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Ils se servent comme des porcs ! On se défend comme on peut

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Un livre de dessins et de textes politiques sur la décennie 2000-2010 par Fañch et Munin

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Fañch Ar Ruz & Munin 2011 - Site de Fañch : http://blog.fanch-bd.comDépot légal : septembre 2011. ISBN : 978-2-9537970-1-5

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Table des matières

Préface « Du très possible communisme » - Karl Marx p.7

IntroductionIl était une fois deux frangins communistes qui galéraient dans une décennie de merde p.12

Chapitre 1 Main basse sur la planète p.17

Ils se servent comme des porcs p.19Les croisés du Capital p.35La paix dans ta gueule p.47La Bomba latina ! p.61Europe libérale, NON ! ... mais oui quand même p.85

Chapitre 2 La France Pays des Veilleuses p.101

Cachez cette lutte des classes que je ne saurais voir p.103La Bête Immonde du 21ème siècle p.121La gauche de la droite p.139Changer les hommes avec des géraniums p.151La droite de la gauche p.165C’est la turlutte finale p.181Y’en a pas un sur cent et pourtant ils moisiiisseuuu p.197Leurs miches valent plus que nos salaires ! p.213

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Chapitre 3 Les rubriques auxquelles vous avez (presque) échappé p.231

La Chine à l’heure du Commuptalisme p.237Le Continent perdu mais pas pour tout le monde p.241La revanche des têtes de noeuds p.243Quand le capitalisme exhibe sa petite bite p.247Sarko fait les soldes : grosse promo sur tous les imposteurs ! p.253Le Centre, Point G de la politique ? p.257Et d’autres rubriques... p.258

épilogue

étreindre le chaos pour faire notre histoire p.261

Annexe Pourquoi un livre sous licence Creative Commons ? p.270Remerciements p.271

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La Commune de Paris devait, bien entendu, servir de modèle à tous les grands centres industriels de France. Le régime de la Commune une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l’ancien gouvernement cen-tralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place au gouvernement des producteurs par eux-mêmes. Dans une brève esquisse d’organisation natio-nale que la Commune n’eut pas le temps de développer, il est dit expressé-ment que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l’armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrê-mement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris ; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. Les fonctions, peu nombreuses, mais importantes, qui res-taient encore à un gouvernement central, ne devaient pas être supprimées, comme on l’a dit faussement, de propos délibéré, mais devaient être assu-rées par des fonctionnaires de la Commune, autrement dit strictement res-ponsables. L’unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale ; elle devait devenir une réalité par la destruction du pouvoir d’état qui prétendait être l’incarnation de cette unité, mais voulait être indépendant de la nation même, et supérieur à elle, alors qu’il n’en était qu’une excroissance parasitaire.

Tandis qu’il importait d’amputer les organes purement répressifs de l’ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions légitimes devaient être arrachées à une autorité qui revendiquait une prééminence au-dessus de la société elle-même, et rendues aux serviteurs responsables de la société. Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devait servir au peuple constitué en com-munes, comme le suffrage individuel sert à tout autre employeur en quête d’ouvriers, de contrôleurs et de comptables pour son affaire. Et c’est un

Du très possible communisme

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fait bien connu que les sociétés, comme les individus, en matière d’affaires véritables, savent généralement mettre chacun à sa place et, si elles font une fois une erreur, elles savent la redresser promptement. D’autre part, rien ne pouvait être plus étranger à l’esprit de la Commune que de rempla-cer le suffrage universel par une investiture hiérarchique.

[…] La Constitution communale aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu’alors absorbées par l’état parasite qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement. Par ce seul fait, elle eût été le point de départ de la régénération de la France. […] L’existence même de la Commune impliquait, comme quelque chose d’évident, l’autonomie municipale ; mais elle n’était plus dorénavant un contrepoids au pouvoir d’État, désormais superflu.

[…] La Commune a réalisé ce mot d’ordre de toutes les révolutions bour-geoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant ces deux grandes sources de dépenses : l’armée et le fonctionnarisme d’état. Son existence même supposait la non-existence de la monarchie qui, en Europe du moins, est le fardeau normal et l’indispensable masque de la domination de classe. Elle fournissait à la république la base d’institutions réellement démocratiques. Mais ni le « gouvernement à bon marché », ni la « vraie république » n’étaient son but dernier ; tous deux furent un résultat secon-daire et allant de soi de la Commune.

[...] La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu’elle a exprimés montrent que c’était une forme politique tout à fait susceptible d’expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentielle-ment répressives. Son véritable secret, le voici : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des expropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail.Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles

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se fonde l’existence des classes, donc, la domination de classe. Une fois le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d’être l’attribut d’une classe.

[…] C’est une chose étrange. Malgré tous les discours grandiloquents, et toute l’immense littérature des soixante dernières années sur l’éman-cipation des travailleurs, les ouvriers n’ont pas plutôt pris, où que ce soit, leur propre cause en main, que, sur-le-champ, on entend retentir toute la phraséologie apologétique des porte-parole de la société actuelle avec ses deux pôles, capital et esclavage salarié (le propriétaire foncier n’est plus que le commanditaire du capitaliste), comme si la société capitaliste était encore dans son plus pur état d’innocence virginale, sans qu’aient été encore développées toutes ses contradictions, sans qu’aient été encore dévoilés tous ses mensonges, sans qu’ait été encore mise à nu son infâme réalité. La Commune, s’exclament-ils, entend abolir la propriété, base de toute civili-sation. Oui, messieurs, la Commune entendait abolir cette propriété de classe, qui fait du travail du grand nombre la richesse de quelques-uns. Elle visait à l’expropriation des expropriateurs. Elle voulait faire de la propriété individuelle une réalité, en transformant les moyens de production, la terre et le capital, aujourd’hui essentiellement moyens d’asservissement et d’exploitation du travail, en simples instruments d’un travail libre et associé. Mais c’est du communisme, c’est l’ « impossible » communisme ! Eh quoi, ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelli-gents pour comprendre l’impossibilité de perpétuer le système actuel - et ils sont nombreux - sont devenus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et une duperie ; si elle doit évincer le système capitaliste ; si l’ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l’anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible communisme » ?

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[…] La classe ouvrière n’espérait pas des miracles de la Commune. Elle n’a pas d’utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n’a pas à réaliser d’idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre.

Karl Marx, La Guerre civile en France

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Il était une fois deux frangins communistes

qui galèraient dans une décennie de merde

2001. Début de siècle, nouveau millénaire et naissance d’une amitié entre deux enragés qui ont le communisme vissé aux tripes. Le premier est compa-gnon de route de Ligue communiste révolutionnaire. Fier de son trotskysme, il dessine pour esquisser les contours d’une autre société et vomir le système capitaliste. Le deuxième est alors un jeune militant du P.C.F et des Jeunesses Communistes qui s’accroche à son parti malgré des doutes grandissants qu’il tente d’exprimer en les couchant sur le papier.

Comme toutes les rencontres, celle-ci fut complètement improbable. Il y a toujours quelque chose qui tient du miracle dans le hasard. Bon, le hasard fut un peu bordélique et pas très discret. Une soirée insipide dans laquelle ils n’auraient dû se trouver ni l’un ni l’autre. Subitement, le breton trotskyste qui tape un coup de sang et se dresse pour chanter l’Internationale et le jeune communiste en difficulté avec la discipline de parti qui reprend la rengaine à l’autre bout de la salle dans une mer d’indifférence. Les tables se rapprochent, les verres se remplissent et s’entrechoquent, la conversation démarre sur des chapeaux de roue… le tour est joué. Ça aurait pu tourner au dialogue de sourds entre un vilain stalinien et un méchant gauchiste. Mais il y eu une étincelle, la certitude immédiate de reconnaître un frère, un amour immodéré pour l’auto-dérision et surtout la conviction partagée qu’une société sans classes, de démocratie réelle, ça devait et ça pouvait exister.

Commence alors un voyage fraternel et militant : les discussions houleuses et bien arrosées qui rapprochent, les combats politiques menés ensembles, les gueules de bois, les colères, les doutes et les frustrations : 2002, la Palestine, le

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capitalisme qui triomphe et la gauche radicale qui n’en finit pas d’être lamen-table, Sarkozy qui fait du Le Pen et du Thatcher appliqué… et toujours rien à l’horizon pour faire péter tout ça…Au fil de leurs échanges, ils se sont pourtant bien souvent bousculés. Le trotskyste enfonça le nez de l’héritier du stalinisme dans le caca : les compro-missions du P.C.F, qui sombre dans le réformisme alors que la Ligue prône la révolution permanente, les résistants dissidents assassinés, les gros bras de la CGT pas toujours amicaux avec leurs camarades de la LCR dans les manifs. Et surtout, cette vérité qui ébranle lorsqu’on l’accepte : le communisme n’était pas la propriété du Parti communiste français. Il y avait d’autres manières de l’être et d’autres espaces où vivre authentiquement cet engagement. Le J.C. encore tendre se sentait communiste bien plus qu’homme d’appareil, et malgré son jeune âge, il avait un certain goût, un peu pervers, pour les vérités qui donnent des hémorroïdes. Il encaissa le choc, mâchonna longuement les salves assénées par son camarade. Le doute envers son parti se métamorphosa en distance grandissante… pour déboucher sur une rupture définitive. Mais il n’adhéra pas à la LCR pour autant.

Au fil des discussions la critique changea de camp.Si la Ligue est si démocratique, pourquoi Krivine est-il resté aux commandes pendant 40 ans ? Au-delà des différends historiques, le P.C.F et la LCR ne sont-ils pas des frères jumeaux ennemis sortis des mêmes entrailles ? Ne partagent-ils pas les mêmes conceptions élitistes et inégalitaires du pouvoir, calquées sur le modèle de l’état bourgeois où il y a ceux qui décident et ceux qui exécutent ? Ne portent-ils pas la même vision du changement de société portée par une avant-garde qui ne se trompe jamais, par un parti qui se com-porte comme le nombril du monde et jauge tout à l’aune de ses intérêts ?Pourquoi ces organisations ont-elles passé des décennies à vouloir construire un socialisme dans lequel c’est l’état, toujours en surplomb de la société, qui assure la socialisation de la production et la répartition des richesses ?Pourquoi ne pas avoir promu un communisme où l’ensemble de ceux qui façonnent la société jour après jour s’associent librement pour faire exploser les classes sociales et forcer la politique à redescendre sur terre en prenant leurs affaires en main et en faisant dépérir l’état ?

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Bien en amont du stalinisme, ces partis n’ont-ils pas condamné tout espoir de révolution en adoptant les armes de leurs ennemis pour les combattre, en voulant prendre le pouvoir au lieu de le bouleverser profondément dans ses formes et son contenu, pour qu’il cesse de produire de la domination et génère enfin de l’émancipation ? En s’aventurant sur ce chemin, n’est-ce pas le mouvement ouvrier qui a finalement été pris par le pouvoir ?Et ce fut au tour du trotskyste de prendre cher et de se dépatouiller avec ses contradictions. Sans être d’accord avec toutes les saillies de son camarade, il concédait que ses critiques n’étaient pas complètement illégitimes.

Les discussions ne remplacent jamais l’expérience. C’est finalement l’aventure du Nouveau parti anticapitaliste qui acheva de rapprocher les deux camarades. Ils étaient assez en accord pour s’entendre sur le fait qu’il fallait quelque chose de nouveau pour foutre en l’air le capitalisme. La L.C.R prenait l’initiative de se dissoudre pour proposer à toutes les bonnes volontés non résignées de construire un nouveau parti. Pourquoi ne pas relever le défi ?En 2009, les deux frangins retroussaient leurs manches et avec tant d’autres, ils entraient dans la ronde du processus constituant du NPA.En 2010, comme tant d’autres, ils prenaient leurs jambes à leur cou et quit-taient une organisation où tout, du débat politique en passant par les choix sur les modes de fonctionnement, avait été confisqué par la Direction de la L.C.R ; avec le consentement de pas mal de nouveaux adhérents bien naïfs… ou déjà vérolés par la discipline et le carriérisme. Les vieilles certi-tudes, les pratiques pourries, mais bien rodées, et les logiques d’appareil s’étaient imposées. La reproduction de l’existant l’avait une fois de plus emporté sur l’émancipation.Au contact de la réalité, les intuitions qui s’étaient tortueusement et douloureusement frayées un chemin à travers des nuits de conversations passionnées avaient trouvé une retentissante mais amère confirmation.

2011. L’amitié est toujours là, plus que jamais, le communisme aussi,

toujours viscéral, mais débarrassé de toute attache à des boutiques parti-sanes incapables de se hisser à la hauteur d’une révolution pourtant plus

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que jamais nécessaire. Un communisme « SDF », désespérément en attente d’une organisation commune novatrice qui fabriquerait enfin de l’émancipation.Alors les deux camarades ont décidé d’utiliser mots et dessins pour racon-ter, sans complaisance et sans concessions, cette décennie telle qu’ils l’ont vécue et peut-être telle que vous-même, vous l’avez traversée : une décennie de la défaite, notre défaite… qui ne doit pas s’éterniser jusqu’en 2020.

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Chapitre 1

Main basse sur la planète

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Ils se servent comme des porcs

Vers la deuxième moitié de la décennie 1990, tous les plus grands rapaces de la planète se réunirent pour se pencher sur le destin du monde. Ils n’étaient pas mécontents. Depuis la fin des années 1970 le capitalisme ultra libéral n’avait pas démérité. La dictature chilienne du général Pinochet avait fait office de bébé éprouvette modèle sur fond de tortures et d’enlè-vements de militants de gauche. Le règne arbitraire de la propriété privée avait gagné en confiance sous les traits grisâtres de Margaret Thatcher. La vieille bourgeoise s’appliqua rageusement à traquer les mineurs et les fonctionnaires en répétant, la bave aux lèvres : « There is no alternative », sorte de variation bourgeoise du fameux No Futur des Sex Pistols, dans laquelle seules les classes populaires sont privées d’avenir.

De l’autre côté de l’Atlantique, Ronald Reagan qui balançait des syndica-listes et brisait déjà des grèves durant les grandes heures de la « chasse aux sorcières », s’employait à faire de très gros cadeaux aux riches avec le fruit du travail des pauvres. Au même moment, lassé de faire semblant d’être de gauche au bout de deux ans de pouvoir seulement, le Parti socialiste convertissait la France à la rigueur. Quelques années plus tard, en guise d’apothéose, le paradis capitaliste balayait « l’Empire du Mal Soviétique » et le convertissait à la démocratie libérale d’un seul coup de baguette magique. Il suffisait simplement pour cela de compléter la dictature de l’État par celle du Marché. Comme disait un comique français de la fin du siècle dernier, pour les puissants de ce monde, « le bilan était globalement positif ».

Malgré tout, un sentiment de frustration subsistait. Les grandes victoires localisées ne suffisaient plus. Pas un recoin du monde, pas la moindre activité humaine ne devaient échapper au règne de la propriété privée. L’appétit vorace des actionnaires pour des profits toujours plus rapides et gigantesques ne pouvait pas souffrir de limites. Et en cette fin de XXème, même si le carnage était déjà bien avancé, il en restait des acquis sociaux à pulvériser, des services publics à dépecer et des travailleurs à exploiter !

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La solution pour parachever le pillage passait par la construction de nouvelles structures économiques taillées pour la prédation à grande échelle et dotées d’armes de privatisation massive. C’est ainsi que dès sa création en 1994, la nouvelle Organisation mondiale du commerce sortit de ses manches l’Accord général sur le commerce des services. Par l’entremise de la déréglementation économique mondiale, il s’agissait de donner un coup de pouce aux gouvernements risquant d’être ralentis par un peuple retors ou nourrissant quelques états d’âme à l’idée de transformer entièrement

leurs sociétés en immenses casinos. La grande razzia prenait la forme de négociations au cours desquelles chaque état était sommé de présenter volontairement sa liste de services à brader, jouant ainsi à la marchande

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avec l’ensemble des activités qui façonnaient la vie de leurs populations : l’accès à l’eau, la production et la distribution des énergies, l’éducation, la santé, le logement…

Loin de s’en tenir à la captation des rapports sociaux, la mise en privé a accéléré son emprise sur le vivant. Les nouveaux droits intellectuels, appa-rus dans les années 1980, ont fini par prendre de plus en plus d’importance. Ils ont rendu possible la multiplication des brevets.Pour les capitalistes, il s’agissait de pouvoir s’approprier une richesse gra-tuite, abondante, et qui possède la capacité de s’autoreproduire.Alors qu’elle était jusqu’à présent un bien commun, la vie elle-même est maintenant transformée en capital.Alors que depuis des millénaires, les semences, cultivées et reproduites, permettaient aux paysans d’assurer leur auto-subsistance, elles sont désormais une source de valorisation sans fin entre les mains d’une poignée de transnationales.La privatisation du vivant marque l’entrée dans une nouvelle phase, morbide, de l’histoire du capitalisme. Le culte de rationalisation à outrance, la volonté d’éradiquer jusqu’au hasard pourtant inhérent au développement de la vie, l’acharnement à sélectionner les espèces les plus compétitives, mènent tout droit à un appauvris-sement radical de la diversité biologique.

La frénésie du brevetage provoque une augmentation des prix des produits. En multipliant, parfois jusqu’au délire, les droits de péage pour une même plante (le Golden Rice, variété de riz génétiquement modifié, croule sous 72 brevets !), cette inflation des droits de propriété entrave considérablement la production et la mise en culture.En s’appropriant la vie, le capitalisme coupe les êtres humains de leurs attaches biologiques. Il les arrache au terreau sur lequel ils ont pu, au fil des générations, élaborer leurs cultures et tisser leurs rapports sociaux.

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Le désir de valorisation du Capital dégénère désormais en véritable pulsion de mort.

L’OMC comptant 153 membres en 2009, autant dire que le capitalisme tutoie enfin son vieux rêve d’enserrer le monde entier dans ses tentacules.Le marché a enfin ses petites « mains invisibles » libres de faire les poches de tous les pauvres, les travailleurs et les dominés de la planète. Le FMI fignole la manœuvre en creusant l’endettement des pays du sud et en resserrant les chaînes qui les entravaient déjà. Il leur prête de l’argent à l’expresse condition qu’ils approfondissent la transformation libérale de leur économie alors même que c’est cette logique qui les entraînait vers l’abîme.

Même l’état, conspué par la bourgeoisie mondiale lorsque qu’il se mêle de justice sociale ou de régulation économique, a sa partition à jouer dans cette histoire. Il voit ses fonctions de flic et de maton de la société enfler jusqu’à faire de lui une bête répressive boursoufflée, un chien de garde capable de jouer des crocs dans le cas où la populasse toujours rétive au progrès viendrait perturber le cours harmonieux du destin, un fidèle clébard chargé de superviser la chasse à l’homme contre des ennemis imaginaires pour tenter de détourner la colère du peuple des miches des riches et du patronat.D’ailleurs, de quoi devrait-il se plaindre le bas peuple ? Les métros londoniens privatisés innovaient en bousillant les passagers au lieu de les transporter. Des compagnies d’électricité privatisées égaillaient les soirées californiennes en concoctant des nuits thématiques « sans lumière ». Le démantèlement des structures publiques de santé permettait à l’Afrique de s’offrir une régulation démographique bon marché. Le complexe agro-alimentaire mondial faisait flamber les prix des denrées alimentaires de base et aidait ainsi des millions de personnes à garder la ligne…Le grand problème des pauvres, c’est qu’ils ne sont jamais contents ! La logique du tout-privé est enfin en passe de devenir universelle, et eux ils gâchent la fête en faisant la gueule, incapables d’entrevoir leur bonheur dans le pouvoir et le profit de quelques-uns. Quelle bande d’égoïstes !

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Privé. Voici ce que devient le monde humain dans une métamorphose hideuse aux deux facettes indissociables. Alors qu’une petite clique de sinistres alchimistes, avides de le changer en or, l’accapare chaque jour un peu plus, le monde nous échappe peu à peu. Il se dérobe sous nos pieds, nous offrant de moins en moins les moyens de prendre appui sur lui pour vivre, créer, construire, inventer et nous projeter vers l’avenir. Inexorable-ment, Nous nous trouvons menacés d’être privés du monde et par la même occasion privés de nous-mêmes, voués à l’impuissance.

On se défend comme on peut

Il ne faudrait pas en conclure qu’il n’existe aucune réaction de la part de ceux qui subissent cette violente agression des logiques capitalistes. La fin des années 1990 et toute la décennie 2000 sont marquées par la montée en puissance de la résistance mondiale aux politiques libérales. De Seattle à Gène en passant par les mouvements français contre le saccage du système de retraite par répartition, des bastons mémorables ont eu lieu… et nous les avons (presque) toutes perdues.

Cette succession interminable de défaites est la marque de l’un des symp-tômes les plus redoutables de cette impuissance que nous impose le capita-lisme. Il y a longtemps déjà que nous avons cessé d’agir pour ne plus faire autre chose que réagir. Nous sommes englués dans la résistance. On peut gloser sur le fait qu’il est normal d’être sur la défensive dans un contexte où le rapport de force est en défaveur des dominés. On peut prétexter qu’il n’existe aucun débouché politique pour permettre aux peuples de reprendre la main.C’est juste, Mais l’entière vérité, c’est que pour le moment, le capitalisme nous a coupé le sifflet. Nous sommes en capacité de dire ce que nous ne voulons pas, mais à aucun moment de définir ce que nous souhaitons. Nous restons enchaînés au passé car il est tout ce qu’il nous reste.

En nous rendant étrangers et esclaves de notre propre réalité, le capita-lisme réalise le tour de force de nous rendre incapable d’imaginer et de

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désirer notre propre futur. Il cadenasse nos affects dans les chaînes de son propre désir de maître. Or, sans but à atteindre, il n’existe aucune volonté et sans volonté, il n’y a pas d’action possible. Lorsque les altermondialistes déclarent que « le monde n’est pas une marchandise », ils ne disent à aucun moment ce qu’il est pour eux et encore moins ce qu’il devrait être.Les batailles engagées pour les services publics ou les solidarités sociales tombent dans le même travers. Il s’agit constamment de défendre nos « acquis », de stopper l’offensive libérale alors même que ces « acquis » sont d’ores et déjà largement perdus, soit digérés par l’appropriation privée, soit rongés de l’intérieur par les logiques de rentabilité et prêts à tomber dans l’escarcelle des actionnaires.Un beau jour on va paumer nos frocs et on trouvera encore les moyens d’organiser des manifs pour la sauvegarde de nos slips.

Les capitalistes nous font le coup du cheval de Troie et nous tombons dans l’un des plus vieux panneaux de l’histoire ! La méthode est simple et efficace.Imaginez. Vous êtes un gros connard de droite, ministre de l’économie de surcroit (Lagarde, Mer, Sarkozy, Fabius ou Strauss-Kahn vous avez le choix de votre avatar…), et vous avez pour mission de donner plein de fric à vos potes de la Bourse. Prenez un service public. Empêchez-le de remplir sa mission en lui sucrant des moyens financiers et en inoculant dans son organisme des logiques de rentabilité et de compétitivité. Pour lui ôter toute efficience sociale, arrangez-vous pour que tout ce qui merdait déjà à l’origine : lourdeurs bureaucratiques, pinailleries procédurières, rôle de coercition et de contrôle social, prenne le pas sur tout le reste. Une fois que vous avez bien foutu la merde, jouez le mec concerné et en colère : « C’est inadmissible, les français ont droit à des services de qualité, ce sont vos impôts qu’on jette par la fenêtre, l’état dépense une somme folle et voyez pour quel résultat… bla, bla, bla… ».

Mettez tout sur le dos des fonctionnaires, en les traitant copieusement de grosses feignasses. N’oubliez surtout pas de chauffer l’opinion publique à blanc grâce à un bon vieux matraquage médiatique. Pas de panique !

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TF1 et France 2 se feront une joie de produire à la pelle des reportages catastrophistes avec pleins d’usagers/otages au bord de la crise de nerf. Au moment où le bordel est à son comble, réapparaissez avec votre déguisement de Zorro en sortant de votre cape la solution miracle : « la modernisation » du service public « malade », ce qui en « novlangue » capitaliste signifie « privatisation ». Dernier ingrédient indispensable à la réussite de votre entreprise de sabotage : l’intervention des syndicats et des partis de gauche.Dès l’apparition des premières banderoles « défendons notre service public », Prenez la parole, le regard triste mais déterminé pour lancer : « Comment voulez-vous sauvegarder ce qui ne fonctionne pas ? Vous êtes rétrogrades et irresponsables ! Le changement demande des sacrifices mais avons-nous le choix » ? Tout le monde est baisé. Un ange passe. C’est celui du Capital. Il fait un gros bras d’honneur à l’assistance en emportant un gros paquet de pognon sous son aile. Emballé c’est pesé.

Ce scénario se rejoue depuis des années, de plus en plus souvent, sous toutes les variantes, dans tous les recoins de la planète. Le seul moyen pour changer la fin du film est d’arrêter de nous défendre pour redresser la tête, fixer nous même les règles de l’affrontement et surtout… son but. Il ne serait peut-être pas si con de suivre le vieux conseil de Marx, de cesser de s’agripper à ce qui n’existe déjà plus pour comprendre que nous avons un monde à gagner.En définitive, c’est d’action politique que nous manquons le plus cruellement. Et la politique, notre politique, ce n’est peut-être rien de plus mais surtout rien de moins que d’agir en commun, jour après jour, pour commencer à nous approprier ce monde afin d’en esquisser nous-même les contours…

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Denis Gautier-Sauvagnac démissionne du MEDEF après avoir sorti entre 17 et 20 millions d’euros en espèce des caisses de l’Union des industries des métiers de la métallurgie, entre 2000 et 2007 pour « fluidifier » les rapports du patronat avec les syndicats.

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Les croisés du Capital

L’année 2008-2009, fut vraiment étrange… limite flippante pour tout dire. Le monde entier fut frappé d’une crise d’hystérie collective. Partout, des larmes de joie, des scènes de liesse, des foules extatiques, des éditos débilitants. Le monde allait changer. Une nouvelle ère de bonheur s’ouvrait à nous. Plus rien ne serait comme avant. L’évènement qui provoquait ce raz-de-marée d’espoir béat ? L’élection d’un nouveau président des états- Unis d’Amérique. Qu’avait-il de si extraordinaire pour se voir élevé au rang de légende vivante avant même d’avoir ne serait-ce que promulguer une petite loi ? Crachait-il des boules de feu avec ses fesses ? Savait-il placer correctement la Grèce sur une mappemonde ? était-il de gauche ? Voulait-il abolir la peine de mort ? Pas du tout. Il était… noir. Beaucoup plus que Michael Jackson en tout cas, ce qui suffisait à créer l’évènement.

Terrassé par une crise économique et sociale d’une violence inédite, harassé par huit années de guerre conduite par l’ultracon George W Bush contre les « forces du mal arabo-musulmanes », effrayé par une menace terroriste qui, d’après nos dirigeants, pouvait frapper n’importe qui, n’importe où et n’importe quand, angoissé par une crise climatique qu’on entrevoyait comme une sorte d’apocalypse à retardement, le monde entier était mûr pour prendre des vessies pour des lanternes. C’est ainsi que dans ces temps crépusculaires, l’arrivée aux commandes de la première puissance mondiale d’un homme noir, modéré, jeune, charismatique, scandant des slogans positifs et volontaristes, fut vécu par la foule des désabusés comme la venue du messie sur la Terre. Moins d’un an après l’élection de Barack Obama, le phénomène « j’ai rien foutu mais je suis quand même un super-héros », franchissait un nouveau cap.

Le président américain reçut le prix Nobel de la paix. Il arrivait assez fréquemment que des tocards raflent la prestigieuse distinction en faisant semblant d’être de bonne volonté pendant un moment. Shimon Perez et Yitzhak Rabin furent de ceux là. Obama, pour sa part, se révéla une fois de plus à la hauteur de sa légende. Récompensé sans avoir rien changé à l’état

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de guerre déplorable installé par son prédécesseur, il allait rapidement prouver qu’il était capable de se dépasser pour aller toujours plus loin sur le chemin de la paix. A peine distingué, il décida l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. En août 2010, il annonça la fin de l’occupation militaire américaine en Irak. Un retrait original, puisque 50 000 soldats américains restèrent sur place, officiellement en tant que « conseillers » de l’armée irakienne. Pratique.

Ils avaient vraiment raison tous ces moutons qui bêlaient d’allégresse le jour de son élection. Obama, changeait vraiment le monde… en laissant s’enliser des guerres meurtrières, en gardant ouverte la salle de torture de Guantanamo, en se couchant comme une serpillère devant Israël. L’Esta-blishment américain pouvait être fier de lui. Il était parvenu à faire valider sa politique de domination par une opinion mondiale bernée. Ce gentil gar-çon de couleur au patronyme « arabo–musulman », excellant dans l’art des discours dégoulinant de tolérance et de réconciliation était le parfait client pour mener à bien une mission d’apaisement. Continuer à jouer les cow-boys plus longtemps devenait compliqué. Le monde ruminait sa haine. Les états-Unis risquaient de perdre des plumes et du pouvoir. Il était temps de passer en mode « impérialisme doucereux ». Obama était l’assurance la plus sûre de pouvoir continuer à profiter tranquillement des retombées juteuses de la sanglante croisade lancée par Bush près de dix ans plus tôt, tout en faisant croire que les temps avaient changé.

Choc des civilisations et guerre permanente

Après avoir triomphé du « grand Satan » soviétique, l’heure était venue pour l’aigle américain de se refaire une santé. La fin de l’histoire, c’était bien gentil. Ça faisait peut-être jouir les propagandistes occidentaux béats, genre BHL, mais ça ne nourrissait pas une super puissance mondiale. Continuer à incarner le monde libre et à entretenir une clientèle de médiocres petites démocraties libérales, exigeait un « nouveau monde pas libre » à combattre et à mettre à genoux. Pour pouvoir nourrir un complexe militaro-industriel tentaculaire et vorace, contrôler des nouvelles ressources stratégiques et se prémunir contre l’émergence de nouvelles

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puissances en Asie, il fallait mener des guerres. Les états-Unis avaient déniché le terrain de jeu idéal pour concrétiser leur folie des grandeurs : le Moyen-Orient et l’Asie Centrale. Bush père avait tâté le terrain dès 1991 en mettant l’Irak de Saddam Hussein à genoux, sans toutefois porter le coup de grâce. Pendant dix ans, les occidentaux préférèrent à la guerre une stratégie « humanitaire » : menacer d’affamer le pays pour le dépouiller de son pétrole.

Ce harcèlement diplomatique était cependant trop timoré pour les appétits de l’impérialisme américain. Pour se servir allégrement, il fallait y aller franco. Mais les bonnes manières occidentales réclamaient que l’on se justifie moralement pour pouvoir se comporter en brute sanguinaire en toute légitimité. « L’arabo-musulman » détrôna le communiste comme ennemi héréditaire de la liberté et de la démocratie. La théorie du « choc des civilisations », pondue par un vieux professeur conservateur dans un bouquin de plus de cinq cent pages, cimenta le cadre idéologique de ce nouvel affrontement du bien contre le mal : le monde était divisé en grandes civilisations dont les valeurs et les intérêts étaient inconciliables. La culture et les religions cristallisaient ces antagonismes. Pour aller à l’essentiel, la diplomatie américaine, aidée par les grands médias audiovisuels et les clubs de réflexions ultra-conservateurs, simplifièrent le schéma : la grande bataille de notre temps opposait l’occident libre, démocratique et chrétien au monde arabo-musulman obscurantiste, fanatique et autoritaire, qui rêvait de conquérir le monde entier pour imposer la charia et instaurer une République islamique universelle.

La preuve que la menace était sérieuse ? Ces terroristes qui se faufilaient parmi nous pour nous réduire en bouillie au moment où l’on s’y attendait le moins, ces fidèles qui ne se contentaient plus de prier dans des caves humides et sans fenêtres mais réclamaient maintenant la construction de mosquées, de lieux de culte décents, et enfin, tous ces fous qui nous narguaient avec leurs barbes hirsutes, leurs djellabas démoniaques, leurs voiles sataniques et qui voulaient nous forcer à dire adieu au cochon et à l’alcool. Les salauds ! S’il subsistait un doute sur la nature monstrueuse de l’ennemi, il fut dissipé avec la fumée qui recouvrait les ruines des twin towers et les cadavres de quelques banquiers un peu trop matinaux. Du jour

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au lendemain, nous étions tous devenus des américains. Forcés à jouer les pleureuses grecques en agitant fébrilement la bannière étoilée. Contraints à faire des minutes de silence tous les quarts d’heure. Condamnés à voir les tours s’effondrer en boucle jusqu’à la crise d’épilepsie. Le mal possédait désormais une organisation tentaculaire qui agissait partout et nulle part à la fois : Al-Qaida. Il avait un nom : Ben Laden. Il n’y avait pas d’hésitation possible. Tout occidental qui se respectait se devait de soutenir la juste et sainte croisade que Georges Bush Junior s’apprêtait à mener pour sauver la civilisation. Si vous n’étiez pas avec lui, vous étiez contre lui. Un traître.

2001. Direction l’Afghanistan pour botter le cul des talibans et tirer Ben Laden par la barbe afin qu’il expie ses péchés devant les fiers défenseurs de la liberté. Pas question de jouer les tièdes et les rabat-joie en faisant remarquer que les talibans avaient été élevés au biberon par les américains pour faire la nique aux soviétiques, que des membres des familles Ben Laden et Bush se côtoyaient chaleureusement dans des conseils d’admi-nistration de grandes multinationales et que, jusqu’à présent, l’Occident, si démocratique, s’était foutu comme de sa première vérole du sort lamentable des femmes afghanes. L’Afghanistan occupé, il aurait été dommage de s’arrêter en si bon chemin.

En 2003, L’Irak fut à nouveau dans le collimateur de l’oncle Sam qui décréta que Saddam était comme cul et chemise avec les islamistes et qu’il projetait d’attaquer les États-Unis avec de terrifiantes armes de

destruction massive. On pouvait compter sur le staff talentueux du petit Bush pour rendre crédible ce qui pour tout esprit alerte était loin d’être évident. Pour convaincre l’ONU du bien-fondé d’une expé-dition punitive contre l’Irak, Colin Powel se surpassa. Planqué dans les toilettes du siège de l’Organisation des nations unies, il pissa dans une fiole sans en mettre une seule goute à côté. Il courut ensuite exhiber le

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flacon devant le nez de l’Assemblée générale en présentant son contenu comme un échantillon des terrifiants arsenaux bactériologiques irakiens. Les marines américains allaient vraiment en chier, confrontés à des hordes de fidèles de Saddam prêts à leur uriner sur les grolles pour les mettre en déroute ! Se torchant avec les doutes de l’ONU, pas vraiment convaincue par la pisse de Powel, Bush, entiché de ces fidèles alliés, lança son armada aux miches de Saddam. L’affaire fut vite réglée.

En un mois Bagdad était conquise et des milliers d’irakiens avaient fait l’heureuse expérience de la mort par guerre propre. En quelques années, les Américains s’étaient rendus maîtres du gaz naturel d’Asie centrale et du pétrole irakien. Ils avaient dégagé la voie à un business des plus lucratifs. Après avoir tout défoncé sur leur passage, ils rameutaient une horde d’investisseurs occidentaux qui se proposait gracieusement de tout reconstruire. Le jeu en valait la chandelle : un marché de plusieurs mil-liards d’euros.

Petit bonus, Bush rendait un service plus politique au capitalisme mondialisé. Il l’avait doté d’un mécanisme d’autodéfense et

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d’autoconservation redoutable : la stratégie de la guerre permanente. Le principe en était d’une simplicité désarmante : maintenir le monde dans la haine et la peur d’un ennemi commun, pour que les dominés n’aient pas l’idée de s’interroger sur les causes réelles de leur situation ni de se mobiliser pour changer leur condition. Chose très pratique, le nouvel ennemi de l’occident était affublé de deux visages : les nations arabo-musulmanes hostiles et arriérées et les terroristes avérés ou potentiels qui frappaient au cœur même de la civilisation. La ligne de front était donc double, elle clivait les relations internationales et déchirait les sociétés occidentales. L’opinion mondiale était maintenue en alerte par le spectacle des opérations militaires retransmis en direct par toutes les grandes chaînes de télévision, par les annonces des nouvelles menaces et les prévisions des guerres à venir. « Après L’Irak et ses armes bactériologiques, bientôt l’Iran et son programme nucléaire ».

Simultanément, les puissants pouvaient diviser ceux qu’ils exploitaient, rogner les libertés civiques et criminaliser toute forme de subversion en brandissant la menace intérieure du terrorisme et de l’islamisme. Le Patriot Act et les lois sécuritaires sarkozystes, entre autres, ont fait partie de l’attirail de cette guerre permanente qui s’auto-alimente. Les croisades impérialistes, la répression policière et le terrorisme islamiste incarnent les différentes facettes d’une machinerie morbide qui régénère continuellement le capitalisme avec la sueur et le sang des damnés de la terre.

Les beautés de la démocratie d’exportation

Ne soyons pas de mauvaise foi. Tout ce déluge de feu et de violence n’est pas vain. Il sert une juste cause, une finalité supérieure : permettre que la démocratie puisse enfin couvrir de sa douce et bienfaisante lumière les innombrables contrées encore maintenues dans l’obscurité et la barbarie. Rendons grâce aux états-Unis. Cette grande nation a fait de ce début de millénaire une ère nouvelle pétrie d’amour, de compassion, de tolérance et de liberté. Que d’amour irradiait du léger et harmonieux mouvement de pendule de la corde qui soutenait le corps de Saddam Hussein fraîche-ment pendu et livré en pâture à des millions de téléspectateurs ! Que de

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tolérance dans les gestes bienveillants des soldats américains qui brisent les âmes et fouillent la chair des prisonniers irakiens avec l’accord de leur état-major !

Et toute cette liberté qui inonde les joyeux chanceux de Guantanamo pour qui l’Oncle Sam va jusqu’à défier les règles élémentaires de la justice pour leur payer des vacances gratis dans les Caraïbes ! On en chialerait un coup tellement c’est beau. Et on comprend pourquoi Obama, le nouveau phare de justice et de démocratie que les états-Unis ont offert au monde, veille avec autant d’acharnement sur tous ces bienfaits de la civilisation.

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Il se passe quelque chose de magique chaque fois qu’il est question du conflit israélo-palestinien. Des gens qui paraissent sensés, intelligents, dotés de conscience, deviennent hargneux, déblatèrent les pires conneries et hurlent à l’antisémitisme. Les discours de propagande les plus grossiers et les plus mal ficelés deviennent des vérités révélées par Dieu en personne. Les pires clichés finissent par se travestir en réalité indiscutable. Tout cela donne l’impression d’une immense lobotomie collective particulièrement bien chiadée.

Si on y regarde de plus près, on frôle ici la vérité. L’état d’Israël et ses copains étasuniens et européens confectionnent de jolies histoires rassurantes que l’opinion publique occidentale gobe cul sec ou fait semblant d’avaler avec une petite grimace de dégoût tout en continuant à plus ou moins fermer sa gueule. Il y aurait de quoi ricaner de toute cette bêtise organisée et lâchement consentie si depuis plus de dix années, celle-ci n’avait pas contribué à entretenir le cauchemar vécu par les palestiniens aussi sûrement qu’une balle dans la tête d’un gamin ou qu’une maison rasée par un bulldozer. Cette crédulité injectée et absorbée à haute dose est l’anesthésiant qui empêche tout grand mouvement international de protestation de voir le jour. C’est le feu vert qui permet à l’état israélien de continuer tranquillement sa petite ballade meurtrière de Jenine à la bande de Gaza en passant par le Liban, tout en se payant le luxe de foutre le mot « paix » à toutes les sauces. Tsahal fait un peu penser aux Martiens de Tim Burton qui s’appliquent consciencieu-sement à dégommer tout le monde au pistolet laser tout en diffusant des bandes sonores qui répètent en boucle : « Ne courez pas nous sommes vos amis ! ».

La Paix dans ta gueule

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On ne perd donc pas son temps à tenter de disséquer les quelques poncifs qui depuis 10 ans servent à travestir une sanglante agression coloniale en innocente opération de légitime défense.

Oslo ou comment occuper en paix

Ce qui sépare la période d’Oslo et l’apocalypse de cette dernière décennie, c’est un peu ce qui distingue une sodomie avec vaseline d’une sodomie au verre pilé : le style.En fait de paix, Oslo fut une tentative pour soumettre les palestiniens par la voie diplomatique et politique. Devant les caméras et sur les parterres de Washington : les grands serments, la main posée sur le cœur. à l’ombre du quotidien : une entreprise systématique pour empêcher la naissance d’un état palestinien digne de ce nom. Vol de terres sans précédent, installation de barrages militaires empêchant les palestiniens de circuler librement, découpage de Gaza et de la Cisjordanie en plusieurs zones pour briser toute continuité territoriale, transformation des leaders palestiniens en force de police au service de l’occupant pour anéantir la crédibilité du mouvement de libération nationale…Ne voyant pas revenir un seul réfugié, partir un seul soldat ni disparaître une seule colonie, les palestiniens se sont lassés d’être pris à la fois pour des cons et des paillassons. La colère s’est mise à gronder.Il n’en fallait pas plus à l’état israélien pour jouer les vierges effarouchées et se façonner un rôle de victime en deux actes.

Acte I : Camp David, été 2000. Les palestiniens sont attirés dans des négociations finales bidons. On veut leur échanger des bouts de désert pourri contre des terres fertiles de Cisjordanie. Le droit au retour des

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réfugiés est liquidé. Jérusalem Est restera israélienne. Américains et israé-liens ont vendu Camp David aux médias et à l’opinion mondiale comme la proposition la plus audacieuse jamais faite aux palestiniens. Une chance historique à ne pas gâcher. Personne n’a pris la peine de vérifier le contenu réel de cette « offre généreuse ». à quoi bon ?Les palestiniens refusent mais sont incapables de parer le rouleau compresseur politico-médiatique qui les accable. Aux yeux du monde entier ils passent pour des ingrats qui ne veulent pas vraiment la paix.

Acte II : Jérusalem, septembre 2000. Les palestiniens sont à cran mais restent calmes. Il fallait les pousser à la faute. Que faire ? Organiser un défilé de stripteaseuses ou un lâché de cochons sur l’Esplanade des Mosquées ? Non ! Mieux ! Y faire parader Ariel Sharon et ses gorilles en armes. Comme ça, les palestiniens auront droit à une provocation « deux en un » : le boucher et le porc dans le même emballage. Cette fois la manœuvre fonctionne. Les territoires occupés s’embrasent. C’est la deuxième Intifada.Après 8 ans d’illusion médiatique, très peu de gens saisirent vraiment les causes de cette révolte palestinienne. Israël pouvait ranger la vaseline et sortir le gravier de 12. L’hypocrisie diplomatique s’éclipsait devant le terrorisme d’état.

La science de la symétrie bancale

La violence militaire israélienne fait parfois sourciller l’opinion publique occidentale. Mais celle-ci trouve facilement des chemins vers le repos de son âme. Pour les adeptes de la « Nature Humaine », c’est la « Violence éternelle » qui est à l’œuvre dans ce conflit, la même vilaine fille qui a eu la peau de la « petite fille afghane » et du « petit portoricain » de la chanson de Renaud. à part pleurer un peu et renvoyer les deux camps

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dos à dos, il n’y aurait rien à faire pour ceux qui ont la tête niquée par la théorie du choc des civilisations et voient partout de méchants terroristes arabo-islamistes partir à l’assaut de l’Occident, Israël ne fait rien de mal, bien au contraire, il est le bouclier de la civilisation face à la barbarie. Ces deux formes de cécité permettent de balayer d’un revers de main dix années de terrorisme d’état. Car comment nommer autrement une chaîne d’évènements au fil de laquelle s’égrainent le siège et le pilonnage du Quartier Général de Yasser Arafat, les massacres de Jenine et de Gaza où des civils sont ensevelis vivants sous les gravas de leurs propre maisons, la mise en place du blocus imposé à la bande de Gaza, la construction d’un mur long de plusieurs centaines de kilomètres bouclant la population palestinienne dans des prisons géantes à ciel ouvert, la guerre contre le Liban, ou l’arraisonnement meurtrier de bateaux remplis de pacifistes ? Et encore, cette liste ne comprend-elle pas les humiliations perpétuelles, les arrestations et les assassinats arbitraires, les couvre-feux, la colonisation de plus en plus prédatrice, tous ces actes de violence quotidienne, devenus trop banals pour subjuguer la presse internationale.

à ceux qui invoqueront les pauvres roquettes artisanales plus proches du pétard de quatorze juillet que de l’arme de destruction massive, ou les attentats suicides, qu’aucun esprit sain n’oserait justifier, il sera demandé de nous rappeler la différence entre une cause et une conséquence, entre un sentiment de peur face une menace aussi diffuse qu’intermittente et une situation de terreur perpétuelle qui réduit tout un peuple à lutter pour sa survie. Dans le cas où cet acte de discernement élémentaire serait au-dessus de leurs forces, ces apôtres de la symétrie des responsabilités, qui malgré tout soignent en permanence leur indulgence vis à vis d’Israël, seront priés d’avoir la décence de fermer définitivement leur gueule.

A la recherche du camp de la paix perdu

Le raisonnement qui renvoie Israël et les palestiniens dos à dos débouche sur une sorte d’humanisme bien-pensant consistant à opérer un tri pour trouver et soutenir « le camp de la paix » : ces âmes pures qui se

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trouveraient des deux côtés de la barricade, noyés dans la masse fanatisée et inconsciente de leurs compatriotes. Ceux qui tiennent ce discours cherchent au Moyen-Orient des miroirs capables de réfléchir et de renforcer leur vision décontextualisée de la paix réduite à une simple absence de violence. Violence qui semble d’ailleurs largement plus les gêner qu’une injustice qui perdure depuis plus de soixante ans. Peu importe un accord qui maintiendrait tout un peuple dans la soumission. Il faut faire la paix, point final.

Les leçons de l’histoire devraient pourtant rappeler qu’une paix inique prépare les conflits à venir. Très curieuse est cette vision de la paix qui attend la même attitude de la part d’une puissance occupante et d’un peuple occupé. Ce sont encore les mêmes qui guettent le moindre petit signe d’une

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reprise du processus de paix comme si celui-ci n’était pas mort-né justement parce qu’il avait pour réel objectif de maintenir la domination coloniale de l’état israélien. Ils ont applaudi le retrait de Tsahal de la bande de Gaza sans voir, ou en feignant d’ignorer, que cette opération visait le renforcement de l’emprise israélienne sur la Cisjordanie et la scission du pouvoir politique palestinien. La prise de pouvoir du Hamas à Gaza, fut une aubaine pour Israël. Elle lui donnait une occasion de plus de refuser tout dialogue et lui permettait de tenir son rôle au sein de la grande coalition antiterroriste. Ils sont tombés en pâmoison devant la dernière grande initiative de l’homme qui a reçu le prix Nobel de la paix en l’honneur de son art de faire la guerre avec compassion. à la fin de l’année 2010, Barack Obama a valeureuse-ment arraché un « gel » de la colonisation israélienne à Netanyahu pour une durée de trois mois. Non renouvelable, cet accord ne concernait pas Jérusalem Est. La diplomatie américaine s’est littéralement prostituée pour obtenir ce faux geste de bonne volonté. En échange, elle a promis qu’elle poserait son veto à toute résolution de l’ONU qui reconnaîtrait l’état Palestinien indépendant. Cerise sur le gâteau, elle a renforcé la panoplie de la mort de Tsahal en lui offrant gracieusement vingt avions de chasse dernier cri. Soyons certains qu’à la prochaine agression israélienne contre Gaza, les palestiniens sauront savourer le goût de la paix en se prenant les obus made in USA sur le coin de la mouille.

Ceux qui défendent « la paix » devraient remiser au placard le slogan ridicule sur le « camp de la paix » qui occulte une réalité faite d’oppression et de colonisation tout autant que le discours puéril du style « Palestine vivra, Palestine vaincra !». Ce jappement de roquet ne dit rien de la nature d’une victoire qui permettrait à la Palestine de « vivre ». Il donne de plus l’illusion débile que les faibles gagnent toujours à la fin. Le cours de l’Histoire est pourtant jonché de cadavres de peuples opprimés qui n’ont jamais obtenu justice et ont purement et simplement tiré leur révérence. Les palestiniens pourraient très bien connaître le même sort. Il n’y a qu’un seul moyen d’éviter que se réalise un tel cauchemar : se soulever en masse à leur côté et avec ceux qui en Israël restent lucides dans la tempête, pour s’accrocher coûte que coûte à l’exigence de justice.

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Israéliens et palestiniens ne pourront faire la paix et se regarder dans les yeux que lorsqu’ils ne seront plus ni occupants ni occupés. Mais si la création d’un état palestinien viable à l’intérieur des frontières de 1967 est une urgente nécessité, elle ne sera sans doute qu’un premier jalon sur le chemin qui mène à une paix véritable. Solder un conflit déclenché par le colonialisme et attisé par les passions nationalistes demandera une audace titanesque. L’incendie couvera en permanence tant qu’Israël ne renoncera pas au sionisme et n’abandonnera pas sa prétention à être l’état de tous les juifs, pour enfin devenir la république laïque et démocratique de tous les citoyens israéliens. Dans un territoire aussi exigu, où les populations s’entremêlent de plus en plus, il n’est pas impossible que le respect des droits de chacun, la conci-liation des différents attachements historiques, spirituels, symboliques à la Palestine historique et l’accès équitable à la terre et aux ressources, passent par une solution encore plus radicale : la création d’un seul état binational pour les deux peuples.

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La Bomba Latina

Heureusement la loose de la décennie 2000 n’a pas élu domicile sur les cinq continents. Il y a un endroit où les luttes sociales ne furent pas à marée basse. Un monde dans le lequel la baston semblait payer. Un espace où la détermination politique avait force de loi. Un théâtre d’affrontement d’où jaillissait des trésors d’inventivité politique et d’expériences nouvelles. Le contraste se faisait brutal entre cette explosion d’initiatives bigarrées et protéiformes qui partait dans tous les sens et l’uniformité sordide et fade de la mondialisation capitaliste. A la fin des années 1990, le continent sud américain s’éveillait en fanfare d’une longue nuit policière et dictatoriale.

Les sédatifs de l’Oncle Sam ne faisaient plus effet. Lorsque les échos de tout ce tintamarre frappèrent notre rive de l’océan Atlantique, ils ne laissèrent personne indifférent. Les groupies du système capitaliste firent la grimace en pestant contre « le danger populiste ». Ils replongèrent dans leurs vieilles hystéries de guerre froide : « Oh mon dieu ! L’Union soviétique s’est réincarnée sous les tropiques ! ». Pour nous, réfractaires au renoncement, qui rongions notre frein dans un bled qui empestait la défaite, le fracas des batailles latines prenait les accents de l’espoir. Avec, toutefois, une pointe de jalousie. Alors que là-bas, nos camarades cassaient littéralement la baraque, nous n’étions même pas foutus de faire reculer notre gouvernement d’un centimètre.

Un Backdraft Populaire...

à observer ce qui se passe depuis plus de dix ans en Amérique latine, la première chose qui saute aux yeux, c’est l’intensité et la violence inouïe qui animent la lutte des classes. La colère fermenta longtemps, étouffée sous la chape de plomb de dictatures militaires sans scrupules qui pouvaient compter sur le soutien des états-Unis et bien souvent de la France pour assurer leur longévité. Dans les années 1990, la transition vers des régimes de démocratie libérale qui amplifièrent les politiques ultralibérales du FMI initiées par les anciens caudillos du coin, provoqua ce qu’on appelle chez les pompiers, un backdraft.

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La libéralisation économique fit monter en flèche la température sociale. La libéralisation politique fut l’appel d’air qui libéra l’expression des colères populaires. La combinaison des deux forces déchaîna un mur de flammes qui carbonisa les miches des élites au pouvoir.

Le soulèvement zapatiste du 1er janvier 1994 donna le ton. Les indiens du Chiapas entrèrent en insurrection le jour même de l’entrée en vigueur de l’ALENA, accord de libre échange qui liait les états-Unis, le Canada et le Mexique. C’était donc bien le capitalisme qui mettait le feu aux poudres. Partout sur le continent, ceux qu’on écrasait depuis des lustres com-mencèrent à faire entendre leur propre musique : un son endiablé, énervé, entêté sur lequel les capitalistes et les gouvernements du coin allaient vite apprendre à danser. En 2001, les argentins, lessivés par le FMI, découvrirent que leurs comptes en banques sonnaient creux et que le patronat filait avec la caisse dans des fourgons blindés. En un éclair, les rues de Buenos Aires furent saturées par la foule. Une clameur gigantesque, émergeant de millions de tripes crispées, surchauffa l’atmosphère. « Que se bayan todos ! », (qu’ils s’en aillent tous !). Le président argentin de l’époque, le millionnaire Carlos Menem, qui avait bien profité des recettes libérales, ne se fit pas prier. Il quitta courageusement l’Argentine en hélicoptère.A la fin de l’année 2005, Quito, la capitale de l’Equateur, fut le théâtre d’une scène similaire : même foule en colère, mêmes furies de batteries de cuisine et même chef d’état prenant ses jambes à son cou. à la même époque, en Bolivie, les luttes sociales se mettaient aussi sérieusement à sentir le souffre. Les indigènes et les paysans montrèrent les dents et dressèrent des barricades pour s’opposer à l’appropriation privée de ce qui était leur bien commun : l’eau et le gaz naturel. Au Brésil les paysans sans terre, n’attendirent aucun décret, ni la moindre autorisation gouver-nementale pour occuper les exploitations des grands propriétaires terriens laissées à l’abandon.

Aux quatre coins de l’Amérique du Sud, les pauvres marquaient le tempo de la vie sociale et politique. Ils ne tendaient plus l’autre joue. Ils menaient la danse. Aux classes dominantes de montrer si elles pouvaient suivre le rythme. Non seulement les mélodies populaires sud-américaines

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se faisaient puissantes et entraînantes mais surtout, elles débordaient de variations, de thèmes, de renversements et de contre-thèmes. Le torrent des luttes de classes charriait les alluvions d’aspirations et de combats multiples et pluriséculaires. Derrière les barricades boliviennes ou dans les villages autonomes du Chiapas, avec la dénonciation du capitalisme, c’était cinq cents ans de colonialisme qui étaient vomis. En réclamant l’autodéter-mination politique et économique, les populations indiennes revendiquaient le respect de leur dignité et la reconnaissance de leurs identités. En luttant pour arracher les ressources naturelles à la prédation des multinationales, les mouvements populaires et indigènes posaient aussi les bases d’un autre rapport à la nature et à l’environnement, tissé de respect et de responsabilité collective. En cultivant les terres des anciens propriétaires terriens pour leur propre compte, les paysans sans terre brésiliens balançaient aux orties les méthodes agricoles hyperproductivistes centrées sur la recherche du profit pour privilégier une agriculture durable, privilégiant l’autosub-sistance. Alors que dans la vulgate occidentale, l’écologie s’embourbait dans le moralisme individualiste et l’utilitarisme marchand, de l’autre côté de l’océan Atlantique, la sauvegarde de l’environnement, l’épanouissement social et la reconnaissance de la richesse et de la diversité culturelle fusionnaient dans le respect de « la Pachamama », la Terre Mère.

...Qui enflamme les rapports sociaux

et la représentation politique

Ce flot de musique populaire ne s’en tint pas seulement à provoquer des acouphènes chez les bourgeois. Il commença à dire le réel et à la transfor-mer avec des paroles bien à lui. En Argentine, les entreprises en faillite désertées par leurs propriétaires furent réinvesties par leurs anciens salariés restés sur la paille. Par nécessité et de manière complètement pragmatique, ils relancèrent des centaines de boites, en les occupant et en les gérant col-lectivement, sous forme de coopérative. Décisions prises en commun et démocratiquement dans des Assemblées générales régulières, égalisation des salaires, rotations des tâches et expérimentation de la polyvalence pro-fessionnelle : en luttant pour leur survie, des travailleuses et des travailleurs d’Argentine commençaient à s’émanciper de la conception capitaliste du

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rapport au travail. Mais ces hommes et ces femmes ordinaires prouvaient aussi qu’ils étaient capables de faire mieux que leurs anciens patrons véreux dans le domaine économique.

En 2003, 70% de ces entreprises autogérées avaient déjà atteint ou dépassées les niveaux de production antérieurs à l’effondrement économique de 2001. Plusieurs d’entre-elles créaient aussi de nouveaux emplois. Par l’intermédiaire de la création de plusieurs structures et de réseaux, toutes ces expériences se lièrent, entrèrent en résonance et acquirent une dimension globale. Cette nouvelle manière d’aborder les rapports sociaux, qui conjuguait développement individuel, initiative collective, gestion commune du pouvoir et satisfaction des besoins sociaux commença à essaimer dans toute la société argentine et à se heurter directement aux logiques capitalistes toujours dominantes. On vit émerger des cliniques, des écoles et des hôtels autogérés. Des connexions entre le monde de la production, les collectifs de chômeurs et des coopératives de consommation se créèrent. Des initiatives culturelles et artistiques, concerts de soutien aux travailleurs occupants des usines, expositions, créations de centres culturels, éclorent autour de tout ce foisonnement. Lorsque la police tentait de briser des occupations d’entreprise pour le compte d’un propriétaire frustré de voir le monde mieux tourner sans lui et surtout dégoûté qu’il ne tourne plus pour remplir ses poches, il n’était pas rare de voir tout un quartier s’opposer méchamment aux flics pour défendre ce qui était devenu un bien commun. C’était donc tout le tissu social qui était bouleversé par l’effervescence des pratiques populaires qui prouvaient qu’elles pouvaient s’ancrer en profondeur et durablement dans la société argentine. Aujourd’hui, il existe dans ce pays 205 entreprises récupérées contre 160 en 2004. Elles occupent près de 10 000 travailleurs, soit presque 4 000 de plus qu’il y a sept ans. On peut trouver des usines autogérées un peu partout sur le continent. Le Chiapas insurgé est organisé en 38 communes autonomes. La lutte des classes qui débouche sur des figures variées d’auto-organisation, c’est donc l’une des grandes spécificités de l’Amérique latine de ces quinze dernières années. Mais les mouvements populaires latino-américains allèrent plus loin dans l’innovation. Dans plusieurs pays, les

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conflits sociaux trouvèrent un débouché institutionnel avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche radicale. Le Venezuela montra la voie en élisant Hugo Chavez président de la République en 1999. En 2005, les Boliviens portèrent au pouvoir le « Mouvement Vers le Socialisme » de l’indien Evo Morales. L’année suivante, l’Equateur suivi le mouvement avec la victoire de Raphaël Correa à la l’élection présidentielle. Une fois en place, ces nouveaux gouvernements s’attelèrent à satisfaire un certain nombre de revendications sociales et économiques qui avaient cristallisé les affrontements de classes des années précédentes.

Un gouvernement qui respecte le peuple et va dans le sens de ses attentes ? Pour nous, européens, ce fut déjà un putain de choc. C’était loin d’être terminé. Un concept, qui en Europe et en Amérique du Nord était devenu une sorte de formule sataniste tabou, retrouva sous les tropiques une application concrète : « nationalisation ». Les élites du monde civilisé chopèrent la tremblotte. Lorsque Chavez et Morales firent tomber le pétrole et le gaz naturel dans l’escarcelle de la gestion publique, par chez nous, on ne compta plus les patrons et les journalistes au bord de la crise de nerf. Le pire, c’était que ce monstre de militaire vénézuélien utilisait une partie de la rente pétrolière pour financer sa politique sociale. Lui et son pote l’indien clodo de la cordillère des Andes, faisaient franchement n’importe quoi !Ils n’avaient rien compris au sens du mot réforme, qui comme tout le monde le sait, du FMI à la Banque mondiale en passant par le Parti socialiste, signifie soumettre la société au diktat des actionnaires. Qu’est-ce que c’était que ces mecs qui augmentaient les salaires, promulguaient des lois pour interdire les licenciements ou baissaient la durée du temps de travail ? La palme de la provocation revenait à Evo Morales qui jouait les petits malins en restructurant le régime de retraite bolivien au moment même où Sarkozy s’occupait consciencieusement du nôtre. Sauf que, lorsque la France sacrifiait son régime par répartition sur l’autel de la privatisation rampante et poussait les vieux à travailler de plus en plus vieux, le président bolivien prenait l’exact contre-pied des recettes libérales. Les caisses de retraites furent nationalisées. L’âge légal de départ à la retraite passa de 65 ans à 58 ans. Les femmes ayant exercé une activité professionnelle

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pouvaient désormais partir à 55 ans. Quant aux travailleurs qui bûchaient dans des conditions pénibles, ils pouvaient se mettre au vert à 51 ans.

Pour les éditorialistes du monde civilisé, il n’y avait qu’une explication possible à ces comportements barbares et arrogants : Chavez, Morales et compagnie étaient les réincarnations tropicales de Mao, de Staline et de tout ce qu’il y avait eu de rouge et sanguinaire au siècle dernier. Peut-être même que le corps d’Hugo Chavez accueillait simultanément les âmes damnées d’Hitler et de Staline… ça ne serait pas étonnant, vu la méchanceté du bonhomme. Les exégèses à base de bouillie libéralo-boudhiste rencontrèrent tout de même un écueil de taille. Les nouvelles terreurs bolchéviques latino-américaines prenaient pas mal de liberté vis-à-vis de leurs vies antérieures. Les livres d’histoires ne pipaient mot des élections démocratiques du Grand Timonier ou du Petit Père des Peuples. On n’avait jamais vu Staline remettre son pouvoir en jeu par référendum à la demande de l’opposition. Etrange… les nouveaux dictateurs soviétiques semblaient être des démocrates…

C’était d’ailleurs dans le domaine démocratique que ces gouvernements radicaux se montraient le plus inventif. Les luttes populaires ne se traduisirent pas uniquement par des changements de gouvernement et des réformes sociales. Elles débouchèrent aussi sur des bouleversements constitutionnels et entraînèrent une démocratisation du champ politique. Dès 1999, le peuple vénézuélien adoptait par référendum ce qui allait devenir la Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela. Ce texte élargissait considérablement les pouvoirs des citoyens qui pouvaient désormais peser sur les grandes décisions diplomatiques, politiques ou socio-économiques par l’intermédiaire de référendums d’initiative partagée. Ces consultations pouvaient être réclamées par le pouvoir exécutif ou par la population. Toutes les charges ou les magistratures investies par le suffrage universel devenaient révocables. La nouvelle constitution sortait des sentiers battus du strict domaine politique pour garantir l’application d’un certain nombre de droits socio-économiques tels que l’accès gratuit à la santé ou à l’éducation pour tous. Pour s’acquitter de cette mission, l’état

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s’engageait à construire et à développer de grands services publics gérés démocratiquement. La défense de l’environnement et sa protection contre les intérêts privés faisaient aussi partie des innovations politiques portées par ce texte. Presque dix ans après le Venezuela, l’Equateur et la Bolivie adoptaient à leur tour des chartes fondamentales qui renforçaient les pouvoirs des citoyens et garantissaient la satisfaction des besoins sociaux.Loin de s’en tenir à mimer le poisson pilote vénézuélien, ces deux pays jouèrent leur propre partition inspirée par leur contexte national et social. La Bolivie faisait la part belle aux droits des peuples amérindiens. L’Equa-teur inclut la nourriture dans les services de bases auxquels chaque citoyen devait avoir accès et légalisa le mariage pour les couples homosexuels. Lorsqu’on connaît le poids du christianisme dans cette partie du monde, on ne peut que saluer le caractère courageux de cette décision.

Ces trois nations unirent leurs voix dans la conduite de ce que leurs présidents nommaient « la révolution citoyenne ». Elle devait déboucher sur l’avènement d’une société d’émancipation et de justice sociale : « le socialisme du 21ème siècle ».Loin de s’enfermer dans une posture défensive et de se limiter à un registre revendicatif, les luttes sociales assumaient leur dimension politique et leur vocation à bousculer l’ordre des choses. Le processus à l’œuvre en Amérique latine reposait sur une articulation audacieuse des mouvements sociaux avec les transformations institutionnelles : deux sphères qui entraient en résonnance, se chevauchaient et s’alimentaient l’une l’autre. Les mouvements populaires avaient été assez puissants et déterminés pour accoucher d’expériences gouvernementales, pour les aider à grandir et à survivre. Sans la mobilisation des classes populaires de Caracas, Hugo Chavez n’aurait pas survécu aux multiples tentatives de coup d’état fomentées par l’opposition. En retour, les vénézuéliens n’hésitaient pas à brandir la constitution bolivarienne pour défendre leurs intérêts et faire valoir leurs droits auprès du gouvernement. Cependant, rien d’idyllique dans ces rapports pourtant féconds entre initiatives populaires et pouvoir institutionnel. Ils étaient traversés de part en part de tensions et de contradictions. Et cela n’a rien de choquant ou de dramatique en soi. Tous les processus de transformation sociale le sont. L’histoire ne sera jamais un long fleuve tranquille.

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Dans les nations ou des gouvernements « radicaux » sont arrivés au pouvoir. La lutte contre la droite et les forces de la réaction s’est traduite par le renforcement des pouvoirs de l’état - surtout de ceux du pouvoir exécutif - d’un côté, et par la création d’un vrai pouvoir citoyen, de l’autre. Cela n’a pas manqué de provoquer des tiraillements et des interrogations.Comment la centralisation du pouvoir ne pouvait-elle pas étouffer les énergies populaires et les initiatives de ce que l’on a coutume de nommer « la base » ? La révolution devait-elle se faire de haut en bas ou de bas en haut, ou par les deux bouts à la fois ? Gros bordel. Vieilles questions, remises au goût du jour de manière passionnante par les expériences latino-américaines. L’illustration parfaite de ce sac de nœud se niche dans le référendum vénézuélien de 2007 qui visait à réformer la constitution de 1999. La proposition phare de Chavez était de permettre au président de la République (donc lui…) de se représenter indéfiniment. Un peu louche tout de même. L’argument avancé était encore plus tordu que la proposition elle-même : une sorte de logique « même joueur joue encore pour le bien de la Révolution ».Et bien Chavez s’est pris une grosse chasse. La pilule n’est pas passée. Pourtant, l’apprenti dictateur a respecté le résultat du vote, et ceux qui lui ont barré la route n’étaient pas forcément tous des ennemis du « presidente ». Les choses ne sont pas toujours simples.

Y’a pas que le FMI dans la vie !

Bouleversement des rapports sociaux, reconfiguration du champ politique… et émergence de nouveaux rapports interétatiques : la petite ritournelle mutine d’Amérique Latine tournait au chœur polyphonique. Son simple déploiement jetait une lumière crue sur l’affaiblissement de la fanfare impérialiste et guerrière étasunienne. Il y a vingt ou trente ans, les Chavez, Morales et autres Correa n’auraient pas fait long feu. Mais les états-Unis n’avaient tout simplement plus les moyens d’installer et d’entretenir des dictateurs serviles aux quatre coins du continent. Fin d’une époque. Pour la subversion latino-américaine, l’air était devenu un peu moins vicié. Elle avait le champ libre pour concocter ses propres recettes dans le domaine des rapports entre les états, de la coopération

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économique ou encore de la sauvegarde de l’environnement. La 9 décembre 2007, la Bolivie, l’Equateur, le Brésil, le Venezuela, l’Argentine et le Paraguay s’associaient pour créer la « Banque du Sud ». Cette nouvelle institution financière se proposait d’émanciper la région de la tutelle du FMI et de promouvoir un développement économique régional autonome des instances internationales. Investir pour financer le développement social et économique des pays latino-américains, répartir équitablement ces investissements, fonder l’intégration économique régional sur la résorption des asymétries entre nations et sur la réduction des inégalités sociales : l’approche était originale.

Pas d’angélisme cependant. Il se joue autour de cette institution une véritable guerre géostratégique, l’Argentine et le Brésil cherchant à asseoir leur domination sur la nouvelle banque et à calquer son fonctionnement sur le modèle libéral de la Banque mondiale ou du Fond monétaire international. C’est l’évolution des rapports de force qui déterminera l’avenir de la Banque du Sud. D’autres constructions interétatiques faisaient preuve de beaucoup plus d’audace en bousculant réellement les dogmes capitalistes. C’était le cas de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques regroupant huit nations d’Amérique latine et des Caraïbes. L’ALBA refondait les rapports économiques interétatiques sur des logiques coopératives et favorisait pour cela le développement du secteur public. Le Venezuela, par exemple, acceptait de fournir à Cuba du pétrole à des tarifs préférentiels et bénéficiait en échange des compétences des médecins cubain pour développer son propre système public de santé.

La volonté des progressistes latino-américains de faire bouger les lignes outrepassait largement le domaine des échanges économiques et trans-cendait les frontières de l’Amérique du Sud. Prenant acte de l’échec du sommet de Copenhague et du refus des grandes puissances mondiales de prendre les mesures nécessaires pour endiguer le réchauffement clima-tique, le président bolivien Evo Morales retroussait une fois de plus ses manches et annonçait clairement la couleur : «Nous sommes conscients qu’il n’existe que deux chemins possibles : La Terre Mère ou la mort. Ou meurt le capitalisme ou meurt la Terre Mère ».

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En avril 2010, il accueillait la première « Conférence des peuples contre le réchauffement climatique ». Changement de braquet radical par rapport à Copenhague.

Ce qui ce passa à Cochabamba ne ressembla en rien à une grand-messe où les élites mondiales, invoquant les malheurs de notre pauvre planète, passent leur temps à se toucher la nouille et à se renifler le derrière pour protéger leurs intérêts et faire le moins de concessions possibles. Pour reprendre les mots d’un écologiste nigérien, en Bolivie, « le peuple parlait au peuple, le peuple parlait au gouvernement, le gouvernement parlait au peuple. A Copenhague, le peuple ne pouvait pas participer aux discus-sions ». La résolution adoptée en Bolivie est trop riche pour être résumée en quelques lignes. Disons simplement qu’elle rompait radicalement avec la vision néolibérale de la défense de l’environnement. Elle rendait le capitalisme clairement responsable des catastrophes écologiques qui nous pendaient au nez. Elle exhortait les pays développés à prendre toutes leurs responsabilités en réduisant de 50% leurs émissions de gaz à effet de serre, en prenant en charge les migrants jetés sur les routes pour des raisons climatiques et en honorant leur dette écologique vis-à-vis des pays en voie de développement. Elle prônait un mode alternatif de développe-ment fondée sur la promotion d’une agriculture durable, sur des pratiques de coopération, sur l’échange et la gestion des technologies et des savoirs considérés comme des biens communs.Enfin, elle proposait la tenue d’un référendum mondial sur le réchauffement climatique et la mise en place d’un tribunal international de justice clima-tique. Cela avait tout de même un peu plus de gueule que notre « Grenelle de l’environnement », qui, soit dit en passant, n’a jamais été appliqué.

C’est encore d’Amérique Latine que fusait l’idée de reconstruire un mouvement mondial capable de promouvoir une alternative globale au système capitaliste. Cette fois-ci, c’était Hugo Chavez, jamais à cours de propositions, qui s’y collait, avec son projet de création d’une Cinquième Internationale.Une nouvelle internationale « sans manuel et sans obligation » pour reprendre les termes du président Vénézuélien, qui dépasserait la

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simple dimension « de forum de rencontre » dans laquelle s’embourbait le mouvement altermondialiste, pour engager de véritables actions coordonnées afin de déstabiliser et de dépasser le capitalisme.

Garder la tête froide

et suivre notre propre chemin

Si nous voulons tirer profit des luttes des classes populaires latino-américaines et les rejoindre dans la grande baston qu’ils ont engagée pour l’émancipation, soyons vigilants et lucides et tâchons d’éviter deux chausse-trappes. N’idéalisons pas ce qui se passe sous les tropiques. Le continent sud-américain n’héberge pas que des Chavez, des Correa ou des Morales. Dans de nombreux pays, c’est encore la droite qui tient les rênes du pouvoir. Au Honduras un récent coup d’état militaire a débarqué le président progressiste Manuel Zelaya Rosales. Au sein même des pays les plus avancés dans la transformation sociale radicale, la lutte des classes fait rage et la bourgeoisie ne désarme pas. Les classes dominantes boliviennes ont tenté de se soustraire à l’autorité du gouvernement socialiste en réclamant l’autonomie pour les provinces qu’elles gouvernaient encore. évidemment, ce sont les territoires les plus riches du pays. Au Venezuela, l’opposition commence à avoir une expérience considérable en termes de tentative de coup d’état. Même au sein des nations latines étiquetées à gauche, les nuances sont nombreuses. L’Argentine et le Brésil sont loin d’avoir pris leur distance avec les états-Unis et les politiques néolibérales. Et puis, comme disait le révolutionnaire russe Victor Serge : « le péril est en nous ».

Les mouvements radicaux sud-américains font face à leurs propres démons. La menace de dérive autoritaire et étatiste existe. Chavez est souvent borderline à se sujet. Si les transformations socio-économiques restent limitées, si les classes populaires ne perçoivent pas de bouleversements réels dans leurs conditions de vie, ces expérences de transformation sociale risquent de s’essouffler. Dans les pays du socialisme du 21ème siècle la propriété privée capitaliste se porte encore très bien. Si les mouvements populaires d’Amérique latine veulent tenir leur rôle

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dans la construction d’un projet mondial d’émancipation, ils ne doivent pas négliger les questions d’éthique. Le discernement et la clarté des positionnements sont des choses qui comptent en politique. N’en déplaise à Chavez, le dicton : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » a toujours eu des conséquences catastrophiques. En clair, la révolution mondiale avec Kadhafi et Ahmadinejad, ce sera sans nous.

Ne tombons ni dans le fétichisme, ni dans le plagiat. Les expériences latines ont des tonnes de choses à nous apporter. Mais L’Europe n’est pas l’Amérique latine. Caler ses roues dans celles d’un modèle a toujours sté-rilisé la puissance créatrice d’un mouvement révolutionnaire, étouffé ses énergies émancipatrices et contribué à imposer des réflexes dogmatiques et des instincts de conservation. Pensons aux rapports que même les plus critiques d’entre nous ont entretenus avec la révolution russe. On ne se cassait même pas le cul à traduire le mot « soviet » en français ! Il n’est pas très rassurant de voir une bonne partie de la gauche radicale française reprendre à son compte le « socialisme du 21ème siècle » sans que l’on sache très bien ce que cela signifie ou ce qui différencie ce nouveau cru de son ancêtre du 20ème siècle. Ce qui, en Amérique latine, renvoie à des expé-riences bien réelles, ne correspond à rien de tangible chez nous.

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Nommer un projet de société avant même qu’il n’existe, qu’il soit façonné et porté par un vaste mouvement populaire, relève soit de la connerie, soit de la prétention… ou des deux à la fois. Les vieilles carcasses partisanes tentent simplement de se relancer en surfant sur des effets de mode poli-tiques. Prenons ce qu’il y a prendre chez nos camarades latino-américains. Mais si nous voulons jouer notre partition dans la lutte contre le capi-talisme et pour l’émancipation, il nous reviendra d’inventer nous-mêmes notre propre musique et de trouver comment l’accorder à celles des autres peuples.

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2008 : Expulsion des sans papiers par l’UE: Chavez menace de couper les livraisons de pétrole.

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Europe libérale, NON ! ... mais oui quand même

L’Union européenne est devenue une sorte de Saturne insatiable. Elle dévore ses enfants les plus faibles. Le rêve européen vire au cauchemar cannibale. Pourtant, depuis des années on nous rabâche que les traités européens, même imparfaits, jalonnent les étapes d’une grande marche vers le progrès. L’Europe politique et sociale serait au bout du chemin. Elle nous protègerait des excès du capitalisme mondial et de la concurrence des méchants chinois conquérants.Mon cul ! C’est tout le contraire qui se passe. L’Union européenne est l’un des moteurs les plus puissants de la mondialisation capitaliste. Elle est missionnée pour faire avaler de force aux peuples européens les menus préparés avec amour par le FMI, l’OMC ou la Banque mondiale : saccage du droit du travail, privatisation des services publics, concurrence à tous les étages. En matière de libéralisme, l’Union européenne ressemble un peu aux miliciens de Vichy qui se montraient volontiers plus nazi que le Führer lui-même. Elle fait du zèle sans qu’on la pousse au cul : « Nous avons besoin du soutien du monde des affaires au système de l’OMC pour davantage de libéralisation. ». En 2000, voici comment « le socialiste » Pascal Lamy, alors commissaire européen au Commerce International, prévoyait l’avenir de l’Europe.

Avec le recul, on peut dire qu’il a bien travaillé, ce qui lui a valu une belle récompense. Maintenant, c’est lui le big boss des rapaces. Il est devenu « Directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce ».La crise économique et sociale actuelle est un bon révélateur de la nature carnassière et charognarde de l’UE. Au lieu de tendre la main aux pays membres ravagés par la crise, elle dévore leurs restes sans le moindre état d’âme. Mais pour pouvoir se repaître de la chair de ses peuples bien tran-quillement, l’Union européenne a pris soin de leur couper la langue. Elle a bouffé la démocratie.

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L’année où le libéralisme

a voulu couler un bronze

Dans l’agenda de l’Union européenne, la décennie 2000 devait être celle de l’avènement de l’Europe politique. Pour nos esprits bercés par les envo-lées lyriques de Victor Hugo sur « Les états-Unis d’ Europe », il ne pouvait s’agir que de l’émergence d’une réelle démocratie européenne, un espace où quelque soit sa nationalité, chaque citoyen compterait vraiment pour un et pèserait réellement sur l’avenir de l’Union. Les membres de la Commis-sion européenne et les gouvernements des états membres ne partageaient pas ce point de vue. Pour eux, l’édifice politique devait enfin verrouiller le cadre économique ultralibéral mis en place au fil de l’adoption des diffé-rents traités européens. Il s’agissait de rendre irréversible le mouvement des privatisations, de geler la limitation des déficits publics à 3% du PIB, de rendre indiscutable l’indépendance de la Banque centrale européenne. En somme, une conception politique plus proche du système autoritaire chinois que du cosmopolitisme kantien. Pour asseoir leur puissance, les capitalistes européens ne respectaient même plus les canons de la démocratie représen-tative. Elle était devenue trop contrai-gnante à leurs yeux.

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C’est de ce quiproquo entre les peuples européens et leurs élites que sont nées les grandes batailles qui ont fait vaciller l’édifice européen ces der-nières années. Les choses explosèrent en 2005, lorsque l’Union européenne tenta d’imposer un Traité Constitutionnel. Tout dans ce texte respirait le mépris de la démocratie.

Son élaboration en premier lieu. Il fut concocté par une commission quasiment occulte dirigé par Giscard d’Estaing, ce qui prouvait une fois de plus que les vieux oligarques français étaient dans tous les coups foi-reux. Cette petite clique ne fut élue par personne. Elle ne possédait aucun mandat populaire pour agir de la sorte. Pourquoi se fatiguer à élire une assemblée constituante lorsqu’on peut s’arroger le droit discrétionnaire de rédiger un document qui va déterminer le destin politique de presque cinq cent millions d’individus ? Les gouvernements des pays de l’Union furent les grands complices de ce hold-up démocratique. La possibilité d’adopter le Traité Constitutionnel par voie parlementaire permettait de bâillonner l’expression populaire. La substance de ce morceau de papier toilette était en harmonie avec la manière dont il fut torché. Les maigres droits sociaux et politiques qui étaient énoncés n’avaient aucune valeur contraignante. La médiocrité fut portée au rang de joyaux de la culture européenne puisque le nivellement par le bas l’emporta sur l’audace sociale et l’ambition poli-tique. Ce texte ignorait avec un snobisme et un mépris abyssal toutes les conquêtes sociales et politiques arrachées par la force de la lutte par les peuples européens. La laïcité, le droit à l’avortement, les services publics n’y avaient pas droit de cité. Ils furent rabaissés au rang de particularités nationales, voire de curiosités culturelles. On allait tout de même pas ternir la pureté du grand projet européen au nom de quelques manies loufoques et rétrogrades !

Par contre, « la concurrence libre et non faussée » et « l’économie de marché » étaient dorlotées avec une prévenance quasi obscène. Ces dogmes économiques étaient élevés au rang de divinités universelles qui exigeaient prosternation et adoration aveugle. Manque de chance, dans les pays qui réussirent à arracher une consultation populaire par référendum,

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se sont ces deux idoles qui furent déboulonnées avec le plus de rage par des citoyens qui ne demandèrent pas l’autorisation des puissants pour s’inviter dans le débat. Car se sont bien les gens ordinaires qui donnèrent une leçon de démocratie et de politique à une droite arrogante et à une social-démocratie qui l’était encore plus pour avoir eu le culot de croire que tout le monde allait gober leur salade sur la possibilité de bâtir une Europe sociale avec une constitution qui gravait le libéralisme définitivement dans le marbre.

En France, pour évoquer ce que nous connaissons, le texte fut disséqué, débattu et approprié collectivement. Article après article, chacun put faire le rapprochement entre la galère qu’il expérimentait au quotidien et les saloperies qu’on tentait de lui imposer avec ce document. La démocratie s’incarna dans le refus du fait accompli, dans la revendication du droit de dire « non ! ». La maturité, la lucidité et la dignité politiques avaient déserté

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les hémicycles. Leur pouls battait maintenant au rythme de la rue. Ceux qui tenaient les ficelles de cette embrouille répondirent à cette étincelle de clairvoyance par le mensonge, la calomnie et la mauvaise foi. En Irlande, aux Pays-Bas ou en France, les gouvernements mirent toute leur artillerie communicationnelle et médiatique au service la défense du « oui ».Ils tentèrent une diversion minable en truquant les cartes. Pour eux, il s’agissait de dire Oui ou Non à l’Europe. Sauf qu’en avouant implicite-ment qu’à leurs yeux, il ne pouvait exister qu’un seul modèle européen, ils livrèrent à leur corps défendant les véritables coordonnées du débat : « Oui ou Non à l’euthanasie de la politique et à la liquidation de la démocratie ».

« Win the yes need the no to win against the no »

Nous fûmes soumis à un véritable rouleau compresseur propagandiste. Tout y passa : affiches géantes dans les espaces publics, fascicules « pédagogiques », défilé ininterrompu de connards à la télé, hurlements interminables de chiens de gardes inondant les ondes (merci France Inter).La presse, même « satirique », ne fut pas en reste. Dans Charlie Hebdo, Philippe Val peaufinait son rôle de bouffon du roi en clamant haut et fort son amour du libéralisme : « La Constitution n’empêche en aucun cas les gouvernements de gauche de faire une politique de gauche. Elle n’impose que de contenir les déficits publics, ce qui est la moindre des choses. Car lorsque les déficits s’envolent, ce sont les citoyens qui trinquent. Voir le cas récent de l’Argentine ». Il en profitait pour partir en guerre sainte contre les méchants staliniens, qui voulaient détruire l’Europe en votant « non » : « Certes, la Constitution n’est pas assez socialiste, surtout si l’on entend par là qu’elle ne permet pas l’instauration d’une économie planifiée, comme celle qui, autrefois, a fait le succès de l’Albanie ou qui fait encore la réussite sans précédent de la Corée du Nord ».

A défaut de prouver ses qualités d’analyse et son honnêteté intellectuelle, Val nous rassurait sur ses capacités à servir de commissaire politique au cas où le stalinisme s’installerait en Europe, tant il maîtrisait à la perfection toutes les ficelles qui avaient fait le succès d’un tel régime : falsification, mensonge, diabolisation de tous les points de vue divergents et mode de pensée binaire.

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Ce profil à la Beria s’accordait très bien à la conception du débat poli-tique développée par les tenants du pouvoir. Pendant les six mois que dura la campagne électorale du référendum, ce fut un déferlement d’accusations haineuses. Les partisans du « non » étaient des anti-européens (même lorsqu’ils réclamaient la tenue d’une élection constituante à l’échelle de l’Union), des nationalistes et des racistes effrayés par les plombiers polo-nais (même lorsqu’ils revendiquaient l’instauration d’un salaire minimum et de vrais services publics européens pour que tous les citoyens de l’Union aient accès aux mêmes droits). Le non de gauche, largement majoritaire, était mis dans le même sac que le non nationaliste et xénophobe. Malgré sa grossièreté, ce coup bas était certainement le plus excusable de ceux portés par les partisans du Traité Constitutionnel. Les pauvres faisaient un transfert : il y avait une différence si ténue entre « le oui de droite » et le « oui de gauche » qu’on ne pouvait pas leur en vouloir d’avoir perdu le sens du discernement face à leurs adversaires.

Lorsqu’ils se rendirent compte que ni l’invective, ni les moyens astro-nomiques dont ils disposaient ne pourraient les sauver de la conscience politique des citoyens, les amis de l’Europe du Capital expérimentèrent une autre technique : la prestidigitation. A quelques jours du vote fatidique, c’est Giscard qui étrenna la nouvelle combine en direct devant des millions de téléspectateur. Il « invitait » les français à ne pas prendre en compte la troisième partie, celle qui cristallisait toutes les critiques en enchaînant l’avenir de l’Europe au capitalisme le plus sauvage. A peu près au même moment, Raffarin se lança dans le maraboutage pour sauver les meubles. De Matignon, il déclama son désormais célèbre « Win the yes need the no to win against the no ». Dans des moments pareils, on en viendrait presque à regretter que le ridicule ne tue pas. La stratégie consistant à supprimer purement et simplement le débat politique et le choix qui allait avec fut utilisée trop tardivement pour être efficace.Le « non » à l’Europe libérale et au foutage de gueule l’emporta au Pays-Bas, en France et en Irlande. Nous eûmes cependant la faiblesse de croire que ceux qui respectaient si peu la démocratie se soumettraient à son verdict. Les gardiens de l’Union accusèrent le coup un moment mais revinrent à la charge quelques années plus tard, avec quasiment le même texte fardé d’un

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nom et d’un statut différents. Le Traité Constitutionnel européen s’était métamorphosé en Traité de Lisbonne. En magie, les pontes de l’Union étaient beaucoup moins balaises que la marraine de Cendrillon.Mais ils avaient le pouvoir et pas nous. Alors ils firent revoter les irlandais jusqu’à épuisement, coupèrent le sifflet des français en envoyant l’affaire devant des parlementaires à la botte de Sarkozy, et l’Europe put enfin couler son bronze libéral et autoritaire.

Nosferatu et Dracula habitent à Bruxelles

C’est dans le tourbillon de la crise économique que ce révèle le mieux la nature monstrueuse du mécano libéral qui nous a été imposé par la force. Les pays « forts » de l’Union européenne n’hésitent pas tirer sur les ambulances qui s’agitent dans les « nations périphériques » étouffées par la récession et la crise de l’Euro. La main qui est tendue à la Grèce au bord de la faillite est loin d’être amicale. C’est celle de l’étrangleur, gantée de mépris et de sentiment de supériorité. Qu’elle a belle allure, la solidarité européenne qui livre pieds et poings liés tout un peuple à l’équarrissage du FMI bien planqué dans le cheval de Troie de l’aide internationale !Fonction publique asséchée, salaires siphonnés, précarité renforcée, les hellènes sauront désormais qu’en Europe, il fait meilleur être banquier. Les autres peuples qui titubent au bord du précipice, comme l’Espagne ou le Portugal, sont prévenus. Le vrai principe politique de l’Europe, c’est « marche ou crève ».

« Marche ou crève ». Ce serait un très joli nom pour ces nouveaux contrats de travail qui proposent des jobs à 300 euros par mois en Macé-doine à des travailleurs français fraichement laissés sur le carreau.

« Marche où crève ». Le vrai blaze de la directive Bolkestein qui atomise les services publics et attise la concurrence entre les travailleurs européens pour mieux pouvoir les dévaliser.

« Marche où crève ». La vraie nature de la « Stratégie Européenne Emploi » qui vise à multiplier le nombre d’emplois précaires sans faire baisser le taux de chômage.Face à ce déferlement de violence capitaliste, certains, à l’extrême gauche, nous appellent à sortir de l’Union européenne pour rentrer au bercail des états nations. Certes, les nations restent une réalité politique et historique

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indéniable. Et la reconquête de la souveraineté populaire passe nécessaire-ment par la sphère nationale, sphère qui devra subir une démocratisation radicale si les citoyens veulent se l’approprier entièrement pour enfin avoir le pouvoir de changer les choses en profondeur. Mais les internationalistes que nous sommes n’ont pas intérêt à jeter le bébé européen avec l’eau du bain libéral. Nous sommes plus de 500 millions de personnes à ployer sous le joug du capitalisme européen. Nous pouvons être autant à agir pour que l’Europe devienne notre champ de bataille pour imposer une autre société qui balaiera du même coup le capitalisme et la domination des états et ouvrira les vannes d’un bouleversement mondial.

Dans cette optique, il paraît bien plus bandant et efficace de se battre pour une Fédération des peuples européens qui généraliserait la construc-tion de services publics démocratiques à tous les secteurs vitaux pour la satisfaction des besoins sociaux, imposerait tous les capitalistes de la même manière, renforcerait le droit de tous les travailleurs et toutes les travailleuses et leur garantirait un salaire minimum décent et enfin, instaurerait une citoyenneté universelle offrant la possibilité à tous les résidents européens de se déplacer et de s’épanouir aussi facilement que le font aujourd’hui les marchandises et les capitaux.

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Le mouvement populaire contre le TCE (Traité Constitutionnel Euro-péen) montra très clairement , au-delà des boutiques traditionnelles, qui se situait à gauche et qui se situait à droite.

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Laurent Fabius appelle à voter contre la Constitution libérale européenne en 2005. Il enlèvera ses lunettes quand Sarkozy imposera le Traité de Lisbonne en 2007.

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La France Pays

des Veilleuses

Chapitre 2

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Cachez cette lutte des classes que je ne saurais voir

Sans doute les lecteurs les plus « rouges » d’entre vous se sont déjà retrouvés dans ce genre de situation inconfortable. Lorsqu’au détour d’une conversation, les expressions « classes sociales », « rapports de classe », ou bien pire, « luttes des classes » sortent de votre bouche, il n’est pas rare que le visage de votre interlocuteur du moment se colore d’une jolie teinte délavée ou cramoisie. Selon qu’il est gêné ou choqué, il coupera court à toute discussion ou vous en mettra plein la gueule, et vous prendrez cher pour votre audace. Viendra l’inévitable moment de la remise en question : « merde, mais qu’est ce qu’il lui prend ? J’ai pas traité sa mère… ».Lors d’une soirée bien arrosée, un pote excédé par mes laïus révolu-tionnaires avait finit par me hurler: « J’EMMERDE LA LUTTE DES CLASSES !!! » Mes mots lui donnaient la nausée. Il me les gerbait en pleine gueule.

Donc face à ces mots, plus qu’un tabou, un rejet viscéral. Bien souvent, ceux qui l’expriment ne sont pourtant pas les rois du monde. Au cours des années 1980, quelque chose a changé pour finir par s’imposer au début du 21ème siècle. Penser en termes de classes sociales est devenu une sorte de maladie honteuse. Deux fois honteuse à vrai dire, car cette fois-ci, la bourgeoisie a fait coup double. Le simple fait de supposer que la société soit traversée par des conflits d’intérêts entre possédants et dominés est désormais considéré comme une pathologie criminogène contenant en germe toutes les horreurs totalitaires, tous les goulags et les massacres de masses. Dénoncer la cupidité des puissants reviendrait à les haïr et les jalouser, un sentiment à rapprocher du racisme. Du communisme au nazisme il y aurait moins qu’un pas à franchir.

Mais il y a plus. Si des conflits de cette nature s’avèrent être le pur produit d’imaginations malades, tous les maux ravageant la société – la pauvreté, la pollution, la précarité, la criminalité – sont à mettre sur le

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compte des individus eux-mêmes. Recherchez l’origine de ces fléaux en dehors des limites de chaque petite personne et vous passerez pour un type qui fuit ses responsabilités et s’invente des circonstances atténuantes. En dissolvant la violence qu’ils infligent à l’immense majorité des êtres humains dans la culpabilité individuelle, les capitalistes et leurs caniches réalisent un véritable coup de maître. Ils peuvent se servir tranquillement. Puisqu’ils ne sont pas tenus pour responsable, personne ne viendra leur réclamer des comptes… tant que durera le règne de la culpabilité.

Des barbes à papa.. .

La France est un véritable cas d’école. Pour vaporiser jusqu’à l’évocation même du début d’une esquisse de l’idée de la lutte des classes, une véritable filière a été constituée. En amont, il y a tout d’abord les effaceurs. Une horde de « penseurs » inspirés par le chuchotement de trois petites muses influentes : leur confort matériel, leur bonne conscience et les intérêts du Prince. Pour faire surgir un nouveau monde de douceur et de tendresse, nos intellectuels autorisés ont rivalisé d’audace dans la création d’images roses bonbon (parler de concept serait exagéré).à la benne l’oppression et la domination ! On déplore maintenant l’exclu-sion. Si un individu est éjecté aux marges de la société, c’est au mieux la faute à pas de chance, et bien plus souvent la faute à son cul. Le vocable de l’exclusion est inséparable de l’idée de punition et donc de faute person-nelle. On sort le carton rouge pour un footeux qui vient de confondre les tibias de son adversaire avec le ballon. On vire du collège un gamin surpris à fumer du shit dans les chiottes.Les exclus sont des vilains. Ils paient pour ne pas avoir intégré les règles de fonctionnement de la société et pour avoir marché en dehors des plates bandes. L’exclusion c’est pratique. Les exploiteurs et les oppresseurs d’hier sont maintenant les juges et les gardiens des dogmes de notre belle société de « liberté individuelle ». Ils planent au dessus de la mêlée, invoquent l’évidence, distribuent les bons et les mauvais points. Grâce à l’exclusion on peut expliquer la situation de plein de gens sans trop se casser le cul : les sans papiers, les chômeurs, les gamins des cités populaires, les précaires : ce qui leur arrive, c’est toujours de leur faute !

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Pour que cette belle notion ait l’apparence de l’évidence, il fallait la situer par rapport à un principe général de fonctionnement de la société. Nos Lumières se sont triturées le raviolo pour mettre tout ça en musique. Imaginons une conversation entre Pierre Rosanvallon, Martin Hirsch et François Chérèque :

Martin. – Qu’est ce qui pourrait être le contraire de la lutte des classes ?

Pierre. – Bingo ! Le lien social ! Un monde d’individus responsables, restant sagement à la place qui leur est assignée, qui ont besoin d’être en bonne entente pour que la société continue à faire son bonhomme de chemin et que les intérêts de chacun y trouvent leur compte. Pour que ça pète plus et que le grand public s’excite un peu, on appellera ça le « Vivre Ensemble ».

Martin. – Ah ouais ! C’est fédérateur ce truc. Ça met d’accord Michel Drucker, Le Figaro, les élus communistes, Laurent Voulzy, le Secours catholique…

François. – Putain les mecs, on tient un filon ! On va pouvoir le décliner en bouquins, en émissions de télé, en tube de l’été, en colloques, en pro-grammes politiques. On est des génies ! On vient de réconcilier la société avec elle-même, et on relance l’économie en même temps ! C’est Laurence Parisot qui va être contente !

Pour être certain que les gens ordinaires ne se poseront pas trop de ques-tions en ingurgitant cette grosse barbe à papa écœurante dans la merdasse de leur vie quotidienne, on missionne ensuite des politiciens, de préférence « de gauche », pour faire le service après vente. Exemple avec Martine Aubry, il n’y a pas si longtemps : « Les classes sociales, c’est largement dépassé ».

. . .pour masquer un carnage de classe

L’opération « Barbe à Papa » lancée dans les années 1990 a préparé le terrain à un véritable carnage de classe. Une fois les pauvres, les

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travailleurs et les jeunes profondément anesthésiés et durablement divisés, la droite et la gauche de gouvernement, main dans la main avec le patronat, pouvaient s’en donner à cœur joie. C’est avec jubilation et acharnement que les gouvernements successifs, non seulement reprennent tout ce que les riches avaient dû concéder aux classes populaires depuis la Libération, mais tentent de saigner leur proie à blanc histoire d’être tout à fait certain qu’elle ne se relèvera pas. D’une main de fer on démolit les services publics, on désintègre les protections sociales, on instrumentalise le chômage et la précarité pour mettre les salariés en concurrence, on traque les étrangers pour offrir à la foule une victime expiatoire.L’autre main, beaucoup plus caressante et prévenante, sauve les banques et talque amoureusement le cul ridé de Liliane Bettencourt avec de la poudre d’or. Paradoxalement, c’est au moment où toute idée d’antagonisme et de conflit entre les classes paraît s’être évaporée des discours et des consciences, que les inégalités explosent. Alors qu’en 1984, les 25% des familles les plus fortunées percevaient déjà 58% des revenus patrimo-niaux, ce chiffre passait à 62% dix ans plus tard. Depuis la fin des années 1980, la part des salaires dans le partage du PIB a baissé de 10 points, celle du Capital augmentant d’autant.

à cette violence réelle, qui transpire malgré tous les écrans de fumée mobilisés pour la masquer, s’ajoute une insupportable violence symbolique. Car malgré tous les efforts des idéologues aux ordres pour noyer le poisson, les puissants ne peuvent s’empêcher de savourer leur victoire, de parader, d’humilier ceux qu’ils sont en passe de vaincre. Les chômeurs sont des feignasses. Les mômes qui pourrissent au bas d’immeubles en ruine sont des voyous. Celui qui n’a pas sa Rolex à cinquante ans est un looser nous explique Séguéla, le publicitaire du Prince. à peine élu, Sarkozy se baffre au Fouquet’s avec sa cour et part se remettre de ses émotions sur le yacht de Bolloré. Copé qui confond certainement le salaire des profs avec l’argent de poche qu’il doit filer à sa progéniture, balance qu’un enseignant touche en moyenne 4 000 euros par mois. On vit vraiment dans le même monde… celui où des coiffeuses roulent en Porsche, et où les éboueurs prennent leur pose de midi au Lutecia…

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Sarkozy est le président des riches, de l’infime minorité de la population française. Il n’y a pas de « vivre ensemble », de « grande et heureuse classe moyenne ». Il y a ceux qui gagnent et l’océan des perdants. La réalité, glaciale, implacable, certains la connaissent et ne se gênent pas pour la dire : « La guerre des classes existe, d’accord, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui fait cette guerre et nous sommes en train de la gagner ». On peut faire confiance à l’auteur de cette citation. Il sait de quoi il parle. C’est Warren Buffett, la troisième fortune mondiale.

Retour de flammes

Tout a une fin. Même la barbe à papa. à force de ne plus se sentir pisser, les prédateurs qui nous gouvernent ont fait l’impasse sur cette règle élémentaire. Sans résistance, et sans adversaire de taille, ils se sont dit : « lâchons-nous, allons y gaiement dans la razzia ! Et tant qu’à faire, profitons de la crise économique et sociale que nous avons nous-mêmes provoqué pour rafler la mise. C’est facile. Il nous suffit d’invoquer la fatalité de la rigueur et de jeter aux lions quelques patrons voyous (n’ayons pas peur des pléonasmes) pour faire passer les licenciements économiques, la casse des retraites, le démantèlement programmé de la Sécurité sociale, les délocalisations. On pourrait même aller plus loin ! Pourquoi se gêner, no limit ! Y a plus qu’une classe et c’est la nôtre ! ».

Mais la barbarie qu’ils sèment à tout vent si généreusement a forcé les travailleurs à sortir de l’ombre pour rappeler leur existence dans la sueur, les larmes et le sang. Emblématique de la sauvagerie d’une époque, c’est d’abord par leur mort que les dominés ont prouvé qu’ils étaient bien réels : plus de vingt suicides chez France Télécom, d’autres ailleurs, et un peu partout des envies de plus en plus pressantes de se jeter par la fenêtre pour échapper à son patron, à des petits chefs sans scrupule, ni humanité, à des boulots qui n’ont plus aucun sens ni la moindre utilité sociale. Le pays entier a pu constater que le capitalisme tuait et qu’il choisissait conscien-cieusement ses victimes. Et les discours officiels qui s’échinaient à réduire le problème à une question médicale en invoquant « la souffrance au tra-vail » ont eu bien du mal à se faire entendre. Le vivre ensemble prenait un sacré coup dans la gueule.

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Cela ne s’est pas arrangé lorsque les capitalistes ont profité de la crise pour virer des gens à tour de bras. En 2009, sous les yeux effrayés du playmobil David Pujadas, la séquestration des patrons est devenue, pour un moment, un sport national. Des usines ont failli partir en fumée, des sous-préfectures ont morflé. Les salariés ont cessé de retourner leur rage et leur souffrance contre eux-mêmes pour enfin diriger leur désespoir contre les responsables de toute cette merde. Comme un symbole de ce retournement de situation, il était plus que jouissif de voir Xavier Mathieu, représentant syndical des salariés de Continental, exploser Alain Minc et lui administrer son « vivre ensemble » sous forme de suppositoire : « On a montré que la classe ouvrière, elle était capable de relever la tête, et d’aller au combat et de gagner face à des multinationales et face à l’état, et ça, ça vous fait tous chier, et ça moi j’en suis fier ! ».

Les grands mouvements sociaux de ces dernières années fleurent bon, eux aussi, le retour du conflit entre les classes. Par deux fois, en 2006 contre le CPE et en 2010 contre la casse du système de retraite par répartition, les jeunes et les travailleurs se sont retrouvés ensemble dans un conflit qui mettait en jeu la question du travail et celle de sa finalité, le cœur même de l’antagonisme de classes. Chose incroyable, malgré toutes les entreprises de déconsidération politique et médiatique, l’opinion publique a soutenu massivement le grand mouvement social d’octobre 2010, du début jusqu’à la fin. Peut-être que quelque chose est de nouveau en passe de changer. Peut-être que se redessine sous nos yeux la ligne de fracture et les contours de deux camps : une poignée de vampires contre l’immense majorité des êtres humains, qui tendent à être dépossédés de tout pouvoir sur leur vie.

Même si elle peine encore à prendre conscience de son unité, on la voit lentement émerger, cette classe multiforme qui englobe les salariés prisonniers d’un rapport au travail aliénant et vide de sens, les travailleurs sans papiers en grève pour leur dignité, les stagiaires lassés d’être de nouveaux esclaves, les précaires, et les jeunes des quartiers populaires écœurés d’être considérés comme des sous-merdes. Si elle s’affirme et prend corps en se battant pour se réapproprier le pouvoir sur tous les

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aspects de son existence, alors de féconds métissages deviendront possibles et permettront de penser ensemble les rapports de domination de classe, de sexe et « de race », entre autre, et de les combattre de front.Le champ de la lutte et ses horizons ne pourront que s’en trouver incroya-blement élargis et enrichis. Après la classe des exploités qui a livré de rudes batailles tout au long du 20ème siècle, il se pourrait bien que le 21ème siècle soit celui de l’entrée en scène des dépossédés, innombrables et déterminés à mener la guerre de classe jusqu’au bout, pour la gagner.

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La Bête Immonde du 21ème siècle

Du brun. Du brun partout, étalé dans toutes ses nuances possibles. Brun brut, brun bleu, brun rouge, brun blanc communion, brun vert ou brun à six branches. On croyait la vieille bête immonde corsetée dans les habits dégueulasses de la caserne frontiste. Voici qu’aujourd’hui elle métastase et pourrit tous les pores de la société, paradant à visage découvert, se dra-pant dans la puissance étatique, squattant les plateaux de France 2, faisant de « l’humour » et prêchant le politiquement « pas correct », invoquant les Lumières, la République, la laïcité… mais toujours « identitaire ». Pour étrenner ce nouveau siècle, la merde s’est offerte un beau coffret de maquillage, et elle y va à la truelle. Elle ne lésine pas.Cela n’empêche pas la France de chlinguer sévèrement du derche, de plus en plus. Comment en est-on arrivé là ?

2002 : révélateur et détonateur

Le 21 avril 2002, la terre s’est mise à trembler violemment sous nos pieds. Le Pen qualifié pour le second tour des élections présidentielles. Le Parti socialiste congédié. Le Parti communiste humilié. Chirac intronisé sauveur de la République. Les fachos troublaient notre petite tranquillité d’esprit et notre bonne conscience en émergeant en pleine lumière. Il fal-lait les rejeter dans l’ombre pour reprendre notre train-train quotidien au plus vite. Ce jour de printemps, un peu moins ensoleillé que les autres, fut considéré comme un accident. On s’agita quelques temps dans la presse et les milieux militants pour tenter de comprendre ce qui nous arrivait, puis l’orage passé, plus rien. Silence radio. Pourquoi l’abstention avait-elle explosé ? Pourquoi les scores des partis qui menaient depuis plus de quarante ans le bal de la Cinquième République s’étaient-ils effondrés ? Pourquoi la lutte contre le Front National menée dans les années 1990 avait-elle débouché sur cette catastrophe ? Pourquoi l’extrême droite commençait-elle à se sentir à l’aise dans d’autres pays d’Europe ?

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Pas question de se faire mal au crâne avec des exercices aussi métaphysiques. Débuter le mois de mai par une communion géante dans la ferveur des valeurs républicaines était jugé amplement suffisant… ou peut-être tout simplement plus rassurant, beaucoup plus, en tout cas que d’admettre qu’avril 2002 tenait plus de l’explosion bubonique qui ravage un pestiféré que d’une averse de grêlons promptement chassée par le beau temps. La pire des choses à faire, en cas de peste, c’est de se gratter les pustules en pensant les faire disparaître. C’est au contraire le meilleur moyen de se retrouver à très court terme grumelé de boutons dégoulinant de pus. C’est pourtant ce qu’a fait la société française à ce moment là.

Une esquisse de diagnostic lucide se serait pourtant révélée d’une plus grande utilité. à grands traits, elle aurait pu être résumée ainsi : Toutes les organisations politiques se sont endormies sous la couette confortable de la Cinquième République, acceptant de protéger le système en goûtant aux joies du « Coup d’état permanent » rejoué en boucle par la monarchie présidentielle. De fait, pour la gauche institutionnalisée, le capitalisme était devenu beaucoup moins condamnable, voir même profitable. Le gouver-nement de la gauche plurielle allait largement nous le prouver pendant cinq longues années. Il fallait se dédouaner d’avoir renoncé à lutter contre les injustices économiques et sociales. Pour cela rien de plus facile que d’expliquer aux gens que s’ils vivaient mal, c’était la faute d’ennemis de l’intérieur et de mettre sur le dos de ces prétendus ennemis le chaos qui menaçait notre société. Jacques Chirac ne s’était pas gêné de le faire en 1991, en dénonçant « le bruit et l’odeur » des étrangers. Tout ce que trouva de mieux à faire Jospin dans la dernière ligne droite avant les élections présidentielles de 2002, ce fut d’en faire des caisses sur le thème de la sécurité.

Comment ne pas voir alors, que les deux visages du monstre frontiste correspondaient aux deux plaies purulentes qui infectaient notre système politique économique et social.La verve antisystème du Front National répondait au consensus des partis traditionnels qui nageaient dans les institutions anti-démocratiques de

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la Cinquième République comme des poissons dans l’eau. En érigeant le racisme en véritable programme politique, il utilisait un marche-pied que la droite et une partie de la gauche lui avaient gentiment fabriqué : la stigmatisation de l’immigration comme la source de tous nos maux. Nul doute que l’assassinat du jeune Malik Oussekine ou la rafle des sans papiers dans l’église Saint Bernard saccagée constituèrent un véritable modèle pour les ratonades auxquelles s’adonnaient les petits cerveaux à gros bras lepénistes.

Les lois contre l’immigration promulguées et durcies par tous les gouvernements qui se succédèrent depuis la fin des années 1980 ont, elles aussi, largement ancré le Front National dans l’air du temps. Ajoutons enfin que l’individualisme libéral exacerbé qui fleurissait depuis trente ans était loin d’être incompatible avec la doctrine de la haine de l’autre. Le visage que prit la condamnation du parti d’extrême droite fit le reste. Au lieu de le démasquer comme une émanation et un symptôme de tout ce qui était pourri dans nos rapports sociaux, on porta la bataille sur le plan uniquement affectif et moral. On dénonça le FN comme un corps étranger à notre belle et immaculée République.Si nous nous étions donnés la peine de mener une enquête approfondie, nous aurions pourtant remarqué que les traces de pneus qui ornaient la culotte de Marianne étaient exactement de la même couleur que la grosse crotte frontiste. Mais en ce printemps de 2002, les politiciens qui se parfu-maient à l’eau de rose républicaine sur les plateaux de télé et les millions de manifestants qui scandaient « on n’a pas la merde au cul !» rendirent l’investigation impossible.

L’identité (Front) Nationale au pouvoir

La nouvelle irruption bubonique ne se fit pas attendre. à partir de 2002, elle contamina avec une force et une vélocité effrayante les pratiques et les discours gouvernementaux. L’UMP au pouvoir se mit sans la moindre honte à s’abreuver à la fontaine frontiste, officiellement, sous prétexte de l’assécher. On assista alors à un phénomène de vase communiquant. Plus le FN semblait s’affaiblir, plus la droite majoritaire et son gouvernement

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brunissaient. D’ailleurs, avec Nicolas Sarkozy, le nouveau leadership de l’UMP tenait plus de Pétain que de l’esprit gaullien. à la fois maton, flic et kapo, l’ancien maire de Neuilly profita de son déguisement de ministre de l’intérieur puis de son accoutrement de chef de l’état français pour façonner le nouveau visage du pouvoir.La France devait vivre en sécurité. Ce qui voulait dire en jargon sarkozyste, qu’il fallait séparer le bon grain des gens qui se lèvent tôt et travaillent dur, de la vermine qui parasite notre société et profite des efforts des autres : les chômeurs, les immigrés, les jeunes des quartiers populaires.En huit ans, il s’appliqua à mettre la population en cage en donnant aux flics de nouveaux pouvoirs d’inquisitions, en criminalisant le simple regroupe-ment de personnes dans les rues, en fixant une camera de surveillance derrière le cul de chaque pauvre et de chaque métèque, en traquant les putes tout en foutant une paix royale aux esclavagistes qui les jettent sur les trottoirs.

La justice louchait déjà pas mal. L’UMP lui creva les deux yeux et les donna à bouffer à ses chiens Perben et Dati. Remise en cause de la sépa-ration des pouvoirs, peine plancher pour les récidivistes, mise en place de centres fermés de dressage pour les mineurs, criminalisation des gosses dès l’âge de 10 ans, transformation du maire en véritable shérif chargé de tancer les « mauvais parents » menacés de perdre leurs allocations familiales, jugements expéditifs, durcissement des procédures de garde à vue, multiplication des détentions provisoires, création de 13 000 places de prison supplémentaires, flicage des journalistes, invention de nouveaux délits à la pelle. Le dernier en date ? L’outrage au drapeau français. Voilà qui devrait faire frétiller Ségolène Royal et son sens de « l’Ordre juste ». La justice de l’UMP, c’est celle du dressage comportemental. L’ordre doit imprégner les corps, les discours, les manières d’être et de se mouvoir. Le mal se cache désormais dans les gènes. Les fœtus d’aujourd’hui sont les grands délinquants de demain. Avis aux gamins de trois ans qui ont un peu trop tendance à tirer les cheveux de leurs petites copines ou à faire des colères. Faites gaffe les mioches ! La crèche fermée et électrifiée vous attend au tournant !

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En toute logique sarkozyste, la noirceur génétique se réfléchit sur la pigmen tation de la peau. Faire la chasse à l’étranger relève donc de l’en-treprise de purification nationale. Dès 2002, le ton était donné. Le droit d’asile fut balancé aux orties. La double peine maintenue et alourdie. On augmenta le délai de détention provisoire des sans papiers de 12 à 32 jours, pour avoir le temps de les expulser tranquillement.

En 2006, la carte de séjour de 10 ans fut supprimée. Un an plus tard, les candidats au regroupement familial furent soumis à des tests ADN. Sarkozy est décidément fan de biologie. Ce ne serait pas étonnant de trouver un bouquin de Gobineau sur sa table de chevet. Tout un attirail fut bricolé pour empêcher les régularisations, gêner les naturalisations et faciliter les expulsions. Les mariages mixtes devinrent suspects, obtenir un titre de séjour s’ap-parenta à un véritable parcours du combattant. Il s’agissait de faire de l’étranger un irrégu-lier à perpétuité. Avec la loi « Ceseda ». L’immigration fut dénoncée ouvertement comme un problème puisqu’elle était « subie ». Si elle n’était pas utile économiquement, elle n’avait pas lieu d’être.

Après avoir légiféré, il fallait passer aux actes, histoire que les étrangers ne croient pas que toutes ces belles lois avaient été écrites pour les chiens.à peine intronisé président de la République, Sarkozy sonna le cor de chasse. La chasse à l’homme était ouverte. Les molosses qui faisaient course en tête, Eric Besson et Hortefeux, devaient faire le plein de gibier pour l’Elysée. Objectif 25 000 reconduites à la frontière par an.Pour faire un carton, il s’agissait de sortir les grands moyens et de mettre la flicaille sur la brèche. La consigne était simple : « Tout ce qui est noir,

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basané ou crépu et qui sait marcher, vous le chopez ! ». Une vraie consigne de flic. Simple, pas de nuance, pas de sentiment. « Et pour les bébés, on fait quoi ? » « Euh… merde, Robert tu me poses une colle. Faut que j’demande au préfet… ». Les bonnes vieilles méthodes de Vichy furent reprises. Guet- apens à la sortie du métro, dans les préfectures. Rafles de mômes dans les écoles. Destructions des camps de roms…

N’allez pas croire que tout cela n’était qu’un fatras juridique et policier sans âme. Il y avait un principe supérieur qui donnait de l’éclat à l’ensemble : « l’Identité Nationale ». Sous la conduite éclairée du ministère de « l’Immigration et de l’Identité Nationale », la grande Nation française devait redéfinir son identité pour faire face à l’avenir. Eric Besson super-visa une série de débats dans un lieu dédié entièrement à la réflexion intellectuelle : la préfecture. Il n’y eut que du beau monde pour discuter de ce sujet vital : des vieux, des militants FN (souvent les mêmes d’ailleurs), des vieux, des militants UMP (souvent les mêmes d’ailleurs). Après une longue et passionnante délibération, la définition du Français parfait tomba enfin : le Français est blanc, chrétien. C’est un homme et il est vieux. La question de savoir s’il possédait sa carte au FN ou à l’UMP était un point de discorde. Un terrain d’entente fut vite trouvé : un bon français pouvait avoir les deux.

En fin de compte, le pouvoir de droite œuvre depuis plus de huit ans à l’application du programme frontiste. En 2004, le philosophe libertaire Miguel Benasayag estimait que sur les 24 propositions judiciaires du Front National, le gouvernement de l’époque en avait déjà appliqué 11. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis. Si l’état et son grand parti mettent autant de zèle à se couler dans l’uniforme lepéniste, c’est qu’ils n’y voient que des avantages : maintenir la population dans la peur, criminaliser toute protestation, couvrir leur politique de casse sociale et continuer de faire plaisir au MEDEF.En outre, les politiques coercitives et xénophobes s’avèrent être très bonnes pour les affaires. Un sans papier dépouillé de tout droit est exploitable à merci. Le tout sécuritaire ouvre des marchés juteux. Il y a des prisons à

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construire, des milliers de caméras de vidéosurveillance à installer, des « Tasers » et des « Flashs Ball » à écouler. Surtout, il ne faut pas que ça change !

L’Hydre à cent têtes

Mais Sarkozy et sa clique ont joué avec le feu. Ils pensaient sans doute pouvoir tenir la bête immonde en laisse pour qu’elle veille sagement sur leur pouvoir de classe. Ils ont ouvert la boite de Pandore.Le monstre batifole en toute liberté, s’empressant d’abord de retrouver son maître légitime pour lui faire des grosses léchouilles. Le sarkozysme devait être l’acte de décès du Front National. Force est de constater que la vieille maison des fachos, après une petite période de latence, se porte plutôt bien. Sarkozy lui a montré la voie de la modernité et de la respectabilité. Il a parachevé la mue de l’institution républicaine pour la rendre totalement compatible avec le fascisme.Terminées les sorties fracassantes sur les camps de concentration ou les jeux de mot douteux. Le FN va se recueillir sur l’honorable champ de bataille de Valmy. Il est maintenant républicain. Pas besoin de changer une seule ligne d’un programme nauséabond pour le dire.Finie la larme à l’œil en contemplant les photos du maréchal Pétain ou le tendre regret des années folles de l’occupation nazie. Le FN est maintenant du côté de la résistance. Il appelle à combattre l’occupation de notre beau pays par les « arabo-musulmans ». Vous n’avez pas remarqué, tous ces panzer d’Al-Qaïda défilant fièrement sur les Champs Elysées ?Oubliée la vieille extrême droite de papa, patriarcale et misogyne. Le Front National porte désormais le visage d’une femme moderne qui fait des brushings : Marine Le Pen. Elle pose une question qui fait bien chier l’UMP et qui risque de nous faire très mal au cul en 2012 : « Les idées du Front National sont au pouvoir. Pourquoi pas lui ? »

Pour susciter la peur de l’étranger, la droite lui donna le visage menaçant de « l’arabo-musulman » : ce barbare polygame qui veut recouvrir les femmes de grandes cages noires après les avoir excisées à la petite cuillère, qui déteste la démocratie et rêve de soumettre la France entière à sa religion.

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Il fallait défendre notre identité contre celle de « l’Autre ». Le bien et le mal, l’ami et l’ennemi, tout devait passer sous les fourches caudines de la classification identitaire qui ne supportait aucune nuance. Même la laïcité – qui avait été en 1905 une réponse audacieuse pour séparer le politique du religieux et pour permettre que chacun, avec ses spécificités, puisse profi-ter d’un seul et unique espace public – prit un aspect négatif et identitaire. On l’invoqua en 2003 pour combattre le port du voile et à nouveau en 2009 pour dénoncer le port de la burqa, toujours pour stigmatiser la population arabo-musulmane.Au même moment, Sarkozy, parce qu’il avait besoin d’identités bien trempées pour continuer à faire régner un climat de peur et de suspicion généralisées, renforça les tendances les plus réactionnaires de l’Islam en leur offrant une place de choix dans son nouveau jouet : le Conseil français du culte musulman.

Ayant beaucoup appris auprès du locataire de l’élysée, la Bête immonde s’est mise à faire des petits un peu partout. L’islamophobie se répandit comme une traînée de poudre. En l’absence de toute perspective d’émancipation politique et sociale, dans un contexte où l’universalisme et l’internationalisme étaient en berne, la colère et la frustration trouvèrent du réconfort dans l’identité. Chacun la sienne contre celle des autres. Chacun ses valeurs, plus légitimes que celles d’à-côté. Chacun ses souffrances, plus authentiques et douloureuses que celles d’en face. Le brun redevient furieusement à la mode. Chacun l’assortit de son petit accessoire personnel. Zemmour l’enveloppe dans ses sorties nationalistes, misogynes et racistes « politiquement incorrectes » avec l’absolution du rire idiot de ce grand con de Ruquier. Dieudonné se jette dans le bras de Le Pen et de Faurisson et pense rendre service aux palestiniens en voyant des sionistes partout comme d’autres débusquent des antisémites à tous les coins de rue. Enfin, des gens soi-disant de gauche, comme les tristes guignols de Riposte Laïque brandissent l’étendard de la laïcité pour mieux faire passer leur islamophobie, s’acoquinent avec les fachos du Bloc Identitaire et portent leurs espoirs vers Marine Le Pen.On pourrait aussi parler du CRIF, qui dès 2002 trouvait des mérites au

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papa de Marine parce qu’ils avaient un ennemi commun… toujours « l’arabo-musulman ».

Du brun… du brun partout. Il semble de plus en plus difficile d’aller au-delà d’une kipa, d’une barbe, d’un voile ou d’une peau sombre pour tout simplement reconnaître un homme, une femme, un être humain avec sa biographie toujours complexe, contradictoire, spécifique, en devenir.Il paraît au-delà de nos forces de reconnaître que les seules différences

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dégueulasses, ce sont celles qui font de certains des oppresseurs, des dominateurs ou des exploiteurs et de beaucoup d’autres des dominés, des opprimés et des exploités.

Mais je commence à être un peu barbouillé. Je crois qu’il est temps de vous laisser. Je vais aller gerber sur un drapeau français.

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La gauche de la droite

« Mon programme n’est pas socialiste » nous avouait Lionel Jospin un soir de 2002, sur le ton de quelqu’un qui fait son « coming out ». En guise de scoop, ce fut un double bide.D’abord parce que ceux qui galéraient et avaient le plus besoin de justice sociale savaient parfaitement que son bilan de cinq années de pouvoir ne l’était pas non plus… socialiste. Eux, ils l’avaient senti passer, la plus grosse vague de privatisation jamais connue jusqu’alors. Ils digéraient encore la trahison des promesses de régularisation des sans papiers et le durcisse-ment de la politique répressive contre les étrangers. Ils « appréciaient » à sa juste valeur la charité généralisée maquillée en politique sociale. Au lieu d’assurer une égalité d’accès aux soins pour tous, en instaurant la CMU, Le PS inventa pour les pauvres une sorte de « Leader Price de la santé ». Ils « profitaient » des 35 heures jetées en pâture au patronat à qui on permettait de faire mumuse avec le temps de travail des salariés pour le plus grand bien des actionnaires. Ils s’étaient sentis vachement rassurés en entendant Lionel soupirer : « la politique ne peut pas tout » face à Michelin qui bottait allègrement le cul de ses salariés. Il y avait donc peu de chance que son programme présidentiel détonne.

Ensuite, parce que Jospin pensait qu’en avouant sa maladie honteuse et en appliquant la formule « une élection présidentielle se gagne au centre » (un des adages les plus stupides en politique), il raflerait la mise et devien-drait calife à la place du calife. Pas de chance ! Le 21 avril 2002, il réalisa le double exploit de rater le second tour des présidentielles et de faire un score minable. Prenant à la lettre son avertissement, ceux qui étaient de droite préférèrent l’original à la copie, quant aux électeurs de gauche pour de vrai, ils restèrent chez eux ou allèrent voir ailleurs.Notre ancien Premier ministre quitta la politique la crotte au cul en nous laissant en plan avec un facho au second tour et en installant la droite la plus réactionnaire depuis le régime de Vichy dans un fauteuil qu’elle ne quittera pas de sitôt. Merci beaucoup…

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La droite, mais en plus gentille

Le plus important dans cette histoire, c’est que pour la première fois, un dirigeant socialiste avouait plus ou moins clairement que son parti était de droite. La boite de Pandore était béante et laissait s’échapper dans la nature des monstres plus terrifiants les uns que les autres. Sous le patronage de François Hollande, une sorte de « Flamby » aussi lâche que démago, les socialistes se montrèrent encore plus décomplexés dans l’étalage obscène de leurs convictions de droite. En 2005, ils contractèrent une « Sainte Alliance » avec l’UMP et ne ménagèrent pas leur peine pour défendre un projet de constitution européenne qui canonisait « la concurrence libre et non faussée », dont tout le monde sait qu’elle constitue l’épine dorsale des valeurs de gauche !Jospin sortit même de son sarcophage pour voler au secours de Giscard, une autre momie de la politique. Vaincu par le vote populaire, il dût, pour notre plus grand bonheur, se re-retirer de la vie politique.

Le meilleur était pourtant à venir avec notre chère candidate Ségolène, mutante bougeoiso-militaro-biblique. Son slogan « l’Ordre juste » la propulsait dans le cercle très fermé des mots d’ordre les plus réactionnaires de l’histoire de France, en bonne place aux côtés de « Travail, Famille, Patrie », « La France aux Français » ou encore « la chance aux chan-sons ». La campagne présidentielle socialiste de 2007 fut un véritable feu d’artifice bigarré de capitalisme sauvage, de nationalisme primaire et de paternalisme méprisant : la taule pour les mineurs, des drapeaux français dans toutes les maisons, la remise en cause des déjà très boiteuses 35h, une politique sociale fondée sur le « donnant-donnant » … La conne ! Elle était tellement sur la même longueur d’onde que Sarkozy que le « duel télévisé» d’entre les deux tours, ressembla à un clip électoral de l’UMP chanté à deux voix. Ce qui donnait à peu près ça :

Sarkozy. – Madame Royal, les 35h, c’est très mauvais pour la compétiti-vité, si je suis au pouvoir, ils seront abrogés. Je suis certain que vous savez vous-même que c’est la meilleure des solutions !

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Royal (l’air horrifié, blessé, au bord de la crise d’épilepsie). – Euh...non, je suis en total désaccord avec vous, c’est insuuupporrrtable, mais quelle horreur, vous êtes un monstre !!! Moi, au contraire, je les supprimerai gentiment.

Après la victoire logique de Sarkozy, les leaders du PS poussèrent le bouchon encore un peu plus loin. En août 2007, Vincent Peillon, dans un torchon aussi pompeux qu’insipide publié dans le Nouvel Observateur, accusait le marxisme d’être la cause de la défaite du PS (comme si Jospin au pouvoir avait fait du « Marx appliqué… »). Il nous révélait l’ambition ultime du parti socialiste : « gouverner » et dévoilait la clé de la réussite : « l’acceptation du marché, et la recherche de nouvelles solidarités ». être de droite avec compassion et compréhension, en somme. Pendant ce temps, Dominique Strauss-Kahn acceptait le su-sucre de Sarkozy en devenant commandant en chef du Fond monétaire international, la principale machine de guerre du capitalisme dans son entreprise de pillage mondial. Il allait se montrer d’une efficacité redoutable pour aider la crise écono-mique à devenir une catastrophe sociale pour les pauvres et un miracle financier pour les banques. Enfin, Manuel Valls jouait au futur Sarko de « gauche » depuis sa mairie d’Evry. Il arpentait les marchés en pestant contre le manque « de white, de blancs, de blancos » et distribuait des bons points au gouvernement pour sa politique économique et sociale tout en incitant le parti socialiste à aller plus loin s’il revenait au pouvoir en 2012. Les socialistes qui accusèrent de traîtrise les ministres d’ouverture de Sarkozy sont de fieffés hypocrites. Les soi-disant félons ont simplement eu le bon sens d’aller jusqu’au bout de la logique du PS. Il est moins choquant d’être de droite dans un gouvernement de droite que de continuer à faire semblant d’être de gauche. Et le récent coup de peinture rose passé à la hâte sur les postures et les discours du parti pour être en phase avec la crise économique et sociale ne doit tromper personne.Mais en fin de compte, nous sommes horriblement injustes ! Nous aurions tort d’accabler ces pauvres dirigeants socialistes. Sans l’acquiescement sans faille de la majorité des militants, la conduite à droite des ténors du parti n’aurait pas les coudées aussi franches.

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Du côté confortable de la Barricade

Cette prise de position du « bon côté du manche » apparaît d’une évidence désarmante à la lumière de la réalité sociologique du Parti socialiste. Avocats d’affaires, universitaires, entrepreneurs : la majorité de ses dirigeants appartient à la bourgeoisie libérale et a largement profité des largesses du système institutionnel pour accroître son patrimoine et cultiver sa proximité avec le capitalisme financier. C’est ainsi que dans le dernier bouquin de Delanoë, on découvre sans surprise que ce dernier est « ami avec Arnaud Lagardère ». Par contre, en 299 pages on ne lui trouve aucun pote sans papiers, ouvrier ou chômeur… ce qui en théorie devrait pourtant pouvoir se faire. On en trouve encore quelques-uns dans les rues de la capitale.

Quant à la majorité des militants, elle est blanche, plutôt vieille, forte-ment diplômée et cadre de la fonction publique. En bref, le PS est le parti des classes moyennes aisées dirigé par des nantis, « le parti de la France qui se porte bien » pour reprendre l’expression du journaliste François Ruffin. étranger aux souffrances et aux combats des classes populaires, il n’y a aucune raison pour que le PS défende un programme et une action en phase avec les intérêts des dominés. Il nie d’ailleurs leur existence en même temps que celle de la lutte des classes. Si vous vous demandez encore de quel côté de la barricade se trouvera le Parti socialiste le jour où ça pètera, au moment fatidique, cherchez Lagardère… et vous chaufferez.

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Fraudes aux primaires du parti socialiste en 2006

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2006 : adhésion à 20 euros par internet

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Changer les hommesavec des géraniums

Tout le monde aujourd’hui, à part peut-être Claude Allègre, s’affiche écologiste. Cette belle unanimité n’est pas sans ressemblance avec l’en-gouement pour la démocratie participative. Il y a là un paradoxe savoureux. Car c’est au moment même où le monde des idées et des belles paroles est saturé par la préoccupation pour Dame Nature ou entièrement dévoué à la prise en compte des avis de chacun, que dans le monde réel, la planète est ravagée comme jamais et que les décisions publiques sont confisquées par une poignée de privilégiés.

C’est l’un des traits marquant de la sale époque qui est la nôtre. Affolés par la crise de système qui nous attire chaque jour un peu plus au bord du précipice, le trouillomètre à zéro devant les choix audacieux et les ruptures radicales qu’il faudrait imposer de toute urgence pour sortir du merdier dans lequel nous noie le système capitaliste, beaucoup, par frousse ou pour sauver les meubles, préfèrent s’agripper à de grandes idées qui épargnent à tous les coups le cœur de la cible. Il existe une expression pour cela : « tout changer pour que rien ne change ». On peut acheter des produits « bio » chez Leclerc tout en continuant à se lamenter sur la hausse des prix des denrées alimentaires. On peut aussi gaspiller ses soirées dans des Conseils de Quartier en ayant l’assurance, qu’au bout du compte, ce sera monsieur le maire qui prendra les décisions importantes dans son bureau.

Depuis plus de trente ans, l’écologie politique a joué un rôle indéniable-ment important dans la prise de conscience collective de tous les malheurs qui accablent notre belle planète. Avoir lancé, au cœur des trente glorieuses boostées par la croissance, ce qui alors ressemblait fort à une croisade à la Don Quichotte, pour aujourd’hui servir de leurre au système en travestis-sant les conséquences de nos problèmes en leurs causes premières, voilà qui est pitoyable. Et c’est ce que font justement les écologistes dominants.

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Le changement, c’est dans ta tête !

« Responsabilité ». Un sésame vers un monde sans pollution, dans lequel des tigres gentils couvriraient de bisous des enfants dans une prairie verdoyante, un peu comme sur une couverture de Réveillez-vous, le grand magazine des témoins de Jéhovah.Responsabilité de qui ? De tout le monde, visiblement. Mais à prêter plus d’attention à la vulgate écolo qui envahit les ondes et les images, on découvre qu’il s’agit avant tout d’éduquer et de bien dresser « monsieur et madame tout le monde » à faire les bons gestes pour sauver Mère Nature. « éteignez les lumières, faites plus de vélo, prenez le train, mangez bio, triez vos déchets, gardez la même eau du bain pour six personnes, construisez vos propres maisons en torchis… ». Veiller à ménager la planète en tâchant de ne pas se comporter comme un gros porc est nécessaire mais insuffi-sant. Le problème, c’est que responsabilité individuelle et responsabilité des grands groupes capitalistes semblent se valoir dans la dégradation de l’environnement. Un type qui jette un papier par terre apparaît aussi coupable que Total qui ravage les plages de Bretagne ou que les grandes industries vomissant des tonnes de dioxydes de carbone dans l’atmosphère. La doxa verte se concentre sur les comportements individuels et acquitte le mode de production capitaliste en feignant d’ignorer que les premiers sont surdéterminés par le second. Pour régler le problème, il suffirait de discipliner le système, de l’appeler à la raison comme on tente de le faire pour le citoyen lambda à coup de campagnes publicitaires moralisatrices.

Le manifeste politique du nouveau grand mouvement appelé à changer le monde, « Europe Ecologie – Les Verts », ne laisse d’ailleurs aucune ambi-güité sur le sujet : la société écologique passe par la régulation du marché. Sans déconner ! Qui peut penser sérieusement qu’il est possible de réguler un système qui carbure à la prédation des êtres humains et des ressources naturelles ? Comment mettre en place un capitalisme non productiviste ? C’est comme si, vous retrouvant dans la jungle nez à nez avec un tigre, vous essayiez de l’amadouer en lui lançant : « couché Kiki ! ». Visiblement les nouveaux héros des temps modernes, que sont les militants EELV sont

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de ceux là. Ils passent beaucoup de temps à faire les gros yeux à ce qu’ils appellent la gauche traditionnelle, coupable, selon eux, de subordonner le problème écologique à la question sociale. La critique n’est pas complète-ment infondée. Mais que font les nouveaux Verts ? Exactement la même chose mais en sens inverse. L’écologie devient dans leur bouche la solution magique à tous nos maux : manque de démocratie, inégalités sociales, rapports entre le Nord et le Sud... et j’en passe.

Pourtant, il serait peut-être possible de penser ensemble crise écologique et massacre social en reconnaissant que ces deux plaies découlent du vampirisme du Capital. Notre monde étant fini et nos ressources limitées, la soif d’autovalorisation perpétuelle du capitalisme ne peut que nous mener à une destruction certaine. Entre les mains de ce système, l’homme n’est qu’une ressource exploitable à merci. Le Capital nous entraîne donc dans une crise écologique et anthropologique sans précédent dont l’issue peut nous être fatale. Certains climatologues estiment que pour juguler un réchauffement climatique qui aurait des conséquences catastrophiques, il conviendrait de stabiliser les émissions mondiales issues des carburants fossiles d’ici 2015 au plus tard, pour les faire chuter ensuite à un rythme annuel de 6 à 8%.Ainsi, si l’on veut avoir la moindre chance d’éviter la banqueroute écologique et son cortège de ravages, il est impératif d’entreprendre une transformation radicale, coordonnée et planifiée de l’infrastructure économique mondiale.Mais l’incapacité des évolutions techniques à répondre seules à ce défi rendrait nécessaire une évaluation des productions en fonction de leur utilité sociale pour l’humanité et de leur nocivité pour l’environnement, l’abandon des plus nocives écologiquement et des moins utiles socialement et la réorientation radicale de l’ensemble de l’appareil productif en priori-sant la réparation, la sauvegarde et le renouvellement des écosystèmes et la satisfaction des besoins sociaux.Ce ne sont certainement pas les multinationales où les gardiens du marché mondial qui consentiront à un tel bouleversement. La responsabilité de ce virage à 180 degrés ne peut reposer que sur l’intelligence collective de l’ensemble des populations concernées qui doit impérativement bénéficier

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du pouvoir politique nécessaire pour relever un tel défi. Un tel bouleverse-ment réclamerait donc une politique fondée sur l’appropriation commune des biens de production à toutes les échelles, la coopération internationale, et la planification démocratique. Toutes ces mesures sont bien évidement aux antipodes des logiques capitalistes. Cela ne paraît pas arriver jusqu’aux cerveaux des rédacteurs du manifeste d’Europe Ecologie – Les Verts. Se hisser à la hauteur de ces enjeux représente pourtant un beau challenge en termes de responsabilité. Que ce soient toujours les pauvres qui paient cash en cas de catastrophe naturelle aurait pourtant dû leur mettre la puce à l’oreille. Il faut croire que le capitalisme se fait moins pénible dans la grisaille septentrionale. Surtout pour des bureaucrates verts.

La responsabilité, c’est vraiment le truc des pontes d’Europe Ecologie. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont décidé de catapulter une magistrate sévère et donneuse de leçon à la candidature de la présidence de la République. D’ailleurs, en matière de responsabilité, les grands leaders de l’écologie politique sont irréprochables. En témoigne, Dominique Voynet, ministre de l’environnement en 1999, restant les bras ballants devant les tonnes de merde déversées par Total sur le littoral breton. Le cas du président de « l’association des amis d’Europe Ecologie », Gabriel Cohn Bendit, ne manque pas non plus d’intérêt. Le grand frère de Dany en pince pour le Burkina Faso. à tel point qu’il n’hésite pas à cirer les pompes du président Blaise Compaoré pour obtenir la nationalité burkinabé. Que Compaoré soit l’assassin (télécommandé par la France) du révolutionnaire Thomas Sankara, qui dans les années 1980 a lutté avec succès contre l’impérialisme et pour l’autosuffisance alimentaire de son pays, ne semble pas titiller le sens des responsabilités de Cohn Bendit. Pourtant l’égalité entre le Nord et le Sud, la relocalisation des productions et la souveraineté alimentaire font partie des marottes de la nouvelle organisation politique écologiste.

Les écolos n’aiment ni la pub ni le consumérisme. Ils le répètent souvent. On devrait peut-être les prévenir qu’avec sa marque « Ushuaïa », leur pote Nicolas Hulot est en fait une grosse poule mécanique « made in TF1 » qui pond en cascade une multitude de produits dérivés « cent pour cent

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nature » (comme par exemple des bâtons d’encens cancérigènes retirés du marché en 2004), et des messages publicitaires « purement éthiques ». En 2005, les produits étiquetés « Ushuaïa » rapportaient 100 millions d’euros de chiffre d’affaire. Il faut croire que c’est cela que les amis de la nature appellent « réguler le marché ». Espérons au moins que de temps à autre, Nicolas envoie des caisses de gel douche aux autochtones de cette petite ville de Patagonie grâce à qui il se fait des couilles en or, histoire de les remercier.

Ni de gauche ni de droite,

donc de droite

Si vous partagez cet amour pour la res-ponsabilité individuelle et cette adoration pour l’écologie, vous êtes le bienvenu dans la nouvelle famille d’Europe Ecologie. Car le projet politique qui se nourrit à ces deux mamelles n’a que faire des clivages tradition-nels entre la droite et la gauche. Pour preuve, la photo des nouveaux leaders écolos prise lors du congrès de fondation du mouvement, réunissait une belle brochette de cons de droite et de cons de gauche : Daniel Cohn-Bendit, Antoine Waechter, José Bové, Eva Joly, Dominique Voynet, pour les plus illustres. Il faut lire leur « manifeste politique pour une société écologique », c’est une expérience fantastique. Reconnaissons au moins qu’en termes de drogues, les écolos ont toujours sû faire preuve d’audace. Dans ce texte de plusieurs pages, on apprend qu’ils veulent en finir avec les logiques capitalistes… en régulant le marché, qu’ils sont au-delà de la gauche et de la droite… mais qu’ils sont de gauche quand même, et enfin, qu’ils sont dans le camps des « démunis » (en langage écologistes, c’est-à-dire, les exploités, les dominés)… tout en souhaitant travailler avec les « entrepreneurs » (en langage écologiste, c’est à dire, les patrons). En fin de lecture, on saisit enfin ce que signifie « responsabilité » pour ce nouveau mouvement : faire plaisir à tout le monde, dire tout et son contraire afin de

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conquérir des positions institutionnelles pour ne pas foutre grand-chose. Ménager la chèvre et le chou pour tirer son épingle du jeu… ne serait-ce pas ce qu’on appelle de l’opportunisme, par hasard ? Utiliser le pouvoir pour privilégier le statu quo… n’est-ce pas cela, être de droite ?Ce n’est pas l’existence d’un chapitre « vivre ensemble » dans leur projet politique pour 2012, ni les déclarations de Daniel Cohn Bendit qui dis-siperont nos soupçons. « Il faut savoir ce qu’on veut, est-ce qu’on veut être de gauche et perdre ou est-ce qu’on veut battre Nicolas Sarkozy? ». Sous-entendu : pour battre Nicolas Sarkozy, il faut être libéral comme lui, et donc soutenir DSK. Ah… sacré Cohn-Bendit ! Toujours prêt à toutes les alliances pour filer un coup de pouce à Dame Nature ! Avec les sociaux-démocrates, les libéraux ou la CDU en Allemagne. Avec le Modem ou le PS en France. Le temps a transformé Dany « le rouge » en Dany « le vert caca d’oie/jaune pisse ». Il faut convenir que tout cela est logique et que la couleur du fumier va comme un gant à ce grand ami de la terre.

Résumons la situation. L’avenir de la planète est donc entre les mains d’un mouvement opportuniste, de droite, électoraliste, qui ne s’en prendra jamais au capitalisme et qui, par-dessus le marché, protège des terroristes qui assassinent les pauvres gens à coup de bâtons d’encens empoisonnés. Finalement, la prophétie Maya qui annonce la fin du monde pour 2012, ce n’est peut-être pas du flan…

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La droite de la gauche

On peut comparer le destin du Parti communiste français à celui du Titanic. Il faudrait malgré tout faire subir à l’histoire d’origine quelques petites modifications. La Direction du parti remplacerait l’orchestre de violonistes. Il n’y aurait plus un seul iceberg mais une multitude de gros glaçons que le paquebot PCF se prendrait succes-sivement en pleine face sans montrer le moindre signe de réaction. Imaginez qu’un petit malin ait l’idée de changer régulièrement le nom du rafiot en « Mutation », « Bouge l’Europe », « Gauche populaire et citoyenne » et enfin « Front de Gauche », en espérant le sauver du naufrage, et vous aurez une photographie assez nette de l’errance de ce parti ces dix dernières années.Cette lente mais irréversible décrépitude peut se résumer en une seule formule : « changer constamment d’accoutrement sans jamais remettre en cause des décisions aux conséquences catastrophiques ».Pourquoi une telle attitude suicidaire ? Parce que cela fait bien longtemps que le PCF a fait le choix de sauver son cul plutôt que de nourrir l’espoir d’une société d’émancipation.

Lutte des places

et mirage démocratique

C’est maladif. Le Parti communiste continue partout où l’occasion se présente de coller aux basques du PS comme un morbac pour s’accrocher au pouvoir institutionnel. Car, qui dit pouvoir institutionnel dit pouvoir symbolique et matériel et possibilité d’entretenir l’appareil… qui ne sert plus à rien d’autre qu’à produire des petits cadres serviles… qui iront à leur tour à la chasse aux élections pour… nourrir l’appareil. Peu importe si pour cela on doit servir les pires politiques capitalistes, renforcer le système et ses injustices au

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lieu de le remettre en cause. Peu importe s’il faut rester cinq dans un gouvernement devenu le champion toute catégorie de la privatisation, en y apportant même une petite contribution active. On se souviendra du cher « camarade ministre » Jean Claude Gayssot, nous expliquant benoîtement que l’ouverture du capital d’Air France n’avait rien d’une privatisation. Sarkozy en prendra de la graine quelques années plus tard en nous refaisant le même coup avec EDF, puis avec La Poste.L’expérience gouvernementale du P.C.F aura au moins été utile… à la droite revenue au pouvoir. En politique, la combine « Ceci n’est pas une privatisation » est devenu un classique aussi fameux que le tableau « Ceci n’est pas une pipe » en peinture.

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L’expérience de la gauche plurielle et la claque de 2002 auraient du être un électrochoc conduisant à une prise de conscience. Ce fut le contraire qui se produisit. En 2004, on retrouva le P.C.F dans les exécutifs régionaux aux côtés du PS. Dans les municipalités, même à direction communiste, même topo. à croire que le « grand parti des travailleurs » ne vivait plus que pour son grand frère social-libéral. Son orientation politique dissipait d’ailleurs toute ambiguïté sur le sujet : « tout faire pour ancrer le parti socialiste à gauche ». Franchement bandant comme projet !Après 2005, alors qu’il avait joué un rôle incontestable dans la victoire du « non » au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen, le naturel autocratique et électoraliste revenait au galop avec la tentative d’imposer Marie-George Buffet comme candidate unitaire de la « gauche antilibé-rale ». Enfin, aux municipales de 2008, son obsession de sauver ses miches poussait le PC dans les bras du Modem dans plusieurs villes et parfois dès le premier tour, comme à Montpellier. On attend avec impatience une alliance avec Dupont-Aignan ou De Villepin pour les municipales de 2014 ! Le cercle vicieux ne semble pas avoir de fin. Plus le PCF s’engage dans la gestion et la prostitution électo-rale, plus il se mange de gamelles. Plus il se vautre, plus il essaie de se faire une petite place dans les exécutifs régionaux, les conseils municipaux et autres niches bien douillettes. L’autisme guette.

Il parait incroyable qu’une Direction puisse continuer à mener toute une organisation au suicide sans être inquiétée. Le sortilège rendant possible cette fuite en avant opère à deux niveaux. On continue à faire croire à des militants déboussolés, de plus en plus vieux et de moins en

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moins nombreux, qu’il n’y pas de différence entre les intérêts du parti et leur conviction que la société doit changer. Bon, il faut quand même avoir une tonne de merde dans les yeux pour continuer à gober ça, mais passons.

Dans le même temps on s’assure de l’impuissance de la « base » et on coupe les couilles aux plus critiques en organisant une absence perpétuelle de démocratie qui s’affiche pourtant comme sa forme la plus moderne et la plus aboutie. Laisser causer les adhérents sans jamais leur offrir les moyens de décider sur les grands enjeux, organiser les congrès par le haut… et quand il y a tout de même un risque de dérapage, les transformer en simple « Conférence nationale » sans ordre du jour précis, constituent des techniques bien rôdées.

Le grand parti

des prisonniers des trente glorieuses

Pour expliquer ce qui arrive au PC on aurait tort de s’arrêter à des réactions affectives comme le font certains trotskystes en accusant les dirigeants d’être des traîtres et des vendus. C’est parce que le PC est com-plètement intégré au système, au point d’être devenu l’un de ses rouages, qu’il a tourné casaque, et non l’inverse. Pour être tout à fait exact, le Parti fut l’organe d’un monde qui n’a plus cours : celui des trente glorieuses, du grand compromis Capital/Travail scellé par la construction de l’état social.Il en fut à la fois l’un des principaux architectes et l’un des premiers bénéficiaires. Des milliers de mairies dirigées, un groupe parlementaire puissant, des moyens matériels à foison, des cadres en pleine ascension sociale, des permanents à ne plus savoir qu’en foutre… le Parti doit tout à cette époque, au point de se confondre avec elle. Il ne peut donc pas se résoudre à la voir disparaitre, ni par la remise en cause du capitalisme, ni par une offensive libérale. Blocage.

Voila pourquoi son programme consiste à rejouer les trente glorieuses en plus idéalisées : un super état-providence, qui assurerait une méga protec-tion sociale… sans ébranler les fondations du système capitaliste. Il n’est pas question pour les dominés de reprendre leurs affaires en main pour

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dessiner eux-mêmes les contours de leur propre société, mais d’attendre sagement que des institutions bienveillantes leur permettent de souffrir un peu moins. « Mieux vivre, on y a droit ! » décrétait Marie-George en 2007. De quoi faire trembler les capitalistes et fantasmer tous les damnés de la terre. Résultat : 1, 93%.Ceux qui votent encore pour ce parti sont issus principalement de cette petite couche moyenne qui flippe que le libéralisme les fragilise. C’est donc bien la peur qui les unit à des notables qui craignent pour leurs fesses.

Aujourd’hui encore, rien ne change. La création du Front de Gauche est une sorte de voyage au bout de la nostalgie. Avec Mélenchon qui se prend pour Jaurès sans en avoir les moyens et son « Parti de Gauche » qui fait de la « République » la solution miracle à tous nos problèmes, le PCF a enfin déniché son nouveau déguisement : l’alliance du parti des trente glorieuses avec celui de la Troisième République, pour mener la grande révolution par les urnes ! Le seul hic, c’est que la réalité continue à bouger, imposant impitoyablement une date de péremption à tous ceux qui regardent vers le passé pour tenter de changer la société que nous subissons aujourd’hui. Fatalement, il arrive au PC, comme à d’autres, ce qu’il advient d’un mam-mouth délivré des glaces après une interminable hibernation. à l’air libre, il pourrit à une vitesse effrayante.

Télétubies versus Staliniens moisis

C’est dans les allées de la fête de l’Huma que l’on peut palper le plus sensiblement les affres de la sénilité avancée qui ravagent le Parti commu-niste français. On lève la tête pour découvrir le slogan du stand national du parti : « Communistes comme un grand ciel ! ». On se met aussitôt à chercher la planque à LSD de la Direction, histoire de se mettre à niveau et de passer un bon week-end. On continue, on marche, toujours plus fébrile à la lecture de harangues super subversives du style : « vivre mieux ensemble », « changer la vie » ou encore « des emplois pour tous, c’est possible ! », et au bout d’un moment, à bout de nerfs, mais croyant entrevoir le bout du tunnel, on se réfugie dans un stand d’où s’échappe les

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notes de « l’Internationale ». Et là, boum ! On tombe nez à nez avec des gros staliniens qui vendent des bouquins de Maurice Thorez, arborent des badges « PCF ne pas perdre sa raison d’être ! » en expliquant que « le Parti communiste, c’était mieux avant » et que « le marxisme-léninisme c’était vraiment la solution ».

Alors, on se sauve à toutes jambes pour aller retrouver d’autres cama-rades lucides, démystifiés, mais qui n’ont pas renoncé à foutre en l’air cette putain de société et à changer le monde. Et on picole en se disant que, vraiment, le communisme et la subversion sont ailleurs…

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C’est la turlutte finale

Vous vous souvenez peut-être. Cette petite flamme d’espoir qui tremblo-tait fragilement dans les ténèbres de ce mois d’avril 2002. Nous étions plus d’un à tenter de nous requinquer comme nous pouvions entre le dégoût de devoir se farcir la tronche de Le Pen au second tour et la honte grandis-sante devant la triste perspective d’avoir à plébisciter Chirac pour « sauver la République du fascisme ». Certains se sont noyés dans l’alcool, d’autres ont tenté d’apprivoiser le mal par le mal en hurlant à longueur de manifes-tations un désespéré et désespérant « j’ai mal à la France ! ». Une minorité enfin (dont les auteurs de ce bouquin font partie), tout en ne dédaignant pas le réconfort de la bibine, avait les yeux rivés sur l’extrême gauche.Il y avait quelque chose d’un peu pathétique et d’un tantinet lourdingue dans notre manière de faire de l’arithmétique magique. « Besancenot 4,25%, Arlette 5,76%, Gluckstein 0,47%... putain la vache, ça fait presque 11% ! ». Et nous n’avions pas peur de pousser La méthode Coué jusqu’au bout. « Si on ajoute Les scores de Noël Mamère et de Robert Hue ça monte à 19% ! Avec un candidat unique, la gauche radicale pourrait être au second tour ! ». Que nous étions touchants à nous agripper à la frustre et austère radicalité de Laguiller et encore plus fort à la jeunesse de Besancenot, nouveau représentant d’une gauche radicale que nous voulions percevoir de toutes nos forces capable de se remettre en question, dépoussiérée, dynamique, ouverte à tous les combats.

« Même le plus noir des nuages a toujours sa frange d’or », chantent les scouts. La volonté intacte de changer radicalement la société, la remise en question de toutes les poussiéreuses certitudes, le désir de dépasser les divisions obsolètes représentaient les trois minces filets d’or qui tissaient nos maigres espoirs. Ils nous aidaient à maintenir le cap au moment où le Parti communiste se liquéfiait d’avoir trop fait la pute pour un PS qui se complaisait dans la défaite et dans le libéralisme comme un porc se roule dans sa propre merde. Nous estimions que la gauche radicale pouvait être le creuset de ce nouveau départ. Après presque dix ans de tentatives avortées et de fausses innovations, force est de constater que nous nous sommes lamentablement trompés.

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Faire du neuf avec du vieux

Il fallait quelque chose de nouveau. Après 2002, beaucoup de gens qui cherchaient leur route à gauche du PS en étaient persuadés. Il n’est pas difficile de reconstituer une véritable chaîne de l’évolution des tentatives foireuses de faire du neuf. Ce fut tout d’abord « L’ère des appels et des réseaux » : « Pour une gauche de gauche qui n’a pas honte d’être plus à gauche que ceux qui sont moins à gauche. Si vous voulez débattre de l’avenir de la gauche sans avoir peur d’être à gauche, rejoignez nous ! ». Des tentatives de ce style avec les mêmes mots placés dans des ordres différents, il y en eu des tonnes. Elles se sont toutes enlisées dans des débats byzantins.

2005 et la bataille contre le Traité Constitutionnel Européen ont vu émerger « l’ère des collectifs ». Partout en France des gens ordinaires et des militants de toutes les organisations de gauche, d’Alternative Liber-taire à la gauche du PS, se regroupèrent pour rejeter ce projet nocif. On s’appropria et on disséqua le texte pour mieux comprendre les enjeux et aiguiser des arguments. On inventa mille et une initiatives pour faire basculer un rapport de force loin d’être favorable au départ. Ce fut une belle invention politique avec une grande victoire à la clef, puis un beau gâchis lorsque les collectifs partirent à la recherche du candidat unitaire de la gauche antilibérale pour les présidentielles de 2007. D’outil et de labora-toire politique au service des citoyens, ils furent transformés en machine électoraliste instrumentalisée par les partis politiques. Ils reproduisirent ainsi fatalement les pires travers de ces derniers.L’élection de Nicolas Sarkozy inaugura l’ère des « faux nouveaux partis ». Cette idée de créer une nouvelle organisation révolutionnaire, ou du moins radicale, venait de loin. Elle s’enracinait dans le désir de voir émerger une alternative au PC stalinien et aux nains trotskystes un brin sectaires. Elle fit de nouveau surface pendant le mouvement social de 1995 dont tout le monde salua la puissance tout en regrettant une absence complète de débouché politique. Le naufrage total de la gauche radicale en 2007

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relança le vieux projet. Inutile de s’attarder sur ceux qui se contentèrent de coller un nouvel autocollant sur leur vieille carlingue ou de quitter une grosse machine avec quelques potes bien placés dans les hautes sphères institutionnelles pour lancer leur écurie perso : les « POI » et autres « Parti de Gauche » qui pensèrent qu’il suffisait d’organiser un spot de publicité en présence de la presse pour apparaître au top de l’originalité politique et de l’invention démocratique.

Plus séduisant fut le projet du Nouveau parti anticapitaliste portée par la Ligue communiste révolutionnaire. L’organisation acceptait de se dis-soudre pour construire un nouveau parti, avec tous ceux qui voulait en jouer, quelques soient leurs différences de culture politique. Sous condi-tion de partager la conviction qu’il existait une vie après le capitalisme, d’accorder une grande importance aux luttes sociales et de vouloir farou-chement garder ses distances par rapport au PS, tout était déclaré ouvert et discutable. Le début de l’aventure rassembla en effet à un conte de fée prolétarien. Libertaires, militants de la Ligue, altermondialistes, écolo ra-dicaux, syndicalistes en manque de perspectives, anciens du PC, nouveaux venus en politique et mêmes quelque socialistes qui s’étaient paumés et avaient vu de la lumière, se rejoignirent dans des comités de base pour construire ensemble cette nouvelle organisation politique et la doter d’un projet ambitieux. Les comités devaient-être le creuset de notre pouvoir collectif. Nous ne voulions aucune entrave à notre inventivité démocra-tique, ni à notre créativité politique. Pour beaucoup, le NPA représentait l’occasion de reprendre la main, d’exister aujourd’hui et de choisir « un autre demain ». Hélas le conte de fée prolétarien dégénéra bien vite en fable orwellienne. La fin de la récré fut sifflée sans ménagement. Ceux-là même qui nous avaient exhorté à « prendre parti » nous le confisquèrent sans état d’âme… et même avec une bonne dose d’hypocrisie et de culot.

Gérard Majax est dirigeant du NPA

Au commencement, la reprise en main s’effectua par petites touches, à la manière du mouvement de pinceau d’un peintre impressionniste sur sa toile encore vierge. « Vous voulez décider ensemble et en avoir

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les moyens ? Attention, nous devons être efficaces ! » Efficaces pour quoi ? Cette question était toujours soigneusement esquivée. à ceux qui insistaient pour que le parti soit le bien commun de tous ses membres, les militants de la Ligue objectaient qu’il fallait former des cadres. Des militants donc, mais un peu plus égaux que les autres. « Vous souhaitez vous poser toutes les questions, tout mettre à plat, construire vous-même un nouveau projet politique pour changer la société ? Soyons vigilants ! Il faut rester humbles ! » Décodage : « eh, les enfants ne vous enflammez pas, n’essayez pas trop de penser par vous-mêmes, de jouer les théoriciens. On va vous apprendre, nous qui savons, nous les vieux routards, nous… les dirigeants da la LCR ».

Avec les doutes grandissants des uns et des autres, et l’approche du congrès de fondation, les coups de pinceaux se firent plus fermes. Les mises en garde devinrent des oukases. De l’impressionnisme, on sauta sans transition dans le constructivisme le plus rigide. Le projet politique originel n’était plus seulement flouté. Il était maltraité, contorsionné dans tous les sens, méconnaissable. Les vieux de la vieilles du Bureau Politique de la LCR déballèrent enfin les nombreuses cordes qu’ils avaient à leur arc :- La magie où l’art de résumer un débat sur la démocratie en affirmant exactement le contraire de ce qui s’est dit : « On est pas contents ! » « C’est vrai, les comités doivent décider ensemble ! » « Ouais! Nous ne voulons pas d’une Direction qui nous impose des choix ! » « Pourquoi tout le Bureau Politique de Ligue se retrouve-il dans la Coordination nationale provisoire ? C’est quoi ce bordel ? ». Synthèse du président de séance, digne du magicien Gérard Majax : « Abracadabra… bon ben je crois qu’on est tous d’accord. On a besoin d’une Direction nationale provisoire forte, il faut structurer, c’est ça la démocratie ».

- Le camouflage et le langage des signes : Pendant ce temps là, Alain Krivine, retraité toujours très actif, qui avait adopté la même coupe que Mamie Nova pour passer incognito, restait tapi dans l’ombre et envoyait régulièrement quelques signaux discrets à Gérard Majax pour l’aider à ne pas rater son petit tour de passe-passe.

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- La mauvaise foi : « Mais, camarades, si nous limitons la durée du mandat de la Direction nationale à deux mandats non renouvelables, le Parti sera dangereusement instable » ! étrangement, lorsque dans son Manifeste politique, la Ligue proposait de réduire à 2 le nombre de mandats possibles pour un député, elle n’avait pas peur de fra-giliser la vie politique.Ce qui serait souhaitable pour l’émancipa-tion de la société serait-il nocif pour l’orga-nisation qui travaille à la libérer ?

- L’art de prendre les gens pour des cons : « Pourquoi socialisme du 21ème siècle ? C’est débile comme terme ! Pourquoi pas communisme ? ». Réponse : « Parce que communisme ça fait peur aux gens ! ». « Bon… ok… et pourquoi il nous faut une Direction ? Est-ce qu’on ne peut pas réfléchir à d’autres formes de représentation nationale ? » Réponse : « Parce qu’on est dans un fonctionnement politique centralisé, donc on n’a pas le choix ». Bonjour la science des contradictions ! Imaginez Karl Marx qui vous dit : « Nous sommes dans un système capitaliste… donc on n’a pas le choix ! ».

- L’hypnose, devant les doutes et les critiques : « Mais faites-nous confiance ! ».

- Et enfin, la culpabilisation, lorsque les autres combines ont foiré : « C’est inadmissible toutes ces critiques, n’oubliez pas que nous avons dissout notre parti pour vous… quand même ! ».

On pourrait arguer que tout cela fut conscient, releva de la manipu-lation et du machiavélisme. C’est sans doute vrai pour une part mais ça n’explique pas l’essentiel. La sincérité des camarades de la LCR n’est (presque) pas à remettre en cause. Mais il est plus que possible qu’ils aient

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été victimes d’un lapsus, et que « nouveau » soit sorti de leurs bouches à la place d’« ancien ». Il est évident qu’ils pensent en réalité que leurs cadres d’actions et leurs conceptions politiques sont valables et n’ont aucunement besoin d’être bouleversés. Ils devraient tout au plus être rénovés et popula-risés pour que le plus grand nombre puisse enfin les adopter. Pour eux, il est tout simplement inconcevable que leurs choix historiques portent en partie la responsabilité de l’échec du mouvement ouvrier du 20ème siècle. à leurs sens, s’il y a eu échec, c’est au contraire parce que leurs options sont restées minoritaires, principalement à cause de la toute puissance de l’horrible pieuvre stalinienne. Avec la disparition progressive de ce méchant monstre, le tir pourrait être rectifié et l’hégémonie politique serait enfin à portée de main.

En attendant que le peuple soit prêt

et les conditions objectives réunies…

Parce qu’ils ont le sentiment qu’elles n’ont pas été invalidées par l’Histoire, les militants de la LCR (et maintenant du NPA) restent prisonniers des vieilles conceptions politiques du siècle dernier. Deux d’entres elles sont particulièrement redoutables car elles permettent au capitalisme d’avoir encore de beaux jours devant lui. La première consiste à traiter le peuple comme un grand enfant incapable de penser et d’agir par lui-même. En conséquence, l’organisation politique, dirigée par ceux qui savent, clairvoyants et expérimentés, a pour but d’éduquer ce peuple, de lui montrer la « voie juste ».Et il est alors inconcevable d’envisager l’organisation politique comme ce qu’elle devrait-être : l’outil dont se dote librement le peuple pour s’organiser, élaborer ses propres façons d’agir, se fixer ses propres objectifs politiques. Le second anachronisme concerne la conception même du changement de société. La transformation politique révolutionnaire ne serait uniquement possible que lorsque les conditions objectives seraient considérées comme réunies. C’est-à-dire au moment où les masses se soulèveront comme un seul homme et où le pouvoir d’état tombera comme un fruit trop mûr entre les mains du « Grand parti des travailleurs ». Il n’y aurait aucun levier dans le réel pour enclencher dès maintenant de grands changements radicaux. Il serait impossible de

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commencer à se réapproprier dès maintenant, par nos activités politiques, tous les pouvoirs confisqués par la classe dominante. étrangement subjective est cette vision « des conditions objectives » qui se conjugue toujours au futur et prive la réalité immédiate de toute potentialité subversive.

En attendant le grand cataclysme on devrait se contenter de respecter servilement les conditions objectives, c’est-à-dire le règne du capitalisme, en proposant des mesurettes ne changeant rien du tout mais ayant pour fonction d’amener un peuple un peu stupide à prendre conscience de l’ampleur du changement qu’il faudra un beau jour accomplir. Ces deux manières de voir mènent tout droit à la castration politique. Elles rendent impossible tout développement d’une activité révolutionnaire et émanci-patrice car celle-ci ne peut s’appuyer sur aucun acteur politique (le peuple n’est pas prêt !) ni sur aucun matériau tangible (dans la réalité, il n’existe aujourd’hui aucun levier de changement radical !). Ne reste alors au NPA comme au reste de la gauche radicale que la possibilité de courir sans repos après la réalité à défaut de pouvoir la comprendre pour la transformer. On sombre dans le volontarisme politique en « étant dans les luttes », on fait du « super syndicalisme », et on ronge le seul os qu’il reste : l’électoralisme.Si les nouveaux anticapitalistes sont pour l’instant indépendants du Parti socialiste, ils le sont visiblement beaucoup moins vis-à-vis du calendrier électoral.

Face à une gauche radicale qui radote et qui bégaie, nous, qui souhaitons être maîtres de nos destins pour changer radicalement la société, n’avons que deux alternatives : sombrer dans la déprime, la dope et la picole ou bien nous rassembler pour fixer nous-mêmes les règles de notre libre association politique et ne laisser personne d’autre décider à notre place des termes de la promesse que nous devons nous faire à nous-mêmes et au monde. Car en définitive, se tromper n’est pas si grave. Ce serait de continuer à se fourvoyer qui serait impardonnable.

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Y’en a pas un sur cent et pourtant ils moisiiisseuuu

Par l’un de ces samedis après-midi glacial de janvier où seuls quelques rayons de soleil fadasses savent égayer l’atmosphère, je traînais mes guêtres dans les allées du cimetière du Père Lachaise, sans but précis.

Aux abords du Mur des Fédérés, je fus arraché à mes rêveries par un bordel de tous les diables. L’origine de tout ce désordre : trois vieilles carnes occupées à se pouiller la tête devant le Saint-Sépulcre du mouve-ment ouvrier français. C’était les trois grandes forces qui avaient aiguillé la colère et les espoirs populaires tout au long du 20ème siècle : Socialisme, Communisme et Anarchie. Socialisme était tiré à quatre épingles. Effluves de parfum capiteux s’attardant dans les airs, complet-veston impeccable. Tout en lui respirait le dédain et la trahison. Il se soulageait allègrement la prostate contre le mur des Fédérés. Pas classe.

Communisme avait l’apparence d’un vieillard complètement démoli, perdu, dévoré par la sénilité. En slip, coiffé d’une vieille chapka crasseuse, il trottinait de tombe en tombe, des touffes d’herbe plein la bouche. Dès que Socialisme s’éloignait un peu, il se mettait à pleurnicher comme un gamin en lui hurlant : « ne me laisse pas tout seul ! ». Anarchie se distinguait net-tement des deux autres. Elle seule semblait attentive à ce qui l’environnait. Elle était loin de faire son âge. Elle alpaguait les passants pour leur causer révolution, gueulait après les gardiens du cimetière parce qu’ils portaient des uniformes, exhortait les morts à se réveiller pour autogérer leur der-nière demeure. Ensemble, on a passé un chouette moment. Elle m’apprit à faire des cocktails Molotov, me conseilla de me méfier comme de la peste de toutes les formes d’autorité et de faire vivre mon idéal révolutionnaire dans chacun de mes actes. Elle me dressa un tableau fort instructif des tares de ses deux compères. J’étais tellement enthousiaste et reconnaissant, qu’avant de la quitter, je l’embrassai bien fort sur les deux joues. C’est à cet instant que, dans la lumière déclinante de cette fin de journée, je remarquai les boutons d’acné qui disputaient aux rides la suprématie territoriale de son visage parcheminé.

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Rentré chez moi, je me repassais mentalement le film de cet étrange après-midi. Cette vieille coquine d’Anarchie m’avait armé d’une éthique personnelle de l’insoumission et de la révolte. Mais pas plus que les deux autres vieillards, elle n’avait été capable de me refiler des tuyaux pertinents sur les moyens de remettre sur des rails pas trop bancals un projet d’éman-cipation enfin capable de balayer le capitalisme.

C’est alors que je compris que si ses deux copains avaient mal vieilli, elle, n’avait toujours pas grandi, et aussi qu’il était très con de chercher les traces de l’avenir en flânant dans un cimetière.

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Une pensée et des pratiques revigorantes

Depuis quelques temps, des graines d’anarchisme éclosent ça et là. Elles réveillent le mouvement social et nourrissent la critique du système capitaliste. Vous ne trouverez pas cette énergie rafraîchissante dans les organisations politiques officiellement labellisées anarchistes. Celles-ci sont aussi grabataires que leurs sœurs ennemies sociale-démocrates ou communistes. Pour s’en convaincre il suffit de constater à quel point le temps semble s’être figé pour des mouvements comme la Fédération anar-chiste ou la CNT. Toujours les mêmes affiches appelant invariablement à la grève générale. Toujours les mêmes cortèges de titis parisiens patibulaires qu’on croirait tout droit évadés d’une bande dessinée de Tardi. Toujours le même simulacre de grand soir rejoué en boucle à chaque manif et vite effacé par le passage des balayeuses de la ville de Paris.

Le renouveau anarchiste se laisse plutôt appréhender aux détours de mille et une pratiques ne se réclamant d’ailleurs pas forcément ouvertement de ce courant de pensée. Les expériences autogestionnaires refleurissent et prouvent que le travail, et plus généralement, toutes les formes d’activités sociales, se portent bien mieux sans propriétaires et sans patrons. Les ré-seaux décentralisés tissent leurs toiles, à l’image des forums mondiaux ou locaux qui irriguent la vie du mouvement altermondialiste. Les logiciels libres, les systèmes d’échanges locaux arrachent les échanges de biens et de services des griffes de la logique marchande. Les expérimentations de budget participatif bousculent le champ institutionnel. Ces expériences réactivent les grands combats menés depuis la fin du dix-neuvième siècle à l’ombre du drapeau noir. Elles critiquent toutes les formes de pouvoir et de hiérarchisation. Elles tirent à boulets rouges sur la centra-lisation et encourage l’autonomie individuelle et collective dans l’action. Surtout, elles démontrent, en acte, la possibilité de changer radicalement la réalité ici et maintenant en modifiant immédiatement nos manières de produire, d’échanger et de décider ensemble. Ces « nouvelles » figures de l’émancipation ont émergé des profondeurs du gouffre béant qui a déchiré le crépuscule du siècle dernier sous le choc de la violence de l’offensive capitaliste. Elles ont jailli du trou noir provoqué par la défaillance de la

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social-démocratie et la banqueroute du mouvement communiste. à l’heure où les organisations de « la gauche traditionnelle » sont gangrénées par les logiques gestionnaires et troquent la lutte des classes contre la lutte des places, au moment où les programmes politiques les plus audacieux s’en tiennent uniquement à farder une réalité insoutenable, ces nouvelles manières de défier le réel ont fini par acquérir une vertu corrosive. Leur puissance de séduction réside dans leur capacité à transmettre un seul message : d’autres rapports sociaux sont possibles, dans lesquels, l’exer-cice commun du pouvoir et le développement individuel s’entremêlent et se renforcent mutuellement.Ces laboratoires de la sédition coupent la chique à tous les adorateurs de la contrainte qui passent leur temps à nous seriner que « ce n’est pas possible » que « les conditions objectives ne sont pas réunies » ou encore que « les gens ne sont pas prêts ». Ils enrichissent la cartographie des possibilités politiques en y insufflant de la créativité et de l’imagination. Et ça, dans le désert théorique et stratégique que nous traversons, ce n’est déjà pas rien.

En écho à ce foisonnement d’initiatives qui mordent quotidiennement les jarrets du capitalisme, se développe aujourd’hui tout un travail intellectuel original. Au fil des écrits d’auteurs américains comme Noam Chomsky, David Greaber ou encore John Holloway, la vieille question révolutionnaire se voit retourner comme une crêpe. On ne se demande plus « comment prendre le pouvoir ? » mais bien plutôt « comment faire pour éviter que le pouvoir ne nous prenne ? ». Si les charognards capitalistes et l’état en prennent plein la gueule, ce sont, pour reprendre les mots de l’économiste Frédéric Lordon, tous les « patrons génériques » qui se retrouvent dans la ligne de mire. C’est à dire, tous ceux qui capturent et orientent la puissance d’agir et les désirs des autres pour servir leurs propres desseins. à suivre ce raisonnement, la Direction du NPA ou celle du Parti communiste, pour ne citer qu’elles, sont… des « patrons génériques ». Essayez donc de faire la révolution avec des patrons !

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Panne de croissance

et éternelle crise d’adolescence

Malgré tout l’intérêt de ces apports, on ne peut s’empêcher de se sentir frustré. Ce bouillonnement de pratiques et d’idées semble condamné à rester emprisonné dans les frontières d’une minuscule casserole sans jamais déborder ni foutre le feu à la gazinière. Tout se passe comme si ces expérimentations étaient frappées par une incurable panne de croissance. Et si cette maladie était congénitale ? Et si ces ferments de subversion portaient leurs limites en eux-mêmes ?

La primauté qu’ils accordent à la pratique fait tout leur intérêt. Mais en même temps, celle-ci les rive à des réalités locales au-delà desquelles tout s’effiloche et meurt d’asphyxie. Il existe un refus viscéral de considérer que pour embrasser toute la société, les principes d’égalité et d’autonomie devront nécessairement emprunter des véhicules différents et plus vastes que ceux qui font leur succès localement. Ainsi, on ignore la question de la représentation politique. On néglige des pans entiers d’une réalité sociale complexe, polymorphe et protéiformes : les institutions, le droit, la loi... On s’interroge peu sur les formes d’organisations politiques susceptibles de transformer ces velléités d’auto-organisation en mouvement d’éman-cipation général. On attend la multiplication miraculeuse des petits pains autogestionnaires, une généralisation spontanée qui ne vient jamais. Il existe comme une incapacité à se dépasser pour faire tâche d’huile et construire des passerelles qui permettraient de poursuivre des objectifs politiques communs à une échelle globale.

Ce fétichisme de la pratique « physique » et immédiate cantonne l’émancipation à une dimension restreinte, comme si chaque personne était contrainte de la vivre uniquement par l’intermédiaire de ses cinq sens. Tout ce qui n’est pas à portée de main de l’individu sensible reste donc impensé. Plus ou moins consciemment, cette conception projette le fantasme d’un monde recouvert de communautés auto-organisées totalement ignorantes et indépendantes les unes des autres. C’est peut-être parce qu’elle reste prisonnière d’un fond idéologique hérité de l’anarchisme de la fin du XIXème

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siècle : la croyance dans une nature humaine fondamentalement bonne. Pour vivre en harmonie, il suffirait que les êtres humains se regroupent, aient confiance dans leurs ressources intérieures et se débarrassent des mauvaises influences de la société. Or, malgré le fait que nous soyons tous constitués d’un amas de chair, d’os et de sang, il n’y a pas de nature humaine. Les hommes ne sont pas intrinsèquement bons, mauvais, égoïstes ou généreux.En mélangeant joyeusement Marx et Spinoza, on pourrait avancer l’idée que les êtres humains fonctionnent tous au même carburant interne : ils ont le désir vissé aux tripes. Mais leur essence est fondamentalement concrète, historique, et externe à leur petite carcasse : c’est l’ensemble de leurs rapports sociaux. L’émancipation ne peut donc résulter que d’une autre manière de faire société et d’un agencement différent de nos désirs se nourrissant mutuellement au lieu de s’acharner à vouloir s’imposer les uns aux autres.

En ignorant cela, les petites pousses anarchisantes se heurtent à un plafond de verre. En abandonnant l’ambition de transformer les rap-

ports sociaux à grandes échelles, les expériences autogestionnaires se font rattraper et ronger par la réalité capita-liste, toujours dominante.

En faisant confiance à la « nature », les expériences anarchistes renoncent à interroger leurs propres aspérités et s’exposent aux pires égarements. C’est, par exemple, dans les groupes anars qu’on peut trouver les pires chefaillons autoritaires et les rapports de dominations les plus dégueulasses, alors même que l’égalité est sensée officiellement y régner.Sous prétexte de supprimer le pouvoir, le rejet des procédures et des gestes qui en assureraient un vrai partage

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laisse celui-ci entre les mains des personnes le plus magnétiques. C’est celui qui brille le plus, qui désire le plus fort et qui sait imposer ce désir aux autres en les éblouissant, qui devient le chef. C’est ce qu’on appelle le « pouvoir charismatique ».Il y a quelques années, à la Sorbonne, il existait un petit groupe de ce genre qui se faisait appeler le CUL, « Comité Universitaire de Libération ». Rigolo n’est-ce pas ? Ses leaders étaient tous beaux gosses et grandes gueules. Ils se ressem-blaient tous.

Le retour à des formes d’actions violentes, attentats ou vandalisme des black bloc, est aussi un symptôme de ce pourrissement anarchiste incapable de se donner des perspectives au-delà de sa propre volonté de puissance instinctive. Ce n’est pas qu’on ait envie de chialer sur un train qui déraille ou un distributeur de billets qui part en flamme, mais on se dit juste : « et après ? ».Par la même occasion, on s’interroge. Cette violence « subversive » ne sert-elle pas malgré elle de combustible à la bestialité du système ?Il n’y a qu’à voir avec quelle véhémence le pouvoir sarkozyste fut capable de légitimer sa surenchère sécuritaire au nom de la lutte contre « une ultra gauche » introuvable. Il ne serait pas non plus étonnant que sous la cagoule de quelques black bloc en action se dissimulent en fait des flics en mis-sion. Les futurs mouvements d’émancipation ont tout intérêt à assimiler la défiance anarchiste contre toutes les formes d’autorité. C’est un antidote nécessaire contre la reproduction des cauchemars autocratiques du siècle dernier. Il contribue à tenir en alerte la pensée critique. En France, aucun brillant penseur anarchiste à l’horizon. Mais il existe un joyeux métissage théorique qui, en réinterrogeant le pouvoir, le consentement, la contrainte, la propriété et l’état, redonne des couleurs au communisme et débarrasse le vieux Marx de la croute étatique qui l’étouffait depuis si longtemps. On

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doit cette bouffée d’air pur à des penseurs tels que Frédéric Lordon, Franck Fischbach ou Lucien Sève, entre autres. Mais si le mot d’ordre simpliste « de la prise du pouvoir » ne nous est plus d’aucune utilité, le rejet et la lutte « contre tous les pouvoirs » atteignent très rapidement leurs limites. Car au fond, ces deux conceptions de la révolution laissent le pouvoir intact, tel qu’il est aujourd’hui : un système de subordination de tous à la volonté de quelques uns. Que ce système change de mains ou qu’il soit tenu à bonne distance ne remet pas en cause son existence.La véritable alternative révolutionnaire réside peut-être dans un bouleversement radical de la nature du pouvoir lui même. Passer d’une logique « du faire faire » à celle du « faire ensemble », travailler inlassablement à enrichir et à élargir les puissances d’agir individuelles pour qu’elles s’associent librement dans des entreprises communes, réconcilier le principe d’organisation avec la notion de libre association : le chantier est énorme. Il doit commencer partout et maintenant. Comment faire pour que six milliards d’êtres humains puissent enfin « être le pouvoir » ?

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Leurs miches valent plus que nos salaires !

« Cette fois-ci, on ne lâchera pas ! ». C’est le cri sourd et têtu qui s’est échappé des entrailles du monde du travail et de la jeunesse en automne 2010. Le mouvement social dans lequel il s’est lancé à corps perdu pour sauver le système de retraite par répartition des griffes de Sarkozy et du Medef fut beaucoup plus qu’un coup de colère contre un coup tordu de plus. C’est le refus de continuer de subir et de perdre qui a ébranlé la France en octobre/novembre 2010. Les manifestations toujours plus massives, les blocages des raffineries et les mouvements de grèves reconductibles lancés par plusieurs secteurs professionnels incarnaient l’expression d’une même volonté : « trente ans de défaites successives, ça suffit ».Pourtant, même si les lignes ont bougé, même si de nouveaux modes d’ac-tion ont vu le jour, même si cette lutte a permis à des gens qui se tenaient d’habitude très loin des luttes d’entrer dans la danse de la contestation, même si poussée par la base, l’Intersyndicale a fait preuve d’une longévité inattendue... nous avons fini par lâcher... une fois de plus. La capacité du gouvernement à passer en force en se foutant éperdument de la volonté populaire n’explique pas tout.

L’aspect le plus étrange et le plus paradoxal de ce mouvement résidait sans doute dans le fait que la plus puissante des déterminations à refuser de servir de paillasson pour la classe dominante côtoyait la certitude que la défaite serait une fois plus au bout du chemin. En cela, nous traînons comme une malédiction, la réalité d’un monde syndical désemparé qui depuis plus de 15 ans ne fait qu’une seule chose : encaisser les mauvais coups... lorsqu’il ne donne pas lui même le bâton pour nous faire battre.

Deux options pour soigner le monde du travail :

soins palliatifs ou euthanasie

A la fin des années 1990, il s’est passé des tas de choses étranges du côté des structures syndicales. La CFDT qui était déjà très molle des genoux, s’est mise carrément à défendre le patronat au lieu des travailleurs. Peut-

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être qu’à force de fréquenter le milieu des affaires, d’écumer chaque année l’université d’été du Medef et de servir de consultants pour des patrons, les leaders de la CFDT ont fini par croire que le monde du travail, c’était le Capital. Mais une rumeur beaucoup plus inquiétante circule sur les vraies raisons qui ont poussé la centrale syndicale à passer de la couardise à la traîtrise. Vous n’avez jamais remarqué ? Depuis quelques temps les syndiqués CFDT se traînent une allure bien glauque et un comportement plus qu’angoissant. Ils sont devenus tout jaunes. Et si vous observez atten-tivement leur main droite, vous constaterez qu’un stylo leur a poussé entre le pouce et l’index.Jusqu’ici, vous direz où est le problème ? Ça peut être pratique. Sauf que ces cons se servent de leur nouvel organe pour signer toutes les saloperies proposées par le gouvernement et les patrons... et cela dans le dos des autres centrales syndicales et des travailleurs. Outre le fait d’apposer sa petite paraphe sur les différentes conventions UNEDIC qui ont enfoncé, entre autres, les intermittents du spectacle, la CFDT a usé de son super gadget pour participer joyeusement au second acte de la casse du système de retraite par répartition orchestré par Fillon en 2003.

Non contente de signer de plus en plus

régulièrement les arrêts de mort des tra-vailleurs et des chômeurs préparés par la classe dirigeante, la CFDT balance ceux qui luttent en pâture aux flics. Les membres de la compagnie théâtrale « Jolie Môme » se souviendront long-temps de leur petite visite au siège de la Confédération où ils se rendaient pour demander des comptes aux dirigeants du syndicat sur leurs trahisons à répétition. Ils s’en sont sortis avec une plainte pour violation de domicile. La défense de la propriété privée semble devenir quelque chose de très crucial pour les cédétistes... encore une innovation syndicale !

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Donc la vraie question c’est : pourquoi ce comportement de raclure ? Et bien... tout découlerait d’une mutation génétique... d’où le stylo et la nouvelle pigmentation jaune cocu qui, il faut le reconnaître, sied à ravir aux membres de la CFDT (il faut tout de même préciser que les cocufiés, dans cette histoire... c’est nous). à force de lécher le cul du patronat, des poils malencontreusement ingurgités leur seraient montés au cerveau, finissant par devenir partie intégrante de leur matière grise et déglinguant ainsi totalement leur hémisphère cérébral gauche. Les Cédétistes sont donc génétiquement modifiés à base de patrons. Comme quoi les OGM, c’est vraiment de la saloperie. Ne me demandez pas comment tout cela est scientifiquement possible... Je sais juste que c’est syndicalement catas-trophique. Pour les petits curieux, un article dans la revue “Nature” est à paraître prochainement sur le sujet.

La CGT, pour sa part, fait face à d’autres problèmes. Si on ne peut qu’approuver le fait qu’elle ne soit plus la courroie de transmission du PCF, on est par contre très inquiet des troubles du comportement qui la touche depuis quelques temps. Syndicat timide et déboussolé, la CGT l’est en parole et en pratique. Dans le texte, c’est une oscillation perpétuelle entre l’intériorisation du discours dominant et le constat de la nocivité du capitalisme. D’un côté, on est lucide sur la nature du système. De l’autre, on condamne « l’exclusion », on prône « le vivre ensemble » et le renfor-cement « du lien social ». Les « travailleurs » qui produisent les richesses et façonnent le monde concret sont remplacés par les « salariés » qui se contentent de toucher passivement un salaire en fin de mois.Ce grand écart schizophrénique débouche sur la proposition étrange de renforcer et de sécuriser ce qui est pourtant à l’origine de l’exploitation des travailleurs par le Capital : le salariat.Il faut lutter pour l’avènement d’un « Nouveau Statut du Travailleur Salarié ». La logique semble infaillible. La classe dominante précarise et fragilise le salariat pour faire exploser ses taux de profits ? Protégeons les salariés en leur octroyant de nouveaux droits! Quitte à prendre le risque d’éterniser le rapport de subordination qui enchaîne le Travail au Capital. Existe-il une alternative à ce mode de pensée binaire centré sur le prin-

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cipe « Nous sommes attaqués, nous nous défendons » qui apparait aussi archaïque et has been que la coupe de cheveux de Bernard Thibaud ?Certainement. Il suffirait de partir de l’évidence qu’en fragilisant les salariés pour s’en foutre plein les fouilles, les capitalistes prennent le risque de saper les fondements même de leur domination, c’est à dire le système salarial lui même. Ils scient la branche sur laquelle ils se trouvent confortablement installés.Au lieu d’essayer de consolider la branche à coup de rouleau de scotch, les travailleurs pourraient faire un petit pas côté pour se poser sur une branche saine, arracher la scie des mains des capitalistes et terminer le travail pour que ces derniers se vautrent tout seuls comme des grands. Bien sûr, cela demanderait de faire l’effort de porter des propositions qui sapent le pouvoir des patrons, qui contestent leur mainmise sur la gestion des entreprises, qui remettent en cause leur statut de propriétaire, qui per-mettent au travail de s’affirmer en dehors du carcan salarial. Le problème n’est donc pas tant de lutter pour arracher de nouveaux droits pour les travailleurs, ce qui est tout à fait légitime, mais d’omettre d’articuler cette question des droits à la question du pouvoir. En ratant cette jointure, la CGT reste dans une perspective de protection du monde du travail, lorsque le principal enjeu est sa libération des entraves capitalistes.

Il n’y a malheureusement pas que sur le papier que la CGT fait preuve de frilosité. L’organisation a un peu trop tendance à montrer les dents une fois que le mal est fait ou à enfoncer la tête dans les épaules pour amortir le plus possible les coups de bâton. En témoigne la situation de quiproquo qui régnait lors du dernier mouvement social sur les retraites où les militants hurlaient dans les manifestations pour le retrait pur et simple du projet de loi lorsqu’au même moment les leaders syndicaux parlaient de négocia-tions ou d’élaboration d’une autre réforme (quel type d’autre réforme est possible avec la droite au pouvoir ?). Pour expliquer ce pitoyable tableau général, on aurait beau jeu de rejeter toutes les responsabilités sur le dos des directions syndicales. Certes, le statut de permanent n’aide pas à se rapprocher des travailleurs. Il facilite plutôt le mimétisme patronal. Il n’y a qu’à voir comment Marc Blondel, son éternel cigare vissé au bec, trai-

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tait son chauffeur. D’ailleurs, un défenseur des exploités qui pose son cul bien confortablement sur la banquette arrière d’une safrane, quoi de plus normal ?Si les cadres syndicaux peuvent s’offrir tant de latitudes gestionnaires, c’est aussi un peu de notre faute à nous qui sommes englués dans la spirale du défaitisme. C’est nous qui beuglons « résistance ! » à longueur de luttes. C’est nous qui rentrons au bercail la queue entre les jambes en pestant contre la traîtrise de nos dirigeants et en attendant les prochaines élections présidentielles pour espérer un changement qui ne viendra pas.

La politique, c’est caca, faut pas toucher

S’en remettre aveuglément aux organisations politiques pour combler les lacunes dont souffre le travail syndical en dit long sur la manie de compartimentation dont souffre le syndicalisme aujourd’hui. Il est vrai que pendant longtemps l’échiquier partisan a parasité, voire étouffé la vie syndicale. La domination paternaliste du PC.F a longtemps pesé sur les épaules de la CGT, pour le meilleur et souvent pour le pire. La guerre froide a aussi poussé la CIA à créer son propre syndicat, Force Ouvrière, avec pour objectif de contrer l’influence du « Grand parti des travailleurs ». Revendiquer l’indépendance du travail syndical et ne plus vouloir rejouer le rôle de courroie de transmission d’un quelconque parti politique est tout à fait légitime. Ce qui est plus discutable, en revanche, c’est de s’obsti-ner à séparer la défense « économique » des intérêts des travailleurs qui serait obligatoirement enfermée dans la quotidienneté et dans une logique d’amélioration des conditions de travail, de l’élaboration d’un nécessaire projet politique de transformation radical de la société.

En Assemblée Générale, lorsqu’ on ose avancer qu’un syndicat a son mot à dire et des pratiques à construire pour contribuer à l’émergence d’un société alternative au capitalisme, il y a toujours une petite voix bien pensante qui s’élève pour remettre les pendules à l’heure : « On n’est pas là pour faire de la politique ! ». Bizarrement cette petite voix est presque toujours la propriété d’une personne inféodée de la pire des manières à une organisation politique.

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Pour dire les choses un peu plus crûment, ce genre de laïus, c’est toujours la petite chanson soumise des larbins. Mais c’est vrai, après tout, on devient peut-être syndicaliste pour faire du tricot ou pour animer des ateliers « crocodiles en perle ». Parce qu’il faut bien le dire, détruire le régime

de retraite par répartition, privatiser les services publics, saccager le code du travail, cela n’a rien de politique. Ce genre de trous du cul malheureu-sement encore trop présents n’a toujours pas compris que le capitalisme n’était pas seulement un fait économique mais une formation sociale agen-çant l’ensemble de la société et structurant toutes ses dimensions. Cela signifie en clair, que tant que le syndicalisme se résumera à un inventaire à la Prévert visant uniquement à améliorer le sort des « salariés », tant qu’il se refusera à irriguer le champ politique, il ne pourra pas être une arme pertinente entre les mains des travailleurs. Il aura toujours un temps de retard sur les attaques du capitalisme.

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Pourtant, construire un syndicalisme de transformation sociale radicale ne devrait pas relever de l’utopie. Il suffirait d’articuler la défense des intérêts des travailleurs avec la nécessité de leur donner les moyens de décider par eux-mêmes et pour eux-mêmes de leur propre destin.Un simple exemple : lorsqu’une boite menace de fermer pour cause de plan social, au lieu de renifler les fesses d’un futur repreneur qui exploitera les salariés de la même manière que son prédécesseur en écrémant les effectifs au passage, un travail syndical pertinent pourrait consister à aider les travailleurs à reprendre eux même la gestion collective de leur entre-prise. De même, la construction d’une liaison entre le monde associatif, les organisations politiques et les syndicats pourrait contribuer à faire tomber les barrières.

Même s’il y a encore énormément de chemin à parcourir pour que s’impose réellement un tel paysage syndical, les recompositions à l’œuvre et l’émergence de nouvelles pratiques et de formes d’actions inédites nous donnent des raisons d’espérer. L’investissement de la CGT aux côtés des travailleurs sans papiers en lutte, a été exemplaire. La prise en compte de la situation des précaires de la Fonction Publique est encourageante. Tout cela témoigne d’un élargissement progressif du champ de l’action syndi-cale. Il est très positif, aussi, de voir s’esquisser des équipes syndicales de base renouvelées et radicalisées issues d’organisations syndicales diffé-rentes (SUD et la CGT, par exemple) qui travaillent ensemble.Il est intéressant de constater que les mêmes interrogent la démocratie syndicale en s’attelant à en modifier les formes et à en renforcer le contenu. Si tout cela prend corps et se développe, peut-être qu’un jour prochain, le verbe « agir » arrêtera de côtoyer le verbe « subir ».

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Sophie de Menthon est membre du comité « éthique » du Medef et présidente d’ETHIC (Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance).

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Entrer en politique, si ce n’est pas un paravent pour faire mousser son ego ou jouer les « Nicolas le Jardinier » avec ses petits intérêts person-nels, ça peut rapprocher du monde. Rien de plus logique, puisqu’il s’agit de sortir de soi-même pour défendre une vision de la société et tenter de faire bifurquer celle-ci dans le sens qui nous apparaît le plus pertinent. En embrassant l’engagement communiste, du monde, vous en bouffez par tous les orifices. Parce qu’il lutte contre toutes les formes de domination et qu’il juge nécessaire de désosser cette société pourrie pour remettre les pièces du puzzle dans le bon ordre, l’individu communiste développera la sale manie de renifler la réalité dans ses moindres recoins. Plus ça sentira fort… et plus ça l’intéressera.Internationaliste, il a pour horizon le monde entier. Il est donc logique qu’il soit à l’affût de tout ce qui s’agite, tremble, convulse et suppure à la surface de la planète. évidement, nous évoquons ici un idéal-type : celui du « com-muniste conséquent », qui, conscient de ne pas être un « surhomme », s’attelle malgré tout quotidiennement à tenir la barre de ses convictions, en paroles et en actes.

Il existe de prétendus communistes qui usent de leurs beaux habits de révolutionnaire pour briller en société et draguer des meufs. La « Révolu-tion », c’est si romantique…D’autres instrumentalisent le communisme pour se confectionner une bonne conscience de gauche, bien confortable, anesthésiant tous les doutes, stérilisant tout sens critique, excusant par avance toutes les com-promissions : « Je suis forcément irréprochable, je suis communiste ! (à ce qui paraît…) ». La croyance dans le Grand soir remplace le paradis des chrétiens, un paradis qui absout par avance ses fervents supporters. L’appartenance au

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« Parti » joue souvent le rôle de béquille psychique pour les gens qui boîtent du cerveau. On recherchera dans l’univers sécurisé et normatif de l’orga-nisation politique un palliatif à la maman absente, à l’amitié ou à l’amour qu’on est infoutu de trouver ailleurs. Or, le communisme ne peut être révo-lutionnaire, dérangeant, effrayant, que s’il ronge le réel à la manière d’un acide ultra-critique, s’il trouve les voies pour être « le mouvement réel qui dépasse l’état actuel des choses », pour reprendre les mots de Marx.Quelles que soient leurs motivations, ceux qui en usent comme d’un ver-nis conventionnel sont les pires fossoyeurs de cette énergie subversive. Mais laissons tous ces névrosés patauger dans leur petite mare de caca personnel.

Vous l’aurez sans doute compris, les auteurs de ce bouquin ont la pré-tention d’appartenir à la catégorie des « communistes conséquents ». D’ailleurs, si ce livre vous interpelle, c’est peut-être que vous aussi, vous en êtes… même s’il ne vous était jamais venu à l’esprit de vous coller ce genre de label sur le gras du cul. Pourtant, même « le communiste conséquent », ne peut embrasser tous les aspects du réel. Il ne possède pas de superpouvoirs. Il ne fait malheureusement pas partie du club très select des « X-Men ». Il n’est ni omniscient, ni omnipotent. Ses engagements, même s’ils prétendent être rationnels et atteindre l’universel, sont pétris de subjectivité, façonnés par son histoire personnelle et orientés par ses affects, par ce qui le touche ou le laisse froid. Ils se cristallisent au gré de rencontres avec des causes particulières qui libèrent l’empathie, avec des individus qui accrochent la lumière d’une façon particulière, avec des lectures qui emportent, stimulent ou font douter.Un engagement, même aussi totalisant que le communisme, s’incarne tou-jours dans une vie concrète, de chair, de sang, d’émotions, de choix et de contraintes. C’est une aventure vécue au ras du sol.

Depuis le début de votre lecture, vous vous baladez sur les sentiers de dix ans d’engagements, de colères, de frustrations, de doutes, de tâton-nements, qui ont tordu les entrailles des auteurs de ce bouquin. Chacun de nous deux a débroussaillé sa propre piste. Mais nos routes ont fini par

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se croiser, pour se mélanger et se fondre en un chemin plus vaste, plus râpeux, à la fois concordant et dissonant. Les ruades et les coups de poings dans la gueule distribués si généreusement au fil de toutes ces pages sont les répliques sismiques des combats que nous avons partagé et parfois livré ensemble au cours des années 2000, même si chacun de nous a toujours gardé sa manière bien particulière de mollarder.D’autres échos du monde ont chatouillé nos oreilles, d’autres saloperies nous ont mis en rogne, mais, omnibulés par les bastons qui nous ont happés, nous n’avons pas pu foncer la tête la première dans l’œil du cyclone de ces autres empoignades, non moins cruciales. Il aurait été hypocrite de notre part d’écrire des tartines et de pondre 150 dessins sur ces sujets à peine déflorés. Mais nous avons tenu, en esquissant ce petit tour d’horizon « des rubriques auxquelles vous avez (presque) échappé », à rendre hommage à ces pans de la réalité qui auraient pu nous absorber.

Une dernière chose : ne vous étonnez pas si au fil de votre lecture, ça part en sucette. Les deux camarades qui ont pondu ce livre ont toujours refait le monde cernés par une armée de bouteilles plus menaçantes et redoutables les unes que les autres. Alors, tentons une expérience. Fermez les yeux…détendez-vous. Il fait nuit. Vous êtes bien. Votre verre se remplit sans discontinuer, comme par enchantement. Les meubles vous sourient. La conversation n’a aucun sens… mais vous êtes persuadé de dire des choses cruciales pour l’avenir de l’humanité. à votre réveil… un pivert dans la tête… vous constatez que le capitalisme n’a pas été renversé pendant la nuit… dommage. Il faudra recommencer.

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La chine à l’heure du commumptalisme

Ah, la Chine ! Un machin vraiment bizarre. Sous la houlette du Parti communiste qui continue à faire marcher le pays à la baguette (ne cherchez pas de double sens vaseux dans cette phrase, s’il vous plait…), elle est devenue le moteur de la mondialisation capitaliste et une puissance économique mondiale redoutable.Sa politique de libéralisation et son réservoir de main d’œuvre inépuisable et payable en clopinettes, font d’elle un aspirateur géant à capitaux étran-gers. C’est la reine de la croissance et des exportations. Cette success story libérale doit beaucoup à un secteur public puissant et à un état fort capable de construire une stratégie industrielle cohérente. En tout cas, ce sont les patrons des pays développés qui se frottent les mains. Grâce au coût misé-rable du travail chinois, ils tiennent leurs salariés par les couilles : vive la concurrence entre les travailleurs !

La Chine, c’est aussi la mère de tous les fantasmes. Attirances et répul-sions. Ce qu’on a pu nous faire chier avec le spectre du méchant chinois conquérant, pour nous pousser à voter pour le Traité Constitutionnel Européen !Le soir, au fond de leur plumard, les mêmes libéraux devaient se tripoter la nouille, assaillis de flashs obscènes : « la police chinoise défonçant les partisans du « non » à coup de balles réelles, des arrestations en cascades, le « oui » proclamé vainqueur avec 95% des voix. Le capitalisme sans les désagréments de la démocratie… putain, le pied ! ».La Chine est le rêve politique inavouable des capitalistes occidentaux. Elle incarne leur désir d’hégémonie totale et incontestable. Elle annonce les ultimes tendances de développement d’un système mondial dont les pouvoirs de domination n’auraient plus de limites : le totalitarisme libéral, stade suprême du capitalisme.

Le problème, c’est que toutes les tendances sont toujours contrebalancées par des contre-tendances, et l’Empire du Milieu pourrait bien exploser à la

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gueule des classes dominantes. Le grand bond en avant vers le capitalisme, ça ne se fait pas avec du vent. Il en faut des bras pour arracher tous ces points de croissance ! Le pays le plus peuplé du monde… se retrouve donc avec le prolétariat le plus massif du monde.

Le prolétaire chinois vit, travaille et meurt dans les mêmes conditions que son camarade anglais… du milieu du 19ème siècle. Ni le slogan libéral « enrichissez-vous », ni la belle phrase communiste « de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins », ne semblent s’appliquer à son cas. Donc, il se lasse et s’agite. Les nuages s’accumulent dans le ciel social chinois. L’orage n’est pas loin. Le régime de Pékin se retrouve le cul entre deux chaises. Lâcher du lest face aux travailleurs, c’est courir le risque de fâcher les investisseurs étrangers, mais s’entêter à céder aux exigences de ces derniers revient à allumer la mèche d’une bombe sociale qui ne tardera pas à péter. Et il n’est pas certain que les tanks et les matraques parviendront à endiguer le raz-de-marée.

Dernier petit souci : comme le rappelle l’économiste critique Michel Husson dans son dernier livre, Un pur capitalisme, la croissance galopante chinoise traîne dans ses sillons une véritable catastrophe écologique.Quelques exemples pour vous foutre un peu les jetons : la Chine accueille vingt des trente villes les plus polluées de la planète, les pluies acides arrosent un tiers du territoire, les eaux contaminées dézinguent 30 000 gamins par an. Sympa, non ? Ce désastre plonge directement ses racines dans le rôle tenu par le « grand dragon » sur la scène du capitalisme mon-dial : les exportations chinoises représentent 23% de ses émissions de CO2. La Chine est à la croisée des chemins. Les spasmes qui l’agitent sont aussi les symptômes localisés de la crise systémique du capitalisme. Les choses étant emberlificotés à mort, il se pourrait bien qu’un acte décisif vers une alternative globale au système capitaliste se joue sur les rives de l’océan Pacifique.On peut s’autoriser à rêver un peu, nous aussi : le Parti communiste chinois balayé par l’éruption d’un communisme véritable, ce serait marrant.

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Hystérie humanitaire et débauche de dons occidentaux lors du Tsunami dans l’océan Indien en 2004.

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Le continent perdu mais pas pour tout le monde

L’Afrique, tout le monde s’en fout… enfin presque tout le monde. Il y en a pour qui le continent noir est une inépuisable pompe à pognon. Depuis des décennies, la France est experte en la matière. Mais elle est mainte-nant concurrencée par des petits nouveaux qui ne cachent pas leur appétit : Israël, les pays du golfe et la Chine, par exemple.

à force d’être violemment aspirée par le suçon vorace des impérialistes, l’Afrique est devenu obscure, vaporeuse. Aux yeux du reste du monde, elle n’est bien souvent qu’un amas confus, brouillé et dématérialisé où s’en-tassent pêle-mêle pandémies galopantes, coups d’état et guerres civiles à répétitions, squelettes vivants, réfugiés en guenilles, enfants soldats, machettes soigneusement rangées dans leur étui crânien. Elle est le trou noir du monde, son angle mort.Devant ce spectacle peu engageant, deux attitudes possibles : la compassion humanitaire, qui n’est que la facette souriante du vampirisme capitaliste, ou le désintérêt et l’incompréhension. Le sortilège est puissant. Même des militants avertis comme nous y ont succombé.

Traiter le continent africain en no man’s land, en cadavre grouillant de vermines, est bien pratique. Cela octroie aux puissants un permis permanent de dépeçage. C’est pour cela qu’ils mettent tout en œuvre pour maintenir l’Afrique en quarantaine et traiter ses habitants en chiens crevés. On érige des camps, on dresse des barrières infranchissables au nord du continent pour maintenir les bêtes fauves en cage. On se présente à Dakar plein de morgue occidentale et de vanité raciste pour déplorer que « l’homme africain » ne soit pas encore entré dans l’Histoire… avec la ferme intention de tout mettre en œuvre pour empêcher les africains de prendre leur destin en main.

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La revanche des têtes de noeuds

Des rapports égalitaires entre hommes et femmes, c’est pas gagné. D’autant que l’égalité arrachée de haute lutte par les femmes reste encore largement formelle. L’investissement masculin dans la sphère domestique, discours à la mode ces derniers temps, tient largement du mythe. Nos compagnes se tapent encore plus 80% des tâches ménagères, alors qu’elles sont mainte-nant nombreuses à travailler. Vive la double journée de travail gratis ! Les choses se gâtent à l’arrivée d’un môme. Môme qui reste d’ailleurs large-ment éduqué par sa chère maman. Monsieur se la pète un peu en préparant la bouffe le dimanche pour crâner devant ses beaux parents ou en faisant de la représentation dans les réunions parents professeurs, mais à part ça, que de la gueule.

Au travail, la situation n’est guère plus réjouissante. à égalité de poste, de diplôme et de compétence, les femmes continuent à toucher des salaires en moyenne 20% inférieurs à ceux des mecs. Ce doit être une sorte de péna-lité financière pour absence de paire de couilles, un attribut, qui comme tout le monde le sait, booste les qualités professionnelles. Le temps partiel et la précarité se conjuguent largement au féminin. On pourrait multiplier à l’infini les exemples d’inégalités persistantes ou d’oppressions que n’en finissent pas de subir les femmes.Moi, par exemple, personne ne m’a jamais mis une main au cul ou traité de salope dans le métro. Je ne m’en plains pas. Mais je fais des jalouses. Beaucoup des mes amies apprécieraient de goûter les délices d’une telle indifférence. Elles font régulièrement une overdose de gros porcs. En bref, la domination masculine a encore de beaux jours devant elle.

Pourtant, Une grosse giclée de testostérone arrose abondamment ce début de troisième millénaire. Tout le chemin parcouru depuis la fin des années 1960 pour l’égalité entre les femmes et les hommes menace d’être recouvert d’une épaisse couche de connerie masculiniste. Le discours est simple : « Les femmes ont obtenu ce qu’elles voulaient. Trop, c’est trop,

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l’égalité s’est transformée en tyrannie. Les hommes sont victimes d’une vaginocratie ! Pendons-les par les ovaires ! ». Certains rêvent de rétablir les privilèges du Pater Familias sur des femmes customisées comme des objets sexuels et des pondeuses de chiards. Pour se faire bien voir, cette bile revancharde et réactionnaire peut être enrobée de douceur et d’hypo-crisie. Cela vous donne les associations de droits des pères qui utilisent la revendication de la garde alternée de l’enfant en cas de séparation pour battre en brèche le droit au divorce. Elles sont aussi très fortes pour faire passer les femmes victimes de violences conjugales pour des mythomanes.D’autres sont plus cash. Eric Zemmour, pour prendre un exemple bien crade, ne se prive pas d’utiliser le service public télévisuel pour vomir sa haine des femmes et verser des larmes de crocodile sur la déperdition des hommes, à l’entendre, de plus en plus efféminés. L’aigreur de Zemmour est aisément déchiffrable. Ouais… vraiment pas évident d’avoir une âme de fasciste emmurée dans une figurine de Gargamel.

Mais la chtouille viriliste peut contaminer n’importe qui. Il y a des « gauchistes » pour trouver des vertus à la prostitution. Elle permettrait selon eux de libérer les pulsions masculines. à les écouter, un client de plus serait un violeur en moins. Lorsqu’on les interroge pour savoir pour-quoi le viol a encore tant d’adeptes, ils sèchent. Et d’ailleurs, attribuer une fonction à une femme, qui plus est, celle d’une poupée gonflable, c’est… très progressiste. Ces connards tentent de s’en sortir en arguant qu’il doit bien exister des filles qui font ça pour le plaisir (ben voyons…) et terminent générale-ment par un plaidoyer pseudo-progressiste en faveur de la réouverture des maisons closes, qui comme leur nom l’indique si bien, ne sont rien d’autre que des prisons pour putes. Ce qu’ils ne s’avouent pas, ces grands rebelles, c’est que la légitimation de la plus dégueulasse des dominations les conforte dans leur pouvoir de petits mâles. Une femme qui se rabaisse pour les faire éjaculer, ça les valorise, ça les rassure. Il n’est pas anodin que cette revanche des têtes de nœud profite des vents favorables de l’offensive libérale pour marquer des points. Quoi de mieux que la folie de la mise en privé universelle pour tenter de chosifier les femmes ?

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Je pourrais clore mon propos en vomissant les fondamentalistes religieux et leur grande détestation des femmes… mais on ne tire pas sur une ambulance. Les pauvres, ils n’ont jamais digéré le fait que Dieu le créateur soit un vagin, cruel et indifférent, certes, mais un vagin quand même.

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Quand le capitalisme

français exhibe sa petite bite

Cette nuit, j’ai fait un rêve horrible et particulièrement angoissant. Je suis à l’école maternelle… mais entiché de mon corps de trentenaire... Les gamins qui gesticulent autour de moi ne semblent pas percevoir l’anoma-lie. Tous ces petits « pervers polymorphes » s’affairent à leurs occupations absurdes. Ça se tire les cheveux, ça mange ses crottes de nez, ça braille, ça s’affronte dans une furieuse partie de stop car en trottinette. Le foutoir. J’entends des sons ignobles, un peu comme si on égorgeait un brontosaure à la petite cuillère. Je remonte les vagues de bruits, histoire de voir ce qu’il se passe. Au milieu du bac à sable, une bande de mioches se déhanchent comme des succubes… devant un concert improvisé d’Enrico Macias et de Mireille Matthieu. à leurs pieds sont ligotés ensemble un p’tit black et une mignonne petite beurette, en pleurs.Là, je commence à flipper. Je cours prévenir la maîtresse. Je déboule en sueur dans le préau. Elle me tourne le dos, occupée à décorer la pièce avec… des drapeaux français !?« Maîtresse, venez vite, c’est la merde dans le bac à sable ! » Elle se retourne… « Oh non ! » …Ségolène Royal. Je perds les pédales. « Il faut que je me barre d’ici ! ». Je me pète la gueule en trébuchant contre une putain de trottinette. Dans mon dos, je sens résonner le rire sinistre de la maîtresse. « Ne t’approches du grillage, je l’ai fait électrifier ! » De l’autre côté du grillage surgit un mec énorme et monstrueux, un cigare au coin de la bouche, les bras bardés de Rolex. Il porte un imperméable en satin bleu qu’il ouvre d’un geste nonchalant. Au beau milieu de son infâme nudité trône une minuscule bite en or massif. La toison pubienne qui orne cet organe rikiki évoque vaguement la coupe de cheveux d’un personnage public. « Putain ! Une quéquette qui parle… avec la voix de Nicolas Sarkozy ! » « Les enfants, le marchand de glace est passé ! ». En transe, tous les mioches se précipitent vers le grillage. La terre tremble. L’école se métamorphose en une banque gigantesque. Une cheminée déchire le sol et entame une

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échappée interminable vers le ciel. Elle crache une sauce ininterrompue de billets de 500 euros qui termine sa course dans la gueule du gros mon-sieur répugnant. Je m’effondre en sanglotant. Les enfants se donnent la main et entament une ronde diabolique autour de moi, en chantant : « c’est quelqu’un qui m’a dit, que tu m’aimais encore ! »

« Nooooooooooooooooon ! » Réveil brutal. Je me traîne laborieusement vers la douche. Même ma fidèle érection matinale m’a abandonnée. C’est le triste début d’une journée de plus dans la cours de récréation sordide et absurde du sarkozysme.

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Sarko fait les soldes :Grosse promo

sur tous les imposteurs !

Quel joli mot que celui d’ « ouverture ». Il ouvre des horizons poétiques hallucinants. Que de rimes riches en perspective : « raclure », « pourri-ture », « rognure », « ordure », « imposture », « moisissure », « crevure ». Que dire d’autre de ce non-évènement politique qui a fait couler beau-coup d’encre en 2007… pour terminer dans les poubelles de l’histoire aujourd’hui ? Ce fut juste un coming out de gens de droite… assez attirés par le pouvoir pour se vendre au plus offrant.

Il y a tout de même une justice. Les Martin Hirsch, Fadela Amara et autres Bernard Kouchner se sont bien fait baiser. Le pouvoir, ils se sont assis dessus. Ils furent réduits à être des gentils figurants dans la farce écrite par Sarko… pour finir par se faire gicler une fois le filon usé jusqu’à la corde. Ouverture… ça rime aussi avec sépulture.

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Le Centre, point G de la politique ?

Caliente, caliente ! Le Centre c’est chaud comme la braise, ça pue le sexe, la révolte, l’alcool et le Rock ‘n’ Roll. Bayrou qui traite « Dany le délavé » de pédophile en direct à téloche et qui fait des dérapages avec son tracteur, De Villepin, l’éphèbe repris de justice harcelé par le pouvoir, Borloo et son look de pilier de bar abîmé par la vie : les Bad Boys sont dans la place pour sauver la France ! Ils sont trash, ils conchient Sarko et son système, ils balancent des propositions politiques qui les catapultent à l’extrême gauche du P.S. Suppression des grandes écoles, renforcement des services publics, moralisation de la vie politique… putain, ça déménage !

On en oublierait presque que tous ces rebelles furent Premier ministre, ministre de l’Education ou de l’Ecologie dans des gouvernements de droite. On omettrait presque de lire leurs programmes qui suintent le libéralisme par tous les pores. Oui… mais ça titille… ça excite la libido à mort… ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de se faire enfler profondément et avec style par des mecs qui ont du chien. Ah, ces centristes qui réveillent nos plus bas instincts… quelle bande de pervers !

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et bien d’autres rubriques...

Apocalypse au Japon

la revanche des dauphins

Les v

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Cyril Mokaiesch

le communisme

sorti du pressing

Penser global, agir localBienvenue dans le premier Forum Social

de mes chiottes

Clémentine Autain un esprit sain dans un cornichon

Pachtounes des nounours pas commodes

Mickael Jackson calanche les enfants lui disent merci

Les mamies

valent plus que

mon vomi !

JEan Ferrat est mort

le P.C.F n’a plus

de ligne politique

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Ah ben ça, ils

l’ont pas volé !

Benabar : un chanteur

pour vieilles centristes

qui sentent la pisse

à force de regarder TF1on pue des yeux

Si l’autre elle bat des cils, j’ai le trou du cul qui se transforme en Hélicoptère

Torreton en Jaurès…

à quand

clavier en Marx…

et Galabru en Engels ?

Delanoë

pour les SDF c’est « Nuit Blanche » tous les jours !

Michel SardouMaIS tu vascrever oui !

Handicapés

y’en a des

biens

Vite un récipient !

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épilogue

a

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étreindre le chaos

pour faire notre histoire

Nouveau siècle. Millénaire à peine défloré. Depuis que nous nous sommes engouffrés dans les entrailles de ce cycle flambant neuf, dix années se sont égrainées entre nos mains. En nous échappant, chacun de ces éclats de temps et d’histoire a profondément marqué nos chairs du sceau de la défaite et de l’amertume. La distance qui nous sépare de l’année 2000 fut traver-sée de long en large par la Réaction, par le triomphe du capitalisme le plus sauvage, par la montée des eaux noires de l’apocalypse écologique, par les convulsions hystériques de la guerre permanente. La peur et la médiocrité ont déployé partout leurs étendards. Si 2010, cette petite entaille calendaire venant clore cette décennie, peut avoir un sens, celui-ci sonne comme un avertissement. Notre monde convulse. Il est entré en crise systémique. C’est maintenant plus qu’une certitude. Toute la charpente de notre univers est vermoulue. Elle menace d’effondrement l’édifice tout entier.

Mais l’évidence que la déchéance nous reluque à tous les coins de rue ne représente pas la dimension la plus dramatique de notre époque. Il existe quelque chose d’infiniment plus triste que le constat plus ou moins lucide de l’imminence de l’effondrement. C’est de ne pas entreprendre ce qu’il faut pour éviter la catastrophe alors même que la réalité, si sombre soit-elle à première vue, regorge de possibilités inédites, de ferments d’autres choses. C’est d’être aveugle au point d’oublier que la marche de la société est contradictoire. C’est de vouloir sauver les meubles, de s’obstiner à gué-rir le monde avec des choses mortes.Le mouvement altermondialiste réanimait la critique du capitalisme… ou-vrant l’espoir de son dépassement. Nous en sommes toujours à la critique.La déroute de la gauche traditionnelle ouvrait la voie vers de nouveaux

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chemins pour l’émancipation. Le renouveau aurait pu être la réponse au traumatisme du 21 avril 2002 ou à l’espoir né de la victoire du « non » au référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen. Partout, c’est le repli sur soi qui s’est imposé.

Parce que nous avons eu peur d’emprunter les chemins incertains de la nouveauté, qui peuvent aussi venir bousculer les petits intérêts que la sur-vie de l’existant nous octroie, nous avons préféré encombrer la réalité de fantômes rassurants : « un nouveau front populaire », « un vrai Grenelle de l’emploi », « un nouveau mai 68 », « un nouveau parti ». Voilà tout ce qu’est capable d’offrir la gauche radicale aujourd’hui : des « nouvelles » choses fleurant bon le 20ème siècle. Car la crise de système que nous vivons n’est pas seulement la crise du capitalisme, c’est aussi celle de toutes les forces qui ont n’ont pas réussi à le vaincre et se sont trop aisément accommodées de cette défaite, finissant par y trouver leur compte et par radoter pour tenter de convaincre de l’utilité de leur existence.

Comprenons-nous bien. Il n’est pas question ici de proclamer que la solu-

tion miracle consiste à faire table rase du passé en fabriquant ex nihilo une nouveauté salvatrice. Il s’agit simplement de savoir ce que nous désirons, de faire un effort pour ressentir le cours de l’Histoire, de s’appuyer sur notre expérience pour avoir l’audace de déceler toutes les nouvelles potentialités qui s’offrent à nous et d’avoir le courage de changer nos manières d’agir et de penser pour trouver le bon moyen de les exploiter afin de progresser vers nos fins. Nous avons été incapables d’agir ainsi durant cette décennie. De là réside notre plus grande défaite.

L’Histoire sans fin

Pourtant, nous sommes en 2011, plus en 1991. Les capitalistes n’ont pas réussi à arrêter le temps. Les hommes continuent à faire leur histoire et à utiliser les matériaux qu’ils ont sous la main pour faire émerger de l’inat-tendu. Qui aurait parié sur l’embrasement du monde arabe ? La région entière semblait figée, entravée dans une gangue de plomb. En quelques

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mois, deux des dictateurs les plus installés et les plus chouchoutés par les puissances occidentales, Moubarak et Ben Ali, ont été renversés. Le Yémen, la Syrie et la Lybie sont en ébullition. Tous les régimes du Maghreb et du Moyen Orient sont pris de sueurs froides.Si les tourbillons de l’histoire balaient à nouveau les rives de la médi-terranée, c’est qu’après presque 40 ans de coma profond, celle-ci a enfin reçu un shoot massif de son carburant essentiel : l’action collective des êtres humains. Car c’est bien l’irruption des peuples arabes sur les scènes politiques qui est en passe de changer définitivement le visage de l’Orient. Tous les ingrédients d’une explosion fermentaient depuis longtemps : cor-ruption, autoritarisme, misère, néocolonialisme, crise morale… La tension montait graduellement depuis des années, toujours muselée par l’appareil répressif. Mais il aura fallu un geste spectaculaire de désespoir singulier pour que tout bascule.

L’Histoire est toujours scandée de rencontres étonnantes entre des tendances sourdes et têtues qui creusent patiemment leurs galeries à la manière de la vieille taupe de Marx et des accidents conjoncturels vibrant suffisamment fort pour que le sol complètement vérolé s’effondre enfin. Elle palpite au rythme des culbutes individuelles et des grands mouve-ments collectifs. Personne ne peut dire où va le monde arabe. L’armée cèdera-t-elle le pouvoir en Egypte ? Les élections constitution-nelles mèneront-elle la Tunisie vers un régime démocratique ? Mohamed VI va-t-il réussir à endormir les marocains grâce à un lifting institution-nel ? Les occidentaux parviendront-ils à maintenir leur influence dans la région à coup de guerres humanitaires ? La révolte syrienne périra-t-elle noyée dans son propre sang ? Quelles articulations entre logiques claniques et rapports de classes ? Les révolutions politiques se changeront-elle en révolutions sociales ?

Laissons à nos intellectuels de salon le soin de se ridiculiser en jouant les « Madame Irma » de la politique internationale. Pour notre part, nous ne pouvons afficher qu’une seule certitude : tant que les peuples refuseront de rentrer gentiment au bercail et s’entêteront à investir le champ politique, à

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squatter toutes les places Tarhir, réelles ou symboliques, la réalité conti-nuera à voyager de métamorphoses en inventions. L’invention, la créativité, voilà qui change tout. C’est ce qui fit cruellement défaut aux dix dernières années que nous venons de vivre. C’est ce qui pourrait bien bousculer le règne monotone du capitalisme dans les temps à venir.

En sortant de l’immobilisme, en se mettant en danger pour revendiquer leur place dans la société, les hommes et les femmes se retrouvent dans l’obligation de négocier avec la réalité, de bricoler, d’improviser pour par-venir à leurs fins. Les manuels, les mantras et les vieilles recettes auxquels s’accrochent encore tant de forces organisées, ne sont plus d’aucune utilité lorsque la réalité se met à bouillir. Ce n’est pas un hasard si l’année 2011 est celle de la réhabilitation du terme « Révolution ».Faire la révolution, c’est projeter la société dans l’inconnu, mais c’est aussi le faire à l’aide de moyens et de pratiques inédites. Ce ne sont pas le parti bolchevik ou une quelconque avant-garde baignant dans la lumière qui a chassé Moubarak et Ben Ali, mais bien des milliers de personnes qui ont décidé de s’unir pour atteindre un but commun et ont façonné leurs propres modes d’organisation pour sortir victorieux.

S’organiser, s’associer en commun sans attendre de sauveur, c’est aussi ce qu’ont tenté de faire les indignés espagnols pour crier leur rejet des logiques capitalistes et des élites qui les servent. C’est le chemin que prennent les grecs où les britanniques qui refusent que la finance privée n’éponge sa crise en saignant à blanc l’ensemble du corps social. Déci-sions prises en commun, Assemblées Générales régulières, appropriation massive de l’espace public… ici aussi la créativité est de mise, et une fois encore, elle se pense et se vit collectivement.Tout se passe comme si la violence extrême exercée par le capitalisme, conjuguée à la capitulation et à la complicité des structures institution-nelles et partisanes, ne laissaient plus le choix aux peuples : prendre leur destin en main ou laisser les puissants définitivement foutre leur vie en l’air. Il y a donc quelque chose qui s’amorce.

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Une appropriation collective des pouvoirs

pour un usage commun du monde

Sans se mettre à lire dans une boule de cristal, il n’est pas inutile de s’interroger sur le sens d’un tel processus. Que veulent les êtres humains qui bousculent leurs chaînes de l’autre côté de la Méditerranée, qui font la grève générale en Grèce, qui occupent la Puerta del Sol à Madrid ? Quel serait le visage d’un monde remodelé à l’aune de leurs colères et de leurs aspirations ? Que souhaitons-nous, nous qui avons construit tout un livre pour cracher notre dégoût devant le gâchis des années 2000, notre rage de voir le capitalisme partout triompher, notre lassitude face à des organisa-tions politiques de gauche qui montrent quotidiennement qu’en définitive, cette société pourrie leur va comme un gant ?Pour nous mettre sur la piste, il nous suffit de humer ce qui rôde dans l’atmosphère. Les gens qui sortent de l’ombre aujourd’hui disent deux choses :

- Le capitalisme est devenu irrespirable. Il nous empêche de vivre. Plus moyen de trouver un travail, de louer un appartement, de faire des projets d’avenir.

- L’état et les partis politiques sont complices de cette tentative d’assassinat par étouffement. Ce qui commence à être proclamé avec plus ou moins de clarté, c’est que pour vivre, tout simplement vivre, il faut rompre radicalement avec l’ordre économique, politique et social existant. Les gens qui sortent de l’ombre aujourd’hui font deux choses :

- Ils décident d’agir directement pour changer ou dénoncer ce qu’ils trouvent injuste ou insoutenable, sans attendre que des partis ou des insti-tutions le fassent à leur place.

- En commun, ils construisent leurs propres moyens d’agir, qui s’appuient sur l’ensemble des individus en mouvement.

Ce qui est accompli, plus ou moins consciemment, c’est une réappropria-tion directe de l’action politique qui refuse la délégation de pouvoir. Il faut ici entendre le « verbe pouvoir », qui se conjugue à toutes les personnes et à tous les temps. Ceux qui luttent, en Espagne ou dans le monde arabe

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portent des revendications sociales, économiques, politiques. Mais leur première exigence réside toute entière dans leur manière de s’emparer de l’espace public. Ils ne veulent plus renoncer à leur capacité d’agir sur le monde. Ils désirent être maîtres de leurs gestes et sentir le bout de leurs actes. Ils refusent l’impuissance.Se dessinent ici les deux termes de l’équation d’un projet politique révolutionnaire :

- Le capitalisme nous empêche de vivre. Non seulement il nous confisque tout ce dont nous avons besoin pour mener une existence normale mais surtout il aspire nos énergies vitales, nos désirs et nos affects.

- Il est temps de prendre le contrôle de tous les aspects de nos vies, pour faire nos propres choix. Pour cela nous devons pouvoir décider, créer, pro-duire en commun. Pour cela, chaque personne doit pouvoir développer sa puissance d’agir pour l’associer à celle des autres. Un Pouvoir commun ne peut reposer que sur une association d’individus qui s’affirment et s’épa-nouissent. Pour briser l’emprise chaque jour plus totalitaire du système qui nous prive du monde, il faut lui opposer une réappropriation commune de ce monde. En ce qui nous concerne, nous nous inscrivons totalement dans cette perspective, nous la revendiquons. Nous allons même jusqu’à penser qu’elle incarne la seule voie qui puisse empêcher la crise systémique que nous traversons de dégénérer en catastrophe généralisée. Ce qui importe ici, c’est que le but recherché et le chemin à parcourir pour l’atteindre ne font qu’un.

Un monde qui appartient à chacun et à tous ne pourra être façonné que par une activité politique conduite par chacun et par tous. D’où une question centrale : comment s’organiser pour agir en ce sens ?Les partis politiques d’extrême gauche ne peuvent pas nous aider. Ils sont devenus des appareils de gestion totalement intégrés au système capita-liste. Ils en sont l’un des rouages. Comme l’état ou le Capital, ils captent le pouvoir d’agir des individus pour poursuivre leurs propres intérêts. En ce sens, ce sont « des patrons génériques », pour reprendre un concept élaboré par l’économiste Frédéric Lordon : des dispositifs de confiscation du pouvoir, des machines à formater et à orienter les désirs et les affects.

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Aux antipodes de cela, l’organisation que nous appelons de nos vœux ne peut être qu’une libre association de personnes qui décident ensemble de leurs actions communes, de leurs modes de fonctionnement, qui élaborent en commun leur projet politique, sans éluder la moindre question. Dans toutes ses activités, elle n’a pas d’autres choix que de produire de l’éman-cipation, de faire émerger jour après jour cette société sans classe, de démocratie réelle et d’épanouissement individuel qu’elle cherche à faire advenir. Nous avons l’intuition que ce changement radical naîtra du choc toujours renouvelé et approfondi entre l’action collective menée par l’ensemble des individus désirant en finir avec le capitalisme, et la réalité qui, en creux, foisonne de plus en plus de présupposés objectifs de dépas-sement des rapports sociaux actuels.

En approfondissant sa crise, en creusant toujours plus ses contradictions, le capitalisme crée les conditions de l’émergence d’une autogestion géné-ralisée, d’une baisse massive du temps de travail, d’une mutualisation et d’une coopération économique mondiale, d’une démocratie planétaire et de tant d’autres choses qui le contredisent. Ces potentialités sorties de ses propres flancs le menacent. Il fait donc tout pour les étouffer. C’est à nous de saisir cette matière brute pour la transformer, lui insuffler les formes que nous aurons choisies et imaginées. C’est pour cela que loin de faire sienne les rapports inégalitaires qui struc-turent notre société, une organisation politique révolutionnaire devra au contraire sans cesse élaborer et diffuser des rapports de pouvoir corrosifs pour le capitalisme et chercher constamment à se nourrir de tout ce qui produit de la subversion. Pour être elle-même, cette organisation ne devra pas virer à la structure rigide mais être un vaste mouvement qui embrasse l’ensemble de la société. Fatalement, sa révolution ne prendra pas le visage d’un « Grand Soir » qui résoud tout, le temps d’une subite prise du pouvoir. Elle s’incarnera plutôt dans un processus têtu et continu de subversion et de bouleversement du réel qui connaîtra des phases de rupture, d’élargis-sement, d’approfondissement, d’accélération, mais aussi des moments de crise. Ce mode d’organisation est encore en devenir. Ce projet politique reste encore largement impensé. On en perçoit des prémisses dans les

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mobilisations actuelles. Il appartiendra à tous ceux qui se battent d’inven-ter leur propre chemin.

Si une telle aventure se profile, nous ne resterons pas au bord de la route.Ce projet de société, cette conception de l’activité politique, c’est ce que nous appelons communisme, « du très possible communisme » : un effort constant et infini pour que les « hommes sachent vouloir pour les autres sans restriction les joies qu’ils poursuivent pour eux-mêmes et ne pour-suivent rien pour eux-mêmes qu’ils ne le désirent aussi pour les autres »(1). Vous partagez peut-être les mêmes aspirations en les nommant différem-ment. Cela n’a aucune importance. Ce qui est crucial, c’est de trouver enfin les voies pour éprouver et vivre ensemble notre commune émancipation.

(1) Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude, p 197, éditions La fabrique, Paris. La deuxième partie de la phrase est de Spinoza, Ethique, IV, 18, scolie.

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Remerciements

à ma compagne, qui a eu bien du mérite à me supporter pendant l’élaboration de ce livre, et à mes gosses qui me donnent encore l’ambition et la force de foutre en l’air cette société. Aux camarades et aux frangins qui nous ont soutenu contre vents et marées.Merci au frêrot Jayric qui nous a soutenu amicalement et financièrement ainsi qu'à la camarade Marianne pour ses précieuses corrections.

Fañch

Toute ma gratitude va tout d’abord à Gaëlle, qui a toujours su dispenser ses encouragements et ses critiques avec la même franchise. Sans son regard affûté et bienveillant, sans sa patience, écrire aurait été plus pénible.Merci à Pierre pour ses avis et son écoute et merci à Séverin, relecteur rigoureux, incisif sur le fond et sur la forme. Enfin, j’éprouve de la reconnaissance pour tous ces gens rencontrés en chemin, croisés ça et là, qui m’ont donné de l’espoir mais aussi pour tous les connards qui m’ont permis d’attiser ma rage, de rester en colère.

Munin

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2001. Début de siècle, nouveau millénaire et naissance d’une amitié entre deux enragés qui ont le communisme vissé aux tripes. Le premier est compagnon de route de Ligue Communiste Révolutionnaire. Fier de son trotskysme, il dessine pour esquisser les contours d’une autre so-ciété et vomir le système capitaliste. Le deuxième est alors un jeune militant du P.C.F et des jeunesses communistes qui s’accroche à son parti malgré des doutes grandissants qu’il tente d’exprimer en les couchant sur le papier.Comme toutes les rencontres, celle-ci fut complètement improbable. Il y a tou-jours quelque chose qui tient du miracle dans le hasard. Bon, le hasard fut un peu bordélique et pas très discret. Une soirée insipide dans laquelle nous n’au-rions dû nous trouver ni l’un ni l’autre. Subitement, le breton trotskyste se tape un coup de sang et se dresse pour chanter l’Internationale, le jeune commu-niste en difficulté avec la discipline de parti reprend la rengaine à l’autre bout de la salle dans une mer d’indifférence. Les tables se rapprochent, les verres se remplissent et s’entrechoquent, la conversation démarre sur les chapeaux de roue… le tour est joué.

Ça aurait pu être un dialogue de sourds entre un vilain stalinien et un méchant gauchiste. Mais il y eu une étincelle. La certitude immédiate de reconnaître un frère, un amour immodéré pour l’auto-dérision et surtout la conviction par-tagée qu’une société sans classes, de démocratie réelle, ça devait et ça pouvait exister. Commence alors un voyage fraternel et militant: les discussions houleuses et bien arrosées qui rapprochent, les combats politiques menés ensemble, les gueules de bois, les colères, les doutes et les frustrations, 2002, la Palestine, le capitalisme qui triomphe et la gauche radicale qui n’en finit pas d’être lamen-table, Sarkozy qui fait du Le Pen et du Thatcher appliqué… et toujours rien a l’horizon pour faire péter tout ça.

2011. L’amitié est toujours là, plus que jamais, le communisme aussi, tou-jours viscéral, mais débarrassé de toute attache à des boutiques partisanes incapables de se hisser à la hauteur d’une révolution pourtant plus que jamais nécessaire. Un communisme « SDF », désespérément en attente d’une organisation commune novatrice qui fabriquerait enfin de l’émancipation.Les deux camarades ont alors décidé d’utiliser mots et dessins pour raconter, sans complaisance et sans concessions, cette décennie telle qu’ils l’ont vécu et peut-être telle que vous l’avez vous-même traversé : une décennie de la défaite, notre défaite… qui ne doit pas s’éterniser jusqu’en 2020.

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