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C onstruire la ville en plaçant l’hu- main au centre des préoccupa- tions, tel est le principal message de Richard Trapitzine. Pour cet ingénieur géomètre de formation et docteur en urba- nisme, membre actif (à Aix-en-Provence) de la Fédération internationale Cobaty (www.cobaty.org), la ville harmonieuse n’est pas une utopie. Dans son ouvrage «Pour un urbanisme humaniste. Réalités d’hier, utopie d’aujourd’hui, réalité de de- main?», cette ville nouvelle reste à imagi- ner dans le cadre d’un processus partici- patif qui n’exclurait pas pour autant ceux dont c’est le métier. Les solutions tech- niques sont insuffisantes: elles doivent s’inscrire dans un projet politique et de territoire. «Ouvrons les yeux sur notre passé récent, tirons-en les enseignements et réorientons nos politiques et nos pra- tiques urbaines en conséquence», énonce dès les premières pages l’auteur, dont le livre est porteur d’espoir. Un passé riche en enseignements Comment est-on parvenu aux points de rupture sociale et territoriale qui caracté- risent l’impasse urbaine actuelle? Pour tenter de répondre à cette question, Trapitzine re- visite l’urbanisme à travers ses quatre grands courants. Si l’auteur se base essentiellement sur des exemples français, le discours est aisément transposable à nos villes suisses. La première période (fin XIX e - début XX e ) est marquée par les idées progressiste et hygiéniste. Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, en période de relance économique, les pouvoirs publics prennent conscience de la nécessité de mettre en œuvre une meilleure organisation urbaine, améliorant la qualité de vie. Les villes doivent assurer l’accueil de la main-d’œuvre d’origine rurale – conséquence de la révolu- tion industrielle - et résoudre les problèmes de fonctionnalité, d’hygiène, de salubrité et de sécurité. La loi Cornudet est votée en France (1919), ordonnant aux villes de plus de 10 000 ha- n HISTOIRE ET QUESTIONS CONTEMPORAINES Pour un urbanisme humaniste En mars 2019 sera célébré le centième anniversaire de la première loi d’urbanisme proprement dite, la loi française dite Cornudet. Dans son ouvrage paru récemment aux éditions L ’Harmattan, Richard Trapitzine dresse un bilan sur ce siècle d’urbanisation, influencé par les courants progressiste et hygiéniste, fonctionnaliste, planificateur et finalement environnementaliste. L ’auteur plaide pour un urbanisme humaniste, fait de pédagogie et de participation citoyennes. 6 URBANISME TOUT L’IMMOBILIER • N O 927 • 10 DÉCEMBRE 2018 Richard Trapitzine.

HISTOIRE ET QUESTIONS CONTEMPORAINES Pour un urbanisme … · 2018. 12. 10. · Le Corbusier. Selon Trapitzine, ce courant s’attache à «sublimer» l’individu dans l’ar-chitecture,

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Page 1: HISTOIRE ET QUESTIONS CONTEMPORAINES Pour un urbanisme … · 2018. 12. 10. · Le Corbusier. Selon Trapitzine, ce courant s’attache à «sublimer» l’individu dans l’ar-chitecture,

Construire la ville en plaçant l’hu-main au centre des préoccupa-tions, tel est le principal message

de Richard Trapitzine. Pour cet ingénieur géomètre de formation et docteur en urba-nisme, membre actif (à Aix-en-Provence) de la Fédération internationale Cobaty (www.cobaty.org), la ville harmonieuse n’est pas une utopie. Dans son ouvrage «Pour un urbanisme humaniste. Réalités d’hier, utopie d’aujourd’hui, réalité de de-main?», cette ville nouvelle reste à imagi-ner dans le cadre d’un processus partici-patif qui n’exclurait pas pour autant ceux dont c’est le métier. Les solutions tech-niques sont insuffisantes: elles doivent s’inscrire dans un projet politique et de territoire. «Ouvrons les yeux sur notre passé récent, tirons-en les enseignements et réorientons nos politiques et nos pra-tiques urbaines en conséquence», énonce

dès les premières pages l’auteur, dont le livre est porteur d’espoir.

Un passé riche en enseignements

Comment est-on parvenu aux points de rupture sociale et territoriale qui caracté-

risent l’impasse urbaine actuelle? Pour tenter de répondre à cette question, Trapitzine re-visite l’urbanisme à travers ses quatre grands courants. Si l’auteur se base essentiellement sur des exemples français, le discours est aisément transposable à nos villes suisses. La première période (fin XIXe - début XXe) est marquée par les idées progressiste et hygiéniste. Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, en période de relance économique, les pouvoirs publics prennent conscience de la nécessité de mettre en œuvre une meilleure organisation urbaine, améliorant la qualité de vie. Les villes doivent assurer l’accueil de la main-d’œuvre d’origine rurale – conséquence de la révolu-tion industrielle - et résoudre les problèmes de fonctionnalité, d’hygiène, de salubrité et de sécurité. La loi Cornudet est votée en France (1919), ordonnant aux villes de plus de 10 000 ha-

n HISTOIRE ET QUESTIONS CONTEMPORAINES

Pour un urbanisme humanisteEn mars 2019 sera célébré le centième anniversaire de la première loi d’urbanisme proprement dite, la loi française dite Cornudet. Dans son ouvrage paru récemment aux éditions L’Harmattan, Richard Trapitzine dresse un bilan sur ce siècle d’urbanisation, influencé par les courants progressiste et hygiéniste, fonctionnaliste, planificateur et finalement environnementaliste. L’auteur plaide pour un urbanisme humaniste, fait de pédagogie et de participation citoyennes.

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Richard Trapitzine.

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bitants d’établir un Plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension. Cependant, bien que pavé de bonnes intentions, l’urba-nisme qui en découle est guidé par la loi du marché et profite directement aux promo-teurs et propriétaires fonciers. La juxtapo-sition de lotissements ou d’ensembles d’ha-bitations, au gré des opportunités foncières, produit souvent des quartiers banalisés, sans repère ni hiérarchisation. Les couronnes ur-baines viennent enserrer les noyaux histo-riques, marquant les débuts de l’étalement urbain, puis du mitage du territoire. Pour Trapitzine, ce moment de rupture annonce «la ville du chacun chez soi (…), la perte du bien commun et du sens collectif». Les habitants se mettent «à vivre les uns à côté des autres, mais pas les uns avec les autres». Selon l’auteur, ces dérives auraient pu être

évitées si des experts d’autres disciplines (paysagisme, environnement, sociologie, etc.) avaient été associés aux architectes.

Force et faiblesse de Le Corbusier

Le fonctionnalisme est le second courant (1930 - 1960); il prend naissance grâce aux travaux des congrès internationaux d’archi-tecture moderne, notamment en France, sous l’impulsion de notre compatriote suisse Le Corbusier. Selon Trapitzine, ce courant s’attache à «sublimer» l’individu dans l’ar-chitecture, plutôt que l’homme comme par-tie intégrante d’un groupe social habitant la cité. Le «Modulor» de Le Corbusier en té-moigne: les dimensions de l’homme servent d’étalon pour conditionner l’intérieur des habitations. Le but est louable, car il consiste

à organiser à l’interne les relations de voisi-nage. Cependant, les catégories sociales sont relativement homogènes et les liens avec la ville sont ignorés. Les fonctionnalités de l’espace sont cloisonnées et l’attention est portée au bâti, sans aucune réflexion sur le «vide» - les espaces publics comme lieux de rencontre. Les ensembles d’habitation pro-duits dans les années 1950 et 1960 sous l’in-fluence de ce courant ont tenté de répondre à la demande quantitative de logement. Mais les projets se réalisent souvent au coup par coup et restent limités à leur périmètre, en toute méconnaissance de l’environnement social et paysager. Dès 1958, le courant planificateur émerge; cette troisième phase est marquée par la ré-alisation de tours et de barres d’immeubles, constructions destinées à éradiquer la pré-

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carité et l’insuffi sance résidentielle. Dans les périphéries urbaines, le quantitatif domine le qualitatif. Les plans directeurs d’urba-nisme voient le jour, donnant lieu au zoning (espaces urbains, naturels, agricoles secto-risés). La spéculation foncière bat son plein dans les années 1970, la consommation de l’espace s’accroît, ainsi que les déplacements urbains. Les retards en équipements publics (écoles, hôpitaux, etc.) s’accumulent dans les nouveaux quartiers, alors que les grandes surfaces commerciales sont favorisées en périphérie. Cette ville des réseaux (ou des «tuyaux») accentue encore les ségrégations sociales; les individus doivent s’adapter au contenant d’un urbanisme imposé par des normes.

Le tournant environnementaliste

Comment passer du citoyen sujet au citoyen acteur de son devenir? Le courant environne-mentaliste - qui se superpose au courant pla-

nifi cateur - donne quelques pistes. Il trouve ses fondements dans la prise de conscience d’un épuisement progressif des ressources fossiles, à la suite du premier choc pétro-lier. Les études d’impact et d’aménagement ouvrent la porte à des réfl exions pluridisci-plinaires, ainsi qu’à la nécessité d’associer les habitants aux processus de décision. Le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 affi rme le concept de développement durable et l’environnement prend sa place dans l’ur-banisme. Mais pour Trapitzine, cela reste in-suffi sant: les individus doivent participer à la préparation de leur cadre de vie, celui-ci ne pouvant être imposé par les lois et règlements. C’est tout l’esprit des Agendas 21, qui consi-dèrent que l’urbanisme de demain sera parti-cipatif et collaboratif. «A la ville réglementée et imposée des courants fonctionnaliste et planifi cateur devra se substituer une ville dé-sirée par, pour et avec les citoyens. Une ville respectueuse des richesses de la planète, mais qui réponde aux aspirations de la société».

Cette nouvelle ville humaniste est à penser à l’échelle des bassins de vie, territoires cor-respondant aux pratiques des habitants. Le culturel, l’éducation et la formation sont à prendre en compte, ainsi que toutes les no-tions de l’ordre du sensible, sans lesquelles la recherche du lien social est illusoire. Enfi n, l’auteur souligne à quel point la spiritualité, ce sens du sacré, fait cruellement défaut, encore aujourd’hui, dans la production urbaine.

Vers une réforme des pratiques

Comment parvenir à cet urbanisme à la fois garant du droit privé et de l’intérêt collectif? Richard Trapitzine énonce un ensemble de suggestions. Il s’agit avant tout de sortir des routines de la planifi cation héritées du siècle passé. Les documents d’urbanisme et leur gou-vernance ont par ailleurs besoin de forums, non seulement virtuels, mais aussi réels. Des lieux physiques tels que des places publiques ou des promenades urbaines qui, comme au-

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paravant, favorisent la rencontre. Le projet politique, une vision à la fois rétrospective et prospective - est fondamental; porteur de l’in-térêt général, il se doit d’être un préalable au formalisme des documents d’urbanisme pres-criptifs. Les décideurs (élus, administrateurs, etc.) pourront ainsi devenir des managers et

des partenaires du développement local, dont le but sera de promouvoir le bien-être des po-pulations, dans le respect de l’environnement. Dans sa «roue de la gouvernance territoriale», Trapitzine s’attache à montrer comment le jeu des acteurs privés et publics mettra en œuvre le processus de transformation de l’espace.

Pour ce faire, il décrit les trois phases de la gouvernance: son élaboration, avec le projet politique et de territoire; pour son ancrage, les étapes opérationnelle et réglementaire; sa phase active enfi n, qui comprend la réalisa-tion, ainsi que le vécu, le suivi et l’évaluation des projets. Mais la clef de voûte de toute action est la démocratie participative et la capacité de la société civile à agir sur son propre destin, notamment en ce qui concerne la construc-tion de la ville. Cette mobilisation citoyenne passe par l’éducation des individus dès l’école et dans la famille. Dans ces condi-tions seulement, nous pourrons prétendre à un urbanisme humaniste qui «rapproche au lieu d’isoler, un urbanisme de l’empathie, fait d’enrichissement mutuel, ouvert au dialogue entre les êtres. Un urbanisme du vivre-en-semble qui construise des passerelles entre des oppositions fertiles et fécondes». ■

Véronique Stein

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Unité d’habitation de Le Corbusier à Marseille, achevée en 1952.