ILLETTRISME Ces adultes qui apprennent à lire · 'DWXP ee /e rrier 1211 ee 8 022/ 809 55 66 ZZZecrrierch eiert: rit heer: 300002 eiet: e cheree $ERr: 1024526 e: 7510 rcheieie: 6

Datum: 15.03.2014

Genève

Le Courrier1211 Genève 8022/ 809 55 66www.lecourrier.ch

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ILLETTRISME

Ces adultes quiapprennent à lire

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3Depuisvingt-cinq ans, l'association Lire et écrire

propose des cours aux personnes qui ne maîtrisentni la lecture ni l'écriture. Un véritable handicap quitouche près de 800000 adultes en Suisse. Reportage.

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ILLETTRISME Des centaines de milliers de personnes ne maîtrisent pas la lecture et l'écriture en Suisse.Reportage auprès de l'association Lire et écrire, qui propose des cours spécifiques.

Le courage d'apprendre à lireTEXTE: LAURA DROMPT,ILLUSTRATIONS: ERIC LECOULTRE

Lire les étiquettes en faisant sescourses, payer ses factures,acheter un billet de train à uneborne, lire la posologie d'unmédicament... Autant d'acti-vités quotidiennes insurmon-tables pour près de huit centmille personnes en Suisse. Lamoitié d'entre elles sont suisseset la plupart ont suivi l'écoleobligatoire.

Vivre sans ces compétencesde base dans un monde où l'é-criture est omniprésente est unvrai handicap. Depuis vingt-cinq ans, l'association Lire etécrire propose des cours pourles adultes en situation d'illet-trisme à travers toute la Suisse.Le Courrier est allé à la ren-contre de ces personnes qui, unjour, trouvent le courage de re-nouer avec cet apprentissage.

«J'ai reprisconfiance en moi»

Dans la salle, des tables sontdisposées en cercle et six per-sonnes patientent, cahiers,crayons et gommes prêts àl'emploi. Daniel*, Eva*, Ania*,Cândida, Francine*, Kandija etMartin* viennent en courschaque jeudi à Nyon, dans lecanton de Vaud. Leur niveau va-rie beaucoup: certains savent seservir d'un dictionnaire, quandd'autres doivent se concentrersur des mots simples.

Les apprenants ici, on neparle pas d'«élèves» qui vien-nent auprès de Lire et écrire par-lent parfaitement le français.Beaucoup sont d'ailleurs suisses

ou francophones. Mais à unmoment de leur vie, ils ontpassé entre les mailles du filetscolaire et ont perdu la maîtrisede la langue écrite.

Dans la classe, on trouvetous les âges et tous les profils.Daniel, le cadet, a 16 ans. Tan-dis qu'Eva a déjà plusieurs pe-tits-enfants et toute une viederrière elle.

Elle tient à encourager lespersonnes qui rencontrent desdifficultés à se lancer. «Il ne fautpas rester bloqué. Il n'est ja-mais trop tard pour apprendre,j'en suis la preuve, explique-t-elle. Grâce à ces cours, j'ai re-pris confiance en moi.» Eva est

suisse-allemande. Son originelui a servi d'excuse pour écrirele moins souvent possible à sontravail, bien qu'elle vive enSuisse romande depuis trente-cinq ans.

En entendant parler Cândi-da, de nationalité portugaise, ilest difficile d'imaginer qu'ellene parlait pas un mot defrançais à son arrivée en Suisse,il y a six ans. Elle rêve d'évoluerprofessionnellement et de fairedes études. «Mais pour cela, ilfaut parfaitement maîtriser l'é-criture; en Suisse, le niveaud'exigence est très élevé.»

Kandija est arrivée du Ma-roc il y a dix ans. Sa motivationpour apprendre à lire et à écrire,elle la trouve auprès de sa peti-te dernière, âgée de 7 ans. «Mafille m'a donné le courage devenir», explique-t-elle fière-ment. «Elle posait des ques-tions, elle me demandait pour-

quoi je ne pouvais pas lui lired'histoire avant de dormir.»

Kandija raconte comment,à l'aéroport, elle prétextaitavoir oublié ses lunettes pourqu'on lui lise les informationssur les panneaux d'affichage.Ou les problèmes chez le mé-decin, lorsqu'elle se voyait de-mander de remplir un formu-laire. «Je ne pouvais rien faire.Vraiment rien du tout. Mêmeles achats, c'était difficile. Jetendais mon porte-monnaiepour qu'on prenne l'argentexact. Aujourd'hui, je peux fairemes courses seule.»

Un «avant»et un «après»

Quant à Martin, il s'est ins-crit aux cours après avoirconnu un grave problème desanté. Durant six ans, il a dirigéune entreprise, et personne nes'est rendu compte de ses la-cunes. «J'avais une secrétaireformidable, elle était toujoursavec moi, en voyage, aux dé-bats, aux conférences... Et je luidemandais de tout écrire.»Mais les souffrances généréespar cette situation ont été tropfortes. Un jour, il ne les a plussupportées et a quitté son tra-vail. Sa secrétaire, à qui il a finipar tout expliquer, en est restéeincrédule. «Elle avait parfois lesentiment que quelque chose

n'allait pas, mais jamais ellen'aurait imaginé que je ne sa-vais pas écrire.»

Le cours commence. La for-matrice, Véronique Chassot, a

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distribué une feuille résumantdes règles de grammaire. Les vi-sages sont concentrés. Plusieursminutes passent durant les-quelles des voix et des chansonssourdent de la pièce attenante.Les parents (uniquement desmamans ce jour-là) peuventlaisser leurs enfants sous la gar-de d'une personne de l'associa-tion, le temps des cours.

Viennent les exercices. Cân-dida feuillette un dictionnaire àla recherche de synonymes. L'é-criture de Francine est toute encourbes. Chaque lettre est réflé-chie, recopiée avec application,en suivant l'original du doigt.D'autres travaillent la lecture.Véronique Chassot entoure dessyllabes que Kandija prononceà haute voix. «Con...deme?...du? ...duire? Conduire!»

La formatrice tient à préci-ser qu'elle ne joue pas un rôlede maîtresse d'école. Le butn'est pas de «tout connaître parcoeur». «Ici, nous donnons lesbons outils pour aller chercherl'information par soi-même,

pour avoir des références aux-quelles se rattacher ensuite.Car on ne peut prétendre com-bler toutes les lacunes. Nous vi-sons l'autonomie.»

Apprendre à lire et à écrireest un long processus. «Nosjeunes vont à l'école durantneuf ans, à plein temps. Cespersonnes travaillent souvent àcôté, viennent quelques heurespar semaine. Même avec de lamotivation, cela demande de lapatience.» Cândida hoche latête. «Quand je suis arrivée,trouver un travail était ma prio-rité. Avoir envie de suivre lescours ne suffit pas, il faut ymettre les moyens en temps eten énergie.»

Mais l'investissement envaut la peine, comme le confir-ment toutes les personnes pré-sentes. A travers les témoi-gnages se dessinent un «avant»et un «après» les cours. En par-tageant leur expérience, ellesespèrent en encouragerd'autres à suivre cette voie. Ain-si Eva résume-t-elle: «Avant,

j'avais honte, je cachais ce pro-blème. Aujourd'hui, je le disd'entrée, même si je fais bienattention avec les gens que jene connais pas. C'est un effortnécessaire, pour que ma situa-tion soit au moins comprise.»

Plusieurs participantes sa-vourent aussi, grâce à cet ensei-gnement, de nouer un nouveaudialogue avec leurs enfants.Cândida peut désormais aiderson fils avec ses devoirs. «C'estdevenu un plaisir. Avant, je nepouvais pas participer à sa sco-larité: il me disait que je n'ycomprenais rien. Maintenant,tout est devenu plus facile, onfait des dictées ensemble, et ilest très fier.»

Quant à Kandij a, elle voit safille lui rapporter des livres de labibliothèque. «Et maintenant,je peux lui raconter des his-toires avant de dormir.» I

"Certains noms ont été changés.

Plus de renseignements surwww.lire-et-ecrire.chOu au 0840 47 47 47.

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L'association Lire et écrire permet aux parents de venir accompagnés de leurs enfants, afin de faciliterl'accès aux cours. Une garderie s'organise selon la demande.

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Les niveaux des apprenants sont très différents.Certains savent utiliser un dictionnaire quandd'autres crochent sur des mots simples.

Berne légifère, mais bloquesur le financementDepuis 1988, l'association Lire etécrire s'attelle à sensibiliser le publicet les milieux politiques à l'illettris-me. L'organisation mène actuelle-ment une campagne d'informationauprès des «personnes relais», à sa-voir: les professionnels qui rencon-trent des adultes en situation d'illet-trisme. Les offices régionaux deplacement, l'administration, lescentres médicaux-sociaux, ou enco-re les milieux hospitaliers sont au-tant de lieux susceptibles d'identi-fier les cas problématiques.

Il est important, en de telles cir-constances, de nouer un dialogueavec les personnes concernées et deles rediriger vers les services adé-quats. Pour l'heure, moins de 1% desadultes qui en auraient besoin finis-sent par accéder à des cours.

Au début des années 2000, desétudes ont montré l'ampleur duphénomène. Facteur d'exclusion so-ciale, professionnelle, culturelle etéconomique, l'illettrisme a enfincommencé à être pris au sérieux. Lescoûts 1,3 milliard de francs par anen Suisse pour le seul volet lié auchômage ont participé à cetteconscientisation.A Berne, la révision de la loi sur la for-mation continue a permis de créerun cadre dévolu à l'apprentissage dela lecture, de l'écriture et du calcul.

«Ces compétences de base ferontl'objet de quatre articles spéci-fiques», explique Josiane Aubert. Laconseillère nationale socialiste (VD)a participé à une table ronde sur letabou de l'illettrisme en janvier der-nier. Elle reste toutefois prudentedans ses attentes: «J'espère que cesarticles de loi permettront au moinsde sortir des non-dits», déclare-t-elle. Car le bât blesse, comme sou-vent, au niveau des finances. Si le Na-

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tional et les Etats sont a priori favo-rables à ces articles de loi, lesChambres ne sont pas entrées enmatière pour donner les moyens né-cessaires à la mise sur pied de cam-pagnes nationales de sensibilisation.

En attendant que la Confédéra-tion prenne ses responsabilités,chaque canton et commune s'orga-nise du mieux possible, avec l'aidede Lire et écrire. Son président, Sa-muel Bendahan, souligne toutefoisque le modèle a ses limites. «Nousmanquons totalement de moyens.Nous avons reçu quinze mille appre-nants en vingt-cinq ans. Un trèsbeau résultat, pour notre organisa-tion. Mais sur huit cent mille per-sonnes qui en auraient besoin, çafait peu. On est encore loin d'avoirrésolu ce problème.» LDT

REPÈRES

«L'illettrisme» définit la situationd'adultes scolarisés qui maîtrisentinsuffisamment la lecture, l'écritureet le calcul pour un usage quoti-dien.

L'analphabétisme, avec lequell'illettrisme est souvent confondu,définit la situation d'adultes quin'ont pas été scolarisés et qui n'ontjamais appris à lire ni à écrire.

13% à 19% des adultes en Suissesont touchés par l'illettrisme. Parmilesquels 800 000 personnes neparviennent pas à trouver uneinformation simple dans un textetrès basique.

Le coût de l'illettrisme s'élève àplus de 1.3 milliard de francs par anen Suisse. Les adultes concernésexercent souvent des emplois pré-caires et ont plus de risques de setrouver au chômage.

Le décrochage scolaire, le manquede pratique et les situations de rup-ture telles que la maladie ou undivorce sont les principales raisonsde la perte de maîtrise de l'écritureet de la lecture. LDT

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