes y contri-

buerent. J'aurai plus tard k les examiner en detail quand je

m'occuperai des negotiations de la fin de cette annee et des

premiers mois de 1857. Mais c'etait surtout le resultat del'i-

solement de la Prusse. Elle avait dechu de tout ce qui avait

grandi la France, l'Angleterre, la Russie et 1'Autriche elle-

nteme. On ne comptait plus avec elte. Le systeme de M. de

Manteuffel consistait k en prendre son parti et a agir en con¬

sequence. Or, pouvait-on dire que ce systeme fut aussi con-

forme aux legitimes aspirations du peuple prussien qu'a l'excessive prudence du president du conseil? Etait-ce bien

ia le role de la dynastie de Hohenzollern? Fallait-il croire, avec un professeur de/Berlin, que Frederic II avait ete son

mauvais genie en l'obligeant k prendre place parmi les gran- des puissances? Comme la Suede, apres Gustave-Adolphe, ne devait-elle sa position en Europe qu'a l'impulsion mo-

mentanee d'un genie extraordinaire On ne me bMrnera pas au deia de l'Elbe sije ne partage pas cette opinion. De 1848 a

1850, elle n'avait fait que des bonds en avant; de 1850 a 1856, elte n'avait fait que des pas en arrtere. Le jeu regulier de

sa politique excluaitles tenterites de la veille, aussi bien que les defaillances du lendemain, et M. de Manteuffel eut egale- ment satisfait k toutes les difficultes de sa tache, si, place entre ces deux ecueils, il eut su les eviter tous les deux.

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Page 86: Histoire d'une annexion

VI

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Page 88: Histoire d'une annexion

VI

L'insucces des demarches de M. de Manteuffel ne tarda

pas a etre connu a Neuchatel. On en conclut sans hesiter que le moment etait venu d'agir, ou jamais. La diplomatie'ne voulait pas s'occuper de Neuchatel, il fallait que Neuchatel

occupat la diplomatie. II le fallait d'autant plus que depuis

quelques annees la situation tendait k se modifier. C'etait la

force des choses, comme le disait lord Clarendon; mais c'etait

surtout la consequence de ce systeme cosmopolite qui faisait

du Neuchatelois un etranger dans son pays.Tandis que le re¬

gime republicain se fortifiait tout a la fois, et par sa propre duree et par les recrues que lui envoyait la Suisse radicate,

1'opinion royaliste devait necessairement s'affaiblir. II s'etait

forme un tiers parti qui desesperant d'une restauration si

souvent promise et si inutilement attendue, se flattait de

ramener la republique neuchateloise dans les voiesdelamo-

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Page 89: Histoire d'une annexion

86 H1ST0IRE D'UNE ANNEXION.

deration. Ce parti etait peu nombreux, peu influent; mais

enfin, il existait, et, plus on prolongeait le statu quo, plus on

pouvait s'attendre a ce qu'il s'enrichit aux depens du roya- lisme militant. D'un autre c6te, on touchait a l'epoque du renouvellement de la Constitution, renouvellement qui de¬ vait avoir lieu le 30 avril 1857, et il fallait que d'ici la la question fut detidement tranchee. Ou l'autorite du roi serait retablie a Neuchatel, ou Neuchatel serait detidement abandonne. Si Ton devait passer par cette penible extremite, au moins importait-il que les royalistes qui, jusque-ia, s'etaient abstenus de voter, pussent se considerer comme libres d'eux-mSmes, quand les institutions du pays seraient de nouveau discutees. II n'y avait done pas un moment k

perdre. Telle etait Fopinion de M. de Wesdehlen; tel etait aussi le cri de la montagne ou la foi monarchique n'avait rien perdu de sa force. Depuis huit ans, on y sollicitait un

signal.

Appete a Berlin pour des affaires de famille, M. de Wes¬ dehlen profita de ce voyage pour y sonder le terrain. II n'eut

pas besoin de beaucoup d'efforts pour faire agreer ses vues, car diverses personnes prirent vis-a-vis de lui l'initiative a cet egard. De ses entretiens avec des personnages influents, soit par eux memes, soit par leurs relations, il resulta pour lui la conviction qu'un mouvement royaliste serait vu avec

plaisir. II se convainquit en outre que si ce mouvement avait

lieu, il pourrait compter sur quelque appui. M. de Wesdehlen se hata d'ecrire a M. Ibbetson, k Londres,

en l'engageant a se tenir pret. II s'entendit de meme avec

M. de Geiieu, officier aux gardes, qui devait etre de la prise d'armes. Toutes ses dispositions terminees,M. de Wesdehlen

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Page 90: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 87

se rendit directement a la Mettlen, pres de Berne, chez le

comte de Pourtates.

M. de Pourtales n'est pas de ces hommes qui changent;

ses sentiments restaient les memes, mais la longue inaction

du gouvernement prussien, la marche generate de sa poli¬

tique, lui 6tait tout espoir d'un concours ferme et energique. M. de Wesdehlen ne pouvant d'ailleurs lui donner l'assu-

rance positive que le roi fut instruit du projet et qu'il l'ap-

prouvat, M. de Pourtates resta persuade que toute prise

d'armes, fut-elle couronnee de succes, aboutirait infaillible-

ment, d'abord a une occupation federate, et finalement k

Fabandon de la Prusse.

Le refus de M. de Pourtates mettait tout en question. II

impliquait celui de beaucoup de royalistes influents; il pri- vait le mouvement d'un chef populaire. M. de Wesdehlen

etait loin de se le dissimuler, et il en instruisit de suite ceux

de ses coreligionnaires politiques qui exergaient le plus d'influence dans la montagne. II fut decide que Fun de ces

derniers, M. Humbert, essayerait de vaincre les irresolutions

de M. de Pourtates. Dans tous les cas, le mouvement aurait

lieu. M. Humbert se mit en route sans perdre un instant

et arriva a la Mettlen, le 20 aout au matin.

II trouva M. de Pourtates dans un tres-grand embarras.

En acceptant le commandement, il acceptait la responsabilite d'une entreprise qu'il ne croyait pas possible; en refusant

d'y prendre part, il la rendait plus impossible encore. Ce-

pendant telle etait la force de ses convictions que les in¬

stances de M. Humbert ne purent d'abord l'ebranler. a Faites, « lui repondit-il, j'ai toute confiance en Wesdehlen; on lui a <t certainement fait des ouvertures a Berlin, et je suis con-

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Page 91: Histoire d'une annexion

88 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

« vaincu qu'il nous les a fideiement rapportees; je sais aussi « qu'on ne peut pas avoir un ordre du roi; mais, me mettre « a votre tete, jamais! Ma conscience me le defend. Pour « moi, qu'ai-je a craindre? L'exil? Je me suis exite moi- « m6me. Uneballe? J'ai assez joui de la vie. Je crains pour <t vous, pour vos families, pour mon pays. »

M. de Pourtates etait fort emu. II sortit, priant M. Hum¬ bert de l'attendre un moment.

« Ecoutez, lui dit-il en rentrant; je vais alter a Berlin; j'ai « ay voir quelqu'un. Quand j'aurai consulte cette personne « — et il la designa — je vous ferai savoir ma reponse defi- « nitive. » II ajouta que, sans vouloir donner aucun avis, il pensait cependant qu'on ferait bien d'attendre son retour.

M. de Pourtates partit effectivement le lendemain soir, 21 aout. A Bale, il fut rejoint par M. Humbert. Ce dernier,

apres avoir prevenu ses amis du resultat de sa mission, ve- nait l'informer en toute hate qu'on differerait probablement, mais qu'on le priait de faire connaitre sa decision, par le

tetegraphe, et en termes convenus, pour le 24 au plus tard. Trois jours se passferent dans une attente facile a com-

prendre. Le sang allait couler : si convaincus que fussent les hommes energiques qui faisaient a un principe le sacrifice de leur vie, si decides qu'ils fussent a ne pas reculer, l'en-

treprise etait bien hardie, et ils devaient tenir a en partager la responsabilite. Enfin, le 24 au soir, M. de Geiieu regut par le tetegraphe Fordre d'alter attendre le colonel de Pour- tates a Bale. Aussitdt arrive, le colonel le renvoya k Neucha¬ tel avec des ordres pour le lieutenant-colonel de Meuron, et l'avis que le mouvement eclaterait dans la nuit du 28 au 29. Le 27 au matin, M. Humbert regut de M. de Pourtates une

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 89

lettre datee de la Borcarderie. « Ma mission, disaitle colonel, « a reussi au dela de mes esperances; c'est maintenant avec « joie que je viens me mettre k votre tete. Je monterai dans « la nuit prochaine chez notre ami le capitaine Fabry, et la, a nous prendrons ensemble nos derniers arrangements. » Je

cite textuellement.

Les details qui precedent sont extraits, en partie du moins, de la brochure anonyme dont j'ai parte, et l'auteur, ne vou-

lant rien dire qui ne fut deja acquis a la publicite, les a

extraits lui-meme d'une notice manuscrite de M. Humbert.

J'ai cette notice sous les yeux. Elle a ete redigee a Berlin et

porte la date du 20 avril 1857. Bien connue de toutes les

personnes qui ont suivi de pres cette affaire, elle n'a ete l'ob-

jet d'aucun dementi. On peut done considerer les faits

qu'elle relate comme detidement acquis k l'histoire.

Maintenant, que s'etait-il passe dansl'intervalle?Est-ilvrai

que M. de Pourtates eut eu deux audiences du personnage le plus considerable, sinon alors le plus influent, de la cour

de Berlin, et que, dans la seconde, il lui eut ete repondu : <t Le roi est instruit de tout. Si vous reussissez, il saura a « quoi l'oblige l'honneur de sa couronne? » Est-il vrai que M. le baron d'Arnim eut dit au colonel, comme il le repeta d'ailleurs a M. de Geiieu, fort peu de jours apres: « Faites du « bruit, beaucoup de bruit; on vous soutiendra? » Qu'a la

suite d'une conference avec M. de Pourtates.M. de Manteuffel eut arrete son choix sur M. de Savigny, ministre de Prusse

a Carlsruhe, pour remplir une mission extraordinaire au-

pres du conseil federal, M. de Sydow, qui representait en

Suisse le cabinet de Berlin, devant partir pour Neuchatel a

la premiere nouvelle de la prise du chateau Que, prevenu

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90 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

par le president du conseil, ce jeune diplomate attendit le colonel a la gare de Garlsruhe, le 24, a son retour et, qu'e- tant montes ensemble dans un wagon reserve, ils se fussent

longuement entretenus des eventualites qui allaient surgir? Que les legations prussiennes de Paris et de Londres, on dit meme de Vienne et de Saint-Petersbourg, eussent ete confi- dentiellement informees Sur lout cela M. de .Pourtates a constamment garde le plus profond silence, et, quoique ces bruits aient ete repandus a Berlin, dans les cercles les mieux

renseignes, il ne m'appartient pas de les garantir. Je dirai

seulement qu'ils ne paraissent pas en desaccord avec les faits

tres-authentiques que j'ai consigns plus haut et qu'il est

permis de leur attribuer quelque fondement sans jeter le

moindre blame sur le gouvernement du roi Frederic-Guil¬

laume. Rien n'etait, a coup sur, plus naturel et, du moment ou l'on etait decide a remettre sur le tapis cette interminable

question de Neuchatel, on ne pouvait prendre trop serieuse- ment ses mesures.

Le cadre de ce retit ne me permet pas d'entrer dans le

retit des incidents divers qui signaterent la prise d'armes, fixee d'abord au 29 aout, comme on l'a vu, puis difleree

jusqu'au 3 septembre. D'autres ont dit comment, en une

seule nuit, il se trouva douze cents hornmes assez resolus

pour se jeter au premier signal, sur un simple avis transmis

de maison en maison, dans la plus hasardeuse des expedi¬ tions. La plupart ne furent prevenus qu'au dernier moment, et il y eut chez eux moins d'hesitation que de surprise. II y avait si longtemps qu'ils attendaient! Ils embrasserent leurs

femmes, prirent leurs fusils et partirent. Parmi les autres, le secret fut si bien garde que les membres du gouvernement

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 91

republicain n'apprirent le soutevement qu'en se voyant arrfi-

tes. Je laisse a l'auteur de la brochure anonyme le soin de

raconter, avec toute l'autorite d'un temoin oculaire, les mou-

vements militaires de la colonne commandee par M. de Pour-

tates, qui opera dans la montagne, et du petit corps com-

mande par le lieutenant-colonel de Meuron, qui devait agir dans laplaine; la prise du chateau de Neuchatel; l'arrivee

des commissaires federaux; les pourparlers qui s'en sui-

virent et qui allaient aboutir a une capitulation, lorsqu'ils furent rompus quelques heures apres, sous les yeux memes

des commissaires, par les republicans du colonel Denzler; les scenes sanglantes qui signaterent cette triste victoire; et tant d'autres details qu'on ne lira pas sans le plus vif in-

teret1. Personnellement, je dois me borner a une observation

essentielle.

On s'est generalement etonne du peu de resistance des

royalistes qui capituterent a la premiere sommation des

commissaires tederaux, quoiqu'ils eussent du canon, des

cartouches, et qu'ils occupassent avec douze cents hommes

determines une position relativement forte. Rien n'etait ce-

pendant plus simple. II fallait que le Cabinet de Berlin put dire a 1'Europe : Le mouvement a echoue, c'est vrai; mais

on a pose les armes devant la menace d'une occupation fe¬

derate; on ne les a pas posees sous le coup d'une reaction

locale. Aussi la Confederation fit-elle une faute grave en en-

voyant a Neuchatel MM. Fornerod et Frei-Herosee. M. de

Pourtates n'eut garde de laisser echapper l'occasion. Et tout

le lui conseillait, car, oblige de se replier sur Neuchatel

1. Rdcit des ivinements de septembre.

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92 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

apres avoir echouedans sa tentative sur la Chauxde Fonds, il ne pouvait se dissimuler que la position ne fut tres-com-

promise. Les commissaires comprirent-ils que la question etait mai

engagee; qu'ainsi posee, elle servait merveilleusement les

projets des royalistes et qu'il fallait a tout prix une victoire de leurs adversaires Ceci expliquerait bien des choses; et la longueur des pourparlers qui durerent toute la nuit pen¬ dant que le colonel Denzler marchait rapidement sur Neu¬

chatel, et leur rupture inexplicable aussitot qu'il fut arrive. Bien qu'on ait affirme le fait, je n'irai cerlainement pas aussi loin. M. Fornerod a ete depuis president de la Confederation; il a contribue, plus efficacement que ses predecesseurs, a

l'aplanissement du differend prusso-suisse; je le crois fer-

mement, ainsi que son coltegue, incapable d'un guet-apens. Seulement il me sera permis de dire combien il eut ete desi¬

rable, pour l'honneur de la Suisse dont ils etaient les repre- sentants, qu'ils eussent apporte d'autant plus de soin a

prevenir les tristes incidents de cette journee, que ces inci¬ dents semblaient mieux servir les interets du regime repu- blicain.

En effet, la presse suisse tout entiere ne manqua pas de

s'en prevaloir. On garda le silence sur les negotiations de la

nuit, et l'on ne parla que de 1'eian patriotique des populations neuchateloises. Jetrouve meme lereflet de cette opinion dans

un recueilimportant, qui passe ajuste titrepour bienrenseigne et dont la moderation n'est mise en doute par personne1. C'est

une de ces inexactitudes qu'il est difficile d'eviter quand on ecrit

1. Annuaire de la Revue des Denx-Mondes. 1856-1857. Suisse.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 93

aulendemain des evenements. Certes, je suis loin d'affirmer

que le mouvement eut par lui-meme des chances nombreu-

ses*desucces. Mais, qu'en conclure, sinon que la Confedera¬

tion se pressa beaucoup, comme je ledisais tout a l'heure, et

qu'elle eut ete plus habile en laissant faire au lieu d'agir? II

n'en est pas moins vrai que les bases d'une capitulation avaient ete arretees; qu'elle stipulait le licenciement des vo-

lontaires royalistes et leur libre retour dans leurs foyers;

qu'elle s'executait lorsque ces derniers furent assaillis et qu'il ne fallait ni beaucoup de patriotisme ni beaucoup d'eian pour venir about de gens desarntes. Si victoireily avait, c'etait

au moins une facile victoire. On pouvait s'en prevaloir devant

un public mai renseigne; devant l'impartiale histoire, il

semble moins aise de la justifier. Ainsi furent arretes 530 des defenseurs du chateau. Un

grand nombre ne tarderent pas k etre reiacltes. II en resta60

environ, contre lesquels un arrete du conseil federal decreta

qu'il y avait lieu d'instruire juridiquement. L'instruction

commenga aussit6t.

La premiere penseedu cabinet de Berlin avait ete dtecar-

ter l'intervention federate en vue de constater que l'insur-

rection, si elle parvenait a se maintenir quelques jours seu-

lement, etait reellement le fait du peuple neuchatelois laisse

a lui-meme. Tel devait etre, parait-il, l'objet de la mission

conftee d'avance k M. de Savigny. Ce diplomate arriva effec- tivement k Berne, mais pour y apprendre ltechec complet de

M. de Pourtates et repartir presque aussitot. Quelles que fus¬ sent les circonstances, qui laissaient peu de gloire a la ma¬

nifestation republicaine, cette manifestation s'etait faite. Des lors l'afl'aire changeait de face, et la Prusse se retrouvait de-

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94 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

vant les cabinets sans autre avantage que celui d'avoir leve

l'espece de prescription qui pesait sur la question de Neu¬ chatel.

L'Empereur etait alors k Biarritz. M. de Hatzfeld s'y rendit

peu de jours apr&s. II etait charge de lui remettre une lettre

autographe du roi son maitre, qui redamait avec instance les bons offices de la France pour la mise en liberie des

prisonniers.

L'appel direct du roi Frederic-Guillaume plagait le cabinet des Tuileries dans une position assez difficile. D'un cdte, c'etait une reconnaissance formelle de sa suprematie, et cette recon¬ naissance n'etait pas sans quelque valeur de la part d'une

puissance qui, plus que beaucoup d'autres, avait tergiverse dans la question d'Orient. Les hommes qu'on recommandait a la sollicitude de l'Empereur ne pouvaient passer pour des

insurges ordinaires; ils appartenaient aux premieres families de Neuchatel; ils avaient pris les armes en faveur d'une cause reconnue par les traites et contre un ordre de choses dont la France avait aussi a se plaindre. Le droit etait pour eux

autant que l'interet evident de l'Europe monarchique. D'un

autre c6te, outre que le difterend qui venait de surgir pouvait remettre en question le principe m6me de la nouvelle consti¬ tution federate, il fallait s'attendre a rencontrer a Londres de

tres-fortes et de tres-nombreuses objections. Nous savons

quelle etait en Suisse la politique de la Grande-Bretagne, et on devait compter d'autant moins sur son bon vouloir qu'elle cachait moins sa mauvaise humeur depuis la cteture du

Congres. Parce qu'elle avait ete trop tard en mesure de bien faire la guerre, elte trouvait que la paix venait trop tot. De la

l'aigreur qu'elle montrait a la meme epoque, dans la discus-

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 95

sion d'ailleurs tres-secondaire, des deux affaires de Bolgrad et de File des Serpents.

Une seconde lettre du roi, apportee de Berlin, a peu d'in-

tervalle de la premiere, par un courrier d'ambassade en

grand uniforme prussien, vint faciliter la tache de la puis¬ sance mediatrice.

Cette lettre etait pressante, mais elte laissait clairement

entrevoir, de la part de Frederic-Guillaume, l'intention de

renoncer, sous certaines conditions, aux droits qu'il tenait

destraitesde 1815 et du protocole de Londres, moyennantla liberation prealable, et sans condition, des detenus.

Au lendemain de la prise d'armes,-la Prusse faisait done

deja un pas en arrtere, pas decisif, car jamais, que je sache, dans les negotiations precedentes, la possibilite d'un abandon

n'avait ete admise par sa diplomatie. Que devenaient les es-

perances qu'on avait fait nattre, ou, tout au moins, si peu de-

couragees? Instruments aveugles des secretes combinaisons

de la Prusse, les royalistes n'avaient-ils servi qu'a raviver une

question trop longtemps pendante, que le temps menagait de

prescrire et qu'on se proposait de trancher bien ou mai, mais

surtout de trancher le plus promptement possible? On se

tromperait beaucoup si l'on croyait que tels fussent les senti¬

ments du roi. Le roi voulait sincerement la restauration de

Neuchatel: il en faisait une question de conscience; malheu-

reusement il la voulait seul, ou a peu pres, et l'etat de sa sante ne lui permettait pas de la vouloir energiquement.

Travailleur a l'extreme, aussi instruit qu'aucun des princes de son temps, ami des arts, artiste lui-meme, joignanta une

bonte toute paternelle, qui n'excluait pas des mouvements

d'une excessive vivacite, la spirituelle finesse des souverains

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96 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

de sa maison, Frederic-Guillaume souffrait plus cruellement

que jamais de la maladie dont il avait contracte le germe en 1848. Ses lapsus memorise etaient frequents; il oubliait le soir ce qu'il avait dit le matin.

La reine veillait sur lui avec une sollicitude admirable. Noble figure dont letriste sourire disait assez ce qu'elle avait souffert! C'etait elle qui, dans les habitudes ordinaires de la

vie, venait au secours de sa memoire chancelante. Elle y mettait un tact, une presence d'esprit, une deiicatesse vrai-

ment touchante. Mais son action etait necessairement limitee, et, dans la sphere gouvernementale, des influences opposees

pesaient tour a tour sur les decisions du roi. II ne pouvait en

etre autrement. Frederic-Guillaume cedait a l'une pour ceder bientot a l'autre, sans que ses souvenirs fussent toujours assez presents pour lui laisser la conscience de ses propres oscillations. On congoit ce qu'il devait en resulter d'incerti- tude dans la marche des affaires et de tiraillements dans la

politique de son cabinet.

L'aratee n'eut pas mieux demande que d'aller chercher le

bapteme du feu dans une guerre contre la Suisse radicate. Un des premiers, le general de Grceben, avait dit au roi: « Si le

mot d'ordre est parti d'ici, il faut marcher.»II y avait a Berlin des families considerables, comme les Dohna et les Zastrow,

qui soutenaient energiquement le principe d'une restauration. Mme la comtesse Dohna, surtout, mit au service des Neucha¬ telois tout ce que sa naissance', sa haute position lui donnait

de credit aupres du roi, et sa mort recente leur laissera

1. Mme la comtesse Dohna etait sceur de Mme la comtesse de Wesdehlen. Elle avait epouse le feld-marechal de Dohna, 1'un des plus beaux noms de la Prusse et l'une de ses plus pures reputations militaires.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 97

d'ineffagables regrets. Aussi superieure par l'esprit que par le

coeur, elle fut la derniere k desesperer. C'est elle qui faisait

dire au prince Frederic : « Ici, toutle monde se ntele de tout, <t meme les femmes.» Les sympathies etaient-elles aussi vives

parmi les hommes d'Etat de la Prusse? La verite m'oblige a

reconnaitre qu'ils se plagaient k un point de vue tout diffe¬ rent et qu'ils justifiaient leur mantere de voir par des motifs tres-serieux. A leur sens, la principaute de Neuchatel n'avait

jamais ete qu'un embarras pour la Prusse. Bien loin de ris-

quer une guerre europeenne, que l'attitude de certains cabi¬ nets laissait clairement pressentir et au bout de laquelle il n'y avait en definitive qu'une satisfaction morale, personnelle au

souverain, il fallait profiter de l'occasion pour en finir aux conditions les moins inacceptables. La plupart le disaient

tres-haut, comme on disait beaucoup de choses a Berlin;

d'autres, sans s'exprimer peut-etre d'une maniere aussi ca-

tegorique, ne negligeaient aucune circonstance pour amener le roi a l'idee d'une renonciation. Parmi ces derniers, on

citait a la cour tel membre du cabinet qui, peu de jours au-

paravant, s'etait chaudement prononce en faveur de la prise d'armes. II faut respecter toutes les convictions, si brusque- ment qu'elles paraissent se modifier, et croire fermement

qu'avant comme apres il s'inspirait des seuls intents de son

pays. Les amis des detenus favoriserent sans le savoir les vues

du parti de la paix, en depeignant au roi, sous les plus vives

couleurs, leurs souffrances et leurs dangers. En fait, bien que M. de Pourtates fut oblige de cirer lui-m6me ses bottes et qu'une dame de Berlin ecrivit en Suisse : « Ne les tuez pas, mais tourmentez-les bien, car nous les execrons (verab-

7

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98 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

scheuen)», la position des prisonniers n'etait pas intolerable. On voulait seulement amener le roi a des mesures energi-

ques. Ge fut le contraire qui arriva. Frederic-Guillaume se

crut oblige, par conscience, a reclamer avant tout l'elargisse- ment de sujets malheureux el a l'obtenir au prix meme de

ses droits. Telle fut certainementl'une des causes principales de la seconde lettre autographe dont j'ai parte plus haut.

Ainsi posee, la question changeait comptetement de carac-

tere. Ce n'etait plus une question de principe qui menagait en Suisse l'ordre de choses issu de la derniere revolution :

c'etait une question de procedure, dont la solution devait

amener, avant qu'il fut longtemps, la reconnaissance plus ou

moins explicite de ce meme ordre de choses. Le cabinet des

Tuileries s'empressa d'entrer dans la voie qu'on lui ouvrait a

l'improviste. Pour lui, c'etait le moyen de tout concilier, et

les egards qu'il voulait temoigner a la Prusse, et l'interet qui s'attachait k des hommes de coeur victimes de leur fideiite, et les menagements commandes par l'attitude de la Grande-

Bretagne; en d'autres termes, le droit de 1815 et le fait de

1848. Ici commence la periode frangaise des negotiations relatives a la cession de Neuchatel.

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VII

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VII

Le 30 septembre 1856, M. le comte de Salignac-Fenelon, ministre de France a Berne, fut charge de declarer verbal e-

ment a M. Stcempfli, president du conseil federal, qu'il avait

mission d'exprimer le vceu que les prisonniers neuchatelois

fussent eiargis. II ajoutait que si la Suisse deferait k ce vceu,

l'empereur des Frangais, anime des sentiments les plus bien- veillants envers la Confederation, se croyait en mesure de contribuer a l'heureuse solution de la question dans la con¬ ference des grandes puissances, qui etait k la veille de

s'ouvrir; qu'un refus entrainerait sans doute de serieuses

complications; que le cabinet de Berlin projetait des pr6- paralifs militaires; qu'enfin les autres puissances alle-

mandes pouvaient etre d'accord pour soutenir les pre¬ tentions de la Prusse et lui permettre le passage h travers leur territoire. M. Stcempfii r6pondit qu'il reconnaissait et

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Page 105: Histoire d'une annexion

102 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

appretiait a leur juste valeur les sentiments pleins de bien- veillance de l'empereur des Frangais envers la Suisse, qu'il etait pret a conseiller aux conseils tegislatifs une amnistie en faveur des Neuchatelois, pourvu qu'en meme temps il

put considerer comme certaine la solution de la question

principale dans le sens de l'independance de Neuchatel de tout lien etranger; que le conseil federal n'hesiterait point d'ailleurs, pour sa part, a prendre en consideration des pro¬ positions congues dans ce sens, et qu'il aurait la plus grande obligation au cabinet des Tuileries s'il voulait bien employer ses bons offices a cet effet.

La mission du general Dufour a Paris semblait d'abord de nature k exercer une heureuse influence sur la marche des

negotiations. Le general Dufour avait connu personnelle- ment l'empereur; plus que tout autre il pouvait moderer les

susceptibilites de la Suisse; plus que tout autre aussi il pou¬ vait obtenir, sinon des garanties officielles, au moins des assurances confidentielles qui fussent de nature a tranquil¬ liser le conseil federal sur la portee des concessions qu'on lui demandait.

Le general arriva a Paris te 11 novembfe. A la suite de

conferences avec te comte Walewski et avec l'Empereur lui-

meme, il fut convenu qu'une nouvelle depeche, dont la

minute lui fut soumise, ainsi qu'a M. Barman, serait adressee

au comte de Salignac-Fenelon. C'est la fameuse depeche du 26 novembre, l'expression la plus complete de la pensee du

gouvernement frangais, telle qu'il la maintint invariable- ment jusqu'au bout. II y etait dit que si les conseils de la

Suisse, usantde leur droit de souverainete, se determinaient a mettre en liberie les prisonniers neuchatelois, l'Empereur

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Page 106: Histoire d'une annexion

H1ST01RE D'UNE ANNEXION, 103

ferait de son cdte « tous ses efforts pour amener, sur la ques¬

tion de Neuchatel, un arrangement qui aurait pour effet la

renonciation du roi de Prusse aux droits qui lui etaient at-

tribues par les traites sur cette principaute. »

La dep6che se terminait par l'observation qu'il serait su-

perflu d'examiner certains points de detail, attendu que ces

points seraient facilement eiucides dans la negotiation k

laquelle un representant de la Suisse prendrait necessai-

rement part, et qu'il serait aise alors d'en 'concilier la solu¬

tion avec les veritables interets des parties. La France promettait done, sans aucune restriction, tous

ses efforts pour procurer, en echange de l'amnistie, l'aban-

don des droits de la Prusse, et elle le disait dans les ter-

mes les plus tranquillisants pour la Suisse. Elle donnait

clairement a entendre que, pour les points de detail, qui

preoccupaient visiblement le conseil federal, on lui laisserait

a peu pres carte blanche. Tel semblait etre, en effet, te pro-

jet arrete du cabinet des Tuileries, et nous en verrons la

preuve lorsque nous entrerons dans la seconde phase des

negotiations. Alter plus loin, d'apres l'opinion de M. le comte

Walewski, eut ete depasserlebut, en blessant inutilement le

roi de Prusse. Mais les assurances verbales les plus nettes, les plus categoriques, les plus franches, suppieerent k ce que la depeche ne pouvait enoncer '.

Neanmoins te conseil federal ne les jugea pas suffisantes.

Ce refus etait certainement impolitique, puisqu'il devait

necessairement indisposer la France, et que te bon vouloir

de cette puissance ressortait de la fagon la plus evidente

1. Berman. Des negotiations diplomatiques relatives A Neuchdtel.

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104 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

de toutes les explications echangees. II ne sera pas sans interet d'en analyser les causes. Au nombre des principa- les, je mentionnerai d'abord les tendances personnelles de M. Stcempfli.

Comme la plupart des hommes politiques, meme de ceux

qui appartenaient a la Suisse, M. Stoempfli connaissait assez mai les affaires de Neuchatel. II n'en eut une idee exacte que vers le milieu de novembre, apres une conversation qu'il est inutile de rapporter ici. Ge qu'il en apprit, du reste, n'etait

pas de nature a modifier ses vues, car il etait plus que tout autre de cette ecole americaine dont la nouvelle constitution de Neuchatel, autant que la constitution federate de 1848, resumait l'esprit et les tendances : systeme excellent pour coloniser de vastes solitudes et pour donner au nouveau monde un peuple nouveau comme lui; sans motifs avoua-

bles, dans un pays de vieilles nationalites et deja plus que peupte. L'appretiation n'est pas de moi; elle vient de tres-haut. Je me borne a attenuer les expressions. Trop dis¬

pose a s'appuyer sur ltetement revolutionnaire europeen et a puiser dans son dangereux concours les elements d'une fausse securite, M. Stoempfli dissimulait mai ses defiances et ses aspirations. Les premieres se traduisaient par cetle

phrase souvent repetee : « Nous ne cederons pas a la France; « son intervention sera nulle. » Les secondes s'etaient ma¬ nifestoes d'une mantere non equivoque dans un article de la Gazette de Berne, feuille bien connue pour etre l'organe de M. le president de la Confederation. Cet article, qui mena-

gait l'Allemagne d'une guerre de propagande, parut la veille

dujour ou M. Stcempfli repondit par une fin de non-rece- voir aux communications de la diete germanique. II fut

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Page 108: Histoire d'une annexion

I11ST0IRE D'UNE ANNEXION. 105

d'autant plus remarque. Toutes les legations le signaterent a leurs gouvernements et on y vit generalement le pro¬

gramme officiel, sinon de la totality du conseil federal, au

moins d'une notable partie de ses membres. Ge fut aussi,

parait-il, l'opinion des propres agents de la Suisse au dehors, car M. Barman nous apprend lui-meme qu'il crut devoir

exposer au pouvoir executif de la Confederation les perils de

semblables eventualites, et l'engager k plusieurs reprises, dans les termes les plus pressants, ce sont ses propres ex¬

pressions a conserver k cette affaire son caractere pure- ment national.

II est d'ailleurs hors de doute que l'assentiment moral de la

legation britannique ne laissa pas que d'exercer une assez

decisive influence sur les determinations de M. Stoempfli. M. Gordon n'etait pas personnellement hostile aux royalistes neuchatelois; c'etait un homme sage, intelligent, d'un esprit

distingue. II comprenait, beaucoup mieux qu'on ne te faisait

a Berne, tout ce qu'il y a d'honorable dans la foi monar-

chique et dans le culte d'institutions seculaires; ce sont choses

que, meme radical, un Anglais respectera toujours. Mais

l'Angleterre, je l'ai dit, boudait un peu depuis la conclusion

de la paix; abstraction faite de sa mauvaisehumeur,elle avait

en Suisse des interets tres-opposes a ceux de la France, et

l'attitude de M. Gordon s'en ressentait. II resumait lui-meme

en deux mots toute la politique de son cabinet: •< La Grande-

Bretagne envisage l'affaire de Neuchatel comme une affaire

anglaise. Elte veut conserver la liberie en Suisse, seul

point de l'Europe continentale ou elle existe encore.» J'ex-

trais ces paroles d'un document tout a fait authentique qui les rapporte comme ayant ete prononcees dans les premiers

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106 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

jours de novembre. A Paris, lord Cowley repondait au gene¬ ral Dufour qu'il ignorait enrterement les veritables disposi¬ tions de la Prusse, « et que la Suisse etait dans son droit en « refusant l'amnistie. » Au dernier moment, il disait en¬ core a M. Kern « qu'il n'avait aucun motif de croire au « succes des negotiations.» II n'en fallait pas tant pour en-

couragerles resistances du conseil federal.

Enfin, on est bien oblige de le reconnaitre, le debat, de la mantere dont il etait engage, avait en apparence quelque chose de blessant pour la Suisse. Quelle etait la pensee du cabinet des Tuileries? Fermement resolu a maintenir la

Prusse dans la voie inesperee ou elle venait d'entrer, il la

considerait comme fondee a desirer que les droits qu'elle devait abandonner fussent d'abord et prealablement reconnus.

La Suisse, au contraire, qui etait appetee a beneficier de cette

renonciation, ne pouvait tegitimement exiger a ce sujet 'des

engagements contraires a la dignite du roi. On demandait a

ce prince un sacrifice penible; au moins fallait-il que son honneur fut sauf. Ainsi raisonnait la France, et rien n'etait

plus juste vis-a-vis du conseil federal, qui oonnaissait le des-

sous des cartes; aux yeux du public, qui ne te connaissait

pas, tous les sacrifices semblaient pour la Suisse. C'est ce qui

explique comment le parti conservateur, malgre ses repu¬ gnances profondes pour le radicalisme qui stegeait a Berne, n'ltesita pas a faire cause commune avec lui.

Si le roi de Prusse abandonne k ses convictions person- nelles, eut laisse la question sur son veritable terrain, et qu'il eut dit franchement k la Suisse : « Je ne reve aucun agran- dissement de territoire; Neuchatel a ete et sera toujours independant de ma couronne; ce que je demande, c'est le

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Page 110: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 107

retour pur et simple a l'ancien ordre de choses, tel qu'il a

fonctionne pendant trente-trois ans, de 1815 k 1848; je le

demande, sauf les modifications rendues necessaires par les

exigences du nouveau pacte, parce que c'est mon droit et

parce que c'est le bien du pays; il n'y a ici ni Suisses, ni Prus-

siens; il y a d'un cote, Fordre et la justice; il y a de l'autre, le triomphe de l'insurrection et du radicalisme;» si, dis-je, te roi de Prusse eut tenu ce langage, les chefs de l'opinion conservatrice y eussent regarde k deux fois avant de se des-

siner contre ce mouvement du 3 septembre. Au lieu de cela,

par suite d'un concours de circonstances dont j'ai donne la

clef, sur lequel il n'y avait par consequent pas k revenir, mais

qui n'en etait pas moins regrettable, on exigeait la libera¬

tion, sans conditions, on blessait la Suisse, mai instruite, sans l'autoriser h rien prejuger de la solution du differend; on faisait du parti radical te parti de l'independance et de la

nationalite helvetique, et on obligeait toutes les nuances de

l'opinion a se grouper autour de lui. Aussi quand la France,

justement fatiguee des resistances de M. Stcempfli, crut de-

voirfaire entendre des paroles severes, l'effet de ces paroles fut-il precisement l'inverse de ce qu'elle attendait. Le fameux

article du Moniteur parlait des influences demagogiques qui

s'agitaient autour du conseil federal, et il avait raison; grace a la mantere dont la question etait engagee, ce fut ltetement

conservateur qui seprononga le plus energiquement peut-etre en faveur de la politique suivie par M. Stcempfli.

L'article du Moniteur est du 17 decembre. Le 20, le consei

federal appelait sous les armes deux divisions et ordonnait

la mise en disponibilite du reste de l'armee, attendu, disait

1'arrete, qu'il ressortait de divers indices que la Prusse avait

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Page 111: Histoire d'une annexion

108 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

mobilise une partie de ses troupes ou etait sur le point de les mobiliser dans Fintention non equivoque de commencer

les hostilites contre la Suisse.

II parait certain que, sous l'impression du tres-vif sentiment de contrariete qu'avait fait eprouver au cabinet des Tuileries la non-acceptation de sa note du 26 novembre, ce cabinet s'etait concerte avec celui de Berlin sur lteventualite de mesures

coercitives; mais il y avait mis, dit-on, des restrictions telles

que la marche de l'armee prussienne devait se reduire a une

simple demonstration militaire. C'est du moins ce qui a ete affirme par les gens les mieux renseignes, avec des details assez precis pour laisser peu de doutes a cet egard. M. Gordon en etait personnellement instruit, je te suppose du moins, car toutes ses communications tendaient a rassurer M. Stoempfli et a lui representer comme impossible, m6me en cas de

guerre, une action serieuse de la Prusse. Or il s'en fallait que la situation fut aussi tendue. On annongait bien a Berlin la mobilisation pour le 2 Janvier, mais les bureaux seuls s'en oc-

cupaient; tout se reduisait k des etats et a quelques marches

d'approvisionnements conditionnels; on ne deplagait pas un

homme et l'on ne depensait pas un thaler. M. de Manteuffel

etait un administrateur trop econome des finances prus- siennes; il preferait laisser la Suisse s'endetter de cinq mil¬

lions, par pure gloriole republicaine. Si done te conseil fede¬

ral ne faisait pas precisement du patriotisme a bon marche, il

en faisait au moins sans grands perils. Aux deux divisions du

Rhin,il ne manquait que des adversaires. Cecin'enteve rien,

d'ailleurs, a ce qu'il y eut de vraiment beau dans Itelan des

milices federates qui ignoraient, cela va sans dire,l'innocente comedie qui se jouait simultanement a Berne et a Berlin.

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Page 112: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 109

Par un contraste assez frappant, te meme jour, 20 de-

cembre, te conseil federal se declara pret a proposer l'annu-

lation de la procedure instruite contre les auteurs du 3 sep-

tembre, si les agents diplomatiques accredites aupres de lui

lui promettaient collectivement leurs bons offices pour

engager le roi de Prusse a un arrangement satisfaisant.

Considereeen elle-meme, cette declaration pouvait paraitre d'autant plus etrange que, bien que deguisee sous la forme

d'un simple acquiescement, elle emanait en realite de l'initia-

tive du conseil federal. Envisager comme insuffisantelapro- messe de tous les efforts d'un puissant empire, ne tenir aucun

compte des assurances les plus explicites d'un souverain aussi

ecoute dans les conseils de l'Europe, pour accepter la vague

promesse d'agents etrangers en partie hostiles k la Suisse,

c'etait, M. Barman l'a tres-bien dit, abandonner la realite

pour courir apres une ombre. Comme symptome, comme

tendance du parti de M. Fornerod ai'emporter sur les resolu¬

tions extremes de M. Stcempfli, dont la presidence expirait le lcr Janvier, la declaration du 20 decembre avait par contre

unecertaine signification-. M. Gordon, en y pretan ties mains,

s'ecartait, k son insu, sans doute, de la ligne de conduite

qu'il avait suivie jusqu'alors. Ce n'etait plus une affaire ex-

clusivement anglaise. De la a la curieuse mission deM. Kern, il n'y avait qu'un pas. II suffisait de menager plus ou moins

habilementles transitions, d'equivoquer un peu sur les mots, et de masquer assez savamment sa retraite pour retrograder, sans trop en avoir Fair, jusqu'a l'acceptation pure et simple dela note du 26 novembre.

Je laisse a M. Barman le soin de raconter quelles furent les circonstances qui dicterent te choix du savant directeur

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110 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

de l'ecole polytechnique de Zurich, et comment un mot in-

signifiant de FEmpereur, pris a tort pour une indication, de- cida le conseil federal a l'envoyer officiellement a Paris. Cela seul suffirait a prouver le revirement qui s'operait dans tes

esprits. Aux termes deses instructions, il devait insister pour obtenir, relativement a l'independance de Neuchatel, des assurances plus explicitesque celles qui etaient formutees par la note du 26 novembre; demander que les prisonniers pus- sent etre eloignes du territoire suisse, ou au moins du can¬

ton de Neuchatel, jusqu'a l'arrangement definitif; chercher a

obtenir l'assurance que la Prusse s'abstiendrait de toute de¬

monstration armee, et qu'aussit6t les detenus eiargis, au- cune mesure hostile ne serait toteree de la part de cette

puissance. II devait obtenir enfin que le gouvernement de la reine d'Angleterre souscrivit k ces divers points et joignit ses efforts k ceux de la France.

M. Kern et M. Barman furent regus au ministere des af¬ faires etrangeres, le 2 Janvier, le jour meme de leur arrivee a Paris. M. le comte Walewski leur promit de nouveau, de la maniere la plus explicite, tous les efforts de la France

pour obtenir, par la renonciation du roi de Prusse, l'indepen¬ dance pleine et enttere du canton de Neuchatel. Mais il leur declara en meme temps, d'une mantere tout aussi nette, que le gouvernement de l'Empereur entendait, en les expliquant, se renfermer purement et simplement dans les promesses deja enoncees, et nepas accorderde garanties a la Suisse. En d'autres termes, la note du 26 novembre, rien de plus, rien

de moins.

M. le comte Walewski nteleva aucune objection contre

l'eioignement momen tane des prisonn iers du lerritoire suisse;

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. Ill

il exprima la conviction que la Prusse confirmerait, sans nul

doute, les dispositions conciliantes dont l'ajournement de la

mobilisation au 15 Janvier etait le premier gage, en s'absle-

nant ulterieurement de toute pression exterieure sur les deli¬

berations de l'assembtee federate. II ajouta qu'il verrait

avec satisfaction le gouvernement britannique se joindre a

celui de l'Empereur, pour atteindrelebut si desire d'une so¬

lution pacifique. A cet effet, M. de Persigny fut charge de

stimuler, a Londres, le bon vouloir de lord Clarendon, pen¬ dant que les deux negociateurs agiraient a Paris aupr&s de

l'ambassade britannique. S'etant rendus chez lord Cowley, M. Kern et M. Barman in-

sisterent vivement sur le prix qu'on attachait en Suisse au

concours de son gouvernement. L'ambassadeur d'Angleterre persista dans son attitude passive, et dissimula meme assez

peu le depit qu'il eprouvait de la tournure de l'affaire.

M. Gordon l'avait informe, de Berne, qu'on etait resolu d'en finir a tout prix '.

Le 8 Janvier, au matin, M. Barman regut de ce diplomate une reponse ecrite aux ouvertures de la Suisse. II y etait dit

que si le conseil federal jugeait a propos de reiacher les pri- sonniers, le gouvernement de la Grande-Bretagne tenterait, de concert avec celui de l'Empereur, des demarches, dans le

but d! engager le roi de Prusse a resoudre la question neucha¬

teloise, conformement aux vceux de la Suisse, loulefois sans

garantir un succes auquel il n'avait aucun motif de croire suffl- samment. Lord Cowley ne promettait point de joindre ses ef¬ forts a ceux de la.France 2.

1. Barman, Loc. cit. 2. Barman, id.

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112 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

II y avait de quoi decourager un negociateur moins sur de son fait que ne l'elait l'envoye extraordinaire de la Confede¬ ration helvetique, mais le docteur Kern savait a quoi s'en tenir sur la pensee secrete de son gouvernement. A defaut de

l'appoint delaGrande-Brelagne, ilprit sur lui de lesupposer. Des le 6, il avait ecrit : «. La note du gouvernement fran¬

gais, qui accepte les points principaux de nos instructions, est entre nos mains. II est hors de doute que I'Angleterre se

joindra aux efforts de la France pour I'indepcndance entiere de Neuchdlel. » Au regu de la reponse de lord Cowley, il expe- diait a Berne une depeche tetegraphique ainsi congue: «Nous

sommeji en possession d'une note de I'Anglelerre qui se joint aux

efforts de la France i

On le voit, la mystification etait complete. Seulement, c'est encore M. Barman qui le dit, le mystificateur jouait un jeu sur. A Berne, on ne demandait pasmieuxque d'etre trompe; tout ce qu'on voulait, c'etait de sauver les apparences. II n'y eut de mystifte que Fopinion.

Partie le 8 au matin, la nouvelle etait connuele lendemain, non-seulement k Berne, mais dans la Suisse entiere. Elle y produisit une satisfaction presque generate. Toutes les nuan¬ ces moderees l'accueillirent comme un gage certain de la

prompte solution du difterend. II restait k convaincre le ra¬

dicalisme et particulterement certains meneurs, car la lega¬ tion anglaise ne se faisait pas faute d'insinuer assez ouverte- ment que la Prusse ne s'engageait a rien, en ietour des sa¬

crifices imposes a la Suisse. On avait d'ailleurs tellement surexcite les esprits, pendant la presidence de M. Stcempfli,

1. Barman Loc at.

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Page 116: Histoire d'une annexion

H1ST0IRE D'UNE ANNEXION. 113

qu'il fallait maintenant les calmer. M. Kern n'ltesita pas a

quitter Paris pour achever, sur les lieux, l'ceuvre qu'il avait

si bien commencee.

Une premiere scene fut prepare a Bale et executee coram

populo. Une seconde repetition eut lieu le lendemain a Berne, a l'auberge de la Cigogne, inter pocula. Lk, se trouvaient plu- sieurs deputes influents, les notabilites du radicalisme, telles

que MM. Vogt et Fazy, et un personnage dont je dois par-

ler, parce qu'il a exente une influence preponderate, quoi-

que generalement peu connue, sur les decisions de l'assem-

btee federate.

Avant de se fixer definitivement k Bale, ou il redigeait une

feuille religieuse, M. Gelzer avait professe pendant quatorze ans la litterature et l'histoire a l'universite de Berlin. C'etait

un ecrivain de beaucoup de merite et un homme d'une in¬

contestable honorabilite. Le roi l'avait personnellement ap-

pretie; il en faisait grand cas et lui temoignait une bien veil-

lance marquee. M. Gelzer resta d'abord simple spectateur des

evenements, tant que la question parut devoir s'agiter et se

resoudre dans la sphere purement diplomatique. Apres l'ar-

rete du 20 decembre, qui menagait de la transporter sur un

tout autre terrain, il crut a la guerre, comme tout le monde.

Bale, sa patrie d'adoption, devait etre exposee la premiere aux efforts de l'armee prussienne. II partit immediatement

pour Berlin. Le roi le regut en presence de M. Hoffman, le predicateur

de la cour. De plus en plus preoccupe du sort des prisonniers, dont la detention se prolongeait indefiniment, Frederic-Guil¬

laume s'exprima tres-franchement vis-a-vis de lui et ne lui

laissa aucun doute sur ses intentions pacifiques. « Faites, lui

8

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114 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

<t dit-il avec ce langage un peu mystique qui lui etait parti¬ te culier, faites qu'on reiache les detenus. Celui qui m'en ap- « portera la nouvelle sera pour moi un ange de Dieu. Alors

«j'entrerai en negotiations, et les negotiations presuppose- <> ront et auront pour but constant l'abandon de ma princi- <t paute. »

L'ouverture etait trop importante pour que M. Gelzer ne

tint pas a fixer, d'une maniere parfaitement precise, le sens

exact des paroles qu'il venait d'entendre. II en fit une. note

ecrite qu'il soumit a l'approbation du roi, puis, pour plus de

precaution, a celle de M. Hoffman, present a l'audience. Ce

dernier lui repondit: « Vous auriez pu la faire encore plus « explicite.B M. Gelzer repartit aussitdt, etil arrivait de Berlin

en meme temps que M. Kern arrivait de Paris. Certain de la

pensee de la Prusse, comme l'envoye extraordinaire etait

certain de la pensee de l'Empereur, ils devaient, k eux deux,

emporter la situation.

II y eut cependant des objections assez vives de la part de

M. Vogt. Ce dernier croyait peu a la sincerite des promesses

prussiennes. « Soit, repondit M. Hungerbuhler de Saint Gall, « mais nous croyons, nous, k l'honneur des princes et a la « loyaute d'un Gelzer. — Je vous attends a trois mois, » in-

terrompit M. Fazy. Malgre" ces velteites d'opposition, M. Gelzer

n'eut pas de peine a entrainer l'assembtee. M. Kern, de son

cote, raconta tout ce qu'il savait, en s'etendant plus qu'il n'etait peut-etre strictement necessaire, et sur certains details

destines a rester secrets, et sur les marques de faveur dont il

disait avoir ete l'objet de la part de la cour des Tuileries. Sin -

gulier spectacle que celui de cette scene de coulisse, ou, con-

trairenient a tousles usages de la diploimtie, les confidences

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 115

des souverains se repetaient de bouche en bouche autour

d'une table d'auberge! Ainsi le voulaient sans doute ies

moeurs republicaines et les imprudentes excitations de

M. Stoempfli. II fallait bien assurer te vote de l'assembtee

federate qui etait convoquee pour le 14. Mais k quoi bon les railleries de M. Kern sur les autographes du roi de Prusse,

qu'il se vantait d'avoir eus entre les mains? A quoi bon sur-

tout stecarter de la verite et faire naitre Fespoir trompeur d'une renonciation immediate et sans condition, en exagerant la portee de declarations confidentielles et en les denaturant?

C'etait alter d'un extreme a l'autre et preparer autant de de¬

ceptions qu'on avait seme de defiances.

Pendant que M. Kern et M. Gelzer agissaient individuelle- ment sur les meneurs, le message du conseil federal portait officiellement a la connaissance du pays l'importance des re- sultats acquis par son negociateur. La verite, je l'ai indique deja, c'est qu'il avait echoue sur tous les points essentiels.

Charge de demander a la France des assurances plus expli- cites que celles contenues dans la note du 26 novembre, M. Kern n'avait obtenu par te fait que la confirmation de

cette note; le concours de l'Angleterre, qui devait joindre ses

efforts a ceux de l'Empereur, se reduisait a ce que nous avons vu. Quant k l'eioignement momentane des prisonniers, il etait difficile d'y voir un succes diplomatique, car la Prusse le de- mandait elle-meme, dans l'interet de leur surete. II est vrai

que te conseil federal sut tirer fort habilement parti de cette

clause; mais de ce que l'engagement fut perfidement renipli, il ne s'ensuit pas que la France y eut sciemment prete les mains. Enfin, en ce qui touche l'assurance que la Prusse s'abstiendrait de toute demonstration hostile, M. Fornerod

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116 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

connaissait trop bien ce qui se passait a Berlin pour s'en

pr6valoir serieusement. Tout au plus etait-ce bon pour te

public. Neanmoins, grace a une phraseologie artistement combinee et a l'optimisme de fralche date qui regnait a peu

pres sans partage dans les hautes regions federates, les deux sections de l'assembtee voterent l'amnistie a la presque una- nimite. Je ne discute pas ce vote; il etait fort sage. Je pense seulement qu'il eut ete mieux encore de l'emettre au mois de

novembre, et que pour en revenir aux points obtenus par le

general Dufour, on eut pu se dispenser de faire autant de bruit.

L'arrete de l'assembtee federate etait ainsi congu : « L'assembtee federate de la Confederation suisse, a Apres avoir entendu un rapport du conseil federal sur

« l'etat actuel de la question de Neuchatel, « Exergant le droit de souverainete de la Confederation, « Arr6te : a Article 1". Le proces qui a ete entante en date du

« 4 septembre, au sujet du soutevement qui a eu lieu les a 2 et 3 septembre 1856 dans le canton de Neuchatel, est

« mis a neant. « Art. 2. Les prevenus mis en etat d'accusation par la

« chambre d'accusation, ont a quitter la Suisse jusqu'a la

« conclusion d'un accord definitif sur la question de Neu- « chatel.

« Art. 3. Cet accord definitif sera soumis a la ratification de « Fassembtee federate.

« Art. 4. Le conseil federal est charge de l'execution de cet « arrete. »

L'article 2 avait beaucoup d'importance et il faillit tout

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 117

remettre en question. Les instructions de M. Kern lui pres- crivaient de demander l'eioignement momentane des prison- niers. La France, on l'a vu, ne jugea cette demande suscep¬ tible d'aucune objection, et, en effet, la Prusse, je l'ai dit

encore, avait exprime le desir qu'ils ne fussent pas seule-

ment mis en liberie, ce qui eut ete les exposer aux mauvaises

passions locales, mais reconduits en sfjrete hors du territoire

suisse. Au moment ou nous sommes arrives, il n'y avait plus

que quatorze personnes en etat d'incarceration; les autres

prisonniers, au nombre d'une quarantaine, avaient ete suc-

cessivement reiacltes sous caution. Leur sejour dans le pays n'offrait aucun danger ni pour eux-memes ni pour la tran-

quillite du canton; ils vivaient paisiblement a Neuchatel ou

ailleurs et vaquaient a leurs affaires sans etre inqutetes de

personne. Or, en substituant au mot de « prisonniers » celui

de « prevenus, » Particle 2 de l'arrete du conseil federal at-

taquait cette derniere categorie d'individus autant que la

premiere. Ge n'etait pas seulement generaliser la mesure, c'etait la denaturer comptetement. Pour les detenus, il y avait

peut-etre avantage a echanger la prison contre l'exil. Pour les

autres, c'etait tout simplement un bannissement sans juge- ment. Afin qu'il n'y eut pas de doutes k cet egard, on leur

donna lecture des articles du Code penal relatifs a la rup¬ ture de ban. II etait difficile, on en conviendra, de faire preuve de plus d'habilete, mais aussi de repondre moins comptete- ment aux vues de la Prusse qui n'avait jamais cesse d'exiger la liberation sans conditions.

Le 17 Janvier au soir, les detenus furent extraits, dans te

plus grand secret, des prisons du chateau. On avait fait

chauffer un bateau a vapeur et dispose des troupes comme

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118 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

pour proteger leur embarquement, dans le but de donner te

change sur la direction qu'on leur faisait prendre. A onze

heures, ils partirent a pied, entoures d'une forte escorte,

pour alter gagner les voitures qui les attendaient sur la

route de France, par consequent dans la direction opposee. Ces voitures ne venaient pas de la ville, mais de l'interieur

du pays. Un peu plus loin, on les changea contre des trai-

neaux. Les prisonniers etaient conftes k la garde de trois offi- ciers de la milice, qui les remirent le 18 au matin entre les mains de M. le vicomte de Bony, sous-prefet de Farrondisse- ment de Pontarlier.

Tout pres de la, a Morteau, s'etait etablie depuis quelques semaines une petite colonie de Neuchatelois, exites volon-

taires, a la suite de l'arrete qui ordonnait la mobilisation des

troupes federates. Plutot que de prendre les armes contre la

Prusse, un millier d'individus, presque tous sans aucunes

ressources, avaient passe la frontiere, et, abandonnant leurs

families, etaient venus se refugier en France. II y avait alors a la tete du departement du Doubs un homme dont le carac-

tere, la loyaute, la droiture laisseront dans le pays d'ineffa-

gables regrets, M. le comte de Lapeyrouse de Bonfils. Ses

sympathies devaient etre acquises k de braves gens, victimes d'honorables convictions. Aussi quand, k la nouvelle de l'ar- rivee des premiers refugtes, on lui repondit de Paris par un ordre d'internement, n'hesita-t-il pas a en appeler au gou¬ vernement mieux informe. Si je suis bien renseigne, ses ef¬

forts ne furent pas inutiles. Des fonds furent meme mis a sa

disposition pour venir au secours de ceux d'entre eux dont la

position meritait le plus d'int6ret, et M. te ministre de la

guerre ecrivit dans le meme sens au general comte de Serre,

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 119

qui faisait momentanement l'interim de la division. Ges fonds

resterent d'ailleurs sans emploi, M. de Bony, dont le souvenir

ne s'est pas efface non plus dans la memoire des refugtes,

n'ayant jamais pu leur faire accepter aucun secours. Je crois

devoir signaler ce fait, qui paraitra sans doute d'autant plus

remarquable, que les neuf dixiemes au moins etaient entte-

rement depourvus de moyens d'existence, et que, sauf erreur

de ma part, ce qui m'etonnerait, le gouvernement prussien

n'avait pas pense que l'etat des negotiations lui permit de

leur venir en aide.

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VIII

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En redigeant comme nous l'avons vu la clause relative

aux prevenus, la Suisse se psoposait deux buts differents.

Elle voulait d'une part atteindre le patriciat de Neuchatel

dans chacune de ses families les plus considerables, qu'elles eussent ou non pris part au mouvement de septembre. C'est

ainsi que M. F. de Chambrier figurait parmi les bannis, bien

qu'il fut de notortete publique qu'il s'etait constamment

oppose aux projets du royalisme militant. Elle voulait de

plus des garanties contre la Prusse. Je crois en avoir assez dit

pour etablir clairement que la Suisse n'en avait pas besoin. Si

l'on tenait k en finir, comme tout semblait l'indiquer, a quoi bon ces subterfuges Le conseil federal s'etait montre peu habile dans la premiere partie des negotiations; ici il l'etait

trop; et bien loin de hater te denoiiment, peu s'en fallut qu'il ne compromit entierement le resultat des negotiations.

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124 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

Frdderic-Guillaume en effet ne pouvait apprendre avec indif¬ ference qu'on se fit une arme a deux tranchants des precau¬ tions memes qu'il avait cru devoir indiquer dans l'int6ret des royalistes neuchatelois. Non-seulement on se jouait de sa diplomatie, mais onfroissait ses sentiments les plus chers

en aggravant la position de la plupart des prevenus. II est vrai que M. Stoempfli disait a qui voulait l'entendre : « Je ne « me pardonnerai jamais de n'avoir pas empeche la mission « deKern.» Le parti qu'il dirigeait et avec lequel M.Fornerod etait bien oblige de compter, esperait-il des complications nouvelles Se flattait-il d'un refus de la Prusse qui eut ou- vert la porte aux eventualites de toutes sortes qui parais- saient effrayer si peu la Gazette de Berne Toujours est-il que l'irritation du roi fut k son comble, qu'il la temoigna de la mantere la moins equivoque, et qu'on eut pu s'attendre a une rupture, si la duree de ses impressions n'eut ete d'ha- bitude en raison inverse de leur vivacite, si surtout les in¬ fluences les plus diverses ne se fussent croisees autour de

lui.

M. Fay, ministre des Etats-Unis a Berne, partit immedia- tement pour Berlin, avec M. de Mullinen, l'une des notabi- lites du patriciat Bernois. II avait passe dix-sept ans en Prusse comme simple secretaire d'ambassade, et quoique sa

position y fut relativement modeste, il devait k un rare merite d'avoir attire de tout temps l'attention du roi et de la

reine. L'un et l'autre lui avaient conserve une extreme bien-

veillance. M. Fay rendait pleine justice a la loyaute des roya¬ listes neuchatelois, comme M. Gordon, plus que lui peul- etre; mais il passait pour professer a regard du radicalisme une indulgence d'autant plus facile a comprendre, qu'il

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 125

exergait a Berne, conjointement avec son collegue de la

Grande-Bretagne, une influence a peu pres exclusive. On ne

connait pas le resultat de sa mission. Seulement il parait certain que le roi lui temoigna beaucoup de confiance et que sans avoir obtenu, selon toute vraisemblance, des assurances

tres-positives, M. Fay put se convaincre assez facilement que la cour n'etait pas a la guerre.

M. Gelzer le suivit de pres. On se souvient de son premier

voyage a Berlin, des promesses qui lui avaient ete faites et

de la part qu'il avait prise a la liberation des prisonniers.

Quoique Particle 2 de l'arr6te de l'assembtee federate dena-

turat comptetement la question, il tenait naturellement a

d6gager sa responsabilite vis-a-vis de la Suisse. Le roi, sous

le coup de l'irritation que lui causait la mauvaise foi du

conseil federal, ne voulut pas d'abord le recevoir. M. Gelzer

insista, puis annonga son depart. Le roi alors le fit appeler. On assure que l'audience fut assez orageuse, le roi recriminant

avec une trfes-grande et tres-tegitime vivacite contre le ban-

nissement des prevenus, M. Gelzer parlant d'une « page d'histoire » ou seraient consignees les promesses de decem-

bre. Cette page d'histoire n'eut pas ete bien compromettante

pour la Prusse, mais Frederic-Guillaume ne s'en souciait

pas, et on le congoit. L'attitude recente de M. le baron de Manteuffel n'etait pas

de nature k faire cesser les embarras du roi, ni surtout a le

soutenir, et contre ses irresolutions habituelles et contre les

influences qui cherchaient a l'entrainer. « Je ne suis pas homme a sacrifier un Frederic pour un Groscheni » disait le

1. Un louispoui un sou.

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126 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

premier ministre. Ce mot, qui caracterise l'esprit pratique de M. de Manteuffel, et qui resume toute sa politique, a eie

imprime a Berlin meme. II disait encore : « Personne ici ne « se soucie de la restauration de Neuchatel. Le roi est seul « a la vouloir. II faudra bien qu'il devienne raisonnable.»

Et plus tard il ajoutait : « La guerre peut se justifier aux « yeux des Neuchatelois, meme des puissances; elle est in-

«justifiable aux yeux des dix-sept millions d'habitants qui « composent la monarchie prussienne. Aubesoin, je rappel- » lerai au roi qu'il est roi de Prusse avant d'etre prince de « Neuchatel. » Rien de plus juste assurement, de plus sense, de plus conforme aux interets positifs du cabinet de Berlin. M. de Manteuffel etait prussien, et personne ne pouvait lui en faire un reproche. Toute la question etait de savoir s'il n'eut

pas du l'etre quelques mois plus tot.

Tres-peu de gens connaissaient d'ailleurs te secret du 3 septembre, et M. de Manteuffel se sentait appuye par l'im- mense majorite de la nation. Sans doute, a Fouverture des

chambres, lorsque te roi, a propos de Neuchatel, parla de Yhonneur de sa couronne, les plus vifs applaudissements avaient repondu a son appel; c'est un mot qu'on ne pro- nonce jamais en vain devant une assembtee prussienne. Au

fond, quelle etait la veritable portee de ces acclamations On applaudissait le mot, c'est vrai; on applaudissait beau¬

coup moins l'application qui en etait faite. Que le cabinet se montrat souverainement jaloux de l'honneur de la Prusse, il ne pouvait y avoir qu'une opinion; qu'il le compromit dans une question secondaire, les deux chambres ne le vou- laient a aucun prix. Aussi au sortir meme de la seance en- tendit-on quelques-uns des deputes, dont l'assentiment avait

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HIST01RE D'UNE ANNEXION. 127

ete le plus marque, s'ecrier qu'il faudrait traduireenjugement un ministere assez inepte pour engager le pays dans cette voie.

Or, nous le savons, M. de Manteuffel etait fort loin d'y songer.

Seul, le parti de la cour ou de l'extr6me droite, qui obeis-

saita l'impulsion de M. le lieutenant general de Gerlach et

qui avait pour organe la Gazette da la Croix, temoignait une

assez vive sympathie aux royalistes neuchatelois. II deplorait sincerement ce nouveau triomphe du radicalisme; mais il

etait prussien, lui aussi, et tres-eioigne de pousser a la

guerre. Son programme se reduisait k ceci : le roi n'aban-

donnera pas ses droits sur Neuchatel, mais il permettra aux

Neuchatelois de s'occuper de leurs affaires; pas de restaura-

tion, mais pas de renonciation; en d'autres termes, le statu

quo. A l'appui de ce systeme, qui avait l'avantage de tran¬

quilliser la conscience du roi et de repondre aux vues theo-

riques deM. de Gerlach, le parti de la Croix citait l'exemple des dues d'Anhalt qui, depuis trois stecles, ont maintenu

leurs droits sur le Lauenbourg. Ou bien encore, il rappelait ledevouement desWestphaliens qui, en 1806, stetaient volon-

tairement exites de leur patrie pour se refugier dans te Bran¬

debourg. Partout ailleurs ce langage eut ete cruel. A Berlin, il paraissait tout simple, car, dans le cours de son histoire, la nation prussienne a tant souffert pour ses princes que de pareils sacrifices n'ont rien qui puisse l'etonner.

Malgre l'irritation du roi, le vent etait done toujours k la

paix. Tout se reduisait k savoir qui l'emporterait sur l'esprit de

Frederic-Guillaume, de M. de Manteuffel ou de M. de Ger¬

lach, du parti del'abandon ou du parti du statu quo. Si quelque chose pouvait eontribuer a cette situation, c'e¬

tait assurement la politique des grandes puissances. Pendant

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128 HISPOIRE D'UNE ANNEXION.

qu'a Berlin, comme le disaitle prince Frederic, tout le monde

se meiait de Neuchatel, l'empereur annongait, lui, depuis la

liberation des prisonniers, l'intention de « ne plus s'en me¬

ter. » Or, l'empereur ne s'en ntelant plus, on devine qui allait prendre en main les negotiations. La Russie, qui venait

d'etre battue en Crimee, ne se souciait pas de se faire battre

autour d'un tapis vert pour un simple interet de principe; l'Autriche, rivale de la Prusse, et au fond tres-satisfaite de ses embarras, voyait de mauvais ceil la mediation de la

France, dont l'intimite avec la Russie croissait de jour en

jour. II y eut desechanges denotes assez vives entre les deux

cours, et un journal de Francfort, devoue k la politique du cabinet de Vienne, la Gazette des Postes, n'ltesita pas a se faire

l'organe de ses apprehensions.« La Prusse accuse l'Autriche, « disait cette feuille, et cependant elle est seule coupable; « car, en choisissant la France et la Russie comme temoins « de son duel contre la Suisse, elle a du faire croire k l'Au-

« triche et k l'Angleterre qu'il s'agissait de constituer une <t triple alliance. Si la Prusse avait fait a Vienne et k Londres

«les ouvertures amicales qu'elle a faites a Paris, il y a long- « temps que l'affaire serait regtee. »

Tel etait Fetat des choses, lorsque deux personnes conside¬

rables de Neuchatel, M. Frederic de Rougemont etM. le baron

de Pury, furent mandes k Berlin, par le ministere, pour lui

faciliter Fetude des nombreux details qui se rattachaient a la

question principale. M. de Pury appartenait au tiers parli, et le roi ne l'avait pas designe. Un incident assez curieux,

que je regrette de ne pouvoir rapporter, mais qui ne fut pas un secret pour tout le monde a la cour, detida de la mission

de ce dernier.

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HIST01RE D'UNE ANNEXION. 129

M. de Rougemont etait au contraire un royaliste de la

vieille roche. Ce qui le distinguait surtout, c'etait moins l'austerite politique de M. de Wesdehlen, qu'un esprit ele¬

gant et cultive, des manieres charmantes et toutes fran-

gaises, des connaissances approfondies et vartees. Fils d'un ancien president du Conseil d'Etat, l'une des plus remarqua- bles intelligences et l'un des plus nobles caracteres qu'ait

produits la principaute de Neuchatel, il avait ete, de 1832 a 1848, membre du departement de l'interieur, consacrant sesloisirs a d'importants travaux litteraires. Aprfes la revo¬

lution, il publia diverses brochures politiques. La derniere lui valut une condamnation k neuf mois de prison. M. de

Rougemont ne jugea pas k propos de soutenir l'appel, et

quitta le pays pour habiter une terre qu'il possedait dans te

canton de Vaud.

On me permettra de titer quelques-uns des passages de cette brochure :

« Je suis royaliste, parce queje suis Neuchatelois. « Dieu qui a cree les abeilles avec leurs reines et les repu¬

te bliques des fourmis a destine certains peuples a se consti- « tuer democratiquement et d'autres k vivre sous des rois. « II nous a faits monarchiques. Du mariage de la fidelity et « de la liberie, tel qu'il existait chez nous depuis le berceau « de notre histoire, etait issue une constitution, que nous « avions toute espece de raison de preterer a une autre, tant « elte se rapprochait de l'ideal que reve l'humanite. D'une <t part, la liberte individuelle protegee par les garanties les « plus grandes; toute une hterarchie de corps politiques, « reposant sur le suffrage universel et jouissant chacun « dans sa sphere, des droits les plus etendus; d'autre part,

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130 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

« la souverainete exergant sa haute mission au nom de Dieu, « sans ego'isme et pour te bien de son peuple, defendant « nos libertes contre les emptetements des autorites admi- « nistratives plus energiquement qu'elle ne defendait ses pro- « pres droits contre les emptetements des corporations po¬ tt pulaires; pour fonctionnaires de l'Etat, non des employes, « simples commis revocables a volonte, mais des magistrats « qui ne pouvaient etre deposes que sur une sentence juri- « dique, et des tribunaux qui rendaient la justice au nom « du prince, mais qui jouissaient de la plus complete inde- « pendance; enfin une Eglise alltee a l'Etat sans lui etre « soumise, et plus libre vis-a-vis du pouvoir civil qu'aucune « autre eglise calviniste, anglicane ou lutlterienne : tels « etaient les traits principaux de notre constitution monar- « chique, de laquelle on a dit que «tous les pouvoirs s'y « trouvaient dans un equilibre si heureux qu'elle etait le « modele de celle qu'un peuple raisonnable doit desirer. »

t Celui qui parlait ainsi, ce n'etait point un enfant du « pays qu'un exc£s de patriotisme aveuglait; ce n'etait point oc un Frangais ou un Allemand qui, par prevention de nais- « sance, voyait dans le systeme monarchique l'ideal du « gouvernement; ce n'etait point un obscur ecrivain, etran- « ger a l'etude des societes et de l'histoire : c'etait un homme « eminent, un republicain, un suisse, Jean de Midler1.

« On me dira peut-etre '. « Peu m'importe la republiqua «= ou la royaute Ce que je veux, c'est le repos.» Vous voulez * le repos? mais vous ne remarquez pas que vous avez a vos « cotes et au-dessous de vous une foule immense d'hommes

1. Histoire universelle, t. XV'IU, p. 15.

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HIST01RE D'UNE ANNEXION. 131

<t qui vous ressemblent en tous points, si ce n'est en un seul, « etquivont vous devorer. Eux aussi neveulent qu'une chose,

«jouir en paix des biens de la terre; eux aussi s'inqutetent « fort peu de la forme du gouvernement qui les regit, et ne « cherchent dans les questions politiques que la satisfaction « de leur unique desir ; eux aussi font bon marche de la jus- tt rice; eux aussi ne consultent que leurs interels et ne pren- « nent conseil que de leur prudence.... L'unique difference « entre eux et vous, c'est qu'ils nepossedent rien et que vous « possedez; vous vivez dans l'aisance, ils vivent dans la pau- « vrete; vous avez le luxe, ils ont la misere; vous jouissez, i ils souffrent. Et cette seule difference fait d'eux vos mortels « ennemis; car ils veulent vous enlever vos biens pour en

«jouir a leur tour, et vous voulez conserver vos biens pour « continuer a en jouir. De quel cote est le droit? II est de « votre c6te, je le sais. Mais vous avez perdu te droit de vos k droits, le droit de les faire valoir, vous qui dans toutes les « autres questions politiques et sociales n'avez ete que de « purs utilitaires. Sans force morale contre vos adversaires, « avez-vous au moins la force materielle? Nullement, ils ont « pour eux le nombre, le courage que donne la faim, peut- « etre le canon des arsenaux et le prestige que donne l'au-

«torite. Ils vous diront : partage ou meurs! — et vous

«partagerez. « La ruine de la soctete actuelle, ce sont les conservatewfs

k de leurs vies et de leurs biens. « Nous, royalistes, nous ne croyons pas que l'homme soit

« un navire sans boussole, que le cours des evenements « entraine constamment a la derive.' L'homme a regu de » Dieu la conscience pour s'orienter, une volonte libre pour

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132 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

•< se diriger, selon ou contre sa conscience, et une ame faite « a l'image de Dieu pour determiner au bien sa volonte. II <t lui est permis sans doute de carguer ses voiles si te vent « est contraire ; mais il ne doit pas changer sa route et tin- « gler vers le premier port de son choix, Ainsi, nous ne de- « viendrons pas ingrats, a dater du jour ou la reconnaissance « pourrait nous compromettre; nous n'accepterons pas fran- « chement la ruine de notre pays, parce qu'elle sera radicale- « ment consomntee; nous subirons la republique comme « une dispensation de Dieu, et non comme un caprice du « destin. Notre cause n'est pas une cause politique. Elle est « toute morale i. »

Tres-ferme sur la question de principes, M. de Rougemont avait un esprit trop pratique pour ne pas admettre l'influence

des faits accomplis. Deja, en 1848, il ecrivait: « Une restau- « ration n'est viable qu'autant qu'elle tient compte de toutes

«les legons du passe, qu'elle remedie aux causes qui ont « amene la chute de l'ancien regime et qu'elle accepte fran- <t chement le bien opere par le nouveau2.»II arrivait a Berlin

sans parti pris, egalement decide, suivant les circonstances, a travailler a une restauration, telle qu'il l'entendait, ou, si

elle etait definitivement condamnee, a sauver au moins, sous

la forme de ce qu'il appelait une republique legitime, quel-

ques-uns des debris des anciennes institutions du pays. Peu

de jours lui suffirent pour voir clair dans la situation. Des

deux buts qui s'offraient k son activite, il lui parut evident

que le second seul pouvait etre encore atteint.

1. La reconciliation des partis a Neuchdlel, par un patriote. Neuchatel, 1848. Pages 59, 60, 61.

2. La reconciliation des partis, page 54.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 133

Deux deputes de Immigration de Morteau, MM. Gagnebain et Humbert, l'avaient precede de quelques heures a Berlin.

C'etaient des hommes de la montagne, de ces energiques na¬

tures dont j'ai parte plus haut. Leur rude franchise etleur foi

robuste produisaient dans le monde politique une tres-vive

sensation. Ils n'avaient d'autre mission que de se montrer, d'etre les interpretes des voeux de leurs mandataires et de s'eie-

ver contre la pensee d'une transaction. Toutes les nuances de

l'opinion se trouvaient done representees a Berlin : la restau-

ration, par M. Gagnebain et son coltegue; l'abandon pur et

simple,parM. le baron de Pury; l'abandon conditionnel par M. de Rougemont. Quant au statu quo, on avait pris les armes

pour en sortir. et si M. Gagncbain le favorisait peut-etre sans

s'en douter, le parti de la Croix etait seul a le vouloir.

On disait en effet aux deputes de Morteau : « Le roi n'a- « bandonnera pas ses droits sur Neuchatel. » D'autant plus disposes a saisir au vol toutes les esperances qui s'offraient a

eux, qu'ils cherchaient plus a se tenir en garde contre une secrete pensee de decouragement et qu'ils voulaient pouvoir rassurer, sans les tromper toutefois, tant de braves gens qui s'etaient volontairement expatrtes; arrives d'ailleurs de la veille et jugeant des exigences de la politique prussienne par leur propre devouement, ils croyaient qu'on voulait dire : « Le roi les fera valoir par la force. » Or M. de Gerlach ne

le disait ni ne le pensait. C'etait toujours l'histoire du Lauen-

bourg et des dues d'Anhalt. Ce malentendu explique les espe¬ rances de M. Gagnebain, quand personne ne songeait a une restauration. Par le fait, en se separant de M. de Rougemont, il allait tout droit au statu quo.

Le4fevrier, MM. de Rougemont etde Pury eurent une assez

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134 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

longue audience du president du conseil. On a pretendu a Berlin que M. de Manteuffel s'exprima vis-a-vis d'eux de la mantere la plus categorique et la plus ftanche sur les n6- cessites actuelles de la Prusse, sur l'impossibilite d'une

guerre contre la Suisse, en suite des conditions faites au cabinet de Berlin par une grande puissance, meme sur cer¬ tains details du Gongres de Paris. J'ignore entterement ce

qu'il peut en etre, car personne n'assistait a l'audience, et M. de Rougemont, de meme que M. de Pury, ont cru devoir

garder, sans doute a la recommandation du ministre, le secret le plus absolu. Ce qui est certain, c'est qu'ils se retirerent

avec la conviction que le systeme de l'abandon l'emportait de

beaucoup sur tous les autres dans l'esprit de M. de Manteuffel.

Mieux que personne, M. de Rougemont en comprenait la necessite depuis qu'il ne se faisait aucune illusion sur les chances d'un retablissement de l'autorite du roi. Restait k

savoir quel serait cet abandon? Un abandon sans conditions,

pour en finir k tout prix, ou bien un abandon sous conditions,

qui maintiendrait au moins, comme je le disais tout k l'heure, sinon le principe de la tegitimite, au moins te principe de la

nationalite neuchateloise? A proprement parler, M. de Rou¬

gemont ne voulait qu'une reserve, une seule, parce qu'elle remediait a tout, la reserve d'une constituante exclusivement

composee de Neuchatelois. Ce n'etait pas seulement dans la

pratique et dans l'avenir la perspective d'un regime d'ordre

et de conservation; c'etait aussi, en principe, la condamna-

tion par l'Europe de la revolution du 1" mars. A la fois Ven-

deen et patriote, aimant son pays autant que son prince, M. de Rougemont poursuivait sous une autre forme le but de

toute sa vie, le regne d'un gouvernement tegal et le renver-

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 135

sement d'un pouvoir fonde par ltemeute. On lui imposait la

republique : il la voulait legitime. Sans doute de grandes dif-

ficultes s'opposaient a ce projet, et la principale consistait en

ceci, que la constituante de M. de Rougemont etait contraire

a la constitution federate. Cependant, j'ai lieu de croire, d'a-

pres des renseignements tout k fait positifs, que la question a'insi simpliftee eut rencontre quelque assentiment de la part du cabinet des Tuileries. Malheureusement, M. de Manteuffel,

pressentant apparemment ces difficultes, semblait plut6t fa¬

vorable a l'abandon pur et simple, et quand le roi se rap-

procha plus tard des idees de M. de Rougemont, un nouveau

malentendu, comme il y en eut tant dans cette malheureuse

question de Neuchatel, l'empecha de les faire prevaloir. Pour le moment, Frederic-Guillaume inclinait visiblement

au statu quo. L'influence de M. de Gerlach l'emportait encore

sur celle de M. de Manteuffel. On sut a la cour que le roi

s'etait exprime dans-ce sens vis-a-vis de MM. de Rougemont et de Pury, et cette audience n'ayant pas eu le caractere con-

fidentiel de la premiere, on rapportait meme quelques-unes des propres paroles de Frederic-Guillaume. II aurait dit :

« Je remettrai mes droits aux audiences generates, par une

>< proclamation ecrite dans le style du moyen age; je mettrai

<t a ma renonciation certaines conditions. Ces conditions, la

« Suisse ne les acceptera pas; mais j'aurai le sentiment d'a-

« voir fait le possible pour mes chers Neuchatelois qui tien-

tt nent d'aussi pres a mon cceur que cette main a mon bras.»

Ainsi, au chateau, des conditions impossibles, pour en arri-

ver non pas k la guerre, mais a la simple rupture des

negotiations et consequemment au maintien indefini du re¬

gime issudel848; au ministere des affaires etrangeres, une

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136 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

tendance manifeste a les rendre au contraire aussi acceptables que possible, dans le but de hater une solution definitive; aucune entente parmi les royalistes presents a Berlin, et qui, partant du meme principe, suivaient, avec la meme convic¬ tion, des lignes de conduite entterement difterentes: tout con- tribuait a rendre inextricable une situation deja sicompliquee et a herisser de difficultes la tache bien simple en apparence que s'etait imposee M. de Rougemont. D'un autre cote, si l'on

jetait un regard en arrtere, que de contrastes et de decep¬ tions! On avait fait le 3 septembre, en vue de forcer la res-

tauration, et lui, le royaliste exite, se voyait contraint par les circonstances k travailler a l'abandon! On voulait sortir du statu quo, et c'etait pretisement le statu quo qui semblait

prevaloir On desirait que la question fut tranchee pour la revision d'avril; avril approchait, et l'on etait moins pr£s d'une solution qu'au mois d'aout de l'annee precedente!

Le samedi 14 tevrier, il y eut diner k la cour, a quatre heures, suivantl'usage de Berlin. M. de Rougemont s'y trou-

vait, ainsi que M. de Pury, le comte de Keller, le vieux feld-

marechal de Dohna, M. de Humboldt, deja bien casse, et

quelques autres qu'il est inutile de nommer. Les Neuchate¬ lois avaient l'assez triste privilege d'etre un peu les heros du

jour; aussi remarqua-t-on beaucoup que le roi leur parla deux fois et la reine pendant vingt minutes. Quelques mots

de la conversation furent parfaitement entendus par les per- sonnes presentes. Le lendemain, on racontait dans les prin-

cipaux salons de Berlin avec quelle grace charmante elle avait

repondu a M. de Rougemont qui la remerciait de ses augustes

sympathies: « Oui, Dieu sait si nous souffrons! » M. de Rou¬

gemont n'ltesita pas a saisir l'occasion pour entretenir la

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 137

reine des intents qui l'occupaient; il chercha a la pr6venir contre un systeme de demi-mesures qui ne rentediait a rien

et qui tendait par contre a maintenir la revolution aux af¬

faires. C'etait fort delicat vis-a-vis d'nne femme: mais M. de

Rougemont avait assez d'esprit pour se faire ecouter. II ajouta,

dit-on, et ceci paralt exact s'il faut en juger par un detail qui

n'echappa pas a tout le monde, qu'une renonciation, avec la

reserve que l'on connait, ne compromettrait pas necessaire-

ment l'avenir monarchique du pays de Neuchatel; que le

peuple, auquel le roi aurait remis sa souverainete, pourrait

peut-etre la lui rendre, surtout si la Prusse, portant un jour sa frontiere a Bale, devenait t6t ou tard la tete de l'Alle¬

magne. Au mot relatif a la Prusse, la reine fit un geste d'in-

credulite et de surprise. Elle etait toujours Bavaroise.

G'est ici le lieu d'expliquer le malentendu que j'ai indique tout a l'heure. Rien ne paraissait plus simple que la consti¬

tuante, proposee par M. de Rougemont; mais le roi avait des

idees a lui, et ce sont ces idees qui avaient particulterement

inspire les conditions formutees dans la seconde lettre auto-

graphe a l'Empereur. II voulait sauver les anciennes corpo¬ rations politiques de la principaute, et il voulait les sauver

directement par une stipulation expresse. Autant M. de Rou¬

gemont etait d'accord avec le roi sur le but qu'il s'agissait de

poursuivre, autant il differait d'opinion sur les moyens a

employer. Suivant lui, le retablissement de l'ancien systeme communal etait impossible avec les nouvelles institutions du

pays. II ne pouvait avoir lieu que si ces institutions elles-

ntemes etaient modiftees, et encore avec d'importantes re¬ serves. De la la necessite de sa constituante.

J'ignore si la conversation de M. de Rougemont avec la

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Page 141: Histoire d'une annexion

138 IIISTOIRE D'UNE ANNEXION.

reine eut pour resultat de modifier les idees du roi, tant sur les dangers du statu quo que sur la seule chance qui s'offrit encore au retablissement des bourgeoisies. Pour exprimcr une certitude a cet egard, il faudrait que la conversation eut ete entendue dans son entier; et, je le repfete, les personnes presentes n'en recueillirent que des fragments. Ce qui est

certain, c'est que, vers le milieu de mars, on abandonnait officiellement le systeme de M. de Gerlach pour se rapprocher de celui de M. de Manteuffel; que le roi annongait, quoique

toujours avec une vive douleur, l'intention desormais arr6-

tee de se rendre aux conseils de ses allies; et qu'on retrou-

vait dans Particle 9 des conditions prussiennes, telles qu'elles furent d'abord formutees, puis discutees a Paris, le 24 mars, un reflet de la pensee de M. de Rougemont.

Seulement, au lieu de faire de la constituante une condition

expresse, j'ai presque dit l'unique condition du cabinet de

Berlin, on la reteguait au dernier rang, et sous la forme d'un

simple vceu. «II serait conforme aux antecedents et fonde en « droit, que les Neuchatelois indigenes participassent seuls a « cette ceuvre constitutive, sans que les etrangers domicilies <t dans le pays pussent, par leur concours, influencer le re- « sultat des votes.» Cette redaction, a laquelle l'influence de

M. de Manteuffel n'etait certainement pas etrangere, don-

nait par te fait gain de cause au parti de l'abandon. II Pem-

portait detidement. — Quelques jours apres, on apprit que M. de Rougemont avait ete mande aupres du roi, et que ce

souverain l'envoyait a Paris, pour doubter M. de Ilatzfeld.

La conference etait reunie depuis le 5 mars. Nous venons de

voir comment la question se denouait a Berlin. II nous reste

a dire comment elle se denoua devant la diplomatie.

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IX

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Page 144: Histoire d'une annexion

IX

D'apres les usages diplomatiques, Londres devait etre choisi pour la reunion de la conference, puisque c'etait dans cette ville que la question avait regu une premiere solution en 1852. Mais la Prusse preterait Paris, d'ou etait partie l'in- fluence la plus efficace et la plus conciliante. Le cabinet de Saint-James finit par y consentir, et M. le comte Walewski se hata d'inviter les puissances, signataires du protocole de

Londres, k designer leurs ptenipotentiaires. M. Kern, l'heureux negociateur du conseil federal, fut

charge de representer la Suisse aux conferences. II y parut seul avec le titre d'envoye extraordinaire. La France, l'An¬

gleterre, la Prusse et la Russie y furent representees, la pre¬ miere, par le comte Walewski; les trois dernteres, par leurs

ministres respectifs deja accredites auprfes de la cour des

Tuileries.

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Page 145: Histoire d'une annexion

142 H1ST01RE D'UNE ANNEXION.

M. Kern arrivait accompagne de deux membres du con¬

seil d'Etat de Neuchatel. Son premier soin fut de leur confier

la redaction d'un long memoire sur les bourgeoisies, qu'il fit ensuite distribuer aux membres de la conference. Ce fait

a beaucoup etonne M. Barman, et comme, dans les con¬

ditions prussiennes telles que les formula M. de Hatzfeld, il n'etait pas question des bourgeoisies, il en conclut que M. Kern imagina des reclamations pour se procurer le plaisir de les faire combattre par les conseils qui lui avaient ete

adjoints. Je dois a la verite de rectifier ce qu'il y a de trop severe dans l'appretiation de l'antien charge d'affaires de la

confederation suisse a Paris. M. Kern n'imagina rien. S'il

combattit le maintien des bourgeoisies, c'est qu'il en etait

effectivement question dans les deux lettres autographes du

roi Frederic-Guillaume, ou tout au moins dans la seconde.

Nous savons que le roi y tenait essentiellement, et, sous ce

rapport, l'envoye" du conseil federal etait bien instruit.

Mais il ignorait le revirement d'opinion qui se preparait a

Berlin, et il commit l'etourderie de refuter des conditions

qui n'avaient pas encore de caractere officiel. Sans etre, a

proprement parler, une ceuvredepure'imagination, comme

le dit M. Barman, le plaidoyer de M. Kern temoignait done

a coup stir d'une trop grande precipitation et ne s'inspirait

pas surtout, aux yeux des gens bien inforntes, des habitudes

d'extreme discretion ordinaires a la diplomatie. Au reste, dans cette singultere et laborieuse negotiation,

tout semblait se faire en dehors des usages les mieux eta-

blis. II me suffira d'ajouter que les instructions dont M. le

docteur Kern etait porteur, furent publtees par les journaux avant m6me qu'il ne se ftit rendu a son poste.

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Page 146: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 143

La premiere conference, a laquelle n'assisterent que les

ptenipotentiaires de la France, de l'Autriche, de la Grande-

Bretagne et de la Russie, eut lieu le 5 mars 1857, au Minis-

tere des affaires etrangeres. Partant de ce principe que ltetat

de INeuchatel avait ete constitue dans des conditions qui etaient un sujet de conflits inevitables entre la Prusse et la

Suisse, et que cette situation constituait un danger perma¬

nent pour la paix de l'Europe; que d'ailleurs la circulaire du

cabinet de Berlin, en date du 28 decembre 1856, etablissait

que Sa Majeste le roi de Prusse etait pret k entrer en nego¬ tiations sur l'avenir du pays; convaincus que la moderation

dont ce souverain avait fait preuve dans cette question, ne

se dementirait pas, lorsque les grandes puissances de l'Eu¬

rope croiraient devoir lui soumettre des propositions, les

ptenipotentiaires reconnurent, d'un commun accord, que te

seul moyen d'arriver a une solution satisfaisante etait que Sa Majeste le roi de Prusse voulut bien faire a rinteret eu-

ropeen, ainsi qu'a sa sollicitude pour la tranquillite et le

bien-etre du pays de Neuchatel, le sacrifice des droits que les traites lui conteraient sur cette principaute et le comte

de Valengin. Ils detiderent en consequence que le ministre de Prusse

serait invite a se joindre a eux dans leur prochaine reunion

et que le ltesultat de leur deliberation de ce jour lui serait

communique. A la seconde seance, celle du 7 mars, M. le comte de Hatz-

feld prit connaissance du protocole de la premiere et de-

manda a en referer. Les autres ptenipotentiaires exprime- rent l'espoir qu'il ne tarderait pas k etre en mesure de faire

connaitre les intentions de son gouverntiment. M. le ministre

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Page 147: Histoire d'une annexion

144 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

de Prusse ne put toutefois deterer a ce desir que dans la con¬ ference du 24 mars1. J'ai raconteles incertitudes qui regnaient alors a la cour de Berlin et les tendances opposees du parti du statu quo et du parti de l'abandon. M. de Manteuffel n'avait

pas encore triomphe des repugnances du roi et de l'influence de M. de Gerlach. De la sans doute ce retard de dix-sept jours.

J'extrais du protocole de la troisteme conference la reponse du cabinet de Berlin :

a Ainsi qu'il s'y attendait, le roi a trouve dans le protocole « du 5 mars la reconnaissance expresse des droits qui lui sont a attribues par les traites sur la principaute de Neuchatel etle « comte de Valengin. Sa Majeste en prend acte pour constater « qu'en consentant a negocier sur des droits incontestables « elle fait preuve d'abnegation, et que, par consequent, c'est « a elle qu'il appartient de fixer les conditions du sacrifice « auquel elle est prete a consentir dans un interet euro- « peen.

« Le roi n'admet pas que l'exercice de ses droits sur Neu- « chatel, qui a joui, pendant pr6s d'un siecle et demi, d'un « veritable bien-fitre sous le sceptre de ses princes-rois, fut « incompatible avec les conditions dans lesquelles ce pays est « place par ses rapports avec la confederation helvetique.

« Sa Majeste ne s'est pretee a la solution qui lui a ete sug- « geree par les quatre puissances qu'en consideration de l'u- « nanimite qui a preside a la resolution consignee dans le « protocole du 5 mars. »

Je transcris de meme les conditions prussiennes, condi-

1. Barman. Loc. cil.

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Page 148: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 145

tions « au strict accomplissement desquelles le roi subordon- « nail la validile de Facte par lequel Sa Majeste etait prete a

« renoncer a ses droits sur la principaute de Neuchatel et le <t comte de Valengin. »

k 1. Les rois de Prusse conservent a perpetuite le titre de

princes de Neuchatel et Valengin. « 2. La Confederation suisse garde a sa charge les frais re¬

sultant pour elle des evenements de septembre;elle bonifiera l'indemnite federate pour Fentretien des troupes d'occupation.

te L'Etat de Neuchatel ne pourra etre appele a contribuer a

ces depenses que comme tout autre canton et au prorata de son contingent d'argent.

« 3. Les depenses quidemeureront a la charge de l'Etat se- ront reparties sur tous les habitants, d'apres le principe d'une exacte proportionnalite, sans que, par la voie d'un impot ex-

ceptionnel ou de tout autre mantere, elles puissent 6tre mises exclusivement ou principalement a la charge d'une classe ou

categorie de families ou d'individus. k 4.Aucune action, soit penaleoucorrectionnelle;soit civile

ou en dommages-interets, ne pourra etre dirigee, ni par l'Etat de Neuchatel, ni par la Confederation, ni par aucune corpo¬ ration ou personne quelconque contre aucun de ceux qui ont

pris part directement ou indirectement aux evenements de

septembre. « 5. La Confederation helvetique payeraau roi la somme de

deux millions de francs, comme equivalent, pour te passe et

pour l'avenir, des revenus annuellement mis, par l'adminis¬ tration neuchateloise, a la disposition du prince. L'Etat dc Neuchatel ne pourra 6tre charge, pour le payement de celte

somme, qu'au prorata de son contingent d'argent. 10

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Page 149: Histoire d'une annexion

146 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

« 6. Les biens del'Eglise qui ont ete reunis, en 1848, au do-

maine de l'Etat, seront rendus a leur destination primitive. L'administration de ceux de ces biens qui appartiennent a

l'Eglise reforntee et qui etaient geres par la chambre eco-

nomkjue, sera remise a une commission spetiale ou l'Eglise aura une juste representation. La Suisse garantira l'execution du present article.

tt 7. Les capitaux et les rentes des fondations pieuses, des institutions privees d'utilitepublique, des hospices bourgeois ou communaux et des chambres de charite, de l'Eglise et de

la compagnie des pasteurs, seront respectes par l'Etat, qui ne

pourra en devenir proprtetaire ni l'administrateur; la meme

garantie sera donitee a la fortune teguee par te baron de Pury a la bourgeoisie de Neuchatel, quiconserverala libre disposi¬ tion des revenus de cette fortune pour les employer confor-

mement au testament du donateur. « La Suisse garantira l'execution du present article. « 8. Une amnistie pleine et entiere seraprononcee pour tous

les deiits ou contraventions politiques ou mihtaires en rap¬

port avec les derniers evenements, en faveur de tous les Neu¬

chatelois, Suisses ou eirangers, et notamment en faveur des

hommes de la milice qui se sont soustraits, en passant a lte-

tranger, ai'obligation de porter les armes contre leur prince. « L'amnistie devra s'etendre a tous tes deiits politiques et

de presse qui seraient anterieurs au 3 septembre 1856. K 9. Afin de laisser se calmer l'agitation provoqueepar les

derniers evenements et assurer a tous les Neuchatelois leur

part legitime a la fixation de leurs institutions, tout vote et tout debat sur la constitution seront renvoyes d'un an ou de six mois au moins.

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Page 150: Histoire d'une annexion

HIST01RE D'UNE ANNEXION. 147

« II serait conforme aux precedents et fonde en droit que les Neuchatelois indigenes participassent seuls a cette ceuvre

constitutive, sans que les etrangers domiciltes dans te

pays pussent, par leur concours, influencer le resultat des

votes. »

Je ne reproduis le document qui precede que pour per- mettre a mes lecteurs de comparer les conditions primitives du cabinet de Berlin avec celles qui prevalurent devant la

conference. Ce rapprochement ne sera peut-elre pas sans in-

teret. Je n'ai d'ailleurs nullementl'intention d'en discuter les

differents points. On s'en effrayerait k juste titre, a peu pres autant que M. de Hatzfeld lorsqu'il regut, sans aucun com-

mentaire, sans aucune instruction qui put lteclairer dans ce

dedale, l'expose des conditions qu'on vient de lire. Je n'en-

tends pas davantage suivre jour par jour les travaux de la

conference. Ce serait fort long et fort aride. II me suffira de

dire que le 30 mai, veille de la troisteme seance, on connais-

sait au ministere des affaires etrangeres, par une dep6che de

M. de Salignac-Fenelon, les principales objections de la Suisse.

La question du titre ne faisait pas de difficultes serieuses, non

plus que celle de l'amnistie. En revanche, le conseil federal

stelevait tres-categoriquement contre le principe de l'indem-

nite, de meme que contre Particle 7, particulterement a ltegard des biens de l'Eglise. II n'entendait pas davantage que la re¬ vision fut difteree, car c'eut ete, suivant lui, intervenir dans

une affaire toute cantonate. Quant k la constitution neucha¬

teloise, il la repoussait energiquement comme contraire au nouveau pacte de 1848, et ceux des membres du corps diplo¬ matique qui virent ce jour-l\ M. te comte Walewski purent se convaincre, par son silence autant que par ses paroles, que

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148 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

la Prusse n'avait aucune illusion h se faire sur les chances

probables de cette derntere reclamation. A vrai dire, je crois

qu'a Paris et a Londres on s'en preoccupait assez peu. M. Bar¬

man parait le croire, et c'est ce qui semble resulter de tous

les documents que j'ai entre les mains.

Ces divers points furent successivement discutes dans les

seances du 31 mars et du 1" avril. Elles durerent chacune six heures. Les ptenipotentiaires commengaient a se fatiguer. M. de Hatzfeld, qui apporta dans cette affaire toute l'intelli-

gence et toute Factivite qui le distinguaient a un si haut

degre, disait lui-meme a un de ses coltegues': « J'ai ren- « contre bien des difficultes pendant le cours de ma carrtere « diplomatique; mais aucune question ne m'a cause plus de « soucis et plus de chagrins. > Pour en finir, MM. de Hub-

ner, de Kisselef et lord Cowley chargerent M. le comte Walewski de rediger un projet d'arrangement. Ce dernier se mit a l'ceuvre et, apres avoir soumis confidentiellement son

travail aux ptenipotentiaires neutres, il en saisit officielle- ment la conference, le 20 avril.

Le projet dont il s'agit ne difterant qu'en un seul point du traite definitif, je me dispenserai de te titer. Je dirai seu-

lement qu'il modifiait Particle 1" des condition^ prussien- nes, en ce sens qu'il ne devait pas etre fait mention dans le

traite meme, mais seulement dans un protocole final, signe en meme temps que le traite, du titre que le roi de Prusse

entendait conserver. On reduisait l'indemnite de deux k un

million. Quant aux biens d'Eglise, aux fondations pieuses, on affaiblissait considerablement les garanties demandees

par la Prusse. Pas un mot de la constituante neuchateloise. De cet apergu, il est facile de conclure que la Suisse n'avait

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Page 152: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 149

pas trop a se plaindre de la conference de Paris. Aussi, a

peine la copie des protocoles et celles du projet de traite

furent-elles envoyees a Berne, que le conseil federal les livra

a la publicite. M. Barman nous rappelle quelle fut la sur¬

prise causee en Europe par un procede aussi etrange. Le

conseil federal avait pu, s'il le jugeait bon, mettre le public dans la confidence des instructions de son ptenipoten-

tiaire, et user a sa guise d'un document qui emanait de

lui seul, mais les protocoles et leurs annexes, pieces com¬

munes a plusieurs Etats, ne devaient pas etre publtes sans

l'assentiment de tous les co'interesses; au reste, un engage¬ ment d'honneur imposant le secret, le conseil federal etait, comme les autres gouvernements, tenu de respecter cet en¬

gagement, sans que les exigences du regime democratique

pussent attenuer ses torts.

C'est alors que parut Particle du Moniteur, ou il etait dit: < Des journaux de Berne viennent de publier les projets de « traites et de protocole destines k assurer le reglement de <t l'affaire de Neuchatel. Gette publication, qui ne peut etre « que le fait d'une indiscretion in justifiable, est d'ailleurs, tt en plusieurs points, en desaccord avec le veritable texte <t des documents dont il s'agit; texte qui lui-meme n'etait

» pas definitivement arrete. Cet abus du secret d'une nego- t ciation non encore terminee est d'autant plus regrettable « qu'il pourrait en compromettre le succes. »

N'etait-ce qu'un soufflet sur la joue d'un enfant terrible, mais un peu gate, comme la plupart des enfants terribles

N'etait-ce pas surtout une satisfaction donnee a la Prusse? 11

est hors de doute que le roi ne se sentait pas moins froisse" de la suppression de Particle 9, que des indiscretions de la

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Page 153: Histoire d'une annexion

150 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

Suisse, et que jamais ses repugnances ne se manifesterent d'une mantere plus vive.

«Non, je ne les abandonnerai pas! » avait-il dit en pre¬ sence de plusieurs personnes. On remarqua beautoup qu'a une revue, qui eut lieu vers cette epoque, il parut avecl'uni- forme de l'ancien bataillon neuchatelois. Pour le public, les

negotiations semblaient toucher a leur terme; dans le fait, elles pouvaient se rompre d'un moment a l'autre. A Berlin, le parti de M. de Gerlach avait beau jeu pour plaider le statu

quo. A Paris, M. de Rougemont hesitait lui-meme, effraye de la responsabilife qui pesait sur lui. D'accord avec M. de

Hatzfeld, il resolut de consulter ceux de ses amis politiques qui exergaient le plus d'influence sur 1'emigration neucha¬ teloise.

Abandon ou statu quo! Une partie des royalistes ne vou- laient ni Pun ni 1'autre. Ils n'entendaient, a aucun prix, se laisser enfermer dans ce dilemme. On leur demandait leur avis: ils avaient repondu te 3 septembre. Quel etait d'ail¬

leurs l'abandon qu'on leur offrait? Ce n'etait meme plus l'abandon conditionnel dont M. de Rougemont avait fait, a

Berlin, le but unique de ses efforts; c'etait Fabandon* pur et

simple, celui qui semblait se rapprocher davantage des vues particulieres de M. de Manteuffel. Et de quel statu quo

s'agissait-il De ce statu quo qui avait prevalu pendant neuf

ans, de 1848 a 1856, et qui n'eiit ete pour la Prusse, qu'un aveu permanent d'impuissance Ou bien d'une sorte de deiai commande par les circonstances, mis a profit par une

politique active, energique, marchant a son but, et faisant de la restauration de Neuchatel, son cxterum censco? Ils

l'ignoraient. Suivant eux, le gouvernement prussien pouvait

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Page 154: Histoire d'une annexion

HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 151

seul le savoir; et, seul, il devait assumer, devant les con-

temporains, comme devant l'histoire, la responsabilite de

ses actes.

D'un autre c6te, une fraction notable de Immigration de

Morteau commengait a se fatiguer d'une attente indefinie.

Des scissions graves s'etaient produites dans le conseil des

refugtes; beaucoup de ces derniers avaient hate d'en finir, et leurs deputes, restes a Berlin, pendant que M. de Rouge¬ mont s'etait rendu a Paris, recevaient des lettres empreintes du plus profond decouragement. A tout prix, il fallait une

solution, et cette solution semblait d'autant plus urgente

qu'on attendait le prince Napoleon, charge par l'empereur de vaincre les hesitations du roi Frederic-Guillaume.

Tel etait l'avis de M. Humbert et de M. Mathieu, un des

membres les plus distingues du jeune clerge neuchatelois,

qui avait remplace M. Gaguebain. Le hasard les servit ap-

paremment, car une lettre^qui s'exprimait, au sujet du di-

lemme qu'on proposait aux royalistes, plus energiquement

peut-6tre que je ne le faisais tout a Pheure, fut plaeete, le 8 mai, le jour m6me de l'arrivee du prince Napoteon, si

je ne me trompe, sous les yeux du roi de Prusse. Je n'en

donnerai pas la teneur exacte, mais j'en ai vu l'accuse de

reception, signe de M. de Gerlach. Cette lettre fit une grande

impression sur l'esprit du roi. II en conclut que les chefs du

royalisme ne voulant du statu quo k aucun prix, il ne restait

de possible que l'abandon, et comme l'audience du prince

Napoteon n'eut lieu que le lendemain, je suis autorise a

croire que, des la veille au soir, la question etait trancltee.

Le mardi 19, M. de Hatzfeld regut ses instructions. Le roi

acceptait le projet, avec cette seule difference qu'il renongait

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Page 155: Histoire d'une annexion

152 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

a l'indemnite. II restait a preparer le protocole de la der- niere conference, et ce fut un travail assez difficile. Voici le texte auquel on s'arreta,'apres de nombreux pourparlers.

* Le ptenipotentiaire de la Prusse demande l'insertion au « protocole de ltenonce suivant, qui contient l'adltesion de « Sa Majeste le roi de Prusse au projet de traite annonce au « protocole 7, sauf la suppression de Particle 6, qui arap- « port a l'indemnite.

tt Le ptenipotentiaire de la Prusse fait connaitre que le tt roi, son auguste maitre, a vu avec satisfaction que la con- tt terence appretie a leur juste valeur les sentiments de haute «t sollicitude pour les habitants de Neuchatel qui ont dicte « Pensemble des conditions auxquelles Sa Majeste a subor- « donne sa renonciation aux droits qu'elle tient des traites. « Le roi a pu en outre se convaincre que si les representants <t des quatre puissances ont neanmoins cru devoir proposer « des modifications aux conditions primitives, ils ne Font « fait qu'anintes du desir de satisfaire a cette genereuse >< sollicitude et dans le but d'arriver a un prochain arrange- « ment que des dispositions contradictoires rendaient diffi- « cite. Enfin, le roi prend acte de la confiance manifestee par «les representants des quatre puissances dans les disposi- «tions loyales et dans l'esprit de conciliation et dtequite de « la Confederation suisse, qui leur permettent de ne pas tt douter de la complete realisation des intentions bienveil- « lantes de Sa Majeste pour le bien-etre futur de Neuchatel. tt Le roi attache le plus grand prix a cette enonciation; elle a « ete pour beaucoup dans sa resolution definitive, car, a ses a yeux, elle imprime au traite son vrai caractere et sa vraie por¬ ta tee, et elle permct aussi a Sa 'Majeste' d'esperer que les stipu-

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Page 156: Histoire d'une annexion

H1ST01RE D'UNE ANNEXION. 153

« lations de cet acte recevront une execution conforme a la

« sollicitude desinteressee qui, seule, a pu engager te roi

tc a etendre encore les limites de ses concessions. <i Quant au titre de prince de Neuchatel et de comte de

tt Valengin, que le roi conserve pour lui, ses heritiers et

« successeurs, Sa Majeste ne tient aucunement a en faire

<t l'objet d'un des articles du traite. Les representants des

tt quatre puissances, d'ailleurs, ayant declare au protocole tt de la cinquieme conference leur adhesion au principe de

n la conservation du titre, Sa Majeste ne juge pas necessaire « de revenir sur ce point dans un protocole nouveau.

« En demandant k la Suisse une indemnite, le roi enten- « dait soulever une question de principes bien plus qu'une « question d'argent. Le roi n'aurait employe le produit de

« cette indemnite qu'a ajouter de nouveaux actes de muni-

« ficence a la serie des nombreux bienfaits dont le pays de

« Neuchatel est redevable a ses princes. II lui suffit que le

<t principe ait ete reconnu par la conference, et le roi renonce

« a toute indemnite. tt Par les articles 6 et 7 de ses conditions, le roi avait tente

« de garantir, de la mantere la plus efficace, les biens de

«l'Eglise, les fondations pieuses, etc., contre les eventualites

« de l'avenir. Sa Majeste ne pouvait s'attendre aux objections « que la Suisse a faites a des articles qui n'avaient d'autre

«but que le bien-etre futur de Neuchatel. Tout en recon-

« naissant dans lcs articles 7 et 8 du projet de traite, le meme

« esprit et les memes sentiments que lui avaient dictes les

<t conditions correspondantes, Sa Majeste regrette qu'on ait * cru devoir affaiblir les garanties qu'elle avait demandees. ' Elle souhaite que l'avenir nejustifie pas ses apprehensions.»

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Page 157: Histoire d'une annexion

154 IIISTOIRE D'UNE ANNEXION.

tt La condition 9, quoique exprimee sous la forme d'un « simple voeu avait pour but, au moment ou I'Etat de <t Neuchdtel va relever de lui meme, d'appeler les Neuchdtelois a « se donner une constitution nouvelle et, par la conlinuite du « droit, de calmer les consciences, dtecarter tous les ressenti- <t ments, de reunir tous les esprits dans un faisceau com- « mun d'efforts, voltes, sans amertume et sans recrimina- « tions, a la prosperite de la patrie. Le refus absolu de la « Suisse a empeche la realisation de cette pensee. De toutes «t les modifications apportees aux conditions primitives, c'est « celle qui a cause le plus de regrets a Sa Majeste.

« Apres avoir donne les explications qui precedent, le « ptenipotentiaire de la Prusse declare que, sauf Particle 6, « qui est a supprimer, il est autorise a signer le traite pro- t pose par les representanls des quatre puissances. >>

Les personnes etrangferes a ces sortes de matteres ne se doutent pas de ce qu'il faut de peine pour diriger un proto¬ cole, et pour y faire entrer, k la faveur de mots pales, vagues ou ambigus, ce que M. de Talleyrand, je crois, appelait des mots neutres, certaines idees d'une grande portee. J'ai sou-

ligne les passages qui paraissent avoir ete le plus discutes. Dans le projet de M. de Hatzfeld, il y avait: tt Le roi attache le <t plus grand prix a cette enonciation; elle a ete pour beau- « coup dans sa resolution definitive, car elle supplee, a ses « yeux, a la lettre du traite. » M. Walewski voulait la redac¬

tion suivante : « En imprimant aux stipulations du traite un i caractere et une portie conformes aux sentiments, etc. » Au

lieu de « et elle permet aussi a Sa Majeste d'esperer que les « stipulations de cet acte recevront une execution conforme « a la sollicitude du roi, » lord Cowley insistait pour qu'on

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 155

mit: «t elte permet aussi a Sa Majeste de nepas douter, » afin

d'ecarter toute idee de mefiance. M. de Hatzfeld maintenait

au contraire sa redaction, pretisement pour exprimer cette

idee, et elle prevalut. Pour ce qui concerne Particle 9, M. de Hatzfeld proposa

d'abord, si je suis bien renseigne, les deux phrases sui-

vantes : « La condition 9 avait pour but d'etablir, dans le

« moment de transition que le pays de Neilchdlel va avoir a tra-

tt terser, cette continuite du droit qui seule peut calmer les

a consciences, etc. Cet article d'ailleurs ne laissait pas que d'a-

« voir une certaine importance pour la cause de I'orclre et des

« principes conservateurs en Europe. » M. le comte Walewski

insistait beaucoup pour que la premiere fut modiftee. Elle

avait en effet une tres-grande portee, en ce sens qu'elle im-

pliquait Piltegitimite du regime de 1848. Apres bien des

tatonnements, on s'accorda a la rendre plus vague. Quant a

la seconde, elle fut supprintee sur la demande de lord Cow¬

ley. Je crois ces details tres-exacts, bien qu'ils ressemblent

presque a une indiscretion. Mais, ce que j'ai dit de la ma-

ni6re dont le secret avait ete garde sur beaucoup de points" tout autrement delicats expliquera suffisamment comment

ils ont pu transpirer. Voici le texte du traite definitif, qui fut signe le 26 mai

1857. <t Art. lcr. Sa Majeste le roi de Prusse consent a renoncer

« a perpetuite, pour lui, ses heritiers et successeurs, aux * droits souverains que Particle 23 du traite, conclu a Vienne tt le 9 juin 1815, lui attribue sur la principaute de Neuchdtel tt et le comte de Valengin.

<t Art. 2. L'Etat de Neuchatel, relevant desormais de lui-

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156 HISTOIRE D'UNE ANNEXION.

« meme, continuera a faire partie de la Confederation suisse « au meme titre que les autres cantons et conformement a « Particle 75 du traite pretite.

« Art. 3. La Confederation suisse garde a sa charge tous les « frais resultant des evenements de septembre 1856. Le canton tt de Neuchatel ne pourra etre appete k contribuer a ces a charges que comme tout autre canton et au prorata de son & contingent d'argent.

« Art. 4. Les depenses qui demeurent k la charge du « canton de Neuchatel, seront reparties entre tous les habi- « tants d'apres le principe d'une exacte proportionnalite, tc sans que, par la voie d'un imp6t exceptionnel ou de toute <t autre mantere, elles puissent etre mises exclusivement ou i principalement a la charge d'une classe ou categorie de « families ou d'individus.

« Art. 5. Une amnistie pleine et entiere sera prononcee « pour tous les deiits ou contraventions politiques ou mili- «taires en rapport avec les derniers evenements, et en fa- « veur de tous les Neuchatelois, Suisses ou etrangers, et no- <t tamment en faveur des hommes de la milice qui se sont et soustraits, en passant a l'etranger, k 1'obligation de prendre a les armes.

« Aucune action, soit criminelle, soit correctionnelle, en « dommages et intents, ne pourra 6tre dirigee ni par le t canton de Neuchatel, ni par aucune autre corporation ou « personne quelconque, contre ceux qui ont pris part, direc- « tement ou indirectement, aux evenements de septembre.

a L'amnistie devra s'etendre egalement a tous les deiits a politiques ou de presse anterieurs aux evenements de <t septembre.

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H1ST01RE D'UNE ANNEXION. 157

« Art. 6. Les revenus des biens de l'Eglise, qui ont ete .> reunis en 1848 au domaine de l'Etat, ne pourront pas etre

« detournes de leur destination primitive. « Art. 7. Les capitaux et les revenus des fondations pieuses,

« des institutions privees d'utilite publique, ainsi que la for¬ ce tune teguee par le baron de Pury k la bourgeoisie de Neu- tt chatel, seront religieusement respectes; ils seront mainte-

« nus conforntement aux intentions des fondateurs et aux « actes qui ont institue ces fondations, et ne pourront jamais « etre detournes de leur but.

« Art. 8. Le present traite sera ratifte etles ratifications en

« seront ediangees dans le delai de vingt et un jours, ou plus <t t6t, si faire se peut. L'echange aura lieu a Paris.

<t En foi de quoi les ptenipotentiaires respectifs Pont signe « ety ont appose le cachet de leurs armes.

« Fait a Paris le 26 mai 1857. »

Avant de se separer, la conference prit connaissance d'un

article destine au Moniteur et redige par M. le ministre des

affaires etrangeres. Get article etait ainsi congu :

ttLes ptenipotentiaires de France, d'Autriche, dela Grande- « Bretagne, de Prusse, de Russie et de Suisse, reunis aujour- « d'hui au ministere des affaires etrangeres, ont signe un

«traite qui regie, d'une mantere definitive, la question de

< Neuchatel, par la renonciation de Sa Majeste le roi de Prusse « aux droits souverains que les traites lui attribuaient sur

«: cette principaute et au moyen d'engagements contractes par «la Confederation suisse, qui sont de nature a repondre a la ee haute sollicitude du roi Frederic-Guillaume pour les Neu- « chatelois. »

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158 I11ST01RE D'UNE ANNEXION.

Je n'ai pas besoin de faire remarquer l'extreliie habilete de

cette redaction.

Le soir, on racontait a Paris, dans un salon diplomatique,

qu'au moment de la signature, lorsqu'on apposaitles cachets, celui de M. de Hatzfeld s'etait brise. La cornaline, gravee aux

armes du comte, s'etait separee en eclats, sans doute au

contact de la tire trop chaude. On le disait d'ailleurs tout bas, car M. de Hatzfeld, emu de

cette etrange coincidence, avait demande le secret. Ainsi fut consomme l'aneantissement definitif de cette pe¬

tite nationalite neuchateloise, a la veille d'une epoque qui devait voir le reveil de nationalites plus heureuses; ainsi fut

detidee, par les grandes puissances monarchiques, la ruine

d'un petit etat monarchique. Les royalistes n'ont rien dit, conservant pour la France, malgre le verdict qui les frap-

pait, un sentiment d'imperissable gratitude. Seule, la Suisse a cm devoir se plaindre, je ne sais trop pourquoi : sans

doute parce qu'il est d'habituded'esperer d'autant plus qu'on obtient davantage. Pendant tout le cours des negotiations, de ces longues negotiations qui abregerent peut-etre la vie du regrettable M. de Hatzfeld, le conseil federal ne temoigna ni beaucoup de moderation, ni beaucoup de respect pour les engagements contractes. II me suffira de rappeler la clause relative aux prevenus. Sa diplomatie etonna tout le monde

par ses injustifiables indiscretions. Le mot est du Moniteur; je ne fais que le reproduire. Elte eut contre elle, et le droit

qui etait manifeste, et les formes dont elle parut affecter de ne tenir aucun compte. Mais elle avait pour elle le fait accom¬

pli, une extreme bienveillance chez la puissance mediatrice, la division de l'Allemagne et surtout la faiblesse de la Prusse.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 159

Ce qu'elle voulait, elle l'a obtenu; ce qu'elle demandait on le

lui a donne; l'annexion est chose faite; annexion veritable,

quand on songe aux progres chaque jour croissants du sys¬ teme de centralisation, aux tendances non equivoques du

gouvernement de Berne, aux actes par lesquels il les mani¬

festo. Sous ce rapport, Neuchatel ne relevait pas de lui-

meme, comme le disait le texte du traite; il se disposait k

relever du siege de la confederation ; ce n'etait pas une re¬

volution quil'emancipait; c'etait une abdication qui Fannu-

lait. Le temps n'est pas loin, a la mantere dont vont les

choses, ou les capitales des Etats independants de la Suisse, deviendront des prefectures, et ou la vie politique, apres avoir reflue, comme a Neuchatel, de la commune au chef-

lieu du gouvernement local, finira par refluer au chef-lieu

du gouvernement central. Et quand cette transformation sera

accomplie, quand les races se seront m6tees, quand les natio-

nalites se seront confondues, quand ces vieux cantons, dont

l'histoire quatre ou cinq ibis seculaire est en meme temps l'histoire de la liberie dans le monde, ne seront plus que des departements administres par les premiers venus, quand le niveau se sera promene sur toutes ces inegalites qui s'ega- lisaient en quelque sorte devant un commun esprit de

Concorde et d'union, _a qui tout cela profitera-t-il? A la

puissance de la Suisse? Elle ne sera jamais qu'une puissance de cinquieme ordre. A son independance? J'ai prouve te

contraire. A la liberie? J'ai peur que non.

Sans doute, je congois la centralisation dans certains cas et dans certaines circonstances. Elte s'expliquait en France, a ltepoque ou elle fut etablie. On enlevait a la Bourgogne et au Languedoc, a la Normandie et a la Bretagne le dernier

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160 HIST01RE D'UNE ANNEXION.

signe ou plutot la derntere etiquette de Pautonomie, mais en les appelant au partage d'une autonomie reelle, grande et

glorieuse. On les absorbait comme provinces, mais on teur

apportait en retour, avec ltegalite des droits, l'emancipation

politique. Je dis plus, il le fallait. Le canon grondait alors sur chacune de nos frontieres, le gouvernement etait un

combat, le pouvoir un champ de bataille; il fallait que la na¬ tion fut un tout, tt La France ne devait avoir qu'une tete tt qu'un bras, qu'une volonte, et l'esprit d'unite devait etre « inflexible, parce qu'il etait le salut de la France.] »

En Suisse en est-il de meme Ou sont les gloires que represente la centralisation? Ou est la liberie qu'elle a

conquise, l'emancipation qu'elle a apportee Je les cherche

etjeneles trouve, ni dans le joug qui sept ans pesa sur

Fribourg, ni dans l'expedition des corps francs, ni dans les tristes tropltees de la guerre du Sonderbund; je me demande

qui a fait la Suisse, la Suisse libre, respectee et indepen- dante, des secousses de 1848 ou des rtero'iques conspirateurs qui se grouperent aulour de son berceau, de son unite

d'aujourd'hui ou de Fantique alliance de ses diverses natio-

nalites; je me rappelle tant de Iteros qui ont illustre ses an¬

nates, tant dehautsfaits qui les ont enrichies; et, sans con- damner personne, sans meconnaitre les necessites de notre

epoque,jeme prends a regretter que la Suisse, puissante par ses divisions ntemes, grande par son histoire autant que par ses institutions, se soit affaiblie en devenant compacte, et amoindrie devant PEurope 1c jour oil elle a voulu comp¬ ter devant elle.

1. M. Elias Regnault, appel a la province.

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HISTOIRE D'UNE ANNEXION. 161

Quant a la Prusse j'ai raconte quelle fut son attitude. En

esquissantle tableau de la politique du cabinet de Berlin de¬

puis la revolution de 1848, j'eusse desire que la verite histo-

rique me permit de la montrer plus ferme, plus agissante,

plus digne du r61e de la Prusse dans la patrie allemande. En

suivantles diverses phases de la negotiation qui fait le sujet de mon travail, j'ai signate les memes hesitations, les memes

incertitudes. De deux choses l'une: ou il fallait empecher a

tout prix le mouvement du 3 septembre, ou il fallait te sou-

tenir a coups de canon. Certes, le roi voulait sincerement la

restauration de Neuchatel; malheureusement, on l'a vu, il

etait seul a la vouloir. II avait fait un immense sacrifice en

ratifiant la paix de Londres ; il en fit un plus penible encore

en signant le traite de Paris. Quelques mois apres, il descen-

dait du tr6ne, malade, decourage, laissant au prince de

Prusse les renes de la monarchie. Je dirais volontiers de ce

livre qu'il est la derniere page du regne de Frederic-Guil¬

laume. Si douloureuses qu'en soient les tristesses, il ne m'a

pas coute de les mettre au jour, parce qu'en les racontant,

je crois les avoir expliquees. D'ailleurs, au verso de cette

meme page qui est de l'histoire, j'en vois une autre qui com¬

mence, dont j'augure mieux pour la Prusse, et dont une

main ferme et liberate tragait elle-meme les premieres

lignes le 24 octobre 1857. A cdte des enseignements du passe, il y a les promesses de l'avenir.

FIN.

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