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Imprimer cet article date de publication : lundi 11/09/2006 Dossier spécial. Le 11 septembre hante toujours le monde. Vu d'ailleurs. Quatre « traders » qui ont vite tourné la page. CARPENTIER SteveVILLIN EmmanuelDOUGNAC VanessaQUÉNELLE Benjamin À deux pas de Wall Street, le World Trade Center abritaient de nombreuses institutions financières. Des traders, du monde entier, qui y travaillaient, ont trouvé la mort, ce 11 septembre 2001. Quatre financiers reviennent sur les sentiments que leur inspirent ces attentats A Sao Paulo En 2001, jeune étudiant de 19 ans à Sao Paulo, Ettore Marchetti apprend les attaques du 11 septembre en se rendant à l'université. Aujourd'hui, il travaille comme gestionnaire de portefeuille pour Hedging Griffo, l'une des plus importantes agences d'Asset Management et de courtage financier qui officie à la Bourse de Sao Paulo. Son quotidien comme celui des 300 autres salariés de son entreprise est fait de prospective économique et de gestion à long terme. Travail oblige, il se doit d'anticiper. Depuis cinq ans, une question le taraude : à quand le prochain attentat terroriste et avec quel type d'arme ? « Je vois le monde fébrile, davantage incertain, attendant avec anxiété que frappe à nouveau un ennemi doté d'un fort pouvoir de destruction. Un ennemi invisible et difficile à combattre. Cette peur insidieuse, cette incertitude du lendemain est pour moi ce qui caractérise le mieux mon sentiment à l'égard du présent et ce pessimisme vis-à- vis de l'avenir. » Ettore Marchetti considère que le Brésil est « immunisé » face à la menace terroriste. En revanche, les attaques répétées de la faction mafieuse Premier Commando de la Capitale (PCC) qui, depuis quatre mois, sème le chaos dans la ville et l'État de Sao Paulo, lui apparaissent comme autrement plus déstabilisantes pour son pays. « Cette violence lancinante possède une capacité de nuisance plus forte que des attentats qui se passent loin de chez nous. Au quotidien, nous avons changé nos habitudes en raison du sentiment d'insécurité et d'impuissance qui n'a cessé de croître depuis que le PCC a entamé sa guerre contre les forces de police mais aussi contre les civils. » Ettore Marchetti en conclut que « si l'ennemi est différent, la violence reste identique pour tous : sournoise ». (à Sao Francisco do Sul) STEVE CARPENTIER A Beyrouth Depuis Beyrouth, Jean Riachi se veut provocateur, sous le coup de la guerre avec Israël. « Anecdotique », résume-t-il ainsi pour évoquer les attentats du 11 septembre 2001. « Bien sûr, comme tout le monde, j'ai vécu le 11 septembre dans un état de panique avec l'impression d'assister à la fin du monde », concède ce jeune financier qui gère 150 millions d'euros d'actifs depuis son bureau du centre-ville de Beyrouth. Mais il se souvient aussi que très vite, par un effet de retournement, le Liban a profité des « effets » des attentats. « À la suite du divorce entre le monde musulman et le monde occidental, explique-t-il, les Arabes du Golfe ont préféré investir au Moyen-Orient et en priorité au Liban. » Idem pour le tourisme, le Liban est redevenu la destination favorite des habitants du Golfe. « Notre pays a beaucoup profité des pétrodollars. Les cinq années écoulées depuis le 11 septembre ont été bénéfiques pour nous. » Pour Jean Riachi, les attentats du 11 septembre « s'inscrivaient dans un contexte : celui de l'hégémonie américaine au Moyen-Orient en vue de contrôler les ressources pétrolières. L'attaque de Ben Laden n'est qu'une manifestation parmi d'autres de la lutte contre cette hégémonie », considère-t-il. Il dresse son tableau du terrorisme. « Aujourd'hui, on assiste à deux types de lutte contre l'hégémonie américaine : celle des sunnites fondamentalistes, comme Ben Laden, qui agissent dans la clandestinité car leurs régimes sont pro-américains ; celle des fondamentalistes chiites, en Iran, en Syrie ou au Liban à travers le Hezbollah. » C'est en Irak, selon le financier beyrouthin, que réside le nouvel enjeu géopolitique de la région, avec toujours, pour les États-Unis, « la volonté de s'assurer les ressources pétrolières, condition sine qua non de la survie de leur économie ». (à Beyrouth) EMMANUEL VILLIN Page 1 of 2 - la-Croix.com 17/2/2009 http://www.la-croix.com/sdx/alc/imprimer.xsp?id=20060911-6283065.xml&base=c

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Dossier spécial. Le 11 septembre hante toujours le monde. Vu d'ailleurs. Quatre « traders » qui ont vite tourné la page. 17/2/2009 http://www.la-croix.com/sdx/alc/imprimer.xsp?id=20060911-6283065.xml&base=c

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date de publication : lundi 11/09/2006

Dossier spécial. Le 11 septembre hante toujours le monde. Vu d'ailleurs. Quatre « traders » qui ont vite tourné la page.

CARPENTIER SteveVILLIN EmmanuelDOUGNAC VanessaQUÉNELLE Benjamin À deux pas de Wall Street, le World Trade Center abritaient de nombreuses institutions financières. Des traders, du monde entier, qui y travaillaient, ont trouvé la mort, ce 11 septembre 2001. Quatre financiers reviennent sur les sentiments que leur inspirent ces attentats

A Sao Paulo

En 2001, jeune étudiant de 19 ans à Sao Paulo, Ettore Marchetti apprend les attaques du 11 septembre en se rendant à l'université. Aujourd'hui, il travaille comme gestionnaire de portefeuille pour Hedging Griffo, l'une des plus importantes agences d'Asset Management et de courtage financier qui officie à la Bourse de Sao Paulo. Son quotidien comme celui des 300 autres salariés de son entreprise est fait de prospective économique et de gestion à long terme. Travail oblige, il se doit d'anticiper.

Depuis cinq ans, une question le taraude : à quand le prochain attentat terroriste et avec quel type d'arme ? « Je vois le monde fébrile, davantage incertain, attendant avec anxiété que frappe à nouveau un ennemi doté d'un fort pouvoir de destruction. Un ennemi invisible et difficile à combattre. Cette peur insidieuse, cette incertitude du lendemain est pour moi ce qui caractérise le mieux mon sentiment à l'égard du présent et ce pessimisme vis-à-vis de l'avenir. »

Ettore Marchetti considère que le Brésil est « immunisé » face à la menace terroriste. En revanche, les attaques répétées de la faction mafieuse Premier Commando de la Capitale (PCC) qui, depuis quatre mois, sème le chaos dans la ville et l'État de Sao Paulo, lui apparaissent comme autrement plus déstabilisantes pour son pays. « Cette violence lancinante possède une capacité de nuisance plus forte que des attentats qui se passent loin de chez nous. Au quotidien, nous avons changé nos habitudes en raison du sentiment d'insécurité et d'impuissance qui n'a cessé de croître depuis que le PCC a entamé sa guerre contre les forces de police mais aussi contre les civils. » Ettore Marchetti en conclut que « si l'ennemi est différent, la violence reste identique pour tous : sournoise ».

(à Sao Francisco do Sul)

STEVE CARPENTIER

A Beyrouth

Depuis Beyrouth, Jean Riachi se veut provocateur, sous le coup de la guerre avec Israël. « Anecdotique », résume-t-il ainsi pour évoquer les attentats du 11 septembre 2001. « Bien sûr, comme tout le monde, j'ai vécu le 11 septembre dans un état de panique avec l'impression d'assister à la fin du monde », concède ce jeune financier qui gère 150 millions d'euros d'actifs depuis son bureau du centre-ville de Beyrouth. Mais il se souvient aussi que très vite, par un effet de retournement, le Liban a profité des « effets » des attentats. « À la suite du divorce entre le monde musulman et le monde occidental, explique-t-il, les Arabes du Golfe ont préféré investir au Moyen-Orient et en priorité au Liban. » Idem pour le tourisme, le Liban est redevenu la destination favorite des habitants du Golfe. « Notre pays a beaucoup profité des pétrodollars. Les cinq années écoulées depuis le 11 septembre ont été bénéfiques pour nous. » Pour Jean Riachi, les attentats du 11 septembre « s'inscrivaient dans un contexte : celui de l'hégémonie américaine au Moyen-Orient en vue de contrôler les ressources pétrolières. L'attaque de Ben Laden n'est qu'une manifestation parmi d'autres de la lutte contre cette hégémonie », considère-t-il.

Il dresse son tableau du terrorisme. « Aujourd'hui, on assiste à deux types de lutte contre l'hégémonie américaine : celle des sunnites fondamentalistes, comme Ben Laden, qui agissent dans la clandestinité car leurs régimes sont pro-américains ; celle des fondamentalistes chiites, en Iran, en Syrie ou au Liban à travers le Hezbollah. » C'est en Irak, selon le financier beyrouthin, que réside le nouvel enjeu géopolitique de la région, avec toujours, pour les États-Unis, « la volonté de s'assurer les ressources pétrolières, condition sine qua non de la survie de leur économie ».

(à Beyrouth)

EMMANUEL VILLIN

Page 1 of 2- la-Croix.com

17/2/2009http://www.la-croix.com/sdx/alc/imprimer.xsp?id=20060911-6283065.xml&base=c

A Bombay

Indienne traditionnelle vivant en « joint-family » - elle habite dans un appartement de Bombay avec son mari, ses deux fils et ses beaux-parents - Anita Pai est une femme urbaine moderne. À 38 ans, elle travaille dans les bureaux de placements financiers de la compagnie nationale ICICI Prudential. Originaire de Bombay, Anita représente un peu de l'identité de la capitale indienne des affaires, vitrine d'une Inde qui tente de concilier croissance économique et reconnaissance internationale. Mariée à un ingénieur employé dans une entreprise finlandaise, Anita a « réussi ». Le 11 septembre 2001, elle a appris la nouvelle des attentats par la radio dans sa voiture, en rentrant de son travail, bloquée dans les embouteillages. « Mais c'est chez moi, à la télévision, que j'ai pris conscience de l'événement, se souvient-elle. Avec ma famille, nous regardions en boucle ces images, diffusées à l'identique sur toutes les chaînes. C'était comme un film... Nous étions choqués par la tragédie, mais aussi par la soudaine vulnérabilité des États-Unis, la superpuissance intouchable. » À l'époque, le mari d'Anita était en voyage d'affaires à Philadelphie, où il est resté bloqué quatre jours.

« Aujourd'hui, il est temps d'accepter que le 11 septembre appartient au passé, estime Anita Pai. L'essentiel est de clore l'enquête, d'en comprendre les tenants et les aboutissements. Cette volonté doit primer sur le traumatisme psychologique des Américains, sur l'obsession de l'événement. » Selon elle, il est clair que « les médias occidentaux, influencés par les intérêts américains, ont surexposé ces attentats ». Car, depuis cinq ans, pour Anita, il y a eu d'autres événements importants : « Les catastrophes naturelles, comme le tsunami. Ou les attentats à la bombe dans les trains de Bombay, le 11 juillet dernier. » Pour elle, « la montée du fanatisme religieux peut toucher aussi bien l'Inde que les États-Unis. Le World Trade Center était le symbole américain de la liberté et du commerce. Bombay, à l'échelle indienne, représente aussi ces valeurs. » Anita Pai assure ne pas se sentir en danger. Mais elle admet que le 15 août, jour de l'Indépendance de l'Inde, pour la première fois elle ne s'est pas risquée à emmener ses enfants au cinéma ou sur les promenades de Bombay, en bordure de mer.

(à New Delhi)

VANESSA DOUGNAC

A Moscou

L'œil fatigué mais le regard lucide, Timour Nasardinov sait que, depuis le 11 septembre 2001, le monde ne s'est guère amélioré. « Plus que jamais, c'est la loi du cynisme... », ironise ce jeune trader de Troika Dialog, l'une des principales banques d'affaires russes installées dans le centre de Moscou.

Ce jour-là, lorsque sur l'un de ses huit écrans de contrôle il a vu les images diffusées sur CNN, il a d'abord imaginé que c'était une blague et n'a pas voulu croire qu'il s'agissait d'une attaque terroriste. « On n'avait jamais vu ça ! » Un mois avant, en simple touriste venu rendre visite à ses collègues américains, il était à New York, prenant des photos et achetant des souvenirs au World Trade Center.

Mais, après le drame, le marché boursier moscovite ne lui a pas laissé le temps de s'apitoyer. « Que le sang coule ou non, la Bourse travaille... Et ce jour-là fut l'un des plus actifs de ma carrière ! Contrairement aux autres places mondiales, tout le monde voulait en profiter à Moscou pour acheter des actions. Il y avait des bons coups à faire ! »

Dégoûté et inspiré à la fois par ce cynisme boursier, Timour Nasardinov ne semble pas vraiment regretter que depuis le 11 septembre 2001 « rien n'ait changé ». Sa carrière s'est poursuivie : les manches de sa chemise rose remontées, les mains accrochées à ses deux téléphones et les yeux fixés sur ses écrans de contrôle, ce jeune homme incarne à lui seul l'essor actuel de l'économie russe et de sa bulle financière.

Tchétchène d'origine, il connaît les limites de la guerre contre le terrorisme, menée désormais internationalement, en particulier dans le Caucase. Juste après l'effondrement des tours du World Trade Center, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, avait appelé le président américain, George W. Bush, pour lui apporter le soutien de Moscou et rappeler que la Russie était elle aussi la cible du terrorisme. « C'est ce qu'il fallait faire. Nous sommes un pays civilisé ! », réagit Timour Nasardinov, qui redoute toutefois les amalgames. « Tous les Tchétchènes ne sont pas des terroristes, ironise-t-il. Mon père est un scientifique. Ma mère enseigne l'anglais. Et moi je suis trader ! » Des parcours professionnels qui, à ses yeux, sont la meilleure réponse aux bouleversements du monde.

(à Moscou)

BENJAMIN QUÉNELLE

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