30
IMAGES ÉCONOMIQUES DU MONDE 2016 GÉOPOLITIQUE GÉOÉCONOMIE sous la direction de FRANçOIS BOST, LAURENT CARROUé, SéBASTIEN COLIN, CHRISTIAN GIRAULT, ANNE-LISE HUMAIN-LAMOURE, OLIVIER SANMARTIN, DAVID TEURTRIE

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IMAGES ÉCONOMIQUES DU MONDE 2016

GÉOPOLITIQUE • GÉOÉCONOMIE

sous la direction de

François Bost, Laurent Carroué,séBastien CoLin, Christian GirauLt,

anne-Lise humain-Lamoure,oLivier sanmartin, DaviD teurtrie

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Illustration de couverture : © Radius Images/Corbis

Composition : Soft Office

Cartographie : Carl Voyer

Statistiques compilées et mises en forme pour la partie « Aires régionales et pays » par Ophélie Petiot

© Armand Colin, 2015

Armand Colin est une marque de Dunod Editeur, 5, rue Laromiguière, 75005 Paris

ISBN : 978-2-200-29309-3

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LES AUTEURS

Benoît Antheaume Géographe, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement (IRD)

Jean Baffie Chargé de recherche au CNRS, UMR 7306 IrAsia, CNRS/université Aix-Marseille

Claire Beaugrand Politologue, Chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), Jérusalem

Nidhal Bencheikh

Économiste, directeur de recherche au Centre de recherches et des études sociales en Tunisie

Sophie Blanchard Géographe, PRAG, université Paris Est-Créteil, Lab’Urba

Mathieu Boulègue

Associé, cabinet de conseil en ma-nagement des risques et business diplomacy AESMA

Marie Bridonneau Maître de conférences en géographie, université Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Rémi Bordes Maître de conférences en langue et littératures du Népal, INALCO

François Bost Professeur de géographie, université de Reims Champagne-Ardenne

Tristan Bruslé

Géographe, chargé de recherche au CNRS, Centre d’Études himalayennes (UPR 299)

Christine CaBasset

Docteure en géographie e t en aménagement, chercheure associée à

l’UMR 8170 CASE (CNRS-EHESS) et à l’IRASEC

François Carré Professeur émérite de géographie, université Paris IV-Sorbonne

Laurent Carroué Directeur de recherche, Institut français de Géopolitique (IFG), université Paris VIII

Marie ChaBrol

Maître de conférences en géographie, université de Picardie-Jules-Verne, EA 4286 Habiter le Monde

Amandine chapuis

Géographe, ATER, université Paris-Est Créteil, Lab’Urba

Jean-Paul Charvet

Professeur émérite de géographie, université Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Christophe Chiclet

Historien et journaliste, membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée

Cécile Colange

Ingénieure de recherche, UMR CNRS 6266 IDEES, université de Rouen

Sébastien Colin

Maître de conférences en géographie, INALCO, chercheur au Centre d’Études Français sur la Chine contemporaine (CEFC, Hong Kong)

Marie-Sybille de Vienne Professeure, INALCO, chercheure à l’EA 4512 ASIES/INALCO

Igor delanoë

Historien, université Paris I

Bruno Dewailly

Géographe, enseignant à l’Institut

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Les Auteurs

4

d’urbanisme de l’ALBA, université de Balamand, chercheur associé à l’IFPO-Beyrouth

Clarisse Didelon

Maître de conférences en géographie, université du Havre, UMR IDEES

Martine Drozdz

ATER, université Paris IV-Sorbonne

Philippe Dugot Maître de conférences en géographie, université Toulouse-Jean-Jaurès

Nabil Ennasri

Essayiste, doctorant en sciences politiques à l’Institut d’éudes politiques d’Aix-en-Provence

Catherine fournet-guérin

Maître de conférences en géographie, université de Reims, Champagne-Ardenne

Jérôme Fourquet

Directeur du Département Opinion et Stratégie d’Entreprise, IFOP, Paris

Éric Frécon

Docteur en science politique, enseignant à l’École navale

J.-C. Gaillard

Associate Professor, School of Environment, The University of Auckland

Garik Galstyan

Maître de conférences en civilisation russe et soviétique, université Charles-de-Gaulle-Lille III

Clélia gasquet-Blanchard

Maître de conférences en géographie, université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, École des hautes études en santé publique (ESO)

Christian Girault

Géographe, directeur de recherche au CNRS, UMR CREDA-IHEAL, université Paris III

Boris grésillon

Professeur de géographie, université Aix-Marseille

Octavian Groza

Professeur de géographie, université de Iasi, Roumanie

David Guerrero

Chargé de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR)

Anne-Lise humain-lamoure

Maître de conférences en géographie, université Paris Est-Créteil, Lab’Urba

Sonia Jedidi

Docteure en géopolitique, Institut français de géopolitique (IFG), université Paris VIII

Claudio Jedlicki

Économiste, ingénieur de recherche au CNRS

Gaëlle Lacaze

Maître de conférences-HDR en ethnologie, université de Strasbourg

Elsa lafaye de micheaux

Maître de conférences en économie, université Rennes II, chercheure à l’IRASEC (Kuala Lumpur)

Antoine laporte

Maître de conférences en géographie, École normale supérieure de Lyon, UMR Environnement, ville et société

Mehdi lazar

Géographe, inspecteur de l’Éducation nationale, chercheur associé au laboratoire Géographie-cités, membre de l’équipe de direction de la Dallas International School

Céline Lesourd

Anthropologue, chargée de recherche au CNRS, Centre Norbert Elias, Marseille

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Les Auteurs

5

Benjamin lysaniuk

Géographe, chargé de recherche, CNRS, Laboratoire PRODIG

Delon madavan

Post-doctorant en géographie, CERIAS, UQAM (Montréal)

Kamala marius

Maître de conférences-HDR en géographie, UFR STC, université Bordeaux III-Montaigne, UMR LAM (Science Po Bordeaux), Institut français de Pondichéry

Marie mellac

Maître de conférences en géographie, université Bordeaux III-Montaigne, UMR 5185 ADESS (CNRS, Bordeaux) et IRASEC (Phnom Penh)

Sarah mekdjian

Maître de conférences en géographie, université Grenoble-Alpes, UMR PACTE

Dalila Messaoudi

Géographe, université de Versailles Saint-Quentin

Amin moghadam

Géographe, enseignant à l’INALCO et chercheur associé au laboratoire URMIS, université Paris VII-Denis-Diderot

Jean-François pérouse

Maître de conférences en géographie, université Toulouse-Jean-Jaurès, directeur de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA), Istanbul

Fabien Perrier

Maison d’éducation de la Légion d’Honneur, Saint-Denis

Laetitia Perrier-Bruslé

Maître de conférences en géographie, université de Lorraine

Ophélie Petiot

Étudiante en géographie, université de Reims-Champagne-Ardenne (URCA)

Caroline Petit

Ingénieur de recherches, INRA-Agroparistech

Vatthana Pholsena

Chargée de recherche au CNRS, IAO, maître de conférences en géographie à l’université nationale de Singapour

Christian Pihet

Géographe, vice-président du conseil scientifique de l’université d’Angers

Olivier Pliez

Géographe, directeur de recherche au CNRS, UMR LISST (Toulouse)

Françoise pommaret

Directrice de recherche CRCAO/CNRS, professeure associée ILCS, université royale du Bhoutan

Monique Poulot

Professeure en géographie, université Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Blandine Ripert

Géographe, chargée de recherche au CNRS, CEIAS (EHESS/CNRS)

Dominique rivière

Professeure des universités, Géographie-cités, université Paris VII-Denis-Diderot

Olivier Sanmartin

Maître de conférences en géographie, université de Tours, UMR CITERES-EMAM

Rémi Scoccimarro

Docteur en géographie, maître de conférences en langue et civilisation japonaises, université Toulouse Jean-Jaurès

Alexis Sierra

Maître de conférences en géographie, université de Cergy-Pontoise

Dominique soulancé

Maître de conférences en géographie, université Lille III, UMR 5185 ADESS (CNRS), Bordeaux

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Les Auteurs

6

Roman Stadnicki

Maître de conférences en géographie, université de Tours, UMR CITERES-EMAM

Jean-Fabien Steck

Maître de conférences en géographie, université Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Martine TaBeaud

Professeure de géographie, université Paris I-Panthéon-Sorbonne, laboratoire ENEC

Jérôme Tadié

Géographe, chargé de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR 205 Urmis

David teurtrie

Directeur du Collège universitaire français de l’université de Saint-Pétersbourg, chercheur associé au Centre de Recherches Europes Eurasie (CREE) de l’INALCO

Hervé théry

Directeur de recherche au CNRS, UMR CREDA-IHEAL, université Paris III

Florence Toix

Docteure en géopolitique, consultante et juge assesseur de l’asile (UNHCR)

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SOMMAIRE

DOSSIER Le monde sous tension(s)

Une planète humaine sous tension : crise sociale et développement 13La crise des vieux systèmes hégémoniques dans un monde polycentrique 21La crise de la gouvernance mondiale 28

POPULATION ET SOCIÉTÉ7 milliards d’hommes : les enjeux migratoires en Europe 34Inégalités : quand riches et pauvres font la Une 37Villes : la gentrification, un processus inéluctable ? 40Mobilités :les « réfugiés » dans le monde, enjeux géographiques et politiques 43Éducation : ségrégation et inégalités territoriales, les enjeux de la réforme de l’éducation prioritaire 46Santé : Ebola, une épidémie sans précédent 49Environnement : de l’ambiguïté du statut de lanceur d’alerte en France 51

ÉCONOMIE ET ÉCHANGESENTREPRISES 56Firmes transnationales 56Investissements directs étrangers 60Recherche et développement 65Emploi et division internationale du travail 68INDUSTRIES 72Dépenses militaires et aéronautiques 72Automobile 75Informatique, électronique, télécommunications, Internet, médias 80Textile-habillement 85ÉCHANGES 87Échanges internationaux 87Transports internationaux 95Tourisme 102FINANCES 104Finances, banques, assurances 104AGRICULTURE 110Agriculture 110Agriculture biologique 120Pêche 126

Produits tropicaux 129RESSOURCES 134Matières premières minérales et métallurgiques 134Énergies 139

AIRES RÉGIONALES ET PAYS

AMÉRIQUE DU NORD 152

Canada 154États-Unis 157

fLa métropole de Denver (État du Colorado) 161

Mexique 164

AMÉRIQUE DU CENTRE ET DU SUD 168

AMÉRIQUE CENTRALE ET CARAÏBES 170Costa Rica 170Cuba 171Dominicaine (République) 173Guatemala 174Haïti 174Honduras 175Jamaïque 175Nicaragua 176Panamá 176Salvador (el) 178Trinité-et-Tobago 178AMÉRIQUE DU SUD 179Argentine 179Bolivie 181Brésil 182

fRio de Janeiro : la reconquête des favelas en vue des jeux Olympiques 185

Chili 188Colombie 189Équateur 192Guyana 193Paraguay 194Pérou 194Suriname 196

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Sommaire

8

Uruguay (République orientale de l’) 196Venezuela (République bolivarienne du) 198

EUROPE 200

France 203 fToulouse 210 fRadiographie du vote frontiste

aux élections départementales de 2015 211Allemagne 217Autriche 218Balkans 219

fAlbanie 221 fBosnie-Herzégovine 222 fCroatie 222 fKosovo 223 fMacédoine 223 fMonténégro 224 fSerbie 224 fSlovénie 225

Belgique 225Bulgarie 227Chypre 228Danemark 229Espagne 230Finlande 233Grèce 234Hongrie 238Irlande 239Islande 240Italie 240Luxembourg 242Malte 243Norvège 243Pays baltes 244

fEstonie 245 fLettonie 246 fLituanie 246

Pays-Bas 247Pologne 247Portugal 249Roumanie 249Royaume-Uni 251Slovaquie 253Suède 254Suisse 255Tchèque (République) 257

EURASIE 259

EUROPE ORIENTALE 261Russie 261Bélarus 262Moldavie 264Ukraine 265

fSébastopol 267CAUCASE 268Arménie 268Azerbaïdjan 270Géorgie 271ASIE CENTRALE 272Kazakhstan 272Kirghizstan 275Ouzbékistan 277Tadjikistan 279Turkménistan 281

MAGHREB/MOYEN-ORIENT 283

MAGHREB 285Algérie 285Libye 287Maroc 289Mauritanie 290Tunisie 292MÉDITERRANÉE ORIENTALE 294Égypte 294Israël/Palestine 296

f Israël 296 fPalestine 296

Jordanie 298Liban 300

fTripoli 301Syrie 303Turquie 305PÉNINSULE ARABIQUE ET GOLFE PERSIQUE 307Arabie saoudite 307Bahreïn 309Émirats arabes unis 310Irak 312Iran 313Koweït 315Oman 316Qatar 316Yémen 318

AFRIQUE SUBSAHARIENNE 320

AFRIQUE DE L’OUEST 322Bénin 322Burkina Faso 322Cap-Vert 324Côte d’Ivoire 324Gambie 327Ghana 327Guinée 329Guinée-Bissau 329Liberia 330

fMonrovia : une ville face à ses crises 330

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Sommaire

9

Mali 333Niger 335Nigeria 336Sénégal 339Sierra Leone 341Togo 341AFRIQUE DE L’EST 342Burundi 342Djibouti 342Érythrée 343Éthiopie 343Kenya 345Ouganda 346Rwanda 348Somalie 348Soudan 349Soudan du Sud 350Tanzanie 351AFRIQUE CENTRALE 352Cameroun 352Centrafricaine (République) 354Congo 355Congo (République démocratique du) 357Gabon 359Guinée équatoriale 361Tchad 362AFRIQUE AUSTRALE 364Afrique du Sud 364Angola 365Botswana 367Lesotho 368Madagascar 368Malawi 370Mozambique 370Namibie 372Swaziland 373Zambie 373Zimbabwe 374

OCÉAN INDIEN 375Comores 375Maurice 376Seychelles 377

ASIE–PACIFIQUE 378

ASIE DE L’EST 380Birmanie (Myanmar) 380Cambodge 382Chine 384

fChongqing 388Corée du Nord 390Corée du Sud 393Indonésie 395Japon 398Laos 400Malaisie 402Mongolie 403Philippines 405Singapour 407Taiwan 408

fTaipei 410Thaïlande 413Timor Leste (Timor oriental) 415Vietnam 417ASIE DU SUD 419Afghanistan 419Bangladesh 421Bhoutan 423Inde 424Maldives 427Népal 428Pakistan 430Sri Lanka 432PACIFIQUE 434Australie 434Nouvelle-Zélande 436Salomon (îles) 438

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DOSSIERLe monde sous tension(s)

Une planète humaine sous tension : crise sociale et développement 13

Transition démographique, mises en tension et développement durable 13

Travail, emplois, chômage : la question sociale, le grand retour d’un enjeu universel 15

La crise des vieux systèmes hégémoniques dans un monde polycentrique 21

L’émergence de nouvelles puissances : « la grande émancipation » (Michel Foucher) 22

Les différents facteurs sociaux, géoéconomiques et géopolitiques de l’émergence 23

La montée de nouvelles rivalités géopolitiques, géostratégiques et militaires 27

La crise de la gouvernance mondiale 28

Les grandes institutions internationales en débat 28 Les réseaux d’alliance à géométrie variable

des grands pays émergents 29 La Banque asiatique d’investissement

pour les infrastructures chinoises 30

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Le monde sous tension(s)

L’actualité européenne et internationale vient rappeler chaque jour un peu plus le haut degré de tension, parfois même d’inflammabilité, dans lequel se trouve le monde. Alors qu’en 1989-1991 la fin de la guerre froide ouvrait de nouvelles perspectives en mettant fin à l’affrontement entre superpuis-sances ayant largement organisé l’architecture mondiale durant presque un demi-siècle, on doit constater 25 ans après que les facteurs de ten-sion, de crise ou d’affrontement sont aujourd’hui considérables, bien que de nature et de qualité sensiblement différentes. Pour autant, ce monde sous tension n’est en rien un monde chaotique qui serait à la fois illisible et inintelligible.

À condition bien sûr de faire l’effort d’en sérier, identifier et analyser les logiques, les acteurs et les lieux. Ainsi, la crise économique et finan-cière mondiale actuelle, ouverte en 2006, plonge ses racines dans les choix stratégiques (dérégulation, hypertrophie du secteur financier, etc.) opérés par les grands pays développés au début des années 1980 afin de refonder les bases de leur hégémonie mondiale après les reculs enregistrés face aux Suds dans les décennies 1960 et 1970 (voir les dossiers des Images écono-miques du monde 2009 et 2013). Depuis maintenant neuf ans, cette crise structurelle, loin d’être réglée, ne cesse de rebondir alors que les choix opérés par les autorités politiques et financières font surgir de nouvelles menaces. Ainsi, tandis que la régulation du secteur bancaire est en panne et qu’apparaissent de nouvelles bulles spéculatives sur des marchés (actions, obligations, immobilier, etc.) dopés par l’énorme création monétaire des dif-férentes banques centrales, le stock mondial de dettes, publiques et privées, dépasse les 200 000 milliards de dollars au printemps 2015, un château de cartes dont une partie est prête à s’effondrer à la moindre remontée des taux d’intérêt. La refondation du système économique et financier mondial demeure donc une question géoéconomique et géopolitique essentielle. Mais elle est loin d’être la seule.

Dans ce dossier sur « Le monde sous tension(s) », nous avons souhaité élargir les approches en réarticulant les enjeux sociaux et démographiques – trop souvent oubliés et passés sous silence dans les analyses du monde contemporain – aux enjeux géoéconomiques, géopolitiques et géostraté-giques. Il nous faut en effet apprendre à penser, sans la redouter, la com-plexité du monde en mobilisant autant que faire se peut une approche systémique. Dans ce cadre, il nous semble que ce que nous pourrions appeler la « question sociale » est inséparable à la fois de la question du développement au sens large (production de richesses, orientation, durabilité, financement,

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Le monde sous tension(s)

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efficacité et partage, etc.) et de celle, éminemment géopolitique, du ou des pouvoir(s) organisant l’architecture mondiale dans le cadre de jeux perma-nents d’interactions fonctionnant aux différentes échelles spatiales.

Une planète humaine sous tension : crise sociale et développement

Transition démographique, mises en tension et développement durableDans le dernier quart de siècle, la population mondiale est passée de 5,3 à 7,3 milliards d’individus, soit une hausse de + 2,1 milliards (+ 39,6 %). Dans le prochain quart de siècle, elle devrait encore augmenter de + 1,7 mil-liard pour atteindre les 9 milliards d’habitants en 2040 selon les projections de l’ONU. Si la population des régions développées demeure relativement stable, voire recule en Europe, les régions en développement portent l’essen-tiel de la croissance – passée et future – du fait de la dynamique spatiale du processus de transition démographique. Cette dynamique induit des recom-positions démographiques et sociales considérables expliquant des trajec-toires bien différenciées entre continents, sous-continents et États (voir le dépassement de la Chine par l’Inde vers 2028). Face à la décélération latino-américaine et à la stabilisation progressive de l’Asie de l’Est du fait pour l’essentiel de la Chine, l’Asie du Sud et l’Inde, l’Asie du Sud-Est, le Proche et le Moyen-Orient et, surtout, l’Afrique – qui doit polariser à elle seule presque la moitié de la croissance démographique mondiale du prochain quart de siècle – demeurent les plaques tectoniques les plus actives de la planète humaine comme l’illustre en Europe l’actuelle vague de migrants fuyant la misère ou la guerre.

Si l’accueil de 3,8 milliards d’hommes supplémentaires en un demi-siècle semble tout à fait concevable, cela pose cependant des défis majeurs aux économies et sociétés contemporaines en termes de développement, de financement de cet accueil et, surtout, de durabilité des différents modèles de développements adoptés. Le plus frappant dans l’approche actuelle des dynamiques mondiales par de nombreux acteurs est son caractère segmenté, car souvent très spécialisé. On assiste en effet le plus généralement à une forte déconnexion entre approches démographiques, sociales, géoécono-miques, géopolitiques et géostratégiques au détriment d’une construction systémique d’ensemble, qui constitue à l’inverse l’un des grands apports de la géographie. Il en ressort souvent que notre monde serait devenu soit illi-sible, soit chaotique, alors qu’il n’en est rien.

En un sens, jamais le besoin de géographie et de démarches géographiques pour comprendre de manière efficiente et intelligible le monde contempo-rain n’a été aussi considérable.

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DOSSIER

14

Un demi-siècle d’évolution de la population mondiale de 1990 à 2040

1990 2015 2040 % 1990

%2015

% 2040

Évol.1990/2015

% croissance mondiale

1990/2015

Évol. 2015/ 2040

% croissance mondiale

2015/2040

MONDE 5 321 7 325 9 039 100 100 100 2 004 100 1 714 100

Afrique 630 1 166 1 999 11,8 15,9 22,1 536 26,8 833 47,6

Afrique de l’Est 198 395 717 3,7 5,4 7,9 196 9,8 322 18,4

Afrique centrale 70 143 261 1,3 2 2,9 73 3,7 118 6,7

Nord de l’Afrique 140 217 294 2,6 3 3,3 77 3,9 77 4,4

Afrique méridionale 42 61 71 0,8 0,8 0,8 19 1 10 0,6

Afrique de l’Ouest 180 350 655 3,4 4,8 7,3 170 8,5 306 17,5

Asie 3 213 4 385 5 080 60,4 59,9 56,2 1 172 58,5 696 39,8

Asie centrale 50 66 82 0,9 0,9 0,9 16 0,8 16 0,9

Asie de l’Est 1 379 1 638 1 664 25,9 22,4 18,4 258 12,9 27 1,5

Asie du Sud-Est 444 633 764 8,3 8,6 8,5 189 9,4 131 7,5

Asie du Sud 1 192 1 794 2 224 22,4 24,5 24,6 602 30 430 24,6

Proche et Moyen-Orient

148 254 346 2,8 3,5 3,8 106 5,3 91 5,2

Europe 723 743 724 13,6 10,1 8 20 1 – 19 – 1,1

Europe de l’Est 311 293 260 5,8 4,0 2,9 – 18 NS – 32 – 1,8

Europe du Nord 92 101 112 1,7 1,4 1,2 9 0,5 11 0,6

Europe du Sud 143 156 154 2,7 2,1 1,7 13 0,6 – 2 – 0,1

Europe occidentale 177 193 197 3,3 2,6 2,2 16 0,8 4 0,2

Amérique latine 445 630 757 8,4 8,6 8,4 185 9,2 127 7,3

Caraïbe 34 43 48 0,6 0,6 0,5 9 0,4 5 0,3

Amérique centrale 115 172 218 2,2 2,3 2,4 57 2,8 46 2,6

Amérique du Sud 296 415 491 5,6 5,7 5,4 119 5,9 76 4,4

Amérique du Nord 282 361 426 5,3 4,9 4,7 79 3,9 65 3,7

Océanie 27 39 52 0,5 0,5 0,6 12 0,6 13 0,7

Australie-Nlle-Zélande 20 29 37 0,4 0,4 0,4 8 0,4 8 0,5

Source : ONU.

Malgré des progrès parfois spectaculaires, les chantiers du développement demeurent en tout point gigantesques pour les décennies qui viennent. À ce titre, la ligne de fracture Nord/Sud demeure globalement opératoire si elle est fondée sur la question du développement humain, social et économique. Car malgré leurs énormes progrès, des pays comme le Brésil, la Chine ou l’Inde demeurent dans leur ensemble encore loin, voire parfois très loin, des stan-dards des pays développés, du fait en particulier d’un dualisme sociospatial et d’un niveau d’inégalités internes exacerbé. Si la mortalité infantile mon-diale a été réduite de moitié en 15 ans, les écarts demeurent de 1 à 13 entre pays développés et pays en développement. Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) continue d’infecter 2,3 millions de personnes nouvelles par an, tandis que le paludisme, la tuberculose ou la rougeole font toujours

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ravages. En 2014, la vaste épidémie d’Ebola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest y a révélé les profondes carences médicales et institutionnelles et a abouti à une paralysie économique spectaculaire. L’arrêt brutal des grands chantiers miniers et le départ précipité des firmes transnationales y ont démontré que même une économie d’enclaves extraverties ne pouvait se développer sur un tissu sanitaire et social, ainsi qu’un encadrement politique et institutionnel, totalement déliquescent.

Paradoxalement, alors que notre planète n’a jamais produit autant de richesses, globales ou par habitant, puisque le PIB mondial a augmenté de + 83 % en monnaie constante en 25 ans, 1,5 milliard de personnes vivent encore dans une pauvreté multidimensionnelle (revenus, santé, éducation, niveau de vie). À ceci s’ajoute bien sûr le défi alimentaire : si 800 millions de personnes demeurent sous-alimentées (10 % de la population mondiale, contre 19 % en 1990), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization of the United Nations, FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estiment que plus de deux milliards d’habitants sont en état de sous-nutrition (la « faim invi-sible »), du fait de carences graves en apports de vitamines et de minéraux (zinc, iode, fer, vitamines A et B). Enfin, 768 millions de personnes n’ont toujours pas accès à une source d’eau potable de qualité minimale et 1,3 mil-liard à l’électricité.

Travail, emplois, chômage : la question sociale, le grand retour d’un enjeu universelSi la santé et la nutrition demeurent des enjeux majeurs, la question du tra-vail, de l’accès à l’emploi, du sous-emploi et du chômage – et donc des reve-nus monétaires ou non monétaires afférents – constitue une clé d’analyse essentielle des tensions actuelles, et ce à toutes les échelles géographiques et sous toutes les latitudes. Une partie de ces réalités est d’ailleurs couverte dans le jargon technocratique des institutions internationales par le terme très pudique et fort neutre de « croissance non inclusive », qui toucherait principalement les jeunes, les femmes et certaines régions rurales.

La croissance démographique se traduit en effet par une forte hausse de la population potentiellement active du fait de l’arrivée massive de jeunes en âge de travailler sur le marché du travail. Si elle constitue un atout majeur pour la création de richesses et le développement lorsque l’on sait s’en saisir (voir la thématique des « États développeurs » d’Asie de l’Est), elle repré-sente au contraire une réelle menace de tension et de déstabilisation si l’on n’y répond pas, comme en témoignent en Afrique les crises sahéliennes ou de la région des Grands Lacs. Cette question explique aussi, par exemple, l’extrême attention du gouvernement chinois à la croissance économique du pays, puisqu’il doit parvenir à créer de 10 à 15 millions d’emplois urbains par an s’il veut maintenir les équilibres sociaux, et donc politiques, du pays.

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DOSSIER

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Au total, la « question sociale » est bien devenue aujourd’hui un enjeu universel, et ce pour au moins deux raisons : un marché du travail de plus en plus mondialisé dans le cadre d’une division internationale exacerbée par des capitaux de plus en plus mobiles d’un côté ; des jeux d’interactions géo-économiques et géopolitiques à rayon d’action de plus en plus lointain entre pôles stables et zones de crises (voir par exemple les effets des crises syrienne ou sahélienne en Europe occidentale, les migrations des Rohingya birmans en Asie du Sud-Est, etc.) de l’autre. Ces liens d’interdépendance fonction-nelle sont aujourd’hui si denses et multiformes à la surface du globe qu’ils nécessitent une double approche géographique et géohistorique pour les analyser et y répondre. Premièrement, il faut emboîter les jeux d’échelles spatiales pour comprendre comment une crise locale ou régionale peut dégé-nérer en une situation conflictuelle d’échelle internationale. Deuxièmement, il faut cette fois emboîter les temporalités géohistoriques pour articuler élé-ments conjoncturels et facteurs structurels, eux-mêmes de plus ou moins longue durée.

Entre 1990 et 2015, la population active potentielle mondiale a augmenté presque de moitié (+ 46 %), soit d’un milliard, pour atteindre les 3,4 mil-liards d’individus en 2015. Géographiquement, 95 % de cette hausse est aux Suds : 60 % en Asie, 20 % en Afrique et 13 % en Amérique latine. En un quart de siècle, la population active potentielle a été multipliée par deux en Afrique ou en Mélanésie et a augmenté de 85 % en Amérique centrale et de 90 % au Proche et au Moyen-Orient, comme l’illustre la carte page 15. Si certains États y font face avec une relative efficacité (Brésil, Vietnam, Indonésie, Éthiopie, etc.), quitte à consommer parfois leur patrimoine natu-rel (par exemple avec les fronts pionniers agricoles ou forestiers), les migra-tions internationales (230 millions de personnes, + 33 % depuis 2000) jouent aussi un rôle de soupape dans un certain nombre de pôles émetteurs.

Surtout, cette carte souligne la large adéquation existant entre sociétés et économies bloquées, jeunesses sacrifiées, voire désespérées, et montées des tensions sociales et géopolitiques internes ou externes : Pakistan, Iran, pays du Golfe, Égypte, Algérie, Afrique de l’Est, Sahel, Golfe de Guinée (et notamment le Nigeria), Amérique centrale ou Mexique… Quatre ans et demi après les « printemps arabes », comment oublier que c’est bien la jeunesse qui, mêlant revendications sociales, économiques et démocratiques, a été au cœur d’un processus historiquement inédit balayant un certain nombre de régimes dictatoriaux, prédateurs et kleptomanes ? La région concentre en effet un des taux de chômage des jeunes les plus élevés du monde, en particulier parmi les diplômés, alors que 70 % des jeunes travaillent dans le secteur dit informel avec des revenus très bas et aucune couverture sociale.

Pour autant, on peut considérer à la lumière des projections sociodémo-graphiques que l’on n’a encore rien vu. Ainsi, durant ces seules cinq pro-chaines années, 213 millions de personnes – soit 42,6 millions par an – devraient arriver sur le marché mondial du travail, dont 200 millions – soit 94 % – dans les Suds. Au total, jamais nos sociétés humaines n’ont eu

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Au total, la « question sociale » est bien devenue aujourd’hui un enjeu universel, et ce pour au moins deux raisons : un marché du travail de plus en plus mondialisé dans le cadre d’une division internationale exacerbée par des capitaux de plus en plus mobiles d’un côté ; des jeux d’interactions géo-économiques et géopolitiques à rayon d’action de plus en plus lointain entre pôles stables et zones de crises (voir par exemple les effets des crises syrienne ou sahélienne en Europe occidentale, les migrations des Rohingya birmans en Asie du Sud-Est, etc.) de l’autre. Ces liens d’interdépendance fonction-nelle sont aujourd’hui si denses et multiformes à la surface du globe qu’ils nécessitent une double approche géographique et géohistorique pour les analyser et y répondre. Premièrement, il faut emboîter les jeux d’échelles spatiales pour comprendre comment une crise locale ou régionale peut dégé-nérer en une situation conflictuelle d’échelle internationale. Deuxièmement, il faut cette fois emboîter les temporalités géohistoriques pour articuler élé-ments conjoncturels et facteurs structurels, eux-mêmes de plus ou moins longue durée.

Entre 1990 et 2015, la population active potentielle mondiale a augmenté presque de moitié (+ 46 %), soit d’un milliard, pour atteindre les 3,4 mil-liards d’individus en 2015. Géographiquement, 95 % de cette hausse est aux Suds : 60 % en Asie, 20 % en Afrique et 13 % en Amérique latine. En un quart de siècle, la population active potentielle a été multipliée par deux en Afrique ou en Mélanésie et a augmenté de 85 % en Amérique centrale et de 90 % au Proche et au Moyen-Orient, comme l’illustre la carte page 15. Si certains États y font face avec une relative efficacité (Brésil, Vietnam, Indonésie, Éthiopie, etc.), quitte à consommer parfois leur patrimoine natu-rel (par exemple avec les fronts pionniers agricoles ou forestiers), les migra-tions internationales (230 millions de personnes, + 33 % depuis 2000) jouent aussi un rôle de soupape dans un certain nombre de pôles émetteurs.

Surtout, cette carte souligne la large adéquation existant entre sociétés et économies bloquées, jeunesses sacrifiées, voire désespérées, et montées des tensions sociales et géopolitiques internes ou externes : Pakistan, Iran, pays du Golfe, Égypte, Algérie, Afrique de l’Est, Sahel, Golfe de Guinée (et notamment le Nigeria), Amérique centrale ou Mexique… Quatre ans et demi après les « printemps arabes », comment oublier que c’est bien la jeunesse qui, mêlant revendications sociales, économiques et démocratiques, a été au cœur d’un processus historiquement inédit balayant un certain nombre de régimes dictatoriaux, prédateurs et kleptomanes ? La région concentre en effet un des taux de chômage des jeunes les plus élevés du monde, en particulier parmi les diplômés, alors que 70 % des jeunes travaillent dans le secteur dit informel avec des revenus très bas et aucune couverture sociale.

Pour autant, on peut considérer à la lumière des projections sociodémo-graphiques que l’on n’a encore rien vu. Ainsi, durant ces seules cinq pro-chaines années, 213 millions de personnes – soit 42,6 millions par an – devraient arriver sur le marché mondial du travail, dont 200 millions – soit 94 % – dans les Suds. Au total, jamais nos sociétés humaines n’ont eu

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une telle soif de travail et d’emplois. Si les questions climatiques sont avec raison au cœur de l’actualité médiatique de l’automne 2015 dans le cadre de la préparation de la Conférence des Nations unies sur les changements cli-matiques (COP21) qui aura lieu à Paris, il y a tout autant urgence à répondre enfin de manière juste, efficace, solidaire et pérenne à ces immenses besoins sociaux et sociétaux.

Car du fait de ses structures et de ses orientations, l’économie mondiale telle qu’elle est aujourd’hui s’avère incapable de relever ces immenses défis en ne créant pas suffisamment d’emplois alors que plus de 60 millions d’em-plois ont été détruits depuis 2008 du fait de la crise. Dans ces conditions, le sous-emploi et le chômage – même si ce concept est à manier avec précau-tion, car que signifie-t-il concrètement dans de nombreux pays des Suds où aucune indemnisation ou protection n’existe ? – explosent, en particulier du fait de la crise ouverte en 2006. L’Organisation internationale du tra-vail (OIT) de l’ONU estime que le nombre de chômeurs dans le monde est passé de 170 à 209 millions (+ 23 %) entre 2007 et 2015, en particulier en Asie de l’Est, en Asie du Sud, en Afrique subsaharienne et en Europe, et pourrait atteindre les 219 millions en 2018. Cette situation de blocage explique parfois le recul des taux d’activité, 30 millions de personnes décou-ragées préférant ne plus participer au marché du travail, un processus qui explique largement aujourd’hui les « bons » résultats des États-Unis ou du Royaume-Uni, souvent présentés pourtant comme des exemples de sortie de crise. Géographiquement, le chômage des jeunes est particulièrement élevé au Moyen-Orient et dans le nord de l’Afrique où il touche un jeune sur trois, dans certaines régions d’Amérique latine et des Caraïbes, et en Europe du Sud ou en France.

Cette insécurité sociale généralisée repose aussi sur l’importance, trop souvent sous-estimée, de l’emploi précaire et de l’emploi informel qui assurent des revenus instables et non sécurisés, ainsi qu’un accès limité ou inexistant à la sécurité sociale et à ses deux grands piliers (couverture santé, retraite). Selon l’OIT, seulement 25 % des actifs mondiaux disposent d’une relation d’emploi stable, contre 75 % d’emploi précaire (travail temporaire, contrats à durée déterminée, emplois informels sans aucun contrat, travail-leurs indépendants ou emplois familiaux non rémunérés). Ainsi, l’emploi informel varie de 20 % de l’emploi total en Europe de l’Est à 70 % dans les pays andins et d’Amérique centrale, voire 90 % dans certaines régions d’Asie du Sud et du Sud-Est. Dans ces conditions, l’exercice d’un emploi ne constitue pas la condition suffisante à une vie décente, comme en témoigne l’importance des travailleurs pauvres : 1,2 milliard de travailleurs, soit 39 % de la main-d’œuvre mondiale, vit avec moins de deux dollars de revenus journaliers en 2013, contre 1,7 milliard en 2000. Au total, plus de la moi-tié des travailleurs des pays en développement vit avec moins de 4 dollars par jour.

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Suds : Travailleurs vivant avec moins de 4 dollars US par jour (% emploi total)

1991 2000 2014 Diff.

Europe de l’Est 22,2 36,2 12,2 – 10

Amérique latine 39,1 37,4 18,5 – 20,6

Asie de l’Est 96,1 83,3 33,1 – 63

Moyen-Orient/Nord de l’Afrique 52,3 50,7 41,5 – 10,8

Pays en développement 82,5 78,4 53,2 – 29,3

Afrique subsaharienne 90,5 91,5 84,5 – 6

Asie du Sud-Est 88,8 84,8 88,4 – 0,4

Asie du Sud 97,5 96,4 88,6 – 8,9

Source : ILO, 2015.

Processus de déflation salariale et explosion des inégalités de revenu et de patrimoineAu sein du monde du travail, si l’emploi salarié représente environ la moitié de l’emploi, il tombe à seulement 20 % des actifs en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. La part des salaires dans les revenus des ménages, avant impôt et après transferts, va de 70 à 80 % dans les pays développés, à 50 à 60 % en Argentine et au Brésil pour tomber à 40 % au Pérou et 30 % au Vietnam. Dans de nombreuses économies, l’évolution des salaires est donc un déterminant majeur, voire essentiel, de l’évolution des inégalités de reve-nus et de patrimoine. Or le marché mondial du travail salarié est de plus en plus soumis dans de vastes secteurs productifs à la mise en concurrence des coûts salariaux sur des échelles géographiques de plus en plus vastes par des capitaux financiers et des investissements directs étrangers (IDE) souvent très mobiles, en particulier dans les emplois pas ou peu qualifiés de l’industrie (comme le textile) ou dans certains services péri-productifs (voir par exemple le cas de l’Inde pour les logiciels et centres d’appel). Selon une étude de l’OIT portant sur 40 États polarisant 65 % de l’emploi mondial, les chaînes d’approvisionnement mondiales (CAM) des réseaux productifs des firmes transnationales ont connu une très forte croissance en passant de 296 à 500 millions de travailleurs entre 1995 et 2007 (+ 204 millions, + 69 %), avant de connaître un sensible recul avec la crise pour tomber aujourd’hui à 453 millions (– 47 millions, – 9,4 %). Une des questions aujourd’hui posée est bien de construire un nouveau droit international du travail.

Cette internationalisation des firmes est concomitante avec le déploie-ment progressif à l’échelle mondiale depuis les années 1980 à partir du Royaume-Uni et des États-Unis d’un nouveau régime d’accumulation finan-cière qui a induit un gonflement totalement démesuré à la fois du stock et des flux de capitaux en circulation dans le monde en recherchant la rentabi-lité la plus élevée possible dans le cadre de logiques rentières et spéculatives.

Loin de financer le développement, ce nouveau régime d’accumulation financière a surtout permis un vaste transfert de la richesse créée du monde

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DOSSIER

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du travail vers les détenteurs du capital. En particulier, entre 1999 et 2013, la croissance de la productivité du travail dans les économies développées – mais aussi dans les pays émergents comme la Chine, la Turquie ou le Mexique – a été largement mobilisée pour rémunérer le capital au détriment du travail, comme en témoigne souvent la réduction sensible de la part du revenu allouée au travail (le rapport entre la rémunération du travail et le PIB).

Ce processus de déflation salariale s’est accentué avec la crise finan-cière puis économique ouverte en 2006. Entre 2008 et 2013, la réduction de la masse salariale dans les économies développées a porté sur environ 485 milliards de dollars. Dans certains pays (Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Japon, Royaume-Uni, États-Unis, etc.), les salaires moyens réels de 2013 sont inférieurs à leur niveau de 2007. Cette déflation salariale généralisée dans de nombreux pays a été longtemps compensée par une envolée de l’endettement des ménages, qui atteint aujourd’hui la somme astronomique de 100 000 milliards de dollars, et par la création de vastes bulles immobi-lières qui ont fini par inquiéter la Banque des règlements internationaux (BRI), qui a engagé une étude mondiale sur le sujet. Mais la crise financière a débouché sur un réveil brutal du fait d’une insolvabilité grandissante qui porte aujourd’hui en germe une menace de déflation généralisée induite par la faiblesse de la demande mondiale.

Explosion des prix immobiliers dans le monde entre 2000 et 2014 (en %*)

Russie + 795 Inde + 201 Singapour + 157 Australie + 49

Brésil + 568 Estonie + 188 Zone euro + 150 Corée + 44

Afrique du Sud + 486 Israël + 182 Finlande + 135 Belgique + 42

Colombie + 336 Pérou + 180 Indonésie + 82 Italie + 38

Hong Kong + 326 Chili + 178 États-Unis + 73 Canada + 35

Royaume-Uni + 255 Chypre + 163 Mexique + 64

Malaisie + 208 Suisse + 157 Autriche + 61

*Pour des raisons méthodologiques, ces données doivent être prises comme des ordres de grandeur.

Source : BRI, avril 2015.

C’est pourquoi on assiste depuis plusieurs décennies à une explosion des inégalités sans précédent depuis le début du xxe siècle. Le Crédit suisse estime ainsi que seulement 0,7 % de la population mondiale accapare 44 % de la richesse mondiale, un chiffre qui monte à 85 % pour seulement 8,6 % de la population mondiale. Face à la domination de cette étroite oligarchie représentant moins de 10 % de la population mondiale, la grande masse des catégories populaires, des laissés-pour-compte et des exclus représente 3,2 milliards d’adultes, soit 70 % de la population mondiale, et ne dispose que de 3 % de la richesse mondiale. Entre les deux, les « classes moyennes » représentent 21,5 % de la population mondiale mais ne disposent que de 12 % des richesses.

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Constituant une véritable bombe à retardement, ce dualisme exacerbé de la répartition de la richesse est socialement injuste, économiquement inefficace et politiquement déstabilisateur. Le processus de polarisation est tel que même le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’inquiètent aujourd’hui des conséquences structurelles de ces inégalités qui sapent la croissance économique mondiale. Dans de nombreux travaux récents, une attention croissante a été portée aux effets négatifs des inégalités sur la santé et l’éducation, sur la croissance économique, sur la stabilité politique et sur le consensus social nécessaire au bon fonctionnement des sociétés. Comme le souligne Éric Le Boucher dans sa chronique du journal Les Échos du 26 juin 2015 : « Il est significatif que ces institutions (OCDE, FMI, ndlr) en viennent à remettre en cause la doxa libérale sur un sujet aussi central, aussi tabou, que les inégalités et l’enrichissement » (p. 10). Pour l’ONG Oxfam, l’objectif est bien de « réécrire les règles » économiques, fiscales et sociales (lutte contre l’évasion fiscale, taxation du capital, instauration de salaires minimum, généralisation de la protection sociale aux plus pauvres, etc.) afin de corriger des inégalités devenues vertigineuses pour promouvoir « un monde plus juste et plus prospère ».

La pyramide sociale de la richesse mondiale (millions d’adultes, milliards de dollars et %)

Niveau de richesse détenue en dollars

Millions d’adultes

Richesse cumulée (milliards $)

% pop. mondiale

% richesse mondiale

Plus d’1 million $ 35 115 900 0,7 44

De 100 000 à 1 million 373 108 600 7,9 41,3

Sous-total(classes dominantes)

408 224 500 8,6 85,3

De 10 000 $ à 100 000 $(classes moyennes)

1 010 31 100 21,5 11,8

Moins de 10 000 $(classes populaires et exclus)

3 282 7 600 69,8 2,9

Source : Crédit suisse 2013, in L. Carroué, La planète financière, A. Colin, 2015.

La crise des vieux systèmes hégémoniques dans un monde polycentriqueÀ la crise sociale qui frappe une large partie de la planète répond une pro-fonde crise géopolitique du fait de la disparition d’un hégémon dominant. Les pôles organisant jusqu’ici la mondialisation contemporaine à leur profit que sont les États-Unis, l’Europe occidentale et le Japon voient aujourd’hui leurs vieux systèmes hégémoniques remis en cause par l’émergence de nou-velles puissances à vocation mondiale ou continentale dans le cadre d’une architecture de plus en plus polycentrique. Ce phénomène bouleverse nos

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DOSSIER

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modes traditionnels de représentation, encore très imprégnés des systèmes duals issus de la guerre froide, et nous oblige dorénavant à penser la com-plexité du monde et ses jeux permanents d’interactions qui fonctionnent à différentes échelles spatiales.

L’émergence de nouvelles puissances : « la grande émancipation » (Michel Foucher)Car loin d’être l’essor éthéré d’une simple échelle mondiale, la mondiali-sation et son architecture doivent être conçues comme des constructions systémiques d’essence éminemment politique articulant trois grands piliers interdépendants, de nature géoéconomique, géopolitique et géostratégique. Si l’effondrement de l’URSS et la fin de la guerre froide entre 1989 et 1991 ont débouché durant 10 à 15 ans (1990-2006) sur l’hégémonie de l’hyper-puissance étasunienne, selon l’expression d’Hubert Védrine, et de ses grands alliés occidentaux, la crise systémique ouverte en 2006 a profondément bou-leversé la donne. Les grands pays occidentaux sont aujourd’hui confrontés à une crise géoéconomique et financière d’une ampleur inédite depuis 1929 dont ils peinent à sortir, à une profonde crise politique et géopolitique fragi-lisant à la fois leur hard et leur soft power et, enfin, à une crise géostratégique des facteurs militaires de leur hégémon (échecs en Irak, Afghanistan, Syrie, Sahel). L’émergence de nouvelles puissances qui cherchent à défendre et à promouvoir leurs intérêts nationaux se traduit par un spectaculaire chan-gement des paradigmes structurant les grands équilibres qui organisaient jusqu’ici la mondialisation. À ce titre, la crise ouverte en 2006-2007 signe l’entrée véritable dans le xxie siècle. Par sa structure toujours plus poly-centrique, ce nouveau système constitue une rupture géohistorique d’une ampleur multiséculaire puisqu’il faut remonter au xve siècle pour retrouver une architecture mondiale équivalente. C’est ce que le géographe et diplo-mate Michel Foucher nomme la « grande émancipation ». Même si leur puis-sance demeure en tout point considérable, les pays occidentaux ne sont donc plus les seuls grands architectes du monde.

Quelles sont ces nouvelles puissances, avérées ou potentielles ? On peut tenter de proposer un classement organisé autour de trois niveaux d’échelles de puissance. On trouve premièrement quatre puissances que l’on peut qualifier de « mondiales » (Chine, Russie, Inde, Brésil) car déjà émer-gées, pour reprendre l’expression du géographe Hervé Théry concernant le Brésil, deuxièmement six puissances que l’on peut qualifier de « conti-nentales » (Mexique, Argentine, Afrique du Sud, Turquie, Arabie saoudite, Argentine) et, enfin, troisièmement six puissances que l’on peut qualifier de « puissances régionales potentielles » en voie progressive d’affirmation (Thaïlande, Malaisie, Éthiopie, Égypte, Iran et Nigeria).

Au total, il apparaît donc que seize États – émergés, émergents ou en voie d’émergence – s’affirment sur la scène internationale à différentes échelles. Malgré la sensible hiérarchie de puissance existant entre eux, leur grande

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diversité structurelle et parfois de fortes rivalités géopolitiques (par exemple entre l’Iran et l’Arabie saoudite au Proche et au Moyen-Orient, ou entre la Chine et l’Inde en Asie du Sud et dans l’océan Indien), tous ces États par-ticipent de la restructuration de la mondialisation. À l’échelle du monde, ils représentent déjà 57 % de la population et 30 % de l’économie.

Les 16 États émergents ou en voie d’émergence

Population 2014 (millions) PIB (millions $)

Exportations de biens

et services (millions $)

Valeur prod. minières

et manufacturière

(millions $)

4 puissances mondiales 2 974,6 15 459,3 2 834,6 2 627,4

6 puissances continentales 578,2 4 573,3 964,7 912,1

6 puissances potentielles 536,9 1 936,5 549,8 359,3

Total 16 États 4 089,7 21 969,1 4 349,1 3 898,8

MONDE 7 200,0 74 899 17 312,7 12 236

% 16 États/Monde 56,8 % 29 % 25,5 32

Source : d’après ONU et Banque mondiale.

Les différents facteurs sociaux, géoéconomiques et géopolitiques de l’émergenceLa dynamique de l’émergence doit être conçue dans une approche systé-mique articulant les facteurs démographiques et sociaux, géoéconomiques et géopolitiques. En un quart de siècle, les pays émergents ont capté plus de la moitié de la croissance démographique mondiale, du fait en particulier du poids de la Chine, de l’Inde, de l’Indonésie, du Brésil, du Nigeria ou du Mexique. Dans ce cadre, ils doivent relever deux grands défis : le développe-ment (scolarisation et formation, équipements : eau, électricité, transports, urbanisation, consommation des ménages, etc.), la résolution de profondes inégalités sociales et spatiales (voir les crises et luttes sociales en Inde, au Brésil ou en Chine). L’Afrique du Sud est ainsi à la fois le second pays le plus riche d’Afrique et le second État le plus inégalitaire du monde : 50 % des Sud-Africains vivent sous le seuil de pauvreté et 25 % sont au chômage. Comme le montre la carte p. 23, en un quart de siècle, ces 16 États émergents sont passés de 14 % à 29 % de l’économie mondiale en polarisant 35 % de la croissance mondiale, contre 24,3 % aux États-Unis et 19,5 % à l’Europe à 30. Alors que la Chine est devenue la 2e puissance économique mondiale devant le Japon, l’Inde (8e) talonne l’Italie, le Brésil (12e), le Mexique (13e) et la Russie (14e) l’Espagne, devant la Turquie (17e), l’Arabie saoudite (18e) et l’Indonésie (20e).

Cet ensemble réalise aujourd’hui plus de la moitié de la valeur de la pro-duction agricole mondiale et presque un tiers de la production industrielle manufacturière ou des investissements, qui y dopent en particulier le secteur

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du bâtiment et des travaux publics (BTP). Entre 1990 et 2013, ces pays ont joué un rôle majeur en réalisant une part notable de la croissance mondiale dans de nombreux secteurs. Ils sont en effet responsables de 66,5 % de la hausse mondiale de la production agricole, de la moitié de la croissance de l’investissement ou de la production manufacturière, d’environ un tiers de la croissance du commerce mondial, de la dépense publique ou de la dépense des ménages.

Les 16 États émergents : poids mondial en 2013 et poids dans la croissance mondiale (%)

% mondial 2013

% croissance mondiale

1990/2013

% mondial 2013

% croissance mondiale

1990/2013

Prod. agricole 53 66,5 Exportations 25,5 30

Investissements (FBCF) 32 49,6 PNB 29 35

Production ind. manufacturière 31,8 51 Transports 21,9 28

Bâtiment 28,7 96 Consommation des ménages 21 30,6

Importations 26 32 Dépenses publiques 19,6 32

Source : d’après ONU.

L’apparition en leur sein de nouvelles couches salariées solvables et un doublement en un quart de siècle des dépenses de consommation des ménages aboutissent à une sensible réorganisation géographique des mar-chés mondiaux et des flux et stocks d’IDE. Le stock d’IDE y a augmenté de 68 % ces sept dernières années pour représenter 22,5 % du stock mondial d’IDE et 70 % du stock mondial d’IDE investis dans les Suds. S’ils sont donc très attractifs, ces 16 États partent aussi à l’assaut du monde. Le stock d’IDE que leurs firmes transnationales ont investi à l’étranger a augmenté de 88 % ces sept dernières années, en particulier du fait de la Chine, de la Russie, du Brésil, de la Malaisie et de l’Inde. En une quinzaine d’années, ils se sont en effet dotés de leurs propres firmes transnationales : 94 d’entre elles figurent dorénavant parmi les 500 premières firmes mondiales.

Alors que la Chine est devenue le premier déposant mondial de brevets en 2011, ils cherchent à remonter les filières technologiques stratégiques (aéronautique et spatial, armements, électronique, télécommunications, transports, chimie, pharmacie, etc.) en obtenant souvent des transferts de technologies. Leur croissance a parfois permis d’accumuler un capital finan-cier considérable, qui en font dorénavant les créanciers du monde (la Chine détient ainsi les premières réserves de change du monde, avec 3 500 mil-liards de dollars). Leurs fonds souverains placent leurs capitaux dans la banque, l’immobilier, l’industrie ou les services, dans les pays du Nord mais aussi de plus en plus dans les pays des Suds. Alors que 80 % de la dette publique mondiale est aujourd’hui au Nord, celui-ci dépend de plus en plus des capitaux chinois ou du golfe Persique pour ses financements (la dette totale des États-Unis représente 75 % du PIB… mondial).

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Ces stratégies autonomes débouchent sur l’affirmation de nouvelles dynamiques Sud-Sud comme en témoigne, par exemple, en Afrique ou en Amérique latine, l’influence grandissante de la Chine au détriment des inté-rêts occidentaux. De même, l’essor de la demande chinoise des dernières décennies a profondément bouleversé les marchés mondiaux des matières premières, la hausse structurelle des prix dopant en retour largement les économies rentières du golfe Persique, d’Afrique ou d’Amérique latine. A contrario, le ralentissement chinois de 2014-2015 et la crise des pays occidentaux se traduisent aujourd’hui par un effondrement spectaculaire des prix mondiaux, de – 30 % à – 50 % selon les produits, qui déstabilise les économies, et parfois les régimes politiques, des pays rentiers des Suds. Enfin, ces nouvelles puissances ont été capables de déployer de nouvelles logiques d’intégration continentale portées par des organisations régionales spécifiques dans lesquelles elles jouent un rôle majeur – Marché commun du Sud (Mercado Común del Sur, Mercosur) en Amérique du Sud, Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Association of Southeast Asian Nations, ASEAN) en Asie du Sud-Est, Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC) en Afrique australe, golfe Persique, etc., alors que le Brésil a mis en échec le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) promue par Washington pour l’ensemble de l’hémisphère américain. Chacune de ces puissances souhaite en effet intégrer politiquement, institutionnellement et économiquement son espace continental d’insertion en le stabilisant lorsque cela est possible à son profit. Elles mobilisent aussi des capacités de projection et d’action à l’échelle mondiale ou continentale (influence culturelle et linguistique, investissements et prêts financiers, accords diplomatiques, mobilisation des réseaux diasporiques en Inde et en Chine, etc.).

Pour autant, cet ensemble d’États est organisé par une sensible hié-rarchie entre puissances. Car la transformation de la puissance territoriale, démographique ou économique en puissance stratégique suppose qu’un cer-tain nombre de conditions soient réunies en interne : contrôle, maîtrise et valorisation du territoire national, nature, qualité et efficience de l’appareil d’État, stabilité politique et sociale, capacité à définir un projet géopolitique collectif partagé et porté par la nation, etc. Ainsi, face à une Russie en conva-lescence et à une Inde et un Brésil confrontés à de redoutables défis de déve-loppement internes, la Chine apparaît malgré de réelles fragilités comme un géant en pleine affirmation. Face à un Mexique de plus en plus ancré aux États-Unis, l’Arabie saoudite et la Turquie s’affrontent dans la promotion de deux modèles politiques et idéologiques islamistes sensiblement divergents au Proche et au Moyen-Orient. Si l’Afrique du Sud cherche de plus en plus à s’affirmer en Afrique subsaharienne, le Nigeria et l’Égypte sont en crise alors que l’Éthiopie tente avec difficulté de stabiliser son environnement immédiat dans la Corne de l’Afrique tout en jouant stratégiquement la carte étasunienne.

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La montée de nouvelles rivalités géopolitiques, géostratégiques et militairesCes différents facteurs permettent l’expression de nouvelles rivalités de puissances. Celles-ci débouchent sur une nouvelle conflictualité qui caracté-rise dorénavant l’architecture internationale dans laquelle l’ordre mondial n’est plus gardé par des puissances mondiales assurées (voir par exemple les logiques hégémoniques des États-Unis et de l’Europe), qui ont accumulé des échecs géostratégiques majeurs (Irak, Afghanistan, etc.) conduisant parfois même à leur discrédit moral et politique dans de vastes portions du monde. Aux plans géopolitique, géostratégique et militaire, on assiste en particulier à l’affirmation d’une forte montée de tensions multiformes – fondées sur des jeux d’influence entre puissances rivales – à la fois enchevêtrés et à géométrie variable dont l’Asie de l’Est, du Sud-Est et du Sud, d’un côté, et le Proche-Orient élargi (Sahel, Corne de l’Afrique, etc.), de l’autre, sont l’acmé. Dans ce contexte, on doit relever que les dépenses militaires des 16 puis-santes émergentes ont augmenté de + 160 % entre 2000 et 2014, pour atteindre les 517,7 milliards de dollars, soit 30 % des dépenses mondiales.

La grande nouveauté de ce monde polycentrique est qu’il se caractérise par l’autonomisation croissante de nouveaux acteurs étatiques cherchant à défendre et à promouvoir leurs propres intérêts et conceptions géopoli-tiques. On trouve bien sûr la Chine dont l’affirmation croissante, en parti-culier maritime, bouleverse les équilibres géostratégiques en Asie de l’Est face aux États-Unis et au Japon, mais aussi la Russie (Crimée, Ukraine) ou encore l’Inde, qui en Asie du Sud fait face au Pakistan alors que l’Afgha-nistan devient le champ clos de nouvelles concurrences régionales (Inde, Chine, Pakistan, Iran, Russie).

Plus frappante encore est l’autonomie géopolitique affirmée par la Turquie, un des piliers traditionnels de l’Organisation du traité de l’Atlan-tique nord (OTAN), de l’Iran, de l’Arabie saoudite ou, dans une moindre mesure, de l’Égypte, sans compter les stratégies des Émirats arabes unis ou du Qatar dopés par la rente des hydrocarbures, sur la scène proche-orien-tale. Celle-ci est en effet sortie profondément déstabilisée de l’effondrement puis de l’implosion des deux États clés qu’étaient l’Irak et la Syrie, sous les effets directs ou indirects de l’aventurisme des néoconservateurs étasu-niens sous les présidences Bush père et fils, qui avaient pour objectif de redessiner à leur profit un « Grand Moyen-Orient ». Selon leur rang et leur puissance géopolitique et géoéconomique, ces nouveaux acteurs y déploient des leviers d’influence multiformes à différentes échelles et s’insèrent dans des réseaux d’alliances complexes en interaction dynamique dans lesquels la manipulation, le financement et l’armement de mouvements non étatiques, qui instrumentalisent selon des logiques plus ou moins sectaires les iden-tités religieuses, jouent parfois un rôle majeur (à l’instar des mouvements djihadistes). L’Iran et l’Arabie saoudite s’affrontent ainsi par procuration au Liban, en Syrie, en Irak ou au Yémen.

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Enfin, l’essor de certaines marines de guerre (Chine, Japon, Brésil, etc.) ou la multiplication des achats de matériels plus légers (vedettes, patrouil-leurs légers, corvettes) par des États de troisième rang (par exemple le Gabon ou le Sénégal) souhaitant mieux protéger leurs eaux territoriales et leurs zones économiques exclusives (ZEE) rappellent la montée croissante des grands enjeux maritimes dans notre monde contemporain.

Pour autant, les dynamiques géopolitiques et géostratégiques mondiales ne sont pas réductibles aux seules logiques directes de puissance, comme l’illustrent les très fortes tensions travaillant l’isthme centre-américain ou la zone sahélienne. Les énormes troubles sociodémographiques, le mal-déve-loppement économique, les conflits internes pour accaparer les ressources rentières et une dépendance multiforme posent aussi parfois la ques-tion centrale de la construction et de la viabilité des États et des nations. L’indépendance en juillet 2011 puis l’implosion aujourd’hui du Sud-Soudan sont venues rappeler la fragilité structurelle des États méridionaux de la bande sahélienne (Tchad, Niger, Mali, Mauritanie) alors que la Libye implose en déstabilisant toute la zone par la prolifération des armes sorties des arsenaux de Mouammar Kadhafi.

La crise de la gouvernance mondiale

Les grandes institutions internationales en débatDans un contexte de fortes tensions, d’affaiblissement de l’hégémon occi-dental et d’un jeu entre puissances multiples ouvert et plus instable, que signifie le passage à un nouveau monde polycentrique ? Allons-nous vers un nouveau choc d’ambitions rivales exacerbées ou vers la construction d’un nouvel ordre international plus équilibré, plus juste et plus solidaire ? On doit relever que depuis deux ou trois décennies, la nouvelle dynamique polycentrique de l’architecture mondiale fragilise les différentes institutions internationales mises en place après 1945 afin de réguler l’ordre géoécono-mique et géopolitique mondial. Trois facteurs jouent aujourd’hui un rôle majeur dans la paralysie de la gouvernance mondiale.

Premièrement, aucun consensus universel n’émerge entre États souve-rains sur un certain nombre d’enjeux fondamentaux, comme en témoignent les échecs des négociations sur l’ouverture d’un nouveau round concernant le commerce mondial à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou, plus emblématique encore, les difficultés rencontrées dans les négociations sur la lutte contre le réchauffement climatique (par exemple le protocole de Kyoto) dont témoigne la faiblesse des avancées enregistrées lors de la COP21 qui se tiendra à Paris à l’automne 2015. Dans ces débats et affrontements, il est inté-ressant de relever que chaque partie mobilise des arguments à la fois sociaux, géoéconomiques et géopolitiques pour valider et expliquer ses positions.

Deuxièmement, les revendications géopolitiques et géoéconomiques des Suds, en particulier des pays émergents, concernant la refonte des grandes

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institutions internationales sont aujourd’hui bloquées ou rejetées, en parti-culier par les États-Unis mais aussi une partie des États européens. L’échec des réformes du FMI, de la Banque mondiale ou du Conseil de sécurité de l’ONU témoigne du refus de concéder plus de pouvoir, et donc plus d’in-fluence, aux nouvelles puissances des Suds. Au FMI, les grands pays émer-gents – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – ne disposent ainsi que de 10,3 % des droits de vote, très loin donc de leur poids démographique et surtout économique. La réforme présentée en 2010 qui prévoyait à la fois un doublement du capital du FMI (les quotes-parts) et, surtout, une redistribution de l’actionnariat au profit des pays émergents, et qui devait entrer en vigueur à l’automne 2012, est toujours bloquée par le Congrès. Aujourd’hui, la Chine a ainsi une place totalement minorée dans les ins-titutions financières internationales avec 6,47 % des droits de vote à la Banque asiatique de développement (BAD), 5,17 % à la Banque mondiale et 3,81 % au FMI.

Troisièmement, en effet, les positions et leviers d’hégémonie des États-Unis, première puissance mondiale, sont aujourd’hui de plus en plus cri-tiqués ou menacés. Qu’il s’agisse, par exemple, du privilège exorbitant acquis par le dollar dans le système économique et financier mondial qui permet au pays de vivre largement au-dessus de ses moyens, du contrôle exercé sur l’Internet et le web (voir par exemple le changement de statut de l’ICANN, le régulateur mondial de l’Internet, qui doit devenir une organi-sation internationale installée à Genève) ou du rôle de la National Security Agency (NSA) comme centre mondial d’espionnage, y compris des pays alliés comme la France ou l’Allemagne. Un des enjeux d’avenir réside dans la manière dont les États-Unis vont relever les défis contradictoires auxquels l’affirmation de leur puissance doit faire face. Face à ce qu’Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, appela l’« irrealpolitik » de la Pax Americana des néoconservateurs étasuniens, qui jouent encore un rôle majeur au Congrès, les élites de Washington vont-elles tout simplement accepter de tenir enfin compte des nouvelles complexités géopolitiques du monde en mettant fin à leur brutale hégémonie ? La question est d’autant plus brûlante que face aux blocages de Washington, les grands pays émer-gents se sont lancés dans une stratégie de « contournement » des États-Unis qui s’avère de plus en plus opératoire.

Les réseaux d’alliance à géométrie variable des grands pays émergentsFaute de pouvoir les transformer de l’intérieur, les dirigeants politiques des grands pays émergents ont en effet décidé de contourner les institu-tions de Bretton Woods en multipliant leurs liens bilatéraux et en se dotant de leurs propres institutions autonomes, malgré les divergences d’inté-rêts qui peuvent parfois les opposer. L’institutionnalisation de rencontres politiques annuelles entre les chefs d’État du Brésil, de l’Inde, de la Chine,

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de la Russie et de l’Afrique du Sud apparaît avec le sommet d’Iekaterinbourg de juin 2009, suivi de Brasilia en 2010, Hainan en 2011, New Delhi en 2012, Durban en 2013, Fortaleza en 2014 et Ufa en 2015.

Le sommet de Fortaleza marque un réel tournant qualitatif dans leur collaboration, avec la création d’une Nouvelle banque de développement (NBD) dotée d’un capital de 100 milliards de dollars dont le siège est à Shanghai et dont le président est un Indien. Créée pour financer des pro-jets d’infrastructure, de santé ou d’éducation, sa force de frappe financière peut être portée à 350 milliards de dollars de prêts, sans conditionnalité de conditions contraignantes (contrairement à l’imposition de « réformes struc-turelles » par le FMI) pour les États emprunteurs. La NBD est complétée par la création d’un Fonds commun de réserve de change (FCRC), doté à terme de 100 milliards de dollars destinés à faire face à une crise éventuelle des balances des paiements due au retrait brutal des capitaux spéculatifs occidentaux.

La Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures chinoisesÀ côté de ces logiques interétatiques, la Chine – grâce à la puissance éco-nomique et financière accumulée ces dernières décennies – joue aussi sa propre partition. Par exemple, lancée en 2015, la création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank, AIIB) lui permet de se positionner officiellement comme une rivale directe des États-Unis en matière de financement international du développement des pays des Suds. L’objectif stratégique de l’AIIB est de torpiller le monopole acquis par la Banque asiatique de développement créée en 1966, dominée par les États-Unis et le Japon, dont le siège est à Manille et le président japonais. Au grand dam de Washington qui a cherché à s’oppo-ser au projet en multipliant les pressions sur ses alliés directs (Royaume-Uni et Australie notamment), l’AIIB a acquis un véritable statut international en quelques mois. Plus d’une cinquantaine d’États ont fait le choix d’y adhé-rer comme membres fondateurs (Inde, Russie, Australie, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse, Australie, Taiwan, Corée du Sud, Indonésie, Thaïlande, Pakistan, Iran, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Égypte…). En réaction et afin de ne pas être totalement marginalisé, le Japon a annoncé au printemps 2015 une aide de 100 milliards de dollars pour soutenir le développement des infrastructures des pays asiatiques sur les cinq pro-chaines années.

Au total, les exemples de la NBD, du FCRC et de l’AIIB sont très inté-ressants au plan géoéconomique et géopolitique car ils peuvent être consi-dérés comme un premier laboratoire grandeur nature d’une remise en cause majeure des institutions internationales dominées par les Nords, en parti-culier les États-Unis, dont les réformes internes pour faire une place plus grande aux nouvelles puissances des Suds sont refusées depuis plusieurs