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Comité scientifique international pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique (UNESCO) HISTOIRE GENERALE DE L’AFRIQUE V. L’Afrique du XVI e au XVIII e siècle DIRECTEUR DE VOLUME : B. A. OGOT Éditions UNESCO

Histoire Générale de l'Afrique v - L'Afrique Du XVIe Au XVIIIe Siècle

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  • Longtemps, mythes et prjugs de toutes sortes ont cach au monde lhistoire relle de lAfrique. Les socits africaines passaient pour des socits qui ne pouvaient avoir dhistoire. Malgr dimportants travaux effectus ds les premires dcennies de ce sicle, par des pionniers comme Lo Frobenius, Maurice Delafosse, Arturo Labriola, bon nombre de spcialistes non africains, attachs certains postulats, soutenaient que ces socits ne pouvaient faire lobjet dune tude scientifique, faute notamment de sources et de documents crits. En fait, on refusait de voir en lAfricain le crateur de cultures originales, qui se sont panouies et perptues, travers les sicles, dans des voies qui leur sont propres et que lhistorien ne peut donc saisir sans renoncer certains prjugs et sans renouveler sa mthode.

    La situation a beaucoup volu depuis la fin de la deuxime guerre mondiale et en particulier depuis que les pays dAfrique, ayant accd lindpendance, participent activement la vie de la communaut internationale et aux changes mutuels qui sont sa raison dtre. De plus en plus dhistoriens se sont efforcs daborder ltude de lAfrique avec plus de rigueur, dobjectivit et douverture desprit, en utilisant certes avec les prcautions dusage les sources africaines elles-mmes.

    Cest dire limportance de lHistoire gnrale de lAfrique, en huit volumes, dont lUNESCO a entrepris la publication.

    Les spcialistes de nombreux pays qui ont travaill cette uvre se sont dabord attachs en jeter les fondements thoriques et mthodologiques. Ils ont eu le souci de remettre en question les simplifications abusives auxquelles avait donn lieu une conception linaire et limitative de lhistoire universelle, et de rtablir la vrit des faits chaque fois que cela tait ncessaire et possible. Ils se sont efforcs de dgager les donnes historiques qui permettent de mieux suivre lvolution des diffrents peuples africains dans leur spcificit socioculturelle. Cette histoire met en lumire la fois lunit historique de lAfrique et les relations de celle-ci avec les autres continents, notamment avec les Amriques et les Carabes. Pendant longtemps, les expressions de la crativit des descendants dAfricains aux Amriques avaient t isoles par certains historiens en un agrgat htroclite dafricanismes ; cette vision, il va sans dire, nest pas celle des auteurs du prsent ouvrage. Ici, la rsistance des esclaves dports en Amrique, le fait du marronnage politique et culturel, la participation constante et massive des descendants dAfricains aux luttes de la premire indpndance amricaine, de mme quaux mouvements nationaux de libration sont justement perus pour ce quils furent : de vigoureuses affirmations didentit qui ont contribu forger le concept universel dHumanit...

    De mme, cet ouvrage fait clairement apparatre les relations de lAfrique avec lAsie du Sud travers locan Indien, ainsi que les apports africains aux autres civilisations, dans le jeu des changes mutuels.

    Cet ouvrage offre aussi le grand avantage, en faisant le point de nos connaissances sur lAfrique et en proposant divers regards sur les cultures africaines, ainsi quune nouvelle vision de lhistoire, de souligner les ombres et les lumires, sans dissimuler les divergences dopinion entre savants.

    HISTOIRE GNRALE DE LAFRIQUE Volume IMthodologie et prhistoire africaine Directeur : J. Ki-Zerbo

    Volume IIAfrique ancienneDirecteur : G. Mokhtar

    Volume IIILAfrique du viie au xie sicleDirecteur : M. El FasiCodirecteur : I. Hrbek

    Volume IVLAfrique du xiie au xvie sicleDirecteur : D. T. Niane

    Volume VLAfrique du xvie au xviiie sicleDirecteur : B. A. Ogot

    Volume VILAfrique au xixe sicle jusque vers les annes 1880Directeur : J. F. Ade Ajayi

    Volume VIILAfrique sous domination coloniale, 1880-1935Directeur : A. Adu Boahen

    Volume VIIILAfrique depuis 1935Directeur : A. A. MazruiCodirecteur : C. Wondji

    UNESCO

    HISTOIRE GNRALE DE

    LAFRIQUE

    VLAfrique

    du xvi e au xviii e sicle

    DIRECTEUR DE VOLUmE B. A. OGOT

    Comit scientifique international pour la rdaction dune Histoire gnrale de lAfrique (UNESCO)

    HISTOIREGENERALE

    DELAFRIQUE

    V. LAfrique du xvi e au xviii e sicle DIRECTEUR DE VOLUmE : B. A. OGOT

    ditions UNESCO

    Couverture : Photomontage dun pagne africain datant de 1656, dune calebasse utilise pour la divination lie lautorit royale (Angola) et dune corne divoire (Congo).

    9 789232 017116

    ISBN 978-92-3-201711-6

    e-frogeTexte tap la machineISBN 978-92-3-201711-6

  • HISTOIREGNRALE

    DELAFRIQUE

  • Comit scientifique international pour la rdaction dune Histoire gnrale de lAfrique (UNESCO)

    HISTOIREGNRALE

    DELAFRIQUE

    VLAfrique

    du XVIe au XVIIIe sicleDirecteur de volume :

    B. A. OGOT

    ditions UNEScO

  • Les ides et opinions exrimes dans cet ouvrage sont celles des auteurs et ne refltent pas ncessairement les vues de lUNESCO. Les appellations empolyes dans cette publication et la prsentation des donnes qui y figurent nimpliquent de la part de lUNESCO aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorits, ni quant leurs frontires ou limites.

    Publi en 1999 par lorganisation des Nations Unies pour lducation la science et la culture 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP

    Compos par les ditions du Mouflon, Le Kremlin-Bictre 94270, France

    Imprim par Imprimerie Hrissey, 27003 vreux

    ISBN 92-3-201711-3

    UNEScO 1999

  • 5Table des matires

    Prface ............................................................................................................................................... 9Prsentation du projet ....................................................................................................... 15Chapitre premier

    La lutte pour le commerce international et ses implicationspour lAfriqueM. MALOwIST ................................................................................................................ 19

    Chapitre 2Les structures politiques, conomiques et sociales africainesdurant la priode considreP. DIAGNE ........................................................................................................................ 43

    Chapitre 3Les mouvements de population et lmergence de nouvellesformes sociopolitiques en AfriqueJ. VANSINA ........................................................................................................................ 67

    Chapitre 4LAfrique dans lhistoire du monde : la traite des esclaves partir de lAfrique et lmergence dun ordre conomique danslAtlantiqueJ. E. INIkORI .................................................................................................................... 99

    Chapitre 5La diaspora africaine dans lAncien et le Nouveau MondeJ. E. HARRIS ..................................................................................................................... 139

  • 6lafrique du xvie au xviiie sicle

    Chapitre 6Lgypte sous lEmpire ottomanR. Vesely ........................................................................................................................ 167

    Chapitre 7Le Soudan de 1500 1800Y. F. Hasan et B. A. Ogot ............................................................................... 205

    Chapitre 8Le MarocM. El Fasi ...................................................................................................................... 237

    Chapitre 9Algrie, Tunisie et Libye: les Ottomans et leurs hritiersM. H. Chrif ............................................................................................................... 271

    Chapitre 10La Sngambie du XVIe aux XVIIIe sicle : volution des Wolof,des Seereer et des TukuloorB. Barry ............................................................................................................................ 301

    Chapitre 11La fin de lEmpire songhayM. Abitbol ..................................................................................................................... 341

    Chapitre 12Du Niger la VoltaM. Izard et J. Ki-Zerbo ........................................................................................ 369

    Chapitre 13Les tats et les cultures de la cte de haute GuineC. Wondji ........................................................................................................................ 411

    Chapitre 14Les tats et les cultures de la cte de la Guine infrieureA. A. Boahen ................................................................................................................. 443

    Chapitre 15Les Fon et les Yoruba, du delta du Niger au CamerounE. J. Alagoa ..................................................................................................................... 483

    Chapitre 16Les tats hawsaD. Laya .............................................................................................................................. 503

    Chapitre 17Le Knem-Borno : ses relations avec la Mditerrane,le Baguirmi et les autres tats du bassin du TchadB. M. Barkindo ........................................................................................................... 541

    Chapitre 18Des savanes du Cameroun au haut NilE. MBokolo ................................................................................................................. 457

  • 7Table des maTires

    Chapitre 19Le Royaume du Kongo et ses voisinsJ. VANSINA .......................................................................................................................... 601

    Chapitre 20Le systme politique luba et lunda: mergence et expansionNDAywEL NzIEm .................................................................................................... 643

    Chapitre 21La Zambzie du Nord : la rgion du lac MalawiK. M. PHIRI, O. J. M. KALINGA et H. H. K. BHILA .................................... 665

    Chapitre 22La rgion au sud du ZambzeH. H. K. BHILA ............................................................................................................... 697

    Chapitre 23LAfrique australeD. DENOON ..................................................................................................................... 743

    Chapitre 24La corne de lAfriqueE. HAbERLAND .............................................................................................................. 765

    Chapitre 25La cte orientale de lAfriqueA. I. SALIm ........................................................................................................................ 815

    Chapitre 26La rgion des Grands Lacs, de 1500 1800 J. B. WEbSTER, B. A. OGOT et J. P. cHRTIEN .......................................... 843

    Chapitre 27Lintrieur de lAfrique de lEst : les peuples du Kenya et dela Tanzanie (1500 -1800)W. R. OcHIENG ............................................................................................................ 897

    Chapitre 28Madagascar et les les de locan IndienR. K. KENT ....................................................................................................................... 921

    Chapitre 29Lhistoire des socits africaines de 1500 1800 : conclusionB. A. OGOT ....................................................................................................................... 969

    Notice biographique des auteurs ............................................................................................... 981Membres du Comit scientifique international ................................................................... 987Abrviations et liste des priodiques ........................................................................................ 989Bibliographie ..................................................................................................................................... 995Glossaire ............................................................................................................................................... 1057Index ...................................................................................................................................................... 1091

  • 9Prfacepar

    M. Amadou-Mahtar MBow Directeur gnral

    de lUNESCO (1974 -1987)

    Longtemps, mythes et prjugs de toutes sortes ont cach au monde lhis-toire relle de lAfrique. Les socits africaines passaient pour des socits qui ne pouvaient avoir dhistoire. Malgr dimportants travaux effectus, ds les premires dcennies de ce sicle, par des pionniers comme Leo Frobenius, Maurice Delafosse, Arturo Labriola, bon nombre de spcialistes non africains, attachs certains postulats, soutenaient que ces socits ne pouvaient faire lobjet dune tude scientifique, faute notamment de sources et de documents crits.

    Si LIliade et LOdysse pouvaient tre considres juste titre comme des sources essentielles de lhistoire de la Grce ancienne, on dniait, en revan-che, toute valeur la tradition orale africaine, cette mmoire des peuples qui fournit la trame de tant dvnements qui ont marqu leur vie. On se limitait, en crivant lhistoire dune grande partie de lAfrique, des sources extrieu-res lAfrique, pour donner une vision non de ce que pouvait tre le chemi-nement des peuples africains, mais de ce que lon pensait quil devait tre. Le Moyen ge europen tant souvent pris comme point de rfrence, les modes de production, les rapports sociaux comme les institutions politi-ques ntaient perus que par rfrence au pass de lEurope.

    En fait, on refusait de voir en lAfricain le crateur de cultures originales qui se sont panouies et perptues, travers les sicles, dans des voies qui leur sont propres et que lhistorien ne peut donc saisir sans renoncer cer-tains prjugs et sans renouveler sa mthode.

    De mme, le continent africain ntait presque jamais considr comme une entit historique. Laccent tait, au contraire, mis sur tout

  • 10

    lafrique du xvie au xviiie sicle

    ce qui pouvait accrditer lide quune scission aurait exist, de toute ternit, entre une Afrique blanche et une Afrique noire ignorantes lune de lautre. On prsentait souvent le Sahara comme un espace imp-ntrable qui rendait impossibles des brassages dethnies et de peuples, des changes de biens, de croyances, de murs et dides entre les socits constitues de part et dautre du dsert. On traait des frontires tanches entre les civilisations de lgypte ancienne et de la Nubie, et celles des peuples subsahariens.

    Certes, lhistoire de lAfrique nord-saharienne a t davantage lie celle du bassin mditerranen que ne la t lhistoire de lAfrique subsa-harienne, mais il est largement reconnu aujourdhui que les civilisations du continent africain, travers la varit des langues et des cultures, forment, des degrs divers, les versants historiques dun ensemble de peuples et de socits quunissent des liens sculaires.

    Un autre phnomne a beaucoup nui ltude objective du pass africain : je veux parler de lapparition, avec la traite ngrire et la coloni-sation, de strotypes raciaux gnrateurs de mpris et dincomprhension et si profondment ancrs quils faussrent jusquaux concepts mmes de lhistoriographie. partir du moment o lon eut recours aux notions de Blancs et de Noirs pour nommer gnriquement les colonisateurs, considrs comme suprieurs, et les coloniss, les Africains eurent lutter contre un double asservissement conomique et psychologique. Repra-ble la pigmentation de sa peau, devenu une marchandise parmi dautres, vou au travail de force, lAfricain en vint symboliser, dans la conscience de ses dominateurs, une essence raciale imaginaire et illusoirement inf-rieure, celle de ngre. Ce processus de fausse identification ravala lhistoire des peuples africains dans lesprit de beaucoup au rang dune ethnohistoire o lapprciation des ralits historiques et culturelles ne pouvait qutre fausse.

    La situation a beaucoup volu depuis la fin de la seconde guerre mondiale, en particulier depuis que les pays dAfrique, ayant accd lindpendance, participent activement la vie de la communaut interna-tionale et aux changes mutuels qui sont sa raison dtre. De plus en plus dhistoriens se sont efforcs daborder ltude de lAfrique avec plus de rigueur, dobjectivit et douverture desprit, en utilisant certes avec les prcautions dusage les sources africaines elles-mmes. Dans lexercice de leur droit linitiative historique, les Africains eux-mmes ont ressenti profondment le besoin de rtablir sur des bases solides lhistoricit de leurs socits.

    cest dire limportance de lHistoire gnrale de lAfrique, en huit volumes, dont lUNEScO a commenc la publication.

    Les spcialistes de nombreux pays qui ont travaill cette uvre se sont dabord attachs en jeter les fondements thoriques et mthodologiques. Ils ont eu le souci de remettre en question les simplifications abusives aux-quelles avait donn lieu une conception linaire et limitative de lhistoire universelle, et de rtablir la vrit des faits chaque fois que cela tait nces-

  • 11

    Prface

    saire et possible. Ils se sont efforcs de dgager les donnes historiques qui permettent de mieux suivre lvolution des diffrents peuples africains dans leur spcificit socioculturelle.

    Dans cette tche immense, complexe et ardue, vu la diversit des sour-ces et lparpillement des documents, lUNEScO a procd par tapes. La premire phase (1965 -1969) a t celle des travaux de documentation et de planification de louvrage. Des activits oprationnelles ont t conduites sur le terrain : campagnes de collecte de la tradition orale, cration de centres rgionaux de documentation pour la tradition orale, collecte de manuscrits indits en arabe et en ajami (langues africaines crites en caractres ara-bes), inventaire des archives et prparation dun Guide des sources de lhistoire de lAfrique, partir des archives et bibliothques des pays dEurope, publi depuis en neuf volumes. Par ailleurs, des rencontres entre les spcialistes ont t organises o les Africains et des personnes dautres continents ont dis-cut des questions de mthodologie et ont trac les grandes lignes du projet, aprs un examen attentif des sources disponibles.

    Une deuxime tape, consacre la mise au point et larticulation de lensemble de louvrage, a dur de 1969 1971. Au cours de cette priode, des runions internationales dexperts tenues Paris (1969) et Addis-Abeba (1970) eurent examiner et prciser les problmes touchant la rdaction et la publication de louvrage : prsentation en huit volumes, dition princi-pale en anglais, en franais et en arabe, ainsi que des traductions en langues africaines, telles que le kiswahili, le hawsa, le fulfulde (peul), le yoruba ou le lingala. Sont prvues galement des traductions en allemand, russe, portu-gais, espagnol, chinois1, de mme que des ditions abrges, accessibles un plus vaste public africain et international.

    La troisime phase a t celle de la rdaction et de la publication. Elle a commenc par la nomination dun Comit scientifique international de trente-neuf membres, comprenant deux tiers dAfricains et un tiers de non-Africains, qui incombe la responsabilit intellectuelle de louvrage.

    Interdisciplinaire, la mthode suivie sest caractrise par la pluralit des approches thoriques, comme des sources. Parmi celles-ci, il faut citer dabord larchologie, qui dtient une grande part des cls de lhistoire des cultures et des civilisations africaines. Grce elle, on saccorde aujourdhui reconnatre que lAfrique fut, selon toute probabilit, le berceau de lhu-manit, quon y assista lune des premires rvolutions technologiques de lhistoire celle du nolithique et quavec lgypte sy panouit lune des civilisations anciennes les plus brillantes du monde. Il faut ensuite citer la tradition orale qui, nagure mconnue, apparat aujourdhui comme

    1. Le volume I est paru en anglais, arabe, chinois, coren, espagnol, franais, hawsa, italien, kiswahili, peul et portugais ; le volume II en anglais, arabe, chinois, coren, espagnol, franais, hawsa, italien, kiswahili, peul et portugais ; le volume III en anglais, arabe, espagnol et franais ; le volume IV en anglais, arabe, chinois, espagnol, franais et portugais ; le volume V en anglais et arabe ; le volume VI en anglais, arabe et franais ; le volume VII en anglais, arabe, chinois, espagnol, franais et portugais ; le volume VIII en anglais et franais.

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    lafrique du xvie au xviiie sicle

    une source prcieuse de lhistoire de lAfrique, permettant de suivre le cheminement de ses diffrents peuples dans lespace et dans le temps, de comprendre de lintrieur la vision africaine du monde, de saisir les carac-tres originaux des valeurs qui fondent les cultures et les institutions du continent.

    On saura gr au Comit scientifique international charg de cette His-toire gnrale de lAfrique, son rapporteur ainsi quaux directeurs et auteurs des diffrents volumes et chapitres davoir jet une lumire originale sur le pass de lAfrique, embrass dans sa totalit, en vitant tout dogmatisme dans ltude de questions essentielles comme la traite ngrire, cette sai-gne sans fin responsable de lune des dportations les plus cruelles de lhistoire des peuples et qui a vid le continent dune partie de ses for-ces vives, alors quil jouait un rle dterminant dans lessor conomique et commercial de lEurope ; la colonisation avec toutes ses consquences sur les plans de la dmographie, de lconomie, de la psychologie, de la culture ; les relations entre lAfrique au sud du Sahara et le monde arabe ; le processus de dcolonisation et de construction nationale qui mobilise la raison et la passion de personnes encore en vie et parfois en pleine activit. Toutes ces questions ont t abordes avec un souci dhonntet et de rigueur qui nest pas le moindre mrite du prsent ouvrage. Celui-ci offre aussi en faisant le point de nos connaissances sur lAfrique et en propo-sant divers regards sur les cultures africaines, ainsi quune nouvelle vision de lhistoire le grand avantage de souligner les ombres et les lumires, sans dissimuler les divergences dopinions entre savants.

    En montrant linsuffisance des approches mthodologiques longtemps utilises dans la recherche sur lAfrique, cette nouvelle publication invite au renouvellement et lapprofondissement de la double problmatique de lhistoriographie et de lidentit culturelle quunissent des liens de rcipro-cit. Elle ouvre la voie, comme tout travail historique de valeur, de multi-ples recherches nouvelles.

    cest ainsi dailleurs que, en troite collaboration avec lUNEScO, le Comit scientifique international a tenu entreprendre des tudes compl-mentaires afin dapprofondir quelques questions qui permettront davoir une vue plus claire de certains aspects du pass de lAfrique. ces travaux, publis dans la collection Histoire gnrale de lAfrique : tudes et documents , viendront utilement complter le prsent ouvrage2. cet effort sera galement poursuivi par llaboration douvrages portant sur lhistoire nationale ou sous-rgionale.

    2. Douze numros de cette srie sont parus ; ils portent respectivement sur : n 1 Le peuplement de lgypte ancienne et le dchiffrement de lcriture mrotique ; n 2 La traite ngrire du XVe au XIXe sicle ; n 3 Relations historiques travers locan Indien ; n 4 Lhistoriographie de lAfrique australe ; n 5 La dcolonisation de lAfrique : Afrique australe et corne de lAfrique ; n 6 Ethnonymes et toponymes ; n 7 Les relations historiques et socioculturelles entre lAfrique et le monde arabe ; n 8 La mthodologie de lhistoire de lAfrique contemporaine ; n 9 Le processus dducation et lhistoriographie en Afrique ; n 10 LAfrique et la seconde guerre mondiale ; n 11 Libya Antiqua ; n 12 Le rle des mou-vements dtudiants africains dans lvolution politique et sociale de lAfrique de 1900 1975.

  • 13

    Prface

    cette Histoire gnrale de lAfrique met la fois en lumire lunit histori-que de lAfrique et les relations de celle-ci avec les autres continents, notam-ment avec les Amriques et les carabes. Pendant longtemps, les expressions de la crativit des descendants dAfricains aux Amriques avaient t isoles par certains historiens en un agrgat htroclite dafricanismes; cette vision, il va sans dire, nest pas celle des auteurs du prsent ouvrage. Ici, la rsistance des esclaves dports en Amrique, le fait du marronnage politique et culturel, la participation constante et massive des descendants dAfricains aux luttes de la premire indpendance amricaine de mme quaux mouvements nationaux de libration sont justement perus pour ce quils furent : de vigoureuses affirmations didentit qui ont contribu for-ger le concept universel dhumanit. Il est vident aujourdhui que lhritage africain a marqu, plus ou moins selon les lieux, les manires de sentir, de penser, de rver et dagir de certaines nations de lhmisphre occidental. Du sud des tats-Unis jusquau nord du Brsil, en passant par les Carabes ainsi que par la cte du Pacifique, les apports culturels hrits de lAfrique sont partout visibles ; dans certains cas mme, ils constituent les fondements essentiels de lidentit culturelle de quelques lments les plus importants de la population.

    De mme, cet ouvrage fait clairement apparatre les relations de lAfri-que avec lAsie du Sud travers locan Indien, ainsi que les apports africains aux autres civilisations dans le jeu des changes mutuels.

    Je suis convaincu que les efforts des peuples dAfrique pour conqurir ou renforcer leur indpendance, assurer leur dveloppement et affermir leurs spcificits culturelles doivent senraciner dans une conscience historique rnove, intensment vcue et assume de gnration en gnration.

    Et ma formation personnelle, lexprience que jai acquise comme ensei-gnant et, ds les dbuts de lindpendance, comme prsident de la premire commission cre en vue de la rforme des programmes denseignement de lhistoire et de la gographie dans certains pays dAfrique de lOuest et du centre mont appris combien tait ncessaire, pour lducation de la jeunesse et pour linformation du public, un ouvrage dhistoire labor par des savants connaissant du dedans les problmes et les espoirs de lAfrique et capables de considrer le continent dans son ensemble.

    Pour toutes ces raisons, lUNEScO veillera ce que cette Histoire gnrale de lAfrique soit largement diffuse, dans de nombreuses langues, et quelle serve de base llaboration de livres denfants, de manuels scolaires et dmissions tlvises ou radiodiffuses. Ainsi, jeunes, coliers, tudiants et adultes dAfrique et dailleurs pourront avoir une meilleure vision du pass du continent africain, des facteurs qui lexpliquent, et une plus juste compr-hension de son patrimoine culturel et de sa contribution au progrs gnral de lhumanit. cet ouvrage devrait donc contribuer favoriser la coopration internationale et renforcer la solidarit des peuples dans leurs aspirations la justice, au progrs et la paix. Du moins est-ce le vu que je forme trs sincrement.

    Il me reste exprimer ma profonde gratitude aux membres du comit scientifique international, au rapporteur, aux directeurs des diffrents volu-

  • 14

    lafrique du xvie au xviiie sicle

    mes, aux auteurs et tous ceux qui ont collabor la ralisation de cette prodigieuse entreprise. Le travail quils ont effectu, la contribution quils ont apporte montrent bien ce que des hommes venus dhorizons divers, mais anims dune mme bonne volont, dun mme enthousiasme au service de la vrit de tous les hommes, peuvent faire, dans le cadre inter-national quoffre lUNEScO, pour mener bien un projet dune grande valeur scientifique et culturelle. Ma reconnaissance va galement aux organisations et gouvernements qui, par leurs dons gnreux, ont permis lUNEScO de publier cette uvre dans diffrentes langues et de lui assu-rer le rayonnement universel quelle mrite, au service de la communaut internationale tout entire.

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    * AucoursdelasiximesessionplnireduComitscientifiqueinternationalpourlardactiondune Histoire gnrale de lAfrique (Brazzaville, aot 1983), il a t procd llection dun nou-veau Bureau, et le professeur Ogot a t remplac par le professeur Albert Adu Boahen.

    Prsentation du projetpar

    le professeur Bethwell Allan Ogot *prsident du Comit scientifique international

    pour la rdaction dune HistoiregnraledelAfrique

    La Confrence gnrale de lUnesCO, sa seizime session, a demand au Directeur gnral dentreprendre la rdaction dune Histoire gnrale de lAfrique.CetravailconsidrableatconfiunComitscientifiqueinter-national cr par le Conseil excutif en 1970.

    Aux termes des statuts adopts par le Conseil excutif de lUnesCO en 1971, ce Comit se compose de trente-neuf membres (dont deux tiers dAfricains et un tiers de non-Africains) sigeant titre personnel et nomms par le Directeur gnral de lUnesCO pour la dure du mandat du Comit.

    LapremiretcheduComittaitdedfinirlesprincipalescaractristi-quesdelouvrage.Illesadfiniescommesuitsadeuximesession:Toutenvisantlaplushautequalitscientifiquepossible,lHistoire gn-rale de lAfrique ne cherche pas tre exhaustive et est un ouvrage de synthse qui vitera le dogmatisme. maints gards, elle constitue un expos desproblmes indiquant ltat actuel des connaissances et les grands courantsde la recherche, et nhsite pas signaler, le cas chant, les divergences dopinion. elle prparera en cela la voie des ouvrages ultrieurs.LAfriqueestconsidrecommeuntout.Lebutestdemontrerlesrela-tionshistoriquesentrelesdiffrentespartiesducontinenttropsouventsub-divis danslesouvragespublisjusquici.LeslienshistoriquesdelAfriqueavec lesautrescontinents reoivent lattentionquilsmritentet sontana-lysssouslangledeschangesmutuelsetdesinfluencesmultilatrales,de

  • 16

    lafrique du xvie au xviiie sicle

    manire faire apparatre sous un jour appropri la contribution de lAfrique au dveloppement de lhumanit. LHistoire gnrale de lAfrique est, avant tout, une histoire des ides et des civilisations, des socits et des institutions. Elle se fonde sur une grande diversit de sources, y compris la tradition orale et lexpression artistique. LHistoire gnrale de lAfrique est envisage essentiellement de lintrieur. Ouvrage savant, elle est aussi, dans une large mesure, le reflet fidle de la faon dont les auteurs africains voient leur propre civilisation. Bien qulabo-re dans un cadre international et faisant appel toutes les donnes actuelles de la science, lHistoire sera aussi un lment capital pour la reconnaissance du patrimoine culturel africain et mettra en vidence les facteurs qui contri-buent lunit du continent. cette volont de voir les choses de lintrieur constitue la nouveaut de louvrage et pourra, en plus de ses qualits scientifiques, lui confrer une grande valeur dactualit. En montrant le vrai visage de lAfrique, lHistoire pourrait, une poque domine par les rivalits conomiques et techniques, proposer une conception particulire des valeurs humaines.

    Le comit a dcid de prsenter louvrage, portant sur plus de trois mil-lions dannes dhistoire de lAfrique, en huit volumes comprenant chacun environ huit cents pages de textes avec des illustrations, des photographies, des cartes et des dessins au trait.

    Pour chaque volume, il est dsign un directeur principal qui est assist, le cas chant, par un ou deux codirecteurs.

    Les directeurs de volume sont choisis lintrieur comme lextrieur du comit par ce dernier qui les lit la majorit des deux tiers. Ils sont char-gs de llaboration des volumes, conformment aux dcisions et aux plans arrts par le Comit. Ils sont responsables sur le plan scientifique devant le comit ou, entre deux sessions du comit, devant le Bureau, du contenu des volumes, de la mise au point dfinitive des textes, des illustrations et, dune manire gnrale, de tous les aspects scientifiques et techniques de lHistoire. Cest le Bureau qui, en dernier ressort, approuve le manuscrit final. Lorsquil lestime prt pour ldition, il le transmet au Directeur gnral de lUNEScO. Le comit, ou le Bureau entre deux sessions du comit, reste donc le matre de luvre.

    chaque volume comprend une trentaine de chapitres. chaque chapitre est rdig par un auteur principal assist, le cas chant, dun ou de deux collaborateurs.

    Les auteurs sont choisis par le comit au vu de leur curriculum vit. La prfrence est donne aux auteurs africains, sous rserve quils possdent les titres voulus. Le Comit veille particulirement ce que toutes les rgions du continent ainsi que dautres rgions ayant eu des relations historiques ou culturelles avec lAfrique soient, dans la mesure du possible, quitablement reprsentes parmi les auteurs.

    Aprs leur approbation par le directeur de volume, les textes des diff-rents chapitres sont envoys tous les membres du comit pour quils en fassent la critique.

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    PrsenTaTion du ProjeT

    Au surplus, le texte du directeur de volume est soumis lexamen dun comit de lecture, dsign au sein du Comit scientifique international, en fonction des comptences des membres ; ce comit est charg dune analyse approfondie du fond et de la forme des chapitres.

    Le Bureau approuve en dernier ressort les manuscrits.cette procdure qui peut paratre longue et complexe sest rvle

    ncessaire car elle permet dapporter le maximum de garantie scientifique lHistoire gnrale de lAfrique. En effet, il est arriv que le Bureau rejette des manuscrits ou demande des ramnagements importants ou mme confie la rdaction dun chapitre un nouvel auteur. Parfois, des spcialistes dune priode donne de lhistoire ou dune question donne sont consults pour la mise au point dfinitive dun volume.

    Louvrage sera publi, en premier lieu, en une dition principale en anglais, en franais et en arabe et en une dition broche dans les mmes langues.

    Une version abrge en anglais et en franais servira de base pour la tra-duction en langues africaines. Le Comit scientifique international a retenu comme premires langues africaines dans lesquelles louvrage sera traduit : le kiswahili et le hawsa.

    Il est aussi envisag dassurer, dans la mesure du possible, la publication de lHistoire gnrale de lAfrique en plusieurs langues de grande diffusion internationale (entre autres, allemand, chinois, espagnol, italien, japonais, portugais, russe, etc.).

    Il sagit donc, comme on peut le voir, dune entreprise gigantesque qui constitue une immense gageure pour les historiens de lAfrique et la commu-naut scientifique en gnral, ainsi que pour lUNESCO qui lui accorde son patronage. On peut en effet imaginer sans peine la complexit dune tche comme la rdaction dune histoire de lAfrique, qui couvre, dans lespace, tout un continent et, dans le temps, les quatre derniers millions dannes, respecte les normes scientifiques les plus leves et fait appel, comme il se doit, des spcialistes appartenant tout un ventail de pays, de cultures, didologies et de traditions historiques. cest une entreprise continentale, internationale et interdisciplinaire de grande envergure.

    En conclusion, je tiens souligner limportance de cet ouvrage pour lAfrique et pour le monde entier. lheure o les peuples dAfrique luttent pour sunir et mieux forger ensemble leurs destins respectifs, une bonne connaissance du pass de lAfrique, une prise de conscience des liens qui unissent les Africains entre eux et lAfrique aux autres continents devraient faciliter, dans une grande mesure, la comprhension mutuelle entre les peu-ples de la terre, mais surtout faire connatre un patrimoine culturel qui est le bien de lhumanit tout entire.

    Bethwell Allan OGOT8 aot 1979

    Prsident du Comit scientifique internationalpour la rdaction dune Histoire gnrale de lAfrique

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    Si lon trace la carte gopolitique du monde en lan 1500, on voit apparatre un certain nombre de grandes rgions relativement autonomes qui entre-tiennent, des degrs divers, des rapports mutuels dordre soit commercial soit conflictuel. Il y a, dabord, lExtrme-Orient, reprsent par le Japon et la Chine, qui, avec les rgions du Pacifique et de locan Indien compre-nant les les Moluques, Borno, Sumatra et lInde elle-mme, est la source dapprovisionnement du monde en pices. Il y a, ensuite, le Moyen-Orient qui couvre une vaste zone comprenant la pninsule arabe, lEmpire safa-vide et lEmpire ottoman, lequel englobe bientt lAfrique du Nord. Puis, cest lEurope avec les Slaves, les Scandinaves, les Allemands, les Anglo-Saxons et les Latins, qui tous restent confins dans ses frontires. Enfin, il y a lAfrique, avec son rivage mditerranen au nord et ses ctes de la mer Rouge et de locan Indien qui prennent une part croissante au commerce international avec lExtrme-Orient et lOrient.

    La priode qui stend de 1500 1800 voit stablir un nouveau systme go-conomique orient vers lAtlantique, avec son dispositif commercial triangulaire reliant lEurope, lAfrique et les Amriques. Louverture du commerce atlantique va permettre lEurope, et plus particulirement lEurope occidentale, daugmenter son ascendant sur les socits des Amri-ques et dAfrique. Ds lors, elle joue un rle moteur dans laccumulation de capital gnre par le commerce et le pillage organiss lchelle mondiale. Lmigration dEuropens vers les comptoirs commerciaux dAfrique et des territoires dAmrique du Nord et du Sud donne naissance des conomies annexes qui se constituent outre-mer. Celles-ci joueront, long terme, un

    c h a p i t r e p r e m i e r

    La lutte pour le commerce international et ses implications

    pour lAfriqueM. Malowist

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    LAfrique du xvie Au xviiie sicLe

    rle dcisif par leur contribution la monte en puissance de lEurope qui assied sa domination sur le reste du monde.

    De lavis des historiens, la priode qui va de 1450 1630 a t marque dans la plupart des pays europens, en particulier pour ceux de lOuest et du Sud-Ouest, par une formidable expansion conomique, politique et cultu-relle. Avec le temps, la division du continent en un Nord-Ouest avanc sur le plan conomique, une pninsule ibrique relativement peu dveloppe et un vaste Centre-Est se dveloppant rapidement mais galement de plus en plus tributaire des marchs occidentaux saccentue.

    La priode est aussi marque par un mouvement dexpansion outre-mer qui atteint dimmenses territoires situs en bordure de lAtlantique, et mme dans le Pacifique. La cte africaine est touche par ce mouvement ds le dbut du XVie sicle, encore que lAfrique du Nord connaisse une situation diffrente de celle de la rgion situe au sud du Sahara. La Mditerrane est le thtre dune pre rivalit opposant lEspagne, le Portugal, la France et lAfrique du Nord musulmane, tandis que linfluence de lEmpire ottoman ne cesse de grandir.

    En 1517, les Ottomans semparent de lgypte, puis soumettent une grande partie de la pninsule arabe et tablissent peu peu leur domination sur Tripoli, Tunis et Alger, o des rgences ottomanes sous protectorat turc se multiplient. Celles-ci font planer une grave menace sur les navires euro-pens et sur les ctes mridionales de lItalie et de lEspagne. Au Maroc, cependant, les Portugais parviennent asseoir leur emprise sur une grande partie de la cte, jusqu Agadir et Safi, alors que les Castillans stablissent Tlemcen et Oran1.

    Ces conqutes sont dune grande importance, car elles assurent aux Por-tugais le contrle des dbouchs de certaines grandes routes du commerce de lor et des esclaves tabli, depuis des sicles, entre le Soudan occidental et les ctes mditerranennes travers le Sahara et le Maghreb. Les dbouchs de certains autres grands axes, dorientation nord-sud et est-ouest, sont aux mains des Turcs et de reprsentants plus ou moins autonomes de lEmpire ottoman en Afrique (Alger, Tunis et Tripoli). Ces vnements interviennent prs dun sicle aprs le dbut de lexpansion portugaise en Afrique occi-dentale, ce qui explique que les Europens2 dtournent leur profit une partie du trafic de lor et des esclaves, auparavant destin au monde musul-man. Il en rsulte une rduction de lapprovisionnement en or du Maghreb, problme dont ltude approfondie permettrait sans aucun doute de mieux comprendre la conqute de la boucle du Niger par les Marocains, en 1591, qui leur permit de sassurer la matrise de certains circuits du commerce de lor et des esclaves reliant lAfrique occidentale au Maghreb et lgypte. La clbre campagne du pacha Djdar est un exemple typique des grandes conqutes qui marquent le XVie sicle. Il est bon dajouter que ce pacha est lui-mme un rengat de souche ibrique et que son arme, compose princi-

    1. Voir chapitre 9.2. V. Magalhes Godinho, 1969, p. 184 -217.

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    LA Lutte pour Le commerce internAtionAL

    palement dhommes de la mme origine, perptue la tradition des conqutes espagnoles et portugaises3.

    On pensait juste titre, lpoque, que la cte de lAfrique occidentale et de lAfrique orientale resterait longtemps sous la domination conomique et politique du Portugal, qui exerait aussi une certaine influence culturelle sur ses partenaires commerciaux africains. Pendant tout le XVe sicle et au dbut du XVie sicle, les Portugais russissent tablir de nombreux comptoirs sur la cte occidentale et faire participer la population du littoral et ses chefs au commerce avec les Europens. partir de 1481 -1482, la forteresse dElmina devient le comptoir le plus important de la Cte-de-lOr. Dautres comptoirs prennent galement de lampleur dans la rgion, tels Axim, Shamma et Accra. Lorsquils tablissent de nouveaux comptoirs, les Portugais sefforcent dob-tenir lautorisation des chefs autochtones et dacheter, de diverses faons, leur bienveillance.

    En Afrique orientale, ils emploient dautres mthodes : ils crasent Sofala, Mombasa et dautres villes ctires, y placent des garnisons et lvent un impt au profit du roi du Portugal. En mme temps, ils cherchent semparer du commerce de lor, de livoire et des mtaux entre la cte, larrire-pays et lInde. Les divers comptoirs et factoreries portugais en Afrique ne connaissent pas tous le mme succs. Au dbut du XVie sicle, le commerce Elmina, lembouchure de la Gambie, en Sierra Leone et Sofala rapporte de sub-stantiels bnfices provenant principalement de lachat de lor des conditions avantageuses et, dans une moindre mesure, du trafic des esclaves fournis par larrire-pays. Arguin, la plus ancienne des factoreries portugaises, continue toutefois de dcliner4.

    Le commerce avec lAfrique est trs lucratif pour le Portugal. Daprs les calculs de Lcio de Azevedo, les gains de la Couronne, qui slevaient quelque 60 millions de raux dans les annes 1480, atteignent dj 200 mil-lions sous le rgne du roi Manuel (1491 -1521) et pas moins de 279,5 millions en 15345. De toute vidence, cette progression sexplique non seulement par les changes avec lInde mais aussi et surtout par les relations conomiques avec lAfrique. En outre, ce formidable apport de mtal prcieux venant du continent noir permet Jean II et son successeur, Manuel, de stabiliser la monnaie dargent, de frapper le cruzado, pice dor de grande valeur, et, surtout, de renforcer la flotte et de dvelopper ladministration tatique et coloniale6. Cette dernire mesure a une grande porte, la fois politique et sociale, car elle offre laristocratie et la petite noblesse la possibilit dobtenir de nombreuses charges aussi prestigieuses que lucratives. Ainsi, la fcheuse opposition de laristocratie la politique centralisatrice de la monarchie prend fin et la cohsion de ltat est renforce.

    3. Voir chapitre 2.4. V. Magalhes Godinho, 1969, p. 185 -188.5. V. Magalhes Godinho, 1978, vol. II, p. 51 -72.6. M. Malowist, 1969, p. 219.

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    LAfrique du xvie Au xviiie sicLe

    1.1. Afrique : les principaux points de contact du commerce europen du XVIe au XVIIe sicle (carte tablie par J. Jilkes).

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    LA Lutte pour Le commerce internAtionAL

    Le commerce avec lAfrique, et plus tard avec lInde, acclre gran-dement lascension de la classe des ngociants portugais, encore relative-ment peu favoriss au XVe sicle. On pourrait donc penser, au cours de ce premier quart du XVie sicle, que le Portugal est entr dans une phase dexpansion conomique et politique durable. Cet espoir est toutefois ruin par le caractre rtrograde et statique de la structure socio-cono-mique du pays. Lexpansion outre-mer ncessite dimportants investisse-ments financiers et, pour acheter de lor et des esclaves, il faut dverser sur les rivages africains de grandes quantits dobjets en fer, en bronze et en cuivre, ainsi que des textiles bon march, sans parler de largent, des pro-duits alimentaires et du sel. Or, ces biens ne sont pas produits au Portugal et doivent tre achets dabord des marchands trangers ou Bruges, puis sur les grandes places commerciales europennes de lpoque. En outre, le dveloppement de la flotte est tributaire des importations de bois duvre et dautres produits forestiers provenant essentiellement des pays Baltes, qui fournissent galement un certain volume de crales dont la production, au Portugal, est insuffisante depuis le XiVe sicle7. Cet tat de fait na encore jamais t tudi de faon approfondie, mais il est vident que le produit du commerce extrieur a d en grande partie tre affect limportation des marchandises ncessaires au commerce avec lAfrique. Le Portugal ne peut accrotre sa production intrieure, en raison de son faible potentiel dmographique (au milieu du XVie sicle, il ne compte, en effet, que 1 400 000 habitants)8 et de la trs vive concurrence de ltran-ger, notamment pour les produits industriels, trs demands sur le march portugais depuis de longues annes.

    Le formidable essor conomique de lEurope se traduit sur le continent, partir de 1470, par une hausse progressive des prix qui devient spectacu-laire pendant la seconde moiti du XVie sicle et touche principalement les produits agricoles et industriels. On ne sest pas encore pench sur le rapport entre llvation des prix et la progression des bnfices que le Portugal a tirs de son commerce doutre-mer ; il semble toutefois quil ne soit pas lavan-tage du Portugal. Le monopole du ngoce avec lAfrique ou avec lInde, qui procde de surcrot dune tout autre conception conomique, ne lui est pas dun trs grand secours. Limportant investissement dont saccompagne lex-pansion outre-mer nest rentable pour le Portugal que sil peut imposer ses partenaires noirs des conditions dchange qui lui soient favorables, cest-- dire sil peut acheter bon march et vendre cher. Pour cela, il faut limiter, voire interdire, laccs aux comptoirs aux immigrants europens, surtout aux ressortissants de pays autres que le Portugal, moyennant lentretien dune flotte suffisamment puissante pour tre vritablement dissuasive. Cest l une entreprise extrmement coteuse, qui se rvle presque au-dessus des moyens du Portugal9.

    7. A. da Silva Costa Lobo, 1904, p. 83.8. V. Magalhes Godinho, 1978, vol. II, p. 25.9. Ibid., p. 185 -203.

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    Dj, partir de 1470, le Portugal doit soutenir un conflit arm avec la Castille. Grce la supriorit temporaire de sa flotte et ses mouvements diplomatiques, il russit lliminer de lAfrique occidentale aux termes des traits dAlcaovas et de Tordesillas, conclus respectivement en 1481 et en 1494, et en vertu des droits exclusifs sur lexpansion conomique et politique dans le sud-est de lAtlantique accords au Portugal par le pape Alexandre VI. La dcouverte et la conqute de lAmrique, ainsi que la politique euro-penne en gnral dtournent la Castille de lAfrique. Les relations entre le Portugal et ses autres rivaux, sur la cte de lAfrique occidentale puis en Afri-que orientale, voluent toutefois de faon trs diffrente, du fait, notamment, que ces pays rivaux sont conomiquement plus avancs que le Portugal.

    Les souverains portugais, Jean II et Manuel, sont contraints de deman-der laide des grands financiers italiens et du sud de lAllemagne. Les banquiers italiens, florentins en particulier, qui se sont tablis Lisbonne et Anvers ou qui y ont des agents, leur accordent des prts en numraire ou en marchandises, dune valeur considrable, qui seront ultrieurement rembourss en espces ou en marchandises importes doutre-mer. par-tir de 1480 et peut-tre mme plus tt, certains de ces banquiers, comme Bartolomeo Mar-Chioni, Sernigi et dautres, prennent une part active aux changes commerciaux avec lAfrique et rtribuent en consquence le roi du Portugal. La comptabilit de ce dernier, Bruges puis Anvers, rvle ltroite dpendance financire de la Couronne vis--vis de grosses entrepri-ses comme celles des Frescobaldi, Affaitati et Fuggers10. Au premier stade de lexpansion, les souverains du Portugal russissent sassurer la mainmise sur limportation de lor en provenance dAfrique et, dans une large mesure, sur la traite des esclaves, ou du moins en conserver les bnfices indirects. Ils y parviennent grce un systme de licences quils accordent, moyennant des droits levs, des ngociants, portugais essentiellement et, ici ou l, trangers. Souvent, lorsque les temps sont difficiles, la Couronne portugaise renonce ses droits en Afrique au profit des ngociants (sauf Elmina). Les licences prcisent les limites de la zone gographique dans laquelle les op-rations commerciales sont autorises.

    Vers 1525, les Portugais commencent prouver des difficults trouver de lor, mme dans la rgion dElmina11. Ils ne sont dj plus en mesure, semble-t-il, doffrir suffisamment de marchandises en change sur les ctes dAfrique. Or, le vaste arrire-pays dElmina et dAccra est, sans nul doute, encore riche en or. Cette situation profite particulirement aux rivaux europens des Portugais savoir les ngociants franais, anglais et hollandais tant donn quils disposent de plus gros moyens finan-ciers et nont pas de frais dimportation, leurs marchandises tant presque exclusivement dorigine mtropolitaine. Enfin, la France, lAngleterre et la Hollande ne succombent pas encore sous le poids dune administration plthorique qui rglemente le commerce extrieur et rgit la vie dans les

    10. C. Verlinden, 1957, p. 624 -625 ; V. Rau, 1966.11. M. Malowist, 1969, p. 492 -500.

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    LA Lutte pour Le commerce internAtionAL

    colonies. Lappareil administratif portugais est la fois coteux et lent sadapter aux fluctuations constantes qui sont le propre du commerce ext-rieur. En Afrique, les marchands qui arrivent de France, dAngleterre ou de Hollande ont les moyens dacheter en plus grande quantit et de vendre meilleur prix que ceux du Portugal. Des documents datant des annes 1570 montrent que les Portugais ont conscience de cette situation mais quils sont incapables dy remdier.

    La traite des esclavesCest surtout lor, auparavant export vers les pays islamiques, qui attire lorigine les Portugais vers lAfrique noire. Toutefois, ils ne tardent pas sapercevoir que lAfrique renferme une autre marchandise galement fort prise des Europens : les esclaves. Bien que diffrente de lesclavage pra-tiqu par les Europens, la tradition dexporter des esclaves vers les pays arabes nen plonge pas moins ses racines dans le pass dune grande partie du continent, du Soudan en particulier. Aux XVe et XVie sicles, cette tradi-tion semble avoir aid, dans une certaine mesure, les Portugais se procurer rgulirement des esclaves dans une grande partie de lAfrique occidentale, notamment en Sngambie, partenaire conomique de longue date du Maghreb. Les Portugais, qui pntrent de plus en plus profondment dans les rgions du sud-est de lAfrique de lOuest, appliquent avec succs les pratiques commerciales utilises en Sngambie. Comprenant le caractre indispensable de la coopration des chefs et des marchands locaux, ils semploient les intresser la traite des esclaves. Ils nignorent pas quil peut en rsulter une intensification des conflits entre les divers peuples et tats africains, les prisonniers de guerre devenant le principal objet de ce commerce, mais ils cessent trs tt dy opposer des objections morales car, comme beaucoup dautres en Europe, ils croient que la traite ouvre aux Noirs la voie du salut : ntant pas chrtiens, ils auraient t damns pour lternit sils taient rests dans leur pays.

    Trs rapidement, un autre argument est avanc : les Noirs sont des des-cendants de Ham, qui a t maudit, et sont de ce fait condamns lesclavage perptuel12. Ce sont l des motivations idologiques quil faut se garder de sous-estimer. cela sajoutent les esclaves noirs apparus en Europe une poque o le trafic des esclaves blancs en provenance de la zone de la mer Noire avait pratiquement disparu, poque laquelle on commence iden-tifier lesclave au ngre, les autres reprsentants de la race noire tant alors inconnus.

    Pendant tout le XVe sicle et au dbut du XVie sicle, le principal dbouch du bois dbne est lEurope, en particulier le Portugal et les pays sous domination espagnole, ainsi que les les de lAtlantique

    12. Cest le sentiment de nombreux auteurs portugais. Voir G. E. de Zurara, 1994 ; J. de Barros, 1552 -1613.

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    telles Madre, les Canaries, les les du Cap-Vert et, plus tard, lle de Sao Tom , mais dans une certaine mesure seulement compte tenu de leur faible superficie. La traite ngrire Madre, dans les les du Cap-Vert et, plus particulirement, dans lle de Sao Tom a pour origine premire lintroduction de la culture de la canne sucre et du coton. En labsence dun tel impratif conomique, lesclavage na gure de raisons de se dvelopper sur le continent europen. Les Africains introduits au Portugal et dans les territoires espagnols sont essentiellement employs dans les villes, comme domestiques ou artisans peu qualifis. Rien nindique quils aient jou un rle de quelque importance dans lagriculture, sur laquelle reposait lconomie europenne. V. Magalhes Godinho value entre 25 000 et 40 00013 le nombre des esclaves amens dArguin entre 1451 et 1505. Les autres rgions dAfrique exportaient fort peu desclaves lpo-que, si ce nest destination des pays musulmans. Daprs P. D. Curtin, le nombre des esclaves arrachs lAfrique par les Europens entre 1451 et 1600 slve environ 274 000. Sur ce nombre, lEurope et les les de lAtlantique en reurent 149 000, lAmrique espagnole 75 000 et le Brsil environ 50 00014. Ces chiffres sont trs significatifs du dbut de la traite atlantique, cest--dire de la priode qui prcde le prodigieux essor des grandes plantations dans le Nouveau Monde. Ils corroborent la thse selon laquelle la dcouverte et le dveloppement conomique de lAmrique par les Blancs ont donn son impulsion la traite, instaure principalement, ainsi quil est gnralement admis, pour pallier la pnu-rie aigu de main-duvre dont souffraient les colonies espagnoles. La population locale y tait en effet trop peu nombreuse pour excuter les lourdes tches de production que lui imposaient les Espagnols15. Il est indniable que le dbut de la priode moderne voit, en Amrique, une forte concentration de Noirs dans les plaines climat tropical. Cepen-dant, toutes les tentatives faites pour employer massivement des Noirs lexploitation des mines des Andes se soldent par un chec, alors quune multitude dIndiens parviennent y survivre. son apoge, vers la fin du XVie sicle, Potosi ne compte que quelque 5 000 Africains dans une population totale denviron 150 000 mes16. L encore, on na pas russi les faire travailler dans les mines.

    Les premiers Africains introduits en Amrique viennent dEurope, amens par les conquistadores (qui sont leurs matres). Originaires de Sn-gambie pour la plupart, ils ont dabord t conduits en Europe ou y sont ns. On les appelle ladinos en Amrique parce quils connaissent lespagnol ou le portugais et quils ont t plus ou moins influencs par la civilisation ibrique. On pense deux le plus grand bien, contrairement aux bozales qui,

    13. V. Magalhes Godinho, 1962, p. 193.14. P. D. Curtin, 1975b, p. 259, tableau 7.1.15. Voir chapitre 4.16. J. Wolff, 1964, p. 158 -169 et l72 -174.

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    LA Lutte pour Le commerce internAtionAL

    venus directement dAfrique, sont marqus par une tout autre culture17. Dj forte dans les Antilles ds le dbut du XVie sicle, la demande de main-duvre noire saccrot rapidement avec lexpansion territoriale des conqutes espagnoles. En raison du taux lev de mortalit chez les Indiens et du fait que le clerg et la Couronne de Castille ne parviennent gure dfendre leurs intrts, elle ne cesse daugmenter et lapprovisionnement en esclaves noirs, en provenance non seulement dEurope mais aussi et surtout dAfrique, devient un souci primordial des nouveaux matres de lAmrique.

    Les Portugais ont galement de srieux problmes en Afrique. Durant tout le XVe sicle, ils ont port un intrt croissant au commerce des escla-ves et, au cours du XVie sicle comme par la suite, les territoires capables de leur en fournir en grand nombre suscitent de plus en plus leur convoi-tise. Cest dans cette optique quil faut placer la pntration portugaise au Kongo (o il ny avait ni or ni argent), entame au dbut du XVie sicle, et la conqute ultrieure de lAngola, qui est prcde par lessor rapide du commerce des esclaves dans lle de Luanda. Se procurer de grandes quan-tits desclaves est galement le souci des colons de lle de Sao Tom, non seulement parce quils en ont besoin pour leurs plantations mais aussi parce quils en vendent aux colonies espagnoles dAmrique et, partir de la fin du XVie sicle, galement au Brsil portugais. La population noire de ce pays, qui nest alors que de quelques milliers dindividus, connat au sicle suivant une brusque augmentation, de lordre de 400 000 450 000 personnes, imputable au dveloppement des plantations de canne sucre18.

    La conqute de lAmrique et la demande de main-duvre posent galement des problmes considrables la Couronne de Castille. Fournir des esclaves aux colons est indispensable et, simultanment, les finances royales en tirent une abondante source de revenus par le biais du systme des licences (ces licences sont accordes aux ngociants qui sengagent importer un certain nombre desclaves pour le compte des colons au cours dune certaine priode, gnralement de cinq ans). Or, le prix des licences suit laccroissement de la demande desclaves. R. Mel-lafe affirme juste titre que cest par intrt financier que la Couronne autorise limportation dun trs grand nombre desclaves noirs19. Parmi les premiers obtenir ces licences, qui concdent souvent un monopole, on trouve non seulement des aristocrates proches du Trne (comme Gou-venet, le chancelier de Charles Quint, en 1518), mais aussi et surtout de grands capitalistes comme la famille Welser, Heinrich Ehinger et Jrme Seiler en 152820, sans doute au titre de leurs projets de peuplement et dexploitation minire au Venezuela. Le fait est que ce pays compte de

    17. R. Mellafe, 1975, p. 14, 15, 19, 21.18. F. Mauro, 1960, p. 179 -180.19. R. Mellafe, 1975, p. 39.20. G. Scelle, 1906, p. 122 -136.

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    trs bonne heure des Africains amens, entre autres, par des financiers et des conquistadores qui les ont achets comme esclaves aux Portugais en Afrique ou en Europe. Invitablement, toutefois, ceux qui souhaitent se livrer la traite des esclaves tentent de se passer du coteux intermdiaire portugais, en acqurant et en vendant pour leur propre compte le bois dbne . En Afrique, il leur faut surmonter les obstacles dresss par les Portugais, alors quen Amrique, ils doivent recourir la contrebande, la Couronne de Castille nautorisant que les titulaires de licences importer des esclaves. Cette difficult nest pas difficile surmonter du fait que les colons espagnols dAmrique, constamment court de main-duvre, sont galement disposs traiter avec les contrebandiers qui dchargent leurs cargaisons dans des ports clandestins. Ce commerce interlope, du reste favoris par les officiers coloniaux espagnols qui trouvent dans la corruption un moyen damliorer leur solde, attire tout particulirement les trangers. Ceux-ci se font souvent payer en or ou en argent, dont lexportation dAmrique espagnole titre priv nest officiellement auto-rise que jusqu Sville et Cadix, centres de la puissante administration coloniale de Castille. Les particuliers ne peuvent, en principe, exporter ni or ni argent dEspagne.

    Tout semble donc favoriser lexportation de Noirs dAfrique vers lAm-rique ; la traite ngrire ne connat cependant sa pleine expansion que lors de la cration des grandes plantations de canne sucre. En Amrique espagnole tout dabord, puis au Brsil, il apparat trs vite que la population indienne ne peut supporter la dure cadence de travail impose dans les plantations, alors que les Africains y font dexcellents ouvriers. Dans lexploitation minire en revanche, le rle des Noirs semble avoir t trs discret, sauf peut-tre dans lle de Saint-Domingue, au Venezuela et dans certaines rgions tropicales du Mexique.

    On voit donc que ds le dbut du XVie sicle, et en particulier au cours de la deuxime moiti de ce sicle, lAfrique joue un rle extrmement important, bien que peu enviable, de fournisseur de main-duvre et dune certaine quantit dor une conomie mondiale en plein essor.

    Il faut toutefois prciser que la situation des Portugais est de plus en plus prcaire. Au Maroc, ils se voient infliger de graves revers par les chrifs (shrf) saadiens qui parviennent, pendant un certain temps, entraner la population dans une guerre sainte contre les infidles. En 1541, ils perdent Agadir et sont contraints peu aprs, en raison de difficults financires, dabandonner la quasi-totalit de leurs ports marocains. Lanne 1560 voit la premire faillite de la Couronne portugaise. Le maintien dun empire colonial a procur dnormes bnfices une partie de laristocratie et de la petite noblesse, ainsi qu quelques marchands, mais il a ruin la Couronne et son Trsor, et fait peser un fardeau de plus en plus lourd sur une grande part de la population.

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    Lmergence de nouvelles puissances europennesLes Franais, partir de 1520, et les Anglais, partir de la deuxime moi-ti du XVie sicle, se rvlent tre en Afrique de dangereux rivaux pour les Portugais. Ds la fin du XVie sicle, cependant, les Hollandais sont encore plus dangereux queux. Au dbut, on ne voit luvre que des marchands franais isols, comme le clbre Dieppois Jean Ango, ou des compagnies commerciales. Ni le roi de France, ni la Couronne dAngleterre ne sont directement associs au commerce avec lAfrique. Franois Ier tente mme, sans succs, en 1531, 1537 et 1539, dobtenir de ses sujets quils sabstiennent de faire des expditions en Afrique pour ne pas compro-mettre ses relations avec le Portugal une poque o la France est en conflit ouvert avec les Habsbourg dEspagne. Des marchands de Rouen, de La Rochelle et de Dieppe ont dj envoy leurs navires en Afrique. En 1525, le roi du Kongo capture un petit navire franais quil remet, avec son quipage, aux Portugais21. La prsence franaise est particulirement sensible dans la rgion du Cap-Vert et du Sngal. Les Franais pillent souvent, dans ces eaux, les vaisseaux portugais qui rentrent chargs de cargaisons dor africain ou de marchandises embarques en Inde. Beau-coup dautres ports franais (Le Havre, Honfleur) participent, au cours du XVie sicle, cette expansion franaise. Nantes va peu peu y prendre une place prpondrante. Dans le dernier quart du XVie sicle, la position de la France en Sngambie est trs forte, notamment dans des centres comme Gore, Portudal, Joal et Rufisque (Rio Fresco), en pays Wolof. Les Franais apportent des textiles de Normandie et de Bretagne, des alcools, des objets en mtal, voire des armes feu. Il semble mme que ce soit ce dernier commerce qui fasse pencher la balance en faveur de la France, car la Couronne portugaise a longtemps interdit, avec beaucoup dobstination, ce type dexportation en Afrique, alors que les souverains locaux brlaient de sen procurer. Les Franais achtent surtout de lor et de livoire, mais aussi du poivre de Guine (malaguette), des peaux et de lhuile de palme. Les esclaves noccupent pas, cette poque, une place importante dans leurs acquisitions. Au milieu du XVie sicle, les Franais se prsentent comme de dangereux rivaux pour les Portugais sur la Cte-du-Poivre et la Cte-de-lOr22. Il semble quils exportent en Afrique beaucoup plus de denres que les Portugais, ce qui se rvle particulirement prjudiciable aux intrts de ces derniers dans la rgion dElmina. Cest ainsi quen 1556, les Franais et les Anglais apportent une telle quantit de denres et les vendent des prix si bas que, Elmina, lagent portugais est dans lincapacit dacheter de lor23. Cependant, il sagit l dun cas excep-tionnel et, par la suite, les Portugais redressent la situation. Lexpansion franaise a sans doute t quelque peu freine lpoque des guerres de

    21. A. Brasio, 1952, vol. I, p. 138, 153.22. C. A. Julien, 1948, p. 177 ; G. Martin, 1948, p. 4.23. G. Martin, 1948 ; J. W. Blake, 1942.

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    religion, mais cest l une hypothse qui reste confirmer. Il semble que des armes feu aient t vendues des souverains locaux sur les ctes du Cameroun. Cest cependant au Sngal que les Franais sont le plus solidement implants ; ils y cooprent souvent avec les tangomos migrs des les du Cap-Vert, qui sont pour la plupart des multres. Ils chassent les Portugais de lembouchure du Sngal et de la Gambie, mais se voient leur tour obligs de cder la place aux Anglais, la fin du XVie sicle24.

    La pntration de ces derniers en Afrique, au XVie sicle, est analogue celle des Franais. Ils commencent par nouer de solides relations cono-miques avec le Maroc partir de 1541, anne o les Portugais sont expulss de la plupart des ports quils tenaient sur lAtlantique, lesquels sont dsor-mais ouverts aux navires dautres pays europens. De 1550 1565 environ, les compagnies commerciales anglaises lancent plusieurs expditions dont le rcit a t conserv. Elles explorent les ctes de lAfrique de lOuest jusquau golfe du Bnin, o elles achtent surtout de lor, des peaux et un petit nombre desclaves. Les rcits des Portugais montrent qu la fin du XVie sicle, les Anglais sont en contact avec la population de la Cte-de-lOr, encore quils ne se montrent gure intresss par le trafic des esclaves25. On sait mme quen 1623, Richard Jobson refuse dacheter des esclaves noirs en basse Gambie alors qu la mme poque, les Portugais y sont fort actifs dans ce domaine et cooprent avec des trafiquants africains26. On sait encore peu de choses sur la pntration anglaise dans les autres rgions dAfrique de lOuest. la fin du XVie sicle, toutefois, leur position est trs forte aux confins de la Sngambie do ils russissent chasser non seulement les Portugais mais aussi les Franais. En 1588 est cre la premire compagnie anglaise de commerce avec la Guine linitiative, principalement, de marchands de Londres et dExeter qui ont dj pris une part active des expditions commerciales dans lestuaire de la Gambie27. Rien ne permet, cependant, daffirmer que cette compagnie se soit beaucoup dveloppe. Les Anglais trouvaient peut-tre, la fin du XVie sicle, que le pillage des navires castillans dans les eaux de lAtlantique leur rapportait plus que le commerce avec lAfrique.

    Cest prcisment cette poque que les Hollandais font leur apparition sur les ctes du continent noir. Ils sont alors en guerre avec lEspagne et se refusent respecter le partage de lAtlantique dcrt par le pape. Ils traitent le Portugal, alors gouvern par Philippe II, en ennemi. Les capitaux normes amasss par leurs ngociants et la puissance de leur flotte leur permettent de pntrer plus profondment en Inde et en Afrique que les Anglais et les Franais. Un historien hollandais, H. Terpestra, estime que les premires expditions hollandaises en Afrique sont le fait de compagnies cres prin-cipalement par des commerants de moyenne envergure cherchant faire

    24. L. Silveira, 1946, p. 16, 17, 35-37, 44 -46.25. T. S. Willan, 1959, p. 94 -97, 139 ; J. W. Blake, 1942, vol. II, p. 129, 133, 138, 150 -155.26. R. Jobson, 1623, p. 112.27. Voir note 25.

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    fructifier rapidement leurs capitaux. Les expditions dans les Indes orientales sont, au contraire, organises par de grands capitalistes, qui sont souvent de riches migrants dAnvers et peuvent faire des investissements plus long terme28.

    De 1593 1607, environ deux cents navires appareillent de Hollande pour lAfrique ; en 1610 et 1611, il y en aurait eu, dit-on, une vingtaine par an. Les Hollandais viennent Gore, en 1594 et 1595, et, quelques annes plus tard, ils atteignent le cap du Bnin o ils achtent des cotonnades et des cauris, quils vont changer, sur la Cte-de-lOr, contre de lor et de largent. En 1611, ils construisent le port de Nassau, en More, sur la Cte-de-lOr ; ce sera leur premier comptoir fortifi sur la cte occidentale de lAfrique. Ils dveloppent galement le commerce avec la rgion dAccra29. Les Portugais ne peuvent rivaliser avec eux parce que la richesse des Hollandais et la grande efficacit de leurs rseaux commerciaux leur permettent de vendre bon march de grandes quantits de produits. Cela les avantage aussi par rapport aux Anglais et aux Franais. Ils exportent des objets en fer, en bronze, en cuivre et en tain, des textiles bon march dorigines diverses, des alcools, des armes, diffrents ornements, des produits dusage courant, voire des lunettes qui sont diversement apprcies. Grce la vente de ces produits (dont lampleur surprend vritablement Pieter de Marees en 1601-160230), les quantits dor amenes de larrire-pays sur la Cte-de-lOr augmentent encore, mais surtout au profit des Hollandais. Ils importent aussi du sucre de lle de Sao Tom, jouant pendant quelque temps un rle prdominant dans ce commerce, et acheminent le produit semi-fini vers leurs raffineries dAmsterdam31.

    La pntration des Hollandais en Afrique de lOuest est un phnomne plus ou moins spontan. En 1617, ils sont si puissants en Sngambie quils occupent une place prpondrante dans lle de Gore et quils supplantent, dans une large mesure, non seulement les Portugais mais aussi les Anglais et les Franais Joal, Portudal et Rufisque. Ils conservent cette position de force pendant plus de cinquante ans. En mme temps, leurs navires mouillent Loango, sur la cte du Kongo et sur celle de lAngola. Ils se montrent au dbut, comme les Anglais et les Franais, trs peu intresss par le commerce des esclaves. Vers 1600, toutefois, souvre une nouvelle phase de la pntration europenne en Afrique, au cours de laquelle le commerce des esclaves va prendre une importance croissante, y compris pour les Hollandais. Cette volution sannonce avec lachat desclaves Elmina, Accra et Arda, au Bnin et dans le delta du Nil, ainsi qu Calabar, au Gabon et au Cameroun. Ces esclaves sont vendus aux planteurs de lle de Sao Tom (qui appartient alors aux Hollandais) en change de sucre ou achemins vers le Brsil. Il sagit notamment de Wolof acquis dans le delta

    28. H. Terpestra, 1960, p. 341, 324.29. K. Ratelband, 1953, p. XXI-XXV, LXXV, LXXXIII ; P. de Marees, 1605.30. P. de Marees, 1605.31. K. Ratelband, 1953, p. XCV, CXV, p. 114, 118 et suiv.

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    du Sngal ; selon O. Dapper, ils sont trs rputs pour leur grande vigueur et conviennent bien pour le travail dans les plantations32. La conqute de lAngola, en 1641, est troitement lie aux besoins des Hollandais au Brsil, suivant en cela lexemple des Portugais33. Les Hollandais perdent le nord-est du Brsil et sont expulss dAngola en 1648. Nanmoins, lassociation troite de ces deux territoires, qui repose sur la traite des esclaves, persiste jusquau XiXe sicle.

    Tout au long de cette priode, lAfrique orientale nintresse que mdiocrement les Europens. Les Portugais, qui tiennent Sofala et ont assujetti politiquement dautres villes ctires, ne pntrent pas lint-rieur. Sur le Zambze, ils ne poussent pas plus loin que Tete et Sena, o ils achtent de petites quantits dor sur les marchs locaux34. Le volume de lor et peut-tre des autres biens achemins de larrire-pays vers la cte est dj en diminution au milieu du XVie sicle, et rien nindique quil se soit accru par la suite. Cette rduction des arrivages dor Sofala a des consquences tout fait nfastes pour des villes comme Kilwa, Mombasa ou Malindi qui avaient connu une grande activit avant larrive des Por-tugais, lpoque o elles fournissaient de lor et dautres produits aux acheteurs venus dInde et dArabie. Ce dclin sexplique peut-tre par le fait que les musulmans ont d mettre fin leurs activits commerciales sur la cte de lAfrique orientale, mais il semble que des troubles se soient galement produits au voisinage des routes que suivaient les ngociants entre les ports et larrire-pays35. La question demande tre approfondie. Les populations ctires ont tent en vain de faire intervenir les Turcs de la pninsule arabique contre les Portugais. Lexpansion de limmat dOman sur le littoral et dans les les de lAfrique de lEst, qui samorce au XViie sicle, entrane, peu avant 1700, certains changements en obligeant les Portugais se confiner dans le seul Mozambique36 mais ce nest qu la fin du XViiie sicle et au XiXe sicle que ces changements deviennent vraiment trs marqus.

    En ce qui concerne la pointe sud de lAfrique, les premiers signes dune pntration europenne se manifestent au XViie sicle, lorsque la Compagnie hollandaise des Indes orientales encourage la cration de colonies de paysans hollandais (et allemands) auxquels est donn le nom de Boers. Le phno-mne reste toutefois presque ngligeable au XViie sicle et mme longtemps aprs. Cependant, la pression des Boers qui rduisent les San en esclavage ou les chassent de leurs terres, quand ils ne les exterminent pas, augure mal de lavenir pour la population africaine37.

    32. Ibid., p. 8, 10, 27 -35, 40 -61 ; O. Dapper et A. F. C. Ryder, 1965.33. M. Malowist, 1969, p. 569.34. J. L. de Azevedo, 1947, p. 189 -201 ; V. Magalhes Godinho, 1969, p. 253 -275.35. V. Magalhes Godinho, 1962, p. 272 -273.36. Ibid., p. 273 ; R. Oliver et G. Mathew, 1963, vol. I, p. 141, 142.37. Voir chapitre 23.

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    LAfrique comme rservoir de main-duvreP. D. Curtin estime 274 000 le nombre de Noirs achemins travers lAtlantique entre 1541 et 1600. En quelques annes, ce nombre est port 1 341 000 personnes et il atteint 6 millions au XViiie sicle. Selon les calculs faits daprs ces chiffres par F. Mauro, et considrs comme vala-bles par P. D. Curtin, le nombre desclaves envoys au Brsil entre 1575 et 1675 est de lordre de 400 000 450 000, et atteint prs de 2 millions au XViiie sicle38. Tout au long du XViiie sicle, la fourniture de main-duvre noire aux Antilles britanniques et franaises saccrot dans des proportions considrables, celle vers Cuba augmente aussi. Ces chiffres tmoignent dun changement dattitude radical, quoique progressif, des Europens envers lAfrique. Ce continent cesse, leurs yeux, dtre une riche source dor pour devenir dabord et avant tout un rservoir de main-duvre sans lequel la cration et lexploitation de nombreux grands domaines euro-pens en Amrique seraient purement et simplement impossibles. Cette volution, sensible ds le milieu du XViie sicle, devient tout fait nette vers 1700. Le dveloppement rapide des plantations de canne sucre est la principale cause de cette norme augmentation de la demande de main-duvre noire. Le processus, qui samorce ds le XVe sicle Madre, aux Canaries, aux les du Cap-Vert, et plus particulirement Sao Tom au cours de la deuxime moiti du XVie sicle, atteint le Brsil o il prend de trs grandes proportions dans la rgion du Nord-Est. Loccupation hollan-daise, loin de linterrompre, le renforce encore. La situation ne se modifie que lorsque les Hollandais, chasss du Brsil, commencent appliquer les techniques de raffinage du sucre quils y ont mises au point dans les les de la Carabe, les qui peu peu vont tre essentiellement domines par les Anglais et les Franais. Vivement concurrences par ces nouvel-les plantations, celles du Brsil noccupent plus que le second rang dans lconomie nationale. Avec lexploitation des mines dor et de diamants du Brsil central (et plus tard, au XiXe sicle, avec le dveloppement de la culture du caf dans le Brsil mridional), la demande et limportation desclaves ont, aux XViiie et XiXe sicles, presque tripl par rapport celles du XViie sicle39.

    En mme temps, lapprovisionnement en esclaves des planteurs anglais et franais de la Carabe augmente considrablement. Dans les colonies anglaises, le nombre des esclaves passe de 264 000 au XViie sicle 1 400 000 au XViiie sicle. La situation est la mme dans les les occupes par la France, notamment Saint-Domingue o prs de 790 000 esclaves, dont la plupart viennent directement dAfrique, sont amens au XViiie si-cle40. La culture de la canne sucre fait galement son apparition Cuba, o elle cre des besoins trs semblables en main-duvre. Le Surinam

    38. P. D. Curtin, 1971b, p. 259 ; F. Mauro, 1960, p. 179, 180.39. P. D. Curtin, op. cit.40. Ibid.

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    hollandais, les plantations anglaises et franaises dAmrique centrale et la partie septentrionale de lAmrique du Sud absorbent des esclaves noirs en grand nombre. En Amrique du Nord, les plantations de tabac de Virginie et les plantations de riz du Maryland fournissent les bases dun nouvel essor de la traite des Noirs. Elle connat une forte progression au XViiie sicle, o prs de 400 000 esclaves sont amens dans les colonies anglaises41. Au XiXe sicle, le dveloppement des plantations de coton transforme le sud des tats-Unis dAmrique en un immense territoire dont lconomie repose sur lesclavage. Dans les colonies du Nord, o prdomine la culture des crales dans les petites et moyennes exploitations, ce type dimportation de main-duvre demeure trs limit.

    La demande de main-duvre noire dans les colonies amricaines impose lEurope occidentale une tche dune ampleur sans prcdent, notamment une poque caractrise par des changements radicaux dans la rpartition des forces conomiques et politiques. Dans la deuxime moiti du XViie sicle, le dclin de lEspagne et du Portugal est de plus en plus vident. La Hollande, alors lapoge de sa puissance, commence tre lentement vince par lAngleterre et la France qui connaissent un dve-loppement conomique rapide et exercent, partir de la fin du XViie sicle, une influence de plus en plus importante sur la nature et lampleur de la pntration blanche en Afrique, tandis que les Espagnols et mme les Hollandais ne jouent plus quun rle relativement marginal. En ce qui concerne les Portugais, leur succs dans la conqute de lAngola leur per-met de conserver une position favorable dans cette zone importante pour le trafic des esclaves.

    Au XViie sicle, la Hollande et lAngleterre, puis la France et un certain nombre dautres pays crent des compagnies qui assurent le commerce avec lAfrique et lacheminement des esclaves vers lAmrique. Il se produit donc une concentration des ressources ces fins. Les compagnies obtiennent de leurs gouvernements respectifs le monopole du commerce avec lAfrique, ce qui leur permet dimposer les prix qui leur conviennent. En contrepartie, elles sont tenues dentretenir les anciens forts et den construire de nouveaux pour protger les comptoirs europens situs sur les ctes africaines. cet gard, laction des compagnies anglaises, hollandaises et franaises renforce la position des Europens en Afrique. Les forts europens se multiplient rapidement tout au long des XViie et XViiie sicles, notamment en Cte-de-lOr et dans son voisinage immdiat.

    En mme temps, lAfrique devient un lieu daffrontement pour les Europens. Il ne faut pas voir l un simple cho de la rivalit des grandes puissances en Europe. Les ngociants et les compagnies commerciales sefforcent de sassurer le contrle des comptoirs les mieux situs sur la cte africaine. Ils profitent, pour cela, des priodes de guerre, de sorte que les possessions des diffrents groupes rivaux dEuropens, dont chacun est appuy par son gouvernement, changent frquemment de mains. Les

    41. Ibid.

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    1.2. Lavage des boues diamantifres par des esclaves noirs au Brsil. [ The Wilberforce Museum, Hull.]

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    gouvernements en question dsirent avant tout dvelopper les plantations amricaines, qui reposent sur lexploitation de la main-duvre noire, et accrotre les bnfices quils retirent du commerce des esclaves. Il est, ds lors, inconcevable que non seulement les grandes puissances mais aussi dautres pays de moindre importance puissent laisser lAfrique livre elle-mme. Mme la Sude, le Danemark et la Prusse tentent dintervenir dans les affaires africaines, quoique sans grand succs et, finalement, sen retirent.

    Les rsultats des compagnies ne sont cependant pas aussi brillants que prvu. Les deux plus grandes compagnies anglaises ne sont pas trs actives. La Royal African Company, qui est fonde en 1672 et dans laquelle le roi dAngleterre lui-mme a des intrts, se heurte des difficults constantes quoiquelle contrle, dans le dernier quart du XViie sicle, une part impor-tante du commerce extrieur de lAfrique passant par la cte occidentale. Sa politique est trs critique par les planteurs amricains des colonies anglaises et par de nombreux ngociants de la mtropole42. Les premiers protestent

    42. D. P. Mannix, 1963, p. 29 -30.

    1.3. Vente de marchandises, de tableaux et desclaves dans la Rotunda, La Nouvelle-Orlans, en Amrique. [ The Wilberforce Museum, Hull.]

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    contre les prix levs des esclaves quelle impose, tandis que les ngociants anglais qui nen sont pas membres veulent eux aussi avoir accs aux ctes africaines et au lucratif commerce des esclaves. partir de 1689, la compa-gnie voit ses privilges diminuer progressivement et elle perd son monopole. Elle disparat au milieu du XViiie sicle.

    Une re de commerce libre avec lAfrique stait dj ouverte quelques annes auparavant en Angleterre. Ce sont des ngociants de Liverpool principal centre, pendant prs dun demi-sicle, de ce que lon a appel le commerce triangulaire qui sont les plus puissants. Ce commerce est organis de la manire suivante : les ngociants de Liverpool expdient leurs vaisseaux, chargs de produits anglais, vers les ctes africaines o ils les changent contre des esclaves quils transportent en Amrique pour les vendre aux planteurs des colonies anglaises, espagnoles et portugaises. En change, ils rapportent en Angleterre des produits coloniaux43. Au XViiie si-cle, les traits commerciaux que les Anglais obligent lEspagne et le Portugal signer leur permettent daccder plus aisment aux possessions de ces deux pays en Amrique. Les Indes occidentales anglaises, en particulier la Bar-bade et la Jamaque, sont, aux XViie et XViiie sicles, une zone dimplantation force et massive des Africains qui y sont employs la culture de la canne sucre, puis celle du coton et du caf44. Ces deux les vendent des esclaves aux planteurs de tabac et de riz de Virginie et du Maryland, qui sont de plus en plus nombreux, en change de crales et dautres produits des colonies dAmrique du Nord.

    La remarquable russite des ngociants de Liverpool au XViiie sicle sexplique, on le sait depuis longtemps, par le trs rapide essor de lin-dustrie dans les Midlands, notamment de la mtallurgie Birmingham et de lindustrie textile Manchester. Les commerants de Liverpool sont en mesure de fournir aux Africains, de faon rgulire et des prix plus modiques que ceux des autres Europens, des couteaux, des armes et dautres objets en mtal trs apprcis, ainsi que des produits textiles. Tout au long du XViiie sicle, lAngleterre saffirme progressivement comme le pays qui entretient les liens conomiques les plus troits avec la cte africaine. Son influence se fait sentir du Sngal jusquaux confins du Cameroun. Si elle doit abandonner la France, en 1799, ses avant-postes au Sngal, elle renforce sa position en Gambie et en Sierra Leone. Elle joue galement le premier rle dans le trafic desclaves qui sintensifie au milieu du XViie sicle en Cte-de-lOr. Le commerce auquel elle se livre dans la baie du Biafra et au cap du Bnin, y compris Calabar, est de la plus haute importance pour elle. Le nombre des esclaves transports au XViiie sicle est nettement suprieur 1 300 000. Les exportations desclaves partir dOuidah, de Porto Novo, de Lagos et dautres ports de cette cte augmentent considrablement45. Les Anglais ne sont pas les seuls prota-

    43. Ibid., 1963, p. 69 -74.44. K. D. Patterson, 1967, p. 16 -29.45. P. D. Curtin, 1971b, p. 259, 267.

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    gonistes europens sur cette scne. Bien que leurs positions soient moins marques, la Hollande et, en particulier, la France avec les marchands de Nantes sont de plus en plus actifs sur la Cte-des-Esclaves, au Sngal, dans la rgion du Cameroun et Loango. LAngola, qui est vers la fin du XViie sicle le principal rservoir de main-duvre noire, reste, pendant la deuxime moiti du XViiie sicle, sous linfluence du Portugal qui continue dapprovisionner massivement le Brsil en esclaves.

    Les tentatives de colonisation commencent en Angola, o des Euro-pens, peu nombreux au dbut, viennent sinstaller. En revanche, sur le littoral du Cap-Vert et au Kongo, la pntration europenne reste purement commerciale. Les factoreries et les colonies cres par les Europens (comme Saint-Louis, fond en 1626) sont disperses et uniquement tablies sur la cte, proximit de baies bien abrites et, gnralement, dagglomrations africaines. Elles sont, pour les ngociants blancs, le centre de certaines activits assez considrables mais de porte limite. Elmina et Accra, mais aussi Ouidah, Porto Novo, Badagri, lAncien et le Nouveau Calabar, qui sont clbres au XViiie sicle, constituent, ainsi que dautres comptoirs, des lieux de rencontre entre les Blancs et les Noirs qui les approvisionnent en esclaves en change de produits europens. En gnral, les souverains africains se rservent la priorit dans ce commerce, mais des ngociants noirs jouent aussi un rle fort important. Mme en Angola, les Portugais ne capturent eux-mmes quun petit nombre desclaves, laissant des agents recruts au sein de la population locale le soin de les acheter ou de les capturer dans larrire-pays.

    Il est difficile de savoir sur quelle tendue de territoire le commerce des esclaves sest pratiqu ; Herskovits et Harwitz se trompaient, semble-t-il, en affirmant que seule la population du littoral avait t dcime par la traite des esclaves46. Il est certain que les rgions jouxtant les ports sont celles qui ont le plus souffert mais, ds le XVie sicle, des informations circulent sur les longs voyages que les esclaves doivent accomplir pour venir de zones recules dAfrique jusquaux ports o ils sont embarqus. Au XViiie sicle, lorsque lexportation des Africains devient massive, il faut pntrer lint-rieur des terres pour se procurer des esclaves car, cette poque, les princi-paux fournisseurs sont les souverains de pays puissants comme lAshanti et le Dahomey, ainsi que des trafiquants de Calabar. Il est probable que leur terrain de chasse se situait au cur mme du continent, au nord des territoi-res o ils rsidaient47. Les anciens tats africains comme le Bnin ou ly sont beaucoup moins touchs. Le Kongo qui, au XViiie sicle, entre dans une priode de dsintgration complte na jamais jou un rle important comme fournisseur desclaves.

    Les Europens ne songent pas particulirement, cette poque, une expansion territoriale en Afrique (sauf en Angola), puisquils se procurent des esclaves l o ils vendent rhum, armes et autres marchandises, cest--dire dans leurs comptoirs et dans les nombreuses baies quils contrlent.

    46. M. J. Herskovits et M. Harwitz, 1964.47. J. D. Fage, 1969a.

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    Ils ne sont pas encore prts entreprendre la conqute du continent noir, notamment parce quils supportent mal son climat et parce quils sont dsarms devant les maladies tropicales. Les Europens, de mme que les Brsiliens et les premiers Nord-Amricains qui commencent faire leur apparition sur le continent africain, mettent donc tout en uvre pour gagner lamiti des souverains africains en leur fournissant gnreusement les marchandises quils dsirent. Aux XViie et XViiie sicles, la communaut dintrts trs particulire qui unit les trafiquants desclaves europens leurs fournisseurs (cest--dire les souverains, les dignitaires et les commer-ants africains) se renforce encore. Il convient de noter ce propos que le mouvement en faveur de labolition de lesclavage, lanc dans la deuxime moiti du XViiie sicle, se heurte, en Angleterre, une rsistance vigoureuse de la part non seulement des planteurs des Indes occidentales mais aussi, dans une large mesure, des marchands de la mtropole. On dcouvrira plus tard que les rois de lAshanti et du Dahomey, et trs certainement dautres souverains africains, se sont eux aussi fermement opposs larrt de la traite des esclaves.

    Aux XViie et XViiie sicles, la zone laquelle les Europens sintress