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II. Observation directe du comportement

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Partie II - Chapitre 1 63

OBSERVATION DIRECTE DU COMPORTEMENT1

André Ferrara

1. Introduction

L'observation directe du comportement implique la détermination préalable d'unités comportementales observables, comportements apparents (sont donc exclus ici les comportements inférés tels que processus cognitifs ou émotionnels).

2. Critères de reconnaissance et de classification des comportements

Comment juge-t-on que deux unités comportementales sont semblables ou différentes ?

Il existe deux grands types de classifications: celles basées sur des critères concrets et celles basées sur des critères théoriques ou abstraits.

2.1. Critères concrets La description du comportement peut être réalisée de différentes manières: il peut être décrit en termes de structure ou de conséquence. Un troisième type de classification peut ne faire intervenir que l'identité de l'émetteur ou le lieu d'émission.

Dans le cas d'une classification selon la forme ou la structure, ce qui est observé, ce sont des postures, des patrons moteurs, des apparences corporelles, etc.

Par exemple, on pourra définir l'unité comportementale de "dressement" chez la souris de la manière suivante: l'animal est en station verticale, en ne posant que les deux pattes postérieures au sol; elle n'effectue aucune autre action à ce moment précis (pas de toilettage ni autre comportement caractéristique tel que le reniflement). Le freezing est une autre posture caractéristique de la souris ou du rat qui s'immobilise sous l'effet du stress dans une position plutôt ramassée, pendant une durée qui peut être plus ou moins importante.

Dans le cas d'une classification selon les conséquences, le comportement est décrit en terme de ses effets sur l'environnement, sur les partenaires (autres individus) ou encore vis-à-vis de l'émetteur lui-même.

Exemple de catégorie: obtenir de la nourriture, effectuer un comportement de toilettage compulsif, ou tout comportement lié à la parade nuptiale peut être décrit sans faire référence au patron moteur précis (qui pourra varier d'une occurrence à l'autre).

Lorsque le comportement est décrit en termes structuraux, la description renferme souvent une foule de détails relatifs à chaque mouvement qui constitue le comportement, ce que parvient à éviter la description en terme de conséquence.

L'on trouve également des descriptions comportementales en terme de propriétés intrinsèques. Par exemple la coloration peut changer selon la fonction du comportement. Un tilapia2 mâle développe des colorations particulières selon qu'il se trouve face à une

1 Le sujet de ce chapitre est également traité de manière très pratique et illustrée dans l’ouvrage intitulé

« Observing Children in Their Natural Worlds : A Methodological Primer » de Pellegrini (1996). 2 Le tilapia est un poisson.

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femelle en parade nuptiale ou face à un mâle rival. Ces signes tangibles peuvent donc également servir à établir les bases de la classification comportementale.

La description du comportement peut également être effectuée en terme de relations. Peu importe le comportement qui est produit, ce qui importe c'est l'identité de l'émetteur et du destinataire.

2.2. Critères théoriques et abstraits

Une taxonomie peut se fonder sur autre chose que des critères directement observables. On parle dans ce cas d'une taxonomie ou classification abstraite, théorique. Cette classification repose sur une connaissance particulière (une hypothèse, une théorie) que nous avons du comportement.

Classification selon les causes. On peut regrouper dans une même catégorie tous les comportements qui sont imputés à une cause identique. Cela implique que nous ayons une certaine idée des facteurs responsables de la production des comportements ainsi regroupés.

Par exemple, on regroupera tous les comportements "maternels" d'une mère en présence de ses petits. Les facteurs déclenchant les comportements peuvent être visibles, externes au sujet; ils peuvent être également internes. Des variations sur le plan hormonal sont souvent à la source de l'apparition des comportements liés à la reproduction. Classification selon les fonctions. Les comportements ont des fonctions biologiques ou psychologiques supposées, souvent directement identifiables. Ils peuvent par exemple être liés à: l'alimentation (comportements alimentaires),

• la sexualité, ayant pour fonction la synchronisation de partenaires reproducteurs (comportements épigamiques),

• la reproduction individuelle (comportements reproducteurs), • la dominance et constitution d'une hiérarchie (comportements agonistiques).

3. Préalables à la mesure du comportement : le choix et la définition des unités comportementales

Qu'est-ce qui précisément doit être observé? Pour débuter toute observation, il aura fallu se poser cette question et y avoir répondu. Généralement quelques observations préliminaires sont programmées pour se familiariser avec les comportements qui devront être étudiés. Ces observations préliminaires fournissent les éléments de base qui permettront de mieux formuler les questions que se pose le chercheur. Le choix des mesures et des méthodes de quantification du comportement nécessite une certaine familiarisation avec le comportement étudié, il est donc conseillé de ne pas utiliser les premières données de l'observation dans le cadre de l'analyse à proprement parler, puisqu'elles résultent en quelque sorte d'un entraînement de l'observateur. Dans certains cas, cet entraînement devra être programmé sur d'autres sujets que ceux qui participent à l'expérience proprement dite car il est impossible de procéder à une phase préalable d'entraînement sans manquer le début d'une séquence essentielle.

La détermination des unités comportementales implique le respect impératif de six conditions.

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1. Les unités sont discrètes et exclusives. Un comportement observé ne peut appartenir qu'à une et une seule catégorie définie. Les catégories sont parfaitement distinctes les unes des autres. Il n'existe aucun recouvrement entre deux catégories, fussent-elles proches.

2. Les catégories comportementales sont homogènes. Tous les comportements repris dans la catégorie doivent partager les mêmes propriétés (On ne crée pas une catégorie "fourre-tout"3).

3. Multiplier les catégories plutôt que fusionner. Il pourrait apparaître après analyse que deux unités comportementales semblables sur le plan de la structure diffèrent en réalités quant à leur fonction ou conséquence. Si deux ou plusieurs catégories n'ont pas été définies de manière distincte au départ, il est impossible a posteriori de traiter séparément des données qui ont été comptabilisées ensemble, sans distinction.

4. Éviter l'utilisation de catégories "fonctionnelles" dans la mesure où elle confondrait dans la même catégorie différents comportements que l'on ne pourra plus distinguer dans une étape ultérieure de l'analyse, surtout si l'on s'aperçoit qu'une unité comportementale donnée remplit une autre fonction que celle reconnue pour la catégorie initialement visée.

5. Toujours définir et préciser clairement chaque unité comportementale. Chacune d'entre-elles doit pouvoir être observée de manière aisée. Deux catégories ne devraient pas constituer deux manières d'observer la même chose. Un comportement donné doit être aisément reconnu par le même observateur en différente occasion (c'est le problème de la fiabilité intra-observateur) et reconnu de la même manière par différents observateurs (c'est le problème de la fiabilité inter-observateurs).

6. Limiter le nombre d'unités comportementales à relever au cours d'une même observation (y compris lorsqu’on travaille à partir d’un enregistrement vidéo) de manière à permettre une observation correcte et exhaustive des comportements qui ont été retenus dans le cadre de l'étude.

Pour que les occurrences d'une même unité comportementale soient toujours relevées de la même manière par un même ou par plusieurs observateurs, il faut qu'elle ait été définie sans ambiguïté, selon des critères précis. Cette définition doit reprendre les éléments nécessaires et suffisants pour affecter telle ou telle observation à une catégorie comportementale donnée (un patron moteur correspond exclusivement à une et une seule unité comportementale). Ainsi, un comportement est assigné à une catégorie comportementale parce qu'un critère précis a été observé.

4. L'observation en pratique

Pour que l'observation soit valide, les modalités doivent en avoir préalablement été spécifiées : il s'agit essentiellement de préciser comment les sujets sont observés, c'est-à-dire la manière dont leurs comportements sont enregistrés. Par ailleurs il est également nécessaire de voir comment différents biais liés au sujet de l'observation et à l'observateur peuvent être évités ou, au moins, réduits.

3 Cette remarque est particulièrement importante au sens où, souvent, ce "fourre-tout" peut parfois couvrir

une proportion très élevée des comportements émis durant une séquence.

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Pour déterminer le plan précis du travail d’observation, plusieurs aspects devront donc tour à tour être considérés.

4.1. Choix de la classification

Parmi les comportements appartenant au répertoire comportemental du sujet, il s’agit de déterminer ceux qui feront l’objet de l’attention de l’observateur. Seuls les comportements en rapport aux questions posées par la recherche seront relevés.

Généralement un patron moteur particulier est dénommé au moyen d’un "label" commode. Ainsi, le mouvement typique d’approche latéral exécuté par un tilapia4 envers un congénère sera nommé "attaque de flanc" plutôt que "mouvement d’approche latéral". Ce type de dénomination montre ici que nous avons déjà une conception des comportements agonistiques du sujet. Nous l'aurions plutôt baptisé "approche latérale" si nous n'avions pas été certain de la nature de ce patron moteur (qui aurait pu avoir un autre but par exemple).

Le niveau de détail de l’encodage sera plus ou moins fin (comprenant plus ou moins de catégories ou unités comportementales). Trop fin, il est difficile à pratiquer car l’observateur doit avoir en permanence présent à l’esprit un important système classificatoire ; les erreurs sont alors plus probables. Trop grossier, il ne permettra plus de séparer des unités comportementales qui pourraient l’être après une réflexion plus approfondie (le système de classification ne peut plus être modifié pour permettre des analyses ultérieures). L’analyse pourra alors manquer de sensibilité.

4.2. Enregistrement des aspects temporels

On peut se limiter à enregistrer la fréquence de tel ou tel comportement en identifiant sa nature (cf. la définition de l'unité comportementale) et son émetteur (voire également son destinataire: congénère, objet particulier dans l'environnement…). Mais on peut aussi se poser d'autres questions comme celles relatives au caractère plus ou moins ponctuel ou, au contraire, prolongé d'un comportement. On peut aussi s'interroger sur la séquence dans laquelle un comportement particulier apparaît. En plus de l’identité du comportement et de son émetteur, il est alors essentiel de relever les aspects temporels de l’unité comportementale en question, c’est-à-dire, son ordre au sein d’une séquence, son moment d’apparition ainsi que sa durée. Tout dépend de la question posée et de la technique d’échantillonnage utilisée. Le relevé des aspects temporels des comportements rend l’observation beaucoup plus fastidieuse. Le recours aux éthographes devient absolument nécessaire dans la mesure où la classification est complexe. Il s’agit dans le meilleur des cas de petites consoles manuelles compatibles avec un équipement informatique, mais il existe aussi des programmes destinés aux ordinateurs classiques, de préférence portables. Un bon éthographe fournit automatiquement les aspects temporels des unités comportementales. La figure 1 présente un exemple d'éthographe: le PSION Workabout© de Noldus™. Véritable petit ordinateur manuel, il permet d'encoder discrètement les comportements selon une classification que l'on a établie préalablement. Après la séance d'observation, les données récoltées peuvent être transmises à un ordinateur de bureau qui permettra au moyen d'un logiciel complémentaire de réaliser les analyses désirées (figure 2). Noldus et ses collaborateurs (1989, 1991) traitent de l’utilisation des technologies informatiques dans le cadre de l’observation du comportement.

4 Le tilapia est un poisson.

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Figure 1 - Un exemple d'éthographe: le Noldus PSION Workabout.

Figure 2 - Trois consoles manuelles (à droite) reliées à un PC pour transfert des données. Un logiciel spécifique permet

un traitement sophistiqué des données enregistrées.

L’enregistrement des aspects temporels et l’enregistrement des séquences avec l’échantillonnage complet et continu (cf. 5.4.) permettent beaucoup de mesures supplémentaires par rapport à celles que l’on obtient avec l’enregistrement des simples occurrences.

Si l'on note uniquement le comportement émis ainsi que l'identité de l'émetteur, les mesures possibles sont par exemple: les nombres totaux d'occurrences d'un comportement ou le nombre du comportements en question en fonction pour chaque émetteur. On pourra également relever le pourcentage des comportements émis par un sujet en particulier ou encore déterminer lequel des sujets observés a produit le plus ou le moins un comportement en particulier.

Si en plus des comportements et de l'identité de l'émetteur, on relève la durée de chaque comportement, on pourra en plus obtenir par exemple la durée totale de production d'un comportement donné pour chaque sujet.

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Les conclusions de l'observation pourront être différentes selon que l'on aura noté la durée des comportements ou leur fréquence.

4.3. Modalités d’enregistrements

L’observation doit-elle être réalisée sur le terrain ou au moyen d’enregistrements vidéo ? Filmer la situation permet d’y revenir à de nombreuses occasions en précisant de manière successive les unités comportementales à relever (on en décèle de nouvelles, d'autres à première vue différentes seront regroupées dans la même catégorie…) ou tout simplement de centrer l’observation tour à tour sur différents comportements lorsque ceux-ci sont nombreux ou trop rapides. À côté de cet avantage, il ne faut pas tomber dans le piège du “ brassage compulsif ” de données réalisé en dehors de toute hypothèse réfléchie. Deux autres inconvénients sont à prendre en compte lors de l'usage d'une caméra : l’aspect intrusif (une caméra est parfois mal acceptée lorsque l’observation porte sur des sujets humains) et l'absence de la troisième dimension qui ne permet pas d'apprécier finement dans quel plan s'opèrent certains comportements5.

4.4. Système d’encodage des comportements

Dans bien des cas, le bon vieux système “ papier – crayon ” suffit amplement. Le papier consiste en fait en une grille d’observation reprenant le timing de l’observation et les catégories des comportements (avec leur code) pris en considération dans le cadre de l’étude. Ce système s’avère pratique lorsque des occurrences, voire des séquences, doivent être reportées.

Comme nous l’avons signalé, dès lors que les aspects temporels entrent en jeu, le recours aux technologies de l’observation sont d’un grand confort, voire indispensable. Qu’il s’agisse d’un clavier ou d’un papier, chaque comportement sera représenté par un symbole (pictogramme) ou un code particulier dont la concision et la spécificité permettront un encodage rapide tout en minimisant les erreurs. Nous utiliserons de préférence des codes mnémotechniques, faciles à retenir et en congruence avec les unités comportementales qu’ils représentent.

Les codes seront évidemment exclusifs, ne représentant qu’une unité ou catégorie comportementale déterminée. Ces codes seront également déterminés par la technique d’échantillonnage employée.

4.5. Observation continue et complète vs échantillonnage

Dans le cas de l'observation continue et complète, tout comportement produit pendant toute la période d’observation pourra être relevé. Les comportements sont donc enregistrés dans leur intégralité. Le plus souvent, tous les comportements ne seront cependant pas répertoriés et les comportements pris en compte ne le seront que pendant des périodes bien définies. On parle dans ce cas de "techniques d’échantillonnage". Nous traiterons spécifiquement ce point plus loin.

5 De manière à rendre la troisième dimension, on peut adjoindre une seconde et même une troisième

caméra. Les caméras doivent alors être synchronisées d'une manière ou d'une autre. Un aspect souvent négligé également est la taille du champ couvert par la caméra tout en permettant une vision correcte des détails comme, dans les enregistrements réalisés en classe, l'élève qui émet précisément le comportement.

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4.6. Techniques d’appoint

Behavior Research Methods, Instruments and Computers est une revue méthodologique qui permet entre autre de s’informer des progrès des techniques d’observation. La recherche sur Internet est également un outil fabuleux! Elle permet une prise de contact direct avec des fournisseurs du matériel d’observation désiré. Lehner (1979) présente quelques exemples d’utilisation de la technique papier – crayon pour l’enregistrement des comportements. Si elles demeurent parmi les plus faciles à mettre en œuvre, elles restent également plus limitées (difficulté voir impossibilité de prendre en compte de nombreux comportements tout en relevant les séquences et les durées). Alors qu’initialement, un ordinateur de bureau devait être emporté sur les lieux de l’observation, il est tout à fait courant actuellement d’utiliser une petite console manuelle qui permet de discrètement relever tous les comportements pertinents (cf. figure 1). L'utilisation d'un outil informatique implique que nous ayons dépassé le stade de la familiarisation avec la situation à observer et que les unités comportementales aient été clairement définies. Dans la négative le recours à la technique dite du papier - crayon reste plus appropriée car plus flexible.

4.7. Facteurs à contrôler

L’application en toute rigueur d’une technique d'observation du comportement ne garantit pas la validité de l’observation. En effet, l’observateur, mais aussi le sujet observé peuvent être à la source de quelques biais !

4.7.1. Intrusion de l’observateur

L’observateur peut, malgré lui, influencer la situation qu’il observe par sa seule présence. Le sujet tant animal qu’humain doit progressivement s’habituer à la présence de l’observateur. L’animal effrayé par la présence humaine pourra rester immobile et sur ses gardes pendant un bon moment au lieu de continuer à se nourrir ou à prodiguer des soins à ses petits. Dans le cadre d’une observation réalisée dans sa classe, l’enseignant pourra se montrer plus à l’écoute de l’étudiant qu’à l’habitude, et l’étudiant éventuellement plus soucieux de l’évaluation que l’on pourra éventuellement retirer à son sujet... Par ailleurs, il est déontologiquement impératif que le consentement des sujets humains ait été obtenu pour effectuer l’observation (soit des sujets eux-mêmes, soit des personnes responsables). Les objectifs de la recherche doivent être présentés dans la mesure du possible au moins à un comité éthique. Les enregistrements vidéo sont, eux aussi, principalement lorsqu'il s'agit d'enfants ou de personnes souffrant d'un handicap, soumis à accord explicite avant de pouvoir être utilisés publiquement.

4.7.2. Attentes

Les attentes de la part des sujets ou même des observateurs peuvent biaiser l'observation.

Le sujet peut souhaiter, même sans en être conscient, se conformer aux attentes de l’expérimentateur qui lui aura dévoilé les hypothèses ou le cadre de sa recherche. Le sujet peut au minimum avoir un a priori sur la question qui intéresse le psychologue ou le pédagogue et tentera de se conformer à ce qu'il s'imagine être les attentes de l'observateur (Voir Christensen (1980) pour en savoir plus sur ces questions). Dans ce cas, le comportement émis par le sujet n'est pas celui qui aurait été généré en dehors de la situation d'observation.

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Par ailleurs, l'observateur peut lui-même commettre des erreurs. Rosenthal (1978) montre dans quelle mesure l’observateur se trompe en relevant les comportements. Il se trompe essentiellement sur les comportements ambigus ou qui sont obtenus dans des conditions douteuses et généralement — bien que non significativement — en faveur de l’hypothèse.

Ainsi, certaines erreurs peuvent, pour une part, être produites au moment de l’identification et de l’encodage des comportements. D’autres peuvent également l’être au moment de l’interprétation lorsque la classification est réalisée sur des critères abstraits (causals ou fonctionnels) ou théoriques. D’où l’avantage de réaliser une observation fondée sur une taxonomie concrète (plus descriptive) quitte à passer, lors d'une analyse ultérieure, à une redéfinition de la taxonomie en termes plus abstraits. Par exemple, est-on absolument certain qu’un comportement était réellement agressif ? La nature ou la fonction d'un comportement n'est pas nécessairement celle qu'on imaginait.

Pour éviter ces erreurs d’identification et d’encodage, rappelons que la taxonomie doit être aussi claire que possible et ne reprendre que des catégories bien distinctes et mutuellement exclusives. Chaque unité comportementale sera définie par un critère indiscutable, facile à cerner. Enfin, l’observateur doit être entraîné et éventuellement ne pas être le chercheur lui-même, celui-ci confiant à des observateurs entraînés, mais ignorant des véritables hypothèses de travail de la recherche.

4.7.3. Fidélité et validité de l'instrument de mesure

Toute mesure d'un comportement peut être plus ou moins entachée d'erreurs (comme n'importe quelle autre mesure d’ailleurs). L’observateur est considéré comme un instrument de mesure qui mesure un comportement au même titre qu’une règle mesure une longueur ou un thermomètre, une température. Lorsqu’on s’interroge au sujet de la qualité de la mesure, on doit prendre en considération à la fois la validité et la fidélité de celle-ci.

4.7.3.1. Validité

La question se pose ici de savoir si l’observateur mesure vraiment ce que le chercheur souhaite mesurer. Pour tenter de répondre à cette question, il faut prendre en compte au moins les trois aspects suivants :

a) L’exactitude de la mesure (measure accuracy) : la mesure n’est-elle pas biaisée par l’une ou l’autre erreur systématique ? Par exemple, la mauvaise compréhension d’un critère de classification du comportement observé fait que le sujet a systématiquement englobé dans la catégorie comportementale visée un comportement qui n’aurait pas dû l’être. L’exactitude se distingue de la précision de la mesure (measure precision) qui fait référence à l’erreur aléatoire qui affecte généralement la mesure.

b) La spécificité de la mesure : ne mesure-t-on pas également autre chose que ce qui est sensé être mesuré ? Par exemple, l'observateur confond la présence ou l'absence d'un comportement particulier, en principe notée en terme de tout ou rien, et une appréciation qualitative de ce comportement, passant sous silence certains comportements qui n'aboutissent pas à l'effet escompté (ainsi, il ne prend pas en compte les interventions orales des élèves lorsqu'elles ne sont pas relevées ou sanctionnées par l'enseignant).

c) La validité scientifique : avec la mesure utilisée, arrivera-t-on à répondre à la question que se pose le chercheur ? La mesure prise reflète-t-elle bien le phénomène qui est étudié ? Il n’est pas toujours évident qu’une mesure comportementale donnée fournisse une bonne mesure de ce qu’elle est supposée mesurer. Certains phénomènes ne vont en effet pas toujours se traduire selon les comportements prévus. Par exemple l'anxiété peut se traduire de différentes manières. Si c'est ce sujet qui est étudié, il conviendra de proposer une

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palette suffisamment large à l'observateur pour pouvoir tenir compte des différences interpersonnelles d'un même phénomène.

4.7.3.2. Fidélité

Une mesure est dite fidèle si elle est reproductible et constante. D’une part, un même comportement sera mesuré à différentes occasions de la même manière par un observateur particulier (fidélité intra-observateur). D’autre part, un même comportement sera mesuré de la même manière par différents observateurs (fidélité inter-observateurs).

Différents facteurs affectent la fidélité de la mesure tels que la précision, la sensibilité, la résolution. La précision renvoie à la grandeur de l’erreur aléatoire qui affecte la mesure. En fonction de la sensibilité de l’instrument de mesure, on sera capable de mesurer de plus ou moins grandes variations du processus en cours. Enfin, la résolution est la plus petite variation au niveau du comportement qui pourra être détectée par l’instrument de mesure.

Comment garantir la constance de l’instrument de mesure, c’est-à-dire la constance ou fidélité de l’observateur ? Dans quelle proportion la mesure est-elle entachée d’erreur aléatoire ? Comment éliminer ou minimiser les sources de variations qui sont dues à l'instrument et non à la situation observée ? Ces trois questions sont essentielles. Avant d'y répondre, il convient de quantifier la fidélité et, par la même occasion, le manque de fidélité d'un observateur de manière à y porter remède, dans la mesure du possible.

a) Évaluation de la fidélité intra-observateur

Il s'agit d'évaluer la constance d'un même observateur au fil de ses observations. L’observateur est-il constant lorsqu’il évalue un même comportement à différentes reprises ? Un observateur pourra être fatigué et moins attentif en fin de séance. Il pourra être de mieux en mieux entraîné à l'encodage des comportements au fil des séances d’observation, etc. Il ne sera donc pas toujours constant ou "stable" dans sa manière de relever une même unité comportementale. Idéalement, ce n’est qu’après avoir été bien entraîné à l’observation — laquelle doit avoir lieu dans des conditions optimales — que l’observateur récoltera des données satisfaisantes.

Comment évaluer la fidélité intra-observateur ? Un observateur va encoder à deux reprises un même échantillon de plusieurs périodes indépendantes d'observation (pas la même séance découpée en tranches, mais bien des échantillons issus d'observations réalisées à différents moments). Il est ici nécessaire de travailler à partir d'enregistrements de la scène observée puisque nous voulons savoir si le sujet est constant dans sa manière de mesurer une même scène.

La fidélité pour chaque catégorie comportementale sera évaluée via la corrélation entre les n paires de scores.

b) Évaluation de la fidélité inter-observateurs

Pour évaluer la fiabilité inter-observateurs, deux observateurs encodent ensemble les mêmes périodes d'observation. Le problème est à présent de savoir dans quelle mesure ces observateurs ont encodé la même chose de la même manière! Il est nécessaire que chaque catégorie comportementale ait été relevée de la manière la plus semblable par les deux observateurs au cours des différentes périodes d'observation indépendantes.

La fidélité est généralement mesurée en recourrant aux coefficients de corrélation, comme dans le cas de l'estimation de la fidélité intra-observateur. On utilisera le coefficient de corrélation linéaire de Bravais-Pearson r ou le coefficient de corrélation de rangs de Spearman rs selon que les comportements sont mesurés, respectivement, sur une échelle

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72 Partie II - Chapitre 1

d'intervalles ou sur une échelle ordinale. Ce coefficient de corrélation peut être calculé pour chaque comportement. Dans le tableau ci-dessous, deux observateurs ont relevé, à huit occasions, le nombre de fois qu'un comportement particulier a été émis par un individu. Il s'agit de huit situations identiques, enregistrées sur cassette vidéo et codées séparément.

Corrélation linéaire de Pearson

Observateurs

X Y XY X² Y²

1 33 29 957 1089 841

2 42 38 1596 1764 1444

3 35 34 1190 1225 1156

4 22 23 506 484 529

5 26 24 624 676 576

6 34 37 1258 1156 1369

7 27 26 702 729 676

Obs

erva

tions

8 38 39 1482 1444 1521

257 250 8315 8567 8112

� X � Y � XY � X² � Y² La Table 1 présente un exemple fictif de mesures d'occurrence d'un comportement particulier par deux observateurs durant 8 périodes d'observation (donnant deux variables X et Y dont nous dérivons le produit et les carrés respectifs).

La corrélation de Bravais-Pearson, notée r et qui est en fait la covariance des deux variables rapportée au produit de leur écart-type, est calculé commodément selon la

formule suivante :

))(

)()(

(2

22

2�

��

�� �

−−

n

YY

n

XX

n

YXXY

, où X et Y sont les mesures

prises par les deux observateurs et n, le nombre d'observations réalisées par chacun des deux observateurs (ici, n=8). En nous basant sur les données du Tableau 1, La corrélation

linéaire résultante vaut : )

8²250

8112()8

²2578567(

8)250257(

8315

−×−

×− = 0.93.

Le problème de l’interprétation de ces corrélations n’est cependant pas toujours aisé. La corrélation sera jugée suffisante ou non en fonction de plusieurs éléments tels que l’importance de la catégorie comportementale ou la difficulté à mesurer cette catégorie comportementale. Dans le cas d’un comportement pas toujours facile à observer, on pourra éventuellement se contenter d’une corrélation de 0,70 (et bien que ce ne soit pas toujours volontiers accepté). Pourquoi ? Une corrélation de Bravais-Pearson de 0,70 signifie que la

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Ferrara Observation directe du comportement

Partie II - Chapitre 1 73

variance des données d’une variable est "expliquée" à 50% par l’autre variable (le coefficient de détermination, noté r² = 0,70² ≈ 0,50).

Il peut s'avérer préférable, dans certains cas, d'envisager le recours non pas à des valeurs métriques, mais à des rangs. Il convient alors d'utiliser la corrélation de rangs de Spearman, plutôt que la corrélation de Bravais-Pearson. Dans le tableau ci-dessous, deux observateurs ont noté l'ordre dans lequel un animal particulier s'est présenté à un point d'eau alors que les autres animaux de son groupe s'y présentaient également, de manière à éventuellement identifier le statut social de cet animal.

Corrélation de rangs de Spearman

Observateurs

X Y (X-Y)²

1 4 4 0

2 8 7 1

3 6 5 1

4 1 1 0

5 2 2 0

6 5 6 1

7 3 3 0

Obs

erva

tions

8 7 8 1

4

�(X-Y)² La Table 2 reprend les données rangées du tableau précédent (car cette fois les mesures prises sont supposées de nature ordinale).

La corrélation de rangs de Spearman, notée rs, est calculé selon la formule suivante :

nn

YXn

i

−−�

=3

1

2)(61 , où X et Y sont les rangs des mesures prises et n, le nombre

d'observations effectuées par chacun des observateurs (soit n=8, dans le tableau 2). La corrélation de rang de Spearman vaut :

8³846

1−×− = 0,95.

D'autres mesures existent, tel que l'indice de concordance et le coefficient kappa. Ils fournissent une information sur la concordance des observations réalisées par les différents observateurs, à propos des mêmes situations. Ils sont utilisés lorsque la nature des mesures ne permet pas de recourir aux deux coefficients de corrélation qui viennent d'être abordés.

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74 Partie II - Chapitre 1

Indices de concordance

Cet indice établissant également la fidélité est utilisé lorsque les mesures sont de nature nominales ou classificatoires. Par exemple, à un certain nombre d’occasions prédéfinies, l'observateur doit relever le fait que l'animal produit un comportement déterminé ou non. Ici, la mesure est de nature binaire, le comportement est présent (1) ou absent (0).

L’indice d’accord est calculé selon la formule suivante : ��

�+

=DA

AO , où �A est le

nombre d'accords et �D, le nombre de désaccords. Les accords étant chaque occurrence ou non occurrence simultanément relevée par les deux observateurs; un désaccord étant le nombre d'occurrences ou de non occurrences relevées par un seul des deux observateurs.

Le tableau suivant (tableau 3) présente les données d’une séance d’observation lors de laquelle deux observateurs ont une trentaine d’occasions de vérifier la présence ou l’absence d’un comportement précis. Par exemple, les deux observateurs relèvent toutes les minutes le comportement d'une souris et ce, pendant 30 minutes. À chaque moment d'observation, il s'agit de relever l'éventuelle occurrence du comportement en question (1 vs 0). L'observateur 1 relève 18 fois le comportement en question tandis que l'observateur 2 le relève 16 fois. Dans cet exemple, les deux observateurs ont noté la même chose à 24 reprises (occurrence ou non occurrence). Ainsi, A=24 (nombre d’accords) et D=6 (nombre de désaccords).

La proportion observée d’accords, calculé avec l’indice de concordance O vaut :

62424+

= 0,8.

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Ferrara Observation directe du comportement

Partie II - Chapitre 1 75

Observateurs

X Y A D

1 0 0 1 0

2 0 0 1 0

3 0 1 0 1

4 1 1 1 0

5 0 0 1 0

6 0 0 1 0

7 1 1 1 0

8 0 1 0 1

9 0 0 1 0

10 1 1 1 0

11 1 1 1 0

12 0 0 1 0

13 1 1 1 0

14 0 0 1 0

15 1 0 0 1

16 1 1 1 0

17 1 1 1 0

18 1 0 0 1

19 0 0 1 0

20 1 1 1 0

21 1 0 0 1

22 1 1 1 0

23 0 0 1 0

24 1 1 1 0

25 0 0 1 0

26 1 1 1 0

27 1 1 1 0

28 1 1 1 0

29 1 0 0 1

Poin

ts d

'obs

erva

tion

30 1 1 1 0

18 16 24 6

� X � Y � A � D

Table 3. Chaque observateur relève le comportement à 30 moments lors d’une séance d’observation. A chaque moment d’observation, le comportement est présent (1) ou non (0).

Coefficient kappa

Alors que l'indice précédent ne tient pas compte des accords fortuits, le coefficient kappa prend en compte ce type de biais.

)1()(

CCO

k−−= , où O est la proportion d'accords observés et C la proportion d'accords qui

pourrait être dus au hasard. C est donnée par la probabilité que les observateurs notent tous deux une occurrence (ou non occurrence) au même point d’échantillonnage s’ils avaient noté les comportements tout à fait au hasard (sans regarder la scène à observer). Le produit des proportions observées d’occurrence est additionné au produit des proportions observées de non occurrence.

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76 Partie II - Chapitre 1

Comme nous l’avons calculé plus haut, O vaut 0,80 et

)3014

*3012

()3016

*3018

( +=C = 0,32+0,19 = 0,51.

Ainsi, k vaut

5101

510800

,

,,

− , soit 0,59 (ce qui est nettement moins que la valeur obtenue au

moyen de l'indice de concordance).

Signalons enfin qu’un autre indice, le coefficient de concordance W de Kendall, est utilisé lorsqu’il s’agit de trouver le pourcentage d’accord entre au moins trois observateurs.

Pour en savoir plus sur la fidélité et les moyens de la mesurer, on consultera avantageusement Ghiselli, Campbell & Zedeck (1981), Hollenbeck (1978) ou Kraemer (1979).

4.8. Quelle quantité d’information collecter ?

De manière générale et pour des raisons de puissance statistique, plus on collecte de données mieux c’est. Il y a cependant des limites qui ne valent pas la peine d’être dépassées parce que cela n’en vaut tout simplement plus la chandelle ! Dit autrement, il y a un point où toute observation supplémentaire ne permettrait pas d'améliorer l'information sans accroître de manière importante le coût de la collecte ou qui produirait une précision supérieure à celle désirée. Différentes techniques peuvent être utilisées pour décider de la taille d’échantillon suffisante et nécessaire permettant d’aboutir à des conclusions valides.

On peut vérifier très simplement que l’on a collecté assez de données en divisant l'ensemble des données en deux moitiés et en analysant les deux parties séparément. Si les deux analyses aboutissent à des conclusions similaires, l’on a probablement récolté suffisamment de données (consistance interne).

L’analyse split-half consiste à répartir aléatoirement les données relatives à une catégorie comportementale donnée en 2 moitiés et à calculer la corrélation entre les deux moitiés. Un coefficient de corrélation de 0,70 est généralement considéré comme suffisant et les données sont jugées fiables. Les méthodes basées sur la fidélité par consistance interne seront ré-étudiées de manière plus approfondie dans la partie dévolue à la théorie classique des tests.

Lorsque le but de l’observation du comportement est de connaître un paramètre de la population, il faut déterminer la taille de l’échantillon nécessaire pour obtenir une mesure que l’on espère proche de la valeur réelle de population.

On réalisera le calcul selon la formule suivante : ²

² 22/

Dz

n ασ= (voir Harnett, 1985, p. 329).

Ainsi, pour connaître la taille nécessaire et suffisante de l’échantillon de données, trois éléments sont nécessaires.

1. L’estimation de l’écart-type de la population :)1(

)²(²−�−�=

nnxxnσ .

2. La valeur critique de la variable cumulative normale z, selon le niveau de signification statistique attaché à l’estimation (soit zα/2).

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Partie II - Chapitre 1 77

3. La différence maximum souhaitée entre la moyenne de la population et la moyenne de l’échantillon ( µ−= XD ).

Concrètement, si nous disposons de la fréquence d’un comportement particulier produit dans un contexte donné, obtenue à partir de 7 périodes d’observation : 22, 37, 12, 24, 26, 22, 31. L’écart-type estimé de la population est de 7,84. Admettons que le chercheur souhaite obtenir une différence maximale de 3 unités par rapport à la moyenne de population et pose α=0.05 (le chercheur veut être certain à 95% que la moyenne de son échantillon de données tombe dans l’intervalle de confiance µ±3). Etant donné que zα/2 vaut 1,96 (cf. table normale en annexe), nous trouvons la valeur de l’effectif minimum requis :

2426

3

961847,

²

²,²,n =

×=

.

Ainsi, il nous faudra 27 mesures indépendantes du comportement étudié pour obtenir une moyenne d’échantillon située à maximum 3 unités de la moyenne de la population.

5. Techniques d’échantillonnage et d’enregistrement

L’observation du comportement implique la prise de deux décisions fondamentales. Premièrement, une règle d’échantillonnage doit être utilisée, laquelle spécifie quel sujet doit être observé et quand il doit l’être. La seconde décision concerne la manière dont le comportement est enregistré ; il s’agit de poser une règle d’enregistrement. On peut décrire les deux décisions selon les deux arbres présentés ci-dessous.

On distingue quatre méthodes d’échantillonnage : ad libitum, focal sampling, scan sampling et behaviour sampling. Aucune règle ne précise ce qui est noté dans la permière méthode. Avec le méthode de centrations successives, on se focalise un certain temps sur une même entité (sujet ou groupe) et on note le comportement de manière complète (on obtient des mesures). Le scan sampling consiste essentiellement à relever ce que fait une entité à un instant ou période donné (on obtient pas une mesure au sens propre du terme). Enfin, avec le behavior sampling, on se centre sur un comportement précis.

En ce qui concerne les techniques d’enregistrement, on distinguera essentiellement l’enregistrement continu de l’enregistrement discontinu (continuous versus time sampling), ce dernier comprenant deux variantes (point sampling et one-zero sampling).

1 - Choix de la règle d'échantillonnage du comportement (4 méthodes

d'échantillonnage)

Ad libitum

Centrations successives

Focal sampling

Scan sampling

Behaviour sampling

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78 Partie II - Chapitre 1

Toute technique d’observation implique donc d’établir le minutage des relevés comportementaux et une façon de noter le comportement. Altmann (1974) et Lehner (1979) présentent de manière détaillée les différentes techniques d’échantillonnage. Celles-ci sont également présentées de manière plus concise par Martin et Bateson (1993) ou encore Robert (1988). Nous en donnons ici un résumé.

5.1. Échantillonnage non structuré ou ad libitum (ad libitum sampling / unplanned focalization)

Avec cette technique d’observation, aucune contrainte n’est imposée quant au sujet à observer, ni en ce qui concerne l’ordre et le moment des observations.

L’observateur relève ce qui lui semble important. Il ne doit simplement pas perdre de vue la tendance générale à observer les événements ou les individus les plus saillants. Le comportement ne sera pas vraiment quantifié lors de cette phase d'observation. Il s’agit surtout d’une phase de mise au point lorsque l’on connaît mal le comportement qui fait l’objet de l’investigation et que l’on a pas encore d’hypothèse précise. Il s'agit donc d'une phase de familiarisation sans laquelle toute tentative de quantification un tant soit peu sérieuse du comportement serait probablement impossible.

5.2. Échantillonnage complet et continu (all occurrences and continuous sampling / event sampling / complete record sampling)

C’est avec cette méthode que l’on obtient l’enregistrement le plus complet. Beaucoup de choses sont notées au sujet du comportement : l’identité de l’émetteur, sa nature, le moment où il survient ainsi que sa durée. En réalité, dans le cadre de cette méthode, on souhaite obtenir un enregistrement complet du comportement (décrit par un ensemble d'attributs observables variés).

Tous les comportements ou unités comportementales pertinentes peuvent être enregistrées si le répertoire comportemental n’est pas trop important et si le nombre d’individus observés est relativement restreint.

Cet enregistrement complet peut être réalisé en direct ou à partir de films. L’usage de magnétoscope éventuellement couplé à un logiciel professionnel d’enregistrement de

2 - Choix de la règle d'enregistrement du comportement

(3 méthodes d'enregistrement)

Enregistrement continu

Time sampling

Balayage instantané

Point sampling

Présence ou absence One/Zero

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Partie II - Chapitre 1 79

comportements (par exemple, The Noldus Observer) facilite grandement l’enregistrement pour peu que l'on se soit préalablement formé à l'utilisation du matériel et des logiciels informatiques.

Il est relativement facile à partir d’une vidéo de demander à plusieurs observateurs de traiter les comportements émis par un sujet en particulier, ou un comportement particulier chez l’ensemble des individus, etc.

Le travail à partir de vidéo se justifie d’autant plus que la situation est complexe (groupe de sujets, répertoire comportemental riche, comportements rapides et se chevauchant, etc.).

5.3. Échantillonnage par centrations successives (focal sampling / focal animal sampling)

Il s’agit ici d’effectuer un échantillonnage complet des comportements émis par un sujet donné pendant une période de temps déterminée, les individus - sujets ou groupes de sujets - étant observés tour à tour pendant un laps de temps identique. Le relevé est plus difficile à effectuer lorsque le comportement implique plusieurs individus (comportements sociaux tel un comportement de recherche d'un partenaire sexuel ou un comportement agonistique) que lorsqu'il ne concerne qu'un seul individu (toilettage ou prise de nourriture). Et d'autant plus difficile à mener que plusieurs unités comportementales font l'objet de l'observation. Il importe également de permettre le repérage discret, mais efficace des différents sujets chez les animaux (au moyen de tatouages, marques sur le pelage, anneau, etc.), comme chez les humains (sujets familiers à l'observateur et dont on note les initiales ou le prénom, badges…).

Comme c'est le cas avec la technique précédente, les mesures obtenues sont généralement les fréquences et durées ou encore les latences des comportements ciblés; mesures que l'on pourra analyser consciencieusement au moyen de l'arsenal statistique classique.

Cette technique est à la fois efficace et économique, à condition que des unités comportementales pertinentes aient été définies et que les périodes d'observation centrées sur un même sujet soient tout de même de durée suffisante, selon le type de comportement envisagé. Elle s'avère particulièrement utile lorsque des groupes sont étudiés.

Notons en outre qu’elle permet l’utilisation de n’importe laquelle des trois règles d’enregistrement. Pendant la durée de focalisation sur un sujet donné, on peut effectuer un relevé complet du comportement ou un relevé plus condensé (balayage instantané ou enregistrement par présence ou absence).

5.4. Échantillonnage par balayage instantané – Time sampling : première variante (Instantaneous sampling / point sampling)

Contrairement à la technique d’observation par centrations successives ou par présence ou absence, les périodes d’observation sont instantanées. On note ce que fait l’individu à un moment donné. Par exemple, on note le comportement qui est en cours toute les 60 secondes. Si plusieurs individus sont observés, le balayage se fait à tour de rôle (par exemple, pour deux individus observés tour à tour, le premier individu est observé à 0, 60, 120 secondes…, le second est observé à 10, 70, 130 secondes…).

Ce qui résulte de l’étude en terme de mesures, c’est la proportion des points d’échantillonnage lors desquels le comportement ciblé était présent. Ainsi, à partir d’une séance d’observation de 30 minutes lors de laquelle le comportement était enregistré toutes les 20 secondes, nous avons obtenu 90 points d’observation pour un individu donné. Si nous avons observé le comportement ciblé par exemple à 37 reprises, le comportement

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Ferrara Observation directe du comportement

80 Partie II - Chapitre 1

aura été relevé dans une proportion de 37/90, soit 0,41. Il s’agit d’un score global pour la période d’observation qui ne nous fournit pas vraiment de fréquence ou de durée. On obtient une approximation de ce qui serait enregistré avec la technique d’échantillonnage continu d’autant meilleure que le nombre de points d’observation est élevé par rapport à la durée globale du comportement cible.

La méthode est utile si l’on veut simplement savoir dans quel comportement un individu est principalement engagé à un moment donné. Il faut donc éviter de s'attarder sur un individu puisque la période d'observation est instantanée ! Également utile si l'on veut simplement connaître l'importance relative d'un comportement donné chez un groupe d'individus. Elle n’est pas adaptée si les comportements étudiés ont une durée trop courte ou si leur fréquence est trop rare.

5.5. Échantillonnage par présence ou absence – Time sampling : seconde variante (One or zero sampling)

Au cours de périodes courtes d’observation (des intervalles d’observation qui durent généralement quelques secondes), on relève simplement la présence ou l’absence des comportements étudiés (cf. annexe en fin de chapitre pour un exemple de grille d'observation permettant le relevé du comportement selon cette technique). Ces périodes d’observation sont relativement nombreuses et signalées d’une façon ou d’une autre (au moyen d'un beeper électronique entendu par le seul observateur; par l'observation d'un chronomètre; ou encore le découpage temporel est réalisé a posteriori par l'ordinateur). Plus l’intervalle entre les périodes d’observation est court et plus on se rapproche de l’échantillonnage complet et continu.

Au cours d'une période d'observation donnée, tous les comportements qui se sont présentés doivent être notés. C'est une manière de condenser l'information. On ne souhaite pas un enregistrement fidèle du comportement. Cette technique ne fournit directement ni la durée ni la fréquence des comportements relevés mais il existe des moyens pour estimer les fréquences ou les durées à partir des techniques de time sampling (Chow & Rosenblum, 1977).

Déconseillée par Altman (1974), elle s’avère toutefois nécessaire pour déterminer l’importance relative de plusieurs comportements.

5.6. Échantillonnage d’un comportement cible : behavior sampling Lorsque l’observateur s’intéresse à un comportement dont la probabilité d’apparition est peu élevée, il est préférable d’observer le groupe des sujets au complet et de relever chaque occurrence du comportement en question et éventuellement l’identité du sujet qui le produit. Étant donné sa rareté, le comportement échapperait fort probablement à l’attention de l’observateur en cas d’utilisation des techniques de time sampling ou l’échantillonnage par centrations successives.

5.7. Échantillonnage en séquence (sequence sampling)

Cette méthode s'utilise lorsque le chercheur s'intéresse tout particulièrement à l'ordre des comportements appartenant à une séquence relativement fixe. Une chaîne bien définie d'unités comportementales a été identifiée. L'observation relève la séquence des comportements produits du premier au dernier élément produits. Particulièrement utile dans le cadre d'observations éthologiques. Début et fin de chaque observation sont ici

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Partie II - Chapitre 1 81

déterminés par les comportements eux-mêmes. Le moment d'apparition importe peu, c'est la place d'une unité comportementale dans la chaîne fixe des comportements qui importe.

La difficulté réside ici dans les critères qui permettent de définir le début et la fin d'une séquence fixe de comportements.

5.8. Complètement de matrice (sociometric matrix completion)

Ce n'est pas à proprement parler une technique d'échantillonnage. Il s'agit plutôt d'une manière de relever les asymétries dans les comportements sociaux présents au sein d'un groupe d'individus. Elle permet par exemple de repérer le ou les individus dominants du groupe. En fait, on recherche une hiérarchie complète. On pourra par exemple connaître pour chaque individu la quantité de comportements de dominance qu'il a émis envers tel ou tel autre individu du groupe, mais aussi connaître l'identité des autres individus par lesquels il est lui-même dominé…

6. Conclusion

Quelle technique d’échantillonnage utiliser ? Ce sont les hypothèses formulées par le chercheur qui permettent de répondre à cette question. Si le chercheur n’a aucune idée a priori, aucune hypothèse ou question particulière en tête, la méthode ad libitum s’impose. Seule cette méthode permet de se familiariser avec la complexité du comportement à étudier et de dégager les unités comportementales pertinentes dans le cadre de l’étude. Il est évidemment fondamental que ces unités de comportements soient définies sans ambiguïté avant d’entamer par la suite l’enregistrement de ces comportements. En fonction de la question posée, il est évidemment judicieux de choisir la méthode la plus économique (en ne prenant que les mesures nécessaires — il n’est pas toujours nécessaire de mesurer les durées des comportements ciblés et si on peut s’en passer l’enregistrement devient du coup beaucoup plus facile —, pendant un nombre de séances optimal, etc.).

Dunbar (1976) montre que, pour répondre à une même question, les techniques d’échantillonnage ne fournissent pas des mesures comparables. Elles permettent tout au plus d’arriver à la même conclusion en ce qui concerne l’importance relative des différentes unités comportementales relevées.

Une fois clairement définies, les unités comportementales ne seront toutefois pas nécessairement relevées de la même manière par différents observateurs (fiabilité inter-observateurs). Boice (1983) montre d’ailleurs qu’il existe une variabilité interindividuelle importante dans l’observation des comportements. D’où l’importance de l’entraînement à l’observation et le calcul de la concordance entre observateurs.

Bibliographie Altmann, J. (1974). Observational study of behavior: sampling methods. Behaviour, 49,

227-267.

Bakeman R. & Gottman, J. M. (1986). Observing interaction: An introduction to sequential analysis. Cambridge. Cambridge University Press.

Boice, R. (1983). Observational skills. Psychological Bulletin, 93, 3-29.

Christensen, L.B. (1980). Experimental methodology, 2nd edition. (Eds. Allyn & Bacon). Boston.

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Ferrara Observation directe du comportement

82 Partie II - Chapitre 1

Chow, I.A. & Rosenblum, L.A. (1977). A statistical investigation of the time-sampling methods in studying primate behaviour. Primates, 18, 555-563.

Dunbar, R.I.M. (1976). Some aspects of research design and their implications in the observational study of behaviour. Behaviour, 58, 78-98.

Harnett, D.L. (1982). Statistical methods, 3rd edition. Reading, MA: Addison-Wesley.

Hollenbeck, A.R. (1978). Problems of reliability in observational research. In Observing Behavior, Vol. II, Data Collection and Analysis Methods (ed. By G.P. Sackett), pp. 79-98. Baltimore: University Park press.

Kraemer, H.C. (1979). Ramifications of a population model for k as a coefficient of reliability. Psychometrika, 44, 461-472.

Martin P. & Bateson P. (1993). Measuring behaviour. An introductory guide (Second edition). Cambridge University Press.

Noldus, L.P.J.J. (1991). The Observer: a software system for collections and analysis of observational data. Behavior Research Methods, Instruments, & Computers, 23, 415-429.

Noldus, L.P.J.J., van de Loo, E.L.H.M. & Timmers, P.H.A. (1989). Computers in behavioural research. Nature, 341, 767-768.

Pellegrini, A.D. (1996). Observing Children in Their Natural Words : A Methodological Primer : Mahwah : Lawrence Erlbaum Associates.

Robert M. (1988). Observation directe du comportement. In Fondements et étapes de la recherche scientifique en psychologie, 3e édition, pp. 277-310.

Rosenthal, R. (1978). Interpersonal expectancy effects: the first 345 studies. The Behavioral & Brain Sciences, 1, 377-415.

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Ferrara Observation directe du comportement

Partie II - Chapitre 1 83

Temps (min.)

Comp. 1 2 3 4 5 6

0 Gr 1 1L 1 1

Sn 1 1R 1F 1 1

Zz1 Gr 1 1

L 1 1 1Sn

R 1F 1

Zz2 Gr 1

L 1Sn 1 1 1

R 1 1 1F 1

Zz3 Gr 1 1

L 1 1 1Sn

R 1F

Zz4 Gr 1 1 1

L 1 1Sn 1

R 1F

Zz 15 Gr 1

L 1 1Sn 1 1

RF 1

Zz 16 Gr 1 1 1

L 1Sn 1

R 1F

Zz 17 Gr 1 1 1 1

L 1 1Sn

R 1F

Zz 18 Gr 1 1

L 1Sn 1 1 1

R 1F 1

Zz 1…

Gr Grooming (toilettage)L Locomotion

Sn Sniffing (reniflement)R Rearing (dressement sur les pattes arrières)F Freezing (immobilisation / crainte)Zz Sleeping (dort)

Sujets

Annexe 1: Echantillonnage par présence ou absence. Six souris sont observées tour à tour pendant x périodes de 10 secondes (7 à 8 périodes d'observation pour chaque sujet sont ici représentées). Une souris est observée pendant 10 secondes, toutes les minutes. Pendant chacune de ces périodes d'observation, l'observateur note 1 chaque fois que l'un des six comportements étudiés est présents. Au cours de chacune des périodes d'observation, plusieurs comportements peuvent être produits.