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Synergie Prépa © Monde du XXe siècle

Histoire Monde Du XXe Siecle

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Table des matières : Histoire du 20e siècle

Du premier conflit mondial à la crise de 1929 (1914-1929) CHAPITRE 1 : Systèmes diplomatiques et blocs d’alliance en Europe (1871-1914) - La constitution des blocs - Le fonctionnement des deux blocs CHAPITRE 2 : L’impérialisme colonial européen en 1914 - Les justifications du fait colonial - Les grands empires coloniaux européens CHAPITRE 3 : La Première Guerre mondiale (1914-1918) - De la guerre de mouvement à la guerre de tranchées - Une guerre totale ? - La fin du conflit CHAPITRE 4 : La révolution russe de 1917 - Lénine et la formation du parti social-démocrate - La révolution de 1917 : une révolution en deux temps CHAPITRE 5 : 1919-1920 : La paix difficile - Les divisions des vainqueurs - Un nouvel équilibre international - La paix contestée CHAPITRE 6 : L’Italie dans les années 1920 : la mort de la démocratie italienne - La triple crise italienne de l’après-guerre - Le fascisme, une solution à la crise ? - La mise en place de l’Etat fasciste (1922-1929) CHAPITRE 7 : L’Allemagne dans les années 1920 : l’échec de la démocratie - Les faiblesses du régime de Weimar - Le poids de la conjoncture CHAPITRE 8 : La Russie des années 1920 : le « repli stratégique » du communisme - La « citadelle assiégée » (1917-1921) - La NEP, une pause ou un recul ? (1921-1927) - La succession de Lénine et l’abandon de la NEP CHAPITRE 9 : La France dans les années 1920 - L’évolution politique de 1919 à 1929 - Une stabilité trompeuse CHAPITRE 10 : Les contrastes du monde anglo-saxons : Grande-Bretagne et Etats-Unis dans les années 1920 - L’affaiblissement britannique - Le triomphe américain ? CHAPITRE 11 : La crise de 1929 et ses conséquences - Origines et mécanismes de la crise - Une généralisation progressive

De la crise des années 1930 à la Seconde Guerre mondiale (1930-1945) CHAPITRE 12 : Le New deal (1933-1938)

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- Les mesures du « New deal » - Bilan du New deal CHAPITRE 13 : Le Royaume-Uni dans les années 1930 - La nouvelle politique économique - Une société britannique relativement épargnée CHAPITRE 14 : L’Italie fasciste dans les années 1930 - Economie et société dans l’Italie fasciste - L’expansionnisme fasciste CHAPITRE 15 : Le nazisme - Un contexte : crise de l’Etat et crise économique - L’arrivée d’Hitler au pouvoir et la mise au pas de l’Allemagne - La mise en place du totalitarisme CHAPITRE 16 : Le totalitarisme stalinien dans les années 1930 - Une nouvelle orientation économique - Le pouvoir absolu de Staline - La nouvelle société soviétique CHAPITRE 17 : La France dans les années 1930 - La crise du régime de 1932 à 1934 - L’échec de la politique modérée et la formation du Front populaire (1934-1936) - Le Front populaire (1936-1938) - Le retournement politique et financier et la marche vers la guerre (1938-1939) CHAPITRE 18 : La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) - La « guerre-éclair » et les victoires de l’Axe (1939-1942) - Le reflux de l’Axe et la victoire des alliés (1943-1945) CHAPITRE 19 : La France pendant la Seconde Guerre mondiale - Le traumatisme de la défaite - Le régime de Vichy - Les attitudes face à l’occupant

Le monde de 1945 à nos jours CHAPITRE 20 : la guerre froide (1947-1991) - Deux camps ennemis (1947-1991) - La détente et ses limites (1963-1975) - Du retour des tensions à la fin de la guerre froide (1975-1991) CHAPITRE 21 : L’hégémonie des Etats-Unis de 1945 à nos jours - L’hégémonie absolue des Etats-Unis (1945-début des années 1960) - La remise en cause du modèle américain (début des années 1960-début des années 1980) - L’hégémonie retrouvée ? (depuis les années 1980) CHAPITRE 22 : L’URSS depuis 1945 - Le modèle soviétique - L’expansionnisme soviétique - Les faiblesses du modèle et l’effondrement du système CHAPITRE 23 : La Chine de 1949 à nos jours - La construction de la « Chine rouge » (1946-1958) - L’apogée du maoïsme (1958-1976) - L’évolution paradoxale de la Chine depuis 1976 CHAPITRE 24 : La décolonisation et l’émergence du Tiers Monde (de 1945 à nos jours) - Les raisons de la décolonisation - Les deux vagues de colonisation : Asie puis Afrique - L’émergence du tiers Monde

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CHAPITRE 25 : Des « Trente glorieuses » à la dépression économique (de 1945 à nos jours) - Causes et caractères de la croissance - Les transformations sociales - La grande dépression économique CHAPITRE 26 : La France de la IVe République - Du gouvernement provisoire à l’échec du tripartisme (1944-1947) - La « troisième force » au pouvoir (1947-1951) - Du centre droit au centre gauche (1952-1958) CHAPITRE 27 : La France sous la Ve République - La France à l’heure gaullienne (1958-1969) - La Ve République sans De Gaulle - Depuis 1981 : l’alternance CHAPITRE 28 : La condition féminine en France au XXe siècle - D’une guerre à l’autre : les limites de l’émancipation - La citoyenne, la travailleuse, la femme : trois conquêtes successives

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01. Systèmes diplomatiques et blocs d’alliances en Europe (1871-1914) Depuis 1871 et sa défaite contre la Prusse, la France est isolée diplomatiquement. Bismarck, inventeur des alliances militaires en temps de paix, fait de l’Allemagne le centre de la diplomatie européenne : de 1871 à son départ en 1890, il parvient à maintenir l’isolement de la France et à se garantir ainsi contre toute revanche française. Après 1890, le « système bismarckien » disparaît avec le retrait de son promoteur, et ce sont deux blocs d’alliances qui se constituent, divisant l’Europe en deux grands systèmes antagonistes. C’est un équilibre défensif qui, paradoxalement, engage l’Europe dans une course aux armements et dans une instabilité plus grande, qui peut déboucher sur un conflit généralisé.

I. La constitution des blocs

De la Duplice à la Triplice (ou Triple Alliance) En 1872 est signée « l’entente des trois empereurs » entre l’empereur d’Allemagne, l’empereur d’Autriche-Hongrie et le tsar de Russie. Mais la crise d’Orient (1875-1878) révèle les intérêts antagonistes de l’Autriche-Hongrie et de la Russie dans les Balkans, et rend difficile le maintien des deux empires dans la même alliance. Après la conférence de Berlin qui règle la Question d’Orient (1878), Bismarck choisit de s’appuyer sur l’Autriche-Hongrie avec qui il signe la Duplice en 1879. En 1882, la Duplice devient Triplice avec l’entrée de l’Italie dans l’alliance : l’Italie est très anti-française depuis la signature du traité du Bardo en 1881 instaurant un protectorat français sur la Tunisie, région que l’Italie considérait comme son domaine réservé (beaucoup d’Italiens y étaient installés). A l’origine, la Triplice est un traité secret défensif dirigé contre la France : les trois signataires se garantissent mutuellement en cas d’agression française contre l’un d’entre eux. Dans le même temps toutefois, Bismarck signe un traité secret de contre-assurance avec la Russie, car il ne veut pas se couper de l’empire des tsars et redoute une alliance franco-russe. La Triplice quant à elle est renouvelée en 1887 et en 1891.

La formation de la Triple Entente Lors de son arrivée au pouvoir en 1888, le nouvel empereur allemand Guillaume II refuse de renouveler le traité de contre-assurance avec la Russie : il estime qu’un rapprochement entre la France et la Russie est totalement impossible, car les deux pays ont des régimes politiques antagonistes, et leurs intérêts stratégiques sont divergents (les Russes s’intéressent surtout aux Balkans, la France voudrait sortir de son isolement en Europe occidentale). Mais c’est un mauvais calcul de la part de Guillaume II, car la Russie a peur d’être mise devant le fait accompli par l’Autriche-Hongrie dans les Balkans : dans une telle perspective, l’alliance française pourrait jouer pour la Russie le rôle d’une alliance de revers. Le rapprochement franco-russe commence dès 1888 par le lancement du premier emprunt russe en France, qui rencontre un large succès. En 1891, les deux pays signent un accord par lequel ils proclament leur amitié et décident de se concerter en cas de menace étrangère qui pèserait sur l’un

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d’entre eux. En 1892 enfin est adoptée une alliance militaire défensive. Le rapprochement avec la Russie est très populaire dans l’opinion française : il permet à la France de sortir de l’isolement diplomatique dans lequel Bismarck l’avait maintenue pendant une vingtaine d’années. La France réintègre ainsi le rang des grandes nations.

En avril 1904, la France se rapproche de la Grande-Bretagne : après une période de vives tensions entre les deux pays qui a culminé lors de la crise de Fachoda en 1898 (les rivalités coloniales sont très fortes entre les deux nations qui possèdent le premier – Grande-Bretagne – et le deuxième – France – empire colonial du monde), les deux anciens rivaux liquident leur contentieux colonial. C’est « l’Entente cordiale » : l’Angleterre en effet commence à avoir peur de l’Allemagne, qui lui dispute la prééminence dans le domaine économique.

La Triple Entente voit le jour en 1907, quand la Russie se rapproche à son tour de la Grande-Bretagne : affaiblie depuis sa défaite de 1905 contre le Japon, la Russie ne peut se permettre de se heurter à l’empire britannique. France, Grande-Bretagne et Russie constituent donc la Triple Entente (une alliance moins contraignante que la Triplice).

II. Le fonctionnement des deux blocs

Les failles dans les blocs Dans la Triplice L’Italie n’est pas une alliée sûre, à cause notamment du contentieux territorial avec l’Autriche-Hongrie (« terres irrédentes »). D’autre part, à la fin du XIXe siècle les finances italiennes sont désastreuses et c’est la France qui va renflouer les caisses et devenir ainsi la créancière de l’Etat italien. Une politique active de rapprochement franco-italien est menée par Camille Barrère, ambassadeur de France à Rome. Les deux pays vont régler progressivement leurs contentieux : en 1896, l’Italie avalise le protectorat français sur la Tunisie et la légitimité de la présence française au Maroc, tandis que la France reconnaît les droits italiens sur la Tripolitaine. En 1902 est signé un accord secret franco-italien, qui prévoit la neutralité de l’Italie en cas de guerre franco-allemande. L’Italie toutefois ne veut pas rompre officiellement avec la Triplice, car elle trouve des avantages à cette position intermédiaire.

Dans la Triple Entente En 1905, l’alliance franco-russe subit une période de refroidissement car les Français n’ont pas vraiment soutenu la Russie dans la guerre qui l’a opposée au Japon. Guillaume II en profite pour tenter de se rapprocher du tsar : il rencontre Nicolas II à Bjorkö et obtient une alliance défensive avec la Russie. Mais c’est une erreur politique pour les deux pays et le traité de Bjorkö est immédiatement ajourné. A partir de là la Russie apportera un soutien sans faille à la France, notamment dans la crise marocaine qui l’oppose à l’Allemagne en 1906 (Algésiras). Une deuxième crise franco-russe intervient toutefois en 1908 : Russie et Autriche-Hongrie s’opposent sur la question de la Bosnie-Herzégovine, et la France joue le rôle de modérateur au lieu de soutenir son allié russe. La Russie toutefois ne se rapproche pas pour autant de l’Allemagne qui a fortement appuyé l’Autriche-Hongrie.

Un système responsable de la Première Guerre mondiale A partir de 1906, l’Europe connaît une série de crises qui amène au resserrement des alliances. En 1912, la France et la Grande-Bretagne signent une convention navale : en cas de conflit, la France assurera la défense de la Méditerranée. C’est aussi une véritable « course aux armements » qui se joue entre pays rivaux.

Le paradoxe de l’existence de ces deux Blocs antagonistes, c’est qu’ils créent une situation où un conflit localisé mineur peut déboucher sur un embrasement généralisé, justement à cause du système des alliances entre pays. C’est d’ailleurs ce qui se produit à l’été 1914 avec le

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conflit austro-serbe puis austro-russe : ni la France ni l’Allemagne n’ont d’intérêt direct dans l’affaire, mais elles se trouvent entraînées dans le conflit à cause des accords qui les lient à leurs alliés. Le 28 juin 1914, l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo. L’Autriche-Hongrie accuse la Serbie (soutenue par la Russie) d’avoir armé l’assassin, lui lance un ultimatum le 23 juillet 1914 et lui déclare la guerre quelques jours plus tard, le 28 juillet. Le 31 juillet, l’Allemagne, solidaire de son allié autrichien, lance un ultimatum à la Russie et à la France. Le 1er août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie, puis à la France le 3 août, sous prétexte que la France aurait violé le territoire allemand. C’est le début d’un conflit mondial et meurtrier qui durera plus de quatre années.

En une semaine, entre la fin du mois de juillet et le début du mois d’août 1914, c’est toute l’Europe qui s’embrase. Seule l’Italie, pourtant partie prenante dans le système d’alliances, refuse de s’engager – elle est désormais courtisée par les deux camps qui cherchent à la faire entrer en guerre de leur côté. En définitive, le système d’alliances et la logique des blocs ont conduit directement à la guerre.

Repères bibliographiques -R. GIRAULT, Diplomatie européenne et impérialisme (1871-1914), Paris, Masson, coll. « Relations internationales contemporaines », 1997.

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02. L’impérialisme colonial européen en 1914 Le XIXe siècle a vu la constitution ou la reconstitution d’empires coloniaux (les premiers datant de la période moderne). En 1914, le « partage du monde » entre les grandes puissances occidentales est quasiment terminé. Quels principes et quelles arrière-pensées ont guidé les pays colonisateurs ? Quelle est la répartition mondiale des grands empires coloniaux européens en 1914 ?

I. Les justifications du fait colonial Pourquoi les Européens se sont-ils lancé dans la course coloniale ? Essentiellement pour trois types de raisons.

Pour des raisons économiques C’est l’explication la plus évidente. D’une part, grâce aux découvertes de mines d’or au XIXe siècle (aux Etats-Unis, en Afrique du Sud…), et grâce aux bénéfices commerciaux générés par l’activité commerciale, les pays européens ont accumulé des capitaux qu’ils cherchent à réinvestir à l’extérieur : la colonisation est donc avant tout un moyen d’écouler des capitaux pléthoriques. Les colonies peuvent également absorber le trop-plein de la production industrielle européenne, notamment pendant les périodes de récession économique, comme celle qui touche l’Europe à partir de 1873. Inversement, l’Europe est un foyer de consommation où le niveau de vie général s’élève constamment, et qui doit absorber une quantité toujours plus grande de produits coloniaux et de matières premières. Les colonies sont donc aussi une réserve de matières premières à bas prix.

Pour des raisons politiques La rivalité entre puissances occidentales est un puissant stimulant de la « course aux colonies ». Acquérir une colonie nouvelle est pour un pays européen un moyen commode d’affirmer sa suprématie. Il s’agit de poursuivre au-delà des mers le principe de « l’équilibre européen » : après 1871, les grands pays occidentaux ne peuvent plus guère espérer s’étendre en Europe. Apparaît donc l’idée de transposer en Afrique et en Asie les partages et les compensations entre puissances qui forment la base de l’équilibre européen. D’où la course effrénée que se livrent les principaux pays européens, pour être les premiers à planter leur drapeau sur un nouveau territoire. Dans chaque pays d’Europe, le « parti colonial » est sous-tendu par un fort nationalisme : « jingoïsme » en Grande-Bretagne, pangermanisme en Allemagne, désir de compensation pour la France d’après 1871 victime de l’isolement européen imposé par Bismarck…

Pour des raisons morales et religieuses Le développement du « darwinisme social » (application aux sociétés humaines de la théorie de Darwin sur la sélection naturelle des espèces) conduit certains Européens à considérer que les Blancs sont supérieurs aux hommes de couleur ; cette supériorité supposée confère à l’homme blanc un certain nombre de devoirs, notamment celui de « civiliser » les populations considérées comme inférieures. C’est ce que le poète anglais Rudyard Kipling appelle « le

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fardeau de l’homme blanc ». Cette action de civilisation et d’éducation est souvent assumée par des missions religieuses, protestantes ou catholiques, qui ont contribué à favoriser la pénétration européenne dans les zones du monde colonisées par les Européens.

II. Les grands empires coloniaux européens

L’empire colonial britannique C’est le plus important de tous ; il s’étend sur 30 millions de km2 et englobe 400 millions d’habitants. Aux dominions devenus pratiquement indépendants (Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), la Grande-Bretagne ajoute la plus grande partie de l’Afrique australe et orientale, la plupart des îles des Antilles, Ceylan, la Birmanie et surtout le « joyau de l’Empire » que constitue l’Inde britannique. Dans les territoires qu’ils administrent, les Anglais ont en général appliqué le principe de l’association : ils n’ont pas cherché à transformer les populations soumises en citoyens britanniques. L’Empire anglais comprend des protectorats qui relèvent des Affaires étrangères ; des bases militaires relevant de l’amirauté ; des colonies, qui ont d’abord appartenu à des compagnies privées par une charte puis sont devenues colonies de la Couronne à partir de 1854.

Malgré sa diversité, l’Empire britannique possède une grande unité qui s’explique par la communauté du souverain, la langue, le peuplement, les intérêts culturels et économiques.

L’empire colonial français Moins étendu que l’empire colonial britannique, l’empire colonial français s’étend sur 10 millions de km2 et englobe 48 millions d’habitants. En 1914, l’Empire français comprend un bloc africain composé du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc), de l’A.O.F. (Afrique Occidentale française, 1895) et de l’A.E.F. (Afrique Equatoriale française, 1910), quelques comptoirs aux Antilles, dans l’Océan Indien et sur les côtes de l’Inde, enfin un ensemble asiatique constitué de l’Union indochinoise. L’Algérie bénéficie d’un statut particulier : elle est considérée comme faisant partie intégrante du territoire français et dépend directement du ministère de l’Intérieur. Dans les « vieilles colonies » (Antilles, Guyane, Réunion, comptoirs du Sénégal, établissements de l’Inde), les habitants sont par naissance citoyens français et sont représentés au Parlement. Dans les « colonies nouvelles » (A.O.F., A.E.F., Indochine, Madagascar), les habitants ne bénéficient pas de l’assimilation en droit public et privé ; ils sont dirigés par un Gouverneur général français. Enfin existent aussi des protectorats (Tunisie, Maroc), relevant des Affaires étrangères, qui sont censés conserver un semblant d’autonomie mais où les représentants français (résidents généraux) ont fini par accaparer la plus grande partie des pouvoirs.

Les autres empires coloniaux Entrés plus tardivement dans la course coloniale, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas possèdent néanmoins des colonies en 1914. Les Allemands ont des possessions en Afrique du Sud, dans l’Est africain et au Cameroun, ainsi que quelques îles dans le Pacifique (les Mariannes-du-Nord). Les Belges sont implantés en Afrique avec le Congo belge, les Pays-Bas en Indonésie avec les « Indes néerlandaises ». Quant aux Italiens, présents en Erythrée et en Somalie, ils obtiennent par le traité de Lausanne en 1912 la cession de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine.

Le domaine colonial a été avant 1914 l’enjeu des rivalités européennes. A plusieurs reprises, un « incident colonial » opposant deux grandes puissances a failli dégénérer en conflit ouvert : conflit franco-britannique lors de la crise de Fachoda (1898), conflit franco-allemand à propos du Maroc en 1905-1906 puis à nouveau en 1911. Pendant le premier conflit

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mondial, les empires britannique et français, qui sont les plus importants, fournissent des troupes à la métropole. De même, on se bat sur le terrain colonial comme en Europe. Les colonies participent donc à l’affrontement des grandes puissances européennes.

Repères bibliographiques -P. GUILLAUME, Le monde colonial. XIXe-XXe siècle, Paris, A. Colin, 1994.

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03. La Première Guerre mondiale (1914-1918) Au mois d’août 1914, l’état d’esprit général, aussi bien du côté de l’Entente que du côté des Empires centraux1, est que la guerre sera courte, c’est-à-dire qu’elle durera au pire jusqu’à Noël 1914, chaque camp pensant bien sûr être vainqueur d’ici là. Les opinions publiques sont donc relativement confiantes de part et d’autre, et en France, en Angleterre comme en Allemagne se manifeste un patriotisme sans failles symbolisé par la mise en place d’une « l’Union sacrée » : même les socialistes et les syndicalistes, pourtant pacifistes et hostiles à la guerre avant 1914, se rallient massivement à la défense nationale. En France ce ralliement est facilité par l’assassinat de Jaurès le 31 juillet 1914, qui « déboussole » les socialistes français et les prive d’un chef résolument pacifiste. L’Union sacrée toutefois ne se réalise pas dans tous les pays : les populations yougoslaves de l’Autriche-Hongrie ne veulent pas se battre pour François-Joseph (leur cœur penche évidemment plutôt du côté de la Serbie et donc de l’Entente). En Russie une opposition à la guerre se développe à la fois chez les libéraux et chez les ouvriers révolutionnaires.

En ce qui concerne l’équilibre des forces en présence, l’Entente possède une supériorité numérique sur les Empires centraux, mais l’armée allemande est mieux entraînée et plus disciplinée.

I. De la guerre de mouvement à la guerre de tranchées

L’échec des offensives Dès le mois d’août 1914, les offensives françaises en Alsace-Lorraine échouent face à la puissance de feu allemande. Le plan Schlieffen mis au point par l’Allemagne (écraser la France en six semaines pour pouvoir concentrer toutes les forces allemandes sur le front russe) est lui aussi un échec : les Allemands sont contenus sur la Marne lors de la bataille du même nom au mois de septembre 1914. Faute de pouvoir percer leurs fronts respectifs, Français et Allemands se livrent à une « course à la mer », chacun essayant sans succès de déborder l’adversaire par le Nord. Le front se stabilise dès le mois de novembre 1914. Il s’étend de la Mer du Nord à la frontière suisse.

On commence alors à prendre conscience, dans les opinions publiques des différents pays, que la guerre sera plus longue que prévu, sur le front occidental mais aussi sur le front oriental, où les Russes reculent devant l’Allemagne mais remportent des victoires face aux Autrichiens.

1 L’Italie ayant choisi de ne pas entrer en guerre en 1914, on ne parle plus de Triplice mais des « Empires centraux », c’est-à-dire l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.

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La guerre de tranchées Sur le front de l’Ouest, entre la France et Allemagne, l’obsession des états-majors est de conserver les positions acquises. Les troupes vont donc s’enterrer, de part et d’autre du front, dans des tranchées creusées dans le sol. C’est une vie particulièrement pénible pour les soldats, sans hygiène, dans la boue, la mort pouvant survenir à tout moment si l’ennemi jette une grenade ou une torpille directement dans la tranchée, sans parler bien sûr des « sorties » que les soldats doivent régulièrement effectuer pour tenter malgré tout de faire reculer l’ennemi. Dans le cadre de cette guerre de tranchées, quelques grandes offensives sont ainsi lancées par les états-majors, pour tenter d’en finir. Elles se révèlent particulièrement meurtrières, et le plus souvent inefficaces. Ainsi l’offensive allemande à Verdun entre février et juin 1916 (1 million de morts dans les deux camps pour un retour au statu quo d’avant février 1916), ou encore l’offensive française lancée par le général Nivelle en avril 1917 dans le « chemin des Dames » (entre l’Oise et la ville de Reims) : opération inutile qui se solde par 30.000 morts et 80.000 blessés côté français et provoque une série de mutineries dans l’armée française, entre avril et juin 1917. Les soldats se révoltent non pas contre la guerre elle-même (contrairement à ce qu’on a pu dire, et même s’il y a effectivement quelques anarchistes parmi les meneurs), mais contre l’inutilité d’offensives qui les envoient à la mort sans raison.

II. Une guerre totale ?

De nouveaux belligérants Comme la guerre de tranchée risque de s’éterniser, chaque camp essaie de faire basculer l’équilibre des forces en sa faveur en recherchant de nouveaux alliés : la guerre se joue donc aussi sur le terrain diplomatique. Au mois de mai 1915, l’Entente reçoit l’appui de l’Italie, ce qui est une surprise car l’Italie fait partie de la Triplice depuis 1882 ; mais dès la fin du XIXe siècle l’Italie s’était rapprochée de la France. Le revirement italien de 1915 a toutefois des causes plus précises : l’Italie a ouvert une négociation avec les deux camps pour savoir lequel lui offrirait le plus d’avantages en cas de victoire. Elle a d’abord négocié avec l’Autriche-Hongrie, son alliée « officielle », sur la question des terres irrédentes (nord de l’Italie) : les récupérerait-elle en cas de victoire des Empires centraux ? Devant l’échec des négociations avec l’Autriche-Hongrie, l’Italie se retourne vers l’Entente, qui lui promet les terres irrédentes en cas de victoire de l’Entente, ainsi que des compensations territoriales sur la côte Yougoslave (Istrie et Dalmatie). L’autre renfort important dont bénéficie l’Entente est celui des Etats-Unis, qui entrent en guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne au mois d’avril 1917. A l’inverse, l’Entente perd en 1917 un allié de poids, puisque après la révolution russe d’octobre 1917, la Russie se retire du conflit et signe une paix séparée avec les Empires centraux à Brest-Litovsk en mars 1918.

De leur côté, les Empires centraux bénéficient aussi du renfort de nouvelles puissances : l’Empire ottoman entre en guerre à leurs côtés dès 1914 (il y a donc un front oriental autour des détroits des Dardanelles et du Bosphore) ; puis c’est au tour de la Bulgarie en 1915, ce qui provoque l’effondrement de la Serbie désormais prise entre deux feux (un front avec l’Autriche-Hongrie, un front avec la Bulgarie), et qui n’a pas les moyens de résister.

Le rôle de l’économie : guerre économique et économie de guerre Le conflit n’est pas seulement militaire, il est aussi économique. Dès le mois d’août 1914, Anglais et Français imposent un blocus économique à l’Allemagne, empêchant tout navire étranger de venir ravitailler les côtes allemandes. Ce blocus devient particulièrement efficace à partir de 1915, condamnant l’Allemagne à ne plus rien recevoir par la mer. A partir de la fin

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de 1916, la situation des Empires centraux devient critique : pendant l’hiver 1916-1917, les vivres manquent en Allemagne et un rationnement sévère est instauré sur la base de 1300 calories par jour pour un travailleur. Cet hiver-là a d’ailleurs été surnommé par les Allemands « l’hiver des rutabagas », seuls légumes encore disponibles. En réponse au blocus qui leur est imposé par l’Entente, les Allemands intensifient la guerre sous-marine à partir de 1917, pour essayer d’isoler l’Angleterre. Mais les Américains figurent au nombre des victimes (notamment sur le « Lusitania », coulé en mai 1915), et c’est une des raisons qui poussent les Etats-Unis à entrer en guerre.

Si l’économie est une arme de guerre, la guerre a aussi des conséquences sur l’économie des pays belligérants, qui est mise entièrement au service de la guerre. En 1914, rien n’avait été prévu pour organiser l’économie, car les gouvernements se plaçaient dans la perspective d’une guerre courte. Mais le conflit se prolongeant, les Etats se voient contraints d’intervenir dans la vie économique et sociale, y compris dans les pays libéraux d’Europe occidentale comme la Grande-Bretagne et la France. L’Allemagne est la première à mettre en place une économie de guerre, mais elle est très vite imitée par les autres belligérants. Tous les domaines de la vie économique passent progressivement sous le contrôle de l’Etat. D’abord le commerce extérieur : importations et exportations sont contrôlées, l’Etat dirige la répartition des matières premières et il est conduit à les rationner, ainsi que les denrées alimentaires. Pour assurer les fabrications nécessaires à la guerre (notamment les armes), l’Etat s’occupe du recrutement de la main-d’œuvre et accorde des crédits aux industriels. Pour éviter les crises, c’est lui qui fixe les prix, surveille les salaires et les conditions de travail. A la fin du conflit, on peut dire que l’Etat est devenu le principal ordonnateur de l’économie nationale, supprimant dans les faits les règles de la concurrence et les lois de l’économie libérale. Mais dans tous les pays, on pense qu’il ne s’agit là que d’une parenthèse imposée par la guerre et qui se terminera avec elle.

III. La fin du conflit

Les dernières offensives allemandes et la victoire des alliés En France et en Angleterre, les gouvernements ont accentué l’effort militaire à partir de 1917. En France, Clemenceau arrive au pouvoir comme président du Conseil en novembre 1917 et prend aussitôt des mesures contre les partisans d’une « paix blanche », c’est-à-dire d’un arrêt du conflit sans gain territorial. Ce sont essentiellement des socialistes et des syndicalistes qui remettent en cause « l’Union sacrée ».

Les Allemands pour leur part savent que le temps joue contre eux, car l’entrée en guerre des Etats-Unis a définitivement fait pencher l’équilibre des forces en leur défaveur. Ils tentent donc quatre grandes offensives pendant l’année 1918, grâce aux troupes ramenées du front russe, mais elles sont chaque fois repoussées. En juillet-août 1918 commence la contre-offensive alliée contre les Empires centraux, dont la défaite va être accélérée par des révolutions à Berlin et à Vienne qui renversent les régimes établis.

L’effondrement des Empires centraux A partir de la deuxième moitié de l’année 1918, la défaite des Empires centraux paraît inéluctable et va provoquer des bouleversements politiques car ce sont les régimes eux-mêmes qui sont remis en question. En Autriche-Hongrie, l’empereur Charles Ier (François-Joseph est mort en 1916) promet des réformes en octobre 1918, mais il est déjà trop tard. Le 4 octobre 1918, le Reichstag adopte une résolution du socialiste Victor Adler qui reconnaît à tous les peuples de Cisleithanie le droit à l’autodétermination. Le 17 octobre, l’empereur publie un manifeste transformant la monarchie austro-hongroise en une fédération d’Etats

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nationaux. Prise un an auparavant, cette mesure aurait peut-être réussi à sauver l’Autriche-Hongrie. Mais en octobre 1918, il est trop tard : le manifeste de Charles Ier est perçu comme un aveu de faiblesse supplémentaire de la part du pouvoir. Chaque nationalité de l’empire se déclare indépendante, y compris la Hongrie le 30 octobre 1918. C’est le début du démembrement, et donc de la fin, de l’empire austro-hongrois.

Parallèlement, vaincue militairement et privée d’alliés, l’Allemagne demande la paix à l’Entente au tout début du mois d’octobre 1918. L’Empereur Guillaume II s’adresse au président Wilson, mais ce dernier exige, comme préalable à toute négociation, que Guillaume II accepte un régime parlementaire. Ce dernier s’exécute le 3 octobre 1918 et charge le prince Max de Bade de former un ministère comprenant des représentants des différents partis siégeant au Reichstag, y compris des socialistes (SPD) qui jusque-là avaient toujours été systématiquement exclus du gouvernement. Les sociaux-démocrates demandent l’abdication de Guillaume II, et le 9 novembre 1918, la révolution éclate à Berlin et la République est proclamée. Incapable de remplir ses fonctions, le chancelier Max de Bade donne sa démission et transmet le pouvoir au chef du parti socialiste, Ebert. Guillaume II s’enfuit aux Pays-Bas. Le 11 novembre 1918, c’est donc le gouvernement de la nouvelle république allemande qui signe l’armistice de Rethondes, mettant fin à la Première Guerre mondiale.

On peut conclure en dressant le bilan de la Première Guerre mondiale :

*bilan humain Entre 8 et 10 millions d’hommes sont morts durant ce conflit, dont 1,8 m° en Allemagne, 1,4 m° en France, 1,4 m° en Autriche-Hongrie et 1,7 m° en Russie (entre 1914 et 1917). En valeur relative, c’est pourtant la Serbie qui vient en tête des pertes avec 37% des combattants tombés au champ d’honneur. C’est la France qui tient la tête des grandes puissances avec 17% de mobilisés décédés. Mais il faut compter aussi les 6,5 m° d’invalides pour l’ensemble de l’Europe, ainsi que les millions de veuves et d’orphelins privés de leur mari et père (rien que pour la France on dénombre 700.000 veuves à l’issue du conflit). D’autre part, la sous-nutrition et les privations ont affaibli les populations désormais plus vulnérables aux épidémies, notamment celle de la « grippe espagnole », qui sévit en 1918, avant même la fin du conflit, et tue entre 20 et 40 millions de personnes dans le monde, soit plus que la guère elle-même (dont 100.000 en France et 1,8 m° en Allemagne).

Autre conséquence « humaine » de la guerre : la structure de la population européenne se trouve déséquilibrée pour longtemps. Le déséquilibre concerne la structure par sexe de la société (dans l’après-guerre, beaucoup de jeunes femmes resteront sans mari) et l’apparition de « classes creuses » dans l’entre-deux-guerres (= tous les enfants qui auraient dû naître pendant la guerre, arriver à l’âge adulte vers le milieu des années 30 et procréer à leur tour). De plus, le phénomène de « rattrapage » des naissances à partir de 1919 n’a pas été très important (justement à cause du déficit d’hommes), il n’est en rien comparable en tout cas avec le « baby-boom » que connaîtra l’Europe à partir de 1945.

*bilan économique et financier Les destructions matérielles sont immenses dans les régions qui ont été occupées (par exemple le Nord-Pas de Calais en France, occupé par les Allemands), et dans celles qui ont été le théâtre des opérations militaires (Nord et Est de la France, Belgique, Nord de l’Italie notamment). La France est le pays économiquement le plus touché avec la ruine de ses infrastructures de transport ; les mines ont été inondées (la France en 1918 ne produit plus que 600.000 tonnes de charbon contre 16 m° en 1914), trois millions d’hectares ont été ravagés et ne sont plus immédiatement cultivables. Dans l’ensemble de l’Europe la production agricole a chuté de 30% et la production industrielle de 40% en quatre ans. Sur le plan industriel, la France connaît un recul de sa production de 34%, 39% pour l’Allemagne. Les échanges commerciaux sont eux aussi perturbés : les pays européens ont perdu une bonne part de leurs débouchés extérieurs au profit des Etats-Unis.

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Sur le plan financier, le coût de la guerre s’exprime par un renversement : l’Europe, qui était en 1914 le banquier du monde, est désormais en 1918 profondément endettée, et débitrice des Etats-Unis (pour les pays de l’Entente) : il a fallu en effet emprunter de l’argent pour soutenir l’effort de guerre. Le seul service de la dette absorbe autour de 40% des dépenses publiques dans les pays belligérants. Pour y faire face, l’Angleterre rapatrie les placements qu’elle avait faits à l’étranger, mais la France est durement touchée par la décision des Bolcheviks de ne pas honorer les « emprunts russes » contractés à partir de 1888 par le gouvernement tsariste. Les Américains en revanche sont devenus indépendant sur le plan financier (ce qui n’était pas le cas en 1914), et possèdent désormais la moitié du stock d’or mondial (c’est le début de la puissance financière américaine). Le dollar est avec la livre sterling la seule monnaie encore convertible en or, et fait figure de monnaie internationale aux côtés de la livre.

*bilan moral et politique Le bilan moral et politique de la Première Guerre mondiale est loin d’être négligeable. La guerre provoque une remise en cause des valeurs fondamentales des Européens. Avec la fin de la croyance dans sa propre supériorité, l’Europe découvre, selon le mot du poète français Paul Valéry, que sa civilisation est mortelle. L’idée de progrès, la foi dans la science et dans la raison, dans une marche de l’histoire vers le bonheur, toutes ces certitudes sont durement ébranlées. Les réactions à l’horreur de la guerre prennent parfois des formes radicalement opposées. D’un côté, dans certaines élites intellectuelles, on assiste à un renouveau du sentiment religieux ; chez beaucoup de jeunes gens qui ont directement combattu, c’est au contraire le sentiment de l’absurde qui triomphe, un sentiment qui trouve une traduction concrète dans le développement du dadaïsme et surtout du surréalisme dans les années 1920. L’idée de déclin, d’un déclin vécu comme irrémédiable, est au cœur de la réflexion philosophique d’après-guerre. Cela se reflète dans le titre de beaucoup de livres publiés après le conflit : celui du géographe Demangeon en France, Le déclin de l’Europe en 1920, ou celui de l’Allemand Spengler la même année, intitulé Le déclin de l’Occident. Le pessimisme règne donc sur la pensée européenne.

Se forme d’autre part dans les ex-pays belligérants un esprit « ancien combattant », profondément marqué lui aussi par l’horreur de la guerre, et plein de ressentiment pour les « profiteurs » et les nouveaux riches. Ces anciens combattants désabusés vont en général évoluer vers le pacifisme. D’autre part, les notables traditionnels perdent de leur prestige, et un besoin d’égalité nouveau se manifeste dans tous les pays par des troubles sociaux récurrents et une flambée des effectifs syndicaux (en Angleterre par exemple on passe de 4 m° de syndiqués en 1917 à 8 m° en 1918).

Les jeunes gens qui sont rentrés de la guerre se soumettent plus difficilement à l’autorité paternelle. Quant aux femmes, la question de leur émancipation du fait de la guerre est toujours discutée parmi les historiens. Il est vrai que, pendant le conflit, les femmes ont connu une certaine émancipation en investissant des métiers qui étaient jusque-là réservés aux hommes. Chez certaines femmes en tout cas le raccourcissement des robes et la coiffure à la « garçonne » attestent d’un nouvel état d’esprit. En Grande-Bretagne, les femmes obtiennent progressivement le droit de vote entre 1918 et 1920 ; ce n’est pas le cas en France2.

Sur le plan politique enfin, la démocratie semble progresser avec la disparition des empires (Allemagne, Autriche-Hongrie, Russie, et Empire ottoman en 1922). Pourtant, paradoxalement, le modèle libéral, démocratique et parlementaire est en crise, sévèrement remis en cause par deux modèles concurrents : le modèle bolchevik (au pouvoir en Russie depuis 1917), et le modèle autoritaire nationaliste (en place en Italie à partir de 1922).

2 Cf. le cours sur « La condition féminine en France au XXe siècle ».

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Repères bibliographiques -Ch. AMBROSI, L’apogée de l’Europe 1871-1918, Paris, Masson, coll. « Histoire contemporaine générale », 1987 (4e édition).

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04. La révolution russe de 1917 En 1914, au moment où débute la Première Guerre mondiale, la Russie apparaît, aux yeux de ses alliés et de ses adversaires, comme une puissance de tout premier plan. Elle est forte en effet de ses 170 millions d’habitants et est susceptible de mobiliser près de 8 millions de soldats. D’autre part, l’empire des tsars est en train de s’industrialiser à grands pas. L’Union sacrée, réalisée en Russie comme dans tous les autres pays belligérants, fait passer au second plan les tensions économiques et sociales. Contre toute attente, la déclaration de guerre est même accueillie avec enthousiasme dans la capitale, Saint-Pétersbourg. Par patriotisme, le nom de la ville est d’ailleurs modifié au moment de l’entrée en guerre contre les Empires centraux : jugé trop germanique, il est remplacé par son équivalent russe, Petrograd (= « la ville de Pierre [le Grand] », fondateur de la ville en 1703). Des manifestations ont lieu à Petrograd durant les premières semaines du conflit, pour encourager le tsar à soutenir sans faillir « le petit frère serbe ». Ce panslavisme est surtout le fait de la bourgeoisie urbaine, qui voit dans une victoire sur les Austro-allemands et les Turcs l’ouverture possible de la route de Constantinople et l’accès de la Russie à la Mer noire, vieux rêve qui serait enfin réalisé. L’unanimité patriotique est alors quasiment totale au début de la guerre. Même les anarchistes et les socialistes jugent qu’une guerre menée contre les Empires centraux est légitime : ils considèrent en effet que le pire danger pour l’avenir de la révolution mondiale (qui reste bien sûr leur but à long terme) n’est pas la victoire du tsarisme, un régime de toute façon condamné par l’histoire, mais bien celle du capitalisme le plus avancé, en l’occurrence le capitalisme allemand, dont le triomphe aboutirait à l’anéantissement du prolétariat allemand, le plus organisé et le plus conscient au monde. Dans l’optique de la révolution, la victoire de l’Allemagne parait donc plus grave que celle de la Russie tsariste.

Quelques voix discordantes toutefois ne partagent pas ce point de vue : il s’agit de quelques socialistes révolutionnaires, ainsi que des sociaux-démocrates Lénine et Trotski, qui considèrent que seule la défaite de la Russie permettra l’écroulement du tsarisme. Lénine est cependant le seul d’entre eux à prôner le défaitisme, c’est-à-dire la lutte pour la défaite de son propre pays. Au congrès de Zimmerwald, qui se tient en 1915 et réunit des socialistes de tous les pays, Lénine ne parvient pas à imposer l’idée selon laquelle tous les socialistes devraient œuvrer pour la défaite de leur propre pays en vue de l’établissement de la révolution socialiste. La conférence de Zimmerwald se sépare sur une déclaration très générale, qui condamne la guerre mais ne propose pas d’action commune de l’ensemble des socialistes européens.

L’union sacrée n’est donc pas totale en Russie. De plus, la Russie est en réalité une puissance beaucoup plus fragile qu’il n’y paraît. D’abord, sur 170 millions d’habitants, 40 millions sont ce qu’on appelle des « allogènes », c’est-à-dire des populations qui, bien que vivant sur le territoire de la Russie, ne sont pas des Russes : par exemple la Finlande, la Pologne, les pays baltes, autant de populations qui ont été « russifiées » de force avec plus ou moins de succès, et au sein desquelles existent des courants séparatistes qui souhaiteraient s’émanciper de l’empire russe.

D’autre part, l’industrialisation que commence à connaître le pays reste encore très

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fragile. Elle dépend en grande partie de capitaux étrangers, l’Etat russe étant très endetté. L’industrie est encore géographiquement très limitée, cantonnée à quelques secteurs restreints (Petrograd, Moscou, en Ukraine et dans l’Oural). Le monde rural est encore largement majoritaire, représentant 80% de la population. En 1914 on ne compte que 3 millions d’ouvriers actifs dans l’ensemble du pays.

Enfin, sur le plan social, la société russe reste soumise à des tensions de toutes sortes. Les problèmes les plus graves affectent le monde rural, où le fort accroissement démographique fait qu’il n’y a pas de terres pour tout le monde ; beaucoup de paysans en tout cas ne disposent que d’un lopin de terre tout à fait insuffisant pour subsister correctement. Les campagnes russes sont donc souvent agitées par des révoltes de la misère et de la faim. Côté urbain, le monde ouvrier, bien que peu nombreux, est très revendicatif et multiplie les grèves dans les villes, pour obtenir des augmentations de salaire et un abaissement de la durée du temps de travail. Ce monde du prolétariat urbain se montre particulièrement réceptif à la propagande révolutionnaire, en particulier celle des sociaux-démocrates dont l’audience ne cesse de croître.

I. Lénine et la formation du parti social-démocrate

Le parcours de Lénine Vladimir Ilitch Oulianov (1870-1924), qui ne s’appelle pas encore Lénine, est étudiant en droit à la fin des années 1880 lorsqu’il découvre le marxisme, comme beaucoup d’étudiants de son époque (les principaux écrits de Marx ont été traduits en russe dans les années 1870-1880 : le Capital en 1872 [1867], le Manifeste du Parti communiste en 1882 [1848]). Lénine milite dans différents groupes d’études marxistes. Les principaux inspirateurs du mouvement marxiste en Russie ont choisi de s’exiler en Suisse, au début des années 1880, pour pouvoir y publier librement leurs écrits. C’est le cas notamment de Plékhanov, un ancien officier du tsar converti à l’idéologie marxiste. Jusqu’à la fin des années 1880 toutefois, le mouvement ouvrier lui-même est peu ou pas touché par le marxisme : il revendique uniquement de meilleures conditions de vie pour la classe ouvrière, et se préoccupe fort peu d’idéologie. Le 1er mai 1891 toutefois a lieu à Saint-Pétersbourg une manifestation ouvrière qui témoigne d’une certaine évolution, avec des slogans plus ou moins inspirés par l’idéologie marxiste : à partir du début des années 1890, les groupes d’études marxistes commencent peu à peu à pénétrer les milieux ouvriers des grandes villes.

Pour sa part, après avoir obtenu sa licence de droit, Lénine s’installe à Saint-Pétersbourg en 1892 comme avocat. Il décide de prendre en main l’organisation de groupes d’inspiration marxiste au sein même de la classe ouvrière. Selon lui, la lutte idéologique et la lutte revendicative doivent être étroitement liées. Il envisage la création d’un parti marxiste dont l’idéologie serait accessible aux ouvriers, et auquel ils adhèreraient sans réticences. En 1895, Lénine part en Suisse pour rencontrer Plékhanov et son groupe. La première version d’un parti social-démocrate prend forme, mais ce parti ne verra véritablement le jour qu’en 1903.

La naissance du parti social-démocrate Malgré la rencontre entre Lénine et Plékhanov, plusieurs années vont en effet s’écouler avant la création officielle du parti social-démocrate. Plusieurs raisons expliquent ce délai. D’abord, la police tsariste est extrêmement active et elle traque sans relâche tous les opposants, et en

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particulier les sympathisants marxistes : en décembre 1895, Lénine est lui-même arrêté et condamné en 1896 à trois ans de déportation en Sibérie (son camp est situé près de la rivière Lena, et c’est à son retour de Sibérie qu’il commencera à signer ses articles du nom de « Lénine »).

D’autre part, les marxistes russes sont profondément divisés. Certains, qui veulent acquérir une plus large audience au sein de la classe ouvrière, pensent qu’il faut placer au premier plan les revendications économiques des travailleurs, quitte à mettre de côté pour un temps les revendications politiques. Cette tendance à l’« économisme » est vivement combattue par Lénine et ses amis. Une fois sa peine purgée en Sibérie, Lénine décide de partir en Suisse et de se joindre au groupe de Plékhanov, pour mieux lutter contre la tendance « économiste ». En 1900, Lénine fonde le journal l’Iskra (« l’Etincelle »), dans lequel il formule notamment ses conceptions en matière d’organisation d’un futur parti social-démocrate. Par l’intermédiaire de l’Iskra, l’influence de Lénine s’accroît de façon considérable. Lénine formule également sa stratégie révolutionnaire dans un ouvrage publié en 1902 et intitulé simplement Que faire ? rédigé à l’intention d’un public ouvrier, Que faire ? s’efforce de définir le rôle respectif des intellectuels et des ouvriers au sein du futur parti social-démocrate : les premiers – les intellectuels – doivent aider les ouvriers à distinguer quel est le sens profond de leur lutte politique quotidienne : ils doivent en fait les engager à voir au-delà de leurs simples revendications matérielles. Contrairement aux partisans de l’« économisme », Lénine essaie de démontrer aux ouvriers qu’il faut abattre l’oppression politique en même temps que l’oppression économique, car les deux aspects sont indissolublement liés.

En 1903, le parti social-démocrate voit enfin le jour. Lors de son premier congrès organisé en juillet 1903, à Bruxelles puis à Londres (la police belge ayant interdit la réunion), Lénine s’oppose au marxiste Martov. Les deux hommes ont deux conceptions opposées de ce que doit être le parti : Lénine veut un parti structuré, organisé, supposant un engagement total du militant : à la limite, peu importe à Lénine qu’il y ait peu d’adhérents du moment que ce sont des hommes fortement motivés et prêts à faire la révolution. Martov souhaiterait au contraire un vaste rassemblement de masse, sur le modèle du SPD allemand, regroupant le plus grand nombre possible d’ouvriers. C’est finalement la position de Lénine qui l’emporte : ses partisans sont majoritaires (bol’che = « le plus grand » en russe, d’où le nom de « bolchevik »). Martov et ses partisans deviennent donc logiquement les « mencheviks » (= men’che = « plus petits, minoritaires »).

En 1904, Plékhanov se rapproche de Martov et des mencheviks. En 1905, deux congrès distincts se tiennent, un congrès bolchevik à Londres, un congrès menchevik en Suisse. A peine née, la social-démocratie russe se révèle donc profondément divisée. Cette division a des conséquences à très court terme : lors de la révolution de 1905, elles empêchent les sociaux-démocrates de profiter des troubles pour prendre le pouvoir. Ils ne vont pas rater toutefois le rendez-vous de 1917.

II. La révolution de 1917 : une révolution en deux temps

Les difficultés de la Russie en guerre Après l’euphorie des premiers mois, la Russie en guerre connaît des difficultés croissantes. Sur le plan militaire, alors que l’empire tsariste avait connu un certain nombre de victoires, la situation se retourne dès 1915. Les Allemands décident en effet d’inverser le plan Schlieffen et de porter leur effort principal non plus contre la France, mais contre la Russie. Les Allemands percent le front russe en 1915 et occupent la Pologne et la Lituanie. Dans ces régions allogènes, les Allemands stimulent volontairement le sentiment nationaliste des populations. L’empire russe est ainsi menacé d’éclatement.

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D’autre part, l’économie russe s’est très vite révélée incapable de soutenir l’effort de guerre. L’industrie n’est pas assez développée pour fournir à l’armée les armes, munitions, vivres et vêtements en quantité suffisante, bien que toute l’industrie soit mobilisée au service de l’armée. Or cette priorité donnée au ravitaillement de l’armée paralyse par ailleurs la vie économique de la Russie : privées de fournitures, les usines mettent leurs ouvriers au chômage ; les paysans ne reçoivent plus les produits manufacturés qui leur sont nécessaires et refusent à leur tour de livrer leur grain. Les villes sont donc particulièrement mal approvisionnées en nourriture, et c’est tout le pays qui se retrouve désorganisé.

Face à cette situation, le mécontentement s’exprime dès 1915 par de grandes grèves animées par le parti social-démocrate. L’administration se révèle incapable de réagir et de remédier à la situation, impuissante à gérer la pénurie. On voit alors se créer dans toutes les régions et dans toutes les professions des organisations plus ou moins spontanées qui utilisent le cadre des zemstvos3 pour mettre en place des solutions concrètes à la pénurie : on organise des distributions de nourriture, on se regroupe pour envoyer des colis aux soldats, etc. Mais en 1916, le manque de denrées alimentaires provoque une inflation galopante, une vertigineuse hausse des prix, qui sont multipliés par 3, 4 ou 6 selon les produis par rapport à 1914, alors que dans le même temps les salaires ouvriers ont été multiplié par 2 seulement. Des grèves gigantesques éclatent en 1916, mais elles ont désormais une autre signification : on réclame certes du pain, mais aussi la paix et la fin de l’autocratie. Aux simples revendications matérielles s’ajoutent désormais des revendications politiques. Dans un ouvrage rédigé cette même année, en 1916 (L’impérialisme, stade suprême du Capitalisme), Lénine montre que la révolution éclatera non pas, comme l’avait prévu Marx, dans le pays où le capitalisme était le plus avancé et les prolétaires les mieux organisés, c’est-à-dire l’Allemagne (Marx ayant pour sa part d’abord pensé à la Grande-Bretagne), mais dans le pays qui supporte le moins bien l’effort économique d’une guerre moderne, c’est-à-dire la Russie. D’après Lénine, la Grande Guerre a renversé les termes de l’analyse marxiste, et fait de la Russie le pays le plus susceptible de connaître une révolution socialiste. Celle-ci allait se produire en deux temps, en février puis en octobre 1917.

La première révolution de février 1917 Le tsarisme, institution millénaire, a été abattu en 5 jours seulement, entre le 23 et le 27 février 1917 selon le calendrier russe (en fait du 8 au 12 mars). Tout commence le 23 février à Petrograd par une manifestation de femmes ouvrières, qui reprennent les slogans : « Du pain », « la paix », et « à bas l’autocratie ». Or la police reste passive. Dès le lendemain 24 février, des ouvriers et des chômeurs se joignent aux femmes. Le troisième jour, des organisations politiques, notamment des bolcheviks, encadrent et organisent les défilés. Les soldats refusent de tirer sur la foule ; dans la nuit du 26 au 27 février, ils se mutinent et fusillent leurs officiers. Le 27, ouvriers et soldats fraternisent : la révolution l’a emporté. Deux nouveaux pouvoirs se forment simultanément. L’un, issu de la Douma, prend le nom de gouvernement provisoire ; il est constitué de bourgeois et de nobles libéraux, sous la direction du prince Lvov, et compte un seul socialiste, Alexandre Kerenski. Ce gouvernement provisoire est dominé par le parti des Constitutionnels-Démocrates (dont les initiales en russe sont KD, d’où le surnom de « Cadets »). Ce parti s’est constitué à la suite des événements révolutionnaires de 1905. Il rassemble une partie de l’opposition libérale de l’époque, professions libérales, membres des zemstvos, professeurs d’université. Depuis 1907 ce parti des « Cadets » est dirigé par l’historien Milioukov.

Le second pouvoir est né du mouvement populaire, du comité ouvrier (« soviet ») de Petrograd. Il est formé de délégués des ouvriers et des soldats, qui représentent les partis révolutionnaires divisés en trois tendances : les socialistes-révolutionnaires, qui se distinguent

3 « zemstvos » ou « zemstva » : assemblées locales créées en 1864 par Alexandre II, qui comptent dans leurs rangs des propriétaires, des citadins et des paysans

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des sociaux-démocrates par leur rejet de l’idéologie marxiste, et par le fait qu’ils prennent appui sur la paysannerie plus que sur le monde ouvrier ; les bolcheviks ; les mencheviks.

Le 2 mars, Nicolas II, à qui la gravité de la situation avait été cachée jusque-là par un entourage complaisant, abdique le 2 mars 1917 en faveur de son frère, le grand-duc Michel, dans l’espoir de sauver la dynastie. Mais celui-ci renonce au trône dès le lendemain. C’est la fin de la dynastie des Romanov, qui régnait sur la Russie depuis 1613.

La nouvelle de cette double abdication est accueillie par la population russe avec des explosions de joie. Les ouvriers demandent l’application immédiate du programme minimum de la social-démocratie, c’est-à-dire huit heures de travail par jour, la sécurité de l’emploi, le droit de former des comités d’usine, le contrôle de l’embauche et des licenciements, l’octroi d’assurances sociales. Les revendications paysannes sont nettement plus radicales : ils exigent la redistribution immédiate de tous les terroirs non cultivés laissés à l’abandon par les grands propriétaires ou par l’État. Les paysans ne sont pas hostiles à la propriété privée mais veulent une répartition équitable de la terre. Ils veulent également que des comités de village assurent la gestion commune du matériel agricole et l’exploitation commune des forêts.

Très vite se pose la question de la répartition des compétences entre le gouvernement provisoire et le soviet de Petrograd auquel se superpose bientôt un Congrès des Soviets, qui représente les ouvriers et les paysans de toute la Russie (des soviets se sont constitués un peu partout en Russie sur le modèle de celui de Petrograd). On a souvent parlé de « double pouvoir » pour désigner la situation de la Russie après la révolution de février 1917. En réalité on pourrait plutôt parler d’absence de pouvoir : le Gouvernement provisoire est privé d’autorité, car il n’a pas la confiance du peuple de la capitale pour qui le seul pouvoir légitime est celui du Soviet. Quant au Soviet, s’il bénéficie de l’appui populaire, il ne dispose pas du pouvoir politique. C’est donc le gouvernement provisoire qui prend un certain nombre de mesures libérales dès le mois de mars 1917 : liberté d’opinion, de presse, de réunion, ainsi que certaines mesures sociales réclamées par les ouvriers, comme l’égalité de tous devant la loi, la journée de huit heures ou la reconnaissance de droits syndicaux pour les ouvriers. Mais le gouvernement laisse sans réponse un certain nombre de revendications, notamment les revendications paysannes sur le partage des terres. De même ne conclut-il pas la paix immédiate et séparée avec les Empires centraux, que beaucoup réclamaient pourtant. Le gouvernement provisoire prétend que de telles décisions ne peuvent être prises que par l’Assemblée constituante qui doit être élue pour donner une constitution à la Russie ; mais en même temps l’organisation d’élections est sans cesse repoussée. Le fossé n’arrête donc pas de se creuser entre le gouvernement provisoire et les masses populaires.

Dès mars-avril 1917, un conflit éclate entre le gouvernement provisoire et le Soviet de Petrograd : Milioukov souhaite poursuivre la guerre, alors que le Soviet préconise une paix sans annexion ni indemnité. Ce désaccord entraîne la chute du premier gouvernement provisoire. Pour éviter une vacance du pouvoir, les socialistes révolutionnaires et les mencheviks acceptent d’entrer dans un nouveau gouvernement de coalition au mois de mai 1917, sous la présidence du prince Lvov. Les bolcheviks, quant à eux, se tiennent résolument en marge du gouvernement : refusant de se compromettre par l’exercice du pouvoir politique, ils attendent l’heure de prendre définitivement le pouvoir.

Vers la révolution bolchevique d’octobre 1917 Au moment où a éclaté la révolution de février 1917, Lénine était encore en exil en Suisse. Observant les événements depuis l’étranger, il estime que la phase de la révolution bourgeoise est déjà dépassée, puisque le peuple obéit au Soviet et rejette le gouvernement provisoire bourgeois et libéral. Il estime donc que, conformément à la théorie marxiste, il est temps de passer du stade du pouvoir bourgeois à celui du pouvoir ouvrier, ce qui doit se réaliser par l’étape obligatoire de la dictature du prolétariat. Pour donner plus de poids à cette idée, Lénine revient en Russie au mois d’avril 1917 et expose aux bolcheviks son programme pour le passage de la révolution démocratique à la révolution socialiste. Ce texte est connu

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sous le nom de « Thèses d’avril » : Lénine y prône notamment la paix immédiate avec les Empires centraux, l’opposition absolue au gouvernement provisoire, le passage de l’intégralité du pouvoir au soviet, la confiscation des terres des grands domaines, la nationalisation des banques et des usines. Toutefois, il est encore trop tôt en avril pour que de telles idées parviennent à s’imposer : même les propres amis bolcheviks de Lénine les trouve trop radicales, et celui-ci s’enfuit en Finlande. Mais l’audience des bolcheviks ne cesse de croître au sein de la population déçue par la timidité du gouvernement provisoire. Des manifestations ont lieu, à Petrograd notamment, dont les slogans les plus courants sont désormais « Pain », « Paix », « Terre ». Or le ministre de la guerre, le socialiste Kerenski, non seulement ne met pas fin à la guerre mais lance une offensive militaire en Galicie en juin 1917 – offensive qui est d’ailleurs un échec. L’agitation populaire s’intensifie en juillet 1917 pour réclamer la paix, et Kerenski déclenche contre les manifestants une violente répression. La responsabilité des manifestations de juillet est imputée aux bolcheviks (en fait les bolcheviks ont eux-mêmes été en partie débordés par leurs propres sympathisants) : les ligues bolcheviques sont dissoutes, et on accuse même Lénine et les bolcheviks d’être payés en sous-main par les Allemands pour obtenir l’arrêt de la guerre en Russie.

Au lendemain des journées de juillet, le second gouvernement provisoire donne sa démission et Kerenski succède au prince Lvov comme chef du nouveau gouvernement. Kerenski pense qu’il n’est pas possible de gouverner la Russie sans l’aide de la bourgeoisie libérale. Il souhaiterait installer en fait en Russie une sorte de république parlementaire provisoire, en attendant les réformes décidées par une éventuelle assemblée constituante, qui d’ailleurs n’a toujours pas été élue. Or Kerenski va être débordé sur sa droite par des bourgeois libéraux qui souhaitent rétablir l’ordre dans un pays complètement désorganisé, où le pouvoir politique ne parvient pas à s’exercer. Le général Kornilov, ami du ministre de la guerre Savinkov, tente un putsch militaire à la fin du mois d’août 1917. Pour faire échouer le putsch et pour sauver la révolution (car Kornilov souhaitait mettre en place un régime réactionnaire), Kerenski doit laisser se reconstituer les ligues bolcheviques qu’il avait dissoutes au mois de juillet précédent. Les bolcheviks apparaissent ainsi comme les meilleurs défenseurs de la révolution, un rempart inébranlable contre la réaction. Grâce à cette popularité, au mois de septembre 1917 les bolcheviks deviennent majoritaires dans les soviets de Petrograd (présidé par Trotski), de Moscou et d’autres grandes villes du pays.

Depuis la Finlande où il s’est réfugié, Lénine envoie une lettre au comité central du parti bolchevik. Il y explique que le moment est venu pour les bolcheviks de prendre le pouvoir, car ils sont désormais assez nombreux et assez organisés pour réussir, et ils ont le soutien populaire, ce qui les rend impossibles à renverser.

A Petrograd, c’est Trotski qui, sur les conseils de Lénine, prépare la révolution, c’est-à-dire la prise de pouvoir par les bolcheviks. Le 3 octobre, Lénine rentre clandestinement en Russie. Le 10 octobre, le comité central bolchevik, où siègent notamment Lénine, Trotski et Staline, vote à 10 voix contre 2 la préparation immédiate de l’insurrection armée. L’élaboration technique de l’opération est confiée à comité militaire révolutionnaire dirigé par Trotski (le Comité Militaire Révolutionnaire provisoire, P.V.R.K. selon les initiales russes). La garnison de la capitale, ainsi que les marins de Kronstadt (à l’Ouest de Petrograd) sont acquis aux bolcheviks. A l’aube du 24 octobre 1917, le central télégraphique de Petrograd, les imprimeries, les ponts, les gares et autres points névralgiques de la capitale sont occupés par une « Garde rouge » formée d’ouvriers armés. Le lendemain 25 octobre, soldats, matelots et ouvriers donnent l’assaut au Palais d’Hiver, ancienne résidence du tsar et siège du gouvernement provisoire. Bombardé depuis la forteresse Saint-Pierre-Saint-Paul, et tandis que le croiseur Aurora tire à blanc sur le Palais d’Hiver, le gouvernement provisoire finit par se rendre à 2h10 du matin. Le soir du 25 octobre, le congrès panrusse des soviets, où les bolcheviks sont majoritaires, approuve la « révolution d’octobre » et dépose le gouvernement provisoire (Kerenski s’est enfui dans la journée ; près diverses péripéties, il émigre en Grande-Bretagne, en France puis aux EU où il est mort en 1970). Les bolcheviks ont donc conquis le pouvoir en Russie.

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Le jour même de la révolution, Lénine promulgue les décrets qui donnent satisfaction aux revendications des paysans, des soldats, des ouvriers et des allogènes. Le plus urgent, pour sauver la Révolution, est de mettre un terme à la guerre. Le 15 décembre 1917, les bolcheviks signent donc l’armistice de Brest-Litovsk, et le 3 mars 1918 la paix est signée au même endroit entre la Russie et les Empires centraux. Ce traité est très désavantageux pour la Russie, qui perd la Finlande, la Pologne et les pays baltes, et reconnaît l’indépendance de l’Ukraine qui servira de grenier à blé et fournira du ravitaillement à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. La capitulation russe entraîne celle de la Roumanie et permet aux Allemands de reporter 57 divisions sur le front de l’Ouest.

Entre février et octobre 1917, la révolution russe n’a pas connu une progression linéaire. Les crises d’avril, de juillet, d’août-septembre 1917 amènent des accélérations mais aussi des freinages. En octobre, seules certaine catégories de populations, en l’occurrence les ouvriers et les soldats, participent au renversement du pouvoir modéré du gouvernement provisoire. Le soulèvement d’octobre est en fait l’œuvre d’un embryon d’Etat prolétarien qui s’est radicalisé et « bolchévisé » à mesure que le régime de février se discréditait. Les dirigeants de cet Etat prolétarien seront les fondateurs de la bureaucratie soviétique.

Repères bibliographiques : -M. FERRO et R. GIRAULT, De la Russie à l’URSS, Paris, Nathan, 1991.

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05.1919-1920 - La paix difficile Une fois l’armistice signé le 11 novembre 1918, il s’agit de faire la paix. Cinq traités successifs sont adoptés au terme d’une conférence de la paix qui s’est réunie de janvier à juin 1919 et où ont siégé les représentants des pays vainqueurs, notamment Clemenceau, président du Conseil français, Orlando, président du Conseil italien, Lloyd George, Premier ministre britannique (libéral), et Wilson, président des Etats-Unis. Le plus célèbre de ces traités est le traité de Versailles, adopté le 28 juin 1919 et qui règle le sort de l’Allemagne. C’est le premier des cinq traités de paix à être adopté, la question allemande étant considérée comme prioritaire par les vainqueurs. Les traités de Saint-Germain-en-Laye (19 septembre 1919) et de Trianon (2 juin 1920) fixent pour leur part le sort de l’ex-Autriche-Hongrie. Enfin le traité de Sèvres du 11 août 1920 concerne l’Empire ottoman. Les discussions préliminaires à l’adoption de ces traités ont fait apparaître des divisions entre les vainqueurs. D’autre part, le règlement des questions territoriales laisse des problèmes en suspens, voire en crée de nouveaux.

I. Les divisions des vainqueurs Les principaux vainqueurs (France, Grande-Bretagne, Italie, Etats-Unis) vont s’opposer entre eux sur la façon de régler le sort des pays vaincus.

France et Italie : affirmation du « droit des vainqueurs » Clemenceau, représentant de la France, adopte lors du congrès de paix à Versailles une position très dure par rapport à l’Allemagne : l’idée dominante côté français est que l’Allemagne doit « payer » toutes les humiliations qu’elle a fait subir à la France depuis 1871. La France proclame notamment son droit à affirmer sa propre sécurité en affaiblissant au maximum son voisin allemand, afin d’éviter un conflit futur. La France veut profiter de la signature des traités de paix pour imposer un nouvel ordre international favorable à ses intérêts, dans lequel l’Allemagne serait absente (c’est un peu la revanche de la France par rapport au système bismarckien et à l’isolement diplomatique que lui avait imposé le chancelier allemand jusqu’en 1890).

L’Italie souhaite elle aussi une stricte application du « droit des vainqueurs », et réclame en particulier l’aboutissement de ses revendications territoriales : les « terres irredentes » (le Trentin et Trieste), mais aussi l’Istrie et la Dalmatie, territoires limitrophes de l’Italie mais de peuplement slave et non pas italien, ainsi que certaines régions appartenant à l’Empire ottoman, notamment la région de Smyrne.

A ces revendications très fermes de la France et de l’Italie s’oppose le « moralisme » du président Wilson soutenu par la Grande-Bretagne.

Etats-Unis et Grande-Bretagne : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes Avant même l’entrée en guerre des Etats-Unis, le président américain Wilson avait rédigé un mémorandum, au mois de février 1916, dans lequel il évoquait un certain nombre de problèmes, notamment des problèmes territoriaux qui devraient être réglés après la fin du conflit. En janvier 1918, il a repris ses différentes idées dans un texte célèbre, qu’on appelle les « Quatorze points du président Wilson » : le président américain y affirmait entre autres le

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droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : chaque nationalité devait être libre de s’organiser à sa guise et de choisir son mode de gouvernement ; dans ses « Quatorze points », Wilson préconisait également la création d’une « Ligue des nations » chargée de faire respecter au niveau international l’indépendance et l’intégrité territoriale des Etats membres de la Ligue. Lors de la Conférence de la paix en 1919, Wilson cherche à faire triompher ses idées. Il estime d’autre part qu’il est dangereux de vouloir rabaisser et humilier à tout prix l’Allemagne : il plaide donc pour que les conditions de la paix ne soient pas trop dures pour l’Allemagne.

Wilson bénéficie du soutien de la Grande-Bretagne. Pendant la conférence de la paix en effet, des dissensions apparaissent entre Français et Britanniques. Ces derniers s’inquiètent des prétentions territoriales françaises, la France voulant non seulement récupérer l’Alsace-Lorraine, mais repousser la frontière franco-allemande vers l’Est en annexant la Rhénanie et la Sarre. Les Anglais redoutent également une possible hégémonie française sur l’Europe continentale aux lendemains de la Première Guerre mondiale.

Finalement, les traités de paix, et celui de Versailles en particulier, sont un compromis souvent bancal entre droit des vainqueurs et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

II. Un nouvel équilibre international

Une Allemagne diminuée Les clauses territoriales du traité de Versailles donnent partiellement gain de cause à la France. Celle-ci se voit restituer l’Alsace-Lorraine annexée par le Reich allemand en 1871. Elle n’obtient pas l’annexion pure et simple de la Sarre comme elle le souhaitait, mais uniquement la propriété des mines de charbon sarroises en compensation de la destruction des mines du Nord-Pas-de-Calais. De même, les Français ne réussissent pas à annexer la Rhénanie, ni même à en faire une région autonome détachée de l’Allemagne : ils obtiennent simplement le droit d’occuper provisoirement la rive gauche du Rhin, qui devra être ensuite évacuée en trois temps, en 1925, 1930, 1935. Enfin la France reçoit, sous forme de mandat, les anciennes colonies allemandes du Cameroun et du Togo. Toujours dans les clauses territoriales, on peut noter que l’Allemagne subit également d’importantes pertes territoriales, cette fois à l’est de son territoire. Un Etat polonais est créé, qui empiète sur la Russie mais aussi sur l’ancien territoire du Reich allemand. D’autre part, la Prusse orientale est séparée du reste de l’Allemagne par une bande de territoire qui est donnée à la Pologne, permettant à celle-ci d’avoir une ouverture sur la mer Baltique : c’est le « corridor de Dantzig », future source de problèmes.

Les clauses militaires du traité de Versailles sont très satisfaisantes pour la France : les forces armées allemandes sont limitées à 100.000 hommes, l’état-major allemand est dissous, le service militaire est aboli en Allemagne, et il est interdit à l’Allemagne d’avoir une artillerie lourde, des tanks, une aviation, des sous-marins et des cuirassés. Enfin la rive gauche du Rhin ainsi qu’une bande de 50 kilomètres de large sur la rive droite sont démilitarisées.

Au point de vue économique, de très lourdes réparations sont imposées à l’Allemagne. Elles découlent du fait que l’Allemagne a été reconnue seule responsable du déclenchement de la Première Guerre mondiale, et il s’agit donc de la punir en conséquence. L’article 231 du traité de Versailles est rédigé comme suit : « Les gouvernement alliés et associés déclarent et l’Allemagne reconnaît que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de tous les dommages subis par les gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés ». En raison de cette responsabilité, l’Allemagne doit assumer ce qu’on appelle des réparations de guerre : elle devait payer 20 milliards de marks-or avant le 1er mai 1921, la somme étant partagée entre les pays vainqueurs.

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La fin des empires Les traités de St-Germain-en-Laye (19 sept. 1919) et Trianon (2 juin 1920) aboutissent pour leur part au démantèlement de l’ancien empire austro-hongrois, au profit de la Pologne, de la Roumanie, ainsi que de deux nouveaux Etats qui voient le jour à l’issue de ces traités de paix, en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes prôné par Wilson : la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, nouvel Etat-Nation qui rassemble tous les slaves du Sud conformément aux revendications panslaves de la Serbie avant la guerre. Il ne subsiste qu’une petite Autriche de 85.000 km2, la Hongrie pour sa part étant réduite au tiers de son ancienne superficie. Enfin le traité de Sèvres du 11 août 1920 retire à l’empire ottoman tous ses territoires arabes qui sont placés sous mandat de la Grande-Bretagne et de la France : la Grande-Bretagne reçoit ainsi un mandat sur la Mésopotamie (Irak) et la Palestine, la France sur la Syrie et le Liban.

Ces traités de paix vont susciter du mécontentement, chez les vaincus mais aussi dans le camp des vainqueurs.

III. La paix contestée

Dans le camp des vaincus Dans le camp des vaincus, l’Allemagne est outragée par le traité de Versailles. Les Allemands ont été contraints de le signer le 28 juin 1919, sans avoir pu y apporter de modifications. Ils supportent mal d’être considérés comme les seuls responsables de la guerre, et dès 1919 ils dénoncent ce qu’ils considèrent comme le « diktat » de Versailles, c’est-à-dire un traité arbitraire dans lequel ils n’ont pas eu voix au chapitre et qui les accable à tout point de vue, moral, territorial, économique et militaire. D’autre part, la création du « corridor de Dantzig » annonce des tensions futures entre l’Allemagne et la Pologne nouvellement créée. Les années 1920 et 1921 sont marquées en Allemagne par une résistance acharnée à toutes les clauses du traité, en particulier à celles concernant les réparations de guerre.

En Turquie, le traité de Sèvres a été accepté par le dernier sultan de l’Empire ottoman Mehmet VI. Mais le pouvoir du sultan est concurrencé par Mustapha Kemal, qui dirige depuis 1919 un important mouvement nationaliste turc. Dès 1920, les Grecs essaient de profiter des difficultés intérieures de l’Empire ottoman pour réaliser de nouvelles conquêtes territoriales : poussés par la Grande-Bretagne, les Grecs lancent une expédition en Turquie et remportent quelques victoires. Mais à partir de 1921, ils subissent des revers face aux troupes de Mustapha Kemal. En 1922, ce dernier renverse définitivement le sultanat, instaure un Etat national turc et dénonce le traité de Sèvres. La même année, les troupes turques remportent une victoire décisive sur les Grecs. Le traité de Lausanne du mois de juillet 1923 annule en partie le traité de Sèvres : la Turquie récupère la totalité de l’Anatolie, et demeure présente sur le continent européen car elle récupère la Thrace orientale.

Dans le camp des vainqueurs Dans le camp des vainqueurs aussi, certains pays sont peu satisfaits du règlement de la paix. C’est le cas en particulier de l’Italie, qui s’est vu restituer les terres irredentes qu’elle réclamait mais n’a obtenu ni l’Istrie et la Dalmatie sur lesquelles elle avait des visées. Le thème de la « victoire mutilée » se développe en Italie dès 1919, et il nourrit un fort sentiment nationaliste dont les fascistes sauront profiter.

Conformément aux « Quatorze points » de Wilson, un « pacte » de la SDN a été incorporé au traité de Versailles. Siégeant à Genève, la nouvelle Société des Nations est censée veiller au maintien de la paix dans le monde. Elle peut recourir à des sanctions morales, économiques et financières à l’égard des pays qui violeraient les traités de paix. Mais elle ne dispose d’aucun moyen militaire, ce qui réduit sensiblement ses possibilités d’action. De plus, le

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nouvel ordre européen mis en place dans les années 1919-1920 ne sera finalement pas garanti par les Etats-Unis : le président Wilson est battu lors des élections présidentielles de 1920, et le Congrès américain refusera de ratifier les traités de paix et de faire entrer les Etats-Unis dans la SDN.

La paix signée en 1919-1920 apparaît donc comme particulièrement fragile, de plus porteuse de nouvelles sources d’affrontement entre les nations.

Repères bibliographiques -J.-B. DUROSELLE, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 1985 (9e édition, nombreuses rééditions depuis).

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06. L’Italie dans les années 1920 : la mort de la démocratie italienne En Italie, le régime démocratique est relativement récent, à peine plus ancien qu’en Allemagne. Ce n’est qu’en 1912 qu’a été instauré dans la péninsule un suffrage universel limité aux hommes de plus de trente ans, et les traditions parlementaires sont loin d’être solidement ancrées dans la pratique. De plus, l’instabilité ministérielle est un problème récurrent de la vie politique italienne.

La Première Guerre mondiale a profondément déstabilisé une société italienne déjà fragile. L’Italie a payé un tribut humain important à la guerre, même s’il est moins élevé que celui de la France : 670.000 morts environ, et près d’un million de blessés. Le Nord-est de la péninsule a été dévasté par les opérations militaires. La guerre a par ailleurs accru l’endettement de l’Etat italien, qui doit augmenter les impôts et recourir à l’emprunt et à l’inflation pour tenter de résorber sa dette. Aux lendemains du conflit, l’Italie subit une triple crise, à la fois morale, politique et économique, qui va favoriser l’arrivée au pouvoir d’un régime autoritaire.

I. La triple crise italienne de l’après-guerre

La crise morale Les Italiens ont été très déçus par la signature des traités de paix et estiment avoir été floués : s’ils récupèrent les terres irredentes, ils n’obtiennent pas l’Istrie ni la Dalmatie qui leur avaient pourtant été promises par les Alliés au moment de l’entrée en guerre de l’Italie du côté de l’Entente en 1915. C’est le président américain Wilson qui, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a refusé aux Italiens l’Istrie et la Dalmatie, deux régions peuplées en majorité non pas d’Italiens mais de Slovènes. A partir de cette frustration se développe en Italie le thème de la « victoire mutilée », exploité par les nationalistes, notamment le poète Gabriele d’Annunzio (1863-1938). A la tête de corps-francs, D’Annunzio occupe en septembre 1919 le port dalmate de Fiume ; l’année suivante, les corps-francs italiens occupent l’Istrie. Le traité de Rapallo, signé dès 1920 entre l’Italie et le tout nouvel Etat de Yougoslavie, accorde l’Istrie aux Italiens, tandis que Fiume devient en théorie une « ville-libre », en réalité purement et simplement annexée par les Italiens à partir de 1924.

Comme dans d’autres pays, la guerre a provoqué une immense amertume chez les anciens combattants, notamment à l’égard du régime jugé responsable de l’entrée en guerre de l’Italie, et incapable après la guerre d’assurer le reclassement des soldats démobilisés. La crise italienne est dont également une crise politique, car un discrédit profond pèse à partir de 1919 sur le régime parlementaire italien.

La crise politique Des élections législatives ont lieu en 1919. Ce sont les premières élections au suffrage universel véritable ; de plus le Pape a pour la première fois autorisé les catholiques italiens à participer à la vie politique de leur pays. Cet élargissement du corps électoral permet à de

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nouveaux courants de s’exprimer, mais contribue aussi à déstabiliser un peu plus le régime parlementaire et à augmenter encore l’instabilité ministérielle qui existait avant la guerre. Trois partis dominent la vie parlementaire italienne, trois partis que l’on appelle d’ailleurs « partis constitutionnels » ou « partis gouvernementaux » et qui vont du centre gauche au centre droit : radicaux, libéraux et modérés. C’est de ces trois partis constitutionnels que sont issus tous les présidents du conseil qui se succèdent entre 1919 et 1922 (Nitti, Giolitti, Bonomi, Facta). Ils représentent les différentes couches de la bourgeoisie italienne, et leurs différences idéologiques ne sont pas très nettes.

D’autre part, en 1919 a été créé par un prêtre sicilien, don Luigi Sturzo, un « Parti populaire italien », parti démocrate-chrétien mais dont l’aile gauche est très influencée par le marxisme. Ce parti populaire reprend à son compte les revendications des ouvriers agricoles (c’est-à-dire les paysans sans terre employés sur les grandes exploitations agricoles, notamment dans le Sud de la péninsule), à qui il a promis la redistribution des terres des grands domaines.

Tout à fait à gauche existe un parti socialiste créé en 1892 et qui est le premier parti italien avec 177 députés en 1919 (= un tiers des sièges), 1/4 des municipalités de la péninsule, et 200.000 adhérents en 1920. Toutefois en janvier 1921, et sur le modèle d’autres partis socialistes européens, une frange du PSI fait sécession et crée le Parti communiste italien, rallié à la IIIe Internationale et dirigé par Gramsci.

Enfin, le 23 mars 1919, Benito Mussolini, lui-même ancien adhérent du Parti socialiste qu’il a quitté au début de la Première Guerre mondiale, fonde à Milan, avec des membres des corps-francs, quelques nationalistes et quelques anarcho-syndicalistes, les Faisceaux italiens de combat. Le mot « faisceau » (fascio en italien) est un terme particulièrement ambigu : il fait référence à la fois à la tradition anarchisante des organisations paysannes siciliennes (les fasci) dans les années 1890, mais aussi aux faisceaux des licteurs de la Rome antique, symboles d’unité et d’autorité. Le programme de ces Faisceaux italiens de combat est tout aussi équivoque que leur nom : il s’agit surtout de rallier tous les mécontents et les déclassés. Ces faisceaux vont profiter de la crise économique et sociale qui touche l’Italie en 1919-1920, et que les gouvernements successifs se révèlent incapables de gérer.

La crise économique et sociale A la fin de la guerre, la reconversion de l’économie italienne à une situation de paix se révèle particulièrement difficile. Privées de commandes militaires, les industries italiennes ont du mal à se réorienter. Le chômage s’amplifie d’autant plus que les soldats démobilisés cherchent eux aussi du travail. Les ouvriers agricoles revenus du front rêvent quant à eux du partage des latifundias, revendication encouragée comme on l’a vu par le parti populaire. La crise sociale débute dès 1919, avec des grèves et des émeutes dans les villes et des troubles agraires dans les campagnes. L’agitation révolutionnaire culmine pendant l’été 1920, avec un mouvement de grève particulièrement dur parti des usines Alfa Romeo à Milan, dans le Nord du pays. Un peu partout en Italie, les ouvriers occupent alors les usines et forment des soviets pour les gérer. Le mouvement toutefois s’épuise de lui-même, devant la fermeté du gouvernement Giolitti d’une part, et d’autre part parce qu’il n’a pas été suivi par les syndicats et les partis. En revanche, ce mouvement social d’inspiration bolchevique provoque un profond mouvement de peur chez les possédants, une peur sociale que Mussolini et son mouvement vont s’empresser de récupérer à leur profit.

II. Le fascisme, une solution à la crise ?

Le parcours de Mussolini Né en 1883 dans le village de Predappio en Romagne, Benito Mussolini est le fils d’un père forgeron et d’une mère institutrice. Lui-même devient instituteur et enseigne pendant deux

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ans. Pour échapper au service militaire, il passe ensuite en Suisse où il réside de 1902 à 1904, exerçant les métiers les plus divers (maçon, manœuvre notamment) ; surtout, il se lie à ce moment-là avec les milieux socialistes cosmopolites (beaucoup de socialistes européens, poursuivis par la police de leur pays, se sont en effet réfugiés en Suisse à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe). C’est là que Mussolini forme sa culture politique, notamment par l’action syndicale auprès des ouvriers italiens émigrés en Suisse. Il décide finalement de rentrer en Italie et de remplir ses obligations militaires de 1904 à 1906, puis devient journaliste à Trente en 1906 (la ville appartient alors à l’empire austro-hongrois). En 1912, il milite dans l’aile gauche du PSI et est appelé à Milan pour diriger le journal socialiste l’Avanti !. D’abord pacifiste en 1914, comme le reste des socialistes italiens, Mussolini se convertit à l’interventionnisme dès la fin de l’année 1914, ce qui l’amène à rompre avec le PSI. Il fonde alors son propre journal, le Popolo d’Italia. Mobilisé en 1915, Mussolini est blessé puis démobilisé en 1917. Il rentre à Milan et commence alors à développer, dans le Popolo d’Italia, des thèmes ambigus qui mêlent à la fois nationalisme et théories de l’extrême gauche révolutionnaire. Ce qui préoccupe en effet Mussolini n’est pas l’orthodoxie idéologique, mais bien la volonté de jouer un rôle personnel quel qu’il soit. Il est à la recherche d’une clientèle politique qu’il va trouver dans tous les déçus de la paix, tous ceux qui pensent que l’Italie a combattu pour rien lors le premier conflit mondial.

La montée en puissance des fascistes (1919-1921) Pourtant, au début, les Faisceaux italiens de combat qu’il fonde en mars 1919 ne rencontrent guère de succès. Aux élections de novembre 1919, aucun député fasciste n’est élu et les Faisceaux regroupent alors moins de 20.000 adhérents. Mussolini lui-même, qui s’est présenté au suffrage des électeurs à Milan, ne recueille que 4.800 voix contre 170.000 pour le candidat socialiste. Mussolini est tellement déçu qu’il pense un moment abandonner la vie politique italienne et s’exiler aux Etats-Unis. De plus, il doit faire face à la concurrence de d’Annunzio, qui après l’expédition de Fiume apparaît aux yeux des Italiens comme un véritable héros national, symbolisant la revanche italienne par rapport à la victoire mutilée de 1919.

Ce sont en fait les événements de l’été 1920 qui vont donner au fascisme l’occasion de jouer un rôle de rempart contre la menace révolutionnaire. Après l’échec de l’offensive prolétarienne, les Faisceaux reçoivent le soutien financier des grands industriels et des grands propriétaires terriens, qui souhaitent faire des Faisceaux l’instrument d’une « contre-révolution préventive ». Les faisceaux sont organisés en bandes armées (les squadre) qui recrutent parmi les propriétaires et les classes moyennes, les anciens combattants, les socialistes et les nationalistes. Les militants fascistes portent la chemise noire qui signifie le deuil des espérances de l’Italie, et se mettent d’abord au service des grands propriétaires terriens des riches régions agricoles du Nord et du centre de la péninsule. Motorisées et encadrées par d’anciens officiers, les squadre fascistes sèment la terreur parmi les militants paysans, les dirigeants des coopératives rurales, les maires socialistes des petites communes rurales. A partir de la fin de 1920, ces « expéditions punitives » menées par les fascistes gagnent les centres urbains du pays. Dans les villes, les fascistes s’en prennent aux Maisons du Peuple, aux sièges des syndicats et des partis politiques de gauche, à la presse de gauche, et aussi directement aux personnes, à tous ceux qui sont considérés comme des adversaires du fascisme : communistes, socialistes, mais également catholiques et libéraux, qui sont molestés à coup de gourdin, contraints d’absorber de force l’huile de ricin, voire purement et simplement assassinés. Les squadre fascistes reçoivent l’appui de l’armée italienne, qui très souvent leur fournit les camions et les armes nécessaires à leurs opérations. En général, la police et les magistrats laissent faire, préférant les expéditions fascistes au risque d’une nouvelle flambée révolutionnaire comme celle de l’été 1920.

Lors des élections anticipées de mai 1921, 32 députés fascistes sont élus. En novembre 1921, la création du parti national fasciste consacre définitivement le virage à droite du fascisme. Le programme du nouveau parti est un programme ultranationaliste qui n’a plus grand chose à voir avec les thèmes gauchistes développés lors de la création des faisceaux. N’ayant pu faire

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élire que 32 députés au mois de mai précédent, un score qu’il considère comme insuffisant, Mussolini décide de recourir à l’action directe pour s’emparer du pouvoir.

La marche sur Rome et la prise de pouvoir fasciste (1922) A partir de 1921, les effectifs fascistes connaissent une croissance importante. Le parti fasciste compte 700.000 membres au printemps 1922 : Mussolini est désormais à la tête d’un parti de masse. Face à la montée en puissance des fascistes, la gauche est divisée et ne parvient pas à présenter un front uni malgré la création en 1922 de groupes d’autodéfense (arditi del popolo) pour contrer les expéditions punitives menées par les fascistes. En août 1922, les socialistes décident d’organiser une grève générale pour protester contre la violence fasciste. Or les fascistes vont briser par la violence ce mouvement de protestation. Mussolini apparaît plus que jamais aux yeux des possédants comme le garant de l’ordre, un chef incontesté qui peut s’appuyer sur un parti puissant. Mussolini pense pouvoir s’emparer du pouvoir avec la complicité d’une partie de la classe dirigeante qui souhaite se servir du fascisme pour assainir l’Etat libéral et éloigner définitivement toute menace révolutionnaire. C’est en tout cas l’avis d’un homme politique libéral qui a déjà en 1922 une longue expérience politique : Giolitti. Ce dernier pense qu’une fois l’Etat assaini, il sera possible de neutraliser les fascistes. Mussolini attend donc que le roi Victor-Emmanuel III l’appelle au pouvoir pour former un gouvernement. Pour lui forcer la main, Mussolini lance le 24 octobre 1922 l’idée d’une « marche sur Rome » : accompagné de quelque 30.000 squadristes, il pénètre dans la capitale italienne pour contraindre le roi à l’appeler au pouvoir. Le roi cède, pressé par ses conseillers qui veulent essayer la « solution Mussolini » : le 29 octobre 1922, Mussolini est nommé Premier ministre et chargé de former un nouveau gouvernement. Il a donc pris le pouvoir de façon légale : même s’il a utilisé la violence et la menace pour arriver à ses fins, il n’empêche que c’est le roi qui, conformément à la constitution, l’a appelé à la tête du gouvernement. Cette apparence de légalité va se poursuivre jusqu’au début de l’année 1925.

III. La mise en place de l’Etat fasciste (1922-1929)

Une apparence de légalité Jusqu’en 1924, Mussolini va jouer en apparence le jeu de la légalité. Dans un premier temps en effet, il cherche avant tout à rassurer les Italiens qui pourraient s’inquiéter d’une prise de pouvoir qui a malgré tout des allures de coup d’Etat. Ainsi, au départ, Mussolini met en place un cabinet ministériel de coalition, qui ne comprend que 4 ministres fascistes sur les 13 membres que compte l’équipe ministérielle. A côté des fascistes, on trouve ainsi des chefs militaires prestigieux et des hommes politiques de toutes tendances à l’exception des socialistes et des communistes. De même, toujours pour rassurer l’opinion, Mussolini demande aux squadristes de quitter Rome, laisse en place la Chambre des députés, n’interdit pas la presse d’opinion et multiplie les déclarations rassurantes à destination des puissances étrangères. Ce souci de légalité explique le ralliement au nouveau régime de nombreuses personnalités, militaires, hommes politiques modérés ou intellectuels.

Parallèlement toutefois, le chef du parti fasciste prépare la conquête légale du pouvoir en noyautant tous les rouages du pays. En novembre 1922, la Chambre et le Sénat votent les pleins pouvoirs à Mussolini pour une période d’un an, ce qui lui confère une dictature légale d’une année. Dans les provinces italiennes, les squadristes achèvent de démanteler toute opposition qui pouvait encore subsister. Mussolini prépare soigneusement les élections législatives d’avril 1924, où le parti fasciste obtient 65% des voix et 75% des sièges. Pour le député socialiste Matteotti, le scrutin a été truqué. Le 30 mai 1924, Matteotti prononce un discours à la Chambre des députés pour dénoncer le truquage électoral : son discours est en fait un véritable réquisitoire contre le régime fasciste. Les représailles ne se font pas

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attendre : le 10 juin 1924, Matteotti est enlevé et assassiné par un groupe de fascistes qui enterrent son corps dans un terrain vague de la banlieue de Rome. On ignore encore quel est le degré de responsabilité de Mussolini dans cet assassinat : est-ce que c’est lui qui l’a commandité, est-ce qu’il l’a simplement laissé faire, est-ce qu’il y est totalement étranger ? Toujours est-il que « l’affaire Matteotti » va provoquer une crise à laquelle Mussolini a failli succomber. A la suite de cet assassinat en effet, les députés de gauche refusent de continuer à siéger à la Chambre, et de nombreux fascistes quittent le parti. En réponse à cette fronde de l’opposition, Mussolini jette le masque et abandonne toute apparence de légalité : le 3 janvier 1925, il prononce un discours dans lequel il revendique la responsabilité des événements et annonce le début de la dictature. Cette dictature est définitivement instaurées par une série de lois adoptées en 1926, dites « lois fascistissimes ».

Un nouveau modèle politique Le régime mis en place à partir de 1925-1926 se veut un Etat « totalitaire » : c’est Mussolini lui-même qui utilise ce terme. Il s’agit selon lui de créer une voie moyenne, une troisième voie, entre le libéralisme et le marxisme. En fait, et quoi qu’en dise Mussolini, le fascisme n’a jamais rompu avec les fondements du système capitaliste, et il n’a jamais eu non plus un caractère complètement totalitaire. Il n’en reste pas moins que l’idéologie fasciste a fasciné les contemporains, à commencer par Hitler, et que l’influence du fascisme s’est répandue en Europe dans les années 1930, à la faveur de la crise générale qui pour beaucoup signifiait la fin du libéralisme et la nécessité de chercher une autre voie qui ne soit pas non plus celle du socialisme d’Etat.

Le régime totalitaire repose sur la soumission de l’individu à l’Etat : « L’Etat est tout, l’individu n’est rien », tel est le slogan qui pourrait résumer la philosophie politique de Mussolini. L’individu se définit avant tout comme appartenant à la Nation italienne considérée comme l’héritière de l’Empire romain. A partir du milieu des années 1920 en effet, le régime fasciste ne va pas cesser de faire référence à un Empire romain dont il se veut l’héritier direct. L’influence de la Rome antique se marque entre autres dans les réalisations architecturales monumentales qui viennent modifier la physionomie de Rome à partir de la fin des années 1920.

L’individu, simple composante de la nation italienne, doit donc se soumettre à l’Etat incarné par le Duce (= guide) : le bon citoyen est celui qui obéit aveuglément aux ordres du Duce considéré comme infaillible (« Le Duce a toujours raison » est un autre des préceptes en vigueur dans l’Italie fasciste). Il n’y a plus qu’un seul parti, le parti fasciste, qui se confond avec l’Etat puisque c’est le parti fasciste qui, à partir de 1928, recrute les fonctionnaires.

La pénétration de ce nouvel idéal dans les esprits est orchestrée par une intense propagande lors de grands rassemblements populaires ou de discours radio-diffusés du Duce (dans les années 1920, la radio commence en effet à devenir un instrument de propagande). L’effort de propagande du régime fasciste se porte plus particulièrement sur la jeunesse, embrigadée dès son plus jeune âge dans une pyramide d’organisations auxquelles il est obligatoire d’adhérer : les « fils et filles de la louve » de 4 à 8 ans, les « Balilla » et les « petites Italiennes » de 8 à 14 ans, les « avanguardisti » et les « jeunes Italiennes » de 14 à 18 ans. Le programme de ces organisations est simple : « Croire, obéir, combattre ». L’opposition au régime est difficile dans la mesure où il existe un arsenal répressif omniprésent, en particulier une police politique, l’O.V.R.A, qui traque les ennemis du régime : ceux-ci sont souvent condamnés à de lourdes peines de prison par un « Tribunal spécial pour la défense de l’Etat » ou bien « confinés » sans jugement dans les régions isolées du Sud du pays (îles Lipari, Abruzzes, Calabre…).

Mussolini essaie par ailleurs de juguler les oppositions en tentant d’imposer un véritable consensus social autour de son régime par une série de mesures qui ont pour objectif de faire de l’Italie une puissance de premier plan.

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La recherche du consensus La recherche du consensus passe d’abord par une politique économique ostentatoire, qui vise à faire de l’Italie une grande puissance économique en lançant une série de « batailles de la production » et de grands travaux. Des chantiers spectaculaires sont ouverts un peu partout : c’est dans les années 1920 que l’Italie commence à se doter d’autoroutes, on réalise également de grands travaux d’urbanisme pour moderniser les grandes villes italiennes. La « bataille du blé » est lancée par Mussolini dès 1925 : le but est d’amener l’Italie à l’autosuffisance en matière céréalière, afin que le pays n’ait plus à importer de blé de l’étranger. En 1928, Mussolini lance ainsi un programme de bonification des terres marécageuses de la plaine du Pô : ces travaux permettent la mise en culture de six millions d’hectares qui n’étaient pas exploités jusque-là. Les réalisations de ce type sont célébrées à grand renfort de propagande, et il est sûr qu’elles ont contribué à renforcer la popularité du régime fasciste auprès de la population italienne.

Dans le monde du travail, l’idéologie officielle de l’Etat fasciste est le corporatisme, qui se veut une doctrine de consensus. Les corporations sont officiellement créées par la charte du travail de 1927 : dans chaque branche de l’industrie et du commerce est instaurée une corporation au sein de laquelle patrons et salariés doivent négocier sous le contrôle de l’Etat. Le régime prétend ainsi réconcilier le capital et le travail, renvoyant dos à dos la lutte des classes prônée par les marxistes et l’exploitation des ouvriers qui caractérise le système capitaliste (on est toujours dans la recherche d’une « troisième voie »). Le régime tente de se gagner les sympathies ouvrières en en développant les assurances sociales et en organisant les loisirs ouvriers à travers un organisme dépendant du parti fasciste, le « Dopolavoro », l’« Après-travail ». Il n’en demeure pas moins que le corporatisme a été essentiellement un instrument de domestication de la classe ouvrière.

Enfin, pour asseoir son autorité sur la société italienne, le régime fasciste entreprend de négocier avec la principale force qui serait capable de s’opposer à lui : l’Eglise catholique. Le soutien de l’Eglise est primordial dans un pays aussi profondément catholique que l’Italie. Le 11 février 1929, Mussolini signe avec le représentant du pape Pie XI les accords du Latran. Ces accords comprennent en réalité deux textes. Le premier est un texte diplomatique accompagné d’une convention financière, qui reconnaît la souveraineté du pape sur l’Etat du Vatican et lui accorde une rente payée par l’Etat italien. Le deuxième texte est un concordat qui règle la situation de l’Eglise catholique en Italie : l’Etat fasciste reconnaît la religion catholique comme seule religion d’Etat ; en contrepartie les évêques et archevêques sont nommés par le pape mais après consultation du gouvernement italien, et avant leur prise de fonction ils doivent prêter serment au Duce. Grâce aux accords du Latran, Mussolini obtient le ralliement des catholiques et parachève son œuvre de contrôle de la société italienne.

A la fin des années 1920, l’Italie fasciste est sur le point de devenir un Etat véritablement totalitaire tel que le souhaite Mussolini. La dictature du Duce semble alors bénéficier d’un soutien populaire assez large. Ce consensus toutefois commence à se dégrader dans les années 1930 : l’accentuation des tendances autarciques et dirigistes pour lutter contre la crise économique, le rapprochement avec l’Allemagne nazie à partir de 1933 et la politique extérieure de plus en plus agressive menée par Mussolini s’accompagnent d’un durcissement politique du régime qui contribue à détacher de lui de nombreux Italiens.

Repères bibliographiques -S. BERSTEIN et P. MILZA, Le fascisme italien 1919-1945, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1980.

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07. L’Allemagne dans les années 1920 : l’échec de la démocratie Proclamée le 9 novembre 1918 à Berlin par les sociaux-démocrates, la République est d’emblée rejetée de deux côtés. D’abord par l’extrême gauche du SPD, les spartakistes, qui autour de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg veulent poursuivre le mouvement révolutionnaire et se soulèvent à Berlin en janvier 1919, s’exposant à une répression féroce de la part du nouveau pouvoir. Mais aussi par la droite allemande qui s’oppose massivement elle aussi à une République que l’état-major militaire a réussi à rendre responsable de la défaite.

La démocratie, déjà difficile à implanter dans un pays aux traditions autoritaires comme l’Allemagne, est donc considérée par les deux bords de l’échiquier politique comme un régime de traîtres, la droite fustigeant les « traîtres de novembre », signataires de l’armistice du 11 novembre 1918, l’extrême gauche dénonçant quant à elle les « social-traîtres », stigmatisés comme les « valets de la bourgeoisie » selon la terminologie en vigueur à l’époque. C’est dans ces conditions difficiles que le régime républicain va tenter d’exister en Allemagne.

I. Les faiblesses du régime de Weimar

Les lacunes de la constitution Après l’élimination des spartakistes en janvier 1919, le SPD s’allie au Zentrum catholique et au Parti démocrate (DDP) pour former la « coalition de Weimar ». Une assemblée constituante, élue par tous les hommes et les femmes âgés de plus de 20 ans, se réunit à partir de février 1919 dans une petite ville de Thuringe, Weimar, dans l’Est du pays, au Sud de la Prusse, loin du tumulte berlinois. La Constituante est dominée par le SPD. Elle se consacre à la rédaction d’une constitution qui est finalement promulguée le 14 septembre 1919. Le principal artisan en est le libéral-démocrate Hugo Preuss. Ce dernier aurait voulu créer un Etat unifié et centralisé, afin de diluer l’influence de la Prusse. Mais la centralisation se révèle finalement impossible face à l’existence de très forts particularismes locaux, notamment en Rhénanie et en Bavière : ces régions refusent d’être gouvernées depuis Weimar. Finalement, la constitution fait de l’Allemagne une République fédérale composée de 17 Etats ou Länder. Chaque Land possède sa propre assemblée et son propre gouvernement, mais reste néanmoins soumis à l’autorité du président.

Le problème de cette constitution de 1919, c’est qu’elle instaure un régime qui est à la fois parlementaire et présidentiel, sans choisir entre les deux. Elu au suffrage universel, le président de la République a une légitimité égale à celle du Parlement. Le président est élu pour sept ans et dispose de pouvoirs étendus : il choisit le chancelier, c’est-à-dire le chef du gouvernement, il promulgue les lois et peut soumettre à référendum les textes votés par le Parlement. Chef suprême des armées, il a le droit de dissoudre le Reichstag et de gouverner avec les pleins pouvoirs en cas de circonstances exceptionnelles. Ces pouvoirs seront d’autant plus dangereux pour la république quand ils tomberont aux mains d’un homme peu favorable au régime – ce sera le cas en 1925 avec l’élection du maréchal Hindenburg.

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Le pouvoir législatif est partagé entre deux assemblées. D’une part une chambre basse, le Reichstag, élu pour quatre ans au suffrage universel. Il vote le budget et les lois et le gouvernement est responsable devant lui. La chambre haute, le Reichsrat, représente les Länder, avec des attributions plus réduites.

La constitution de Weimar n’a pas vraiment tranché entre des options contradictoires : régime présidentiel ou régime parlementaire, démocratie avancée ou monarchie républicaine ? D’où le risque de conflits entre les pouvoirs, dangereux dans un pays divisé où la démocratie était loin d’être solidement enracinée comme le montre la persistance d’oppositions multiples tout au long des années 1920.

L’opposition violente des extrêmes L’extrême droite comme l’extrême gauche allemandes se sont opposées sans relâche à la république de Weimar, très souvent en employant la violence, ce qui donne à la vie politique allemande dans les années 1920 des allures de véritable guerre civile.

A l’extrême gauche, après plusieurs tentatives d’insurrection jusqu’en 1923, le KPD (parti communiste allemand) applique strictement la tactique dictée par le Komintern, celle d’une opposition « classe contre classe » : le KPD lutte aussi violemment contre les sociaux-démocrates que contre la droite. Le KPD pratique ainsi ce qu’on appelle la politique du pire. Ainsi, lors des élections présidentielles de 1925, le candidat communiste Thaelmann se maintient au second tour et permet ainsi l’élection de Hindenburg contre le centriste Marx qui était soutenu par le SPD. Le KPD a donc permis l’élection d’un homme hostile au régime même de la République de Weimar.

L’extrême droite entretient elle aussi l’agitation, multipliant les assassinats politiques et les putschs. A partir de 1920, des organisations secrètes d’extrême droite encadrées par des officiers rassemblent des nostalgiques du IIe Reich, des jeunes gens qui n’ont pas vraiment connu le précédent régime mais sont désespérés par la défaite de 1918 et violemment hostiles à la République bourgeoise, ainsi que des déclassés, des chômeurs, des aventuriers. Ces organisations secrètes utilisent notamment l’attentat pour tenter de déstabiliser le régime de Weimar. Elles sont soutenues financièrement par des industriels et des grands propriétaires fonciers (les Junkers), et bénéficient de la protection de l’armée (Reichswehr) et de l’indulgence des juges. Parmi les victimes les plus célèbres de ces groupes d’extrême droite : Matthias Erzberger, signataire du traité de Versailles, et le ministre des Affaires étrangères Walter Rathenau, favorable à un rapprochement économique avec les anciens ennemis de l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.

Outre les assassinats politiques, l’extrême droite pratique aussi les putschs militaires. Le plus célèbre est celui tenté en Bavière, à Munich, par Hitler les 8 et 9 novembre 1923 (dit « putsch de la Brasserie »). Ce putsch échoue face à la détermination de la police munichoise, qui n’hésite pas à utiliser les armes. Hitler est arrêté et emprisonné à la forteresse de Landsberg, où il restera neuf mois, le temps d’écrire son livre-manifeste Mein Kampf.

Outre l’agitation politique, la république de Weimar doit faire face également au poids de la conjoncture.

II. Le poids de la conjoncture

La crise de 1919-1923 La crise de 1919-1923 est d’abord une crise morale : le choc de la défaite, après le 11 novembre 1918, est suivi par l’indignation suscitée par le traité de Versailles après le 28 juin 1919, et par les exigences de la Commission des Réparations. D’autre part, le territoire

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national est amputé, menacé par le séparatisme qui agite la Rhénanie et la Bavière, et occupé par les troupes françaises. En 1923 se produit la goutte d’eau qui va faire déborder le vase : la France de Poincaré, estimant que les Allemands n’honorent pas assez vite leurs dettes de guerre, décident l’occupation de la Ruhr. Cette occupation va précipiter la crise économique latente qui couvait en Allemagne depuis 1919. En 1923, l’Allemagne connaît une hyper-inflation sans précédent, qui se traduit par une hausse vertigineuse des prix. Les commerçants modifient leurs étiquettes d’une heure à l’autre, les salariés demandent à être payés quotidiennement, voire deux fois par jour. Les billets de banque sont dépréciés aussitôt qu’imprimés, et les paysans refusent d’échanger leurs produits contre une monnaie désormais sans valeur, d’où la réapparition du troc dans les campagnes.

Les conséquences sociales et politiques de cet effondrement monétaire sont considérables. Hanté par le souvenir de cette période noire, où le troc est redevenu la seule forme d’échange possible, le pays est prêt à tout pour ne plus connaître à nouveau l’inflation. Ruinée par cet épisode inflationniste, une grande partie de la population, notamment les ouvriers et les classes moyennes, n’a plus confiance dans le régime de Weimar. Les classes moyennes en particulier, en voie de prolétarisation, sont désormais pleines de rancœur et prêtes à trouver des boucs émissaires. Il en résulte une radicalisation politique de cette population, qui sera particulièrement sensible aux arguments du parti nazi.

Les années 1924-1929 sont pourtant marquées par une stabilisation relative, qui reste néanmoins précaire.

Une stabilisation fragile (1924-1929) La détente franco-allemande à partir de 1924, ainsi que l’appui à l’Allemagne des financiers et des hommes d’Etat anglais et américains, vont permettre le sauvetage du mark. A partir de 1924, une sévère politique déflationniste (restriction du crédit, économies budgétaires, réduction des allocations chômage, augmentation des impôts notamment) permet de réduire la masse monétaire et de rétablir l’équilibre du budget. L’économie allemande entre même alors dans une période de prospérité, favorisée par l’afflux de capitaux étrangers (principalement américains). L’industrie allemande est la première bénéficiaire de cette expansion. Pour accroître la productivité, le matériel est perfectionné et sont introduites dans les usines les méthodes américaines de rationalisation du travail (« taylorisme »). La concentration industrielle s’accélère au détriment des entreprises familiales qui tendent à disparaître ou sont contraintes de s’intégrer dans de vastes ensembles dominés par les banques. Dès 1927, l’Allemagne est en tête de la production mondiale en ce qui concerne les industries mécaniques, la chimie, les industries électriques et l’optique.

Des points noirs demeurent cependant. L’agriculture ne progresse que grâce aux subventions qui lui sont accordées par l’Etat (dégrèvements fiscaux pour les agriculteurs, rachat des stocks par l’Etat à des prix garantis, adoption en 1927 d’un tarif protectionniste élevé). La balance commerciale reste également largement déficitaire malgré la percée des exportations, et la balance des paiements ne s’équilibre que grâce à l’arrivée de capitaux étrangers. Enfin l’écoulement de la production allemande n’est concevable que dans une conjoncture mondiale favorable. L’économie allemande va donc être touchée de plein fouet dès le début des années 1930 par les conséquences de la crise économique de 1929.

L’Allemagne de Weimar est un régime fragile, attaqué sur sa droite et sur sa gauche, qui a du mal à s’implanter dans un pays où la tradition démocratique est absente. Le pays reste aussi économiquement menacé, l’expansion de la deuxième moitié des années 1920 reposant sur des bases fragiles.

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Repères bibliographiques

-R. THALMANN, La République de Weimar, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1995.

-P. BOUCHET, La République de Weimar, Paris, Ellipses, 1999.

-L. RICHARD, La vie quotidienne sous la République de Weimar, Paris, Hachette Littérature, coll. « La vie quotidienne », 2000.

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08. La Russie des années 1920 : le « repli stratégique » du communisme Après la révolution bolchevique d’octobre 1917, Lénine annonce qu’il est temps de passer à l’édification de « l’ordre socialiste ». Or il faut d’abord définir cet ordre socialiste, qui n’a jamais été établi nulle part auparavant. A la fin de l’année 1917, il n’est pas encore question que les Bolcheviks exercent la totalité du pouvoir. D’ailleurs, au sein même du Parti bolchevik, on pense qu’un gouvernement des soviets ne peut survivre qu’en faisant appel à des socialistes non bolcheviks.

Toutefois, sous la pression des circonstances, notamment les difficultés économiques et la guerre étrangère, c’est finalement le bolchevisme qui l’emporte sur le soviétisme dès le début des années 1920. Après une période de guerre qui l’oppose aux puissances occidentales, le régime bolchevik va ensuite se replier sur lui-même pour assurer sa propre survie.

I. La « citadelle assiégée » (1917-1921)

La « bolchevisation » du pays Les premiers décrets Dans les semaines qui suivent leur prise de pouvoir, les bolcheviks font voter par les soviets plusieurs décrets destinés à répondre aux principales revendications populaires qui n’avaient pas été satisfaites par les gouvernements provisoires successifs depuis le mois de février 1917. Par ces mesures, les bolcheviks souhaitent s’assurer le soutien des masses populaires. Le problème est que ces décrets vont créer autant de problèmes qu’ils prétendent en régler.

Le décret sur la terre abolit, sans indemnité, la grande propriété foncière. La propriété de la terre est en fait transmise aux soviets paysans qui doivent en assurer le partage. C’est là une ancienne revendication paysanne qui se trouve satisfaite par les bolcheviks. Mais propriété collective signifie aussi mise en commun des récoltes. Or les paysans vont très vite rechigner à livrer leurs excédents, d’autant plus que la monnaie russe est dévaluée et qu’avec l’argent qu’ils reçoivent en échange de leurs produits, les paysans ne peuvent guère se procurer de produits manufacturés, ceux-ci étant devenus plus ou moins introuvables du fait de la désorganisation de l’industrie russe. Des unités armées d’ouvriers doivent alors être envoyées dans les campagnes pour confisquer les vivres cachées par les paysans.

Un contrôle ouvrier est instauré sur les usines, officiellement pour empêcher le sabotage de l’économie par les « capitalistes ». Mais de nombreux patrons refusent ce contrôle, et d’autre part les matières premières manquent le plus souvent pour faire tourner les usines. Beaucoup d’entrepreneurs vont ainsi fermer voire abandonner purement et simplement leur entreprise. Les ouvriers s’approprient alors les biens produits dans ces usines pour les échanger dans les campagnes contre des vivres, réinventant ainsi provisoirement le troc.

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Enfin, après l’armistice de Brest-Litovsk en décembre 1917, la paix est signée au mois de mars 1918 entre la Russie et les empires centraux. La Russie perd 800.000 km2, et le quart de sa population. L’Ukraine est placée sous contrôle allemand, ce qui prive la Russie de son principal grenier à blé (l’Ukraine assurait un tiers de la production agricole russe), mais aussi d’une de ses principales ressources minières (l’Ukraine fournissait à la Russie 3/4 de son charbon et de son fer). La Russie bolchevique est donc plus pauvre que jamais.

Une troisième révolution ? Les bolcheviks interviennent également au niveau politique. De février à octobre 1917, les bolcheviks n’ont cessé de reprocher aux gouvernements provisoires de ne pas convoquer d’assemblée constituante qui aurait la charge de rédiger la constitution du nouveau régime. Une fois arrivés au pouvoir, ils ne peuvent faire autrement que d’organiser des élections, même si Lénine estime pour sa part que l’existence d’une assemblée constituante serait un recul par rapport au pouvoir des soviets. Les élections ont lieu au mois de janvier 1918 : les bolcheviks n’obtiennent que 25% des sièges contre 55% aux socialistes révolutionnaires. Cette assemblée est aussitôt dissoute par le pouvoir bolchevik. Dès la fin de 1917, les bolcheviks ont mis en place une police politique, la Tchéka (ancêtre du K.G.B.) qui traque tous ceux qui sont considérés comme des « ennemis de classe », selon la terminologie de l’époque ; le terme est assez vague pour être étendu à tous les adversaires des bolcheviks. La liberté de la presse est supprimée, le tsar et sa famille sont massacrés à Iekaterinbourg en janvier 1918. Exaspérés par cette politique répressive, les socialistes révolutionnaires fomentent des complots, et se livrent même en juillet 1918 à une tentative de coup d’Etat qui échoue. Les bolcheviks en profitent pour épurer les soviets, éliminant mencheviks et socialistes révolutionnaires. Le parti communiste (c’est le nom qu’a pris le parti bolchevik depuis mars 1918) devient alors le parti unique. Le pouvoir réellement « soviétique » n’a donc pas duré longtemps : dès la deuxième moitié de l’année 1918, on est passé à un pouvoir strictement bolchevik qui s’intitule désormais « communiste ».

Guerre civile et guerre étrangère L’éclatement de l’empire : Dans des régions périphériques de la Russie, où les bolcheviks ont encore peu d’influence, des dissidents divers entrent en résistance contre la bolchevisation du pays. Les socialistes révolutionnaires créent leur propre gouvernement à Samara, tandis que ceux que l’on appelle les russes « blancs » (= partisans de l’ancien empire tsariste) commencent à s’organiser : des généraux « blancs » lèvent des armées en Sibérie, en Ukraine, voire aux portes mêmes de Petrograd. Dès 1918, la Russie entre ainsi dans une période de guerre civile, qui se double rapidement d’une guerre étrangère : les anciens alliés de la Russie, qui ont combattu à ses côtés jusqu’en 1917, sont très mécontents de la paix séparée signée par les Russes en mars 1918, et estiment que la Russie a trahi ses engagements. Les Alliés vont se partager l’Empire russe en différentes zones d’influence : les Anglais occupent le Caucase et l’Asie centrale, les Français la mer noire, la Crimée. Ils essaient d’encourager les velléités indépendantistes des différentes provinces de l’Empire russe. Des corps expéditionnaires français et anglais débarquent en divers points de la Russie (Mourmansk, Odessa, Vladivostok) et viennent prêter main forte aux généraux « blancs » et à leurs troupes. Cette pression occidentale sur la Russie bolchevique s’accentue après l’armistice du 11 novembre 1918, par crainte d’une contagion révolutionnaire dans le reste de l’Europe. Au printemps 1919 les « Blancs » sont maîtres de la plus grande partie de l’empire russe. En 1920, c’est au tour des Polonais, dont le pays a été créé tout récemment, de mener une foudroyante offensive contre Kiev.

Tous les ennemis du pouvoir bolchevik n’ont cependant pas les mêmes objectifs. Les socialistes révolutionnaires et les mencheviks restent attachés à l’esprit démocratique et libéral de la première révolution de février 1917. La plupart des « Blancs » souhaitent au contraire la restauration de l’empire des tsars. En prétendant revenir en arrière sur le partage des terres, les Blancs s’aliènent par ailleurs la grande masse des paysans.

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La victoire des bolcheviks : Dès le mois de janvier 1918 a été créée l’Armée rouge, forgée et dirigée par Trotski. Le service militaire obligatoire est rétabli et une stricte discipline est instaurée au sein de la nouvelle armée. Trotski recrute des chefs militaires de grande qualité dans les rangs des officiers subalternes de l’ancienne armée tsariste (ex. : Toukhatchevski, surnommé le « Napoléon rouge »). Cette armée finit par regrouper 5 millions d’hommes, dont 600.000 sont effectivement en état de combattre. L’Armée rouge bénéficie d’une position centrale, contrairement aux armées « blanches » souvent stationnées aux marges de l’empire. De plus l’Armée rouge est basée dans la partie la plus moderne de la Russie, autour de Petrograd et de Moscou, une région dotée d’un réseau de chemin de fer assez dense qui lui permet de déplacer rapidement ses troupes pour affronter, les unes après les autres, les armées blanches qui attaquent successivement mais sans coordonner leurs forces et leurs offensives. A la fin de 1919, et contrairement à toute attente, les armées « blanches » sont vaincues. En 1920, les puissances occidentales, qui craignent des mutineries dans leurs propres troupes – car certains hommes sont mobilisés depuis 1914 –, se retirent à leur tour du conflit. A la fin de l’année 1920, la guerre est donc terminée en Russie. Mais le pays est exsangue, en pleine désagrégation : la production agricole, déjà insuffisante avant la guerre, a diminué d’un tiers en 1921 ; les mines sont détruites ; la production industrielle n’atteint pas 13% de celle d’avant-guerre ; les finances publiques sont ruinées et le rouble vaut 13.000 fois moins qu’en 1913. L’émigration de la bourgeoisie prive la Russie de cadres. Un effort de redressement économique est indispensable pour sortir le pays du chaos.

II. La N.E.P., une pause ou un recul ? (1921-1927)

Un pays à reconstruire Au début de l’année 1921, la guerre, civile et étrangère, est terminée, et le régime communiste semble consolidé. Pourtant, la Russie a faim et froid, et les Russes sont excédés par les réquisitions dans les campagnes, par la famine et la maladie dans les villes. Le 7 mars 1921, les marins de Kronstadt, qui avaient été les fers de lance de la révolution au mois d’octobre 1917, se révoltent au cri de « Vive les Soviets ! A bas les bolcheviks ! ». Cette révolte spontanée est dénoncée par le pouvoir communiste comme une conspiration fomentée par un général tsariste, qui serait soutenu par les mencheviks et les socialistes révolutionnaires. Les bolcheviks veulent étouffer dans l’œuf une révolte qui pourrait gagner le pays tout entier. Sur ordre de Trotski, l’Armée rouge s’empare le 17 mars de la citadelle de Kronstadt où les marins se sont retranchés. Ces derniers sont exécutés.

Lénine toutefois comprend qu’il faut faire une pause, déclarant notamment : « Nous ne sommes pas assez civilisés pour passer directement au socialisme ». La Russie se heurte en effet au paradoxe que Lénine avait pensé surmonter en 1917 : d’après la théorie marxiste, la révolution socialiste ne pouvait avoir lieu que dans le pays où le système capitaliste était le plus développé, ce qui n’était pas le cas de la Russie. Lénine avait retourné la théorie marxiste, mais en 1921 il doit affronter la réalité : avant de pouvoir construire le socialisme, il faut d’abord que la Russie rattrape son énorme retard économique. D’où la mise en place de la NEP ou « Nouvelle politique économique », repli stratégique dans la construction du socialisme, un repli rendu nécessaire par les circonstances et notamment l’état de délabrement de l’économie russe. Il faut donc faire une pause dans la révolution pour redresser l’économie et pour éduquer la masse paysanne, qui constitue la majeure partie de la population russe mais dont la mentalité est encore très éloignée du communisme.

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Un effort de redressement économique La N.E.P est en réalité un retour contrôlé vers le capitalisme, un assouplissement de l’économie socialiste, une libéralisation économique qui ne dit pas son nom mais que Lénine juge nécessaire pour sortir la Russie du marasme. Pour contenter les paysans, le Xe congrès du parti communiste décide l’abandon des réquisitions dans les campagnes : les paysans, une fois qu’ils auront acquitté leurs impôts sous forme de livraisons en nature, seront désormais libres de vendre leurs surplus sur le marché. Dans le domaine industriel et commercial, le pouvoir accepte la reconstitution d’un secteur privé, limité aux petites et moyennes entreprises (moins de dix employés) et dans lequel la concurrence est admise. En parallèle toutefois, l’Etat favorise le développement d’un secteur socialiste comprenant les activités économiques essentielles que sont les banques, les transports, le commerce extérieur et la grande industrie. De la concurrence entre secteur public et secteur privé, Lénine espère un progrès économique qui permettra de repartir à terme vers l’économie socialiste.

Cette liberté rendue à l’initiative privée et au dynamisme individuel va effectivement revitaliser le tissu économique. Les échanges reprennent, stimulés de plus par la création en 1922 d’une nouvelle monnaie, le tchervonetz, dont l’émission est volontairement restreinte pour éviter l’inflation : gagée sur l’or, cette monnaie rétablit la confiance. Les progrès sont perceptibles également en ce qui concerne l’agriculture : dès 1923, la production agricole retrouve le niveau qui était le sien en 1913. Toutefois, l’industrie reste à la traîne : il faut attendre 1927 pour que la production industrielle retrouve son niveau d’avant-guerre.

La N.E.P. ne se traduit pas seulement par un effort de redressement économique, mais aussi par une relative détente culturelle et sociale.

Une relative détente sociale, culturelle et diplomatique Entre la guerre civile du tournant des années 1910-1920, et la période de collectivisation forcée qui caractérisera les années 1930, la N.E.P. apparaît comme une époque relativement favorable pour la société russe. C’est une période de libéralisation des mœurs et de la vie familiale. A partir de 1921-1922, le pouvoir communiste adopte des mesures en faveur de l’émancipation des femmes et de libéralisation de la famille : hommes et femmes ont le droit de demander le divorce, les enfants nés hors mariage reçoivent les mêmes droits que les enfants légitimes, l’avortement est légal et gratuit à condition qu’il soit réalisé en milieu hospitalier. Les femmes sont protégées par de multiples articles du Code du travail élaboré en 1922 : la Russie soviétique est ainsi le premier pays à émanciper socialement et juridiquement la femme.

Dans l’ensemble de la société russe apparaît dans les années 1920 l’idée qu’il est possible de vivre mieux. Des paysans viennent s’installer en ville, espérant y construire une nouvelle vie moins pénible que l’ancienne ; les ouvriers attendent avec confiance les bons salaires promis par le régime ; l’enrichissement de quelques-uns stimule les ambitions de tous, montrant que la promotion sociale est désormais possible, ce qui n’était pas le cas sous le régime tsariste.

La N.E.P. est aussi une période de libéralisation de la vie culturelle. A l’époque de la N.E.P., la position du pouvoir communiste vis-à-vis de la création artistique est résumée par une formule de Trotski : « L’art n’est pas un domaine où le parti est appelé à commander » (cette conception libérale de la création artistique sera remise en cause par la suite : à la fin des années 1920 s’imposera au contraire l’idée que l’œuvre d’art doit devenir une arme idéologique au service de l’Etat et du parti). La créativité est donc permise, même si le pouvoir se réserve le droit de juger les œuvres d’art en fonction de leur utilité sociale. Les créations artistiques des années vingt, et notamment le cinéma, expriment la vitalité de la société russe à l’époque de la N.E.P. Certains artistes se mettent d’eux-mêmes au service du régime communiste. C’est le cas du cinéaste Sergueï Eisenstein, dont les films visent à légitimer la politique des bolcheviks en rappelant les très difficiles conditions de vie dans la

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Russie tsariste (par exemple dans La Grève, ou dans son film le plus célèbre, Le cuirassé Potemkine) ou en faisant l’éloge de la collectivisation (La ligne générale).

Enfin la période de la N.E.P. est l’occasion de régler la question des nationalités. En décembre 1922 est créée l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.) qui rassemble 4 républiques : la R.S.F.S.R. (République socialiste fédérative des Soviets de Russie), l’Ukraine, la Biélorussie et la Transcaucasie. En 1924, les Républiques adoptent une constitution commune. Les ministères les plus importants sont du ressort de l’Union : Affaires étrangères, Guerre et marine, Commerce extérieur, Postes, Voies de communication, chacune des républiques ne possédant que des organes locaux d’exécution des décisions prises par le pouvoir central (qui siège à Moscou depuis 1918, la ville étant redevenue capitale de la Russie).

Les mesures de la N.E.P. trouvent un écho favorable à l’étranger. Les puissances occidentales voient dans l’adoption de la N.E.P. la preuve que le socialisme n’est pas possible, et pensent que la Russie va lentement évoluer vers un système capitaliste. Les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, vont ainsi accueillir favorablement les demandes d’aide alimentaire formulées par la Russie. Des techniciens étrangers viennent en Russie et contribuent à remettre en état une industrie russe qui manque cruellement de cadres et de techniciens – pour la plupart, ils ont fui à l’étranger au moment de la révolution ou de la guerre civile. Echaudés par le précédent des emprunts russes, les financiers hésitent en revanche à investir de nouveau en Russie. Mais des accords commerciaux sont signés avec des pays occidentaux, et des délégations soviétiques participent à certaines conférences internationales, comme celle de Gênes en 1922 qui modifie les règles financières internationales. La reconnaissance officielle de l’URSS par quelques grandes puissances, comme l’Allemagne dès 1922, la France et l’Angleterre en 1924, permet à l’URSS d’intégrer le concert des nations. En échange de cette reconnaissance internationale, le Kominterm tempère ses appels à la révolution générale et modère son appui aux révoltes anti-impérialistes dans les pays colonisés.

Cette politique de détente toutefois ne survit à Lénine que pendant quelques années. Staline, à partir de la fin des années vingt, va rompre définitivement avec la N.E.P.

III. La succession de Lénine et l’abandon de la N.E.P. Paralysé à la suite d’une attaque, Lénine est en fait écarté du pouvoir depuis le mois de mars 1923. La lutte pour sa succession commence donc dès avant sa mort le 21 janvier 1924.

Les prétendants Ils sont au nombre de deux. D’une part Léon Davidovitch Bronstein, dit Trotski, qui semble disposer d’un maximum d’atouts : une intelligence incontestable, une célébrité acquise dès 1905 comme président du soviet de Saint-Pétersbourg et encore accrue au moment de la révolution d’octobre 1917 dont il est l’organisateur. Commissaire de la Défense et fondateur de l’Armée rouge qu’il a su mener à la victoire pendant la guerre civile et étrangère de 1918-1921, il a personnellement assuré la promotion de nombreux généraux qui lui sont fidèles et pourraient éventuellement soutenir ses ambitions. Doté d’une forte personnalité, célèbre, puissant, Trotski a tout pour s’imposer comme le successeur de Lénine. Mais c’est justement cette puissance qui fait peur à beaucoup des hiérarques du parti, pour qui il devient alors l’homme à abattre.

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Joseph Djougachvili, dit Staline, offre au contraire toutes les apparences d’une modération rassurante. Son rôle jusqu’au début des années 1920 a été beaucoup plus obscur que celui de Trotski. En 1922, on lui a confié le secrétariat du Parti, mais c’est parce qu’il s’agit d’un poste administratif dont personne ne veut : les autres membres du parti préfèrent se consacrer à la politique plutôt qu’à l’administration. Or Staline va utiliser ce secrétariat pour tisser discrètement les fils de son pouvoir : chargé d’organiser les structures du Parti, il assure la promotion au sein du Comité central d’hommes qui lui doivent leur carrière et lui vouent une fidélité sans bornes. De plus, face à l’aventurisme de Trotski qui continue à prôner la révolution mondiale alors même que tous les mouvements révolutionnaires dans le monde ont échoué, Staline défend au contraire la thèse du « socialisme dans un seul pays » : or cette thèse convient à la majorité des membres du Parti qui, après les efforts de la fin des années 1910 et du début des années 1920, veulent profiter des quelques conforts que le pouvoir leur confère. Pour écarter Trotski, Staline passe une alliance avec deux membres du Parti : Zinoviev et Kamenev. C’est la Troïka.

La victoire de Staline Lénine a laissé à sa mort un « testament », en fait une série de notes dictées alors qu’il était déjà paralysé, mais qui ne permettent pas de trancher entre les deux prétendants ni de savoir qui Lénine aurait souhaité voir lui succéder. Dans ces notes Lénine critique à la fois Trotski, à qui il reproche son orgueil et son esprit démocratique, et Staline, qu’il trouve brutal et grossier. A la mort de Lénine, tout va donc se jouer au sein du Comité central du Parti communiste.

Après la disparition de Lénine, Staline a l’habileté de mettre en place un véritable culte de Lénine. Son corps embaumé, reposant dans un cercueil de cristal, est placé dans un mausolée sur la Place Rouge, eu centre de Moscou. De plus, Staline procède à une réécriture de l’histoire récente, présentant Lénine comme le seul artisan de la victoire contre les Blancs, et niant le rôle pourtant primordial joué par Trotski à la tête de l’Armée rouge. Dès lors Trotski se retrouve en porte-à-faux : s’il rappelle que c’est lui qui a été l’un des principaux artisans de la victoire, il a l’air de diminuer les mérites de Lénine et apparaît donc comme un sacrilège en s’attaquant au héros désormais mythifié de la Russie soviétique. S’il se tait, il se prive du coup d’un de ses principaux arguments pour pouvoir prétendre à la succession de Lénine, c’est-à-dire le fait d’avoir gagné la guerre civile et étrangère et d’avoir sauvé le régime bolchevik.

Mis en porte-à-faux, Trotski va être progressivement marginalisé au sein du Parti, puis purement et simplement évincé. En janvier 1925, il perd son poste de Commissaire à la Défense. Pourtant Zinoviev et Kamenev se rapprochent de lui, réalisant un peu tard le danger que représente le pouvoir grandissant de Staline. En avril 1926, Trotski, Zinoviev et Kamenev constituent contre Staline « l’opposition unifiée ». Mais le XVe Congrès du PCUS, en octobre 1926, exclut Trotski du Politburo. Un an plus tard, en octobre 1927, il est chassé du Comité central du Parti communiste. Un mois après, il est purement et simplement exclu du Parti, exilé dans un premier temps à Alma Ata avant d’être expulsé d’URSS en 1929.

La NEP a favorisé la reconstruction d’une « société civile » qui est pour une large part à l’origine du redressement économique de la Russie des années 1920. Ce succès même jette le doute sur la supériorité officiellement proclamée du « socialisme ». De plus, cette société civile constitue un pouvoir parallèle qui ne peut manquer de revendiquer tôt ou tard un assouplissement de la dictature politique. Or Staline, nouveau maître du pouvoir à partir de la fin des années 1920, ne veut pas dépendre d’une société civile qu’il assimile tout entière à ces « nouveaux riches », koulaks ou nepmen. La NEP n’était qu’une pause, comme le pensait Lénine lui-même : à partir de la fin des années 1920, Staline va donc en quelque sorte « rallumer le moteur de l’histoire », c’est-à-dire la lutte des classes, pour lancer à nouveau son pays dans « l’édification du socialisme ».

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Repères bibliographiques -N. WERTH, Histoire de l’Union soviétique de Lénine à Staline, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998.

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09. La France dans les années 1920 Comme la plupart des démocraties occidentales, la France des années 1920 semble connaître une période de prospérité. Le camp des démocraties, auquel la France appartient, a connu une promotion apparente : en 1914, les régimes démocratiques étaient isolés au sein d’une Europe monarchique et conservatrice ; en 1919, victorieux des empires autoritaires grâce à l’appui décisif d’une autre démocratie, les Etats-Unis, ces régimes démocratiques semblent dominer la scène politique. La démocratie semble en effet devenir un régime universel, qui bénéficie du ralliement d’anciens adversaires. Dans la France de 1914, la République était encore contestée. A l’extrême droite en particulier, les monarchistes estimaient le régime républicain incapable de faire la guerre. A l’extrême gauche, avant 1914 toujours, les socialistes commençaient peu à peu à s’intégrer à la république, mais les anarcho-syndicalistes, majoritaires au sein de la CGT, la dénonçaient encore avec violence. L’Union sacrée, même si elle se défait en 1919, a désarmé ces hostilités : en 1919, la République victorieuse soude autour d’elle l’ensemble des Français.

I. L’évolution politique de 1919 à 1929 Durant ces dix années, la vie politique intérieure de la France est rythmée par le problème monétaire, auquel se heurtent les gouvernements successifs. Une solution est enfin dégagée à la fin des années 1920, mais elle contribue à aggraver les blocages de toutes sortes qui se multiplient dans les structures du pays.

Le Bloc national (1919-1924) C’est à l’automne 1919, un an environ après l’armistice, que s’effectue en France le retour à une vie politique normale. Il faut en réalité procéder à toutes les élections (législatives, municipales, cantonales) qui n’ont pas eu lieu depuis 1914. Les législatives de novembre 1919 se déroulent selon de nouvelles modalités qui ont été adoptées par le parlement français au mois de juillet précédent (1919) : un régime proportionnaliste avec une prime à la majorité absolue. Ainsi, les électeurs voteront pour une liste dans le cadre des départements, et les sièges seront répartis au prorata des suffrages recueillis, à une exception près : si une liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés, elle remportera la totalité des sièges du département. Cette disposition pousse bien sûr au regroupement. C’est d’ailleurs une alliance de différentes formations de droite qui remporte les législatives de novembre 1919 : elle constituée des modérés de l’Alliance démocratique alliés aux libéraux de la Fédération républicaine et à une partie des radicaux, qui se sont regroupés dans une coalition dite de « Bloc national ». A cause des nombreux députés anciens combattants qui la composent, la Chambre élue en novembre 1919 sera baptisée la chambre « bleu horizon », de la couleur de l’uniforme français à partir de 1915.

Assez marquée à droite, la majorité de Bloc national n’est pourtant pas aussi réactionnaire qu’on pourrait le penser, et ne remet pas en cause les institutions existantes. On a pu dire que cette majorité de Bloc national était une majorité républicaine plus qu’une majorité de droite. En janvier 1920, la nouvelle chambre écarte Clemenceau de la présidence de la République et lui préfère un homme plus terne et plus consensuel, Paul Deschanel. En proie à des problèmes mentaux, celui-ci doit démissionner dès septembre 1920 et est alors remplacé

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par Alexandre Millerand. Venu de la gauche et du socialisme, Millerand s’est rapproché de la droite dès avant la Première Guerre mondiale. Entre 1920 et 1924, il va essayer de revaloriser la fonction présidentielle, formulant un certain nombre de propositions qui visent à renforcer les pouvoirs du président. Cette prise de position lui vaut l’hostilité de la gauche mais annonce le grand débat des années 1930 sur la question du renforcement de l’exécutif.

La majorité de Bloc national adopte une série de mesures que l’on a pu qualifier de « cléricales », c’est-à-dire favorables à la restauration du pouvoir de l’Eglise au sein de l’Etat : la journée du 8 mai, qui commémore la prise d’Orléans par Jeanne d’Arc, est proclamée fête nationale, au moment où Jeanne d’Arc vient d’être canonisée en 1920 par le pape Benoît XV. L’Alsace-Lorraine n’est pas soumise à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 (par crainte des réactions hostiles dans ces régions très catholiques). Les relations diplomatiques avec le Vatican, qui avaient été rompues en 1904 à cause de la politique très anticléricale du gouvernement républicain de l’époque, sont rétablies en 1921. Enfin les congrégations religieuses sont autorisées à se réinstaller en France d’où elles avaient été chassées après l’adoption de la loi de 1905. D’après René Rémond pourtant [dans Notre siècle], on ne peut pas vraiment parler de politique cléricale dans la mesure où le Bloc national d’une part ne remet pas en cause les liens privilégiés qui existent notamment entre l’Etat et l’école, et d’autre part adopte des mesures symboliques destinées à satisfaire également la gauche, comme le transfert des cendres de Gambetta au Panthéon le 11 novembre 1920, qui fait pendant à l’instauration d’une fête de Jeanne d’Arc.

Sur le plan de la politique extérieure, les différents gouvernements se révèlent incapables de faire rentrer dans les caisses de l’Etat les réparations dues par l’Allemagne. Raymond Poincaré, qui dirige le dernier gouvernement de Bloc national de janvier 1922 à mars 1924, décide en 1923 d’occuper la Ruhr pour faire pression sur le gouvernement allemand et le sommer de régler ses dettes au plus vite. Cette décision isole la France de ses anciens alliés qui désapprouvent l’intervention française, et provoque à la fois une crise économique en Allemagne, mais aussi une spéculation contre le franc, attaqué sur les places financières étrangères. Pour contrer cette attaque contre la monnaie, Poincaré doit recourir à l’emprunt extérieur et à la hausse des impôts, ce qui provoque le mécontentement de l’opinion française et explique largement l’échec du Bloc national aux élections d’avril 1924. C’est alors en effet la gauche qui l’emporte.

Le Cartel des gauches (1924-1926) Le Cartel des gauches est issu d’un accord électoral de désistement réciproque et rassemble la SFIO, le parti radical ainsi que de petites formations de gauche comme les républicains socialistes de Paul Painlevé. Le problème du Cartel des gauches est qu’il n’a pas de véritable programme de gouvernement ; d’autre part la SFIO refuse de participer au ministère formé par le radical Edouard Herriot.

Le Cartel des gauches est très hostile au président Millerand et à sa volonté de renforcer le pouvoir exécutif. Dès son élection au mois de mai 1924, le Cartel entreprend la « grève des présidents du Conseil » pour forcer Millerand à démissionner, ce qu’il fait le 11 juin 1924 au terme d’une crise politique qui confirme la prépondérance des députés sur le président de la République et consomme l’abaissement de la fonction présidentielle. Toutefois le Cartel ne parvient pas à faire élire à la place de Millerand un président de gauche : grâce à l’appoint du Sénat conservateur, le Parlement élit un modéré, Gaston Doumergue, contre le candidat du Cartel Paul Painlevé.

Le 15 juin 1924, le radical Herriot forme son gouvernement. Autour de lui, c’est une nouvelle génération qui arrive aux affaires : Camille Chautemps, Edouard Daladier, Henri Queuille. La plupart d’entre eux sont d’anciens professeurs, d’où le surnom de « République des professeurs » parfois donné au Cartel des gauches. Le Cartel adopte immédiatement quelques mesures symboliques : de hauts fonctionnaires et des diplomates classés à droite sont révoqués, les cendres du socialiste Jaurès sont transférées au Panthéon. Le Cartel

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satisfait aussi de vieilles revendications syndicales : extension aux fonctionnaires du droit syndical, et création d’un Conseil national économique qui sera consulté sur tout projet concernant l’économie ou les relations du travail.

Le Cartel avait par ailleurs l’intention de défaire la politique du Bloc national en matière de relations avec l’Eglise. Radicaux et socialistes souhaitaient en revenir à une stricte laïcité, en étendant la loi de 1905 à l’Alsace-Lorraine, en rompant à nouveau les relations diplomatiques avec le Vatican, et en remettant en vigueur les lois contre les congrégations. Or cette politique anticléricale ne peut finalement pas être appliquée à cause des réactions très vives de l’opposition, qui fait reculer le gouvernement. Toutefois ce n’est pas l’échec sur la question religieuse qui amène la chute du Cartel, mais bien à nouveau la question financière. Sur ce problème, SFIO et radicaux sont profondément divisés : pour résorber le déficit financier, les socialistes sont partisans de la création d’un impôt sur le capital, tandis que les radicaux veulent s’en tenir au renforcement des impôts existants, notamment l’impôt sur le revenu. En avril 1925, le gouvernement Herriot, qui a crevé le plafond légal des avances de la banque de France, connaît une grave crise de confiance de la part des milieux financiers, qui provoque notamment une dégringolade du franc par rapport à la livre. Cet épisode est vécu comme une véritable humiliation par l’opinion française. Les petits épargnants, affolés, refusent de souscrire aux bons du trésor. C’est le « mur de l’argent », sur lequel six gouvernements radicaux successifs se brisent en quinze mois. Pendant cette période, le Cartel se désagrège peu à peu, les radicaux modérés lui refusant leur soutien. Le 21 juillet 1926, Herriot forme un ultime gouvernement qui est renversé le soir-même. La majorité de Cartel est bel et bien morte. A l’occasion de cette crise, la parti radical rompt avec la SFIO et s’allie de nouveau au centre et à la droite pour former une nouvelle majorité.

L’expérience Poincaré (1926-1929) Pour ramener le calme, alors que l’agitation gronde dans la rue, le président de la République Gaston Doumergue appelle Raymond Poincaré à la présidence du Conseil en lui confiant une mission : redresser le franc. Revenu au pouvoir, Poincaré forme un gouvernement de coalition regroupant les leaders des principales tendances politiques à l’exception des communistes et des socialistes. Lui-même détient, en plus de la présidence du Conseil, le portefeuille des Finances. Pour réduire le déficit budgétaire, Poincaré adopte une politique tout à fait classique. Les dépenses sont comprimées : on supprime les sous-secrétariats d’Etat, de nombreux tribunaux de province et de nombreuses sous-préfectures sont désaffectés, et leurs fonctions transférées à des structures plus grandes ; d’autre part, on augmente les impôts directs et indirects. Une partie des ressources dégagées est affectée à l’extinction de la dette, car la France est toujours lourdement endettée auprès des Etats-Unis.

Avec la confiance et les mesures de restriction budgétaire, le franc remonte. En 1928, Poincaré décide de le stabiliser en le rattachant de nouveau à l’or comme avant 1914. Il avait rêvé de le ramener à sa valeur de 1914, mais, depuis cette date, les prix ont été multipliés par 6 et Poincaré doit se résigner à stabiliser le franc à une valeur d’1/5 du franc-or de 1914. Le franc Poincaré succède ainsi au franc Germinal créé par Napoléon Ier ; il durera jusqu’en 1936.

La fin des années 1920 marque donc un retour au calme. Pour René Rémond, toujours dans Notre siècle, ce retour au calme et à la confiance est symptomatique : Rémond pense que l’on assiste en 1928-1929 à la répétition du phénomène des années 1918-1919. Beaucoup de Français s’étaient ralliés à la République après la victoire ; les derniers réticents vont se rallier au régime après le règlement de la crise financière de 1926. Lorsque Poincaré démissionne pour raisons de santé en juillet 1929, il détient le record de longévité gouvernementale de tout l’entre-deux-guerres.

Pourtant, cette stabilité est trompeuse.

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II. Une stabilité trompeuse Au moment même où se déclenche le krach de Wall Street en octobre 1929, la France croit être entrée définitivement dans la stabilité et la prospérité. Beaucoup de Français sont convaincus que, grâce à l’héritage laissé par Poincaré, leur pays échappera aux difficultés qui frappent les Etats-Unis dès la fin de l’année 1929. Il s’agit évidemment d’une illusion.

Le blocage des structures économiques Malgré une croissance industrielle deux fois plus rapide qu’avant la guerre, et une grande réussite dans les branches issues de la seconde révolution industrielle (automobile, électrométallurgie, chimie), l’expansion française reste fragile. De 1919 à 1926, la dépréciation du franc a soutenu artificiellement les exportations françaises, tandis que l’adoption du taylorisme dans les grandes entreprises permettait des gains de productivité très importants. Mais dès la fin des années 1920, la croissance s’essouffle. Les permanences de l’économie française sont en effet au moins aussi importantes que les innovations. La concentration des entreprises reste faible, et la France industrielle garde peu ou prou le visage qui était le sien au XIXe siècle, à savoir une industrie encore assez dispersée. La main-d’œuvre industrielle est peu abondante et mal répartie. Dans leur immense majorité, les chefs d’entreprise ne songent qu’à satisfaire les besoins intérieurs et à vendre à prix élevés, tout en payant leur personnel le moins cher possible. Les débouchés industriels sont ainsi plutôt limités. L’agriculture ne progresse pas, ni dans ses structures d’exploitation, ni dans ses rendements, et elle demeure incapable de couvrir les besoins alimentaires du pays, d’où l’obligation pour la France d’importer des produits agricoles.

Les pesanteurs de la société Dans le domaine social, les permanences et pesanteurs l’emportent elles aussi. Les transformations des mœurs auxquelles on assiste demeurent superficielles. L’évolution la plus importante réside dans l’essor des distractions de masse, comme la radio, le cinéma, ou les sports collectifs. Mais contrairement à d’autres pays européens, la société française a très peu changé en profondeur. Les catégories dirigeantes restent semblables à celles de l’avant-guerre et se caractérisent par leur goût de la stabilité, leur soif de respectabilité, leur volonté d’indépendance face à l’Etat, et leur peur du mouvement ouvrier. Les classes dominées n’ont guère vu leur situation évoluer elles non plus : elles sont toujours caractérisées par l’infériorité de leur position, tant matérielle que culturelle, et par la quasi-absence de protection sociale. La véritable entrée dans le XXe siècle pour la société française ne se fera ainsi que dans les années 30. A cet égard, on peut dire que l’héritage de Poincaré, qui a entretenu les Français dans l’illusion d’un retour à la prospérité et à la stabilité de la Belle Epoque, a retardé d’autant les nécessaires évolutions. Cependant on assiste, au tournant des années 1920 et 1930, à un début de politique sociale, même si elle n’est pas encore très développée.

Un début de réformes sociales Après le départ de Poincaré, ses successeurs Tardieu et Laval vont mener une politique de réformes sociales, rendue possible par le retour à l’équilibre budgétaire et même par le dégagement d’un excédent qui facilite une politique de largesses et de progrès social. Le gouvernement lance un programme de construction d’habitations bon marché (HBM), ancêtres des HLM. ; les allocations familiales sont généralisées en 1932, la gratuité de l’enseignement secondaire est adoptée à partir de 1930. Toutefois ce n’est qu’au moment du Front Populaire en 1936 que seront adoptées de véritables réformes sociales.

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Si les années 1919-1929 apparaissent comme celles de la stabilité retrouvée, elles ne sont pas exemptes d’un certain nombre d’ambiguïtés. Les Français semblent osciller entre pessimisme et aveuglement : après l’échec de la droite, avec le Bloc national, puis de la gauche, avec le Cartel des gauches, la fin des années 1920 est marquée par une volonté collective de se croire revenu à la Belle Epoque, comme si la guerre de 14-18 n’avait été qu’une parenthèse vite refermée. Ce n’est que dans les années 1930 que viendra le temps de la prise de conscience.

Repères bibliographiques -J.-J. BECKER et S. BERSTEIN, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome 12 : Victoire et frustrations, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1990.

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10. Les contrastes du monde anglo-saxon : Grande-Bretagne et Etats-Unis dans les années 1920 Dans les années 1920, Grande-Bretagne et Etats-Unis connaissent des évolutions opposées. Après l’apogée de l’époque victorienne, la Grande-Bretagne entre après la Première Guerre mondiale dans une période de déclin. Si l’essoufflement britannique était perceptible dès 1914 dans le domaine industriel, l’Angleterre demeurait néanmoins la première puissance dans le domaine monétaire, financier, maritime et commercial. Ce n’est plus le cas après 1918 : la guerre a fortement ébranlé la puissance britannique, précipitant un déclin économique irrémédiable.

C’est l’inverse qui se produit pour les Etats-Unis : après une courte crise économique en 1920-21, les Etats-Unis entrent dans une période de prospérité qui s’explique par différents facteurs : des capitaux considérables (issus du remboursement partiel et des intérêts de la dette européenne contractée pendant le premier conflit mondial notamment), une augmentation du pouvoir d’achat des ménages (hausse des salaires et extension de la vente à crédit), la concentration des entreprises et les progrès scientifiques et techniques. La prospérité américaine dure jusqu’à la crise de 1929.

I. L’affaiblissement britannique

Des difficultés multiples Crise économique La Première Guerre mondiale n’a pas détruit matériellement la Grande-Bretagne, et les pertes humaines, certes importantes, sont cependant moindres que dans d’autres pays belligérants (744.000 morts contre par exemple 1,4 million pour la France). Néanmoins, la Grande-Bretagne sort affaiblie du premier conflit mondial. Après une courte période d’expansion en 1919-1920 (générée par une hausse de la demande due à la fin des restrictions imposées par la guerre), la situation économique se dégrade rapidement. La crise de 1921-1922 est plus profonde en Grande-Bretagne que dans d’autres pays d’Europe et revêt trois formes principales.

C’est d’abord une crise de l’agriculture : la Grande-Bretagne préfère acheter à l’extérieur ses produits alimentaires à meilleurs prix, ce qui pénalise la production agricole nationale. C’est aussi une crise des industries traditionnelles : le charbon anglais est concurrencé par de nouvelles sources d’énergie comme l’hydroélectricité et surtout le pétrole, mais aussi par le charbon étranger à plus bas prix. Ce déclin du secteur des charbonnages s’accompagne d’une stagnation de la plupart des industries traditionnelles : sidérurgie, chantiers navals, constructions mécaniques, industrie textile. Enfin la Grande-Bretagne connaît dès le début des années 1920 une crise de son commerce extérieur. Les exportations déclinent, et ce pour

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plusieurs raisons : les prix des produits britanniques sont élevés à cause de la médiocrité des biens de production et de l’importance des charges salariales ; les anciens clients européens de la Grande-Bretagne sont pour la plupart ruinés et ne peuvent plus acheter de produits anglais ; enfin la Grande-Bretagne pâtit de la concurrence des « pays neufs » (Etats-Unis et Japon en particulier) et d’un renforcement général du protectionnisme. Le fret maritime s’amenuise et la charge annuelle de la dette extérieure s’alourdit, aussi la balance des paiements courants devient-elle plus fragile : la livre sterling en subit le contrecoup sur le marché des changes.

Ces difficultés économiques sont aggravées par un malaise social latent.

Le malaise social Travailleurs et soldats démobilisés en 1919 aspirent à davantage d’égalité sociale. Les effectifs syndicaux connaissent une véritable flambée aux lendemains du premier conflit mondial : les Trade-Unions comptent plus de 8 millions d’adhérents en 1920 (contre 4 millions en 1914). Dès 1919, les grèves se multiplient, motivées par l’augmentation du chômage et la réduction des salaires nominaux. Ce sont les mineurs qui sont à la pointe du mouvement social (grandes grèves de mineurs en 1921 et 1926). Le mécontentement toutefois ne touche pas que la classe ouvrière : l’aggravation de la pression fiscale sur les classes dirigeantes indispose l’aristocratie foncière traditionnelle.

La plupart des Britanniques pourtant ne semblent pas conscients de la gravité de la crise qui touche leur pays dans les années 1920, et on a pu dire que le Royaume-Uni des années 1920 semblait vivre un « long week-end » dans une certaine insouciance. Il est vrai que, malgré le maintien de strictes inégalités sociales, une amélioration sensible du niveau de vie se dessine pour toutes les classes sociales, y compris les classes populaires : développement des voyages lointains pour les couches les plus favorisées, acquisition d’une automobile et fréquentation des stations balnéaires pour les classes moyennes, achat d’appareils ménagers et d’un pose de radio jusque dans les couches populaires (la B.B.C – British Broadcasting Corporation – est créée en 1922).

L’affaiblissement de la puissance extérieure Face aux Etats-Unis, la Grande-Bretagne doit redéfinir sa puissance extérieure. Les Américains sont devenus des rivaux par leur flotte de guerre et par leur puissance monétaire, le dollar, contrairement à la livre, restant convertible en or à sa valeur de 1914. D’autre part, l’Empire colonial britannique, s’il est toujours le premier du monde, commence aussi à s’affaiblir. Les dominions, qui ont fait la guerre et signé la paix aux côtés de la métropole, exigent désormais d’être traités sur un pied d’égalité. Les revendications nationales au sein de l’Empire britannique deviennent menaçantes dans plusieurs régions du monde : au Proche-Orient, aux Indes, et surtout en Irlande où le Sinn Fein a déclenché l’insurrection contre l’Angleterre depuis Pâques 1916, et où la guerre civile fait rage entre l’I.R.A. (Irish Republican Army, créée en 1919) et les troupes britanniques.

Les gouvernements successifs, affaiblis par des majorités parlementaires instables, apportent à ces difficultés des solutions plus ou moins efficaces.

Des solutions plus ou moins efficaces Les solutions au problème monétaire et commercial Pour sortir du problème monétaire (affaiblissement de la livre sterling), le gouvernement anglais réagit par une politique rigoureuse de déflation et de restriction du crédit : en 1925, le chancelier de l’Echiquier (ministre de l’Économie) Winston Churchill rétablit l’étalon-or et la parité de la livre avec le dollar sur la base de 1914. A court terme, cette réévaluation de la livre est un succès. Elle satisfait les milieux financiers et l’opinion publique, et la livre redevient une monnaie forte très recherchée sur le marché des changes. Mais à moyen terme la réévaluation affaiblit encore davantage l’économie en renchérissant le prix des produits

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britanniques à l’exportation, d’où la nécessité, pour les entreprises, de comprimer les salaires, ce qui aboutit à restreindre la consommation extérieure.

En ce qui concerne le problème commercial, aucun gouvernement ne peut se résoudre à instaurer des barrières protectionnistes : les Anglais en effet sont particulièrement attachés à la tradition du libre-échange, symbole de la prospérité britannique au XIXe siècle (une tentative de retour au protectionnisme échoue en 1923).

Les solutions au problème social Les gouvernements successifs n’apportent guère de solution au malaise social et adoptent même selon les circonstances des mesures qui reviennent sur certains acquis sociaux. En 1926, à la suite de la réévaluation de la livre, le salaire des mineurs est réduit de 5% et leur journée de travail portée de 7 à 8 heures. La réponse des syndicats est immédiate : le 3 mai 1926, la grève générale est déclarée. A la fin du mois de mai, ce sont 4 millions de travailleurs qui sont en grève dans tout le pays. Mais le gouvernement répond par la plus grande fermeté. Sentant que l’Etat ne cèdera rien, les chefs des Trade-Unions négocient rapidement l’arrêt du mouvement. Seuls les mineurs continuent en vain leur lutte jusqu’en novembre 1926. Cette défaite porte un coup très dur au mouvement ouvrier britannique. L’année suivante, en 1927, le gouvernement conservateur [les conservateurs sont au pouvoir de 1924 à 1929] fait adopter une législation restreignant les pouvoirs des syndicats : le droit de grève est limité et les liens entre les Trade-Unions et le Parti travailliste sont restreints. L’échec de cette grève générale de 1926, qui était la première grève générale de l’histoire britannique, fait évoluer le syndicalisme anglais : le syndicalisme révolutionnaire se transforme en un syndicalisme plus modéré, axé désormais sur la négociation avec le patronat plus que sur la lutte des classes.

Les solutions au problème des nationalismes dans l’empire britannique Face à son Empire colonial, la Grande-Bretagne va essayer et parfois réussir à trouver des solutions viables. Les rapports avec les dominions sont redéfinis lors de différentes « conférences impériales » qui donnent finalement naissance au Commonwealth officialisé par le Statut de Westminster en 1931. En 1921 la Grande-Bretagne résout, provisoirement et de façon partielle, la question irlandaise : c’est la solution de la partition qui est adoptée, le Sud catholique de l’Irlande devenant un Etat libre (l’Eire) érigé en dominion, tandis que le Nord majoritairement protestant, l’Ulster, continue à faire partie du Royaume-Uni. Hors d’Europe, les Anglais espèrent l’essoufflement des revendications nationales. Or c’est le contraire qui se produit : les revendications se radicalisent, notamment aux Indes où les campagnes de « désobéissance civile » menées par Gandhi sont suivies par l’ensemble de la population. Ainsi, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, les difficultés issues de la guerre n’ont pas été surmontées.

II. Le triomphe américain ?

Le « règne » des républicains L’apogée du libéralisme En mars 1920, le Congrès américain, à majorité républicaine, refuse la ratification du traité de Versailles, et donc l’adhésion à la SDN. Malade et désavoué par l’opinion publique, le président Wilson ne peut empêcher l’échec du candidat démocrate aux élections présidentielles de novembre 1920. En 1920 s’ouvre donc une ère républicaine, puisque ce sont trois présidents républicains qui se succèdent jusqu’en 1932 : Harding (1920-1924), Coolidge (1924-1928) et Hoover (1928-1932). Le retour des républicains au pouvoir se traduit par le triomphe du libéralisme. Pour le président Coolidge, gouvernement et milieu des affaires ne doivent faire qu’un. Le vieux mythe du « laissez-faire » est à son apogée dans les Etats-Unis des années 1920 : l’Etat ne doit absolument pas intervenir dans la vie économique du pays. C’est là l’application d’un libéralisme économique pur et dur. L’idée dominante est

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que le libéralisme génèrera une croissance illimitée de la productivité qui, à terme, fera disparaître la pauvreté. Les années 1920 sont donc celles de l’optimisme économique aux Etats-Unis.

La collusion entre gouvernement et milieu des affaires ne va pas sans quelques dérives, notamment de la corruption et un certain nombre de scandales qui éclaboussent le personnel de la Maison-Blanche. D’autre part, contrairement à ce qu’affirment les présidents républicains successifs, l’Etat ne se contente pas d’un rôle d’arbitre en matière économique. Pendant toute la période 1920-1932, le poste de secrétaire au trésor est occupé par Andrew Mellon, un banquier milliardaire qui intervient dans la vie économique du pays : il ouvre les marchés étrangers aux produits américains, il avantage les plus riches en réduisant les impôts, il garantit la stabilité monétaire, ce qui permet l’expansion économique. Les années 1920 aux Etats-Unis sont effectivement celles de la prospérité.

La prospérité A partir des années 1920, les Etats-Unis entrent pleinement dans la seconde révolution industrielle en commençant à utiliser de façon massive les nouvelles sources d’énergie, pétrole et surtout électricité. L’utilisation de l’électricité permet en particulier de libérer l’industrie des contraintes de la localisation près de la source d’énergie (ce qui était le cas avec l’utilisation du charbon). L’« Ere nouvelle » se caractérise, au plan économique, par une croissance quantitative de la production, mais aussi par une diversification de la production industrielle : des Américains toujours plus nombreux entrent dans ce que l’on commence à appeler la société de consommation, mutation facilité par l’explosion du crédit aux ménages. C’est toute la vie quotidienne des Américains qui est transformée avec l’apparition de lignes d’avions régulières, avec de nouvelles habitudes alimentaires liées à l’expansion de l’industrie de la conserve, l’apparition et la diffusion de nouveaux appareils électroménagers comme le réfrigérateur et l’aspirateur. Mais c’est sans doute la diffusion de l’automobile qui symbolise le mieux les progrès de la productivité de l’industrie américaine : à la fin des années 1920, les Etats-Unis comptent plus de 26 millions de véhicules en circulation, et en produisent 5 millions par an.

Cette prospérité, les Américains vont avoir tendance à la protéger, d’où un certain repli sur les valeurs américaines.

Le repli sur les valeurs américaines Un isolationnisme modéré Les Etats-Unis ont donc refusé d’entrer dans la SDN et ont signé des traités séparés avec leurs anciens adversaires. Toutefois ils ne peuvent se désintéresser totalement de la situation internationale, et il leur est difficile d’en revenir à une politique isolationniste pure et dure. Dès qu’il s’agit de défendre leurs intérêts en particulier, les Etats-Unis n’hésitent pas à se mêler des affaires du monde. Les Américains se préoccupent en particulier de maintenir la prospérité de l’Allemagne, un pays où ils ont investi de nombreux capitaux. Ils vont notamment servir de médiateurs entre l’Allemagne et ses anciens adversaires européens dans la question des réparations de guerre (plan Dawes en 1924 et plan Young en 1929). D’autre part, les Etats-Unis contribuent à maintenir dans l’isolement la Russie soviétique et bloquent l’expansion territoriale du Japon en Extrême-Orient. En fait la suprématie financière des Etats-Unis leur permet d’appuyer leur diplomatie (c’est ce que l’on a appelé la « diplomatie du dollar ») : très souvent, les prêts accordés par les Etats-Unis sont assortis de conditions financières.

L’exaltation de « l’américanisme » C’est surtout par rapport à l’Europe que les Etats-Unis vont se replier sur eux-mêmes. Ils vont en particulier se fermer aux idées, aux produits et aux hommes venus d’Europe. Plusieurs faits viennent témoigner de cette fermeture : répression contre les militants socialistes et révolutionnaires lors de la Red Scare (panique anti-rouge) de 1919-1920, où les Etats-Unis

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craignent la contagion révolutionnaire venue d’Europe ; réduction des importations européennes par l’adoption du tarif Fordney Mac Cumber en 1922 ; blocage de l’immigration en provenance d’Europe par les lois des quotas, adoptés entre 1921 et 1924, et qui fixent pour chaque pays d’Europe un nombre maximal d’entrées annuelles (3% du nombre de ressortissants de chaque pays installés aux Etats-Unis en 1910, puis 2% de ce nombre en 1890, le recul de la date de référence traduisant la volonté de barrer la route aux immigrants méditerranéens, quasiment absents en 1890, et de privilégier les éléments britanniques et allemands, jugés culturellement plus proches des Américains).

Ce racisme en quelque sorte institutionnalisé se retrouve au niveau de l’opinion publique, qui vire elle aussi à la xénophobie et au racisme. Sacco et Vanzetti, deux anarchistes d’origine italienne, accusés sans preuve d’avoir participé à un hold-up, sont exécutés en 1927 malgré les protestations de la communauté internationale. Surtout, le Ku Klux Klan, né dans le Sud du pays après la Guerre de Sécession pour intimider les Noirs et les empêcher de voter, s’est reconstitué en 1915 ; après la Première Guerre mondiale, il déborde les Etats du Sud pour se répandre sur tout le territoire américain. Le Klan persécute toujours les Noirs, mais aussi les Juifs, les catholiques, les immigrants récents, les socialistes. Les membres du Klan se réclament en effet du slogan « Native, White, Protestant » ; ils emploient des méthodes terroristes : mutilations, flagellations, meurtres, et provoquent des émeutes raciales, par exemple à Chicago en 1919 où deux semaines d’émeutes font 38 morts, principalement dans la communauté noire de la ville. Toutefois, du fait même de ses outrances, l’influence du Ku Klux Klan commence à décroître dans la deuxième moitié des années 1920.

Enfin le gouvernement défend lui aussi la morale « puritaine » protestante en adoptant la loi Volstead de 1919 : il s’agit en fait d’un amendement à la constitution américaine, qui prohibe la fabrication, la vente, le transport, la possession de toute boisson alcoolisée (on parle ainsi de « Prohibition » pour désigner cet amendement Volstead). On peut dire que les Etats-Unis se replient en quelque sorte sur les valeurs des « W.A.S.P. » (White Anglo-Saxons Protestants).

Beaucoup d’Américains restent d’autre part à l’écart de la prospérité des années 1920, une prospérité elle-même assez fragile.

Une Amérique fragile Les inégalités sociales La prospérité n’a pas profité à l’ensemble des Américains et l’avènement de la société de consommation a plutôt contribué à renforcer les inégalités sociales. Au sommet de la hiérarchie sociale américaine, on trouve l’homme d’affaires, pivot du système capitaliste américain dont le modèle est Henry Ford. Ford pratiquait dans ses usines une politique de hauts salaires : d’après lui, si les ouvriers sont intéressés aux résultats de la production par une participation aux bénéfices et par la perspective d’une augmentation de leur niveau de vie, ils seront d’autant plus motivés pour travailler dur et pour améliorer leur productivité. D’autre part, cette politique de hauts salaires pouvait contribuer à éloigner les ouvriers de mouvements revendicatifs ou révolutionnaires.

La plupart des ouvriers, et également les employés, sont effectivement les principaux bénéficiaires de la prospérité américaine des années 1920. Leur condition s’améliore sensiblement pendant cette période. Outre la hausse des salaires, ils bénéficient de la journée de travail de huit heures, d’un début de congés payés dans certains secteurs, et également de la possibilité de promotion sociale : en 1928, 1 fils d’ouvrier sur 2 entre dans une High School (= l’équivalent des lycées français) contre 1 sur 10 en 1910. On constate d’ailleurs pendant les années 1920 aux Etats-Unis un véritable effondrement du syndicalisme.

Les fermiers connaissent en revanche un sort beaucoup moins enviable. L’Amérique de la prospérité, c’est l’Amérique des villes ; le monde rural semble au contraire en marge de la

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croissance économique. Face à la mévente de leurs produits, concurrencés par la production étrangères, les agriculteurs doivent hypothéquer voire vendre leurs terres et venir s’employer en ville. D’autres catégories sont également exclues de la prospérité : de façon générale, les membres de la communauté noire, qui subissent les bas salaires et le chômage ; inquiets de la progression du racisme, beaucoup rêvent d’un improbable « retour » en Afrique. Autres exclus : les immigrés les plus récents, trop pauvres eux aussi pour bénéficier des avantages de la société de consommation.

Une croissance qui repose sur des bases peu solides Enfin les bases de la croissance sont fragiles : elle repose sur le recours abusif au crédit qui gonfle artificiellement la consommation des ménages, et sur une confiance excessive dans les capacités d’absorption du marché intérieur américain. Or globalement le pouvoir d’achat à l’intérieur du pays est insuffisant pour absorber une production toujours plus importante, et le déséquilibre entre la production et la consommation s’aggrave d’année en année.

D’autre part, certains secteurs industriels restent complètement à l’écart de la prospérité : industries alimentaires, cuir, tabac, textiles. Le charbon, de plus en plus concurrencé par le pétrole et l’électricité, trouve de moins en moins de débouchés. Enfin le chemin de fer, en dépit d’efforts de modernisation, ne dégage plus que de très faibles bénéfices à cause de la concurrence de l’automobile.

Malgré tout, l’opinion publique américaine dans les années 1920 est persuadée de vivre une période de prospérité sans faille. Tout contribue à entretenir cette illusion d’une prospérité éternelle : les déclarations des présidents [Hoover déclare par exemple en 1928, lors de la campagne électorale pour les présidentielles : « Nous sommes aujourd’hui, en Amérique, plus près du triomphe définitif sur la pauvreté qu’aucun pays ne l’a jamais été »], les diagnostics des experts, l’optimisme des chefs d’entreprise. Si la prospérité n’est pas totale dans les Etats-Unis des années 1920, en tout cas l’illusion de la prospérité est totale.

Grande-Bretagne et Etats-Unis offrent dans les années 1920 un visage en apparence contrasté : d’un côté, la Grande-Bretagne, une puissance en déclin, à qui la Première Guerre mondiale a porté un rude coup dont elle a du mal à se remettre, aux prises avec des difficultés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, au sein de son empire colonial où commencent à se manifester des velléités nationalistes ; de l’autre, un pays neuf pour qui le premier conflit mondial a signifié au contraire le début d’une hégémonie mondiale au point de vue économique, et où la prospérité semble triompher. Pourtant, la croissance économique américaine va se révéler plus fragile qu’il n’y paraît, plus fragile en tout cas que ne le pensaient la plupart des Américains.

Repères bibliographiques -F. BEDARIDA, La société anglaise du milieu du XIXe siècle à nos jours, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1990.

-A. KASPI, Les Etats-Unis au temps de la prospérité 1919-1929, Paris, Hachette Littérature, coll. « La vie quotidienne », 1994.

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11. La crise de 1929 et ses conséquences La crise de 1929 est l’un des événements économiques majeurs de la première moitié du XXe siècle. Née des déséquilibres de la croissance des années 1920, elle est exceptionnelle à la fois par son ampleur, par sa durée et par ses effets. Elle plonge les économies occidentales dans un profond marasme et provoque la ruine de millions de personnes aux Etats-Unis et en Europe. La crise n’a pas que des effets économiques : elle contribue aussi à déstabiliser les régimes démocratiques et à favoriser l’avènement d’« hommes providentiels » censés redresser la situation économique et sociale. La crise a également pour conséquences de casser les solidarités internationales et d’exacerber les rivalités économiques, commerciales et monétaires entre les nations.

I. Origines et mécanismes de la crise

Un détonateur : le krach boursier d’octobre 1929 Depuis 1925, le cours des valeurs cotées à Wall Street, la bourse de New York, est en hausse rapide car les industriels commencent à investir en bourse les profits qu’ils ne souhaitent plus réinvestir. A partir de 1927, cette hausse des valeurs boursières se transforme en véritable boom : l’augmentation du cours des actions est de 89% entre 1927 et 1929, alors que dans le même temps la production industrielle ne progresse que de 13%. La haute valeur des actions boursières apparaît donc comme totalement artificielle, et un retournement des cours semble inévitable. Dès le début de l’année 1929, la hausse commence d’ailleurs à s’essouffler, sans que personne n’y accorde d’importance. Le jeudi 24 octobre 1929 (« Black Thursday », le « jeudi noir »), un volume anormalement élevé de transactions est réalisé : ce jour-là, 13 millions d’actions sont cédées, à des prix qui baissent de minute en minute, par leurs propriétaires pressés de s’en débarrasser. Pourtant, le « jeudi noir » ne marque pas véritablement le point de départ de la crise : pendant le week-end qui suit, tout le monde est en effet persuadé (c’est la thèse qui est en tout cas développée par la plupart des journaux américains) que la semaine suivante va être marquée par des achats massifs. Comme les cours se sont effondrés, il est en effet logique d’envisager un « rush » d’achat d’actions dès la réouverture de la bourse le lundi suivant. Or ce ne sera pas le cas, au contraire : personne n’achète, et le mardi 29 octobre, c’est l’effondrement des cours et le début d’une panique générale qui s’empare du marché boursier. La chute des cours de la bourse se poursuit jusqu’en 1932.

Des signes avant-coureurs Les contemporains ont vécu le déclenchement de la crise de 1929 comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. En réalité, le krach boursier, qui a touché directement 1 million d’Américains petits ou gros porteurs d’actions, est surtout marquant par sa portée psychologique. La violence du choc brise net l’optimisme triomphant des années 1920 et suscite un désarroi profond. Ce qui naît à New York en octobre 1929, plus encore que la crise elle-même, c’est le sentiment de crise. Des signes précurseurs s’étaient déjà fait sentir mais ils étaient passés inaperçus.

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Ces signes avant-coureurs de la crise étaient pourtant très nombreux. Le cours des produits bruts était en baisse depuis 1925. Depuis 1926, le Royaume-Uni était en proie à des difficultés économiques qui menaçaient l’équilibre monétaire international. En Allemagne, la production industrielle, après un point culminant en 1927, avait commencé à régresser. En France, c’est le commerce extérieur qui avait commencé à se dégrader à partir de 1927. Surtout, un peu partout dans les pays industrialisés, le décalage croissant entre une offre pléthorique et une demande en baisse faisait courir constamment le risque d’une crise de surproduction. On peut dire que la crise économique était contenue en germe dans la prospérité des années 1920, bien avant que ne survienne à New York le « jeudi noir » du 24 octobre 1929.

II. Une généralisation progressive

Une crise financière puis économique La crise touche d’abord le domaine financier, secteur où le laxisme des années 1920 a été le plus prononcé (on a laissé prospérer en effet un marché boursier où le cours des actions ne reflétait en rien la réalité de la production industrielle) : le krach boursier entraîne une paralysie immédiate du crédit, car les spéculateurs, ruinés, ne peuvent plus rembourser les emprunts qu’ils avaient contractés (il était en effet très courant dans les années 1920 d’investir en bourse à crédit). Les banques sont submergées par le retrait précipité des dépôts, auquel elles sont incapables de faire face. Aux Etats-Unis, avant la fin de l’année 1930, ce sont quelque 5000 banques (sur 23.000) qui font ainsi faillite. La situation est la même en Allemagne et en Autriche, pays très dépendants de l’économie américaine : en 1931 c’est l’une des plus grandes banques autrichiennes, le Kredit Anstalt, qui dépose le bilan. En juillet 1931, toutes les banques allemandes doivent fermer leurs portes pendant quelques jours.

De financière, la crise devient ensuite économique. La paralysie du crédit, et l’inquiétude générale par rapport à l’avenir, freinent considérablement la consommation et découragent l’investissement. La surproduction, qui était latente dans les années 1920, éclate alors au grand jour : les industriels sont confrontés à la mévente de leurs produits qui les laisse avec d’énormes stocks d’invendus. Se met alors en place le cycle habituel de la crise : devant l’accumulation des stocks, les prix chutent, donc les profits se réduisent considérablement et beaucoup d’industriels font faillite, ce qui provoque une augmentation du chômage. D’économique, la crise devient alors sociale puis politique.

Une crise sociale et politique Avec les fermetures d’ateliers et les dépôts de bilan, les difficultés de l’industrie débouchent effectivement sur une flambée du chômage. Celui-ci est d’autant plus fort que la tertiarisation de la population active dans les années 1920 est encore peu développée. Le chômage touche d’abord les « cols bleus » (ouvriers), mais il concerne aussi bientôt les « cols blancs », c’est-à-dire les cadres et les employés qui constituent les classes moyennes. Dès lors, à cause du chômage, la demande subit une nouvelle contraction : on peut dire que la crise nourrit la crise.

La crise atteint enfin le domaine politique. Elle suscite en effet, dans tous les pays touchés par les difficultés économiques, un mécontentement, voire une véritable exaspération envers les pouvoirs en place qui sont jugés incapables de mener des politiques efficaces pour casser le cercle vicieux de la dépression économique. La crise accélère ainsi l’usure des gouvernements et constitue dans tous les pays un facteur d’alternance politique. Dans les pays les plus touchés, elle nourrit l’antiparlementarisme, fragilise la démocratie et propulse au pouvoir des « hommes providentiels » qui promettent la « fin des malheurs » et portent les espoirs de la population.

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Une propagation inéluctable A partir de l’épicentre new-yorkais frappé au mois d’octobre 1929, la première onde de choc atteint le reste des Etats-Unis dans les mois qui suivent, au début de l’année 1930. Hors des Etats-Unis, les premiers pays contaminés sont les pays « dominés », c’est-à-dire ceux qui vendent leurs matières premières aux pays industrialisés : c’est le cas de tous les pays d’Amérique latine, très dépendants du marché américain pour l’écoulement de leurs produits, et touchés dès 1930 par la chute brutale du volume et du prix de leurs exportations. En 1930-1931, c’est au tour de l’Europe centrale d’être atteinte : le retrait des capitaux américains entraîne la crise généralisée de l’économie.

Le Royaume-Uni, qui connaissait un certain marasme économique depuis la deuxième moitié des années 1920, est frappé de plein fouet à partir de l’automne 1931 : la crise aggrave encore le déficit commercial du pays. Pour tenter d’y remédier, le gouvernement anglais décide de dévaluer la livre sterling au mois de septembre 1931. La France enfin, qui s’est longtemps crue à l’abri du séisme général, finit par connaître ses premières difficultés à partir de 1931-1932 : le marasme commercial, les difficultés croissantes de l’industrie et les premiers retraits de capitaux ôtent alors aux Français toute illusion d’être « un îlot protégé au sein d’un monde en crise ».

Dans ce cataclysme généralisé, seule l’URSS se démarque : depuis 1928 elle s’est engagée dans son premier plan quinquennal dont l’objectif est de déclencher une croissance industrielle accélérée ; elle reste, logiquement d’ailleurs, en dehors de la crise qui balaie le capitalisme occidental.

A l’exception de l’URSS, les pays industrialisés sont interdépendants et la crise se propage inéluctablement d’un pays à l’autre. Pour ces pays toutefois, la crise n’est pas seulement une épidémie venue d’ailleurs : elle révèle également les faiblesses internes de chaque économie nationale. Aux Etats-Unis elle met en lumière les coûts de production élevés, l’excès de crédit et le vieillissement des structures de production ; en Allemagne, elle fait apparaître au grand jour la politique aventureuse menée par les banques ; en France enfin, elle démontre l’archaïsme des structures économiques et l’insuffisance de la demande interne. Ces spécificités nationales pèsent à la fois sur la nature et sur les formes prises par la crise dans chaque pays, ainsi que sur l’ampleur et la gravité de cette crise. On peut reprendre la formule d’Ernest Labrousse qui écrit dans l’Histoire économique et sociale du monde : « Les économies ont les crises de leurs structures ».

Repères bibliographiques : -B. GAZIER, La crise de 1929, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1995.

-F. COCHET, La grande crise 1929-1939, Paris, Dunod, 1998.

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12. Le New deal (1933-1938) Quand Franklin D. Roosevelt prend ses fonctions en mars 1933 (il a été élu au mois de novembre 1932), les Etats-Unis touchent véritablement le fond de la récession économique : le PNB américain a chuté de moitié depuis 1929, les prix de gros ont diminué de 42%, la moitié des banques ont fait faillite et le chômage touche entre un cinquième et un quart de la population active. La situation du pays est catastrophique : si l’image des hommes d’affaires ruinés se suicidant par centaines est bien connue, il faut évoquer aussi la surmortalité due à la malnutrition – qui frappe d’autant plus douloureusement la population américaine que tout le monde avait cru, jusqu’à la fin des années 1920, à une ère durable de prospérité, voire à la disparition définitive de la pauvreté. Avant même d’être élu à la présidence de la République à la fin de l’année 1932, Roosevelt avait proposé aux Américains, dans un discours du 2 juillet 1932 à la convention démocrate de Chicago, la mise en place d’un « New deal » (« nouvelle donne »), d’une nouvelle répartition des chances entre les catégories sociales, sans toutefois faire allusion à un programme précis. C’est à partir de mars 1933 que Roosevelt met en place un certain nombre d’expériences nouvelles destinées à relancer la machine économique américaine.

I. Les mesures du « New deal » Pour élaborer son programme de relance économique, Roosevelt s’entoure d’hommes nouveaux, hommes politiques mais aussi amis personnels et universitaires, qui vont former autour de lui un véritable « brain trust ». Ces conseillers toutefois ne sont pas d’accord entre eux sur les mesures à adopter : certains, les « planificateurs » (« planers »), estiment que des réformes structurelles sont indispensables ; les « conjoncturistes » au contraire (« spenders ») pensent que pour juguler la crise, il faut créer massivement du pouvoir d’achat pour permettre l’écoulement de la production (la crise de 1929 ayant rapidement débouché sur une crise de surproduction). Ces derniers préconisent en quelque sorte un « keynésianisme » avant la lettre (Roosevelt rencontrera Keynes en 1934 mais sera peu convaincu par ses théories : il se méfiait en particulier de la pratique du déficit budgétaire préconisée par Keynes ; d’autre part la Théorie générale de Keynes ne sera achevée qu’en 1936).

Les mesures finalement adoptées dans le cadre du New deal reposent sur un compromis entre « planers » et « spenders ». L’innovation principale réside dans l’engagement sans précédent de l’Etat fédéral américain dans la vie économique et sociale du pays, rompant ainsi brutalement avec le libéralisme à tout crin pratiqué par les présidents républicains dans les années 1920.

Les mesures d’urgence Ce qui semble le plus urgent, au mois de mars 1933, c’est de sauver les banques qui n’ont pas encore fait faillite, mais dont les guichets sont fermés depuis plusieurs mois dans la plupart des Etats. Au mois de juin 1933 est ainsi adopté le Banking Act : il renforce le contrôle des autorités fédérales sur les banques et instaure une distinction très nette entre les banques de dépôt spécialisées dans le crédit à court terme, et les banques d’affaires pour les

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prêts à long terme ; par ailleurs aucune banque ne peut plus prendre de participation directe dans les entreprises ; enfin les sommes déposées sont assurées contre le risque de faillite. Un an plus tard, en juin 1934, est créé un système de surveillance des transactions boursières qui limite les possibilités de spéculer à crédit.

Les mesures d’urgence concernent aussi la réduction du chômage, véritable fléau qui touche des millions d’Américains. Plusieurs administrations fédérales ouvrent des crédits pour l’emploi de chômeurs affectés à des travaux d’utilité publique, en général de grands travaux d’équipement. Elles emploieront dans les années 1930 jusqu’à 7 millions de personnes auxquelles elles permettent de subsister grâce à un salaire décent. L’exemple le plus célèbre de cette politique de grands travaux est celui de l’aménagement de la vallée du Tennessee : il s’agit d’un ambitieux programme de rénovation d’une zone rurale qui avait été particulièrement touchée par la crise.

Les tentatives de relance Sur les conseils des « spenders », Roosevelt essaie de susciter la hausse de la demande dans le but de relancer la consommation des ménages. En juin 1933 est créé le National Industrial Recovery Act (NIRA) qui s’efforce de réglementer la collaboration entre l’Etat et les entreprises en vue de la lutte contre la crise. Concrètement, le NIRA prévoit, dans chaque branche d’activités, des conventions collectives instaurant un salaire horaire minimum (en vue de soutenir le pouvoir d’achat des ouvriers) et abaissant la durée du travail (de 35 à 40 heures selon les branches d’activité). Des codes de concurrence loyale sont proposés aux entreprises appartenant à une même branche d’activités, dans le but d’harmoniser les conditions de production. Il s’agit ainsi d’une mise entre parenthèses de la politique anti-trust traditionnellement pratiquée par les Américains. On assiste au contraire à une sorte de cartellisation corporatiste de l’industrie américaine, l’Etat accordant par ailleurs un certain nombre d’avantages aux entreprises qui acceptent de signer les codes de concurrence : soutien financier et signalisation officielle des produits de ces entreprises au public américain (par un aigle bleu reproduit sur ces produits avec la mention « We do our part » c’est-à-dire « Nous y mettons du nôtre »).

La politique agricole du New deal cherche de même à restituer aux fermiers, très touchés par la crise, un niveau de vie décent. En mai 1933 a été adopté l’Agricultural Adjustment Act qui incite les agriculteurs à réduire leur production pour créer une pénurie et provoquer ainsi la remontée des cours des produits agricoles ; dans un premier temps, on indemnise les fermiers qui détruisent leurs stocks existants, puis on octroie des primes à ceux qui s’engagent à diminuer effectivement leur production. Cette mesure a été critiquée car il était choquant de réduire la production agricole alors même que des gens étaient en train de mourir de faim ; d’autre part la hausse des prix agricoles provoquée par les mesures du New deal a pesé encore plus sur les consommateurs et n’a que très inégalement profité aux fermiers.

Toujours pour essayer de provoquer la relance, le gouvernement américain officialise la dévaluation du dollar en janvier 1934 (après plusieurs mois de flottement contrôlé). La dévaluation de 41% avait pour but de provoquer une inflation de relance permettant un allègement de l’endettement (notamment l’endettement des fermiers) et de favoriser les exportations de produits américains sur les marchés étrangers.

Les réformes structurelles Sont adoptées enfin un certain nombre de réformes de structure, suggérées cette fois par les « planers ». Le gouvernement américain abandonne officiellement le libéralisme. Dès 1935 est mise en place une nouvelle orientation sociale qui annonce l’Etat-providence de l’après-guerre : l’Etat se préoccupe désormais, ce qui est nouveau, du bien-être de ses citoyens. En 1935, une nouvelle série de mesures vient prolonger et préciser celles qui avaient été

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adoptées en 1933 : la Securities and Exchange Commission surveille la Bourse, tandis que le Système de Réserve fédéral reçoit des pouvoirs de contrôle accru sur les grandes banques, et sur les principales compagnies qui gèrent la distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité.

La politique de lutte contre le chômage devient encore plus active avec la création de la Work Progress Administration dotée de 5 milliards de dollars par l’Etat fédéral, tandis que National Youth Administration emploie à des tâches intellectuelles près de 750.000 étudiants sans travail. En tout l’Etat va employer ainsi 10 millions de chômeurs, désormais rémunérés pour un travail et non plus assistés par la charité de l’Etat. Le Wagner Act de 1935 reconnaît le droit syndical dans les entreprises. Enfin le Social Security Act (1935) institue un système d’assurance contre le chômage, la vieillesse et l’invalidité. C’est la première fois aux Etats-Unis que les droits sociaux des individus sont reconnus.

II. Bilan du New deal

Des résultats économiques inégaux Malgré tous les efforts engagés par le gouvernement fédéral américain, la politique du New deal n’a pas complètement sorti les Etats-Unis de la crise. Les résultats économiques sont en effet très inégaux : au point de vue quantitatif, il faut parler de stabilisation plus que de croissance, et le revenu national en 1939 n’a pas encore retrouvé son niveau de 1929. La surproduction agricole n’a pas disparu, malgré les efforts du gouvernement. De plus, l’économie américaine de la deuxième moitié des années 1930 est encore très fragile, reposant essentiellement sur le soutien du gouvernement. A l’été 1937, les indicateurs économiques semblent se mettre au vert ; redoutant l’inflation et souhaitant rétablir l’équilibre budgétaire, le gouvernement américain retire brutalement son soutien à l’économie américaine. Aussitôt, la production s’affaisse et le chômage remonte en quelques semaines de 13,8 à 18,7% des actifs. Cet épisode montre bien qu’en 1937 l’économie américaine n’a pas encore retrouvé une croissance autonome et que sa reprise repose encore essentiellement sur le soutien de l’Etat.

Dans la mise en application de sa politique, Roosevelt s’est d’autre part heurté à un certain nombre d’oppositions, et notamment celle de la Cour suprême : nommés dans les années 1920 et attachés au libéralisme, les juges de la Cour suprême estiment en effet qu’à travers le New deal l’Etat fédéral a outrepassé ses droits en matière de réglementation. En mai 1935 la cour suprême invalide ainsi les dispositions du NIRA, puis en janvier 1936 celles de l’AAA.

Cependant tout n’est pas négatif et le New deal a apporté à l’économie américaine d’incontestables progrès qualitatifs. La politique de grands travaux engagée dès 1933 a permis d’améliorer de façon considérable l’infrastructure du pays : le réseau routier a été modernisé, les campagnes ont été électrifiés, les ports équipés. La répartition de la population active entre les différents secteurs d’activité montre que le primaire a eu tendance à reculer au profit du secteur tertiaire, ce qui s’explique en grande partie par l’augmentation du nombre de fonctionnaires (qui passent de 600.000 à 950.000 en sept ans, entre 1933 et 1940), ce qui témoigne à nouveau de l’engagement de l’Etat dans la lutte contre le chômage.

Une société remodelée Le New deal a suscité des réactions contrastées au sein de la société américaine. De façon générale, le grand patronat américain n’a que très peu adhéré au New deal, essentiellement par hostilité à l’interventionnisme de l’Etat qui apparaît contraire à la tradition libérale américaine. Ainsi ce sont seulement 17% des entreprises américaines qui ont adhéré aux codes de concurrence prévus par le NIRA.

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Grâce au New deal, les syndicats sont devenus les partenaires obligés du patronat, situation tout à fait inédite aux Etats-Unis. Le Big Labour fait désormais jeu égal avec le Big Business. A partir de 1935, on assiste à une forte hausse des effectifs syndicaux ; en 1936, le Congress of Industrial Organization (CIO), créé par John Lewis, se détache de l’American Federation of Labour, syndicat jusque-là tout puissant. A la différence de sa rivale où l’élite ouvrière est regroupée sur la base des métiers, le CIO recrute chez les travailleurs les moins qualifiés de la grande industrie et n’exclut pas le recours à la grève et à l’occupation d’usines. Les actions syndicales parfois violentes effraient les classes moyennes qui sont par ailleurs hostiles à l’abandon par Roosevelt de certains dogmes progressistes, comme la législation anti-trust. Le mécontentement des classes moyennes est récupéré par un certain nombre de politiciens démagogues qui promettent à tous le bien-être matériel au cas où ils seraient élus (ex. : le gouverneur de Louisiane Huey Long, ou encore en Californie le Dr Townsend qui préconise le versement d’une pension aux personnes âgées en démontrant que le New deal ne s’intéresse qu’aux jeunes et aux chômeurs).

Malgré les hostilités auxquelles il s’est heurté, le New deal a eu toutefois le mérite de réintégrer dans la communauté nationale certains des laissés-pour-compte de la prospérité des années 1920, notamment les fermiers qui étaient restés à l’écart de la croissance économique. Pourtant, toutes les catégories défavorisées n’ont pas vu leur sort s’améliorer à la faveur du New deal. Les minorités ethniques notamment ont dû se contenter de mesures symboliques : les membres de la Communauté noire, qui sont encore souvent métayers dans les Etats du Sud ou bien domestiques en ville, ne bénéficient pas de l’AAA (qui concerne les fermiers, pas les métayers), ni du Social Security Act réservé aux salariés de l’industrie et du commerce.

Un pouvoir présidentiel renforcé Un des principaux résultats du New deal est d’avoir renforcé le pouvoir du président des Etats-Unis. La constitution américaine de 1787 prévoyait l’équilibre du pouvoir entre le président et le Congrès : à cette disposition constitutionnelle, le New deal a substitué l’omnipotence présidentielle. Roosevelt en effet a très souvent agi en court-circuitant à la fois le Congrès (pourtant dominé par les démocrates) et les partis. Il a instauré de nouvelles relations, plus directes, entre le président et la population américaine, notamment grâce à une utilisation particulièrement habile de la radio que lui ont d’ailleurs reprochée beaucoup de ses adversaires : dans ses « conversations au coin du feu », Roosevelt donnait l’impression aux Américains de participer directement à l’action présidentielle. Roosevelt bénéficiait ainsi d’une immense popularité à travers le pays, qui explique qu’il ait été réélu à trois reprises (1936, 1940, 1944).

Les oppositions rencontrées par Roosevelt se sont atténuées avec le temps. Dans la deuxième moitié des années 1930, les juges de la Cour suprême, qui avaient été nommés dans les années 1920, ont été remplacés par des juges moins conservateurs et plus favorables au New deal. Quant aux Etats eux-mêmes, ils sont gouvernés par des politiciens sans envergure qui ne sauraient faire de l’ombre à la personnalité charismatique de Roosevelt.

Les Etats-Unis sortent du New deal sinon révolutionnés, du moins profondément transformés. A leur prospérité triomphante mais fragile des années 1920 a succédé une vaste régénération qui leur permet de retrouver confiance et optimisme à la veille des nouvelles épreuves qu’ils devront affronter dans les années 1940.

Repères bibliographiques : -D. ARTAUD, L’Amérique en crise, Paris, A. Colin, 1997.

-A. KASPI, Les Américains, tome 1 : Naissance et essor des Etats-Unis 1607-1945, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 2002.

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13. Le Royaume-Uni dans les années 1930 La crise économique venue des Etats-Unis touche le Royaume-Uni dès le printemps de l’année 1930. La crise va d’abord accentuer les difficultés économiques que connaissait déjà le pays dans les années 1920. Pourtant, paradoxalement, le Royaume-Uni va connaître dans les années 1930 un certain redressement économique qui le met presque totalement à l’abri des troubles politiques et sociaux qui affectent la plupart des pays de l’Europe continentale à la même époque.

I. La nouvelle politique économique

Les mesures Lors des élections législatives d’octobre 1931, travaillistes et libéraux sont battus. Les conservateurs victorieux mettent en place un gouvernement d’Union nationale qui, en quelques mois, va rompre avec les principes du libéralisme économique qui gouvernaient l’économie britannique depuis le milieu du XIXe siècle (comme aux Etats-Unis, la crise rend nécessaire l’interventionnisme étatique).

Au plan monétaire, l’étalon-or est abandonné en septembre 1931. C’est l’échec de la politique de la livre forte instaurée par Churchill en 1925. En 1932, la livre est stabilisée à 30% au-dessous de son ancienne valeur. Ces mesures contribuent à rétablir la confiance dans la monnaie anglaise : les capitaux et l’or affluent de nouveau en Angleterre. Pourtant, bien que les produits britanniques soient désormais moins chers, la dévaluation de la livre n’entraîne pas une augmentation des exportations. Cela s’explique essentiellement par le fait que les pays économiquement liés à la Grande-Bretagne (tout l’Empire colonial sauf la Canada, les pays scandinaves, le Japon, l’Argentine…) procèdent eux aussi à des dévaluations de leur monnaie qui annulent la dévaluation anglaise. D’autres pays, par exemple la France, élèvent leurs barrières douanières en surtaxant les marchandises britanniques. La seule solution semble résider dans l’abandon du libre-échange qui était jusque-là la politique traditionnelle du gouvernement britannique. En Angleterre, les milieux d’affaires sont favorables à l’adoption du protectionnisme, progressivement réalisée par une série de mesures entre novembre 1931 et avril 1932. La plupart des produits importés en Grande-Bretagne sont frappés de taxes allant de 10 à 33%. Ces mesures toutefois ne concernent pas les pays du Commonwealth. En août 1932 sont signés les accords d’Ottawa qui instaurent entre les signataires un système de « préférence impériale » : ces pays s’engagent à réduire leurs droits de douane respectifs par rapport aux autres pays.

L’abandon de la doctrine libérale se marque aussi au plan intérieur. Bien que dominé par les conservateurs traditionnellement attachés au libéralisme, le gouvernement d’Union nationale intervient directement dans la vie économique du pays. Il essaie de relancer l’activité industrielle en baissant les taux d’intérêt ; il favorise la concentration d’entreprises minières et sidérurgiques, subventionne certains secteurs agricoles (des subventions sont notamment accordées aux producteurs de blé et de betterave à sucre ainsi qu’aux éleveurs), stimule la construction de logements et inaugure en 1934 une politique de « grands travaux » sur le modèle américain : il s’agit d’aménager un certain nombre de « depressed areas » (« régions déprimées ») en employant des chômeurs à leur remise en valeur. Pour inciter la population à acheter des produits britanniques (le but étant de diminuer les importations pour restreindre

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le déficit de la balance commerciale), le gouvernement lance une véritable campagne de propagande sur le thème « Achetez Britannique » (« Buy British »).

Toutes ces mesures se traduisent par un léger redressement économique.

Un léger redressement économique Dans l’ensemble, on peut dire que le Royaume-Uni a mieux supporté le choc de la crise économique que les autres pays occidentaux, mieux en particulier que les Etats-Unis, l’Allemagne ou la France. L’économie britannique a été touchée moins gravement et moins durablement que celle de ces derniers pays, et commence même à connaître des signes de redressement dès l’année 1932. Si quelques points noirs persistent, la reprise se manifeste dans la plupart des domaines.

Dans le domaine agricole, le redressement des barrières douanières et l’interventionnisme gouvernemental ont pour effet une augmentation de la production agricole, qui en 1938 a progressé de près d’un quart par rapport à son niveau de 1914.

La production industrielle de 1938 dépasse de 30% celle de 1929, mais dans ce domaine les disparités sont très importantes selon les secteurs et selon les régions. De façon générale, les industries traditionnelles qui étaient déjà en crise dans les années 1920 continuent à connaître des difficultés : il s’agit des charbonnages, de l’industrie textile, des chantiers navals. Le seul secteur traditionnel qui conserve un certain dynamisme est celui de la sidérurgie, restructurée en 1932, qui bénéficie d’une forte demande intérieure en particulier à partir de 1936 avec la politique de réarmement. Les industries plus modernes sont également dynamiques (chimie, construction électrique, automobile) : la production automobile en particulier est multipliée par deux entre 1929 et 1938, passant de 250.000 à 500.000 voitures annuelles.

A cette différence entre secteurs industriels (certains étant plus dynamiques que d’autres) s’ajoute une différence régionale : les vieux « pays noirs » du nord de l’Angleterre continuent à décliner au profit de l’Angleterre du Sud-Est.

C’est dans le domaine des échanges extérieurs que la situation reste finalement la moins favorable. Protectionnisme et dévaluation de la livre n’ont pas donné les résultats escomptés : les importations ont effectivement chuté sous l’effet des mesures protectionnistes et de l’incitation à « acheter anglais », mais les exportations ont continué à stagner ; en 1939, le volume du commerce extérieur n’est plus que la moitié de ce qu’il était en 1929. Les accords d’Ottawa n’ont fait que légèrement progresser les échanges entre le Royaume-Uni et les pays du Commonwealth. Dans les années 1930, le marché intérieur reste donc le principal débouché pour les produits britanniques.

II. Une société britannique relativement épargnée Le fait que la crise ait été moins virulente qu’ailleurs a épargné au Royaume-Uni les graves crises sociales qu’ont pu connaître d’autres pays.

Des inégalités sociales acceptées Les inégalités sociales existent plus que jamais dans l’Angleterre des années 1930. Ce sont toujours les mêmes critères qui fondent les distinctions entre les classes sociales : la

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naissance, la fortune, l’éducation et les relations. En 1924-1930, 1% des contribuables possédaient 59,5% de la richesse nationale ; ils en possèdent encore 56% en 1936.

Pourtant, les mesures de lutte contre la crise ont entraîné une hausse générale du niveau de vie. Même au sein des classes populaires, la poursuite du bonheur matériel semble moins inaccessible qu’auparavant. On assiste à un appétit général de consommation et une course aux loisirs : vingt millions de personnes vont au cinéma chaque semaine, quinze millions de personnes prennent des vacances chaque année. La lecture progresse également dans les milieux populaires avec la création des livres de poche « Penguin » en 1935. La construction d’un million de logements entre 1930 et 1934 permet à des millions d’ouvriers qui vivaient dans des taudis d’être relogés décemment.

Dans ce contexte général de hausse du niveau de vie et de développement de la société de consommation, très peu de Britanniques remettent en cause la hiérarchie sociale traditionnelle. Un certain consensus social règne en Grande-Bretagne, qui fait que la société anglaise n’est que peu touchée par les remises en cause qui affectent à la même époque les autres pays européens. Il y a eu pourtant en Grande-Bretagne une tentative de parti fasciste dans les années 1930, mais elle n’a jamais rencontré une grande audience.

L’échec des tentations autoritaires Membre du parti travailliste, Oswald Mosley est favorable à une vigoureuse intervention de l’Etat dans la vie économique pour relancer la production et assurer le plein emploi. En désaccord sur ce point avec la ligne générale du parti travailliste, il rompt avec celui-ci et fonde en 1931 le « New Party » qui s’oriente rapidement vers le fascisme. Un voyage en Italie au début de l’année 1932 conduit Mosley à rebaptiser son organisation qui devient le BUF (British Union of fascists = Union britannique des fascistes). Le programme du BUF préconise la mise en place d’un Etat corporatiste sur le modèle italien, fondé sur l’union de tous les citoyens, toutes classes sociales confondues. Le BUF possède son propre service d’ordre, les « chemises noires », inspiré lui aussi de l’exemple italien, et qui se livre à des actions violentes. Pendant quelque temps, le BUF, qui professe une idéologie de plus en plus raciste et antisémite, reçoit le soutien de quelques riches patrons de presse (ex. : Lord Rothermere, patron du Daily Mail). Mais même à son apogée au milieu des années 1930, le BUF ne compte qu’une vingtaine de milliers d’adhérents, recrutés essentiellement dans la classe moyenne. Les méthodes violentes des « chemises noires » britanniques les discréditent très vite dans l’opinion.

Le Royaume-Uni a donc plutôt bien survécu à la crise des années 1930. A partir de 1936, ce sont les questions de politique étrangère qui occupent la première place dans les débats, au sein des partis politiques comme dans l’opinion publique. Avant 1936, les dirigeants britanniques avaient eu tendance à accorder peu de crédits aux dépenses militaires, par pacifisme (comme en France) et par souci d’économie budgétaire. Les Britanniques continuent à avoir confiance dans la sécurité collective qui est censée être garantie par la SDN. Malgré l’aggravation de la situation internationale et les cris d’alarme lancés par Winston Churchill dès 1933, les dirigeants britanniques ne lancent une politique de réarmement concertée qu’à partir de 1936. En parallèle toutefois, Neville Chamberlain (Premier ministre à partir de 1937) continue de mettre en œuvre une politique d’apaisement à tout prix, en choisissant de négocier avec les dictatures plutôt que de les affronter par les armes. L’échec de cette politique est patent dès la crise de Munich en 1938, et le Royaume-Uni rentrera en guerre dès l’année suivante.

Repères bibliographiques -M. TACEL, Le Royaume-Uni (1867-1980), Paris, Masson, coll. « Un siècle d’histoire », 1981.

-R. MARX, Histoire de l’Angleterre, Paris, Fayard, 1993.

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-R. MARX, L’Angleterre de 1914 à 1945, Paris, A. Colin, 1998.

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14. L’Italie fasciste dans les années 1930 Au début des années 1930, l’Italie doit affronter elle aussi les conséquences de la crise économique de 1929. Mussolini va choisir la voie de l’autarcie, amenant l’Italie à se refermer totalement sur elle-même. En matière de politique extérieure, Mussolini se veut jusqu’en 1936 l’intermédiaire obligé entre l’Allemagne nazie d’un côté, le camp des démocraties (France et Grande-Bretagne) de l’autre. A partir de 1933, le Duce met en œuvre une sorte de chantage diplomatique à l’égard de la France et de la Grande-Bretagne : il promet de les aider à lutter contre la menace nazie, mais exige en échange un certain nombre de compensations, notamment la reconnaissance de la politique de conquête qu’il mène à partir de 1935-36. Or cette politique expansionniste va amener une rupture de l’Italie avec les démocraties.

I. Economie et société dans l’Italie fasciste

Le choix de l’autarcie Avant même le début de la crise économique des années 1930, les exportations italiennes souffraient du niveau trop élevé de la lire qui créait une disparité entre les prix des produits italiens et les prix des produits étrangers : l’Italie avait donc déjà du mal à exporter. La crise mondiale aggrave cette situation et provoque d’autre part une diminution de la production industrielle de 30% environ, diminution qui s’accompagne d’une forte hausse du chômage : on compte 1 million de chômeurs en Italie dès 1932. Pour lutter contre ces difficultés économiques, Mussolini choisit d’engager l’Italie dans la voie de l’autarcie, c’est-à-dire de la couper totalement du monde extérieur : l’Etat fasciste instaure un contrôle des changes et surtout des droits de douane tout à fait prohibitifs sur tous les produits étrangers non vitaux. Dans un second temps, l’Etat renforce son contrôle sur l’économie du pays, avec l’accord des milieux d’affaires. Cela se traduit notamment par la création en 1933 de l’Institut pour la reconstruction industrielle (IRI), dont le rôle est de fournir aux entreprises italiennes les liquidités nécessaires à la reprise de leurs activités. L’IRI va se trouver amené à racheter une partie importante des actions de ces entreprises, ce qui conduit à la création de véritables holdings d’Etat, c’est-à-dire de grosses entreprises très concentrées dont l’Etat détient l’essentiel du capital. Il y a donc un renforcement de la concentration capitaliste en Italie à la faveur de la crise économique des années 1930.

L’année 1936 marque un nouveau tournant et confirme plus que jamais le choix de l’autarcie. En 1936 en effet, comme on le verra en détail un peu plus loin, le camp des démocraties met l’Italie en quarantaine à la suite de l’invasion de l’Ethiopie par les troupes italiennes. Dans un discours du 23 mars 1936, Mussolini estime que la guerre est dormais inéluctable pour l’Italie : il s’agit de la préparer par une véritable mobilisation de l’économie, qui doit se mettre au service du conflit futur. L’effort est engagé notamment pour permettre à l’Italie d’être autosuffisante en ce qui concerne ses besoins en carburant (la plaine du Pô, dans le Nord du pays, est ainsi sondée pour y découvrir des gisements de pétrole et de gaz). L’Etat encourage aussi le développement d’industries qui permettront à l’Italie de réduire voire de supprimer ses importations : textiles artificiels, industrie de la cellulose (substance utilisée pour la fabrication du papier, de tissu mais aussi d’explosifs). Les résultats sont spectaculaires dans certains domaines, celui de l’hydroélectricité notamment, ou encore en ce qui concerne l’industrie de l’aluminium, les constructions navales et aéronautiques. Mais les domaines privilégiés concernent quasi-exclusivement la préparation de la guerre. D’autres secteurs sont négligés, comme par exemple celui des biens d’équipement.

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En 1939, l’économie italienne apparaît effectivement comme une économie déséquilibrée, tout entière orientée vers la préparation de la guerre.

Une société remodelée ? Mussolini rêvait d’une Italie de 60 millions d’habitants, dont il aurait fait l’instrument de sa politique d’expansion. Le régime fasciste décourage l’émigration et instaure des mesures natalistes destinées à encourager la natalité, soutenu en cela par l’Eglise catholique : les familles nombreuses reçoivent primes et allocations, tandis qu’une lourde fiscalité pèse sur les célibataires sans enfants. En moins d’une vingtaine d’années, du début des années 1920 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la population italienne est ainsi passée de 38 millions à 45 millions d’habitants.

Toutes les classes sociales n’ont pas profité du fascisme de la même façon. Les classes dirigeantes ont évidemment perdu certaines de leurs prérogatives politiques, le pouvoir étant désormais concentré aux mains d’un parti unique, et les anciens partis conservateurs ayant disparu. Au point de vue économique en revanche, la bourgeoisie a plutôt été bénéficiaire. Le corporatisme mis en place dès les années 1920 a surtout profité en effet aux chefs d’entreprise, qui ont utilisé le système des corporations pour imposer leurs lois aux salariés.

Les classes moyennes n’ont pas réellement tiré profit de la période fasciste. Celles qui ont amorcé un début d’ascension sociale sont celles qui ont adhéré au parti fasciste ou ont su tirer profit des possibilités de promotion offertes par les différentes organisations fascistes.

Les classes populaires quant à elle ont vu globalement leur sort s’améliorer, grâce aux progrès de l’industrie dans les années 1930 et à la mise en place d’une législation sociale, même si dans le cadre du corporatisme elles restent strictement soumises au pouvoir des chefs d’entreprises.

II. L’expansionnisme fasciste

Les conquêtes italiennes des années 1930 L’Italie s’est lancé plus tard que tous les autres pays dans la conquête coloniale. Une première pénétration en Ethiopie à la fin du XIXe siècle s’est soldée par une défaite cuisante pour les Italiens en 1896 (défaite d’Adoua en mars 1896). Dans les années 1930, Mussolini reprend ce vieux rêve de conquête : il souhaite mettre en place des colonies italiennes de peuplement ; il veut aussi que l’Italie joue un rôle prépondérant en Méditerranée dont il veut faire, comme au temps des Romains, sa « Mare nostrum » ; enfin Mussolini considère que les régions danubiennes sont un peu l’Hinterland européen de l’Italie : d’où son attachement à l’indépendance de l’Autriche.

Ces différentes velléités de Mussolini vont l’amener à se heurter d’une part à la France et à la Grande-Bretagne, qui sont intéressées elles aussi par la maîtrise de la Méditerranée et s’inquiètent par ailleurs des visées coloniales de Mussolini qui pourraient menacer leurs propres empires coloniaux. D’autre part l’attachement à l’indépendance de l’Autriche provoque dans un premier temps des frictions avec Hitler. En 1934, ce dernier s’est livré à une première tentative d’Anschluss qui a échoué (L’Italie a envoyé trois divisions sur le col du Brenner, à la frontière italo-autrichienne). Mussolini est furieux et cette tentative hitlérienne d’annexion de l’Autriche provoque un rapprochement entre la France, la Grande-Bretagne et l’Italie. En septembre 1934, les trois pays font d’ailleurs une déclaration commune sur le maintien nécessaire de l’indépendance autrichienne. Au ministère français des Affaires étrangères, Pierre Laval poursuit à partir de 1935 la politique de rapprochement avec l’Italie inaugurée par son prédécesseur Louis Barthou. Au mois d’avril 1935 est signé l’accord de Stresa entre l’Italie, la France et la Grande-Bretagne : les trois pays dénoncent la violation du

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traité de Versailles dont Hitler s’est rendu coupable en mars 1935 en rétablissant le service militaire en Allemagne. Cet accord de Stresa est toutefois très fragile. La Grande-Bretagne le rend caduc dès le mois de juin 1935 en signant un accord naval avec l’Allemagne. Les Britanniques en effet se méfient autant de la France que de l’Italie et ne veulent pas se couper de l’Allemagne. Côté italien, Mussolini souhaitait surtout à neutraliser la France et la Grande-Bretagne dans la perspective d’une future agression contre l’Ethiopie. C’est précisément la question éthiopienne qui va amener Mussolini à rompre avec les démocraties.

Depuis 1933, le Duce songe à s’emparer de l’Ethiopie, dernier Etat indépendant du continent africain. Bien que l’Ethiopie soit membre de la SDN, Mussolini ne redoute guère la réaction des démocraties en cas d’invasion de ce pays par l’Italie : il sait qu’en France Laval lui est plutôt favorable, et il compte sur le pacifisme de la Grande-Bretagne. Le 3 octobre 1935, les troupes italiennes attaquent donc l’Ethiopie. Les combats durent jusqu’au mois de mai 1936 : le 9 mai 1936, l’Italie annexe officiellement l’Ethiopie.

Dès le mois d’octobre 1935, la SDN a adopté des sanctions financières et économiques contre l’Italie, surtout sur l’initiative de l’Angleterre qui redoute la présence italienne en Ethiopie alors qu’elle-même est présente dans la région (au Soudan et au Kenya notamment). Mais Laval est toujours favorable au rapprochement avec l’Italie (par anticommunisme essentiellement) et manœuvre pour que les sanctions soient adoucies. Il est trop tard toutefois pour se concilier Mussolini : furieux des sanctions qui ont été prononcées contre lui par les démocraties, le Duce dénonce les accords de Stresa le 28 décembre 1935 et amorce son rapprochement avec l’Allemagne, Hitler ayant été le seul à approuver sans réserve la conquête italienne de l’Ethiopie.

Le rapprochement avec l’Allemagne Deux éléments expliquent le rapprochement italo-allemand à partir de 1936 : d’une part, le soutien d’Hitler à Mussolini lors de l’affaire éthiopienne, comme on vient de le voir ; mais aussi, à partir de juillet 1936, le combat commun de l’Italie et de l’Allemagne aux côtés des franquistes dans la guerre civile espagnole. Mussolini envoie à Franco 40.000 « chemises noires » ; Hitler délègue quelques milliers d’hommes seulement, mais ce sont des spécialistes, pilotes de chars et d’avions, qui viennent en Espagne avec du matériel militaire allemand dont Hitler veut tester l’efficacité. On peut dire que la solidarité italo-allemande s’est forgée sur le terrain espagnol. Elle va se concrétiser en octobre 1936, sous l’influence du gendre de Mussolini, le comte Ciano, par la signature d’un traité d’amitié assez vague mais qui est un premier pas vers un rapprochement plus concret : « l’Axe Rome-Berlin » (expression employée par Mussolini dans un discours prononcé à Milan le 1er novembre 1936, au lendemain de la signature du traité d’amitié entre l’Italie et l’Allemagne). Le 25 novembre 1936 est d’autre part signé à Berlin, entre l’Allemagne et le Japon, le pacte anti-Komintern, dirigé contre l’URSS, auquel l’Italie adhère un an plus tard, le 25 novembre 1937. Enfin Mussolini finit en 1939 par accepter l’idée d’une alliance militaire entre les deux dictatures : le 22 mai 1939, Ciano pour l’Italie et Ribbentrop pour l’Allemagne signent le Pacte d’Acier, alliance de caractère offensif qui engage les deux pays en cas de conflit.

On peut conclure en s’intéressant à l’influence du fascisme hors d’Italie pendant la période de l’entre-deux-guerres. Bien que Mussolini ait longtemps affirmé que le fascisme n’était pas « un article d’exportation », le régime fasciste italien n’en a pas moins subventionné, à partir de la fin des années 1920, certaines organisations étrangères proches de l’idéologie fasciste (il a par exemple financé la Heimwehr du prince Starhemberg en Autriche, ce qui lui permettait d’avoir une antenne à l’intérieur du pays). A partir de 1933 cette aide apportée aux mouvements « fascistes » étrangers devient plus importante. Le Duce souhaite d’une part entretenir une agitation déstabilisatrice dans certains pays frontaliers de l’Italie (par exemple en finançant les Oustachis en Yougoslavie), d’autre part disposer de clientèles locales favorables à sa politique (ex. : dans la France des années 1930). Son action prend différentes formes. D’abord des subventions allouées par l’Italie (par le ministère de la « Culture populaire » – Minculpop – ou par le ministère des Affaires étrangères) à des organes de

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presse étrangers, à des hommes politiques ou leaders de mouvements fascisants (l’Italie mussolinienne finance par exemple le BUF (British Union of Facists) du Britannique Mosley ou le Franquisme du Français Marcel Bucard). D’autre part, en 1934 est mis en place un embryon d’Internationale fasciste, constitué autour du général Coselschi et de ses « comités d’action pour l’universalité de Rome » (un congrès des organisations pro-mussoliniennes se tient à Montreux, en Suisse, au mois de décembre 1934).

Dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, la crise des années 1930 a effectivement affûté les tensions sociales et favorisé le développement de mouvements pro-fascistes. Le plus souvent cependant, ces partis fascistes n’ont pas réussi à prendre le pouvoir : pour les contrer en effet se sont mis en place des régimes d’exception contrôlés par les classes dirigeantes. (ex. : Lituanie, Lettonie, Pologne, Hongrie). En Bulgarie, le général Georgieff dissout en 1934 les partis traditionnels et ceux d’extrême droite, et établit une dictature monarcho-militaire ; même chose en Grèce en 1936 avec le général Métaxas. A partir de 1934, l’Autriche devient à son tour un Etat réactionnaire et traditionaliste dirigé par le chancelier Dollfuss ; en 1936 son successeur Schuschnigg élimine la Heimwehr fasciste sur laquelle le régime s’était d’abord appuyé. En Roumanie, c’est le roi Carol qui, devant la poussée fasciste de la Garde de fer, a recours en 1938 à un coup de force suivi de la dissolution de tous les partis politiques et de l’assassinat du leader du parti fasciste.

Partout ou presque le scénario est donc le même : le bloc dirigeant traditionnel (c’est-à-dire la bourgeoisie et/ou les grands propriétaires) réussit à maintenir voire à renforcer sa domination d’abord en utilisant les mouvements fascistes pour briser les forces prolétariennes, puis en éliminant à leur tour les fascistes par la mise en place d’un Etat autoritaire qui adopte d’ailleurs en partie les méthodes de gouvernement prônées par les fascistes.

On peut terminer ce tour d’horizon en évoquant le cas particulier de l’Espagne franquiste. Depuis 1933 il existe en Espagne un parti fasciste, la Phalange, dirigé par Primo de Rivera. Pendant les trois années de la guerre civile, de 1936 à 1939, Franco utilise la Phalange pour rallier à lui les masses petites-bourgeoises qui adhèrent à l’idéologie fasciste. Mais à partir de 1939, une fois que Franco a définitivement conquis le pouvoir, le régime qu’il met en place ne correspond pas au programme de la Phalange : les phalangistes souhaitaient l’avènement d’un « ordre nouveau » sur le modèle fasciste ou nazi ; or Franco va plutôt tenter de faire revivre l’Espagne traditionnelle en fondant un Etat autoritaire dans lequel l’Eglise catholique occupe une place prépondérante.

Finalement, si les idées fascistes ont pu fasciner un grand nombre de contemporains au-delà des frontières italiennes, le fascisme en tant que tel ne s’est effectivement guère exporté hors d’Italie.

Repères bibliographiques : -P. MILZA, Les fascismes, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1991.

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15. Le nazisme Le 30 janvier 1933, le maréchal Hindenburg, président de la République de Weimar, appelle à la chancellerie l’ex-caporal autrichien Adolf Hitler. Pour ce dernier, c’est à la fois un aboutissement et un point de départ : aboutissement d’une tactique politique amorcée dès 1920 avec le noyautage d’un obscur groupuscule extrémiste, le D.A.P (Parti des travailleurs allemands) ; point de départ de la mise en place en Allemagne, tout au long des années 1930, d’un Etat totalitaire entièrement dominé par les nazis. Dans quel contexte s’est produite l’ascension d’Hitler vers le pouvoir ? Comment a-t-il mis au pas une Allemagne encore mal remise de la défaite de 1918 ? Ce sont les étapes de la nazification progressive de l’Allemagne que l’on s’efforcera de retracer ici.

I. Un contexte : crise de l’Etat et crise économique Deux phénomènes se conjuguent à la fin des années 1920 pour expliquer l’avènement du nazisme en Allemagne. Avant d’être économique, la crise que subit l’Allemagne est une crise de l’État.

La crise de l’Etat En 1925 a été élu à la présidence de la République le maréchal Hindenburg. C’est un homme très conservateur, représentant les Junkers et tous les nostalgiques du IIe Reich. Hindenburg lui-même est hostile à la République de Weimar, née d’une révolution socialiste et dominée depuis par les partis de la gauche et du centre. Or les élections législatives du mois de mai 1928 ont été l’occasion d’une poussée électorale de la gauche (le socialiste Hermann Müller devient chancelier) qui déplait profondément à tous les conservateurs. Le gouvernement mis en place par Müller est pourtant un gouvernement modéré, un gouvernement de « grande coalition » qui rassemble au-delà du seul parti socialiste puisque des centristes en font partie. Mais la droite allemande est profondément hostile à Müller et trouve une arme contre lui dans la signature en 1929 du plan américain Young. Ce plan, qui prévoit l’allègement et le rééchelonnement de la dette de guerre allemande, est a priori une grande victoire diplomatique de l’Allemagne et de son ministre des Affaires étrangères Stresemann. Cependant les nationalistes allemands en général, et les nazis en particulier, déclenchent une violente campagne contre le plan Young au cours de l’été 1929 : en effet, ils sont hostiles au principe même des réparations et voudraient obtenir l’annulation pure et simple de toutes les dispositions du traité de Versailles. Le chef du DNVP (Parti populaire national allemand), Hugenberg, finance pendant l’été 1929 une série de meetings présidés par Hitler. C’est à cette occasion que ce dernier acquiert l’audience nationale qui lui faisait défaut jusque-là : désormais, dans toute l’Allemagne, le nom d’Hitler commence à être connu comme celui d’un nationaliste profondément hostile au « diktat » de Versailles.

La crise de l’Etat allemand commence véritablement en 1930, et elle est déclenchée par le maréchal Hindenburg lui-même : en mars 1930, il contraint Müller à la démission et le remplace par Heinrich Brüning, chef du centre catholique, un homme très conservateur qui forme un ministère très orienté à droite. Le problème est que la désignation de Brüning est contraire à la constitution, puisque son gouvernement ne possède aucune majorité au Reichstag. Brüning demande alors à Hindenburg de dissoudre le Reichstag (le président ayant

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d’après la constitution de Weimar le pouvoir de dissolution) et d’organiser de nouvelles élections dans l’espoir d’obtenir cette fois une majorité de droite. C’est ce que fait Hindenburg, et des élections législatives sont donc organisées au mois de septembre 1930. On a souvent dit qu’à cette occasion Brüning et Hindenburg avaient joué les apprentis sorciers : ils organisent en effet une consultation électorale à un moment où l’Allemagne commence à être touchée par la crise et où la situation économique est susceptible de favoriser la poussée des partis extrémistes.

La crise économique, amplificateur de la crise politique La prospérité de l’économie allemande reposait à la fin des années 1920 sur des bases très fragiles. Le pays était profondément endetté, notamment auprès des Etats-Unis, et l’accroissement constant de la production industrielle supposait un écoulement de produits allemands sur les marchés extérieurs, d’où une grande vulnérabilité de l’Allemagne en cas de contraction du commerce international. La crise économique naît en Allemagne du retrait brutal des capitaux américains investis dans le pays, après le krach boursier d’octobre 1929. La crise atteint l’Allemagne de plein fouet au mois de décembre 1930. L’influence de la crise américaine a en fait joué à plusieurs niveaux dans un pays dont l’économie était profondément dépendante de l’économie américaine. Le ralentissement des investissements américains en Allemagne s’est fait sentir dès 1928 (250 millions de dollars en 1928, 40 millions seulement en 1929). Ensuite, dès le début de l’année 1930, le recul du commerce extérieur américain amène la contraction des échanges internationaux, et les exportations allemandes sont durement touchées par ce rétrécissement du marché mondial (entre 1929 et 1932, les exportations allemandes reculent de 25% en volume et de 52% en valeur, car la crise s’accompagne d’une forte baisse des prix mondiaux). La conséquence pour l’Allemagne est la diminution rapide de sa production industrielle (qui baisse de 20% entre février 1929 et février 1931). De nombreuses entreprises font faillite. Au mois de décembre 1931, on compte en Allemagne six millions de chômeurs à 100%, auxquels s’ajoutent 8 millions de chômeurs partiels. Dès septembre 1930, la crise a effectivement provoqué une poussée des partis extrémistes au Reichstag. Le parti d’Hitler, le NSDAP, qui après un pic à 6,6% en mai 1924 n’avait jamais dépassé la barre des 3% lors des scrutins électoraux, obtient 18,3% des voix aux élections de septembre 1930. L’amplification de la crise dans les mois qui suivent, et l’échec de la politique mise en place par Brüning, vont encore renforcer l’audience électorale du parti nazi.

L’agonie du régime de Weimar Pour essayer d’enrayer la crise, Brüning pratique une sévère politique de déflation qui fait régner l’austérité (réduction du traitement des fonctionnaires, des allocations chômage et autres prestations sociales, augmentation des impôts indirects) : autant de mesures qui pèsent beaucoup plus lourdement sur la classe ouvrière et sur la classe moyenne que sur les possédants. La misère généralisée que connaît alors le pays explique pour une large part la radicalisation politique d’une large partie des classes populaires et des classes moyennes, celles justement qui sont le plus touchées par la crise économique : leur mécontentement va être récupéré et exploité par les partis extrémistes, et notamment le parti nazi. Contre la politique d’austérité menée par Brüning, les nationalistes du DNVP et les nazis forment en octobre 1931 un front commun, le « Front de Harzburg » qui rassemble entre autres les membres de certaines ligues d’extrême droite (celle par ex. du « Casque d’Acier »), les Sections d’Assaut (SA) du parti nazi, des anciens combattants et des militaires, des hommes d’affaires et des gros agrariens.

Au mois de mars 1932 ont lieu des élections présidentielles, lors desquelles Hitler se présente contre le maréchal Hindenburg. Hitler est battu au second tour mais il n’en a pas moins rassemblé sur son nom 13,4 millions de voix, c’est-à-dire le double de ce qu’avaient obtenu les nazis lors des législatives de septembre 1930. Ce sont désormais les nazis qui incarnent le mieux l’opposition à la République de Weimar. A la faveur de la crise économique, le parti

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nazi, qui était encore marginal en 1929, est devenu une force politique de premier plan. Ses adhérents (il en compte 200.000 dès 1930) et ses électeurs sont issus des catégories sociales les plus durement frappées par la crise : paysannerie, chômeurs et marginaux guettés par la misère, petite et moyenne bourgeoisie en voie de prolétarisation. S’y ajoute une grande partie de la jeunesse allemande séduite par la démagogie d’Hitler qui promet de rendre à l’Allemagne « sa place au soleil » perdue depuis l’humiliante défaite de 1918.

A partir des élections au Reichsrat d’avril 1932, qui voient les nazis arriver partout en tête sauf en Bavière, le problème de l’audience grandissante des nazis devient la préoccupation majeure des derniers dirigeants de la République de Weimar. En avril 1932, Brüning tente de dissoudre les SA et les SS, mais doit reculer face à la levée de boucliers des nazis et de l’armée qui les soutient. Affaibli et abandonné par les milieux d’affaires, Brüning est contraint de quitter la chancellerie au mois de mai 1932. Il est remplacé d’abord par Franz Von Papen jusqu’en novembre 1932, puis par le général Von Schleicher de décembre 1932 à janvier 1933. Ces deux hommes sont les derniers chanceliers de la République de Weimar. Tous les deux sont des aristocrates soutenus par les agrariens et les milieux d’affaires, mais ce sont des hommes qui n’ont pas de véritable poids politique et vont se révéler incapables de contenir l’irrésistible ascension d’Hitler vers le pouvoir.

II. L’arrivée d’Hitler au pouvoir et la mise au pas de l’Allemagne

L’arrivée au pouvoir d’Hitler Dans un premier temps, Von Papen essaie de désamorcer le Front de Harzburg en faisant des concessions à la fois aux conservateurs et aux nazis. Il obtient de Hindenburg la dissolution du Reichstag, annule l’interdiction des SA, met en place un plan d’aide à la grande industrie. Mais les élections législatives de juillet 1932 marquent un nouveau triomphe électoral du parti nazi, qui obtient 37,4% des suffrages, le plus gros score qu’il a jamais réalisé. Aussitôt après ces élections, les nazis réclament le pouvoir pour eux seuls et refusent d’entrer dans un nouveau cabinet Von Papen dans lequel ils devraient cohabiter avec d’autres formations politiques. Les SA se livrent à une agitation de rue et à des violences redoublées ; le pays est en état de guerre civile larvée. En réponse à la terreur entretenue par les nazis, Hindenburg dissout une nouvelle fois le Reichstag dans l’espoir de voir reculer le parti nazi. Le NSDAP accuse effectivement en léger recul lors des législatives du 6 novembre 1932, avec 33,1% des suffrages (les nazis ont perdu 2 millions de voix et une trentaine de sièges). Dans le même temps, la droite classique stagne alors que les communistes obtiennent 6 millions de voix et 100 sièges au Reichstag. Cette poussée « rouge » inquiète fortement les milieux d’affaires. Hindenburg remplace Von Papen par le général Von Schleicher. Ce dernier, en s’appuyant notamment sur l’armée et sur certains hommes politiques de la droite modérée, mais aussi sur les socialistes et les syndicats qu’il cherche à se concilier, voudrait mettre en place une dictature militaire et corporatiste au programme économique fortement anticapitaliste, ce qui n’est pas pour rassurer les milieux d’affaires. D’autre part, Von Schleicher doit compter avec le ressentiment de Von Papen, qui ne supporte pas d’avoir été évincé. Dans ce contexte de crise politique, économique et sociale, l’heure d’Hitler semble être venue.

Depuis le début de l’année 1932, Hitler s’est rapproché du grand patronat. Aux grands patrons de l’industrie allemande (Krupp, Thyssen…), Hitler a promis que s’il arrivait au pouvoir, il mettrait en place un gouvernement fort, capable de rétablir la paix sociale, d’écarter le danger communiste et de relancer l’économie. Au mois de novembre 1932, les grands patrons allemands adressent au président Hindenburg une lettre dans laquelle ils demandent que le pouvoir soit confié « au chef du parti national le plus important », c’est-à-dire à Hitler. Le 4 janvier 1933, Von Papen propose à Hitler de former avec lui un nouveau

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gouvernement. Le 30 janvier 1933, le ministère Hitler - Von Papen prête serment devant le président Hindenburg. Une fois arrivé au pouvoir, Hitler va mettre l’Allemagne au pas.

La mise au pas de l’Allemagne Ce qu’on appelle la « mise au pas » de l’Allemagne (« Gleichschaltung » en allemand), c’est la période d’environ dix-huit mois, de fin janvier 1933 à août 1934, pendant laquelle Hitler va transformer le pouvoir qu’il a reçu de façon légale (il a en effet été légalement nommé chancelier le 30 janvier 1933) en une dictature entièrement soumise au parti nazi. Dans un premier temps pourtant, Hitler cherche avant tout à rassurer. Dans le gouvernement qu’il forme le 31 janvier 1933, les nazis sont minoritaires par rapport aux conservateurs traditionnels ; toutefois, les ministres nazis occupent des postes-clés : Göring est au ministère de l’Air, et surtout le Docteur Frick est ministre de l’Intérieur. Le président Hindenburg accepte de dissoudre une nouvelle fois le Reichstag et les nazis entament alors une violente campagne électorale. Hitler utilise l’argent que lui ont fourni les milieux d’affaires (3 millions de marks recueillis auprès des industriels allemands) pour développer une intense propagande orchestrée par Goebbels (la radio d’Etat est contrôlée par les nazis et Goebbels multiplie les meetings de masse dans lesquels Hitler déploie ses talents d’orateur). Surtout, pendant la campagne électorale, les nazis utilisent un événement opportun qu’ils ont sans doute eux-mêmes provoqué : l’incendie du Reichstag le 27 février 1933 par un communiste (on pense aujourd’hui que Göring a manipulé une jeune communiste pyromane). L’incendie du Reichstag sert doublement les nazis : il permet d’une part à Göring d’interdire le Parti communiste allemand et de faire arrêter ses dirigeants ; d’autre part, le 28 février, le président Hindenburg, sous le coup de l’émotion provoquée par l’événement – le « péril rouge » menacerait l’Allemagne – signe le « décret sur la protection du peuple et de l’Etat » qui accorde à Hitler des pouvoirs de police étendus : c’est le premier pas légal vers la mise en place de la dictature nazie. Grâce à ce décret, Hitler va suspendre les libertés individuelles et liquider tous les partis politiques : après le KPD, le SPD est dissous en juin 1933, tandis que les partis modérés (Démocrates, Populistes, Zentrum), mais aussi le DNVP, prononcent eux-mêmes leur propre dissolution. La loi du 14 juillet 1933 fait du NSDAP le seul parti autorisé en Allemagne.

Les élections du mois de mars 1933 ont été un succès sans précédent pour les nazis : ils obtiennent 43,9% des suffrages, soit 17 millions de voix. Le 23 mars 1933, « l’acte d’habilitation » voté par les députés du Reichstag a conféré à Hitler les pleins pouvoirs. Le problème est que pour asseoir définitivement son autorité, Hitler doit choisir entre les deux forces contradictoires qui le soutiennent : d’un côté les milieux d’affaires conservateurs, de l’autre ses propres amis les SA qui en appellent à une « seconde révolution pour en finir avec l’ordre bourgeois ». Hitler choisit finalement de donner des gages aux conservateurs en sacrifiant les SA : le 30 juin 1934, la « nuit des longs couteaux » (en référence à une chanson des SA, Nous aiguiserons nos longs couteaux) met un terme à ce que l’on a appelé le « nazisme de gauche », avec l’assassinat par les SS du chef des SA Röhm et d’environ 200 membres des SA.

A la mort de Hindenburg en août 1934, Hitler décide de cumuler les fonctions de chancelier et de président de la République. On a parlé à ce propos de « coup d’Etat constitutionnel » car la décision d’Hitler est approuvée par les membres conservateurs du cabinet et par l’armée, et finalement ratifié par les électeurs allemands : le plébiscite du 19 août 1934, par lequel Hitler fait approuver sa dictature par le peuple, récolte 90% de « oui ». C’est en août 1934 qu’Hitler adopte la terminologie officielle de « Führer et chancelier du Reich ». En un an et demi, de janvier 1933 à août 1934, Hitler a donc réussi à installer en Allemagne un régime de dictature personnelle et un système très efficace d’encadrement de la population allemande.

III. La mise en place du totalitarisme

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L’élimination des foyers d’opposition Les oppositions trouvent d’autant moins d’écho en Allemagne qu’Hitler est profondément populaire auprès de la population allemande. Cela est dû d’une part au redémarrage économique, amorcé dès 1934 par une politique de relance de la production initiée par l’Etat nazi : l’Etat multiplie les commandes d’armement à l’industrie lourde, lance un programme de grands travaux (construction d’autoroutes notamment) et engage des milliers de fonctionnaires. Tout cela contribue à faire diminuer fortement le chômage. En cinq ans, Hitler semble avoir rempli ses objectifs économiques : en 1938 l’Allemagne est la deuxième puissance industrielle du monde derrière les Etats-Unis et ne compte plus que 400.000 chômeurs (contre 6 millions en 1933). Toutefois la relance de la production industrielle s’est faite surtout au profit de l’industrie lourde, négligeant les autres secteurs, tandis qu’augmentaient la pression fiscale et la dette publique. Mais la diminution du chômage est un état de fait éminemment populaire auprès de la population allemande.

L’autre raison de la popularité d’Hitler réside dans sa politique extérieure : le retrait de la SDN (dès octobre 1933) et les violations successives du traité de Versailles (rétablissement de la conscription en mars 1935, remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936) sont largement approuvées par les Allemands qui y voient une revanche sur le « diktat » de Versailles et l’humiliation subie en 1919.

Enfin la faiblesse des oppositions s’explique aussi par la férocité de la répression menée par le pouvoir nazi. Les SS, qui étaient à l’origine la garde personnelle d’Hitler, puis celle du NSDAP, sont devenus la police politique du Reich à partir de 1934 et de l’élimination des SA. Himmler, chef de la SS, devient aussi chef de toutes les polices en 1936. La répression menée par les SS est dirigée principalement contre les communistes et les socialistes. Ceux qui ne sont pas parvenus à fuir l’Allemagne en 1933 (et à se réfugier à Moscou pour les communistes, à Prague pour les socialistes), ont été internés dans les camps de concentration ouverts dès 1933 sur le territoire allemand (Dachau, Buchenwald…). Après 1936, les forces de gauches ont été totalement éliminées en Allemagne. Seule subsiste l’opposition des conservateurs, incarnée par les trois relais traditionnels de leur pouvoir : les Eglises, catholique et protestante, l’armée et le corps diplomatique.

Dans un premier temps, les catholiques allemands ont été rassurés par un concordat signé entre Hitler et le pape Pie XI au mois de juillet 1933. Leurs inquiétudes toutefois sont très vite ravivées par le paganisme du régime, qui exalte les anciennes divinités de la mythologie germanique et embrigade la jeunesse dans des organisations dont Dieu est totalement absent. L’ambiance païenne du régime est d’ailleurs condamnée en mars 1937 par Pie XI (dans l’encyclique Mit brennender Sorge). Côté protestant (la religion majoritaire dans le pays), de nombreux pasteurs se regroupent dans l’« Eglise Confessante » qui dénonce notamment l’antisémitisme du régime nazi ; mais le fondateur de l’Eglise Confessante, le pasteur Niemöller, est arrêté et déporté en 1937.

C’est en 1937-38 qu’éclate au grand jour le conflit latent entre Hitler et la droite traditionnelle. Certains généraux allemands (Von Blomberg, Von Fritsch…) désapprouvent les plans d’expansion dévoilés par Hitler au mois de novembre 1937. Hitler les élimine au début de l’année 1938 par des scandales inventés de toutes pièces. Il en profite pour épurer la Wehrmacht et la placer directement sous ses ordres, pendant que Von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich, purge le corps diplomatique de tous les hommes suspects de réticences vis-à-vis du régime nazi.

Entre les opposants, de moins en moins nombreux, et les nazis militants, on trouve une large majorité d’individus nationalistes, anticommunistes et plutôt antisémites. Ce sont eux qui forment la base de la Volksgemeinschaft (« communauté du peuple ») dont l’adhésion au Führer structure le régime nazi. C’est grâce à cette adhésion qu’Hitler va pouvoir réaliser les objectifs ultimes de sa domination : élimination des juifs et conquête de l’espace vital aux dépens notamment des peuples slaves.

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Le racisme d’Etat Le racisme est en effet consubstantiel au nazisme. Dès 1924 Hitler a développé dans Mein Kampf sa Weltanschauung (= « conception du monde ») : la doctrine national-socialiste repose sur l’idée que la communauté raciale allemande (le Volk) est supérieure à toutes les autres et doit être protégée de toute contamination extérieure. Cette conception impliquait de détruire sans pitié d’une part les malades et handicapés mentaux, qui risquaient de transmettre génétiquement des maladies mentales ou sexuelles, d’autre part les êtres considérés comme racialement inférieurs, de façon générale tous les non Aryens et plus particulièrement les Tsiganes et surtout les Juifs, corrupteurs par excellence de la « race » aryenne. L’antisémitisme d’Hitler, tel qu’il l’a exprimé notamment dans Mein Kampf, se veut un antisémitisme « rationnel », qui doit commencer « par faire des Juifs des étrangers par la loi », le but ultime étant « l’expulsion des Juifs » du corps social. Dès 1933 est organisée la persécution des Juifs allemands, avec notamment l’encouragement au boycott des magasins juifs. La loi de 1935 « pour la protection du sang et de l’honneur allemand », dite aussi « loi de Nuremberg », montre bien le caractère racial de l’exclusion des Juifs : la loi de Nuremberg interdit en effet toute relation sexuelle entre « Aryens » et « non Aryens », et seuls les Allemands « racialement purs » sont citoyens du Reich, les autres étant privés de tous droits politiques. Les Juifs sont par ailleurs exclus du commerce, de la banque, de l’édition, des professions médicales et juridiques, de la fonction publique et de l’armée, et soumis à des mesures vexatoires comme le port de l’étoile jaune.

La notion d’« antisémitisme rationnel » s’oppose à la pratique des pogroms, qui sont au contraire l’expression d’un antisémitisme plus « spontané », même si les autorités en sont souvent complices en n’intervenant pas pour protéger les Juifs. Hitler laisse d’ailleurs se développer un pogrom à l’échelle nationale dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, dite « nuit de cristal ». En réalité ce pogrom n’a rien de spontané : il est entièrement organisé par les nazis et la population allemande n’y a pas participé, se contentant d’assister aux violences intentées contre les Juifs soit en les approuvant, soit en les condamnant, soit en conservant la plus totale indifférence. Le soir du 9 novembre 1938, de jeunes nazis en civil, vêtus comme des Allemands « ordinaires », envahissent les quartiers juifs des principales villes allemandes. Outre les destructions matérielles et les pillages de magasins juifs, la « nuit de cristal » se solde aussi par l’exécution des responsables de la communauté juive, et par l’arrestation de 30.000 hommes envoyés en camps de concentration. A partir de la « nuit de cristal », Göring met en place la confiscation systématique des biens juifs tandis que Himmler et Heydrich organisent leur émigration forcée. En 1939, environ 200.000 Juifs ont quitté l’Allemagne mais il en reste encore 300.000 qui subiront les conséquences, à partir de 1942, de la mise en place de la « solution finale », c’est-à-dire l’extermination systématique de tous les Juifs.

L’encadrement de la société L’encadrement de la société allemande, qui explique aussi que les actes de résistance au pouvoir nazi aient été minoritaires, repose d’abord sur une intense propagande dont le maître d’œuvre est Joseph Goebbels, nommé dès janvier 1933 ministre de l’Information et de la Propagande. La propagande désigne l’action menée sur l’opinion pour lui faire adopter des idées politiques. Mais la propagande nazie a aussi contribué à tromper les pays étrangers quant à la nature véritable du régime hitlérien. Les nazis ont employé tous les moyens dont ils disposaient à l’époque (affiches, presse, radio, cinéma…) pour créer en Allemagne, mais aussi hors d’Allemagne, une adhésion au régime. On sait qu’Hitler a lu l’ouvrage de Gustave Le Bon publié en 1895 et intitulé La psychologie des foules. Le Bon y affirme notamment que pour s’adresser aux foules, il n’est pas nécessaire d’argumenter : il suffit de séduire et de frapper les esprits. Dès ses premiers discours dans les années 1920 Hitler met ainsi en place quelques effets très simples : répétition de quelques grands thèmes assénés avec assurance, effets théâtraux et expressionnisme outrancier (autant de traits caricaturés dès 1940 par Charlie Chaplin dans son film Le dictateur). A partir de 1933, le régime multiplie les grandes manifestations de masse. L’architecte Albert Speer est l’organisateur attitré des grandes

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cérémonies qui soulignent la communion du peuple allemand avec son Führer. La principale manifestation, la Diète nationale du parti nazi, est organisée chaque année à Nuremberg. Les visiteurs étrangers qui visitent l’Allemagne dans les années 1930, même s’ils sont par ailleurs hostiles au nazisme, ne peuvent s’empêcher d’être impressionnés par la magnificence de ces manifestations.

La parti unique et ses organisations satellites est l’instrument de la volonté totalitaire de Hitler, résumée par le slogan « Ein Volk, ein Reich, ein Führer » : l’individu doit s’intégrer à la communauté nationale et raciale, le Volk, et obéir aveuglément au Führer pour la plus grande gloire du IIIe Reich allemand. L’effort d’encadrement de la population passe d’abord par l’embrigadement de la jeunesse allemande. Créées dès 1933, les Jeunesses hitlériennes deviennent obligatoires en 1936 et encadrent les jeunes garçons de 6 à 18 ans. Une organisation similaire regroupe les filles du même âge. Le sport est au centre des activités de la Hitlerjugend, dans une optique à la fois paramilitaire (former les jeunes en vue d’une guerre éventuelle) et raciste (exalter la perfection physique des jeunes athlètes aryens). A 18 ans, les jeunes garçons passent dans l’armée ou dans le Service du Travail, qui mobilise les jeunes et les chômeurs dans des grands travaux symbolisant le redressement de l’Allemagne. Les filles, à leur majorité, font souvent un an de service agricole ou ménager avant de se marier et de devenir mères de famille. Le régime encadre même les loisirs de la population allemande à travers une organisation appelée « la Force par la joie » (l’équivalent du « Dopolavoro » italien).

On peut s’interroger en conclusion sur la façon dont les différentes catégories de la population allemande ont vécu la période du nazisme. Il semble que le plein emploi, le retour au niveau de consommation de 1928, l’encadrement social, ont pu créer, au-delà de la terreur et de la propagande, une certaine satisfaction dans le monde ouvrier malgré la stagnation des salaires. En revanche, les soutiens « naturels » du régime, paysannerie et classes moyennes, n’ont guère été avantagés par la politique économique du régime. Les gagnants sont les 3000 plus grosses sociétés du pays, dont les profits ont été multipliés par 30 entre 1936 et 1939. Les bénéficiaires du régime ne sont donc pas ceux à qui était destinée en priorité la propagande nazie.

Repères bibliographiques M. STEINERT, Hitler, Paris, Fayard, 1991.

-S. BERSTEIN et P. MILZA, Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme, Bruxelles, Complexe, 1992.

-P. BURRIN, Hitler et les Juifs, Paris, Seuil, 1995.

-I. KERSHAW, Qu’est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1997 [1992].

-S. BERSTEIN et P. MILZA, L’Allemagne (1870-1970), Paris, Masson, coll. « Un siècle d’histoire », 1999.

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16. Le totalitarisme stalinien dans les années 1930 A partir de 1928-1929, Staline est le maître absolu du pouvoir en URSS, ayant réussi à éliminer son principal adversaire Trotski. L’orientation qu’il donne au régime soviétique à partir de la fin des années 1920 peut être qualifiée de totalitaire. D’une part, l’Etat exerce un contrôle absolu sur l’économie, à travers la collectivisation de l’agriculture et la planification de l’industrie ; d’autre part, Staline élimine progressivement au cours des années 1930 toute forme d’opposition, utilisant pour cela un appareil policier omniprésent et mettant en place un système concentrationnaire ; enfin, le stalinisme intègre l’individu à une nouvelle société, par l’intermédiaire du parti unique et de la propagande de masse, tandis que tous les groupes sociaux sont invités à communier dans le culte du « petit père des peuples ».

I. Une nouvelle orientation économique

La rupture de 1928-1929 Un des premiers actes de Staline après s’être rendu maître du pouvoir consiste à rompre avec la NEP. Le mot d’ordre lancé par Staline dès 1928 peut en effet se résumer en trois mots : « Planification, collectivisation, industrialisation ». D’après Staline, la NEP compromet l’unité de la société soviétique en enrichissant une fraction de la population au détriment du plus grand nombre : les koulaks (= paysans aisés) à la campagne, et les nepmen en ville. D’autre part la NEP ne correspond plus selon Staline aux besoins du pays : elle n’a pas mis assez l’accent sur le développement de l’industrie lourde, ce qui fait que l’URSS est à la traîne dans ce domaine, et doit rattraper un retard considérable. En 1928, Staline élimine du Parti les « droitiers » favorables à la poursuite de la NEP, et en avril 1929 il annonce officiellement l’abandon de la NEP, pour lancer la Russie dans la voie de la planification.

L’idée de la planification n’est pas une nouveauté propre à Staline : Lénine l’avait préparée dès le début des années 1920 avec la création en 1921 du Gosplan, une commission dont le rôle consistait à inventorier les ressources et les besoins du pays pour préparer une planification générale. Mais Lénine avait finalement renoncé à la planification devant l’état catastrophique de l’économie russe, et avait préféré amorcer le « virage stratégique » de la NEP pour sortir le pays du marasme avant de le lancer dans l’« édification de l’ordre socialiste ». C’est ce concept de planification qui est repris en 1928, Staline décidant de réactiver le Gosplan. Toutefois les décisions finales en matière d’objectifs à atteindre ne seront pas prises par le Gosplan lui-même mais par le Politburo du PC : l’économique est donc subordonné au politique.

Collectivisation de l’agriculture Le 7 novembre 1929, Staline annonce officiellement la collectivisation de l’agriculture dans un article de la Pravda intitulé « Le grand tournant ». Cette collectivisation est d’abord une sanction à l’encontre de la paysannerie. Les paysans sont en effet stigmatisés par Staline comme les ennemis du régime, plus particulièrement la frange aisée de la paysannerie qu’incarnent les koulaks. Pendant l’hiver 1927-1928, la Russie, et en particulier les villes russes, ont subi une grave crise de ravitaillement alors même que les récoltes étaient

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bonnes : les paysans ont massivement refusé de livrer leurs produits aux prix très bas fixés par l’Etat. Dès l’été 1928, l’Etat répond en organisant des campagnes de réquisitions forcées contre les koulaks, qui tournent le plus souvent à l’expédition punitive. Et à la fin de 1929, Staline annonce la collectivisation de l’agriculture et la « liquidation des koulaks en tant que classe ».

Concrètement, les paysans vont être dépossédés des terres qu’ils s’étaient partagé douze ans plus tôt, au lendemain de la révolution d’octobre, et vont devoir s’intégrer dans les structures d’Etat créées après la révolution, c’est-à-dire les kolkhozes (= coopératives) et les sovkhozes (= fermes d’Etat). En 1928, kolkhozes et sovkhozes ne regroupent que 5% environ des paysans sur moins de 3% des terres cultivées. La collectivisation va forcer les paysans à abandonner leurs lopins individuels pour intégrer les structures étatiques. La collectivisation se révèle être une entreprise difficile à cause de la très forte résistance des paysans ; le refus paysan face à la collectivisation est tel qu’en mars 1930 Staline doit même ralentir le mouvement et autoriser un certain nombre de paysans à déserter sovkhozes et kolkhozes. Mais la collectivisation reprend de plus belle en 1931, par la manière forte et de façon irréversible. Tout opposant à la collectivisation est désormais assimilé à un koulak, donc à un ennemi du régime susceptible d’être déporté, voire exécuté. Plusieurs millions de koulaks et de paysans moyens sont d’ailleurs déportés dans des camps de travail, tandis que la collectivisation forcée se solde par 3 à 4 millions de morts dans les campagnes russes. Par l’emploi de la violence, Staline est parvenu au résultat qu’il souhaitait : en septembre 1933, kolkhozes et sovkhozes regroupent 84,5% des paysans ; en 1937, ce sont 97% des terres qui sont collectivisées. Les 3% restants témoignent d’une concession accordée en 1935 par le pouvoir soviétique : la possibilité pour les paysans de conserver un petit lopin de terre dont ils pourront vendre la production sur des marchés locaux.

Au point de vue agricole, les résultats de la collectivisation des campagnes sont assez désastreux : la « dékoulakisation » a privé l’agriculture de ses cadres qualifiés ; les paysans « collectivisés » sont peu motivés et préfèrent consacrer leurs efforts à leur petit lopin de terre quand ils en ont un ; l’agriculture manque d’outillage perfectionné car priorité est donnée à l’industrie. Toutes ces raisons expliquent la baisse de la production de céréales et le retour de la famine en Russie en 1932-1933.

Une industrie planifiée Les trois plans quinquennaux successifs adoptés entre 1928 et 1941 donnent tous la priorité à l’investissement par rapport à la consommation, à l’équipement collectif par rapport au bien-être individuel. Ces plans sont financés essentiellement par des prélèvements sur les revenus du monde rural et sur la consommation, qui sont sacrifiés en faveur de l’industrie lourde sur laquelle portent tous les efforts du régime. Dans les domaines de l’industrie et du commerce, Staline supprime le secteur privé que Lénine avait rétabli dans le cadre de la NEP. Lancé en 1928, le premier plan quinquennal met l’accent sur l’industrie lourde qui se voit attribuer 80% des investissements affectés à l’industrie. Le principal objectif est de multiplier par trois la production industrielle. Un effort est également entrepris pour former des techniciens et des ingénieurs soviétiques, encore trop peu nombreux. La main-d’œuvre industrielle en revanche est abondante, puisque grâce à un phénomène d’exode rural il y a environ 23 millions d’ouvriers dans les usines au début des années 1930.

Le premier plan toutefois a fixé des objectifs difficilement réalisables, d’autant plus que les ouvriers, s’ils sont nombreux, ne sont guère motivés et peu formés : ce sont plus des manœuvres que des ouvriers qualifiés. Beaucoup d’entre eux pratiquent encore le nomadisme, changeant très souvent d’emploi. Pour les attacher à leur usine et les mettre au service de l’effort qui leur est demandé, le régime adopte un certain nombre de mesures coercitives : dès 1932 la mobilité ouvrière est limitée par l’instauration du passeport intérieur ; le livret ouvrier se généralise en 1938 ; enfin, pour obtenir des ouvriers le rendement maximum, on met en place un système d’amendes et de punitions, mais aussi de primes et de gratifications pour les meilleurs ouvriers. Pour améliorer la productivité dans les

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usines, le salaire aux pièces est introduit dès 1931, tandis que se développe le stakhanovisme (du nom du mineur Stakhanov qui extrayait 14 fois plus de charbon que la norme habituelle).

Les deuxième et troisième plans quinquennaux (1933-1941) reprennent et poursuivent les grands objectifs de collectivisation et d’industrialisation. Le deuxième plan (1933-1937) s’efforce de corriger les erreurs du premier : les objectifs sont revus à la baisse ; le secteur de l’agriculture bénéficie d’une part des investissements, dans le but de redresser la production agricole. La priorité est toujours donnée à l’industrie lourde mais on n’oublie pas non plus les industries de transformation et de biens de consommation. Le troisième plan quant à lui, qui commence en 1938 et sera interrompu en 1941 par la guerre, se fixe pour objectif de dépasser les principales puissances capitalistes. Mais en vue d’un conflit qui semble de plus en plus inévitable, c’est le réarmement qui devient prioritaire : les productions concernant le domaine militaire augmentent de 300% par an à partir de 1938.

Les résultats de la planification ont été souvent spectaculaires. Entre 1928 et 1941, l’URSS est devenue la troisième puissance industrielle mondiale derrière les Etats-Unis et l’Allemagne, le second producteur mondial de pétrole, le troisième producteur mondial de charbon et d’acier. Certaines grandes réalisations témoignent de cette réussite : la centrale électrique la plus puissante d’Europe se trouve sur la rivière Dniepr ; le plus grand centre métallurgique du monde est situé dans l’Oural, à Magnitogorsk ; le Turksib prolonge le transsibérien vers l’Asie centrale ; le métro de Moscou devient le symbole de la modernité soviétique.

Cette réussite économique renforce le pouvoir absolu de Staline.

II. Le pouvoir absolu de Staline

La mainmise sur le Parti A partir du milieu des années 1920, Staline s’est livré à un lent travail d’épuration du Parti communiste, qui lui a permis d’éliminer ses adversaires, au premier rang desquels Trotski, expulsé d’URSS en 1929. Staline exerce un contrôle total sur tous les rouages du Parti. Dans les années 1930, Staline parachève la mise sous tutelle du Parti communiste en procédant à trois grandes purges qui visent à éliminer la « Vieille Garde » pour la remplacer par de nouveaux cadres, plus jeunes et entièrement soumis à Staline.

La première purge du Parti intervient en 1933 : elle vise à l’élimination de tous les « ennemis du peuple », c’est-à-dire d’une part des paysans hostiles à la collectivisation, d’autre part de tous les « droitiers » – ou en tout cas stigmatisés comme tels – qui refusent l’abandon de la NEP. Au total, ce sont plus de 800.000 membres du Parti (sur environ 3,5 millions, soit un peu moins du quart) qui sont physiquement éliminés ou déportés dans des camps lors de cette première purge.

La deuxième purge du Parti commence en décembre 1934 avec l’assassinat de Kirov, secrétaire du Parti communiste à Leningrad et éventuel dauphin de Staline. Celui-ci a-t-il commandité cet assassinat pour éliminer un possible rival ? Toujours est-il que Staline prend prétexte de ce meurtre pour procéder à une nouvelle purge du PC, en éliminant cette fois-ci 10% des membres.

La purge la plus violente a lieu entre 1936 et 1938, et elle vise en priorité les anciens compagnons de Lénine, notamment Kamenev et Zinoviev. Lors des « procès de Moscou », ces hommes, pourtant bolcheviks de la première heure, s’accusent des crimes les plus absurdes et les plus invraisemblables (leurs aveux aberrants ont sans doute été obtenus sous la menace, voire sous la torture) : assassinats, empoisonnements, trahison, espionnage au profit des puissances occidentales…En tout, 70% des membres du Comité central de 1934 sont exécutés, mais la purge touche aussi d’autres catégories : des militants plus modestes recrutés avent la prise en main du Parti par Staline, mais aussi des représentants de

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l’intelligentsia – artistes, hommes de lettres, musiciens…En 1937, c’est au tour de l’Armée rouge d’être « purgée » : 80% des officiers et 90% des généraux sont exécutés (dont Toukhatchevski, le « Napoléon rouge », l’un des vainqueurs de la guerre civile).

Le parti « purgé » est un parti moins nombreux, plus jeune. En 1939 moins d’un quart des membres est entré avant 1927. Les fonctionnaires et les techniciens y sont désormais plus nombreux que les ouvriers (qui formaient la base du recrutement bolchevik dans le parti des origines). C’est désormais un parti docile entièrement aux ordres de Staline. En tout, au cours des purges, 2 millions de personnes ont été physiquement éliminées, et entre 5 et 8 millions déportées dans des camps gérés par le Goulag (= branche du NKVD qui s’occupe des camps). Pour exercer un pouvoir absolu, Staline dépose en effet d’un certain nombre de moyens.

Les instruments du pouvoir absolu En 1934 a été créé le NKVD (= Commissariat du peuple aux Affaires intérieures), police politique du régime qui remplace le Guépéou. Le NKVD est chargé de la sécurité de l’Etat. Il a joué un rôle prépondérant dans les purges organisées par Staline dans les années 1930 et dans les déportations au Goulag. Les moyens de répression dont dispose le NKVD sont plus importants que ceux du Guépéou : le NKVD peut désormais poursuivre les familles des « ennemis du peuple », considérées comme complices, il peut condamner toute personne reconnue comme « socialement dangereuse », une définition très vague qui permet les arrestations arbitraires. En juin 1935, un nouveau délit est institué : il punit de la peine de mort tous ceux qui ne dénoncent pas les activités criminelles dont ils auraient connaissance ; cette mesure est un encouragement à la surveillance réciproque des citoyens et à la délation.

Le pouvoir absolu de Staline passe aussi par le renforcement de l’Etat. Le problème est que, d’après la théorie marxiste, l’épisode de la dictature du prolétariat n’était qu’une phase transitoire censée déboucher sur la société socialiste dans laquelle l’Etat n’avait plus de raison d’être. Pour justifier le maintien et même le renforcement de l’Etat, Staline met au point en 1934 l’argument de « l’encerclement capitaliste » : l’Etat soviétique se doit de défendre le socialisme face aux puissances capitalistes qui l’entourent. La nouvelle constitution de 1936 officialise le renforcement de l’Etat soviétique La dictature du prolétariat est en fait devenue la dictature du Parti. Derrière la façade constitutionnelle, la réalité de l’autorité appartient à Staline, qui apparaît comme le chef infaillible, unanimement célébré. Autour de lui s’instaure un véritable culte de la personnalité qui connaîtra son apogée pendant la « Grande Guerre patriotique » (1941-1945). La propagande vient donc relayer le pouvoir stalinien, tout comme, à partir de la deuxième moitié des années 1930, le retour du nationalisme et l’exaltation du passé de la Russie, y compris le passé tsariste. Se méfiant d’Hitler, Staline veut développer le nationalisme russe pour préparer la population, le cas échéant, à lutter contre l’envahisseur nazi. Ce nationalisme encouragé par l’Etat rencontre l’approbation de la population russe.

III. La nouvelle société soviétique

Bouleversements et restructurations La société soviétique des années 1930 connaît de profonds bouleversements. La nouvelle société soviétique repose d’abord sur un certain retour à l’ordre moral qui tranche avec la libéralisation des années 1920 et la détente sociale qui caractérisait l’époque de la NEP. En 1936, un certain nombre de mesures témoignent d’un retour en arrière par rapport aux années 1920 : le divorce devient plus difficile – en fait, il est assorti de différentes taxes que beaucoup de couples n’ont pas les moyens d’acquitter –, l’avortement est à nouveau interdit. Des allocations de maternité et des allocations familiales sont instaurées pour encourager la natalité : c’est une véritable réhabilitation du modèle familial traditionnel. Le but est de lutter contre le déficit démographique dû notamment à la « dékoulakisation » et aux différentes purges.

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La population augmente effectivement pendant la période (170 millions d’habitants en 1939). C’est une population jeune (en 1939, la moitié des Russes ont moins de 20 ans, et on compte seulement 6% de plus de 60 ans). C’est aussi une population de plus en plus urbaine, car l’exode rural a précipité l’urbanisation : les villes gagnent 30 millions d’habitants pendant la période 1928-1941, et le pourcentage de citadins passe de 18% en 1928 à 33% en 1941. En 1939, Moscou compte plus de 4 millions d’habitants, 3 millions à Leningrad ; l’urbanisation s’est développée en même temps que l’industrialisation dans les régions de l’Ukraine, de l’Oural, de la Sibérie et de l’Asie centrale. Si les villes sont dynamiques, les campagnes en revanche restent à l’écart du changement. Faute de mécanisation, le travail des paysans a finalement peu changé depuis le XIXe siècle.

La nouvelle société soviétique se veut une société sans classes. C’était en tout cas l’un des buts officiellement poursuivis par Staline en éliminant les koulaks et les nepmen. Un certain nombre de mesures visent d’autre part à favoriser l’égalité des chances entre les citoyens, comme le développement de l’instruction gratuite et obligatoire pour tous, la suppression de la propriété privée ou celle de l’héritage. Pourtant, les inégalités subsistent.

Une société inégalitaire La société soviétique demeure profondément inégalitaire. Les inégalités se marquent d’abord par les différences de salaires entre les catégories : ainsi dans le monde de l’industrie, un contremaître a un salaire quatre fois plus élevé que celui d’un manœuvre, un ingénieur dix fois plus élevé, un directeur d’usine jusqu’à vingt fois plus élevé. Mais les principales distinctions entre les citoyens soviétiques reposent sur le rôle économique qui est assigné à chaque catégorie sociale :

*les paysans sont en marge du système ; une suspicion constante pèse sur eux, car ils sont soupçonnés de privilégier leurs propres cultures individuelles au détriment des cultures collectives. Ils font donc l’objet d’une surveillance renforcée, et sont soumis à une propagande permanente qui vise à lutter contre leur esprit individualiste et à leur montrer les avantages du travail collectif. Leurs conditions de vie sont souvent difficiles.

*les ouvriers : eux aussi ont des conditions de vie et de travail difficiles. Certes, le travail des femmes dans l’industrie (qui passe de 28% à 41% entre 1929 et 1939) apporte un surplus de revenus au foyer, et d’autre part le salaire ouvrier moyen augmente pendant la période : il est multiplié par deux entre 1933 et 1937. Mais dans le même temps, les prix des produits les plus courants (viande, lait, sucre), augmentent eux aussi et sont parfois multipliés par 3 ou 4, ce qui annule tout le pouvoir d’achat ouvrier. Enfin les logements sont souvent rares, toujours vétustes et mal meublés (peu de meubles, très rarement assez de lits pour chaque membre de la famille). Les conditions de travail sont également pénibles avec le salaire aux pièces qui maintient une pression constante sur les ouvriers.

Les seuls privilégiés sont en fait les membres permanents du PC, environ 7 millions de personnes, techniciens et cadres qui forment « l’intelligentsia » du régime et que l’on commence à appeler les « apparatchiks ». C’est cette catégorie qui est devenue le principal soutien du régime au détriment des ouvriers. Les privilèges dont bénéficient les apparatchiks sont de différentes sortes : un certain pouvoir politique, des salaires plus élevés que la moyenne, des rations alimentaires préférentielles, des logements luxueux avec plusieurs pièces…L’existence de cette « élite » privilégiée détonne par rapport à l’égalitarisme officiellement professé. Pour Trotski, qui depuis l’étranger critique férocement le régime stalinien, l’existence de cette intelligentsia montre que le régime soviétique n’est pas encore un régime socialiste, mais un régime de transition entre capitalisme et socialisme. L’Etat qui protège cette inégalité qu’il a lui-même créée est en fait un Etat « bourgeois » même s’il n’y a plus de bourgeoisie au sens propre du terme dans la Russie soviétique (l’intelligentsia ne possédant pas les moyens de production).

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Malgré le caractère profondément inégalitaire de la nouvelle société soviétique, il y a autour du régime un certain consensus social.

Un consensus social Il y a en effet consensus autour du régime stalinien, un consensus qui ne s’explique pas uniquement par le poids de l’appareil répressif. La population soviétique approuve certaines des orientations du régime, par exemple le retour à l’ordre moral à partir de 1936. Le thème de la défense de la patrie est également très populaire et permet de souder la population russe derrière le « petit père des peuples » qui défend la Russie éternelle. La propagande joue évidemment un rôle dans cette adhésion des masses au régime, ainsi que les organisations de masse, comme les Jeunesses communistes qui embrigadent les enfants dès leur plus jeune âge. D’autre part, la difficile procédure d’adhésion au Parti donne aux « élus » l’impression qu’ils appartiennent effectivement à une élite, et aux autres le désir d’entrer eux aussi un jour dans le Parti. Etre cadre du PC devient donc un objectif pour beaucoup de soviétiques, qui souhaitent s’intégrer dans l’appareil d’Etat.

L’art va venir relayer la propagande d’Etat. Dès les années 1930 en effet l’Etat a repris en main la création artistique (il n’est plus question de la liberté de créer qui existait à l’époque de la NEP). Ecrivains et artistes doivent désormais exprimer les objectifs politiques et sociaux du régime. Les « têtes pensantes » du régime ont en effet élaboré une esthétique officielle, celle du « réalisme soviétique » (esthétique définie par Jdanov) : « fidélité à la vérité de la vie, aussi pénible qu’elle puisse être ». Les sujets sont imposés : il s’agit de magnifier Lénine et la révolution, d’exalter les dirigeants actuels et les réalisations socialistes.

C’est finalement le cinéma qui s’adapte le mieux à la doctrine nouvelle du « réalisme soviétique » : Eisenstein en particulier poursuit sa carrière commencée dans les années 1920 et participe à la propagande patriotique impulsée par Staline : dans Alexandre Nevski (1938) notamment, il exalte le prince russe qui écrasa les Chevaliers Teutoniques au début du XIIIe siècle.

On peut terminer en s’interrogeant sur la nature du stalinisme, un sujet qui suscite toujours la controverse entre les historiens. Trois séries d’explications ont été élaborées pour rendre compte de la mise en place de la dictature stalinienne dans les années 1930. La première est celle avancée par Khrouchtchev en 1956, au moment du XXe Congrès du Parti communiste qui inaugure le processus de déstalinisation : la cause du stalinisme serait à rechercher dans la personnalité même de Staline, un homme profondément pervers qui aurait exercé un pouvoir absolu pour satisfaire sa mégalomanie. Aujourd’hui cette explication apparaît comme nettement insuffisante. Deux thèses s’opposent désormais. Certains historiens, comme Stéphane Courtois (qui a dirigé Le livre noir du communisme), estiment que le stalinisme est le fruit naturel du marxisme-léninisme, que la dérive totalitaire était en quelque sorte inscrite dans les théories mêmes développées par Marx puis par Lénine. D’autres, comme Eric Hobsbawm dans L’âge des extrêmes, pensent au contraire que le stalinisme est une perversion du marxisme-léninisme, que Staline a trahi les idéaux de Marx et de Lénine. L’explication du stalinisme serait alors à rechercher dans l’histoire de la Russie : un pays qui à la veille de la révolution de 1917 n’avait aucune tradition de liberté ni aucun expérience démocratique. La question aujourd’hui n’est toujours pas tranchée.

Repères bibliographiques -E. HOBSBAWM, L’âge des extrêmes, Bruxelles, Complexe, 1999.

-J.-J. MARIE, Staline, Paris, Fayard, 2001.

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17. La France dans les années 1930 La France est entrée tardivement dans la crise économique : alors que la plupart des grands pays capitalistes sont frappés dès le début de 1930, la crise n’atteint la France qu’à l’automne 1931. Avant d’être touchés, les Français considèrent d’ailleurs que leur pays constitue « un îlot de prospérité dans un monde en crise », et sont persuadés qu’ils resteront à l’écart du désastre économique. Le caractère effectivement tardif de la crise française s’explique par le fait que la France vit quelque peu en marge du capitalisme mondial : elle se trouve ainsi, dans un premier temps en tout cas, protégée de la crise par l’archaïsme même de ses structures économiques.

Ce qui fait véritablement entrer la France dans la crise, c’est la dévaluation de la livre sterling en septembre 1931, suivie par celle de nombreuses autres monnaies dont le dollar en 1933-34. Jusqu’en 1931, les prix français étaient environ inférieurs de 20% à ceux du marché mondial, désormais ils sont de 20% supérieurs. Non seulement la France a de plus en plus de mal à exporter, mais malgré les barrières douanières les produits étrangers concurrencent les produits nationaux sur le marché français. C’est ainsi la surévaluation des prix français qui apparaît comme le moteur principal de la crise française, qui se manifeste par une chute de la production, en particulier dans le domaine agricole où la crise atteint trois « produits-clés » de l’agriculture française : le blé, le vin et la betterave. Il est impossible d’exporter ces produits dont les prix sont supérieurs aux prix mondiaux. Ainsi voit-on les stocks s’accumuler, ce qui entraîne un effondrement des cours. Dans l’industrie, ce sont les branches anciennes, celles qui comptent le plus de salariés, qui sont les premières à être atteintes : charbon, fer, acier, textiles, s’effondrent faute de débouchés. En 1932, la production industrielle a déjà reculé de plus d’un quart par rapport à 1929. Le chiffre des chômeurs ne cesse de s’accroître depuis 1931, et s’il n’atteindra jamais les 3 millions de chômeurs britanniques et encore moins les 6 millions de chômeurs allemands, il dépassera tout de même 500.000 en 1936.

L’année 1932 représente ainsi une année charnière pour la France : c’est l’année où la France entre de plain-pied dans la crise, l’année aussi que les historiens considèrent aujourd’hui comme la fin de l’après-guerre et le début de l’avant-guerre.

I. La crise du régime de 1932 à 1934 Entre 1932 et 1934, la France s’enfonce lentement dans une crise multiforme, à la fois crise économique, sociale, politique et même morale. Au mois de mai 1932 ont lieu des élections législatives qui sont une fois de plus arbitrées par le parti radical (qui joue un rôle de « parti pivot » sous la IIIe République, s’alliant tantôt à la droite, tantôt à la gauche). En l’occurrence les radicaux s’allient avec les socialistes pour former le second cartel des gauches. Le 6 mai 1932, entre les deux tours des élections législatives, le président de la République Paul Doumer a été assassiné par un émigré russe, Gorgulov, dont les motivations ne sont pas très claires (ce déséquilibré prétendra avoir assassiné le président de la République française pour forcer la France à déclarer la guerre à la Russie). C’est donc la gauche qui prend les rênes du pouvoir, mais elle se heurte sensiblement aux mêmes difficultés qu’en 1924 lors du premier cartel, avec une situation économique bien pire que huit ans auparavant. Edouard Herriot, qui forme le nouveau gouvernement, doit à nouveau se passer du soutien des socialistes, et il se retrouve de nouveau en porte-à-faux entre une majorité de gauche et la politique qu’il mène et qui

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n’est finalement pas si différente de celle de la majorité de droite qui l’a précédé au pouvoir. Le manque d’unité de la gauche est aggravé par la situation interne des partis et syndicats de gauche.

La situation de la gauche française en 1932 * le Parti communiste reste faible. La IIIe Internationale lui a imposé une « bolchevisation » totale qui a fait du parti un bloc monolithique entièrement dépendant du Komintern, interdisant les discussions à la base du parti, accablant d’injures les « sociaux-traitres » comme le font à la même époque les communistes allemands. Aussi les effectifs de ce parti doctrinaire et rigide ont-ils véritablement fondu au cours des années 1920 : 109.000 nouvelles cartes du parti avaient été émises en 1921, juste après la création ; il n’y en a plus que 29.000 distribuées en 1931. Aux dernières élections avant 1932, son score est passé de 9,8 à 6,8%. Un redressement du PCF est toutefois en cours, avec l’arrivée d’un nouveau secrétaire général, Maurice Thorez, au mois de juillet 1930. Dès 1931, Thorez entreprend de lutter à la fois contre les « droitiers » et les « gauchistes » au sein de son parti. Thorez amorce la démocratisation du parti en luttant contre les aspects bureaucratiques et autoritaires. Le slogan du PCF n’est plus « Tout le pouvoir aux soviets », mais bien la mise en avant de la lutte pour les réformes, et le parti commence à pratiquer la politique de la main tendue aux socialistes et même aux catholiques, non pas aux dirigeants mais aux militants de base. Il n’est pas encore question pour les communistes de Front commun avec les autres partis de gauche, mais l’attitude du PCF à partir de 1931-1932 est moins arbitrairement opposée à une alliance éventuelle avec les autres forces de gauche.

* La SFIO bénéficie pour sa part du rayonnement d’un homme, Léon Blum, de sa non participation au gouvernement qui le tient à l’écart du discrédit, ainsi que de son caractère réformiste : sans abandonner l’analyse marxiste, la SFIO n’envisage la violence que comme recours ultime. Il est devenu un parti provincial : ses positions parisiennes ont été prises par les communistes, mais il reste fort dans le Nord et dans le Nord du Massif central, et il s’est renforcé dans le Midi. Il tend à devenir un parti rural. La SFIO est toutefois un parti divisé : certains à la gauche du parti (Marceau, Pivert…) acceptent l’alliance avec les communistes et s’opposent à toute participation au pouvoir ; au « centre », des hommes comme Léon Blum, Paul Faure, cherchent surtout à maintenir l’unité du parti ; à « droite » enfin, des hommes comme Frossard (ex-dirigeant de la SFIC), Renaudel, Vincent Auriol, Paul Boncour, prônent une collaboration étroite avec les radicaux. Enfin à l’« extrême droite » du parti apparaissent les « néo-socialistes », prêts à abandonner l’orthodoxie marxiste au profit de l’efficacité. Ils sont influencés par le penseur belge Henri de Man et son ouvrage de 1927 Au-delà du marxisme, qui affirme que les données économiques et sociales nouvelles ne répondent plus aux schémas analysés par Marx. Ces idées sont reprises notamment par Marcel Déat, qui appelle à un rassemblement national pour s’emparer du pouvoir, exercer une dictature pour construire un Etat fort, anticapitaliste, et un socialisme national, suivant les thèmes « Ordre, Autorité, Nation ». Déat est exclu de la SFIO en novembre 1933 ; il est suivi par quelques députés socialistes.

* Le Parti radical est en progrès, pas tant en matières d’effectifs qu’en ce qui concerne les fédérations : il y avait 40 fédérations radicales en France en 1926, il y en a 87 en 1931. C’est un parti de notables ; ses députés sont souvent élus avec l’appui des modérés du centre droit ou bien avec l’appoint des voix socialistes (=parti pivot). En conséquence, les députés radicaux doivent toujours tenir compte de leurs alliés du moment, et le parti ne peut pas imposer de discipline de vote. Le parti radical lui aussi est divisé en différentes tendances : Daladier, prêt à s’allier avec les communistes, les « Jeunes-Turcs » comme Mendès France plutôt proches des socialistes, enfin la « droite » du parti radical, très anticommuniste. Le parti radical est présidé à partir de 1932 par Edouard Herriot qui essaie de maintenir l’unité entre les différents courants.

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Face à cette gauche divisée, la droite ne l’est pas moins mais elle adopte de nouvelles formes d’action qui vont jusqu’à remettre en cause le régime républicain lui-même.

Les ligues La ligue se distingue du parti politique en ce sens que ce dernier a vocation universelle et vise la conquête du pouvoir, alors que la ligue regroupe des intérêts particuliers en vue d’une revendication particulière. La France de l’entre-deux-guerres voit naître ou se développer différentes ligues, dont certaines peuvent être classées à l’extrême droite de l’échiquier politique.

Les « Jeunesses patriotes » de Pierre Taittinger ont été fondées en 1924, au moment du premier cartel des gauches ; y militent nombre d’anciens combattants non politisés ; ils se retrouvent autour de valeurs comme le nationalisme, la nostalgie de l’unanimité et de l’ordre qui régnaient pendant la guerre (90.000 membres).

Le Faisceau de Georges Valois a été créé le 11 novembre 1925 (la date ne doit rien au hasard, elle illustre le poids de la mémoire de la Première Guerre mondiale dans la France de l’entre-deux-guerres) ; dans son livre Le fascisme en 1927 Valois revient à gauche, rejette l’antisémitisme, et traite le fascisme italien de réactionnaire.

La Solidarité française, fondée en 1933 par le parfumeur François Coty, recrute plutôt dans la classe ouvrière, porte comme emblème le coq gaulois et ses membres s’habillent d’une chemise bleue (180.000 membres).

Le Francisme de Marcel Bucard (1933), transfuge du Faisceau, regroupe des admirateurs de Mussolini dont ils reçoivent d’ailleurs des fonds ; ils prônent le culte du chef. Leurs effectifs n’ont jamais dépassé les 10.000 adhérents.

Deux formations ont en fait une réelle importance sans avoir les mêmes objectifs : l’Action française et les Croix de feu. Condamnée par Rome en 1926, l’Action française est depuis devenue plus violente. Les étudiants d’Action française luttent au Quartier latin contre la Ligue d’Action universitaire républicaine, et les « Camelots du roi » recherchent volontiers l’affrontement physique. Les Croix de feu ont un tout autre caractère : à l’origine, c’est une association d’anciens combattants créée en 1927 sous le patronage de François Coty. En 1931 le mouvement prend ses distances par rapport à Coty et donne la présidence au lieutenant-colonel de la Roque. Les Croix de feu critiquent le régime républicain pour son inefficacité. En 1933 de la Roque écrit ainsi dans Le Flambeau : « Le régime des partis tel qu’il fonctionne perd la France ». En octobre 1933, les Croix de Feu s’ouvrent à la jeunesse avec la création des Volontaires nationaux, qui se recrutent dans la petite et moyenne bourgeoisie souvent catholique. Organisés en formations paramilitaires, ils constituent une force prête à obéir au « Chef ».

La question se pose, ou en tout cas s’est posée, de savoir si ces ligues constituaient effectivement un « fascisme à la française ». La plupart des historiens répondent aujourd’hui par la négative, à l’exception de Zeev Sternhell dans La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme (Paris, Le Seuil, 1978). D’après Serge Berstein (dans un article de L’Histoire de mars 1998), les ligues sont bien une réponse française à la crise de la démocratie libérale, mais cette réponse n’est pas fasciste : les ligues selon lui sont profondément enracinées dans une histoire nationale française qui remonte bien avant l’instauration du régime fasciste en Italie. Elles s’inscrivent dans la tradition de la démocratie directe qui caractérise le bonapartisme dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Les ligues ne proposent pas la mise en place d’un régime fasciste ou d’un Etat totalitaire, mais d’une République avec un fort pouvoir exécutif. L’aspect militariste de la plupart des ligues et la référence à un « chef » puissant ne sont sans doute que des ajouts de circonstance sur une tradition de démocratie directe dont l’idée remonte au XIXe siècle.

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Il existe en tout cas au début des années 1930 des forces d’oppositions au régime, d’autant plus dangereuses que le régime va devoir affronter un certain nombre de crises.

Crise extérieure et intérieure Parvenu au pouvoir en janvier 1933, Hitler, muni des pleins pouvoirs à partir du mois de mars, annonce en septembre la naissance du IIIe Reich ; en octobre 1933 il retire l’Allemagne de la SDN. C’est l’échec de toute la politique menée par Briand depuis le début des années 1920. En France, l’opinion publique a l’impression d’avoir été flouée par l’Allemagne.

Parallèlement la crise économique commence à s’amplifier. Les prix agricoles s’effondrent et le pouvoir d’achat paysan en 1933 est de 25% inférieur à ce qu’il était avant la guerre de 1914. Les prix industriels baissent de 25% entre 1932 et le mois d’août 1935 (date à partir de laquelle ils connaîtront à nouveau un léger frémissement à la hausse). Entre 1930 et 1935, l’activité industrielle s’affaisse de 28%. Les finances extérieures sont également en difficulté : malgré leur baisse, les prix des produits français restent plus élevés que les prix des produits étrangers. En 1934, alors que la plupart des pays occidentaux commencent à sortir de la crise, il semble que la France s’y enfonce davantage. Le gouvernement paraît incapable de réagir. Entre juin 1932 et janvier 1934, ce sont cinq ministères qui se succèdent, chacun étant incapable, du fait même de sa brièveté, d’établir un plan cohérent de redressement de l’économie. Cette incapacité gouvernementale, ainsi que différents scandales qui éclaboussent le gouvernement, vont déboucher sur la crise du 6 février 1934.

Le 6 février 1934 Ce qui déclenche la crise du 6 février 1934, c’est l’affaire Stavisky. Au départ, il s’agit d’une simple escroquerie financière. Alexandre Stavisky est un Français d’origine russe, qui se livre à un trafic sur les monts-de-piété : il se fait prêter de l’argent par les crédits municipaux en mettant en gage des bijoux et des objets volés, encaissant ainsi en trois ans une quarantaine de millions de francs. Or Stavisky s’est acheté des complicités dans les milieux du pouvoir, notamment parmi les maires des communes dans lesquelles il opérait (en particulier le maire de Bayonne, un radical). Le scandale éclate au tout début du mois de janvier 1934, et Stavisky est retrouvé mort le 8 janvier : s’est-il suicidé ? L’a-t-on « liquida » pour l’empêcher de faire des révélations ? Le doute subsiste.

L’Action française trouve en tout cas dans cette affaire l’occasion de cristalliser le mécontentement d’une opinion scandalisée par la collusion entre le milieu parlementaire et des escrocs de bas étage. Elle orchestre des manifestations qui commencent début janvier au Quartier Latin et, de là, se propagent aux abords du Palais-Bourbon. Les défilés prennent de l’ampleur jusqu’au 27 janvier. Le même jour, Chautemps démissionne. Le 30 janvier, Daladier forme un nouveau ministère et promet de mettre en place une commission d’enquête. Mais le 3 février, Daladier, pressé par les socialistes, renvoie le préfet de police Chiappe, accusé par la gauche d’avoir volontairement laissé se développer les manifestations pendant tout le mois de janvier 1934. Le 6 février 1934 est le jour de l’investiture du nouveau gouvernement Daladier. Mais la séance parlementaire se termine dans le tumulte car les ligues et les organisations d’anciens combattants sont aux portes du Palais-Bourbon. La manifestation se poursuit jusqu’au lendemain. Dans la nuit, les gardes mobiles tirent sur les manifestants, faisant 16 morts et plusieurs centaines de blessés. Le 7 février, Daladier démissionne.

Il y a eu différentes interprétations du 6 février. Il est difficile d’y voir une véritable tentative des ligues pour renverser le régime : Maurras n’a pas participé à la manifestation, et le colonel de la Roque s’en est très vite retiré. Le 6 février est sans doute avant tout une explosion d’indignation populaire (face à la corruption réelle ou supposée des hommes au pouvoir), plus ou moins exploitée et canalisée par les ligues. La démission de Daladier fait d’ailleurs retomber d’un seul coup la tension. En revanche, on peut dire que l’influence de

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cette journée et son exploitation par la gauche ont joué un rôle majeur dans la formation du Front populaire.

Le 7 février, le président Albert Lebrun fait appel à Gaston Doumergue, l’ancien président de la République. Son retour au pouvoir est accueilli avec satisfaction par la droite.

II. L’échec de la politique modérée et la formation du Front populaire (1934-1936) Toujours majoritairement à gauche depuis les élections de mai 1932, la Chambre des députés accepte pourtant, pour sortir de la crise du régime, la constitution d’un gouvernement nettement marqué à droite. Le 9 février 1934, Doumergue forme en effet un ministère d’Union nationale qui comprend notamment des radicaux comme Herriot, mais aussi le Maréchal Pétain au ministère de la Guerre. Doumergue promet aussitôt l’ouverture d’une enquête sur l’affaire Stavisky.

L’expérience Doumergue (février-novembre 1934) Le rassemblement de la gauche Au lendemain du 6 février, les ligues sont désorganisées. Plusieurs organisations ont formé un front de la liberté, mais de La Roque refuse d’y entrer car il veut conserver à son rassemblement son rôle de fédérateur national. A gauche au contraire, le regroupement paraît plus facile, au nom justement de la lutte contre un danger fasciste réel ou supposé. A l’initiative de Léon Blum et de quelques républicains socialistes a lieu dès le 12 février une manifestation de la gauche, réplique au 6 février, contre « les corrompus, les factieux, royalistes et fascistes, pour les libertés publiques, pour les libertés ouvrières ».

Le PCF est encore réticent à un rapprochement avec le reste de la gauche. Le retournement communiste se produit au mois de juin 1934. Lors d’une conférence organisée à Ivry par le parti communiste, Maurice Thorez analyse la situation politique de la France de la façon suivante : le choix n’est pas entre Union nationale et communiste, mais entre fascisme et démocratie. Il faut donc réaliser l’unité d’action avec les socialistes. Cette politique de la main tendue de la part des communistes est un retournement total par rapport à leur attitude depuis 1920. Le même revirement se produit au sein du Komintern, afin de ne pas renouveler l’erreur commise en Allemagne : l’arrivée au pouvoir du nazisme a en effet été facilitée par la lutte acharnée que se sont livrés socialistes et communistes allemands.

La communauté d’action entre SFIO et PCF se manifeste dès les élections cantonales de 1934 : communistes et socialistes se désistent mutuellement au second tour. Les radicaux sont plus réticents à s’allier avec les communistes (seule une minorité, autour de Daladier, y est favorable). C’est l’échec du ministère Doumergue qui pousse finalement les radicaux à adhérer à un front commun avec les socialistes et les communistes.

Les échecs du ministère Doumergue A son arrivée au pouvoir, Doumergue avait deux possibilités pour lutter contre la crise économique : soit stimuler les exportations françaises par une dévaluation du franc qui donnerait aux marchandises françaises une prime sur les marchés étrangers, soit faire baisser les prix intérieurs par des mesures de déflation. Il choisit finalement la deuxième solution, car il sait que la dévaluation du franc serait très impopulaire auprès d’une opinion publique très attachée à la stabilité monétaire. Doumergue pratique donc une politique de déflation en réduisant de façon drastique les dépenses de l’Etat : réduction de 10% du nombre de fonctionnaires, amputation des pensions de retraite, prélèvements de 5 à 10% sur les traitements publics. Toutefois le ministère Doumergue doit affronter à son tour un scandale :

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la mort mystérieuse du conseiller Prince chargé d’enquêter sur l’affaire Stavisky. D’autre part, le ministère est affaibli par l’assassinat à Marseille, le 9 octobre 1934, du ministre des Affaires étrangères Barthou et du roi Alexandre de Yougoslavie, dans un attentat organisé par des nationalistes croates.

Enfin les radicaux sont de plus en plus méfiants envers le gouvernement Doumergue, et notamment envers un projet de réforme constitutionnelle envisagé par le président du Conseil, qui souhaite renforcer le pouvoir exécutif au détriment de la Chambre des députés. Les radicaux démissionnent donc du gouvernement le 8 novembre 1934. C’est la fin de l’expérience Doumergue ; ce dernier avait pourtant été présenté au mois de février précédent comme le « sauveur » du régime.

La crise générale Le péril extérieur Devant l’échec de plus en plus patent de la SDN, le second Cartel des gauches a amorcé en 1932 une politique orientale tendant à resserrer les liens avec l’Europe de l’Est (Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Roumanie, c’est-à-dire la « Petite Entente »), ainsi qu’avec la Pologne et surtout l’URSS. Le 29 novembre 1932, la France a signé avec l’URSS un pacte de non-agression. Côté français, on veut aller plus loin. Vers 1933-1934, Staline prend lui-même conscience du danger nazi et accepte d’entamer des pourparlers avec la France. En septembre 1934, c’est Barthou qui favorise l’entrée de l’URSS dans la SDN, à la place de l’Allemagne qui s’en est retirée en 1933. Successeur de Barthou au ministère des Affaires étrangères, Pierre Laval poursuit la politique de rapprochement avec l’URSS, avec plus de réticences toutefois car Laval est très anticommuniste : en mai 1935, les gouvernements français et soviétique concluent un pacte d’assistance mutuelle en cas d’agression, valable pour cinq ans. En réalité, Laval est inquiet des répercussions du rapprochement franco-soviétique sur le plan de la politique intérieure : il craint que ce rapprochement ne renforce la position des communistes français. Aussi retarde-t-il l’adoption officielle du traité franco-soviétique d’assistance mutuelle, qui n’est finalement ratifié par la Chambre des députés que le 27 février 1936. Aussitôt Hitler dénonce ce pacte franco-soviétique dans lequel il voit une menace d’encerclement pour l’Allemagne, comme avant la Première Guerre mondiale avec l’alliance franco-russe : en cas de conflit, l’Allemagne se trouverait attaquée sur deux fronts à la fois, un front occidental et un front oriental. En réponse, au mois de mars 1936, Hitler décide la remilitarisation de la Rhénanie, seconde violation du traité de Versailles. La France choisit de ne pas répondre à la provocation. Hitler commence aussitôt à faire édifier la ligne Siegfried le long de la frontière allemande.

La crise économique Président du Conseil de juin 1935 à janvier 1936, Laval renforce la politique de déflation instaurée en 1934 par Gaston Doumergue : nouvelle réduction de 10% des dépenses de l’Etat, nouvelle diminution de 3 à 10% du traitement des fonctionnaires, qui ampute sérieusement cette fois leur pouvoir d’achat ; enfin augmentation générale des impôts, destinée à dégager de nouvelles recettes pour l’Etat. Ces mesures provoquent de violentes manifestations dans tout le pays, et de plus elles viennent un peu à contretemps : en avril 1935 s’est produit un renversement de conjoncture et en juillet 1935 les prix de gros cessent de baisser. En France la reprise industrielle s’amorce au mois de décembre 1935. La hausse des prix reprend à l’automne de 1935. L’impopularité des mesures adoptées par Laval explique en partie la victoire du Front populaire en 1936.

La formation du Front populaire Aux élections municipales de mai 1935 se forment un peu partout, au niveau local, des coalitions de type « front populaire » c’est-à-dire rassemblant des radicaux, des socialistes et des communistes. Le 17 juin 1935, une dizaine de formations dont le parti communiste, la SFIO, les centrales syndicales, la Ligue des droits de l’Homme, et, de façon non encore

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officielle, le parti radical, lancent un appel à tous ceux qui souhaitent « le pain, la paix, la liberté » :

*le pain : la coalition de Front populaire est très hostile à la politique de déflation menée depuis 1932 par les gouvernements successifs. La gauche veut plutôt accroître le pouvoir d’achat général en augmentant les salaires, comme l’a fait Roosevelt aux Etats-Unis dans le cadre du New deal (une expérience que beaucoup d’hommes politiques français de gauche admirent et voudraient voir appliquer en France).

* la paix : la gauche souhaite la préserver à tout prix, grâce à la sécurité collective dans le cadre de la SDN (ce qui en 1935 apparaît comme un programme déjà un peu utopique, compte tenu du fait qu’Hitler a retiré l’Allemagne de la SDN et est en train de remilitariser son pays).

* la liberté : très sensible à la montée des ligues qu’elle assimile à tort ou à raison à une percée fasciste en France, la gauche réclame leur interdiction pure et simple.

Un Rassemblement populaire est instauré dès le mois de juin 1935, et la présidence en est confiée à Victor Basch, philosophe et président de la Ligue des Droits de l’homme. Le Comité de ce Rassemblement décide d’organiser une grande manifestation unitaire le 14 juillet 1935. Pour la préparer, socialistes et communistes tiennent une réunion commune le 28 juin 1935 à la Mutualité à Paris ; Daladier y assiste « à titre personnel ». Enfin le 3 juillet 1935, c’est cette fois le Comité exécutif du parti radical qui décide officiellement de participer à la grande manifestation du 14 juillet 1935.

Au matin du 14 juillet 1935, ce sont 10.000 délégués des différents partis et organisations de gauche qui se réunissent au vélodrome Buffalo à Paris pour assister à ces « Assises de la paix et de la liberté ». Ils prêtent serment de « rester unis » et de « défendre les libertés démocratiques conquises par le peuple de France, de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et, au monde, la grande paix humaine ». L’après-midi, la manifestation commune rassemble entre 100.000 et 500.000 personnes qui défilent de la Bastille à la Nation. Ce jour-là, on peut dire que le Front populaire est officiellement constitué.

Le programme élaboré en commun par toutes les composantes du Front populaire est particulièrement modéré, de façon à satisfaire tout le monde, aussi bien les communistes que les radicaux qui représentent les deux extrêmes opposés de la coalition de Front populaire. Le programme prévoit une restauration du pouvoir d’achat, un plan assez vague de lutte contre la crise, quelques rares nationalisations, et une certaine détente fiscale (en rupture avec l’augmentation des impôts décidée par le gouvernement Laval). Mais aucune des grandes réformes-phares qui seront finalement adoptées à partir de juin 1936 ne figure dans le programme électoral du Front populaire : ni les congés pays, ni la semaine de 40 heures.

La campagne électorale est passionnée. Pour la première fois dans l’histoire politique française, les différents candidats disposent d’un temps de parole à la radio. Le premier tour des élections a lieu le 26 avril 1936 et constitue une surprise : les radicaux sont en recul électoral, perdant 1/2 million de voix ; les socialistes en gagnent 200.000, mais les grands vainqueurs sont les communistes qui doublent le nombre de leurs électeurs par rapport aux élections précédentes, avec 1.470.000 voix. Le PCF est vainqueur dans les régions ouvrières, mais aussi dans les campagnes : touchés durement par la crise économique, les paysans ont en effet massivement placé leurs espoirs dans le parti communiste. Le second tour, le 3 mai 1936, complète le succès du Front populaire grâce à la discipline des désistements qui joue à plein à gauche : les communistes obtiennent 72 députés (contre 12 en 1932) ; les socialistes ont 147 sièges (au lieu de 129) ; enfin les radicaux perdent 41 sièges mais disposent néanmoins de 162 sièges. Au total le Front populaire dispose de 381 sièges contre 221 pour la droite. Pour la première fois depuis la création de la IIIe République, les partis de gauche sont nettement vainqueurs et surtout unis sur un programme de gouvernement.

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III. Le Front populaire (1936-1938)

La législation sociale La formation du gouvernement de Léon Blum dure environ un mois, de début mai à début juin 1936. Pendant ce mois, une vague de grèves spontanées avec occupation d’usines déferle sur la France. Au début du mois de juin 1936, on compte environ 1,5 million de grévistes. On a souvent insisté sur le caractère « bon enfant » de ces grèves, qui se déroulent effectivement dans une atmosphère festive avec l’organisation de kermesses, de bals, etc. On les a interprétées comme une sorte de mise en garde adressée à la nouvelle majorité de Front populaire – puisqu’elles se sont déclenchées après la victoire de la gauche –, l’enjoignant à respecter ses engagements notamment en matière sociale.

Dans le ministère Blum finalement formé le 6 juin 1936, on dénombre trois femmes sous-secrétaires d’Etat (alors même que les femmes ne sont toujours ni électrices ni éligibles) : Irène Joliot-Curie à la recherche scientifique ; Cécile Brunschwicg à l’Education nationale ; Suzanne Lacorre à la Protection de l’Enfance. Outre ces trois femmes, le gouvernement compte 18 SFIO et 14 radicaux : c’est la première fois que les socialistes sont plus nombreux que les radicaux. La plupart de ces hommes n’ont pas ou peu d’expérience politique : ce sont des « hommes nouveaux ». Dès le départ, les membres de la coalition de Front populaire sont divisés sur la marche à suivre : Blum veut s’en tenir à sa doctrine de « gestion du capitalisme par les socialistes », alors que l’aile gauche de la SFIO ainsi que le Parti communiste veulent détruire le système capitaliste. Le gouvernement Blum doit de plus s’attendre à une opposition des milieux financiers et du patronat. Enfin il est urgent de « remettre le pays en route » après les grandes grèves de mai-juin 1936.

Les accords Matignon : L’initiative vient finalement des patrons, inquiets de l’état d’anarchie généralisée. Le 6 juin 1936, les dirigeants du CGPF (syndicat patronal) demandent à rencontrer les dirigeants syndicaux du monde ouvrier. Plusieurs membres du gouvernement Blum servent de médiateurs lors de la réunion qui se tient à l’Hôtel Matignon et qui débouche dans la nuit du 7 au 8 juin 1936 sur les « Accords Matignon », véritable convention collective au plan national par laquelle le patronat reconnaît la liberté syndicale, accepte la création de délégués ouvriers élus dans chaque entreprise de plus de dix salariés, enfin accorde une hausse de salaires variable selon les catégories : 7% pour les salaires les plus élevés, 15% pour les salaires les plus bas.

Des lois complémentaires : Les accords Matignon sont complétés par deux grandes lois qui deviennent emblématiques du Front populaire : la loi du 10 juin 1936 qui accorde à tous les employés et salariés ayant au moins un an d’ancienneté un congé annuel de 12 jours pendant lequel ils continueront à percevoir leur salaire : ce sont les fameux « congés pays ». La loi du 21 juin 1936 réduit la semaine de travail à 40 heures sans diminution de salaire ; son but est de contraindre les employeurs à embaucher une main-d’œuvre complémentaire, et donc à terme de résorber le chômage.

Les effets de ces mesures : Ces mesures entraînent une amélioration certaine de la vie ouvrière. Cette amélioration est peu perceptible au niveau des salaires, dont l’augmentation est en partie annulée par la hausse des prix. Mais il s’agit d’un changement qualitatif de la condition ouvrière. La réduction du temps de travail permet de vivre mieux et favorise le développement des loisirs, d’autant plus que différentes initiatives permettent au peuple un accès à une culture jusque-là réservée à l’élite : l’ouverture d’un « Théâtre du peuple » par la CGT, ou encore d’une Académie de peinture par l’Union des syndicats de la Seine. Quant aux congés payés, ils favorisent l’essor du camping et le développement des auberges de jeunesse.

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Les réformes économiques et financières et les premières difficultés Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, le Front populaire n’a pas entrepris de vastes réformes de structure de l’économie française. Cette timidité s’explique sans doute par les intentions mêmes de Léon Blum, qui n’ont rien de révolutionnaire, par la mauvaise conjoncture économique générale qui n’incite pas à l’aventurisme, ou encore par l’obligation où se trouve Blum de prendre en compte l’avis de ses alliés radicaux, peu favorables à une véritable socialisation de l’économie. Ainsi la loi du 11 août 1936 ne prévoit-elle que des nationalisations très limitées : seules sont concernées certaines usines qui fabriquent du matériel de guerre, et quelques sociétés de construction aéronautique.

Le gouvernement de Front populaire rencontre dès l’automne 1936 des difficultés nombreuses. Il ne peut empêcher la hausse des prix, qui résulte en partie de l’augmentation des salaires qui a majoré les coûts de fabrication. La hausse des salaires s’en trouve neutralisée, ce qui suscite le mécontentement ouvrier et de nouveaux mouvements sociaux en septembre-octobre 1936 ; la production industrielle en pâtit. La surévaluation du franc handicape les exportations (c’est une constante depuis le début de la crise française en 1931-32). Le 1er octobre 1936, le gouvernement de Front populaire se résout à faire ce qu’aucun des gouvernements précédents n’avait osé jusque-là : le franc est dévalué, dans l’espoir de rendre aux produits français leur compétitivité sur le marché international. Mais la dévaluation est trop faible et les prix français restent trop élevés, d’autant plus que le gouvernement est incapable de contenir l’inflation.

Les difficultés sont aussi politiques. La loi du 18 juin 1936 a dissous les ligues, mais elles se reforment presque aussitôt sous la forme cette fois de partis politiques : Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot en juin 1936, Parti social français (PSF) en juillet 1936. Le ministère de Front populaire est d’autre part en butte aux dénonciations calomnieuses de l’extrême droite : le journal Gringoire accuse ainsi le ministre de l’Intérieur Roger Salengro d’avoir déserté pendant la guerre, en 1915. Miné par ses attaques, Salengro finit par se suicider en novembre 1936. Les affrontements se durcissent entre partis politiques antagonistes : le 16 mars 1937 à Clichy par exemple, une échauffourée oppose des communistes à des membres du PSF, causant cinq morts et une centaine de blessés de part et d’autre. Les radicaux s’inquiètent de ces désordres. Quant au PCF, il trouve le gouvernement Blum trop timoré en matière de politique extérieure.

Par rapport à la guerre d’Espagne en effet, qui a débuté en juillet 1936, Blum a opté dès le 1er août 1936 pour la non intervention, sur pression de la Grande-Bretagne et par crainte d’une généralisation du conflit à l’ensemble de l’Europe. Les communistes et l’aile gauche de la SFIO reprochent à Blum son inertie, tandis que la guerre d’Espagne où elles interviennent aux côté de Franco contribue à rapprocher l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste : en octobre 1936 est constitué l’Axe Rome/Berlin. Face aux atermoiements de la France, certains de ses alliés commencent à douter d’elle : c’est le cas notamment de la Pologne, et de la Yougoslavie qui du coup choisit de se rapprocher de l’Allemagne.

L’échec final du Front populaire Devant les difficultés économiques et financières qu’il rencontre, Blum tente de se rapprocher du patronat. Le 31 décembre 1936 il fait voter une loi sur la procédure d’arbitrage obligatoire dans les conflits sociaux. Le 13 janvier 1937, il demande aux travailleurs une « pause » dans les revendications sociales (les grèves sporadiques n’ont pas cessé depuis l’automne 1936) et nomme un comité d’experts composé de libéraux. Les grèves ne font que se multiplier. Attaqué sur sa droite comme sur sa gauche, Blum demande au Parlement l’autorisation d’agir par décrets-lois, c’est-à-dire sans débat parlementaire. La Chambre des députés donne son aval, mais pas le Sénat, plus conservateur : devant ce désaveu, Blum démissionne le 21 juin 1937.

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Le Front populaire continue cependant, avec deux gouvernements successifs menés par le radical Camille Chautemps (Blum lui-même est vice-président du Conseil) mais où figurent toujours des ministres socialistes. Une nouvelle réforme de structure est adoptée en août 1937 avec la nationalisation des chemins de fer et la création de la SNCF. Le 13 mars 1938, Léon Blum tente une dernière expérience de Front populaire mais il est aussitôt confronté à une nouvelle vague de grèves. Il démissionne le 8 avril 1938 : cette fois, c’est bien la fin du Front populaire car le nouveau président du Conseil, le radical Daladier, choisit de gouverner avec la droite.

IV. Le retournement politique et financier et la marche vers la guerre (1938-1939)

Le ministère Daladier Edouard Daladier, qui forme un ministère le 10 avril 1938, avait été l’un des promoteurs du Front populaire. Mais il a évolué vers la droite sous la pression des événements intérieurs et extérieurs. Les socialistes lui refusant leur soutien, Daladier s’appuie désormais pour gouverner sur les radicaux et la droite modérée. Contrairement à Blum, Daladier obtient l’autorisation de légiférer par décrets-lois et en profite pour augmenter les impôts, mettre en route un nouveau programme de grands travaux, accélérer le réarmement de la France et la fabrication de matériel de guerre, enfin pour aménager la loi sur les 40 heures en autorisant les dépassements payés en heures supplémentaires.

Ces différentes mesures se traduisent par une reprise industrielle qui provoque un mouvement de retour des capitaux qui s’étaient expatriés sous le Front populaire : entre janvier et septembre 1939, les réserves de capitaux disponibles augmentent de 9 milliards. Toutefois le redressement économique est encore très timide : pour un indice 100 en 1929, l’indice industriel est à 90 en 1939 ; la part du PNB consacrée aux investissements dépasse à peine 13% : le simple remplacement du matériel n’est même pas encore assuré.

De Munich à la guerre La crise tchèque (revendication de la région des Sudètes par Hitler), ouverte en avril 1938, risque de conduire à la guerre car la France est liée à la Tchécoslovaquie par une alliance qui date de 1924 et qui a été renforcée en 1937. Mais en France, la droite est majoritairement hostile à une intervention en faveur de la Tchécoslovaquie ; d’autre part, les Britanniques croient encore à la bonne foi d’Hitler et ne souhaitent pas non plus une intervention. Dans ces conditions, les accords de Munich signés le 28 septembre 1938, et qui entérinent le dépècement de la Tchécoslovaquie par Hitler, peuvent être considérés comme une capitulation française, même s’ils provoquent en France un « lâche soulagement » selon la formule de Léon Blum : le spectre de la guerre semble avoir reculé.

Or les accords de Munich ne constituent en fait qu’un répit temporaire et ne marquent pas le coup d’arrêt de l’expansionnisme hitlérien. Dès 1939, la question de Dantzig prend le relais de la question tchèque : Hitler revendique le retour à l’Allemagne de cet étroit couloir de terre attribué à la Pologne en 1919. Cette fois, le gouvernement anglais se montre plus ferme, et les démocraties occidentales tentent de s’opposer à Hitler, notamment en cherchant l’appui de l’URSS : depuis le début des années 1930 en effet, Staline s’est posé comme un rempart au fascisme et au nazisme. Or c’est finalement avec Hitler que Staline signe le 23 août 1939 le pacte germano-soviétique. Ce pacte de non-agression est complété par un accord secret qui instaure un partage territorial entre les deux pays : les Etats baltes, la Finlande et la Pologne sont divisés en zones d’influence allemandes et soviétiques. Le 1er septembre 1939, les armées allemandes pénètrent en Pologne. Le 2 septembre, la France décrète la mobilisation générale, et la Chambre des députés quasiment unanime vote des crédits

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spéciaux de 75 milliards pour « faire face aux obligations résultant de la situation internationale. Le 3 septembre, quelques heures après la Grande-Bretagne, la France déclare la guerre à l’Allemagne.

Pendant les années 1930, la France a subi une crise multiforme, économique d’abord, puis sociale, politique et morale. Au moment du déclenchement du second conflit mondial, la population française est divisée par des clivages profonds. L’expérience du Front populaire en particulier a plongé le pays dans une atmosphère de guerre civile larvée, qui oppose la gauche communiste et non communiste à ceux qui, à droite, déclarent préférer « plutôt Hitler que le Front populaire ». Ces clivages, exacerbés encore par la guerre, resurgiront après l’instauration du régime de Vichy en 1940.

Repères bibliographiques -G. LEFRANC, Histoire du Front populaire, Paris, Payot, 1974.

-Z. STERNHELL, La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, Paris, Le Seuil, 1978.

-J.-B. DUROSELLE, La Décadence, 1932-1939, Paris, Le Seuil, coll. « Points-Histoire », 1983.

-C. AMBROSI et A. AMBROSI, La France 1870-1986, Paris, Masson, coll. « Un siècle d’histoire », 1986.

-D. BORNE et H. DUBIEF, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome 13 : La crise des années 1930, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1989.

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18. La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) La Seconde Guerre mondiale a débuté en Europe après l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht en septembre 1939. D’abord cantonnée à l’Europe de l’Ouest, elle devient véritablement internationale en 1941 : le 22 juin de cette année-là, Hitler envahit l’URSS en violation du pacte germano-soviétique d’août 1939 ; en décembre 1941, ce sont les Etats-Unis qui entrent dans la guerre à la suite de l’attaque japonaise sur leur base de Pearl Harbor. L’Axe Berlin-Rome-Tokyo s’oppose désormais à la « Grande Alliance », celle des Anglo-saxons et des Soviétiques.

De 1939 à 1941, la Wehrmacht semble invincible : c’est la période dite de la « guerre-éclair » (Blitzkrieg), pendant laquelle rien ne semble résister à l’armée allemande qui conquiert alors la majeure partie de l’Europe. 1942 apparaît comme une année charnière dans le déroulement du conflit : des deux côtés, pour l’Axe comme pour la Grande Alliance, ce sont les succès et les revers qui alternent. Le 2 février 1943, la capitulation allemande à Stalingrad démontre que la Wehrmacht n’est pas invincible. A partir de 1943, les adversaires de l’Axe vont prendre et garder l’initiative, jusqu’au débarquement allié en Normandie en juin 1944 et la victoire finale sur le Reich le 8 mai 1945 – et la capitulation japonaise au mois d’août de la même année.

La Seconde Guerre mondiale possède un certain nombre de spécificités par rapport au premier conflit mondial : c’est une guerre idéologique, qui oppose très nettement deux conceptions du monde ; c’est aussi la guerre la plus meurtrière de l’histoire, pendant laquelle les civils ont été plus touchés que les militaires ; elle est marquée enfin par l’horreur des « camps de la mort ».

I. La « guerre-éclair » et les victoires de l’Axe (1939-1942)

Les premiers succès de la Wehrmacht et la sujétion de l’Europe occidentale Entre septembre 1939 et la fin de l’année 1941, l’Europe est ravagée par la « guerre-éclair » qui voit l’Allemagne écraser un à un tous ses adversaires : Pologne (septembre 1939), Pays-Bas et Belgique (mai 1940), France (mai-juin 1940). Seule l’Angleterre résiste au déferlement nazi. Hitler avait projeté de débarquer en Grande-Bretagne pendant l’été 1940 ; mais les pilotes anglais de la Royal Air force (RAF) tiennent tête à ceux de la Luftwaffe. La population civile résiste elle aussi aux bombardements systématiques des villes anglaises. Hitler a perdu la bataille d’Angleterre et décide alors de s’attaquer à l’URSS ; pour éviter d’être pris à revers, il lance une nouvelle campagne-éclair contre la Yougoslavie et la Grèce, qui sont envahies et occupées en avril 1941. A cette date en Europe occidentale, seule la Grande-Bretagne n’est pas tombée dans l’orbite du Reich. Mais elle apparaît comme très isolée, même si les Etats-

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Unis lui fournissent une aide économique importante (loi prêt-bail votée à l’instigation de Roosevelt en mars 1941).

Les nations et les peuples d’Europe vaincus par les nazis sont tous assujettis au Reich, mais pas tous au même degré. Pour des raisons essentiellement tactiques, tous ne sont pas placés directement sous administration allemande. Les annexions de fait concernent des territoires peu nombreux : des cantons belges, les deux départements d’Alsace et le département de la Moselle, et une partie de la Pologne ; le « protectorat » de Bohême-Moravie, les Pays-Bas, la Norvège et le « Gouvernement général polonais » sont placés sous l’autorité de représentants directs de l’Allemagne nazie ; mais dans certains cas Hitler estime plus avantageux de laisser subsister l’appareil d’Etat du pays conquis : c’est le cas en Slovaquie, au Danemark, en Serbie et en France. Les pays occupés par le Reich sont soumis à une exploitation plus ou moins poussée de leurs ressources. L’occupation nazie est particulièrement dure dans les territoires de l’Est de l’Europe : ainsi la Pologne a perdu plus de 6 millions d’habitants entre 1939 et 1945 dont 3 millions de Juifs. Le sort des pays d’Europe de l’Ouest est moins rude, mais ils sont néanmoins soumis à une pression économique qui les oblige à entretenir la machine de guerre du Reich en matières premières et en produits finis. L’Ouest est également tenu de fournir de la main-d’œuvre et, à partir de 1942, de livrer un autre tribut humain à l’occupant allemand qui a décidé la « solution finale » : les Juifs vivant sur leurs territoires, qu’ils soient ou non étrangers.

La mondialisation du conflit Le 22 juin 1941, Hitler déclenche contre l’URSS le plan « Barbarossa », en violation du pacte germano-soviétique de non-agression signé le 23 août 1939. La Wehrmacht pénètre en territoire soviétique, et les premières semaines de combat sont catastrophiques pour l’Armée rouge. L’armée allemande toutefois est mal équipée pour résister au froid et doit affronter au bout de quelques mois les contraintes d’un hiver précoce. Ainsi, en décembre 1941, l’armée allemande se révèle incapable de s’emparer de Moscou. Cet échec marque la fin de la période de la « guerre-éclair » qui avait caractérisé les deux premières années de la guerre : on en revient désormais à des modalités d’affrontement plus « classiques ».

Hors d’Europe, les Etats-Unis s’inquiètent en 1941 de l’expansionnisme japonais en Asie. Le 7 décembre 1941, sans déclaration de guerre préalable, des avions militaires japonais attaquent la base américaine de Pearl Harbor dans les îles Hawaii, et détruisent le gros de l’escadre américaine du Pacifique. Le 11 décembre 1941, les forces de l’Axe déclarent officiellement la guerre aux Etats-Unis. Dorénavant, la guerre est une guerre mondiale et le monde est divisé en deux camps antagonistes (l’Axe contre les Alliés), chacun des deux camps essayant de faire basculer dans son orbite les pays qui ne sont pas encore engagés dans le conflit.

Le Reich peut compter sur le soutien actif de l’Italie, dans les Balkans et en Libye, du moins entre juin 1940, date à laquelle l’Italie mussolinienne déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne, et l’été 1943 au cours duquel Mussolini est renversé par une révolution de palais. En revanche, pour des raisons qui tiennent au racisme de l’Etat nazi, les relations entre Berlin et Tokyo ne sont pas des plus étroites. Dans le camp adverse, les liens entre les membres de la « Grande Alliance » (Grande-Bretagne, Etats-Unis, URSS) sont plus étroits. Le 12 août 1941 a été signée la « Charte de l’Atlantique » qui affirme la solidarité entre la Grande-Bretagne, la plupart des pays du Commonwealth et les Etats-Unis. Après l’invasion de son territoire par la Wehrmacht, l’URSS accepte d’adhérer à une croisade des « Nations Unies » qui est menée au nom de la lutte contre le fascisme et de la défense des libertés. L’alliance entre les trois « Grands » perdure pendant toute la durée du conflit, malgré des divergences croissantes qui éclateront au grand jour dans l’après-guerre.

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Les caractères originaux de la Seconde Guerre mondiale Le second conflit mondial possède des caractéristiques originales qui en font un conflit unique dans l’histoire du monde. Cette guerre, qui devient à partir de 1942 une guerre d’usure, mobilise les énergies et les ressources comme jamais auparavant. Plus avancées que lors de la Première Guerre mondiale, la science et la technologie permettent de mettre au point des armes nouvelles. Dans ce domaine, ce sont les Anglo-saxons qui prennent rapidement le dessus : dès le début de la guerre, la Grande-Bretagne s’est dotée du radar, qui permet de repérer les avions ennemis ; en 1945, l’explosion de la première bombe atomique américaine est le point d’aboutissement du « programme Manhattan » qui a mobilisé savants et techniciens aux Etats-Unis pendant toute la durée du conflit.

L’autre originalité de la Seconde Guerre mondiale réside dans la mobilisation des civils, au point qu’on ne peut plus parler d’un « avant » et d’un « arrière » comme en 1914-1918. En Grande-Bretagne, ce sont quelque 17 millions d’hommes et de femmes qui sont directement au service de la guerre ; en URSS, ils sont 10 millions à travailler dans les usines délocalisées à l’Est, loin de la zone des combats. Enfin le Reich en 1945, dans un dernier sursaut, mobilisera jusqu’aux vieillards et aux adolescents.

Outre l’utilisation de leur force de travail, les civils deviennent également, pour la première fois dans l’histoire, une cible privilégiée. Les bombardements menés par l’un ou l’autre camp sur les villes du camp adverse ne visent plus seulement des objectifs militaires : il s’agit de saper le moral des populations en s’attaquant à des objectifs civils. On a vu qu’à l’automne 1940, la Luftwaffe avait procédé au bombardement systématique des villes anglaises ; en 1945, ce sont les villes allemandes et japonaises qui doivent affronter un déluge de bombes. Certaines seront détruites à plus de 80%. Au fil du temps, dans la plupart des pays occupés, de plus en plus de civils vont d’autre part s’engager dans la Résistance à l’ennemi et participer eux aussi à la libération du territoire national.

La guerre de 1939-1945 ne voit pas seulement l’affrontement des armes, mais aussi celui des idéologies. Le camp des défenseurs de la démocratie libérale s’oppose à celui des zélateurs du fascisme. Les belligérants se lancent très vite dans une guerre psychologique destinée à maintenir le moral de leurs partisans et à essayer d’entamer celui de leurs ennemis. De part et d’autre, artistes et journalistes sont enrôlés. L’instrument de propagande le plus efficace toutefois est sans doute la radio, et on peut parler d’une « guerre des ondes » entre le nazi Goebbels et la BBC britannique qui diffuse des programmes dans 29 langues, programmes captés y compris dans les pays occupés par les nazis, malgré les tentatives de brouillage menées par ces derniers (on connaît le rôle joué en France dans les actes de résistance par les messages de la BBC).

Toute l’horreur de la Seconde Guerre mondiale culmine enfin dans la généralisation du système concentrationnaire, mis en place par les nazis en Allemagne dès 1933 pour briser les résistances intérieures à la nazification du pays. La guerre accélère le développement des camps de concentration où affluent des milliers de déportés, politiques ou raciaux. Parmi les déportés raciaux, les Juifs vont être victimes d’une extermination spécifique. Avant la guerre, l’antisémitisme du régime nazi s’était traduit par des lois raciales discriminatoires, tandis que les Juifs allemands étaient fortement incités à quitter le pays. A partir de 1941, avec l’invasion de l’URSS, le nombre de Juifs présents sur le territoire du Reich devient considérable. Les expulser devient difficile : il faut donc les exterminer. En janvier 1942, lors de la conférence de Wannsee, les nazis décident de déporter tous les Juifs européens dans des camps d’extermination, comme celui d’Auschwitz-Birkenau où des chambres à gaz fonctionnent sans interruption de mai 1942 à novembre 1944. Près d’un million de Juifs ont péri à Auschwitz ; en tout, ce sont plus de 5 millions et demi de Juifs qui ont été exterminés par les nazis, véritable génocide désigné par le terme hébreu de « Shoah ».

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II. Le reflux de l’Axe et la victoire des Alliés (1943-1945)

Le tournant de 1942-1943 En novembre 1942, le général anglais Montgomery et les troupes du Commonwealth battent l’Afrika Korps du général allemand Rommel à El-Alamein en Egypte, tandis que les Anglo-saxons débarquent au Maroc et en Algérie (opération « Torch »). Les Allemands sont chassés de Libye, de Tunisie, de Sicile et du sud de l’Italie. Ainsi, à la fin de l’année 1942, les Anglo-saxons contrôlent la Méditerranée occidentale. Dans le Pacifique, les Alliés arrêtent la progression du Japon lors de la bataille de Guadalcanal qui dure d’août 1942 à février 1943.

Mais la défaire allemande qui a véritablement changé le cours de la guerre, et montré que le IIIe Reich n’était pas invincible, est sans conteste la bataille de Stalingrad. L’invasion de l’URSS par la Wehrmacht s’est traduite par l’occupation d’une grande partie du territoire soviétique, qui regroupe 40% de la population et où se trouvent les meilleures terres à blé ainsi que la plupart des installations industrielles. La ville industrielle de Stalingrad, située sur la rive droite de la Volga, est envahie par les troupes allemandes au mois de septembre 1942. Or les soviétiques vont opposer une résistance farouche à l’envahisseur dans cette cité pourtant détruite aux 9/10e. Stalingrad devient alors un enjeu beaucoup plus important que le seul enjeu militaire : c’est tout le sort de la guerre qui semble se jouer dans les ruines de cette ville-symbole de la résistance soviétique. En novembre 1942, l’Armée rouge parvient à prendre en tenaille la VIe armée allemande commandée par le maréchal Paulus. Entre le 30 janvier et le 2 février 1943, prise au piège, privée de ravitaillement et de soutien aérien, la VIe Armée de Paulus doit capituler. Dès lors, le général soviétique Joukov contraint les envahisseurs à un recul inéluctable jusqu’à leur sortie définitive d’URSS au printemps 1944. La défaite allemande de février 1943 a un retentissement considérable et marque effectivement un tournant dans la guerre, ne serait-ce qu’au point de vue psychologique : désormais, l’espoir a changé de camp.

A partir de 1943, le Reich et le Japon vont pourtant mobiliser toutes leurs forces dans une guerre qui se veut totale. Mais ils sont progressivement étouffés d’une part par la supériorité numérique de l’Armée rouge en Europe, d’autre part par la puissance de l’économie et de la logistique américaines dans le Pacifique. A partir du mois de juillet 1943, l’affrontement entre Soviétiques et Allemands tourne définitivement à l’avantage des premiers : ils réoccupent l’Ukraine dès l’automne 1943 ; en janvier 1944, ils lèvent le siège de Leningrad et délivrent une ville exsangue, dont les habitants ont durement souffert d’un siège interminable imposé par l’armée allemande. Staline souhaite dès 1943 qu’un débarquement anglo-saxon en Europe de l’Ouest, sur les côtes françaises, vienne soulager l’effort de l’Armée rouge en ouvrant un nouveau front. Mais les Anglo-saxons jugent un tel débarquement prématuré ; avec l’aide d’une armée française reconstituée, ils occupent d’abord la Sicile (juillet 1943) puis débarquent en Italie du Sud en septembre 1943. Si leur progression est difficile, elle provoque néanmoins l’effondrement du régime fasciste italien. L’opération massive de débarquement souhaitée par Staline aura finalement lieu au mois de juin 1944.

La capitulation du Reich puis du Japon Le 6 juin 1944 est lancée l’opération « Overlord » : des troupes américaines, anglaises mais aussi canadiennes, commandées par le général américain Eisenhower, débarquent en Normandie. Ce sont en tout 3 millions d’hommes qui ont été concentrés en Angleterre dans les mois précédant le déclenchement de l’opération. « Overlord » a nécessité la construction de milliers de péniches de débarquement, de cinq ports artificiels et d’un oléoduc sous-marin reliant le territoire anglais à la ville de Cherbourg. L’objectif de l’opération était de s’emparer de Cherbourg et d’y débarquer ensuite le matériel lourd qui permettrait la libération du

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territoire français. A l’aube du 6 juin, des milliers d’Américains, de Britanniques et de Canadiens débarquent entre le Cotentin et l’Orne, sur cinq plages normandes désignées par des noms de code : Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword. La surprise des Allemands est totale : l’Etat-major allemand s’attendait bien à un débarquement, mais pensait qu’il aurait lieu plus au Nord (sur les côtés du Pas-de-Calais). D’autre part, la Wehrmacht est dominée dans les airs et ne peut rejeter les Américains à la mer. La Wehrmacht contient les troupes alliées jusqu’à la fin du mois de juillet 1944 mais ne peut empêcher la percée d’Avranches. A partir du 15 août, l’armée allemande est prise en tenaille sur le territoire français car un autre débarquement allié a lieu sur les côtes provençales.

Le territoire français est progressivement libéré, Paris dès le 25 août grâce au concours de la 2e division blindée du général Leclerc (ce qui n’était pas prévu dans le plan général de l’opération Overlord), et grâce aussi à la participation d’une partie de la population parisienne. La résistance allemande toutefois ne faiblit que lentement : Strasbourg est libéré seulement le 23 novembre 1944, et Colmar plus tard encore, le 2 février 1945. Une contre-offensive allemande se produit même dans les Ardennes au mois de décembre 1944, menaçant à nouveau l’Alsace. Les forces alliées néanmoins continuent leur avancée vers l’Est et finissent par franchir le Rhin en mars 1945. La progression de l’Armée rouge est également inéluctable : elle franchit les frontières de l’URSS pendant l’hiver 1943-1944, prend Bucarest et libère Budapest en février 1945.

Pris entre deux fronts, le Reich est en voie de décomposition. C’est toute la population allemande qui est mobilisée pour un dernier assaut contre les forces alliées. Les opposants réels ou supposés du régime sont impitoyablement châtiés, surtout après l’attentat manqué contre Hitler le 20 juillet 1944. Les bombardements alliés systématiques sur les villes allemandes toutefois démoralisent profondément la population. Le 13 février 1945, un raid aérien allié sur Dresde fait à lui seul quelques dizaines de milliers de morts, et la ville est en grande partie détruite. A partir du mois d’avril 1945, le régime nazi est véritablement aux abois : le 26 avril, les troupes américaines et britanniques font leur jonction à Torgau sur un affluent de l’Elbe, alors que l’Armée rouge s’empare de Berlin. Hitler se suicide le 30 avril 1945 dans son bunker de la Chancellerie du Reich. Le 8 mai 1945 à Berlin, l’Allemagne capitule sans conditions.

Dans le Pacifique, la résistance japonaise est opiniâtre. Les soldats japonais préfèrent être tués sur place plutôt que d’être faits prisonniers, et les pilotes kamikazes lancent leurs « avions-suicide » sur les navires américains. Le président américain Harry Truman, successeur de Roosevelt décédé le 12 avril 1945, décide alors d’utiliser l’arme nucléaire récemment mise au point par les Américains : le 6 août à Hiroshima, le 9 août à Nagasaki, le lancement de deux bombes atomiques fait près de 200.000 morts. Le 2 septembre 1945, le Japon capitule à son tour. C’est la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le bilan de ce conflit se révèle particulièrement lourd. L’hécatombe est d’abord démographique : la guerre a fait plus de 50 millions de victimes (soit 5 fois plus que la grande Guerre) dont 35 millions en Europe parmi lesquels une forte proportion de civils ainsi que les 5,5 millions de Juifs exterminés par la barbarie nazie. L’URSS est la nation qui a payé le plus lourd tribut avec 20 millions de morts. Aux victimes directes il faut ajouter les morts provoquées par les conséquences de la sous-alimentation et par le retour des maladies de carence comme la tuberculose. Beaucoup de populations enfin ont été soumises à des déplacements forcés à la faveur du conflit : plus de 10 millions d’Allemands expulsés ou en fuite devant la progression de l’Armée rouge ont reflué vers l’Ouest ; en Asie du sud-est, 7 millions de Japonais environ, qui étaient installés en Corée, en Mandchourie ou à Taiwan, doivent regagner l’archipel nippon après la capitulation japonaise.

Les destructions matérielles sont tout aussi immenses. L’Europe est en grande partie détruite. L’importance du bilan matériel s’explique par la puissance de feu des armes modernes, les bombardements, les sabotages, ou encore la politique de la terre brûlée menée par les Soviétiques au moment de leur retraite devant la Wehrmacht en 1941. L’URSS a d’ailleurs

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particulièrement souffert : 70.000 villages et 1700 villes ont été totalement ou partiellement détruits. Quant à l’Allemagne, l’année 1945 est pour elle une véritable « année zéro » : plongée dans le chaos, elle a tout à reconstruire, et pas seulement au plan matériel. L’économie européenne a évidemment pâti de ces destructions : au total, entre 1939 et 1945 la production industrielle de l’Europe a diminué de 50%.

La victoire des Alliés entraîne de profonds bouleversements politiques. La Seconde Guerre mondiale marque ainsi la fin de la prépondérance de la France et de la Grande-Bretagne au profit des Etats-Unis et de l’URSS. Avant même la capitulation définitive de l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’URSS ont fixé lors de la conférence de Yalta, au mois de février 1945, les grands principes qui devraient régir l’après-guerre : création d’une organisation des nations unies, tenue d’élections libres dans les pays libérés, et déterminé le sort réservé à l’Allemagne après la défaite du Reich. Mais les fissures vont très vite apparaître entre les vainqueurs, jusqu’au déclenchement « officiel » de la guerre froide en 1947.

Enfin le traumatisme causé par la guerre est aussi un traumatisme moral. En 1945, deux faits bouleversent profondément l’opinion internationale. D’abord, la découverte des camps de la mort et des atrocités nazies conduit à une interrogation profonde sur les notions de civilisation et de barbarie, qui ne sera pas apaisée par le procès de Nuremberg au cours duquel sont jugés et condamnés les principaux dignitaires nazis du 20 novembre 1945 au 30 septembre 1946. D’autre part, l’utilisation de l’arme nucléaire sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945 fait prendre conscience à l’homme de son pouvoir de destruction.

Repères bibliographiques -P. MIQUEL, La Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 1986.

-G. PREVOST (dir.), La Seconde Guerre mondiale : Vie et société, Paris, Larousse, 1992.

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19. La France pendant la Seconde Guerre mondiale Entre 1940 et 1944, la France doit affronter des pages particulièrement noires de son histoire : elle subit à la fois l’occupation allemande et le poids d’un régime autoritaire né de la défaite, le régime de Vichy. La majorité des Français, traumatisés par la déroute, sont plutôt attentistes, et font largement confiance au Maréchal Pétain qui s’est posé en juin 1940 comme le sauveur de la France. Toutefois, malgré son retrait des combats dès le mois de juin 1940 (signature d’un armistice avec l’Allemagne), le pays est en état de guerre civile larvée car à la France de Vichy s’oppose la France résistante, qu’il s’agisse de la résistance métropolitaine ou de la résistance extérieure fédérée par le général de Gaulle. Pour comprendre la violence de ces oppositions, il faut garder à l’esprit les effets de la crise des années 1930 sur la société française, et le clivage absolu entre les sympathisants du Front populaire et ceux qui proclamaient au contraire « Mieux vaut Hitler que Blum ». C’est ce pays profondément divisé qui tentera au moment de la Libération en 1944 de retrouver son unité.

I. Le traumatisme de la défaite

De la « drôle de guerre » à la déroute militaire (septembre 1939-juin 1940) Le 3 septembre 1939, la France a déclaré la guerre à l’Allemagne en représailles à l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes deux jours plus tôt. A l’enthousiasme de 1914 s’oppose la morne résignation des Français face à ce nouveau conflit dont ils ont du mal à cerner les tenants et les aboutissants : vont-ils combattre pour défendre leur patrie ? S’agit-il d’abattre le nazisme ou de soutenir l’allié polonais ? Est-il acceptable de « mourir pour Dantzig » ?

Au plan militaire, le rapport de force est plutôt défavorable à la France. L’insuffisance se situe non pas tant au niveau des moyens matériels qu’au niveau de la stratégie : les chefs militaires ont encore des conceptions archaïques. Ainsi Gamelin, ancien collaborateur de Joffre, reste-t-il obstinément attaché aux leçons de la Première Guerre mondiale : l’état-major français est persuadé de la supériorité d’une stratégie défensive, et pense pouvoir s’abriter derrière la ligne Maginot. Les premiers mois de la guerre semblent donner raison aux théories de l’état-major : les troupes françaises stationnent pendant de longs mois dans une inactivité presque totale, sans participer à aucun affrontement direct avec l’ennemi allemand. En mars 1940, Paul Reynaud devient président du Conseil. Plus énergique que son prédécesseur Daladier, il tente, mais sans succès, de secouer l’inertie de l’état-major français. C’est cette période de guerre sans combats, entre septembre 1939 et mai 1940, qui a été surnommée la « drôle de guerre ».

Elle prend fin brutalement au mois de mai 1940 avec le début d’une offensive allemande foudroyante (« Blitzkrieg ») contre la France. En six semaines, l’armée française, pourtant considérée à l’époque comme la meilleure armée du monde, est écrasée par le déferlement des troupes ennemies, et ce malgré des combats acharnés qui ont fait un peu plus de 90.000 morts côté français. L’effet de surprise a été total, car la percée allemande s’est produite dans la forêt des Ardennes, un secteur non couvert par la ligne Maginot car réputé impénétrable.

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Au-delà du désastre militaire, la déroute provoque en France une crise politique sans précédent.

La déroute politique de juin-juillet 1940 L’entrée en France des troupes allemandes, dès le début du mois de juin 1940, provoque une panique collective qui n’est pas sans rappeler les grandes peurs du passé. A partir du 10 juin 1940, ce sont quelque huit millions de personnes, vieillards, femmes et enfants notamment, qui quittent la moitié Nord de la France pour fuir l’avancée allemande. La désorganisation du pays est totale. Le gouvernement Reynaud pour sa part s’est d’abord replié sur la Loire, puis à Bordeaux. Il est profondément divisé sur la marche à suivre : certains voudraient continuer le combat, d’autres, comme le Maréchal Philippe Pétain, vice-président du Conseil, réclament au contraire la cessation immédiate des combats et la signature d’un armistice avec l’Allemagne. C’est cette dernière solution qui l’emporte. Après la démission de Reynaud, Pétain devient président du Conseil le 16 juin 1940. Aussitôt, il demande l’ouverture de négociations de paix avec le Reich. L’armistice franco-allemand est signé à Rethondes le 22 juin 1940. Véritable diktat imposé par l’Allemagne à la France (c’est la revanche de Versailles), il entre en vigueur le 25 juin et peut être considéré comme l’acte fondateur du régime de Vichy. Ses clauses placent la France en totale subordination par rapport au Reich allemand : le territoire français est occupé aux deux tiers – une ligne de démarcation sépare la zone Sud de la zone Nord, cette dernière, directement occupée par la Wehrmacht, concentrant les deux tiers de la population et les trois quarts de la main-d’œuvre industrielle ; l’économie française passe sous contrôle ennemi ; l’administration française est contrainte de collaborer avec l’occupant.

La grande majorité des Français place une confiance absolue dans la personne du Maréchal Pétain, qui jouit aux yeux de tous de sa large popularité de « vainqueur de la Première Guerre mondiale ». Présenté par Pétain comme inévitable, l’armistice est accepté par la quasi totalité des Français. Rares sont alors les voix discordantes : l’appel lancé depuis Londres par le général de Gaulle dès le 18 juin 1940 n’a guère été entendu en France. L’armistice constitue l’acte politique par lequel Pétain va fonder son pouvoir personnel. Le 10 juillet 1940, les parlementaires réunis à Vichy votent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain pour élaborer « une nouvelle constitution de l’Etat français [qui] devra garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie ». Ce texte qui constitue l’acte de décès de la IIIe République est adopté par 569 voix contre 80 (et 20 abstentions). Sous le regard de l’occupant, Pétain va dès lors mettre en place une « révolution nationale ».

II. Le régime de Vichy

L’idéologie de la « Révolution nationale » En juillet 1940, le Maréchal Pétain, alors âgé de quatre-vingt quatre ans, se retrouve à la tête d’un pouvoir quasi-absolu, précisé par plusieurs actes constitutionnels : il cumule les fonctions de chef de l’Etat et de président du Conseil et détient la totalité de l’exécutif, ses ministres n’étant responsables que devant lui et ne formant pas une véritable équipe gouvernementale. Le Maréchal peut adopter des « actes » à contenu législatif (à la place du Parlement qui a été ajourné). Les fonctionnaires doivent lui prêter un serment de fidélité. Il peut d’autre part condamner à certaines peines de prison sans jugement.

Le régime de Vichy entend rompre avec la démocratie libérale et laïque, et débarrasser le pays des éléments jugés responsables de la défaite. Les dirigeants au pouvoir avant juin 1940 sont incarcérés ou mis en jugement (Blum, Daladier, Reynaud). Les communistes sont pourchassés, la franc-maçonnerie et les syndicats interdits dès le mois d’août 1940 (loi sur les sociétés secrètes). Enfin, au mois d’octobre 1940, un premier statut des Juifs les exclut de toute fonction qui pourrait leur conférer autorité et influence : fonctions électives, fonctions

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publiques, emplois dans les domaines du cinéma, du théâtre, de la radio et de l’enseignement ; leur accès à l’Université et aux professions libérales est par ailleurs limité par un numerus clausus. Un deuxième statut des Juifs est adopté en 1941 : les entreprises juives sont confiées à des administrateurs extérieurs, et les Juifs eux-mêmes doivent se faire recenser (une mesure qui par la suite facilitera leur arrestation et leur déportation).

Mais il s’agit également de rompre avec un passé plus lointain, en un mot avec tout le passé républicain de la France. La devise de la France (« Liberté, égalité, fraternité ») est remplacé par le triptyque « Travail, Famille, Patrie » qui souligne bien quels sont les piliers du nouveau régime. Le monde du travail est restructuré dans le cadre de « familles professionnelles » qui rappellent les corporations fascistes. Hostile aux intellectuels, Vichy vante les vertus des métiers manuels ; se défiant de l’industrialisme, le régime célèbre les paysans et les artisans. La famille fait également l’objet de toutes les attentions du régime : on célèbre le retour de la mère au foyer, le divorce n’est plus autorisé qu’après au moins trois ans de mariage, la natalité est encouragée le relèvement des allocations familiales, la répression de l’avortement s’accroît. Enfin la patrie doit être régénérée par l’élimination des éléments indésirables, et les Français sont invités à faire acte de pénitence car c’est leur égoïsme, leur matérialisme et leur « esprit de jouissance » qui auraient conduit directement à la débâcle de juin 1940. Comme en 1815 et comme en 1871, le choc de la défaite a provoqué en 1940 l’avènement de l’ordre moral.

Le pétainisme : une signification ambiguë La signification idéologique de la Révolution nationale n’est pas dénuée d’ambiguïté. Vichy ne peut pas être assimilé à un régime fasciste, ni dans son inspiration ni dans ses réalisations : le régime notamment n’a pas fondé de parti unique. Malgré l’emploi du terme de « révolution nationale », son idéologie est plus passéiste que révolutionnaire, plongeant ses racines dans la Contre-révolution. Vichy en effet a développé le rêve utopique d’un retour à une France rurale (« La terre, elle, ne ment pas »), artisanale et patriarcale, telle qu’elle aurait existé avent la Révolution française et la Révolution industrielle.

Pourtant, Vichy a copié dans certains domaines les institutions corporatistes du fascisme, notamment dans le domaine du travail et dans un esprit de négation de la lutte des classes. Le régime a fondé également une police politique, le Service d’Ordre légionnaire, transformé en 1943 en une milice dirigée par Joseph Darnand. Vichy enfin a tenté, comme les autres régimes autoritaires, d’influencer l’opinion publique par la censure de l’information et par une propagande active qui s’articulait notamment autour du culte de la personnalité du Maréchal Pétain. De même a-t-il cherché à encadrer la jeunesse, à travers l’instauration de « chantiers de jeunesse ». Par ces différents traits, le régime de Vichy dépasse le cadre d’une simple « réaction » : certains historiens ont utilisé pour le qualifier le terme de « totalitarisme non fasciste ».

Le personnel dirigeant qui gravite dans les coulisses du pouvoir à Vichy est lui aussi très divers. On y trouve des parlementaires de la IIIe République, au premier rang desquels Pierre Laval qui sera à deux reprises vice-président du Conseil ou « chef du gouvernement » (de juillet à décembre 1940 puis à nouveau à partir d’avril 1942). Beaucoup de militaires se pressent aussi à Vichy, comme le général Weygand ou l’amiral Darlan (vice-président du Conseil de février 1941 à avril 1942). Les hauts fonctionnaires voisinent avec les journalistes et les universitaires. A partir de 1941, de jeunes technocrates plus soucieux d’efficacité que d’idéologie font leur entrée sur la scène politique de Vichy.

Ce régime ambigu est entré dès le mois d’octobre 1940 dans la voie de la collaboration d’Etat. Face à l’occupant en effet, deux attitudes antagonistes sont possibles : collaborer ou résister.

III. Les attitudes face à l’occupant

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Collaborer Deux formes de collaboration coexistent entre 1940 et 1944. La première est la collaboration d’Etat. Dès le 24 octobre 1940, en rencontrant Hitler à Montoire dans le centre de la France, le Maréchal Pétain accepte le principe d’une collaboration politique avec l’occupant. Les dirigeants vichyssois, Pétain, mais aussi Laval et Darlan, entendent ainsi mener une politique réaliste : en échange d’une collaboration active, ils pensent en effet obtenir du Reich un adoucissement des conditions de l’armistice et des avantages immédiats : allègement des versements dus par la France au titre de l’entretien des troupes allemandes, retour des prisonniers français, facilités de passage de la ligne de démarcation entre zone occupée et zone libre. Cette collaboration politique d’Etat à Etat repose aussi sur des convictions idéologiques, sur un réflexe de haine envers les ennemis de l’Allemagne qui sont aussi ceux de Vichy : le Royaume-Uni, qui en attaquant la flotte française à Mers-el-Kébir en juillet 1940 a vu se réveiller contre lui l’anglophobie traditionnelle des Français ; ou encore l’URSS dont Laval redoute tant l’expansionnisme qu’il déclare, dans un discours resté célèbre, « souhaiter la victoire de l’Allemagne ». Pour les hommes de Vichy, l’avenir est à une Europe sous domination allemande, dans laquelle ils veulent que la France se taille une place de choix. A long terme en effet, Vichy ambitionne pour la France un rôle de « brillant second » au sein d’une Europe germanisée, et ce au détriment de l’Italie.

Quelles que soient les raisons de la collaboration d’Etat, elle apparaît très vite comme un leurre : les Allemands n’ont jamais eu l’intention d’assouplir les conditions d’occupation de la France. De plus, à partir de novembre 1942 et du débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord, les conditions de l’occupation deviennent encore plus draconiennes : la zone sud est occupée à son tour, et l’armée française est dissoute. La collaboration fonctionne désormais au bénéfice exclusif du Reich qui prélève un tribut économique accru. A partir de février 1943, le STO (Service du Travail obligatoire) impose aux Français âgés de 21 à 23 ans d’aller travailler en Allemagne. Enfin l’occupant utilise la police française pour rafler et interner les Juifs de France, et pour arrêter les résistants.

A côté de la collaboration d’Etat existe aussi une collaboration plus extrémiste car uniquement idéologique : certains Français s’engagent ainsi dans la collaboration par fascination pure et simple pour le IIIe Reich. Beaucoup de ceux qui, dans les années 1930, admiraient le régime nazi – dans lequel ils voyaient un rempart contre le communisme – se retrouvent après 1940 dans les milieux collaborationnistes parisiens. Représentants de l’ultra droite, des hommes comme Doriot, Déat, mais aussi des intellectuels comme l’écrivain Robert Brasillach, prônent une collaboration totale avec l’Allemagne, y compris militaire, et estiment que Vichy est trop mou notamment dans sa lutte contre le danger communiste. Le 18 juillet 1941, ces collaborationnistes créent à Paris une « Légion des volontaires français contre le bolchevisme » (LVF) dont les membres s’engagent sur le front russe aux côtés de la Wehrmacht. A partir de 1944 se produit un rapprochement entre ces collaborationnistes parisiens et l’ultra droite vichyssoise : à travers la Milice, cette dernière contrôle la police avec Darnand et la propagande avec le journaliste Henriot. Ce rapprochement symbolise le durcissement final du régime de Vichy, régime policier de plus en plus complice de la répression exercée par l’occupant. Cette répression s’exerce en particulier à l’encontre des résistants.

Résister La Résistance française a été à la fois une résistance extérieure et une résistance intérieure. Hors de France, à Londres, de Gaulle dirige la « France libre ». A mesure que Vichy perd sa légitimité, celle de de Gaulle se renforce. Dès le mois de juin 1940 le général de Gaulle s’est opposé à la signature de l’armistice avec l’Allemagne et a appelé tous les Français qui le souhaitaient à venir le rejoindre dans la capitale britannique pour continuer le combat. Dans une guerre qui est une guerre mondiale, les « Français libres » incarnent la légitimité du combat national. Un peu partout, les Forces françaises libres luttent contre les armées de

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l’Axe. Les difficultés pourtant sont nombreuses : la France libre manque de ressources ; elle ne suscite que l’indifférence ou le désintérêt de nombreux Français exilés qui restent à l’écart (comme Raymond Aron) ou qui préfèrent partir en exil aux Etats-Unis (comme Jean Monnet) ; elle doit subir la méfiance des Alliés, celle des Américains surtout, et en particulier de Roosevelt qui ne voit en de Gaulle qu’un apprenti-dictateur ; enfin elle est, pendant de longs mois, coupée de la France métropolitaine : les premiers contacts avec la résistance intérieure n’ont lieu qu’au mois d’octobre 1941. C’est que des deux côtés, on se méfie : pour de Gaulle, les résistants « de l’intérieur » de sont que des civils désorganisés ; quant à ces derniers, ils refusent longtemps de reconnaître l’autorité suprême du général en exil.

En métropole, un certain nombre de « patriotes » ont très vite dit non à l’Occupation puis à la collaboration. Toutefois il s’agit surtout au départ d’une réaction instinctive, et peu nombreux sont ceux qui passent tout de suite à l’action : dans la France de l’été 1940 court en effet la rumeur selon laquelle un accord secret a été passé entre Pétain et de Gaulle, le premier protégeant les Français à l’intérieur, le second continuant le combat contre l’Allemagne hors des frontières. Paradoxalement, les premiers résistants sont parfois issus de la droite nationaliste d’avant-guerre (comme Loustaunau-Lacau) ; le plus souvent toutefois, les premiers à s’engager sont des démocrates-chrétiens (comme Edmond Michelet) ou des socialistes (Daniel Mayer, Jean Lebas). Aux premiers tracts s’ajoutent rapidement des journaux clandestins qui cherchent à alerter l’opinion française (ainsi le journal Résistance qui commence à paraître au mois de novembre 1940). Progressivement apparaissent des mouvements de résistance sur tout le territoire, en zone sud (Combat d’Henri Frenay, Libération de d’Astier de la Vigerie, Franc-Tireur) comme en zone nord (Libération Nord du socialiste Christian Pineau, Défense de la France, l’Organisation civile et militaire). Cette « armée des ombres », d’abord très minoritaire, s’étoffe considérablement à partir de 1941 avec l’entrée en scène du parti communiste : au printemps 1941, le PCF abandonne la ligne de neutralité imposée par le Komintern et entre en totalité dans la résistance active où les communistes joueront un rôle très important. Enfin au moment de la création du STO en 1943, de nombreux réfractaires rejoignent les premiers maquis.

L’unification de la Résistance est pourtant difficile. Les non communistes en particulier se méfient du PCF qui a créé sa propre organisation de combat, les FTP (Francs-tireurs partisans) et propose à tous les résistants de rejoindre sous sa conduite un Front national. L’unification de la Résistance sera l’œuvre d’un envoyé du général de Gaulle, Jean Moulin, ancien préfet d’Eure-et-Loir qui parvient en mai 1943 à former le Conseil national de la Résistance (CNR) et à faire reconnaître de Gaulle comme chef politique de la Résistance intérieure comme il est celui de la Résistance extérieure. Après l’arrestation et la mort de Jean Moulin en juin-juillet 1943, c’est le démocrate-chrétien Georges Bidault qui préside le CNR. A l’automne 1943 se réunit à Alger sous l’égide de de Gaulle une assemblée consultative : à cette occasion est créé un Comité français de libération nationale, qui associe membres de la France libre et résistants de l’intérieur. Le 2 juin 1944, ce Comité se transforme en un Gouvernement provisoire de la République française. Entre-temps, en mars 1944, le CNR a publié un programme qui à la fois prépare l’insurrection finale contre l’occupant et dresse la liste d’un vaste programme de réformes à accomplir après la Libération : sont ainsi posées les bases politiques, économiques et sociales d’une France nouvelle.

Un attentisme dominant Collaborer ou résister, ces deux options contradictoires n’ont concerné en réalité qu’une minorité de Français. Dans l’ensemble, la population française s’est montrée plutôt attentiste. L’opinion cependant a sensiblement évolué au cours de la période en ce qui concerne l’adhésion au régime de Vichy : si la plupart des Français sont restés « maréchalistes » jusqu’en 1944, c’est-à-dire attachés à la personne même de Pétain, leur adhésion au pétainisme, c’est-à-dire à l’idéologie de la Révolution nationale, a très vite fait long feu. Dès la fin de 1941, la désaffection des Français vis-à-vis de Vichy est patente, et tous les dirigeants du régime à l’exception de Pétain sont l’objet d’un opprobre général : Laval en particulier

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suscite la méfiance voire la haine, incarnant le « mauvais » Vichy qui enfonce la France dans la voie de la collaboration.

Les Français des années 1940-1944 sont préoccupés avant tout par les difficultés de la vie quotidienne, en particulier par les problèmes de ravitaillement : au fil des mois et dans les villes, le souci majeur devient de trouver à se nourrir. Le rationnement s’aggrave en effet au fil du temps, à cause de l’interruption des échanges renforcée par le blocus britannique, l’augmentation de l’autoconsommation paysanne et les prélèvements de plus en plus pesants opérés par l’armée d’occupation. Se développe ainsi un marché noir de plus en plus actif. Les Français sont également soumis à un certain nombre de craintes : celle des bombardements anglo-saxons, qui s’intensifient au mois de mai 1944 et font au total plus de 50.000 victimes ; celle de la répression exercée par l’occupant, et plus particulièrement les représailles déclenchées de façon quasi systématique par les Allemands à la suite d’attentats ou de sabotages commis par les résistants.

Dans un tel contexte, le débarquement allié en Normandie au mois de juin 1944 et la libération quasi générale du territoire national aux mois d’août-septembre suivants sont accueillis par les Français dans la liesse. Pourtant, Vichy a laissé des séquelles, comme le montre l’épuration sauvage qui se déclenche dès l’automne 1944 (exécutions sommaires de collaborateurs supposés, exhibition de femmes tondues soupçonnées d’avoir eu des relations sexuelles avec l’occupant…). Surtout, Vichy est longtemps resté une période taboue de l’histoire de France, car c’est une période qui a vu ressurgir l’opposition entre deux France, et qui a réveillé la guerre civile latente depuis 1789.

Ni collaborateurs ni résistants, la plupart des Français se sont réfugiés, entre 1940 et 1944, dans un attentisme prudent. Si l’opinion n’a pas apporté son soutien à l’idéologie pétainiste, elle a massivement adhéré à la personne du Maréchal Pétain. Cette ambiguïté fait de l’Occupation une période trouble, que les Français ont voulu oublier très vite par la suite.

La question s’est posée dès 1944 de savoir si Vichy a été une simple parenthèse, un accident de l’histoire de France, ou bien s’il s’insère dans une évolution amorcée au siècle précédent. Le régime de Vichy semble marquer l’ultime revanche des tenants de la Contre-révolution ; sa xénophobie, son antisémitisme trouvent également leurs racines au XIXe siècle. D’autre part, le dirigisme vichyssois survivra à la Libération à travers la planification, la politique nataliste et certaines mesures sociales.

Repères bibliographiques - R. O. PAXTON, Le régime de Vichy 1940-1944, Paris, Seuil, 1972

- J.-P. AZEMA, De Munich à la Libération, 1938-1944, Paris, Seuil, « Points-Histoire », 1979.

- P. LABORIE, L’opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, 1990

- J.-P. AZEMA et F. BEDARIDA, (dir.), La France des années noires, Paris, Seuil, 1993

-H. ROUSSO, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, 1996.

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20. La guerre froide (1947-1991) Le 5 mars 1946, dans un discours prononcé à Fulton, Winston Churchill fait le constat suivant : « De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l’Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent ». C’est l’expansionnisme soviétique qui est dénoncé ici par l’ancien Premier ministre britannique. En 1946 en effet, les Etats-Unis et leurs alliés d’Europe occidentale commencent à s’inquiéter de la mainmise soviétique sur l’Europe centrale : si les Soviétiques ne se sont pas encore rendus totalement maîtres de cette région du monde, les communistes détiennent déjà les postes clés dans le gouvernement et l’administration des pays d’Europe de l’Est. Staline, pour sa part, se méfie de la puissance grandissante des Etats-Unis : dès 1944, ces derniers ont imposé leur domination monétaire à la conférence de Bretton Woods, et l’Organisation des Nations-Unies, qui a vu le jour en juin 1945, apparaît comme une création américaine. C’est dans ce climat de méfiance réciproque entre l’Est et l’Ouest que se produit la rupture de 1947, qui marque le début d’un affrontement indirect entre les deux blocs qui durera plus de quarante ans.

I. Deux camps ennemis (1947-1963)

La rupture de 1947 Le 12 mars 1947, Harry Truman prononce devant le Congrès américain un discours généralement considéré comme le point de départ de la guerre froide. Le président américain y énonce en effet ce qu’il considère comme le devoir des Etats-Unis : « soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d’asservissement, qu’elles soient le fait de minorités armées ou de pressions étrangères ». L’ennemi ainsi désigné est bien Staline et sa volonté de mettre en place un « glacis défensif » aux frontières occidentales de l’URSS. Dans son discours, Truman annonce le début de la politique de containment (en français « endiguement ») du communisme un peu partout dans le monde : il s’agit d’empêcher toute nouvelle extension de la zone d’influence soviétique au-delà des limites qu’elle a déjà atteintes en 1947. Cette « doctrine Truman » se concrétise au mois de juin 1947 par la mise en place du plan Marshall : les Etats-Unis proposent une aide économique et financière à tous les pays d’Europe qui souhaiteraient en bénéficier pour entreprendre leur reconstruction après les ravages provoqués par la Deuxième Guerre mondiale (12 milliards de dollars sont dégagés à cet effet). Le plan Marshall est rejeté par l’URSS qui y voit, à juste titre, une tactique américaine pour ancrer le plus de pays possible dans le camp occidental ; les pays d’Europe de l’Est, satellites de l’Union soviétique, sont contraints de repousser aussi l’aide américaine, finalement acceptée par 16 Etats d’Europe occidentale. Ces 16 pays se regroupent l’année suivante, en 1948, dans l’Organisation européenne de coopération économique.

La réponse soviétique à la doctrine Truman est formulée à l’automne 1947 par le théoricien soviétique Andreï Jdanov. Dans un discours de septembre 1947, Jdanov décrit un monde divisé en deux camps : d’un côté, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, de l’autre, « les forces anti-impérialistes et antifascistes », dont les principaux représentants sont l’URSS et « les pays de la démocratie nouvelle ». Un mois plus tard, en octobre 1947, est créé le Kominform, « Bureau d’information des partis communistes », censé coordonner partout dans le monde la lutte contre l’impérialisme, en réalité instrument de contrôle de l’URSS sur les partis communistes étrangers. En février 1948, le « coup de Prague », qui voit les communistes se rendre maîtres de la Tchécoslovaquie, accélère le divorce entre les deux Blocs.

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Chacun des deux camps va désormais chercher à renforcer son système d’alliances. Les Etats-Unis signent dès 1948 la charte de Bogota qui crée l’OEA (Organisation des Etats américains), dont le but est d’assurer la sécurité du continent américain tout entier. En avril 1949, le traité de l’Atlantique nord, concrétisé en 1950 par la création de l’OTAN, (Organisation du traité de l’Atlantique nord), instaure une alliance défensive entre les Etats-Unis, le Canada et 10 Etats européens (Belgique, Danemark, France, Grande-Bretagne, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas et Portugal, rejoints en 1952 par la Grèce et la Turquie). En 1954 enfin, l’OTASE (Organisation du traité de l’Asie du Sud-est) complète le dispositif en ce qui concerne le continent asiatique.

Côté soviétique, le renforcement du bloc de l’Est passe par la création en 1949 du CAEM (Conseil d’aide économique mutuelle) ou COMECON, dont le but est d’organiser l’économie des pays socialistes en un ensemble unifié et cohérent sous tutelle de l’URSS : les démocraties populaires sont ainsi économiquement intégrées à l’espace soviétique. En 1955, alors que la RFA vient d’être intégrée dans l’OTAN l’année précédente, l’URSS met en place son propre système d’alliance militaire avec les démocraties populaires : c’est le Pacte de Varsovie (conclu entre l’URSS et l’Albanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la RDA, la Roumanie et la Tchécoslovaquie).

Jusqu’en 1963, un certain nombre de crises opposent entre eux le bloc occidental et le bloc soviétique.

Les grandes crises C’est l’Allemagne qui fournit aux deux camps la première occasion de s’affronter indirectement. Au mois de juin 1948, les alliés occidentaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France) ont décidé d’unifier leurs zones d’occupation en Allemagne, d’y créer une monnaie nouvelle, le deutsche Mark, enfin de faire bénéficier le pays de l’aide prévue par le plan Marshall : il s’agit clairement d’intégrer l’Allemagne, l’ennemi d’hier, dans le camp occidental. La réponse de Staline ne se fait pas attendre : dès la fin du mois de juin 1948, les Soviétiques organisent le blocus de Berlin-Ouest, coupant notamment l’accès routier et ferroviaire vers la partie occidentale de la capitale allemande. Les Etats-Unis mettent alors en place un pont aérien pour ravitailler la ville, ce qui la sauve effectivement de l’asphyxie. Au bout de onze mois, Staline choisit de jeter l’éponge et le blocus est finalement levé par les Soviétiques au mois de mai 1949. La crise toutefois débouche sur la division de l’Allemagne : le 23 mai 1949 est officiellement créée la RFA (République fédérale d’Allemagne), sous influence occidentale, tandis qu’en octobre 1949 c’est la RDA (république démocratique allemande) qui voit le jour côté soviétique.

Si l’Allemagne a constitué le premier terrain d’affrontement entre les deux blocs, la guerre de Corée, à partir de 1950, donne à leur antagonisme une dimension mondiale (au point de faire redouter le déclenchement d’un troisième conflit mondial). Depuis 1945, la Corée est coupée en deux ; le 25 juin 1950, le régime communiste de Corée du Nord décide d’attaquer le Sud, sous influence américaine. Le conflit va durer trois ans et provoquer la mort d’un million de personnes. Au bout de trois années, le front se stabilise finalement le long de la frontière initiale entre les deux pays, au niveau du 38e parallèle. L’armistice est signé en 1953 à Pam Mun Jon ; il annonce une « paix blanche », sans vaincu ni vainqueur, et fixe une frontière entre les deux Corée très proche de celle de 1950.

La mort de Staline au mois de mars 1953, puis le XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS) en 1956, au cours duquel Khrouchtchev entame un processus de déstalinisation, semblent ouvrir une période de dégel entre les deux blocs. En 1956, les deux « Grands » se retrouvent même sur la même ligne pour condamner l’expédition franco-britannique sur le canal de Suez (dont Nasser avait décidé la nationalisation). Le camp occidental ne réagit pas lorsque qu’en novembre 1956 les troupes soviétiques écrasent l’insurrection en Hongrie. Pourtant, les tensions reprennent sur la question allemande : en 1958, Khrouchtchev décide de mettre un terme à la fuite continue de ressortissants est-

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allemands qui quittent Berlin-Est pour rejoindre le camp occidental, privant ainsi la RDA de ses élites. Khrouchtchev voudrait que Berlin-Ouest soit rattaché à la RDA ou bien transformé en zone internationale sous le contrôle de l’ONU. Les Etats-Unis refusent l’une et l’autre solution ; au bout de trois ans, le 13 août 1961, les Soviétiques font ériger en une nuit un mur qui coupe la capitale allemande en deux, représentant concrètement le rideau de fer évoqué par Churchill dès 1946, et symbolisant la division de l’Europe en deux camps antagonistes. Enfin, au mois d’octobre 1962, la « crise des missiles » de Cuba fait craindre le déclenchement d’une guerre nucléaire à l’échelle mondiale. En 1959 à Cuba, Fidel Castro a chassé du pouvoir le dictateur pro-américain Batista. Castro et ses guérilleros ont nationalisé les terres et les industries du pays, ce dont pâtissent de nombreuses sociétés américaines installées dans l’île. Les Etats-Unis redoutent d’autre part la contagion révolutionnaire qui, à partir de Cuba, pourrait gagner l’ensemble du continent sud-américain. Après avoir mis le sucre cubain sous embargo, les Américains encouragent en avril 1961 le débarquement dans la « baie des cochons » d’exilés cubains anti-castristes. Cette hostilité déclarée des Etats-Unis à son endroit conduit Fidel Castro à se rapprocher de l’URSS. Les Soviétiques commencent à installer sur le territoire cubain des rampes de lancement de missiles qui menacent directement le territoire des Etats-Unis. La « crise des missiles » éclate au moment où ces rampes sont repérées par les Américains. Le 22 octobre 1962, le président Kennedy réagit en mettant en place un blocus de Cuba, et en ordonnant à la flotte américaine d’intercepter les navires soviétiques qui acheminent les fusées vers Cuba. Suivent quelques jours d’extrême tension, pendant lesquels le déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale semble imminent. C’est finalement Khrouchtchev qui cède, accepte le démontage des rampes de lancement ; l’armement offensif est ramené en URSS sous contrôle de l’ONU.

Cette crise a fait prendre conscience aux deux « Grands » du danger atomique. Elle débouche donc paradoxalement sur une période de détente entre les deux blocs.

II. La détente et ses limites (1963-1975)

Les signes de détente Un an après la crise de Cuba, en 1963, un « téléphone rouge » est installé entre Moscou et Washington : les deux « Grands » pourront désormais communiquer directement et éviter dans le futur de nouveaux malentendus. Dans le même temps, les deux camps entament des négociations pour la limitation des armes nucléaires. En se dotant de la bombe A en 1949, de la bombe H en 1954 et de missiles à longue portée à la fin des années 1950, l’URSS a rattrapé son retard initial sur les Etats-Unis. Dans les années 1960, les deux superpuissances sont désormais à égalité, ce qui amène Washington à renoncer dès 1961 au chantage nucléaire symbolisé par la théorie des « représailles massives », et à lui préférer celle de la « riposte graduée ». En 1968, des accords de non-prolifération des armes nucléaires sont conclus entre les cinq puissances officiellement détentrices de l’arme atomique, c’est-à-dire, outre les Etats-Unis et l’URSS, la France, la Grande-Bretagne et la Chine.

Les années 1970-1975 semblent marquer l’apogée de la détente. En 1972, les accords SALT I (Strategic Armament Limitation Talks) sont signés à Moscou entre Brejnev et Nixon. Ils prévoient de limiter la croissance des armes nucléaires, offensives comme défensives. Le 22 juin 1973, Brejnev et Nixon signent un accord sur la prévention de la guerre nucléaire : Etats-Unis et URSS s’engagent notamment « à prévenir le développement de situations susceptibles de provoquer une tension dangereuse dans leurs relations, à éviter les affrontements militaires et à empêcher le déclenchement d’une guerre nucléaire entre elles ou entre l’une ou l’autre des parties et d’autres pays ». En 1973 débute à Helsinki la conférence sur la sécurité et le désarmement en Europe ; elle s’achève le 1er août 1975 par l’élaboration d’un acte final signé par 35 pays européens qui reconnaissent les frontières telles qu’elles existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tandis que la coopération économique

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entre l’Est et l’Ouest est renforcée ; les signataires s’engagent par ailleurs à respecter les droits de l’homme et les libertés.

Depuis 1969, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt (social-démocrate) a entamé une politique de rapprochement avec les pays de l’Est (Ostpolitik). En 1970, la RFA signe les traités de Moscou et de Varsovie, qui normalisent ses relations avec l’URSS et la Pologne (le traité de Varsovie reconnaît officiellement la ligne Oder-Neisse comme frontière entre l’Allemagne et la Pologne). En 1972, par le « traité fondamental », RFA et RDA reconnaissent former deux pays distincts ; elles sont admises à l’ONU l’année suivante, en 1973.

La détente s’explique enfin par difficultés que chacun des deux blocs a dû affronter à l’intérieur de son propre camp. Dans le camp occidental, c’est la France de de Gaulle qui manifeste des velléités d’indépendance. Depuis 1960, la France est détentrice de la bombe atomique et n’a donc plus besoin du « parapluie nucléaire » américain. De Gaulle est d’autre part très attaché à la souveraineté nationale française et supporte très mal l’hégémonie qu’exercent les Etats-Unis sur le camp occidental ; en 1966, il décide de retirer la France du commandement intégré de l’OTAN (même si la France reste membre de l’Alliance atlantique). D’autre part, la France reconnaît officiellement la Chine populaire en 1964 (les Etats-Unis ne la reconnaîtront qu’en 1972). En 1965 enfin, De Gaulle condamne fermement l’intervention américaine au Vietnam.

Dans le camp socialiste, ce sont les relations entre l’URSS et la Chine communiste qui se dégradent après la publication du rapport Khrouchtchev en 1956 et la déstalinisation de l’Union soviétique. La Chine critique ouvertement le pouvoir de Moscou, l’accusant de dérive contre-révolutionnaire. En 1962, l’URSS met un terme à la coopération entre les deux pays, et en 1969 un affrontement ouvert oppose Russe et Chinois à propos d’un problème frontalier sur l’Oussouri. L’URSS se voit contestée également en Europe de l’Est : la Roumanie de Ceausescu refuse de s’aligner sur Moscou ; à Prague en 1968 les troupes soviétiques interviennent pour reprendre en main la Tchécoslovaquie et mettre un terme à l’expérience de « socialisme à visage humain » qui s’éloignait de la ligne directrice de Moscou.

La détente entre les deux blocs n’empêche pas le maintien de conflits périphériques, qui voient les deux « Grands » s’opposer par pays interposés.

Le maintien des conflits périphériques La dissuasion nucléaire amène Etats-Unis et URSS à s’affronter indirectement dans des guerres périphériques aux marges des deux blocs. A cet égard, le conflit du Vietnam est tout à fait emblématique. Dès 1965, les Etats-Unis soutiennent massivement le régime dictatorial du Sud-Vietnam en lui fournissant des hommes (500.000 soldats américains iront combattre dans la jungle vietnamienne) et des armes. Les révolutionnaires Viêt-Cong (combattants communistes) reçoivent pour leur part l’aide logistique du Vietnam du Nord, de l’URSS et de la Chine. Malgré la supériorité militaire américaine, c’est finalement la guérilla Viêt-Cong qui l’emporte, et en janvier 1973 les Américains sont contraints de signer les accords de Paris qui marquent la victoire des communistes : les Américains ont trente jours pour retirer leurs forces. La guerre du Vietnam a profondément démoralisé les Etats-Unis, qui, en intervenant dans cette partie du monde, se sont heurtés à l’hostilité non seulement de la communauté internationale, mais surtout de l’opinion américaine elle-même, traumatisée par ce conflit sanglant où des milliers de jeunes Américains ont perdu la vie.

L’Amérique latine est également le cadre de conflits périphériques entre les deux « Grands ». Héros, aux côtés de Fidel Castro, de la révolution cubaine en 1959, le médecin argentin Ernesto Guevara (dit le « Che ») veut propager les foyers révolutionnaires dans toute l’Amérique du Sud et y déclencher « deux, trois, plusieurs Vietnam ». La plupart des tentatives d’insurrection vont toutefois échouer, en raison de la passivité des paysans, des divisions entre les combattants, mais surtout du soutien actif apporté aux Etats-Unis aux

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régimes en place, pour les aider à se prémunir contre la révolution. Au mois d’octobre 1967, l’aventure se termine par la mort du Che Guevara dans les maquis boliviens.

Enfin, Etats-Unis et URSS s’opposent indirectement dans une autre région du monde : le Proche-Orient. Dès 1948 et la création de l’Etat d’Israël, l’affrontement armé débute entre Israéliens et Palestiniens. Trois autres guerres suivront : en 1956, les Israéliens attaquent l’Egypte par surprise ; en 1967, c’est à nouveau Israël qui déclenche une guerre préventive contre ses voisins arabes (« Guerre des Six Jours ») : l’Etat hébreu victorieux occupe le Sinaï, la Cisjordanie, Gaza, le plateau du Golan (qui appartenait à la Syrie), et proclame l’annexion de Jérusalem. Malgré la résolution 242 adoptée par l’ONU le 21 novembre 1967, et qui exige la restitution des territoires conquis après la guerre des Six Jours, Israël refuse de restituer les zones qu’elle occupe. En 1973, le président égyptien Sadate, successeur de Nasser, décide d’attaquer Israël pendant la fête juive du Kippour ; mis un moment en difficulté, l’Etat hébreu rétablit rapidement la situation à son profit. Les deux grands sont partie prenante dans ces affrontements : Israël bénéficie du soutien américain, tandis que l’Union soviétique apporte son soutien à l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), créée en 1964 et dirigée depuis 1969 par Yasser Arafat.

Plus que les conflits périphériques cependant, c’est la reprise de l’expansionnisme soviétique dans la deuxième moitié des années 1970 qui compromet définitivement la détente entre l’Est et l’Ouest.

III. Du retour des tensions à la fin de la guerre froide (1975-1991)

Nouvelle dégradation des relations Est/Ouest Dès le milieu des années 1970, l’URSS reprend l’initiative un peu partout dans le monde et semble en revenir, comme au lendemain du second conflit mondial, à un expansionnisme tous azimuts. La poussée soviétique se manifeste dans quatre régions du monde. A partir de 1975, l’Union soviétique s’implante en Afrique, notamment dans les anciennes colonies portugaises qui viennent d’accéder à l’indépendance : en Angola et au Mozambique en 1975, mais aussi en Ethiopie en 1977, Moscou arme des guérillas marxistes qui prennent le pouvoir. L’URSS signe d’autre part des traités de coopération avec différents pays africains : Congo, Guinée, Bénin, Mali, Libye.

Les Soviétiques reprennent également l’initiative en Asie du Sud-est. Au mois d’avril 1975, les Vietnamiens du Nord s’emparent de Saigon ; le Vietnam est réunifié sous l’égide du Nord communiste qui, allié avec l’URSS, assujettit le Laos qui devient communiste. En 1975, les Khmers rouges prennent possession de Phnom Penh et mettent en place au Cambodge un régime de terreur ; mais ils sont chassés en 1979 par l’armée vietnamienne.

En Amérique centrale, l’URSS et Cuba continuent de subventionner les guérillas communistes, au Salvador, au Guatemala et au Nicaragua (où ils arment les sandinistes).

Enfin, en décembre 1979, l’URSS intervient militairement en Afghanistan. Brejnev justifie cette intervention en invoquant un appel lancé par le gouvernement de Kaboul : « La demande instante d’accorder une aide pour défendre le pays contre l »incursion du dehors des forces de la contre-révolution nous a été adressée par trois gouvernements afghans qui se sont succédé » (discours de Brejnev du 22 février 1980). Il s’agit en réalité pour l’URSS de maintenir au pouvoir un régime communiste installé depuis 1978. Les Etats-Unis réagissent au « coup de Kaboul » par une remise en vigueur du containment. Ils estiment en effet que leurs intérêts vitaux sont menacés : la présence de l’Armée rouge en Afghanistan menace directement le Golfe persique, région considérée comme vitale pour l’approvisionnement en

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pétrole des pays occidentaux. Les représailles américaines ne se font pas attendre : le président Carter décrète l’embargo sur la vente de céréales à l’URSS, et boycotte les Jeux Olympiques de Moscou qui ont lieu en 1980. La position américaine à l’égard de l’URSS se durcit encore avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan, élu en novembre 1980 après une campagne électorale axée sur la dénonciation de « l’empire du mal » incarné par l’Union soviétique. Reagan déploie dans les pays européens membres de l’OTAN des fusées Pershing pour contrer les SS 20 soviétiques braqués sur l’Europe de l’Ouest depuis 1977. Il relance la course aux armements en annonçant en 1983 le projet de l’IDS (« Initiative de défense stratégique », plus connu sous le nom de « guerre des étoiles ») : il s’agit de créer, grâce à des armes laser, un bouclier inviolable au-dessus du territoire des Etats-Unis. Enfin les Américains financent les mouvements contre-révolutionnaires un peu partout dans le monde (ils arment ainsi la résistance afghane contre les Soviétiques), apportant en particulier leur aide aux régimes dictatoriaux d’Amérique latine : au Nicaragua, ils soutiennent les forces antisandinistes de la Contra.

Au milieu des années 1980, le monde semble donc être revenu aux heures les plus sombres de la guerre froide, comme au tournant des années 1940-1950. Pourtant, l’arrivée au pouvoir en URSS de Michael Gorbatchev en 1985, puis l’effondrement de l’URSS en 1991, vont marquer la fin de la bipolarisation qui avait débuté en 1947.

La fin du monde bipolaire A partir de 1985, Gorbatchev lance l’Union soviétique dans la perestroïka (« restructuration »). Dès son accession au pouvoir, Gorbatchev a constaté que l’URSS était incapable de rivaliser avec les Etats-Unis dans la nouvelle course aux armements qui absorbe près de 20% du produit national et épuise économiquement le pays. Certes, l’URSS possède des milliers de têtes nucléaires, mais dans le même temps la population soviétique souffre de carences alimentaires tandis que le retard technique s’accroît. Gorbatchev choisit donc d’engager une politique de repli qui tranche avec le renouveau expansionniste de la deuxième moitié des années 1970, et de renouer le dialogue avec les Etats-Unis : en vertu du traité de Washington, signé au mois de décembre 1987, les deux « Grands » s’engagent pour la première fois à détruire des missiles (SS 20 et Pershing notamment) et à accepter un contrôle réciproque. En 1988 s’engagent de nouvelles négociations visant à réduire les armes à longue portée (elles déboucheront sur les accords Star 1 en 1991 et Start 2 en 1993).

Le repli de l’URSS se traduit aussi par le retrait d’Afghanistan : les troupes soviétiques commencent à quitter le pays en février 1989. De façon générale, l’Union soviétique se retire du Tiers Monde : Moscou cesse de financer les sandinistes, les Vietnamiens et les régimes communistes africains.

Mais c’est l’émancipation de l’Europe centrale à partir de 1989 qui accélère la désagrégation de l’URSS. En novembre 1989, la chute du mur de Berlin donne le signal de l’effondrement des régimes communistes d’Europe de l’Est et de la fin du monde bipolaire : un mois après la chute du mur, Bush et Gorbatchev se rencontrent à Malte où ils annoncent officiellement la fin de la guerre froide. En 1990, l’Allemagne – premier terrain d’affrontement entre l’Est et l’Ouest – est réunifiée. En 1991, le Pacte de Varsovie et le CAEM sont dissous ; en décembre 1991, l’implosion de l’URSS met un terme définitif à la bipolarisation quadri-décennale du monde.

Avec l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats-Unis sont devenus la seule superpuissance mondiale, comme en témoigne la guerre du Golfe dès 1991 : ce sont les Américains qui, à la tête d’une force internationale, libèrent le Koweït envahi par l’Irak au mois d’août 1990. Avec la fin de la guerre froide, l’ONU a retrouvé elle aussi sa capacité d’action (auparavant paralysée par l’antagonisme Etats-Unis/URSS au sein du conseil de sécurité).

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Toutefois, ni les Etats-Unis ni l’ONU ne paraissent capables de mettre en place un nouvel ordre international. La fin de la guerre froide a laissé libre cours à une résurgence brutale des nationalismes – notamment dans les anciens pays de l’Est et dans les Balkans avec la guerre de Yougoslavie – ainsi qu’à une flambée des intégrismes religieux – en particulier dans les pays musulmans. Paradoxalement, avec la disparition de la bipolarisation, la situation internationale semble aujourd’hui plus incontrôlable et plus périlleuse qu’au temps de la guerre froide.

Repères bibliographiques -P. GROSSER, Le temps de la guerre froide, Bruxelles, éd. Complexe, coll. « Questions au XXe siècle », 1997.

-B. HOUËL, La guerre froide 1945 1991, Paris, Ellipses, 1998.

-S. JEANNESSON, La guerre froide, Paris, La découverte, 2002.

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21. L’hégémonie des Etats-Unis de 1945 à nos jours Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis s’imposent comme la première puissance mondiale. Leur rôle crucial lors du conflit – ils ont combattu les régimes totalitaires, libéré l’Europe occidentale du joug nazi et forcé le Japon à capituler – a contribué à renforcer le prestige américain. Leur puissance repose également sur une économie dominante qui va leur permettre d’aider l’Europe à se reconstruire.

Depuis 1945 toutefois, l’hégémonie américaine a connu trois phases successives que l’on retracera ici : une domination quasi-absolue jusqu’au début des années 1960 ; une hégémonie contestée jusqu’à la fin des années 1980, et ce dans différents domaines : militaire, politique mais aussi économique ; enfin, depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement du bloc soviétique, les Etats-Unis connaissent un nouvel apogée de leur puissance, mais leur hégémonie est remise en cause par de nouveaux adversaires.

I. L’hégémonie absolue des Etats-Unis (1945-début des années 1960)

Une économie dominante Grâce à leurs 64 millions d’actifs, les Etats-Unis assurent en 1945 la moitié de la production mondiale. La puissance économique américaine a été véritablement dopée par la guerre, tandis que le pays regorge de matières premières (blé, maïs, viande…) et de sources d’énergie (pétrole, minerai de fer…). Leur richesse leur permet de financer le redressement économique de l’Europe occidentale, sous forme de secours d’urgence entre 1945 et 1947, puis grâce au plan Marshall à partir de 1947 (non sans arrière-pensées idéologiques, voir le cours précédent sur la guerre froide). En tout, ce sont 12 milliards de dollars qui sont répartis gratuitement entre 16 pays d’Europe de l’Ouest qui acceptent le plan Marshall, parmi lesquels notamment le Royaume-Uni, la France, l’Italie, la RFA, les Pays-Bas, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg et la Grèce. Les multinationales américaines investissent par ailleurs à l’étranger, favorisant la diffusion, à partir des années 1950, du taylorisme-fordisme et de la consommation de masse.

Les Etats-Unis interviennent également hors d’Europe, et notamment en Asie où ils suscitent de nouveaux foyers de croissance. Leur ennemi d’hier, le Japon, bénéficie de leur soutien économique actif : avec le début de la guerre froide, le Japon devient en effet un élément central de la politique d’« endiguement » du péril communiste dans cette région du monde. De la même façon, et pour les mêmes raisons, les Américains financent la croissance de la Corée du Sud, de la Thaïlande, de Taiwan et des Philippines. Les Etats-Unis détiennent les 2/3 de l’or mondial, et ont imposé un nouvel ordre monétaire international en 1944, à la conférence de Bretton Woods : les taux de change sont stabilisés, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont chargés de la coopération internationale en matière monétaire, enfin le dollar est reconnu comme monnaie internationale au même titre que l’or.

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Les Etats-Unis se font également les champions du libre-échange : en 1947 sont signés à leur initiative les accords du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade = « Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce »), destinés à favoriser la croissance des échanges internationaux, en particulier par la baisse des tarifs douaniers. Les accords du GATT sont signés par 23 pays qui représentent 80% du commerce mondial (en 1995, le GATT a été remplacé par l’OMC).

Les Etats-Unis, leaders du « monde libre » Dès les débuts de la guerre froide en 1947, les Etats-Unis se posent comme les leaders du « monde libre ». Des troupes américaines sont stationnées en permanence en Europe occidentale et au Japon. Des alliances militaires sont signées avec l’Europe (OTAN), l’Asie du Sud-est (OTASE) et avec les Etats du Pacifique (ANZUS). Au point de vue militaires, les Américains ont moins de forces conventionnelles que l’URSS mais ils ont une avance technique et technologique sur leur rival soviétique : ils possèdent la bombe A depuis 1945 – ils l’ont « expérimentée » en août 1945 sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki –, et la bombe H depuis 1952. Si l’URSS se dote très vite elle aussi de l’arme nucléaire (bombe A en 1949, bombe H en 1953), la supériorité américaine reste patente jusqu’au milieu des années 1960 en matière d’avions et de fusées.

Partout dans le monde se diffuse le modèle américain de la « société de consommation ». Dès 1944 avec la libération de leur continent par les troupes américaines, les Européens ont découvert les chewing-gums et les bas nylons libéralement distribués par les GI. Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, la fascination pour « l’American Way of Life » ne fait que s’accentuer en Europe et dans le monde. Partout, les Etats-Unis incarnent la modernité et la société d’abondance, symbolisée notamment par la maison individuelle avec son confort ménager, par l’automobile, la télévision qui commence à se répandre dans les foyers américains des années 1950. Ce modèle, les Etats-Unis l’exportent largement au-delà de leurs frontières. La « culture américaine », qui prétend à l’universalité, repose sur quelques éléments facilement identifiables, notamment vestimentaires (le jean), alimentaires (les fast-foods) ou musicaux (le jazz puis le rock). Cette culture est véhiculée entre autres par l’industrie cinématographique, qui diffuse par ailleurs un certain nombre de « valeurs » considérées comme typiquement américaines : la valorisation de la réussite sociale, ou encore la certitude de représenter le camp du « Bien » contre le « Mal ». Ce modèle pourtant dominant va être remis en cause à partir des années 1960.

II. La remise an cause du modèle américain (début des années 1960-début des années 1980)

Le recul économique et militaire Les grands pays développés d’Europe, dont la reconstruction, financée en grande partie par les Etats-Unis, s’achève à la fin des années 1950, recommencent à produire des biens manufacturés qui concurrencent les produits américains. C’est paradoxalement la diffusion du mode de production des Etats-Unis qui a permis de réduire l’écart entre eux et les autres pays industrialisés ; ces derniers connaissent une croissance plus forte que la croissance américaine, tandis que leur productivité et leur technologie se rapprochent du modèle américain. Le même phénomène se produit un peu plus tard avec le Japon : totalement absorbé dans l’aire d’influence américaine, le Japon s’est mis à l’école économique des Etats-Unis. A partir des années 1970, les produits japonais (notamment les voitures et les appareils électroménagers) envahissent le marché mondial où ils concurrencent les produits américains.

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Le dollar doit également affronter une crise de confiance à partir des années 1960. Les dépenses civiles et militaires engagées par les Etats-Unis à l’étranger, ainsi que les investissements directs des grandes multinationales, provoquent des déficits de plus en plus lourds de la balance des paiements américaine. Les Américains résorbent ce déficit en « faisant marcher la planche à billets », c’est-à-dire en émettant de grandes quantités de dollars papier ; mais cette politique gonfle dangereusement les liquidités en dollar détenues par les pays étrangers. La méfiance nouvelle envers la monnaie américaine se traduit par des conversions massives de dollars en or, et par une chute importante des réserves d’or américaines.

Sur le plan militaire également, les Etats-Unis doivent subir une concurrence nouvelle, celle notamment de leur principal adversaire de la guerre froide, l’URSS. Dès 1945 l’Union soviétique s’était posée comme le challenger des Etats-Unis dans ce domaine. Ce n’est qu’en 1957 toutefois que cette prétention d’égaler voire de dépasser la puissance américaine devient crédible, avec le lancement par les Russes du premier satellite Spoutnik. A partir de 1957 toujours, l’URSS est en mesure de fabriquer des fusées à longue portée qui permettent de menacer directement le territoire américain. Enfin, à la fin des années 1960 et au prix de sévères efforts financiers, les soviétiques atteignent la parité nucléaire avec les Américains, en nombre de bombes et en vecteurs.

Alors que leur économie est en recul et leur hégémonie militaire menacée, les Etats-Unis doivent de plus affronter à partir des années 1960 une contestation du modèle américain, à l’extérieur comme à l’intérieur de leur territoire.

Un modèle américain contesté à l’extérieur comme à l’intérieur A l’extérieur, les contestations sont nombreuses, dans le bloc soviétique mais aussi à l’intérieur même du camp occidental. L’URSS se pose en champion des peuples du Tiers Monde, qu’elle dresse contre l’hégémonie américaine. En 1959, la victoire de Fidel Castro à Cuba fait craindre aux Américains le spectre d’une subversion générale du continent sud-américain qu’ils considèrent comme leur « chasse gardée ». Dans leur propre camp, les Etats-Unis doivent se heurtent à l’opposition de la France du général de Gaulle, qui refuse le leadership américain et quitte l’OTAN en 1966. A l’ONU enfin, où les Etats-Unis dominaient jusque-là, la majorité devient tiers-mondiste, non-alignée et anti-occidentale à la faveur de la vague de décolonisation en Asie et en Afrique qui se produit entre la fin des années 1950 et les années 1960.

A l’intérieur également, les Etats-Unis doivent affronter un certain nombre de difficultés. A partir de 1965, l’engagement croissant des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam suscite la réprobation internationale, mais déclenche aussi la révolte de la jeunesse américaine, d’autant plus que l’envoi en Asie de 500.000 GI n’a pas permis de contenir la progression des communistes. Cette première défaite sévère des Etats-Unis (patente en 1973) sème le doute dans les esprits. De façon générale, les années 1960 sont marquées par la contestation des jeunes Américains nés après la Seconde Guerre mondiale (la génération du baby-boom) et par celle des minorités opprimées. Face à la ségrégation institutionnalisée, la communauté noire se mobilise. Le pasteur Martin Luther King, adepte de la non-violence et partisan d’une intégration des Noirs dans la société américaine, multiplie les manifestations pacifiques (à Washington en août 1963, une « marche de la liberté » rassemble ainsi 250.000 personnes). En 1964 sont votées des lois qui interdisent la ségrégation ; elles n’empêchent pas le développement de violentes émeutes urbaines dans les grandes villes du Nord du pays. Pendant les années 1960, les Etats-Unis sont marqués par la violence et les assassinats de personnalités publiques (le président J. F. Kennedy en 1963, celui du leader des « Black Muslims », Malcom X, en 1965, enfin ceux de Martin Luther King et de Robert Kennedy en 1968).

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La décennie 1970 semble accentuer encore la crise interne dont sont victimes les Etats-Unis. Les difficultés économiques s’accentuent : en 1971, pour tenter d’enrayer la fuite des capitaux, le président Nixon doit mettre fin à la convertibilité en or du dollar. Mais la crise économique éclate véritablement en 1973 avec le premier choc pétrolier : la production américaine s’effondre tandis qu’augmentent le chômage et la précarité, voire la pauvreté : les laissés pour compte du « rêve américain » sont de plus en plus nombreux. Le pouvoir présidentiel subit lui aussi une profonde remise en cause : en 1972, l’immeuble du Watergate abritant les bureaux de campagne du parti démocrate a été cambriolé ; en août 1974, le président (républicain) Richard Nixon est contraint de démissionner pour éviter le déclenchement contre lui d’une procédure d’« impeachment » : la presse en effet (et notamment le Washington Post) a prouvé la complicité de Nixon dans le cambriolage. C’est tout le pouvoir exécutif américain qui se retrouve éclaboussé par le scandale du Watergate.

A la fin des années 1970, les Etats-Unis sont touchés par le second choc pétrolier (1979-1980). Alors qu’ils semblent au plus bas, la décennie suivante va voir s’amorcer leur retour en puissance.

III. L’hégémonie retrouvée ? (depuis les années 1980)

La « révolution reaganienne » (1980-1988) Ancien acteur, ancien gouverneur de Californie, Ronald Reagan est élu en 1980 à la présidence des Etats-Unis sous la bannière des républicains. La devise de Reagan résume bien sa position ultra-libérale : « l’Etat ne résout pas les problèmes, il est le problème ». Le programme économique du nouveau président prévoit de laisser le plus de place possible à l’initiative privée et de réserver l’action du gouvernement fédéral aux fonctions les plus limitées. Avec Reagan, l’« Etat-providence » est réduit à sa plus simple expression, les aides sociales étant accusées de favoriser les « parasites sociaux » au détriment des créateurs de richesse.

Vis-à-vis de l’URSS (qu’il qualifie d’« empire du mal »), Reagan en revient à une politique très dure comme à l’apogée de la guerre froide. Il souhaite relancer la course aux armements pour asphyxier l’économie soviétique. « America is back », proclame Reagan, et ce d’autant plus que depuis 1979-1980, l’URSS commence à s’embourber en Afghanistan et voit son économie stagner. Aux Etats-Unis au contraire, les dépenses militaires génèrent une forte reprise économique sensible dès 1983. L’administration Reagan toutefois avait promis aux Américains une baisse des impôts : combinée aux dépenses militaires, elle alimente de très lourds déficits budgétaires. La reprise fait reculer le chômage, mais les emplois créés sont souvent des emplois précaires, tandis que les inégalités sociales se renforcent sous l’effet de la baisse des prestations sociales. Malgré ses effets pervers toutefois, le « modèle américain » recommence à susciter l’admiration et l’envie un peu partout dans le monde. L’effondrement du bloc soviétique en 1989, et la disparition de l’URSS en 1991, font des Etats-Unis les leaders incontestés d’un monde désormais unipolaire.

Le retour apparent du leadership américain (depuis les années 1990) Outre l’effondrement du bloc communiste, les moyens de la domination retrouvée sont nombreux à partir des années 1990. C’est d’abord une supériorité militaire écrasante, qui permet aux Etats-Unis d’intervenir n’importe où dans le monde et de gagner des guerres grâce à des armes « sophistiquées » et des frappes « chirurgicales » (comme l’ont montré la première guerre du Golfe en 1991, qui a permis aux Etats-Unis de renforcer leur contrôle sur

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les ressources pétrolières du Moyen-Orient, ou encore l’intervention américaine lors de la guerre du Kosovo en 1999).

La domination américaine repose aussi, comme dans l’immédiat après-guerre, sur un retour de la bonne santé économique. L’agriculture américaine est la première du monde ; quant à l’industrie, elle connaît depuis le début des années 1990 une véritable renaissance. Le chômage et le déficit budgétaire ont été fortement réduits, et les emplois précaires sont en recul. Cette puissance économique est d’autant plus marquée que dans le même temps, les principaux partenaires des Etats-Unis connaissent des difficultés importantes. Le Japon a du mal à se remettre de la crise financière déclenchée par le krach boursier de 1990, les « nouveaux pays industriels » (NPI) d’Asie du Sud-est ont vu leurs économies ébranlées par l’effondrement de leurs monnaies, enfin les pays d’Europe ont adopté avant l’avènement de l’euro des politiques de rigueur destinées à satisfaire aux critères de convergence.

Les Américains enfin dominent le monde par l’universalité de leur « culture » : dans la plupart des pays du monde, on porte des jeans, on va manger chez Mac Donald, on boit du Coca-Cola, etc. Les Américains ont réussi à exporter une certaine vision du monde : c’est une forme insidieuse mais efficace de domination.

Les atouts dont disposent les Etats-Unis en ce début de XXIe siècle leur permettent plus que jamais de se poser en arbitres du monde.

On peut terminer ce cours sur l’hégémonie américaine en soulignant les limites de la toute-puissance américaine. Si la domination économique américaine est réelle, on peut noter que depuis 1945 la production des Etats-Unis a augmenté moins vite que celle du reste du monde. Aujourd’hui elle ne représente plus que 25% du PNB mondial.

Les Etats-Unis se heurtent d’autre part régulièrement à l’opposition de l’ONU, notamment de la Russie, de la Chine et de la France comme l’a prouvé la crise récente qui a précédé le déclenchement de la deuxième guerre du Golfe. La France en particulier reste sourdement anti-américaine.

Les Etats-Unis doivent enfin compter avec un certain nombre de faiblesses internes. Leurs besoins en hydrocarbures et en minerais ne sont pas totalement couverts par leur propre production, et ils doivent avoir recours aux importations. La population blanche américaine connaît un vieillissement inéluctable, tandis que se développe l’immigration latino-américaine et asiatique. Les prisons américaines abritent plus d’un million de détenus qui appartiennent en majorité à des minorités mal assimilées. Enfin les Etats-Unis sont le dernier pays démocratique où la peine de mort est encore en vigueur.

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Les présidents américains depuis 1945 F. D. Roosevelt (démocrate) : 1944-1945

Harry Truman (démocrate) : 1945-1948 puis 1948-1952

D. D. Eisenhower (républicain) : 1952-1956 puis 1956-1960

J. F. Kennedy (démocrate) : 1960-1963

Lyndon Johnson (démocrate) : 1963-1964 et 1964-1968

Richard Nixon (républicain) : 1968-1972 et 1972-1974

Gerald Ford (républicain) : 1974-1976

Jimmy Carter (démocrate) : 1976-1980

Ronald Reagan (républicain) : 1980-1984 puis 1984-1988

George Bush (républicain) : 1988-1992

Bill Clinton (démocrate) : 1992-1996 puis 1996-2000

George W. Bush (républicain) : 2000-2009

Barack Obama (démocrate) : 2009-…

Repères bibliographiques -D. ARTAUD, Les Etats-Unis depuis 1945, Paris, Seuil, coll. « Mémo », 2000.

-A. KASPI, Les Etats-Unis de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 2002.

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22. L’URSS depuis 1945 Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS bénéficie d’un rayonnement international incontestable, dû au rôle majeur qu’elle a joué pendant le conflit : alliée aux démocraties occidentales, elle a largement œuvré pour le renversement du fascisme et du nazisme. Staline profite de la victoire pour étendre le système socialiste hors d’URSS et notamment aux pays d’Europe de l’Est qui entrent dans l’orbite soviétique dès la deuxième moitié des années 1940. Pendant les trente ans qui suivent la mort de Staline en 1953, le modèle soviétique s’oppose au modèle américain : à la fin des années 1950, il s’étend au tiers de la population mondiale. Dans le cadre de la guerre froide, Etats-Unis et URSS se disputent ainsi le leadership mondial. Pourtant, malgré sa puissance apparente, le régime soviétique est miné de l’intérieur par un certain nombre de difficultés et de blocages ; son incapacité à se réformer le conduira à sa perte à la fin des années 1980.

I. Le modèle soviétique

Les institutions de l’URSS Depuis 1924, l’URSS est un Etat fédéral qui regroupe quinze républiques fédérées (elles-mêmes englobant des républiques et des régions autonomes). En théorie, tous les pouvoirs appartiennent au Soviet suprême, composé de deux assemblées (le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités) et élu au suffrage universel, mais sur liste unique. Parlement officiel de l’URSS, le Soviet suprême ne se réunit que deux fois par an et n’est en fait qu’un organe étatique sans pouvoir effectif. La réalité du pouvoir appartient en effet au Parti communiste dont le rôle a été réaffirmé par la constitution de 1977 : le PCUS (Parti communiste de l’Union soviétique) est « la force qui oriente et dirige la société soviétique ». Son secrétaire général est le maître absolu du pays : depuis Staline, les secrétaires généraux du Parti cumulent les fonctions de chef du Parti et de chef de l’Etat. Formé de douze membres, le bureau politique du Parti (Politburo) constitue le véritable organe de gouvernement de l’URSS. Depuis 1921, le PCUS se conforme au principe du « centralisme démocratique » tel que l’a défini Lénine lors du Xe congrès : il ne doit pas exister de « tendances » à l’intérieur du parti ; lors des congrès, les positions minoritaires doivent immédiatement être abandonnées sous peine d’exclusion pour « activité fractionnelle anti-Parti ». C’est l’application de cette règle du « centralisme démocratique » qui a permis à Staline d’éliminer tous ses rivaux ; ses successeurs s’en serviront également pour imposer leur « ligne ».

Une économie et une société sous contrôle L’économie soviétique est une économie planifiée. Instauré avant la guerre, le Gosplan continue d’organiser des plans quinquennaux en fonction des objectifs définis par le pouvoir politique. Jusqu’à la fin des années 1960, priorité est donnée à l’industrie lourde et à l’armement (secteur A) ; les industries de biens de consommation sont au contraire totalement négligées. A partir de 1956, Khrouchtchev avait pourtant dénoncé les erreurs de Staline dans ce domaine et entrepris une politique de réformes, mais sans grands résultats. Au contraire, à partir du milieu des années 1960, la course aux armements va peser de plus en plus lourdement sur l’économie soviétique, absorbant annuellement jusqu’à 1/6e de son PNB.

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La société soviétique est elle aussi soumise à un étroit contrôle. Elle souffre en particulier de l’absence de liberté : l’URSS en effet ne reconnaît pas les « libertés bourgeoises », et les engagements qu’elle a pris à l’issue de la conférence d’Helsinki en 1975 (respecter les droits de l’Homme et les libertés) seront très vite déçus. L’expression politique est impossible au sein d’un régime qui ne reconnaît qu’un seul parti. Une censure sévère pèse sur toutes les formes d’expression. Quiconque est soupçonné de dissidence risque d’être envoyé au goulag (camp de travail) ou bien en hôpital psychiatrique.

Bien que le communisme prétende instaurer une société sans classes, la société soviétique se révèle en réalité profondément inégalitaire. L’élite du parti (les apparatchiks), de l’armée, de la bureaucratie et du monde des arts, forme une nomenklatura qui bénéficie d’avantages matériels nombreux (logements de fonction, datchas, ou encore droit d’acheter des produits dans des magasins spéciaux mieux approvisionnés que les autres) et constitue une véritable bourgeoisie privilégiée (la différence avec les bourgeoisies des pays capitalistes étant que la bourgeoisie soviétique ne possède pas les moyens de production, qui sont propriété publique). Pour le reste de la société soviétique, la situation est beaucoup moins souriante, et la vie quotidienne beaucoup plus difficile : le niveau de vie reste particulièrement bas, la crise du logement sévit, l’encadrement sanitaire tend à se dégrader sérieusement à partir des années 1980 ; surtout, la population soviétique souffre de pénuries permanentes. Une des contraintes récurrentes de l’URSS est en effet un approvisionnement toujours aléatoire, y compris pour les produits de première nécessité : il faut souvent de longues heures d’attente pour accéder aux magasins d’Etat d’ailleurs souvent vides.

Le régime met pourtant en avant un certain nombre d’avancées sociales comme la gratuité de la médecine et de l’enseignement, l’absence de chômage, la possibilité d’une retraite précoce ou encore le grand nombre des installations culturelles et sportives. Le pouvoir exalte également un certain nombre de « héros positifs » : travailleurs motivés dans le cadre de l’émulation socialiste, membres méritants du Parti ou encore sportifs de haut niveau qui portent haut les couleurs de l’Union soviétique lors des rencontres olympiques qui les opposent aux sportifs du camp adverse. Cette propagande officielle sert en quelque sorte de vitrine au régime dans sa politique d’expansion du modèle soviétique hors des frontières de l’URSS.

II. L’expansionnisme soviétique

Une spectaculaire expansion à partir de 1945 L’expansionnisme soviétique obéit à des objectifs multiples. Il s’agit d’abord de promouvoir dans le monde, et plus particulièrement dans le Tiers-Monde, le modèle socialiste, mais aussi, à partir de 1947 et des débuts de la guerre froide, de constituer un « glacis » protecteur autour de l’URSS pour faire face à la politique d’« endiguement » du communisme mise en place par les Américains. Pour mener à bien sa politique impérialiste, l’URSS dispose d’importants moyens : par son armement classique, l’armée soviétique est en effet dans les années 1950 la première armée du monde.

Sur le continent européen, la stratégie de l’URSS vise à la satellisation de l’Europe centrale. Dès 1945, en Yougoslavie4, en Albanie et en Bulgarie les communistes sont seuls au pouvoir. Dans les autres pays d’Europe de l’Est ils éliminent « tranche par tranche » les autres partis politiques par la tactique du « salami ». Ces nouvelles « démocraties populaires » sont étroitement dépendantes de Moscou et sont intégrées dans l’orbite économique (CAEM, 1949) et militaire (Pacte de Varsovie, 1955) de l’URSS.

4 En Yougoslavie toutefois, Tito, qui dirige la fédération yougoslave de 1945 à sa mort en 1980, refuse l’inféodation à Moscou, ce qui lui vaut une condamnation pour « trahison de la solidarité internationale des travailleurs » prononcée en 1948 par le Kominform

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L’influence soviétique gagne aussi le Tiers-Monde, et plus particulièrement l’Asie où l’URSS aide les mouvements nationalistes locaux à obtenir l’indépendance de leur pays. L’URSS entretient ainsi des relations privilégiées avec la Chine jusqu’à la fin des années 1950, avec la Corée du Nord à partir de 1948, avec le Vietnam du Nord suite au partage de l’ex-Indochine française en 1954. Les soviétiques réussissent également à s’implanter solidement au Moyen-Orient, notamment en Syrie et en Irak, en menant une politique pro-arabe destinée à protéger les frontières Sud de l’empire soviétique. Ainsi, au milieu des années 1950, le bloc communiste rassemble un tiers de la population mondiale (il en rassemblait seulement 8% en 1939).

Enfin l’URSS bénéficie d’une audience non négligeable en Occident. Dans les années 1950 de nombreux ouvriers de « l’Ouest » la considèrent comme le paradis des travailleurs, un modèle dont ils souhaitent l’avènement prochain dans leur propre pays. De nombreux intellectuels occidentaux admirent eux aussi l’Union soviétique, s’inscrivent au parti communiste ou se proclament en tout cas « compagnons de route » (en France c’est le cas de Jean-Paul Sartre par exemple). Pourtant la mort de Staline puis la déstalinisation suscitent une contestation croissante au sein de l’empire soviétique.

La contestation croissante au sein de l’empire soviétique La mort de Staline en 1953 ouvre une période de remise en cause qui semble encouragée par Khrouchtchev lui-même : en 1956, lors du XXe congrès du PCUS, le nouveau secrétaire général du parti dénonce en effet les « crimes de Staline » et amorce le processus de déstalinisation. Les démocraties populaires ont l’impression que l’étau se desserre et entreprennent une libéralisation interne qui toutefois trouve très vite ses limites : en novembre 1956 les chars soviétiques envahissent la Hongrie et vont restaurer l’ordre soviétique à Budapest. Dès 1956 en revanche, Pékin prend ses distances avec Moscou, par hostilité à la déstalinisation. Dans les années 1960 la Chine maoïste se pose dorénavant en rivale de l’URSS pour le titre de leader du monde communiste. En Egypte Brejnev échoue à maintenir durablement l’influence soviétique : après la mort de Nasser en 1970, l’Egypte en revient à l’alliance américaine.

Malgré ces revers, les années 1970 marquent pour l’URSS une reprise de la poussée impériale. En Asie, elle se rapproche de l’Union indienne, et appuie Hanoï dans son combat contre les Etats-Unis. Sur le continent africain, elle soutient les régimes d’inspiration socialiste comme l’Algérie, l’Ethiopie, l’Angola ou encore le Mozambique. Elle est présente aussi en Amérique du Sud, aux côtés du régime de Fidel Castro à Cuba ou auprès des sandinistes au pouvoir au Nicaragua à partir de 1979.

Ce nouveau pic impérialiste culmine avec l’invasion de l’Afghanistan en 1979, qui marque aussi le début du recul de l’expansionnisme soviétique : en Afghanistan en effet, les soviétiques s’embourbent, incapables de venir à bout des moudjahidin afghans, tandis que l’opinion internationale s’offusque d’une invasion que rien ne semble justifier. Par ailleurs, pendant la décennie 1970, l’URSS doit affronter une opposition croissante de la Pologne. Enfin, à l’intérieur, elle dit faire face à des difficultés économiques et sociales de plus en plus insurmontables.

III. Les faiblesses du modèle et l’effondrement du système

Blocages économiques et paralysie politique Sur le plan intérieur, l’URSS se heurte d’abord à des blocages économiques générés par le système soviétique lui-même : le pays s’est de fait coupé des flux internationaux de capitaux,

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de marchandises et de technologie, ce qui provoque des ruptures d’approvisionnement et un certain retard technologique. Le dirigisme économique n’est pas exempt de gaspillages et de blocages, et dans le cadre d’un tel système les travailleurs sont très peu motivés, ce qui explique la très faible productivité générale de l’économie soviétique. Le taux de croissance de l’URSS n’a cessé de ralentir depuis les années 1950 et atteint son plus bas niveau au début des années 1980, alors même que les ressources naturelles sont abondantes et que les besoins de la population ne cessent de croître.

Les comportements sociaux se ressentent de l’inefficacité du système économique. Les campagnes ont été vidées par l’exode rural ; n’y restent plus que des personnes âgées ; les villes en revanche sont surpeuplées, et la crise du logement s’y fait sentir à plein. Les travailleurs ont tendance à déserter fréquemment leurs usines car le travail au noir rapporte plus que leur emploi officiel. Censée procurer l’oubli des misères quotidiennes, la consommation d’alcool se répand – surtout chez les hommes – et réduit fortement leur espérance de vie. Par ailleurs dès les années 1970 la population soviétique est une population vieillissante, car la natalité est partout en recul sauf dans les provinces musulmanes du sud de l’empire. Préoccupés avant tout des difficultés de tous les jours, les soviétiques sont politiquement de plus en plus indifférents, et ce d’autant plus qu’ils sont de toute façon privés de tout moyen de contestation.

En rendant Staline seul responsable de la terreur, Khrouchtchev en 1956 a esquivé une question centrale : celle de la rigidité du système soviétique lui-même, au-delà de la seule personnalité des secrétaires généraux du parti. Dans un discours prononcé à New York au mois de juillet 1975, l’un des principaux dissidents du régime, Alexandre Soljenitsyne, dénonce l’emploi même du terme de « stalinisme », concept forgé selon lui de toutes pièces par Khrouchtchev et son équipe : ce sont eux qui ont inventé le mot « pour rejeter sur Staline toutes les fautes, tous les défauts les plus graves du communisme ». Khrouchtchev n’a effectivement remis en cause ni la planification, ni la collectivisation, pas plus que l’existence d’un parti unique. Les quelques réformes qu’il a entreprises (libération d’un grand nombre de détenus, adoucissement de la censure…) n’ont fait qu’inquiéter le Parti, et Khrouchtchev a été mis à l’écart du pouvoir en 1964 par une coalition de conservateurs. Son successeur, Leonid Brejnev, s’installe au pouvoir pour dix-huit ans. Ces années sont marquées par un certain retour en arrière. Dès 1965 la censure totale est rétablie, les dissidents sont de nouveau traduits en justice et le culte de la personnalité reprend, avec presque autant d’ampleur qu’à l’époque stalinienne. Les deux successeurs de Brejnev, Iouri Andropov (1982-1984) et Konstantin Tchernenko (1984-1985) poursuivent la même ligne. En 1985, un nouveau secrétaire général du Parti s’installe au Kremlin : Mikhaïl Gorbatchev. Il va tenter, en vain, de réformer le système soviétique pour sauver le pays.

Vers l’implosion de l’empire soviétique Les deux mesures-phares lancées par le nouveau secrétaire général sont la glasnost et la perestroïka. La Glasnost ou « transparence » consiste selon Gorbatchev en la « publication d’informations sincères et véridiques » par les médias soviétiques. Gorbatchev supprime ainsi la censure, libère de nombreux dissidents, rétablit la liberté d’expression et de religion et commence à réhabiliter les victimes de la terreur stalinienne. Cette « transparence » est censée servir la perestroïka, ultime réforme pour tenter de sauver le pays et notamment de redresser l’économie soviétique. Gorbatchev va ainsi rompre en partie avec le dirigisme économique : dès 1986, il autorise la création d’entreprises privées individuelles, en 1987 il réduit les contrôles sur les entreprises d’Etat, enfin en 1988 il encourage la création de coopératives et la location de terres aux paysans, rompant ainsi avec la collectivisation. Pourtant, les difficultés économiques ne s’atténuent pas, bien au contraire : les pénuries s’aggravent, la hausse des prix appauvrit le plus grand nombre, ce qui rend Gorbatchev très impopulaire (les soviétiques supportent très mal aussi la lutte qu’il a engagée contre le fléau de l’alcoolisme). En butte à l’hostilité générale, Gorbatchev doit renoncer en 1990 au programme de transition accélérée vers une économie de marché.

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Entre-temps, les institutions politiques de l’URSS ont été réformées. En mars 1989 a été créé un nouveau parlement, le Congrès des députés du peuple ; deux tiers des représentants sont élus au scrutin secret sur candidature multiple. En 1990, le Congrès procède à son tour à une refonte du système : le « rôle dirigeant du Parti » est aboli, et Gorbatchev est élu président de l’URSS pour une période de cinq ans. Mais l’implosion de l’empire soviétique le force un an plus tard à quitter le pouvoir.

Dès la deuxième moitié des années 1980 en effet, l’empire soviétique craque de toutes parts. Le pouvoir central est d’abord confronté au réveil des nationalités, au Kazakhstan dès 1986, dans le Caucase et les pays baltes l’année suivante. D’autre part, sans l’avoir vraiment cherché, Gorbatchev va favoriser l’émancipation des démocraties populaires. En 1987 il encourage dans ces pays l’arrivée au pouvoir de gouvernements réformateurs. En 1989, la mobilisation populaire entraîne l’effondrement des pouvoirs communistes dans les pays d’Europe centrale : Gorbatchev refuse d’utiliser la force, reconnaissant implicitement le début de la désagrégation du bloc soviétique. Effrayés par la fin annoncée du système soviétique, les conservateurs du Parti tentent un coup d’Etat au mois d’août 1991 mais échouent devant la détermination de Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie. Dans les journées qui suivent l’échec du putsch, toutes les républiques fédérées de l’URSS proclament leur indépendance et le 25 décembre 1991, Gorbatchev est contraint à la démission car il est le président d’un Etat qui a désormais cessé d’exister.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS apparaissait comme l’une des principales puissances du monde, seule capable de rivaliser avec les Etats-Unis. Moins de cinquante ans plus tard, le système soviétique s’est effondré en quelques jours : lancée par Mikhaïl Gorbatchev pour tenter de sauver le communisme, la perestroïka a paradoxalement débouché sur l’effondrement total du système créé par Lénine et renforcé depuis la fin des années 1920 par Staline.

Repères bibliographiques -J. LEVESQUE, L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, Paris, A. Colin, 1988.

-N. WERTH, Histoire de l’Union soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1999.

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23. La Chine de 1949 à nos jours Dernier grand bastion se réclamant encore du marxisme-léninisme au début du XXIe siècle, la Chine a pourtant connu une évolution contrastée depuis 1949, date de l’arrivée au pouvoir des communistes à Pékin. Avant 1978, le maoïsme associait culte de la personnalité du président Mao et mobilisation totale de la population au servie du régime. Une rupture fondamentale est intervenue en 1978, date à laquelle la Chine a rompu avec le maoïsme – deux ans après la mort de Mao – et s’est lancée dans un développement économique à tout crin, sans que le système totalitaire soit d’ailleurs assoupli.

L’histoire de la Chine depuis 1949 est ainsi marquée par une série de bouleversements et de métamorphoses successives, qui ont rythmé l’évolution du pays depuis plus de cinquante ans.

I. La construction de la « Chine rouge » (1946-1958)

La victoire des communistes 1912 marque en Chine la fin du régime impérial et l’avènement de la République de Chine dont le premier président est Sun Yat Sen, chef du parti nationaliste Guomindang5. Sun Yat Sen veut moderniser et démocratiser le pays ; pour ce faire, il s’allie au parti communiste chinois créé en 1921 par Mao Zedong. Mais le général Tchang Kaï-chek, successeur de Sun Yat Sen au Guomindang après la mort de celui-ci en 1925, s’appuie sur l’armée pour instaurer un régime dictatorial, et tente de faire disparaître le mouvement communiste. Persécutés par le nouveau pouvoir, les communistes se réfugient à partir de 1934 dans les montagnes du Nord-ouest de la Chine après une « Longue Marche » de près de 12.000 kilomètres.

Entre 1937 et 1945, la guerre contre l’envahisseur japonais suspend quelque peu la guerre civile entre les nationalistes et les communistes ; elle reprend toutefois dès 1945. Bien qu’ils bénéficient de l’aide militaire des Etats-Unis, les nationalistes ne tardent pourtant pas à avoir le dessous. Les avantages des communistes sont nombreux : ils ont des troupes bien formées, ils peuvent compter sur l’appui des paysans, et apparaissent aux yeux de la population chinoise comme les véritables détenteurs de la légitimité nationale : pendant la guerre en effet, Tchang Kaï-Chek s’est montré plus préoccupé de combattre les Rouges que de débarrasser le pays des occupants japonais. Son gouvernement est d’autre part déconsidéré par la corruption qui règne au sein du Guomindang et par sa politique économique incapable de résorber l’énorme inflation qui touche le pays au lendemain du second conflit mondial. Finalement, en 1949, les tropes communistes entrent dans Pékin et le 1er octobre, Mao proclame la naissance de la République populaire de Chine ; Tchang Kaï-chek et ses partisans doivent se réfugier dans l’île de Taïwan, au Sud-est de la Chine.

5 Le Guomindang, parti « nationaliste » de la Chine, fondé par Sun Yat Sen en 1911, est dirigé à partir de 1925 par Tchang Kaï-chek.

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La victoire communiste se traduit par une épuration massive qui frappe en priorité les partisans de Tchang Kaï-chek mais aussi les gros propriétaires et tous ceux qui sont considérés comme les « profiteurs » de l’Ancien Régime. La situation économique est difficile : le pays est ruiné par près d’un demi-siècle de combats incessants, et sa participation à la guerre de Corée à partir de 1950 exige un énorme effort militaire. L’agriculture chinoise ne suffit pas à nourrir les 583 millions d’habitants que compte alors le pays. Pour sortir du marasme économique, Mao Zedong décide de se mettre à l’école soviétique.

La Chine à l’école soviétique En 1950, la Chine signe avec l’URSS un « traité d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle ». La transformation du pays se fait selon le modèle soviétique. En matière agricole, la collectivisation des terres est plus prudente que celle menée par Staline en URSS à partir de la fin des années 1920 : la petite paysannerie est en effet le soutien traditionnel du parti communiste chinois. Ce sont d’abord les terres des gros propriétaires qui sont confisquées, et réparties entre les ménages paysans les plus pauvres. Entre 1953 et 1956, les paysans bénéficiaires de la redistribution sont regroupés dans des coopératives villageoises, selon le modèle des kolkhozes soviétiques. Comme en URSS, chaque « coopérateur » conserve un petit lopin de terre individuel sur lequel il est libre de cultiver ce que bon lui semble, et dont il pourra vendre les produits sur le marché. Dans le domaine industriel, le premier plan quinquennal lancé en 1953 donne la priorité à l’industrie lourde ; les grosses entreprises sont nationalisées, les petites regroupées.

Le modèle soviétique appliqué à la Chine connaît quelques ratés. La croissance « à la soviétique » entraîne un retard des industries de consommations. Les résistances paysannes à la collectivisation se traduisent par une stagnation de la production agricole qui débouche sur une réduction des rations alimentaires disponibles pour la population. Pour tenter de désamorcer le malaise social, le PC chinois lance en 1956-1957 la « campagne des Cent fleurs », destinées au départ à susciter dans le pays des « critiques positives » sur la gestion communiste. La contestation est telle toutefois que le pouvoir finit par déporter dans le Nord-Est du pays plus de 450.000 hommes et femmes qui avaient formulé de sévères critiques à l’égard du régime et sont condamnés en tant que « droitiers », coupables de dérive contre-révolutionnaire. Devant l’échec de la campagne des Cent fleurs, Mao décide qu’il est temps de renoncer au modèle soviétique, générateur de privations que la population chinoise ne pourra pas supporter plus longtemps.

II. L’apogée du maoïsme (1958-1976)

L’abandon du modèle soviétique et le « Grand Bond en avant » Le rejet de la tutelle soviétique n’est pas seulement économique : il est aussi politique. Mao Zedong dénonce la déstalinisation entreprise par Khrouchtchev à partir de 1956, et la coexistence pacifique avec les Etats-Unis désormais prônée par l’URSS : elle lui semble témoigner d’un amollissement doctrinal de la part de Moscou. Pékin continue au contraire d’affirmer que « le vent d’Est l’emporte sur le vent d’Ouest » et le modèle communiste chinois va dorénavant se poser en rival du modèle soviétique. Mao prend prétexte des résultats décevants du premier plan quinquennal pour rejeter une stratégie qui privilégie l’industrie alors même que la population chinoise est en grande majorité paysanne. Les soviétiques retirent tous leurs techniciens en 1960. Mao entend créer sa propre voie vers le socialisme.

Lancée en 1958, l’expérience du « Grand Bond en avant » est effectivement en rupture totale avec le modèle soviétique. Elle vise à rattraper en quelques années le retard économique chinois, à trouver un raccourci vers le communisme en mobilisant la principale richesse de la

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Chine : une population de 600 millions d’habitants. La fièvre révolutionnaire des Chinois est stimulée par une intense propagande tandis que le pouvoir énonce des objectifs pour la plupart irréalistes. La volonté de Mao est de voir la Chine « marcher sur deux jambes », c’est-à-dire développer à la fois son agriculture et son industrie, et non plus la seule industrie comme au temps du modèle soviétique : les coopératives villageoises sont regroupées en « communes populaires » qui sont censées être autonomes, et produire par exemple elles-mêmes l’acier nécessaire à la fabrication des outils agricoles ; les lopins individuels sont supprimés. Le programme du « Grand Bond » prévoit aussi la construction de digues, de barrages, de canaux d’irrigation.

L’échec du « Grand Bond en avant » est patent dès 1960. La fabrication de l’acier a détourné les paysans de la terre, de plus l’acier produit dans des fourneaux de campagne peu adaptés se révèle inutilisable. L’abus des défrichements a provoqué l’érosion des sols ; soumis à des rythmes harassants, les travailleurs sont épuisés. A la suite de cette expérience, la production agricole chinoise connaît un recul spectaculaire. En 1961, la famine fait 20 millions de morts dans tout le pays.

L’échec du « Grand Bond » provoque une éclipse du pouvoir de Mao, qui perd son poste de chef de l’Etat au profit de Liu Shaoqi qui, avec d’autres « réalistes » (comme Deng Xiaoping), engage la Chine dans une stratégie de croissance moins utopique : les communes populaires sont mises en veilleuse, la vie collective recule au profit du noyau familial, les paysans retrouvent leur lopin de terre ; la production villageoise d’acier et de fonte est abandonnée. Comme dans la Russie des années 1920, c’est une nouvelle politique économique (NEP) qui est instaurée en Chine, rompant avec la marche forcée vers le communisme qu’avait voulu instaurer Mao. Ce dernier conserve cependant une certaine influence, faisant nommer l’un de ses proches, Lin Biao, à la tête des armées, et diffusant dès 1964 son Petit Livre rouge auprès de la jeunesse.

Mao reconquiert le pouvoir en 1966 en lançant la « Révolution culturelle ».

La Révolution culturelle ou la revanche de Mao Cette fois, ce sont les « héritiers de la révolution » que Mao mobilise contre les « droitiers » (tous ceux qui, au sein du parti, s’opposent à la ligne prolétarienne) : lycéens et étudiants, organisés en « gardes rouges » sous l’égide de l’armée, ont pour mission de traquer dans tout le pays les « féodaux » et autres contre-révolutionnaires supposés. Ce sont toutes les traditions de la Chine qui sont remises en cause : d’après Mao, la culture traditionnelle chinoise est la dernière arme de la bourgeoisie ; ses manifestations doivent être impitoyablement traquées et éliminées. Dans ce contexte, des milliers de cadres sont destitués et condamnés au travail manuel dans les campagnes. De nombreux dirigeants du parti doivent eux aussi faire leur autocritique publique (c’est le cas notamment de Liu Shaoqi, exclu du parti, et de Deng Xiaoping, envoyé en camp de rééducation). La Chine toutefois est rapidement menacée d’anarchie car le mouvement maoïste est lui-même débordé par des extrémistes : à Shangai en particulier ont lieu de violents affrontements entre ouvriers et gardes rouges. A partir de 1967 se mettent en place des comités révolutionnaires qui regroupent les gardes rouges modérés, les cadres du parti favorables à Mao et l’armée dirigée par Lin Bao. Ce sont ces comités qui progressivement rétablissent l’ordre dans le pays. La Révolution culturelle s’achève officiellement en 1969 lors du IXe Congrès du parti communiste chinois qui confirme la victoire de la ligne maoïste. Mao, le « Grand Timonier », est désormais maître de la situation : il fait exécuter Liu Shaoqi, son rival détesté (qualifié de « Khrouchtchev chinois »), nomme Zhou Enlai premier ministre et se débarrasse en 1971 de son dauphin Lin Bao devenu trop encombrant.

La Révolution culturelle a conféré au maoïsme une audience internationale. De nombreux intellectuels et jeunes étudiants occidentaux proches du communisme ont été déçus par l’URSS ; la Chine maoïste leur apparaît comme le modèle d’une société égalitaire et véritablement sans classes. De nombreux mouvements européens se réclament du maoïsme,

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qui trouve d’autant plus d’écho en Occident que l’époque est à la remise en cause des hiérarchies établies (crise étudiante de mai 1968 en France et dans d’autres pays européens). Jusqu’à sa mort en 1976, Mao fait l’objet en Chine d’un véritable culte de la personnalité.

III. L’évolution paradoxale de la Chine depuis 1976

Le retour des réalistes et la mise en place du « socialisme de marché » Après la mort de Mao en 1976, ce sont les « réalistes » ou « révisionnistes » qui reviennent aux affaires. Leur homme fort est Deng Xiaoping, qui avait été écarté à cause de son pragmatisme pendant la Révolution culturelle mais progressivement amnistié à partir de 1973 grâce à la protection de Zhou Enlai. Homme fort du régime à partir de 1978, Deng Xiaoping a pour premier souci de moderniser la Chine et, à la différence de Mao, il se préoccupe fort peu d’idéologie. Conscient du retard économique chinois, qui contraste durement avec les réussites éclatantes de la Corée du Sud, de Taiwan et de Hongkong, Deng engage une série de réformes destinées à rendre à la Chine un rôle mondial conforme à son poids démographique. En 1978, le parti communiste chinois accepte les « quatre modernisations » nécessaires proposées par Deng : celles de l’industrie, de l’agriculture, des sciences et des techniques. Les communes populaires sont définitivement démantelées, les terres sont décollectivisées et louées aux paysans. Dans l’industrie, l’initiative privée est favorisée par des prêts bancaires. La mesure la plus spectaculaire est sans doute l’ouverture e la Chine aux capitaux étrangers : Deng veut en effet attirer l’investissement extérieur dans les ZES, zones économiques spéciales où les entreprises étrangères sont libres de s’installer.

Réaffirmé par Deng Xiaoping en 1992, le socialisme de marché a donné des résultats spectaculaires. Depuis 1978, la Chine connaît une croissance de 10% par an. Ce « boom » économique s’explique par la frénésie chinoise de produire pour s’enrichir, mais aussi et surtout par la ruée des investisseurs étrangers qui ont trouvé sur place de nombreux avantages, en particulier le prix très faible d’une main-d’œuvre docile et inépuisable, ainsi que l’énorme potentiel du marché chinois.

Ce « miracle chinois » n’est cependant pas total : il laisse les campagnes à l’écart de la croissance, ainsi qu’une grande partie de la population chinoise qui ne bénéficie pas de retombées de la prospérité : des millions de chômeurs errent dans les villes à la recherche d’un emploi. Dans le même temps, les membres du parti se sont enrichis et ont perdu toute autorité morale sur le pays. Pourtant, le miracle économique ne s’est accompagné en Chine d’aucune détente politique.

La démocratisation impossible Depuis 1978, la ligne officielle des autorités chinoises reste la prospérité économique sans la démocratie. A l’époque pourtant, les premières réformes avaient suscité chez beaucoup l’espoir d’une « cinquième modernisation » qui verrait la libéralisation du régime. Il n’en a rien été : dès le mois de novembre 1979, le premier « printemps de Pékin » a été durement réprimé. Fort de ses 50 millions de membres, le parti communiste chinois musèle le pays grâce à la police et à l’armée. En 1982, lors du XIIe Congrès du parti communiste, Deng Xiaoping a rappelé que la modernisation s’accompagnait de « quatre principes intangibles » qui sont toujours les mots d’ordre du socialisme : le cap socialiste, la dictature du prolétariat, le rôle dirigeant du PC et le marxisme-léninisme. Le massacre de la place Tian Anmen en 1989, consécutif au « deuxième printemps de Pékin », montre bien le gel politique du régime.

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La Chine pourtant ne délivre plus de message idéologique à l’étranger, elle ne constitue plus un modèle pour qui que ce soit. Elle se sent assez puissante toutefois pour ne tenir aucun compte des appels internationaux à la démocratisation et au respect des droits de l’homme. Il est vrai que ces remontrances adressées à la Chine ne sont faites souvent que du bout des lèvres par les dirigeants des démocraties occidentales, qui ne souhaitent pas encourir de représailles économiques et se priver du formidable marché que constitue la Chine. Le régime chinois quant à lui s’est lancé dans une politique expansionniste qui ressemble à une fuite en avant : il continue la colonisation du Tibet, il a récupéré Hongkong en 1997 et espère sans doute un jour en faire autant avec Taiwan.

Depuis 1978, la Chine a renié l’héritage maoïste au profit du développement accéléré de l’économie. Deng Xiaoping et ses successeurs se refusent à remettre en cause le système totalitaire. Ils cherchent avant tout à faire de la Chine une grande puissance, et offrent aux Chinois, à défaut d’une libéralisation politique, des perspectives d’enrichissement.

La question se pose de savoir jusqu’à quand un régime autoritaire mais corrompu, et qui a perdu tout repère idéologique, pourra se maintenir au pouvoir.

Repères bibliographiques -M.-Cl. BERGÈRE et alii, La Chine au XXe siècle, Paris, Fayard, 1990.

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24. La décolonisation et l’émergence du Tiers Monde (de 1945 à nos jours) La tutelle de l’Europe sur les empires coloniaux avait déjà été ébranlée avant 1939. Après 1945, les puissances coloniales, Grande-Bretagne et France en particulier, ne peuvent plus ignorer les revendications qui se lèvent un peu partout dans leurs colonies. Dès la fin des hostilités du second conflit mondial, les indépendances s’enchaînent, qu’elles soient consenties par la métropole ou qu’elles donnent lieu à des guerres parfois sanglantes. Ce vaste mouvement d’émancipation est plus précoce en Asie qu’en Afrique, où il faut attendre les années 1970 pour que les derniers bastions coloniaux accèdent enfin à l’indépendance.

Quelles sont les raisons qui expliquent la décolonisation, et quelles sont les grandes étapes de l’émergence du Tiers monde ?

I. Les raisons de la décolonisation

Les puissances coloniales : un prestige ruiné par la guerre La Seconde Guerre mondiale a profondément affaibli les puissances colonisatrices européennes, Grande-Bretagne, France, Pays-Bas et Belgique. Même si ces pays font partie du camp des vainqueurs en 1945, ils ont subi des revers qui ont entamé leur prestige : armée française éliminée en quelques semaines en mai-juin 1940, recul des Européens face aux Japonais un peu partout en Asie, notamment en Birmanie et Malaisie britanniques, en Indochine française, en Indonésie néerlandaise. La guerre a ainsi définitivement détruit le mythe de la supériorité de la race blanche, et contribué à renforcer les mouvements nationalistes : dès 1942 Gandhi lance le slogan « Quit India », enjoignant aux Anglais de quitter l’Inde ; en Algérie, Ferhat Abbas lance en février 1943 le Manifeste du peuple algérien qui pour la première fois rassemble l’ensemble des forces politiques musulmanes. Au Maroc est créé en 1944 le parti de l’Istiqlâl (= Parti de l’indépendance). En octobre 1945, les délégués de l’Afrique noire anglophone, réunis à Manchester, annoncent un recours possible à la force pour conquérir leur liberté.

Les promesses ambiguës des colonisateurs Pendant la guerre, les puissances coloniales ont fait elles-mêmes un certain nombre de promesses, en échange du soutien de leurs colonies à l’effort de guerre. La charte de l’Atlantique (1941) présente les Anglo-Saxons comme les champions de la liberté et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : cela semble difficilement compatible avec le maintien du lien colonial. Les Anglais s’engagent ainsi, en 1945, à réunir un organisme chargé de préparer une nouvelle constitution pour l’Inde britannique. Mais Churchill pour sa part est hostile à toute émancipation des colonies britanniques.

Entre le 30 janvier et le 8 février 1944, la conférence de Brazzaville présidée par le général de Gaulle s’engage à promouvoir une politique de réformes dans les colonies françaises au lendemain du conflit. L’acte final de la conférence proclame ainsi que « l’organisme nouveau à

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créer, parlement colonial, ou, préférablement, assemblée fédérale, devra répondre aux préoccupations suivantes : affirmer et garantir l’unité politique infrangible du monde français ; respecter la vie et la liberté locale de chacun des territoires constituant le bloc France-colonies » ; mais le même acte stipule par ailleurs que « les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire » : il ne saurait être question d’indépendance pour les colonies françaises. D’ailleurs, les émeutes de Sétif en Algérie, qui éclatent le 8 mai 1945, entraîne une répression impitoyable de la part de l’armée française (1500 morts « officiels », sans doute quatre ou cinq fois plus parmi la population algérienne soulevée).

Des forces nouvelles hostiles au colonialisme L’après-guerre est aussi marquée par l’émergence ou le renforcement de pays ou d’organismes hostiles au principe même de la colonisation :

*Les Etats-Unis : grands vainqueurs de la guerre, ils n’oublient pas leur passé d’ancienne colonie émancipée. Dès 1946, ils donnent l’exemple en accordant l’indépendance aux Philippines (ancienne colonie espagnole récupérée par les Américains en 1900). Toutefois leur attitude est ambiguë : ils soutiendront financièrement et militairement la guerre coloniale menée par France en Indochine (1946-1954), car ils ne veulent pas voir la région tomber aux mains des communistes.

*L’URSS : les soviétiques se posent dès 1945 comme les champions de la décolonisation. Leur but est de voir les pays décolonisés basculer ans le camp soviétique, d’où l’envoi d’armes et d’argent à tous les mouvements indépendantistes de tous les continents.

*L’ONU : créée en 1945 par la Conférence de San Francisco, sa charte insiste sur le droit des peuples à un gouvernement autonome. Dès la fin des années 1940 les leaders de pays récemment décolonisés (Nehru pour l’Inde, Sukarno en Indonésie…) utilisent l’ONU comme une tribune pour appeler à la poursuite de la décolonisation partout dans le monde.

*Enfin la Chine, devenue communiste en 1949, parraine un certain nombre de mouvements de libération, en particulier celui des Khmers rouges au Cambodge.

II. Les deux vagues de colonisation : Asie puis Afrique C’est l’Asie qui est marquée par la première vague de décolonisation, entre le milieu des années 1940 et le début des années 1950.

La décolonisation de l’Asie *Les colonies britanniques : en juillet 1945, les travaillistes britanniques remportent les élections et entament des négociations en vue de l’indépendance de l’Inde. Se pose en effet la question de la partition : le Parti du Congrès (Gandhi et Nehru) souhaite conserver l’unité de l’Inde, alors que les musulmans (Jinnah) désirent pour leur part fonder un Etat indépendant. C’est cette dernière solution qui entre en vigueur le 15 août 1947 avec la création de l’Etat musulman du Pakistan composé de deux parties séparées (la partie orientale du Pakistan deviendra l’Etat indépendant du Bangladesh en 1971), et de l’Union indienne dirigée par Nehru.

La même année (1947), Ceylan et la Birmanie accèdent à l’indépendance ; la Malaisie doit attendre 1957. A l’exception de la Birmanie, toutes les anciennes colonies asiatiques de la

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Grande-Bretagne acceptent d’intégrer le Commonwealth, ce qui permet à Londres de conserver une position privilégiée en Asie.

*Les Indes néerlandaises : les Néerlandais sont beaucoup plus réticents que les Anglais face aux velléités d’indépendance de leurs colonies asiatiques (intérêts économiques importants). Dès 1945 et le retrait des Japonais, le leader indépendantiste indonésien Sukarno a proclamé l’indépendance de son pays. En réponse, les Néerlandais envoient en 1946 un corps expéditionnaire pour tenter de reprendre en main leur colonie. Toutefois, les Pays-Bas se heurtent à partir de 1947 à une violente campagne internationale contre leur présence en Indonésie ; sous la pression notamment des Etats-Unis et de l’ONU, ils doivent négocier et reconnaissent finalement l’indépendance de l’Indonésie en 1949.

*La guerre d’Indochine (1946-1954) : après le retrait des Japonais, Hô Chi Minh a proclamé le 2 septembre 1945 l’indépendance de la république démocratique du Vietnam. La France reconnaît dans un premier temps cette république « comme un Etat libre au sein de l’Union française » (mars 1946) mais change bientôt d’avis et pense pouvoir récupérer sa colonie indochinoise : le 23 novembre 1946, le port d’Haiphong est bombardé par la marine française. C’est le point de départ d’une guerre qui se poursuit jusqu’à la défaite française de Diên Biên Phu au mois de mai 1954. En juillet 1954, les accords de Genève négociés pour la France par Pierre Mendès France reconnaissent l’indépendance d’un Vietnam séparé en deux parties : au nord, la République démocratique du Vietnam, pro-soviétique ; au sud, une République nationaliste pro-américaine. L’indépendance du Laos et du Cambodge est acquise au même moment.

La décolonisation de l’Afrique *L’Afrique du Nord : les deux protectorats français de la Tunisie et du Maroc connaissent une évolution plus ou moins pacifique vers l’indépendance. Les atermoiements français se marquent par l’arrestation d’Habib Bourguiba, leader du mouvement nationaliste tunisien Néo-Destour, en 1952, et par la déposition puis l’exil forcé du sultan du Maroc Mohammed V en 1953. En 1955 toutefois, la France reconnaît l’autonomie interne de ses deux protectorats avant de leur accorder officiellement l’indépendance en mars 1956.

En Algérie, seule colonie française de peuplement, la situation est plus délicate. Les colons français présents sur place refusent toute réforme. L’insurrection algérienne du 1er novembre 1954 marque le début de la guerre d’Algérie. Malgré un engagement croissant de l’armée française (et l’envoi du contingent par Guy Mollet à partir de 1956), les gouvernements successifs de la IVe République échouent à venir à bout de la crise algérienne. De retour au pouvoir à la suite de l’insurrection des colons d’Alger au mois de mai 1958, de Gaulle finit par se rallier à l’idée d’une Algérie indépendante. En 1959, de Gaulle entame un long processus de négociations qui débouche en mars 1962 sur la signature des accords d’Evian : l’indépendance de l’Algérie est officiellement proclamée trois mois plus tard, au mois de juillet 1962.

*L’Afrique noire : la décolonisation va se faire par « consentement mutuel », les puissances coloniales réussissant en général à éviter les confrontations dramatiques.

La Grande-Bretagne donne l’exemple en accordant en 1957 l’indépendance à la Gold Coast (=Ghana), qui intègre aussitôt le Commonwealth. Cette décolonisation pacifique sert ensuite de modèle pour les autres colonies britanniques d’Afrique : Nigeria, Tanzanie, Ouganda, Kenya.

En Afrique noire française, la loi-cadre Defferre de 1956 permet une évolution pacifique vers l’autonomie des territoires de l’AOF, de l’AEF et de Madagascar. En 1958, tous ces territoires à l’exception de la Guinée acceptent d’intégrer la « Communauté française » proposée par de Gaulle. En 1960, toutes les colonies africaines de la France accèdent à l’indépendance en maintenant avec l’ancienne métropole des liens de coopération très solides.

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Au Congo belge, en revanche, l’indépendance en juin 1960 s’accompagne de violences qui opposent à la fois différentes ethnies et différents leaders nationalistes. L’assassinat de l’un d’entre eux, Patrice Lumumba, en janvier 1961, marque le début d’une véritable guerre civile remportée en novembre 1965 par le général Mobutu.

Enfin le dernier empire colonial d’Afrique noire à disparaître est celui du Portugal : c’est seulement en 1975 que le Mozambique, la Guinée-Bissau et l’Angola accèdent à l’indépendance, après une longue période de guérillas.

III. L’émergence du Tiers-Monde

La conférence de Bandoeng et le non-alignement L’expression de « Tiers-Monde » a été inventée en 1952 par le démographe Alfred Sauvy pour désigner les pays qui, au début des années 1950, n’appartenaient ni au monde occidental industrialisé, ni au bloc communiste. Le terme renvoie à « Tiers-Etat », c’est-à-dire à l’ensemble des personnes qui, sous l’Ancien Régime, n’appartenaient ni à la noblesse ni au clergé et qui occupaient une position subalterne, tout comme les pays du « Sud » par rapport à ceux du « Nord ».

En avril 1955, la conférence de Bandoeng réunit 29 Etats d’Asie, d’Afrique et du Proche-Orient, pour la plupart récemment décolonisés. Malgré de nombreuses divergences, les participants se retrouvent pour condamner le colonialisme sous toutes ses formes et demander la mise en œuvre d’une coopération économique entre pays riches et pays pauvres.

Réunis à Belgrade en 1961, 25 Etats du Tiers-Monde manifestent leur refus de toute alliance avec le camp occidental ou le camp soviétique et fondent ainsi le Mouvement des non-alignés. Le mouvement s’élargit dans les années suivantes et compte plus de cent membres dans les années 1980. Les anciens pays colonisés entrent massivement à l’ONU dont ils font une tribune pour leurs revendications. Mais le non-alignement apparaît comme un mouvement particulièrement fragile car il est très difficile pour ces jeunes Etats de ne pas se lier à l’URSS ou aux Etats-Unis pour obtenir une aide financière et/ou militaire.

Un Tiers-Monde divisé Le Tiers-Monde apparaît ainsi comme profondément divisé. Il a échoué à constituer une troisième force diplomatique capable de s’opposer aux deux blocs et de peser véritablement au plan international. On le voit dans la multiplication des affrontements frontaliers entre pays du Tiers-Monde (dès les années 1960 entre l’Inde et le Pakistan ; dans les années 1970 entre le Cambodge et le Vietnam ; dans les années 1980 entre l’Iran et l’Irak…) ; dans l’échec des tentatives de regroupements régionaux et d’alliances économiques, dans la division des votes au sein de l’ONU sur les grandes questions essentielles. Tout cela démontre les clivages idéologiques entre pays du Tiers-Monde.

La réalité du développement Cinquante ans après la création de l’expression « Tiers-Monde », les critères qui définissaient cette réalité sont devenus pour la plupart caducs. Le développement, qui n’était alors qu’une exception concernant un petit nombre de pays occidentaux, est devenu une réalité plus largement partagée. Certains pays autrefois dominés ont réalisé en une génération des progrès économiques phénoménaux, que les pays industrialisés occidentaux avaient mis un siècle à accomplir (=NPI d’Asie du Sud-est). Aujourd’hui, c’est surtout l’Afrique noire (sauf l’Afrique du Sud) qui continue à s’identifier au Tiers-Monde tel qu’on le définissait il y a

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cinquante ans. C’est là que l’espérance de vie est la plus faible, la mortalité infantile et l’analphabétisme les plus élevés. Plus que tout autre région du monde, l’Afrique reste aujourd’hui le continent des guerres, des massacres ethniques, de la famine et de la corruption.

Rendue inéluctable par la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation s’est opérée de diverses manières, par la voie pacifique ou par la guerre. Elle a donné naissance à un « Tiers-Monde » qui apparaît aujourd’hui comme fortement contrasté. Près de cinquante ans après la conférence de Bandoeng en effet, le Tiers-Monde a éclaté. Il n’y a plus un mais des Tiers-Mondes, regroupant des pays aux situations économiques, sociales et politiques très différentes.

Repères bibliographiques -H. GRIMAL, La décolonisation de 1919 à nos jours, Bruxelles, Complexe, 1985.

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25. Des « Trente Glorieuses » à la dépression économique (de 1945 à nos jours) L’expression de « Trente Glorieuses » a été inventée par l’économiste Jean Fourastié pour désigner la croissance économique sans précédent qu’a connu le monde entre 1945 et le milieu des années 1970. Pendant ces quelque trois décennies en effet, le rythme moyen annuel de croissance en volume (c’est-à-dire à prix constants) dans les pays occidentaux s’élevait à près de 5%, un taux sans précédent dans l’histoire du monde. Cette croissance économique phénoménale a eu aussi d’importantes conséquences sociales, modifiant en profondeur la structure de la population active dans tous les pays industrialisés : diminution du nombre des agriculteurs, augmentation rapide de celui des ouvriers, enfin essor du secteur tertiaire.

La croissance économique des « Trente Glorieuses » a été brisée net au moment du premier choc pétrolier, en 1973. Avec la flambée du prix du baril de pétrole (retombée de la guerre du Kippour), l’économie mondiale entre dans une zone de turbulences qui ouvre une période incertaine dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.

I. Causes et caractères de la croissance

Les causes de la croissance Elles sont multiples et se conjuguent pour expliquer la forte croissance des décennies d’après-guerre. Le cadre général est fixé par les accords de Bretton Woods en 1944, qui rétablissent la coopération générale entre les nations, et par la création du GATT en 1947 qui va permettre le développement à grande échelle du commerce international. L’impulsion première de la croissance est donnée par les nécessités de la reconstruction (après les destructions massives du second conflit mondial, tout est à rebâtir : bâtiments, ponts, voies de communication…) et par les effets de l’aide américaine, dans le cadre du plan Marshall mais aussi grâce au modèle que constituent alors les Etats-Unis : en 1945, ils ont un niveau de productivité considérablement supérieur à celui de tous les autres pays du monde ; les pays qui décident de se calquer sur le modèle américain n’ont qu’à imiter la technologie américaine, ou en tout cas l’adapter à leurs propres marchés et à leurs propres entreprises. Ainsi en France après la guerre sont mises sur pied des « missions de productivité » aux cours desquelles quelques milliers de cadres et d’ingénieurs peuvent partir aux Etats-Unis et se familiariser sur place avec les méthodes de production et de gestion des entreprises les plus en pointe.

La croissance s’explique également par le faible coût des matières premières et de l’énergie. A l’époque en effet, le pétrole existe en abondance aux Etats-Unis et au Moyen-Orient, son prix est faible car l’extraction de « l’or noir », de même que son transport, sont alors peu coûteux. La croissance des « Trente Glorieuses » repose de façon quasi-exclusive sur l’essor de la consommation de pétrole, une énergie souple aux utilisations multiples : aux alentours de 1960, elle devient la première énergie utilisée dans le monde, devançant pour la première fois

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le charbon. Comme celui du pétrole, le cours des matières premières est lui aussi très bas : cela s’explique par le fait que les pays du Tiers-Monde (producteurs de ces matières premières) ont besoin à l’époque de trouver des débouchés pour financer leur propre développement.

L’exceptionnelle croissance économique de l’après-guerre résulte aussi du renouveau démographique, sensible dès 1945, voire déjà au cœur même de la guerre. Il est difficile de rendre compte des liens exact entre croissance économique et croissance démographique. Mais le baby-boom que connaissent les Etats-Unis et l’Europe (à l’exception de l’Allemagne) stimule la consommation des ménages et influe sur la construction de logements et d’écoles dans des villes de plus en plus peuplées et de plus en plus étendues. Il faut noter toutefois que le Japon et l’Allemagne ont connu pendant les « Trente Glorieuses » les meilleurs taux de croissance des pays développés alors même que leur dynamisme démographique était moindre que celui de leurs partenaires commerciaux. La surmortalité de la période 1939-1945 a par ailleurs été compensée par une importante immigration en provenance de l’Europe du Sud (Italie, Espagne et Portugal notamment) et du Maghreb vers l’Europe du Nord.

Enfin il faut faire la part, dans les raisons de la croissance économique, au rôle nouveau joué par l’État dans les pays développés. Partout la doctrine libérale cède la place à une intervention accrue des pouvoirs publics. La grande dépression économique des années 1930 en effet semble avoir sonné le glas du libéralisme triomphant. L’Etat intervient désormais pour réguler la vie économique du pays, il est de plus en plus impliqué aussi dans l’investissement : en France, en Italie, en Grande-Bretagne, l’Etat gère un vaste secteur public qui, le plus souvent, a pris en charge les frais de la reconstruction et de la modernisation du pays après la guerre. Enfin l’État passe des commandes aux entreprises, ce qui stimule l’activité industrielle : les commandes militaires de l’État représentent ainsi un vaste marché pour les grandes entreprises, en particulier aux Etats-Unis (en 1969, les commandes d’Etat représentent par exemple 64% de l’activité des industries électroniques américaines, et 88% de l’activité des industries aéronautiques).

Cette croissance aux causes multiples présente des caractères spécifiques, commun à tous les pays développés.

Les caractères de la croissance La croissance économique des « Trente Glorieuses » est à la fois spectaculaire et durable. En trente ans, le PNB mondial est multiplié par 3, et les crises cycliques ont tendance à disparaître, en tout cas à s’atténuer : la croissance connaît parfois des périodes de ralentissement, comme en 1954 ou en 1958, mais ce sont de simples récessions, jamais des baisses absolues de la production. Le spectre d’une crise comparable à celle de 1929 hantait encore les esprits aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale ; dans les années 1950-1960, il semble avoir définitivement disparu. C’est même le temps de ce que les économistes appellent des « miracles » : on parle ainsi de « miracle japonais » et de « miracle allemand » car ces pays ont une croissance annuelle supérieure à 5%. Dans le cadre des accords du GATT, le commerce international connaît lui aussi une progression rapide (8% par an), et il est stimulé à partir de 1967 par le « Kennedy round », c’est-à-dire un nouvel abaissement des droits de douane : en 1973, ce sont quelque 15% de la production mondiale qui sont exportés.

Même les pays du Tiers-Monde participent à ce mouvement de croissance économique, même si dans leur cas les fruits de la prospérité sont largement rognés par l’énorme croissance démographique. Mais la production agricole de ces pays reste phénoménale et ils rattrapent progressivement leur retard sur le reste du monde : en 1980, le continent africain, celui qui rencontre pourtant le plus de difficultés, a un revenu réel par habitant supérieur à celui du Japon de 1950.

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Les pays communistes d’Europe de l’Est sont eux aussi concernés par une croissance économique rapide. Il est difficile d’avoir accès aux chiffres, souvent falsifiés par les autorités de ces pays pour faire croire à une croissance plus importante qu’elle ne l’est en réalité. Mais on estime que dans les pays d’Europe de l’Est, le taux de croissance moyen du PNB par habitant aurait été d’environ 4% par an pour la décennie 1950-1960.

La période des « Trente Glorieuses » est aussi marquée par l’accélération des progrès scientifiques et techniques. Citons en particulier la domestication de l’énergie nucléaire (et la création de centrales électriques fonctionnant à l’énergie nucléaire), la révolution électronique (qui voit le parc mondial des ordinateurs passer de 3000 à 18.000 entre 1959 et 1973), la percée de l’aérospatiale (lancement du satellite Spoutnik en 1957, mise sur orbite du premier satellite de communications Intelsat en 1964, ou encore le premier pas des hommes sur la Lune avec Neil Armstrong en 1969), mais aussi la révolution des moyens de transport (multiplication des autoroutes, utilisation de l’avion à réaction pour le transport des voyageurs, spécialisation des navires de commerce : pétroliers, méthaniers, minéraliers…).

Tous ces changements vont aussi influer directement sur la vie des populations.

II. Les transformations sociales

L’avènement de la société de consommation On a souvent dit que le principal « miracle » des « Trente Glorieuses » résidait dans la formidable progression du niveau de vie. L’exemple de la France montre qu’en prix constants le niveau de vie par habitant a été multiplié par 5 entre 1945 et 1973, alors qu’il n’avait fait que doubler entre 1820 et 1945.

Le fordisme avait été inauguré aux Etats-Unis avant la guerre : le constructeur automobile Henry Ford pratiquait dans ses usines de Detroit une politique de hauts salaires, afin que ses ouvriers puissent acheter ses voitures. Ce modèle du fordisme se généralise après la Seconde Guerre mondiale : il entraîne une importante redistribution des dividendes du progrès aux travailleurs. Ceux-ci bénéficient d’autre part des progrès de « l’Etat-providence » (Welfare State), qui prémunit dorénavant les citoyens contre les aléas de l’existence en leur assurant un revenu en cas de maladie, d’accident du travail, de chômage ou de maternité, tandis qu’est garanti un salaire minimum. Les inégalités entre les individus ont ainsi tendance à se réduire. Les exclus de la croissance existent (immigrés, femmes sous-payées, jeunes travailleurs, ouvriers spécialisés), mais ils sont relativement peu nombreux. En France, l’écart de revenus entre les catégories extrêmes des ménages était de 4,4 en 1962 ; en 1976, il n’est plus que de 2,9.

Cette augmentation générale du niveau de vie permet le développement d’une véritable « société de consommation », favorisée aussi par le développement du crédit (le poids des remboursements est alors allégé par l’inflation). L’urbanisation s’accélère, et avec elle l’amélioration du logement ; ces deux phénomènes stimulent l’achat d’automobiles et d’appareils ménagers nouveaux (des « Salons des arts ménagers » présentant les dernières nouveautés en la matière sont régulièrement organisés, par exemple à Paris en 1953). Parmi les biens de consommation qui connaissent un développement exponentiel à partir des années 1960, on peut citer les appareils de télévision dont beaucoup de foyers commencent à se doter. Dans la France de 1973, 54% des ménages possèdent une automobile, 65% une machine à laver, 80% un poste de télévision et 86% un réfrigérateur. Enfin la croissance de la consommation est favorisée par l’apparition des supermarchés qui tendent à concurrencer, voire à supplanter les commerces de détail. Désormais, on se rend deux fois par mois en moyenne au supermarché pour remplir son caddie de provisions. Cette « société d’abondance », contestée par certains, est en tout cas l’une des principales conséquences de la croissance économique sur la société. L’autre conséquence sociale des « Trente

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Glorieuses » réside dans le bouleversement des structures sociales dans la plupart des pays industrialisés.

Les bouleversements de la société Dans les pays occidentaux, c’est d’abord la structure de la population active qui se trouve profondément modifiée par les effets des « Trente Glorieuses ». La tendance générale est à la diminution sans précédent du nombre des agriculteurs, et donc à un recul patent du secteur primaire dans l’économie : en 1950, pour l’ensemble des pays industrialisés, 27,5% de la population active était employée dans le secteur primaire ; en 1970, ce pourcentage est tombé à 11,4%. Si les agriculteurs sont moins nombreux qu’auparavant, leurs conditions de travail ont également sensiblement évolué : bon nombre d’entre eux sont désormais de véritables chefs d’entreprise qui ont suivi une formation technique et commerciale. Leur niveau de vie tend à se rapprocher de celui des urbains, même si leurs revenus progressent moins vite que celui des autres classes sociales.

Un autre bouleversement social important est à chercher dans l’augmentation du nombre des ouvriers. (38% de la population active des pays développés au milieu des années 1960). Comme pour les paysans, les conditions de travail des ouvriers ont connu une évolution non négligeable avec le développement du « travail en miettes » selon l’expression su sociologue G. Friedmann : se multiplient ainsi les ouvriers sans qualification (OS) recrutés par les employeurs parmi les jeunes ruraux fraîchement déracinés, les femmes ou encore les travailleurs immigrés ; mais apparaissent aussi des « ouvriers professionnels » (OP) qui sont, eux, hautement qualifiés et n’ont pas grand chose à voir avec les OS. Si le niveau de vie de ces derniers progresse malgré tout, c’est au détriment d’une certaine qualité de vie : ce sont eux en effet qui vont peupler en masse les nouvelles « banlieues » urbaines et autres villes nouvelles construites en nombre dans les années 1960 pour pallier la pénurie de logements.

L’essor du secteur tertiaire constitue le dernier grand bouleversement social induit par les « Trente Glorieuses ». La part du tertiaire dans la population active passe de 37,7% en 1950 à 50,7% en 1970. Ce qui est surtout frappant, c’est l’hétérogénéité du secteur tertiaire : certaines des catégories qui le composent sont en recul, alors que d’autres voient au contraire leurs effectifs augmenter de façon significative. Le nombre des travailleurs indépendants, des commerçants et des artisans est en recul, alors que progressent fortement les emplois d’ingénieurs, de cadres supérieurs et de hauts fonctionnaires, en bref tous ceux que l’on appelle les « cols blancs ».

Ces évolutions générales ne sont pas remises en cause par la crise du milieu des années 1970. Toutefois, la crise économique de longue durée qui s’ouvre en 1973 ne manquera pas d’avoir d’importantes conséquences sociales.

III. La grande dépression économique

Manifestations de la crise La crise économique qui commence dans la première moitié des années 1970 se traduit par une baisse significative de la croissance, qui passe de 6% en 1973 (moyenne des pays de l’OCDE6) à 1% en 1992. La récession toutefois n’est pas continue, et des périodes de recul (1974-75 ; 1980-83 ; 1991-93), pendant lesquelles la croissance tombe à 1%, voire est purement et simplement négative (-1% en 1975, 1982 et 1993), alternent avec des périodes 6 En 1948 a été fondée l’OECE, Organisation européenne de coopération économique, regroupant les pays bénéficiaires de l’aide américaine dans le cadre du plan Marshall ; en 1961 l’OECE a été remplacée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui rassemble les pays capitalistes développés.

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de reprise (1976-79 ou encore 1984-1990). Lors des crises antérieures, avant la Seconde Guerre mondiale, les prix avaient eu tendance à baisser ; la crise des années 1970 voit au contraire les prix augmenter de façon significative, passant d’un taux moyen de 3 à 4% en 1973 à plus de 10% jusqu’au début des années 1980. Cette accélération de l’inflation en période de récession économique est tellement paradoxale que les économistes doivent inventer un mot nouveau pour désigner le phénomène : la stagflation, c’est-à-dire l’existence simultanée d’une hausse des prix et d’une stagnation de la production, génératrice de chômage.

Avec la crise en effet, le chômage fait un retour en force au sein de sociétés qui en avaient presque oublié l’existence au temps du plein emploi. Entre 1975 et 1995, le nombre de chômeurs passe de 15 millions à plus de 35 millions de personnes dans les pays de l’OCDE, ce qui représente environ 10% de la population active, certains pays comme la France comptant jusqu’à 11% de chômeurs. Il s’agit d’un chômage « sélectif » en ce sens qu’il touche certaines catégories plus que d’autres ; les plus atteints sont les travailleurs les moins diplômés et les moins qualifiés. La crise marque en réalité la fin des illusions engendrées par la forte croissance des « Trente Glorieuses » : les opinions publiques sont désormais moins confiantes dans l’avenir.

Causes et conséquences de la crise Les causes de la crise sont multiples, le premier choc pétrolier de 1973 ayant surtout joué semble-t-il le rôle d’un révélateur. Aux origines de la crise, on trouve l’essoufflement du système économique sur lequel s’était bâtie la croissance. Avant même 1973 et la flambée du prix du pétrole en effet, de nombreux indices révélaient une détérioration de la conjoncture. On a avancé une explication « monétariste » de la crise, qui serait due à l’effondrement du système monétaire international mis en place à Bretton Woods en 1944. En 1971 en effet, le président américain Nixon a suspendu la convertibilité en or du dollar, afin d’empêcher la fuite du métal précieux hors des Etats-Unis ; ce faisant, il aurait poussé les pays exportateurs de pétrole à augmenter leurs prix pour compenser la dévaluation du dollar et la baisse de leurs recettes. Il est vrai que les fluctuations de la valeur du dollar depuis 1973 ont encouragé la spéculation monétaire internationale.

Certains économistes et historiens ont également évoqué, pour rendre compte des origines de la crise et du retournement de 1973, la persistance de « mouvements longs » dans l’économie mondiale, c’est-à-dire l’alternance de périodes de croissance soutenue et de phases de récession marquée. La crise de 1973-74 marquerait tout simplement le début d’une phase descendante d’un cycle de Kondratiev7, et plus particulièrement la fin du cycle automobile-pétrole inauguré aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. En parallèle, la consommation de masse, à la fois cause et conséquence de la croissance des « Trente Glorieuses », commence à s’essouffler au début des années 1970. Il y a à la fois un tassement très net du taux d’équipement des ménages en appareils électroménagers, en radiotélévision et en automobiles, et un recul de la fécondité dans les pays industriels dès la fin des années 1960, ce qui freine le développement du nombre de consommateurs. Portant davantage désormais sur le renouvellement que sur le premier équipement, la demande se fragilise et peine davantage à stimuler la croissance.

D’autres explications peuvent également être avancées, comme l’impact de la nouvelle révolution industrielle (celle concernant l’informatique, la robotique…), qui supprime d’autant plus facilement les emplois que les conquêtes sociales ont augmenté considérablement le coût du travail humain dans les pays développés. Enfin le décollage économique des nouveaux pays industrialisés du Sud-est asiatique (Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Taiwan…) a

7 Economiste russe qui en 1925, dans Les grands cycles de la conjoncture, a mis en évidence l’existence de cycles dans l’économie : des périodes de croissance alterneraient, tous les 25 ou 30 ans, avec des périodes de crise économique.

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généré une production qui dans de nombreux domaines concurrence celle des pays occidentaux : textile, chaussures, électroménager…

La crise aboutit à la remise en cause des modèles socio-économiques des pays industriels. Confrontés à deux problèmes, le chômage et une inflation à deux chiffres jusqu’au début des années 1980, les pays industriels ont choisi de lutter en priorité contre l’inflation, qui a effectivement commencé à reculer à partir de 1982. Toutefois les entreprises qui n’arrivaient pas à tenir les prix n’ont pas survécu et les salaires ont cessé d’augmenter. Pour que leur économie nationale soit davantage compétitive, les pays ont assoupli leur contrôle sur le secteur économique. La grande dépression marque également sinon la disparition, en tout cas le recul de « l’Etat-providence ». Dans les pays anglo-saxons surtout, beaucoup d’acquis sociaux ont été remis en cause : les lourdes charges pesant sur les entreprises, et destinées à financer l’assurance maladie, l’assurance chômage ou les retraites, incitaient les entrepreneurs à remplacer les salariés par des machines. La baisse des charges salariales apparaissait donc comme une arme efficace contre le chômage.

Ainsi la crise n’a-t-elle pas supprimé le capitalisme comme l’espéraient les analystes marxistes. Au contraire, les pays qui en sont revenus à un strict libéralisme économique (Etats-Unis et Grande-Bretagne notamment) sont ceux qui affichent les meilleurs résultats économiques. Aujourd’hui, ce sont les secteurs « innovants » (informatique, électronique, aérospatiale…) qui sont devenus les moteurs de la croissance. La dépression économique qui a débuté dans les années 1970 a ainsi permis une véritable mutation économique à l’échelle planétaire.

Repères bibliographiques -J. FOURASTIÉ, Les Trente Glorieuses, Paris, Fayard, 1979.

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26. La France de la IVe République Mise en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, non sans difficultés (un premier projet de constitution est rejeté par les Français au mois de mai 1946), la IVe République jouit dans l’histoire de France d’une assez mauvaise réputation : régime des partis, marquée par l’instabilité ministérielle, elle n’aurait fait que répéter les défauts institutionnels de la IIIe République tout en se révélant incapable de régler le problème colonial (qui provoque d’ailleurs sa chute au mois de mai 1958). Or si cette « légende noire » a sa part de vérité, il ne faut pas oublier certaines réussites qui doivent être mises au crédit du régime : c’est la IVe République qui a lancé la France dans l’aventure de la construction européenne ; d’autre part, le pari de ses dirigeants sur la croissance et la modernité a permis à la France d’entrer pleinement dans les « Trente Glorieuses ».

I. Du gouvernement provisoire à l’échec du tripartisme (1944-1947)

Les premières mesures du gouvernement d’« unanimité nationale » En septembre 1944, au moment où le gouvernement d’« unanimité nationale » présidé par de Gaulle prend les rênes du pouvoir, la France est un pays exsangue. Humainement et surtout matériellement, le bilan de la guerre est très lourd : 600.000 morts, auxquels s’ajoutent les 530.000 décès dus à la sous-nutrition ; quelque 72 départements ont été dévastés par les combats et les bombardements. En 1945, la production industrielle représente à peine 40% de celle de 1938 ; le bilan économique est d’autant plus lourd que, pendant l’Occupation, la France a dû verser 630 milliards de « francs 1940 » pour l’entretien de la Wehrmacht. Le pays est profondément divisé, car la fin de l’occupation allemande sonne l’heure des règlements de compte : dès la fin de l’année 1944, de Gaulle met en place une épuration légale à l’encontre des fonctionnaires de Vichy et des collaborationnistes. 125.000 personnes sont jugées en quelques mois, 44.000 condamnées à des peines de prison et 4783 à la peine de mort (786 exécutions seront effectives dont celles de Laval, Darnand ou encore Brasillach).

Pour relancer l’économie, le gouvernement provisoire met en place une politique très dirigiste qui rompt provisoirement avec le libéralisme. Par le biais des nationalisations, l’Etat prend le contrôle de différents secteurs-clés :

*l’énergie avec la création de GDF, EDF et des Charbonnages de France

*les transports : les différentes compagnies d’aviation doivent fusionner avec Air France (dans le domaine ferroviaire, la SNCF avait été créée sous le Front populaire en 1937)

*une grande partie du crédit : sont nationalisées la Banque de France ainsi que quatre grandes banques de dépôt (Crédit lyonnais, Société générale, Banque nationale pour le commerce et l’industrie, Comptoir national d’escompte de Paris).

Sont opérées enfin quelques « nationalisations-sanctions », qui visent certains chefs d’entreprise accusés de collaboration économique avec l’ennemi : c’est le cas des automobiles Renault et des camions Berliet.

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L’immédiat après-guerre se caractérise également par les débuts en France de « l’Etat-providence » : les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 fondent un organisme unique qui rassemble toutes les assurances sociales : c’est la Sécurité sociale, qui couvre les risques de maladie, d’accident du travail, de chômage, d’invalidité, de vieillesse et de décès. L’Etat s’estime désormais garant du droit au bien-être des citoyens.

La difficile mise en place des nouvelles institutions Au pouvoir, de Gaulle doit composer avec trois grands partis de masse, qui sont nés de la Résistance ou que la Résistance a contribué à renouveler en profondeur. Les élections du 21 octobre 1945 (ce sont les premières élections auxquelles les femmes participent, le droit de vote leur ayant été accordé par une ordonnance du GPRF en date du 22 avril 1944) ont permis d’élire une assemblée constituante chargée de rédiger la constitution du nouveau régime. Ces élections témoignent d’un renversement de l’équilibre des forces politiques en France par rapport à la période de l’avant-guerre : radicaux et modérés sont balayés, tandis que triomphent le Parti communiste (26,1% des suffrages exprimés), le Mouvement Républicain populaire (MRP), créé en 1944 et rassemblant des démocrates-chrétiens ayant participé à l’effort de résistance (25,6%), enfin la SFIO (24,6%).

Très vite, des conflits opposent le général de Gaulle aux deux formations de gauche, PC et SFIO. La dissension porte essentiellement sur la forme que doivent revêtir les institutions nouvelles : de Gaulle est partisan d’un exécutif fort, alors que les communistes et les socialistes souhaitent confier la réalité du pouvoir à une assemblée unique. Le 20 janvier 1946, de Gaulle démissionne dans l’espoir de créer un électrochoc dans l’opinion : il pense en effet que le MRP s’associera à lui dans l’opposition au PC et à la SFIO, et que la pression de l’opinion publique lui permettra d’être rappelé au pouvoir. Or cette tentative est un échec : après la démission de de Gaulle, les trois grands partis vainqueurs, PC, SFIO et MRP, s’associent pour exercer le pouvoir. La « charte » du 23 janvier 1946 inaugure le règne du « tripartisme » : communistes, socialistes et membres du MRP s’engagent à la non-agression réciproque et promettent de défendre devant le pays les mesures adoptées à l’unanimité au sein du gouvernement. En réalité, les trois grands partis se méfient les uns des autres : le MRP en particulier ne partage pas les vues du PC et de la SFIO quant aux institutions dont la France doit se doter (face à l’assemblée unique souhaitée par les communistes et les socialistes, le MRP voudrait le contrepoids d’une seconde assemblée et d’un président de la République doté d’un certain nombre de prérogatives). En mai 1946, le référendum qui soumet aux Français le projet socialo-communiste de constitution avec assemblée unique est rejeté par 53% des votants. Il faut donc élire une nouvelle assemblée constituante (2 juin 1946) et soumettre à la nation un nouveau projet qui est un compromis entre les positions du MRP et celles défendues par le PC et la SFIO : le régime sera bicamériste, mais l’assemblée nationale, élue au suffrage universel, aura la prépondérance dans les institutions. C’est ce deuxième projet qui est approuvé par les Français par un nouveau référendum au mois d’octobre 1946 (53% de « oui »).

L’échec du tripartisme La nouvelle constitution instaure un régime parlementaire : le président du Conseil est choisi par le président de la République après consultation des chefs des partis de la majorité ; il doit solliciter l’investiture de l’assemblée nationale (619 députés élus pour cinq ans au suffrage universel) qui peut choisir de le renvoyer s’il n’obtient pas la majorité à la « question de confiance » (posée après chaque grand débat). Ainsi, comme sous la IIIe République, l’exécutif est faible et le gouvernement n’est jamais sûr de durer. Il y a peu de contrepoids aux pouvoirs de l’assemblée nationale : la deuxième chambre (Conseil de la République, 320 membres élus pour six ans par des notables issus de la France rurale) est loin d’être aussi puissante que le Sénat de la IIIe République : elle ne peut donner que des avis à l’assemblée nationale, qui n’est d’ailleurs pas tenue de les suivre. Elu pour sept ans par le Congrès (formé des deux chambres, assemblée nationale et Conseil de la République), le président de la

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République n’a que des pouvoirs très limités. Le premier président de la IVe République est Vincent Auriol, désigné le 17 janvier 1947 ; René Coty lui succèdera à partir de janvier 1954. Mais c’est bien l’assemblée nationale, contrôlée par des partis politiques tout-puissants, qui détient la réalité du pouvoir. On parle d’ailleurs, pour désigner la IVe République, de « régime d’assemblée » ou encore de « régime des partis »8.

Des dissensions apparaissent très vite entre les trois partis qui exercent le pouvoir dans le cadre du « tripartisme ». Entre le mois de janvier 1946 et le mois de mai 1947, l’opposition s’accroît entre les communistes d’un côté, la SFIO et le MRP de l’autre (les clivages ne sont plus les mêmes que pour le débat sur les institutions). A partir de 1946, l’inflation devient préoccupante en France. Or, pour la juguler, les trois partis ne sont pas d’accord sur la méthode à adopter : le gouvernement essaie de limiter la hausse des salaires, ce qui mécontente les ouvriers et amène le Parti communiste à se désolidariser de la politique gouvernementale. Craignant en effet de se couper des masses ouvrières, PCF et CGT décident au printemps 1947 d’appuyer les revendications salariales du monde ouvrier. Mais ce sont finalement des considérations de politique étrangère qui vont amener l’échec final du tripartisme : avec le début « officiel » de la guerre froide, la France doit désormais choisir son camp, qui ne peut être que celui des Etats-Unis et du bloc occidental. Or un tel choix est-il possible avec des ministres communistes au gouvernement ? Le président du Conseil Paul Ramadier prend le prétexte du soutien apporté par le PCF aux ouvriers des usines Renault pour exclure les ministres communistes du gouvernement le 5 mai 1947. C’est la fin du « tripartisme ».

II. La « troisième force » au pouvoir (1947-1951)

Deux forces contestataires Le gouvernement de la IVe République va désormais devoir affronter deux forces contestataires, d’autant plus virulentes qu’elles n’exercent pas le pouvoir. Celle d’abord du PCF : à partir de mai 1947, le parti communiste se trouve rejeté dans un « ghetto » politique dont il ne sortira quasiment plus pendant toute la durée de la IVe République. Or c’est un parti puissant, fortement structuré et fort de ses 25% et plus d’électeurs. Aux yeux de nombreux Français en effet, le Parti communiste de l’après-guerre est encore auréolé de sa participation active dans la Résistance ; d’autre part, il prétend incarner les intérêts des « petits contre les gros », ce qui lui vaut les suffrages d’une grande partie du monde ouvrier. Pourtant, le soutien inconditionnel qu’il apporte à l’URSS dans la guerre froide l’empêche d’élargir son audience nationale. A partir de l’automne 1947, avec la création du Kominform9, le PCF considère en effet qu’il est mobilisé pour empêcher le « camp impérialiste » d’attaquer l’Union soviétique. Cette tactique nouvelle le conduit à organiser régulièrement des grèves et des manifestations extrêmement violentes. Toutefois il ne semble pas y avoir eu, même en 1947-1948, de véritable projet insurrectionnel de la part du PCF, mais une volonté d’affaiblir le camp occidental10.

8 Le régime d’assemblée est une forme particulière du régime parlementaire ; il se caractérise par la suprématie, dans la pratique en tout cas, du parlement sur l’exécutif. Les adversaires d’un tel système – comme de Gaulle sous la IVe République – dénoncent l’omnipotence des partis qui caractérise selon eux ce type de régime, d’où le terme (péjoratif) de « régime des partis » parfois employé pour le désigner.

9 « Bureau d’information communiste » créé en 1947 et qui réunit les principaux partis communistes européens. Il sera supprimé en 1956 dans le cadre de la déstalinisation.

10 Cette tactique du PCF entraîne une scission au sein du mouvement syndical : minoritaires, les syndicalistes non communistes quittent la CGT derrière son vieux leader Léon Jouhaux pour fonder la CGT Force Ouvrière.

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L’autre « menace » contre le régime est celle que fait peser l’opposition gaulliste. Dès le mois de juin 1946, de Gaulle a fait connaître dans le discours de Bayeux les conceptions institutionnelles qui sont les siennes, bien éloignées de celles de la IVe République : un régime de séparation des pouvoirs avec le président de la République comme clef de voûte ; désigné par les notables du pays, il serait le véritable chef de l’exécutif, l’assemblée nationale étant cantonnée dans son rôle législatif et budgétaire. De Gaulle n’a donc que mépris pour la IVe République (qu’il appelle « le Système ») et milite pour la révision de la constitution. C’est dans ce but (et pour dénoncer la menace communiste aggravée selon lui par l’incurie des partis et l’impuissance du régime) qu’il crée en 1947 le RPF (Rassemblement du Peuple français) qui devient, jusqu’à sa dissolution en 1953, une gêne permanente pour la classe politique au pouvoir. Le succès du RPF est en effet foudroyant : dès 1947 il revendique 1 million d’adhérents (il n’en a sans doute que 400.000 environ, mais ce chiffre est déjà considérable) et remporte un triomphe aux élections municipales de 1947 (40% des suffrages dans les communes de plus de 9000 habitants pour les listes de coalition formées par le RPF).

Les contradictions de la « troisième force » La « troisième force » rassemble la SFIO, le MRP, les Radicaux et les « Indépendants » (droite modérée) dans des gouvernements de coalition. Leur union se fait sur une crainte commune de l’URSS et sur l’adhésion au pacte atlantique, alliance militaire sous l’égide des Etats-Unis (1949) ; sur la volonté d’ancrer la France dans la construction européenne : création du Conseil de l’Europe en 1949, de la CECA (Communauté européenne du Charbon et de l’Acier) en 1951 ; les trois partis s’accordent enfin sur la nécessité de maintenir l’intégrité de l’Union française, c’est-à-dire de l’empire colonial français : commencée en 1946, la guerre d’Indochine se poursuit ; en 1947 un soulèvement à Madagascar a été réprimé dans le sang.

Mais cette majorité est loin d’être unanime. Ces formations « condamnées à vivre ensemble », selon l’expression du radical Queuille, sont en désaccord sur de nombreux points. SFIO et MRP ont par exemple des positions opposées sur le problème des subventions de l’école libre. Les dissensions portent aussi sur les questions budgétaires. La SFIO est favorable à l’intervention de l’Etat dans la vie économique et à l’augmentation des dépenses sociales, ce qui rend nécessaire une augmentation concomitante des charges sociales. Radicaux et indépendants sont au contraire des libéraux, défenseurs de la libre entreprise et hostile à l’intervention de l’Etat dans les rapports sociaux et les questions économiques : ils souhaitent limiter au maximum les charges fiscales et sont partisans de la rigueur budgétaire.

Cette opposition de fond sur des questions essentielles rend les majorités de la « troisième force » particulièrement fragiles : aussi l’instabilité ministérielle devient-elle la règle entre 1947 et la fin de l’année 1951, le choix d’une des deux politiques antagonistes entraînant le retrait immédiat de l’élément de la majorité qui s’y oppose. La seule manière d’empêcher les majorités de tomber est d’éviter de prendre une position tranchée sur les questions qui posent problème. C’est cette tactique « immobiliste » qui s’impose lors du ministère Queuille de septembre 1948 à octobre 1949.

En 1951, les élections législatives maquent un infléchissement à droite de la majorité. Les dernières années de la IVe République seront marquées par une alternance entre centre droit et centre gauche.

III. Du centre droit au centre gauche (1952-1958)

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Le glissement vers le centre droit (1952-1954) Nommé président du Conseil en mars 1952, Antoine Pinay est le premier homme politique de droite à devenir chef du gouvernement depuis 1945. Ancien membre du Conseil national de Vichy et privé de ses droits civiques à la Libération, Pinay a été rapidement relevé de son inéligibilité pour gages donnés à la Résistance pendant le conflit. Pinay est un petit entrepreneur provincial issu des rangs de la droite modérée. Avec la nomination d’Antoine Pinay, la « troisième force » est définitivement morte : les socialistes sont rejetés dans l’opposition. Le balancier politique est revenu à droite au moment où s’achève la reconstruction du pays, et où la France va entrer de plain-pied dans l’ère de la croissance économique.

Pinay va prendre le contre-pied du dirigisme de la Libération et adopter une politique de rigueur budgétaire pour tenter de mettre un terme à l’inflation. Pendant son passage à la tête du gouvernement, Pinay rencontre effectivement un certain nombre de succès économiques qui lui confèrent la stature d’« homme providentiel » : aux yeux de l’opinion française, il devient « le nouveau Poincaré », l’homme qui a su redresser la situation financière de la France. Sa popularité s’explique par trois types d’actions. Profitant de la conjoncture mondiale qui voit les prix s’orienter à la baisse, Pinay réussit d’abord une stabilisation des prix en France. Il essaie aussi de consolider le franc en enrayant la fuite des capitaux : il s’agit de « rétablir la confiance » par des mesures favorables aux possesseurs de capitaux – mais qui se révèleront à terme coûteuses pour l’Etat : pour encourager les investisseurs à laisser leur argent en France, Pinay lance un emprunt qui porte son nom, indexé sur l’or et exempt de droits de succession. Enfin Pinay rétablit l’équilibre budgétaire en réduisant considérablement les dépenses de l’Etat. L’action menée par Pinay permet à court terme de rétablir la plupart des grands équilibres économiques et financiers. Les gouvernements suivants poursuivent sa politique, et les années 1953-1955 sont, au point de vue économique, les années les plus prospères de la IVe République.

En ce qui concerne le problème colonial, le centre-droit montre la même fermeté que la « troisième force ». Les différents gouvernements de la droite modérée mènent une politique autoritaire dans les deux protectorats d’Afrique du Nord, en Tunisie (arrestation d’Habib Bourguiba, leader du parti indépendantiste Néo-Destour) et au Maroc (Sultan arrêté et exilé), alors même que la France s’enlise définitivement en Indochine : le 7 mai 1954, les Français sont encerclés dans la cuvette de Dien Bien Phu. La catastrophe indochinoise entraîne avec elle la majorité de droite, minée aussi par l’échec de la Communauté européenne de défense (CED). En juin 1954, c’est le radical Pierre Mendès France qui est investi à une large majorité : le balancier politique revient vers le centre gauche.

Le centre gauche au pouvoir (1954-1958) Parlementaire chevronné, ancien combattant dans les rangs de la France libre pendant la guerre, Pierre Mendès France respecte l’engagement qu’il a pris au moment de son investiture : par les accords de Genève signés au mois de juillet 1954, les Français se retirent définitivement d’Indochine. Surtout, la France de Mendès s’engage dans la voie d’une décolonisation négociée : en Inde, elle rétrocède les cinq comptoirs qu’elle détenait depuis le XVIIIe siècle ; en Tunisie et au Maroc, des accords signés en 1955 prévoient des négociations qui aboutiront finalement à l’indépendance des deux pays en 1956. En Algérie pourtant, la politique du gouvernement reste intransigeante, sans doute à cause du statut particulier de ce territoire découpé en trois départements : Mendès comme son ministre de l’Intérieur François Mitterrand refusent toute négociation avec les indépendantistes algériens considérés comme des rebelles.

Dans le domaine économique et social, Mendès France a des conceptions novatrices qu’il n’aura guère le temps de concrétiser lors de son passage au ministère. Les objectifs sont identiques à ceux des gouvernements de centre-droit qui l’ont précédé : poursuite de

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l’expansion économique, augmentation du revenu national, réduction des coûts de production, amélioration du pouvoir d’achat des ménages, équilibre de la balance des comptes. Mais ce sont les méthodes employées par Mendès France qui diffèrent : contrairement aux hommes de la droite modérée, il est franchement dirigiste et considère que l’expansion économique doit avoir pour but une redistribution plus équitable des fruits de la croissance. Autant de tendances qui inquiètent la droite traditionnelle. Mendès France est finalement renversé le 5 février 1955, non sans s’être attiré un certain nombre d’inimitiés, avec parfois quelques relents antisémites : les communistes le jugent trop « atlantiste », c’est-à-dire trop inféodé aux Américains, le MRP l’estiment insuffisamment européen ; quant aux « ultras » de l’Algérie française, ils considèrent que la répression menée par le pouvoir n’est pas assez ferme.

Sur le plan gouvernemental, la succession de Pierre Mendès France est assurée par son ancien ministre Edgar Faure qui continue sur bien des points la politique précédemment menée. Lors des élections législatives du 2 janvier 1956, la victoire est remportée par un « Front républicain » dominé par les socialistes. A partir de février 1956, c’est donc la SFIO qui mène le jeu politique, en particulier avec le gouvernement du socialiste Guy Mollet. Celui-ci adopte un certain nombre de mesures sociales (notamment la troisième semaine de congés payés) C’est aussi sous le gouvernement Mollet que les pro-européens (le MRP, une fraction de la SFIO et des radicaux) font voter le traité de Rome qui, en mars 1957, marque une avancée décisive dans la construction européenne.

Le gouvernement Mollet est en revanche incapable de sortir la France de l’impasse algérienne. Si la loi-cadre Defferre amorce une décolonisation « en douceur » pour les colonies françaises d’Afrique noire, la France s’embourbe de plus en plus en Algérie où Mollet décide l’envoi du contingent dès 1956. C’est précisément le problème algérien qui va provoquer la chute de la IVe République. Le 13 mai 1958, pour empêcher l’investiture du gouvernement de Pierre Pfimlin – qu’ils soupçonnent de vouloir négocier avec le FLN –, les Pieds-Noirs déclenchent une insurrection à Alger sous l’œil bienveillant de l’armée française. Les insurgés demandent le retour au pouvoir de de Gaulle, seul capable pensent-ils de garantir le maintien de l’Algérie française. Le 1er juin 1958, de Gaulle est nommé président du Conseil et investi par une majorité de députés qui lui votent les pleins pouvoirs pour six mois, avec mission de rédiger une nouvelle constitution. C’est la fin de la IVe République.

La IVe République n’a pas su résister aux deux chocs que furent d’une part la guerre froide, d’autre part la décolonisation. Elle disparaît en 1958 dans l’indifférence quasi-générale : l’opinion s’était progressivement lassée d’être gouvernée par des coalitions instables.

Le bilan de la IVe République est pourtant plus mitigé que réellement négatif : c’est sous ce régime tant décrié que s’est amorcé le décollage économique qui allait permettre la formidable expansion des années 1960. C’est également sous la IVe République qu’ont commencé à se bâtir les futurs Etats-Unis d’Europe.

Repères bibliographiques -J.-P. RIOUX, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome 15 : La France de la IVe République : l’ardeur et la nécessité (1944-1952), Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1992.

-J.-P. RIOUX, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome 16 : La France de la IVe République : l’expansion et l’impuissance (1952-1958), Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1993.

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27. La France sous la Ve République En 1958, une nouvelle république est née des décombres de la précédente, qui s’est écroulée pour n’avoir pas su régler le problème algérien. Absent de la vie politique française depuis douze ans, le général de Gaulle bénéficie toujours de l’aura acquise au cours de la Seconde Guerre mondiale. Comme il l’avait toujours souhaité, de Gaulle met en place une république avec un fort pouvoir présidentiel, en rupture totale avec les institutions de la IVe République. Taillée sur mesure pour l’homme du 18 juin, la Ve République survit pourtant à son départ en 1969. Après deux présidences marquées à droite, celle du gaulliste Pompidou (1969-1974), puis celle du centriste Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), la vie politique sous la Ve République est marquée depuis 1981 par l’alternance politique entre les socialistes et la droite.

I. La France à l’heure gaullienne (1958-1969)

La constitution de la Ve République Approuvée par les Français le 28 septembre 1958 par référendum, la nouvelle constitution élaborée notamment par Michel Debré, un des fidèles du général de Gaulle, maintient la responsabilité du gouvernement devant l’assemblée nationale : le régime est donc parlementaire et non pas présidentiel. Toutefois c’est bien le président de la République qui est la clef de voûte du nouveau système : le président exerce le pouvoir exécutif conjointement avec le gouvernement dirigé par le Premier ministre. Elu pour sept ans par un collège de « grands électeurs », rééligible, le président de la République signe les traités, promulgue les lois, est le chef des armées et détient le droit de grâce. Il dispose d’autre part de trois prérogatives importantes : il peut soumettre directement au vote du peuple français un projet de loi ou la ratification d’un traité par référendum ; il peut dissoudre l’assemblée nationale (il doit cependant attendre un an s’il veut la dissoudre à nouveau) ; enfin l’article 16 de la constitution lui permet de disposer temporairement de pouvoirs exceptionnels, au cas où les institutions seraient menacées.

Les pouvoirs des deux assemblées sont quant à eux limités : élus pour neuf ans au suffrage indirect, les sénateurs participent à l’élaboration des lois, mais le dernier mot revient aux députés de l’assemblée nationale. Ceux-ci sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct ; ils élaborent et votent les lois, et peuvent renverser le gouvernement en adoptant une motion de censure (qui doit être votée par la majorité des députés inscrits). Mais le gouvernement, grâce à l’article 49-3 de la constitution, peut demander un vote bloqué : le projet gouvernemental sera alors adopté sans discussion parlementaire. Le gouvernement recourt à cette procédure quand il veut éviter qu’un de ses projets ne soit dénaturé par l’adoption d’amendements. Enfin, un conseil constitutionnel est chargé de régler les contentieux électoraux et de vérifier que les lois sont conformes à la constitution. Dans les années qui suivent l’adoption de la constitution, la principale réforme est l’élection du président de la république au suffrage universel, institutionnalisée après un référendum le 28 octobre 1962 où le « oui » l’a largement emporté. Le président de la République bénéficie désormais d’une légitimité populaire incontestable, dont il ne pouvait pas se prévaloir au temps où il était élu par un collège de « grands électeurs ».

L’abandon du scrutin proportionnel au profit du scrutin uninominal à deux tours favorise les grands partis au détriment des petits et bipolarise la vie politique par un affrontement désormais très net entre droite et gauche (ce qui n’était le cas ni sous la IIIe, ni sous la IVe

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République). Les majorités politiques sont plus stables que sous les régimes précédents, et le pouvoir se personnalise : le nouveau système a été conçu par et pour de Gaulle ; d’autre part, seules des personnalités de premier plan peuvent dorénavant exercer les fonctions de président de la République et de Premier ministre. Jusqu’en 1969, de Gaulle domine la Ve République par sa personnalité écrasante.

L’affermissement du pouvoir gaullien A partir de 1958, les partis naguère puissants sous la IVe République – Indépendants et paysans, MRP… – vont perdre toute audience auprès de la population. Divisée, la gauche est rejetée dans l’opposition et n’en sortira qu’en 1981. La Parti radical se délite, quant à la SFIO elle se désagrège avec une scission sur sa gauche et la création du PSU (Parti socialiste unifié) en 1960. C’est seulement en 1969 que la SFIO se refondera pour devenir le Parti socialiste. Le Parti communiste connaît lui aussi une très nette perte d’audience : les dirigeants communistes français sont déboussolés par la déstalinisation entreprise par Khrouchtchev depuis 1956, et le message du PCF a de plus en plus de mal à passer auprès de la population française.

Le mouvement gaulliste est au contraire tout-puissant. En 1958, de Gaulle a regroupé les gaullistes au sein de l’UNR (Union pour la nouvelle république), rassemblement héritier du RPF – et qui deviendra l’UDR (Union pour la défense de la république) en 1968. Les militants de l’UNR défendent les positions du général de Gaulle : faire de la France un Etat fort, indépendant, et animé de préoccupations sociales. Jusqu’en 1967, la majorité des Français approuve d’ailleurs les réformes entreprises par le pouvoir gaullien : en 1960, la France se dote de l’arme atomique : elle a moins besoin désormais du « bouclier » américain ; en 1966, de Gaulle retire la France du commandement de l’OTAN, le général désapprouvant la prédominance des Etats-Unis au sein du pacte de l’Atlantique nord. Mais c’est surtout le règlement du problème algérien qui soulage considérablement l’opinion française. Dès 1959, les Français ont approuvé majoritairement le principe de l’autodétermination algérienne. Si les attentats du FLN sont unanimement condamnés, l’opinion redoute aussi les « ultras » de l’Algérie française, qui bénéficient du soutien de l’armée comme le montre en avril 1961 le putsch tenté à Alger par quatre généraux (Challe, Salan, Jouhaud, Zeller). La guerre d’Algérie a des répercussions sur le territoire métropolitain : le 17 octobre 1961, la police française tue une centaine d’Algériens venus manifester pacifiquement à Paris pour la fin des hostilités ; le 8 février 1962, neuf militants communistes sont tués devant la station de métro Charonne lors d’une manifestation de protestation contre les attentats de l’OAS11. Dans un tel contexte, c’est avec soulagement que l’opinion métropolitaine accueille la signature des accords d’Evian qui reconnaissent l’indépendance de l’Algérie le 18 mars 1962.

Le consensus autour de de Gaulle s’explique aussi par la croissance exceptionnelle que connaît la France dans les années 1960. La prospérité économique a certes des causes extérieures à la France (bas prix du baril de pétrole, mise en place du marché commun depuis 1967), mais aussi des causes « nationales » : intervention de l’Etat pour moderniser le pays, rigueur monétaire, et création du nouveau franc qui entre en circulation le 1er janvier 1960 et attire les investissements étrangers. Les réussites portées au crédit du général de Gaulle lui font gagner des voix à gauche, notamment dans l’électorat communiste particulièrement réceptif à son antiaméricanisme.

11 Organisation armée secrète. Constituée après l’échec du putsch militaire d’Alger (avril 1961) à l’instigation des généraux Salan et Jouhaud, elle tenta par tous les moyens (attentats notamment) de s’opposer à l’indépendance de l’Algérie.

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Les oppositions Pourtant, les oppositions à de Gaulle existent. Elles se rencontrent d’abord à l’extrême droite de l’échiquier politique, où l’OAS n’a pas pardonné au général la « trahison » algérienne (elle organise contre lui en août 1962 l’attentat manqué du Petit-Clamart) ; pour la même raison, la plupart des Français rapatriés d’Algérie sont eux aussi profondément hostiles à de Gaulle. Au fil des années et de l’usure du pouvoir gaullien progressent également les oppositions « institutionnelles » : de Gaulle en effet apparaît de plus en plus comme un chef de camp, et de moins en moins comme le « rassembleur » qu’il désire incarner. Aussi l’opposition de gauche progresse-t-elle dans l’opinion, François Mitterrand mettant même de Gaulle en ballottage lors de l’élection présidentielle de 1965 (première élection du président de la République au suffrage universel). De même, lors des élections législatives de 1967, la « majorité présidentielle » rassemblée autour de de Gaulle ne l’emporte que de justesse.

C’est la contestation étudiante toutefois qui va porter le coup le plus sérieux au pouvoir du général de Gaulle. Né en mars 1968 à l’Université de Nanterre, le mouvement étudiant explose véritablement au mois de mai suivant et s’accompagne d’un mouvement social sans précédent qui paralyse le pays : dans la deuxième moitié du mois de mai 1968, on dénombre à Paris et en province plus de 10 millions de grévistes, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Les événements de mai 68 débouchent sur une crise politique, le pouvoir paraissant incapable de faire face à la crise (De Gaulle « disparaît » même le 29 mai : il est en fait parti à Baden-Baden prendre conseil auprès du général Massu). Le 30 mai commence pourtant la reprise en main politique du pays : ce jour-là, de Gaulle prononce la dissolution de l’assemblée nationale ; des milliers de gaullistes fidèles défilent l’après-midi même sur les Champs-Élysées pour affirmer leur soutien au général. Les élections législatives du mois de juin 1968 sont une véritable marée en faveur du pouvoir en place, qui recueille 55% des suffrages et 3/4 des sièges. Le Premier ministre Georges Pompidou est remplacé par Maurice Couve de Murville et se met « en réserve de la République ». Le pouvoir gaullien semble raffermi. Pourtant, l’année suivante, le 27 avril 1969, le référendum sur la réforme régionale organisé par de Gaulle est un échec. Celui-ci, se sentant personnellement désavoué par les Français, décide alors de se retirer (rien ne l’y obligeait constitutionnellement). La Ve République va devoir exister sans de Gaulle (qui meurt le 9 novembre 1970).

II. La Ve République sans de Gaulle

La présidence Pompidou (1969-1974) Le régime de la Ve République, contrairement à ce qu’espéraient ou redoutaient certains, survit sans difficultés majeures au départ de son fondateur. Le 15 juin 1969, le gaulliste Georges Pompidou est confortablement élu à la présidence de la République. Dans un premier temps, Pompidou choisit un Premier ministre réformateur, Jacques Chaban-Delmas. Pompidou prône à la fois la continuité et l’ouverture par rapport à la période gaullienne : continuité dans la défense des prérogatives présidentielles, ouverture avec notamment la volonté d’élargir l’Europe. Le départ de de Gaulle rend enfin possible en 1972 l’entrée du Royaume-Uni dans le marché commun (le général s’y était toujours opposé). Le gouvernement Chaban-Delmas mène également une politique de réformisme social (mensualisation des salaires par exemple), le but affiché par le Premier ministre étant de fonder « une nouvelle société » moins inégalitaire.

La présidence Pompidou est marquée par le regain de l’opposition de gauche, de la gauche non communiste en tout cas. Le Parti socialiste trouve un souffle nouveau lors du congrès d’Epinay en 1971 : ce qui restait de l’ancienne SFIO fusionne avec la Convention des institutions républicaines de François Mitterrand qui prend la tête d’un PS rénové. En 1972, le PS signe un programme commun de gouvernement avec le mouvement des radicaux de gauche et avec le parti communiste, inaugurant ainsi une stratégie d’union de la gauche. Mais

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le président Pompidou redoute la puissance montante de cette gauche unie : en juillet 1972, il renvoie Chaban-Delmas jugé trop novateur et le remplace par Pierre Messmer, un gaulliste conservateur. Pompidou souhaite mettre sur pied un grand parti conservateur mais néanmoins moderne, en y intégrant une partie des centristes d’opposition. La majorité présidentielle menée par Messmer remporte les élections législatives de 1973, mais la mort prématurée de Pompidou en avril 1974 prive la droite de son chef de file incontesté. D’autre part, la majorité présidentielle qu’il voulait mettre en place est alors très loin d’être unie.

Les élections présidentielles de mai 1974 donnent la victoire à Valéry Giscard d’Estaing, un républicain indépendant très tôt rallié aux institutions de la Ve République ? C’est la première fois cependant que la Ve République va être gouvernée par un homme politique non gaulliste.

Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) Le nouveau président veut gouverner au centre, un centre qui irait des libéraux aux sociaux-démocrates, laissant à l’écart aussi bien la coalition marxiste que le bloc gaulliste. Giscard impose à son Premier ministre (gaulliste) Jacques Chirac l’adoption d’un certain nombre de réformes destinées à « décrisper » et à moderniser la société française : interruption volontaire de grossesse autorisée en 1974, divorce par consentement mutuel en 1975, mais aussi libéralisation de l’utilisation de la télévision. Sur ces questions toutefois, la droite se divise. Le Premier ministre Jacques Chirac choisit de démissionner au mois d’août 1976 – il est remplacé par le centriste Raymond Barre –, fondant officiellement au mois de décembre suivant un parti héritier du gaullisme, le RPR (Rassemblement pour la république). En 1978 Giscard fédère quant à lui les partis de la droite non gaulliste au sein de l’UDF (Union pour la démocratie française).

Depuis 1974, la France est atteinte par la crise économique mondiale que ni le gouvernement Chirac ni le gouvernement Barre ne parviendront à juguler. Déclenchée par le premier choc pétrolier de 1973, la crise économique génère inflation (prix du pétrole multiplié par 4) et chômage (la France passe de 500.000 chômeurs en 1974 à 1,7 million en 1981). Comme les autres pays industrialisés, la France est touchée par la stagflation12 ; or il est impossible de combattre à la fois le ralentissement économique par des mesures de relance et de maîtriser l’inflation par des mesures inverses. A partir de 1976, le nouveau Premier ministre Raymond Barre privilégie la lutte contre l’inflation, sans résultats car le second choc pétrolier de 1979 multiplie encore par trois le prix du pétrole et la crise économique repart de plus belle.

L’opposition de gauche ne profite pas du mécontentement latent généré par la crise : en 1977, l’union de la gauche a volé en éclat après la rupture entre PC et PS, et la gauche désunie perd les élections législatives de 1978. Mais Giscard doit affronter une fronde de plus en plus virulente au sein même de la droite : dans la nouvelle assemblée élue en 1978, le RPR de Jacques Chirac compte 155 députés contre 119 seulement pour l’UDR qui représente la majorité présidentielle. Lors des présidentielles de mai 1981, François Mitterrand a beau jeu de se présenter comme l’incarnation de la « force tranquille » face à une majorité désunie et face à un Valéry Giscard d’Estaing dont l’image s’est brutalement dégradée dans l’opinion. La défaite de ce dernier face au candidat socialiste le 10 mai 1981 traduit non seulement l’échec personnel du président sortant, mais illustre surtout son incapacité à infléchir les bipolarisations gauche/droite, principale constante dans la vie politique de la Ve République depuis 1958.

III. Depuis 1981 : l’alternance

12 Cf. le cours « Des “Trente Glorieuses” à la dépression économique ».

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Le premier septennat de François Mitterrand (1981-1988) En devenant au mois de mai 1981 le quatrième président de la Ve République, François Mitterrand permet à la gauche de revenir au pouvoir après une absence de vingt-trois ans : c’est l’alternance. Les législatives de juin 1981 (Mitterrand a dissous l’assemblée après son élection) confirment la victoire de la gauche (PC, PS, MRG) qui recueille 333 sièges dont 270 pour le seul PS. Le programme des socialistes est ambitieux : ils se sont engagés à « rompre avec le capitalisme » et à « changer la vie ». Deux mesures phares témoignent de la volonté de rupture avec la politique menée précédemment par les majorités de droite : le 18 septembre 1981, le nouveau garde des Sceaux Robert Badinter fait voter l’abolition de la peine de mort ; en 1982, le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre adopte une série de lois sur la décentralisation, qui transfèrent une grande partie des pouvoirs des préfets aux conseillers généraux. En matière économique et sociale, le Premier ministre Pierre Mauroy a lancé dès 1981 un vaste programme de nationalisations, ainsi qu’un plan de lutte contre le chômage qui passe par une tentative de relance de la consommation et par l’amélioration du sort des salariés : relèvement du SMIC, retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, réduction de la semaine de travail à 39 heures. Pour financer ces réformes coûteuses, le gouvernement socialiste doit notamment s’endetter à l’étranger, augmenter les impôts et prélever quinze milliards de francs de charges nouvelles sur les entreprises.

Si elle est conforme aux promesses électorales de François Mitterrand, cette politique maintient la France dans une situation de très forte inflation, alors même que les autres pays industrialisés sont en train d’en triompher. Les entreprises françaises, lourdement taxées, sont moins compétitives sur le marché international : aussi la balance commerciale se détériore et le franc se déprécie, ce qui oblige le gouvernement Mauroy à dévaluer à trois reprises. Dès 1983, la situation économique dégradée contraint les socialistes à prendre le tournant de la rigueur : le 25 mars 1983, Jacques Delors, ministre de l’Economie, des finances et du budget, présente un plan d’austérité très sévère. Son objectif premier est de redresser la balance des paiements, dont le déficit nécessitait d’incessantes dévaluations. Le plan prévoit notamment une ponction de 65 milliards de francs sur la demande intérieure et une réduction des déficits publics. Le tournant de la rigueur est confirmé en 1984 avec le nouveau gouvernement de Laurent Fabius, qui continue la lutte contre l’inflation par le blocage des prix et des salaires. Avec Fabius le pouvoir socialiste réintroduit cependant une part de libéralisme dans l’économie, en baissant notamment les impôts pour les entreprises, et encourage la modernisation par des restructurations industrielles. Ces différentes mesures parviennent à réduire l’inflation à 5%, mais pas à résorber le chômage qui touche 2,3 millions de personnes au milieu des années 1980.

C’est cet échec qui provoque la défaite des socialistes lors des élections législatives de 1986. Le PS a pourtant tenté de limiter ses pertes en rétablissant lors de cette consultation électorale le scrutin proportionnel. Cette manœuvre a eu pour principal effet de favoriser le Front national, qui obtient 35 députés. Créé par Jean-Marie Le Pen en 1972, le FN n’était jusqu’au début des années 1980 qu’un groupuscule d’extrême droite à l’audience très réduite. Il connaît ses premiers succès électoraux à l’occasion des cantonales de 1982 et des municipales de 1983, grâce à un discours populiste et xénophobe qui fait peser sur les immigrés, ceux de l’Afrique du Nord en particulier, la responsabilité du fort taux de chômage que connaît la France. Depuis les années 1980 le leader du Front national Jean-Marie Le Pen développe ainsi inlassablement quelques idées-forces qui reprennent le discours traditionnel de l’extrême droite : hantise de l’immigration perçue comme une invasion, défense de l’identité nationale et de l’intégrité de la France contre tout ce qui est censé la menacer.

Avec la victoire de la droite aux élections de mars 1986, la Ve république entre dans une nouvelle phase de son histoire : pour la première fois depuis 1958, le Premier ministre n’aura pas la même couleur politique que le président de la République. François Mitterrand doit en effet choisir un chef de gouvernement issu de la nouvelle majorité parlementaire ; il désigne Jacques Chirac, le leader du RPR. La France entre alors dans sa première période de cohabitation (jusqu’en 1988). Si les institutions survivent à cette situation nouvelle, les

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rapports entre Mitterrand et Chirac ne sont pas des meilleurs. Très jaloux de son pouvoir, Mitterrand défend farouchement ses prérogatives présidentielles en matière de défense et de politique étrangère. Le gouvernement de droite rompt dans beaucoup de domaines avec la politique menée par les socialistes entre 1981 et 1986. C’est sans doute en matière d’immigration que la rupture est la plus nette avec la loi Pasqua – du nom du ministre de l’Intérieur –, votée le 9 septembre 1986, et qui pose des conditions drastiques à l’installation en France de ressortissants étrangers. En matière économique également, les choix du gouvernement Chirac tranchent avec ceux des gouvernements socialistes : les privatisations (Saint-Gobain, Paribas, TF1…), menées à bien entre 1986 et 1988 s’opposent aux nationalisations opérées par les socialistes après 1981.

Le deuxième mandat de François Mitterrand (1988-1995) Profitant des excès de la politique ultra-libérale menée par Jacques Chirac et ses ministres, François Mitterrand se fait facilement réélire à la présidence de la République au mois de mai 1988. En juin 1988, la majorité de l’assemblée nationale bascule à nouveau à gauche. Mitterrand choisit un Premier ministre pour lequel il n’éprouve guère d’affinités mais que les sondages placent alors en tête des « premiers ministrables » : Michel Rocard. Ce dernier mène une politique de « cohésion sociale » : le gouvernement doit désormais se préoccuper des problèmes quotidiens des Français, mais aussi du sort des plus démunis. Dans cette optique est ainsi adopté le Revenu minimum d’insertion (RMI) dès la fin de l’année 1988. Le tournant des années 1980-1990 se révèle pourtant particulièrement morose. Les Français semblent désenchantés, d’autant plus qu’après une courte embellie économique en 1988-1989, la situation se dégrade à nouveau. François Mitterrand tente de provoquer un électrochoc dans l’opinion en remplaçant Michel Rocard, le 15 mai 1991, par Edith Cresson, première femme à occuper en France le poste de Premier ministre. Or Edith Cresson atteint très vite les records d’impopularité d’un chef de gouvernement sous la Ve République – à cause de quelques déclarations maladroites notamment –, et les élections régionales et cantonales de mars 1992 marquent un sévère recul du Parti socialiste. Dès le 2 avril 1992, François Mitterrand nomme Pierre Bérégovoy Premier ministre à la place d’Edith Cresson, mais sans parvenir à restaurer la confiance des Français : la situation économique reste particulièrement mauvaise, et le seuil des trois millions de chômeurs (en données brutes) est franchi en novembre 1992. Au mois de mars 1993, le PS connaît ainsi une défaite historique lors des élections législatives (les socialistes perdent plus de deux cents sièges par rapport à 1988). François Mitterrand doit affronter une deuxième période de cohabitation.

Le nouveau Premier ministre, le RPR Edouard Balladur s’entoure d’une équipe ministérielle peu nombreuse (29 ministres, pas de secrétaires d’Etat). Le 10 mai 1993, le gouvernement Balladur lance un « plan de redressement économique et social » qui prévoit notamment 21,5 milliards d’économies budgétaires et le lancement d’un grand emprunt public, en attendant les recettes générées par les privatisations, qui sont effectivement relancées. Dès l’automne 1994 toutefois, les problèmes économiques et sociaux de la France passent au second plan par rapport à l’événement principal : la campagne pour l’élection présidentielle d’avril-mai 1995.

Malade, François Mitterrand ne peut envisager un troisième mandat. Après bien des atermoiements, les socialistes désignent Lionel Jospin pour les représenter. La droite gaulliste quant à elle se déchire : en s’installant à Matignon en mars 1993, Edouard Balladur avait affirmé n’avoir aucune intention de briguer la présidence de la République. Mais la forte popularité dont il bénéficie encore en 1994 le pousse à se présenter finalement devant le suffrage des Français : le RPR est profondément divisé, car Jacques Chirac est lui aussi candidat. Les résultats du premier tour, le 23 avril 1995, déjouent les prévisions des sondages en plaçant Lionel Jospin en tête avec 23,3% des suffrages exprimés. Chirac est deuxième (20,84%), devançant d’une courte tête Edouard Balladur (18,58%). Au second tour, le 7 mai 1995, Jacques Chirac l’emporte assez nettement sur Lionel Jospin (52,64% contre 47,36), bénéficiant du report des voix d’Edouard Balladur, et de la moitié environ de celles du Front national.

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Les présidences de Jacques Chirac (1995-2002) Pour la première fois depuis plus de vingt ans, un gaulliste entre à l’Elysée (le dernier était Georges Pompidou) : Jacques Chirac a enfin atteint le but qu’il poursuivait depuis de longues années. C’est Alain Juppé qui est nommé Premier ministre. Dans son discours d’investiture devant l’assemblée nationale le 23 mai 1995, il insiste sur la « mobilisation générale contre le chômage » (le président Chirac a fait campagne sur le thème de la « réduction de la fracture sociale »). Très vite pourtant, les débuts du premier septennat chiraquien vont ressembler à une descente aux enfers. Juppé choisit la voix d’une politique sociale audacieuse, tout en essayant de maintenir les grands équilibres économiques nécessaires pour que la France puisse respecter les critères de convergence fixés par le traité de Maastricht et entrer dans la zone euro le 1er janvier 2002. Les mesures sociales engagées par le gouvernement Juppé sont coûteuses : 14 milliards de francs pour le volet emploi, 5 milliards pour le volet logement ; pour financer ces réformes, Juppé mène une politique fiscale rigoureuse afin de ne pas mettre à mal les grands équilibres : le taux de TVA passe de 18,6 à 20,6%, l’impôt sur la fortune et l’impôt sur les sociétés sont majorés. Le gouvernement Juppé toutefois va être victime d’un retournement de conjoncture : pendant l’été 1995, l’expansion, qui avait timidement repris, ralentit à nouveau ; le nombre des chômeurs, qui avait eu tendance à diminuer depuis la fin de l’année 1994, se remet à augmenter. Dans ces conditions, Jacques Chirac doit se résoudre à abandonner l’utopique réduction de la « fracture sociale » (son principal thème de campagne en 1995). Le 26 octobre 1995 sur France 2, il annonce un changement de cap et l’instauration d’une politique de rigueur : la réduction des déficits était censée provoquer la baisse des taux d’intérêt et donc la reprise de la croissance, cette dernière favorisant à son tour la baisse du chômage.

C’est un nouveau gouvernement Juppé qui est chargé de mener à bien cette nouvelle politique. Le 15 novembre 1995, le Premier ministre lance la réforme de la Sécurité sociale, première étape dans la réduction des déficits et des dettes. Le projet prévoit notamment l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général des retraites, avec en particulier le passage de la durée de cotisation des fonctionnaires de trente-sept ans et demi à quarante ans d’annuités. L’annonce de ce plan déclenche dans le pays une profonde crise sociale, qui se traduit par un vaste mouvement de grève en novembre et surtout décembre 1995. Comme les crises précédentes, celle-ci a fait l’objet de nombreuses analyses. Pour René Rémond par exemple (dans l’Année politique, 1995), le mouvement n’a rien de commun avec celui de mai 68 qui entendait instaurer une société nouvelle, celui de 1995 s’attachant surtout à défendre les statuts d’un certain nombre de catégories professionnelles. Le mouvement se termine à la veille de la Noël 1995 par des concessions gouvernementales et la lassitude des manifestants. A plus long terme, la crise débouche sur un profond discrédit de l’exécutif. Chirac tente de retourner la situation en annonçant, le 21 avril 1997, la dissolution de l’assemblée nationale.

Les élections législatives de mai-juin 1997 se soldent à la surprise générale par une victoire de la gauche. Lionel Jospin devient Premier ministre et forme un gouvernement de « gauche plurielle » : s’ouvre ainsi une nouvelle période de cohabitation, avec cette fois-ci un président de droite et un Premier ministre de gauche. Le gouvernement de Lionel Jospin bénéficie de la conjoncture internationale marquée par le retour de la croissance. Le reflux du chômage est lent mais se poursuit de mois en mois, repassant sous la barre des 2,5 millions au mois de mars 2000. L’une des grandes réformes du gouvernement Jospin est la réduction de la semaine de travail de 39 heures à 35 heures. Jacques Chirac ne joue plus qu’un rôle effacé dans la gestion du pays, même s’il essaie de retrouver la prééminence en lançant quelques grands projets, comme par exemple l’adoption par référendum du quinquennat en 2001 (le mandat présidentiel est réduit de sept à cinq ans). Lors des élections présidentielles d’avril-mai 2002, Lionel Jospin apparaît comme le candidat « naturel » de la gauche, tandis que Chirac est lui-même candidat à sa propre réélection.

Le résultat du premier tour, au soir du 21 avril 2002, dément les pronostics de tous les analystes politiques : le duel du second tour opposera non pas Chirac à Jospin, mais Chirac à

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Le Pen. Le président du Front national fait ainsi un retour en force sur le devant de la scène politique, alors même que l’audience de son parti semblait avoir considérablement faibli depuis la deuxième moitié des années 1990. Cent mille voix à peine séparent Le Pen du « troisième homme » Lionel Jospin. Les deux semaines qui séparent les deux tours de l’élection présidentielle voient toutes les forces de gauche se mobiliser pour appeler à faire barrage au candidat du FN. Bénéficiant du « réflexe républicain » de millions d’électeurs de gauche, Jacques Chirac est réélu à la présidence de la République le 5 mai 2002 avec plus de 82% des suffrages.

Les institutions de la Ve République, taillées sur mesure pour le général de Gaulle, ont bien résisté à son départ ainsi qu’à l’alternance droite/gauche à partir de 1981, et aux trois périodes de cohabitation (1986-88 ; 1993-95 ; 1997-2002). Ces alternances à répétition des majorités reflètent pourtant le mécontentement de l’électorat, qui sanctionne régulièrement les équipes au pouvoir, qu’elles soient de droite ou de gauche. Un autre phénomène inquiète les analystes politiques : les progrès considérables et continus de l’abstention lors des scrutins électoraux. Enfin les dernières élections présidentielles ont montré la persistance de l’opposition des extrêmes, aux marges de la République en ce qui concerne l’opposition d’extrême droite. Certains (au Parti socialiste par exemple) estiment que les institutions devraient être adaptées à une opinion publique de plus en plus versatile, et réclament la création d’une VIe République.

Repères bibliographiques -P. AVRIL, La Ve République. Histoire politique et constitutionnelle, Paris, PUF, 1987.

-S. BERSTEIN, Nouvelle Histoire de la France contemporaine, tome 17, La France de l’expansion : la République gaullienne (1958-1969), Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1994.

-S. BERSTEIN et J.-P. RIOUX, Nouvelle Histoire de la France contemporaine, tome 18, La France de l’expansion : l’apogée Pompidou (1969-1974), Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1995.

-J.-J. BECKER, Nouvelle Histoire de la France contemporaine, tome 19, Crises et alternances 1974-2000, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 2002.

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28. La condition féminine en France au XXe siècle En un siècle, la condition féminine et les rapports entre les sexes ont connu en France des bouleversements si profonds qu’il n’est pas exagéré de parler de « révolution » pour rendre compte de ces changements. En 1914, la femme n’a aucun droit, ni civil ni civique : éternelle mineure, la femme mariée est soumise par le Code civil au pouvoir de son père puis de son mari. La Française n’a pas le droit de vote alors même que la France s’est dotée du suffrage universel depuis 1848 ; sa vie privée enfin est conditionnée par ses fonctions d’épouse et de mère : la célibataire est encore très mal vue, de même que le travail des femmes – en-dehors du milieu ouvrier en tout cas. La femme est vouée au foyer et le mariage, institution fondamentale de la société française, doit être sanctionné par la naissance de nombreux enfants : il n’est pas question en effet que la femme se soustraie à son devoir de maternité, ni par des pratiques contraceptives, encore moins par le recours à l’avortement, autant de pratiques qui restent alors strictement clandestines. A la fin du XXe siècle au contraire, la femme jouit de toutes ses capacités civiles et civiques, elle peut vivre seule et travailler sans s’exposer à l’opprobre social, enfin elle a la libre disposition de son corps et peut choisir ou non d’être mère.

Comment et en quelles étapes s’est faite cette évolution multiforme ? Cette réflexion sur l’émancipation féminine au XXe siècle s’articulera autour de la rupture de 1944, date à laquelle les femmes accèdent à la citoyenneté. Dans la première moitié du siècle, les progrès ne sont ni continus, ni réellement significatifs ; dans la deuxième moitié du siècle au contraire, les conquêtes se multiplient sous l’effet d’un nouveau courant féministe : c’est véritablement l’âge de l’émancipation.

I. D’une guerre à l’autre : les limites de l’émancipation

La Première Guerre mondiale ou l’émancipation avortée Les femmes mobilisées A partir de la fin de 1914 et la stabilisation du front occidental, la guerre devient une guerre moderne qui se joue sur deux fronts : le champ de bataille, réservé aux hommes ; l’« arrière », où les femmes sont largement majoritaires. La France était déjà un pays de forte activité féminine avant 1914. Ce trait s’accentue à une époque où le travail féminin est rendu nécessaire par le départ des hommes sur le front. A l’automne 1915 apparaissent en France les premières circulaires ministérielles invitant les industriels à employer des femmes partout où cela est possible. Les bureaux d’embauche se multiplient, tant à Paris qu’en province. Les ouvrières des usines de guerre viennent de tous les horizons, elles sont 400.000 au début de l’année 1918 soit un quart de la main-d’œuvre totale. Toutefois la mobilisation des Françaises reste limitée, et le monde du travail n’est pas véritablement submergé par le travail féminin. En 1917, année qui marque l’apogée du travail féminin pendant la guerre, le personnel féminin de l’industrie et du commerce représente 40% de la main-d’œuvre totale, contre 32% à la veille de la guerre : la progression n’est donc pas phénoménale.

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La guerre, une expérience de liberté ? La guerre semble pourtant constituer malgré tout pour les femmes une expérience sans précédent de liberté et de responsabilités nouvelles. Le travail féminin est alors valorisé car il est perçu comme un engagement des femmes au service de la patrie. Les femmes ont de nouvelles opportunités professionnelles, car la guerre a nécessairement brisé les barrières qui séparaient le travail féminin du travail masculin (puisqu’il s’agit essentiellement de remplacer les hommes mobilisés sur le front). En 1914, la France comptait quelques centaines de femmes médecins seulement, quelques dizaines d’avocates ; la guerre leur permet d’entrer en plus grand nombre dans ces professions, tandis que certaines écoles d’ingénieurs ou de commerce, jusque-là strictement masculines, leur ouvrent leurs portes (ex. : l’école Centrale en 1918). De même, les institutrices envahissent les écoles de garçons et voient leur profession se féminiser, au grand dam d’ailleurs des instituteurs non mobilisés qui redoutent de se faire déposséder.

Le poids des traditions Malgré tout, le poids des traditions demeure pesant dans cette société française en guerre, et l’émancipation féminine est loin d’être totale entre 1914 et 1918. La tendance actuelle de l’historiographie considère que les changements dus à la guerre sont en réalité assez limités (on a eu longtemps tendance à les surestimer). Les rôles sexuels traditionnels ont été maintenus, voire renforcés pendant la guerre. Dans le monde du travail, les femmes ne sont considérées que comme des remplaçantes temporaires des hommes [cf. l’expression britannique, que l’on pourrait tout à fait appliquer à la France : « Only for the duration of the war »]. D’autre part, dans le domaine de la vie privée, la sexualité féminine est plus surveillée que jamais : les prostituées sont systématiquement encartées, soumises à d’incessants contrôles médicaux, voire hospitalisées de force. Quant aux femmes « honnêtes » entre guillemets, elles font l’objet d’une intense surveillance sociale, d’autant plus que leurs maris ne sont plus là pour les surveiller. La fin de la guerre sonne le glas de l’émancipation féminine : les femmes sont priées de retourner dans leurs foyers, en tout cas de se cantonner aux métiers strictement féminins. Dans la logique d’un intérim achevé, la démobilisation féminine est rapide et brutale, particulièrement pour les ouvrières de guerre qui sont les premières licenciées. Après la parenthèse du conflit, tout doit rentrer dans l’ordre.

L’entre-deux-guerres ou l’émancipation limitée Les Françaises ne seront pas citoyennes Dès la fin de la guerre, diverses propositions parlementaires visent à accorder aux Françaises un droit de vote, même partiel, pour les récompenser de leur contribution à la victoire. Dans un élan de générosité et à l’appel d’Aristide Briand, la Chambre des députés vote même, le 8 mai 1919, le droit de vote aux femmes sans aucune restriction. Pour avoir force de loi toutefois, le vote de la Chambre doit être entériné par le Sénat. Or, au Sénat, les discussions s’enlisent jusqu’au rejet définitif du projet le 7 novembre 1922. Les sénateurs craignent que le bulletin de vote féminin ne permette à l’Église d’exercer une influence politique occulte en faisant pression sur les femmes qui sont encore beaucoup plus pratiquantes que les hommes dans la France des années 1920. Il faut ajouter à cette crainte le conservatisme des sénateurs – pour qui le vote des femmes représente un trop grand bouleversement social – et leur misogynie latente qui provoque un véritable blocage de la situation : les nouveaux projets en faveur d’un vote féminin présentés par la Chambre en 1925, 1932 et 1936 sont chaque fois rejetés par le Sénat, malgré la pression des féministes françaises toutes favorables au suffrage féminin. Le paradoxe : bien qu’exclues du suffrage, les femmes peuvent exercer des fonctions ministérielles. C’est ce qui se produit en 1936 sous le gouvernement de Front populaire (Irène Joliot-Curie est sous-secrétaire d’Etat à la Recherche scientifique, Suzanne Lacorre à la protection de l’enfance, Cécile Brunschvicg à l’Education nationale). Il s’agit là d’une compensation symbolique accordée par Léon Blum à des femmes toujours privées de suffrage.

Les femmes au travail : une ambition sous surveillance

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77% des femmes nées entre 1917 et 1924 ont exercé une profession avant l’âge de 35 ans. Les filles d’ouvriers et d’employés sont les plus actives (81% d’entre elles exercent une profession), mais les filles des classes supérieures le sont aussi avec un taux d’activité de 69%. C’est là d’ailleurs une des grandes nouveautés de l’entre-deux-guerres en ce qui concerne le travail féminin : l’accès au travail des femmes de la bourgeoisie, aboutissement logique de leur accès plus important à l’enseignement secondaire et supérieur, mais conséquence aussi des mutations survenues au sein même de la haute société : les rentiers sont de moins en moins nombreux et la dot des filles tend à disparaître. De plus, à cause de la saignée humaine qu’a représentée la guerre, beaucoup de femmes de l’entre-deux-guerres restent célibataires et doivent donc travailler pour subsister. D’autres manifestent tout simplement une ambition nouvelle, le désir de s’affirmer. L’exemple le plus célèbre est celui de Simone de Beauvoir : issue d’un milieu très favorisé, elle obtient l’agrégation de philosophie en 1929 et décide de devenir professeur malgré l’opposition de ses parents qui pensent que pour une femme, exercer un métier, c’est déchoir [seules les femmes de la classe ouvrière travaillent. Cf. Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, 1958].

Si l’on commence à admettre, dans l’entre-deux-guerres, que certaines femmes puissent gagner leur vie, leurs professions doivent s’inscrire strictement dans le prolongement du rôle familial dévolu aux femmes, et correspondre à l’idée que l’on se fait de la « nature » féminine. Trois domaines leurs sont en quelque sorte réservés, et celles qui en sortent sont socialement très mal vues : « Enseigner, soigner, assister », tels sont les rôles dont la femme ne doit pas sortir, même dans l’exercice de sa profession.

De la garçonne à la femme mariée : une émancipation plus fantasmée que réelle Dans les romans, le théâtre, les essais et la presse de l’entre-deux-guerres, la question de l’émancipation des femmes occupe une place importante. C’est un sujet souvent traité par les écrivains et les journalistes. En 1922, Victor Margueritte publie La Garçonne, un roman dont l’héroïne rejette la morale traditionnelle et se comporte sexuellement comme un homme, en multipliant les aventures amoureuses. Le roman fait scandale bien que la fin en soit très « morale » : c’est finalement par le mariage et le retour dans la conformité bourgeoise que la jeune femme échappe à l’autodestruction qui la menaçait.

En réalité, il semble que dans l’entre-deux-guerres la peur de l’émancipation féminine ait été plus réelle que l’émancipation effective. Rien ne prouve une augmentation des relations extra-conjugales dans les années 20 et 30. Le nombre des divorces est en hausse mais reste faible (15.000 en 1914, 25.000 en 1935 ; le divorce a été autorisé par la loi Naquet de 1884). Le mariage occupe encore une place centrale dans la société française des années 1920 et 1930 : le seul véritable progrès est la disparition quasi totale des mariages arrangés. Enfin ce n’est qu’en 1938 que la femme mariée obtient la capacité civile et cesse d’être l’éternelle mineure définie par le Code civil de 1804. La loi du 18 février 1938 supprime l’incapacité civile de la femme mariée qui peut dés lors ester (= témoigner en justice), signer un contrat en son nom propre, ouvrir un compte bancaire à son nom, et ne plus en référer à son époux pour poursuivre des études, passer un examen, demander un passeport. L’époux reste toutefois le chef de famille, il fixe comme tel le domicile conjugal et peut interdire à sa femme l’exercice d’une profession (elle peut toutefois faire appel de ces décisions auprès des tribunaux). Enfin, l’époux continue à exercer seul l’autorité parentale sur les enfants.

Vichy et la Résistance : deux modèles féminins antagonistes Vichy et les femmes : exaltation de la maternité et dénonciation de la « mauvaise Française » Le régime de Vichy qui se met en place au mois de juillet 1940 est profondément attaché à la famille [cf. la devise « Travail, famille, patrie »]. En tant qu’individus, les femmes doivent s’effacer devant l’intérêt supérieur de la famille. L’influence du féminisme de l’entre-deux-

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guerres est d’ailleurs considérée comme l’une des causes de la défaite de juin 1940. Succombant à « l’esprit de jouissance » et recourant massivement à l’avortement, les femmes auraient affaibli la nation française pendant l’entre-deux-guerres en la privant de combattants potentiels (= tous les enfants qu’elles n’ont pas eus parce qu’elles ont refusé leur devoir de maternité). Pour les Françaises, la Seconde Guerre mondiale est donc tout sauf une période d’émancipation ; il y a même un retour en arrière par rapport à la période précédente, la vie privée étant désormais placée sous surveillance entre 1940 et 1944. La presse collaborationniste insiste sur le caractère impardonnable de l’adultère féminin, plus condamné que jamais. Le 23 décembre 1942 est même adoptée une loi qui fait de l’abandon du domicile conjugal par la femme une faute pénale, c’est-à-dire passible d’être jugée par un tribunal correctionnel. L’avortement est plus réprimé que jamais, avec la loi du 15 février 1942 qui fait de l’avortement, dans certains cas, un « crime contre la sûreté de l’Etat » et donc passible de la peine de mort. Elle est effectivement appliquée à l’encontre de Marie-Louise Giraud, une blanchisseuse de Cherbourg qui s’est livrée à quelques dizaines d’avortements ; elle est exécutée en 1943.

Vichy aurait souhaité par ailleurs renvoyer définitivement les femmes dans leurs foyers. Cette volonté toutefois va se trouver contrariée par les nécessités de l’effort de guerre.

Le retour au foyer contrarié par les nécessités économiques du temps de guerre Par la loi du 11 octobre 1940, le régime de Vichy a tenté d’imposer en France un nouvel ordre économique, dans le but de lutter plus efficacement contre le chômage. Cette loi interdit notamment l’embauche de femmes mariées dans les services de l’Etat et autres administrations publiques. Les chefs d’entreprise ont trois mois à partir de la loi pour fixer un pourcentage maximum d’emplois féminins dans leurs entreprises ; d’autre part les femmes mariées ayant moins de trois enfants et dont le mari travaille sont mises en congé sans solde, et les femmes de 50 et plus sont mises à la retraite d’office. Il y a donc une volonté de Vichy de luter contre le travail des femmes, en particulier le travail des femmes mariées. Toutefois cette politique de retour des femmes au foyer est contrariée par les nécessités de la guerre. La main-d’œuvre qualifiée manque dès 1941, et plus encore après la création du STO au début de l’année 1943. Le 12 septembre 1942, les dispositions de la loi du 11 octobre 1940 sont annulées et les femmes autorisées à travailler à nouveau. Dans les campagnes françaises, 300.000 femmes sont chefs d’exploitation, tandis que 100.000 femmes d’ouvriers agricoles deviennent soutien de famille pour remplacer leur mari absent.

Beaucoup de femmes enfin se sont engagées dans la Résistance. Leur rôle y a été important, mais il est sous-estimé.

Les femmes de la Résistance : un rôle essentiel mais sous-estimé L’historiographie de la période a longtemps privilégié quelques figures emblématiques de la Résistance féminine : Bertie Albrecht, Danielle Casanova, Lucie Aubrac notamment. Restaient ignorées toutes les « combattantes de l’ombre », occultées par le poids de la résistance masculine. Il est vrai que les mouvements de Résistance ont eux-mêmes largement exploité la différence des sexes en confiant aux femmes des missions spécifiques liées à leurs « attributs » féminins : le landau, le panier de la ménagère ou encore le sourire charmeur de la jeune fille à bicyclette étaient ainsi couramment utilisés pour faire passer clandestinement des tracts, voire des armes. Les femmes étaient censées également porter davantage d’attention que les hommes à tous les problèmes de ravitaillement. C’est effectivement le cas des femmes communistes qui s’organisent pendant la guerre en Comités populaires féminins. Le sauvetage des enfants juifs est aussi très souvent l’affaire des femmes, qui mettent sur pied les réseaux de placement à la campagne.

Des femmes ont pourtant directement participé au combat armé (ex. : Madeleine Riffaud qui a abattu un officier allemand à Paris). Il est vrai que leurs offres de service sont souvent mal reçues par les hommes, et en 1944 les F.F.I. refusent de laisser partir des femmes sur le front. Les Forces françaises libres, réunies à Londres autour de de Gaulle, ont admis une

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centaine de volontaires féminines dans un « corps féminin » créé tout spécialement. En 1941 est institué à Londres le « Corps des volontaires françaises » fort de 500 femmes.

A la Libération pourtant, les femmes ont moins que les hommes fait valoir leurs droits pour l’attribution du titre de « Combattant volontaire de la Résistance ». Beaucoup d’entre elles en effet avaient le sentiment de n’avoir pas fait grand chose, ou d’avoir pris moins de risques que leurs confrères masculins, ce qui n’était pas toujours vrai. Pourtant, c’est pour récompenser ces « femmes de l’ombre » que le Gouvernement provisoire de la République française décide dès 1944 d’accorder le droit de vote à l’ensemble des Françaises.

II. La citoyenne, la travailleuse, la femme : trois conquêtes successives

L’accès à la citoyenneté et les conséquences Jusqu’à la fin des années 1960 : des électrices sous influence Avant même la fin de la guerre, avant même la libération du territoire français, le général de Gaulle en exil à Londres a adopté l’ordonnance du 21 avril 1944 par laquelle les Françaises deviennent électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. Les femmes voteront pour la première fois en France en 1945. Quelle que soit leur tendance, les journaux décrivant le vote des femmes en 1945-1946 oscillent entre au mieux le paternalisme, au pire le mépris. Comment les femmes font-elles usage de ce nouveau droit ? Jusqu’à la fin des années 1960, le comportement électoral féminin se caractérise par une forte abstention (écart de 7 à 12 points par rapport aux hommes) et par des choix plus conservateurs que ceux des hommes (les inquiétudes de certains hommes politiques de l’entre-deux-guerres semblaient donc justifiées). Par exemple, au second tour de l’élection présidentielle de 1965, François Mitterrand a obtenu 51% de suffrages masculins et 39% de suffrages féminins : il aurait donc été élu si les hommes avaient été les seuls à voter. De plus, les résistances par rapport au vote des femmes restent fortes dans la société française des années 1950 et 1960 : une enquête du début des années 1960 montre que 21% des sondés pensent encore que le suffrage féminin n’est pas légitime, 10,7% refusant de se prononcer. Ces pourcentages sont identiques pour les deux sexes. Cette opposition au vote des femmes montre une persistance chez certains d’une image traditionnelle de la femme au foyer qui n’a pas à se mêler des affaires politiques et sociales. D’autre part, jusqu’à la fin des années 1960 toujours, l’influence du mari serait prédominante dans le comportement électoral des Françaises. Si l’égalité est acquise en droit depuis 1944, les électrices semblent donc être encore des électrices sous influence.

Le glissement à gauche depuis les années 1970 Une rupture dans ces comportements intervient à partir de la crise de mai 68. Dans les années 1970, l’écart entre électrices et électeurs tend à se réduire tant pour l’abstention que pour le vote conservateur. Au cours de la décennie suivante, c’est-à-dire dans les années 1980, les votes masculins et féminins sont désormais similaires, voire plus à gauche en ce qui concerne les femmes. De nouvelles spécificités du vote féminin sont en effet apparues à partir de la deuxième moitié des années 1980 : les électrices boudent le Front national plus que les électeurs ; depuis 1986, elles votent davantage socialiste que les hommes (1 à 4 points d’écart par rapport aux hommes) ; le vote écologiste est également légèrement plus élevé chez les électrices que chez les électeurs. Comment expliquer ces nouveaux comportements ? La situation de dépendance au foyer favorise l’abstention et le vote conservateur, alors qu’au contraire l’insertion dans la vie professionnelle contribue à rapprocher les comportements masculins et féminins en matière de suffrage. Les progrès du travail féminin sont en effet un des grands changements de la période.

La faible participation des femmes à la vie politique : des quotas à la parité

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Un problème récurrent toutefois depuis l’après-Seconde Guerre mondiale reste la très faible implication des femmes dans la vie politique. L’hégémonie masculine du pouvoir perdure en effet en France, et la politique reste un domaine majoritairement viril. Du point de vue de la participation à la vie politique, la France est très en retard par rapport à d’autres pays industrialisés d’Europe occidentale. Le nombre de femmes députés oscille entre 5 et 10% selon les législatures, ce qui reste un pourcentage très faible. A partir de 1982, on a tenté de remédier à cette situation et d’assurer une meilleure représentation des femmes en politique. En 1982 le gouvernement socialiste tente d’instaurer une loi municipale fixant un quota maximum (75%) de représentation de chaque sexe sur les listes de candidats aux municipales pour les communes de plus de 3500 habitants. Votée à la quasi-unanimité, cette loi est invalidée par le Conseil constitutionnel au nom de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. A partir de 1992 apparaît, plutôt que les quotas, l’idée de la parité : les assemblées élues devraient être composées d’autant de femmes que d’hommes. La parité devient un thème de campagne lors de l’élection présidentielle de 1995. En 1997, après la victoire de la gauche aux élections législatives, Lionel Jospin s’engage à faire réviser la constitution française pour y inscrire officiellement la parité. La loi du 7 juin 2000 stipule que les listes présentées aux élections municipales, régionales, européennes et sénatoriales devront être paritaires. Si les Françaises sont devenues citoyennes depuis 1944, il aura fallu une nouvelle loi cinquante-six ans plus tard pour assurer leur représentation dans la vie politique à égalité avec les hommes.

Femmes et travail depuis la Libération : le triomphe de la salariée La formation des filles : mixité et réussite scolaire Jusqu’au début des années 1960, le système scolaire français obéit en principe à la règle de la séparation des sexes, mais les établissements secondaires mixtes sont de plus en plus nombreux à côté des établissements masculins et féminins, et les classes mixtes se multiplient également dans l’enseignement primaire. La mixité est ensuite instaurée par décrets, dans l’enseignement secondaire en 1963 puis dans l’enseignement élémentaire en 1965. Dans cet enseignement de masse qui se démocratise aussi socialement, les filles réussissent avec éclat. Dès le cours préparatoire, elles redoublent moins que les garçons, même quand elles viennent de milieux défavorisés. Toutefois, l’orientation n’est pas la même selon que l’on est une fille ou un garçon : au lycée, les filles sont plus nombreuses dans les filières littéraires et tertiaires que dans les filières scientifiques. Cette différence d’orientation persiste jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, la période de 1945 à nos jours se caractérise par une féminisation des filières, en particulier par une féminisation des bastions masculins.

La lente féminisation des filières La féminisation de bastions professionnels masculins s’est faite de façon très progressive et graduelle depuis 1945. L’ENA, mixte dès sa création en 1945, n’a cependant longtemps produit qu’un nombre infime de femmes diplômées (moins de 5% en moyenne). L’Ecole polytechnique devient mixte en 1971 et l’année suivante, en 1972, la première femme est reçue major (Anne Chopinet). La même année, en 1972, une femme est nommée ambassadeur pour la première fois. En 1974 est nommée la première sous-préfet, en 1981 la première préfet. La liste des bastions qui tombent ainsi les uns après les autres serait longue. Toutefois, malgré ces avancées symboliques, les femmes restent très minoritaires dans les sphères du pouvoir : elles ne représentaient que 5,5% des directeurs d’administrations centrales en 1992, 2,6% des préfets en 1992 toujours, et 3,7% des ambassadeurs en 1994. On peut terminer par un secteur où la féminisation revêt une importance symbolique particulière : celle de l’armée. La disparition du service militaire en 1999 et la professionnalisation de l’armée ont ouvert la voie à une large féminisation.

Si les femmes ont ainsi peu à peu envahi des filières jusque-là réservées aux hommes, le travail féminin de façon générale a également progressé pendant la période.

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Caractéristiques du travail des femmes depuis 1945 De façon générale, la population active s’est brusquement gonflée à partir des années 1960, ce qui correspond à l’arrivée sur le marché du travail des enfants du baby-boom mais aussi à la hausse de l’activité féminine salariée. Entre 1968 et 1975, les femmes contribuent pour les 3/4 à l’accroissement de la population active : en huit ans, ce sont un million de travailleuses qui arrivent sur le marché. Plusieurs explications peuvent être avancées : le besoin de main-d’œuvre ; la politique familiale, qui incite moins les femmes à rester au foyer car les allocations familiales ne sont pas revalorisées. D’autre part, les salaires féminins sont en augmentation et donc plus attractifs. De plus, dans un couple, un double salaire permet d’accéder à davantage de confort. Le travail salarié représente aussi une forme d’indépendance pour les femmes qui souhaitent échapper à l’étouffement domestique. Enfin, il y a un « effet de scolarité », qui joue surtout à partir des années 1980 : les femmes ont de plus en plus de diplômes qui leur permettent d’accéder à des professions de plus en plus diversifiées. Depuis 1975, le taux d’activité masculine diminue tandis que celui des femmes augmente, et ce malgré la crise. Entre 1975 et 1998, alors que la population active masculine reste stable, la population active féminine augmente de trois millions. En 1998, les femmes représentaient 44,3% de la population active, se rapprochant ainsi de la parité avec les hommes. En quelques décennies, c’est un changement considérable et sans doute irréversible qui s’est produit : le travail féminin est devenu la norme, la femme au foyer l’exception.

Enfin dans le domaine de la vie privée se sont produites aussi des évolutions primordiales et semble-t-il irréversibles.

Les conquêtes de la vie privée Mariages et démariages Jusqu’aux années 1960, le mariage était la norme, et il demeurait une institution inégalitaire. C’est moins vrai à partir des années 1960 : en 1965, le mari ne peut plus interdire à sa femme l’exercice d’une profession. En 1970, la loi met fin à la puissance paternelle du chef de famille : les parents partagent désormais l’autorité parentale à égalité. En 1975, l’adultère cesse d’être une faute pénale et le divorce par consentement mutuel est instauré. Le divorce a commencé à augmenter en France en 1963. En 1960, un mariage sur 10 se terminait par un divorce ; on est passé à un sur trois en 1985. Quant aux mariages, leur nombre a tendance à diminuer. De 1973 à 1998, l’indice de primo nuptialité a été divisé par deux, et l’âge au mariage recule. On constate une baisse de 35% du nombre des mariages dans les quinze dernières années. La très forte augmentation des naissances hors mariage (7% en 1971/36% en 1994) montre la remise en cause du mariage en tant que fondement de l’organisation familiale. Toutefois, cette remise en cause du mariage doit être relativisée : le commerce du mariage reste aujourd’hui très florissant, la cérémonie n’a rien perdu de son romantisme et on continue à la préparer soigneusement des mois à l’avance.

Que la femme soit mariée ou non, elle a en tout cas désormais les moyens de choisir librement sa maternité. La libération sexuelle des années 1970 a permis en effet aux femmes le libre accès à la contraception et à l’avortement.

L’accès à la contraception A partir de 1968 s’accélère le combat féministe pour la liberté des femmes à disposer de leur corps. Pendant l’été 1970 s’est constitué le M.L.F. qui sera à a tête de la lutte. Les premiers centres de Planning familial ont été ouverts en 1961 : ils prescrivent différents moyens de contraception aux femmes qui adhèrent à leur association, mais ils doivent rester prudents car la loi de 1920 interdit toute publicité en faveur de la contraception. Plusieurs propositions de loi pour une libéralisation de la contraception ont été proposées depuis 1956, mais c’est en 1965 que le sujet devient un des thèmes de campagne lors de l’élection présidentielle : le candidat François Mitterrand se déclare ainsi favorable au contrôle des naissances (ce qui ne lui vaudra pas pour autant les suffrages féminins comme on l’a vu précédemment). En 1967 est adoptée la loi Neuwirth qui autorise en France la contraception orale (la « pilule »). Cette

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loi, votée par la droite, n’est pas une loi féministe : elle traduit plutôt la volonté de lutter contre les avortements clandestins, la contraception apparaissant comme une prophylaxie de l’avortement. A la fin des années 1960 en effet, l’avortement est encore quasi unanimement dénoncé comme un fléau social, et le combat qui va mener à sa dépénalisation est long et difficile.

La dépénalisation de l’avortement Jusqu’au milieu des années 1970, les femmes qui veulent avorter doivent avoir recours à une « faiseuse d’anges », qui les délivrera de leur grossesse non sans danger pour leur santé voire pour leur vie ; les plus riches d’entre elles peuvent aller avorter avec plus de sécurité dans une clinique de Suisse ou d’Angleterre. Le risque est aussi judiciaire puisque le code pénal prévoit des peines de prison jusqu’à deux ans pour l’avortée, jusqu’à dix ans pour l’avorteur ou l’avorteuse, ainsi que de lourdes amendes. Cependant à la fin des années 1960 les condamnations sont de moins en moins nombreuses et la loi réprimant l’avortement de moins en moins appliquée (5251 condamnations en 1946 contre 588 en 1965). La loi Neuwirth de 1967 sur la contraception instaure un climat favorable à une révision de la législation sur l’avortement, d’abord parce que cette loi a reconnu le droit des femmes à être mères ou non à leur gré, et parce que la loi Neuwirth, mal appliquée, ne permet pas une diminution des avortements clandestins, contrairement à ce qu’espéraient ses défenseurs. L’avortement est un des enjeux de l’élection présidentielle de 1974 ; le 20 décembre 1974 est adoptée la loi Veil, loi provisoire qui autorise pour cinq ans l’interruption de grossesse jusqu’à dix semaines de gestation, assortie d’un entretien préalable avec un psychologue et avec une clause de conscience qui permet à tout médecin de refuser de pratiquer l’opération. La loi est rendue définitive 5 ans plus tard, le 31 décembre 1979. En 1982 l’IVG est remboursée par la Sécurité sociale ; enfin en décembre 2000 le délai légal est repoussé de dix à douze semaines de gestation. Le droit à l’avortement semble désormais largement reconnu par l’ensemble de la société française, à l’exception de quelques extrémistes comme le groupement Laissez-les Vivre. C’est l’aboutissement de la liberté des femmes à disposer de leur corps.

La condition de la femme entre le début et la fin du XXe siècle a connu des évolutions considérables, et ce dans tous les domaines : celui de la vie politique et de la participation citoyenne, celui du travail et de l’accès des femmes au monde du travail, y compris dans les anciens bastions masculins, celui de la vie privée enfin avec la fin de la minorité civile de la femme mariée, et le droit pour toutes les femmes à disposer librement de leur corps. Toutefois, si la différenciation sexuelle s’est atténuée dans la plupart des domaines, elle n’a pas totalement disparu : l’infériorisation des femmes est en effet le produit d’une culture patriarcale millénaire qui ne peut pas disparaître en un jour ni même en un siècle. Malgré des inégalités persistantes dans certains domaines (l’égalité des salaires notamment, qui n’est toujours pas réalisée dans le travail salarié), la condition des femmes dans la France du début du XXIe reste l’une des plus égalitaires au monde.

Repères bibliographiques -G. DUBY et M. PERROT (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome V : Le XXe siècle, Paris, Plon, 1992.

-Ch. BARD, Les femmes dans la société française au XXe siècle, Paris, A. Colin, 2001.

-J.-Y. LE NAOUR et C. VALENTI, Histoire de l’avortement XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2003.