73
-1 La politique culturelle en Pologne par Stanislaw Witold Balicki, Jerzy Kossak et Miroslaw Zulawski-1 -i Unesco Paris 1972

I -1 La en Pologne - UNESDOC Databaseunesdoc.unesco.org/images/0013/001341/134131fo.pdf · tant, le peuple polonais a survécu à cent vingt-trois ans de démembrements, de dénationalisation,

  • Upload
    voliem

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

I -1 La politique culturelle

en Pologne par Stanislaw Witold Balicki, Jerzy Kossak et Miroslaw Zulawski-1

-i

Unesco Paris 1972

Politiques culturelles : études et documents

Dans cette collection 1. Réjlexions préalables sur les politiques culturelles 2. L a politique culturelie aux Etats- Unis

par Charles C. Mark 3. Les droits culturels en tant que droits de l’homme 4. L a politique culturelle au Japon

par Nobuya Shikaumi 5. Aspects de la politique culturelle française

par le Service des études et recherches du Ministère des affaires culturelles, Paris

6. La politique culturelle en Tunisie par Rafik Said

7. La politique culturelle en Grande- Bretagne par Michael Green et Michael Wilding, en consultation avec le professeur Richard Hoggart

8. La politique culturelle en Union des républiques socialistes soviétiques

par A. A. Zvorykine, avec le concours de N. I. Goloubtsova et E. I. Rabinovitch

par Miroslav Marek, avec le concours de Milan Hromâdka et Josef Chroust

‘etude effectuée par les soins de la Commission nationale italienne pour l’Unesco

La politique culturelle en Yougoslavie par Stevan Majstorovi6

La politique culturelle en Bulgarie par Kostadine Popov

La politique culturelle à Cuba par Lisandro Otero, avec le concours de Francisco Martínez Hinojosa

Quelques aspects des politiques culture&les en Inde par Kapila Malik Vatsyayan

h d e effectuée par les soins de la Commission qationale finlandaise pour l’Unesco

9. La politique culturelle en Tchécoslovaquie

* La politique c$turelle en Italie . i ~

- La golitique culturelle en Finlande

La politique culturelle en Egypte

La politique culturelle en Pologne - par Magdi Wahba

I par Stanislaw Witold Balicki, Jerzy Kossak et Miroslaw Zulawski

A paraître La politique culturelle en Iran - La politique culturelle du Nigeria

‘A l’occasion d’un changement de présentation de cette collection, la numérotation sérielle a été abandonnée ai partir de cet ouvrage.

1972 Année internationale du livre

Publié en 1972 par l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture place de Fontenoy, 75007 Paris Imprimé par Presses Universithires de France, Vendôme

0 Unesco 1972 SHC.72/XIX.l9/F

i'

Préface

Le but de cette collection est de montrer comment divers États membres planifient et appliquent leur politique culturelle.

Les politiques culturelles sont aussi diverses que les cultures elles- mêmes ; il appartient à chaque &at membre de déterminer et d’appliquer la sienne, compte tenu de sa conception de la culture, de son système socio- économique, de son idéologie politique et de son développement technolo- gique. Néanmoins, les méthodes de la politique culturelle (comme celles de la politique générale du développement) posent des problèmes universels - principalement d’ordre institutionnel, administratif et financier - et l’on reconnaît de plus en plus la nécessité d’échanges d’expériences et d’infor- mations à leur sujet. Les publications de la présente collection - dont on s’est efforcé d’uniformiser autant que possible la présentation afin de faci- liter les comparaisons - portent essentiellement sur ces aspects techniques de la politique culturelle.

En règle générale, les études traitent des questions suivantes : principes et méthodes de la politique culturelle, évaluation des besoins culturels, struc- tures administratives et gestion, planification et financement, organisation des ressources, législation, budget, institutions publiques et privées, contenu culturel de l’éducation, autonomie et décentralisation culturelles, formation du personnel, infrastructure institutionnelle correspondant à des besoins culturels particuliers, préservation du patrimoine culturel, institutions de dif- fusion culturelle, coopération culturelle internationale et questions connexes.

Les études portent sur des pays représentant des systèmes sociaux et économiques, des régions géographiques et des niveaux de développement différents. Elles reflètent par conséquent une large variété de conceptions et de méthodes de la politique culturelle. Dans leur ensemble, elles peuvent fournir des modèles utiles aux pays qui n’ont pas encore mis au point une politique culturelle. A tous les pays, et notamment à ceux qui cherchent de nouvelles formules pour leur politique culturelle, elles permettent de

I profiter de l’expérience acquise ailleurs.

Cette étude a été préparée pour l’Unesco par Stanislaw Witold Balicki, ancien directeur général au Ministère de la culture et des beaux-arts, Jerzy Kossak, professeur à l’lhole supérieure des sciences sociales de Varsovie, et Miroslaw Zulawski, directeur adjoint de département au Ministère des affaires étrangères.

Les opinions qui y sont exprimées sont celles des auteurs et ne sauraient engager l’Unesco.

Table des matières

9 14 I .

16

23

26

28

33

35 37 40 44

49

54 59 64 66

Introduction

,Les principes fondamentaux de la politique culturelle

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

Les masses, créatrices et destinataires de la culture

Les fonctions novatrices de la culture

L’éducation scolaire, les centres culturels, l’éducation artistique

Les formes actives de participation à la culture, le mouvement socio-culturel

Le régionalisme culturel

Le développement de la création artistique

Le nouveau statut social de l’artiste

L a création populaire

L’aide de l’lhat et des institutions sociales à la création

L e livre et les bibliothèques

Les spectacles

L a protection des monuments et des lieux du souvenir

L a culture polonaise dans le monde

Introduction

A l’origine, les tribus slaves qui devaient donner naissance à la Pologne se sont établies sur le plateau allant de la Baltique aux Carpates, ouvert à l’est et à l’ouest et dépourvu de tout obstacle naturel. A u nord, la Baltique - mer plate et peu étendue - a toujours constitué une voie de communi- cation commode avec les pays nordiques ; au sud, la chaîne des Carpates est coupée de multiples et larges vallées et de cols aisément franchissables. Située à la jonction de l’Est et de l’Ouest européens, la Pologne constituait tout naturellement un lieu de passage entre l’Orient et l’occident. Les limites de l’emploi de l’alphabet, du calendrier et du rite latins, celles du style gothique, sont, à un moment ou à l’autre de l’histoire, passées par la Pologne. Inversement, de petites églises orthodoxes ou uniates s’avançaient jusqu’aux rives de la Vistule et du San, et, si les Polonais ont adopté la’ religion d’une princesse tchèque, ils ont emprunté leur costume national aux Turcs ottomans. Le premier chroniqueur de l’atat polonais, dit Galluq Anonymus, était venu des bords de la Seine, tandis que le premier à composer un lexique de la langue polonaise fut le Suédois Linde. L a litté- rature polonaise la plus ancienne fut écrite en latin, mais la poésie s’est formée à 1’ (( école ukrainienne ».

L a culture polonaise se caractérise par sa grande faculté d’absorption des éléments européens. Tous ceux qui sont passés par Cracovie ont senti le caractère entièrement polonais de cette ville ; pourtant, eon architecture se nourrit de styles communs à l’Italie, à la France, à l’Allemagne et à l’Europe centrale. I1 n’y a rien de plus polonais que les costumes populaires rayés des environs de Lowicz et de Sieradz ; et pourtant les modèles en ont été ramenés dana les bagages des seigneurs polonais revenant de Rome, qui les avaient remarqués dans les tenues de la garde du pape ... L a puissance d’assimilation de la civilisation et de la culture polonaises est telle que le peintre italien Bacciarelli et le Français Norblin sont devenus d’authen- tiques représentants de 1’ (( école polonaise ».

Le visiteur étranger le moins attentif du château royal du W a w e l se

I

I , ‘. I

-‘

I

~ I 9

Introduction

rend nécessairement compte qu’au X V I ~ siècle, à l’époque de son apogée, la Pologne était non seulement un État puissant, mais aussi une nation hautement développée sur le plan matériel et culturel. Sans quoi, le sol polonais aurait-il pu donner naissance à des génies tels que Copernic et Wit Stwosz ? On doit 1’ a âge d’or )) de la culture polonaise à la victoire de la raison de la Renaissance sur la scolastique médiévale. A cet égard, un rôle important a été joué par l’université Jagellonne de Cracovie, la plus ancienne d’Europe centrale après l’université de Prague, ainsi qye par les sages et savants chanoines. Au XVIII~ siècle, bien que l’ère des d é m e m - brements et de la servitude s’annonçât déjà, le a siècle des lumières )) a, une seconde fois, fait étinceler la Pologne, et peut-être est-ce à lui que la nation doit d’avoir su conserver son caractère authentiquement polonais. C’est à cette époque qu’a été créée une Commission de l’éducation nationale dont la Pologne commémorera le deux centième anniversaire en 1973, en m ê m e temps que le cinq centième anniversaire de la naissance de Copernic.

Le plus grand malheur qui puisse frapper une nation est la perte de son identité nationale, de ses institutions publiques, de sa structure adminis- trative, militaire, éducative, en un mot, de sa personnalité juridique. Pour- tant, le peuple polonais a survécu à cent vingt-trois ans de démembrements, de dénationalisation, de servitude, de défaites, d’exils et d‘émigrations, parce que; pendant tout ce temps, il a pu et su conserver sa culture. L a littérature polonaise a joué un rôle essentiel dans les efforts déployés pour sauvegarder l’existence de la Pologne en dépit des puissances occupantes. Nul peuple au monde ne doit autant à ses poètes. Mickiewicz, Slowacki, Krasinski, Nonvid, Wyspiaiiski ont empêché les vaincus de s’engourdir, ils les ont dotés d’une arme aussi puissante que la dynamite : le mot. Nul peuple au monde ne doit autant aussi à ses romanciers : Kraszewski, Sienkiewicz, Zeromski ; ce sont leurs œuvres qu’on trouvait dans les paque- tages des soldats tués au front durant la première guerre mondiale. Divisée en trois parties, privée de ses institutions d’État, la Pologne a vécu son passé, son présent et son avenir dans sa littérature nationale, qui ravivait les plaies nationales pour empêcher qu’elles ne se refermassent. L’art a lui aussi aidé la Pologne à survivre : de la musique de Chopin, on a dit que, sous les roses, elle cachait des canons.

Cette mission historique remplie par la littérature et l’art polonais envers la nation, il faut s’en souvenir pour comprendre la place qu’a occupée et qu’occupe encore la culture dans la vie des Polonais. I1 est des formes d’art de caractère plus universel, c o m m e la littérature russe, la peinture française, la poésie anglaise ; mais il n’est pas au monde de culture, de littérature et d’art qui aient aidé davantage une nation à conserver sa personnalité et contribué plus puissamment à la sauver de la mort spirituelle.

I1 faut bien insister là-dessus : cinq générations de Polonais ont vécu sous la domination de trois puissances étrangères. Si, en dépit de cela, le peuple a su, le moment venu, reconstituer son unité, on le doit au rôle que la littérature et l’art, le chant, la danse et les coutumes n’ont jamais cessé

10

Introduction

de jouer. Alors que l’impressionnisme naissait en Ile-de-France, le peintre Matejko brossait, à Cracovie, d‘énormes fresques patriotiques propres à sti- muler la conscience nationale, rappelant avec éloquence les grandes heures triomphales ou amères du passé national. Alors qu’à Paris, à Londres et à R o m e on allait au théâtre pour se distraire, à Varsovie et à Cracovie on allait voir Les a’ieux, de Mickiewicz, ou Les noces, de Wyspianski, pour célébrer le mystère vivant, national, et pour affirmer la place de la Pologne sur la terre. Peut-être est-ce la raison pour laquelle on dit parfois que la littérature, le théâtre, l’art de notre peuple sont difficiles et incompré- hensibles pour les étrangers. Difficiles, en effet, c o m m e l’histoire et le destin de la Pologne, mais incompréhensibles seulement si on les aborde hors du contexte de cette histoire et de ce destin.

Durant la seconde guerre mondiale, l’occupant mit hors la loi toutes les institutions et les manifestations culturelles. I1 supprima l’enseignement supérieur et secondaire général et élimina du programme des écoles pri- maires l’histoire, la géographie et la littérature polonaises. L’objectif était de couper les enfants et les jeunes gens des fondements de la culture natio- nale, donc des racines de la conscience nationale, et de leur ôter le sens de l’identité nationale. A travers toute la Pologne occupée, une activité unique en son genre fut alors entreprise : l‘enseignement clandestin, à tous les degrés. Au niveau du primaire, l’enseignement clandestin fut dispensé à un million d’élèves environ par dix-neuf mille maîtres sur le territoire du Gouvernement général ». I1 s’étendit m ê m e aux territoires annexés au

Reich, où il fut suivi par cinq mille élèves. L’enseignement secondaire clandestin fut donné à plus de cent mille élèves sur le territoire du (( Gou- vernement général D, et, plus tard, la validité du baccalauréat clandestin fut reconnue par les autorités éducatives. Quant à l’enseignement supérieur, quelque dix mille étudiants purent en profiter. A Varsovie et dans les grandes entreprises de Silésie, à Cracovie et à Rzeszow, on peut aujourd’hui rencontrer des ingénieurs, des instituteurs, des médecins qui ont fait leurs études grâce aux cours clandestins donnés pendant la guerre dans des appar- tements d’instituteurs. Des imprimeries clandestines assuraient la parution de manuels.sco1aires et de textes de lecture. On retrouve, aujourd’hui encore, dans de nombreuses familles, des plaquettes de poésie polonaise éditées pendant la guerre et qui sont conservées c o m m e la plus précieuse des reliques. U n e fois encore, l’éducation, la culture et la littérature polonaises permirent au peuple de ne pas perdre l’espoir.

Rien d’étonnant dès lors si, sur le premier pan de terre polonaise libérée, à Lublin, la République renaissante entreprit de reconstruire l’État en commençant par ressusciter les théâtres et les maisons d’édition d’œuvres littéraires et en rassemblant autour de ces institutions les écrivains, les artistes et les savants demeurés en vie.

Dans de telles conditions, le caractère révolutionnaire de la culture et de l’art polonais n’est pas pour surprendre. Lorsque, au XVIII~ siècle, la République déclinait parce que sa structure 6OCiale et politique était

11

Introduction

arriérée, les esprits les plus éclairés de Pologne préconisaient, pour la sauver, la limitation des privilèges et des libertés de la noblesse, la libération des paysans asservis et l’émancipation de la bourgeoisie de manière qu’elle puisse prendre part à la vie économique et politique. L a Constitution du 3 mai 1791 a été le premier document de ce genre adopté en Europe, et le second au monde - après la constitution des Etats-Unis d’Amérique. Venue trop tard pour sauver la Pologne des démembrements, elle a néan- moins détruit à jamais bien des structures pétrifiées. Lors des partages de la Pologne et de la perte de l’indépendance, l’espoir de libération nationale a toujours été lié aux mouvements révolutionnaires dans les Etats occupants. C’est ainsi que les patriotes polonais se sont unis, dans une lutte commune, aux décabristes russes, c’est ainsi qu’à Varsovie et à Lodz on a salué la révolution de 1905 c o m m e l’annonce de la liberté ; c’est aussi pourquoi les Polonais furent du côté révolutionnaire des barricades françaises en 1830, 1848 et 1871. La grande révolution d‘octobre en Russie signifia pour les Polonais la fin de la servitude et le début de la renaissance de l’État.

Cette situation se reflète dans l’art et dans la littérature polonais : ceux qui croyaient en la nécessité d’une régénération de la République à la fin du XVIII~ siècle appartenaient au m ê m e courant de la pensée politique progressiste que les grands maîtres de la fin du XIX~. D e Staszic et Kollataj à Krzywicki et Swietochowski, ce mouvement reliait la cause de l’indé- pendance nationale à la cause de la lutte générale pour la liberté sociale. C’est pourquoi, sur les drapeaux des régiments polonais qui prirent part aux combats de la Révolution française, du Risorgimento italien, de la Commune, de la première et de la seconde guerre mondiale, figurait la m ê m e devise : (( Pour notre liberté et la vôtre D.

Pour pouvoir jouer un rôle aussi important dans l’éveil et l’affirmation de la conscience nationale, l’art et la littérature devaient revêtir un carac- tère progressiste, révolutionnaire, et internationaliste. Les liens de la culture et des arts polonais avec la culture et les arts de l’Europe, dans leurs mani- festations les plus belles, sont tout aussi puissants que leurs liens avec la tradition populaire nationale. L a musique de Chopin est universelle, bien qu’elle ait été engendrée par les élégies et les berceuses de Mazovie. Le grand mystère national, Les aieux, de Mickiewicz, s’ouvre sur une scène de sor- tilèges populaires, mais peu après on assiste à un différend entre le poète et le Créateur à propos du monde et de l’humanité. Dans ce qui est sans doute la plus grande œuvre dramatique polonaise, Les noces, de Wyspiaiiski, l’action se passe dans une chaumière paysanne des environs de Cracovie, pendant une cérémonie de mariage, et les personnages sortent deux par deux et dialoguent c o m m e dans les représentations paysannes rituelles à l’occasion des fêtes religieuses ; mais, très vite, on se rend compte qu’il est question de la Pologne, qui, si elle n’existe pas sur la carte, est vivante dans le cœur des paysans et dans tous les cœurs polonais.

L a culture polonaise contemporaine n’a pas seulement des liens orga- niques avec le passé, mais aussi avec les courants mondiaux contemporains

~

,

12

I Introduction

en matière d‘art, de musique, de littérature. Fortement ancrées dans les traditions nationales, les œuvres créatrices des écrivains et des artistes polonais se lancent hardiment dans l’innovation, l’expérimentation et m ê m e l’avant-garde. L a musique polonaise se situe quelque part entre la fanfare de Cracovie et Penderecki ; le drame, entre la crèche de Noël et Witkiewicz ; le théâtre, entre le mystère médiéval et Grotowski.

L’étranger est nécessairement frappé par la sollicitude particulière dont l’etat et la population font preuve à l’égard des vestiges du passé, des trésors et des souvenirs de la culture nationale, en ressuscitant non seu- lement de vieux palais, des châteaux et m ê m e des quartiers de ville entiers, mais aussi de vieilles œuvres de musique, des pièces de théâtre, retrouvées parfois dans des collections ou des bibliothèques, sous une poussière séculaire. Ce souci de conserver le patrimoine culturel national et de le perpétuer dans des conditions sociales assurant l’accès et la participation du peuple tout entier à la culture, c’est ce qui caractérise la politique culturelle polonaise.

13

Les principes fondamentaux de la politique culturelle

L a politique culturelle de la Pologne exprime les aspirations sociales et culturelles des travailleurs. Résultant de l’action conjuguée de l’gtat et des organisations politiques et sociales, elle stimule la création artistique, assure une protection efficace aux milieux artistiques, et favorise la participation de la communauté à la vie culturelle.

En matière de culture, les activités planifiées tendent essentiellement : à développer le patrimoine culturel national et à propager le contenu huma- niste de la culture mondiale ; à satisfaire aux besoins culturels de la popu- lation et à les accroître ; à assurer la participation active et continue des écrivains et des artistes à la vie de la nation et au fonctionnement du sys- tème socialiste; à développer et à moderniser les bases matérielles et techniques de production et de diffusion des biens culturels ; à intensifier les activités des institutions culturelles et à leur assurer un rythme de dévelop- pement correspondant à celui de la société.

L a politique culturelle, qui repose à la fois sur le système de valeurs marxiste-léniniste et sur les résultats des expériences du mouvement révo- lutionnaire polonais, obéit à un certain nombre de principes qu’on peut résumer de la manière suivante : 1. I1 existe un lien indissoluble entre la politique, l’économie et la culture ;

les processus de développement dans ces trois secteurs de la vie sociale doivent relever d’une direction unique assurée par le Parti, qui constitue l’avant-garde de la classe ouvrière. Cette unité de direction est seule capable d’assurer le développement harmonieux de la technique, de la civilisation et de la culture dans une société en marche vers le socialisme avancé et le communisme.

2. L’éducation joue un rôle de premier plan dans la démocratisation véri- table de la culture ; il faut créer un langage culturel c o m m u n à toute la population et donner à tous la possibilité de participer effectivement à la culture nationale et mondiale et a u développement culturel continu de la société dans son ensemble. En effet, l’enseignement ne doit pas seu-

14

Les principes fondamentaux de la politique culturelle 1 lement préparer à un métier ; il doit dépasser le cadre d’une spéciali- sation professionnelle et sociale étroite ; il doit constituer une initiation à la vie.

3. L a culture nouvelle socialiste n’est pas un produit second de la révo- lution, mais l’un des buts fondamentaux de l’édification du socialisme. Elle est l’expression de la libération spirituelle de la classe ouvrière et de sa promotion sociale, intellectuelle et artistique véritable.

4. En créant une culture nouvelle, la classe ouvrière et son avant-garde ne rejettent pas le patrimoine culturel national ni le patrimoine mondial, mais elles l’abordent de façon nouvelle en soumettant la tradition intel- lectuelle et artistique à une analyse critique et en l’interprétant sous l’angle des fondements idéologiques. Elles cherchent également toutes les valeurs humanistes dans les œuvres d’art nouvelles ne se rattachant pas à l’idéologie communiste et n’en rejettent que les idées hostiles à la révolution et à la justice sociale.

5. Les institutions d’gtat et les organisations sociales ne s’assignent pas seulement pour tâche d’élaborer une politique des prix en matière de biens et de services culturels, elles s’emploient aussi à susciter l’intérêt pour les activités de l’esprit et la culture. I1 ne s’agit pas simplement d’accroître les besoins culturels et artistiques et d’assurer leur assouvis- sement dans le cadre de la (( consommation culturelle ». I1 faut également que les problèmes de la culture deviennent partie intégrante des activités de la société, et que l’idée du pouvoir du peuple, réalisée grâce au déve- loppement des formes de la démocratie socialiste, soit aussi présente dans le domaine de la culture artistique.

Tels sont les principes qui ont inspiré la politique culturelle du Parti et de l’$kat depuis l’instauration du pouvoir populaire en Pologne et qui ont déterminé les grandes réalisations accomplies dans le domaine de la culture. Cependant, la politique culturelle ne se ramène pas seulement à quelques principes fondamentaux qu’on pourrait qualifier de (c stratégiques 1) et qui se rattachent strictement à la théorie marxiste-léniniste de la culture. L a politique culturelle, c’est également le système servant à traduire ces prin-

\

I cipes dans le langage de l’activité quotidienne des institutions et dans la formation des cadres d’animateurs de la culture, c’est le développement du réseau des écoles artistiques et la mise en œuvre de mesures destinées à

I

~

I

stimuler l’éducation esthétique des masses.

15

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

Le degré de diffusion de la culture et, en particulier, la dynamique des processus de démocratisation dans ce domaine reflètent la structure sociale et économique d’un pays. En Pologne, vers la fin des années trente, la misère empêchait la culture de pénétrer jusqu’aux masses plongées dans un état d’indigence chronique. En outre, le marasme spirituel et l’apathie due au fait qu’il n’y avait aucun espoir de sortir de la misère entraînaient une grande indifférence à l’égard de tout ce qui n’était pas le (( quotidien ». L’école propageait les superstitions et les survivances de la culture tradi- tionnelle demeuraient fortement enracinées dans les milieux touchés par la stagnation. Les années de l’avant-guerre se sont donc caractérisées par une passivité des masses à l’égard de la culture, dont on trouve les causes dans la stagnation de la structure sociale et l’organisation semi-féodale de la société. A l’époque, la culture était un privilège réservé aux (( seigneurs », l’apanage d’une élite, la propriété de ceux qui avaient des moyens.

Le recensement de 1931 donne une idée de la faible importance numé- rique des classes dirigeantes dans la Pologne d’alors. I1 y avait 64 200 pro- priétaires terriens, 261 900 chefs d’entreprises industrielles et commerciales, 40 700 ecclésiastiques, 80 600 membres de professions libérales, 160 O00 pro- priétaires d’immeubles et rentiers, soit au total 608 O00 personnes. Cette élite, représentant un pourcentage minime de la population, avait le privi- lège de pouvoir poursuivre des études et d‘acquérir une culture, ce qui constituait un signe extérieur de supériorité. Cette supériorité culturelle sur la (( plèbe I), qui se manifestait par la connaissance des humanités, des langues et des belles manières, était pour la bourgeoisie l’équivalent de ce qu’avait été le u prestige )) pour la noblesse au moyen age.

L a stagnation culturelle de l’avant-guerre avait une triple origine : la misère des masses due à la stagnation économique et à la crise structurelle de l’économie ; l’existence de structures sociales figées qui réduisaient pra- tiquement à néant toute tentative individuelle de s’élever au-dessus du niveau où étaient maintenues les classes inférieures ; le caractère élitique

16

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

de la culture, qui se trouvait, de ce fait, dépourvue de liens vivifiants avec le peuple.

Le système politique favorisait la division croissante de la nation en privilégiés et non-privilégiés.

I1 était extrêmement difficile pour les jeunes originaires des couches infé- rieures d’accéder à l’éducation (5,5 % seulement des étudiants bénéficiaient d’une assistance et de bourses). Les deux tiers des étudiants et les trois quarts des étudiantes appartenaient à des familles de propriétaires terriens ou de la bourgeoisie ; le reste venait, dans sa quasi-totalité, de la petite bourgeoisie. L a promotion culturelle était difficile, parce qu’il n’y avait pas de promotion sociale.

A l’époque, la société polonaise était l’une des plus statiques d’Europe. Les avantages acquis passaient de génération en génération. Mais, alors que les possédants pouvaient survivre dans le cadre d’une position socialement privilégiée, ceux qui ne possédaient rien devaient végéter au niveau le plus bas sans espoir d‘en sortir.

L’agriculture occupait 60 % de la population qui s’élevait alors à 19 millions d‘habitants. Le marasme y régnait. L’accès aux villes ayant été rendu pratiquement impossible, les victimes de la crise agricole n’avaient d’autre solution que d’émigrer. L a jeunesse rurale fréquentait de moins en moins les écoles primaires, sans parler des établissements des autres niveaux.

L a misère, la longue stagnation économique, l’impossibilité de percer, m ê m e pour les plus capables et les plus énergiques, créaient un climat dans lequel rien ne stimulait l’éducation et la généralisation de la culture. L’école ne pouvait que réserver des déceptions aux jeunes chez qui elle avait suscité des ambitions et des aspirations.

L’essor de la classe ouvrière s’était lui aussi brisé. L a crise n’épargnait T’une couche restreinte d’ouvriers hautement qualifiés. Le reste demeurait plongé dans un marasme culturel dont seuls parvenaient à émerger ceux qui adoptaient des positions résolument révolutionnaires. Bien que l’ensei- gnement primaire fût pleinement organisé dans les villes, un nombre consi- dérable d’élèves d’origine ouvrière ne le suivait pas jusqu’au bout. L’absence de débouchés, une fois l’école terminée, enlevait tout désir de s’instruire. Seuls faisaient exception les jeunes ouvriers qui avaient adhéré aux idées du radicalisme social.

Si tel avait été l’héritage social et culturel trouvé par la République populaire de Pologne, elle aurait déjà eu beaucoup à faire, mais en outre, tous ces problèmes, elle dut les aborder dans un pays ravagé par la guerre et par l’occupation et dépourvu de cadres scientifiques, techniques et culturels.

Les pertes avaient été particulièrement graves dans le domaine de la science, de l’éducation et de la culture : 60 yo du matériel scolaire et scien- tifique, 93 % des bibliothèques scolaires avaient été détruits, ainsi que 17 écoles supérieures, 487 lycées, 35 théâtres et 35 % environ des maisons

17

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

de la culture. L a plupart des œuvres d‘art les plus précieuses avaient été pillées, dont le fameux retable de Wit Stwosz de l’église Sainte-Marie, à Cracovie, emmené à Nuremberg, des tableaux de Rembrandt, de Raphaël, de Léonard de Vinci et d‘autres maîtres. Plusieurs de ces chefs-d’œuvre ont été restitués 2 la Pologne après la guerre, mais beaucoup ont irrémédiable- ment disparu.

I1 faut aussi rappeler que Varsovie, le plus grand centre scientifique et culturel polonais, avait été entièrement détruite. Cependant, les pertes les plus douloureuses avaient été les pertes humaines. Elles avaient parti- culièrement éprouvé l’intelligentsia polonaise, qui, de l’avis des occupants, constituait le principal obstacle à l’extermination du peuple polonais. Sur l’ordre de Hitler, les nazis avaient tué quelque 700 professeurs et chargés de cours (soit 28,5 % de la totalité des travailleurs scientifiques d’avant la guerre dans ce domaine), 5 O00 médecins (39 %), 235 plasticiens, 104 acteurs, 60 musiciens et de nombreux autres artistes éminents.

L a guerre et l’occupation, qui avaient détruit dans une très large mesure le patrimoine spirituel de la nation, avaient en m ê m e temps fait éclater la structure de la société. Les conditions sociales, les anciens privilèges s’étaient désagrégés sur les routes de l’exode, dans les détachements de partisans, dans l’existence végétative des villes et des campagnes. Le mythe de la supériorité, de l’autonomie et de l’isolement de l’intelligentsia s’était lui aussi effondré.

Les grandes batailles politiques Livrées au lendemain de la guerre ainsi que les grandes transformations réalisées sur le plan social et économique ont provoqué l’élimination quasi totale des classes qui étaient à la tête de l’ancienne Pologne et, avec elles, de la structure de castes. L a petite bour- geoisie, qui comptait avant la guerre trois millions et demi de personnes, s’est vue notablement réduite (actuellement elle en comprend 300 O00 environ) et elle a perdu le prestige social dont elle jouissait auprès des masses. Elle a cessé de représenter l’état auquel les classes déshéritées aspi- raient, de symboliser le mode de vie, les mœurs qui semblaient naguère si attrayants. L a stabilité et la stagnation de jadis ont fait place à un nouveau dynamisme. L a transformation socialiste des structures impliquait une mobilité sociale intense, dont l’aboutissement serait une société égalitaire et socialiste, dotée d’une culture dont la nation tout entière puisse profiter.

Quels ont été les facteurs essentiels de cette évolution sociale ? D’abord le développement des territoires occidentaux, dans les années 1946-1950. Ensuite, après 1950, le processus d’industrialisation, avec sa concentration notable des forces de production, qui a entraîné une migration des habitants des petites villes et des régions rurales vers les centres urbains fortement industrialisés.

18

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

Le retour @ur l’Odra I

l Dès leur libération, les territoires occidentaux sont devenus le théâtre de mouvements migratoires importants et rapides, unissant divers groupes régionaux, divers modèles culturels et aussi divers groupes sociaux dans le processus de formation de nouvelles collectivités locales.

sur les territoires recouvrés se sont trouvés dans une situation sociale nou- velle. Celle-ci exigeait une adaptation individuelle et collective aux cir- constances et l’établissement de rapports nouveaux entre des gens qui étaient issus de groupes sociaux et régionaux différents. Elle obligeait à créer des modèles culturels homogènes et à éliminer les particularismes de groupes.

Pour décrire les phénomènes intervenus dans les territoires occidentaux après la guerre, les sociologues usent de divers concepts, parmi lesquels (( adaptation )) et (( intégration )) sont les plus fréquents. Dans son acception restreinte, le terme d’ (( adaptation 1) désigne la formation de liens entre les divers groupes, l’harmonisation des modèles culturels et l’ensemble des processus menant à la création d’une communauté homogène. Dans un sens plus large, c’est également l’adaptation à des logements nouveaux, à de nouveaux équipements techniques et culturels, à de nouvelles conditions, économiques et à de nouvelles formes de travail professionnel. A cela s’ajoute enfin l’accoutumance à un milieu social nouveau, à un nouvel environnement, à l’action exercée par les nouveaux venus sur le milieu social.

Le concept d’adaptation ne suffit cependant pas pour décrire les phéno- mènes sociaux complexes observés dans les communautés installées sur les territoires recouvrés. Aussi les chercheurs parlent-ils d’ (( intégration sociale ». Par intégration sociale », on entend des processus sociaux, éco- nomiques et culturels menant à l’élimination des particularismes de groupes, à la création de formes nouvelles de coexistence entre les individus et à la formation de modèles de comportement communs.

Les anciennes publications consacrées aux problèmes de l’adaptation de la population d’origine noble ou paysanne ne sont d’aucune utilité pour l’étude des phénomènes d’adaptation et d’intégration de la population qui s’est établie, au lendemain de la guerre, dans les territoires recouvrés. I1 y a eu là tout un ensemble de facteurs spécifiques dont les caractéristiques principales ont été les suivantes : 1. Le déplacement de population vers les territoires occidentaux n’a pas

revêtu le caractère d’un (( exode ». A u contraire, cette population allait vers une promotion sociale, matérielle et culturelle.

2. Les nouveaux venus, indépendamment des raisons de leur déplacement, ont dû assumer des fonctions importantes : ils étaient les pionniers de l’aménagement des terres récupérées et ils ont été amenés, de ce fait, à remplir de nouvelles tâches sociales et culturelles.

I Les millions d’hommes qui, pour diverses raisons, sont allés s’installer

~

I 19

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

3. A la différence des migrations d’avant la guerre, celle-ci a groupé des personnes de toutes les origines sociales et professionnelles et de diverses régions.

4. Contrairement à ce qui s’était passé antérieurement, un groupe nouveau venu n’a pas été incorporé dans une communauté locale pIus nombreuse, mais s’est établi sur un territoire qui avait été ravagé a u cours des opérations militaires et se trouvait pratiquement dépeuplé (à l’exception de la région d’Opole, de la Warmie et de la Mazurie).

5. Les processus d’adaptation ne se sont pas situés, cette fois, dans le cadre d’un système socio-économique stabilisé ; il s’est agi d’une période de transition, oil un ordre social nouveau était en train de s’édifier.

6. Cette migration a eu lieu dans des conditions extrêmement dramatiques, dans le chaos de l’après-guerre, avec sa désorganisation sociale, ses conflits sociaux aigus, ses luttes idéologiques et politiques, sans oublier le climat de tension internationale.

L’ampleur de la migration a dépassé tout ce qu’avait connu notre histoire. En trois ans, les territoires recouvrés ont accueilli 4’5 millions de personnes. L e noyau en était constitué par des rapatriés ; en outre, il s’agissait de personnes venant des voïvodies centrales et de personnes qui rentraient d’émigration.

Les raisons qui les poussaient à s’installer sur les territoires nouveaux étaient principalement de deux ordres : économiques et socio-psychologiques (on voulait profiter de la chance qui s’offrait). Quant à ceux qui rentraient d’émigration, leur décision était déterminée notamment par le fait qu’à l’étranger ils se sentaient en marge et qu’en outre ils étaient désireux de travaiuer à la réalisation des idéaux du socialisme.

A côté des transformations de la structure sociale, qui peuvent être traduites en chiffres, il y a les faits culturels, qui ne sauraient l’être. Ces faits témoignent du haut degré d’avancement du processus d’intégration d’une société d’où se sont effacées les différences de civilisation, de mœurs, de langue et de culture des individus qui la composent. Ils témoignent de la disparition des préventions et des antagonismes régionaux, et en m ê m e temps d’une ouverture plus grande, d’un élargissement des besoins et des horizons, résultant précisément des comparaisons, des échanges de données d’expériences, de la conscience des diversités et des analogies existant entre les habitudes de vie de gens venus de milieux et de régions disparates.

On a vu se désagréger les milieux renfermés sur eux-mêmes, coupés du monde, vivant loin du courant de la culture et de la civilisation moderne, strictement attachés aux mœurs, aux rites et aux idées qui étaient le reflet et la mesure de leur retard social et de leur indigence. Sur les territoires occidentaux, les grands cercles fermés ont en principe cessé d’exister. Et avec eux s’est écroulé le mythe selon lequel les enfants connaissaient fata- lement le m ê m e sort que leurs parents.

I1 était désormais possible d’être maître de son destin.

20

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

Cette intégration sociale intervenue dans les territoires occidentaux a engendré un patriotisme local d’ailleurs très différent du chauvinisme. I1 s’est formé des groupes, surtout composés de jeunes, qui s’intéressent aux recherches sur la culture de leur région, et pour qui les problèmes sociaux de leur région sont leurs problèmes propres.

Les migrations vers les villes hautement industrialisées

L a seconde migration importante s’est faite des campagnes et des villages vers les grands centres industriels urbains.

En 1949, le niveau de l’emploi dans l’industrie dépassait notablement le niveau d’avant la guerre. Dès cette époque, la partie de la population qui vivait traditionnellement de l’industrie y avait donc retrouvé des emplois. Dans les années 1950-1960, l’industrie et le bâtiment ont absorbé 60 % des nouveaux emplois de l’économie nationale, occupés en majeure partie par des gens venus des villages et des campagnes. I1 devenait donc absolument indispensable d’accélérer les processus d’intégration à l’inté- rieur des usines. Après une période durant laquelle il a fallu s’attacher à stabiliser la main-d’œuvre et les cadres, le problème clé a consisté à faire prendre conscience des responsabilités incombant à l’ensemble du personnel pour la bonne marche de l’entreprise et l’instauration d’un esprit socialiste dans les relations humaines.

I1 ne s’agissait pas seulement de modifier un état d’esprit purement individualiste, de le subordonner aux intérêts du groupe ; il fallait également promouvoir l’esprit d’équipe, combattre l’égoïsme et l’attitude purement de consommation », pour faire régner un climat de communion dans

l’effort au profit de la collectivité tout entière. Les sociologues polonais ont constaté que la promotion sociale massive

et brusque de la jeunesse paysanne, arrachée à la campagne avec son bagage d’habitudes et de mœurs semi-féodales, a été à l’origine de nombreux phé- nomènes négatifs. Sans préparation sociale ni culturelle, ces jeunes gens, originaires généralement des familles les plus pauvres, se sont trouvés à la merci des influences les plus diverses dans un milieu qui leur était étranger. Chez les plus âgés, la vieille ambition, née de la tradition de l’émigration paysanne (( pour le pain », continuait de dominer : il fallait a arriver D à tout prix.

Sur les chantiers, on retrouvait, côte à côte, tous les types d’éducation, de moralité, de mœurs, d’aspirations, de comportements. Ce n’était pas toujours l’assiduité paysanne au travail, l’esprit de solidarité et l’honnêteté qui prenaient le dessus sur la tendance non moins paysanne à (( faire sem- blant de travailler )) (puisque ce n’est pas sur son propre lopin).

L a singularité de cette promotion venait de ce que les jeunes gens étaient transplantés d’un contexte social et culturel dans un autre, exigeant une

21

Développement de la culture : structure et dynamique sociales

reconversion de la mentalité et de la manière d’aborder le travail. I1 fallait transformer les paysans en ouvriers de la grande industrie moderne.

Ce lourd handicap des débuts de l’industrialisation appartient désor- mais au passé. Les phénomènes de désocialisation ont été surmontés. Aujourd’hui, le niveau d’instruction, les qualifications et la position sociale de la population urbaine d’origine rurale ne sont que de très peu inférieurs à ceux de la population d’origine urbaine.

Les deux grandes périodes d’essor social de la Pologne, la période de reconstruction, de réorganisation préliminaire de l’économie et de repopu- lation des territoires occidentaux, d’une part, et, de l’autre, la période de l’industrialisation, qui a été, en fait, une période de grande révolution industrielle se sont accompagnées de la mise en place rapide d’un nouveau système d’institutions culturelles et de gestion de la culture.

22

Les masses, créatrices et destinataires 3 la culture

L a situation politique régnant en Pologne vers le milieu des années quarante et, surtout, le retard culturel de la société ont fait que l’objectif premier de la politique culturelle a été de satisfaire les besoins les plus élémentaires. I1 fallait en premier lieu reconstituer les milieux artistiques, grâce à l’aide de I’gtat, reconstruire les institutions culturelles, s’attaquer à l’analpha- bétisme, stimuler la lecture, édifier un réseau d‘institutions chargées de propager la culture dans l’ensemble du pays, et créer sur le plan national des moyens d’information de masse (imprimeries, radio, cinémas).

En m ê m e temps qu’on s’efforçait de combler le retard culturel, on éliminait la libre concurrence sur le marché de la culture et l’on établissait une censure #Etat qui limitait les agissements des ennemis idéologiques dans ce domaine, qui supprimait la propagande en faveur de l’exploitation et de la guerre impérialistes et de la haine entre les peuples, et qui extirpait de la littérature et des arts les éléments sado-masochistes et pornogra- phiques. Pendant cette première période, la dynamique du développement culturel - allant de pair avec les premiers efforts de construction de l’éco- nomie socialiste, l’aménagement des territoires occidentaux et septentrio- naux et les grandes migrations sociales - a été si puissante qu’en quelques années le retard de plusieurs générations a pu être rattrapé.

L’analphabétisme a cessé d’être un phénomène social de masse. L a lec- ture s’est tellement développée qu’on a parlé à juste titre d‘une révolution du livre ; l’installation de réseaux radiophoniques a fait des progrès consi- dérables. L a culture artistique a contribué, pour une large part, à la trans- formation de la culture politique des Polonais. Pour la première fois, la cloison entre la culture urbaine et rurale s’est trouvée ébranlée, puis éliminée. L’essor de la culture a constitué un élément important de la promotion de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Dans les années qui ont suivi l’unification du mouvement ouvrier (décembre 1948)’ le déclin de l’influence de la culture désormais anachro- nique des classes exploitantes a été encore plus net. Les transformations

23

Les masses, créatrices et destinataires de la culture

socio-économiques essentielles pour l’ensemble de la nation se sont reflétées dans les processus du développement de la culture. L’industrialisation et l’urbanisation du pays ont assuré la promotion des groupes et des couches désavantagés en les libérant de la pression exercée par la paroisse et par les traditions héritées de la petite bourgeoisie. L a classe ouvrière a augmenté numériquement et a vu s’accroître son prestige social de classe à l’avant- garde de la nation.

Cette période a été marquée aussi par les erreurs dues au (( culte de la personnalité ». Le schématisme présidait à l’évaluation de l’art, le centra- lisme bureaucratique était exagéré, le système de gestion ne tenait pas compte du caractère spécifique des régions, les problèmes de l’éducation et de la culture faisaient l’objet d’une simplification superficielle. Cependant, en dépit des erreurs commises, on a créé au cours de ces années les bases matérielles permettant le développement d’une culture socialiste moderne. I1 est devenu possible dès lors de traduire dans la réalité concrète le mot d’ordre de plusieurs générations de révolutionnaires polonais pour qui les masses étaient à la fois (( créatrices et destinataires de la culture D.

Après ces deux premières périodes, où l’on a pu noter des changements qualitatifs de la structure sociale et de la culture des classes travailleusesl, la structure sociale a évolué, dans les années soixante, sous l’impulsion des facteurs suivants : la mobilité spatiale, qui a modifié continuellement des structures jadis stables ; l’urbanisation (la population urbaine, qui repré- sentait 32 yo de la population totale en 1946, atteignait, en 1970, 52,2 %) ; le développement de l’industrialisation, avec une augmentation du nombre des cadres d’ouvriers et des cadres hautement qualifiés dans l’industrie ; la mobilité sociale ; les progrès de l’éducation (le nombre des personnes possédant une formation supérieure est passé de 415 O00 en 1960 à 606 O00 en 1969, celui des personnes ayant une formation secondaire de 2 060 O00 à 3 105 O00 et celui des détenteurs d’une formation professionnelle de 616 O00 à 1771 000).

Tout cela a eu pour effet de modifier la composition quantitative de la société, de réduire considérablement les différences sociales et le sentiment de distance entre les diverses classes, de remodeler la société, de la rendre dynamique, égalitaire.

Les changements survenus au sein de l’intelligentsia sont des plus symptomatiques. L a nouvelle intelligentsia de la Pologne populaire est issue des classes travailleuses ; elle a conservé des liens très vifs avec son milieu, rejetant les préventions de classe et le mode de vie de l’ancienne intelli- gentsia. Sa structure interne a également changé. Les professions techniques

1. Une analyse détaillée de ces changements a été présentée dernièrement par Jan SZCZEPAASKI, Andrzej SICINSHI et Jan STIUELECKI dans : (( Przeobraxenia stylu zycia w Polsce socjalistycznej na tle aktualnych hipotez prxemian struktury spoiecznej D [Les transformations du style de vie en Pologne socialiste sur la base des hypothèses actuelles concernant les transformations de la structure sociale], Perspektywiczny model konsumpcji [Modèle prospectif de la consommation], Varsovie, 1970.

24

j Les masses, créatrices et destinataires de la culture

I rattachées à la production et à l’organisation de la production viennent en tête ; en m ê m e temps, c’est dans la grande industrie que s’estompent le plus rapidement les différences socio-culturelles et les différences de mode de vie entre les travailleurs intellectuels et manuels.

Un accroissement particulièrement rapide de l’emploi des personnes ayant reçu une formation supérieure, secondaire et professionnelle a été noté dans les années soixante. D e 1958 à 1968, le nombre des travailleurs ayant terminé leurs études supérieures a augmenté de 69 %, et celui des travailleurs ayant fait des études secondaires de 120 %. etant donné les exigences de la révolution scientifique et technique, on prévoit que le nombre des personnes ayant suivi l’enseignement secondaire et supérieur passera de 18 % de la population en 1970 à 30 yo en 1985. Dans les dix ans à venir, le nombre des travailleurs scientifiques et des ingénieurs doublera. Tandis qu’il y avait 16 travailleurs scientifiques pour 10 O00 habitants en 1970, il y en aura 53 environ en 1990.

25

Les fonctions novatrices de la culture

L’interdépendance entre le niveau culturel de la société et les possibilités de progrès économique est de plus en plus étroite. Pour assurer l’expansion économique à l’époque de la révolution technique, les moyens matériels et financiers - gui sont fort importants au demeurant - ne suffisent pas. Il faut également un niveau élevé de formation professionnelle et générale qui stimule les initiatives, les idées novatrices, la pensée constructive dans tous les domaines de la vie sociale.

Pour atteindre ce niveau d’activité intellectuelle créatrice, pour parti- ciper de plus en plus à la gestion des entreprises et des institutions politiques, aux activités politiques, il est nécessaire d’avoir des connaissances appro- fondies, des principes solides sur le plan éthique et un certain niveau culturel.

Le lien est de plus en plus net entre les aspirations et motivations des h o m m e s et leurs activités économiques. L’influence des stimulants matériels varie elle aussi selon le niveau culturel. A un certain niveau intellectuel et culturel, ces stimulants ne sont pas les seuls, mais ils agissent conjointement avec des facteurs tels que l’attachement à l’entreprise, l’esprit d’équipe, l’ambition de se perfectionner et d’accroître la production. En outre, si l’on veut gagner davantage, c’est aussi parce qu’on a des besoins culturels plus grands, donc des aspirations plus élevées.

En Pologne, les activités culturelles ne sont pas considérées c o m m e constituant un domaine à part et visant uniquement à assurer des distrac- tions pour meubler les loisirs. On estime que la culture artistique n’est pas dissociable du travail, de la vie collective, de la vie personnelle. I1 y a déjà longtemps, le professeur Jan Szczepaiiski écrivait qu’il faut modifier le programme d’action culturelle : (( Le principe fondamental [qui doit inspirer ce programme], c’est l’unité des processus vitaux de l’homme, l’idée que le travail professionnel, la vie domestique, le repos, les distractions, la prépa- ration au travail, la satisfaction de tous les besoins constituent un tout fonctionnel fondé sur l’unité de la personnalité de l’homme. Le plan d‘action culturelle représente donc une partie fonctionnelle des plans économiques,

26

Les fonctions novatrices de la culture

éducatifs, scientifiques, politiques. I1 faut planifier la culture du milieu domestique en fabriquant des meubles et des tissus esthétiques, en per- mettant aux gens d’acquérir des œuvres d’art pour en orner leurs appar- tements, etc. I1 faut apporter la culture dans les lieux de travail, les ateliers, les usines, les bureaux, les magasins ... I1 faut créer une culture des loisirs et du repos, une culture du comportement dans la rue et dans les lieux publics, une culture de la coexistence1. 1)

Pour assurer l’essor économique et technique, pour stimuler l’initiative sociale dans tous les domaines, il faut accélérer l’essor culturel. Malheureu- sement, nous ne savons pas encore exactement quels sont les effets des ressources consacrées à la culture. Nous ne sommes donc pas en mesure de déhir avec précision l’influence directe et indirecte exercée dans les divers secteurs de l’économie nationale par l’élévation du niveau culturel de la société. I1 serait souhaitable d’élaborer au plus tôt un système permettant d’évaluer les effets économiques des dépenses culturelles, de manière à pouvoir connaître dans le détail les besoins en matière d’investissements et d’extension des services culturels. En revanche, on sait dès à présent que l’insuffisance des aménagements destinés à la culture, à l’éducation et aux loisirs, particulierement à une époque où le temps libre s’accroît, a des effets négatifs.

~

1. Jan SZCZEPABSHI, Odmiany czasu terazniejszego [Lea variations du temps présent], p. 396, Varsovie, 1971.

I 27

L’éducation scolaire, les centres culturels,

l’éducation artistique

Le développement extrêmement rapide de la Pologne, qui, de pays agricole sous-développé, est devenue un pays industriel, a contribué à créer des conditions favorables à la modification des attitudes en matière de culture et de besoins artistiques. Non seulement l’industrialisation a modifié la carte économique de la Pologne, mais elle a été à l’origine de la promotion sociale des ruraux qui sont venus rejoindre les communautés ouvrières et grossir les rangs de l’intelligentsia nouvelle. Les grandes transformations sociales, caractéristiques des premières étapes de l’industrialisation, ont engendré des transformations dans le mode de vie, les aspirations, les idéaux et les modèles culturels et esthétiques de larges couches de la population. Dans ces circonstances, la politique culturelle de l’État et de la société devait avoir pour but d’assurer l’intégration la plus rapide possible des nouveaux venus à la culture socialiste. I1 s’agissait de créer un système d’institutions publiques et sociales qui donnerait une impulsion au processus de formation d‘une culture artistique socialiste nouvelle : une culture démocratique, laïque, ouverte.

Dans ce contexte, une importance particulière doit être attribuée au fait que le marché de la culture a perdu son caractère commercial. Le contrôle public de ce marché, l’orientation donnée aux manifestations artistiques et aux émissions de radio et de télévision ont permis d’éliminer de notre culture tout contenu réactionnaire, ainsi que la pornographie et la N came- lote )) artistique.

Les progrès de l’instruction publique ont, eux aussi, exercé une grande influence. Depuis 1951, l’analphabétisme n’est plus un phénomène social. L’introduction de la scolarité obligatoire de huit ans en 1966 ainsi que la généralisation de l’enseignement secondaire et supérieur ont créé un cadre favorable aux activités culturelles et éducatives de masse.

L’école est l’institution qui prépare le mieux à participer à la vie cultu- relle. Cependant, l’instruction n’est pas seulement un intermédiaire entre l’individu et la société, elle est aussi une sorte de création dont les résultats,

28

L’éducation scolaire, les centres culturels, l’éducation artistique

tant dans la sphère de la pensée que de l’application, font partie intégrante du patrimoine culturel. L’élévation du niveau de l’instruction fait s’accroître le besoin de culture et, à son tour, l’essor de la culture oblige les institutions chargées de l’enseignement à modifier continuellement les objectifs, le contenu et la forme de leurs activités. L’école ne sert donc pas uniquement de cadre à la transmission des valeurs, des normes et des modèles reçus ; elle permet des expérimentations au cours desquelles ses valeurs se vérifient et s’actualisent.

L‘interdépendance de l’instruction et de la culture est généralement représentée par le schéma suivant : accroissement de l’instruction - accrois- sement de la culture - transformation de la structure sociale. En réalité, les modifications s’effectuent simultanément dans ces trois secteurs, leurs liens et leur influence réciproque prenant les formes les plus diverses. Les relations entre la culture et l’instruction - et en m ê m e temps la place de l’instruction dans la culture - sont déterminées par la structure écono- mique, politique et sociale de notre pays et cette structure crée la possibilité de construire un modèle socialiste de culture et d’éducation. L a qualité de ces relations est conditionnée par les facteurs suivants : généralisation de l’instruction, démocratisation de la culture, unité des principes idéologiques et des objectifs de l’éducation culturelle.

L’objectif de la révolution en matière d’instruction, en Pologne, est d’assurer à tous un minimum d’enseignement général, de manière que chacun puisse participer pleinement à la culture et que ceux qui sont parti- culièrement doués puissent développer leurs talents. L a culture n’étant pas soumise aux lois du marché, il y a conformité entre le contenu de l’ensei- gnement et ce qu’offrent les moyens modernes d’information et les insti- tutions s’occupant de promouvoir la culture. La popularisation des valeurs culturelles et artistiques n’est donc pas conditionnée par leur rentabilité.

L e développement de la culture et de l’éducation, en suscitant un accroissement des besoins et des divers moyens d’y répondre, détermine des changements non seulement dans la sphère économique institutionnelle, mais aussi dans les comportements des individus, ce qui est, sans contredit, le plus important.

D’où la nécessité d’élever sans cesse le niveau d’instruction, sans quoi le secteur de l’enseignement risque de prendre du retard sur les autres secteurs de l’activité culturelle.

Si, parmi les objectifs de l’enseignement, on distingue la participation à la culture, cela ne signifie pas pour autant que la préparation a u métier ou à la vie ne soit pas créatrice de culture ». Néanmoins, l’enseignement doit viser essentiellement à créer un langage commun, à généraliser les valeurs, les modèles et les genres de création dépassant le cadre de milieux sociaux et professionnels étroits. Cet objectif est poursuivi tant par l’enseignement scolaire que par l’enseignement extrascolaire.

Parmi les centres culturels ayant un vaste champ d’action - l’école mise à part - une place de choix revient aux bibliothèques et aux musées. L e

i

29

L’éducation scolaire, les centres culturels, l’éducation artistique

réseau de bibliothèques s’étend pratiquement, compte tenu des biblio- thèques rurales, sur tout le pays. Les bibliothèques s’occupent également d’éducation artistique.

L a portée de l’action des musées s’est aussi étendue. Au lieu de se borner, c o m m e jadis, à attendre passivement les visiteurs, ils entreprennent de former la masse des destinataires de la culture. Les activités des musées se sont notablement développées, surtout depuis 1961, époque à laquelle le Ministère de la culture et des arts et son Office des musées et de la protection des monuments historiques ont lancé leur campagne : u Les musées, uni- versités de la culture ».

Actuellement, donc, aux formes traditionnelles d’action - visites orga- nisées, expositions, conférences - s’ajoutent des formes nouvelles destinées à aller au-devant du public grâce à la coopération des musées avec les institutions chargées de propager la culture et avec la radio et la télé- vision.

Grâce à l’aide de l’lhat et des pouvoirs locaux, la Pologne tout entière est aujourd’hui couverte d’un réseau de centres d’éducation culturelle : foyers, clubs et maisons de la culture. Celles-ci jouent un rôle essentiel, grâce à leur structure souple, qui leur permet de desservir toutes les couches de la population.

Les principales activités des centres culturels sont les suivantes : orga- nisation de groupes et de clubs d’amateurs et d’ensembles artistiques ; manifestations artistiques d’amateurs ; manifestations artistiques avec la participation d’artistes professionnels ; rencontres, débats, conférences et causeries avec la participation d’écrivains.

Les centres culturels, en plus de leurs activités d’enseignement métho- dique, intensifient d’année en année leurs activités d’éducation idéologique et esthétique; ils contribuent à stimuler le mouvement des idées et le mouvement artistique. Ils servent en m ê m e tem s de trait d‘union entre,

et, d’autre part, le mouvement socio-culturel (voir p. 33 et 34). L a Pologne est très vite passée du stade où l’éducation artistique se

ramenait aux cours de chant et de dessin donnés à l’école à une situation où l’éducation esthétique constitue un élément important de la formation de la conscience de l’ensemble de la société. Avant d’introduire les méthodes nouvelles, on a procédé à des études théoriques. Celles-ci ayant montré qu’il ne suffisait pas d’apprendre à apprécier les œuvres d’art et de sélectionner les enfants doués, capables de devenir des artistes professionnels, on a jugé qu’il fallait préparer l’ensemble de la communauté à profiter toujours plus pleinement des biens culturels. Pour cela, on a mis en œuvre un programme visant à propager le rôle de l’art dans la vie des hommes.

Ce programme part du principe que l’art est constamment présent dans la vie. En effet, grâce à la radio, à la télévision et aux publications peu coûteuses à grand tirage, l’art n’est plus réservé aux grandes occasions. D’autre part, l’art a pénétré dans les nouveaux appartements et dans les

d’une part, les activités culturelles menées par 1’ d tat et les pouvoirs locaux

30

L’éducation scolaire, les centres culturels, l’éducation artistique

nouvelles entreprises. Enfin, grâce aux progrès de la décoration industrielle, l’art est présent par le truchement des objets d’usage courant.

Ce programme prévoit également l’initiation de la communauté aux éléments nouveaux apportés par le cinéma, la radio, la télévision, et la repro- duction massive de la musique. En Pologne, la panique provoquée ailleurs par l’essor rapide des moyens audio-visuels a été de courte durée (1957-1959).

Conformément à la vision marxiste du monde, les pédagogues, les esthé- ticiens et les sociologues polonais de la culture insistent sur la nécessité d’intégrer les formes anciennes et nouvelles de transmission des œuvres d’art et d’utiliser les codes et les langages artistiques les plus divers.

(( Dans le cadre des tâches élargies de l’éducation esthétique, écrit le professeur Bogdan Suchodolski, il faudra établir un équilibre entre la for- mation de la faculté de perception des œuvres d’art et la formation à l’activité personnelle [...I en matière d’art. Etant donné les conditions de la vie moderne, qui ouvrent des possibilités multiples d’accéder à l’art, la réception des manifestations artistiques risque de devenir passive et super- ficielle. Dans ces circonstances, l’activité personnelle peut garantir une sen- sibilité plus grande à l’égard de l’art, dans la mesure où l’individu aura lui-même fait l’expérience du processus de création. Cette méthode n’est cependant pas sans danger. L’activité créatrice personnelle dégénère assez facilement en recherche du prestige social. Le problème le plus difficile à résoudre consistera à savoir comment lier l’activité artistique personnelle à l’intensification des émotions esthétiques provoquées par les œuvres d’ad. n

Sur ce plan, la réflexion relative à l’éducation esthétique rejoint des pré- occupations plus vastes figurant au programme de la politique culturelle réalisée par le Parti, l’État et les organisations chargées de mettre en œuvre cette politique. I1 s’agit notamment d’accélérer le passage de la forme passive à la forme active de perception du contenu de la culture.

Les théoriciens estiment qu’il est essentiel de faire avancer de pair la connaissance approfondie et concrète de l’art et la capacité d’apprécier les œuvres d’art ancien et moderne. Pour ce qui est de l’art ancien, en parti- culier, il ne s’agit pas de recueillir un certain nombre d’informations histo- riques à replacer dans le cadre de l’histoire générale. L a connaissance de l’art ancien doit stimuler la perception à la fois des époques révolues et des réalités artistiques proches de l’homme d‘aujourd’hui.

Un second problème qui revient souvent dans les études théoriques faites dans ce domaine est celui de l’interaction de l’éducation et de l’élévation des goûts artistiques. L a question se complique lorsqu’il s’agit d’arts tels que l’architecture et la décoration industrielle, d’une part, et la musique, de l’autre. Mais, là aussi, on se garde d’adopter une approche esthétique étroite du sujet. C’est ainsi que, dans les cours de musique, on insiste à la fois sur l’aspect délassant de la musique et sur ses fonctions éducatives. On

1. B. SUCHODOLSKI, Wychowanie dla przyyszloici [L’éducation pour l’avenu], p. 238 et 239, Varsovie, 1968.

31

L’éducation scolaire, les centres culturels, l’éducation artistique

considère aotamment qu’elle stimule des traits de caractère positifs tels que la discipline, l’assiduité au travail et la persévérance, l’esprit civique, l’esprit d’équipe, la sensibilité aux problèmes de l’entourage. Ainsi, l’éducation musicale est un facteur d’intégration dans la société, un instrument d’harmonie entre les groupes.

Les théoriciens soulignent également l’influence éducative qu’exerce la qualité esthétique des objets d’usage quotidien. L e professeur Jerzy Kulczyhskil dit, à propos de cette influence : Elle n’est pas bouleversante, elle semble m ê m e insignifiante, mais, en émanant de tout l’entourage, elle s’exerce de façon continuelle, permanente, sur le subconscient de l’homme, elle modèle ses habitudes et sa vie quotidiennes. En outre, elle est absolu- ment universelle, car elle pénètre partout. C’est pourquoi l’action éducative à l’égard des formes des objets d’usage courant n’est pas moins importante que celle qui se réfère au (( grand art ». Les intérieurs, les objets soigneuse- ment exécutés et beaux non seulement forment - par l’entremise des associations d’idées les plus diverses - le goût artistique, mais ils incitent à travailler avec soin et précision, à agir de façon systématique et disciplinée, à faire preuve de respect à l’égard du monde environnant. 1)

U n e autre étude pédagogique souligne qu’il est important de traiter les diverses branches de l’art c o m m e un tout. Elle souligne aussi la nécessité d’une action conjointe des diverses institutions culturelles en matière d’édu- cation. Ce dernier problème est actuellement au centre des préoccupations des pédagogues et des théoriciens de la culture et de l’esthétique, qui appellent l’attention sur la multiplicité des processus d’éducation artistique scolaire et extrascolaire et sur l’interférence des divers moyens d’action employés.

1. Jerzy KULCZY~SKI, (( Zagadnienie jakolci we wspókzesnej kdturze materialnej [Le problème de la qualité dans la culture matérielle moderne], Sztuka i krytyka, no 33-34, 1968.

32

1. L a Madone de Kruzlowa (1410 environ), Musée national de Cracovie. (Photo CAF, Varsovie.)

2. Page de couvertiire de la première édition de l'œuvre de Nicolas Kopernik, De reuolutionibus o r b i u m coelestium, libri VI (1543). (Photo CAF, Varsovie.)

?

3. L e peuple tout entier s'est associé en 1971 à la reconstruction du château royal de Varsovie. Au second plan, colonne surmontée de la statue du roi Sigismond III. (Photo CAF, Varsovie.)

4. La Maison de la culture à Tarnjw. (Photo CAF, Varsovie.)

~ Les formes actives de participation à la culture,

le mouvement socio-culturel

L a culture artistique ne se ramène pas à l’assimilation passive d‘œuvres créées par des professionnels. Notre politique culturelle s’assigne pour objectif d’harmoniser toujours d’avantage la consommation et l’activité culturelle propre. Cet objectif trouve sa réalisation la meilleure dans ce qu’on appelle le mouvement socio-culturel.

L a vie culturelle polonaise est marquée par l’intensité du développement de ce mouvement et la diversité de ses formes. Certaines sont désormais traditionnelles : ainsi, le théâtre d’amateurs Fredreum, à Przemyd, existe depuis plus de quatre-vingts ans ; d’autres sont nouvelles, telles les équipes de cinéastes amateurs de Zielona Góra, dans les territoires occidentaux.

Le développement des activités d‘amateurs est inégal tant sur le plan géographique que social. Si étonnant que cela puisse paraître, c’est encore dans une large mesure un mouvement propre aux grandes agglomérations urbaines. Toutes les associations culturelles régionales, qui sont au nombre de 262, et la moitié des associations locales (209 en 1968) ont leur siège dans des villes de plus de 50 O00 habitants. Quelques dizaines d’associations locales se sont établies dans des villes de 10 O00 à 50 O00 habitants. I1 n’y en a que 24 dans les bourgs et 24 à la campagne. Jusqu’à présent, 43 % des districts n’ont aucune association locale ou régionale.

L a participation de divers milieux diffère aussi beaucoup selon les régions. L a voïvodie de Katowice, avec 33 districts et villes, possédait, en 1968, 32 associations régionales et locales OU l’on comptait 45,4 % d’ou- vriers. Cet indice était de 42 yo pour la voïvodie de Lodz et de 39’6 % pour la ville de Lodz. Alors qu’on voyait quadrupler le nombre des ouvriers et décupler celui des jeunes dans certaines associations régionales et locales, au cours des années 1960-1967, la part des ouvriers et des jeunes a diminué dans d’autres associations qui avaient pourtant leur siège dans des centres régionaux traditionnels.

L’épanouissement des activités d’amateur a apporté un démenti aux arguments et aux théories selon lesquels le régionalisme et le mouvement

33

Les formes actives de participation à la culture

socio-culturel étaient à leur déclin du fait de l’expansion de la a culture audio-visuelle urbaniste industrielle ». Les régions dont le retard était parti- culièrement notable, celles de Bialystok, de Lublin et de Kielce, voient dans le mouvement socio-culturel le moyen d’accélérer le rythme ‘des transfor- mations dans leur région. D’où l’organisation rapide de a cafés-clubs D, d’où aussi les initiatives culturelles de la jeune génération rurale polonaise. Ce fait tend à prouver que, pour la jeune génération rurale en particulier, la culture a pris des dimensions nouvelles. I1 ne s’agit plus uniquement de cultiver les traditions et les usages populaires locaux, mais de suivre le rythme des transformations socio-culturelles de l’ensemble du pays.

Les formes nouvelles, dynamiques, d’activité culturelle - clubs de cinéma, de photo, les clubs d’ondes courtes, petits ensembles vocaux, de récitation, de jazz, de musique moderne - sont plus appréciées que les anciennes parce que plus attrayantes, en particulier les chorales et les ensembles de danse.

Les moyens modernes de communication de masse n’excluent pas les formes traditionnelles de transmission de la culture - souvent au contraire ils accroissent la demande dans ce domaine. N o n seulement le cinéma, la télévision et la radio ont multiplié le nombre des destinataires de la culture, mais ils donnent une impulsion aux activités culturelles. Les versions filmées des œuvres des classiques ont provoqué un intérêt accru pour la grande littérature et en ont augmenté la lecture. L a télévision a donné le goût du contact direct avec le jeu de l’acteur, l’art du chanteur ou de I’ins- trumentiste et a marqué, semble-t-il, le début d’une nouvelle phase dans le mouvement des ensembles de théâtre d‘amateurs. L a radio a non seulement intensifié la sensibilité musicale, mais elle a éveillé aussi chez beaucoup le désir de faire eux-mêmes de la musique. Les études effectuées en Pologne sur la réaction des spectateurs des salles de cinéma n’ont pas confirmé le diagnostic des chercheurs américains selon lesquels la réception est passive et le spectateur isolé au milieu de la foule d’individus c o m m e lui isolés et soumis à une avalanche de stimulants extérieurs qui le laissent indifférent.

Selon les recherches sociologiques faites en Pologne, la participation aux séances de cinéma revêt un caractère social et collectif.

Tout en favorisant les initiatives culturelles des organisations profession- nelles et sociales, nous cherchons à mettre au point des formes nouvelles de coordination, de manière à leur donner les meilleures orientations possibles, tant sur le plan national que régional. En adaptant les méthodes de gestion à la situation nouvelle dans le domaine de la culture, on envisage d’y faire participer, côte à côte, les organismes publics et sociaux.

34

Le régionalisme culturel

I U n e question essentielle se pose : quel rapport y a-t-il entre les formes modernes du (( régionalisme culturel )) et les formes ainsi que le contenu tra- ditionnels de ce mouvement, qui s’étaient modelés dans le cadre d’un autre système et d’autres conditions de civilisation ?

L’un des changements qualitatifs principaux concerne la fonction sociale du régionalisme culturel. Nous perpétuons les très belles traditions du régio- nalisme polonais et de la culture populaire, mais en donnant une orientation nouvelle à cette participation active à la culture. Le mouvement régional ne marque plus, c o m m e dans le passé, une opposition à l’fitat ; il n’a pas pour objectif de remplacer les institutions culturelles centrales. I1 n’agit pas à leur place et n’est pas obligé de prendre sur lui un fardeau dont l’fitat ne voulait pas.

A l’heure actuelle, le mouvement régionaliste culturel est un dérivé du processus d‘édification de la démocratie socialiste et en m ê m e temps l’un des facteurs essentiels de l’accroissement des activités culturelles de la société.

Les fonds nécessaires aux activités culturelles sont fournis par les pou- voirs publics centraux et locaux et les entreprises, les coopératives et les institutions et organisations auxquelles leurs statuts font de telles obliga- tions. Leur contribution à l’action culturelle est planifiée sur la base d’une analyse des conditions et des besoins actuels et futurs confrontés aux pro- grammes économiques, aux pronostics démographiques, etc. Ces plans sont élaborés à tous les échelons, à commencer par l’échelon central, dont le plan sert d’ailleurs de modèle aux autres.

Cela ne signifie pas pour autant un retour à la centralisation. Le modèle polycentrique que nous avons adopté a fait ses preuves et il correspond à nos besoins. On tend actuellement à l’étendre et à le perfectionner car, bien souvent, il s’arrête au niveau des voïvodiesl.

1. Dans les unités administratives constituées par les voïvodies, les villes assimilées à des voivodies, les districts et les quartiers des grandes villes, etc., les activités économiques,

I 35

Le régionalisme culturel

On évalue actuellement le système de gestion de la culture, afin de trouver les solutions répondant le mieux aux conditions et aux besoins du moment et d’éliminer les barrières administratives parfois rigides qui entravent le fonctionnement des institutions culturelles. I1 est également indispensable d’établir a u plus tôt une méthode efficace de coordination des activités culturelles qui, sans compromettre l’autonomie indispensable des créateurs et des organisateurs de la culture, assure en m ê m e temps la réali- sation des objectifs fondamentaux de la politique culturelle. I1 devient de plus en plus évident qu’une telle coordination doit s’effectuer principa- lement sur la base de programmes d‘action rationnels.

Jusqu’à une date récente, en effet, la coordination laissait un peu à désirer, en ce qui concerne tant le contenu de l’action culturelle que Bes ressources et ses champs d’action. Les conseils du peuple, surtout à l’échelon des districts, n’étaient pas en mesure de coordonner convenablement les activités des multiples associations, organisations et institutions culturelles. Bien des efforts et des fonds n’étaient pas, de ce fait, utilisés à bon escient.

C’est pourquoi, en 1971, on a entrepris dans 19 districts une expérience en matière de gestion : des comités de district de la culture et des arts ont pris la place des services de la culture des conseils du peuple.

L’expérience étant en cours, il est difficile d’en dresser dès à présent le bilan. Mais, indubitablement, la direction est bonne et il faut poursuivre dans cette voie.

sociales et culturelles sont dirigées par les conseils du peuple, organes du pouvoir d’lhat élus au suffrage universel, subordonnés aux organes de l’échelon supérieur et du Conseil des ministres, selon le principe du centralisme démocratique. L a supervision de tous les conseils du peuple incombe au Conseil #Etat.

36

Le développement de la création artistique

A l’époque de la première guerre mondiale, alors que grandissait l’espoir de voir la Pologne recouvrer son indépendance nationale perdue à la fin du XVIII~ siècle, Stefan Zeromsky (1864-1925), romancier que plusieurs géné- rations de Polonais ont appelé ((le cœur et la conscience du peuple D, publiait ses réflexions sous le titre Literatura a zycie polskie (Littérature et vie polonaises). I1 affirmait que l’évolution historique de la Pologne avait marqué la littérature nationale, qui, dès le début, avait été mise au service de la patrie. C’est surtout, disait-il, au X I X ~ siècle, à l’époque de la servitude imposée par le partage du pays entre trois puissances occupantes, que (( le renoncement - forcé et volontaire à la fois - de la littérature polonaise à la liberté de création en fit, en échange, le moteur de la vie sociale, voire économique )I. Sans ce rôle joué par la littérature et l’art, la nation polonaise, alors privée de toute unité nationale, n’aurait pas pu rester vivante et consciente.

L a littérature et l’art ont participé aux luttes pour l’indépendance, encourageant et soutenant les insurrections armées. Les paroles de l’hymne national, devenu hymne officiel de l’lhat polonais, datent de 1797 : (( L a Pologne n’est pas morte tant que nous vivons. D Nous D, c’est-à-dire les masses populaires. Ce chant, composé sur une mélodie populaire, une mazurka, était chanté par les soldats polonais luttant aux côtés de Napoléon.

L’historiographie et la sociologie polonaises modernes reconnaissent pour véritables maîtres d’histoire non pas les spécialistes versés en cette matière, mais les poètes romantiques polonais c o m m e A d a m Mickiewicz (1798-1855) et Juliusz Slowacki (1809-1849), les romanciers c o m m e Henryk Sienkiewicz (1846-1916), prix Nobel de littérature en 1905, et le peintre Jan Matejko (1838-1893). Il faut souligner ici le caractère particulier du romantisme polonais, dont les valeurs idéologiques étaient distinctes de celles du courant romantique dans les autres littératures. Ce sont les écrivains romantiques qui, conjointement avec d’autres créateurs de m ê m e

~

37

Le développement de la création artistique

envergure, c o m m e Frédéric Chopin (1810-1849), ont façonné l’imagination du peuple, tant du point de vue idéologique qu’artistique.

Ce conditionnement historique de la littérature et de l’art polonais explique l’hermétisme de nombreux ouvrages poétiques et surtout de pièces de théâtre datant du romantisme polonais ou de l’époque de la (( Jeune Pologne n (à la limite des X I X ~ et X X ~ siècles), telles que Les ai’eur, de Mickiewicz, ou les drames de Stanislaw Wyspianski (1869-1907). Ces œuvres, intimement liées à l’histoire mouvementée de la Pologne et à la complexité psychique de la nation, sont souvent mal comprises et, partant, peu connues à travers le monde. Et, si on ne les connaît pas, on ne peut apprécier à leur juste valeur certains auteurs contemporains qui, d’une part, s’opposent à cette tradition et, d’autre part, lui obéissent parfois admirablement, c o m m e le cinéaste Andrzej Wajda.

Ce rôle particulier de la littérature et de l’art polonais dont noua venons

Ils remplaçaient, dans de nombreux domaines, le pouvoir national inexis- tant. Ils entretenaient des relations avec l’Europe des lettres et prêchaient les idées du progrès social ; en exil, ils exerçaient des activités politiques.

Cyprian Kamil Norwid (1821-1883), poète, dramaturge et plasticien, est, parmi les artistes les plus éminents du XIX~ siècle, celui dont la pensée philosophique et esthétique, s’exprimant par le langage difficile, novateur, de la poésie, est la mieux comprise et la plus appréciée à notre époque - et ce aussi bien en Pologne qu’à l’étranger. Norwid rattachait la lutte pour la liberté aux luttes pour la transformation de la société. Son patriotisme avait un caractère universel. Le bonheur de la patrie est proportionnel au bonheur de l’humanité », écrivait-il.

Son attitude idéologique se rapprochait de celle de Chopin, de Slowacki, et de Mickiewicz, qui proclamait, en 1849, dans La tribune des peuples, paraissant en français à Paris : (( Les nations s’épanouissent et ont droit à la vie dans la mesure seulement où elles servent le genre humain par le soutien ou la défense d’une noble idée ou d’un sentiment sublime. ))

Un principe important de la politique culturelle de la Pologne populaire est que les découvertes et les réalisations scientifiques et techniques peuvent et doivent devenir le patrimoine de l’humanité tout entière. En revanche, dans le domaine culturel et artistique, chaque peuple doit tendre à conserver sa propre personnalité, le caractère et le style individuels de sa création, son propre modèle culturel. Car seules des cultures artistiques distinctes, nées des plus anciennes sources nationales, formées par l’histoire, les mœurs, l’imagination et le génie créateur d’une nation, peuvent présenter de l’intérêt pour les autres peuples. Norwid écrivait à ce propos : Chaque nation accède à l’art par une voie différente ; chaque fois qu’elle suit la m ê m e voie que les autres, ce n’est point elle qui aboutit à l’art, mais l’art qui descend jusqu’à eile, et c’est une plante exotique ... ))

Quelques mots encore à propos de cette idée de Norwid, qui a servi de fondement à la politique culturelle de la République populaire de Pologne.

I de parler conférait aux créateurs le rang de pasteurs », de chefs spirituels.

38

Le développement de la création artistique

Dans son œuvre politique, qu’il publia, bien qu’il fût lui-même en exil, dans les journaux paraissant en Pologne, Norwid fut le précurseur de la philo- sophie du travail. I1 prêchait l’alliance du labeur ouvrier avec l’art et considérait la création artistique c o m m e un travail chargé de responsa- bilités, un travail libre, planifié, réfléchi, conscient de ses buts éminemment humains.

Les idées que Norwid exprimait dans sa poésie philosophique et mora- liste ont été développées et répandues en Pologne par les écrivains et les sociologues marxistes. Leur mise en œuvre s’accomplit dans l’édification du socialisme. L‘idée du travail parfait - qu’il s’agisse d’un travail demandant un effort physique ou d’une activité spirituelle -, celle des liens unissant la peine physique et l’imagination créatrice inspirent les milieux artistiques et particulièrement les écrivains et les artistes, ainsi que les milieux du cinéma, du théâtre et de la télévision. L a révolution scientifique et technique favo- rise la transformation du travail productif en travail créateur.

Telles sont les raisons pour lesquelles les dirigeants politiques du Parti ouvrier au pouvoir en Pologne, tenant compte des expériences assez peu heureuses faites au début des années cinquante, laissent aux créateurs la pleine liberté du choix de leurs moyens de travail, tout en leur assurant une protection. Cette liberté favorise le mouvement des idées et entretient une discussion littéraire et artistique constante. Elle permet aussi de satisfaire des aspirations et des besoins variés. &idemment, la prolifération des inventions novatrices, l’exubérance des recherches expérimentales risquent d’entraîner l’artiste dans une impasse et de vider les œuvres de toute valeur authentique. Les milieux artistiques et surtout les auteurs, les critiques et les consommateurs culturels s’attachent à rectifier ces déformations et ces altérations.

Dans le cadre de l’unité nationale et de la communauté d’intérêts de la société et de l’gtat, les auteurs et les destinataires de la culture ont égale- ment conscience de la responsabilité civique qu’implique leur participation au façonnement d’une société nouvelle et de son destin. D e ce fait, la poli- tique culturelle ne saurait admettre les œuvres hostiles au socialisme, et la préférence est accordée aux réalisations dans lesquelles se trouvent réunis un niveau artistique élevé et l’idéologie, universellement admise, de l’huma- nisme socialiste.

39

Le nouveau statut social de l’artiste

Les événements historiques ont entraîné une modification du statut social de l’écrivain et de l’artiste en Pologne, ce qui se traduit parfois par des drames intérieurs et des conflits avec le monde extérieur.

Le rôle de pasteurs, de consolateurs des âmes, de chefs spirituels qui leur était naguère échu a pris fin en 1918, au lendemain de l’indépendance recouvrée (bien qu’Ignacy Paderewski, grand patriote et pianiste éminent, se soit vu confier la charge de premier ministre). En dépit du fait que leur ancienne fonction d’organisateurs de la vie politi ue nationale était désor- mais partiellement assumée par les institutions d’ H tat, certains écrivains et artistes restèrent cependant fidèles à leurs traditions romantiques et à leurs anciennes ambitions. L a jeune avant-garde, qui regroupait surtout des représentants de la gauche sociale, propageait un art révolutionnaire par son contenu et parfois exagérément novateur dans sa forme, le considérant c o m m e le meilleur moyen de rapprochement international des mouvements sociaux de travailleurs. Pour la littérature polonaise et surtout les arts plas- tiques, le théâtre et m ê m e la musique, la période comprise entre les deux guerres mondiales se caractérise par les victoires alternées de différents cou- rants, que déterminait notamment l’influence des individualités créatrices.

L’année 1932 peut être considérée c o m m e un tournant dans l’histoire de la création polonaise - surtout littéraire - car c’est alors que parurent les premières œuvres déclarant une guerre acharnée au fascisme européen et révélant la menace d‘un nouveau conflit mondial. Nombreux sont les écri- vains et les artistes polonais qui, embrassant les idéaux de la gauche, s’enga- gèrent dans les rangs du Front populaire.

En opposition avec la littérature et l’art traditionnels, qui ne s’étaient pas affranchis des influences intellectuelles de la noblesse et des seigneurs féodaux, on vit se manifester des tendances nouvelles postulant une litté- rature et un art (( prolétariens D et (( paysans D. D e grands écrivains marxistes c o m m e Leon Kruczkowski (1900-1962) et Ignacy Fik (1904-1942) s’éle- vèrent contre les tentatives de simplification des formes culturelles desti-

40

I Le nouveau statut social de l’artiste

, nées aux couches encore socialement désavantagées. (( I1 est ridicule, écrivait Fik, de prétendre que l’écrivain prolétarien doit écrire de manière à se faire comprendre de tous les ouvriers. Au contraire, il faut aboutir à ce que chaque ouvrier soit à m ê m e de comprendre n’importe quelle œuvre littéraire. ))

C’est en automne 1966 que fut convoqué à Varsovie le premier Congrès de la culture polonaisel, manifestation qui constitua le couronnement des célébrations du Millénaire de I’gtat polonais. Ce congrès donna l’occasion de faire le bilan des réalisations culturelles de la Pologne dans le courant de son évolution historique et de la contribution de la République populaire de

un programme d’activités à long terme fondé sur des théories élaborées à partir de l’expérience acquise. Au cours du débat, l’éminent écrivain Jarosiaw Iwaszkiewicz, président de l’Union des h o m m e s de lettres polo- nais, analysant le nouveau rôle historique des créateurs de la culture dans une réalité sociale en pleine transformation, souligna la valeur de la langue dans tout processus culturel. (( C’est à travers le langage, déclara-t-il, que chaque individu en particulier et le peuple tout entier prennent conscience de la culture. C’est la raison de l’importance universelle que revêt la litté- rature dans le développement et la diffusion de cette culture. D’où la res- ponsabilité particulière de l’écrivain à l’égard de ce qu’il écrit, car c’est à travers ce qu’il crée à l’aide du m o t que la nation prend conscience de son existence [...I L a langue polonaise a une tradition héroïque et u n présent révolutionnaire. I1 est de notre devoir d’entourer des plus grands soins son avenir. ))

L a littérature, les arts plastiques et aussi le cinéma polonais ont à leur actif de nombreuses œuvres d’une haute valeur psychologique et philoso- phique et dotées d’une grande force expressive, qui ont mis à découvert le vrai visage du fascisme et dénoncé l’horreur des crimes hitlériens.

L a création littéraire et aussi, mais dans une moindre mesure, la création cinématographique et théâtrale, ainsi que le reportage télévisé se sont inté- ressés aux caractéristiques psychologiques et idéologiques de la nouvelle société en gestation dans le système socialiste. Mais l’écrivain et l’artiste polonais se trouvent en permanence face à des phénomènes sociaux et à des systèmes de valeur nouveaux ; ils sont témoins de la désagrégation des modèles établis ; ils ne peuvent ou ne savent pas toujours comprendre le rythme des mutations, la nature complexe des processus historiques, répondre aux multiples questions qui se posent, surtout dans u n système philosophiquement et politiquement ouvert. Le récit et la description de la réalité ne suffisent pas ; ils ne répondent plus aux besoins du destinataire

I

I Pologne à l’essor de la culture mondiale. Son objet était de mettre au point

~

I instruit et avide de culture. Celui-ci cherche de nouveaux (( experts 1) parmi

1. Voir : Kultwa Polski Ludowej [La culture en République populaire de Pologne], ouvrage collectif publié SOUS la direction de Tadeusx Gaiinski, Varsovie, 1966; et Kongres Kultury Polskiej [Le Congrès de la culture polonaise], documents publiés sous la direction de S. W. Salicki, Varsovie, 1967.

41

Le nouveau statut social de l’artiste

les savants, les sociologues, les psychologues, les économistes et les politi- ciens. L a télévision s’occupe de la façon la plus directe de l’éducation du peuple, de la formation de sa conscience. Tout cela contribue à déprécier le mythe, particulièrement développé autrefois en Pologne, du rôle social de l’écrivain, du poète et du romancier. On voit s’accroître l’importance de cette couche de l’intelligentsia, sage et instruite et, indépendamment de ses qualités professionnelles, exceptionnellement douée, que certains socio- logues appellent (( les intellectuels )) et d’autres (comme le professeur Jan Szczepanski) (( les créateurs ».

En se fondant sur les recherches sociologiques effectuées dans ce domaine, on peut considérer qu’avant la deuxième guerre mondiale quelque 10 O00 personnes appartenaient à cette catégorie ; en 1956, leur nombre s’élevait à plus de 53 000.

Le groupe social des h o m m e s de lettres est celui dont la transformation a été le plus radicale. C o m m e il ressort de l’ouvrage d’Andraej Siciiiskil qui a couronné les travaux de l’gquipe de prospection sociale fonctionnant dans le cadre de l’Institut de philosophie et de sociologie de l’Académie polonaise des sciences, le milieu littéraire se (( stratifie », se divisant en créateurs », regroupés au sein de l’Union des hommes de lettres, et (( spécialistes », employés par les institutions de communication de masse (télévision, radio, presse). Les résultats de l’enquête menée en 1964 auprès de l’Union des hommes de lettres polonais, qui groupe actuellement plus de 1 O00 membres tandis qu’avant la guerre leur nombre s’élevait à 700, ont montré que beaucoup considèrent la rédaction d’un livre de prose ou de poésie c o m m e un travail littéraire créateur, par opposition au travail lié à l’activité des institutions de culture de masse, qui est un travail collectif, parfois de second plan, voire anonyme.

Cet élitisme traditionnel caractérise également les compositeurs et aussi, dans une certaine mesure, les acteurs de théâtre, alors que les plasticiens, eux, y ont renoncé.

On ne saurait passer ici sous silence d’autres aspects particuliers de la psychologie des hommes de lettres et notamment le fait qu’ils pratiquent une discipline artistique des plus difficiles, car ils doivent exprimer à l’aide de mots la complexité du monde contemporain, ses conflits et ses contro- verses idéologiques. En tant que créateurs, ils travaillent individuellement à leurs risques et périls, et vivent donc dans une incertitude économique infiniment plus grande que les membres des autres professions. Tout cela explique l’inquiétude perceptible dans les milieux littéraires.

Les tentatives d‘autogestion des hommes de lettres n’ont pas répondu aux attentes. L’Union des h o m m e s de lettres polonais, dont les tâches

1. Andrzej SICIIISKI, Literoci polscy. Przemiany zawodu na de przemian kultury wspdczesnej [Les hommes de lettres polonais. Les mutations subies par cette profession A la suite des transformations contemporaines], Varsovie/Wroclaw, &ditions de l’Académie polo- naise dea sciences, 1971.

42

Le nouveau statut social de l’artiste

englobent notamment la diffusion culturelle, l’entraide sociale, les relations avec les lecteurs et avec les associations à l’étranger, est la seule organisation de créateurs qui se refuse à assumer des fonctions telles que l’évaluation des créations littéraires de ses membres, le choix et la proposition de candidats pour les prix d’lhat, etc. L‘Union des compositeurs polonais, en revanche, a répondu à la proposition faite en 1954-1955 par le Ministère de la culture et des arts en se chargeant presque entièrement de la programmation de la vie musicale du pays et en assumant le rôle de consultant permanent des pouvoirs publics.

43

La création populaire

Les écrivains populaires

On voit actuellement s’affronter en Pologne plusieurs modèles culturels, hérités du passé par les différentes classes et couches de la société. Ce qui est caractéristique, c’est que la génération la plus jeune de créateurs, celle qui fait son entrée dans la vie culturelle, considère c o m m e particulièrement proches d’elle les traditions culturelles qui remontent aux tout premiers temps de l’atat polonais, c’est-à-dire à une époque où prédominait une culture populaire dont on ne peut nier la valeur. Cette confrontation des modèles culturels avec les exigences toujours croissantes de la civilisation technique soulève de grandes difficultés pour les créateurs, surtout lorsqu’ils ont pour destinataires non pas des groupes sociaux déterminés mais un immense auditoire international. L e développement de la science et de la technique oriente les êtres humains vers le rationalisme. Cela pose des problèmes particulièrement complexes en Pologne, qui a hérité d’une culture aristocratique et terrienne liée au courant gréco-chrétien d’Europe occi- dentale. L a population polonaise est catholique dans sa grande majorité et l’aglise jouit en Pologne d’une grande liberté d’action.

L a création populaire originale, s’exprimant le plus souvent par des chants, des légendes et des proverbes moralistes et humoristiques, qui s’est développée au X I X ~ siècle dans les provinces centrales de la Pologne, a été découverte », scientifiquement étudiée et admise au rang des formes litté-

raires de la création artistique professionnelle. Elle s’est épanouie et subsiste encore de nos jours dans les provinces historiques de la Pologne : sur le territoire de la Silésie tout entière, dans les territoires septentrionaux, en Warmie et en Mazurie. L a population polonaise de ces régions, qui subissait alors la domination allemande et prussienne, était privée d’une élite autochtone. L a création populaire n’y représentait pas seulement l’expression d’un besoin affectif et artistique ; elle influait sur l’attitude morale de la population en exaltant le sentiment national. Elle constituait un

La création populaire

lien avec les provinces mères centrales et freinait la poussée germanisante. Des témoignages caractéristiques de cet état de choses se trouvent dans

les Mémoires des travailleurs. C’est une forme littéraire qui atteint en Pologne une envergure inconnue dans d’autres pays ; stimulée, aujourd‘hui, par des concours, elle est devenue une source d’analyses scientifiques et représente une contribution proprement polonaise à la science et à la culture mondiales.

&idemment, il existe en Pologne, c o m m e dans les autres pays, un genre littéraire dit des Mémoires qui, dès le X V I ~ siècle, a produit des ouvrages remarquables, dont les auteurs se recrutaient principalement soit dans les couches privilégiées de la population, soit parmi les écrivains professionnels. Cependant, le développement de ce genre en tant qu’expression du caractère, des aspirations et des luttes du peuple polonais remonte aux années 1918- 1920, où un sociologue polonais de réputation mondiale, Florian Znaniecki (1882-1958), publia aux Etats-Unis, en collaboration avec le sociologue américain W. J. Thomas, un ouvrage en cinq volumes intitulé The Polish peasant in Europe and America (Le paysan polonais en Europe et en A m é - rique) ; pour la première fois, une recherche sociologique scientifique s’appuyait sur des lettres (au nombre de 764) échangées entre les émigrés et leurs familles restées dans le pays ainsi que sur des Mémoires de paysans. Ce fut un tournant dans la recherche empirique sur les conditions de vie de groupes sociaux déterminés.

A la suite d’une initiative du professeur Znaniecki, un Institut de socio- logie fut créé à Poznan en 1921, qui disposa des le début d’une vaste collection de Mémoires biographiques dus à des travailleurs.

L a bibliographie de ce genre littéraire en Pologne englobe, jusqu’en 1928, 5 O00 titres imprimés et 1 O00 manuscrits, et, pour la période allant de 1929 à 1964, elle comporte plus de 10 O00 Mémoires imprimés.

Les auteurs de Mémoires se recrutent, en Pologne, parmi des groupes professionnels nouveaux et notamment parmi les colons des territoires occi- dentaux, la jeune génération marquée par l’occupation et qui a fait l’expé- rience de l’édification du socialisme, les travailleurs des régions rurales et industrialisées. L a sincérité, la spontanéité avec lesquelles ils racontent la grande aventure intellectuelle et affective qu’est l’entrée de la personnalité humaine en gestation dans un monde inconnu et compliqué confèrent par- fois à leurs œuvres une valeur artistique exceptionnelle. Il n’est donc pas étonnant que le théâtre, le cinéma, le reportage, la télévision empruntent leurs sujets à ce genre littéraire populaire. L e professeur Jósef Chalazifiski dirige actuellement la publication d’une série en dix volumes intitulée (( Mlode pokolenie wsi Polski Ludowej )) (La jeune génération rurale en République populaire de Pologne) et englobant 5 500 auteurs.

U n e société des amateurs de Mémoires, à caractère bénévole, a été ins- tituée en 1969. Elle bénéficie de l’étroite coopération de savants, de militants politiques, de créateurs et d’auteurs de Mémoires. Elle publie un bulletin périodique.

45

La création populaire

Les artistes populaires

Un des objectifs de la politique culturelle de la Pologne a toujours été de préserver les monuments de la culture et de l’art populaires et de créer un climat de respect à l’égard tant du patrimoine que des formes actuelles de la création populaire. Notre littérature et notre art, dans leurs manifesta- tions les plus parfaites - et ici les noms d‘Adam Mickiewicz et de Frédéric Chopin sont suffisamment éloquents - ont puisédirectement aux sources de la création populaire. Lacréation artistique professionnelle, en Pologne, s’inspire constamment de la création populaire originale et des coutumes populaires.

A la suite des transformations qui se sont opérées dans les campagnes, on a vu s’amorcer, dès la fin du X I X ~ siècle, un déclin de la culture et de l’art populaires. Les changements socio-économiques profonds s’accomplissant en Pologne, le développement d’une culture nationale moderne auraient pu réduire à néant la culture populaire si des décisions administratives et éco- nomiques n’avaient été prises pour protéger le patrimoine artistique popu- laire. Dès le début du X X ~ siècle, cette question préoccupait non seulement les responsables culturels mais aussi les savants et les artistes. Avant la guerre, des sociétés chargées de la promotion de l’art populaire fournissaient des instructeurs aux centres ruraux d’art régional et organisaient la vente des produits. Mais l’appui dont bénéficiait cette forme de création de la part de l’fitat capitaliste était infime et, d’autre part, les capitaux privés exerçaient sur elle une influence néfaste.

Aujourd’hui, la protection des vestiges de la culture populaire est assurée par la loi sur la sauvegarde des biens culturels nationaux adoptée par la Diète. Leur rassemblement, leur étude scientifique et leur présentation au moyen d’expositions incombent aux musées ethnographiques et aux sec- tions compétentes des musées généraux. Des recherches scientifiques suivies de publications ont été entreprises, dès 1946, par l’Institut national de recherches sur l’art populaire et sont menées actuellement par les ateliers de l’Institut des arts de l’Académie polonaise des sciences. Les archives de l’ins- titut contiennent une documentation englobant environ 65 O00 pièces d’in- ventaire et sa photothèque renferme 30 O00 photos d‘une très grande valeur. En vertu d’un décret du Conseil d’fitat et grâce à une subvention spéciale accordée par la Diète, on a entrepris la publication des œuvres complètes d’Oskar Kolberg (1814-1890)’ un recueil comptant environ soixante-dix volumes de monographies sur le peuple polonais. Cet ouvrage constituera, en m ê m e temps qu’un document exceptionnel sur cette création populaire que les romantiques considéraient c o m m e ((l’essence m ê m e de l’esprit national »’ un tableau fidèle de la culture sociale et matérielle de la population rurale.

L’ancien art populaire, qu’on peut appeler (( traditionnel », forgeait les besoins artistiques du peuple et s’attachait à les satisfaire. I1 constituait l’expression la plus parfaite et, plus précisément, l’unique manifestation des aspirations et des réalisations artistiques de la communauté. En raison de ce caractère collectif de l’art traditionnel, la création individuelle se trouvait

46

La création populaire

soumise à une évaluation permanente du groupe et c’étaient les goûts et les préférences de la collectivité qui déterminaient - en la freinant - l’enver- gure de la recherche créatrice individuelle, tout en lui offrant, d’autre part, une chance de créer des œuvres de valeur.

evidemment, ce rôle de I’art populaire tel que l’a analysé Aleksander Jackowskil appartient déjà au passé. L a campagne polonaise d’aujourd’hui s’est radicalement transformée ; il n’est plus de culture populaire distincte et spontanée. Si la tradition de l’art populaire demeure vivante, c’est surtout sous la forme de produits artistiques le plus souvent signés du n o m d’un artiste populaire. Jackowski fait à ce sujet la constatation suivante : (( L’art populaire de caractère traditionnel sert‘ presque exclusivement à satisfaire les besoins de la ville ; il n’est pas destiné à l’usage propre du créateur et c’est là ce qui différencie essentiellement la situation actuelle de l’ancienne. Autrefois, les collectivités locales veillaient à la pureté )) de sa création, à sa conformité avec les principes traditionnels. Ce rôle est assumé aujour- d’hui par les commissions ethnographiques [...I Ce sont donc des gens de l’extérieur qui désormais protègent les formes traditionnelles de l’art popu- laire, éliminant les solutions non traditionnelles m ê m e si elles correspon- dent aux goûts actuels des habitants des campagnes 2... ))

Dès la fin de la seconde guerre mondiale, le Ministère de la culture et des arts a entrepris d’organiser la protection des artistes populaires et des centres de création populaire. Cela a permis de déterminer le potentiel en matière de création, d’assurer aux artistes une aide sous forme de bourses, d’organiser des concours et des expositions, de fournir aux centres régionaux les matières premières et les équipements nécessaires. Entre 1947 et 1965, 815 expositions et concours d’art populaire, financés par le Ministère de la culture et des arts, ont eu lieu en Pologne et plus de 50 dans des pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie.

En ce qui concerne la diffusion de la création artistique populaire et sa protection économique (conditions de travail dans les ateliers artistiques, achats et ventes des produits de l’artisanat), le rôle principal a été assumé dès 1949 par la Centrale de l’industrie populaire et artistique, la Cepelia (devenue en 1953 l’Union des coopératives de l’industrie populaire et artis- tique), qui s’est acquis une très grande réputation dans le pays et à l’étranger et qui dispose de magasins et de kiosques de vente, notamment à Bruxelles et à N e w York. L a politique artistique de la Cepelia est établie par un conseil artistique formé de représentants du ministère, de l’Union des plas- ticiens polonais et des coopératives, auxquels viennent se joindre d’éminents spécialistes en la matière. U n e partie de sa production est de type indus- triel, mais les artistes travaillant individuellement bénéficient d‘un appui

1. Aleksander JACKOWSKI, (( Funkcje sztuki ludowej i twórczohi niezawodowej w naszej kulturze )) [Les fonctions de l’art populaire et de la création non professionnelle dans notre culture], dans : Tradycja i wspólczesnoié [Tradition et contemporanéité], p. 168, Varsovie, Institut des arts de l’Académie polonaise des sciences, 1970.

2. A. JACKOWSKI, op. cit., p. 170 et 171.

47

La création populaire

particulier. Ajoutons que la Cepelia organise dans les campagnes des acti- vités culturelles et éducatives. Elle finance plus de 100 ensembles artis- tiques régionaux et éducatifs, groupant 5 O00 membres, qui cultivent le folklore populaire le plus traditionnel (musique et danse).

Les artistes populaires et les artisans étaient plus de 2 O00 en 1970, sans compter les poètes populaires, causeurs et chanteurs, qui publient leurs œuvres dans les suppléments spéciaux de certaines revues périodiques. Les plus importants groupements d’artistes populaires se trouvent dans les pro- vinces centrales de la Pologne et particulièrement dans la région de Cracovie, les plus petits, dans quelques voïvodies des territoires occidentaux où, l’ancienne population autochtone ayant été anéantie, c’est la population venue de l’extérieur qui en assure la gestion. Des sociologues et des ethno- graphes en ont conclu que l’un des facteurs déterminant le caractère durable de l’art populaire est la tradition du Lieu. L e repeuplement de ces voïvodies à l’époque des grandes migrations s’est effectué en transplantant des villages entiers des provinces centrales et orientales. Ceux-ci ont gardé leurs carac- téristiques : langue (patois régional), coutumes, rites, anciens modes de relations entre voisins, mais leur capacité de création plastique a disparu. On présume que le changement d’habitat étouffe l’imagination plastique.

Sur 2 O00 artistes populaires, les plus nombreux sont ceux qui pratiquent le tissage artistique (298) ; viennent ensuite les céramistes (234) et les sculpteurs (176) ; les moins nombreux sont les peintres, qui constituent un groupe de 49 personnes seulement.

Les crèches traditionnelles de Noël sont l’œuvre de 62 artistes, sculpteurs et peintres. On cultive, en outre, l’art de la cuisson des pâtes. Quelques artistes populaires sont membres d’associations d’artistes ; certains se sontvuaccorder par l’gtat de hautes décorations pour leurs activités sociales et artistiques.

Les pronostics à long terme formulés par les sociologues et les historiens au sujet de la création populaire ne sont pas encourageants. Néanmoins, l’art populaire reste une puissante source d’inspiration dans toutes les dis- ciplines artistiques. Non seulement les ensembles professionnels tels que Marowsze et Slask mais aussi certains secteurs de l’enseignement artistique ou de l’industrie continuent d’y puiser.

En ce qui concerne le tissage artistique polonais contemporain, qui est apprécié dans le monde entier, les modèles en sont élaborés notamment par l’Académie des beaux-arts de Varsovie et par les centres des arts plastiques professionnels de Gdansk et d’Olsztyn, à partir de découvertes sur l’art du tissage dans plusieurs régions rurales. A la suite d’une initiative du pro- fesseur W a n d a Telakowska, qui a dirigé pendant de nombreuses années les expériences menées à l’Institut d’esthétique industrielle, des motifs popu- laires ont été appliqués dans la fabrication de produits industriels1.

1. Voir Wanda TELAKOWSKA, (( Próby wlaçzenia twórczolci ludowej do wzornictwa przernyslowego )) [Tentatives en vue d’introduire la création populaire dans l’esthétique industrielle], dans : Polska Sztuka Ludowa [L’art populaire polonais], p. 3, 1953.

48

5. Sculpture spatiale, à Elblag. (Photo CAF, Varsovie.)

6. Un artiste populaire au travail. (Photo CAF, Varsovie.)

7. L a traditionnelle Fête de la moisson a été rétablie en Pologne. A Opole (1971) la (( couronne de la moisson )I est offerte aux dirigeants politiques. (Photo CAF, Varsovie.)

L’aide de l’État et des institutions

sociales à la création

Aux termes des engagements découlant du Manifeste de Juillet proclamé le 22 juillet 1944 par le Comité de libération nationale, et conformément aux garanties énoncées dans la Constitution polonaise, l’État et les organisations sociales patronnent l’ensemble de la vie culturelle du pays. En vertu de la loi, c’est le ministre de la culture et des arts qui, par l’entremise de son ministère et de la Commission centrale de coordination, dirige et coordonne les activités des organismes centraux directement chargés du développe- ment culturel (Ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur, Ministère de la défense nationale, Ministère des affaires étrangères, Comité pour la radiodiffusion et la télévision, Comité central pour la culture phy- sique et le tourisme, etc.) et d’autres institutions telles que les syndicats, les associations de créateurs, les organisations de jeunesse et autres organisa- tions de masse, les coopératives, etc.

Cette aide profite dans une m ê m e mesure aux créateurs et aux consom- mateurs de biens culturels ; elle vise à maintenir l’équilibre entre les intérêts de l’individu et de la communauté, étant entendu que la priorité est accordée à l’intérêt social.

L’histoire a connu diverses formes de mécénat artistique. L a forme classique du mécénat de la Renaissance italienne, empruntée à l’ancienne Rome, était une institution juridique engageant les deux parties contrac- tantes, le protecteur et l’artiste. L’artiste mettait son talent tout entier au service du mécène ; celui-ci lui assurait des garanties matérielles (entre autres une rétribution fixe), morales et juridiques. Ce mécénat à l’égard d‘un artiste choisi s’est ensuite transformé en aide à une création artistique déterminée, à des œuvres concrètes exécutées sur commande ; sa durée était fonction de la durée du travail artistique.

D e nos jours, l’aide socialiste à la création revêt des formes variées, correspondant aux nouvelles conditions de l’économie planifiée et tenant compte du caractère spécifique de la création littéraire artistique et de la

~ psychologie de l’artiste.

49

L’aide de l ’ h t et des institutions sociales

Si l’on considère les interprètes et les acteurs de théâtre c o m m e des créateurs - ce à quoi ils aspirent - on peut dire que la protection dont ils bénéficient est particulièrement bien organisée, du fait qu’ils sont employés par des entreprises d’lhat qui leur assurent tous les droits et privilèges des salariés (sécurité sociale, honoraires supplémentaires, primes, bourses, etc.). Leur rétribution est entièrement à la charge de l’etat, qui témoigne m ê m e parfois d’une indulgence exagérée à leur endroit.

Plus complexe est la situation des créateurs dans les domaines de la littérature, de la musique et des arts plastiques, qui sont groupés en asso- ciations artistiques assumant certaines attributions des syndicats en ce qui concerne la représentation des intérêts sociaux de leurs membres. Dans leur cas, les formes d’aide sont diversifiées, mais certainement insuffisantes, car les besoins culturels croissants de la société dépassent les crédits affectés à la culture. E t cela en dépit du fait que la politique culturelle de l’etat vise à assurer l’épanouissement harmonieux de tous les secteurs de l’économie nationale.

Les enquêtes effectuées dans les milieux artistiques ainsi que les recherches faites par les historiens et les économistes de la culture prouvent que, par rapport à la période de l’avant-guerre, les conditions matérielles de vie des artistes se sont considérablement améliorées, surtout dans certains secteurs des arts plastiques étroitement associés au façonnement de l’envi- ronnement humain ou coopérant avec l’industrie. Ainsi, dans le domaine de l’affiche, la création s’est affranchie des exigences de la publicité et du capital privé, en s’assurant les moyens de s’exprimer librement sur tous les sujets. On note aussi une amélioration sensible de la situation des compositeurs de musique sérieuse et c’est là qu’il faut chercher les raisons de la position ori- ginale et importante qu’occupe la musique polonaise dans le monde. Pour ce qui est des hommes de lettres, une enquête faite en 1929 avait révélé que 16 7’ d’entre eux trouvaient leur source principale de revenus dans la litté- rature ; d’après les résultats de l’enquête réalisée en 1964, 33 % environ vivent aujourd’hui de leurs activités littéraires.

En vue d’encourager les créateurs, des crédits pour l’octroi de bourses, administrés directement par les associations d’artistes, sont inscrits annuel- lement a u budget du Ministère de la culture et des arts ; des bourses plus importantes et à long terme peuvent être octroyées par le ministère, sur la base des demandes que lui adressent les artistes eux-mêmes et qu’évalue au préalable une commission instituée par les associations dont ils font partie.

L’Union des compositeurs polonais est l’organe dont les pratiques rappellent le plus fidèlement le mécénat de la Renaissance. Elle évalue, par l’entremise de sa commission, le sens et l’utilité du projet de composition musicale soumis par le candidat, contrôle ses progrès dans le travail et peut même, si besoin est, suspendre la bourse ; elle étudie l’œuvre achevée et, si le résultat de cette analyse est positif, elle propose au ministère de s’en rendre acquéreur (un supplément venant alors s’ajouter au montant de la bourse). Elle publie des partitions à l’aide des crédits de l’lhat, attribue des

50

L’aide de l’gtat et des institutions sociales

bourses et verse des honoraires aux auteurs de livrets ou de traductions de livrets étrangers et, ce qui est encore plus important, elle veille, par I’entre- mise de ses propres agences de propagande, à faire inscrire les ouvrages de qualité au répertoire des institutions musicales et s’occupe de les faire connaître à l’étranger. Quant aux compositeurs, m ê m e lorsque leurs œuvres sont acquises par le ministère, ils continuent de percevoir des bénéfices sur les droits d‘exécution. Avec l’aide du ministère, l’Union des compositeurs polonais a institué des festivals de musique polonaise contemporaine, dont L’automne de Varsovie, et elle publie des revues.

Pour les écrivains candidats à une bourse, la commission compétente se contente d’une description générale de l‘œuvre ; les progrès de l’œuvre ne sont pas contrôlés et le boursier n’est pas tenu ensuite de rendre compte de l’utilisation de sa bourse. Des demandes de bourses peuvent être faites, en outre, par les maisons d’édition qui tiennent à ce que soit rédigé sur com- mande un ouvrage donné dont la préparation entraîne des frais spéciaux.

En outre, des bourses sont octroyées par le Conseil central des syndicats en vue de l’élaboration d‘une œuvre dont l’auteur aborde des problèmes intéressant l’industrie de production. Au cours de ces dernières années, le fonds de bourses a été accru au moyen de taxes prélevées sur les éditions d‘œuvres classiques. Les bénéfices perçus sur les œuvres qui ne sont pas protégées par le droit d‘auteur sont versés à un fonds littéraire spécial.

En vertu de la loi sur le droit d’auteur (1952)’ tout travail créateur est rétribué, quelles que soient ses dimensions et sa qualité. L e montant des honoraires dépend de la valeur de l’ouvrage, de l’effort qui y a été investi et de son utilité sociale. Dans le cas où une œuvre fait l’objet de multiples éditions, on applique un taux dégressif justifié par le fait qu’elle ne nécessite pas un nouvel effort créateur. Certains ayant fait valoir récemment que les auteurs d’œuvres de valeur devraient avoir droit à une récompense finan- cière spéciale, on prévoit de leur verser des honoraires supplémentaires qui seront prélevés sur le fonds qu’alimentent les taxes sur les éditions d’œuvres classiques. Autre détail : une maison d’édition peut, au moment de la signa- ture du contrat préliminaire avec un auteur, lui verser une avance de 25 % des honoraires calculés en fonction du nombre de feuilles d’imprimerie.

L’Gtat et les organisations sociales aident aussi les créateurs en orga- nisant des concours et en décernant des prix, dont le plus important, le prix d’État, est accordé par le Comité des prix d’État. L e Prix artistique du Ministre de la culture et des arts est décerné tant à des œuvres dont la valeur est reconnue par le grand public qu’à des recherches d’avant-garde. L e Ministre de la défense nationale, le Conseil central des syndicats, les conseils du peuple des voïvodies et des vaes décernent également des prix de création artistique. Les prix accordés par les périodiques socio-littéraires désireux de signaler à l’attention les ouvrages abordant des problèmes sociaux d’actualité jouissent également d’un grand prestige.

Au cours de la dernière décennie, des initiatives intéressantes ont été prises par de grandes entreprises industrielles. Citons, à titre d’exemple, les

51

L’aide de l’etat et des institutions sociales

Entreprises de l’azote, à Pulawy, qui ont organisé, sur l’initiative des ingé- nieurs et des ouvriers, un symposium réunissant des plasticiens et des savants et consacré à la question de la fonction et des formes de l’art dans un monde en pleine évolution technologique. Les Entreprises de l’azote emploient à titre permanent un groupe de diplômés de l’lhole supérieure nationale du théâtre qui ont créé un théâtre expérimental faisant appel aux ouvriers. L’entreprise Zamech, d’Elblag, une des plus grandes usines polo- naises de machines et d’appareils mécaniques, a invité des plasticiens à décorer la ville en reconstruction et leur a fourni les matériaux nécessaires à cette fin. En 1965, Zamech a pris l’initiative de patronner la première Biennale européenne des formes spatiales, qui réunit 50 artistes polonais et étrangers.

D’une année à l’autre, de plus en plus d’écrivains mais aussi de compo- siteurs et de plasticiens travaillent dans les institutions et les entreprises d’fitat. Les raisons de cet état de choses sont, pour une part, d’ordre éco- nomique. Le sociologue polonais Jan Sxczepabskil écrit à ce sujet : Alors que le XIX~ et le début du X X ~ siècle ont vu l’artiste se détacher de la communauté et s’isoler en adhérant à des groupes fermés d’initiés, la seconde moitié du X X ~ siècle est témoin de la désagrégation de ces groupes et de la pénétration des intellectuels dans les institutions, les bureaux, les groupes et les organisations professionnelles, les établissements sco- laires, etc., à la recherche d’une situation économique satisfaisante. n En outre, cette tendance s’explique par le besoin psychique et intellectuel des créateurs de s’engager activement dans le système politique et économique national.

Tous les travailleurs polonais sont membres, s’ils le désirent, de syn- dicats c( industriels », qui ont pour tâche d’agir en faveur d’une amélioration permanente des conditions de travail et de la situation des travailleurs, tout en veillant à la mise en œuvre des plans économiques. Parmi les syndicats qui représentent les travailleurs culturels professionnels, signalons le Syn- dicat des travailleurs de la culture et de l’art, le Syndicat des travailleurs du livre, de la presse et de la radio et, dans un certain sens, le Syndicat des enseignants polonais et le Syndicat des travailleurs polygraphes.

Les milieux artistiques sont groupés, on l’a vu, en associations de créateurs dont la structure et le dynamisme interne sont variables. Elles ne disposent pas, c o m m e les syndicats professionnels, d’un organe coordinateur ou exécutif commun. Elles n’ont d’autres revenus que les cotisations, d’ailleurs très modestes, de leurs membres, car elles ne possèdent pas d‘entreprises propres et, en vertu de décisions datant de 1956, ne peuvent diriger de périodiques ou de publications. Dans le cadre de la politique culturelle, elles sont les partenaires directs du Ministère de la culture et des

1. Jan SZCZEPA~SHI, (( Inteligencja a pracownicy umyalowi N [L’intelligentsia et les tra- vailleurs intellectuels], Przeglqd socjologiczny (Revue sociologique), t. XIII, 1959, no 2, p. 20.

52

L’aide de l’fitat et des institutions sociales

arts, qui subventionne et coordonne leurs activités à l’échelon national par l’entremise des commissions interdisciplinaires ou du Conseil de la culture et des arts.

Les associations artistiques existant actuellement en Pologne sont les suivantes : l’Union des hommes de lettres polonais (ZLP), l’Union des plasticiens polonais (ZPAP), l’Union des compositeurs polonais (ZKP), l’Association des architectes polonais (SARP), l’Association des artistes polonais du théâtre et du film (SPATIE), l’Association des cinéastes polo- nais, l’Association des journalistes polonais (SDP), l’Union des auteurs et compositeurs de musique légère (ZAKR) et l’Union des artistes photo- graphes polonais. Les membres de ces associations qui n’ont pas d’emploi fixe bénéficient tout de m ê m e de la sécurité sociale, y compris l’assurance vieillesse. U n e section polonaise du Pen-Club a été constituée en 1924.

L a représentation et la protection des créateurs polonais groupés dans leurs associations respectives sont assurées depuis 1918 par l’Association des auteurs (ZAIKS) ; de concert avec le Ministère de la culture et des arts, elle se charge du financement des activités de l’Agence des auteurs, qui représente et diffuse à l’étranger les œuvres produites dans tous les domaines - y compris le domaine scientifique - de la création polonaise. Toutes les associations d‘artistes coopèrent avec leurs homologues à l’étranger et sont membres d’organisations internationales patronnées par l’Unesco.

53

Le livre et les bibliothèques

Les années de guerre et d’occupation ont infligé au livre polonais des pertes considérables. Les bibliothèques ont perdu 85 yo des livres qu’elles possé- daient, les collections privées 70 % environ. Les pertes en livres que la Pologne a subies pendant les six années de guerre dépassent le total des livres détruits dans l’Europe tout entière au cours des deux cents ans qui ont précédé le déclenchement des hostilités. Pourtant, en automne 1944, alors que les nazis incendiaient la capitale jusque dans ses fondations (rien que dans la bibliothèque des Krasinski, 50 O00 manuscrits d’une inestimable valeur furent réduits en cendres), Lublin, libérée et déjà socialiste, voyait naître des institutions et des maisons d’édition nouvelles.

Le livre a toujours été et continuera d’être le fondement du savoir, particulièrement en matière d’éducation et de science. C’est sur le livre qu’ont été fondées, au cours des vingt premières années de 1’Etat populaire en Pologne, la reconstitution de la continuité historique de la culture nationale et l’intégration sociale de la nation dans le cadre du nouveau système. En outre, le livre - tant de littérature proprement dite (les livres pour enfants et adolescents représentent presque 30 yo de la production totale de livres) que de littérature socio-politique (dont la demande va croissant) - joue u n rôle de premier plan dans la formation de la person- nalité et des attitudes sociales. Le livre scientifique constitue le facteur le plus important de la révolution scientifique et technique.

Les premières décisions prises par la nouvelle république populaire ont attribué à l’etat (et aux coopératives dont il s’assurait la collaboration) la gestion de l’ensemble des activités d’édition. Pour commencer, on entreprit de reconstituer le patrimoine littéraire classique. Un décret émis en 1945 par le Conseil national populaire, qui représentait alors l’autorité suprême de l’etat, définit les caractéristiques d’une édition complète, esthétique et à bon marché, appelée (( édition nationale D, des œuvres de Mickiewicz ; au printemps de 1946, un décret du gouvernement engageait six maisons d’édi- tion à publier en cinq ans des recueils d’œuvres des écrivains les plus émi-

54

Le livre et les bibliothèques

nents. Certaines maisons d’édition privées datant de l’avant-guerre furent dépossédées des droits d’auteurs qu’elles percevaient aux dépens des héri- tiers et des lecteurs des écrivains. En 1947, une décision du Conseil des ministres instituait la fête annuelle du livre, fixée au premier dimanche de mai ; l’intérêt croissant qu’elle a suscité a fait étendre cette manifestation au mois de mai tout entier, qui est devenu, dès lors, le mois des kermesses du livre (en 1970 il y a eu 5 840 kermesses, dont plus de 1 O00 à la cam- pagne), des foires internationales, des expositions, des rencontres d’écrivains et de lecteurs. L’énorme soif de livres s’en est trouvée dans une très large mesure apaisée. On a reconstitué les équipements des bibliothèques, et la lecture s’est développée à un rythme sans précédent.

Cependant, après cette phase de reconstruction, la Pologne connaît aujourd’hui une véritable pénurie de livres. Les raisons de ce phénomène sont surtout d‘ordre matériel : investissements insuffisants ; carences per- manentes de l’infrastructure de l’industrie (( polygraphique », c’est-à-dire de l’industrie du livre et de l’industrie auxiliaire qui assume partiellement l’impression de la presse, et ce en dépit de la priorité accordée à son déve- loppement dans les plans d’investissements du Ministère de la culture et des arts ; production insuffisante de papier.

Un fait, cependant, incite à l’optimisme. En 1970, un décret du Conseil des ministres a créé une Union des entreprises d‘édition. L’union est placée sous la supervision du ministre de la culture et des arts, qui est chargé de coordonner la politique en matière d’édition et de production de livres avec les activités de l’industrie du livre, laquelle relève également de sa compétence, et avec celles du réseau de librairies réunies dans l’entreprise D o m Ksiazki. L’Union des entreprises d’édition groupe 19 maisons d‘édition d’fitat et 3 coopératives d‘édition, qui, jusque-là, relevaient directement du Ministère de la culture et des arts ; elle est devenue une entreprise pilote par rapport aux autres entreprises d’édition contrôlées par des organismes scientifiques, des institutions scientifiques ou des organisations sociales (par exemple, l’Institut catholique d’édition PAX).

Un décret du Conseil des ministres stipule que l’union a pour tâche essentielle de créer les conditions d‘une mise en œuvre rationnelle du plan national d’édition approuvé par le ministre de la culture et des arts. L’union remplit les fonctions suivantes : amélioration du programme d‘édition et de production des livres en relation avec le programme de développement social et économique du pays ; mise en œuvre d’un plan d’édition conforme aux besoins sociaux ; développement de la capacité d’organisation écono- mique des entreprises qu’elle groupe ; création de conditions favorables au perfectionnement des techniques d’édition ; établissement de principes homogènes de planification dans le domaine de la production des livres ; Stimulation des recherches sur les besoins en matière de lecture ; coordi- nation et stimulation des initiatives visant à adapter la production des livres à la capacité de production de l’industrie (( polygraphique 1) et organisation du commerce de livres.

55

Le livre et les bibliothèques

Pendant longtemps, on n’a pas accordé beaucoup d’intérêt à l’économie du secteur des éditions ni à la question de la rentabilité ou du déficit des maisons d’édition. L a question des bénéfices ne constitue pas, non plus, un problème particulièrement important dans le cadre de l’union, mais l’éco- nomie des entreprises qu’elle groupe doit être rentable dans son ensemble.

L a politique d’édition en Pologne a pour objectif non pas de satisfaire les goûts du lecteur ou la mode, ce gui peut être rentable, mais de former ces goûts, de stimuler des besoins et de les satisfaire. Dans nombre de cas, le tirage des livres - littéraires, socio-politiques, scientifiques ou de réfé- rence - est épuisé au bout de quelques semaines. I1 ressort de rapports sur l’activité des librairies que 85 à 88 yo en moyenne des livres sont épuisés dans le courant de l’année m ê m e de leur parution. Pour certains groupes bibliographiques, les pourcentages obtenus sont encore plus éloquents : 99 % pour les encyclopédies, 99 % pour les annuaires scientifiques, 98’3 % pour les livres destinés aux enfants et adolescents et 96’6 % pour les ouvrages littéraires. L a continuité de la vente ne peut donc pas être assurée, d’autant qu’on se heurte à de sérieuses difficultés, découlant de la structure économique et technique de l’industrie polygraphique, en ce qui concerne les rééditions s’étalant sur un an et parfois m ê m e sur plusieurs années. L a production de livres a atteint 116 millions d’exemplaires en 1970. Les plans d’investissements prévoient l’accroissement de la capacité de production de l’industrie polygraphique, qui produira 175 millions d’exemplaires en 1975 et 214 millions en 1980.

Le niveau d’instruction de la population, le caractère scientifique de toutes les professions, la coopération internationale dans tous les domaines, l’influence positive des moyens de communication de masse (presse, radio, télévision), tout cela contribue à éveiller le besoin de lecture et à stimuler la demande de livres de tout genre.

Le problème le plus important qui se pose actuellement dans le domaine de la politique des éditions est celui de la solution des controverses autour de la question suivante : quelle doit être la dominante des activités dans ce secteur ? Est-ce l’augmentation des tirages ou l’accroissement du nombre de titres ?

En dépit de nombreuses difficultés, le secteur des éditions peut se pré- valoir de réalisations importantes d’intérêt international. Citons, par exemple, la série véritablement novatrice intitulée Biblioteka Klasyków Filozofii n (La bibliothèque des philosophes classiques). L a seconde place parmi les pays socialistes, après l’URSS, est détenue par la Pologne pour la production des dictionnaires. Enfin la coopération entre des plasticiens et les auteurs de livres pour enfants et pour la jeunesse s’est soldée par d’intéressantes innovations.

L a proposition faite par l’Unesco à l’occasion de l’Année internationale du livre (1972), concernant l’institution dans les lhats membres de prix destinés à récompenser les livres les mieux édités, est mise en pratique en Pologne depuis plus d‘une dizaine d’années déjà, grâce à un système de distinctions et de stimulants matériels.

56

Le livre et les bibliothèques

Le développement des bibliothèques en Pologne a obéi à un programme ambitieux et exigeant de multiples sacrifices, dont la réalisation a été soumise au contrôle de divers organismes centraux. En avril 1968, un décret de la Diète a défini les tâches des bibliothèques, la portée de leurs activités scientifiques, idéologiques et éducatives ; les bibliothèques publiques ont été intégrées en un réseau homogène, à l’échelle du pays, relevant, en tant que bien culturel national, du ministre de la culture et des arts.

Le réseau national des bibliothèques est subdivisé en réseaux spécialisés relevant d’institutions diverses ; les principes de leur coopération sont établis par le ministre de la culture et des arts, de concert avec le président du Comité pour la science et la technique, les institutions intéressées et l’Académie polonaise des sciences, qui supervisent aussi leur mise en œuvre.

Le Conseil national des bibliothèques est un organisme consultatif, de caractère interdisciplinaire, composé de 22 représentants d’institutions d’fitat et d’organisations sociales. L a Bibliothèque nationale de Varsovie est l’organe central des bibliothèques de Pologne ; c’est dans le cadre de cette Bibliothèque nationale que fonctionne, depuis 1955, l’Institut du livre et de la lecture, dont les activités englobent les recherches scientifiques et la consultation en matière de bibliothéconomie. L a Bibliothèque nationale supervise les ventes d’imprimés anciens et préserve de l’exportation les spécimens rares. L’Union des bibliothécaires polonais s’occupe également de l’intégration des bibliothèques, d’activités éducatives et de consultation, et de formation des cadres.

Les bibliothèques des organisations sociales, des sociétés scientifi- ques, etc., peuvent être englobées dans le réseau national. Cette mesure a été appliquée déjà par l’Académie polonaise des sciences à certaines biblio- thèques relevant des associations scientifiques. On note une tendance géné- rale à placer sous le contrôle de l’etat les bibliothèques les plus importantes, afin d’utiliser plus efficacement les ressources en livres, de spécialiser les collections, de développer le système de prêts interbibliothèques (qui est d’une importance particulière pour la Pologne vu les pertes subies à la suite des opérations militaires) et enfin d’assurer au mieuxla conservation des livres.

Le système national d’éducation sociale se fonde, en premier lieu, sur un réseau de bibliothèques publiques de base, englobant, en 1969’8 545 biblio- thèques - dont 6 342 installées à la campagne - et 31 368 points de desserte, dont 28 560 en milieu rural ; ces derniers emploient des travail- leurs à titre bénévole et desservent les localités situées dans un rayon de 3 à 5 km. On prévoit la mise en place, d’ici à 1975, de 650 nouvelles bibliothèques ; pour ce qui est des points de desserte, il faudrait en créer encore 10 000. Les collections font l’objet d’une sélection permanente et les ouvrages périmés sont mis hors circuit. Sur commande du Ministère de la culture et des arts, 9 projets types de bibliothèques municipales ont été élaborés puis approuvés par le Ministère du bâtiment et de l’industrie des matériaux de construction. Le coût de ces établissements varie entre 834 O00 et 191 500 zlotys ; des projets d’édifices annexes destinés à contenir les

57

Le livre et les bibliothèques

bibliothèques des maisons de la culture à la campagne ont aussi été pré- parés. Pendant la décennie en cours, les nouveaux édifices de la Bibliothèque nationale et de la Bibliothèque universitaire, qui seront dotés d’un équi- pement moderne, vont être construits.

Selon l’Unesco (1966), la Pologne figure à la sixième place dans les statistiques mondiales pour le nombre de livres par habitant. O n note à cet égard une croissance permanente, la proportion actuelle étant dix fois supé- rieure à celle de 1939 et trente fois à celle de 1945.

Le réseau national de bibliothèques englobe en outre les bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur, qui représentent 0,09 % du nombre total des bibliothèques de Pologne (en 1968 leurs collections repré- sentaient 20 millions de volumes, soit 10,l % du total des livres). S’agissant des manuels scientifiques, il y a un exemplaire pour dix étudiants. Quinze pour cent seulement des collections des bibliothèques scolaires - primaires et secondaires - de l’avant-guerre ont subsisté ; ce sont pour la plupart des livres peu utiles aujourd’hui. La collection d’une école primaire contient en moyenne 2 340 volumes, celle d’un lycée d‘enseignement général 8 847 et celle d’une école professionnelle 5 039 volumes.

Les écoles organisent de nombreux concours de lecture sur des thèmes choisis ; 8 millions d’élèves ont pris part aux concours organisés pendant les six ans précédant la célébration du Millénaire de l’fitat polonais. Jusqu’en 1951, 10 O00 instituteurs avaient reçu une formation de biblio- thécaires. Pour la mise en place d’un réseau de bibliothèques pédago- giques comprenant 347 bibliothèques indépendantes et les 31 O00 sections pédagogiques des bibliothèques scolaires, on a dû repartir de zéro.

E n ce qui concerne les bibliothèques spécialisées, signalons que 1’Aca- démie polonaise des sciences possédait, au 31 décembre 1969, 106 biblio- thèques, dont 5 bibliothèques autonomes, centrales, 70 bibliothèques rat- tachées aux centres scientifiques, et 31 fonctionnant auprès des sociétés scientifiques - soit au total 4 667 940 volumes. La Direction politique centrale de l’armée mène une vaste campagne de lecture dans les unités militaires et les établissements d’enseignement qui lui sont subordonnés ; elle possède 44 bibliothèques scientifiques dont les collections réunissent 1 600 O00 publications de caractère militaire, plusieurs centaines de biblio- thèques spécialisées, et 600 bibliothèques éducatives renfermant au total 741 500 volumes.

U n texte juridique promulgué en 1968 a défini la notion de groupe pro- fessionnel des bibliothécaires, améliorant ainsi le statut de cette profession et soulignant l’importance de la formation spécialisée, secondaire et supé- rieure, dans ce domaine. A l’heure actuelle, 35 yo environ des travailleurs des bibliothèques ont acquis une formation de bibliothécaire qualifié.

Le rapport sur le développement de l’éducation en Pologne, qui sera élaboré en décembre 1972 par une commission nationale d’experts, déter- minera pour les vingt-cinq années à venir les grandes orientations du développement des bibliothèques et de la mise en valeur de leurs collections.

58

Les spectacles

I Selon la définition adoptée par les théoriciens et les critiques du théâtre et du cinéma, la notion de spectacle englobe toutes les variétés de représen- tations théâtrales, le film de fiction et le théâtre télévisé, ainsi que certaines formes d’art se rattachant à l’information, principalement le film documen- taire et le reportage télévisé et radiodiffusé. I1 convient de noter que, dans le domaine de l’art du spectacle et aussi dans celui des arts plastiques, plusieurs définitions du fait artistique sont adoptées, parce que des tempéraments divers peuvent librement s’exprimer à travers des moyens d’expression variés. Et, de m ê m e qu’on ne peut tracer une ligne de démarcation bien nette entre le spectacle et l’information, de même, dans le domaine du film documentaire, on assiste à l‘éclosion d’une jeune génération de metteurs en scène qui voient et interprètent d’une manière non vériste la multiplicité des tendances et des problèmes venant surprendre leur sensibilité.

Le théâtre a toujours été en Pologne un art extrêmement familier à tous, u n art privilégié. En tant qu’institution publique permanente, il a pris naissance en 1765 à Varsovie, mais c’est à Wojciech Boguiawski (1757- 1829)’ dramaturge et artiste issu de la noblesse, que revient le mérite d’avoir fait du théâtre un art social, démocratique, national, engagé dans les luttes d’indépendance. A l’époque des démembrements de la Pologne, le théâtre fut pendant longtemps le seul endroit, avec l’église, où l’on pouvait entendre la langue nationale. D’où les vertus quelque peu mythiques qu’on attribuait à ce théâtre, qui était par ailleurs un théâtre de mœurs réaliste. C’est Cracovie qui, à la limite du XIX~ et du X X ~ siècle, bénéficia des plus grandes libertés ; aussi est-ce à Cracovie qu’a pris naissance - et le mérite en est dû à Stanishw Wyspiaiiski (1869-1907), dramaturge, plasticien et réformateur du théâtre - le théâtre poétique, le théâtre du mot et du symbole.

En 1945, les milieux artistiques donnèrent leur adhésion aux transfor- mations sociales s’opéraient en Pologne et le plus éminent des acteurs, Stefan Jaracz (1883-1945), déclara, lors du Congrès du théâtre : a Le temps

I 59

Les spectacles

est venu où le théâtre peut devenir, dans l’édification de la culture de la nation, une institution semblable à ce qu’est incontestablement l’école dans la formation de la conscience sociale. Pour la première fois dans l’histoire, le travailleur intervient en tant que militant et, s’il réclame d’abord l’apaise- ment de la faim physique, il semble déjà que, bientôt, il réclamera l’apai- sement de la faim de l’esprit. ))

Pendant longtemps, deux formes de théâtre ont coexisté : le théâtre didactique, qui faisait accéder les spectateurs à des émotions intellectuelles, affectives et esthétiques de plus en plus élevées, et le théâtre expérimental, présumant que le nouveau spectateur apporte une imagination fraîche qu’on peut intéresser en lui soumettant des questions sociales et morales complexes au lieu de lui imposer un récit ou de lui décrire des comportements. En définitive, ce qui domine, c’est un théâtre qui traite des problèmes philoso- phiques, sociaux et moraux de la Pologne d’aujourd’hui, un théâtre poétique qui, brisant les schémas rigides, s’adresse directement au spectateur. C’est un théâtre qui, par sa conception même, cherche dans le spectateur un partenaire pour le dialogue.

Des cercles et des clubs des amis du théâtre, regroupés au sein de la Société pour la culture théâtrale, qui publie un bulletin mensuel, Scena (La scène), se constituent auprès des théâtres. L a société s’emploie à pro- mouvoir auprès du grand public un style de théâtre non conformiste, poli- tiquement engagé : elle patronne en outre divers théâtres d’amateurs dont les ambitions se rapprochent de celles du théâtre professionnel. On peut voir ainsi, sur la scène des Artistes du septième jour, des pièces faisant partie d’un répertoire extrêmement vaste, qui va de Sophocle à Ghelderode et Beckett en passant par Mickiewicz. Quant aux théâtres d’amateurs (théâtres ouvriers, ruraux, de jeunes), leur programme obéit à des considérations culturelles et éducatives particulières.

L a protection accordée par l’État aux théâtres professionnels - théâtres dramatiques, lyriques, de marionnettes -témoigne de sa sollicitude à l’égard des créateurs, des interprètes et des spectateurs. Tous les théâtres sont défi- citaires et reçoivent de l’etat des allocations de fonds permanentes et planifiées. Ils relèvent directement des présidiums des conseils du peuple des voïvodies ou des conseils municipaux, qui, dès 1957, en ont assumé la gestion (auparavant, les théâtres relevaient d’une gestion centrale). L e Ministère de la culture et des arts se réserve le droit d’accepter les candidats aux postes directeurs dans les théâtres, le droit de veto sur la composition du répertoire ainsi que le contrôle direct sur les pièces nécessitant des dépenses en devises. L a politique nationale dans le domaine du théâtre est mise en œuvre par le ministère a u moyen de consultations en matière de programme, de concours et de festivals nationaux portant sur des thèmes choisis.

En 1971, il y avait en Pologne 69 théâtres, dont 29 itinérants, desservant de façon permanente une région, 22 théâtres de marionnettes, 9 opéras et 9 théâtres d’opérette. Signalons en outre 19 sociétés musicales (12 philhar-

60

I l Les spectacles

monies et 7 orchestres symphoniques) et 18 (( estrades’ », qui, en 1970, ont donné au total 46 097 représentations artistiques, éducatives et récréatives.

attestent leur ampleur : pour les théâtres dramatiques, le supplément de frais par spectateur qui est couvert par l’État représentait en 1970 le double ou le triple du prix du billet d’entrée.

Les laboratoires et les théâtres (( d’art )) tels que le laboratoire de Jerzy Grotowski, qui proposent une forme et une philosophie de l’art du théãtre

de dotations spéciales. Le laboratoire de Grotowski a fasciné le monde ; de multiples ouvrages lui ont été consacrés.

L’aide de l’État va également aux théâtres d’étudiants, indépendants et spontanés, qui sont placés sous le patronage direct des organisations de jeunesse, et qui jouissent, depuis le début des années cinquante, d’une liberté toute particulière. Ces théâtres se caractérisent par l’authenticité des attitudes à l’égard de la vie. D e nombreuses idées artistiques neuves et audacieuses, des théâtres d’étudiants ont intéressé les théâtres profes- sionnels, dont ils ont renouvelé les conceptions.

C o m m e l’affirment les historiens du cinéma, la culture cinématogra- phique en Pologne était inexistante avant la guerre, et sa contribution à la culture artistique polonaise infime, en dépit des tentatives modestes faites par des groupes d’avant-garde sans recours au capital privé. Le nombre des cinémas était limité dans les villes et nul à la campagne. En vertu d’un décret promulgué en novembre 1945, l’etat assure la gestion du secteur cinématographique.

U n e question très controversée dans les débuts a été celle de la primauté du contenu du film. Au cours des discussions qui ont eu lieu, dans les années quarante, entre créateurs et critiques, l’idée a prévalu que l’objectif du nouveau cinéma polonais devait être de faire des films sociaux d’une très large portée. I1 était indispensable, estimait-on, que soient mis en évidence le nouveau rôle du film en tant que facteur de formation des masses, et aussi le fait que c’est l’utilité qui confère au film sa force et sa beauté. Un esthé- tisme irréfléchi est vide et stérile. L’œuvre d’art, et plus précisément le film, dans son acception nouvelle, n’est plus une œuvre autonome, rattachée à la vie par des liens lâches, mais une forme de connaissance de la réalité.

Les premiers films polonais de la fin des années quarante et des débuts des années cinquante narraient de façon pathétique des épisodes de l’histoire de la Pologne et proposaient au spectateur le modèle de héros populaires issus de milieux ouvriers et paysans. A partir de la seconde moitié des années cinquante, on a commencé à parler d‘une école cinématographique polo- naise », dont les œuvres témoignent d’une grande maturité idéologique, intellectuelle et ont un style moderne bien particulier, typiquement polonais.

I Quant aux fonds affectés par l’etat aux théâtres, les données suivantes

I ainsi qu’un jeu scénique différents de ceux pratiqués jusque-là, bénéficient

1. L’ u estrade )) est une institution culturelle qui organise des spectacles musicaux et artistiques sans avoir de troupe propre.

61

Les spectacles

Les films de cette époque, dans lesquels le romantisme et le rationa- lisme s’affrontent, mettent en lumière les mécanismes de l’histoire, les destinées de la nation, la complexité de la psychologie de l’homme et ses liens avec la société. L’école cinématographique polonaise a su tirer parti des expériences faites dans les autres domaines de l’art - littérature, musique et surtout arts plastiques. Elle a remplacé l’hypertrophie des dia- logues par la dynamique de l’image. Le film polonais a su, plus tôt que la littérature, rompre avec certains mythes et complexes nationaux.

L e film polonais, de fiction et de court métrage, documentaire, éducatif et animé, et le film télévisé jouissent d’une réputation universelle. Toute- fois, une espèce de conflit oppose actuellement les créateurs et les specta- teurs. Les intellectuels considèrent l’art c o m m e un moyen d‘expression propre de l’artiste (non seulement dans le domaine du cinéma mais aussi du théâtre et des arts plastiques), c o m m e une sorte de (( journal intime ». En revanche, le spectateur, qui, c o m m e l’a affirmé en mai 1967 le professeur K. Zygulski, sociologue et historien de la culture, devant le Conseil de la culture et des arts (organe consultatif auprès du Ministère de la culture et des arts), (( cherche dans l’art des émotions compensatoires et s’identifie à des héros », le spectateur, donc, (( accorde un intérêt particulier à ce qu’on pourrait appeler l’aspect moral de l’art, aux modèles qu’il propage ... 1)

Afin d‘aplanir ce conflit, on a créé des u cinémas d’art et d’essai ». En 1970, il y en avait 163, que fréquentaient au total 5 O00 spectateurs. Leur répertoire se compose de films de valeur et d’accès difficile. Ils orga- nisent des projections en avant-premières et publient des revues spécia- lisées. I1 existe, en outre, des clubs de cinéma, qui sont regroupés a u sein d’une fédération : leur nombre dépasse actuellement 300 et il s’en crée tous les jours de nouveaux (on peut en dire autant des clubs de théâtre et de théâtre télévisé). Ces clubs, fonctionnant tant dans les milieux estudiantins que dans les grandes entreprises industrielles, organisent des rencontres avec les créateurs, des expositions, des séminaires, et publient des revues. Lors du séminaire organisé à l’échelle nationale sur le thème : u Modèles de diver- tissement dans le cinéma et la télévision - tradition et actualité », 26 films ont été présentés et de nombreuses conférences et discussions ont eu lieu.

L e film récréatif, de (( divertissement », soulève un problème important. Cette fonction de l’art n’est pas suffisamment appréciée par les créateurs polonais, qu’il s’agisse du cinéma ou d’autres formes de spectacle ou encore de la littérature.

En ce qui concerne la diffusion du film en Pologne, on a noté un recul au cours des cinq dernières années. Le nombre des spectateurs et des cinémas a diminué. Bien entendu, ce phénomène s’explique en partie par des raisons objectives : l’essor vigoureux de la télévision (qui cependant n’a pas entraîné de baisse dans la fréquentation des théâtres), l’insuffisance des investissements et la structure de la gestion, qui a fait l’objet dernièrement de vives critiques. Tous les cinémas de Pologne sont, depuis plus d’une dizaine d’années, décentralisés. Leurs revenus constituent pour les pouvoirs

62

Les spectacles

locaux une source de fonds supplémentaires utilisés au profit de l’adminis- tration communale ; néanmoins la programmation et la distribution des films se font dans le cadre d’un système centralisé, de sorte qu’on ne tient pas suffisamment compte des besoins locaux. On envisage actuellement d’établir deux types de répertoire cinématographique : un répertoire artis- tique (qui n’est pas sans rappeler le théâtre) et u n répertoire de u divertis- sement )) (se rapprochant plutôt, par les émotions qu’il suscite et par son caractère de détente, des spectacles sportifs, du cirque ou des variétés). I1 y aurait lieu d’adapter le réseau et l’équipement des salles de cinéma, tant en milieu urbain que rural, à cette classification des besoins sociaux en matière de répertoire.

63

La protection des monuments et des lieux du souvenir

Lors du Congrès de la culture polonaise, on a dit non sans fierté que la réalisation culturelle la plus remarquable de la République populaire de Pologne était la reconstruction de Varsovie. L a décision politique de reconstruire la capitale anéantie sur son ancien emplacement et les travaux eux-mêmes, qui ont rendu la vie à la vieille ville et à de nombreux monu- ments historiques, sont devenus le symbole des forces spirituelles de la nation, de sa continuité historique et culturelle.

I1 ne s’agit pas ici de faire un bilan des pertes subies par la Pologne pendant la guerre, ni des réalisations du Service de protection des monu- ments historiques et du Service des musées et de la conservation. Elles sont suffisamment connues de par le monde. Mais il faut souligner que la sage initiative du Parti ouvrier au pouvoir et l’aide de l’etat ont galvanisé la nation tout entière, qui a participé à l’œuvre entreprise en fournissant des fonds et du travail bénévole. On a créé un Fonds de reconstruction de la capitale (SFOS), qui devait recueillir les sommes versées en vue d’accélérer la reconstruction et le développement de Varsovie et, dès 1958, du pays tout entier. Les sommes ainsi réunies, dont le montant s’est élevé à plus de 5,5 milliards de zlotys, ont servi à financer la construction de quelque 10 O00 nouveaux équipements culturels et la reconstruction d’un nombre important de précieux monuments historiques. En 1956, le SFOS a été transformé en Fonds pour la construction d‘écoles et d’internats.

Un service de protection des monuments de la culture nationale a été institué à l’échelle du pays tout entier ; il groupe surtout des retraités, qui se chargent notamment d’organiser des cercles de jeunesse pour la pro- tection des monuments historiques.

Les lieux du souvenir sont entourés d’un respect particulier. Un service de protection permanent, de large envergure, réunissant des équipes d’éclaireurs, des écoles, des organisations de jeunesse, des organisations sociales et des entreprises, veille sur 9 176 lieux de la lutte et du martyre national. L e Conseil pour la protection des monuments de la lutte et du

64

La protection des monuments et des lieux du souvenir

martyre national coordonne depuis 1960 les activités exécutées dans le domaine de la construction de monuments commémoratifs en Pologne et à l’étranger, ainsi que de l’organisation et de la promotion d’activités socio- éducatives. Dans la conférence sur la littérature slave qu’il donna le 24 janvier 1843

au Collège de France, A d a m Mickiewicz déclarait : a Tant qu’une nation dure, tant qu’une tribu existe, son passé, à travers le présent, rejoint conti- nuellement son avenir. ))

65

La culture polonaise dans le monde

Les origines de ce que nous appelons aujourd’hui les échanges culturels internationaux remontent aux temps les plus reculés, où se formèrent les premières communautés humaines. Car, lorsque les tribus primitives descen- daient des montagnes vers le littoral pour y chercher du sel, elles ne se bornaient pas à échanger des matières premières, des minéraux et de la nourriture avec ceux qui vivaient au bord de la mer ; elles échangeaient inconsciemment et par la m ê m e occasion, en quelque sorte, des chants, des danses, des coutumes, des rites et des croyances, donc des valeurs artis- tiques, des idées et des concepts.

C’est pourquoi toute l’histoire de la civilisation et de la pensée humaine est jalonnée par les vestiges de ces interpénétrations. Nombre de ces phéno- mènes ont déjà été expliqués, d’autres attendent encore de l’être. Nous savons bien des choses au sujet de l’influence réciproque des cultures de l’Orient et de l’occident, nous connaissons le rôle des Grecs, qui ont trans- féré la culture hellénique sur le territoire de l’empire romain après le déclin de la Grèce antique. Louis XIV poursuivait une politique culturelle déjà consciente et délibérée lorsqu’il envoyait (en les rétribuant sur sa propre cassette) des professeurs dans toute l’Europe, et notamment en Pologne, pour y enseigner le français. Mais nous ne savons pas encore, par exemple, comment expliquer l’existence de pyramides très semblables et la simi- litude du culte de la mort dans des pays aussi éloignés l’un de l’autre que l’ggypte antique et le Mexique précolombien des Aztèques. Ce secret, nous le percerons sans nul doute un jour, mais ce que nous apprendrons ne sera certainement pas de nature à infirmer notre thèse, à savoir que ce que nous appelons actuellement les échanges culturels existait et avait des effets bien longtemps avant la création des premières organisations et institutions internationales et nationales chargées d’organiser, de promouvoir, de pour- suivre, d’inspirer et de financer cette forme séculaire et passionnante d’activité humaine.

Pourtant, si les échanges culturels sont aussi anciens que les c o m m u -

66

I La culture polonaise dans le monde

I nautés humaines, c’est récemment seulement qu’ils sont devenus des élé-

délibérée par l’gtat de la coopération culturelle comme moyen d’action dans ses rapports avec les autres Etats se situe relativement tard dans l’histoire, très tard même, puisqu’elle n’est apparue qu’après la première guerre mon- diale ! I1 est vrai que le grand pédagogue tchèque Comenius avait déjà, au XVII~ siècle, la vision d’un ordre social international en matière d’édu- cation et de culture, mais il a fallu attendre la Société des nations pour voir les premières tentatives visant à organiser une coopération intellectuelle internationale, dont l’Unesco est l’héritière et la continuatrice, à une échelle incomparablement plus vaste d’ailleurs. Rappelons que c’est dans les années vingt seulement qu’on a créé, dans les ambassades et les légations, des postes d’attachés culturels, témoignage éloquent du besoin d’intégrer les échanges culturels à l’ensemble de la politique étrangère de l’$kat. Aujourd’hui, les relations culturelles remplissent une fonction de rappro- chement entre les peuples, de détente, de coexistence et de paix.

La Pologne entretient des relations culturelles avec plus de quatre- vingts etats des cinq continents. Par leur forme et leur organisation, ces

Le premier est constitué par les accords bilatéraux ou les ententes rela- tives à la coopération et aux échanges culturels.

A la fin de 1971, la Pologne était liée par des accords ou des ententes relatives à Ia coopération culturelle et scientifique avec les Btats suivants (l’année de la signature est mentionnée entre parenthèses) : Albanie (1950)’ Algérie (1964), République démocratique allemande (1964), République arabe unie (1957), Autriche (1970), Belgique (1970)’ Brésil (1961), Bulgarie (1966), République populaire de Chine (1951), République populaire démo- cratique de Corée (1956), Cuba (1961)’ Dahomey (1965)’ Danemark (1960), Finlande (1958), France (1966), Ghana (1964)’ Guinée (1966)’ Hongrie (1968)’ Inde (1957), Irak (1959), Iran (1968), Italie (1965)’ Mali (1961), Mongolie (1958)’ Mexique (1970)’ Niger (1961)’ Norvège (1958)’ Pays-Bas (1967)’ Roumanie (1964), Sénégal (1962)’ Soudan (1967)’ Suède (1970), Tchécoslovaquie (1966)’ Tunisie (1966)’ République démocratique du Viêt-nam (1957), Union des républiques socialistes soviétiques (1956), Yougoslavie (1956).

La mise en œuvre des accords culturels s’effectue au titre de programmes annuels, biennaux, triennaux ou quinquennaux établis par des commissions mixtes. Ces commissions, composées de représentants des ministères et des institutions intéressés, élaborent le programme d‘exécution des accords ainsi que des annexes relatives au financement, réglant les problèmes posés par la réciprocité des prestations (bourses, stages, (( professeurs invités », échanges d’expositions artistiques, etc.). Dans le cadre des accords culturels et pour en assurer la mise en œuvre, des accords particuliers sont conclus par exemple entre les organismes de radio-télévision et de cinéma, les musées, les bibliothèques, les théâtres, les écoles supérieures d’art, les

I ments spécifiques de la politique étrangère des nations. L’utilisation I

~

I relations peuvent être réparties en trois groupes :

67

La culture polonaise dans le monde

maisons d‘édition et les associations d’artistes ainsi que les organismes officiels chargés des sports, les organisations de jeunes et d’étudiants, etc. L’importance de ces accords particuliers va croissant, étant donné la tendance, qui se généralise, à adopter des programmes quinquennaux. Pour les relations avec les pays d’Europe occidentale, les programmes sont généralement biennaux, sauf pour l’Italie (dans ce cas il s’agit de programmes triennaux).

U n e deuxième catégorie d’échanges culturels s’effectue au titre non pas d’accords bilatéraux officiels mais d’ententes conclues directement entre les institutions éducatives, scientifiques, culturelles et artistiques - galeries d’art, musées, bibliothèques, théâtres, éditeurs - et aussi entre des asso- ciations et des unions d’artistes, des imprésarios, des agences. Cette forme de coopération très souple et efficace permet de larges échanges culturels avec les pays qui ne sont pas liés à la Pologne par des accords culturels officiels. On peut citer, à titre d’exemple, l’accord conclu entre le Ministère de la culture et des arts et l’agence artistique Pagart, d’une part, et, de l’autre, l’Association culturelle japonaise. Dans la m ê m e catégorie, men- tionnons l’accord sur les échanges de bourses entre le Ministère polonais de l’éducation et de l’enseignement supérieur et le British Council. Tous ces accords sont renouvelés périodiquement, en général tous les deux ans.

Lorsque les circonstances ne se prêtent pas encore à la conclusion d’un accord officiel de coopération scientifique et technique entre Etats, on établit un programme de coopération et d’échanges c o m m e le font les commissions mixtes pour la mise en œuvre des accords, avec cette différence que, dans ce cas, le programme ne résulte pas d’un accord. L a Pologne a été liée par un programme de ce genre avec l’Autriche, pendant la préparation d’un projet d’accord culturel et éducatif.

L a troisième catégorie est constituée par les relations culturelles multi- latérales, résultant de la participation de la Pologne aux activités de l’Unesco et des organisations non gouvernementales qui lui sont affiliées ; elles permettent une confrontation permanente, dans tous les domaines, des activités artistiques et culturelles et la participation à des rencontres, à des débats et à des recherches organisés à l’échelle mondiale.

Les associations et institutions culturelles et artistiques polonaises sont membres de 68 organisations internationales non gouvernementales.

L a coordination générale et la réalisation des échanges effectués en vertu d’accords et d’ententes entre fitats et aussi d’accords diplomatiques tempo- raires (forme pratiquée avec succès pour la coopération et les échanges avec les Btats-Unis) sont confiées au Ministère des affaires étrangères, qui possède un Département de la coopération culturelle et scientifique avec l’étranger, ainsi qu’au Ministère de la culture et des arts et 21 son Bureau de la coopération culturelle avec l’étranger. Alors que le Ministère des affaires étrangères veille à ce que la coopération culturelle avec l’étranger soit conforme aux objectifs et aux principes de la politique étrangère de l’gtat, le Ministère de la culture et des arts en coordonne l’organisation et le h a n -

68

La culture polonaise dans le monde

cement. Dans la mise en œuvre des accords culturels et des ententes, un rôle important échoit aux postes diplomatiques et consulaires à l’étranger et en particulier aux Centres d‘information culturelle (à Prague, Bratislava, Berlin, Leipzig, Sofia et Budapest), aux stations de l’Académie polonaise des sciences à Paris et à Rome, à l’Institut de la culture polonaise à Londres, à la Salle de lecture polonaise à Vienne, au Centre de civilisation polonaise de la Sorbonne. N’oublions pas enfin les cours de littérature et de langue polonaise donnés dans des écoles supérieures à l’étranger.

Le Ministère de la culture et des arts supervise les activités des entre- prises et des agences polonaises chargées de mener à bien la coopération et les échanges culturels avec l’étranger, dans le cadre de contrats de caractère commercial. Ces entreprises et ces agences envoient à l’étranger et accueillent des solistes, des ensembles artistiques et théâtraux, des œuvres d’art, des livres et des revues, des partitions de musique et des disques. Elles s’occupent aussi de la protection des droits d’auteur. I1 s’agit notamment de : L’agence artistique polonaise Pagart, qui fait o%ìce d’imprésario en matière

de musique, de théâtre et de variétés. Elle coopère avec les imprésarios du monde entier, que ce soit pour les importations ou pour les expor- tations de manifestations artistiques ;

L a centrale de commerce extérieur Ars Polona, qui s’occupe de l’importation et de l’exportationdelivres, de partitions, d’enregistrements et de disques, ainsi que de l’impression de livres destinés à des clients étrangers;

L’entreprise d’importation et d’exportation Film Polski, qui s’occupe de la vente de films polonais (longs et courts métrages) aux distributeurs étrangers, ainsi que de l’achat et de l’importation de films étrangers. Film Polski assure aussi des services aux producteurs étrangers dans le cadre d’accords de coproduction ou d’accords portant sur les services ;

L e bureau de commerce extérieur Desa, qui s’occupe de l’importation et de l’exportation d’œuvres d’art, anciennes et contemporaines, et déploie des activités commerciales en matière d’expositions ;

L’agence des auteurs, qui s’occupe des droits d’auteurs sur les traductions et la présentation d’œuvres littéraires et dramatiques, ainsi que sur l’exécution d’œuvres de musique. Elle diffuse à l’étranger des informa- tions sur les œuvres littéraires, théâtrales et musicales polonaises, et s’occupe des traductions d’ouvrages polonais à l’étranger.

Dans le cadre de ces trois groupes de relations culturelles, la Pologne présente annuellement quelque 300 expositions d’art et en reçoit 200 environ de l’étranger ; elle envoie à l’étranger de 200 à 250 ensembles de musique, de théâtre et de variétés, et en reçoit plus de 100 ; une centaine de solistes polonais font des tournées dans le monde entier, et la Pologne en accueille environ 500 par an ; de jeunes musiciens polonais participent chaque année à 20 concours internationaux et les théâtres polonais à 10 festivals drama- tiques et d’opéra ; des films polonais sont projetés dans 80 festivals et les arts plastiques polonais sont représentés dans plus de 50 expositions internationales.

69

L a culture polonaise dans le monde

L a qualité des manifestations et des œuvres artistiques polonaises ne le cède en rien à l’importance quantitative de la présence culturelle polonaise à l’étranger.

Selon les dernières statistiques, près de 4 500 œuvres littéraires dues à quelque 800 auteurs ont été traduites du polonais en 80 langues, dans 48 pays, depuis 1945.

Néanmoins la littérature polonaise occupe, sur le marché du livre, une position assez modeste, bien que, pendant les vingt-cinq dernières années, le nombre des traductions d’œuvres littéraires polonaises ait presque quin- tuplé. Ainsi, en 1970, on a édité, dans le monde, 330 livres traduits du polonais, contre 11 459 traduits de l’anglais, 4 554 du français, 3 754 de l’allemand, 2 139 du russe, 747 de l’italien et 698 de l’espagnol.

L’écrivain polonais le plus traduit est Henryk Sienkiewicz : 350 tra- ductions en 50 langues. Actuellement, cependant, on traduit beaucoup d’œuvres contemporaines dans lesquelles le lecteur cherche principalement des comptes rendus des expériences et de la réalité de l’après-guerre.

Pour ce qui est des traductions d’œuvres littéraires étrangères en Pologne, on a édité de 600 à 700 titres en 1970-1971. Leur tirage a atteint de 10 à 13 millions d’exemplaires. Voici quelques chiffres, à titre d’exemple : œuvres originaires d’URSS, 160 titres en 1970 et 172 en 1971 ; des Etats-Unis, 80 et 98 ; du Royaume-Uni, 77 et 93 ; de France, 71 et 77 ; de la République démocratique allemande, 30 et 29 ; de la Tchécoslovaquie, 26 et 24 ; des pays scandinaves, 26 et 32 ; de la République fédérale d’Allemagne, 15 et 25.

L a Pologne est le siège de manifestations artistiques et culturelles hautement cotées sur le plan international. Parmi les plus importantes, citons : le festival de musique contemporaine Warszawsa Jesieh, la Foire internationale du livre de Varsovie, le Festival de courts métrages de Cracovie, le Concours de piano Frédéric Chopin, le Concours de violon H. Wieniawski, la Biennale internationale d’arts graphiques de Cracovie, la Biennale internationale de l’affiche de Varsovie, le Festival international de la chanson de Sopot.

Vu leur importance qualitative et quantitative et la multiplicité de leurs aspects, il a paru nécessaire d’entreprendre des études sur la coopération et les échanges culturels avec l’étranger. Ces études ont été précédées de travaux analytiques fondés sur une vaste enquête faite auprès des personnes liées à cette activité. Les recherches concernant les échanges culturels avec l’étranger sont poursuivies par l’Institut de la théorie de la culture et de la politique culturelle.

Ces indications sommaires sur les relations culturelles de la Pologne avec l’étranger ne donnent qu’une idée générale du problème. Elles passent donc sous silence un aspect extrêmement important : la dynamique du déve- loppement de ces relations, qu’attestent aussi bien l’extension de l’appareil et du budget culturels que l’importance croissante de la culture et des arts dans les relations internationales et la politique étrangère de la Pologne.

70