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Cours complet sociologie – S4 1 I- Le cadre de pensée marxiste (1818-1883) a) Eléments biographiques Karl Marx est un auteur d’origine allemande, né en 1818. Il est issu d’un milieu bourgeois, plutôt aisé. Son père est un avocat libéral de confession juive, qui s’est converti au protestantisme dans le but de pouvoir exercer librement son métier. Le jeune Marx va avoir l’opportunité de faire de longues études en philosophie, allant jusqu’au doctorat dans cette discipline. Après avoir soutenu sa thèse, il devient rédacteur en chef du journal politique Rheinische Zeitung (la « Gazette rhénane »), qui va très vite être interdit par le gouvernement Prussien car il diffuse des idées révolutionnaires. Suite à cette interdiction, Marx s’exile en France. Il a alors 25 ans, et restera deux ans en France avant d’être expulsé à la demande du gouvernement Prussien. Durant son séjour, il fréquente les cercles socialistes mais aussi des ouvriers immigrés allemands qui vont le pousser à s’engager politiquement dans des partis contestataires et révolutionnaires communistes. Marx continue d’étudier à cette période, notamment l’économie. Il rencontre notamment Friedrich Engels qui aura une influence importante sur sa pensée et sur son œuvre. Après avoir été expulsé de France, il se retrouve en Belgique, à Bruxelles, pour pouvoir continuer son activité intellectuelle. C’est durant cette période qu’il rédige L’Idéologie Allemande avec Engels, qui sera publié en 1932. C’est à ce moment-là, en 1847, qu’il crée la Ligue des Communistes. On retiendra leur slogan politique : « Prolétaires de tout pays, unissez-vous ! ». Durant cette période bruxelloise, il voyage beaucoup, notamment en Angleterre où il côtoie la misère ouvrière et les débuts de la grande industrie. Il rédige en 1848 un deuxième ouvrage : Le Manifeste du Parti communiste. La même année, il retourne en Allemagne où il se remettra à publier son journal mais sera de nouveau expulsé. Il se réfugie alors à Londres. En 1864, Marx crée la Ligue Internationale, conçue comme un organisme de coordination entre les mouvements révolutionnaires d’inspiration diverse. Marx construit le concept central de dictature du prolétariat. Il va a publier deux autres ouvrages La lutte des classes en France et Le XVIII Brumaire et Louis Bonaparte. A Londres, il vit dans des conditions très précaires, et devient pigiste pour survivre. Bien souvent ça ne suffit pas et un de ses fils meurt de faim. Il écrira à la fin des années 1860 son livre le plus célèbre : Das Kapital. Le premier volume parait en 1867. Karl Marx meurt en 1883, et les suivants seront publiés par Engels à titre posthume (ce dernier ayant achevé l’écriture du livre). Dimension internationale de la lutte des classes, il a pu l’observer dans les différents pays dans lesquels il s’est exilé. Même génération que Tocqueville ou Auguste Comte (19 e siècle) => Q de la révolution et du changement social pour saisir les spécificités de la société capitaliste moderne. b) La complexité de l’œuvre

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I- Le cadre de pensée marxiste (1818-1883) a) Eléments biographiques

Karl Marx est un auteur d’origine allemande, né en 1818. Il est issu d’un milieu bourgeois, plutôt aisé. Son père est un avocat libéral de confession juive, qui s’est converti au protestantisme dans le but de pouvoir exercer librement son métier. Le jeune Marx va avoir l’opportunité de faire de longues études en philosophie, allant jusqu’au doctorat dans cette discipline. Après avoir soutenu sa thèse, il devient rédacteur en chef du journal politique Rheinische Zeitung (la « Gazette rhénane »), qui va très vite être interdit par le gouvernement Prussien car il diffuse des idées révolutionnaires. Suite à cette interdiction, Marx s’exile en France. Il a alors 25 ans, et restera deux ans en France avant d’être expulsé à la demande du gouvernement Prussien. Durant son séjour, il fréquente les cercles socialistes mais aussi des ouvriers immigrés allemands qui vont le pousser à s’engager politiquement dans des partis contestataires et révolutionnaires communistes. Marx continue d’étudier à cette période, notamment l’économie. Il rencontre notamment Friedrich Engels qui aura une influence importante sur sa pensée et sur son œuvre. Après avoir été expulsé de France, il se retrouve en Belgique, à Bruxelles, pour pouvoir continuer son activité intellectuelle. C’est durant cette période qu’il rédige L’Idéologie Allemande avec Engels, qui sera publié en 1932. C’est à ce moment-là, en 1847, qu’il crée la Ligue des Communistes. On retiendra leur slogan politique : « Prolétaires de tout pays, unissez-vous ! ». Durant cette période bruxelloise, il voyage beaucoup, notamment en Angleterre où il côtoie la misère ouvrière et les débuts de la grande industrie. Il rédige en 1848 un deuxième ouvrage : Le Manifeste du Parti communiste. La même année, il retourne en Allemagne où il se remettra à publier son journal mais sera de nouveau expulsé. Il se réfugie alors à Londres. En 1864, Marx crée la Ligue Internationale, conçue comme un organisme de coordination entre les mouvements révolutionnaires d’inspiration diverse.

Marx construit le concept central de dictature du prolétariat. Il va a publier deux autres ouvrages La lutte des classes en France et Le XVIII Brumaire et Louis Bonaparte. A Londres, il vit dans des conditions très précaires, et devient pigiste pour survivre. Bien souvent ça ne suffit pas et un de ses fils meurt de faim. Il écrira à la fin des années 1860 son livre le plus célèbre : Das Kapital. Le premier volume parait en 1867. Karl Marx meurt en 1883, et les suivants seront publiés par Engels à titre posthume (ce dernier ayant achevé l’écriture du livre).

Dimension internationale de la lutte des classes, il a pu l’observer dans les différents pays dans lesquels il s’est exilé. Même génération que Tocqueville ou Auguste Comte (19e siècle) => Q de la révolution et du changement social pour saisir les spécificités de la société capitaliste moderne.

b) La complexité de l’œuvre

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Marx va vivre de près ces changements politiques, fonde un parti et essaye de fédérer les luttes. Ce n’est pas seulement un penseur mais aussi un militant, à différencier de Tocqueville par exemple qui défend des valeurs bourgeoises, proches de celles de l’aristocratie.

Marx est très marqué par la révolution de 1789 mais aussi par les luttes qui émergent en 1848 (émeutes) et auxquelles il prend part. Pour lui, ce ne sont pas des événements éphémères, mais ils annoncent au contraire une révolution sociale importante. Pour Tocqueville, la révolution annone une remise en cause des valeurs bourgeoises et aristocrates.

Alors que pour Marx, la remise en cause concerne à la fois ces valeurs et en plus une avancée vers une société moins inégalitaire (alors que Tocqueville critique l’inégalitarisme idéologique, Il consent qu’on puisse les atténuer mais montre aussi les effets pervers de la suppression des inégalités entre les individus). è Nouvelle étape en 1848 : les classes populaires s’élèvent contre les valeurs bourgeoises. Le mouvement de l’histoire doit tendre vers une disparition complète des classes sociales selon Marx (égalité de fait).

Il y a plusieurs lectures possibles de Marx :

ð D’abord ses écrits de jeunesse : ils sont très militants ð Plus tard, ses analyses fines tournées vers l’élaboration d’une analyse socio-économique complexe.

Dans certaines analyses, on a une opposition du Marx militant et du Marx scientifique. Au contraire, d’autres ont cherché à montrer la continuité entre ces deux périodes de la pensée de l’auteur. Marx lui-même considère que ce sont ses derniers écrits qui expriment plus profondément sa pensée. Sur de nombreux points, la puissance de son analyse et sa finesse l’emporte sur son dogmatisme politique. Mais ce décalage n’est pas original en soi : de nombreux intellectuels sont traversés par ces aller-retours entre une aspiration politique et une aspiration scientifique. Exemple de Durkheim : il a concilié engagement politique pour la réforme de la république et analyse scientifique. Weber s’était également prononcé sur les effets de la financiarisation de l’économie. Les livres de jeunesse de Marx sont considérés comme ceux publiés entre 1841 et 1848 jusqu’à la publication du Manifeste du parti communiste. C’est le premier livre dans lequel il formule de manière concise et claire ses idées et ses analyses. Ensuite, il les développera plus finement et complexement dans le reste de ses œuvres, avec une analyse des mécanismes socio-politiques qui permettent de comprendre la formation du capitalisme moderne. C’est à partir de la publication de l’Idéologie Allemande (publié en 1932, mais rédigé en partie dès 1848) qu’une rupture est marquée dans le développement de sa pensée, vers une analyse plus scientifique et plus rigoureuse. Marx lie une analyse économique de la société et une analyse de son organisation politique. Pour lui, l’un et l’autre se confondent et vont toujours ensemble, c’est pourquoi on parle souvent d’une analyse d’économie politique ou de socio-économie. Il fait un lien entre les pratiques économiques et sociales, à l’image de Weber qui fait le lien entre les valeurs du protestantisme et la naissance du capitalisme moderne (ascétisme protestant, prédestination élection divine => le signe est notamment la réussite dans le monde humain => le protestant rationalise sa

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pratique personnelle pour tendre vers ce but de faire fructifier les richesses dans ce monde, tout en pratiquant un mode de vie ascétique). Marx travaille aussi le plan historique, qui doit pouvoir donner les tendances vers lesquelles se dirige une société donnée, et donner des éléments d’appui pour les actions politiques (en fonction de cette tendance). Son œuvre a fait l’objet de critiques autant que d’admiration, même de la part d’auteurs de droite (Raymond Aron par exemple). Attention, il faut se méfier des simplifications de l’œuvre de Marx. Il donne parfois des phrases volontairement caricaturales, qui ont après été mal interprétées et reprises. Dans Les étapes de la pensée sociologique, R. Aron distingue 4 grandes difficultés quand on lit Marx : - L’héritage politique du marxisme en tant qu’idéologie d’Etat : différents gouvernements dans

différents pays se sont revendiqués du marxisme. Il y a eu différentes interprétations : le communisme en URSS, en Chine sous l’impulsion de Mao, Cuba, Corée du Nord, Viet Nâm. Il faut bien distinguer les théories de Marx et ses interprétations politiques => elles n’engagent que ceux qui les appliquent. Lui, il pense à l’avènement d’un régime démocratique, ce qui ne s’est pas produit lors de leur application.

- Marx a écrit sur différents supports : essais politiques dans des journaux, livres scientifiques…Certains commentateurs jouent de ces différents supports, qui sont parfois contradictoires. Au contraire, d’autres insistent sur les aller-retours que fait Marx entre les deux et l’évolution globale de son œuvre = il ne faut pas les séparer mais les regarder dans leur ensemble, œuvre élaborée sur le long terme.

- L’œuvre marxiste est demande une érudition importante pour être convenablement commentée. C’est

en effet une œuvre qui présente des faits économiques, sociologiques et historiques. Les commentateurs vont jouer de ces différents niveaux, en insistant parfois sur la contradiction entre les analyses. C’est de plus une œuvre complexe si on s’attache de la lire de bout en bout. On a un pan philosophique et historique au début de son œuvre, et pan plus économique à la fin.

Au cours de sa vie, Marx est amené à faire évoluer ses définitions, notamment des classes sociales. Il travaille sur la précision des termes.

En résumé, on peut donc identifier deux pôles dans l’œuvre marxiste. On va traiter 3 thèmes principaux dans ce cours : • Les classes sociales • Le fonctionnement du capitalisme occidental • Sa théorie de l’Histoire

II- Une entrée par les classes sociales a) Les modes de production

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Pour Marx, chaque société est caractérisée par le mode de production qu’elle met en œuvre. Par exemple, la période antique est caractérisée par l’esclavage, la période féodale par le servage et le système capitalisme le salariat. Pour lui, un mode de production se définit par l’articulation entre ce qu’il appelle les « forces productives » et les rapports de production. ð Les forces de production, c’est ce qui définit la puissance de l’homme sur la nature. C’est la capacité d’une société à pouvoir exploiter celle-ci et en tirer une richesse. Voici une formule caricaturale sur le lien entre système de production et système politique, mais que l’on peut retenir : « Le moulin à eau amènera la société féodale, la machine à vapeur amènera la société capitaliste ». • Les forces productives dépendent des techniques, des savoir-faire industriels et intellectuels, mais aussi

de la division du travail, qui crée de nouvelles fonctions dans l’organisation du travail. • Elle dépend aussi du degré de qualification des travailleurs, du degré de connaissance scientifique mais

aussi de conditions naturelles comme le climat, la qualité de la terre, de la roche… Les forces de production sont constituées de l’ensemble des forces de travail et les savoir-faire (+ outils, matériaux, machines…) Le rapport entre les forces productives et les moyens de production définit ce que Marx appelle les rapports sociaux de production.

Ces rapports sociaux de production recouvrent la répartition du travail mais aussi des revenus, les formes juridiques de la propriété, et le degré de division du travail. Ce sont ces rapports sociaux de production qui organisent la répartition de la société en classes sociales. Contribution à la critique de l’éco politique (ouvrage de Marx) : « Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés nécessaires, indépendants de leur volonté. Ces rapports de production correspondent à un degré du développement de leur force productive matérielle. L’ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société » ð Transition : Il découle de cette distinction faite par Marx une différence entre ce que Marx appelle la

base économique, l’infrastructure et la superstructure. Chaque type de société peut schématiquement être décomposé entre ces deux caractéristiques. b) Structure et superstructure

Forcesproductivesetmoyensdeproduction

Organisationdutravailetrapportsdeproduction

Lasuperstructure

Rassembledesinstitutionspolitiquesetsocialesquipermettent…

L’Etat,lajustice,ledroit,lareligion,lespartispolitiquesetlessyndicats…

Toutcequiproduitundiscoursdétachédudiscourspolitique=>uneformed’idéologie:lascience,laphilo,lesarts…

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ð Pour Marx, chaque type de société peut être décomposé en deux parties : • La base économique • La superstructure, qui est composé des institutions politiques et sociales. La base économique est

composée des forces et des rapports de production. Ceux-ci sont liés ensemble par l’organisation d’un mode de production. Le processus de production comprend 2 dimensions :

- La dimension technique - La dimension juridique.

La superstructure se construit progressivement sous l’impulsion de la classe victorieuse, c’est à dire celle qui a réussit à détenir le capital et la propriété de ce capital. La superstructure à la fois faite de l’Etat, de la justice, des arts et des sciences, et est était organisée sous l’intérêt de la classe dominante.

ð La superstructure produit une idéologie qui désigne l’ensemble des idées et représentations caractéristiques d’une époque ou d’une société donnée.

Pour Marx, cette définition de l’idéologie a un aspect péjoratif car via elle voile les rapports de dominations entre les classes et empêche d’avoir de vraies connaissance sur les phénomènes socio-économiques. Donc finalement, l’idéologie n’est rien d’autre que l’expression des intérêts de la classe dominante. L’idéologue est celui qui détient le monopole des idées et va avoir tendance à justifier l’ordre social tel qu’il existe de façon consciente ou non, parce qu’il sert ses moyens politiques et économiques.

« Vos idées sont elles-mêmes les produits du système bourgeois de production et de propriété, tout comme votre droit n’est que la volonté de votre classe érigée en loi » Marx, extrait du Capital Cet extrait explique que le droit de propriété sert l’intérêt de la classe bourgeoise. Pour Marx, le droit de propriété est le pilier du capitalisme, et il devra par conséquent être détruit.

L’Etat a une place particulière en tant qu’organe de direction de cette superstructure, et son appropriation est un enjeu majeur de la lutte des classes puisqu’elle permet de défendre ses intérêts pratiques.

Lastructureéconomique,quisedécomposeen:

- Forcesproductivesetmoyensdeproduction(main-d’œuvre,machines,outils,savoirs…)

- Rapportsdeproduction(organisationdutravail,degrédedivisiondestâches,formesjuridiquesdelapropriété,droitdutravail…)

L’infrastructure

Lesmoyensdecommunication,detransport,l’architecture=>toutcequipermetautravailproductifdebasedepouvoirêtreorganiséetdéveloppé

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Marx a toutefois conscience que l’Etat protège aussi les plus pauvres par l’instauration de mesures sociales en direction des plus faibles.

Différence entre les deux classes

Il y a ceux pour lesquels il est nécessaire de vendre leur force de travail pour vivre (les prolétaires) VS ceux qui tirent profit de cette offre de travail (la bourgeoisie). Celle-ci peut investir d’autres institutions, comme l’Etat par exemple, pour assurer la pérennisation de la structure économique dans laquelle elle retrouve un intérêt => la bourgeoisie défend son intérêt de classe.

Pour ceux qui ne possèdent pas les moyens de production, ils sont dans une situation telle qu’ils ne peuvent que vendre leur force productive, en l’échange d’un salaire qui leur permettra de répondre à leurs besoins primaires mais pas de tirer une richesse de leur travail productif. Toute la différence entre ceux qui détiennent les moyens de production et les autres. Plus la division du travail s’accentue, plus on voit des fonctions apparaître dans les différents niveaux de la société.

Classe victorieuse = celle qui a réussi à détenir le capital et la propriété de celui-ci.

c) Classe et conscience de classe

Ce n’est pas Marx qui invente la notion de classe. Elle existe avant ses travaux, notamment grâce à Guizot, et est aussi présente au XVIIIe siècle avec Adam Smith et Malthus. Tocqueville parlait pour sa part de couches sociales qui s’étaient brisées au moment où le régime féodal prenait fin.

Marx s’oppose à la conception économique de classes sociales définies à partir de la position des individus dans la société. Il rejette donc la théorie de classe sociales fondées sur la fortune et le métier exercé, ainsi que l’idée que c serait les individus et leur volonté qui choisiraient leur propre classe sociale.

Il faudrait aussi prendre en compte le fait que l’homme est un animal politique, et n’est jamais coupé de ses relations avec les autres membres du groupe. L’individu n’est certes jamais isolé mais cela dépend cependant de ceux avec qui il travaille. Par rapport à ça, Marx apporte 4 nouveaux éléments pour définir une classe sociale :

à Elle est historique : son apparition est conditionnée par la mise en place d’un mode de production particulier. à Les classes sociales sont caractérisées par le conflit qui les opposent les unes aux autres. à C’est dans le régime capitaliste qu’apparaissent de véritables classes sociales. Selon Marx, le régime capitaliste est un régime dans lequel les classes sociales sont en lutte permanente pour le partage du profit, le capitaliste a sans cesse besoin de renouveler les conditions de production, d’aller chercher de nouveaux marchés pour entretenir la demande, et cette instabilité économique crée une instabilité politique. Ceci fait que les classes sociales peuvent à tout moment s’affronter dans la répartition du produit, et les capitalistes, classe consciente de ses intérêts politiques et économiques, cherchent à assurer les conditions de son renouvellement.

àLa lutte des classes doit nécessairement amener à la libération du prolétariat, par la destruction du système capitaliste.

Dans ses écrits plus historiques, Marx définit toutefois les classes sociales en identifiant les positions à l’intérieur d’une société donnée, donc dans l’espace social. Ex : dans la lutte des classes en France, il

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identifie 7 classes au XIXe siècle telles que l’aristocratie, la bourgeoisie industrielle, les grands propriétaires fonciers, la petite bourgeoisie, la classe ouvrière, ou encore les paysans.

Donc on distingue deux points:

ð Dans ses écrits historiques Marx définit les classes sociales par rapport à la position hiérarchique dans une société donnée ð Dans écrits économiques il part d’un autre critère qui est celui de la répartition des revenus. Il regarde comment les classes tirent un revenu dans le processus de production. Ce critère amène à différencier beaucoup plus finement les groupes. Ex : Dans le Capital, il distingue salariés et capitaliste qui touchent un profit lié à l’activité économique et les propriétaires fonciers qui sont titulaires d’une rente.

• Il y a cependant un élément qui permet de faire un lien entre les deux conceptions (historiques et économiques) : c’est la notion de fraction de classe.

Toute classe sociale est divisée par des conflits, des divisions internes liées à la division du travail et aux petites divergences des intérêts de ses membres. On peut donc distinguer au sein de la bourgeoisie la bourgeoisie industrielle, la bourgeoisie financière et la petite bourgeoisie, qui sont donc 3 fractions de cette même classe. Leurs intérêts sont fondamentalement convergents par rapport aux intérêts de l’aristocratie ou du prolétariat, mais il existe toutefois des divisions internes.

Ce qui intéresse Marx ce n’est pas vraiment la définition des classes sociales mais plutôt de monter que les critères de différenciation évoluent d’une société à une autre. Pour ainsi dire, les classes sont historiques. Il faut montrer leur mouvement dans la société et les alliances qu’elles créent entre elles.

Pour Marx, les classes se forment, se structurent et prennent conscience d’elles-mêmes dans leur affrontement, et c’est donc cela qu’il faut montrer en premier lieu.

Marx a également étudié le rôle des organisations qui sont chargées de défendre les intérêts politiques des membres de la société : les syndicats / l’Etat / les partis politiques.

Selon lui, les syndicats peuvent développer une conscience plus ou moins forte de leurs intérêts de classe, individuellement et collectivement. Il suppose que les individus sont conscient de leur position dans le système de production, de l’exploitation de leur travail par d’autres indivis ou de leur intérêt à employer le travail d‘autrui.

« Les différents individus forment une classe dans la mesure où ils doivent mener une lutte contre une autre classe, autrement ils sont hostiles les uns aux autres parce qu’ils sont concurrents ».

ð Marx vise à annuler cette concurrence entre les individus en organisant une répartition égale des richesses entre eux.

Il y a une différence entre appartenance à une classe et conscience de ses intérêts de classe. C’est ce qu’on appelle généralement le passage de la classe en soi à la classe pour soi, qui est lié à la prise de conscience par le group de ses intérêts et de son pôle historique.

L’objectif du Manifeste du Parti Communiste est de diffuser la logique marxiste, afin de réveiller les classes populaires, qu’elles aient une meilleure conscience de leur exploitation et de leurs propres intérêts politiques.

d) La méthode d’analyse de Marx : une méthode structurale

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La méthode qu’utilise Marx pour analyser les phénomènes socio-économiques est une méthode dite structurale, qui permet d’expliquer l’évolution des sociétés humaines pour ensuite en décrire plus finement les principes d’explications.

Il observe la totalité du système socio-économique comme un tout, dans lequel les relations entre les éléments sont plus importantes que les éléments eux-mêmes.

III- Le matérialisme historique a) Une comparaison entre la variété des modes de production (textes 1&2)

LeManifesteduparticommuniste,Marx,Engels(1848)

Cetextrait, tiréduChapitre IduManifesteduparticommuniste,énoncede façonconcise l’undesgrandsargumentsdeMarxrésumédanslaphrasesuivante:«L’histoiredetoutesociétéjusqu’ànosjoursn’aétéquel’histoiredelaluttedeclasses».

Un schéma historique d’évolution : Dans ce texte, Marx compare différentes sociétés dont il vapouvoir tirer un schéma répétitif d’évolution. En effet, à chaque époque et dans chaque société,Marxrelèveunfortantagonismeentrelesclasses.Celui-cidébouchetoujourssurdesluttes,puisdesrévolutions,quidétruisent l’organisationantérieurede lasociétéet fontapparaîtredeuxnouvellesclasses sociales opposées. Pour Marx, une révolution prend forme lorsque l’organisation d’unesociétécommenceàdécliner.

Cela survient lorsque les rapports de production rentrent en contradiction avec les forcesproductives.Uneclassequiétaitjusquelàoppriméeparvientàprendrelepouvoirpolitique,carelles’enrichit, acquiert peu à peu les moyens de production (propriété et capitaux), et gagne de lapuissanceparrapportàlaclassedominante.CesdifférentesépoquesqueMarxcompareentreellessont : la société antique, la société féodale et l’époque moderne capitaliste. En comparant cesépoques,Marxidentifiedesrégimeséconomiquesdifférentsquisesubstituentlesunsauxautresetsontcaractérisésparunmoded’organisationparticulier.Lapériodeantiquemetenplacel’esclavage,lapériodeféodaleleservage,etlesystèmecapitalistelesalariat.

ChacundecesmodesdeproductionconstituepourMarxunedominationde l’hommepar

l’homme qui traverse l’histoire des sociétés occidentales jusqu’à nos jours. Marx fait partir sonschémad’unephaseprécédantlaphaseantique.• Àcetteépoque, iln’yapasdegrandessociétésetnations,maisdepetitsgroupeséloignéslesunsdesautresdontl’undespiliersd’organisationestlafamillepatriarcale.Celle-ciproduitpoursespropresbesoinsetrépartitletravailenfonctiondessexesetdel’âge.C’estlemodèlefictifdecequ’on appelle « la tribu » dans laquelle le travail est collectivisé entre les différentsmembres etorganiséautourdelatraditionetdelareligion.ð Le passage de ce premier état fictif à la société antique passe par l’augmentation de lapopulation,maisaussiparledéveloppementdutrocetdesguerres.Ellesdonnentlieuàdespillagesqui permettent l’expropriation des richesses. L’inexistence de la propriété individuelle n’empêchepasdesmodesdedominationentreleshommesquitransmettentlepouvoiréconomiqueetsocialetlesfemmes,parexemple.

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• Dans lapériodeantique, lapropriétéexiste,maiselleestavanttoutcollective,partagéeausein de la Cité. Le travail productif est délégué aux femmes, aux esclaves et aux étrangers ouprisonniersdeguerre. Laviepolitiqueestorganiséeautourd’unedémocratie restreinte : seuls lescitoyens libres peuvent y participer à condition qu’ils résident en ville. L’augmentation de lapopulation, l’intensification des échanges et des guerres commerciales et religieuses amorcent lepassaged’une société antique àune société féodalebasée sur la dépendanceentre le serf et sonsuzerain.

À cette époque, le clergé détient lui aussi beaucoup de pouvoir. L’économie estessentiellement agraire et la production se fait principalement à la campagne. Dans les villes, lesartisanstravaillentdansdescorporationsselonleprincipeducompagnonnage.Unartisanestforméparunmaître-artisanquicontrôleletravail.Cesmaîtresdejurandesontprotégésparlaseigneurie,carilsdétiennentunsavoir-faire.

Les femmessontsous ladépendancede leurmarietnepeuventaccéderà lapropriété.Siunepartiedecelle-ci leur revientà leurmariage,elleestavant tout transmiseà leurs frères.Ellessont également très présentes dans les couvents qui sont pour elles un moyen d’accéder à desformesd’autonomies.ð Différentes révolutionsexpliquent lepassagede la société féodaleà la sociétébourgeoise.Toutd’abordunerévolutionindustrielle,puispolitique,etenfinunerévolutionculturelle.

On peut tirer six processus qui se succèdent et se combinent les uns aux autres pourexpliquercechangement: l’augmentationdelapopulationet ladécouvertedenouveauxmarchés,l’accroissement de la production et l’augmentation des richesses produites, la dépossession de lapropriétédesseigneursetdespaysans,lecontrôledesmoyensdeproduction,lapaupérisationdestravailleurs, une nouvelle organisation du travail et l’émergence d’une nouvelle classe de grandspropriétairesquivaréussiràs’emparerdupouvoirpolitique.• Àl’époquebourgeoise,letravailsefaitparticulièrementenvilleetàl’usine.C’estlafindescorporations.Letravaildevientindustrialiséetabstrait,caronnesaitpluspourquil’ontravaille,nicequel’onproduit.Letravailleurn’aaccèsqu’àunepetitepartiedelaproduction:letravaildevientparcellaire.Parailleurs,ilsedisqualifieetdevientdemoinsenmoinstechnique.

Cette disqualification du travail va avoir plusieurs effets : d’une part, elle provoque uneaugmentationduturnoverquivaaccroîtrelacompétitionentrelestravailleurs.D’autrepart, l’hommeperdsonintérêtpour letravail, ildevientaliénant.Deplus, larémunérationbaisse,cequientraîneunepaupérisationde laclassepopulairequi,dans lescorporations,pouvaitespéreratteindreunsalaireplusdécententravaillantlesproduitsdeluxepourlesgrandsseigneurs.è C’est cette nouvelle organisation du travail qui fait émerger une nouvelle classe depropriétaires. Les bouleversements de la base économique donnent une puissance politique auxgrandsbourgeoisquiinvestissentlesinstitutionssocialespourorganiserlasociété.

En effet, c’est l’augmentation progressive de la production qui fait émerger de nouvellesfonctions : « lamoyennebourgeoisie industrielle supplanta lesmaîtres de jurande ; la division dutravail entre les différentes corporations céda la place à la division du travail au sein même del’atelier».

PourMarx,cettenouvelleclassebourgeoisequiémergedevientune«classecosmopolite».Elleimporte,exporteetsedéplace.L’internationalisationdelaproductionamèneàunedivisiontoujours

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pluspousséedutravailentrepaysetnations.«Elle(labourgeoisie)façonneunmondeàsonimage».Aujourd’hui,onappelleraitcephénomènelamondialisation.Ils’agitdeladiffusiond’unsystèmede production capitaliste entre les différentes parties du globe qui diffuse une culture capitaliste,consumériste,bourgeoise.

b) Le passage d’un mode de production à un autre (textes 3 à 5) Lepassagedelasociétébourgeoiseàunedictatureduprolétariat:

PourMarx,cesontcesmêmesmécanismesquipermettentd’anticiperlepassaged’unesociétécapitaliste à une société communiste ;moment transitoire dans lequel s’établira une dictature duprolétariat.Eneffet,leprincipesurlequellaproductioncapitalistesefondeestceluidedevoirsanscesse entretenir la demande : la recherche de nouveaux débouchés, de nouvelles zonescommerciales, de nouvelles richesses à exploiter, essentiels pour entretenir les échangescommerciaux.

Cetterechercheconstantedenouveauxcapitauxproduitladestructiondutravailobsolèteetdescrises. Marx montre ici que le système de production capitaliste est particulièrement instable etchaotique. Ilest traversépardescriseséconomiquesà répétitionquiontpoureffetd’appauvrir laclasseouvrièreetlaclassemoyenne.

Unécartdeplusenplusgrandsecreuseentredeuxclasses.C’est lathéoriedelapolarisation.PourMarx,onassisteratoutd’abordàunefortedominationdelaclasseouvrière,puiscelle-civaserévolter«contrelesennemisdesesennemis»c’est-à-direlespetitschefspetits-bourgeoisaulieudes’opposeràlagrandebourgeoisie.

Mais, progressivement, la classemoyenne se paupérise sous l’effet de la concurrence pour letravail et de la concurrence commerciale avec la grande industrie. C’est à cemoment qu’elle doitrejoindralaclasseouvrièredanssaluttepolitiqueafinqu’ellesdéfendent,ensemble,leursintérêts.

c) Une théorie de l’histoire

On peut dire que cette dialectique entre les rapports de production et les forces productives débouche chez Marx sur une théorie des révolutions. Il part d’un premier constat : chaque société humaine est caractérisée par son mode de production. A partir de ce premier constat, il cherche à comprendre deux types de phénomènes : - Comment se forme historiquement une classe sociale et un mode de production particulier - Comment expliquer le passage d’un mode de production à un autre

Pour répondre, il étudie et compare entre eux les différents modes de production qui ont pris forme au cours de l’Histoire des sociétés occidentales, de l’antiquité jusqu’à nos jours. Pour Marx, la réponse à ces deux questions est liée.

L’émergence historique d’une classe sociale donnée et sa prise de pouvoir passent par un changement de mode de production. Ce schéma de l’évolution des sociétés humaines par des révolutions

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successives est ce que l’on appelle le matérialisme historique : chaque société humaine finit par être traversée par une révolution, résultat de la lutte d’une classe opprimée pour s’affranchir de sa domination et des changements matériels à l’œuvre dans cette société. L’expression de ce matérialisme historique est la suivante : c’est l’idée que les formes sociales sont déterminées par les conditions d’existence matérielle, qui sont elle mêmes des produits historiques et transitoires.

On ne peut pas comprendre une société sans s’intéresser à la manière dont elle organise la production è celle-ci place les individus dans des relations de dépendance, de hiérarchie etc. Mais ces bases matérielles ne sont pas données, elles évoluent dans le temps et sont transitoires car marquées par des révolutions successives qui marquent la transition d’une société à une autre. v Idée que les hommes sont dans des rapports déterminés nécessaires. Les humains produisent leurs moyens d’existence et en les produisant, ils se produisent eux-mêmes en tant qu’êtres sociaux. v Ces rapports diffèrent selon les phases historiques : patriarcat, esclavage, servage ou salariat donnent lieu à des idées, des cultures, des philosophies et des religions différentes. v Pour Marx, c’est le monde matériel qui détermine le mouvement historique. Le mouvement historique résulte des contradictions qui apparaissent à un moment donné entre les forces productives et les rapports de production (c’est à dire entre les travailleurs d’une part et la production des richesses d’autre part). à Pour Marx, ces contradictions ne suffisent pas, il faut aussi que les hommes fassent leur histoire, c'est-à-dire qu’ils conquièrent le pouvoir politique. Cette histoire dépend des rapports sociaux qui sont associés au travail.

Finalement, l’action des classes sociales détermine non seulement le mouvement dialectique de l’histoire, mais aussi la superstructure d’une société donnée.

Mouvement dialectique = mouvement traversé par des contradictions qui s’opposent entre elles, et vont être dépassées par la suite. à On parle de mouvement dialectique de l’histoire parce que pour Marx dans chaque société il y a ces contradictions, qui vont être dépassée suite aux révolutions.

d) Le conflit moteur du changement social La notion de conflit est centrale dans l’ouvrage de Marx, c’est ce qui en fait son originalité. C’est cet antagonisme qui est selon lui à l’origine du changement social. C’est donc en cela un principe explicatif, qui est comparable en cela à d’autres principes élaborés par des auteurs tels que Tocqueville : il explique le passage d’une société à une autre par l’égalisation des conditions. Chez Weber, ce principe explicatif est la rationalisation de l’ensemble des sphères d’activité. Chez Durkheim, c’était l’accentuation de la division du travail. Ils répondent tous à la question : pourquoi à un moment donné une société se transforme-t-elle jusqu’à modifier l’ensemble de ses principes d’organisation, à la fois économiques, sociaux et politiques ? Ce qui est original chez Marx, c’est l’idée que la cohésion d’une société et son histoire est le produit du conflit qui oppose différentes classes sociales.

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L’histoire des sociétés humaines va tendre vers la libération du prolétariat et la mise en place d’une société sans classes => optimisme grâce à ce mouvement historique. Mais Marx est indigné quand mm vis-à-vis de ce qu’il constate à son époque : le capitalisme, période de lutte particulièrement exacerbée entre les classes sociales. Donc à la fois optimiste et indigné. Pour qu’il n’y ait plus de hiérarchie, moment de transition qui est celui de la dictature du prolétariat.

IV- Aux origines de la propriété privée et du régime de production capitaliste Certains individus se sont trouvés propriétaires de moyens de production alors que d’autres n’avaient à leur disposition que leur force de travail.

« L’existence de la domination de la classe bourgeoise a pour condition essentielle l’accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l’accroissement du capital. La condition d’existence du capital, c’est le salariat »

On peut relever 3 mécanismes qui expliquent selon Marx la genèse du mode de production capitaliste (ces mécanismes datent selon lui de bien avant l’aire capitaliste en elle-même, à l’époque féodale ou en tout dans sa phase de déclin, lorsque l’accumulation primitive a eu lieu).

Ø Accumulation de richesse par accumulation des biens Ø Accroissement du capital Ø Mise en œuvre du salariat, qui repose sur la propriété privée des moyens de production et qui va

permettre à un employeur de rémunérer des travailleurs libres sous la forme d’un salaire pour mettre en œuvre la production et tirer une plus-value de ce travail.

a) L’accumulation primitive (texte 4)

Des propriétaires ont pu s’enrichir sur le travail d’autrui. Les fondements de l’économie capitaliste moderne apparaissent fin 15e début 16e siècle.

Définition

L’accumulation primitive est le processus de création des conditions matérielles nécessaires à la naissance du capitalisme. L’accumulation, c’est la transformation d’une fraction du surproduit social en force productive nouvelle.

Le surproduit social est la part de richesse non pas affectée à la consommation de biens, mais affectée à l’acquisition d’un capital qui va ensuite pouvoir être exploité. C’est ce que l’on appelle de nos jours en comptabilité la formation brute de capital fixe.

Il faut que le surproduit ne soit pas complètement consommé mais qu’une partie soit épargnée pour pouvoir investir dans l’acquisition de forces de production. Combinées avec du travail, celles-ci pourront alors permettre l’accroissement de ce surproduit et produire des richesses additionnelles.

Marx,LeCapital«Lesecretdel’accumulationprimitive»

Marxs’opposeà lavisiond’AdamSmithetdeRicardosur l’accumulationprimitive.Elleestpourluilerésultatd’unelutteviolented’uneclassecontreuneautre.

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AdamSmith est un économiste connupour de sa théorie économique libérale, dont fait partie sathéoriede«lamaininvisible».Selonlui,ilexisteunmécanismeéconomiqueautorégulé,lemarché,quipermetàchacunderépondreàsesbesoinset,danslemêmetemps,demaximisersesintérêtsindividuels(profits).Lasommedesintérêtsparticuliersmènealorsaubien-êtrecollectif.

Pour Marx, cette théorie qui part du cas d’un individu isolé ne prend pas en compte lesstructures économiques et sociales dans lesquels sont pris les individus collectivement. Pour lui, ilfautrepartirdelasituationdanslaquellesetrouventplacéslesindividusetlesopportunitésréellesquileursontoffertesdes’enrichiràleurproprecompte.

Lavision libéralede« l’accumulationprimitive»vautalorspour«mythe»—mytheselonlequel les individus ayant travaillé « dans le droit et la vertu » se seraient enrichis, alors que lesautresauraientvécudansleviceet«lepéchééconomique».Marxmontre,toutaucontraire,queles paysans producteurs se retrouvent sans moyens pour produire et qu’ils n’ont d’autre choix àcetteépoquequedevendre leur forcede travailpuisqu’ilsontétédépossédésde toute formedepropriété.Leurforcedetravailestleseulbienqu’ilspossèdentaumomentoùémergelecapitalisme

Pourquecettesituation,dans laquelledespaysanssontcontraintsdevendre leurforcedetravail, ait pu apparaître, il a fallu, pour Marx, qu’un certain nombre de facteurs historiques etsociaux se conjuguent et qu’ils laissent libre champ à une expropriation illégale des terres par labourgeoisie.

Marx s’oppose à Adam Smith et David Ricardo, qui sont des théoriciens libéraux de son époque.

Ils ont formulé cette théorie de l’accumulation primitive à partir de ce que Marx appelle un « mythe » = celui de l’enrichissement personnel. Marx s’oppose à cette théorie selon laquelle des individus deviennent subitement vertueux, mettent de l’argent de coté et donc deviennent capitalistes. C’est un processus « magique », qui insinue que les autres sont des oisifs qui ne font que dépenser leur argent, consommer sans épargner etc. Mais cette théorie met de coté les conditions de cette appropriation, qui s’est faite dans la violence. Ces économistes libéraux portent selon Marx un jugement moral et non scientifique, qui fait oublier les conditions historiques de la formation du capital bourgeois, par l’extraction violente et les conditions dans lesquelles ont été placés les travailleurs.

Ils voudraient nous faire croire que c’est grâce à la propriété privée et au droit qu’ils se sont enrichis, alors que selon Marx c’est grâce à la violence qu’ils ont exercé sur d’autres individus.

ð Pour Marx, la propriété n’est pas la cause de l’enrichissement mais l’aboutissement d’un processus historique : il inverse ainsi le raisonnement causaliste. b) La Révolution de 1848 (texte 3)

ð Dans ce texte, Marx cherche les causes de la formation de la société moderne, source de la société

bourgeoise et du renversement de l’ordre féodal.

Marx,Le18BrumairedeLouisBonaparte(1851)

Marxrevientsurlafaçondontlabourgeoisieapeuàpeuinvestilesorganesdepouvoir.Cetexteretrace les principales étapes et références historiques qui ont contribué à l’émergence d’un État

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modernebourgeoisenFrance.Marxl’intitule«Le18BrumairedeLouisBonaparte»enréférenceaucoupd’ÉtatdeNapoléonBonapartede1799.

NapoléonBonaparteestconnupouravoirétédespotique,maispouraussipouravoirfavorisélacentralisation.LepremieretlesecondBonaparteonttousdeuxétédesempereursrespectivemententre1804et1815etentre1852et1870.L’arrivéeaupouvoirdeLouisNapoléon(ouNapoléonIII)survientaprèsunepérioded’émeutesquimetfinprogressivementàlamonarchiedeJuillet.

LamonarchiedeJuilletavaitétéinstauréeenFrancele9août1930aprèslesémeutesdes«troisglorieuses».C’estunmembredelafamilleBourbon,Louis-Philippe1er,delamaisond’Orléans,quiavaitétéintroniséroi.Ellepritfinle24février1948aveclaproclamationdeladeuxièmeRépublique.QuantauxBonaparte,ilsreprésententla«dynastiedespaysans».

Selon Marx, la formation de l’État moderne est le résultat de la conjonction de plusieursévènementshistoriques. Ilsdébutentdès l’époque féodale, lorsqu’apparaissent lesprémissesde lacentralisation et qu’un nombre croissant de services publics sont progressivement gérés par uneadministrationunique(universités,cheminsdefer,etc).

Par ailleurs, la division du travail a créé de nouveaux groupes d’intérêts. Selon Marx,l’avancementdeceprocessusnesuffisaitpaspourparlerréellementd’Étatmoderneindépendantetdeclassebourgeoise.Pourlui,«labureaucratien’étaitquelemoyendepréparerladominationdelaclasse bourgeoise ». De même, sous la Restauration et sous la République parlementaire, labureaucratien’était«qu’uninstrumentdelaclassedominante».

Cen’estquesouslesecondBonapartequel’Étatdevientréellementindépendant.Napoléonestéluparlaclassebourgeoiseettravaillisteetmarqueunmomentoùlabourgeoisieestpuissante.Eneffet,selonMarx,lesBonaparteappartiennentaupeuple,ilssontles«élusdespaysans».Lorsquelesuffrageuniversel (restreint) est établi, lespaysans votent surtout contre l’ordre féodal. Il y aunealliance inconscientedesclassesàcemoment.Eneffet,pourMarx, lespaysansneconstituentpasuneclassesocialeàpartentière,carilssonttousindépendantsetnepartagentaucunlienavecleursvoisins. En étant totalement autosuffisants, la famille et le paysan ne tissent aucun lien avec lesautres paysans parcellaires. Même s’ils partagent des conditions de vie identiques, ils n’ont pasconscience d’un intérêt commun pour eux-mêmes, ce qui les empêche de le revendiquer et des’affirmercommeunevéritableclassesociale.

c) L’exemple de l’Angleterre (texte 5)

Marx,LeCapital«L’expropriationdelapopulationcampagnarde»

Marx prend l’exemple de l’Angleterre pour illustrer les évènements historiques qui ontpermis une expropriation violente et le maintien de la population paysanne dans une positionprécaire.Marxillustrecesmécanismesd’expropriationenprenantl’exempledel’AngleterreduXVesiècle,carcesmécanismesd’expropriationyontaboutibienplustôtqu’enFranceouenAllemagne.Deplus,enAngleterre,leprocessusd’expropriations’estdérouléd’unefaçonplusradicale.Elleamisdansunesituationdeprécaritétouteuneclassepaysanneetaentraînédenombreuxmortsquivontmarquerl’Angleterre.

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Marx revient sur la situation antérieure, à l’époque féodale, avant que l’Angleterre neconnaissecespremièresexpropriations.Àcetteépoque,une foisque la récolteétait terminée, lespaysans bénéficiaient de terrains communaux sur lesquels ils pouvaient récolter une partie de laproductionetengarderlesfruits,mais ilsétaientsousl’égided’unseigneuretn’étaientpaslibres.Unepartiedeleurproductionrevenaitàcelui-ci.

Plusieurs facteurs vont permettre la dépossession des paysans de ce droit d’usage etl’appropriation par la classe bourgeoise des moyens de production. Parallèlement à unaffaiblissementdel’économieagricole,uncontexteconflictuelautourdelapropriétéseigneurialevaconsidérablementaffecterlepouvoirdelanoblesseauXVesiècle.

La«guerredesDeux-Roses»désigneunesériedeguerrescivilesquisesontsuccédéentre

1455 et 1485. Ce conflit opposait les Yorks et les Lancastre, deux branches des Plantagenêt. Lesdroitsdesuccessionsontaucentredececonflit:leducdeLancastredétrôneen1399RichardIIauméprisdesdroitsdesuccessiondel’héritierdésigné:RogerMortimer.C’estàlamortdeLouisVen1422etàl’arrivéeautrônedufaibleHenriVIqueleducd’YorkRichardrevendiquelacouronne.Leconflitprend finà lamortdeRichard IIId’Angleterreen1485 :HenriTudor,ouHenriVII,parvientainsiàréunirlesdeuxbranchesparmariage,quiappartiennentalorsàlafamilledesTudor.ð Cesconflitsvontavoirpoureffetd’affaiblirlapropriétéseigneurialeetlanoblesse. Chronologiedesévènements

Le contexte est alors favorable à la prise de pouvoir politique d’une nouvelle classe qui

monteenpuissancegrâceàl’expansionéconomiquedesonactivité:labourgeoisiedontlecri,nousditMarx,sera«latransformationdesterresarablesenpâturages».Lesmaisonsdespaysansetlescottagesdestravailleurssontprogressivementrasésetdétruitspourenfaire«desparcsàmoutons»pourlaproductiondelalaine.

Sil’expropriationdespaysans«désolelepays»etquedesloissontpasséespourlimiterlesexpropriations, beaucoup de fermes et de bétail s’accumulent en « peu demains » favorisant lesrentesdecesnouveauxpropriétaires.DuXVesièclejusqu’auXVIesiècle,cesprisesdepossessionsefont individuellement. Au XVIIe siècle, l’arrivée au pouvoir de Guillaume III d’Orange « faiseurd’argent,nobleterrainetcapitalisteroturier»précipiteledéclindupouvoirseigneurial.

Leroyaumecroulesous lesdettesetdoit revendresesterrainspourdemodiquessommesoulesannexeràdespropriétésprivées.Ongaspilleletrésorpublic.

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à C’est pour Marx le moment qui jette les bases de la prise de pouvoir de la future oligarchiecommercialeanglaiseàtraversl’appropriationfrauduleuseetillégaledesbiensdudomainepublicetlepillagedesbiensdel’Église.

AuXVIIIesiècle,cemouvementestparachevépar la formeparlementairequeprend levolcommis sur les communes au travers des lois sur la clôture des terres communales (Inclosures ofCommons).Desavocatscherchentàprésenterlapropriétécommunalecommeunepropriétéprivéeetréussissentàfairevotercesloisauparlement.

AuXIXesiècle,commelesouligneMarxdanssontexte:«Onaperdujusqu’ausouvenirdulienintimequirattachaitlecultivateurausolcommunal.»

Ø Troisfacteursexpliquentalorscommentilsfurentdépossédés:

●Laséparationentrelesmoyensdeproductionetleproducteur●Lamiseenplaced’untravaillibre.Lespaysansvontêtrelibérésdusystèmedeservageetdescorporationsaumomentmêmeoùilsvontêtredépouillésdeleurspropresterres:«Del’autre côté, ces affranchis ne deviennent vendeurs d’eux-mêmes qu’après avoir étédépouillésdetousleursmoyensdeproductionetdetouteslesgarantiesd’existenceoffertesparl’ancienordredeschoses».●Laprisedepouvoirpolitiquedelaclassebourgeoisecontrelepouvoirseigneurial.

V – La dynamique de l’économie capitaliste

La dynamique capitaliste permet aux propriétaires de s’enrichir sur le travail d’autrui et d’en tirer une richesse additionnelle qui va elle-même produire d’autres richesses, permettant ainsi l’émergence de grandes fortunes industrielles.

« Nous avons vu comment l’argent devient capital, le capital source de plus value, et la plus value source de capital additionnel »

Pour comprendre les mécanismes qui permettent au capitaliste d’exploiter le travail ouvrier, il faut revenir sur la théorie marxiste de la valeur travail.

a) La théorie de la valeur travail

Construite en opposition aux économistes libéraux de son époque (Smith et Ricardo), l’exploitation du travail d’autrui n’est pas spécifique au capitalisme, mais elle prend une forme particulière dans les modes de production capitalistes.

Ce mode d’exploitation particulier est contenu dans ce que Marx appelle la plus value. Pour comprendre comment elle se crée, il faut comprendre que pour Marx, la force de travail est une marchandise comme une autre, elle peut donc se vendre et s’échanger contre rémunération.

ð Marx distingue la valeur d’usage de la valeur d’échange de la marchandise.

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- Valeur d’usage : correspond à l’utilisation qu’un homme fait d’un objet, quel qu’il soit. Ce qu’un individu consomme, utilise et possède a souvent une valeur d’usage pour lui = une utilité.

Toutes les marchandises n’ont pas une valeur d’usage. Selon Marx, il y en a qui n’ont pas d’utilité ou pas de valeur marchande (ne s’échangent pas sur un marché).

- Parmi les biens que l’on consomme, la plupart ont aussi une valeur d’échange spécifique. Ils sont produits pour être échangés. Il faut que la marchandise ait été transformée (matières premières consommées, ouvrier qui a utilisé une machine…)

à On peut se demander : comment la valeur d’échange de cette marchandise va-t-elle être fixée sur le marché ?

Cela ne peut pas correspondre à sa valeur d’usage, car celle-ci est subjective.

Selon Marx, la valeur d’échange d’une marchandise correspond en fait à la quantité de travail humain investi dans la production de la marchandise en question. C’est le nombre d’heures de travail nécessaire à la production. Plus cela demande de travail, plus la valeur d’échange est importante. ð La valeur de n’importe quelle marchandise est donc proportionnelle à la quantité de travail moyenne

pour la produire. C’est ce que l’on appelle la valeur travail.

On peut finalement rapporter toute marchandise à une somme de travail humain. C’est donc le travail qui produit la valeur de la marchandise. Il faut prendre en compte que cette valeur peut varier en fonction de l’offre et de la demande. Mais pour construire leur modèle, Marx et Engels partent de l’hypothèse d’une demande stable.

Le travail a pour Marx une double dimension :

- Une dimension physiologique = le taux d’effort dépensé pour produire (physique et psychologique) - Une dimension sociale = le temps dont dispose la société pour acquérir un bien produit par un

travailleur. Exemple : c’est le fait qu’un chasseur qui produit de la viande, selon qu’il chasse un lièvre ou un serf, n’aura pas besoin de la même quantité de temps pour tuer ces deux animaux.

C’est le marché qui en acceptant la production de tel ou tel bien, transforme le travail privé du producteur en travail social au sens de travail ayant produit une valeur d’usage.

La valeur et la grandeur du travail se définit pour Marx par la quantité de travail socialement nécessaire pour produire un bien. Cette quantité n’est pas la quantité de travail effectivement fournie dans chaque entreprise, mais une quantité nécessaire socialement, c'est-à-dire en moyenne pour cette branche d’activité, pour un niveau donné de développement technique.

b) La théorie de la plus-value

ð Comment le capitaliste peut-il tirer une plus value ?

La plus-value ne se crée pas au moment de la mise en circulation des biens sur le marché, mais tout d’abord et en premier lieu au moment de la phase productive. Pour Marx, c’est la force de travail qui est la seule marchandise capable de créer plus de valeur qu’elle n’en a. Ce n’est pas la marchandise en elle-même qui crée de la plus-value.

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Cette force de travail ne se confond pas avec le travailleur lui-même (ce n’est pas lui qui est acheté), elle ne se confond pas non plus avec le travail, c’est à dire avec la fonction qui n’existe pas encore au moment où est passé le contrat.

La force de travail, c’est donc ce que le propriétaire achète afin de faire fructifier son capital de départ, constitué de matières premières et de machines. Le capitaliste verse un salaire au producteur en échange de cette force de travail.

Ce salaire doit être équivalent à la quantité de travail socialement nécessaire à la production, et rémunère aussi le temps dont l’ouvrier a besoin pour reconstituer sa force de travail = se reposer etc

Comment l’échange force de travail – salaire peut il produire de la valeur ajoutée ? Quand est ce que le capitaliste gagne de l’argent additionnel ?

Le sur-travail désigne le temps supplémentaire nécessaire à la production de la marchandise, et pour rémunérer la reconstitution de la force de travail

La plus-value est la différence entre la valeur créée par l’ouvrier et le salaire qui lui est versé.

Pour Marx, dans le mode de circulation capitaliste, le capital circule selon le modèle suivant :

A => M => P => M’ =A’

Réinvestissement de A’ ensuite

A désigne l’argent de départ, qui sert à acheter le capital constant (machines et matières premières) et la force de travail d’un ou plusieurs ouvriers (capital variable) : c’est A qui permet de mettre en œuvre la production P et de transformer la marchandise de départ M en une nouvelle marchandise M’

Le capitaliste va ensuite pouvoir revendre M’ et gagner A’

Avec ce surplus d’argent, il va pouvoir réinvestir dans du capital de départ A, et ainsi de suite

ð Ce schéma résume la circulation du capital selon Marx dans l’économie capitaliste.

Ce qui caractérise le mode de production capitaliste, c’est que dans ce schéma M’>M (car A’>A) Pour Marx, la quantité A’ – A est la plus-value. Pour comprendre comment se crée une plus-value pendant une étape productive, on peut prendre un exemple concret. • Imaginons que la force de travail d’un ouvrier a la valeur de 4h de travail par jour. • Par ailleurs, cet ouvrier va travailler 4h par jour. Dans ce cas précis, il travaille exactement le taux

horaire de ce pour quoi il est payé. Pour pouvoir travailler, l’ouvrier doit utiliser le capital constant (= les machines)

• Cela coûte une heure de travail par jour au capitaliste de mettre à disposition la machine pour la production pendant 4h

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Dans ce cas, cela aura donc coûté au capitaliste 5h de travail par jour de mettre en œuvre la production. La valeur de la marchandise produite sera de 5h, autrement dit aucune plus-value n’a été créée, le coût de production est exactement égal à la valeur de la marchandise. ó M = M’ car A = A’ • Si l’ouvrier travaille 8h par jour (à coût inchangé pour le capitaliste, il est toujours payé 4h) • Le coût de la mise à disposition de la machine passe à 2h (il travaille 2 fois plus longtemps, donc

utilise la machine 2 fois plus longtemps). ð Le prix de la marchandise sera alors égal à 2h de capital constant + 8h de travail (4h achetées pour le salaire de l’ouvrier + 4h supplémentaires qui ne sont pas payées) = 10 heures Le coût de production de la marchandise sera de 6 Donc ici, la plus-value est de 4. La valeur du travail de l’ouvrier > à la valeur de son salaire ó il crée plus de valeur de travail qu’il n’est payé pour le faire ð c’est précisément là que le capitaliste peut dégager des profits, en générant une plus-value Il y a ici un sur-travail, car l’ouvrier travaille plus que sa rémunération. ll est exploité : il fait une partie de son travail gratuitement pour le capitaliste, car il ne dispose pas des moyens de production. Mais il ne le sait pas, donc en plus d’être exploité, l’ouvrier est aliéné. Dans la sphère de production, la force de travail crée une valeur supplémentaire que le capitaliste s’approprie gratuitement. Dans ses ouvrages, Marx dit que le capitaliste dispose d’autres moyens pour augmenter encore d’avantage la plus-value. • Il peut par exemple acheter la force de travail de plusieurs ouvriers, et les faire travailler dans un même

endroit. Il tirera alors de la plus-value de la force de travail de chacun d’eux, mais aussi de leur coordination.

• Il peut aussi augmenter la durée du travail ou son intensité, c'est-à-dire les cadences. • Il peut réduire les salaires ou acheter des matières premières moins chères. • Il peut enfin introduire un progrès technique dans la production, qui va permettre de réduire le temps

de production des marchandises. Pour conclure sur cette extraction de la plus-value, pour Marx, le passage d’un mode de production féodal à un mode de production capitaliste est marqué par l’apparition de cette plus-value dans le processus production. Dans le mode de production féodal, le propriétaire vendait un bien pour en acheter un autre qui était qualitativement différent mais équivalent en valeur

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C’est l’inverse dans le mode de production capitaliste : le capitaliste va acheter pour revendre en dégageant une plus-value. L’argent, qui était avant un moyen d’acquérir un bien, devient ici sa propre fin puisque le capital engendre un capital additionnel. ð Pourquoi l’ouvrier accepte d’échanger sa force de travail alors qu’il est exploité ? C) L’aliénation par le travail 4 raisons peuvent expliquer que l’ouvrier accepte de vendre sa force de travail, même s’il est exploité : - Il ne possède pas les moyens de production (ni atelier, ni machines pour travailler pour son propre

compte…) - Il n’est pas propriétaire des résultats de son travail (par exemple s’il produit une voiture, elle ne lui

appartient pas) - Il ne possède pas les marchandises qui lui permettront de reconstituer sa force de travail. Il doit

percevoir un salaire pour acheter ces marchandises. - Pour Marx, le travail est devenu opaque, alors que dans le servage et l’esclavage les exploités étaient

conscients de travailler gratuitement pour leur maître, le salarié n’a lui pas conscience de se faire extorquer le produit de son sur-travail.

Le mode de production capitaliste ne peut pas fonctionner s’il n’y a que des petits travailleurs indépendants. Il faut que le travail soit social, c'est-à-dire qu’il coordonne en vue de son exploitation la force de travail de plusieurs producteurs. Quel est l’effet de cette coordination ? (texte 7) Pourquoi le travail devient social dans le mode de production capitaliste selon Marx ? ð Le travail devient social dès le moment où un seul individu exploite plusieurs salariés à la fois. La

coordination de ces forces de travail individuelles provoque l’apparition d’une force collective. La coordination nécessite des contrôles à tous les étages, pour surveiller la coordination et s’assurer de son fonctionnement dans chacune de ses étapes.

La mise en coopération du travail pour les capitalistes eux-mêmes va avoir pour effet de défavoriser les petits propriétaires par rapport aux grands propriétaires, qui vont absorber les autres peu à peu. L’aliénation des ouvriers est la conséquence de cette organisation du travail, avec la coopération. Il ne faut pas confondre exploitation et aliénation. ð L’aliénation est un phénomène plus complexe que l’exploitation : il désigne au sens fort le fait de devenir étranger à soi-même au travail. C’est la conséquence du fait que l’ouvrier est dépossédé des outils de travail, il ne peut pas travailler pour son propre compte. Le produit de son travail ne lui appartient plus non plus. L’ouvrier est aliéné par le système capitaliste lui-même. Il produit en effet un monde extérieur à l’homme : le monde des marchandises, qui finit par guider l’ensemble des activités humaines.

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L’individu laisse quelque chose sortir de lui-même, et devenir une influence extérieure sur sa vie. ð Les ouvriers travaillent à leur propre exploitation sans en avoir vraiment conscience ! Marx décrit l’homme démocratique comme tiraillé entre sa situation politique en démocratie, qui fait qu’il peut accéder à un universel égalitariste, et sa position dans la société civile qui le mortifie. Il développe alors une approche dite de l’homme total, dans laquelle l’homme n’est pas mutilé par la division du travail. Pour Marx, c’est dans la société communiste que l’homme va pouvoir s’épanouir, en profitant de l’ensemble de ses facultés humaines sans jamais avoir à se spécialiser. VI - L’avenir compromis du capitalisme Marx ne s’intéresse pas seulement au mode de production capitaliste en lui-même, mais aussi à son avenir et aux contradictions qui le traversent Cet avenir lui parait relativement problématique, car l’accumulation du capital a des conséquences inattendues.

a- Les effets des contradictions internes au mode de production capitaliste Les contradictions proviennent du mode de production capitaliste lui-même et aux contradictions qu’il met en œuvre. Dans le texte 6, on retrouve ces deux grandes contradictions du mode de production capitaliste : - Accroissement des inégalités : on assiste à une polarisation des classes et à une augmentation du

nombre de prolétaires. L’accumulation du capital est de plus en plus grande dans les mains de grands propriétaires.

- Pour Marx, le taux de profit moyen général produit par le capitalisme va avoir tendance à baisser au cours des années. Cette contradiction a pour origine le remplacement de plus en plus grand du travail des hommes par celui des machines.

Marx parle de la loi tendancielle de baisse du taux de profit. C’est le fait que les efforts individuels des capitalistes pour augmenter leur profit personnel vont avoir pour conséquence indirecte et involontaire de faire baisser le taux de profit moyen général. C’est une tendance sur le long terme, qui vient du mécanisme suivant : avec l’accumulation du capital, les capitalistes sont amenés à acheter toujours plus de travail. Si les salaires n’augmentent pas, alors on a des tensions sur le marché de l’emploi, qui poussent finalement à la hausse des salaires. Mais si les salaires augmentent, alors la plus-value du capitaliste sera plus faible. C’est pourquoi les capitalistes vont avoir tendance à augmenter la part de capital constant (de machines) au sein des entreprises. Cette baisse du taux de profit est pour Marx la conséquence de l’accumulation capitaliste. Elle a pour effet de produire des crises successives dans la production, qui vont amener des faillites etc…

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Marx dit « L’heure de la propriété capitaliste a sonné ». Le système s’essouffle et connaît des crises récurrentes. On a des crises de plusieurs ordres : - La destruction des emplois sur le long terme a pour effet d’augmenter le chômage - Des crises de surproduction, à cause d’un manque de débouchés pour revendre la marchandise - L’obsolescence des machines, qui ne sont plus assez productives ð Ces crises accentuent la paupérisation de la classe ouvrière. Pour Marx, ces crises à répétition permettent à la fois au capitalisme de se renouveler (car elles poussent à ouvrir de nouveaux marchés et à introduire du progrès technique dans la production), mais ont aussi pour effet sur le long terme de renforcer (en taille) la classe populaire sous l’effet de la paupérisation et de la polarisation des classes. Les difficultés s’aggravent d’un cycle à un autre, et la grande majorité de la population se constitue en classe, c'est-à-dire en unité sociale aspirant à la prise de pouvoir et à la transformation des rapports sociaux. Le capitalisme ne va pas s’effondrer de lui-même, mais sous l’effet de ces crises. On a l’apparition d’une conscience politique au sein de la classe prolétaire, et les hommes vont alors faire leur histoire. C’est une combinaison de facteurs qui permet donc d’expliquer le passage d’un mode de production à un autre. Ce sont des mécanismes longs, sur fond historique. - On a une révolution économique, politique et culturelle : le capitalisme ne fait pas que s’autodétruire

de lui même, il faut aussi une révolution par les hommes, qui doivent prendre le pouvoir.

b- La libération prolétarienne Les socialistes utopiques avaient essayé de penser et de mettre en œuvre dès le 19e siècle une société communiste. Marx va dire peu de choses de la société communiste. Il dit seulement qu’elle apparaitra après une phase de transition au cours de laquelle se met en place une société socialiste (et non communiste), qui combinera à la fois mode de production capitaliste et mode de production socialiste. Cette phase de transition socialiste a deux caractéristiques : - Les rapports de production capitalistes ont disparu - La propriété des moyens de production y est collective, assurée par des producteurs associés qui possèdent les moyens de production. Il existe toujours une division du travail afin de produire en quantités suffisantes et de survenir aux besoins de la production. On produit assez de marchandises pour les répartir équitablement entre les travailleurs en fonction de leur temps de travail. Par ailleurs, cette phase de transition n’est possible que par la prise de pouvoir politique des ouvriers ; autrement dit par un passage par la dictature du prolétariat. La dictature doit ensuite progressivement diminuer du fait que tout le monde participe de plus en plus aux décisions politiques à tous les niveaux. Le temps de travail reste cependant toujours le critère de la richesse. ð L’aboutissement est la mise en œuvre de la société communiste. Les richesses sont distribuées selon les besoins de chacun. La division du travail n’existe plus. Le critère de la richesse n’est plus le temps de travail nécessaire à la production.

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On a un nouveau critère de la richesse dans le mode de production communiste : c’est le travail libre, organisé en vue de l’épanouissement de toutes les facultés de l’homme.

Chacun pourra donc exercer plusieurs métiers et activités en fonction de ses envies, et s’épanouir dans chacune de celles-ci en maitrisant la production de son œuvre et les fruits de celle-ci.

c- Actualités et critiques de la thèse marxiste La plupart des critiques ont porté sur les interprétations politiques faites de la pensée de Marx par certains pays et gouvernements. Mais on ne doit pas assimiler sa vision des sociétés à celles qui ont pris forme en URSS et ailleurs dans des démocraties populaires, car elles ont été des féroces dictatures politiques et sociales exercées à l’encontre des travailleurs eux-mêmes. Cette assimilation a été portée par des personnes qui avaient tout intérêt à faire un amalgame entre les deux : ce sont à la fois les personnes de classes dominantes des pays capitalistes, qui en ont fait un « repoussoir », mais aussi ceux qui exerçaient leur pouvoir sur les travailleurs dans ces dictatures. ð Pourquoi cela profitait aussi à ces dirigeants ? Parce que cela leur permet de trouver un fondement idéologique pour se présenter comme les défenseurs de travailleurs, tout en continuant à les exploiter. Ces faits historiques ont contribué à évincer les analyses plus « scientifiques » des ouvrages de Marx. Mais aujourd’hui, on revient à une lecture plus scientifique. Il y a un vrai débat sur la pensée de Marx par rapport aux 30 Glorieuses. En effet, on constatait l’augmentation des niveaux de vie et le grossissement de la classe moyenne, avec une élévation du niveau de vie de chacun. Marx se serait-il trompé ? Robert Nisbet La tradition sociologique Louis Chauvel La fin des classes sociales ð Ces deux auteurs dialoguent pour savoir si la période des 30 Glorieuses a été un moment d’affaiblissement des antagonismes à l’intérieur de la société capitaliste. Mais dès la fin des années 70, on a un retour des crises économiques jusqu’à nos jours. On a par le même coup le retour d’une précarisation de la classe moyenne, qui réanime les débats sur la pensée et l’analyse marxiste. On considère que l’on est maintenant dans un capitalisme financier (à son apogée dans les 90’s, avec la financiarisation de la société). On aboutit à de nouvelles crises. Vont-elles progressivement détruire ce mode de production ? Bourdieu fait pour sa part une analyse structurale des effets de domination et de lutte qui traversent les sociétés actuelles. La reproduction, explique comment les classes dominantes parviennent à se maintenir à la tête de la structure socio-économique capitaliste par des phénomènes de domination. Boltanski et Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme Les auteurs cherchent à comprendre comment le capitalisme, qui s’appuie sur un gouvernement étatique bourgeois, parvient à absorber la critique qui est portée à son encontre.

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ð Pourquoi les critiques n’aboutissent pas à une remise en cause du mode de production capitaliste en lui-même ?

Thomas Piquetti, Le capital au 21e siècle C’est une analyse en termes de classes sociales, qui interroge l’actualité et la pertinence des analyses de Marx deux siècles plus tôt. Texte 6 : Le Capital, Livre I, Section VIII. Chapitre 32, Tendance historique de l’accumulationcapitaliste,1867

Dans le premier texte,Marx cherche à expliquer par quelmécanisme les propriétaires ducapitals’enrichissentsurletravaild’autruidanslemodedeproductioncapitaliste.Ilaffirmeainsique« cequi gît au fondde l’accumulationprimitivedu capital, […] c’est l’expropriationduproducteurimmédiat».

En premier lieu, on rappelle que le travail peut s’acheter et se vendre comme toutemarchandise. Or, on distingue la valeur d’usage (utilité subjective que retire un individu enpossessiond’unemarchandise)desavaleurd’échange(prixàlaquelleelles’échange).

Marx considère, comme les libéraux, que la notion de valeur d’échange d’un produit estprivilégiéepuisquelavaleurd’usageestunenotionsubjective.

La valeur d’échange repose sur la quantité de travail humain investi dans la production(Théoriedelavaleurtravail).Mais,Marx,accordedel’importanceàdeuxdimensionsdansletravail:ilestàlafoisphysiologique(tauxd’effortdépensé)etsocial(ilcorrespondautempsdontdisposelasociétépouracquérirunbienproduitparuntravailleur,àuneépoquedonnéeavecuncertainniveaudeprogrèstechniqueatteintetunecertaineorganisationdutravail).

Cette double dimension influe sur sa valeur : elle équivaut à la quantité de travailsocialementnécessairepourproduireunbien(etnonàunequantitéthéoriqueetindividuelle).

La question de la plus-value est doncmaintenant centrale. La force de travail est la seule

marchandisecapabledecréerplusderichesses. Ilne fautpasconfondre la forcedetravailavec lapersonne(letravailleur,cen’estpasluiquiestacheté)oulafonction(letravailensoin’existepasaumomentoùestconclulecontrat).

Le capitaliste doit rémunérer les ouvriers proportionnellement aux heures de travailsocialement nécessaires à la reproduction de leur force de travail, de façon à ce qu’il puisserenouvelersaforceetcelledesesenfants(salaire).Parcontraste,lecapitalistetiresonrevenudelaplusvalue.

Marxparled’exploitationetd’aliénationdutravailleurdansceprocessusdeproduction.Parcontraste,Marxvadévelopperuneapprochede«l’hommetotal»danslaquellel’hommen’estplusmutiléparladivisiondutravail.Elledoitsurvenirdansl’avènementd’unesociétécommuniste.Texte7:LeCapital,LivreI,SectionVIII,Chapitre13,Coopération,1867

Dans le deuxième texte, Karl Marx évoque les corporations, elles renvoient à uneorganisationsocialedutravail,regroupantdesindividusquipartagententreeuxlamêmeprofession,unrèglement,etunehiérarchie(lesapprentis,compagnons,maîtres).

SouslaplumedeMarx,letermecorporationsrenvoieauxusines.Marxsoutientl’idéeselonlaquelledansletravailàl’usinel’exploitations’accroît,carelles’étendàl’ensembledestravailleurs.Il cite ironiquement Edmund Burke selon lequel un fermier peut- être remplacé par un autre. Àl’usine, les capitalistes peuvent remplacer un travailleur par un autre du fait que les différencesindividuelles (entre leur force de travail) s’estompent et sont couvertes par l’effet du travail engroupe.

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SelonMarx,cetteforcecollectiverésultedel’aspectcombinéetsimultanédesactions:Marxdit«letravailleureffacelesbornesdesonindividualitéetdéveloppesapuissancecommeespèce».Ainsi, le mode de production capitaliste revêt un caractère social, car les travailleurs travaillentensembleen vued’unbut commundans lemêmeprocédédeproduction, suivantune logiquedecoopération.

Lacoopérationdelamassedetravailrequiertalorsunestructurehiérarchique:desofficiers,directeurs,gérants,surveillantsquicommandentaunomducapitalets’assurentdutravail réalisé.Cemode de production a de nombreux effets sur les producteurs : il les pousse à augmenter lescadences et les place en concurrence les uns par rapport aux autres, chacun étant désormaisremplaçable. Siunouvrier s’écartede lamoyenne, sa forcede travail se vendramoinsbien sur lemarchédel’emploi.Ilrisquedoncdeseretrouverauchômage.

Le phénomène de coopération de lamasse de travail profite aux détenteurs des capitauxpuisque les coûtsdeproduction sontmoinsonéreuxet le travail «plusproductif».Cependant, larésistancecontrelecapitalismegranditàmesurequelamassed’ouvriersseconstituecommeclassesousl’effetdescrisesqueconnaîtlemodedeproductioncapitaliste.

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MAUSI- Introductionàl’auteura) Biographie(1872-1950)

MarcelMauss, neveu d’Emile Durkheim, est considéré comme le père fondateur de l’ethnologiefrançaise.

Qu’est-cequel’ethnologie?L’ethnologiesedifférenciedelasociologie,carelleapourobjetd’étudelessociétésnonoccidentalesdontl’organisationsociale,lescroyancesetlesystèmedeparenté(façondonts’organisentlesliensdusang,dumariageetc)diffèrentdesnôtres.L’œuvredeMaussdemeureparticulièrementcommentée,notammentsur2aspects:

- Sonétudesurlanotionducorpsetdelapersonne- Sonétudesurlaquestiondel’échangeetdudon.Mausspratiquecequel’onappelleuneanthropologieéconomique.

Un de ses célèbres articles est Essai sur le don, forme de l’échange dans les sociétés archaïques,publiéen1925dansl’Annéesociologique,quiestunerevuescientifiquefondéeparDurkheim.

Mauss nait en 1872 à Epinal. Il poursuit des études de philosophie à Bordeaux, là où son oncleenseigne, avant de partir à Paris pour sa thèse à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE). Il sepenchealorssurlaquestiondelaprière.Finalement,ilnesoutiendrajamaiscettethèsenotammentàcausedelaPremièreGuerremondiale,maisaussidelamaladie.

Il va être affecté par la perte de ses nombreux amis et collègues ainsi que ses élèves pendant laguerre.IlseraaussiaffectéparlamortdeDurkheim,quisuccombeàunedépressionfaisantsuiteàlapertedesonfilsàlaguerre.

En1925,Mausscréel’Institutd’EthnologiedeParisavecunanthropologueappeléLucienLevy-Bruhlet Paul Rivet. Mauss grandit au moment où sociologie et ethnologie se démocratisent, avec lacréationdespremièreschairesdecesdisciplines.

Son institut va former une génération de grands anthropologues et ethnologues, dont LouisDumont, Georges Dumezil, Michel Léris et Germaine Tillion (grande résistante de la 2nde Guerremondiale).

L’œuvre deMauss est fortementmarquée par son époque, à savoir deux grandes guerres: cellecontrelaPrussepuislaPremièreGuerremondiale.

On a en parallèle l’institution de nouvelles disciplines que sont l’ethnographie et l’anthropologie,ainsiquelaconstitutiondel’écoledurkheimienne.

Le premier grand travail de Mauss a été publié en 1899, il s’agit de La nature et la fonction dusacrifice,quiestunarticled’ethnographie.

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Plusieurspublicationssuivront,commeparexempleRapportréeletpratiquedelapsychologieetdelasociologiepubliéen1924,sonEssaisurledonen1925,L’effetphysiquechezl’individudel’idéedemort suggérée par la collectivité en 1926 ou encore Division et proportion des divisions de lasociologieen1927.

Ses travaux le mèneront jusqu’au Collège de France, où il est nommé en 1930 à la chaire desociologie.

OnabeaucouppenséMausscommeunreprésentantdel’écoleDurkheimienne,néanmoinsildirigeses propres travaux dans des directions spécifiques, qui vont aussi bien concerner le corps que lareligion,l’échangeéconomiqueetc...

Cequifaitlaspécificitédesonœuvre,c’estqu’elleestdisperséeetmultiforme.Ilaessentiellementécritdesarticlesderecherche,quivontêtreréunisuniquementen1950(annéedesamort)sousletitredeSociologieetanthropologiedeMarcelMauss.

Maussn’ajamaisfaitlui-mêmed’enquêtedeterraindanslessociétésqu’ilétudie.Ilaanalysétouteunesériededocumentssurcessociétés,récoltésparsesélèvesoudeshistoriens.Ses travaux sont marqués par une comparaison entre des ères géographiques et des œuvreshistoriquestrèsvariéesquivontdel’antiquitéjusqu’àaujourd’hui.

ContrairementàDurkheim,Mausss’engageenpolitique. IlestmembreduPartiouvrierfrançaisetduparti socialiste révolutionnaire. Ilvaaussi soutenirZolapendant l’affaireDreyfus, etpublierentantquejournalistepolitiquedansl’Humanité.

Dans ses écrits politiques, il dresse une forme de socialisme démocrate en s’opposant aubolchevisme mais aussi au capitalisme libéral, demandant à ce que l’Etat intervienne pourredistribuercertainesformesderichesses.

L’œuvre de Mauss après sa mort va marquer plusieurs grands sociologues et anthropologuesfrançais,notammentClaudeLéviStraussouencoreMauriceGodelieretPierreBourdieu.

b) Unedémarchecomparative

La particularité de la démarche de Mauss est d’être fondée sur la comparaison de sociétés trèsdifférenciées.Pourquoiadoptercettedémarche?CarcommeDurkheim,ilcomptesurl’observationde sociétés à faible division du travail pour saisir les phénomènes sociaux sous une forme plussimple.

Pourquoi est-ce plus simple? Tout simplement parce que la taille de la population est moinsimportantequedanslessociétésoccidentales,etleurorganisationmoinscomplexe.

Cettecomparaisonn’adesenspourluiquedanslamesureoùelleselimiteàlacomparaisondefaitsbien identifiés, et envisagés chacundans leur contexte propre. Elle vise essentiellement à saisir lacomplexitédessociétésmodernesparleurcomparaisonavecd’autresformesd’organisationsociale.

Mausschercheàrendrecomptedelagenèsedecertainsphénomènessociaux,etqualifiesapropredémarched’archéologique: par exempledans l’essai sur le don, il retrace l’originedu systèmedudonetducontre-donjusquedansnossociétésactuelles.

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Cependant,Maussn’estpascomplètementévolutionniste: ilnedécritpasuneévolutiondupasséversleprésentmaisuneévolutionentredessociétésorganiséesautourdesegmentssimpleversdessociétéspluscomplexesàmesurequ’ellessestratifientd’avantage.

Maussrechercheplutôtdesphénomènesuniversauxcommeledon,lareligionouencorelemariage(répondàlaproblématiqueuniverselledelaprohibitiondel’inceste,onvachercherunpartenaireendehorsdesaproprefamille)plutôtquelepointdedépartd’uneévolutiondelaviehumaine.

II- Del’artdesedistinguerparlatechniquea) Lestechniquesducorps

Dansunarticledu17mai1934tiréd’unecommunicationàlasociétédesociologie,Mausscomparedessociétéstrèsdifférentescommel’Angleterre,laFrance,lesUSA,laPolynésie…

Correctiondesquestionssurletexte1

Les techniques du corps désignent l’ensemble des techniques qui viennent répondre à un besoinphysiologiquedel’homme.C’estcephénomènesocialqu’ilentendprendreencompteetcomparerentrelesdifférentessociétés.Cequenousprenonspourdesfaitsindividuelsetpersonnelssontenréalitélerésultatdeprocessussociauxetcollectifs.OnpeutfaireleparallèleavecladémarchedeDurkheimdansLesuicide.

Ø Le corps est le premier instrument des individus, l’outil premier et le plus naturel del’homme.C’est«l’outildetouslesoutils».Mausschercheà:ð Montrerl’originesocialedecestechniquesducorpsð Expliquer les différences qui existent entre les sociétés humaines sur unemême technique et

entrelesindividusouentredesépoquesdifférentes.

Lasociétéimprimeennousdesmanièresdefairespécifiques,destechniquesducorpspropresàuneépoquedonnée, à une aire géographique et au groupe auquel nous appartenonsà c’est pour çaqu’ilexistedesdifférencesentrelesindividus

b) L’habitusetlavirtuosité

Maussmobiliselanotiond’habituspourpouvoirexpliquerladifférenceentrecesindividus.

Maussmetl’accentsurladimensionculturelleethistoriquedugeste.Chaquesociétéaseshabitudesbien à elle. Selon la société et l’époquedans laquelle on vit, onne sera pas socialisé de lamêmefaçon.C’estdanscesensqueMaussdit:«l’actes’imposedudehors».

Lasocialisationconsisteainsienl’apprentissagedefaçonsd’être,defaire,desentiretdepercevoirpropres à une société donnée.Mauss insiste alors sur la tradition, qui influe sur le processus decivilisationetquirendl’apprentissagedugesteefficace.

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Le geste se transmet ainsi de génération en génération, la société évolue et imprime chez lesindividusd’autrestechniquesjugéesplusadaptéesauregarddesesnormesetdesesvaleurs.

Le sexe, l’âge, le groupe d’appartenance et le type de transmission et d’éducation peuvent fairevariercestechniquesducorps.

Maussmetl’accentsurladimensionpsychologiqueetphysiologiquedel’apprentissagequi,commel’éducation,peuventfaireapparaitredesdifférencesdevirtuositéentrelesindividus.

Selon letypedetechniquestransmiseset lescapacités individuellesdespersonnes,ondistingueral’individu imitateur de l’individu prestigieux qui est en mesure d’exécuter et de reproduireparfaitementlegeste.

Lanotiond’habitusvienttraduireleprocessussocialautraversduquellesindividusincorporentcestechniquesducorps.Ilformechezcespersonnesdesfacultésetunehexiscorporelle(façondetenirsoncorps)mobilisablesdansl’ensembledessituationsdelaviesociale.

BourdieudansLaReproduction (1970)définit l’habituscommeunsystèmededispositionsrégléenfonctiondesonappartenanceàungroupesocialparticulier.L’habitus formechez les individusdesdispositionsàagirincorporéedefaçoninconsciente.

Les techniques du corps sont à la fois individuelles et ont une signification collective. La notiond’habitus vient ainsi articuler le niveau de la conscience individuelle avec celui de la consciencecollective.

c) Versunesciencedel’«hommetotal»

Mauss produit un lien très fort entre trois dimensions qui constituent l’homme comme un êtrevivant:

- Biologique- Psychologique- Sociale

Cesdimensionssontaptesàsesignifiermutuellement.Durkheimmettaitl’accentsurl’aspectcoercitifdessociétéssurl’individu.

Maussobserveaucontrairecephénomèneàunniveauplusindividuel,etenmontrelesdifférencesselon les individus. Pour lui, cela se traduit jusque dans les émotions que l’on peut exprimer. Parexemple,onn’apaslamêmeapprochedespleursselonlessociétés.

Lesocialfaitdoncsonapparitionjusquedanslesémotionsexpriméesparlecorps.L’émotions’inscritalorsdansunedynamiquedecommunicationqui traverse legroupe.C’estpourquoi lecorpsselonMaussn’estpasqu’uneréalitématérielle,maisaussilabaseduculturelenoffrantlamatièrepourlessignessociaux.

ð Lecorpsdevientlui-mêmesymbolique,unsystèmedesignesorganiséparlesocial.

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La démarche de l’homme total, concernant l’homme et son corps, est une démarche qui saisitensemble la question du biologique, du psychologique et du social, car tous trois sontindissolublementmêlés.

Ladémarchedel’hommetotals’opposeàuneconceptioncartésiennedel’âmeetducorps,etauxtentativesthéoriquesquiontdécoupél’hommeenfonctiondecertainesdimensions,commel’homooeconomicusoul’homofaber(insistesurlefaitquel’hommeestunproducteur).

III- Echangesetdistinctiona) L’essaisurledon

L’essaisurledondeMaussaétél’undespluscommentésdetoutesonœuvre.Ilchercheàétudierunfaituniversel:lanaturedestransactionshumaines.

Saproblématiqueest:pourquoidans tantdesociétés,à tantd’époquesetdansdescontextes trèsdifférents, lesindividusoulesgroupessociauxsesentent-ilsobligésdedonner,maisaussiquandonleurdonnederecevoir,etderendrecequ’onleuradonné?

Mausscompareungrandnombredematériauxethnographiques,relatifsauxindiensdel’Amériquedu nord, aux Mélanésiens, aux Polynésiens ou encore aux Maoris (Nouvelle-Zélande). Il va alorsmontrer en quoi l’échange dans les sociétés peu complexifiées est non seulement une manièred’échanger des richesses et d’en acquérir de nouvelles,mais aussi de combattre avec ce que l’onpossède.

L’anthropologieéconomiquequ’ilmetenœuvreviseiciàsaisirlestraitscaractéristiquesdessociétéspré-capitalistes(leurorganisationéconomique),puiscelled’autressociétéshumainesselonleurdegrédecomplexité.

UnedesidéescentralesdeMaussestexpriméeàlafindestextes,c’estcellequel’onnepeutpasétudiercessystèmeséconomiquestraditionnelsàpartirdenosproprescatégoriesdepenséesetdenosproprescatégorieséconomiquescommecellesparexempled’échangesmonétairesoudemarchandises.

ð Lacomparaisonmontrequecequel’onappellel’homooeconomicusn’estpasununiversel,maisleproduitd’unepenséelibéralequisedéveloppeaveclecapitalismeoccidental.

«Nousn’avonspastousunemoraledemarchands»:montrecettedifférenceentrecessociétésetlesnôtres.

«Onyverralemarchéavantl’institutiondesmarchands,etavantl’introductiondelamonnaie».

Lemarchételqu’onleconnaitaujourd’huiestuneinstitutionrésultantd’uneévolutiongéographiqueethistoriqueparticulière.Saplacegrandissantedansnossociétésmodernesvadepairavecunerationalisationdel’Etatetdudroitalorsquedanslessociétéspeustratifiées,cesontavanttoutlesrapportsdeparentéquiorganisentleséchangesdeprestationentrelesgroupesetleurappropriationenbiens,enterresouenindividus.

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Danscertainessociétés,leséchangesentrelesgroupesprennentuneformequ’ilappelleholistique(holisme=letout):leséchangesdeprestationss’inscriventdansl’ensembledessphèresd’activitédelaviesociale,qu’ellessoientéconomiques,juridiquesoureligieuses.

b) Lepotlachetlekula

Cetteétudeestnéedufaitqu’ilfaisaitdesrecherchessurlesformesanciennesducontrat.Mausscherchaitl’originehistoriquedescontratsjuridiquesmodernesquiformalisentleséchanges,cequil’amenéàchercherl’originedeséchangesdeprestationsdansnossociétésmaisaussidansdessociétéstrèséloignéesdesnôtres.

Danssonessai,onaunemontéeengénéralité.Dansson1erchapitre,Mausscommenceparétudierlesystèmed’échangepropreàcertainessociétésmélanésiennesqu’ilappelleralepotlachetlesrèglesquiprésidentàcesystèmededonetdecontre-don.Dansle2echapitre,ilfaitladémonstrationquecerégimeestcaractéristiquedetouteslessociétésdupacifique.Dansun3echapitre,ilétendencoresonanalyseetmontrequ’ungrandnombredesociétésanciennesoccidentalestémoignentavecunimpacttoutaussiconsidérabledecemêmephénomène.

Iltermineenconclusionensepenchantsurlessociétésdanslesquellesnousvivons.Aussicomplexesetévoluéesqu’ellespuissentparaître,ellesrévèlentdesmodesderelationanalogues,c'est-à-diredesformesdedonetdecontre-don.

Maussdéfendlathèseselonlaquellelerégimedudontelqu’onapuledécouvrirdansdessociétéssiéloignéesconservesaplacedansnotredroitetdansnotremorale.

• Lepotlach

Dans le langage chinookan (originaire d’une tribu amérindienne du nord-ouest des Etats-Unis),potlach signifie nourrir. Mauss étudie l’exemple du potlatch car il lui semble exprimer de façonparadigmatique(delafaçonlaplusfidèle,laplusparfaitepossible)lesystèmededonetdecontre-donqueretrouvédansdenombreusessociétés.Laformelaplusévoluéedupotlachseretrouvechezlesindiensd’AmériqueduNordquiviventprèsdel’Alaska,entrelesRocheusesetlacôte.

Mauss définit le potlach comme un système de prestations sociales organisé autour de dons etcontre-dons.

Sestroisprincipalescaractéristiquessontque:

- Cenesontpasdes individusquiéchangent,maisdesgroupesetdescollectivitésquis’obligentmutuellement.

- Lesbienséchangésnesontpasforcémentdesbiensutiles:cesontàlafoisdescouvertures,desarmes, mais aussi des biens plus symboliques comme des danses, des repas ou encore despolitesses.

- Lepotlachs’exprimesouslaformedemanifestationssocialestoutaulongdel’année(mariages,funérailles,festins…)oùlestribusserencontrent,etpendantlesquelsl’échangedesprestationsalieu.

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L’échangeestenapparencelibreetgratuit.Ondonneavecabondance,maisenréalitéselonMaussl’échangeestcontraint. Il l’estàplusieurségards,puisquetroisrèglesguident l’organisationdeceséchanges:donner,recevoiretrendreenretour.

Maussvamettreenlumièrel’importancedel’obligationderendre,carenprincipe,rienn’obligeunefamilleàrendrelesrichessesreçues.DanslesîlesSamoa,Maussparviendraàidentifierl’originedecetteobligationderendre:lepotlachaàlafoisunesignificationjuridique,religieuse,mythologique,magique,économiqueetesthétique,cequilepousseàparlerdeprestationtotale.

Dans la religion Maori, les Taonga (choses données) sont forcément attachés à l’esprit de sondonateuretvéhiculentsonmana,c'est-à-diresaforceetsonespritmagique.LefaitquelepouvoirdecesTaongasoitenmesured’entraîner lamortdeceuxqui lesaccepteraientsans les rendreenretourexpliquepourquoil’obligationderendreestsiimportante.

Lorsqu’unclannerespectepasl’obligationderendre, ils’exposealorsàunepertedesonprestige,oumêmeàdesformesderéductionenesclavageoudemiseàmort.

Ceséchangessontdonctraversésparlaviolenceetlacompétition,cequipousseMaussàdéfinirlepotlachcommeun«systèmeagonistique».

3niveauxrégulentl’échange:

- Lecontrôlesocialexercéparlegroupelorsdescérémoniesritualisées- Desrèglestraditionnellesetundroitcoutumier- Unensembledesanctionsquiassurentlacontinuitédeséchanges(lamenacedel’esclavage

parexemple)

ð L’échangestabiliselesrelationshiérarchiquesetl’ordresocialdecessociétés.

• Lekula

Ledeuxièmesystèmed’échangesqueMaussétudiecorrespondauKula.Ils’estinspirépourceladestravauxdeMalinowski,anthropologuepolonais,quipassaunepartiedesavieenMélanésieàétudiercesystèmeparticulierduKula,grâceàdesexpéditionssurleterrain.LeKulacorrespondenfaitàun«grandpotlatch»maisbeaucouppluscomplexe,cardeplusgrandeampleur.Eneffet,ilconcerneunnombreplusimportantdetribusetseretrouvesurdenombreusesilesdupacifique.Ilrestecependantmoinsagonistiquequelepotlatch.La valeur du bien échangé est symbolique et représente ainsi la caractéristique de ce systèmed’échange.Cesbienssontprincipalementdescolliersetdesbracelets.Demêmequepour lepotlatch, lesKulaest traversépar3obligationsmoralesquisontdedonner,recevoiretrendreenretour.Onnerécupèredanscesystème,nonpascequ’onaréellementdonné,maisplutôtunobjetpossédantunevaleuréquivalente.Ilappartientainsiaunouvelacquéreur,c’estson«Kitum»,quiestquantàluilibredelerelancerdanslesystèmed’échangepropreauKulaoude

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l’échangercontred’autresprestationséconomiques,leplusimportantétanttoujourslavaleurdecebien.Deparleurgrandevaleursymbolique,cesobjetspossèdentuneâmemaiségalementunehistoireetunsexe.Cesobjetssont,dans leprincipeduKula, sexuésetuncollierdoit,encirculant, retrouversonbracelet,cequicorrespondenfaitàretrouversonpartenairesexuel.Cependant, ce systèmeconsisteen réalitéenunedémonstrationdes richessesde la tribupar sonchef. Leséchangessepratiquentuniquemententredeschefsdestatutshiérarchiqueséquivalents.Principalement, la démonstration de richesse passe par un échangede bien possédant une valeurplus grande que les autres. En effet, dans le cas présent, le collier va circuler de tribus en tribus,puisquepersonnen’auradebienàvaleuréquivalenteàéchanger,démontrantainsi la richessedupremierchefl’ayantfaitcirculerdanslesystème.LeKula consisteaussiendeséchangesde festinsetde cérémoniesquipermettentégalement dedémontrerlapuissancesocialedelatribu.ð OnnepeutpascomprendrecesystèmeduKulasionarriveavecnoscatégoriesoccidentalespré-

conçuesdemaximisationouderechercheduprofitimmédiat

c) Dessociétéstribalesauxsociétésmarchandes

On a eu un mouvement de stabilisation des échanges entre ces sociétés et les nôtres. On peutdésormaiséchangernonplusseulementdegroupeàgroupe,maisaussid’individuàindividu.

ð Qu’estcequis’estcomplexifiéentrecessociétésetlesnôtres?

Avecl’institutiondudroitetdel’Etat,quivontrégulerleséchanges,sontnésdescontratsjuridiquesquinousassurentaujourd’huileremboursement.

Celaprésupposequeleséchangesmarchandssesoientdéveloppésdansunesphèreautonomequiestcelledel’économie,régieparcesprincipesdudroitsansquecelainterviennedanslesrapportshumainsdelaviedetouslesjours.

On a différencié la sphère de l’économiemarchandede la sphère de l’économie dudon, ce qui adonnélieuàunepacificationdeséchangesentrelesindividus.Maislacontrepartie,c’estquecelaadéveloppé dans nos sociétés des formes d’habitus marchand. Nous sommes devenus pluscalculateurs,plusutilitaristes,parcequel’échangemarchandaprisplusdeplacedansnotresociétéqueledonetlecontre-don.

A-t-onpourautantabandonnétouteformededondansnossociétés?

Non,onal’occasiondedonneretdemarquerparcedonsapositionsociale:mécénatdanslesarts,galasdecharité,quandoninvitedesgensàdîner,lesmariages,funérailles…

Mais l’obligation de rendre est moins importante dans nos sociétés que dans celles étudiées parMauss: le don est valorisé comme plus spontané, moins intéressé, car plus rare (mais il marquetoujoursuneformedesupérioritésociale).

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Lessociétéscapitalistesontuneformededontrèsparticulière:ledonimposédel’impôt,àtraverslequelonredistribuedesrichessessansqu’ilyaitunretour(cesonttouslesimpôtsdesolidarité)

Mauss s’estégalement tournévers les sociétésantiques, lesdroitsanciensde l’économie romainemaisaussilesdroitsgermaniquesquiexistaientàl’époquedelapaysannerieféodale.

Selon lui, à travers cesdroits aussionavaitdes formesdedonetd’échange.Dans les sociétésdumoyen-âgepuisdans lessociétéscapitalistesexistentdesformestransforméesetcomplexifiéesdupotlach.

ð Onadoncunecontinuité,unprolongementdupotlachmaispasdemêmenature,nidemêmeforme

PourMauss,cesontleséchangesmarchandsquidominentlesactivités.Ilssontnonagonistiques(=détachésdeformesdeviolences),maisaussidétachésdeformesdecroyances.

Danslesystèmecapitalistecohabitentdesformesd’échangemarchandavecdesformesdedon,enapparencelibresetgratuits,maisquimarquenttoujoursleprestigesocialdesindividus.

Dans l’échange marchand capitaliste, les producteurs perdent la trace des produits qu’ils ontfabriqué, et ce sont ces échanges marchands qui sont devenus la condition de reproduction desrapportssociaux.

Celaneveutpasdirequelessociétéstribalesignorentpourautantleséchangesmarchands,niquelessociétéscapitalistesignorentcomplètementledonetlecontredon

ð Leproblèmeestsurtoutdesavoirdanschaquecasquelprincipedomineetpourquoi.

LedonestparticulièrementprésentdanslerégimecapitalistepourMaussparcequ’ilvientcomblerlescontradictionsproduitesparcelui-ci.

Conclusion:pourMauss, l’échangedeprestationsestundesrocshumainssur lesquelssontbâtieslessociétés.S’exprimentenluil’ensembledesrèglesquiguidentl’organisationdessociétés.Pourlui,ledoncréeàlafoisdesformesdesolidaritéenmêmetempsqu’ilmarquedesformesdehiérarchieetdedomination.

Sociétés tribales Sociétés modernes

Système d'échange dominant Don Economique

Logique d'échange Collectif Individuel

Contrat Implicite Juridique

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• LienentreMaussetMarx:

Ilyadesdifférencesimportantesentreeux,maisonpeutquandmêmelesrapprocher.

Maussa étudié en détail le don, qui crée des formes de solidarité entre les individus. On peut lerapprocherde l’écoledurkheimienne,quipenseque ladivisiondutravailpacifie lesrelationsentreles hommes. Mauss s’engage en politique et dans le parti socialiste car il défend un socialismedémocrate, pour lequel peuvent exister ensemble des économies marchandes libérales et desformesderedistribution.

QuandMaussparledepacificationdeséchanges,Marxyverraitplutôtdesformesdedominationetdehiérarchisationauseinmêmedesgroupesquiparticipentaupotlachetc.

Maurice Godelier et Shallins, anthropologues marxistes tous les deux, vont venir critiquer lesanalysesdeMaussenmontrantquederrièreces formesdedonetdecontredons’établissentdesrapports de domination à l’intérieur des clans et des familles. En effet, pour que que les chefspuissentéchangercesrichesses,ilfautd’abordqu’ellesaientétéproduitesparlesautresmembresdugroupeetleursoitarrachéspourêtreéchangées.C’estdoncuneformed’expropriation.

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Chapitre 3 : Norbert Elias I) Le cadre de pensée On peut établir un lien entre Mauss et Elias. En effet à la fin de son Essai sur le don, Mauss évoquait la pacification des échanges entre les individus dans les sociétés contemporaines. Il évoquait aussi le fait que nous n’avions plus besoin des armes pour échanger entre groupes et individus. Ce thème de la pacification va être retrouvé chez Elias, de façon toutefois plus interactionnelle. Un autre thème commun est celui de l’interdépendance entre les individus, comme source de concurrence et de conflictualité. Maus a évoqué la question de la « lutte des nobles pour le prestige qui les oblige à donner », car c’est en donnant que les individus se lient par des formes de redevance mutuelle. On retrouve cette question là chez Elias à partir de son étude de la société de cour. Il montre que dans les cours européennes de la fin du 17e siècle apparaissent des formes de concurrence entre bourgeoisie et aristocratie, car chacune sont prises dans des formes de loyauté vis à vis du pouvoir royal. Elias va montrer que cela va obliger ces deux couches sociales à se distinguer mais aussi à se côtoyer les unes les autres - pour conserver leur part de prestige et leur part de pouvoir politique en ce qui concerne l’aristocratie, pour en gagner d’avantage en ce qui concerne la bourgeoisie. a) Eléments de biographie (1897-1990) Norbert Elias est un sociologue allemand né en 1897 à Breslau, petite ville provinciale. Il vit dans une famille juive allemande. Comme beaucoup d’intellectuels à cette époque, il va s’engager dans des études de philosophie. Il va ensuite entamer des études de médecine, qui seront cependant interrompues en raison de son appel en 1915 à participer à la bataille de la Somme. A la fin de la guerre, il reprendra plutôt ses études en philosophie et obtiendra un doctorat dans cette discipline. Il part ensuite s’installer dans la ville d’Heildelberg, qui est un haut lieu de rencontre intellectuelle à l’époque. Il vivra ensuite à Francfort, mais quittera très vite l’Allemagne pour fuir les débuts du nazisme. Il s’installe alors en France puis en Angleterre, et c’est là bas qu’il rédige son ouvrage majeur (publié en deux tommes) sur le processus de civilisation : La dynamique de l’Occident et La civilisation des moeurs. Vers la fin de sa vie, il part s’installer aux Pays-Bas où il décèdera en 1990. Il a vécu très longtemps, et a été témoin de nombreux événements : la révolution Russe, la Première et la Seconde Guerre Mondiale (durant laquelle il perdra sa mère, déportée) puis la chute du mur de Berlin en 1989. Cette confrontation d’événements va nourrir sa pensée intellectuelle, en particulier sur la question de l’apparition du nazisme. Elias questionne l’apparition de la civilisation, or le nazisme est un retour en arrière, une rupture dans le processus de civilisation par un retour à des formes de barbarie. Elias travaille en permanence la question du lien social et de la violence qui le mine, et on peut apercevoir un lien avec sa trajectoire personnelle. Il adopte néanmoins une démarche scientifique en faveur d’une distanciation sociologique face aux événements de l’histoire. Autrement dit, il ne veut pas céder à ses propres affects concernant les événements qu’il étudie. C’est dans un ouvrage intitulé Qu’est-ce que la sociologie? qu’il formalise cette question de la distanciation du sociologue. Le sociologue se doit selon lui de s’extraire de

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ses propres affects et préjugés, notamment en croisant plusieurs méthodes d’investigation du social. Ces méthodes sont en particulier chez Elias la sociologie, l’histoire mais aussi la psychologie. Au moment de leur publication, les ouvrages d’Elias ont une accueil très mitigé voire critique, notamment par rapport au fait que des auteurs vont mal interpréter ce qu’il entend par « processus de civilisation » et vont l’accuser de formes d’ethnocentrisme et d’évolutionnisme à l’égard des sociétés occidentales modernes. Elias est accusé de ne pas chercher à comprendre ce qui est spécifique dans d’autres sociétés humaines, d’appliquer une grille de lecture occidentale sur ces sociétés lointaines (ethnocentrisme). Mais ces accusations ne sont pas fondées, bien que son oeuvre comporte une dimension normative : Elias prend parti en faveur d’une pacification des échanges plus grande. Il est souhaitable selon lui que les individus atteignent un haut niveau d’auto-contrainte et d’auto discipline, la formation d’un sur-moi collectif est érigé comme un idéal à atteindre. Rapport avec la psychologie freudienne : le « ça », le « moi », et le « sur-moi » « Sur-moi » = instance d’intériorisation d’un ensemble de règles formalisées par la culture. Pourquoi Elias prend-il parti pour la pacification des échanges ? -> Il a été profondément marqué par la Seconde Guerre Mondiale, et est par conséquent en faveur de la régulation des pulsions barbares des individus. a) Une sociologie des processus sociaux On dit souvent que la sociologie d’Elias est « processuelle », car elle vise à rendre compte de l’évolution à long terme des structures sociales des sociétés européennes et occidentales en faisant se rejoindre deux niveaux distincts : celui des individus et celui de la société. On parle aussi parfois de sociologie « configurationnelle » D’après Elias, à l’évolution des structures sociales correspond une évolution des structures de la personnalité individuelle. C’est une hypothèse forte, qui veut qu’on puisse expliquer des comportements en apparence individuels. Elias s’intéresse à ce qu’il appelle des « processus sociaux », qui selon lui peuvent éclairer la dynamique du changement social. Ces processus sont selon Elias d’une part aveugles, c’est-à-dire sans but précis prédéfini. Ce sont aussi les processus sur le long terme, c’est-à-dire sans début ni fin repérables. Ce sont enfin des processus non planifiés, c’est-à-dire impersonnels, sans lien avec les intentions d’un ou de plusieurs groupes d’individus. Attention, ce sont néanmoins des processus structurés et orientés. Ils suivent une orientation dont le sociologue doit pouvoir rendre compte grâce à ses méthodes et à ses investigations. Derrière cette approche, on a un présupposé scientifique qui est celui de l’historicité du devenir humain. Elias part d’un point de départ qui est celui de l’entrée de l’homme dans la culture, c’est-à-dire l’apprentissage du langage et de l’écriture. Elias émet des hypothèse sur la façon dont les rapports sociaux se sont formalisés dès le départ de l’humanité. L’entrée dans la culture se fait par le langage et l’écriture, mais aussi par l’apparition de formes d’auto-contrainte. Selon Elias, les hommes ont toujours vécu en petits groupes, et le regroupement de ces hommes en un même lieu et sur un même territoire a formé des interdépendances entre eux, ce qui a eu pour effet de réguler leurs pulsions afin de faire

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perdurer le groupe. Exemple : l’interdiction de l’inceste, qui est une forme d’auto-contrainte dans le choix de ses partenaires sexuels. => Sans régulation, l’homme serait resté à l’état d’esclave de ses pulsions non régulées, ce qui fait obstacle à toute forme de socialisation. Elias reconnaît le caractère pulsionnel de l’être humain. Il considère que l’apprentissage de ces formes de régulation des pulsions a une origine culturelle et historique qui varie dans le temps. Il est donc en rupture avec la psychanalyse (mais finalement pas tant que ça car on retrouve vaguement ce type d’analyses chez Freud). Cette vision d’Elias permet d’échapper à toute polarisation conceptuelle entre ce qui serait de l’ordre de l’individu et du social et ce qui serait de l’ordre de l’individuel, du social et du psychologique. La polarisation conceptuelle est ici l’idée que l’on pourrait séparer le niveau des individus de celui de la société pour expliquer leur comportement, ce que ne pense pas Elias. Elias travaille aussi la question des groupes d’appartenance, qui sont des niveaux intermédiaires entre la société et l’individu. C’est là qu’ils apprennent à se comporter, à communiquer, à réguler leurs émotions et à s’orienter dans le monde. Les individus peuvent stocker des connaissances et les transmettre entre générations au sein de ces groupes. Il va développer la théorie des niveaux d’intégration. Selon lui, individus et environnements s’intègrent à différents niveaux imbriqués les uns aux autres. Il distingue à ce titre le niveau physico-chimique du niveau biologique, du niveau social d’intégration. Le niveau social d’intégration comprend lui même différentes strates d’intégration : - strate individuelle - strate du groupe - strate de l’Etat - strate inter-étatique Selon Elias, ces différents niveaux forment des interdépendances selon la fonction qu’ils remplissent. Dans cette perspective, la sociologie se doit de rendre compte du caractère fondamentalement social de l’individu, qui s’insère dans une configuration historique particulière et qui est toujours dépendant d’autrui. Il est nécessaire selon Elias d’étudier à la fois des relations entre l’homme et la nature, entre les hommes à l’intérieur d’un Etat et des Etats entre eux, mais aussi les relations des individus avec leur propre personne (= le degré de réflexivité et de distanciation qu’ils ont vis à vis de leur propre comportement). Pour Elias, les interdépendances qui se créent entre les différents niveaux d’intégration entre les individus ont pour effet d’accroitre le niveau de contrôle qu’ils s’appliquent les uns aux autres. Pour lui, le fait que nous soyons de plus en plus en contact les uns avec les autres a pour effet d’accentuer le regard social sur les individus. Elias met en évidence 3 niveaux de contrôles fondamentaux qui s’accentuent avec le processus de civilisation (ils permettent de pacifier les interactions) : - La maitrise de la nature et des dangers qu’elle fait peser sur nos vies = lien avec le degré

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de développement des technologies, les connaissances scientifiques. - La maitrise des rapports sociaux et des dangers qu’ils font peser sur les individus (risque

de s’entretuer notamment) = lien avec le niveau de développement de l’organisation sociale.

- La maitrise des affects et des pulsions (=maitrise de soi) : renvoie au processus de

civilisation Elias N., La Civilisation des mœurs, Deuxième partie, Chapitre 3 : Position historique et sociologique du problème Dans ce texte, Elias étudie un changement structurel, signe d’une évolution dans les mentalités, les mœurs et les manières. Il fait part du déclin des valeurs chevaleresques et du christianisme orthodoxe romain, pour comprendre la transformation de la notion de civilité vers le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Il trouve cette transformation dans l’ouvrage largement diffusé à l’époque d’Erasme, De civilitate morum puerilium (La Civilité puérile), publié en 1530. Érasme de Rotterdam est un érudit né aux Pays-Bas et l’une des figures principales de l’humanisme occidental, notamment connu pour son ouvrage l’Éloge de la folie. Dans La Civilité puérile, Érasme cherche à vulgariser la codification des relations sociales et à enseigner la vertu auprès des jeunes “adolescents” (et surtout auprès des jeunes princes) qui se trouvent d’ors et déjà dans la perspective d’un mariage et qui sont amenés à être introduits dans les Cours européennes. Dans cet ouvrage, le sens du mot civilité prend une tournure particulière : alors qu’il renvoyait plutôt au terme de citoyen auparavant (civis), désormais il adopte le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, à savoir celui d’apprendre les bonnes manières et le savoir- vivre. Norbert Élias considère que la diffusion très large du livre d’Erasme dans les cours européennes marque le début d’une diffusion écrite des codes sociaux de politesse, de bienséance mais surtout de civilité qui s’établiront dans la deuxième phase du processus de civilisation. Ce changement de sens est l’un des signes qui marquent la fin du processus de féodalisation et le début de ce qu’il appelle la curarisation (c'est-à-dire l'extension des pratiques de la cour à l'ensemble de la société : la cour, en particulier le Versailles de Louis XIV, qui était le modèle des cours européennes à l'époque classique, imposait en effet à ses membres une pacification des mœurs). Elias est le témoin du fait que nous serions passés d’une phase à une autre du processus de civilisation plus général qu’il décrit concernant les sociétés occidentales modernes.

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Ce changement se produit lorsque les valeurs prônées par l’aristocratie seigneuriales au Moyen-Age (code d’honneur des chevaliers) commencent à se modifier sous l’effet des changements de la structure de pouvoir dans laquelle cette couche sociale va se retrouver prise à cette époque. A la cour, les mœurs aristocratiques se modifient, certaines deviennent obsolètes, d’autres apparaissent, car bourgeois et aristocrates se côtoient quotidiennement à la cour. Cette interpénétration de ces deux couches sociales, sous le contrôle du pouvoir royale, va avoir pour effet direct une inclinaison de leurs comportements : désormais ils ne s’opposent plus dans des combats dans lesquels il faut démontrer sa bravoure et son courage (c’est la fin de la pulsion guerrière), mais rivalisent par le langage, notamment à travers la joute verbale, la démonstration des savoirs et de l’étiquette. Cela signifie que l’individu, plutôt que de prendre l’épée à chaque insulte ou conflit, va apprendre à se contrôler, à réfléchir et réagir de façon graduée selon sa perception, tout en voulant se conformer aux nouveaux codes sociaux. Ainsi, les individus ne se différencient plus grâce au courage et à la bravoure mais à travers l’éloquence verbale. On assiste à cette époque au développement des salons, où il faut se montrer et apprendre à bien savoir parler, démontrer sa culture, sa distinction vestimentaire, culturelle, son bon goût. A partir de cette période, la façon de se distinguer au sein de cette couche sociale évolue. Si dans la période féodale, il y avait aussi un code de l’honneur, celui-ci est désormais tout autre et, au départ, dicté par le Roi. Elias va ainsi chercher à expliquer l’origine de ce changement. . Il souligne que pour le lecteur qui prend connaissance de l’ouvrage d’Erasme, certaines manières tiennent depuis bien longtemps de l’ordre de caractère de l’évidence, alors que d’autres suscitent des formes de malaise : le caractère formaliste de ces prescriptions. C’est le signe pour Elias, que le processus de civilisation, s’est encore transformé et accentué. Il suscite en nous l’idée (fausse) que notre société aurait pu avoir jadis des mœurs barbares (c’est-à-dire peu civiles). Néanmoins, ce n’est là pour Elias que l’effet du processus de civilisation sur nos mentalités, puisque tout au contraire, ces mœurs, à l’époque, étaient considérées comme le comportement le plus civile. Elias cherche également à montrer que les réactions de dégoût que l’on peut avoir par rapport à certains comportements viennent du fait que nous avons nous même intégré de nouvelles formes d’autocontraintes, concernant la démonstration des affects et du corps. Ainsi, ce dégout vis-à-vis de certaines parties du corps se manifeste car nous sommes aujourd’hui dans une configuration sociale encore différente qui nous a peu à peu amené à intégrer d’autres formes de savoir-vivre. Nous pouvons établir un lien avec la chronique « Le piège olfactif de l’été » de Libération : l’origine de la répugnance que l’on peut avoir par rapport à certaines odeurs n’est pas à rechercher dans le corps lui-même, mais plutôt dans les règles sociales qui se sont diffusées et qui nous ont appris à intégrer cette répugnance à l’égard des choses du corps et de la nature. C’est qu’aujourd’hui ces démonstrations physiques des actes du corps nous sont désormais insupportables en raison de l’interdépendance accrue qui s’est établit entre nous. Elles nous ont amené, sous l’effet du temps et de la formalisation de nouveaux comportements, à refouler ou à maquiller ces effluves corporelles, à incorporer en nous les contraintes extérieures du social, et à respecter une nouvelle

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règle du processus de civilisation qui consiste à ne pas donner à voir ou à sentir ces manifestations, mais aussi, à ne pas les faire remarquer trop violemment aux autres. On peut avoir du mal à admettre que notre société fut autrefois « barbare » (dans le sens de moins civilisée).

II) Le processus de civilisation

Notre moralité nous vient selon Elias d’un enchainement spécifique de situations historiques propres aux sociétés occidentales, qui ont abouti au partage d’émotions et de valeurs communes. Ce sont les changements des structures sociales qui nous ont poussé à refouler nos pulsions agressives ou à les exprimer sous d’autres formes. Par « sociétés occidentales », Elias entend sociétés européennes à traditions communes, événements historiques communs, territoire défini et stabilité par des frontières sur le long terme. On assiste dans ces sociétés à la formation d’un habitus civilisé de par le processus de civilisation. cette formation correspond à la seconde phase du processus de civilisation dans les sociétés occidentales. a) La civilisation des mœurs

Dans ce premier tome, Elias étudie la transformation des manières de se tenir en société : à table, la manière dont on montre notre corps etc. Il formule l’hypothèse suivante : on assisterait à une élévation du seuil d’acceptabilité vis à vis de certains comportements. Le franchissement de ce seuil aurait pour conséquence une plus grande retenue de ses affects et de ses émotions. C’est la structure de la personnalité des individus qui se modifie. Au 17e siècle, on n’a plus de recours à l’agressivité contrairement aux siècles précédents. On a surtout une monopolisation de la violence physique par l’Etat. De puissants mécanismes d’auto-contrôle se forment chez les individus, jusqu’à devenir une seconde nature. On assiste à une pacification croissante des rapports sociaux, qui repose sur ces formes d’auto-contrainte et sur l’incorporation de ce qu’Elias appelle un « habitus civilisé ». Cas Waiters est un auteur ayant beaucoup travaillé avec Elias. D’après lui, nous serions passés après les années 60 (après la Seconde Guerre mondiale) dans une 3e phase du processus de civilisation. On aurait encore plus rationalisé nos affects et émotions, multiplié les formes de contrôle des individus (en raison de la hausse des interdépendances et de l’interpénétration sociale). Elias N., La Dynamique de l’Occident, Chapitres III et V

Un long processus historique : Dans cet extrait, Elias définit le processus de civilisation comme « une modification de la sensibilité et du comportement humain dans un sens déterminé » au sein des sociétés occidentales européennes. Il s’agit d’un processus historique qui s'inscrit sur le long terme. Il résulte de causes

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historiques contingentes qui suivent une certaine tendance, à savoir la pacification des rapports humains. Cette tendance, suivie par les sociétés occidentales depuis le XVIe siècle, va être analysée et étudiée par Norbert Élias tout au long de son œuvre.

La notion de « civilisation » : Chez Elias, le terme de civilisation n’entraine pas de jugement de valeur. Il cherche plutôt à rendre compte d’une évolution historique, sans présager de la supériorité d’une culture ou d’un groupe social sur un autre. Le sentiment de supériorité qu’on peut éprouver à l’égard d’une autre société, résulte, selon lui, de ce même phénomène et de la distance qu’il créé entre nous et les autres : si elles peuvent nous apparaître “moins” civilisées aux premiers abords c’est parce qu’elles n’ont pas connu le même processus internes de transformations de leurs règles sociales. Par ailleurs, lorsqu’il écrit que certaines couches sociales sont plus « civilisées » que d’autres, il veut souligner par là le fait qu’elles ont, les premières, en raison de phénomènes historiques, été poussées à adapter leur comportement dans la tendance générale du processus de civilisation qu’ont connu les sociétés européennes.

Les causes du processus de civilisation :

Pour Elias, le processus de civilisation n’est donc pas planifié, il s’est formé en raison de :

- La hausse de la population. Celle-ci a entraîné une augmentation de la différenciation sociale. Les réseaux d'interdépendance entre les hommes se sont développés, et l’on a observé un accroissement du nombre de fonctions. Cela a eu pour conséquence une modification de ces réseaux. Cette interdépendance a alors favorisé l’émergence d’un pouvoir central à même de coordonner ces réseaux d’actions et de pouvoir.

- La formation d'un État central.

- L'accroissement de l'interpénétration sociale. C'est le fait que différentes couches sociales se soient retrouvées en contact de manière prolongée dans un même espace dans les Cours Royales Européennes.

- L’accentuation de la compétition sociale. La monopolisation du pouvoir a eu pour effet d’augmenter la compétition sociale pour l’accès aux places prestigieuses, car placés sous cette unique autorité, aristocrates et bourgeois se sont retrouvés en concurrence les uns par rapports aux autres vis-à-vis de ce pouvoir central. Les contacts répétés entre eux ont favorisé des formes de distinction et d’imitation entre ces différentes classes sociales, en particulier à la Cour, espace confiné dans lequel elles ont été amenées à se côtoyer quotidiennement. La maitrise de l’étiquette, dictée par Le Roi, et des nouvelles « bonnes manières », s’est alors diffusée au sein de ces nouveaux réseaux d’interdépendance. En effet, plus les couches sociales sont en coprésence, plus, pour Elias, il y a de maitrise et de contrôle, parce qu’elles se contrôlent mutuellement par les effets de réputation et de prestige qui déterminent l’accès aux places prestigieuses.

Aujourd'hui, des lieux d'interpénétration sociale sont l'université, les espaces religieux, les publics ou les transports, par exemple. Tous ne sont pas soumis au même degré de compétition sociale, certains résultent simplement de

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l’accroissement des réseaux (dans le métro par exemple). La gentrification de Paris, marquée dans l’Est de la capitale (ouverture de la brasserie Barbès ou l’installation de la Philharmonie dans le XIXème arrondissement) est un exemple d’interpénétration sociale créée sous l’effet de l’accentuation de la compétition sociale pour l'accès au territoire. Dans le jeu compétitif pour l’accès au logement parisien, dirigé par l’Etat et les municipalités, chaque classe tente de tirer son épingle du jeu.

- La pacification des comportements. La formation d’un Etat central s’est accompagnée d’un regroupement de l'impôt (On pense au rôle de Colbert comme contrôleur des finances de l’Etat sous Louis XIV). Le développement de l’impôt a permis de lancer de grands chantiers de construction et de rénovation, permettant par exemple, le développement et la sécurisation des routes, puis, progressivement l’émergence de grands centres urbains qui ont accru l’interdépendance et l’interpénétration sociale. Elle a également permis la création d’un corps policiers et d’un corps militaire professionnel dès le XVIIe siècle. L’Etat s’est alors vu doté du monopole de la violence légitime (M.Weber), déchargeant en même temps les autres individus de l’usage de cette violence, avec pour effet une plus grande pacification des rapports humains dans l’ensemble de ces réseaux et interconnexions.

Elias utilise la métaphore de l'échiquier : dès que les instances du pouvoir évoluent, la configuration sociale change de l’intérieur et cela a des conséquences sur l’ensemble des groupes sociaux qui vivent dans cette configuration. Un autre exemple, donné bien plus tard par Elias, pour illustrer ces phénomènes est celui du match de football : « Le processus du jeu est précisément une configuration mouvante d’êtres humains dont les actions et les expériences s’entrecroisent sans cesse, un processus social en miniature. L’un des aspects les plus instructifs de ce schéma est qu’il est formé par les joueurs en mouvement des deux camps. On ne pourrait suivre le match si l’on concentrait son attention sur le jeu d’une équipe sans prendre en compte celui de l’autre équipe. On ne pourrait comprendre les actions et ce que ressentent les membres d’une équipe si on les observait indépendamment des actions et des sentiments de l’autre équipe. Il faut se distancier du jeu pour reconnaître que les actions de chaque équipe s’imbriquent constamment et que les deux équipes opposées forment donc une configuration unique » (Elias & Dunning, 1994, p. 70). Dans l’exemple du match, on ne peut comprendre les actions des joueurs des deux équipes sans prendre en compte le fait que celui-ci est dirigé par arbitre central, des règles et la compétition pour la victoire dans l’espace limité du terrain. Si l’arbitre change les règles, le jeu des joueurs évoluera en même temps.

Ainsi, Norbert Elias s’oppose à toute explication philosophique, historique ou biologisante

des phénomènes historiques. Il défend une approche socio-historique de ces derniers. Il cherche à dégager leur origine et leurs causes à partir de l’analyse du type de configuration dans lesquels les individus ont été placés et ont agi.

Transformation des habitus : Pour Elias, le processus de civilisation a eu des effets sur les attitudes sociales des personnes. A partir de la fin du XVIe siècle, placé dans une nouvelle configuration sociale dirigée par un pouvoir central, de plus en plus nombreux et vivants de plus en plus les uns à côté des autres dans les villes, déchargés de l’usage de la violence, les individus ont transformé leurs tendances à

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agir.

En effet, en présence d’autres groupes sociaux, sous le regard du Roi et de ses ministres, les classes aristocrates puis les classes bourgeoises ont progressivement maîtrisé leurs actions, car leurs pulsions pouvaient les mettre en danger socialement. Si elles voulaient être bien vues à la Cour, elles n’avaient d’autres possibilités que d’adapter leurs attitudes. Parallèlement à la création d’un Etat central détenant le monopole d’une violence légitime, la violence physique a ainsi été prohibée : les individus ont appris à contrôler leurs affects (émotions, pulsions). Ces attitudes se sont ensuite diffusées et généralisées.

Au fur et à mesure, l'autocontrainte s’est faite plus forte et de plus en plus automatique. Elle a fini par former chez eux ce qu’Elias nomme un « habitus civilisé ». Cet habitus se définit comme un savoir social incorporé qui se façonne et se consolide au cours du temps. Il s'agit d'un processus d'incorporation des règles sociales dictées de l'extérieur chez l’individu et qui se rend visible au travers de leurs tendances à agir. Il s’est ensuite diffusé et généralisé auprès de l’ensemble des groupes sociaux.

C’est pourquoi, pour Elias, plus on avance dans le processus de civilisation, plus les individus sont confrontés à des peurs différentes : s’ils craignent de moins en moins une atteinte à leur intégrité physique, car la violence est en grande partie maîtrisée, ils craignent davantage d’être confrontés à la honte, l’humiliation ou la perte de prestige par l’action d’autres participants dans le jeu social. S’ils maitrisent leurs comportements en société, ils craignent en même temps des formes de lâcher prise (on voit apparaître de nouvelles névroses : burn out, stress, etc.). Cela a aussi fait naitre chez eux des sentiments de pudeur et de gêne concernant ce qui pourrait les rendre honteux ou vulnérable (comme la nudité ou les défauts du corps). Le principal danger est désormais la perte de son statut. C’est ce que le sociologue Erving Goffman a étudié dans Les Rites d’Interactions, ouvrage dans lequel il étudie la façon dont les individus peuvent au cours des interactions sociales être mis en défaut et « perdre la face ». Il devient aussi plus difficile de supporter les écarts de comportements d’autres personnes dans ces moments de coprésence, comme lors de mouvements de foules. Pour Elias, les individus deviennent donc de plus en plus civils entre eux et ceux qui ne le sont pas sont sanctionnés. « L’être le plus adapté » et le plus valorisé socialement sera celui qui saura faire remarquer ses écarts de façon courtoise à autrui, tout en n’en faisant aucun lui-même.

Néanmoins, pour Elias, cette incorporation de nouvelles règles sociales chez les individus n’a pas été synonyme d’annulation de toute forme de violence : si la violence physique a en grande partie été reléguée derrière « les rideaux de la vie sociale », d’autres formes de domination et de violence sont apparues dans les interactions. La violence s’exprime désormais sous des formes plus constatées, comme sous la forme de la violence symbolique. Pierre Bourdieu a, plus tard, défini la violence symbolique comme un « pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force ». Elle passe par le langage et les gestes. (Il analyse par exemple La domination masculine comme une forme de violence symbolique. Elle correspond à la façon dont les hommes, de façon consciente ou inconsciente, ramènent, dans les échanges ordinaires, les femmes à des positions d’infériorité).

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b) Autocontrainte, habitus et distinction : la formation d’un « habitus civilisé »

Pour Elias, le trait marquant de cette 2e phase du processus de civilisation est l’incorporation consciente ou inconsciente de cet habitus civilisé. Pour lui, la diffusion de cet habitus se fait d’abord dans les classes aisées : retenue à l’égard d’autrui + règlement des conflits sociaux en dehors de la violence physique. Les classes privilégiées ont une configuration sociale particulière (à la cour par exemple), elles prennent en charge des fonctions de gouvernement qui font qu’elles disposent d’une marge de pouvoir importante. Pour Elias, on peut quand même se demander pourquoi dans les années 1930, les classes sociales privilégiées ne vont pas faire barrière à la montée du nazisme (régression du processus de civilisation?) ? Elias parle à ce sujet d’activation potentielle de ces auto contraintes : si le potentiel n’est pas activé par apprentissage et l’expérience il « reste latent ». Remarque : Pour Elias, quand les individus ont connu le processus de civilisation, ils en gardent une trace et une mémoire. c) L’historicisation de la topique freudienne des instances de la personnalité

Topique = ce que l’on commente, le thème du discours Elias mobilise le schéma freudien pour expliquer l’intégration des habitus. Freud est le premier a poser un cadre analytique de la cure et des séances de psychologie. Il étudie en profondeur la névrose et la psychose. La technique de la cure par la parole peut faire disparaître certains symptômes de ces troubles mentaux. Freud développe une théorie de l’inconscient et de la sexualité infantile. Il définit la conscience humaine à partir de 3 niveaux: - Le moi - Le ça, qui est un réservoir de pulsions - Le sur-moi, qui est l’instance de contrôle issu des interdits et des règles morales intégrés

pendant socialisation d’après Elias Elias reconnaît le caractère dangereux des auto-contraintes, mais rompt néanmoins avec Freud lorsqu’il propose une analyse historique de formation de ces auto-contraintes et de la personnalité individuelle. Chez Elias, on ne peut étudier l’habitus civilisé en se basant uniquement sur la socialisation primaire de l’enfant. Il faut aussi prendre en compte la société qui l’entoure, l’éducation et l’enfance étant importants mais ne constituant qu’un niveau d’intégration parmi d’autres selon Elias. On assiste à un processus séculaire (= sur plusieurs siècles) de transformation de l’économie psychique de l’individu, avec la formation d’un surmoi plus stable et plus différencié, plus englobant. A chaque époque donnée correspond la formation d’un ethos = d’un habitus spécifique. III) La Dynamique de l’Occident Dans ce deuxième tomme, Elias va chercher à dégager les causes et origines de cette évolution des normes de comportement. Il est question des interactions plus pacifique entre les individus ainsi que d’une réduction de la violence physique. Pour comprendre comment se sont transformés ces comportements, il revient sur le contexte historique ayant fait émerger cette notion de la civilité : le processus de formation de l’état, qui prend ces racines

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dès la fin du 15ème siècle en France. Il cherche à montrer comment l’évolution des structures sociales s’articule avec l’évolution des structures de la personnalité des individus. Elias s’intéresse à la formation d’un Etat central en France au moment de la fin du moyen-Age. Quels sont les processus qui ont abouti à l’émergence d’un Etat moderne bureaucratique et centralisé et à l’instauration d’un espace social pacifié ? (espace où l’exercice de la violence physique est devenu le monopole d’une autorité centrale, qui en a interdit l’usage dans la société civile) Point central : analyse de la configuration de la société de cour, qui montre que les individus sont poussés à pacifier leurs comportements du fait qu’ils sont soumis et dépendants du pouvoir royal. Cette société de cour qui se forme à parti du 16ème siècle en France est à la fois l’effet et la cause de changements dans le processus de civilisation. C’est un effet car la vie de cour résulte de phénomènes historiques de longue date qui

s’expliquent par la transformation des structures de la société féodale. C’est aussi une cause car cette vie de cour à aussi des effets en retour sur la façon dont la

société va s’organiser. Hypothèse fondamentale : la société de cour constituerait une matrice fondamentale dans laquelle commence à se former l’habitus civilisé qui caractérise l’homme moderne occidental, et qui est marqué par la prédominance des mécanismes d’auto-contrainte sur les contraintes extérieures. Les individus s’appliquent à eux même les règles du social et s’auto-contraignent. a) Le processus de formation de l’Etat

Selon Elias, les comportements évoluent en fonction des interdépendances dans lesquelles les individus sont pris. Ces formes d’interdépendance dépendent du type de pouvoir qui organise la société. La formation d’un Etat moderne va modifier les règles qui structurent les individus en changeant le type de pouvoir auxquels ils sont soumis.

On passe d’un système où les paysans sont protégés par les seigneurs à une organisation où les individus se retrouvent protégés par un pouvoir central qui est l’Etat. Pour comprendre ce passage, il faut identifier le moment où les couches sociales se sont rebellées pour s’emparer du pouvoir royal. Elias montre que durant l’ère féodale, l’organisation du pouvoir va se transformer sous l’effet de luttes concurrentielles entre les classes privilégiées. Il décrit trois phases particulières :

- La concurrence libre : les grands seigneurs féodaux sont en concurrence les uns les autres pour l’hégémonie du sol et de la terre : Guerres incessantes, stratégies matrimoniales.

- La phase pré-absolutiste : la concurrence est réglementée par le pouvoir royal exacerbé. Le pouvoir royal détient le monopole de la gestion de ces luttes qui deviennent trop importantes. Gain en puissance financière et en immunité contre les autres pouvoirs.

- La phase absolutiste : L’Etat Royal va posséder deux grands monopoles : le monopole de la violence physique (puissance militaire) et le monopole de l’impôt (puissance économique). Il va atteindre une position hégémonique par rapport à la noblesse et va pouvoir la mettre sous sa coupe. Cela a été rendu possible grâce au développement d’une organisation sociale très importante, chargée d’organiser la vie de la société et la régence de l’Etat. De nouvelles fonctions sont créées et de nouvelles chaînes d’interdépendance apparaissent. Désormais, le pouvoir du roi

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dépend de son créancier qui dépend lui-même du travail des collecteurs d’impôt, qui dépendent eux-mêmes de la force militaire pour contraindre nobles et bourgeois à donner cet impôt etc…

Cette nouvelle organisation est caractérisée par le fait que ce pouvoir ne peut plus être exercé seul et nécessite une division importante. Le Roi devient de plus en plus dépendant pour assurer son pouvoir sur les autres couches de la société, et ne peut plus servir uniquement ses intérêts. Il doit satisfaire l’aristocratie, et va jouer sur la concurrence entre les différentes couches.

Comment et pourquoi l’aristocratie a-t-elle accepté de se mettre sous la coupe du pouvoir royal alors même qu’au cours du Moyen-Âge, certains étaient même plus riches que le roi ?

Il faut saisir le processus de curialisation des guerriers qui se traduit par la transformation de fonctions sociales indépendantes (la fonction de seigneur) en des fonctions sociales interdépendantes (la fonction de courtisant).

b) La curialisation des guerriers

Elias utilise l’argument de l’effritement des structures de la société féodale :

- Extension des réseaux (des voies de communication) : facilite le commerce et les déplacements

- Processus de monétarisation : création de l’écu

- Processus d’urbanisation : la croissance des villes a entrainé la création de cours féodales qui assurent auprès de ces villes des fonctions de protection. Renforce le pouvoir militaire du pouvoir royal avec des corps militaires qui assurent la protection des villes.

Cela permet au pouvoir royal d’aller collecter l’impôt de plus en plus loin, de recenser la population… Cela renforce les fonctions royales au détriment de la noblesse et de l’aristocratie.

Par ailleurs les fonctions du Roi se transforment : il distribue en plus des terre la monnaie, ce qui a pour conséquence qu’il ne va plus être dans l’obligation de rémunérer les seigneurs en leurs attribuant des terres. La dépendance du pouvoir royal à l’égard des seigneurs se réduit. L’aristocratie perd son prestige et devient de plus en plus dépendant du pouvoir royal.

La noblesse dont les bases économiques et sociales s’effritent, est contrainte de se placer sous la protection du Roi en allant vivre à la cour et en payant l’impôt royal. Ce moment de formation est particulièrement décrit dans la livre d’Elias : « La société de Cour » . Il décrit également un nouvelle vie de cour qui s’installe à Versailles dans « La dynamique de l’Occident »

C’est au contraire la bourgeoisie qui va intégrer les corps politiques et gagner en influence et en puissance. Elle s’affirme donc comme une véritable couche sociale au travers du processus de commercialisation, de monétarisation et d’urbanisation.

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c) La société de cour : structure de domination

Elias va étudier un phénomène particulier, qui est celui du « Lever du roi ». Il est très symbolique, et illustre la vie de cour. Cette cérémonie persiste car : - Le Roi craint de perdre son statut social- Elle permet aux nobles de jouer leur rôle de domination dans ce système. Sous Louis XIV, l’ordre des places dans cette cérémonie symbolisait la répartition de ce pouvoir.

Ces cérémonies quotidiennes prendront fin avec la nouvelle organisation sociale qui résulte de l’alliance de la noblesse et du peuple. On assiste alors à un nouveau jeu des pouvoirs.

Selon Elias, la vie de cour produit une configuration sociale spécifique : les individus sont liés les uns aux autres par un mode spécifique de dépendance dont la reproduction suppose un équilibre des tensions.

La cour est un espace hiérarchisé et extrêmement codifié qui indique valeur, puissance sociale et prestige de chaque individu.

C’est au travers de l’étiquette et de la cérémonie du lever que le roi parvient à garder sa position hégémonique. L’Etiquette est l’instrument privilégié de sa domination, et se définit comme un ensemble de règles qui s’imposent aux courtisans, et fixe leur place à la cour en fonction de la répartition des pouvoirs. C’est par la symbolique de sa gestuelle, que le roi module l’Etiquette, fixe l’ordre des positions, garantit l’existence sociale de ses sujets.

Comment se fait-il que tout en critiquant l’Etiquette, nobles et bourgeois continuent-ils de jouer le jeu? Pourquoi ne parviennent-ils pas à s’en échapper ou à retourner le pouvoir en leur faveur ?

Cela s’explique selon Elias par la force des interdépendances, et la formation d’habitus chez les individus : il ne faut pas oublier que ce processus à demi conscient seulement !