Immeuble CDS-UNIKIN - idrc.ca EN/Revue-Speciale... · 3 E ncline à la tradition qui révèle et consacre son caractère multidisciplinaire, marquée par la publication dans un même

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SOMMAIRE

EDITORIAL par Sylvain SHOMBA KINYAMBA ��3

APPROCHE SOCIOHISTOIRE DE LA VIOLENCE URBAINE DANS LA VILLE DE KINSHASA par Donatien OLELA NONGA ��4

VIOLENCE JUVENILE A KINSHASA : CONTEXTE ET PREVENTION POSSIBLE par Sylvain Shomba Kinyamba �� 10

SERVICES PUBLICS ET ACTIONS DE LA POLICE NATIONALE CONGOLAISE. UN BILAN A DEMI TEINT ? par Célestin MUSAO KALOMBO MBUYU �� 21

GANGSTERISME JUVENILE A KINSHASA : Soubassement et illusions – désillusions liées aux stratégies de lutte par Sylvain SHOMBA KINYAMBA �� 35

LES VA ET VIENT DES KULUNA ENTRE LES CENTRES DE DETENTION ET LA CITE A L’AUNE DES OPINIONS DES HABITANTS DE LA COMMUNE DE NGABA par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu �� 41

HOMME ET FEMME AU CŒUR DE TOUTE VIE SOCIALE. QUEL SENS ET QUELLE PLACE POUR LE GENRE DANS UNE SOCIETE MATRILINEAIRE ? par P� NGOMA-BINDA �� 48

DE L’EFFECTIVITE DES LOIS RELATIVES A LA PARITE HOMME-FEMME EN R.D.C par Dr� SEKIMONYO WA MAGANGO, PhD, et Gaspard AMBEMANE AKEMANE ................................... 55

LES FEMMES, LA PAUVRETÉ ET LE MICROCRÉDIT INFORMEL EN RDC par Ingrid MULAMBA FEZA �� 61

OBSESSION IDENTITAIRE SOUVERAINISTE ET EXCLUSIONS URBAINES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO par Sylvain SHOMBA KINYAMBA �� 66

APPROCHE THEORIQUE ET EMPIRIQUE A L’ETUDE DE LA PAUVRETE URBAINE EN RDC : NOTE DE REVUE DE LA LITTERATURE par Justin KANKWENDA MBAYA, François MUKOKA NSENDA et Willy MBALANDA LAWUNDA �� 71

INSTABILITE POLITIQUE ET PAUVRETE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO par Jean-Pierre LOBHO Lwa DJUGUDJUGU �� 78

KINSHASA – MBUJI-MAYI, PROBLEMATIQUE DES INEGALITES, DE LA PAUVRETE ET DE LA VULNERABILITE DES CITADINS par Justin KANKWENDA MBAYA, François MUKOKA NSENDA et Willy MBALANDA LAWUNDA �� 83

HEUREUX CEUX QUI « SEMENT ». EGLISES DE REVEIL ET PAUPERISATION DES ADEPTES A KINSHASA par Gaston MWENE BATENDE �� 87

URBANISATION, PAUVRETE ET DETERIORATION DE L’ENVIRONNEMENT URBAIN A KINSHASA par Evariste Tshishimbi Katumumonyi �� 91

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LES AUTEURS

Sylvain SHOMBA KINYAMBA, Professeur Ordinaire, Département de Sociologie, Université de Kinshasa et Directeur de la Chaire de Dynamique Sociale (CDS).

Jean Pierre LOBHO lwa DJUGUDJUGU, Professeur Ordinaire, Département des Sciences Politiques et Administratives, Université de Kinshasa.

P. NGOMA BINDA, Professeur Ordinaire, Département de Philosophie, Université de Kinshasa et Ministre Provincial au Kongo Central.

Justin KANKWENDA MBAYA, Docteur en Economie de l’Université de Kinshasa, ancien Professeur à l’ISTI, haut cadre retraité du PNUD.

François MUKOKA NSENDA, Professeur Ordinaire, Département des Sciences Politiques et Administratives, Université de Kinshasa.

SEKIMONYO wa MAGANGO, Professeur Ordinaire, Département de Démographie, Université de Kinshasa et Président du Conseil d’Administration à l’Institut National de Sécurité Nationale.

Gaston MWENE BATENDE, Professeur émerite, département de sociologie Université de Kinshasa, Responsable du Département des projets à la CDS.

Evariste TSHISHIMBI KATUMUMONYI, Professeur Ordinaire, Département de Sociologie, Université de Kinshasa.

Célestin MUSAO KALOMBO MBUYU, Professeur Associé, Chef du Département des Sciences Politiques et Administratives, Université de Kinshasa.

Jean Pierre MPIANA TSHITENGE, Professeur Associé, Département de Sociologie, Secrétaire Académique de la Faculté des Sciences Sociales, Université de Kinshasa.

Donatien OLELA NONGA, Professeur Associé, Département de Sociologie, Université de Kinshasa, Responsable du Département des projets à la CDS.

Willy MBALANDA LAWUNDA, Professeur Associé, Département de Sociologie, Université de Kinshasa.

Ingrid MULAMBA FEZA, Chef de Travaux, Département de Sociologie, Université de Kinshasa, Responsable de l’administration et de finance à la CDS.

Gaspard AMBEMANE AKEMANE, Licencié en Démographie, Université de Kinshasa

Immeuble CDS-UNIKIN

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Encline à la tradition qui révèle et consacre son caractère multidisciplinaire, marquée par la publication dans un même numéro, des articles relevant des thématiques

diverses puisées des enjeux et mouvements sociaux, la revue de la Chaire de Dynamique Sociale publie ce jour, pour la deuxième fois de son histoire, et ce depuis 15 ans, un numéro spécial consacré à une thématique. A cet effet, comme en 2010, lors de la première parution du genre, aujourd’hui encore, le thème de prédilection reste la question de la sécurité en RDC. S’agit-il ici d’une simple coïncidence singulière ? Bien sûr que non. Cette optique rarissime tient, à notre avis, à l’actualité brûlante qu’affiche le thème de violence associé, cette fois-ci, à la pauvreté et aux exclusions dans les villes congolaises.

En effet, scruter une telle question dans ce pays post-conflit, permet de satisfaire deux zones d’intérêt. La première est scientifique, la seconde sociale.

Sous l’angle académique, la matière exploitée et traitée a permis de tester, de contextualiser, d’innover et d’étendre la philosophie, les théories sociologiques et politiques en rapport avec les perceptions, le vécu et les moyens de lutte contre l’insécurité en RDC.

Au plan social, la vulgarisation des résultats des études alignées dans ce numéro permettrait, à coup sûr, de faire redresser durablement la situation pour le grand bonheur du peuple congolais qui aspire à la paix et à la reconstruction nationale. A ce propos, l’allusion est faite spécialement aux partenaires internationaux du gouvernement congolais, notamment le CRDI et l’UKAID dont l’implication dans le processus de l’instauration de la paix civile gagnerait grandement, en élargissant sa connaissance sur l’étendue et la complexité du problème de la sécurité au Congo. De même, les autorités nationales ont intérêt à avoir une vue ample sur la question en vue de mieux circonscrire les alternatives des solutions avec leurs partenaires tant bilatéraux que multilatéraux.

L’engagement qui a conduit à la publication de ce numéro spécial de la revue M.E.S. est conclu dans la liste des livrables contresignée par les commanditaires du travail (CRDI et UKAID1) et les deux institutions de recherche travaillant en consortium (CDS et ICREDES). Les appels et les rappels de Madame Ramata Thioune du CRDI ont été d’un grand apport dans la marche en avant de l’ensemble des activités du projet, en général, et de l’aboutissement du processus de réalisation de la présente œuvre, en particulier. A cela s’ajoute et ce de façon bien complémentaire, l’expérience et le sens de responsabilité de l’équipe de coordination nationale du projet qui n’a ménagé aucun effort dans la mise en œuvre des différentes activités inscrites dans son chronogramme.

A propos des contributions réunies dans ce numéro spécial de la revue M.E.S., l’initiative a d’abord été lancée en interne (équipe de chercheurs impliqués dans la conduite du projet) et puis infusé dans les rangs des autres chercheurs congolais investis dans les thématiques ciblées depuis belle lurette. Cela a permis de

1 Commanditaires du projet de recherche : Nature et acteurs de la violence, de la pauvreté et des discriminations urbaines en République Démocratique du Congo, 2013-2016.

tourner et de retourner les différentes thématiques à la lumière de la multidisciplinarité des contributeurs.

A propos des thématiques abordées, deux faits sautent à notre regard : le recoupement et l’entrelacement. En ce qui concerne le recoupement de certains textes particulièrement relevant de la thématique violence, chaque auteur s’est positionné sur un aspect ou un autre du sujet abordé, mais il ressort que malgré cela, quelques points communs émergent et même divergent. Loin d’être considérés comme des contradictions, pour nous, cette libre expression découlant des sensibilités individuelles des auteurs constituent plutôt un enrichissement. S’agissant de l’entrelacement, celui-ci avait déjà été levé comme option en vue de bien décrypter la dynamique du triptyque : pauvreté, violence et discriminations urbaines. C’est pour cela que bien qu’ayant ciblé pour besoin d’analyse, l’une ou l’autre thématique, il s’observe, en général, un certain degré de continuum, de perméabilité vis-à-vis des autres.

Comme déjà effleuré ci-haut, le dépouillement des articles retenus relève un déséquilibre numérique entre les thématiques abordées. Dans l’ordre décroissant, la violence se place en tête avec cinq articles, en deuxième lieu, s’alignent les exclusions ou discriminations urbaines avec quatre textes, la pauvreté vient en troisième lieu avec trois textes et enfin, l’urbanisation clôture la liste avec un seul article. Le sommaire du présent numéro obéit à l’ordre d’énumération ci-haut.

Ce numéro spécial de M.E.S. réuni une somme importante de réflexions qui constitue le prélude du rapport final attendu comme dernier livrable avant la publication d’un ouvrage collectif qui sonnera la clôture officielle de cet imposant projet de recherche commencé en 2013. Pour terminer, considérant l’intérêt des thématiques et l’abondance de la matière traitée, ce numéro consacré aux questions de violence, de pauvreté, de l’urbanisation et des exclusions urbaines en RDC, appelle d’autres en vue de poursuivre le débat et de consolider les acquis tant scientifiques que socio-politiques. La coordination nationale du projet l’espère tant et y tient.

Sylvain SHOMBA KINYAMBAProfesseur Ordinaire

Coordonnateur du projet

Atelier de restitution enquête sur la violence, la pauvreté...dans la salle de la CDS

EDITORIAL

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INTRODUCTION

Envisager une approche sociohistorique de la violence urbaine dans la ville de Kinshasa paraît à la fois ambitieux et nécessaire. Ambitieux, tant la violence urbaine renferme des variétés des questions qui sont séparément complexes, que d’énormes difficultés pour réunir les données pouvant donner accès à l’analyse. Nécessaire du fait que la violence est, au temps actuel, un véritable problème de société au Congo, qu’il devient important de présenter le processus de ce fait social afin de mieux comprendre sa réalité et sa cohérence au sein de la société congolaise. L’étude du passé dans le présent veut mettre en lumière l’historicité du monde dans lequel nous vivons, pour mieux comprendre comment le passé pèse sur le présent.

Cependant, il convient de dire, déjà, que bien qu’il soit possible d’effectuer dans le cadre de la sociohistoire un point de vue critique sur la conceptualisation de la violence, sur ses causes et sur l’efficacité des mesures pour l’endiguer, la présente réflexion ne reste attentive qu’aux liens historiques entre le passé et l’actualité / la situation présente.

Cet article n’est ni un réquisitoire complet de la violence à Kinshasa, ni un manifeste scientifique en faveur de l’approche de la sociohistoire, il se veut simplement d’être une synthèse des quelques faits d’observation approchés sur le phénomène dans leurs liens avec des faits historiques.

Il se fonde sur deux piliers d’inégale teneur en informations collectées, d’une part, les faits et leurs fonctionnalités et, d’autre part, les remèdes. La nécessité de trouver des repères historiques en examen a permis d’observer séparément trois périodes : précoloniale, coloniale et après l’indépendance.

Brève présentation de la sociohistoire

La sociohistoire est une approche apparue dans les années 1990 avec une méthodologie propre empruntant des éléments à la sociologie et aux autres disciplines des sciences sociales. Non théorique, elle se présente comme une « boîte à outils ». Son objectif est de comprendre, à la lumière du passé historique, comment les choses du présent fonctionnent. En mettant l’accent sur l’étude des relations à distance et la socio-genèse des phénomènes, la sociohistoire se distingue de l’histoire sociale et de la sociologie historique2.

Elle se fonde sur les principes fondamentaux de la recherche historique, la méthode critique des sources, l’historicisation des concepts et des catégories employés sont couplés avec l’étude des faits sociaux, leur processus, leur temporalité3. La démarche socio-historienne consiste à interpréter les pratiques en les rapportant à leurs conditions sociales et historiques de possibilité et de déroulement. Elle considère les mondes sociaux comme des mondes de relations entre individus et surtout entre groupes. Une telle démarche ne cherche pas à saisir l’essence ou

2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Socio-histoire.3 Idem

la nature des groupes sociaux, mais plutôt à préciser les contours de la configuration qui, pour un temps, établit les frontières entre ceux-ci4. Historiciser signifie dès lors contextualiser, non pas en invoquant le « contexte » comme facteur explicatif prêt à l’emploi, mais en procédant à l’opération qui consiste à relier un fait ou un comportement aux domaines du pensable et du possible de son moment historique5.

La sociohistoire est toujours à la fois comparative et transhistorique. Elle considère que les formes passées de la société ne sont pas disparues avec leurs époques, mais que, comme dans « la langue », elles restent contenues et actualisées dans ses formes présentes. Moins portée vers l’étude d’archives que l’histoire et vers l’étude de terrain que la sociologie, elle recourt plutôt à de vastes analyses documentaires ou bibliographiques pour mettre en place de larges enquêtes comparatives6.

Parmi les meilleurs représentants de la sociohistoire, l’on citer : Daniel Roche, Roger Chartier, Gérard Noiriel, Michel Offerlé, etc.

I. QUELQUES FAITS DE LA VIOLENCE SELON LES EPOQUES

I.1. Période précoloniale

Le phénomène de violence observée au cours de ces dernières décennies dans la ville de Kinshasa peut trouver des liens sur plusieurs plans dans le vécu précolonial des habitants de ce qui est devenu aujourd’hui la capitale congolaise. Nous ne retiendrons ici que le fait relatif à la nature du site, à l’appellation de ses habitants et à leur organisation sociopolitique.

Il nous semble important de dire d’emblée que la zone du Pool Malebo est restée inaccessible aux européens pendant plusieurs siècles. Le bassin du Congo a connu ainsi une colonisation tardive, contrairement aux régions de l’Afrique occidentale. Certes, les obstacles d’ordre géographique étaient nombreux. Mais, au-delà des obstacles naturels, il y a eu une volonté tenace des Teke, d’empêcher l’accès au Pool aux européens, qu’ils soient commerçants ou missionnaires.

I.1.1. Facteurs historiques de la violence liés à la nature du site de Kinshasa

Le Pool Malebo servait de carrefour pour deux zones. La première zone allait de la côte de l’océan atlantique jusqu’au Pool Malebo. Elle était surtout une zone de passage des marchandises et était drainée par des routes. Elle avait pour activité principale, le courtage. Le fleuve Congo n’étant navigable qu’à certains endroits dans cette zone, il y avait donc un important réseau routier, composé des routes qui reliaient le Pool Malebo aux principaux marchés de la zone tels que Tungwa, Tshela, São Salvador, Kimongo, Ludima, etc. et constituait l’essentiel du trafic sur cette zone. Il y avait également un ensemble de ports se

4 François BUTON et Nicolas MARIOT, entrée « Socio-histoire » du Dictionnaire des idées, 2e volume de la collection des « Notionnaires » de l’Encyclopaedia Universalis, 2006, http://www.jourdan.ens.fr/~mariot/hopfichiers/PDF/sociohistDEF.pdf

5 François BUTON et Nicolas MARIOT, op� cit� 6 https://fr.wikipedia.org/wiki/Sociologie_historique

APPROCHE SOCIOHISTOIRE DE LA VIOLENCE URBAINE DANS LA VILLE DE KINSHASA

parDonatien OLELA NONGA


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situant, soit aux points de rupture des charges, soit à l’estuaire du fleuve : Noki, Manyanga, Lukunga ; Matadi, Boma, Vivi, etc.7.

La seconde zone était essentiellement fluviale, elle allait du Pool Malebo jusqu’au confluent des rivières Ubangi et Uélé. Elle était considérée comme zone des maîtres de la navigation du fleuve Congo et de ses affluents tels que, Alima, Likona, Lolonga, Ikelemba, Kasaï, Ruki Ubangi et tous les autres espaces du pays des Bangala.

Contrairement à la première zone qui a été désignée comme zone de passage des marchandises, celle-ci est une zone de production: poteries, sel, alcool de canne à sucre, ivoire, gomme copal, etc. Le Pool Malebo était considéré comme le principal entrepôt et le grand carrefour de cet axe commercial, car il en constituait le point de rupture des charges le plus important8. C’était le lieu de passage obligatoire pour le commerce d’ivoire et d’esclaves, depuis les terres d’Afrique centrale vers les côtes atlantiques9. Les populations côtières viennent déposer auprès des Nzi, la marchandise. Ainsi les Nzi de la zone de contact (actuel Kinshasa), furent chargés de les faire voyager à l’intérieur de la contrée et vice versa.

Le développement du commerce qui amena jusqu’à Kinshasa des groupes d’amont et ceux d’aval, créera l’insécurité tant contre les visiteurs que les autochtones. Les habitants du Pool Malebo, les Teke, se dotèrent, par exemple, des pirogues armées pour imposer le droit de transit à payer au passage et diverses rétributions à céder aux courtiers, ainsi que pour interdire tout passage de l’amont vers l’aval et retour. Ils se dotèrent également d’armée de plusieurs milliers de guerriers et des féticheurs.

Il ressort clairement d’un texte de François Bontinck, commentant les périples de quelques missionnaires italiens au dix-septième siècle, tentant de s’introduire dans le Royaume du Makoko, à partir du Royaume Kongo10.

La première tentative échoua ; un missionnaire fut même menacé de mort et bastonné. Ils ne réussirent à atteindre le Pool qu’à la seconde tentative. Mais leur escapade au Royaume Tio s’arrêta à la rive méridionale. Ils ne purent traverser le fleuve pour aller jusqu’à M’be rencontrer le roi.

De même, lorsque d’autres missionnaires de la même congrégation essayèrent quelques décennies plus tard, d’accéder au roi Makoko par le canal du Ngobila, l’un des chefs Teke, ce dernier fut attaqué par quelques chefs de village voisins coalisés contre lui. Son village fut incendié et il dut se réfugier ailleurs, avant de le reconstruire. Ses assaillants l’avaient attaqué pour l’empêcher de recevoir des missionnaires le baptême, qu’ils estimaient nuisible à leurs intérêts11.

7 Hopiel EBIATSA, Fondements de l'identité et de l'unité teke� Du Stanley-Pool à la Leketi, L'Harmattan, 2011, p. 5.

8 Sylvie AYIMPAM, Vie matérielle, échanges et capitalisme sur la rive méridionale du Pool du fleuve Congo (1815-1930), Recherche en Anthropologie et en Histoire de l'Afrique (RAHIIA), Collection CIO en Afrique, n°18, 2006, p.5.

9 Ministère de la culture et des Arts, Le Domaine du Makoko. Mbé, Congo Brazzaville, Brazzaville, Ed. Créaterre, 2009, p.11.

http: / / craterre .org/di f fus ion:ouvrages- te lechargeable s /download/id/f32e48e83622a92783ed7b34a2b10776/file/makoko_congo.pdf

10 Sylvie AYIMPAM, op. cit., p. 7.11 Idem

I.1.2. Facteurs historiques de la violence liés à l’appellation Teke collée aux autochtones

Le terme Teke qui permet de designer le peuple autochtone de Kinshasa, les Tio [Tiyo] aussi appelés Nzi, est apparu entre la fin du XVI et le début du XVIIe siècle. C’est à cette époque que le continent africain et l’Afrique centrale en particulier a connu un trafic intense avec l’arrivée abondante des Occidentaux, où les Africains échangeaient les leurs contre les produits précieux (sel, fusil, verrerie…) venus d’Occident12.

Ainsi, à la base de cette désignation, il y a les rapports d’échange tissés entre les Inzi et les populations côtières du système économique de l’Outre océan. Ainsi les Nzi de la zone de contact, les passeurs furent chargés de les faire voyager à l’intérieur de la contrée. Ils sont devenus des courtiers de ce commerce, pourquoi pas non plus des gérants, Teke [Nteke]13. Ce sont donc leurs voisins Kongo qui les désigneront comme des Teke, c’est-à-dire des vendeurs, des commerçants.

Pour maintenir son système socio-économique, le royaume des Tio (autre nom des autochtones de Kinshasa) imposait le respect aux suzerains du Kongo et de l’Angola. Des observateurs portugais du XVIe siècle rapportent qu’il était à même de lever, en une heure, une armée de 40 000 redoutables combattants, agiles, puissants et organisés à la façon d’une caste guerrière14.

Il faut dire en plus que la région était très dangereuse pour tout étranger à cause non seulement de la traite négrière en vogue dans le commerce de l’époque, mais également à cause de l’anthropophagie qui y était coutumière15.

I.1.3. Facteurs de la violence liés à la concentration de la population

Le rayonnement de Mpumbu finira par drainer vers elle d’autres populations congolaises et africaines dont les Lari du Congo Brazza et les Zombo d’Angola (…), souvent pour des raisons de commerce. Cette immigration les conduisirent sur les terres Humbu où ils incorporeront dans les petits villages tels que : Mikwa, Ngabwa, Ndolo, Nshasa et Mfumo dont certains deviendront des grandes agglomérations. De l’autre côté, le développement du commerce amena jusqu’à Kinshasa, des Yansi, des Bobangi, des Banunu et d’autres groupes d’amont, qui menacèrent parfois la sécurité des riverains, car l’occupation de l’espace ne fit pas sans heurt. De même, en ce temps-là, les Yaka, autres peuples dans la région, ont fait des incursions dans cet espace, mais étaient chaque fois refoulés.

Le Pumbu est généralement atteint par les infiltrations ; aucun obstacle majeur n’empêchait par exemple les populations de la province royale de Nsundi de déborder leur régime et de s’implanter dans l’actuelle région congolaise du Pool16.

Les facteurs explicatifs de ces mouvements migratoires demeurent presque les mêmes qu’actuellement : « recherche de terres de chasse et de culture, expansion politique, fuite des guerres et

12 Association des étudiants congolais et congolais de Tunis, Le Royaume TEKE, 2010, http://aesctexpose.over-blog.fr/article-le-royaume-teke-62939135.html

13 Hopiel EBIATSA, op� cit�, p. 39.14 Idem�15 Charle TSHIMANGA, Jeunesse, formation et société au Congo� Kinshasa

1890-1960, L'Harmattan, 2001, p. 23.16 Abraham Constant NDINGA MBO, Pour une histoire de Congo-Brazzaville:

mythologie et réflexion, L'Harmattan, 2003, p. 50.

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des corvées imposées. On raconte notamment que ces exodes devenaient plus intenses pendant les famines qui frappaient le pays après une longue sécheresse. Ce qui concorde assez bien avec les estimations de Vansina, qui situe une de ces famines approximativement vers la fin du XVIè et XVIIè siècles »17.

I.2. Période coloniale

I.2.1. Facteurs historiques de violence liés à la contestation de l’autorité établie

L’incursion dommageable au royaume teke intervient pendant la décennie 1881-1891, suivit de la fondation des postes de Léopoldville et de Kinshasa, et des relations consécutives entre les chefs teke et les fonctionnaires de l’Etat Indépendant du Congo (EIC), qui ne firent pas toujours dans les meilleures formes.

En plus d’un travail de reconnaissance, de création de poste, d’assemblage de bateaux à vapeur, Stanley se devait d’obtenir par n’importe quels moyens des contrats d’exclusivité avec les chefs autochtones. C’était en fait des contrats d’exploitations de leurs terres par l’AIC et même pire : ces « traités » cédaient à l’association créée par le roi, la souveraineté de leurs territoires et permettaient à l’AIA de proclamer ces territoires « états libres ». Dès 1882, des affrontements entre ces postes et les populations engendrèrent des répressions sanglantes de la part des groupes armés de Stanley et des agents de l’AIC18.

Le poste de Léopoldville connaissait de ce fait, régulièrement des périodes de pénurie de vivres. L’administration coloniale trouvait les Teke paresseux et peu travailleurs. De même, en s’occupant du commerce de l’ivoire, ils se maintenaient comme des concurrents commerciaux tenaces19.

Le mouvement général développé par les Teke depuis le XVIIIè siècle se perpétue à la fin du XIXè siècle, lors de l’implantation européenne. Ils abandonnent pour la plupart les villages Malebo quand l’emprise coloniale se fait plus forte à Brazzaville comme à Léopoldville. Leur refus d’adhérer aux religions importées, de participer aux emplois et aux promotions offerts par les colons, d’accepter le nouvel ordre, induit un retour sur les plateaux et leur frugalité20.

Les villages teke vidés de leurs habitants et de leurs chefs, l’administration coloniale disposait désormais de l’espace et du pouvoir nécessaire pour exécuter ses plans. Des plantations de café, de cacao, et de tabac furent aménagées sur les sites des anciens villages. Aussi, un camp d’instruction pour la force publique fut fondé. On y donnait pendant dix-huit mois, une formation militaire à des recrues en provenance de la région équatoriale et de l’Afrique occidentale. Plusieurs baobabs qui ornaient jadis le village de Kinshasa furent abattus à la dynamite21.

17 J. VANSINA, Introduction à l'ethnographie du Congo, 1966, p� 129, cité par Alphonse Lema Gwete, Instruments et insignes de pouvoir chez les Teke, (sous la direction de Pamphile Mabiala Mantuba-Ngoma, La nouvelle histoire du Congo. Mélanges eurafricains offerts à Frans Bontinck, C.I.M.,) Cahiers africains Musée Royal de l'Afrique Central, L'Harmattan, 2004, p. 99.

18 http://www.cobelco.info/Histoire/congo1text.htm 19 Sylvie AYIMPAM, op� cit�, p. 19.20 Marie-Claure DURPE et Bruno PINÇON, Métallurgie en Afrique : deux

mille ans de vestige sur les Plateaux Bateke : Gabon, Congo, Zaïre, Karthala, 1997, p. 239.

21 Idem, p. 20.

La situation des anciens villages teke ne fût pas meilleure, Lemba, le plus grand village et fief du chef des terres Makoko, fut incendié en 1888 et ses habitants dispersés. La colonisation fit une rupture de l’ordre ancien qui lui était défavorable et organisa un nouvel ordre coutumier avec ceux qui lui étaient favorables.

Le décret de 3 juin 1906 généralisa le régime en faisant de la chefferie une subdivision administrative obligatoire et en imposant à tous les Congolais d’être intégrés à une chefferie. On se mit alors à créer des chefferies, souvent sans réel enracinement coutumier. Le chef ainsi nommé était assuré de l’appui des Européens.

Le refus des Teke aux corvées imposées par l’administration coloniale fut à l’origine des démêlés qui les obligèrent à organiser un exode massif vers l’autre rive. C’est en 1891 que le chef Ntsuvila de Kinshasa, le chef Bankwa de Ndolo ainsi que leurs sujets abandonnèrent les villages teke de Kintambo, de Kinshasa, et de Ndolo et demandèrent asile en s’engageant à respecter l’autorité française. Ils traversèrent le fleuve pour se réfugier sur la rive septentrionale. On leur accorda une terre à M’pila où ils reconstruisirent un village. Le chef Ngaliema de Kintambo traversa aussi le fleuve pour se réfugier sur l’autre rive quelques temps après22, 23.

Les travaux sur la prison de l’époque coloniale ont montré que l’espace carcéral est un des meilleurs observatoires de la mise en œuvre de l’idéologie coloniale qui prend ici ses formes les plus extrêmes et offre en conséquence les conditions d’une meilleure visibilité. Ainsi, dans les prisons coloniales, les autochtones apparaissent comme une masse informe radicalement.

La force de la répression coloniale et la portée prioritaire des revendications portant sur l’affirmation de soi, la liberté culturelle et d’indépendance politique, etc. n’ont pas donné lieu au développement d’une violence criminelle de type observable actuellement. Le mouvement « Bill » n’arrivera que plus tard au cours de la décennie 1950 et se développera longtemps après l’indépendance.

I.3. Après l’indépendance

I.3.1. Le Bill comme forme de violence urbaine ancêtre du Shegue et de Kuluna

Selon Sesep N.24, Structurellement, le mot hindoubill est une formation hybride, due à la double influence des films indiens (ou plutôt hindous à mon sens) et américains. D’un côté, l’aspect mystique que confère « l’Inde mystérieuse » (le « Bill supérieur passait pour un être invincible, mythique » et recourait aux pratiques occultes) ; de l’autre le modèle de courage, de bravoure et aussi de justicier qui caractérise le cow-boy du western.

22 Jean-Pierre MISSIE, Ethnicité et territorialité. Deux modes du vécu iden-titaire chez les Teke du Congo-Brazzaville, Cahiers d’études africaines, EHESS, 2008 - n° 192 (pages 835-864), p. 841. http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=CEA&ID_NUMPUBLIE=CEA_192&ID_ARTICLE=-CEA_192_0835

23 AYIMPAM S., op� cit�, p. 20.24 SESEP N., Recherche sur le métissage linguistique. Cas du français, du

lingála et de l’indoubill au Zaïre, Thèse de doctorat, inédit, Université Nationale du Zaïre, Campus de Lubumbashi, 2 vols. SESEP N. http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/21/Edema.pdf


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L’hindoubill serait né dans les quartiers populaires de Kinshasa. En se créant un espace sociologique, avec ses codes, ses slogans vivre vite et mourir, ce qui est au peuple est donc à moi, ses références, ses héros de western des années 50 (Bill Lancaster, Bicros Bill, Bing Bill, Buffalo Bill, modèles de force, de courage et de panache), l’hindoubill, s’est constitué comme une forme d’expression langagière propre. Cet espace se constitue dans une dimension socio-ethnographique et identitaire25.

Dans les années 50, écrit Manda26, la jeunesse de Kinshasa s’est créée une image dichotomique : avec d’une part, une frange juvénile certainement acculturée, mais ayant perdu une partie de ses valeurs morales essentielles, et d’autre part, une élite en puissance, scolarisée sous l’éclairage d’une morale positive, aspirant à une meilleure insertion sociale.

Selon l’auteur précédent, le mouvement « Bill » a engendré deux sortes de Bills : le Bill agressif et le Bill évolué. Le premier emprunte les éléments classiques du banditisme : braquage des boutiques, usage de la drogue dure, séquestration des filles, attaques à main armée […] bagarres de prestige sur la place publique, insurrection contre la discipline familiale et donc l’autorité parentale, farniente27

Par contre, celui qu’on peut dénommer l’hindoubill intellectualisé, la forme reconstruite dont parle Sesep, celui de la fiction avec des personnages fictifs de bandes dessinées, tels que Molok, Cassius, Kasaduma, Appolosa, Coco, Didi, etc., est celui que la génération des jeunes des années 60-70 apprendra au-delà même de la ville de Kinshasa. Ce dernier bénéficiait de plus d’un support écrit et était diffusé à travers tout le pays, au moins huit revues recensées par Sesep.

La première frange est exclue des meilleures écoles car la sélection est très forte, due au fait que les bonnes écoles sont peu nombreuses et l’immigration très forte. Cette jeunesse est aussi exclue du marché de l’emploi (parce que peu scolarisée) et donc de la considération sociale. Les lexies telles que bill, croco, GD, momie, mongando, ngando, ngembo, prix mangondo, vigiler, yanké, sont répertoriées comme faisant partie du vocabulaire de l’hindoubill28.

I.3.2. Shegue comme la forme non violente des anciens Bill

A Kinshasa comme partout en R.D.C, le mot shegué s’est imposé pour désigner les enfants qui vivent dans la rue, son origine est incertaine. Il existe cependant deux étymologies différentes mais pas exclusives. La première le présente comme la contraction et l’apocope de Che Guevara. À l’instar du révolutionnaire cubain, le shegué est avant tout errant. Dans certaines régions du pays, il était appelé «vagabond » ou « wayambard », substantif obtenu à partir de « kuwayawaya » (vagabonder en swahili de Lubumbashi). Au début des années 90, le dramaturge Kilubwa Mwika a intitulé ainsi, une pièce qui peut être une des premières manifestations

25 Sylvain SHOMBA KINYAMBA, Comprendre Kinshasa à travers ses locutions populaires� Sens et contextes d’usage ; Louvain, ACCO, 2009.

26 MANDA T. Terre de la chanson. La musique zaïroise hier et aujourd'hui, Paris, Duculot / Afrique Éditions, 1996, http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/21/Edema.pdf

27 Idem� 28 SESEP cité par ATIBAKWA-BABOYA Edema, l'hindoubill a-t-il été un

laboratoire des particularismes lexicaux du français de Kinshasa ? (CELTA-Kinshasa /LLACAN-Villejuif), http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/21/Edema.pdf

littéraires du shegué. Dans ce drame, un jeune homme choisit de courir les rues plutôt que de subir les maltraitances répétées de sa belle-mère.

Une deuxième version postule que c’est une transformation congolaise de « Schengen », comme l’espace et surtout le visa. Le shegué serait, à l’origine, le Kinois qui vit difficilement en Europe. Le chanteur Papa Wemba qui s’affirme depuis longtemps comme le maître à penser de la shégattitude, présente dans une de la chanson kaokokorobo, le shegué/romain comme une variante kinoise du Zulu/New-jack d’Europe. Cette chanson raconte les trafics illicites auxquels se livrent des jeunes gens en survêtement qui rêvent de rouler en Mercedes Benz. Dans les deux cas, le shegué est constamment en situation d’urgence, qui l’oblige à déployer une grande énergie29.

Les enfants et adolescents de la rue, à Kinshasa, sont appelés les Shegué. D’autres orthographes sont connues et utilisées, comme Chegué ou Shege.

Dans le fait, plusieurs d’entre les shegue ne demandent qu’à exercer un petit métier et aspirent à une vie ordinaire : cireurs de chaussures, vendeurs ambulants, etc., cependant, ils sont avant tout des enfants de rue dont la réputation en fait assez souvent des voleurs ou des jeunes de très mauvaise fréquentation.

Le phénomène nouveau est l’apparition de « famille de la rue ». Des couples de Shégués se sont formés et les « bébés des rues » sont ainsi apparus.

I.3.3. Kuluna ou les bandes criminelles d’enfants de rue

Dans la rue, les enfants vivent en bande, certains parviennent à survivre en trouvant de petits travaux, d’autres rejoignent des bandes violentes, que l’on appelle les «Kuluna».

Il y a une différence à faire entre le phénomène kuluna «bandits des rues» et les enfants des rues dénommés «shegués». Certains shegués sont donc des enfants des rues malgré eux, pour de raisons multiples : famille décomposée, précarité financière, la guerre a amené, etc.

I.4. Quelques voies pour endiguer les phénomènes de violence

Cette section ne vise pas à faire un répertoire des voies de sortie de crise organisées historiquement pour endiguer la violence urbaine. Elle se limite à relever à travers quelques récits des faits, la diversité d’approche pour combattre le fléau, afin que les expériences pèsent sur la réalité actuelle.

29 Ramcy KABUYA, Les shegués de kinshasa kids, ou l'usure du poncif Enfants des rues et musique dans la capitale - : http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=11494#sthash.3v2HCtq1.dpuf

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I.4.1. Révérend père Joseph De Laet (Buffalo)

Il faudrait dire le rôle joué par un missionnaire connu sous le nom de Père « Buffalo » ou Père « Jeff » qui mena entre 1957 et 1964 une activité « rédemptrice » parmi les jeunes délinquants de Kinshasa.

Il animera les activités au sein de la « JOC » jeunesse ouvrière catholique et il sera le premier prélat à réhabiliter les aînés qui venaient de décrocher sur le plan scolaire. En même temps, sous l’influence des films mexicains tels que « Cangaceiro », il aidera les jeunes « Indoubils » de l’époque tels que : « Neron », « Langliza », « Mivé John » à la réinsertion et c’était l’époque de « Nzambele Kingo » chanson populaire qui a ses racines dans le générique du film « Cangaceiro ».

Il apprit leur lingala argotique, les aida à éditer un journal des jeunes, il montera un groupe théâtral avec un opéra connu : « Takinga » et le cabaret « Liyoto ». Plusieurs autres supports s’ajouteront parmi les revues dont la plus populaire, dénommée Jeunes pour Jeunes.

Autour des années 1974, les autorités politiques indexeront la jeunesse déviante dans la dénonciation de ce qu’on appellera les « dix fléaux ». Ainsi, les « caïds » sont incorporés de force dans la JMPR (Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution), milice de l’ancien et unique parti politique du pays.

I.4.2. Lecture dialectique des facteurs de la violence

1. La Musique

Les expériences ont amené à comprendre de manière dialectique que « le cadre structuré de pratique de la musique et/ou de formation musicale ne pourrait, après tout, contribuer à aider les jeunes à en finir avec une vie tissue de violence et de criminalité. Par ailleurs, la musique peut également encourager la violence. C’est particulièrement vrai à Kinshasa, où quelques gangs sont galvanisés par des musiciens »30. Par ailleurs, les stars locales de la musique aussi s’investissent à leur façon dans la lutte contre le drame, ils exhortent les jeunes (gangs) à garder espoir envers et contre tout. Quoi de plus gratifiant pour eux que de voir Werrason s’ériger en défenseur des shégués à travers la fondation qui porte son nom ; ou Papa Wemba les immortaliser dans son refrain she shégué chance eloko pamba (ne peut être traduit littéralement - la chance est accessible à tous) dans sa chanson Kokokorobo ou Petit Gaylord, chégué ya mama (Chégué, l’enfant de maman). Les modes de comportements du public sur la scène sont multiples et variés et restent dictés par des enjeux divergents et la dynamique du spectacle. Cette divergence d’abord se situe au niveau de l’hétérogénéité de spectacles et de public, au type d’espace qui accueille le spectacle, au volume de capital symbolique de la vedette en scène31.

30 Lukas PAIRON « La musique m’a sauvé », disent-ils mais quelle est la portée réelle de la musique pour des jeunes vivant dans un environnement violent ? (titre provisoire) recherche de doctorat proposée, http://www.congoforum.be/upldocs/Musique%20et%20violence.pdf

31 Léon TSAMBU BULU, L’agir symbolique du public sur la scène musicale congolaise, Yaoundé,CODESRIA, 2008.

2. Les églises de réveil

Les églises dites de « réveil », qui conseillent aux familles de se débarrasser de la mauvaise graine, le bouc émissaire parfait, source de tous les malheurs, afin de retrouver leur sérénité spirituelle voire une délivrance financière. Les églises sont aussi connues comme dotées des capacités incantatoires pour guérir les enfants sorciers.

3. La SAPE

L’acronyme SAPE, « Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes », apparaît au début des années soixante-dix. Il désigne un mouvement vestimentaire populaire qui se développe autour du milieu de la musique, à Brazzaville et Kinshasa, en relation avec les séjours effectués en Europe par des Congolais. Ce mouvement qui concerne aussi la diaspora congolaise, a pour objet l’acquisition, l’accumulation et l’exhibition, selon des modalités propres, de vêtements de haute couture dans un cadre de compétition entre individus32.

Elle se développe parallèlement à la montée de la musique congolaise, initiée par le chanteur Papa Wemba, « Pape de la Sape » autoproclamé. Le succès que rencontre le mouvement à Kinshasa est d’autant plus grand qu’il promeut une liberté dans les choix vestimentaires et semble faire fi des prérogatives « authentiques » imposées, à l’époque, par le régime du président Mobutu.

Plus qu’un simple phénomène de mode, il s’agit d’un phénomène d’émulation entre individus masculins, en vue d’obtenir une reconnaissance sociale et les avantages qui l’accompagnent. Il fonctionne sur un principe de défi ostentatoire, non dénué d’un caractère scénique, hérité des comportements des musiciens congolais, qui en sont les initiateurs et les promoteurs.

4. Les ONG et autres initiatives privées

Plusieurs espaces collectifs destinés aux enfants de rue et jeunes violents de la ville de Kinshasa ont été créée par les ONG et des initiatives des individus isolés, afin d’offrir une porte de sortie de leur de groupe des enfants de rue ou des Kuluna, par la conscientisation et l’apprentissage des petits métiers : pratique musicale, mécanique, menuiserie, sculpture, dessin, fabrication de marionnettes, théâtre, couture, alphabétisation, etc.

Dans ces espaces, certains enfants trouvent des lieux d’hébergement en vue de la réinsertion, on y offre des repas, une douche et des soins de santé.

32 Thomas HANON, Lexique de la SAPE : un outil construit dans le cadre d’une étude anthropologique, Université Libre de Bruxelles, http://www.unice.fr/bcl/ofcaf/21/Hanon.pdf


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CONCLUSION

Cette contribution voudrait montrer comment les faits historiques peuvent apporter un éclairage essentiel sur ceux du temps présent. Bien que les causes et les formes de violences ne soient pas les mêmes à travers les époques, l’analyse des faits qui précèdent a tant soit peu permis de trouver des liens sociohistoriques de quelques formes de violence du temps passé et actuel.

Comme site, Kinshasa a jouit du statut de grande agglomération politico-économique du Congo depuis le temps précolonial, à travers non seulement l’importance de ses échanges commerciaux en tant que point d’intersection entre des axes : fluvial intérieur et routiers de communication avec l’extérieur, mais également par la très forte concentration des populations de plusieurs contrées du Congo et d’ailleurs. Cet exode massif des populations s’est poursuivi et même intensifié après l’accession à l’indépendance, et passe ainsi pour l’un de facteurs d’explication de la violence urbaine actuelle.

Par ailleurs, la ville de Kinshasa a historiquement été le lieu d’opposition voire de contestation du pouvoir établi depuis l’époque coloniale. Cet état des choses est un facteur important de violences rattachées aux fins sociopolitiques et économiques observables jusqu’à ce jour.

Il y a donc lieu d’établir un lien parallèle entre la contestation et la violence liée historiquement à la destruction des valeurs anciennes des autochtones et de l’autorité coutumière réalisées souvent de manière systématique par l’autorité coloniale avec celles de dernières décennies liées à la délinquance de l’Etat sensé être aménageur de l’espace et pourvoyeur de services publics. Il y a donc lieu de lire une certaine perpétuation historique, de fois sans raison objective, de l’adversité des populations avec l’autorité établie.

En ce qui concerne la forme de violence caractéristique de l’époque actuelle de Kinshasa qu’est le kuluna, disons qu’historiquement, le « bill » ancien comme le « shegue » et le « Kuluna » actuels peuvent se lire comme ayant tous un lien historique. Ils sont nés par la conjonction de plusieurs facteurs sociaux identiques, mais différents en teneure d’importance : faiblesse des structures d’intégration, échec de l’urbanité avec ses corollaires, promiscuité, chômage, faiblesse du processus de contrôle social, etc. Le renouvellement presque cyclique de ces formes de banditisme urbain permet donc d’établir plusieurs similitudes à travers le temps, malgré les transformations des appellations, de modes opératoires et des acteurs sociaux.

La montée de l’élitisme grâce au développement du système éducatif, à l’avènement du matérialisme extrême, l’émigration, l’essor des moyens de communication, aux transformations de certaines valeurs culturelles telles que la religion, la musique, le service social, etc. sans oublier l’action de pouvoirs publics, ont constitué des facteurs historiques à la fois de maintien et d’éradication de la violence à travers le temps.

Sur le plan international, les facilités de communications et d’échanges commerciaux, etc., favorisent l’établissement des liens horizontaux et verticaux de la violence urbaine à Kinshasa. Il ne se passe pas un jour sans que les medias, particulièrement Molière Télévision, ne présentent les bandes des criminels « kuluna » engageant des bagarres, arrachant des biens, blaisant

et tuant…, appartenant à des groupes dont les appellations font références à des contextes extérieurs « Armée rouge », «Zoulu », « B52 », « Italiens », « Romains ».

Pour parler des remèdes à la violence urbaine, notons qu’historiquement, la ville de Kinshasa regorge plusieurs expériences qui vont au-delà de la répression policière et du recrutement forcé dans les services publics, comme moyen de canaliser la violence et de la reconvertir en énergie positive. Il y a lieu de citer, à cet effet, la musique, les petits métiers, l’intégration/insertion familiale et sociale, etc. cependant plusieurs d’autres facteurs maintiennent encore les jeunes gangs et enfants de rue. Actuellement, certains jeunes de rues sont instrumentalisés pour « gonfler » les réunions politiques, coller les affiches, suivre les voitures des vedettes musicales et des leaders des partis politiques. Aux occasions de manifestations, ils trouvent un tee-shirt, à boire et à manger. Ils constituent aussi une proie facile de manipulations politiciennes.

Enfin, le recrutement de force des shégués dans l’armé et la police n’a pas fait mieux que l’accalmie observée pendant un temps grâce à l’engouement enregistré au moment de l’intégration volontaire et consciente dans l’armée de l’AFDL des « Kadogo » de Laurent Désiré Kabila et dans la force d’auto-défense populaire sans oublier celui observé en faveur de la « Police Communale » pendant la guerre.

La sociohistoire a donc permis à travers la saisie de ces quelques manifestations de violence et des moyens d’en endiguer, de réduire la distance entre certains faits historiques de violence par rapport à d’autres qui sont récurrents aujourd’hui.

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INTRODUCTION

Le texte développé dans les pages qui suivent rend compte de la manière dont nous avons organisée 30 focus groups, assuré le dépouillement et l’analyse des données recueillies sur la violence juvénile à Kinshasa et plus spécifiquement dans ses communes de N’djili, Masina et Limete où le problème se pose avec autant d’acuité33.

Cette investigation s’est déroulée concomitamment avec une autre dans laquelle nous sommes engagées voici bientôt deux ans et axée sur les interactions prévalant entre la pauvreté, la violence et les exclusions urbaines en République Démocratique du Congo34. Ceci n’est pas une simple coïncide, bien au contraire, la violence, mieux la criminalité fait l’actualité dans ce pays en situation post conflit armé, fragilisé par la destruction de son tissu économique, triste sort accentué par le chômage, l’oisiveté d’une jeunesse à la fois nombreuse et ingénieuse dans les initiatives de lutte pour la survie. A y regarder de près, la criminalité juvénile qui se répand à Kinshasa a essentiellement pour socle, le profit économique plutôt qu’une quête d’affirmation de soi ou une passion pour l’affirmation d’une identité personnelle.

Aussi, pour vérifier ce propos, cette étude s’articule autour de quatre points. Le premier circonscrit le contexte d’émanation de la thématique : prévention de la violence juvénile à Kinshasa et justifie son choix. Le deuxième présente la méthodologie de collecte des données à travers un bref exposé fixant l’organisation de la collecte des données de terrain, la sélection des couches sociales touchées par l’enquête, l’outil de collecte des données (focus group) et le schéma de l’analyse des données. Le troisième circonscrit le sens du syntagme représentation sociale grâce auquel nous saisirons le portrait du criminel nomme kuluna tel que façonné par la population kinoise. Le quatrième présente une synthèse des informations recueillies lors de l’organisation des focus groups à travers un tableau reprenant la perception des kuluna par la population de Kinshasa, les actions concrètes proposées par cette population à entreprendre en vue de la prévention du phénomène, la collaboration qu’elle suggère entre les acteurs en vue de générer une synergie capable de juguler le mal et les stratégies réalistes de mise en œuvre de recommandation proposée à cet effet. Le cinquième et dernier point quant à lui, analyse des opinions exprimées. Il est abordé à deux volets. Le premier inventorie les acquis de l’étude sur la connaissance de la prévention de la violence juvénile à Kinshasa. Le second axé sur la prévention, fait le point sur l’existant en termes des infrastructures et des structures de l’encadrement de la jeunesse et des possibilités que celles-ci offrent dans la perceptive de l’employabilité des jeunes. Ce dernier point se clôture par une réflexion en termes de défi à relever.

Une brève conclusion met un terme à cette étude. Passons à présent au développement de cette ossature.

33 Avec la collaboration d’une équipe d’enquêteurs formés pour la circonstance à laquelle nous présentons notre reconnaissance pour son précieux apport. Cette investigation a été rendue possible grâce à un appui financier reçu du Fonds pour la Consolidation de la Paix à qui nous rendons un vibrant hommage.

34 Financée par le CRDI et l’UKAID, 2013-2016.

I. CONTEXTE ET JUSTIFICATION

La Ville de Kinshasa qui s’étend sur 9.960 km² connaît de grands problèmes de développement. De ceux-ci, on aligne, notamment :

- la faiblesse de la consommation et la médiocrité des conditions de vie de très nombreux ménages consécutives au faible pouvoir d’achat ;

- le délabrement des infrastructures routières et les difficultés de transports en commun en dépit du lancement depuis une année, de la société de transport en commun « Transco » ;

- la prévalence du chômage ; - l’éducation de base non assurée pour tous ; - la précarité de la santé de la mère et de l’enfant ; - l’absence de protection de l’environnement et la tendance à

l’extension des érosions ;- l’insuffisance et l’irrégularité de la fourniture en énergie

électrique et en desserte en eau potable ; - la faiblesse de l’habitat, des équipements collectifs surtout

dans les quartiers d’auto-construction qui s’étendent sans cesse ;

- le faible accès aux services sociaux de base ; - la faible promotion du genre ; - le climat d’insécurité ;- la prévalence d’une vie festive ;- la prolifération des activités informelles de survie ;- l’hyper religiosité de la masse qui débouche sur

l’obscurantisme ;- l’informalité qui se répand à travers tous les secteurs de la

vie ;- une turbulence politique des leaders qui engendre

l’insécurité, etc.

Capitale politique, administrative et économique du pays, Kinshasa, avec une population projetée à plus ou moins 9.500.000 habitants, fait face particulièrement à une situation d’insécurité qui s’est aggravée depuis 2009 avec la recrudescence du phénomène kuluna. Ces bandes des jeunes se font de plus en plus agressives à travers les différentes communes où l’on peut relever, notamment, d’après des témoignages concordants, plusieurs cas de mort d’hommes dans le bilan de leurs méfaits. Ces jeunes dévoyés se recrutent principalement parmi les shégués, enfants de rue de Kinshasa mais également parmi certains délinquants amateurs des arts martiaux. Gangs des quartiers, ces délinquants souvent drogués, sèment la terreur et la désolation parmi la population.

En effet, ce phénomène existe depuis plusieurs années. Les kuluna apparaissent comme des bandes violentes et très agressives, principalement armées des machettes. Hier, ces bandes étaient en rivalité les unes les autres. A ce jour, des tiers non concernés deviennent de plus en plus victimes de leurs activités.

À cause de la situation économique déplorable qui caractérise la République Démocratique du Congo, en général, et sa capitale Kinshasa, en particulier, ces hors-la-loi, sans autre

VIOLENCE JUVENILE A KINSHASA : CONTEXTE ET PREVENTION POSSIBLE

parSylvain Shomba Kinyamba


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occupation que la rapine, se regroupent dans leurs quartiers à travers des bandes d’adolescents. Dans ces regroupements, on trouve des sujets de différents niveaux de formation (incultes, niveau primaire, secondaire, voire universitaire). Parfois, ce sont des jeunes qui ont fini leurs études à un niveau déterminé (secondaire, professionnel, universitaire). Quant à leur origine socioéconomique, les kuluna proviennent de toutes les couches sociales. Leur nombre est néanmoins plus élevé dans les quartiers défavorisés.

L’âge des kuluna varie entre 10 et 30 ans. Les filles, du moins celles qui sont des copines des « vrais » Kuluna, participent elles aussi à ces macabres aventures. Elles servent souvent d’appât et se prostituent dès le bas âge parfois après avoir subi le « baptême », un viol collectif.

C’est ainsi que pour améliorer l’insertion sociale et économique des jeunes dans les quartiers pauvres de Kinshasa, et dans le but d’améliorer la sécurité de la population en général, cette étude qui s’insère dans la raison générale du Fonds pour la Consolidation de la Paix (FCP), dont l’objectif globale est la stabilisation de la paix et la réduction de la pauvreté nous a offert l’opportunité de collecter des données en vue de faire l’état des lieux de la violence dans les différents quartiers de Kinshasa avec, notamment, une attention particulière sur la situation des jeunes pour formuler, en dernière instance, des propositions concrètes de leur réinsertion socio-professionnelle et la stabilisation de la paix sociale à Kinshasa.

II. METHODOLOGIE DE COLLECTE DES DONNEES

2.1. Organisation de la collecte des données

La collecte des données s’est réalisée dans trois communes de la ville de Kinshasa, à savoir : N’djili, Masina et Limete. Ces trois municipalités ont été choisies en raison de l’esprit entrepreneurial ou d’initiatives locales, de l’ampleur de la violence qui s’y observe, de leur accessibilité facile et de l’existence des infrastructures de base. A propos de trois communes précitées, l’enquête a privilégié leurs points chauds. C’est pour cela que pour Masina, les quartiers Mapela et Rail ont été retenus, pour Limete, ce sont Kingabwa et Mombele et enfin, pour Nd’jili, ce sont les quartiers I et Sainte Thérèse.

De manière concrète, l’organisation de l’enquête s’est déroulée comme suit :

- respecter le critère sexo-spécifique aussi bien dans le recrutement des chercheurs que dans celui des participants aux focus group ;

- préparer le recrutement des participants en concertation avec les préposés des différents sites (quartiers, marchés, parkings, places publiques…) ;

- ne retenir comme participant au focus group que celui qui a résidé au moins 5 ans dans la ville de Kinshasa ;

- utiliser un enregistreur compte tenu de la durée de chaque séance (1heure 30’) et du nombre des participants (10) à gérer par focus group ;

- utiliser alternativement, c’est-à-dire au vue de la configuration de chaque groupe des participants, la langue qui met tout le monde à l’aise (français, lingala, lingala facile) ;

- photographier des actes illustratifs de la violence des kuluna ;- le regroupement des participants, dans l’ensemble, n’a

pas été toujours facile. Aussitôt le quitus de la commune accordé, en fonction des catégories visées, les enquêteurs ont fait usage soit de la technique de boule de neige pour

recruter les différents participants (par exemple les victimes de la violence, les enfants de la rue, les entrepreneurs…), soit de l’échantillonnage occasionnel.

De ce qui précède, il ressort que l’enquête a été essentiellement qualitative.

2.1.1. Couches sociales touchées

Soucieuse d’élargir le cercle des opinions à réunir sur la thématique au centre de cette enquête à la fois complexe et délicate à traiter, la collecte des données a été réalisée auprès des couches sociales suivantes :

- Jeunes ;- Entrepreneurs ; - Résidents ;- Victimes de crime ;- Enfant de la rue ;- Organisations de la société civile (Eglise, ONG, Associations

diverses…) ;- Association des jeunes ;- Personnel des centres sportifs ;- Personnel des établissements de loisir (terrasses, bars, hôtel

de passe, kermesse, concerts de musique, excursion,…) ; - Personnel des établissements de formation professionnelle ;- Police d’investigation criminelle et police d’intervention

rapide ;- Personnel des centres de récupération et de réinsertion des

enfants de rue ;- Personnel des municipalités (communes) de la ville de

Kinshasa ;- Gestionnaires des grandes places publiques (marchés,

carrefours) ; - Leaders des partis politiques.

2.1.2. Outil de collecte des données : le Focus Group

Les participants aux focus group ont été sélectionnés sur base de leur appartenance à une couche sociale ciblée (cf. catégories ci-haut, au total 15). Les échanges engagés, à l’occasion, ont favorisé l’émergence des connaissances, des opinions et des expériences autour de la violence juvénile. Ces discussions ont permis également de préciser et de clarifier les opinions des uns et des autres sur le phénomène kuluna. Les différentes séances ont permis en outre de faire ressortir les besoins et les attentes de la population dans le sens de prévenir la violence juvénile.

Le nombre des participants à ces focus group a atteint une moyenne de 9,7 sur les 10 attendus par séance. Recrutés sur base de volontariat, ces groupes étaient homogènes. Ces focus group ont connu la participation aussi bien des hommes que des femmes chaque fois regroupés séparément. L’expression sans tabou de nombreux participants a pu lever les inhibitions des timides.

Les différents focus ont eu lieu dans les espaces acceptés de commun accord avec le guide de terrain (préposé) afin d’assurer un climat neutre, agréable et convivial. Les enquêteurs ont été instruits de respecter l’anonymat et les opinions des enquêtés. En moyenne les séances de focus ont duré une heure et trente minutes. La confiance mutuelle installée au début des différentes séances a permis l’implication spontanée aux échanges des participants dans un élan plein d’enthousiasme. Leur disponibilité était marquée par la fluidité dans les témoignages, l’interactivité dans

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les propos. L’accompagnement favorable de l’autorité municipale a été un atout important pour la réussite des différents focus group.

Au service du focus group comme outil de collecte, il a été conçu et utilisé un guide d’entretien qui reprend les thèmes et les questions posées lorsque cela s’avérait nécessaire pour inciter les participants à exprimer leurs opinions. Afin de faciliter l’expression en toute liberté et en toute spontanéité, les participants ont usé chacun soit du français, soit du lingala, soit du lingala facile et cela n’a indisposé personne.

2.1.3. Guide d’entretien

2.1.3.1. La perception de Kuluna par la population kinoise

I.1. Qu’est ce qui vous vient à l’esprit dès que vous entendez citer le terme kuluna ?

- image morphologique des acteurs ;- types d’actes posés ;- types d’attitudes (peur, insécurité, désolation, consternation) ; - types de sentiment (horreur, jungle) ;- types de réaction de la communauté (dénonciation, rancœur,

vengeance) ; - types de langage ;- avenir du phénomène kuluna.

2.1.3.2. Actions concrètes à mener par les différents acteurs

Par l’Etat : - au plan économique ;- au plan juridique ;- au plan de l’urbanisation ;- au plan du contrôle social (mouvements de la

population) ;- au plan de la sécurité effective de la population ;- au plan social ;- au plan des services sociaux de base.

Par les acteurs non étatiques : - au plan de la prise en charge morale des jeunes ;- au plan de la reconversion des mentalités ;- au plan d’une nouvelle citoyenneté ;- au plan des loisirs ;- au plan des initiatives locales génératrices de revenus

(entrepreneurial)

Par la famille : - sur le plan social ;- planification familiale ;- éducation de base ;- participation au contrôle social.

Par les jeunes eux-mêmes- sur le plan associatif ;- sur le plan entrepreneurial ;- sur le plan éducatif (formation professionnelle) ;- sur le plan de loisir.

2.1.3.3. Stratégies de collaboration pour prévenir le phénomène Kuluna

- création d’une institution citoyenne ;- comité d’autodéfense populaire appuyé par une subvention

gouvernementale ;- opérationnalisation de la police de proximité.

2.1.3.4. Propositions réalistes de mise en œuvre des stratégies de prévention de la violence

- de votre longue liste des actions à entreprendre, lesquelles jugez-vous prioritaires à court et à moyen termes ?

- comment assurer leur matérialisation ? - comment assurer la dynamique de la synergie attendue de

tous les acteurs ?

2.2. La démarche suivie pour l’analyse des données

Il a été d’abord fait usage de la transcription littérale des opinions exprimées lors des différents focus groups en les alignant dans quatre colonnes correspondant aux quatre sous-thèmes retenus, à savoir : la perception de la violence, les actions concrètes à entreprendre pour la prévention, la collaboration entre acteurs, les stratégies de mise en œuvre des recommandations. Ensuite, ces opinions ont été élaguées et synthétisées en reprenant les points de vue les plus pertinents. Enfin, les différentes données ont été hiérarchisées en vue de dégager les articulations au sein des éléments de chaque colonne avant d’établir les liens entre les données reprises dans les quatre colonnes.

III. SENS ET CONTOUR DES REPRESENTATIONS SOCIALES

Il nous a semblé rationnel d’élucider les significations du syntagme représentation sociale en vue de mieux saisir la matière exposée au point 4 de cette étude relative à la perception kinoise de kuluna, aux actions concrètes à entreprendre pour la prévention de ce phénomène, la collaboration envisagée entre acteurs et les stratégies réalistes de mise en œuvre des recommandations selon les points de vue exprimés par nos enquêtés.

Pour aller à l’essentiel, les représentations sociales sont des phénomènes complexes, toujours activés et agissant dans la vie sociale. Elles sont composées d’éléments divers qui ont longtemps été étudiés de façon isolée : attitudes, opinions, croyances, valeurs, idéologies35, etc.

Au regard de cette définition qui introduit notre propos sur les représentations sociales, il est utile de faire remarquer que le phénomène sous examen dans cette étude génère dans le chef des Kinois, une série d’attitudes, d’opinions, de croyances et même d’idéologies telle que les renseignent les données comprises dans les tableaux exposés dans les pages qui suivent.

Dans le même ordre d’idées, les représentations sociales sont, selon G.N. Fischer, la construction sociale d’un savoir ordinaire élaboré à travers les valeurs et les croyances partagées par un groupe sociale concernant différents objets (personnes, événements, catégories sociales) et donnent lieu à une vision commune des choses qui se manifestent au cours des interactions sociales36. Les représentations sociales sont aussi un ensemble organisé

35 Cours de psychologie social-Dijon, www.psychoweb.fr, 14 août 2015.36 FISCHER G.N., Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Paris,

Dunod, 1997.


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et hiérarchisé des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élaboré à propos d’un objet.

De manière plus concise encore, la représentation sociale est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social37.

Cette dernière définition rencontre bien différents types des cognitions collectives de sens communs ou des systèmes de pensée des Kinois avec le phénomène intrigant de kuluna. Elle permet de dégager un réseau d’idées, de symboles et de métaphores construits par les populations traumatisées par la violence juvénile qui élu domicile à Kinshasa. Cela transparait expressivement à travers déjà la façon de nommer le phénomène kuluna et des attitudes défaitistes qui en découlent. C’est ce que confirme l’imposant tableau de synthèse qui suit.

IV. DEPOUILLEMENT DES DONNEES

Les données reprises dans le tableau qui suit sont une synthèse des retranscriptions des opinions exprimées au cours des 30 focus group. Elles sont regroupées par sous-thème suivant le schéma déjà renseigné dans la méthodologie. Les données brutes sont, quant à elles, reprises en annexe du présent rapport (Annexe II).

37 Cours de psychologie, op� cit�

Une victime de Kuluna

Principale arme blanche des Kuluna

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TABLEAU SYNTHESE DES RESULTATS FOCUS GROUPS

Perception de Kuluna par la population kinoise

Actions concrètes à entreprendre pour la prévention Collaboration entre acteurs Stratégies réalistes de mise

en œuvre des recommandations

L’image de kuluna par la population- Du portugais, kuluna signifie

colonne (bande) ;- Esprit ;- Lucifer ;- Compagnie (activité généra-

trice de revenu) ;- Les bandits ;- Les jeunes envoutés ;- Les jeunes drogués ;- Danger de mort ;- Assassin ;- Diable en personne ;- Malfaiteur ;- Gang ;- Rébellion civile ;- Une armée parallèle ;- Terroriste ; - Terminator ;- Catastrophe

Morphologie de Kuluna - Plusieurs cicatrices ;- Coiffure atypique ;- Yeux rouges ;- Lèvre noire ;- Poitrine bombée ;

Actes généralement posés par le kuluna- Extorsion des biens ; - Coups et blessures ;- Pustura : les kuluna qui

opèrent à l’aide des motos ; - Trouble de l’ordre public ;- Bagarre entre les bandes.

Attitudes de la population à l’égard de kuluna - Peur- Rancœur - Méfiance- Prudence

Avenir du phénomène - Les kuluna ont une longueur

d’avance sur la police.- Les kuluna sont plus

ingénieux et téméraires que les agents de l’ordre.

- Le phénomène kuluna a un avenir prospère parce qu’entretenu par ceux qui en tirent profit.

- La solidarité mécanique pour sauver le job.

Causes du phénomène- Pauvreté des parents- Précarité des conditions de

vie ;- Oisiveté des jeunes ; - Rapatriement brusque et

brutal des Congolais de pays voisins (Angola, Congo-Brazzaville,…) ;

- Mauvaise gouvernance ;- Divorce facile ;- Déficit de contrôle social ;

Par l’EtatPlan économique- Promouvoir l’agriculture, l’élevage

et la pêche industriels ; - Appuyer la micro entreprise ;- Offrir un travail décent et bien ré-

munéré ;- Promouvoir la politique de création

massive d’emploi ;- Exhorter les imfs à l’octroi des cré-

dits ;- Promouvoir la politique de l’inves-

tissement privé.

Au plan politique - garantir la paix et la stabilité de la

vie politique ;- Réguler les grilles de programme de

médias en rapport avec les scènes de violence ;

- Accroître la fourniture en énergie électrique et en eau potable ;

- Assurer une gratuité intégrale et ef-fective des frais scolaires au niveau primaire ;

- Opérationnaliser la police de proxi-mité

Plan Juridique- Application stricte et prompte de la

loi en matière de violence sur les ku-luna et complices ;

- Rééducation civique et profession-nelle des kuluna ;

- Réhabilitation des centres de réé-ducation pour jeunes et mineurs en conflit avec la loi ;

- Renforcer les effectifs et rapprocher les postes de police de la popula-tion ;

- Professionnaliser davantage la police d’investigation criminelle ;

- Doter la police d’une logistique per-formante ;

- Construire des camps et des casernes pour les forces de l’ordre ;

- Assurer la patrouille régulière ;- Convertir une partie de peine en

travaux d’intérêt général.

Contrôle social- Créer une base des données de la

population et assurer son actualisa-tion ;

- Maîtriser l’exode rural ;- Inspecter périodiquement chaque

famille pour détecter les enfants non scolarisés (scolarisation obliga-toire) ;

- Redimensionner les quartiers pour une gestion efficiente.

Apport de la population - Réglementer et subventionner les

structures d’autodéfense populaire dans chaque quartier ;

- Dénoncer régulièrement les kuluna et leurs complices (fournisseurs de la drogue, alcool frelaté,…) ;

- Détruire leurs cachètes.

- Tous les acteurs (Etat, organi-sation non étatiques, famille et jeunes) doivent travailler en synergie pour une interven-tion plus efficiente contre les kuluna ;

- Mettre en place un mécanisme local de partage d’expérience, de suivi et d’évaluation (insti-tution citoyenne) des objectifs prioritaires déterminés par les acteurs ;

- Créer et entretenir une confiance mutuelle entre la population et l’Etat ;

- Université est appelée à jouer le rôle d’interface avec la socié-té dans la redynamisation de la recherche pour le dévelop-pement.

- Plaidoyer des OSC en faveur de nouvelles stratégies de lutte contre la violence juvénile auprès du gou-vernement et des organisations in-ternationales ;

- Informatiser les données sur les ku-luna (quartier par quartier) ;

- Opérationnaliser le partenariat maintes fois proposé par des par-tenaires techniques et financiers au sujet d’une électrification moins onéreuse (énergie renouvelable) ;

- Assurer la retraite et lutter contre une administration pléthorique ;

- Appliquer la loi contre le cumul des fonctions ;

- Amener les associations des jeunes à constituer de lobbying capable de trouver des sponsorings pour la réhabilitation et la construction des infrastructures sportives ;

- Affirmer la violence légale pour dis-suader des kuluna virtuels ;

- Créer un réseau dynamique des centres de récupération et de réin-sertion socio-professionnelle des enfants de la rue ;

- Valoriser et orienter des jeunes vers des ateliers de formation à des mé-tiers divers ;

- Favoriser le regroupement des mi-cro-entrepreneurs pour l’obtention facile de crédit ;

- Vulgariser les textes de lois sur la prévention de la violence ;

- Continuer la politique de la construction des infrastructures et de mécanisation de l’agriculture en vue d’une création massive d’em-plois ;

- Appliquer la régulation relative aux heures de circulation des mineurs (opération kingabwa d’antan) ;

- Appliquer les dispositions légales sur les heures de loisir (terrasse, bar, nganda,…) ;

- Humaniser les relations entre les ac-teurs politiques.


15

Perception de Kuluna par la population kinoise

Actions concrètes à entreprendre pour la prévention Collaboration entre acteurs Stratégies réalistes de mise

en œuvre des recommandations

- Mauvaise compagnie-snobisme ;

- Migration liée à la guerre de l’Est ;

- Manque des centres d’encadrement des jeunes ;

- Déficit d’écoles de métiers ;- Insuffisance des postes de

police et des policiers ;- Insuffisance et archaïsme

d’équipements de la police ;- Superstition ;- Complicité des parents ; - Démobilisation mal encadrée

des enfants soldats- Recrutement non rigoureux

des éléments de la police et des forces armées congolaises

- La prolifération des zones de squatting

- La culture pro-nataliste - L’exode rural (Bandundu,

Bas-Congo et Equateur)- La relaxation récurrente des

kuluna (repris de justice)

Asbl/entrepreneur- Diversifier des centres de formation

professionnelle pour les jeunes ; - Instaurer une institution citoyenne

de régulation de la violence à l’image de CSAC pour la presse ;

- Sensibiliser, conscientiser, bref éduquer les masses ;

- Diversifier des sites et des activités de loisir pour les jeunes.

La famille- Encadrer la scolarité et l’éducation

des enfants ;- Assurer le dialogue en famille ;- Planifier, voire limiter les naissances.

Les jeunes- Participer à la vie associative qui

confère l’épanouissement social ; - Cultiver l’esprit entrepreneurial ; - Initier des microprojets.

IV. ANALYSE DES OPINIONS EXPRIMEES

De l’ensemble des focus group réalisés à travers les communes ciblées, notre enquête a permis d’engranger un flot d’informations sur les acteurs de la violence juvénile à Kinshasa. Dans le décryptage de cette matière, nous nous sommes fondés sur deux rubriques. La première porte sur les constatations, c’est-à-dire les connaissances du phénomène livré par l’enquête. Quant à la seconde, il se concentre sur l’existant, c’est-à-dire sur l’ensemble des structures et des infrastructures d’encadrement de la jeunesse disponible sur les trois sites quadrillés par notre équipe de recherche.

4.1. Des Constatations de l’investigation

De notre point de vue, nous reprenons dans les constatations, l’ensemble des faits recueillis qui certifient les effets de la violence juvénile perpétrée par les kuluna à Kinshasa. Du tableau synthétique ci-haut présenté, il se dégage quelques acquis suivants :

De l’avis de l’ensemble des participants aux trente focus group organisés dans les communes de N’djili, Masina et Limete à Kinshasa, il importe de noter que les Kuluna inspirent l’horreur car ce sont des hors-la-loi, qui ne craignent rien. Agissant en bandes organisées, ils opèrent de nuit comme de jour mais surtout de nuit avec armes blanches (machette, tournevis, lames de rasoir, barre de fer, couteau…). Ils extorquent les biens à la population victime laissant souvent derrière eux le traumatisme. Considérés comme une catastrophe humaine, le phénomène kuluna constitue un danger à l’ordre public et à la paix sociale. Il ne laisse pas indifférents aussi bien les pouvoirs publics que les différents acteurs intéressés par sa prévention et son éradication. De ce fait, la lutte menée contre ce phénomène est à la fois institutionnelle et spontanée.

Cette lutte est institutionnelle à travers les mesures et structures mises en place par les pouvoirs publics congolais pour lutter contre le phénomène notamment les opérations répressives de choc effectuées au cours de la période de 2000-2014 telles que « kanga

vagabond », « Tolérance zéro », « likofi 1 », « likofi 2 » etc. ; les différents conseils de la jeunesse installés par l’arrêté ministériel. C’est le cas de la Commission interministérielle de l’enseignement technique et professionnel, de la sous-commission aux initiatives locales, du Conseil national de la jeunesse, du Conseil provincial de la jeunesse, du Conseil communal de la jeunesse, du Conseil local de la jeunesse… Elle est également spontanée dans la mesure où la population se constitue elle-même en autodéfense solidaire et populaire pour dissuader ou sanctionner les coupables à travers les rues et les quartiers. A titre de dissuasion, les habitants des quartiers lancent généralement des alertes sous forme de coups de sifflets, de concerts de casseroles, bref par un tintamarre. Les sanctions parfois infligées aux kuluna vont de la filature pour les dénicher et les passer à tabac, au lynchage.

Cependant, dans ces différentes luttes, il y a lieu de noter un déficit de synergie entre acteurs. Cela est dû, à notre avis, au fait que d’une part, par manque de vulgarisation, les structures de lutte mises en place par les pouvoirs publics sont mal connues par la base qui s’organise en sa manière dans la lutte contre ce phénomène et d’autre part, à l’attentisme de ces structures qui s’approchent difficilement des acteurs à la base pour les associer aux actions menées.

En outre, les différentes opérations de répression du phénomène kuluna sont confiées à la brigade de la police d’intervention rapide pour des actions de choc. Comme les autres brigades, celle-ci fait face à un déficit criant en logistique, en effectifs, en nombre de postes de surveillance et d’intervention ainsi qu’en motivation. C’est pourquoi leurs actions apparaissent inefficaces aux yeux des participants aux différents focus qui ont estimé que les kuluna les dépassent en ingéniosité et en stratégie. D’où le vœu qu’ils ont émis de voir cette police renforcer son professionnalisme.

Néanmoins, malgré ces limites, c’est grâce aux actions combinées des différentes structures et de la police, que l’on note par moment une certaine accalmie. Mais suite à la récurrence observée du phénomène, la lutte reste encore entière. C’est ainsi que d’autres initiatives comme celles du Fonds pour la consolidation de la paix à travers son projet « Prévention de la violence juvénile à

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Kinshasa » sont nécessaires pour agir sur les causes profondes de cette criminalité.

Les diverses causes déjà évoquées expliquent et justifient largement l’enracinement du phénomène kuluna à Kinshasa. Parmi celles-ci, les plus en vue peuvent être :

- la précarité des conditions de vie de beaucoup de ménages : à ce jour, la conjoncture socio-économique difficile de Kinshasa est telle que la misère est devenue le lot quotidien de la plupart des ménages. Par conséquent, l’éducation des enfants en pâtit considérablement. La responsabilité des parents ainsi mise en cause effrite leur autorité sur leur progéniture. Libérés du contrôle parental, cette catégorie des jeunes n’hésite pas à se livrer avec plus ou moins de facilité dans plusieurs formes de criminalité ;

- l’entrepreneuriat : d’une part, par manque d’esprit entrepreneurial ou de capital de départ, ces jeunes se condamnent à vivre dans l’oisiveté. D’autre part, par manque de facilitation pour l’envol, de micro entreprises sont plombées par une litanie de taxes et de tracasseries administratives ou/et policières. Ce qui pousse de nombreux jeunes à l’envie, au snobisme, au gain facile et pourquoi pas au banditisme ?

- la vétusté et le nombre limité des centres de formation professionnelle et d’encadrement des jeunes ne leur donnent pas l’occasion d’être occupés utilement et de tourner le dos aux antivaleurs ;

- la démobilisation mal encadrée des enfants soldats. Ces derniers sortis des rangs de l’armée avec de kit dérisoire pour une réinsertion professionnelle, n’ont pas tous réussi à bien s’intégrer aux métiers qu’ils se sont faits miroiter. A défaut de rentrer dans les rangs de l’armée et en l’absence d’autres formes d’encadrement, ayant appris l’usage de la violence, ils profitent de leur puissance pour semer la terreur et la désolation en tant que kuluna ;

- la superstition: celle-ci se conjuguant tant en amont qu’en aval, les familles qui rejettent les enfants dits « sorciers » qui, une fois dans la rue, recourent à l’usage des gris-gris qui, à leur avis, les rendent invincibles. Ce qui les rend courageux et craints de tous ;

- le laxisme qui caractérise les juridictions compétentes (cours et tribunaux) avec ces repris de justice, une preuve probante du manque de suivi des actions menées.

4.2. De la prévention

4.2.1. De l’existant

Le portrait des infrastructures et des structures inventoriées dans les trois communes où ont été menées les enquêtes se présentent brièvement comme suit38 :

Cartographie des communes de N’djili, Masina et Limete

Commune Superficie Population totale Population (15-29 ans) Milieu de résidence

N’DJILI 11.400 Km2 385.348 (2013) 145.472 Urbano rural

MASINA 69,70 Km2 589.478 167.666 Urbano-ruralProximité avec le fleuve

LIMETE 67,60 Km2 250.183 127.462 Urbano-industrielleProximité avec le fleuve

Répartition administrative des communes de N’djili, Masina et Limete

Communes N’DJILI MASINA LIMETE

Quartiers :

1 MAKASI ABATTOIR KINGABWA

2 BILOMBE BOBA MBAMU

3 EQUATEUR EFOLOKO NDANU

4 KATANGA CONGO NZADI

5 KIVU KASAI SALONGO

6 KASAI KIMBANGU AGRICOLE

7 ORIENTAL KIVU MATEBA

8 UBANGI LUBAMBA MAYULU

9 MONGALA LOKARI MFUMU MVULA

10 TSHUAPA IMBALI MOMBELE

38 Le détail des potentialités de ces communes est repris à l’annexe.


17

11 GOMA MAFUTA KIZOLA MOSOSO

12 BANDUNDU MAPELA INDUSTRIEL

13 INGA MANDIANGU MASIALE

14 MATADI RESIDENTIEL

15 MFUMU NSUKA

16 POLENDE

17 NZUNZI WA MBOMBO

18 TELEVISION

19 TSHANGU

20 TSHUENGE

21 SANS FIL

Nous avons pris quelques échantillons des structures d’encadrement des jeunes pour démontrer les difficultés auxquelles sont butées les communes. En annexe se trouvent les fiches de ce travail inachevé. Par commune, nous avons la situation suivante.

La commune de Masina dispose de :

Infrastructures sportives : - 6 terrains de football dont 4 privés, - 1 terrain de basketball

Plusieurs associations organisées pour l’encadrement de la population et la jeunesse en particulier

Hôpitaux et centres de santé : 1 public (Hôpital Roi Baudouin), 1 privé Hôpital Biamba Marie Mutombo et 90 Centres de santé privés.La commune de N’djili quant à elle, compte :

Infrastructures sportives :- 5 terrains de football, - 1 terrain de volleyball, - 1 terrain de basketball, - pas d’installation pour les arts martiaux qui se pratiquent

en plein air sur des terrains inoccupés (écoles, terrain de foot…)

Centres de formation :- 17 écoles techniques dont 2 publiques et 15 privées

qui organisent la coupe et couture, la maçonnerie, la mécanique auto

Plusieurs coopératives qui encadrent les maraîchers, les pisciculteurs…

Plus de 102 structures des jeunes organisés en associations, mutualité, mutuelles de développement, mutuelles d’encadrement et d’éducation, ONG, mouvements de scout…

A Limete, on trouve :

Institutions sanitaires : 7 centres hospitaliers publics, 25 Privés dont 3 sont

catholiques

Centres d’encadrement et de formation : 4 Publics, 23 PrivésEcoles techniques et professionnelles : 7 Publiques,

89 Privées dont 26 conventionnées qui organisent la formation en coupe et couture, électricité, mécanique générale, mécanique auto, électricité industrielle, hôtellerie, commerciale et administrative.

4.2.2. Défis à relever

Sans reprendre les détails de l’existant pour démontrer que le travail d’encadrement de la jeunesse se fait, nous devons néanmoins constater que cet effort reste à continuer en regardant aux structures qui accusent des déficits manifestes. En effet, un certain nombre d’initiatives ont vu le jour dans divers domaines. Cela traduit le besoin de la société de trouver des cadres pour l’épanouissement de tous et particulièrement de la jeunesse. Malheureusement, ces besoins ne sont pas suffisamment rencontrés dans l’existant. Que ce soit en nombre, en qualité, en état, en viabilité et même en termes d’employabilité (peu d’emplois sont offerts aux jeunes).

Parlant des structures, nous observons qu’elles ne sont pas également réparties à travers les différentes communes. Les aires jadis loties, relativement urbanisées en accueillent le gros des activités. Les zones d’auto-construction (Kingabwa, Mombele, Mapela, Rail et bien d’autres) manquent cruellement des infrastructures d’encadrement de la jeunesse. Les quelques unes disponibles font face aux conditions difficiles d’entretien et de maintien en état.

18


Comparées les unes aux autres, les trois communes présentent les disparités suivantes :

Infrastructures/Structures Communes Observations

Limete Masina N’djili

Public Privé Public Privé Public Privé

Sanitaires 7 25 1 91 Ind. Ind. Domination du privé

Scolaires 7 89 Ind. Ind. 2 15 Domination du privé

Sportives Ind. Ind. 3 4 7 Ind. Domination du privé

Structures associatives

Ind. Ind. Ind. Ind. Ind. Ind. Nombreuses mais peu sont viables

Légende :- Ind : le nombre n’est pas exhaustif car l’observation de

terrain a permis de constater que ces structures sont biens plus nombreuses que ce que renseignent les archives de la commune. D’ailleurs, certains de leurs initiateurs, se cachent pour échapper aux taxes.

Au-delà des disparités constatées, les différentes communes ont en commun les faiblesses ci-après :En ce qui concerne les infrastructures sportives, celles-ci

sont dans l’ensemble non clôturées et ne disposent pas de gradins (excepté le terrain municipal de Masina) ; elles manquent de latrines, sont non éclairées (ce qui fait d’elles souvent des repères des malfaiteurs. D’autres sont dans un état de délabrement très avancé qu’il faut trouver des moyens pour les réhabiliter.

Quant aux écoles dans leur ensemble, et particulièrement les écoles techniques et professionnelles ou/et les centres d’apprentissage, elles présentent des difficultés d’ordre général que sont :- le sous équipement : manque de matériels ;- le manque d’infrastructures appropriées : pas d’atelier,

pas de salle de pratique (à part l’ITI Masina) ;- la sous qualification des enseignants du domaine ;- le manque de motivation du personnel etc.

Les besoins sont immenses et diversifiés, face à ces défis relevés, il importe, entre autres, de :

- réhabiliter les infrastructures existantes ;- étendre certaines d’entre elles ;- construire de nouvelles dans les quartiers où elles

manquent, surtout dans les quartiers peuplés dominés essentiellement par les jeunes.

Un mécanisme de financement durable des infrastructures et équipements consisterait par exemple à :

- clôturer les terrains de jeu pour les sécuriser, garantir la salubrité et rendre leur accès même modestement payant afin de trouver des moyens de leur entretien ;

- utiliser les différents produits des écoles, centres d’encadrement ou autres activités d’autofinancement des associations pour maintenir leurs activités à un

niveau de rentabilité telle qu’elle permette d’attirer et d’occuper les jeunes en situation de conflit avec la loi.

4.2.3. De l’apport et des innovations attendus

Ainsi que nous l’avons déjà reconnu, la violence ne peut se résoudre uniquement par la violence fusse-t-elle légale. Le phénomène de violence juvénile à travers le phénomène kuluna demeure jusqu’à ce jour encore entier en dépit des diverses actions menées. Partant de ses causes, il y a lieu de proposer, dans le but de le prévenir, quelques actions dont la faisabilité est, on ne peut plus, avérée :

- réhabilitation et création des structures de formation aux métiers pour l’encadrement et l’insertion professionnelle des jeunes. Aujourd’hui, les études coûtent de plus en plus cher au point que tous les enfants ne peuvent y accéder sans trop de peine. C’est ainsi que pour les aider et les accompagner dans leur scolarité, les centres de formation professionnelle subventionnés leur garantiraient une formation à brève échéance mais adéquate qui leur permettrait de s’insérer professionnellement. Cependant, face à cet objectif, la ville de Kinshasa au centre de cette enquête, compte de moins en moins de structures de formation (formelles et informelles) de qualité. Parmi celles qui existent, la plupart sont dans un état vétuste et relèvent essentiellement des initiatives privées. Parlant du personnel qui y preste, il est, en général, sous-qualifié. S’agissant des intrants de laboratoire et du matériel didactique, ils sont archaïques, insuffisants ou inexistants. Ce qui ne permet pas de rendre crédible et attractive la qualité de la formation dispensée ;

- éducation civique des jeunes : le civisme est un atout nécessaire pour un développement harmonieux et participatif de la cité. Une jeunesse dynamique et civique est porteuse d’un avenir radieux pour toute la société. Le déficit de civisme la pousse non seulement à ne pas aimer la patrie mais aussi à ne pas respecter ni protéger les biens publics et privés ;

- sensibilisation des parents à l’éducation des jeunes. Les parents contribuent eux aussi à leur niveau, à faire acquérir aux jeunes le civisme dès le bas âge. De là l’intérêt de leur sensibilisation à donner à leurs rejetons une bonne éducation morale et civique, gage de tout développement ;

- conscientisation des jeunes. Ils sont l’avenir de la nation et source de leur propre épanouissement. Un pays sans une


19

jeunesse consciencieuse est voué à sa destruction. Ce que nous observons à travers le phénomène kuluna. Pour cela, il est du devoir de tous les acteurs de conjuguer leurs efforts en vue de conscientiser les jeunes à prendre en mains leur destin ainsi que celui de la nation tout entière ;

- suivi de l’insertion professionnelle des jeunes sortis des centres de formation. Il ne suffit pas de donner toutes sortes de formation à la jeunesse, encore faudrait-il aussi lui accorder la chance de son insertion professionnelle. Un enfant inséré n’est ni oisif, ni vicieux ce qui est un bénéfice pour toute la société ;

- promotion de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. En l’absence des industries pour occuper tout le monde, le jeune qui est initié aux travaux agricoles (champ, élevage et de pêche) est capable de se prendre en charge, il a l’indépendance du ventre. N’est-ce pas qu’un ventre affamé n’a point d’oreille ?

- encouragement de l’appui financier aux micro-entreprises. Ces dernières sont capables de créer de l’emploi pour occuper cette jeunesse désœuvrée qui n’a d’autres issues que la rue et par conséquent, le banditisme. Cependant, il leur manque parfois cruellement des moyens financiers pour développer leurs activités et employer davantage des jeunes. En leur facilitant l’accès au crédit, ils seraient en mesure de résorber tant soit peu le chômage, et partant, d’occuper les oisifs. Dans le même ordre d’idées, l’Etat devrait pouvoir affirmer un délai de grâce à toutes micro entreprises de création récente en vue de lui permettre de s’installer et surtout de prendre son envol ;

- promotion de la politique de l’investissement privé. A travers la plupart des Etats au monde, ce sont les investisseurs privés qui épaulent les pouvoirs publics à créer de l’emploi et à occuper une grande partie de la population active. En sécurisant l’investissement privé, l’Etat permet la création de l’emploi et assure la paix sociale. Pour que ces initiatives se multiplient en République Démocratique du Congo, l’Etat a le devoir d’une part, de trouver avec les entrepreneurs privés, un modus vivendi pour gagner leur confiance. D’autre part, les responsables publics relayés par les acteurs de la société civile devraient s’employer à vulgariser les lois sur l’entrepreneuriat afin d’éviter des tracasseries injustifiées.

CONCLUSION

Comme chacun le sait, les communes de N’djili, Masina, Limete ainsi que la ville de Kinshasa dans son ensemble n’ont pas l’apanage de la violence juvénile. Dans le cadre précis de cette enquête, nous avons cherché à déterminer, à travers les opinions exprimées par les enquêtés, la perception que les Kinois se font du kuluna, ces gangs juvéniles qui sèment, au quotidien, la peur et la désolation dans la population kinoise. Mais aussi de réfléchir sur la façon de prévenir cette violence afin d’offrir aux Kinois la paix et la sécurité dont ils ont légitimement besoin pour vaquer librement à leurs occupations de tous les jours.

En conclusion de cette étude, il y a lieu de noter que la violence juvénile dans la Ville de Kinshasa trouve de l’explication dans plusieurs facteurs conjugués. Ceux-ci relèvent des conditions de vie précaires des ménages et de l’absence d’encadrement de jeunes. Le phénomène kuluna concerne des acteurs dont l’activisme est loin d’être maîtrisé. Ce sont des jeunes qui ont perdu, pour la plupart, tout espoir de trouver par des moyens légaux, une occupation saine ainsi que des ressources propres pour faire face à leurs multiples besoins. Afin de noyer leurs soucis et de braver

la peur, ils se droguent, terrorisent la population, recourent aux pratiques fétichistes pour, à leur avis, se rendre invincibles.

Le phénomène kuluna a fait date. Il est né de suite de la précarité des conditions de vie dans la majorité des familles kinoises. Ce qui relègue au second plan l’éducation des enfants qui ne trouvent mieux que de prêter le flanc au banditisme et à la délinquance juvénile. A cette misère qui a fait que beaucoup d’enfants kinois deviennent des véritables loups pour les autres, il faut ajouter la démobilisation mal encadrée des enfants soldats qui a fait monter d’un cran le phénomène kuluna aujourd’hui dénoncé vigoureusement par tous. Que faire pour juguler ce fait de société qui s’apparente à une épine plantée au pied ?

A cette préoccupation essentielle et légitime des kinois, notre enquête a révélé que cette violence que le kuluna a imposée à notre société ne peut être vaincu par une autre violence, fusse-t-elle policière. Elle appelle pour cela plusieurs actions de choc.

De ce qui précède, nous saluons l’initiative du Fonds pour la Consolidation de la Paix qui s’inscrit si heureusement dans le cadre de la prévention de ce fléau, exhortons vivement les responsables congolais tant de la base que ceux du sommet à s’approprier les résultats de la présente enquête, à les exploiter pour confectionner des nouvelles politiques publiques cohérentes et efficientes en la matière, à les vulgariser et surtout à les mettre en pratique en vue de rendre Kinshasa, mégalopolis au cœur de l’Afrique et capitale de la République Démocratique du Congo, une ville sûre et inclusive.

S’intéresser aux attentes des jeunes

Lutter contre l’inaction des organisations et des pouvoirs publics en :

- favorisant des rencontres régulières entre organisations et détenteurs de pouvoirs pour créer un espace de négociation pour une responsabilisation mutuelle.

- Favorisant des rencontres régulières entre organisations de base qui encadrent les jeunes pour un échange d’expériences dans le but de faire le monitoring du phénomène.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

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- MULAMBA TSHONDO J., Limites des approches de récupération et réinsertion sociale des enfants de rue à Kinshasa. Plaidoyer pour une contextualisation des stratégies de réintégration durable, thèse de doctorat en Anthropologie, Université de Kinshasa, 2008.

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- ZIRIMBA N.C., Usage des drogues et des stupéfiants et criminalité violente chez les adolescents à Abidjan, Institut de criminologie d’Abidjan, Abidjan, 1996.

Lynchage d’un Kuluna par la population

21

INTRODUCTION

M’inscrivant dans la thématique de la sécurité intérieure de la République Démocratique du Congo retenue pour ce numéro spécial de la revue M.E.S., la présente étude porte sur les Services publics et actions de la Police Nationale Congolaise. Un bilan à demi teint ? Le choix de ce sujet est le fruit d’une observation quotidienne faite sur l’état du maintien de l’ordre public en RDC, prérogative dévolue à la Police Nationale Congolaise, en remplacement de la Gendarmerie et de la Garde Civile de l’époque Mobutienne, afin d’en examiner ses services rendus à la population.

En effet, l’homme vivant à l’état de la nature était en parfaite harmonie avec celle-ci et avec ses semblables. D’où il ne prenait que ce qui était nécessaire pour satisfaire à ses besoins dit J.J. Rousseau ; alors que Hobbes pense que l’homme de l’état de nature était mauvais (Homo Homini lupus). Selon lui, l’homme naturel, sauvage doit disparaître. Il est pessimiste à l’égard de l’homme naturel. Il considère que l’état naturel n’est ni mauvais, ni bon. Quand on le quitte, on accède à un état supérieur que le contrat social doit organiser39.

Cependant, ces deux courants animés par les auteurs ci-haut cités se rejoignent à un certain moment de l’histoire de l’humanité, ont senti un besoin ardent de créer les conditions permettant de lutter contre l’insécurité créée par des éléments pervers qui empiétaient sur les droits des citoyens. Cette institution est appelée Etat dans lequel certains citoyens ont mandaté d’autres à gérer à leur place.

C’est ainsi que M. Duverger déclare : dans tout groupement humain, on trouve deux catégories de gens ; ceux qui donnent des ordres et ceux qui s’y plient ; les chefs et les sujets, les gouvernants et les gouvernés40. Sans cette catégorisation et régulation, la société tournerait vite et rapidement à l’anarchie.

Comme on peut le constater, la société a connu donc une évolution, le mode de production capitaliste est devenu dominant et a eu le mérite d’être différent des sociétés antérieures. Afin d’exprimer cette différence, la société moderne a senti la nécessité d’organiser la domination légale et légitime et la subordination des acteurs de la vie sociopolitique. Par conséquent, il est né une hiérarchie au sein de la société dans l’exercice des rôles de divers domaines.

C’est ici qu’il faut évoquer l’élasticité de l’Etat dans son rôle de création autour de lui d’un organisme chargé de faire respecter et de dire les lois et les autres organes subissent ces lois. La police découle donc de cette évidence.

Que serait la vie sans policiers ? Que s’est-il passé en 1997 lorsque les 18.000 policiers de RECIFE, au Brésil, se sont mis en grève et ont laissé plus d’un million d’habitants livrés à eux-mêmes ? « Au cours de cinq jours qu’a duré le chaos dans cette métropole côtière, le taux d’homicides journaliers a triplé, a rapporté le Washington Post41. Huit Banques ont été dévalisées. Des gangs ont

39 F. MULAMBU MVULUYA, Théories et doctrines politiques et sociales, Notes de cours en G3, FSSAP, UNIK1N. 2006, p. 39, Inédit.

40 M. DUVERGER, cité par La Pierre J.W.L., L'analyse des systèmes politiques, Paris, PUF (Coll), sup. 1973, p. 31.

41 Lire pour des amples renseignements le Washington post dans « Réveillez-vous », n° 8, juillet 2002, pp. 3-12.

envahi un centre commercial et sillonné en voiture les quartiers chics en tirant de coups de feu. Et personne ne respectait le code de la route.

La vague de criminalité a submergé la morgue et le plus grand hôpital de l’Etat; les personnes blessées par balle et agressées à coups de couteau étaient allongées par terre dans les couloirs ». Ce qui a amené le Ministre de la Justice de déclarer : « une telle anarchie est sons précédent ici ». Il s’avère de ce qui précède que l’Etat congolais, en tant que formation sociale, ne peut aucunement se soustraire de cet objectif primordial : celui d’assurer la sécurité et de garantir la libre circulation des personnes et de leurs biens à l’intérieur de son cadre géographique.

De ce qui précède, ma réflexion se propose d’examiner les rapports entretenus par la Police Nationale Congolaise en tant que service public avec l’ensemble de populations congolaises, en répondant, notamment, à la question de savoir si, au stade actuel de sa composition, structure et efficacement la Police Nationale Congolaise remplit effectivement sa mission qui consiste à assurer l’ordre public ainsi que la sécurité des personnes et de leurs biens.

Partant de l’observation des actions menées quotidiennement par la police, depuis une dizaine d’années, il y a lieu de reconnaître et ce, malgré les quelques écueils, que cette dernière accomplit un véritable service public en matière de maintien de l’ordre public par des opérations diverses.

Le rassemblement des éléments ayant servi à l’analyse de cette réflexion, a nécessité l’usage des approches variées ; L’observation directe, des entretiens, des récits de vie et une recherche documentaire fouillée. Vivant sous nos yeux de nombreuses actions menées par la Police Nationale, discutant avec certains policiers et citoyens bénéficiaires et/ou victimes du comportement policier, nous avons été édifié sur les actions et écueils de la Police Nationale Congolaise.

Cette réflexion examine successivement l’itinéraire de la Police Nationale Congolaise, ses principes de base et ses missions, ses ressources et le processus de formation et intervention policière, police et actions de sécurité publique et témoignages des habitants de Kinshasa, le rapport citoyens et Police Nationale congolaise, leurs ambiguïtés et reproches des citoyens vis-à-vis de la police, enfin, la réforme du secteur de la police. Une brève conclusion met un terme à la présente étude.

I. L’ITINÉRAIRE DE LA POLICE NATIONALE CONGOLAISE

Toute vie en collectivité tant primitive que moderne requiert l’aménagement et le respect d’un certain ordre, d’un ordre public. L’institution d’un corps de police pour le maintien de l’ordre remonte à l’époque coloniale. Diverses forces de police avaient été en plusieurs étapes, chargées de la mission du maintien de l’ordre au niveau de l’Etat comme au niveau local. Au niveau de l’Etat, on pouvait distinguer, au point de départ de troupes en service territorial et la police urbaine. L’ordonnance n°11/1 du 1er février 1919 fixait l’organisation interne de la police territoriale, elle créa la police municipale dans certaines localités et nomma les officiers de la police judiciaire, les officiers et les

SERVICES PUBLICS ET ACTIONS DE LA POLICE NATIONALE CONGOLAISE. UN BILAN A DEMI TEINT ?

parCélestin MUSAO KALOMBO MBUYU

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sous-officiers de la police territoriale ainsi que les commissaires et sous-commissaires de la police municipale42.

Ce texte fut complété par l’ordonnance n° 43/1 du 15 août 191943. Il fut donc créé à Borna, Elisabethville, Léopoldville et Matadi une police municipale ayant pour mission de remplir les devoirs généraux de police dans ces circonscriptions urbaines.

La police territoriale fut placée par la loi fondamentale de 1960 à la disposition des provinces devenues autonomes dans le cadre du système semi-fédéral de l’époque. Elle devint ainsi police provinciale dans sa totalité à ce niveau. La police provinciale fut supprimée par l’ordonnance n° 423 du 20 juillet 1966, et remplacée par la police nationale unifiant et homogénéisant en son sein les différentes polices provinciales.

Cette police a subi plusieurs modifications tant au niveau de son organisation et fonctionnement qu’à celui de sa compétence matérielle et territoriale jusqu’à revêtir la forme actuelle44.

Le fonctionnement des services de la police nationale au niveau de la capitale comme des provinces était couvert par un budget de l’Etat. La police nationale bénéficiait en outre de l’aide de la Belgique, de la France, de l’AlD, de l’ONU et des fonds de contrepartie. Il faut noter que l’intégration de la police nationale avait posé divers problèmes d’unification des unités de recensement et de la formation de ces unités, de la dotation en moyens logistiques. Le budget de la République seul ne pouvait suffire face à l’ampleur de ces problèmes. Grâce à l’important concours des aides extérieures bilatérales et multilatérales, ces problèmes trouvèrent facilement des solutions au niveau de la capitale comme des détachements en provinces45.

La Police Nationale fut supprimée par l’ordonnance-loi n° 72/031 du 31 juillet 1972 portant institution d’une Gendarmerie Nationale pour la République du Zaïre. La Gendarmerie Nationale sera elle-même supprimée par l’ordonnance-loi n° 81/036 du 28 août 1984 portant création et organisation de la Garde Civile du Zaïre. Cette ordonnance-loi fut modifiée et complétée par l’ordonnance-loi n° 002 du 14 mars 1992.

L’histoire de la nouvelle Police Nationale Congolaise est certes récente. En avril 1997, la guerre que menait l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo/Zaïre (AFDL) tendait déjà à sa fin. Les troupes de l’AFDL qui progressaient vers Kinshasa, la capitale, se trouvaient à l’étape de Bandundu. Sur leur passage, les populations dont les territoires étaient conquis par les forces rebelles commençaient à se réorganiser.

En date du 22 avril 1997, il fut élaboré et signé à Goma le document fondateur de la Police Nationale intitulé : « Directives provisoires sur la mise en place de la Police Nationale Congolaise, les stratégies organiques, les missions, les indications sur le tableau organique, les critères de sélection des premiers éléments et le plan de formation ».

Le séjour à Lubumbashi fut marqué par la création de la police d’intervention rapide (PIR), une unité mobile spécialisée dans la lutte contre la criminalité, de maintien et le rétablissement de l’ordre public.

La Police nationale Congolaise telle qu’étudiée aujourd’hui, est régie par le Décret-loi n° 002/2002 du 26 janvier 2002 portant

42 B.A. [1919), p. 593.43 Idem, pp. 121-12544 Lire à ce sujet la publication de BOOTO W'ITAMBALA, B., « Historique

de la police de la République du Congo », (sous la direction de MABIALA MANTUBA NGOMA) dans Police et Reconstruction Nationale, I.D.L.P., Kinshasa, 1999, pp. 135-137.

45 BOOTO W'ITAMBALA. op� cit., p. 137.

institution, organisation et fonctionnement de la Police nationale Congolaise46.

II. LES PRINCIPES DE BASE ET MISSIONS DE LA POLICE NATIONALE CONGOLAISE

2.1. Principes de base

2.1.1. La tutelle

C’est le Ministère qui a dans ses attributions l’Administration du territoire et de la sécurité publique qui dispose de la force de police, c’est-à-dire le Ministère de l’Intérieur.

2.1.2. Une seule force

Le débat sur la multiplicité des forces de police dans un pays est toujours d’actualité et les raisons qui ont milité jadis pour les garanties offertes au système démocratique par la présence des forces concurrentes à l’émulation font l’objet de révision dans plusieurs Etats modernes. Dans la situation particulière de notre pays, compte tenu notamment de contraintes financières, de la nécessité d’éviter la guerre de polices, de la disparité des moyens et de la volonté de garantir l’unicité et l’homogénéité du commandement au lendemain de la guerre, l’option levée est celle d’une force de police, distincte des forces armées.

Les polices privées, celles des établissements commerciaux par exemple, ne font guère opposition à la police nationale et à son commandement, au motif du monopole de la violence légale présentée comme toujours mesurée et circonscrite à la bonne réalisation de l’ordre interne ou externe47. Ces polices privées subissent le contrôle effectif des polices publiques nationales afin d’éviter l’égarement.

2.1.3. Une Police Nationale

La force de police est à la fois une et nationale, c’est-à-dire que les unités de police spécialisée, celles implantées en provinces et autres entités territoriales, les grandes unités d’intervention, etc. relèvent toutes d’un commandement unique, à l’échelon national.

Le caractère national vise aussi bien sa composition qui doit être le reflet des ressources humaines dont dispose le pays que le souci de faciliter la lutte contre les criminels de plus en plus mobiles et bien rodés dans l’exploitation des cloisonnements des compétences territoriales. La police doit être l’arbitre des tiraillements, de divers courants politiques qui peuvent se disputer le pouvoir dans un pays en apprentissage des mécanismes de fonctionnement de la démocratie.

2.1.4. Statut du personnel

Au sein de la Police Nationale Congolaise, on distingue deux types de personnel :

- Les autorités policières et les autorités civiles de la police sont là les organes compétents pour prendre des décisions de grande envergure. Il est à signaler que les autorités civiles de la police dont on fait allusion ici c’est notamment le président de la République, le responsable n° 1 de la sécurité nationale, le Ministre de l’Intérieur qui représente le Gouvernement en matière de l’ordre public.

46 Journal Officiel de la République Démocratique du Congo, n° 43 du 15 avril 2002.

47 ALCAUD, D. et BOUVET, L. (sous la dir. De) op. cit, 2004, p. 406.


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- Le personnel de police comprend : les policiers de carrière et le personnel civil. Est policier de carrière, tout agent recruté et reconnu en cette qualité à la suite d’une nomination à l’un des grades de la hiérarchie de la Police Nationale telle que définie par le règlement d’Administration particulier. Le personnel civil œuvrant au sein de la Police Nationale Congolaise est soumis au statut du personnel de carrière des services publics de l’Etat et à des mesures d’exécution48.

Exceptionnellement, la RDC n’a jusqu’à ce jour que les forces de police en uniforme. Les policiers et policières congolais sont soumis à un statut propre qui tient compte des exigences du métier et de la nature propre d’une profession dont l’exercice suppose la détention des armes.

Il faut le rappeler, la Police nationale Congolaise est composée de trois éléments dont la police administrative générale, les polices spécialisées et la police judiciaire.

2.2. Les missions de la police nationale congolaise

Les missions de la Police nationale Congolaise trouvent leur fondement dans la base légale, à savoir la Constitution [art. 182 à 186) et le Décret-loi n° 002/2002 (art. 5 et 6). Dans ces textes, il est clairement écrit que la police est :

- apolitique ;- soumise à l’autorité civile ;- que nul ne peut la détourner à des fins personnelles ;- qu’elle est au service de la nation et du peuple congolais.

Ses fondements sont donc de nature à assurer la sécurité des personnes et des biens dans le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme.

Définies par la Constitution et le Décret-loi n° 002/2002 tou-jours en vigueur, les missions de la Police Nationale Congolaise doivent rester traditionnelles et conformes à celles d’un grand Etat démocratique, surtout dans le contexte d’une période de troubles graves qui l’ont fortement désorganisé.

Il faut noter que le Décret-loi n° 002 du 26 janvier abroge notamment :- l’ordonnance-loi n° 84/036 du 28 août 1984 portant

création et organisation de la Garde Civile du Zaïre, telle que modifiée et complétée par l’ordonnance-loi n° 002 du 14 mars 1992 ;

- l’ordonnance-loi n° 72/031 du 31 juillet 1972 portant institution d’une Gendarmerie nationale pour la République du Zaïre ;

- l’ordonnance-loi n° 72/041 du 30 août 1972 portant organisation de la Gendarmerie Nationale du Zaïre.

La diversité et la complexité des missions assignées à la Police Nationale Congolaise supposent un certain nombre d’activités très diverses : administration, investigation, arrestations, significations des convocations, surveillance, filature, etc.

48 Lire les articles 44, 45 et 46 du Décret-loi n° 022/2002 du 26 janvier 2002 portant institution, organisation et fonctionnement de la Police Nationale Congolaise, in Journal Officiel, p. 29.

La Police Nationale est chargée d’assurer deux types de missions :

• Les missions ordinaires :

La Police Nationale Congolaise a comme mission ordinaire de :- veiller à la sécurité et à la tranquillité publique ;- assurer et rétablir l’ordre public ;- répondre aux demandes de concours :- renforcer les lois par l’apport d’un appui, d’un concours ou

d’une surveillance continue des opérations anti-terroristes sous toutes ses formes49.

Dans ce cadre, il convient de signaler que le policier n’attendra pas qu’il soit autorisé de passer à l’exécution d’un ordre de son chef, mais c’est dans le cadre de l’exercice de sa fonction de policier qu’il doit maintenir ou rétablir Tordre public ou même la protection des personnes et de leurs biens.

• Les missions extraordinaires

Ce sont les missions que la police exécute lorsqu’il y a émeutes, attroupements armés, manifestations autorisées ou non autorisées, hostiles ou non hostiles au pouvoir, le cas de vols, de bagarres, etc.

L’institution policière estime que ces genres de manifestations peuvent toujours déboucher sur des débordements. A cet effet, la police détient l’autorisation de la hiérarchie lui permettant de réprimer ou d’encadrer ces manifestations. La Police Nationale est non seulement un instrument de prévention et de répression des crimes de tout ordre, mais aussi une structure d’encadrement et de mobilisation des recettes de l’Etat. Dans cette optique, elle est un atout, un instrument de développement de l’Etat. Pour atteindre cet objectif de développement, l’impératif de la reconversion des mentalités s’avère indispensable avec comme conséquence un rôle économique de générateur de recettes versées au Trésor public en termes des amendes provenant des personnes ayant commis des infractions.

2.3. Les ressources de la police nationale congolaise et processus de formation

2.3.1. Ressources humaines et matérielles

Les besoins en ressources humaines sont évalués en fonction de quelques critères dont notamment les suivants :- l’étendue du territoire et des particularités territoriales

(2.345.409 km2) ;- la population et le poids démographique (± 60.000.000

habitants) ;- le niveau d’activité économique ;- la configuration partielle de la criminalité ;- les ressources disponibles ou mobilisables.

De façon générale, les ressources humaines à la police sont d’origine disparate, de formation inégale, voire inexistante, d’âge souvent excessif, parfois inaptes au service et ne sont pas véritablement connues.

Lors des événements récents, l’agrégation à la police de miliciens, gardes municipaux, civils en armes, tous sans formation et bien souvent ne pratiquant pas la langue officielle de la RDC, a créé un corps sous qualifié et hétérogène. Ainsi, le personnel

49 Lire le journal Officiel numéro spécial du 15 avril 2002, p. 24.

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de la Police Nationale Congolaise comprend même en son sein quelques analphabètes.

Excepté dans quelques unités récemment formées et intégrées, le manque de cohésion résultant des affrontements armés est marquant, même s’il faut reconnaître qu’il a moins affecté le sens du service au sein de la police, que dans d’autres corps.

Souvent démuni de tout moyen d’exécution du service, mal rémunéré, non contrôlé ni valablement commandé sur le terrain, le personnel est livré à lui-même, notamment dans les contrées reculées et se livre trop souvent à des abus et tracasseries sur la population50.

Il existe pourtant un potentiel considérable de compétences parmi les policiers de tous niveaux et âges, qui ne demande qu’à être utilisé et mis au service du renouveau.

Il faut noter que les jeunes recrues de qualité ont embrassé la carrière et méritent d’être mis en valeur par l’Etat, instrument par excellence de la violence légale. Aussi, l’état d’esprit et le sens du service des policiers ont plutôt bien résisté aux événements violents qui ont précédé et accompagné le scrutin présidentiel de 2006 et que la volonté de servir reste grande parmi eux.

2.3.1.1. Les effectifs

Les effectifs sont passés d’une estimation de 75. 000 à 80.000 en 2003. En 2004, un recensement informatisé sur l’ensemble du territoire national était en cours, mais face aux difficultés rencontrées par l’entreprise mandatée, le travail n’a été accompli que sur Kinshasa.

En conséquence, une mission de vérification a effectué un contrôle physique dans le reste du pays. Le résultat combiné de ces deux exercices donne un effectif de 103.803 policiers, dont 5.252 femmes (5,30%), 5.194 inactifs (veuves et orphelins, 20 retraités (sans pension, depuis 2002).

Cette liste bloquée par le Ministère de l’Intérieur, Décentralisation et Sécurité ne fait pas l’unanimité comme on le précise dans les travaux cités. Et surtout compte tenu du caractère ontologique de l’institution policière. De cet effectif, l’ex unité UPI (Unité de Police Intégrée comprend 1008 hommes et femmes policiers congolais qui ont été brassés. La notion de brassage implique une répartition équilibrée des membres de chaque faction ex-belligérante aussi bien dans le personnel que dans la chaîne de commandement. 70% de policiers de l’ex UPI viennent de l’Est du pays. Les femmes représentent 20% de l’effectif51.

Sous cette même rubrique, il faut noter qu’actuellement, il n’existe pas de recrutement organisé, ni de système d’appréciation ou de notation du personnel, ni de critères utilisables pour l’avancement, La structure démographique du personnel vieillit de manière inquiétante. La loi n° 081/003 du 17 juillet 1980, portant statut du personnel de carrière des services publics de l’Etat est applicable aux policiers comme à tous les fonctionnaires. Cette loi n’est pas malheureusement applicable.

50 Lire les travaux de réflexion sur la réforme de la Police nationale Congolaise organisés par le Ministère de l'Intérieur, Décentralisation et Sécurité en République Démocratique du Congo.

51 Unité de police intégrée (UPI) : un exemple du partenariat européen en matière de police en République Démocratique du Congo, in Document d'information presse Eupot, Kinshasa, mars 2006, p. 3.

2.3.1.2. Matériels, équipements et soutien de l’homme

Le matériel est un atout essentiel pour une police efficace. La police doit être suffisamment équipée en vue de lui permettre une meilleure prestation. Malheureusement notre police présente un déficit en équipement de service, ceci fait que certaines villes du pays sont oubliées au profit de grandes agglomérations alors qu’elles éprouvent également un réel besoin en équipement et en policiers.

La Police Nationale Congolaise [PNC] aurait dû hériter des infrastructures ayant appartenu jadis aux anciennes forces de l’ordre de la deuxième République (Gendarmerie et Garde Civile). Malheureusement, la plupart de ces infrastructures (biens, meubles et immeubles, véhicules et autres patrimoines ont été pillés dans l’effervescence de la chute du régime, les archives détruites. Les quelques édifices épargnés présentent aujourd’hui un état de délabrement le plus avancé. Mais l’effort fourni dans leur réhabilitation fait d’eux une peau neuve.

En contradiction flagrante avec l’article 3 du Décret-loi n° 002/2002, le patrimoine immobilier de la Police Nationale Congolaise a été totalement, ou peu s’en faut, détourné par les forces armées qui ne semblent pas disposées à le restituer.

Les provinces récemment créées (Maniema, Nord-Kivu et Sud-Kivu) ne disposent pas de locaux aux conditions acceptables pour l’Inspection provinciale. Le passage en perspectives de 11 à 26 provinces sera délicat pour l’installation de la Police Nationale Congolaise.

II n’existe plus de « casernes » et les unités d’intervention, qui doivent vivre groupées pour être disponibles, n’ont pas les cantonnements. Elles logent « au quartier » ou sous hangars, ce qui rend leur disponibilité aléatoire.

La volonté affichée du nouveau commandant [Inspecteur Général] de la police, Monsieur John Numbi constitue pour la plupart de nos enquêtes (interviewés) le socle d’espoir du renouvellement de ce corps de violence légale.

Il n’existe pas de plan d’acquisition et de dotation. Ainsi, la police dépend des donations et autres achats effectués dans le cadre conjoncturel de programmes de soutiens bilatéraux. Ceci entraîne une hétérogénéité des matériels fournis qui ne va pas dans le sens d’une rationalisation de la gestion logistique. Seules les unités récemment formées, comme la Police d’Intervention Rapide (PIR) par la France et l’Unité de Police Intégrée (supprimée lors de la dernière restructuration de la PNC, possèdent des matériels adaptés et modernes.

La dotation en armement à la PNC n’est donc pas autonome dans ce domaine en dehors de l’UPI (avant sa suppression) et la PIR qui représentent à elles seules 90% du parc automobile.

Il y a lieu de reconnaître les efforts fournis par les autorités politico-militaires lesquelles ont petit à petit apporté le secours à cette jeune institution. La police a reçu de la part du gouvernement via le Ministère de l’Intérieur un lot important des véhicules 4 x 4 et autres équipements de secours.

Les partenaires privés et étrangers à leur tour ne sont pas en reste. Ils apportent assistance à l’institution policière, tel est le cas de Vodacom qui a remis autrefois un lot de 100 (cent) appareils cellulaires de communication permettant à la police d’être en contact avec ses éléments déployés sur terrain (points chauds).

A l’avènement de John Numbi à la tête de la police, trois mois après, 100 Jeeps Land Rover pour les patrouilles acquises pour la police sur fonds propres générés par la police. Là où les Land Rovers ne peuvent accéder, ce sont des motos remises en bon


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état. Deux mille panneaux de signalisation routière originaux commandés de l’Europe. Sous une époque récente, le carburant de la PNC était devenu un grand marché où tout le monde allait se procurer et tout l’argent empoché par les maffieux véreux de la Police Nationale Congolaise. Aujourd’hui, la PNC dispose d’importantes réserves de gasoil à peu près 3000 m3 et plus ou moins 189 m3 de super.

Quant aux frais de ménage, ils n’étaient pas comptabilisés et les officiers prenaient pour leurs comptes personnels tandis que sous John Numbi, tout est contrôlé.

Si les policiers n’étaient pas acceptés dans les centres hospitaliers à cause des dettes contractées, mieux pour insolvabilité des autorités, le commandement sous l’IG John Nurnbi a apuré toutes les dettes contractées par ses prédécesseurs et les policiers et policières sont maintenant admis dans n’importe quel centre grâce à la crédibilité de la hiérarchie. Si hier, il y a eu carence des tenues, aujourd’hui, il y en a en grande quantité et toutes les unités de la police sont bien vêtues52.

2.3.2. Ressources financières

La question à laquelle on doit faire allusion ici est celle du budget de la police, son autonomie et les réalités mêmes qui entourent ce budget.

En effet, l’autonomie pourtant prévue par les différents textes, reste théorique. L’Inspecteur général désigné « Ordonnateur du budget » ne dispose pas de réel budget, mais d’enveloppes de fonctionnement. L’élaboration du budget est conforme à l’usage, mais la réalité est tout autre.

Un montant de 394 milliards53 de Francs Congolais avait été inscrit dans les prévisions budgétaires de la Police Nationale Congolaise pour 2006 au titre des rémunérations et salaires. Il a simplement été retenu un montant de 8.336 millions de Francs Congolais.

En ce qui concerne le budget de fonctionnement, il faut rappeler par exemple que les prévisions pour 2006 étaient de 230,5 milliards de Francs Congolais pour le fonctionnement et de 12,4 milliards de Francs Congolais pour l’investissement. La PNC n’a reçu que 6 milliards de Francs Congolais pour le fonctionnement, 5,6 milliards de Francs Congolais pour les dépenses exceptionnelles sur ressources du gouvernement et 5,45 milliards sur les ressources extérieures soit 17 milliards.

L’encaissement des amendes transactionnelles et autres taxes, devrait être strictement réglementé et directement versé au compte du trésor public. Le taux des différentes amendes perçues devrait faire l’objet d’actes juridiques pour éviter la concussion et autres abus de pouvoir de la part des policiers.

Les commissariats devraient bénéficier de certaines prérogatives en matière de gestion budgétaire telles que l’acquisition ou l’approvisionnement en carburants et ingrédients ainsi que l’alimentation des unités constituées.

C’est à ce niveau qu’il faut rappeler les efforts de la police sous le commandement de l’Inspecteur Général John NUMB1. Depuis son arrivée, il est allé en guerre contre l’évasion financière et des détournements devenus monnaie courante en instaurant l’orthodoxie dans la gestion des recettes générées par la Police Nationale Congolaise,

52 Lire Tapis rouge, Le journal des opprimés, Scandale financier à la PNC, n° 0755 du jeudi 13 décembre 2007.

53 Lire les travaux de réflexion sur la réforme de la police déjà cités.

• Les réalisations pendant les 3 premiers mois

Là où ses prédécesseurs avaient réalisé 8% par an, l’Inspecteur Général a battu tous les records en réalisant 124% à la grande satisfaction de la sous-commission du budget du parlement qui a été surprise de voir la Police faire les réalisations pareilles.

Là où les prédécesseurs ont réalisé 21 millions par an, l’Inspecteur Général John Numbi a épaté avec 312 millions pendant 3 mois seulement.

• Les prévisions budgétaires en recettes 2008 sont de l’ordre de 376.659.360,00 FC. Dans ce contexte, l’optique rétrospective se présente comme suit :

1. Les assignations de 2006 étant de l’ordre de 254.869.600 FC, la PNC n’avait réalisé que 21.045.375 soit 8,3% ;

2. Celles de 2007, sont de l’ordre de 303.838.000 FC, la PNC a déjà réalisé 312.538.222 FC, soit un dépassement de 8.700.222 FC avant fin exercice budgétaire 2007. C’est la suite des mesures plus contraignantes et plus incitatives que la hiérarchie de la police a mises sur pied et la maîtrise de perception et recouvrement de la taxe de gardiennage. Nonobstant la période de courtoisie routière décrétée périodiquement dans le sens d’inciter les usagers de la route à la citoyenneté [3 mois pendant lesquels la PCR ne taxe pas, les usagers de la route avec comme conséquence le manque à gagner très important pour le trésor public) ; En plus, la modicité et même l’irrégularité des subsides mises à la dispositions de la PNC par le Ministère des Finances ne sont pas de nature à motiver les services percepteurs qui se trouvent ainsi exposés à la tentation de consommation à la source des recettes réalisées. 11 faut aussi noter le fait que la police territoriale (les OPJ) se buttent parfois à l’interventionnisme intempestif des autorités tant politico-administratives que militaires, interventionnisme qui donne lieu à l’entêtement de la population, pourtant bénéficiaire des services de la police. Dans ses attributions traditionnelles, la PNC n’est pas seulement que répressive d’où, l’interférence de l’auditorat militaire et des parquets de droit commun dans le traitement des dossiers susceptibles d’être clôturés au niveau de la police, on fait perdre à la Police Nationale Congolaise des sommes énormes, au détriment du trésor public.

3. La multiplicité des services percepteurs des taxes (ANR, DGM, Auditorat militaire, FARDC, etc.) qui parfois se substituent à la PNC, surtout dans les unités éloignées, est aussi un fait important à signaler.

4. La pauvreté de la population, qui dans certaines contrées, est incapable de payer le montant minimum de l’amende ; et préfère remettre à l’agent taxateur PNC (OPJ) poule, chèvre et autre calebasse d’huile, etc.

5. Sur le plan de mobilisation des recettes, il y a nécessité de paix et tranquillité sur toute l’étendue de la RDC, du changement de mentalité dans le chef des dirigeants de la DGRAD, etc. Pour ce faire, il y a lieu de relever les défis suivants :

• La nécessité d’un engagement réciproque PNC-DGRAD, ayant pour objet :

- l’assouplissement des procédures de mobilisation des recettes ;

- le bon comportement des intervenants dans le circuit de mobilisation des recettes ;

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- la rétrocession de 5% des recettes générées par la PNC et le paiement de la prime de mobilisation des recettes ainsi que celle sur la plus value ;

- l’élargissement de l’assiette fiscale surtout alors qu’il faut considérer l’intégration de la Direction de la Police des frontières à la PNC.

• La révision des textes de lois relatifs à la mobilisation des recettes par la PNC dont la loi n° 004/015/ du 16 juillet 2004 telle que modifiée et complétée par la loi n° 05/008 du 31 mars 2005 et l’arrêté interministériel n° 061/CAB/mininterdec/2006 et n° 067/cab/min/fin/2006 du 13 juin 2006 portant respectivement fixation de la nomenclature des actes générateurs des recettes administratives, judiciaires et domaniales et de participation, ainsi que celui portant fixation de taux des droits et taxes perçues à l’initiative de la PNC en les adaptant aux exigences de la réforme déjà entamée (cas de la création de la police des frontières et l’intégration souhaitée de la police judiciaire des parquets au sein de la PNC, etc.).

• La gestion dynamique des imprimés de valeur sécurisés afin d’éviter toutes falsifications favorisées par l’évolution de l’outil informatique. Quant aux actes générateurs des recettes, la PNC n’en dispose que 4, à savoir :

- Les amendes transactionnelles de la Police territoriale ;

- Les amendes transactionnelles de la Police de circulation routière ;

- Les attestations de perte des pièces de bord ;

- La taxe de gardiennage54.

Il faut signaler, encore une fois, que les unités d’intervention nouvellement créées jouissent d’un traitement de faveur, tant dans l’élaboration que dans la dotation. Les crédits alloués au titre des dépenses exceptionnelles sont fournis par le gouvernement ou proviennent des ressources extérieures, en fonction des besoins exprimés.

2.3.3. Processus déformation des policiers

La formation professionnelle constitue un moyen d’atteindre les objectifs assignés à la Police Nationale Congolaise. En effet, à long terme, rien ne pourra probablement remplacer la formation policière et l’instruction au sens large, qui apprennent aux policiers à respecter les droits de l’homme et les principes de la gouvernance démocratique. Les écoles de la police s’acquittent de cette tâche, mais il faut également les soumettre à des critères stricts en matière de recrutement, d’instruction et de promotion, afin de leur éviter de céder aux pressions politiques et à la corruption. Cependant, il est peut être encore plus urgent de dispenser une formation professionnelle aux policières et policiers. Ce qui peut largement améliorer le sens des responsabilités des forces de Police et la confiance de l’opinion publique. Ces programmes doivent se concentrer sur le rôle du policier et de la policière dans une société démocratique, en mettant particulièrement l’accent sur le dialogue et les contacts dans la détermination des activités de maintien de l’ordre. Une société observatrice des principes démocratiques lutte contre la discrimination dans la formation et intègre les femmes à la formation, dimension genre oblige.

54 Cette partie est tirée de la communication faire par l'inspecteur Général de la PNC, Inspecteur divisionnaire en Chef, John NUMBI BANZA TAMBO devant les membres de la sous-commission chargée de l'examen des recettes encadrées par la DGRA. Assemblée Nationale.

Pour y parvenir, encore faut-il que les recettes publiques soient suffisantes. Sans un matériel adapté et un salaire minimum décent, le manque de discipline et la corruption persisteront. La Police Nationale Congolaise est caractérisée par un niveau de formation en dessous du minimum requis. Il existe cependant encore de « vrais » policiers malheureusement noyés dans le nombre de nouveaux venus.

La formation ou les recyclages sont aujourd’hui le fait d’actions conjoncturelles, bi ou multilatérales, parfois non coordonnées ou manquant de transparence. Ils ne sont pas intégrés dans un véritable programme d’ensemble élaboré par la PNC elle-même. Ils ne répondent pas toujours à la même doctrine. Le contexte électoral a obligé le gouvernement à se focaliser sur la Police de maintien de l’ordre.

Le cas de la Somalie par exemple, dans le contexte de crise, pour devenir policières, deux semaines de formation auront suffit. En effet, les recrues sont formées seulement pendant douze jours par souci de « former » 500 policiers après deux semaines. On note davantage plus d’anciens policiers du régime chassé, il y a plusieurs années du pouvoir. Les miliciens des anciens Seigneurs de guerre sont aussi recrutés afin de lutter contre la criminalité et tous les insurgés quotidiens55.

2.3.3.1. Institutions et écoles déformation

Dans toutes les unités de police du monde, les recrues venues de toute part, sont envoyées au sein de différents centres d’initiation de la place pour y subir une formation leur permettant de connaître les techniques et même la philosophie policière pendant une période déterminée selon le service et les tactiques.

Il faut rappeler que le recrutement à la police se fait sur base de volontariat. En son début en 1997, l’institution policière a vu 13.000 policiers répartis sur l’ensemble du territoire. Les effectifs actuels avoisinent déjà à peu près une centaine de milliers d’hommes et de femmes. Dans le secteur de la formation, l’Inspection Générale a assuré :

- la formation idéologique systématique du personnel ;

- la formation de base ;

- la formation d’agents et officiers de renseignement ; la formation dans les différentes communes de la capitale des policiers communaux.

Parmi les centres qui assurent la formation des éléments de la police, citons :

- le centre de formation et instructions de Maluku (Mbankana)/ Kinshasa ;

- le centre de M’Vula au Kongo Central (Kasangulu) ;

- le centre de Kasapa au Haut-Katanga ;

- le centre de Kasangulu ;

- le centre Jules Moke ;

- Le centre de Kapalata ;

- Le centre Hewa Bora ;

- les centres Kasapa, Kapalata et Jules Moke ont été partiellement réhabilités jusqu’en juillet 2007 ;

55 Deux semaines pour devenir policières, informations données par RFI au journal de 4h30 en date du 7 mai 2007.


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- l’école de formation des officiers de police judiciaire est opérationnelle depuis janvier 2007 à Kinshasa ;

- Le centre de formation Mbankana II pour les nouvelles unités intégrées.

En 2004 par exemple, 187 stagiaires sont venus de toutes les provinces du pays et ont reçu une formation pendant six semaines au centre de formation Kasangulu au Kongo Central avec l’appui de l’Union Européenne.

2.3.3.2. Coopération avec les partenaires étrangers

Nos enquêtes de terrain révèlent que les partenaires extérieurs se sont investis afin d’aider la PNC à former les agents et cadres policiers à même de maintenir l’ordre public donc de véritables corps de police professionnelle. Parmi ces partenaires, il faut citer : la MONUC, l’Afrique du Sud, la France, l’Union européenne, le Maroc, le Nigeria, le Japon, les USA, la Tchécoslovaquie, la Russie, l’Egypte et l’Angola, etc.

Il faut rappeler ici que le mémorandum sur l’armée et les forces de sécurité, signé le 29 juin 2003 par les signataires de l’Accord Global et inclusif sur la transition, prévoyait la création de deux unités de police.

La première est un corps de protection rapproché (CPRJ)responsable de la sécurité des leaders politiques et des sites des institutions de la transition. La seconde est une unité de police intégrée (UPI) (aujourd’hui dissoute) chargée d’assurer la sécurité dans le pays.

Aujourd’hui, la police congolaise est constituée à 95 pour cent d’anciens membres des forces de l’ordre (gendarmerie, garde civile et police de circulation) du régime Mobutu. Son effectif se situe (selon certaines sources) entre 90,000 et 114.000 policiers56. Dans le cadre de sa réforme, l’accent est placé sur le renforcement des capacités des policiers à assurer la sécurité pendant et après la période électorale. Le plan stratégique de formation de la police prévoyait dans ce contexte la formation de 74.631 policiers répartis.

Les difficultés relatives à l’accès à la documentation ne nous ont pas permis de donner avec précision les nombres d’hommes et des femmes policiers formés par les différents pays intervenants dans ce secteur. Les personnes interviewées se sont limitées seulement à nous présenter les noms et les contenus de la formation assurée par les pays intervenants.

2.3.3.3. Motivation au sein de la police

Rémunération

La rémunération du personnel est un problème essentiel dans la gestion d’une organisation ou d’une institution. La rémunération influe sur le rendement et conditionne, pour une grande part, l’intégration du personnel et par conséquent sa stabilité. L’évolution générale dans ce domaine se fait dans le sens des minimums garantis, etc.

56 Rapport n° 104 du 13 février 2006, sur la réforme du secteur de sécurité en R.D.C. (Mission de conseil et d'assistance de l'Union européenne).

A l’Administration Publique congolaise, la rémunération est fonction des grades en vigueur à la fonction publique57.

Qu’en est-il de la rémunération à la Police Nationale Congolaise ?

La rémunération au sein de la Police Nationale Congolaise comme dans l’ensemble de l’Administration Publique congolaise est lamentable. Ce qui constitue un paradoxe, car en RDC, un pays à forte potentialité économique dont la population est très pauvre, avec un revenu faible. Beaucoup de paramètres expliquent cette situation, notamment :

- la mauvaise politique salariale ;

- la mal gouvernance ;

- le centre de Kasapa au Katanga ;

- le centre de Kasangulu ;

- le centre Jules Moke ;

- Le centre de Kapalata ;

- Le centre Hewa Bora ;

- les centres Kasapa, Kapalata et Jules Moke ont été partiellement réhabilités jusqu’en juillet 2007 ;

- l’école de formation des officiers de police judiciaire est opérationnelle depuis janvier 2007 à Kinshasa ;

- Le centre de formation Mbankana II pour les nouvelles unités intégrées.

En 2004 par exemple, 187 stagiaires sont venus de toutes les provinces du pays et ont reçu une formation pendant six semaines au centre de formation Kasangulu au Bas-Congo avec l’appui de l’Union Européenne.

2.3.3.2. Coopération avec les partenaires étrangers

Nos enquêtes de terrain révèlent que les partenaires extérieurs se sont investis afin d’aider la PNC à former les agents et cadres policiers à même de maintenir l’ordre public donc de véritables corps de police professionnelle. Parmi ces partenaires, il faut citer : la MONUC, l’Afrique du Sud, la France, l’Union européenne, le Maroc, le Nigeria, le Japon, les USA, la Tchécoslovaquie, la Russie, l’Egypte et l’Angola, etc.

Il faut rappeler ici que le mémorandum sur l’armée et les forces de sécurité, signé le 29 juin 2003 par les signataires de l’Accord Global et inclusif sur la transition, prévoyait la création de deux unités de police.

La première est un corps de protection rapproché (CPR) responsable de la sécurité des leaders politiques et des sites des institutions de la transition. La seconde est une unité de police intégrée (UP1) (aujourd’hui dissoute) chargée d’assurer la sécurité dans le pays.

Aujourd’hui, la police congolaise est constituée à 95 pour cent d’anciens membres des forces de l’ordre (gendarmerie, garde civile et police de circulation) du régime Mobutu. Son effectif se situe (selon certaines sources) entre 90.000 et 114.000 policiers58. Dans le cadre de sa réforme, l’accent est placé sur le renforcement

57 EPEE GAMBWA, Gestion des ressources humaines, Cours dispensé en G3 SPA/FSSAP, UNIKIN, 2006-2007.

58 Rapport n° 104 du 13 février 2006, sur la réforme du secteur de sécurité en R.D.C. (Mission de conseil et d'assistance de l'Union européenne).

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des capacités des policiers à assurer la sécurité pendant et après la période électorale. Le plan stratégique de formation de la police prévoyait dans ce contexte la formation de 74.631 policiers répartis.

Les difficultés relatives à l’accès à la documentation ne nous ont pas permis de donner avec précision les nombres d’hommes et des femmes policiers formés par les différents pays intervenants dans ce secteur. Les personnes interviewées se sont limitées seulement à nous présenter les noms et les contenus de la formation assurée par les pays intervenants.

2.3.3.3. Motivation au sein de la police

- Rémunération

La rémunération du personnel est un problème essentiel dans la gestion d’une organisation ou d’une institution. La rémunération influe sur le rendement et conditionne, pour une grande part, l’intégration du personne] et par conséquent sa stabilité. L’évolution générale dans ce domaine se fait dans le sens des minimums garantis, etc.

A l’Administration Publique congolaise, la rémunération est fonction des grades en vigueur à la fonction publique59.

Qu’en est-il de la rémunération à la Police Nationale Congolaise ?

La rémunération au sein de la Police Nationale Congolaise comme dans l’ensemble de l’Administration Publique congolaise est lamentable. Ce qui constitue un paradoxe, car en RDC, un pays à forte potentialité économique dont la population est très pauvre, avec un revenu faible. Beaucoup de paramètres expliquent cette situation, notamment :

- la mauvaise politique salariale ;

- la mal gouvernance ;

- le manque de planification ;

- le manque de volonté politique.

La rémunération du policier aux premières heures du régime de Laurent Désiré Kabila est passée de 100$ US à 1680 FC (± 3,3$) avant de remonter à 5.000 FC (10$ US) jusqu’à juillet 2007. Cette réalité démotive pas mal d’agents qui ont intégré les rangs de la police en ayant pour facteur d’accès et d’intégration des raisons économiques. C’est donc dire que la rémunération, autrefois fixée à 100 $ pour le tout dernier des agents de la police, connaît une baisse indescriptible.

2.3.3.4. De l’intervention de la Police nationale Congolaise

La PNC doit intervenir dans le strict respect des principes chers aux forces de l’ordre, à savoir les principes de légalité et de proportionnalité de moyens utilisés. Ces principes sont souvent violés par les forces de l’ordre à travers le monde, surtout celles des pays en voie de développement

59 EPEE GAMBWA, Gestion des ressources humaines, Cours dispensé en G3 SPA/FSSAP, UNIKIN, 2006-2007.

1° Le principe de légalité

Dans les pays de vieille démocratie, toute intervention policière et toutes tactiques employées, doivent viser à rétablir l’équilibre que la loi a déterminé entre les droits et les obligations des citoyens.

De ce fait, la police est revêtue d’un pouvoir qui lui confère la liberté d’action en vue de rétablir l’équilibre rompu ; et l’autorité policière est invitée à organiser son système de force, son dispositif de manière à poursuivre ses missions.

C’est pourquoi elle dispose des forces de police (policières) de telle sorte qu’elles n’agissent pas en ordre dispersé, mais il établit une unité de commandement chargée de diriger les opérations sur le terrain.

2° Le principe de proportionnalité

D’après ce principe, les forces de l’ordre doivent employer les moyens proportionnels à ceux des contrevenants à la loi. Cependant, il convient de retenir que la Police Nationale Congolaise n’en tient pas compte par manque de matériel. A titre d’exemple pour encadrer une marche de protestation ou un meeting, il est arrivé quelques fois à voir des policiers-es armés de fusils de guerre alors qu’ils pouvaient être munis de casques, boucliers, matraques, véhicules blindés, gaz lacrymogène et autre et ne recourir aux armes à feu qu’en cas d’extrême résistance.

III. ACTIONS DE SÉCURITÉ PUBLIQUE DE LA POLICE ET TÉMOIGNAGES DES HABITANTS DE KINSHASA

3.1. Les actions et prévention de la police nationale congolaise

Nul n’est besoin de rappeler le rôle prépondérant joué par la police au sein de la société congolaise et partout dans le monde pour le domaine de la sécurité publique, la préservation de l’ordre public, de la paix et de la recherche des infractions, la protection des personnes et de leurs biens.

La police nationale est une nécessité pour tous les Etats du monde ; car un pays sans police, est une nation appelée à vivre en désordre et dans l’insécurité totale, donc à disparaître. Nous avons évoqué à la partie introductive de cette dissertation, ce qui s’est produit en 1997 à RECIFE au Brésil, quand les policiers se sont mis en grève. Au cours de cinq jours qu’a duré le chaos dans cette métropole côtière, le taux d’homicides journaliers a triplé, a rapporté le Washington Post: huit banques ont été dévalisées60....

Que ce soit en temps de paix ou de guerre, la police doit continuer à jouer son rôle en tant qu’actrice principale du processus de changement, car la promotion de la paix et de la stabilité dans un pays dépend justement d’une force de police réfléchie faisant preuve de bon sens et bien entraînée61. La Police, pour la réussite de cette noble mission, est appelée à mener des actions à même de sécuriser la population conformément à la législation en la matière et à sanctionner les contrevenants.

Cependant, toute organisation et toute personne qui cherche à exercer librement ses activités dans le domaine où elle se trouve, doit chercher d’abord à se conformer à l’ordre public. Son impact étant grand, la Police Nationale Congolaise doit réunir tous les

60 Réveillez-vous déjà cité en page 361 MAB1ALA MANTUBA NGOMA, Police et reconstruction nationale,

IDPL, Kinshasa, 1999, p.11.


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moyens disponibles et nécessaires dans la construction d’une troisième République véritablement démocratique.

Les actions menées par la police nationale dans le cadre du maintien de l’ordre public et protection des personnes et de leurs biens, sont regroupées en six catégories suivantes :

- La faction : c’est l’objet premier de l’institution du gardien de la paix ; les hommes et les femmes de la police sont sur la voie publique tout à la fois représentants vivant de la loi, sentinelle à l’écoute et éventuel bras séculier.

- La circulation : la police de roulage composée des hommes et des femmes réglemente la circulation routière en vue d’éviter les accidents qui sont le revers de la médaille d’une bonne circulation62. Ces hommes et femmes en uniforme, doivent faire respecter le code routier que la sagesse des usagers ne suffirait point à faire respecter par tous.

- La protection des personnes : la police nationale est une force chargée de veiller à la sécurité et la tranquillité publique, de maintenir et de rétablir l’ordre public. Elle protège les personnes et leurs biens.

- La manifestation : les hommes et les femmes de la police mènent les actions d’arbitrage tendant à encadrer les actions ou les mouvements de la population. Toute manifestation autorisée, non autorisée et qui déborde, porte atteinte à la sécurité publique ou trouble à l’ordre public. La police recourt à des moyens spécifiques tels que les barrières métalliques, des engins motorisés protégés, gaz lacrymogène, etc. pour la répression ou la dispersion des manifestants dans la mesure ou les administrés contestent en force groupée ce rôle d’arbitre, c’est à cette condition que les pouvoirs publics se résolvent à l’action collective.

- La défense interne : en vue de sauvegarder la paix, les faits ou les actes tels que l’espionnage, les pillages, l’occupation des points chaud ou stratégiques permettant à des éléments subversifs d’opérer facilement, sont gardés par la police nationale.

- La lutte contre les catastrophes : la police protège les personnes et leurs biens contre les explosions, incendies, les inondations, comme dernièrement à Kinshasa avec les pluies diluviennes, les naufrages, les crashs d’avions, etc.

La matérialisation de toutes ces actions par les hommes et les femmes de la police nécessite un virage technologique important.

L’apparition du sentiment d’insécurité depuis plusieurs années en R.D.C. et à Kinshasa, la demande de présence policière augmente. Dans les rues de Kinshasa, la patrouille, pédestre ou motorisée représente l’immense majorité des activités de police.

Théoriquement, policiers sont accessibles facilement en même temps qu’ils remplissent leur mission de contrôle, mais la saisine de ces derniers oblige le citoyen à venir à son contact. Le développement du téléphone domestique et/ou portable et des numéros d’appel centralisés uniques, modifie totalement le fonctionnement. La police est désormais à la portée de tous, de manière quasiment anonyme et est interpellée dans toutes sortes de circonstances.

62 MAB1ALA MANTUBA NGOMA, op� cit�, p. 11.

Le flux de demandes augmente considérablement transformant la police en un service d’urgence généraliste auquel on s’adresse par défaut d’autres possibilités. Le travail de police se définit autour de ce que les autres ne font pas, avec la conséquence de la démotivation des policiers. Pour répondre rapidement à ce flux de demande, la police se dote de véhicules de service dotés de radios. De fois, malgré cette position pourtant confortable, les policières et policiers deviennent sourds et presque aveugles à ce qui l’entoure comme on le verra dans les témoignages et opinions populaires sur les actions de la police nationale congolaise.

3.2. Quelques témoignages des habitants de Kinshasa au sujet des actions policières

La présence active des hommes et des femmes de la police, au Congo-Kinshasa, permet de freiner tant soi peu l’insécurité.

A chaque fois qu’il y a eu atteinte à la sécurité des personnes, cette police ne traîne pas à apporter son secours à la population. Il est aussi vrai qu’il y a un manque criant de communication, l’intervention de la police arrive souvent en retard.

En ce qui concerne la traque des inciviques, la police accomplit pas mal de missions. La police intervient dans le cas où le droit de fa personne est lésé. Les infractions d’office sont de cas qui prouvent au moins le grand travail de celle-ci devant ce fléau.

Dans la dénonciation, nous retrouvons non seulement les cas des criminels, il y a le vol, extorsion, braquage, cambriolage, donc tout ce qui nuit à la sécurité des personnes et leurs biens comme souligné plus haut. La police se trouve plusieurs fois dans l’impossibilité de maîtriser la situation de manifestation de la masse à cause de manque des moyens matériel et l’absence réelle des agents formés.

Quelques cas montrent à suffisance que la police nationale congolaise fait face à la situation d’insécurité et de criminalité. Il y a l’arrestation fréquente des hors la loi qui sèment la terreur à Kinshasa. L’opération « Keba » lancée par le Ministre de l’Intérieur en 2004 a réussit à mettre hors d’état de nuire les différents groupes des bandits, souvent composés par la plupart des éléments incontrôlés de l’armée et de la police.

En 2004 par exemple, la police d’investigation criminelle de l’IPKIN, a arrêté au cours du deuxième semestre de la même année beaucoup de criminels qui furent tous présentés à la presse et à la population pour les différents délits commis à Kinshasa. Parmi les plus célèbres citons :

- Alain Mulumba, Chef du groupe incontrôlé de FARDC, arrêté pour motif de braquage d’une maison sise avenue BLE n° 943/A au quartier Salongo ;

- Grevisse Muamba, élément incontrôlé de FARDC arrêté pour assassinat présumé d’un « changeur » de monnaie à l’enceinte du campus de Kinshasa63.

Ces chefs de bandes et bien d’autres encore ont été présentés au public le jeudi 18 novembre 2004 à l’IPKIN.

Nos enquêtes nous ont permis de récolter un certain nombre de témoignages auprès des personnes qui ont accepté volontiers

63 Information captée à la télévision d'Etat, RTNC, Emission Décembre 2004 « Et maintenant la Police », le 12 décembre 2004.

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de donner un point de vue sur les actions de la police face aux problèmes de gestion de la criminalité à Kinshasa.

- Monsieur Alain Richard Mvumbi Kinkela, habitant le quartier Mole, avenue Manzila n° 2, commune de Lemba, nous a fait remarquer que la question de sécurité à Kinshasa se pose avec acuité. Pour lui, l’effectif des policiers engagés dans l’action face à l’étendue de la ville et au nombre de la population ne permet pas du tout à ce corps de bien mener ses actions. Lequel en plus, ne dispose pas d’assez de moyens logistiques, principalement les véhicules et les moyens de communication. La police s’avère incapable de mener de grandes actions sur l’étendue de la ville de Kinshasa. La SNEL faisant fi de l’accomplissement de ses missions, l’obscurité fréquente vient favoriser la promotion et le règne de l’insécurité.

Les femmes policières sont de plus en plus moins visibles dans les actions de grande envergure de la police. On les voit plus sur la rue, c’est-à-dire réglementant la circulation routière et peut être dans leurs bureaux pour le travail administratif.

- Monsieur Kuyangisa habitant l’avenue Kilongo n° 1 au quartier Salongo, pense quant à lui que la police dans sa composition actuelle, n’arrive pas à la hauteur de ses missions bien que certaines personnes éprouvent le sentiment optimiste en croyant que celle-ci est capable de relever le défis si on lui dotait des moyens matériels et humain qu’elle manque aujourd’hui. Les quelques femmes rencontrées ça et là à la police surtout à la PIR manifestent un comportement moins différent des hommes policiers. Elles sont caractérisées par une rigueur de fer, donc une attitude plus que masculine.

Cependant, pour l’enquêté précité, le grand travail doit être basé sur la formation du policier et de la policière parce qu’il constate beaucoup d’incompétences, de nombreux policiers dénoncent un déficit de formation. Il constate et affirme que ces policiers ont pour la plupart intégré la police de manière informelle.

Par contre, la PIR arrive au moins à le satisfaire et satisfait aussi les autres habitants de Kinshasa mais ce qu’il déplore c’est bien la lenteur d’intervention de celle-ci. D’où la PIR doit être sérieusement équipée en véhicules et surtout en moyen de communication impeccable afin d’intervenir au moment voulu.

- Frère Célestin Mabukulu, soulève deux aspects et faits. Dans son premier volet, il parle de l’intervention de la Police d’intervention rapide (PIRJ) dans la ville. Pour lui, il constate que la PIR arrive souvent en retard dans la plupart des drames, elle ne vient que constater les dégâts.

Il poursuit en précisant que ce retard est dû au déficit de matériels de communication appropriés (le numéro d’appel d’urgence est souvent saturé), la non disponibilité de véhicules et le manque de motivation des policiers.

La police communale ou municipale de la ville de Kinshasa doit être recyclée. Cette police n’intervient habituellement que pour des « petits crimes » tels que :

- le vol simple dans les quartiers ;

- la bagarre, et dérange la population le soir lors des patrouilles.

La police municipale est absente dans les cas d’attaques de nuit par les bandits à mains armées.

• Autres témoignages des victimes des actes d’insécurité perpétués à Kinshasa

- Monsieur Dunya Kinghombe, habitant l’avenue Léopold du quartier Salongo Nord, a reçu la visite des bandits à main armée en date du 03 novembre 2004. Ces derniers lui ont ravi dans l’enceinte de sa cabine de communication une somme de 600 US, des appareils cellulaires Nokia, Motorola. Le drame s’est déroulé aux alentours de 20h00’ sous l’œil impuissant de quelques personnes qui étaient sur le lieu du crime étant donné que ces criminels détenaient les armes à feu.

Cette opération a duré environ 15 minutes. Certaines personnes de bonne volonté ayant constaté le crime de loin ont essayé d’atteindre le poste de Police le plus proche, mais malheureusement, celui-ci n’avait que deux éléments en poste. Ils ne pouvaient donc pas laisser le poste vide ; la PIR était aussi informée, mais hélas ! Elle est arrivée 2 heures après le crime. Comme toujours, elle n’a fait que constater les dégâts. Les assaillants sont partis sans avoir été inquiétés. Les enquêtes ouvertes n’ont aboutit à aucun résultat à cause de la lenteur et du manque de motivation de la part des policiers.

- Monsieur Nkele Ngangia était attaqué par un groupe de voyous composé essentiellement des enfants militaires du Camp Bumba. Ceux-ci, lui ont interdit de passer par le camp. Après un malentendu entre les deux parties, ces inciviques ont copieusement tabassé Monsieur NKELE et sa copine Mademoiselle Lelo Nathalie, qui semble-t-il a même reçu un coup de poignard au niveau de sa cuisse droite.

Cette violation de la loi se passait à l’intérieur d’un camp militaire, devant un poste de police installé en face de la station REGIDESO Salongo. Les policiers ont d’abord refusé d’intervenir parce qu’ils craignaient que les parents de ces « voyous », cadres militaires, ne leur causent de problèmes. Suite à la pression de la population, ils se sont résolus quand même de les arrêter juste au moment où ils voulaient prendre la fuite. Ces bandits ont été entendus et transférés au tribunal de paix de Matete où l’un avait déjà un dossier au parquet de cette même commune. Heureusement, la justice a bien tranché, ce dernier a purgé une peine de deux ans (selon la condamnation) au niveau du Centre Pénitencier et de Rééducation de Kinshasa (CPRK).

- Le troisième témoignage est celui fourni par les membres de la famille d’un changeur « cambiste » qui fut tué le soir du 03 décembre 2004 par des personnes armées. Celles-ci, ont d’abord donné à cet homme de faux billets d’un montant de 200 dollars pour recevoir l’équivalent en Francs congolais. Refusant de prendre cet argent, il s’est vu tirer 3 coups de balles à bout portant par ces assassins qui ont juste après, emporté tout ce que le jeune cambiste avait comme biens de valeur.

- Un autre témoignage révèle l’assassinat d’un changeur de monnaie au niveau de terminus Salongo, le 14 novembre 2004. Ce jour-là quatre hommes bien armés sont descendus d’une voiture Mercedes 280 et ont semé la panique dans le quartier. Ils ont obligé ce changeur de monnaie de leur remettre tout son argent. N’ayant pas obtempéré, il a été assommé et ses assassins ont pris la fuite sans la moindre intervention des hommes en uniforme se trouvant dans les environs.


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- Le cinquième témoignage est celui d’un garçon tué après affrontement avec des étudiants de l’Institut Supérieur de Techniques Appliquées (ISTA) à Lemba, Livulu. Ces étudiants sont venus eux-mêmes, régler un problème qui opposait l’un de leur à un garçon du quartier en lieu et place des instances judiciaires compétentes en la matière. Un garçon du quartier y a trouvé la mort et les étudiants ont tout pillé lors de leur passage dans cette parcelle. Alertée après quelques minutes, la PIR est arrivée un peu en retard et a quand même réussi à mettre la main sur quelques étudiants brigands.

- Le sixième témoignage est celui d’une famille qui fut attaquée la nuit du 04 septembre 2003 par des personnes à main armée qui ont tout pillé à leur passage. La PIR qui était en patrouille, a été alertée après quelques minutes par les demandes de secours de cette famille. Des échanges des tirs avec les assaillants, la PIR a pris le dessus et ceux-ci ont pris la fuite. Ils furent heureusement arrêtés quelques jours après.

- Le septième cas est celui qui a créé la panique au quartier Salongo Livulu et les environs (Kisenso). C’est une fusillade sans précédent occasionné par un membre de la bande des enfants militaires. Après une incompréhension avec ses camarades lors des jeux des cartes, s’est permit d’aller prendre le fusil de son père pour régler le conflit qui l’opposait à ses amis qui ont pris l’initiative de s’enfuir. Ce hors la loi, a tiré en l’air et a vidé deux chargeurs bien garnis des cartouches. L’intervention de la PIR n’a pas tardée à venir. On a noté aussi la présence remarquée et spontanée de la Garde Républicaine et des soldats de la MONUC.

- D’autres témoignages font état des assassinats de Monsieur Steve Nyembo à son domicile de Binza, sans la moindre intervention de la police, du journaliste Franck et son épouse, des personnes découvertes mortes sur la rue et attribuées au phénomène Kata-Kata dans le contexte électoral, etc.

- Le dernier témoignage fait état des tracasseries policières lors des patrouilles mixtes organisées par le ministère de l’intérieur qui a occasionné un bras de fer entre les policiers et la population civile. Les quelques témoignages présentés parmi tant d’autres, illustrent la position des personnes interrogées vis-à-vis des actions de la police.

On note beaucoup de réticences de la part de la population quant au travail abattu par les hommes et les femmes policiers. Cette population reconnaît tout de même l’utilité de la Police Nationale comme service public.

3.3. Apports citoyens et police nationale congolaise I1L3.1. Approches et implications réciproques

La Police Nationale Congolaise implique deux grandes stratégies de gestion et de philosophie d’intervention. Une première concerne les stratégies de services publics communautaires. Elle consolide une approche proactive tournée vers la persuasion plutôt que le recours à l’usage de la force, vers un élargissement du mandat de la police par une grande visibilité des policiers traduit, entre autres, par la patrouille à pied et par l’ouverture de mini-postes facilement accessibles.

Une seconde stratégie est tournée vers une approche d’actions collectives. Elaborées conjointement par la police et la communauté, il s’agit de développer des réseaux de communication entre la police et les citoyens en général, les commerçants, les groupes communautaires. Cette approche se traduit, par exemple, par des bulletins communautaires ou par le contact avec des organisations pour la défense des victimes.

Ce modèle de la police intégrée dans la communauté symbolise la participation active et constante de la communauté face à des actions et à des comportements qui interpellent autant la communauté que la police nationale. Autrement dit, la Police Nationale Congolaise ne devrait plus être l’unique dépositaire de compétence nécessaire pour maintenir la paix et pour prévenir la criminalité.

Par cette nouvelle approche, la police stimule et soutient les initiatives et les compétences des collectivités à produire des environnements attrayants et à les protéger contre les prédateurs. Le point capital du raisonnement repose sur la nouvelle relation à établir entre la police et les habitants des quartiers afin que la qualité de la vie privée et de la vie publique soit protégée et constamment améliorée. Par leur connaissance et leur implication dans la vie de quartier, les citoyens possèdent le potentiel nécessaire pour résoudre les problèmes locaux et pour supporter l’action de la police.

La police communautaire concerne aussi les pratiques organisationnelles de la police. Présentement, on le sait, le corps policier est divisé en équipes de travail qui communiquent les unes avec les autres. Dans le même ordre d’idées, les patrouilleurs sont appelés à commencer des tâches qui sont complétées par les enquêteurs dans un contexte où les demandes sont nombreuses, les communications pas toujours faciles, les horaires de travail des uns et des autres pas toujours compatibles.

Le rapport dynamique entre les citoyens et la police ne diminue pas la responsabilité de la police elle-même à l’égard de ses connaissances, de ses valeurs et de ses habilités professionnelles. Il n’empêche pas non plus les citoyens d’assumer les responsabilités leur incombant. En fait, plus la police connaît son monde, moins les uns et les autres se sentent menacés. Le succès d’un tel modèle réside dans la capacité, pour les membres de parvenir à connaître suffisamment les collectivités dans lesquelles ils interviennent.

Nos enquêtes sur terrain attestent le fait que la Police Nationale Congolaise est vue au sein de la communauté, comme une réponse à trois ordres de problème pour la police des unités étudiées : la définition et les limites de son rôle, la détermination de son pouvoir discrétionnaire, la consolidation de sa légitimité. Or, la police est aussi une entreprise idéologique teintée de bonnes intentions morales et politiques (selon Mannung) qui suggère des relations égalitaires, intimes et non autoritaires avec les citoyens.

Dans son actualisation, la police communautaire va non seulement exiger de nouvelles façons d’avoir recours à la loi, de nouveaux standards pour appliquer la loi, mais obliger à repenser la structure hiérarchique, le recrutement, la formation, le système de promotion, les façons de reconnaître les actions posées par les policiers. De plus, un des aspects de son actualisation reste à documenter, le lien entre la police et les citoyens.

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3.3.2. Les ambiguïtés dans les rapports dialectiques police-citoyens

Les définitions relatives à la police communautaire sont étendues et laissent entrevoir une panoplie d’approches à privilégier et de solutions à développer. Il reste que le rapport valorisé et si souvent encouragé entre la police et la communauté contient en lui-même les germes d’ambiguïtés majeures. En effet, il est une chose de dire que la police peut et va développer une nouvelle gamme de rapports avec les citoyens à la lumière de ce qui est nommé le partenariat.

En République Démocratique du Congo par ailleurs, il convient de mentionner que les stratégies en présence, consistent à assurer un contrôle rigoureux vis-à-vis des sociétés de sécurité privée.

Domaine en pleine expansion, des civils ou des entreprises sont aussi appelés à remplir efficacement des fonctions traditionnellement relevant de la police nationale publique. Le développement de la police privée questionne les limites des gouvernements dans le domaine de la sécurité. Le Zaïre de Mobutu par exemple, a connu une multitude des sociétés de sécurité privées armées.

Ces sociétés appartenaient dans leur quasi-totalité aux dignitaires du régime et aux proches de la « famille présidentielle ». La conséquence en était que plusieurs armes légères étaient en circulation irrégulière. Actuellement, ces sociétés privées existent toujours mais sont strictement contrôlées par les pouvoirs publics. C’est ainsi qu’on rencontre parfois dans les rangs des éléments de sécurité privée, la présence d’au moins un élément de Police Nationale Congolaise.

La Police Nationale Congolaise élimine de ces programmes ceux du type vigile, d’auto-défense par les biais d’armes, d’assistance d’individu. Ces programmes ne rencontrent par les objectifs de créer un partenariat entre la police et les citoyens dans le cadre d’une nouvelle réflexion sur le rôle de la police dans le domaine de sécurité publique. Ils ouvrent la porte à la gestion de la loi par des groupes ne relevant pas des autorités d’Etat.

3.3.3. Reproches des citoyens vis-à-vis de la police nationale congolaise

Dans les rapports police-citoyen, il ne manque pas de faille. En effet, la mission de la PNC est d’assurer l’ordre public et la tranquillité au sein de la cité. Dans la réalisation de sa mission, la police de la RDC se livre souvent à la tracasserie des populations. Ceci est de nature à renforcer son discrédit. Par conséquent, il est tout à fait légitime d’établir une corrélation entre ce discrédit et les différentes plaintes de la population qui traduisent toute la réserve de la population vis-à-vis de la police. Et cette méfiance est de nature à éloigner les actions de partenariat entre police et certains groupes sociaux dans la lutte contre la criminalité. Le comportement de la population se traduit systématiquement au développement d’une culture anti-institutionnelle, par notamment la violence physique ou symbolique faite à rencontre des représentants de l’autorité publique par des menaces et des insultes du genre « policier azali civil, solo tokobanga te »64.

64 La tradition littérale est : Le policier est un civil, envers qui on n'a pas d'égard encore moins de crainte. 11 s'agit tout simplement du rejet de l'institution policière pourtant instrument de violence légale de l'Etat.

En des lieux dits chauds, les interventions policières sont très souvent en butte au rejet populaire et exaspèrent les sentiments de dénigrement collectif de la population envers les actions policières générées.

L’action policière sécuritaire est d’autant plus mitigée qu’une partie non négligeable de son corps est directement liée ou non à ces pratiques pourtant contre intuitives. Le fait que certains gangs de Kinshasa, opèrent aux alentours des sites militaires et policiers est classiquement porteur de cette réalité comme le démontre Tambwe Ngongo65, car, à l’issue de leurs forfaits, ces participants se dissimulent dans ces citadelles. Et ceci s’appuie sur le pluralisme des normes qui fonctionnent dans toutes les administrations et qui participent à la dégradation de l’action collective car « les fonctionnaires et le cas échéant les policiers n’ont rien d’homogène dans leur profils »66.

3.3.4. La réforme du secteur de la police

L’armée, la police et les services civils de renseignement et l’appareil judiciaire constituent le bouclier de la Nation. Les organes précités du secteur de sécurité tirent leurs ressources du peuple pour ne pas apparaître comme des appareils mercenaires ou des relais de l’étranger. Par conséquent, tout organe de sécurité tel que la police dite « Nationale » est synonyme de « peuple », composé et entretenu par l’ensemble du peuple pour la protection des habitants et de leurs biens.

Il en découle la nécessité de conférer un caractère intégralement républicain à la police d’un pays qui se veut « République Démocratique » qui plus est, doit répondre aux standards internationaux. Le credo ici doit partir du constat « qu’à chaque type d’Etat correspond un type de police ». Cette assertion est corroborée par l’histoire nationale de la police congolaise depuis sa création à la fin du 19ème siècle jusqu’à ce jour.

La caractéristique constante de ces types de police est d’être éminemment répressive, tracassière, méprisante envers la population qui la considère aujourd’hui comme parasite, militarisée, politisée, réfractaire à la critique et au contrôle peu humain dans ses rapports hiérarchiques internes et subordonnée plus à des gouvernants impulsifs qu’aux lois qui protègent les opposants politiques, les syndicalistes, les médias, les minorités, les économiquement faibles, les vulnérables et les défenseurs des droits de l’homme.

La base de la natalité et la culture actuelle de la police trouve son fondement dans les trois décennies de dictature qui ont façonné une police oppressive et abusive. De plus, les récentes guerres ont divisé le Corps de police qui doit encore parachever son processus de réintégration.

Aujourd’hui, les bavures policières, la corruption et l’indiscipline prennent les dimensions d’une gangrène qui suggère l’amputation de l’ensemble du Corps de police actuel, bien que les comportements des policiers ne soient pas étrangers à l’environnement social congolais.

65 TAMBWE NGONGO, Gangs juvéniles à Kinshasa et répression policière. Une approche socio-anthropologique du phénomène Kuluna, in MES, n° 42, 2007, pp. 53-86.

66 OLIVIER de SARDAN, J.P., « L'Etat, bureaucratie et gouvernance en Afrique de l'Ouest francophone. Un diagnostic empirique, une perspective historique », in Politique africaine, décembre 2004, p. 142.


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D’une part, le fossé entre la police et la population s’élargit avec l’évolution mondiale de la pensée sécuritaire. La police, au niveau international, est en effet sujette à la transformation de sa doctrine fondamentale pour l’adapter à la vision moderne sur la gouvernance démocratique.

La police nationale est considérée jusqu’à présent comme une « Force de l’ordre » à la disposition des gouvernants. Cependant, dans un environnement démocratique, l’ordre public doit être considéré par les citoyens comme « un bien et un droit » devant leur être fourni par la police, et non pas en premier lieu comme l’expression de puissance des gouvernants sur les gouvernés, un bouclier des riches face aux pauvres, consacrant l’apartheid social. Dès lors, par « ordre public », il y a lieu d’entendre surtout la tranquillité de tous les habitants sous plusieurs aspects, notamment celui du respect des droits humains.

La police est appelée ainsi à jouer un rôle majeur dans la mise en œuvre du concept global de sécurité humaine, à côté de nombreux services de l’Etat et des organes non-étatiques. Cet entendement moderne et élargi du rôle de la police invite les pouvoirs étatiques à consolider son caractère de « service public » ayant la tranquillité à proposer aux contribuables.

L’abandon des concepts militaristes de « police-Force » pour celui de « police-service » et de « contrôle des foules » pour celui de « gestion des foules », concepts moins nuisibles aux droits humains, est en outre explicable par le délaissement progressif à travers le monde du concept de « monopole de la violence par l’Etat » face à la vision foncièrement péjorative du terme « violence » dont aucune personne ni Etat civilisé, démocratique ne devrait se prévaloir.

Dans cette nouvelle optique, le recours à la force devient droit de légitime défense pour les policiers et pour les personnes menacées et pas comme une action intempestive de la police. L’usage disproportionné de la force traduit la rupture de l’équilibre entre la force et les droits humains dont la police doit devenir une défenderesse.

Tous ces réajustements de la doctrine policière affirment la démilitarisation de la police et sa reconversion civile, entraînant ipso facto de nombreux changements dans les concepts, la dénomination de la police, les comportements, le langage, l’habillement, l’armement, la carrière, etc.

La police est républicaine lorsqu’elle se met au service de la population et non pas au seul service du gouvernement et de ses mandataires, ni à son propre service pour les intérêts corporalistes ou lucratifs des membres de la police. C’est donc sa subordination et le strict respect des lois légitimes en vigueur, donc des lois républicaines parce que protégeant l’intérêt collectif, ainsi que le respect des normes déontologiques internes, qui confèrent le caractère républicain à la police. Le respect de la loi n’est pas à confondre avec l’obéissance aveugle à des directives et instructions émanant des hiérarchies politiques, administratives ou techniques qui peuvent nourrir des intentions divergentes par rapport à la loi. C’est pourquoi la constitution reconnaît le droit de désobéir et de résister à des décisions illégales.

La bonne connaissance de la loi et des procédures corollaires est par conséquent la condition déterminante du caractère républicain des actes posés par les acteurs de l’institution policière. L’équilibre entre la force et le droit doit être une préoccupation

constante des agents de la police lors de l’exécution des missions de maintien et de rétablissement de l’ordre public.

Hélas, le contexte d’Etat ré-émergeant dans lequel se trouve la RDC n’offre pas à la police toutes les lois et réglementations nécessaires pour son existence et pour son fonctionnement. Si l’armée bénéficie depuis novembre 2004 de sa Loi organique, la police est encore régie par un Décret-loi.

Il est vrai que le parlement actuel s’est mobilisé pour doter la police d’une loi organique lui permettant de fonctionner à l’image des polices démocratiques du monde. Là encore, il faut attendre sa promulgation qui traîne à venir.

C’est dans ce contexte que le Groupe Mixte de Réflexion sur la Réforme et la Réorganisation de la Police Nationale Congolaise (GMRRR), mis sur pieds par les dispositions de la lettre n° 25/CAB/MIN/lnterdesec du 14 novembre 2005, arrivé au terme de ses réflexions en mai 2005, a procédé à l’état des lieux de l’actuelle Police Nationale congolaise et a formulé des recommandations conséquentes.

En dépit des lacunes relevées, le potentiel humain au sein de la PNC permet d’envisager une réforme des services de police, nécessaire au rétablissement d’un Etat de droit, que la communauté internationale ne devrait pas hésiter à soutenir. Par conséquent, tout passe par l’affirmation des principes absolus de loyauté aux institutions démocratiques par tous les acteurs nationaux.

Selon l’analyse faite par le département Britannique pour la Coopération Internationale qui a sollicité l’expertise de l’Institut pour la démocratie en Afrique du Sud (IDASA)67, les tracasseries de la police s’expliquent par de multiples raisons. Cependant, l’environnement socioculturel des policiers y joue également un rôle important Dans ce contexte, il y a lieu de reconnaître que l’institution Police Nationale Congolaise est composée des membres de communauté nationale dont le niveau de citoyenneté, le respect des valeurs démocratiques, le niveau d’instruction et la capacité de gestion des conflits sont bien faibles. Dès lors, le comportement des acteurs de la police reflète tant soit peu la réalité sociale congolaise. Ainsi, la réforme de la police doit être conçue dans le processus de transformation globale de la société congolaise et ce, à travers des campagnes d’éducation civique pour un changement de mentalité en RDC.

Conclusion

Conclure une réflexion de ce genre ne voudrait pas dire épuiser tout le fond du problème lié au sujet traité. Il s’agit, tout simplement, de marquer un arrêt momentané tenant compte de la complexité du sujet sous examen. Intitulée « Service public et actions de la Police Nationale Congolaise. Un bilan à demi teint ? », cette réflexion a consisté à analyser les rapports entretenus par la Police Nationale Congolaise en tant que service public avec l’ensemble de populations congolaises en répondant à la question : la Police Nationale Congolaise remplit-elle, comme il se doit, sa mission classique ?

Grâce à l’observation directe, aux entretiens, aux récits de vie et à une recherche documentaire, nous sommes arrivé aux résultats selon lesquels, la Police Nationale congolaise, quoi que butée

67 DFID-IDASA, es oliceréf.report/cor,c&c.feb.2007.

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aux problèmes de ressources humaines, matérielles et financières, arrive à répondre, tant soit peu, aux attentes de la population en rendant un véritable service public à la nation. Car, sans policiers réglementant la circulation à Kinshasa, il est quasiment impossible de rouler sans heurt.

Il est vrai que la perception de la police dans l’opinion congolaise est notoirement négative. Les policiers sont plutôt perçus comme des victimes du dysfonctionnement de l’appareil de

l’Etat. L’évaluation des forces et faiblesses de la police révèle que l’inefficacité de celle-ci est due aux déficiences institutionnelles. Dès lors, il apparaît clairement qu’un personnel policier mieux recruté, mieux formé, mieux équipé, super motivé et bien géré, est à même de transformer positivement la performance de la Police Nationale congolaise. C’est là que reposent les attentes de la population qui attend beaucoup de cette police.

Arrestation d’un Kuluna par la police

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INTRODUCTION

A travers la présente étude, notre réflexion porte sur le gangstérisme juvénile à Kinshasa, localement nommé kuluna qui écume cette ville. Certes, de jour comme de nuit, toutes les grandes villes du monde font face, de façon variable, au phénomène d’insécurité. Aussi, la capitale congolaise n’en est-elle pas exemptée. D’ailleurs, cette ville capitale se présente, de nos jours, comme une métropole surpeuplée, délabrée, essoufflée baignant dans le désespoir et l’incertitude du lendemain même si aujourd’hui quelques changements positifs sont enregistrés. Même alors, bon nombre de ses résidents contournent chaque jour des voies légales pour tenter d’assurer leur survie en mettant en mal la quiétude et la paix aussi bien des individus que celle de la collectivité au travers d’une insécurité ingénieusement orchestrée.

C’est depuis les années 90 que celle-ci a pris de l’ampleur notamment avec les pillages à répétition de triste mémoire à l’origine du désinvestissement et du chômage qui ont eu pour corollaire la recrudescence de la criminalité. Aujourd’hui, cette insécurité s’est ravivée de suite de la dispersion des armes de guerre parmi la population civile sous l’effet de la démobilisation mal encadrée de plusieurs unités combattantes en RDC. Et même si Kinshasa n’est pas encore devenu un enfer il est important de reconnaitre que l’activisme des kuluna qui s’y observe défraie la chronique depuis belle lurette : des médias audio-visuels, le Ministère de la Justice, des lamentations en famille, dans la rue et dans les quartiers résidentiels le rapportent à satiété.

Aussi, ce gangstérisme devient-il de nos jours, un problème de sécurité publique, car un simple regard même distrait suffit pour nous convaincre de son amplitude qui met en mal le déroulement normal de la vie de paisibles citoyens.

Dans la réalisation de cette investigation, la collecte des données a été rendue possible grâce à des entretiens qualitatifs, à l’observation directe des groupes cibles et à l’exploitation de la documentation disponible sur ce thème68. La lecture critique des données rassemblées a été soumise à l’éclairage des postulats dialectiques. Toutes les contradictions à la base ont été portées au-devant grâce aux logiques fondatrices de la pratique de kuluna.

Aussi la présente étude circonscrit-elle le soubassement du phénomène kuluna, en inventoriant, en classifiant et en analysant les stratégies aussi bien publiques que privées qui ont été mises au-devant de la scène pour tenter de la juguler ou du moins, pour la contrecarrer, en rendant tant soit peu aisée l’existence des Kinois. Dans le traitement de cette thématique, nous nous fondons sur une ossature qui tourne autour de quatre ordres de considérations distinctes. Le premier ressuscite le contexte

68 KUNA MABA, G., Le phénomène kuluna à Kinshasa� Le gangstérisme de rue et les moyens d’en finir, Kinshasa, M.E.S, 2010 ; TAMBWE NGONGO M., « Gangs juvéniles à Kinshasa et répression policière. Le cas du phénomène Kuluna », in M�E�S, n° 42, Kinshasa, septembre – octobre 2007 ; SHOMBA KINYAMBA S., « L’auto- défense populaire face à l’insécurité à Kinshasa : quelques préceptes tirés », in M�E�S, n° spécial, Kinshasa, avril-mai 2010 ; KITUMU B., « Kinshasa : érection d’un farwest où les gangs de rues font leur loi », in JV Magazine, n° 4, Kinshasa, mars, 2006 ; KABUNGULU NGOY H., L’insécurité à Kinshasa� Une forme atypique de terrorisme urbain 1990-2003, Kinshasa, 1990-2004.

d’émergence du phénomène kuluna. Le deuxième dresse le profil de ses acteurs. Le troisième dégage ses logiques et ses types d’actions. Le quatrième analyse les illusions et les désillusions liées aux moyens de lutte contre le phénomène précité. Une brève conclusion met un terme à cette étude.

I. CONTEXTE D’EMERGENCE DU KULUNA

1.1. Principaux facteurs à la base de l’éclosion du kuluna

Deux ordres des données éclairent l’avènement du phénomène kuluna à Kinshasa. L’un renvoie au caractère tumultueux du contexte socio-politique qui marque la RDC depuis son accession à l’indépendance alors que l’autre se rapporte à la propension pronataliste qui compromet gravement toute planification pour le développement.

1.1.1. Soubassement psychologique au gangstérisme juvénile

Cela fait longtemps que la population congolaise n’a pas connu de paix véritable. En interrogeant l’histoire, nous nous rendons à l’évidence que c’est depuis l’accession du pays à l’indépendance que le peuple congolais subit les affres aussi bien de la guerre que celles de ses dirigeants.

Eu égard à ce qui précède, il nous semble indiqué de nous interroger si les enfants qui grandissent dans un environnement fait de privation, d’accumulation de frustrations et de discrimination à la base de leur angoisse existentielle ne peuvent pas à la suite des germes de nervosité qu’ils traînent, développer, devenus adultes, l’agressivité et la violence comme comportements déviants que nous rencontrons chaque jour à Kinshasa. Ce qui nous rappelle notre propre étude sur « La domestication de la violence » qui a ciblé les étudiants de l’Université de Kinshasa en 200869.

1.1.2. Propension pronataliste

C’est depuis les temps immémoriaux que l’Afrique baigne dans l’idéologie pronataliste. Romaniuk rapporte à ce sujet qu’une « nombreuse descendance est désirée par tout le monde : femme, mari, clan. A la question combien d’enfants aimeriez-vous avoir ? L’Africain type répondra invariablement autant que le bon Dieu le voudra70.

Dans le contexte d’antan, plusieurs variables d’ordre économique, sociale et sécuritaire justifiaient cette idéologie. Pour Nkuanzaka Inzanza, l’économie villageoise essentielle pour le fondement de la famille nécessitait une grande progéniture pour produire suffisamment et pour survivre aux ravages des épidémies pour parer aux agressions extérieures dans une société sans police publique. A ces motivations, il faut ajouter l’estime morale dont jouissaient les parents de familles nombreuses71.

69 SHOMBA KINYAMBA S., L’Université de Kinshasa : un site académique ou une "colline" d’enjeux de luttes ?, Kinshasa, éd. MES, 2008.

70 ROMANIUK A�, La fécondité des populations congolaises, Paris, Mouton, 1967, p.267.

71 NKUANZAKA INZANZA A., La planification familiale en RDC: une option possible ou un impératif du développement� Le cas de la Fonction publique à Kinshasa, thèse de doctorat à l’Université de Kinshasa, 1998.

GANGSTERISME JUVENILE A KINSHASA : Soubassement et illusions – désillusions liées aux stratégies de lutte

parSylvain SHOMBA KINYAMBA

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GANGSTERISME JUVENILE A KINSHASA : Soubassement et illusions – désillusions liées aux stratégies

Depuis, l’Afrique voit son environnement socio-culturel se transformer de suite de nouvelles contingences sociales que lui dicte son contact prolongé avec l’Occident. Malheureusement, tout n’est pas allé de paire avec l’éclatement du cadre de vie. En témoigne, l’idéologie pronataliste dont l’inadéquation dans le contexte actuel, surtout en milieu urbain, qui fait de l’enfant un problème. Les expressions « enfants soldats », « enfants de rue », « enfants sorciers », « enfants travailleurs », « mineurs prostitués »,… figurent parmi les plus familières dans le discours public à Kinshasa.

Cependant, en dépit des efforts que déploie l’Etat, les branches spécialisées de la société civile et les institutions des Nations Unies dans le cadre de la vulgarisation et de la responsabilisation des parents et des futurs géniteurs au sujet de la planification familiale, on est loin d’arracher à ce sujet une totale reconversion des mentalités.

Cette culture pronataliste persistante entraîne plusieurs incommodités, notamment, des charges débordantes et la scolarisation de la jeunesse. Dans le cas précis de la ville de Kinshasa, les familles nombreuses exposent leurs enfants à des privations constantes qui les prédisposent à la marginalisation et à tout entreprendre par eux-mêmes. Ce qui les prédisposent à tenter toute sorte d’aventures, la criminalité y comprise72. Examinons brièvement les principales conséquences de cette propension pronataliste.

1.1.3. Au niveau économique

La crise économique en RDC est une réalité permanente avec laquelle il faut compter. Ici, le marché d’emploi se rétrécit depuis les pillages déjà évoqués : de nombreux parents sont au chômage depuis des lustres, la situation des travailleurs n’est pas du tout rose à cause de la politique de bas salaires. Ce qui explique l’émergence, dans beaucoup de ménages, des activités informelles pour se garantir une existence biologique. Ce qui pousse les enfants à se mettre à contribution dans cette quête de survie en dépit de la loi qui proscrit le travail des mineurs. En d’autres termes, le surnombre d’enfants renforce la pauvreté.

1.1.4. Au plan social

Le train de vie menée en milieu urbain implique des moyens financiers substantiels. Ce qui contraint ses résidents à faire face à des besoins divers et contraignants dont la satisfaction repose sur des capacités socio-économiques de chacun.

Les familles nombreuses, outre que leurs enfants sont prédestinés à la délinquance pour autant qu’ils se confrontent au quotidien à un flot de problèmes sociaux récurrents (logement précaire, promiscuité, manque d’hygiène individuelle et au niveau de la collectivité, malnutrition).

1.2. Facteurs spécifiques d’amplification de l’insécurité à Kinshasa

Face à la prise en charge du bien-être collectif, à la sécurité des citoyens ainsi qu’aux méfaits du pronatalisme, les pouvoirs publics ont ici depuis belle lurette, étalé leurs limites. Car à cette série de facteurs favorisant l’insécurité à Kinshasa, doit être ajoutés certains autres facteurs que nous qualifions de spécifiques et qui concourent dans l’entretien de l’insécurité dans le paysage social kinois.

72 SHOMBA KINYAMBA S., “Propension pronataliste, balise de l’exclusion sociale à Kinshasa”, in MES, n° 42, Kinshasa, 2009.

Au rang de ceux-ci, nous épinglons l’étendue de la ville qui est difficile à quadriller (9.665 km²) pour offrir aux résidents une sécurité optimale au regard de la problématique de l’intervention efficiente de la police. Bien plus, n’oublions pas que cette police est amputée non seulement par un effectif limité mais aussi par des moyens logistiques vétustes en dépit de sa détermination et de sa bonne volonté, car à travers les communes de Kinshasa, les espaces enclavés sont légions. Ce qui représente de véritables repères pour les kuluna, ces gangsters qui se sentent en sécurité loin qu’ils sont des harcèlements policiers.

A ce facteur, il faut ajouter la paupérisation des masses kinoises, chômeurs pour la plupart et dépourvus des qualifications professionnelles, requises. En effet, Kinshasa compte une population majoritairement jeune, sans pouvoir d’achat vouée, on ne peut s’étonner que cette ville ne fabrique des délinquants et des criminels. Une telle pauvreté endémique au sein de la jeunesse fait que Kinshasa soit une ville à risque permanent.

Dans ce même registre, la détention illégale d’armes à feu par une catégorie mal famée de Kinois entretient, au quotidien, le spectre de l’insécurité en dépit de tous les efforts déployés par les autorités de la ville en vue de son allègement et pourquoi pas de son éradication complète.

Nous savons aussi que Kinshasa est noyé par des mœurs permissives qui mettent à mal ses résidents. Ici, le pickpocket, le larcin et d’autres délits de cette espèce semblent ne pas éveiller l’attention de ceux qui détiennent une parcelle du pouvoir dans l’éradication de cette petite criminalité.

Aux côtés des facteurs déjà évoqués, il nous importe de relever le délestage de l’énergie électrique, cet autre facteur qui attise l’insécurité à Kinshasa où des coupures planifiées et intempestives de l’énergie électrique ne se comptent plus. Ainsi qu’on peut le deviner, dans une agglomération aussi tentaculaire, surpeuplée et qui entretient une jeunesse pauvre, oisive, détenant des armes à feu, à travers des avenues non éclairées, Kinshasa offre des nuits paisibles d’opérations à des brigands de tout bord.

La vie d’anonymat, dans laquelle se noient les Kinois, jointe aux antagonismes politiques s’ajoute à cette liste des facteurs qui ravivent l’insécurité auquel sont soumis les citadins.

En effet, Kinshasa une ville tentaculaire se double d’un surpeuplement attesté qui octroie à ses habitants un degré d’anonymat élevé qui libère l’esprit chez un grand nombre. Ce qui l’engage à poser des actes anomiques. En témoigne, le fait que des brigands opèrent souvent en dehors de leurs quartiers habituels comme le révèle les résultats des enquêtes menées par la Police Nationale Congolaise sur le gangstérisme de rue. D’après cette enquête, chaque bande s’éloigne de son quartier de résidence pour opérer en toute quiétude dans un anonymat presque parfait.

A la lumière de cette série de facteurs, il apparait clairement que ces germes d’insécurité sont, potentiellement présents sur toute l’étendue de la ville de Kinshasa à l’instar des autres agglomérations dans le monde.

Au regard de ce qui précède, force est de reconnaître que la propension pronataliste constitue pour beaucoup de familles kinoises, une source d’ennuis et de tracasseries dès lors qu’elle ruine les géniteurs et qu’elle jette la progéniture dans l’exclusion sociale.


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II. STRUCTURE, FONCTIONNEMENT ET PROFIL DU KULUNA

2.1. Structure et fonctionnement du kuluna

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le mouvement kuluna apparaît à la fois comme une organisation à la fois simple et complexe. Nous disons simple parce qu’en tant que structure informelle, ce mouvement n’est pas bureaucratique. En cela, elle répond à un fonctionnement spontané, consensuel et clandestin. Nous avons ensuite dit qu’elle était une organisation complexe en ceci que les gangs ne mènent pas une vie très libérale. Leur organisation se structure autour de quatre paliers : la coordination générale, la ceinture du chef, les membres et les copines.

A propos de la coordination générale, c’est elle qui se charge de répondre à tous les impératifs de l’organisation de la bande et trace la ligne de conduite à suivre. Le chef de gangs passe pour un homme exceptionnel vis-à-vis de ses disciples : il est le plus audacieux, le plus fort et le garant de survie de la bande. C’est une personne « invincible », mythique et capable de faire douter et de défier la police, voire les unités combattantes. Il dirige sa bande de manière souveraine et jouit du monopole de la décision qui est sans appel.

Quant à la ceinture du chef de gangs, elle est constituée d’une équipe composée des membres qui lui sont proches. Le rôle de celle-ci est d’aider le chef dans l’exercice de ses fonctions et dans l’accomplissement sans faille des objectifs fixés par la corporation.

Au sujet des membres, disons d’eux qu’ils sont des élèves fidèles et dociles qui exécutent servilement les ordres édictés par le maître et sont astreints à une grande discrétion.

S’agissant des copines qui sont placées sous la dépendance et sous la protection des Kuluna, elles sont des spécialistes dans l’accomplissement de sales besognes essentielles, spécialement le guet apens dans la survie du groupe. Toutefois, les rivalités autour du commerce charnel entre les copines et les gangs donnent libre cours à des bagarres rangées et à des dénonciations.

2.2. Définition et portrait du kuluna

2.2.1. Définition

A notre connaissance, eu égard au caractère contemporain et dynamique du phénomène, il n’existe pas encore une définition savamment élaborée du phénomène kuluna. Considérant son amplitude actuelle, du portugais, le terme kuluna signifie colonne (bande)73. Il identifie des jeunes gens évoluant dans l’oisiveté ou dans la voyoucratie et qui mènent un mode de vie reposant sur la violence contre autrui dans l’intention d’intimider, de voler et de déposséder quelqu’un de son bien. Leur activisme se déroule généralement au crépuscule. Actuellement, ils débordent ce cercle et vont à l’assaut des résidences, des lieux de deuil, des fêtes,… étant donné que les adeptes du kuluna sont oisifs. Voltaire l’a si bien reconnu c’est ainsi qu’en sublimant la noblesse du travail, il soutena que celui-ci éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin.

2.2.2. Portrait du kuluna

Rappelons une fois de plus qu’un phénomène aussi mouvant que l’est le kuluna ne constitue pas une marque déposée facilement identifiable. Les traits repris ci-dessous déterminent les activistes du kuluna.

73 Cela fait penser au fait que l’entreprise de ces malfrats est toujours collective. Ils opèrent en groupe.

La nature et les risques qui entourent la vie du kuluna exigent de l’énergie et de l’adresse pour se tirer d’affaire. On comprend alors que du « kuluna » soit avant tout et essentiellement formé de jeunes garçons adultes. La typologie d’actes posés contre les semblables nécessite du kuluna un courage exceptionnel et une témérité à toute épreuve. Ce qui les contraint à consommer assez d’alcool, du stupéfiant et un recours constant aux gris-gris qui leur confert de “l’invulnérabilité”.

Le kulunisme transparait aussi à travers un esprit belliqueux et la manifestation de la force musculaire. Ce qui fait des kuluna des friands des arts martiaux.

Un autre trait caractéristique de ces activistes est le déficit d’éducation et de savoir vivre. En général, ils sont des brutes irrespectueuses des conventions sociales et de l’ordre public. La violence reste leur seul moyen de se prévaloir en société.

Les acteurs du kuluna sont reconnaissables aussi par certaines spécificités, notamment par leur allure physique, par leur tenue vestimentaire négligée mais aussi par des tatouages multiples dans le corps, des biceps proéminents grâce à l’haltérophilie. Les kuluna développent l’anxiété et une angoisse existentielle née des incertitudes du lendemain, traqués qu’ils sont, par la police. Leur langage atypique est aussi caractéristique à cet égard74.

Au sujet de ce langage, notons que les chefs de gangs s’identifient et se déterminent en se signant d’un nom d’un tyran75 (Hitler, Sadam Hussein, Fidel Castro,…) et leurs corporations portent des noms tels que Al Qaida, Hezbollah, Zoulou, Dragon,… s’ils ne font pas porter à leurs groupes des dénominations en langues nationales (Bana mabe = enfants méchants ; moto epela = que le tout soit consumé ; mbeli mbeli = couteau contre couteau,…).

Pour montrer qu’ils sont aguerris dans l’art de se bagarrer, les kuluna se promènent à chaque instant avec des lames de rasoirs qu’ils dissimilent dans leurs poches. Leurs mains, au niveau des tarses portent des cales indélébiles, preuves s’il en faut, de leurs activités pugilistiques intenses. Pour ces bandes, l’activité sexuelle est le sport favori caractérisé par l’enlèvement des filles qu’ils exploitent comme esclaves sexuelles mais aussi avec des copines.

Ainsi, l’impact de l’esprit de terreur secrété à travers les différentes connotations exposées ci-dessus sur les membres de gangs est indéniable76. On ne peut revendiquer d’être « bana mabe », mbeli mbeli,… en étant poltron, car ici l’audace et la témérité sont des maîtres mots qui font que la violence soit adoptée chez ces délinquants comme leur mode de vie en société.

III. LES LOGIQUES DES ACTIONS DU KULUNA

Les motivations qui sous tendent les actions du kuluna sont multiples et relèvent à la fois du business, car ce banditisme de rue est avant tout un job dans cet univers kinois fait de précarité. Le kuluna, est entretenu aussi par une logique de vengeance, pour ces gangs, leur activisme est une dénonciation en quelque sorte, de l’injustice sociale.

Dans ce même registre, les activistes du kuluna refusent d’être regardés comme de laisser pour compte. C’est pourquoi ce phénomène passe pour être une réponse populaire à la désarticulation de la société congolaise en proie au chaos et à l’anarchie. Ce faisant, cet univers criminel fonctionne sur base

74 KUNA MABA, G., op�cit, p. 4675 TAMBWE NGONGO, « Art. cit », p. 70.76 SHOMBA KINYAMBA S., « Dénominations des équipes nationales

africaines de football comme vecteur de violences récurrentes », in MES, n° 62, sept-oct. 2010, p. 21.

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des hiérarchies symboliques, sur la revalorisation identitaire des membres. D’après Marcel Tambwe Ngongo, cette corporation est encline au sens de l’honneur, à l’estime, au respect et au leadership77 tant au sein de leur bande que vis-à-vis de la société globale. Voilà pourquoi ces jeunes délinquants acceptent volontiers de se battre en vue de rétablir l’ordre normatif décomposé. C’est par rapport à cet ordre des choses que leurs leaders suscitent davantage d’engagements vis-à-vis de leur personne par la manipulation de certains symboles et des moyens matériels comme leur réputation, leur force physique, etc78.

Aux côtés de ces autres logiques, il nous faut évoquer l’accomplissement de soi comme un état d’autosatisfaction et de réalisation personnelle, car un kuluna dont l’activité est prospère éprouve de l’admiration pour soi-même, car tout kuluna est jaloux de cet accomplissement de soi. Aussi toute atteinte à son honneur peut-elle entraîner une riposte immédiate souvent disproportionnelle.

Enfin, la dernière logique qui préside aux actions des kuluna émane de la culture d’aventure belliqueuse. Cette logique les mène à affronter même ce qui peut leur être fatale, car ils n’ont rien à perdre.

3.1. Actions de kuluna

Dans le cadre précis de cette étude, nous distinguons trois types d’actions auxquels les kuluna font souvent recours au regard de l’intelligence qui commande cet univers nébuleux.

3.1.1. Actions frontales

Sous cette rubrique, nous alignons des actions accomplies brutalement par ces gangsters et sans détour contre la victime qui s’insurge contre leur autorité. L’énumération qui suit est indicative:

- l’usage d’armes blanches ;- des coups et blessures ;- le viol ;- le vol à main armée ;- des embuscades ;- le rapt ;- des règlements de compte ;- des mises à sac ;- des injures et autres incivilités ;- le trouble de l’ordre public.

3.1.2. Actions astucieuses

Au rang des actions accomplies malicieusement par les kuluna, notre enquête décèle les suivantes :

- l’extorsion de l’argent ou autres biens (ruse) ;- le recours aux fétiches pour hypnotiser la victime ;- des bagarres fictives pour distraire et ramasser les biens

des personnes angoissées ;

- des charmes comme guet-apens ;

- l’abus de confiance.

77 TAMBWE NGONGO, « Art. cit », p.68.78 ETZIONI, A., Les organisations modernes, Bruxelles, Duculot, 1971, p.114.

3.1.3. Actions dissuasives

Sous cette rubrique, nous relevons :

- le braquage ;

- le gardiennage ;

- la protection des invités lors de soirées de galant.

Le tableau synoptique qui suit classifie les actions du gangstérisme archivées par la Police d’Intervention Rapide entre 2000 et 2006.

Tableau I : Manifestation du gangstérisme

N° Actions 2000 2001 2002 2003 2004 2005 20061 Destruction

méchante19% 24% 24% 25% 24% 21%

2 Menaces 13% 11% 11% 12% 13% 12% 10%3 Extorsions des

biens18% 14% 16% 14% 16% 17% 15%

4 Détention illégale d’armes à feu

4% 3% 3% 3% 2% 2% 3%

5 Usage d’armes blanches

10% 9% 9% 9% 8% 8% 10%

6 Coups et blessures volontaires

16% 18% 22% 20% 19% 20% 21%

7 Troubles de l’ordre public

20% 21% 15% 18% 17% 17% 20%

Total 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100%

Source : Archives de la Police d’Intervention Rapide, ville de Kinshasa, 2006.

IV. ILLUSIONS ET DESILLUSIONS LIEES AUX MOYENS DE LUTTE CONTRE LE KULUNA

Les points précédents de cet exposé, nous ont permis d’examiner tour à tour le contexte d’émergence du phénomène kuluna, ses structures de fonctionnement, le portrait de ses acteurs, ses logiques et ses types d’actions. A présent, nous nous proposons d’examiner les stratégies des pouvoirs publics et celles de population dans l’éradication et dans la façon de se prémunir contre ce gangstérisme à Kinshasa. Ce que nous voulons ici, c’est de procéder à la circonscription des limites du combat contre cette forme de criminalité et partant, de justifier sa récalcitrance. Dans cette lutte sans merci que livrent les pouvoirs publics contre ce type de gangstérisme, il importe de relever en premier lieu, l’implication policière et judiciaire avant de terminer par les stratégies de gestion de ce phénomène par les masses populaires.

4.1. Stratégies des pouvoirs publics dans l’éradication du kuluna

4.1.1. Répression policière

De par la loi, la police nationale a pour mission de garantir l’ordre public, de protéger les personnes et leurs biens. Aussi, chaque fois que sa mission est mise en mal, a-t-elle le devoir de réprimer les criminels.

La police nationale à travers sa brigade d’Intervention Rapide dispose d’un service de renseignement et de filature dont les éléments armés opèrent en tenue civile. Ce service envoie des agents en mission en vue d’aller à l’assaut des hors la loi mais souvent avec la collaboration des civils.

En général, la police finit par l’emporter dans son combat contre ces inciviques au regard des moyens à sa disposition. Ces exploits


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indéniables sont rapportés quotidiennement par la presse. Ce compte rendu permet à tout le monde de mesurer les risques et les services rendus par la Police Nationale Congolaise à la société dont elle est l’émanation.

A la question de savoir pourquoi l’ampleur de kuluna ne baisse pas de façon notable en dépit de tous les exploits de la police à leur égard, nos informateurs soutiennent que la responsabilité de cet échec incombe aux magistrats (parquets).

4.1.2. Action judiciaire

C’est depuis deux ans déjà que le Ministère de la Justice a déclaré la guerre aux activistes du kuluna. Pour cela, le gouvernement central a réuni des moyens pour reléguer solennellement les kuluna dûment jugés et condamnés à Kinshasa vers des prisons situées en provinces (Bulowo, Angenga, Ekafela). En dépit de différentes vagues de relégation déjà opérées, l’activisme de kuluna ne semble pas faiblir à Kinshasa.

Répondant au reproche de relaxation facile leur adressé par la police à propos des kuluna transférés au parquet, les magistrats consultés évoquent en cela, la responsabilité de la police pour des raisons d’insuffisance dans l’instruction des dossiers, car soutiennent-ils, la justice ne peut condamner un prévenu qu’au regard de la consistance et de la véracité des faits portés à sa charge.

Qui a raison et qui a tort ? Nous ne saurons trancher cette question dans ces pages. Toutefois, ce dysfonctionnement institutionnel permet au phénomène kuluna de s’enraciner et d’avoir encore devant eux, de beaux jours d’activisme à Kinshasa en perturbant toujours ainsi la sécurité des citoyens.

4.2. Moyens de prémunition populaire contre l’insécurité

Face à la recrudescence du phénomène kuluna mais aussi face aux limites affichées par la police dans son combat contre ces criminels, la population civile s’emploie tant bien que mal pour s’assurer sa protection et celle de ses biens. Pour sa meilleure saisie, nous avons dégagé sa stratégie de combat en trois volets : la sécurité dissuasive, la sécurité de légitime défense et la sécurité psychique.

4.2.1. Sécurité dissuasive

Sont prises en compte dans cette catégorie, les moyens dont se sert la population civile pour faire face, selon le cas, aux diverses formes d’insécurité vécues à Kinshasa. De ces moyens, il y a l’élévation de hauts murs et le blindage des immeubles, la formation des comités d’autodéfense populaire, l’usage du sifflet, le service d’un factionnaire, les chiens de garde, l’alarme électronique, les huées, le téléphone cellulaire,…

4.2.1.1. Elévation de hauts murs de clôture et blindage des immeubles

Pour des familles nanties comme pour les entreprises (publiques, privées) qui ont besoin de s’épargner des assauts des brigands, on note assez souvent la construction de hauts murs de clôture de trois à cinq mètres de hauteur et le placement des antivols dans toutes les ouvertures offrant l’accès à l’intérieur de l’immeuble. Des parcelles ainsi conçues n’ont d’autres issues que de gigantesques portails métalliques pourvus d’une double entrée (véhicules et personnes) et arborant des énormes porte-cadenas aux dedans comme au dehors.

4.2.1.2. Formation des comités d’autodéfense populaire

En vogue sous Laurent Désiré Kabila et sous la supervision des Comités des Pouvoirs Populaires (CPP), les garçons de différents quartiers résidentiels se sont organisés en comités d’autodéfense populaire par souci de sécuriser leurs quartiers respectifs contre les malfaiteurs d’où qu’ils viennent à travers des patrouilles nocturnes. Ces comités d’autodéfense ont largement contribué à juguler, dans une certaine mesure, l’insécurité générée par les activistes du kuluna à Kinshasa.

4.2.1.3. Usage du sifflet

Aussi insolite que cet usage paraît à première vue, le sifflet constitue à Kinshasa un moyen de dissuasion à la portée de nombreuses familles pour alerter le voisinage de l’éminence du danger qui les guette en pleine nuit. Des quartiers bien organisés se relayent le premier coup de sifflet et le sifflement assourdissant s’empare ainsi de l’ensemble du quartier mettant en mal la témérité du brigand même armé.

4.2.1.4. Attachement du service d’un factionnaire

Dans le contexte d’une sécurité dissuasive, les hautes autorités politiques ainsi les nantis s’attachent des services des factionnaires moyennant payement des frais que nécessite cette réquisition.

4.2.1.5. Chiens de garde

Compagnon de vie (en Occident) et compagnon de chasse (campagne congolaise), à Kinshasa le chien est un bon gardien des parcelles, car dit-on ici, « il vaut mieux un chien dressé qui monte la garde qu’un croulard qui vient roupiller ». Dans cette ville, une parcelle disposant des chiens dressés est identifiée et redoutée.

4.2.1.6. Alarme électronique

Un appareil d’alarme électronique produit un bruit strident qui alerte, selon le cas, sur l’éminence du danger (véhicule, poignet de la porte d’un immeuble) où se trouve posé le dispositif électronique. Ce qui ne manque pas de décourager l’intrus qui s’arrange à prendre les larges parce que se sentant démasqué. Vu son coût, la protection par l’alarme n’est pas encore assez répandue à Kinshasa. Mais là où elle est utilisée, elle donne un rendement remarquable.

4.2.1.7. Huées

Dans les quartiers populaires, la victime des kuluna s’arrange pour lancer des cris de détresse lesquels sont relayés par plusieurs parcelles à la ronde. Il faut toutefois, préciser que cette stratégie paie lorsqu’il s’agit des kuluna ordinaires mais rarement lorsqu’ils sont armés.

Les huées demeurent quoi qu’on en dise, une technique sans frais qui a fait ses preuves surtout au temps fort des comités des pouvoirs populaires. Le rendement des huées est d’autant plus grand dans les parcelles où cohabitent plusieurs familles.

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4.2.1.8. Téléphone cellulaire

Aujourd’hui plus qu’hier, le téléphone constitue un moyen de transmission rapide des nouvelles par des relais de messagers ou d’informateurs. Il est à la portée du commun de mortel à Kinshasa où on l’use pour des fins diverses dont celle d’informer ou de solliciter le concours des voisins ou celui de la police face à une attaque des brigands. Dans de nombreuses familles éveillées, on dispose des numéros de téléphone de quelques postes de police, parmi les plus proches. Dans ce contexte, l’impact du téléphone dans la sécurisation de son porteur est indéniable dans la mesure où, les brigands eux-mêmes en ont conscience.

A l’issue de cet inventaire non exhaustif des moyens utilisés dans la sécurité dissuasive à Kinshasa, il nous revient, à présent, d’examiner les moyens d’autodéfense en cas de légitime défense.

4.2.2. Sécurité de légitime défense

Sous cette rubrique, nous exposons ce dont se servent, de manière variable, les Kinois, non pas pour dissuader, mais pour se défendre face à la témérité d’un brigand. Ces moyens comprennent les armes blanches et à moindre proportion, les armes à feu.

4.2.2.1. Armes blanches

Dans cette catégorie d’armes, nous alignons tout élément matériel ou liquide dont l’usage est susceptible de porter atteinte à l’intégrité physique de l’assaillant. Parmi ces moyens, les plus courants sont : la lance pierres, la machette, l’arc et les flèches, les projectiles, le bâton ou la barre de fer, l’électrocution et l’eau bouillante jetée sur le brigand.

On voit ici que l’usage de ces armes varie, selon qu’on est proche ou éloigné de son bourreau.

4.2.2.2. Armes à feu

Le recours à ce type d’armes n’est pas à la portée de tout le monde à Kinshasa, car ici, l’usage légal d’armes à feu demeure bien circonscrit. Deux catégories de personnalités jouissent ordinairement de la protection de cette nature : le détenteur légal de port d’armes et les autorités politico-administratives et autres personnes nanties bénéficiaires d’une garde républicaine.

4.2.2.3. Sécurité psychique

En parlant de sécurité psychique, nous pensons aux personnes qui, faute de disposer des moyens conséquents pour assurer leur sécurité ainsi que celle de leurs biens, se complaisent à en créer, d’après les moyens que leur offre leur subconscient. Aussi se trouvent-ils tiraillés par une double postulation : l’un vers le Bien et l’autre vers le Mal.

4.2.3.1. Armes divines

Les Kinois pieux pensent que le problème de leur sécurité face aux kuluna relève de l’ordre supérieur des choses car Jésus pourvoit tout à celui qui l’a accepté comme Seigneur et Sauveur. Se rangent dans cette catégorie, les hyper croyants pour qui, « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? ».

Forts de cette vérité, on ne peut s’étonner de constater que dans bon nombre de ces familles, on place la bible perçue comme arme redoutable, à l’intérieur du salon, derrière la porte d’entrée, chaque nuit avant d’aller se coucher. Parce qu’ils sont animés d’une foi inébranlable, ce geste, aussi simple qu’on peut le croire,

suffit à verrouiller la porte mieux que ne le feraient les antivols et autres cadenas d’invention humaine.

4.2.3.2. Armes sataniques

Pour l’autre versant qui a le regard tourné vers une postulation contradictoire, le salut ne peut provenir que de la pratique fétichiste. C’est pourquoi pour cette catégorie de Kinois, un bassin rempli d’eau placé la nuit, dans le salon, derrière la porte d’entrée, peut détourner des visées agressives des bandits qui ne verraient qu’un océan insondable.

Un autre acte s’inscrivant dans la même lancée est celui qui consiste, pour une famille, d’enterrer un fétiche dans la parcelle pour désorienter tout malfaiteur au point de lui faire perdre le nord jusqu’à ne plus retrouver la porte par où il était entré jusqu’au matin.

En cette matière, Dieu y pourvoit ainsi que la magie en tant qu’invention humaine de proximité. Il ne nous reste plus qu’à noter le mot de la fin.

CONCLUSION

Les désillusions enregistrées jusqu’à ce jour par les mesures et les moyens de lutte contre une criminalité plus que jamais récalcitrante donnent lieu à nous poser la question de savoir si on peut venir à bout de kuluna. Bien sûr que oui car, on a affaire à une criminalité émanante et non chromosomique. Son contexte d’émergence, le profil de ses acteurs, les logiques et les types d’actions renvoient aux contingences sociales de Kinshasa.

L’éradication de cet horrible phénomène implique donc pour être effective, une remise en question profonde de ses supports. Il est temps que s’installe la culture de naissances désirables en vue de réduire avec vocation d’enrager les effectifs des troupes criminelles. En plus, les pouvoirs publics devraient restituer le droit à un niveau de vie suffisant79 au citoyen Congolais qui, lui-même aussi, devrait se débarrasser grâce à l’éducation civique, d’une mentalité hostile au développement que lui impose son époque. C’est alors à ce prix que Kinshasa deviendrait ce havre de paix où il ferait bon vivre pour tous ses résidents.

79 BALEKA NYAINYAKI E., « Un regard sur "le droit à un niveau de vie suffisant" », in MES, n°67, août-septembre, 2011.

Une victime de kuluna

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INTRODUCTION80

La République Démocratique du Congo, en général, et la ville de Kinshasa, en particulier, connaissent une insécurité qui ne cesse de croître au jour le jour. Elle est devenue un fait quotidien et son ampleur est telle qu’elle défraye la chronique. La Mission des Nations-unies pour la stabilisation au Congo (Monusco) comme d’autres structures en font un point de presse hebdomadaire. Et rien à ce jour ne semble augurer un lendemain rassurant.

De manière générale, cette insécurité se traduit par le vol, l’extorsion, le vandalisme, le viol, les assassinats, les meurtres, etc. dus à la belligérance permanente à l’Est du pays, aux opérations des bandits à mains armées, à la présence massive des enfants et jeunes de rue et autres malfrats. Elle s’est ravivée, note Sylvain Shomba, de suite de la dispersion des armes de guerre parmi la population civile sous l’effet de la démobilisation mal encadrée de plusieurs unités combattantes en RDC81. Outre les provinces de l’Est où sévit un cycle d’agression-rébellion et où les milices armées font la loi, dans les autres provinces ce sont surtout les milieux urbains qui sont affectés.

Kinshasa passe pour une ville où l’insécurité se porte en merveille. Dans cette ville, l’insécurité est provoquée par des « éléments incontrôlés » de l’armée et de la police, des bandits à mains armées, les enfants de rue communément appelés shegue et par d’autres délinquants, notamment les Kuluna.

Dans ce travail, nous nous intéressons au cas particulier des Kuluna de la ville de Kinshasa. Il s’agit, comme le note Evariste Tshishimbi Katumunonyi, des bandes des malfaiteurs (hommes et femmes) dont l’âge varient entre 8 et 40 ans qui s’adonnent dans les différents quartiers des villes congolaises, et particulièrement à Kinshasa, à des activités nuisibles (drogue sous toutes ses formes, alcool...) et profitant de la dégénérescence des mœurs et des limites de l’autorité urbaine à faire régner effectivement la justice et l’ordre social dans la ville, sèment la mort et la désolation dans la population.82 Ces hommes et femmes désœuvrés, moins instruits, généralement issus de couches défavorisées de la société se livrent à une violence aveugle, pillent, ravissent, violent et tuent sinon ravagent tout sur leur passage. Evariste Tshishimbi rapporte que pour opérer et s’exciter psychologiquement, ils sont obligés de se droguer à outrance afin d’entrer dans l’extase cathartique et agir devant n’importe qui et n’importe quoi.83

Ce phénomène Kuluna s’est répandu sur l’ensemble de la ville. Aucune commune, aucun quartier n’en est épargné. Les Kuluna s’en prennent à toutes les catégories sociales et font des victimes même parmi les forces de l’ordre (policiers et militaires). Avec des armes blanches84, et sans se cacher, ils opèrent de jour comme

80 Je remercie madame Mireille Mbombo Mujani qui m’a accompagné dans les enquêtes.

81 S. Shomba Kinyamba, « Le phénomène « Kuluna » ou le gangstérisme juvénile à Kinshasa. Récurrence, logiques d’actions et vulnérabilité de moyens de prémunition », in M.E.S., n° 69, novembre-décembre, 2011.

82 E. Tshishimbi Katumomonyi, Les métamorphoses de la délinquance urbaine en République Démocratique du Congo. Le cas du phénomène "Kuluna" dans la ville de Kinshasa. Approche sociologique, éditions des Cahiers congolais de Sociologie et Anthropologie, Kinshasa, 2010, p. 15.

83 E. Tshishimbi Katumumonyi, op. cit., p. 16.84 Les Kuluna utilisent les lames de rasoir, les couteaux, les machettes, les

houes, les tournes-vices ou tout autre objet tranchant pour commettre leurs crimes.

de nuit faisant des ravages et des dégâts dans la population. Ils vandalisent tant les biens publics que privés et n’hésitent pas de donner la mort à quiconque les contrarient.

Des mesures prises comme les actions réalisées par les autorités publiques et les interventions des organisations non gouvernementales pour endiguer ce phénomène n’ont pas encore produit les résultats escomptés. Les arrestations isolées voire les actions organisées telles que l’opération « Kimia » et l’opération « Keba » initiées par l’Hôtel de Kinshasa, la déportation vers les prisons hors Kinshasa (Angenga, Buluwo, etc.) orchestrée par le Ministère de l’Intérieur, les initiatives d’insertion sociale entreprises par les ONG se soldent par des échecs cuisants. Par contre, l’insécurité s’amplifie au jour le jour, génère une culture de la violence susceptible d’exposer toute la ville à une explosion si on n’y prend pas garde.

Ce qui déconcerte davantage c’est l’impunité dont jouissent nombre de ces Kuluna qui, aussitôt arrêtés, sont aussitôt relâchés et ce, malgré la nature du forfait ou du crime commis. Il arrive souvent que les victimes de la violence des Kuluna constatent impuissamment que leurs bourreaux sont libérés avant même que l’instruction du dossier judiciaire n’arrive à terme. Réconfortés par ce laxisme judiciaire, les Kuluna n’hésitent pas de récidiver, de proférer des menaces ou de promettre des représailles aux victimes ou à tout individu qui « se mêle à leur affaire ». Ainsi, on assiste à un va et vient de ces Kuluna entre les centres de détentions et la cité. Aujourd’hui, même les policiers sont lassés par les relâchements sans procès des Kuluna et accusent les instances judiciaires de contribuer à la montée et à la persistance de cette pathologie sociale qui infeste la vie quotidienne à Kinshasa.

Nous cherchons à travers cette étude savoir ce que pense la population de Kinshasa de ces va et vient des Kuluna entre la cité et le Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa. Autrement dit, nous nous posons la question de savoir quelles sont les opinions des Kinois en rapport avec cette incapacité des instances judiciaires du pays à sévir et à rééduquer les délinquants-criminels Kuluna ? Des opinions des enquêtés, il résulte que cette incapacité des instances judiciaires reflète la déliquescence de l’Etat congolais et recèle une rationalité politique.

Pour saisir ces opinions, nous avons mené une enquête dans la commune de Ngaba. Etant donné que nous ne pouvions pas interroger tous les habitants de cette commune, nous avons réalisé l’enquête auprès de cent sujets. Ceux-ci ont été sélectionnés à l’aide de la technique d’échantillonnage accidentel. Nous avons retenu comme informateur, toute personne rencontrée sur le terrain et qui s’est montrée disponible pour notre enquête.

Nous avons recueilli les informations auprès de ces informateurs à l’aide d’un guide d’entretien élaboré autour des principaux thèmes de la recherche.

Outre cette introduction et la conclusion, nous abordons les points ci-après : le contexte d’émergence du phénomène Kulula ; les manifestations du phénomène ; les Kuluna à Ngaba ; la lutte contre le phénomène Kuluna à Kinshasa ; les perceptions des enquêtés et interprétations des résultats.

LES VA ET VIENT DES KULUNA ENTRE LES CENTRES DE DETENTION ET LA CITE A L’AUNE DES OPINIONS DES HABITANTS DE LA COMMUNE DE NGABA

parJean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu

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I. CONTEXTE D’ÉMERGENCE DU PHÉNOMÈNE KULUNA

Le phénomène Kuluna émerge dans le contexte de la crise multiforme que connait la RDC depuis plus de trois décennies. Sur le plan socioéconomique, cette crise se manifeste par la chute de la production dans tous les secteurs avec comme conséquence la réduction drastique du produit national brut. Il en est résulté l’aggravation de la pauvreté amplifiée par les différentes mesures d’ajustement structurel imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international et par les pillages intervenus en 1991 et 1993. Les manifestations de cette crise sont nombreuses notamment la perte du pouvoir d’achat de la population, des salaires de misère, la montée du chômage, la déperdition scolaire, l’accès difficile au logement décent, aux soins de santé, au transport, etc.

Sur le plan social, on peut noter la désintégration de la famille comme cellule de base due, d’une part, à l’aggravation de la crise socioéconomique et de la pauvreté qui en résulte ayant plusieurs parents incapables d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants et, d’autre part, aux mutations sociales ayant conduit au relâchement du contrôle social et à l’effritement des valeurs sociales.

Sur le plan politique, la crise se caractérise par la déliquescence de l’Etat devenu incapable d’assurer conséquemment à ses citoyens tous les services publics, le dysfonctionnement des institutions politiques et administratives, les rébellions et agressions, etc. Il en est résulté que l’Etat congolais n’est plus en mesure d’imposer son monopole de la violence légitime et à faire respecter rigoureusement ses lois. Ainsi, comme le fait remarquer Kuna Maba, dans la plupart des cas, l’Etat congolais ne fait que subir les événements. De même, les autorités politico-administratives banalisent et ne considèrent pas à leur juste valeur les faits relevant de la violence urbaine.85

Sur le plan culturel, on assiste entre autres à la crise morale, à l’exaltation des antivaleurs au point que la marginalité est perçue dans certaines couches de la société comme étant la normalité sociale. Il en résulte que la population comme les dirigeants se sont accommodés à la déviance sociale telle que nombre des Kinois posent des actes déviants tout en étant de bonne foi.

Ce contexte a favorisé l’émergence d’une multitude des pathologies sociales parmi lesquelles le phénomène Kuluna qui fait l’objet de ce travail.

II. MANIFESTATION DU PHÉNOMÈNE KULUNA

Si la délinquance juvénile est plus vieille que la ville de Kinshasa elle-même, le phénomène Kuluna quant à lui, est d’apparition récente. Ses premières manifestations remontent aux années 2000 avant de prendre de l’ampleur autour de 2005. Selon E. Tshishimbi Katumumonyi, c’est dans les anciens quartiers autrefois habités par les évolués de l’époque coloniale, notamment à Yolo, Lemba, Matete, Kalamu, Bandalungwa qu’apparaît pour la première fois, le phénomène Kuluna avant de s’étendre à l’ensemble de la ville de Kinshasa.

En ses débuts, ce phénomène se limitait aux affrontements entre les jeunes pratiquant des arts martiaux dans les différents quartiers appelés pomba (sportifs). Pour se défier, ces jeunes regroupés dans ce que l’on appelle « Ecurie » (bandes ou club) se donnaient rendez-vous pour livrer les combats sur la place publique et sans respect des normes en la matière. La rancœur subséquente à

85 G. Kuna Maba, Le phénomène Kuluna à Kinshasa. Le gangstérisme de rue et les moyens d'en finir, éditions MES, Kinshasa, SD, p. 73.

ces bagarres publiques faisait par la suite que les membres de l’Ecurie X s’en prenaient soit à leurs rivaux, soit à leurs familiers qui s’hasardaient à traverser leur quartier. La violence et le chaos qui suivaient les représailles ont valu à ces opérations le nom de Kuluna, terme emprunté à une langue angolaise qui signifie désordre, en référence aux troubles que causaient les éléments de l’UNITA86. Pendant la guerre en Angola, lorsque les éléments de l’UNITA dirigée par Jonas Malero Savimbi faisaient irruption dans une contrée contrôlée par les forces gouvernementales, ils tiraient dans toutes les directions et ravageaient tout ce qu’ils rencontraient sur leur passage. C’est par similarité à cette violence aveugle que les Bana Lunda87 ont baptisé les opérations des bandes de jeunes kinois de Kuluna.

Cette violence qui insécurisait les habitants des quartiers où étaient implantées ces écuries des pomba, a fini par quitter ce cercle pour s’étendre à toutes les bandes des délinquants et enfants de rue généralisant ainsi le phénomène Kuluna dans la ville de Kinshasa. A ce jour, le phénomène Kuluna n’est plus l’apanage des pomba, il est orchestré par des bandes des jeunes désœuvrés qui usent des armes blanches pour se régler les comptes ou régler les comptes à certaines personnes indexées par eux, pour extorquer, voler et donner la mort. Ces jeunes marginaux sont pour la plupart des « enfants des travailleurs et autres ouvriers qui n’avaient pas réussi à terminer leurs études, probablement à cause de maigres salaires et conditions difficiles dans lesquelles vivent leurs parents. N’ayant pas étudié, ou ayant peu étudié, ils ne peuvent trouver de l’emploi dans la ville. A cette catégorie de citadins, il faut ajouter ceux qui sont venus de leurs villages pour s’installer à demeure dans la ville à la faveur de certaines circonstances comme les études, les soins médicaux, les visites familiales, la recherche de l’emploi, etc. »88 Ces marginaux ont également trouvé le refuge dans les quartiers d’auto-construction qui pullulent à Kinshasa tels que Kingabwa, Mombele, Kisenso, Mbaza-Lemba, Kingasani, Kindele, etc. où en plus du manque des infrastructures urbaines, on constate également le déficit des services de protection civile.

A la différence des enfants de rue et d’autres malfrats, les Kuluna se singularisent d’abord par le fait qu’ils ne sont pas en rupture avec leurs familles. Ils vivent dans leurs familles respectives, maintiennent les liens avec les autres membres de la parenté. Ensuite, ils opèrent à visage découvert dans la mesure où souvent ils ne s’en cachent pas et agressent leur victime au vu et au su de tout le monde. Enfin, ils ne redoutent pas la répression des forces de l’ordre qu’ils affrontent et mettent de fois en déroute.

Pour Sylvain Shomba Kinyamba, « les motivations qui sous tendent les actions du kuluna sont multiples et relèvent à la fois du business, car ce banditisme de rue est avant tout un job dans cet univers kinois fait de précarité. Le kuluna, est entretenu aussi par une logique de vengeance, pour ces gangs, leur activisme est une dénonciation en quelque sorte, de l’injustice sociale. »89

Plusieurs indices permettent de reconnaître les Kuluna, notamment le tatouage sur le corps, le développement remarquable des biceps, les cicatrices sur le corps, la coiffure dégingandée, l’habillement grotesque, extravagant et désordonné, etc. Leur sociabilité est basée sur la violence et sur le strict respect des normes du groupe. « Ce qui fait des kuluna des friands des arts martiaux. »90 La drogue sous toutes ses formes ainsi que les

86 Union pour l'indépendance totale de l'Angola.87 Creuseurs et trafiquants de diamant congolais dans la province angolaise de

Lunda Norte.88 E. Tshishimbi Katumumonyi, op. cit., p. 19.89 S. Shomba Kinyamba, « Le phénomène Kuluna », Art.cit., p. 10.90 Idem, p. 12.


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rapports sexuels font partie de leurs loisirs. C’est dans ce milieu que se développe également l’homosexualité.

III. Le phénomène Kuluna dans la commune de Ngaba

Sans être très différent des traits caractéristiques décrits ci-haut, Ngaba passe pour l’une des premières communes de Kinshasa à avoir vécu le phénomène Kuluna. Dans cette commune, ce phénomène était au départ connu sous le pseudonyme de Bolofa. Celui-ci vient d’une famille qui le portait et dont les enfants se

battaient régulièrement entre eux en causant d’énormes dégâts. Ce nom de Bolafa finit par être transposé à tous les délinquants qui semaient la terreur dans cette commune. Ces différents bolafa se sont mués en Kuluna en recourant aux armes blanches pour causer du tort à leurs victimes.

On peut noter que la commune de Ngaba est l’une de Commune où l’on recense plusieurs bandes Kuluna. Le tableau ci-après nous en donne quelques indications.

Tableau n° 1: Quelques bandes des Kuluna de la Commune de Ngaba

N° Ecuries PSEUDONYMES DES CHEFS DE GANGS QUARTIERS OSERVATIONS

1 Bana Bolafa Maitre Yalme et Grand Boketsu Mopulu Gang très connu avec d'intenses activités

2 Bad boys Maitre Etisala Mopulu Idem3 Bana cinq sur cinq Maitre sans paquet Mateba Idem4 Ecurie courage - Idem5 Deux fois te Maitre Héritier Baobab Idem6 Tembe na Nzambe - Kianza Idem7 Les zoulous - Mopulu Idem8 Ecurie mbeli mbeli Saddam Bulambemba Idem9 Les Zoulous Kisanola Ecureuil, Dauda et Cellulaire Bulambemba Idem10 Boroti Django Luyi Idem11 Eufor Vada et Matunga Baobab Idem12 Bonza bor Anesthésie et Zamouz Kianza Idem13 Kansas Kangourou et Benoît Maboko Mopulu Idem14 Banga Moyo Ikele et Isena Luyi Idem15 Bana Bagdad Epervier Bulambemba Idem16 Armée rouge Tétanos Bulambemba Idem17 Onu-britanique Drapeau blanc Baobab Idem18 Sans Pitié Lucifer Luyi Idem

Source : Enquêtes personnelles, 2015.

Faisons remarquer que ce tableau n’est pas exhaustif. D’autres groupuscules difficilement identifiables existent également. Avec autant des bandes de Kuluna, Ngaba passe pour l’une des communes où ce phénomène est très bien implanté.

Une petite analyse des pseudonymes des bandes et de leurs leaders révèle qu’ils sont puisés dans le répertoire symbolique faisant référence à la violence et à la ruse dont il faut faire preuve pour survivre dans un contexte d’insécurité. Des pseudonymes tels que Bagdad, Eufor, Zoulous, armée rouge, mbeli-mbeli (couteau contre couteau) évoquent les villes, des structures, des communautés et des instruments de la violence, où les plus forts ont imposé leur loi aux plus faibles. D’autre part, les pseudonymes tels que Ecureuil, Epervier, Anesthésie renvoient à la ruse.

Ces différentes bandes sèment la panique dans la commune de Ngaba en extorquant, blessant, en tuant et en ravageant les biens tant des privés que ceux appartenant à l’Etat et à d’autres structures.

IV. LUTTE CONTRE LE PHÉNOMÈNE À KINSHASA

Face à une pathologie sociale, toute communauté réagit dans un sens comme dans un autre pour lui trouver une thérapeutique appropriée. Le phénomène Kuluna a fait l’objet de plusieurs initiatives tant au niveau de la population, des structures que des pouvoirs publics. A l’échelle de la population, il a été enregistré par ci, par là quelques actions d’autodéfense ayant conduit au

lynchage des Kuluna. Du côté des structures, l’action vise à la réinsertion sociale en proposant aux Kuluna quelques métiers et des loisirs sains.

Au niveau des pouvoirs publics qui ont le monopole de la violence légitime et qui ont l’obligation d’imposer l’ordre public et assurer à la population la paix et la sécurité, plusieurs mesures et actions ont été menées pour éradiquer le phénomène précité. Le ministère de l’Intérieur, de la Justice comme l’Hôtel de Kinshasa ont initié des actions tantôt conjointement tantôt isolement.

En cette matière, nous pouvons citer les opérations Kanga Vagabond, Kimia, Keba et Likofi.

1. Opération Kanga vagabond

L’opération Kanga vagabond (Arrêtez le vagabond) a été lancée par l’Hôtel de Ville de Kinshasa sous la houlette du gouverneur Christophe Muzungu en 2002. Elle visait principalement les enfants de rue qui semaient la pagaille au grand marché de Kinshasa. Elle a été élargie à tous les délinquants, notamment les Kuluna. Certains parmi ces derniers ont été arrêtés, déférés devant la justice et placés aux nioufs.

La brutalité avec laquelle cette opération avait été menée suscita une valse des protestations tant dans l’opinion que du côté des organisations de défense des droits de l’homme. Ce qui obligea l’autorité provinciale de faire marche arrière et de libérer

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quelques malfrats incarcérés. Ce manque de fermeté des pouvoirs publics redonna du zèle aux Kuluna qui reprirent à commettre leurs forfaits.

2. L’opération Kimia

L’opération Kimia (la paix) a été lancée en septembre 2003 par le gouverneur Kimbembe Mazunga. Elle consistait à maîtriser la criminalité qui avait culminé avec le phénomène « ampicilline ». L’assassinat de Monsieur Steve Nyembo, alors Directeur des ressources humaines à la Direction générale des impôts (DGI), servit de détonateur de cette opération. Celle-ci consistait à déployer sur l’ensemble de la ville de Kinshasa des éléments de la police qui agissaient à travers les fouilles systématiques, les bouclages dans les quartiers, etc. et ce, particulièrement la nuit afin de contrer tout paramètre obstructif de la sécurité.91 Selon Germain Kuna Maba, cette opération connut un franc succès dans la mesure où le taux de criminalité baissa effectivement. En effet, renchérit-il, plusieurs militaires déserteurs et réguliers ainsi que plusieurs Kuluna, tombèrent alors dans le collimateur des agents de l’ordre.92

Malheureusement, cette opération ne dura que l’espace d’un matin. Les autorités publiques relâchèrent la pression permettant ainsi aux Kuluna et aux malfrats de reprendre leur droit.

3. L’opération Keba

L’opération Keba (faites attention) a été lancée en décembre 2004 par le ministère de l’Intérieur. Elle faisait suite à l’assassinat du père belge René Hans de Kimwenza. Elle avait consisté au déploiement des équipes pédestres et motorisées de la police qui patrouillaient systématiquement dans les quartiers périphériques de la capitale pour assurer la paix et la sécurité à la population.93

Comme les autres opérations, celle dénommée Keba ne fit pas long feu. Elle s’estompa avec la dissipation des émotions liées à l’assassinat du prélat catholique.

5. Opération Likofi

L’opération policière Likofi (coup de poing) contre le banditisme urbain à Kinshasa a été menée entre novembre 2013 et février 2014 par le gouverneur André Kimbuta Yango. Elle était élargie sur l’ensemble de la ville de Kinshasa et avait pris pour cible les bandes de Kuluna. La vigueur avec laquelle cette opération a été menée a contribué à la pacification de la capitale congolaise pendant tout un semestre, la plupart des Kuluna ayant été arrêtés tandis que d’autres ayant quitté Kinshasa pour trouver refuge dans les provinces du Bas-Congo, de Bandundu et de l’Equateur voire à Brazzaville. Une fois de plus, les critiques acerbes des ONG nationales et internationales, ont obligé la police nationale de faire marche arrière et laisser de nouveau aux Kuluna l’opportunité de reprendre leur besogne.

6. La déportation des Kuluna

Pour marquer les esprits des Kinois et dissuader les Kuluna, le ministère de Justice a, à plusieurs occasions, organisé la déportation des Kuluna arrêtés vers les centres pénitentiaires des provinces dont les plus célèbres sont ceux de Buluwo dans le Katanga, de Angenga dans la province de l’Equateur et de Biasa dans le Sud Kivu. Cependant, la publicité qui entourait

91 G. Kuna Maba, op. cit., p. 104.92 Idem.93 Kuna Maba, op. cit., p. 105.

cette relégation et les bonnes conditions de détention dont ont bénéficié les relégués a remonté le moral des Kuluna en liberté qui ont continué à commettre leurs forfaits et à recruter de nouveaux membres.

Dans l’ensemble, nous constatons que les actions menées par les pouvoirs publics n’ont été en mesure d’éradiquer le phénomène Kuluna à Kinshasa. Si la faille se situe du côté des services de l’ordre qui se montrent laxistes ou reculent aux moindres critiques, il faut noter également que les instances judiciaires n’ont pas joué leur rôle pour la répression du phénomène. A tous les niveaux, les instances judiciaires se sont montrées très laxistes vis-à-vis de ces marginaux qui insécurisent la vie dans la capitale congolaise. De manière générale, les Kuluna sont vite relâchés sans même qu’ils ne soient jugés et ce, quels que soient les crimes commis. A Ngaba où nous avons mené les enquêtes, il nous a été montré des Kuluna qui ont extorqué, blessé voire tué, mais qui se retrouvent en liberté et narguent leurs victimes. Cette impunité, dénoncée parfois par les éléments de la police, est de nature à aggraver et à perpétuer le phénomène.

V. PERCEPTIONS DES VA ET VIENT DES KULUNA ENTRE LES CENTRES DE DÉTENTION ET LA CITÉ

Dans ce point, nous analysons les perceptions que les habitants de la commune de Ngaba se font des va et vient des Kuluna entre les centres de détention et la cité. Autrement dit, nous scrutons les opinions que les résidents de Ngaba se font du laxisme qu’affichent les instances judiciaires de la RDC, en occurrence les parquets, vis-à-vis d’une grave pathologie sociale qui, mal gérée, implosera davantage dans les jours à venir.

Des entretiens réalisés avec les informateurs autour des thèmes sous examen, il s’est dégagé les principales considérations reprises dans les lignes qui suivent.

1. La mal gouvernance et le dysfonctionnement des institutions publiques

Pour les informateurs, les va et vient des Kuluna entre le CPRK et la cité est le reflet de la mal gouvernance et du dysfonctionnement des institutions publiques du pays. En effet, estiment-ils, l’existence des Kuluna et l’incapacité des instances judiciaires à les éradiquer attestent bien que le pays est sous-gouverné. Un véritable Etat, selon les enquêtés, est celui qui sait assurer la sécurité à tous ses citoyens en mobilisant tous ses attributs régaliens pour imposer l’ordre à toutes les personnes qui habitent son territoire. Bien plus, les va et vient des Kuluna entre les centres de détention et la cité montre qu’il n’y a pas de synergie entre les institutions publiques. Sinon, comment comprendre que les instances judiciaires puissent libérer, généralement sans procès, des criminels déférés devant elles par la police qui est également une institution publique? Pour les enquêtés, tant que la mal gouvernance et le dysfonctionnement des institutions publiques persisteront, on ne vaincra pas le phénomène Kuluna, en particulier, et la criminalité sous toutes ses formes, en général.

2. Les dirigeants ne s’occupent pas de la sécurité des citoyens

La persistance du phénomène Kuluna ainsi que le laxisme qu’affichent les instances judiciaires montrent que les autorités politiques ne se soucient pas de la sécurité des citoyens. Elles sont plus préoccupées par leurs propres intérêts et leur sécurité


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personnelle. Les informateurs en veulent pour preuve le fait qu’une action sérieuse n’a été menée contre ces malfrats qui causent mort et désolation dans la population. Aussi, les informateurs constatent que les autorités politiques interviennent seulement lorsque la criminalité atteint les membres de la haute sphère de la société. Ainsi, ont-ils l’impression que seules comptent la vie et la sécurité des autorités et des personnes nanties, celles de la masse étant le cadet de leur souci. Cette situation se remarque à tout point de vue, renchérissent-ils. Dans ce pays où les autorités crient à la crise économique, poursuivent les informateurs, elles sont les seules à bien se loger, à bien se nourrir, à bien scolariser leurs enfants (généralement à l’étranger), à bien se soigner et à être bien enterrées. Rien d’étonnant qu’elles fassent fi de tout ce qui touchent à la vie de la population.

3. La corruption du système judiciaire congolais

Pour la plupart des informateurs, l’impunité dont jouissent les Kuluna est une preuve de plus de la corruption du système judiciaire congolais. Selon ces enquêtés, les magistrats congolais ne résistent pas devant les espèces sonnantes et trébuchantes. Ils n’hésitent pas à donner raison à celui qui a tort, mais qui les soudoie et d’inculper celui qui a raison, mais n’est pas en mesure de leur remettre de l’argent. Nombre des Kuluna ont recouvré la liberté, selon les enquêtés, après avoir glissé des enveloppes sous la table des magistrats. S’ils ne peuvent les libérer sans procès, ils peuvent en organiser un qui soit de façade juste pour la forme, la finalité étant l’élargissement du criminel qui a « libéré de l’argent. » Généralement, cette corruptibilité semble se justifier par les maigres salaires leur payés par l’Etat congolais.

A cela s’ajoute le trafic d’influence. Certains Kuluna dont les membres de la famille ont des liens avec les hautes sphères de la société se voient vite relâchés à la suite de l’intervention de ces derniers. Ils font obstruction sur la procédure judiciaire et obtiennent la libération des délinquants Kuluna.

4. L’ignorance de la procédure et la résignation des victimes

Pour certains enquêtés, les va et vient des Kuluna entre les centres de détention et la cité sont dus à l’ignorance de la procédure et à la résignation des victimes. Ce point de vue a été défendu par un avocat faisant partie de l’échantillon. En effet, avance cet enquêté, dans la plupart des cas, il n’y pas de plaignants qui poursuivent les Kuluna après la commission des crimes. Beaucoup de victimes de leur agression estiment qu’il suffit que les Kuluna soient déférés en justice pour qu’ils soient automatiquement condamnés même sans plainte. Après l’arrestation des Kuluna, les victimes ne se présentent pas aux instances judiciaires pour introduire la plainte en bonne et due forme en vue de permettre à ces dernières d’engageer régulièrement la procédure. En l’absence d’une telle plainte, les instances judiciaires ne peuvent que relâcher les prevenus et ce, conformément à la disposition de l’article 18 de la constitution du 18 février 2006 à son alinéa 4 qui stipule : « La garde à vue ne peut excéder 48 heures. A l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue doit être relâchée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente. » Par ailleurs, fait remarquer un autre avocat, il se pose le problème de la qualification de l’infraction ou des infractions. Kuluna, terme sociologique ne rentre pas dans la classification des infractions. Encore faudra-t-il en trouver les éléments constitutifs. Il est alors indiqué que l’on retienne les faits constitutifs des infractions prévues et punies par les lois.

Notons cependant que cet état des choses n’est pas seulement tributaire de l’ignorance par les victimes de la procédure comme l’affirment les enquêtés, il est également dû aux antécédents ou

à la jurisprudence. En effet, nombre des victimes ont été amenés à renoncer à la poursuite de leurs bourreaux tout simplement parce que lassés par une justice qui tire en longueur la procédure judiciaire au point qu’ils ne peuvent pas en supporter infiniment le coût. Conscients de ne pas disposer de moyens nécessaires pour soutenir financièrement de longues procédures judiciaires, nombre des victimes se résignent et s’en remettent à leurs propres familles.

En plus, le bon sens veut qu’un criminel ne soit pas mis en liberté aussi facilement tout simplement parce que la procédure n’a pas été suivie ou parce que les victimes se sont résignées. L’Etat, à travers le ministère public dont le rôle est de rechercher les infractions, peut se saisir du dossier et inquiéter tous les Kuluna qui troublent l’ordre public et mettent en danger la vie de paisibles citoyens.

5. La complicité entre les éléments de la police, les instances judiciaires et les Kuluna

Enfin, pour d’autres informateurs, les va et vient des Kuluna entre les centres de détention et la cité traduit la complicité entre ces trois acteurs. Il semble, selon ces informateurs, les Kuluna opèrent parfois avec la bénédiction des éléments de la police avec lesquels ils partagent les butins de leurs opérations.

VI. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

La violence urbaine, particulièrement celle de la rue est un vieux phénomène, comme le souligne T.K. Biaya Elle est, d’après cet auteur, liée à la politique urbaine coloniale qui rapatriait de force les jeunes sans emploi et les délinquants dans leur village d’origine. Cette violence politique a aussi stimulé l’introjection de la violence chez les jeunes qui, ayant échappé à la déportation, se valorisaient comme individus urbains par des actes de violence mimétique. Souvent, ces adolescents et ces jeunes adultes formaient des bandes de quartiers qui s’affrontaient en des bagarres de rue. Au besoin, ils punissaient leurs parents qui voulaient les « corriger » en s’enrôlant dans l’armée. Ce modèle de valorisation n’alla pas sans des emprunts aux personnages violents du cinéma américain de série B: tous les membres de gangs portaient des noms de chefs indiens, d’acteurs d’Hollywood ou de bandes dessinées94.

Certes, la violence urbaine remonte à l’époque coloniale, mais elle revêtait une autre nature et provoquée par d’autres facteurs que ceux à la base du phénomène Kuluna analysé dans la présente étude. L’examen des opinions des enquêtés ci-haut présentées est susceptible de dévoiler les ressorts sur lesquels repose ce phénomène dans la ville de Kinshasa ainsi que sa persistance.

La compréhension des opinions des informateurs telles que formulées dans le point précédent, requiert qu’elles soient inscrites dans un double registre, à savoir: celui de la faillite des structures étatiques et celui d’une rationalité politique. Le décryptage de toutes les opinions émises par les enquêtés atteste qu’elles se ramènent à ces deux paramètres. En effet, le phénomène Kuluna ainsi que sa persistance rentrent dans l’ensemble des manifestations de la crise qui caractérise l’Etat post colonial en Afrique, de manière générale, et au Congo, de manière particulière. Cette crise est à analyser tant au niveau des structures que des acteurs étatiques.

94 T.K. Biaya, Les jeunes, la violence et la rue à Kinshasa. Entendre, comprendre, décrire, Nouvelles piste1/1200 Dakar, Codesria, 2000, p. 2.

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Du point de vue des structures, les opinions des recueillies montrent bien qu’elles mettent en cause la faillite l’Etat comme facteur principal de l’émergence du phénomène Kuluna et de l’impunité dont bénéficient les Kuluna eux-mêmes vis-à-vis d’une justice laxiste. Les enquêtés soulignent clairement la mal gouvernance et le dysfonctionnement des institutions publiques en tant que déterminant de l’expansion de cette pathologie urbaine. Il en est de même de la corruption du système judiciaire de la RDC qui est une des manifestations de la crise de l’Etat postcolonial. Donc, si les structures de l’Etat fonctionnaient normalement, le phénomène Kuluna n’aurait pas vu le jour, et s’il apparaissait malgré tout il n’aurait pas connu une telle ampleur.

Quand bien même les enquêtés l’occultent, il sied de noter que la déliquescence de la famille est aussi un élément fondamental de l’émergence dudit phénomène. Pris par la crise socioéconomique et les mutations urbaines, nombre des parents n’assurent plus l’encadrement qui convient à leurs enfants. Ces derniers se socialisent dans la rue et subissent toutes les influences qui s’y développement. « Les multiples privations constantes qu’ils subissent les prédisposent à la marginalisation et à tout tenter par eux-mêmes. Ce qui les prête à toute sorte d’aventures, la criminalité y comprise. »95

En outre, à en croire les enquêtés, le phénomène Kuluna revêt une rationalité politique. Plutôt que d’être considéré seulement comme conséquence de la crise de l’Etat, il est voulu et entretenu par des acteurs à tous les niveaux, principalement dans la sphère politique. Les Kuluna sont devenus un instrument à la fois de protection et de dissuasion des adversaires politiques.

En effet, hormis les crimes perpétrés pour leur propre compte, les Kuluna, à en croire Kuna Maba, vendent également des services à de tierces personnes.96 Parmi ces services, figurent la protection des particuliers et le règlement des comptes entre adversaires, surtout politiques.

Concernant la protection, plusieurs personnes utilisent les Kuluna comme garde de corps. Cette instrumentalisation leur permet d’être à l’abri de tracasseries. Ainsi, les Kuluna sont devenus de vrais protecteurs. Certains commerçants ou encore d’autres personnes font appel à eux contre leurs compères ou contre les éléments de la police qui extorquent au même titre que les malfrats. De même, on recourt à ces Kuluna pour sécuriser les manifestations publiques. Dans le même ordre, T.K. Biaya renseigne que ces malfrats sont recrutés par les femmes commerçantes qui font la navette entre Brazzaville et Kinshasa pour qu’ils leur facilitent le passage frauduleux des marchandises en complicité avec la police des douanes.97

De plus, le recours aux Kuluna est devenu une arme efficace pour le règlement des comptes. Certaines personnalités, moyennant un peu d’argent, commanditent la rosse de leurs adversaires par les Kuluna pour les humilier. Dans la même lancée, des musiciens jaloux du succès de leurs concurrents soudoient les Kuluna pour qu’ils sèment les troubles et désordre lors de leur production sur des espaces publics. Cette pratique a également franchi le seuil du champ politique. A Kinshasa, particulièrement pendant toute la période qui a précédé et suivi les élections présidentielle et législatives nationales de 2011, certains partis ont recouru aux Kuluna soit pour contrer, soit pour perturber les actions des partis adverses. Le célèbre chef de bandes des Kuluna de Ngaba, surnommé Chaleur est passé pour une figure de proue au cours

95 S. Shomba Kinyamba, "Propension pronataliste, balise de l’exclusion sociale à Kinshasa", in MES, n° 42, Kinshasa, 2009.

96 G. Kuna Maba, op. cit., pp. 93-94.97 T.K. Biaya, Enfant en situation de conflit armé et de violence urbaine. Bibliographie

annotée et signalétique, Codesria, Dakar, SD, pp. 12-13

de cette période. Il s’est autoproclamé patron des services de l’ordre et a même accordé une interview à la RFI au cours de laquelle il affirmait travailler pour sécuriser la ville de Kinshasa.

Le recours à des marginaux à des fins politiques en soi n’est pas un fait nouveau. E. Tshishimbi Katumumonyi rapporte que les circonstances des années 60 avaient rendu indispensable la présence entre autres de marginaux de toutes sortes dans les villes. Leur arrivée dans les centres urbains était considérée comme salutaire par les politiciens, car ils constituaient pour chacun d’eux un électorat certain.98

Tout ceci réconforte les Kuluna dans leur besogne et expose la ville de Kinshasa, en particulier, et la RDC, en général, à une conflagration si on n’y prend garde. Les Kuluna, peu importe les raisons qui peuvent justifier leur existence constitue, non pas une bombe à retardement qu’il sied de désamorcer avant qu’elle n’explose comme le déclarent les politiciens, mais un fléau qui ronge notre société qu’il faut à tout prix éradiquer.

CONCLUSION ET SUGGESTIONS

Dans cette étude, nous avons analysé les perceptions que les Kinois, en général, et les habitants de la commune de Ngaba, en particulier ont des va et vient des Kuluna entre les centres de détention et la cité. A cet effet, nous avons mené une enquête auprès des habitants de la commune de Ngaba. Cette enquête a été centrée exclusivement sur l’entretien qualitatif.

Il ressort de l’analyse des résultats de l’enquête que, pour les informateurs, ces va et vient des Kuluna révèlent le laxisme des instances judiciaires de la RDC en même temps qu’ils traduisent la décrépitude de l’Etat, de la famille et servent à des fins politiques. Mais cet état de choses ne saurait perdurer sans mettre en danger la nation tout entière, car ces malfrats retourneront leurs armes contre ceux qui les instrumentalisent aujourd’hui et contre les paisibles citoyens.

Ainsi, pour éradiquer cette pathologie sociale, nous suggérons les actions ci-après :

- la refondation de l’Etat afin que ce dernier puisse remplir toutes ses responsabilités ;

- la facilitation de l’accès à l’éducation non seulement pour assurer l’encadrement de la jeunesse, mais aussi pour lui permettre de rêver à un avenir meilleur ;

- la création des emplois pour accueillir tous les désœuvrés qui grossissent les rangs des Kuluna ;

- la mise en place d’une politique de développement rural susceptible d’arrêter l’exode rural qui déverse dans les milieux urbains les personnes qui n’en ont pas le profil parmi lesquelles se recrutent les Kuluna ;

- la refondation des médias congolais pour qu’ils jouent véritablement leur rôle d’agence de socialisation ;

- enfin la restauration de la famille en tant que cellule de base de la nation, afin qu’elle soit en mesure d’assurer la protection de sa progéniture.

Nous estimons que ces suggestions peuvent contribuer à la réduction du phénomène Kuluna dans la ville de Kinshasa et en RDC. Sans prétention d’avoir été exhaustif, nous pensons que d’autres études pourront également apporter leurs pierres à l’édification d’une ville de Kinshasa et d’un Congo où il fera beau vivre.

98 E. Tshishimbi Katumumonyi, op. cit., p. 19.


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Bibliographie

1. Biaya T.K., Les jeunes, la violence et la rue à Kinshasa. Entendre, comprendre, décrire, Nouvelles piste 1/1200 Dakar, Codesria, 2000.

2. Biaya T.K., Enfant en situation de conflit armé et de violence urbaine. Bibliographie annotée et signalétique, Codesria, Dakar, SD.

3. Kuna Maba G., Le phénomène Kuluna à Kinshasa. Le gangstérisme de rue et les moyens d’en finir, éditions M.E.S., Kinshasa, SD.

4. Kuna Maba G., La problématique du gangstérisme urbain dans la province du Bas-Congo. Regard sur un problème d’insécurité et esquisse des stratégies managériales de lutte, Mémoire de D.E.S. en sciences politiques et administratives, FSSAP/UNIKIN, 2011-2012.

5. Shomba Kinyamba S., « Propension pronataliste, balise de l’exclusion sociale à Kinshasa », in MES, n° 42, Kinshasa, 2009.

6. Shomba Kinyamba S., « L’autodéfense populaire face à l’insécurité à Kinshasa : quelques préceptes tirés », in M.E.S., numéro spécial anniversaire, 2009.

7. Shomba Kinyamba S., « Le phénomène « Kuluna » ou le gangstérisme juvénile à Kinshasa. Récurrence, logiques d’actions et vulnérabilité de moyens de prémunition », in M.E.S., n° 69, novembre-décembre 2011.

8. Tambwe Ngongo M., « Gangs juvéniles à Kinshasa et répression policière. Le Cas du phénomène Kuluna », in M.E.S., n° 42, Kinshasa, 2009.

9. Tshishimbi Katumomonyi E., Les métamorphoses de la délinquance urbaine en République Démocratique du Congo. Le cas du phénomène « Kuluna » dans la ville de Kinshasa. Approche sociologie, éditions des Cahiers congolais de Sociologie et Anthropologie, Kinshasa, 2010.

Atelier d’adoption de la méthodologie de recherche

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INTRODUCTION99

Si le rôle de la femme dans la conquête de l’indépendance politique est discret, voire trop discret pour pouvoir compter réellement dans l’histoire de l’Afrique et du Congo100, ce qui par compte est clair et indéniable est sa lutte pour la reconnaissance des droits de la femme comme personne humaine, contributrice autant que l’homme à la construction et à la prospérité des nations. Et cette lutte coïncide, en Afrique, avec l’avènement des indépendances politiques, lesquelles interviennent massivement à partir de l’année 1960. Ces dernières sont en effet venues raviver ou tout simplement susciter les exigences de reconnaissance des droits des femmes déjà affirmées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). La lutte s’intensifiera jusqu’à arracher d’autres instruments juridiques internationaux importants comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979). Et le point actuellement culminant dans ce rôle de conquête progressive des droits humains apparaît, pour la femme africaine, avec l’adoption, par l’Assemblée générale de l’Union Africaine (le 11 juillet 2003) du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme, lequel est aussi dénommé ‘‘Protocole de Maputo’’. Ce dernier affirme, entre autres, en son article 14, le ‘‘droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction’’ et donc le droit de la femme à disposer de son corps, à contrôler sa fécondité et sa maternité, à décider du nombre d’enfants qu’elle désire avoir, ainsi que du choix des méthodes de contraception qu’elle-même juge appropriées et efficaces, etc.

Mais le sommet le plus saillant à l’étape actuelle du mouvement d’idées féministes – et sur lequel j’aimerais focaliser l’attention dans la présente étude - est celui qui concerne l’exigence de redéfinition des rapports de l’homme et de la femme dans la société moderne. Au Congo comme ailleurs, le mouvement de lutte pour les droits humains réclame que la femme, être humain vulnérabilisé à l’extrême par des coutumes ‘‘masculinistes’’, déséquilibrées, puisse occuper une place de plus en plus visible, digne, honorable au sein de la société, et donc réclame un regard nouveau sur les relations entre les deux êtres humains.

La conscience féministe juge que c’est là une question de justice, d’humanité et d’efficacité sociale. Même dans la société matrilinéaire où la femme paraît jouir d’un statut spécial, dans une espèce de régime matriarcal, le féminisme trouve insuffisante la considération vouée à la femme et, de ce fait, exige que la femme de société matrilinéaire bénéficie, elle aussi, des apports

99 Une première version du présent texte fut présentée à l’Atelier de mise en œuvre d’une politique de l’approche genre et développement, organisé à Kimpese (Bas-Congo), du 24 au 29 avril 2006, par le Centre Régional d’Appui et de Formation pour le Développement (CRAFOD). Madame Marie-Anne HOVERMAN (du Crafod, à Kimpese), Madame Jeanne ARZOUMA DOUTI (du Togo) et le Chef de Travaux KAMUFWENKETE (Kinshasa) m’ont fait parvenir des remarques et informations utiles ; le Professeur MABIALA MANTUBA (anthropologue, Université de Kinshasa) a accepté de lire ce texte et d’y apporter quelques précisions relatives à la terminologie. Je les remercie.

100 Sur le rôle de la femme, voir mon ouvrage : NGOMA-BINDA, P., Rôle de la femme et de la famille dans le développement� Argument pour la justice et l’égalité entre les sexes, Kinshasa, Ifep, 1999. La femme a joué et continue de jouer un certain rôle politique. Mais on sait aussi que la lutte pour l’indépendance a été essentiellement le fait de l’homme, tout comme la direction des pays après les indépendances.

des idées de parité ou, tout au moins, de genre. Une autre manière de voir fait entendre, par contre, qu’il n’y a ni sens ni utilité à vouloir poser la question du genre dans un système d’organisation sociale où précisément la femme paraît assumer des fonctions socialement prestigieuses, et semble évoluer plus à l’aise que la femme de société patriarcale.

Certes, la coutume allant de soi, cette problématique est encore sourde, et presque inexistante dans la tête de bien des gens. Mais la montée fougueuse des idées relatives à la nécessité de la redéfinition des rapports entre les hommes et les femmes ne peut laisser indifférente une pensée attentive au mouvement de transformation progressive, profonde et irréversible des sociétés, y compris et surtout les sociétés africaines, rurales et urbaines, soumises de manière forte à la dynamique irrésistible de la mondialisation des révolutions technologiques ainsi que des modes de vie et de pensée générés par le monde occidental.

J’estime inévitables des aménagements appropriés non pas tant dans le cœur du système matrilinéaire que dans certaines pratiques en défaveur de la femme. Ces corrections devraient aider à l’avènement d’un système matrilinéaire démocratique, plus équilibré en faveur du genre, en faisant exister des rapports plus harmonieux en matière des statuts comme des droits de l’homme et de la femme.

Un traitement relativement correct de cette question requiert logiquement : (1) de saisir les principes ou caractéristiques principales d’une société matrilinéaire, en focalisant l’attention sur la société Kongo ; (2) de définir et de faire accepter une compréhension commune du concept de genre pour, ensuite, examiner si une saisie correcte de ce concept n’entraîne pas l’adhésion nécessaire à l’idée et à l’exigence de l’introduire dans une société matrilinéaire ; (3) au cas où cela s’avérerait nécessaire, d’imaginer des stratégies pouvant aider à intégrer le genre ou à en améliorer la performance dans le contexte singulier d’une société matrilinéaire orientée vers la démocratie.

I. LA SOCIETE MATRILINEAIRE : REGLES ET CARACTERISTIQUES

Il est utile de saisir, très laconiquement, la signification des notions de patriarcat et de matriarcat, avant de relever les caractéristiques principales du système matrilinéaire tel qu’il est conçu par le peuple Kongo.

1.1. Le système de filiation matrilinéaire

Il semble que les sociétés humaines se soient globalement organisées de deux manières en ce qui concerne les relations de descendance (et aussi de pouvoir et d’appartenance) au sein de la famille. On distingue à cet effet la société de filiation patrilinéaire et la société de filiation matrilinéaire. Ainsi la filiation détermine, entre autres, le régime de résidence des époux, les droits fonciers, les prestations en travail pour le lignage, les prestations matrimoniales, les droits de l’homme et de la femme sur les enfants, les normes de transmission des biens matériels, sociaux et spirituels.

Le patriarcat est défini comme un système d’organisation dans lequel les pères (de sexe masculin) détiennent le pouvoir et exercent leur domination sur les femmes. Il s’ensuit généralement que la filiation s’effectue à partir du père, lequel donne sinon

HOMME ET FEMME AU CŒUR DE TOUTE VIE SOCIALE. QUEL SENS ET QUELLE PLACE POUR LE GENRE DANS UNE SOCIETE MATRILINEAIRE ?

parP. NGOMA-BINDA


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impose son nom aux enfants. La société est fondée par et sur le droit du père et ce sont les pères, en particulier les pères les plus âgés, qui gouvernent et déterminent les normes ainsi que les modèles de comportements acceptables.

De son côté, le matriarcat se comprend comme un système d’organisation des relations familiales au sein duquel la femme joue un rôle important voire prépondérant. Il suppose la gouvernance de la société par les femmes, en particulier les femmes les plus âgées. Ce sont elles qui déterminent les rapports sociaux les plus importants tout comme les normes et les modèles de comportement requis pour la vie, la stabilité et la continuité de la société.

Il est utile de noter la distinction conceptuelle, que les anthropologues considèrent comme importante, entre le système matrilinéaire et le système matriarcal. Dans le premier concept on entend signifier la filiation qui s’effectue par le lignage de la mère, c’est-à-dire les enfants devant appartenir au clan de la mère. Le matriarcat veut faire entendre un système d’organisation sociale au sein duquel le pouvoir ainsi que les autres biens sont détenus par la mère et se transmettent aux enfants et générations futures à travers la mère ou, tout au moins, à travers le clan maternel des enfants. Il en est de même, mutatis mutandis, des notions de système patrilinéaire (filiation à travers les pères) et de système social patriarcal (le pouvoir étant détenu par les pères).

On notera aussi que selon les anthropologues nourris à l’idéologie phallocratique, les sociétés civilisées auraient évolué du système matriarcal vers le système patriarcal, du matrilinéaire vers le patrilinéaire. Très peu de sociétés sont restées matriarcales ou même matrilinéaires dans le monde actuel. Il demeure cependant qu’il y en a bel et bien, et qui paraissent avoir maintenu le sens de la considération due à la femme, comme épouse et comme mère.

Il en est ainsi de la société kongo, laquelle connaît, pour le bien ou pour le mal, des changements sociaux importants dans certaines de ses pratiques et règles de vie matrilinéaire. Mais l’hypothèse principale à soutenir ici est que ce type de système a une incidence capitale sur le type de rapports entre le mari et l’épouse et, de manière générale, entre l’homme et la femme.

1.2. Principes et caractéristiques du régime matrilinéaire kongo

Il y a plusieurs principes qui président au fonctionnement du système matrilinéaire en société Yombe (RD Congo) de l’ethnie Kongo, et qui confèrent à cette dernière ses caractéristiques particulières. Seize de ces principes me paraissent être les plus importants. Je les décris de manière brève et condensée.

(1) Au sein de la famille et de la société, la femme-mère est centre et mesure de toute chose. Elle est ngudi (mère), norme de référence en ce qui concerne les qualités esthétiques, sociales et morales de beauté, de bonté, de justice, de vérité, de force, de justesse et de pertinence. On dira, par exemple, ngudi ka mutu (mère-homme) pour signifier ‘‘un homme véritable, sérieux, honnête’’, etc. ; ngudi ka khombo (mère-chèvre) pour désigner ‘‘une véritable chèvre, bien grasse’’ ; ngua-ndi ou ngudi ka diambu, qui signifie ‘‘une grande affaire, une affaire sérieuse’’, ngua-ndi ka nketo, expression qui veut dire ‘‘une vraie femme’’ ou ‘‘une belle femme’’, etc. Et dire la tradition, remonter la généalogie ou le lignage se dit, en yombe, ‘‘ta ki-ngudi’’. Le principe de la ‘‘matricentricité’’ est le fondement de la société, et la mesure de la bonne organisation de la vie sociale.

(2) Le pouvoir sur les enfants est détenu par la femme, la mère, et il se transmet par elle et à travers elle. Ce principe découle logiquement du précédent. Et il paraît avoir été dicté par le souci pragmatique de sauvegarder le pouvoir et les biens de la famille,

lesquels ne devraient pas se retrouver un jour entre les mains d’un étranger, d’une personne extérieure à la famille et au clan. Si on peut contester la paternité, on est toujours sûr, par contre, de la maternité d’un enfant. C’est à la femme que revient la vérité en cas de doute ou de contestation ; préjugeant de sa sincérité, la société confère à la femme le pouvoir de désigner le père de son enfant dont la paternité est querellée.

C’est, entre autres, le sens qui est donné au proverbe yombekhokovalulukunsitu, sikulukubuala : le gong est fabriqué dans la forêt à l’abri des yeux des autres, mais c’est en public, au village, qu’il sera utilisé. Autrement dit, si la conception d’un enfant se fait dans la discrétion absolue ou dans le secret de la nuit ou de la forêt compacte, entraînant parfois le doute ou l’ignorance quant à son père, mais le village sait toujours parfaitement identifier la mère de l’enfant.

En effet, dans une société aux dimensions réduites où chacun connaît chacun et où les femmes, dans un regard fort avisé et sans cesse en alerte, se surveillent mutuellement concernant le comportement des uns et des autres, une grossesse ne peut jamais se cacher, ni passer inaperçue. La mère de l’enfant est toujours connue. Ce qu’il faut surtout souligner est que ce principe est essentiel dans la philosophie de la matrilinéarité. La femme, comme mère, est au cœur du système social et juridique de la propriété comme de la garde des enfants.

(3) Le pouvoir est détenu par la femme, mais est exercé en fait, et par procuration, par le frère de la mère. Cela signifie que, sauf dans des cas exceptionnels, la femme règne mais elle ne gouverne pas. Le pouvoir de gouverner revient à son frère, généralement l’aîné de sa famille. La ‘‘procuration’’ du droit de gouverner découle de la fragilité ou la faiblesse physique de la femme assumée par la femme elle-même, ou du fait d’autres charges maternelles et domestiques dont elle a la responsabilité. Dans cette dernière hypothèse, il faut penser au sens de la décentralisation des responsabilités, laquelle est incontestablement un principe important de démocratie, d’organisation de la société et de bonne gouvernance.

(4) Les enfants appartiennent à la mère et non à leur père ; et, au nom du principe de délégation du pouvoir, c’est l’oncle qui exerce le pouvoir sur les enfants de sa soeur. Ainsi, les enfants d’une femme mariée héritent des biens du Ngudikhazi (de la ‘‘mère-chef ’’, de l’oncle), et non de leur père.

On notera, en passant, que le terme ‘‘oncle’’ désigne exclusivement l’oncle maternel, le frère de sa mère ; et que l’‘‘oncle paternel’’ tel qu’on l’entend dans la société occidentale n’existe pas dans la culture matrilinéaire kongo. Ce dernier est père au même titre que son père géniteur, et que les frères et sœurs de ce dernier. En société Kongo, la tante paternelle de la culture occidentale est appelée Se dia nketo (père féminin). Quand donc on parle d’oncle d’un enfant, il est toujours question du frère de sa mère ; et les sœurs de cette dernière sont toutes ses mères. A l’occasion des disputes de ménage, il arrive que l’homme menace de chasser son épouse et qu’elle peut s’en aller avec ‘‘ses’’ enfants, qui ne sont pas les siens ; ou lorsqu’un père est fâché contre l’un ou l’autre de ses propres enfants, il peut facilement leur dire : ‘‘allez chez les vôtres’’. Il laisse entendre, par là, qu’ils s’en aillent chez leurs oncles ; les siens ou ses enfants véritables étant ses neveux et nièces, les enfants de sa sœur. Cette perception traditionnelle du droit de propriété des enfants a subi une profonde érosion, et est même en train de disparaître, du fait essentiellement de l’influence occidentale et du brassage des coutumes dans les milieux urbains.

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(5) Les biens de l’homme (mari ou père) vont chez les enfants de sa sœur. Les neveux et les nièces (enfants de sa sœur, à commencer par ceux de la sœur aînée) ont un prix insigne. C’est à eux que le mari (ou le père) laisse le gros sinon la totalité de l’héritage.

On constate, ici, que le mari et l’épouse sont en fait deux personnes séparées, appartenant à deux familles distinctes, juste réunies sous forme d’un contrat pour le besoin des échanges matrimoniaux nécessaires pour l’engendrement des ressources humaines et la continuité de la société. Chacun des conjoints garde ses attaches à sa famille. Il a, mari et épouse, des obligations réciproques vis-à-vis de sa famille, de son lignage et de son clan. La solidarité et la participation aux affaires et travaux de la famille (palabres, mariages, champs, marchés, etc.) sont des obligations permanentes.

(6) La femme a droit de propriété sur tous les biens qu’elle a apportés au mariage tout comme sur ceux qu’elle aura acquis, bien que le mari soit maître de la maison. Lesdits biens appartiennent à son clan. Il y a ainsi, en société matrilinéaire kongo, un clair régime juridique de séparation des biens dans le mariage.

(7) Une femme esclave engendre des enfants esclaves, même si leur père est un homme libre. Ce principe correspond, en droit romain, au principe du ‘‘partussequiturventrem’’ : littéralement, la qualité d’une partie donnée suit le ‘‘ventre’’.

Pour que jamais une personne ‘‘achetée’’ ne s’affranchisse, on interdit de lui révéler ses origines. Ne point dire ses origines à une personne esclave c’est l’affaiblir, l’empêcher de s’affranchir, lui couper toute volonté ou velléité de retourner auprès des siens, c’est s’assurer de le maintenir dans le kivika, l’esclavage. On doit aussi noter que l’interdiction de révéler les origines d’un esclave signifie l’exigence de sauvegarder l’harmonie familiale et sociale, en veillant à ne point troubler l’équilibre psychologique de l’individu ainsi intégré au sein de la famille, et en l’assurant du respect qu’il mérite comme personne humaine.

Du côté de la personne ainsi ‘‘vendue’’ et rendue esclave, ne point connaître ses attaches, son village, ses arrières parents, son lignage et son clan, c’est se sentir isolé, esseulé, vivre en exil, sans dignité ni puissance. C’est ne point exister du tout. Ceci est d’autant plus douloureux que lors des disputes avec d’autres personnes, on ne se prive jamais de le lui faire savoir, malgré l’interdiction sociale qui couvre le fait de son identité, de lui cracher au visage qu’elle est esclave dans le village.

Quel que soit le degré d’aisance qu’il connaît dans son milieu de vie, un esclave se sent toujours ‘‘esclave’’, diminué, aussi longtemps qu’il n’aura pas retrouvé les siens, et que ceux-ci ne l’auront pas racheté, en entreprenant de poser l’‘‘acte de libération’’ nécessaire, au moyen de cérémonies, rituels et biens requis, auprès des ‘‘chefs’’ du village de leurs fils ou filles vivant dans l’esclavage et, par effet d’entraînement, d’obtenir la libération des enfants et petits-enfants de ces derniers.

Généralement, avec l’affranchissement, il n’y a point d’obligation, pour l’ancien esclave, de retourner au village du chef de sa famille, de son lignage ou de son clan retrouvé. Il continue à bénéficier de la protection, de la propriété et de l’usage des terres de son ancien propriétaire avec qui il aura développé des relations de parenté, de fraternité et d’affection profonde. Même si on demeure dans le village d’esclavage, un sentiment psychologique de soulagement, de dignité et de ‘‘sécurité sociale’’ apparaît en même temps qu’on retrouve la vérité sur ses origines et ses attaches familiales.

(8) On ne se marie pas au sein du même clan (ce serait de l’inceste, étant entendu que les enfants du clan de sa mère sont tous ses frères et sœurs) ; mais on peut épouser une fille du clan de son

père. Pour des raisons sociales et intuitivement objectives, la règle de l’exogamie est scrupuleusement respectée. Néanmoins si, par une circonstance nécessaire ou exceptionnelle, les familles réunies consentent tout de même à un mariage au sein du clan, les parents du jeune prétendant sont obligés de payer une amende, en biens matériels, comme un porc, une chèvre et des dames-jeannes de vin de palme, aux chefs de famille de la jeune fille sollicitée en mariage.

(9) Le mariage d’ego avec sa cousine croisée patrilatérale (et non pas matrilatérale) est accepté ; et le mariage de l’enfant, fille ou fils, est en règle générale arrangée par la mère ou la famille maternelle. Le fils est donné en mariage à la fille de son oncle ou, le plus souvent et dans la nécessité de la règle de la réciprocité, du ‘‘remboursement’’ (de la fécondité et des enfants), ‘‘retour du sang’’ ou ‘‘retour de la poitrine’’ (vutulamenga, vutulamasuba ma base, ouvutulathulu), à une des filles de la sœur de son père (de la tante paternelle). Ce type de mariage entre ‘‘cousins croisés’’, selon la terminologie des anthropologues, a été qualifié de ‘‘mariage préférentiel’’. Le fils épouse, de préférence, la fille de sa tante paternelle.

Ainsi le mariage est un arrangement entre familles et clans, mais dans le respect des règles de l’exogamie et aussi, si nécessaire, de la virilocalité (l’épouse rejoint le mari dans le village de ce dernier). On s’attendrait, dans un système ‘‘matricentrique’’, que l’époux rejoigne le village de son épouse. Mais la société pratique la virilocalité. On peut lire dans cette règle une certaine vertu de tolérance, de démocratie et de souplesse face à l’exigence de la matrilinéarité. La femme ne confisque pas tout ; la société n’est pas absolument matriarcale quoique matrilinéaire.

(10) La dot du mariage est apportée par la famille du jeune époux ; et la famille de la jeune mariée prend soin de la famille du marié. Celle-ci apporte des couvertures, des étoffes, des machettes, des lampes, du vin, etc., (à la fois au père, à la mère età l’oncle de la mariée), tandis que la famille de cette dernière offre de nombreux biens à la famille du jeune époux (chèvres, régimes de bananes, vin, etc.).

A toutes les nombreuses étapes du processus du mariage, il est exigé de la famille de la mariée de s’occuper de la famille du marié avec un soin particulier (abondante nourriture, boissons, etc.) celle-ci devant absolument retourner comblée, très satisfaite de l’accueil. En outre, la famille de la mariée envoie cette dernière dans son jeune foyer accompagnée de nombreux ustensiles de cuisine (bassins, assiettes, cuillères, mortiers, nattes, paniers, etc.). Ainsi les charges du mariage sont équitablement supportées par la famille du marié et par la famille de la mariée. On peut dire que le principe moderne du genre joue de manière pleinement acceptable.

(11) La solidarité universelle et agissante parmi les membres du clan est une exigence fondamentale permanente. A l’étranger, c’est-à-dire loin de son village, toute personne est reçue comme frère ou sœur par les membres de son clan. Quel que soit l’endroit où l’on se trouve, on est toujours chez soi, auprès et dans les soins de ses frères et sœurs. Il est question simplement de se faire identifier de son clan pour trouver un abri, des moyens de subsistance, de l’affection et de la protection.

Selon la pensée éthologiste, le système parental du peuple yombe compte 9 clans nés de Mbangala alias Ma Vua-di-Mabene (la Maman aux neuf seins). Ces clans (Mvila) sont : Nanga na Kongo, Ngimbi na Khote, MakabaNtinu, Mbenza na Kongo, MakhukuNtinu, Manianga, PhudiNzinga, NumbuNzinga, MavemaNzinga (appelé aussi MbomaNzinga) ; chez les autres groupes kongo on compte 12 ou 13 clans, soit les 9


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susmentionnés plus : Nlaza, Mpanzu, Nsaku Ntinu ou encore NtumbaMvemba)101.

En plus de ses propres noms, ceux de ses parents, de son village de naissance et celui de son village de ‘‘possession’’ - vuwu -, village de sa mère, et donc de son clan, chaque individu s’identifie suivant deux ou trois de ces clans. Moi, PhambuNgoma-Binda, par exemple, je suis pfumuNanga (chef du – ou dans le - clan Nanga, lequel estle clan de ma mère) ; je suis muanaNgimbi (fils du clan Ngimbi, clan de mon père) ; ntekoloMatsundi (petit-fils du clan Tsundi, clan du père de mon père, mon grand-père paternel). Je suis frère de tous les fils et de toutes les filles du clan Nanga éparpillés à travers l’ensemble du territoire et du monde. J’ai des droits, et suis reçu comme tel, en véritable frère, et j’ai des obligations d’un frère vis-à-vis de ces frères et sœurs. On ne se dérobe pas à la règle de la fraternité permanente et universelle dans le clan.

(12) Le mari est un simple producteur de richesses (en termes d’enfants principalement), lesquelles richesses appartiennent à la femme et au clan de ce dernier. Volontiers et assidûment, l’époux assume cette noble tâche sociale. Dès lors, tout cas d’infertilité dans le foyer est imputable à la femme ; et tout cas de stérilité de la femme est généralement imputable aux oncles de cette dernière. L’homme se sait ‘‘arrangeur’’ du clan de l’autre, celui de sa femme. Le degré de bienfait rendu est mesuré au nombre d’enfants donnés à l’autre famille. Et la coutume veut que la famille de cette dernière lui doive de la reconnaissance : elle lui apporte de temps en temps des dons, en chèvres, porcs, poudre de chasse, etc. A son épouse dont l’attitude est jugée ingrate, insolente ou arrogante, le mari rétorque habituellement : ‘‘bila mbekuvangiladikanda, parce que je vous ai arrangé votre famille !’’ (pour avoir donné beaucoup d’enfants à la femme, lesquels appartiennent au lignage et au clan de cette dernière, et non aux siens propres). Une abondante progéniture est la plus grande richesse sociale du lignage et du clan au sein de la plus vaste communauté de vie. Ainsi, le système matrilinéaire épouse-t-il le principe fondamental, absolu et universel, en société africaine, de possession de la progéniture la plus abondante possible.

(13) L’homme nourrit les enfants, mais ne s’occupe généralement pas de leur éducation, laquelle est l’affaire de l’oncle. C’est, pour ainsi dire, de façon résiduelle que le père géniteur initie ses enfants à la généalogie et à l’histoire du clan et/ou de leur village, aux travaux des champs, aux techniques artisanales et artistiques, à la chasse et à la pêche. Ainsi, dès qu’ils ont atteint l’âge requis, les enfants sont régulièrement envoyés, pour de longs mois voire des années, auprès de leurs oncles, aux fins de recevoir l’éducation et l’initiation aux traditions, convenances et coutumes du clan et de la famille.

(14) L’enfant porte obligatoirement, pour post-nom, le nom de son père ; et il peut porter le nom d’un ascendant ou d’un parent du clan de sa mère. Cette logique de la dation des noms est stricte, bien qu’on soit en régime matrilinéaire. Il règne une tolérance remarquable entre le mari et l’épouse quant au partage des

101 Des auteurs et des informateurs ne s’accordent pas toujours en ce qui concerne le nombre ainsi que les appellations des clans et lignages des différentes nationalités ou groupes de la société Kongo. Batshikama considère qu’il y a trois clans de base dont dérivent tous les autres : Nzinga (clan des détenteurs du pouvoir politique), Nsaku (clan des éclaireurs et explorateurs des terres) et Mpanzu (le clan des spécialistes et dépositaires du pouvoir intellectuel et technologique). Voir BatshikamabaMampuya, Voici les Yagas ou l’histoire d’un peuple parricide bien malgré lui, Office National de la Recherche et du Développement, Kinshasa, 1971 ; Mgr. J. Cuvelier, Nkutam’amvilazamakanda, Tumba, 1953 ; MabialaMantuba-Ngoma, Frauen, KunsthandwerkundKulturbein den Yombe in Zaïre, Göttingen, Ed. Re, 1989.

nduzi (les personnes de la famille de qui on donne les noms) aux enfants102. Dans mon cas, ma sœur aînée a reçu son nom (Nzinga) de la mère de notre père, le second nom est celui de ce dernier (Ngoma). Et, faisant fonctionner la logique de l’alternance tolérante, moi, deuxième enfant de la famille, j’ai reçu le nom de Phambu, nom de mon grand-père maternel, lequel est dès lors mon nduzi. (Et comme ce dernier portait le nom chrétien protestant de ‘‘Johannes’’, j’aurais dû être appelé ‘‘Jean’’, en ma qualité de catholique). Le nom Ngoma est celui que j’ai reçu et que, comme tous mes frères et sœurs, je devais obligatoirement recevoir de mon père, de notre père, comme nom de famille ; tandis que Binda est en fait, de ma part, une expropriation du nom de mon père et qu’il a reçu de son père qui s’appelait (Charles) Ma KaïBinda.

(15) L’homme est autorisé à vivre en polygynie ; et il peut répudier son épouse, mais dans ce cas il est obligé de la ramener auprès de sa famille moyennant retour de la dot, payable avec l’évolution des coutumes par une amende d’ordre symbolique. Une femme répudiée retourne chez ses parents, principalement chez ses frères, munie d’une lettre et d’une pièce de cinq centimes de francs (nkandaayimeya) venant de son ancien mari, pour justifier et signifier la consommation du divorce.

(16) La femme est considérée comme étrangère au clan de son mari, et au décès de ce dernier, elle est interdite d’hériter d’un quelconque des biens du défunt. Elle est néanmoins propriétaire des champs et des produits vivriers cultivés en collaboration avec son mari. Cette liste des principes de la matrilinéarité n’est sans doute pas exhaustive. Néanmoins, l’essentiel du fonctionnement du système matrilinéaire kongo me paraît avoir été indiqué.

On doit noter, en le soulignant, que plusieurs pratiques ont changé, et que les coutumes évoluent, notamment vers le système patrilinéaire, et très largement sous l’imposition de la religion chrétienne venue de la société occidentale. Mais cela ne signifie pas nécessairement que le système patrilinéaire est plus correct, plus juste et plus désirable que le système matrilinéaire. Egalement, on retiendra que plusieurs autres sociétés congolaises et africaines pratiquent le système matrilinéaire et ont, dans leurs normes de fonctionnement, de fortes similitudes avec le système matrilinéaire kongo. C’est le cas du peuple Aboure, de la Côte d’Ivoire, et aussi du peuple Ashanti du Ghana. Ici comme là, et du point de vue de la problématique du ‘‘genre’’, le système matrilinéaire réserve une place importante à la femme, en tant qu’elle assume des fonctions déterminantes au sein de la famille.

Dès lors, il nous faut rejoindre la question initiale, celle de savoir s’il est utile de parler du genre ou, mieux, de l’exigence d’harmonisation des relations entre l’homme et la femme dans la mesure où cette dernière joue tout de même un rôle important et occupe une place confortable au cœur du système matrilinéaire. Mais avant de répondre à cette question, il convient de saisir tant soit peu correctement ce qu’est l’approche genre.

102 Il est probable que cette règle ait été établie solidement par l’ordre colonial. En tout cas, à la suite des entrecroisements des coutumes, principalement en milieux urbains, des parents en nombre croissant donnent à leurs enfants uniquement le nom de leur père (qu’on appelle, de façon abusive, ‘‘nom de famille’’).

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II. APPROCHE GENRE ET STRATEGIES D’INSCRIPTION DANS LA SOCIETE

Forgé à travers des mouvements d’idées et des études savantes, remarquables par leur perspective de déconstruction de l’égotisme mâle, le féminisme a successivement mis en exergue plusieurs concepts et conceptions dans l’histoire de la revendication des droits sociaux, civils et politiques de la femme.

2.1. Ce que ‘‘approche genre’’ veut dire

Le concept d’émancipation est peut-être celui qui a fait le plus de bruit parce que clamé avec agressivité par les femmes intellectuelles et, en même temps, contesté avec force et vivacité tant par les hommes que par certaines femmes d’attitude modérée, effrayés tous par cette étrange révolution féminine bien voisine d’un désir iconoclaste ou d’une révolte sentimentalement primaire et anarchiste. L’émancipation est en effet entendue comme une volonté, dangereuse et inacceptable, d’indépendance, de brisure des rapports sociaux liant l’homme et la femme.

C’est ainsi qu’un autre concept a été mis en valeur presque parallèlement : c’est celui de promotion de la femme. Moins agressif, il a conquis les hommes défenseurs des droits humains, et il a séduit des dirigeants politiques qui se sont mis à instituer des ministères chargés de la promotion de la condition féminine. Abandonné à son tour, ce concept a été remplacé, en Allemagne par exemple, par celui, jugé plus élégant, d’autonomie ou de ‘‘femme économiquement indépendante’’ (Unabhängig). Du coup, ce dernier met aussi de côté le concept d’égalité homme-femme revendiquée en particulier dans la structure familiale pour prôner l’intégration de la femme dans les instances de production économique et de décision politique en vue de la participation efficace au processus de développement de la nation. Et finalement, avant de mettre en valeur le concept de parité ou de démocratie paritaire dans les domaines politique et professionnel (l’exigence de moitié-moitié dans l’occupation des postes de commandement), est vite entré en vogue celui de genre par rapport aux fonctions assumées dans la société.

Le mot ‘‘genre’’ dérive de l’anglais ‘‘gender’’. Cherchant à atténuer l’agressivité qui leur est reprochée, les femmes conviennent que les études féministes deviennent désormais des ‘‘GenderStudies’’, et le féminisme comme méthode ‘‘sexiste’’ de regard sur les rapports sociaux devient ‘‘approche genre’’. Le gender évoque le sexe mais ne signifie ni genre masculin ni genre féminin. Il se veut neutre ou, plutôt, ‘‘coordinatif ’’ du mâle et de la femelle, de l’homme et de la femme.

Dans cette perspective conceptuelle, l’approche genre se définit comme un effort et un processus d’engendrement d’un type nouveau, juste et équilibré, de rapports entre l’homme et la femme, en les invitant à la reconnaissance mutuelle, et à s’occuper, tous deux, avec le même niveau d’implication et d’engagement, de toutes les activités qui concernent la vie commune de la famille et de la société globale.

Ainsi, le combat féministe nécessite, dans ce sens, de ‘‘désupérioriser’’ l’homme. Il est question d’amener ce dernier à percevoir et à accepter les chemins de la modestie, de l’harmonie, de la complémentarité et de la coopération inévitable, en faisant fondre la vanité de ses attitudes d’orgueil, de violence, de volonté de domination et de dénigrement perpétuel de la femme. Il s’agit aussi de ‘‘dégeler’’ la femme. Ici est clamée l’impérieuse nécessité de travailler efficacement à réduire son excès de timidité, d’hésitation, de honte, de manque de confiance en elle-même, de manque d’audace, et de manque de capacité à se prendre en charge, comme à parler haut et fort si nécessaire. Il s’agit, enfin,

de ‘‘décrouter’’ et de ‘‘déconstruire’’ les images et préjugés coriaces sur la femme et sur l’homme, pour construire ensemble une autre forme de société, une société plus humaine, une communauté, chacun, homme et femme, apportant son concours avec le maximum de ses capacités physiques, de son énergie intellectuelle particulière, et de ses efforts d’engagement patriotique spécifique, au-delà et à travers les différences inévitables.

Avec l’approche genre, il est affirmé que tout peut et doit être réalisé et par l’homme et par la femme. Ainsi, on aspire à effacer la très traditionnelle et antique division sexuelle du travail désormais perçue bien clairement comme déséquilibrée, discriminatoire, injuste. On postule qu’avec une telle vision du travail et des fonctions, un regard nouveau et une considération nouvelle des sexes naîtront des cendres des injustices et des préjugés insensés. La société entière sera plus harmonisée, sera plus respectueuse de l’humain dans chaque personne, bref, sera plus socialement belle.

On voit bien, dans cette perspective, qu’il y a en œuvre non seulement une volonté d’efficacité sociale et économique concernant les tâches que l’homme et la femme sont appelés à accomplir dans la société, mais aussi un souci d’apport éthique nécessaire au sein des rapports de l’homme et de la femme. On est persuadé que l’approche genre, c’est-à-dire, la culture d’implication de l’homme et de la femme, apporte une plus grande efficacité dans les réponses à donner aux problèmes de développement auxquels la société est confrontée.

Bref, la philosophie du genre est la conviction que le progrès intégral et véritable de la société exige une attitude morale et citoyenne de complicité positive, de travail de tout et sur tout en commun, de considération réciproque perpétuelle, et de soutien mutuel de l’homme et de la femme dans chacun des domaines de la vie.

Le mouvement des idées dans les temps présents pose que chaque société a, désormais, l’obligation de se chercher des stratégies et mécanismes de mise en œuvre du genre, y compris la société matrilinéaire, à moins qu’elle ne nous donne la preuve de perfection dans les relations entre l’homme et la femme. Or on sait qu’il n’existe point, dans le monde, une seule forme sociale qui puisse se targuer d’un tel orgueil.

2.2. Quelques stratégies d’introduction du genre dans la société

Il est possible de trouver plusieurs stratégies d’engendrement de la vision, de la culture, de l’esprit genre dans une société. Je note, en passant, que le concept d’esprit genre ou ‘‘gendérique’’ me semble plus pertinent et plus significatif que celui d’approche genre. Il s’agit essentiellement, et avant tout, de faire naître un type d’esprit donné, de convertir les esprits à une nouvelle manière, non sexiste, neutre, de se voir mutuellement, de regarder les tâches à réaliser, et de s’y impliquer chacun avec le même degré élevé d’énergie, et le même degré d’enthousiasme. Une société dotée d’esprit gendérique est celle-là où les disparités s’effacent, qu’elles aient été en défaveur de la femme ou, au contraire, en défaveur de l’homme.

Parce qu’elle valorise la femme, la société matrilinéaire pourrait donner l’impression qu’elle se tient bien à l’abri des défauts d’injustices et de déséquilibres, en particulier en ce qui concerne la réalisation des tâches, la répartition des biens, le mode de succession, et autres prestations économiques, politiques et sociales. Pourtant des failles criantes demeurent.

Ainsi qu’on l’a évoque plus haut, l’une de ces failles (qui disparaît heureusement avec le temps dans la société kongo) est sans aucun doute celle de l’irresponsabilité du père vis-à-vis de l’éducation de ses enfants qu’il considère comme appartenant au clan de la


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femme plutôt qu’à lui ou à son clan, se tenant sous le simple rôle de géniteur et de nourricier. Une autre faille est le déni, à la femme, du droit d’hériter de la maison et autres biens importants de son mari décédé.

Il y a donc, incontestablement, un réel besoin d’introduire l’esprit genre dans la société africaine, soit-elle matrilinéaire, comme celle du peuple Kongo. Je pense à cet effet que les stratégies ou modes d’intervention à appliquer dans l’effort d’introduction de l’esprit genre devraient pouvoir insister sur cinq règles ou exigences.

2.2.1. Inventorier les défaillances

La première exigence ou règle de la stratégie est celle d’inventorier avec soin, dans chacun des domaines de l’existence, l’ensemble des failles, discriminations, infériorisations, injustices, et inégalités, tant vis-à-vis de la femme que vis-à-vis de l’homme, pour s’efforcer de les corriger effectivement et avec efficacité.

C’est, notamment, une tâche qui revient aux scientifiques et aux agents de développement. Il leur appartient de relever et de déterminer, de façon rigoureuse, les domaines prioritaires dans lesquels le besoin d’esprit gendérique est requis. Dans cette perspective, les observateurs estiment que les charges de la dot et des cérémonies du mariage devraient requérir du rajustement, en allégeant celles de la famille de la mariée.

2.2.2. Eduquer à la culture de la considération mutuelle

La deuxième exigence consiste à éduqueret la femme et l’homme de façon efficace à apprendre de nouvelles attitudes, à tenir de nouveaux comportements, à assumer de nouvelles tâches, à partager de manière équitable les efforts et les privilèges, les joies et les souffrances. Cette tâche revient à la société dans son ensemble mais, de manière particulière, aux responsables des familles, aux éducateurs dans les écoles, aux moralistes, aux médias, et aux organisations d’éducation des masses.

Il est indispensable d’éradiquer la mentalité traditionaliste qui considère les enfants comme appartenant, non au père, mais à l’oncle. Cette mentalité disparaît de plus en plus dans les milieux urbains, mais elle demeure vivante et forte dans les sociétés rurales régies par de rigides coutumes traditionalistes.

L’éducation de l’enfant a à devenir une préoccupation commune du père et de la mère, avec l’aide non obligatoire de l’oncle. A cet effet, des lois appropriées doivent être passées, au parlement national, au parlement provincial ou au parlement local. Et il est nécessaire, notamment, de rédiger des manuels tout comme de forger des contes, des fables, des proverbes inspirateurs d’esprit gendérique dans la société.

Une autre attitude à engendrer, et à cultiver en faveur de la femme, est celle qui amène la famille du défunt à accepter la propriété des biens par la veuve en matière de succession des biens. Le conflit souvent tragique entre les lois de la coutume et celles du droit positif moderne demande d’être résolu de façon humaniste et durable par l’introduction et l’intériorisation de l’esprit gendérique. En particulier, il sera nécessaire d’introduire la culture testamentaire incluant l’exigence de la rédaction et du respect rigoureux du testament de la personne décédée et dont on hérite. Il faudra parvenir à faire intérioriser dans l’attitude des membres de la famille de la personne défunte l’interdiction de déchirer un testament fait en bonne et due forme, et l’obligation de respecter la volonté du défunt.

2.2.3. Eriger des structures et règles nouvelles d’organisation des rapports hommes-femmes

La troisième exigence c’est celle de rendre effective la parité, laquelle est consacrée ou voulue par la Constitution congolaise du 18 février 2006 (article 14). L’attention vis-à-vis de l’esprit de parité constitue une avancée appréciable bien que, comme nous l’avons noté plus haut, cette disposition n’offre guère beaucoup de chances de s’appliquer, du fait notamment de la contradiction qui s’y exprime entre l’équité et la parité.

Mais d’autres attitudes gendériques devraient être conçues, appliquées et imposées par une loi appropriée si on veut hâter la construction d’une société véritablement harmonisée, fonctionnant sur les bases de la considération mutuelle et de l’égal engagement dans toutes les activités susceptibles de concourir au développement de la société. Ceci est la tâche de l’Etat, principalement à travers le législateur, national, provincial et local. L’imposition d’un droit éclairé et lucide est le chemin d’avènement pertinent, acceptable et rapide, de nouvelles consciences et habitudes.

Ici encore on doit évoquer, pour l’incriminer, la logique de l’appartenance unique de l’enfant à la mère et au clan de cette dernière. Quoique imperceptiblement, elle est à la base de l’abandon des enfants par le père, qu’il place sous la seule responsabilité de la femme ou de la mère. Il est donc important et urgent d’exiger la prise en charge obligatoire et permanente de l’enfant aussi bien par la mère que par le père géniteur. Le phénomène inhumain d’‘‘engrossage’’ à volonté et d’abandon sans remords des jeunes filles-mères par les pères de leurs enfants doit être rigoureusement redressé. L’abandon des jeunes mères avec de nombreux enfants sous les bras par des maris et garçons sans conscience ni souci de responsabilité est un sérieux et lourd handicap au développement de l’enfant, de la famille et de la société.

Car, ainsi qu’on le sait ou qu’on doit le savoir, l’absence d’éducation et d’encadrement adéquat des enfants par leurs parents est la première source de la pauvreté. Malheureusement, le nombre de jeunes mères délaissées, avec une très lourde charge d’enfants multiples à élever, à nourrir, à soigner, à scolariser, augmente d’une façon dramatique, et dans les milieux ruraux plus que dans les milieux urbains. Des lois draconiennes sont à prendre si on veut efficacement faire face à ce phénomène désolant et tragique, et qui prend de l’ampleur au vu et au su de l’autorité publique étrangement silencieuse, irresponsable et impuissante. Aucun espoir de salut, de recul de la pauvreté dans nos villages, et nos villes, n’est possible si ce comportement de la part des hommes, garçons et adultes, n’est pas réglé et réprimé de manière rigoureuse.

2.2.4. Elaborer des programmes d’action performants et réalistes en faveur des femmes

La quatrième exigence est celle d’élaborer des programmes d’action performants et réalistes (ni trop timides ni trop ambitieux) comportant, au sein d’un cadre logique rigoureux, les diverses étapes et éléments nécessaires à la réalisation d’une bonne politique d’introduction ou de renforcement de l’esprit gendérique dans la société. Le cadre logique est un tableau-guide qui comprend, entre autres, le domaine d’intervention, les objectifs, les résultats, les activités, les moyens d’intervention, les ressources humaines, la chronologie des activités, la budgétisation, les indicateurs objectivement vérifiables.

De nombreuses initiatives existent, mais qui parfois manquent de coordination, de vigueur et de possibilité de continuation au-delà

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du financement extérieur. La création de la capacité participative de la femme passe par l’érection des structures d’autonomie dotées d’une bonne capacité de continuité et d’opérations efficaces sur l’ensemble du rayon d’action envisagé. La politique du saupoudrage n’aide pas à valoriser de façon efficace et effective les personnes qu’on désire assister.

2.2.5. Faire appliquer les propositions pertinentes

La cinquième et dernière exigence est l’engagement à appliquer ou à faire appliquer les conclusions, résolutions et recommandations retenues lors des travaux des scientifiques et des spécialistes dans le domaine du genre. Trop de bonnes idées discutées et retenues dans des colloques, séminaires et ateliers ne vont généralement jamais au-delà des salles mêmes des rencontres. Les spécialistes concernés sont instamment invités désormais à s’efforcer de faire accepter les idées pertinentes pour qu’elles soient coulées sous forme de lois ou de règles d’action dans la société.

Pour cela, les spécialistes ont l’obligation d’aller au-delà du centre de recherche, de la salle du colloque, du séminaire ou de l’atelier, pour élaborer et introduire, auprès du parlement national, de l’assemblée provinciale ou de l’assemblée locale, des propositions de lois ou de règlements. Une idée coulée en loi a de fortes chances de s’instituer comme mode de vie dans la société. Il y a, par conséquent, une action assidue de lobbying actif et puissant à mener, auprès du pouvoir législatif principalement.

CONCLUSION

La femme occupe une place honorable dans le système matrilinéaire d’organisation des relations parentales. Mais cette place n’est ni parfaite ni statique. Il est utile de voir et de souligner que le système matrilinéaire est en profonde transformation, tout comme les autres institutions de la société, la société kongo en l’occurrence. La transformation est entraînée et accélérée par le phénomène d’entrée irrésistible des sociétés traditionnelles dans l’espace urbain où se croisent, se confrontent, se brassent et finalement se compénètrent des coutumes nombreuses, différentes voire contradictoires et où domine la culture occidentale, puissamment et agressivement conquérante, néantisante, impériale.

Dans la dynamique des mouvements sociaux déterminés par des modes d’existence nouveaux, le système matrilinéaire subit

inévitablement des changements progressivement radicaux, pas nécessairement négatifs ou regrettables. Car la société doit avancer, en intégrant de façon lucide les apports précieux et valeurs des autres sociétés et cultures. Dans cette perspective, l’heureux phénomène d’enrichissement de soi par ouverture aux apports extérieurs et aux changements intéressants impose la disponibilité à accepter une nouvelle culture des rapports entre l’homme et la femme.

Dans cet ordre d’idées, il est juste de noter que la question du genre, bien que conceptuellement née dans le contexte occidental, mérite une attention appropriée dans nos sociétés urbaines et rurales, aussi bien dans celles de système patrilinéaire et patriarcal que dans celles de système matrilinéaire et matriarcal. Il y a de part et d’autre des failles et des déséquilibres séculaires, qu’il est moralement juste de surmonter dans une conscience plus humaniste et plus pragmatique. Il est impératif d’engendrer une société nouvelle, contenant un plus grand degré de démocratie, de sens moral, et de considération réciproque.

Il s’agit de convertir les regards mutuels de la femme et de l’homme, et de rechercher les moyens de les impliquer, tous deux et dans une coopération plus étroite, dans la réalisation en commun des tâches qui s’imposent à la société, en vue de la disparition de la culture de division du travail strictement sexiste. Cette tâche implique de concevoir et de planifier des modes d’intervention finement étudiés, qui soient les plus efficaces possibles, dans tous les secteurs essentiels de la vie sociale, en privilégiant ceux qui sont prioritaires, en tant qu’ils peuvent entraîner des effets bénéfiques dans d’autres secteurs. Pour cela, l’éducation est probablement le secteur le plus fondamental, pourvu qu’elle soit bien conçue et bien menée, avec des moyens adéquats, par des ressources humaines qualifiées.

Notons enfin que, en instaurant une démocratie et une forme d’administration du territoire relativement fédéralistes ou régionalisées, la Constitution de la République Démocratique du Congo offre désormais une grande possibilité de recourir à la stratégie de décentralisation pour faire passer des idées au niveau de l’administration provinciale et locale. C’est là une chance à saisir, dans tous les domaines, y compris dans les efforts d’introduction et de renforcement de l’esprit gendérique dans notre société, kongo et congolaise.

homme et femme pour un regard mutuellement sincère

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INTRODUCTION

La structure démographique de notre pays la R.D.C (50,1% des femmes contre 49,9% d’hommes103) à l’instar de celle d’autres pays du monde est telle que l’on ne peut pas se passer des femmes dans l’orientation des décisions politiques qui concernent la nation. A ce sujet, la nouvelle loi électorale promulguée par le Président Joseph KABILA depuis le 12/02/2015 a apporté plusieurs innovations qui n’ont pas manqué de prendre en considération l’approche genre aussi bien dans l’établissement des listes électorales que dans l’attribution des sièges. Nous en reprenons quelques articles :

Article 13, paragraphe 3 : Chaque liste est établie en tenant compte de la représentation homme-femme et de la promotion de la personne vivant avec handicap.

Dans une circonscription de plus de deux sièges, un tiers des candidats présentés sur une liste doit être de l’autre sexe104.

Article 145, paragraphe 3 : Au cas où, dans une Assemblée Provinciale, l’un de deux sexes a obtenu moins d’un tiers de sièges conformément à l’article 13, la commission Electorale Nationale Indépendante a l’obligation de prendre en compte les candidats de ce sexe non élus ayant obtenu le plus grand pourcentage de suffrages dans les circonscriptions électorales où ils sont candidats105.

Dans ce sens, la nouvelle loi électorale rejoint l’esprit de la loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité adoptée le 7 novembre 2012 qui prévoyait, en ce qui concerne les fonctions à caractère électoral, que chaque Parti politique puisse avoir une représentation de 30% de femmes au moins dans la confection de ses listes pour les élections à tous les échelons. En ce qui concerne les fonctions à caractère nominatif, toutes les institutions politiques de notre pays, du président de la République en passant par le Parlement, jusqu’au gouvernement, devraient avoir dans leurs cabinets 30% de femmes au moins106.

Le souci majeur dégagé derrière tous ces textes légaux est non seulement celui de répondre à certaines exigences internationales relatives aux devoirs et droits des femmes, mais surtout de mettre au profit du développement tout le potentiel de la population congolaise en vue de l’émergence du pays d’ici l’an 2030 telle que projeté par les autorités politiques. Une question mérite ici d’être posée à l’égard de la femme congolaise : Suffit-il de multiplier des lois en faveur de la parité pour voir le quota des femmes réalisé dans les institutions étatiques ?

En fait, depuis que ces lois ont commencé à être promulguées, dans aucune institution le quota de 30 % n’est réalisé. Le pessimisme n’étant pas permis, faisons seulement une petite rétrospective pour examiner l’effectivité de ces lois dans les institutions du pays. En 2006, en dépit des dispositions paritaires

103 INSTITUT NATIONAL DE STATISTIQUE, Analyse comparative des caractéristiques socio-démographiques de la population congolaise, Kinshasa, 2010.

104 www.KongoTimes.info - © KongoTimes105 www.KongoTimes.info - © KongoTimes.106 MAWANZO, Espérance, Appel urgent « Place aux femmes », in L’Observatoire

de la parité, 23 août 2011.

dans la loi électorale, sur les 500 députés nationaux, il n’y avait que 43 femmes, une proportion de 8%107. Au gouvernement Matata I, sur 36 ministres, il n’y avait que 3 femmes soit 8,33% ; au niveau provincial à Kinshasa, il n’y avait qu’une seule femme. Au Kasaï oriental, nous avions 3 femmes députés sur 65 députés à l’assemblée provinciale soit 4,5% ; 2 femmes ministres sur 10 ministres soit 20%. Au Katanga, il n’y a qu’une seule femme ministre. Au Nord Kivu, 2 femmes contre 17 hommes soit 11%108. Dans le gouvernement Matata II, sur les 47 ministres, il n’y a que 7 femmes (15%) dont 4 sont des vice-ministres.

Dans ces chiffres pris de manière isolée, nulle part le quota de 30% n’est réalisé. Cette situation insinue l’existence des problèmes qui ont incité nos questionnements. Alors qu’ailleurs, dans certains pays de l’Europe comme la Suède, la Finlande, la France, L’Italie, les femmes représentent 50% ou plus du gouvernement109 ; et en Afrique certains pays comme le Rwanda, le Seychelles, le Sénégal, l’Afrique du Sud sont parmi les 10 premiers pays au monde à avoir plus des femmes dans leurs parlements110 ; en R.D.C les dispositions paritaires (30%) demeurent fantomatiques. Ceci relève-t-il d’une preuve de mauvaise foi dans le chef des autorités politiques qui ne voudraient pas que la femme congolaise jouisse pleinement de ses droits civils ? Ou un manque des stratégies de la part des femmes justifierait-t-il l’ineffectivité de toutes ces lois paritaires ?

D’entrée de jeux, nous écartons la première question qui nous semble moins pragmatique, car il serait illogique d’accuser les autorités politiques de mauvaise foi pour la non-réalisation des dispositions paritaires au sein des institutions publiques, celles-là mêmes qui promulguent les dites lois. Aussi, penchons-nous vite vers la seconde question qui constituera d’ailleurs notre cheval de bataille tout au long de la présente réflexion.

I. QUEL DEFICIT DANS LE CHEF DES FEMMES CONGOLAISES ?

Les caractéristiques sociodémographiques de la population congolaise sont tellement diversifiées que certains écarts entre les hommes et les femmes sont très distinctifs. Du point de vue de la taille de la population, les femmes représentent bien 50,1% contre 49,9% des hommes111. Mais, du point de vue de certaines variables sociodémographiques, les femmes sont souvent en mal de positionnement. Selon l’enquête démographique et de santé 2007, « La proportion de femmes de 15-49 ans sans instruction est quatre fois plus élevée que celle des hommes (21% contre 5%) et les hommes sont proportionnellement 1,5 fois plus nombreux que les femmes à avoir achevé les niveaux secondaires ou supérieurs (65 % contre 41%). La proportion des personnes de 15-49 ans qui

107 MAWANZO, op� cit�108 Coalition pour la convention sur l’élimination de toutes formes des

discriminations à l’égard des femmes (C.CEDEF ), Rapport alternatif sur la mise en œuvre de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Kinshasa, mars 2013, p. 34.

109 www.toutel europe.eu/…/ La parité dans les gouvernements de l’UE. 110 Union interparlementaire au 1er Février 2015, Classement mondial, 2014.

www.ipu.org/wmn-f/classif.htm111 Institut National de Statistique, op� cit�

DE L’EFFECTIVITE DES LOIS RELATIVES A LA PARITE HOMME-FEMME EN R.D.Cpar

EKIMONYO WA MAGANGO et Gaspard AMBEMANE AKEMANE

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DE L’EFFECTIVITE DES LOIS RELATIVES A LA PARITE HOMME-FEMME EN R.D.C

ne savent ni lire ni écrire (analphabètes) atteint 41% parmi les femmes et 14% parmi les hommes de 15-49 ans »112.

Dans les récents résultats de l’enquête démographique et de santé (EDS 2014), on note que : « En RDC, l’indice de parité du genre au niveau primaire est estimé à 0,97. Ceci montre qu’au niveau primaire, les filles sont légèrement désavantagées par rapport aux garçons. Au niveau secondaire, l’écart entre la fréquentation scolaire des filles et des garçons est plus élevé (indice de 0,68). Que ce soit au niveau primaire ou secondaire, l’importance de cette discrimination varie d’un milieu de résidence à l’autre et d’une province à l’autre. Cet indice est plus faible en milieu rural qu’en milieu urbain, avec un écart plus important au niveau secondaire (0,84 en milieu urbain et 0,53 en milieu rural) »113.

Comme on peut le remarquer, une lueur d’espoir est permise au niveau primaire. Car, selon le rapport de l’enquête Démographique et de santé 2014 : « on constate une amélioration dans l’accès à l’école primaire entre 2007 et 2013, particulièrement en faveur des filles: parmi les filles de 6-9 ans, 43% étaient sans instruction en 2007 contre seulement 23% en 2013. Parmi les garçons, ces proportions sont passées de 39% en 2007 à 21% en 2013 »114.

Le gouvernement devrait capitaliser cette nouvelle tendance gage d’une éventuelle parité entre le sexe dans la scolarité au cours des années à venir. Car, dans les sociétés modernes et mondialisées, l’arme la plus fatale du développement de tout peuple est la culture scientifique. L’instruction, à travers les écoles modernes, en constitue les moyens de socialisation et d’adaptation à la vie collective. Moins les femmes seront instruites, et moins elles seront socialisées et représentées dans les structures étatiques.

Ainsi, le déficit dont font preuve les femmes congolaises résulte surtout du côté de l’éducation. Sans méconnaitre les compétences des femmes congolaises dont certaines ont marqué de leur temps l’histoire du pays, nous attirons seulement notre attention sur la proportion minime qu’elles représentent par rapport au sexe opposé. Ce déficit justifie en grande partie la non-réalisation des dispositions paritaires au sein des institutions du pays. Car on ne mettra pas sur les listes électorales des partis politiques les noms des femmes à compétences douteuses sous prétexte de quota de 30% au risque de former un parlement d’apprentis et d’incompétents. On ne nommera pas non plus une femme diplômée de l’école secondaire DG d’une entreprise, ministre du genre, secrétaire du cabinet de chef de l’Etat au nom de la parité. La conquête du savoir semble être, selon nous, un préalable à remplir avant la conquête du pouvoir ; sinon tous ces mots (égalité des sexes, parité, quotas de 30%) ne resteront que des slogans pour animer les journées de réflexion de tous le 08 mars de chaque année.

Nous pouvons évaluer ce déficit en examinant par exemple l’état de l’Indice de parité entre le sexe (IPS) au sein des Universités et Instituts Supérieurs du pays. Ces indices seront comparés aux autres statistiques internationales enfin de présenter le niveau qu’occuperait la R.D.C à l’échelle planétaire.

112 Ministère du Plan et macro International, Enquête Démographique et de Santé, République Démocratique du Congo 2007, Calverton, Maryland, U.S.A : Ministère de Plan et Macro International, 2008.

113 Ministère du Plan et Suivi de la Mise en œuvre de la Révolution de la Modernité (MPSMRM), Ministère de la Santé Publique (MSP) et ICF International, Enquête Démographique et de Santé en République Démocratique du Congo 2013-2014, Rockville, Maryland, USA : MPSMRM, MSP et ICF International, 2014.

114 Ibid�, p. 28.

II. L’ETAT DE L’INDICE DE PARITE ENTRE LE SEXE DANS LES UNIVERSITES EN R.D.C

L’Indice de parité entre les sexes (IPS) est une mesure utilisée pour évaluer les différences entre les sexes pour certains indicateurs de l’éducation. Il s’obtient en divisant la valeur d’un indicateur donné des filles par celui des garçons. Une valeur d’IPS de 1 traduit un parfait équilibre pour cet indicateur entre les deux sexes. L’UNESCO (2003) a défini une fourchette d’IPS, comprise entre 0,97 et 1,03 (valeur arrondie), dans laquelle on considère que la parité entre les sexes est atteinte.

Un IPS inférieur à 1 indique que la valeur de l’indicateur est plus élevée pour les garçons ; par contre lorsqu’il est supérieur à 1, c’est la situation inverse, l’indicateur est plus élevé pour les filles115.

Sous forme mathématique, nous pouvons présenter cette formule de l’indice de parité entre le sexe de la manière suivante :

IPS = Indice de parité entre les sexes

NF= effectifs des femmes

NH= effectifs des hommes.

Par exemple, dans une institution politique où il y a 14 femmes contre 14 hommes, l’IPS va se calculer en divisant 14 par 14, ce qui donnera le quotient 1. Aussi, dira-t-on que la parité est atteinte dans cette institution. Par contre, dans une institution politique avec 6 femmes sur 12 hommes, l’IPS sera égal à 0,5. Dans cette seconde institution, la parité n’est pas atteinte.

En nous servant des annuaires statistiques de l’enseignement universitaire et supérieur pour les années académiques comprises entre 2008 et 2012, nous avons calculé l’évolution de l’IPS dans les Universités et Instituts facultaires en R.D.C.

115 INSTITUT DE STATISTIQUE DE L’UNESCO, Recueil de données mondiales sur l’éducation 2011, statistiques comparées sur l’éducation dans le monde, UNESCO, Montréal, Québec, 2011, p. 13.


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Tableau I. Statistiques générales des étudiants dans les universités et instituts facultaires en R.D.C

Année académique Province M F MF % F IPS

2008-2009 KINSHASA 42069 16440 58509 28 0,4

Autres Provinces 70278 16973 87251 19,4 0,2

R.D.C 112347 33413 145760 22,9 0,3

2010-2011 KINSHASA 46686 15550 62236 24,9 0,3

Autres Provinces 102450 33790 136240 24,8 0,3

R.D.C 149136 49340 198476 24,8 0,3

2011-2012 KINSHASA 59392 20849 80241 25,9 0,4

Autres Provinces 121895 36644 158539 23 0,3

R.D.C 181287 57493 238780 24 0,3

M= Hommes, F= Femmes, MF= Hommes et femmes,

%F= Pourcentage des femmes, IPS= Indice de parité entre le sexe.

Source : A partir des annuaires statistiques de la R.D.C116

A voir le tableau ci-dessus, la parité est loin d’être atteinte au sein de nos universités et Instituts Facultaires. Au niveau du pays, l’IPS est resté statique depuis l’année académique 2008-2009 jusqu’à l’année académique 2011-2012. En effet, évalué à 0,3 (soit 3 filles sur 10 garçons) pour l’année académique 2008-2009, l’IPS s’est stabilisé à cette même valeur jusqu’à l’année académique 2011-2012. Certes, l’écart entre les filles et les garçons dans les universités reste considérable, mais cette stabilité de l’IPS au niveau du pays traduit un statuquo depuis quelques années des acquis en matière de conscientisation des filles pour leur scolarisation.

En outre, de manière comparative entre la ville de Kinshasa et les autres provinces de la R.D.C, l’IPS dans la ville de Kinshasa au niveau des universités et instituts facultaires est légèrement supérieur à l’IPS au niveau des autres provinces. Ainsi par exemple, au cours de l’année académique 2008-2009, l’IPS dans les Universités établies à Kinshasa est estimé à 0,4 (soit 4 étudiantes contre 10 étudiants) ; alors que dans les universités à l’intérieur du pays, cet IPS pour la même année académique concernée est estimé 0,2 (soit 2 étudiantes contre 10 étudiants). La tendance persiste au cours des années académiques postérieures.

C’est ici que l’occasion s’offre pour dire que le quota de 30% des femmes est théoriquement accessible. Pour la ville de Kinshasa l’indice de parité entre les sexes pour l’enseignement supérieur en général est de 0,4. Pour la R.D.C, cet indice est de 0,3. S’agissant d’autres provinces, cet indice a fluctué entre 0,3 et 0,2 avec une tendance dominante à 0,3.

Cependant, il faut noter que nous parlons ici des tendances centrales. C’est-à-dire que à certains nombreux endroits nous tomberons en dessous de 0,3, ce qui rendra impossible l’atteinte

116 Ces statistiques ne concernent que les Universités et Instituts facultaires de la R.D.C ; les Instituts Supérieurs ne sont pas inclus.

du quota et présentera des difficultés aux partis politiques concernés.

2.1. Au niveau des domaines des filières académiques

Le déficit des filles au sein des Universités s’observe encore mieux au niveau des filières académiques. A ce niveau, on constate que les filles ont tendance à choisir plus les domaines en caractère littéraire (sciences de l’Education et sciences sociales, commerce et droit), par rapport aux domaines à caractère scientifique où elles sont encore moins nombreuses (Mathématique, Chimie, Physique, Ingénierie -bâtiments et industrie).

Graphique 1. Etat de l’IPS dans les différents domaines d’enseignement

au cours de l’année académique 2011-2012

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N.B : Les Sciences, selon le classement de l’Unesco comportent les facultés suivantes : Médecine, Médecine vétérinaire, Pharmacie, Sciences, Sciences agronomiques, sciences économiques et Gestion117.

Graphique 2. Etat de l’IPS dans les différents domaines d’enseignement a

u cours de l’année académique 2011-2012

Ces deux graphiques (1 et 2) nous présentent l’état de l’IPS au niveau des domaines d’enseignement au sein des Universités pendant l’année académique 2011-2012. On y constate pour la ville de Kinshasa une représentativité considérable des filles dans les domaines des sciences (IPS=0,5) par rapport aux autres domaines où les filles restent encore moins nombreuses (IPS=0,3). Ceci résulte de cet engouement constaté depuis quelques années des filles dans les domaines d’enseignement universitaires tels que les sciences économiques et la médecine. Il est également noté que l’inclusion des Sciences économiques à la catégorie des Sciences modifie sensiblement la structure.

Dans les autres provinces du pays, les filles sont plus nombreuses dans les domaines de sciences sociales, commerce et droit (IPS= 0,39) que dans les autres domaines d’enseignements.

Ainsi, dans tous les deux cas, c’est-à-dire dans la ville de Kinshasa et les autres provinces de la R.D.C, les filles demeurent toujours moins nombreuses dans les domaines d’enseignement d’ingénierie, industrie et bâtiments. En effet, dans cette filière académique l’IPS s’évalue à 0,1 (soit une fille contre 10 garçons). Des efforts pour la scolarité des filles doivent aussi être focalisés dans ces domaines à caractère mathématique très prisés par les éventuels employeurs. Ceci accroîtrait la chance d’insertion professionnelle des filles sorties des systèmes de formation universitaire.

II. QUELQUES STATISTIQUES REGIONALES DE L’IPS

La sous-représentativité des filles au sein de nos Universités se reflète également sur les statistiques régionales relatives à l’indice

117 FISKE, Edouard B., Atlas Mondial de l’égalité des genres dans l’éducation, UNESCO, Paris, 2012.

de parité entre le sexe où la R.D.C occupe souvent le bas de l’échelle. Nous en trouvons les cas dans le graphique ci-après.

Source : Baromètre de la SADC.

Sur les 14 pays de la SADC, la R.D.C se retrouve au dernier rang dans la représentativité des femmes qui atteignent l’enseignement supérieur. Le pourcentage des hommes au sein de l’enseignement supérieur y demeure de loin supérieur à celui des femmes (74 % contre 26 %). Alors que dans les pays tels que : Seychelles, Namibie, Mauritanie, Afrique du Sud, Botswana et Zambie ce sont les femmes qui se retrouvent majoritaires dans l’enseignement supérieur.

III. QUELQUES STATISTIQUES INTERNATIONALES DE L’IPS

En dehors du continent africain, on observe presque partout la surrepresantivité des femmes dans les études supérieures. Nous en illustrons les cas dans le graphique suivant qui présente les pourcentages des filles et garçons diplômés de formation tertiaire de type A118.

Source : OCDE119

118 Enseignement tertiaire de type A : Les cursus « longs » ont des contenus théoriques et visent à préparer les étudiants à accéder à des programmes de recherche de haut niveau ou à l’exercice de professions exigeant un niveau élevé de compétences comme la médecine, la dentisterie ou l’architecture. La durée de ces cursus représente au moins 3 (mais plus souvent 4) années d’études à temps plein. (cfr. OCDE, 2012, p. 25).

119 OECD, Regards sur l’éducation 2012 : Les indicateurs de l’OCDE� Éditions OCDE, 2012, p. 92. http://dx.doi.org/10.1787/eag-2012-fr


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Dans les pays d’Amérique repris sur le graphique ci-haut, les femmes diplômées de formation tertiaire sont partout plus nombreuses que les hommes. La tendance reste la même dans les pays d’Europe. Aussi, remarquerons-nous, la parité dans les Institutions Etatiques dans ces pays se réalise sans trop de peine. Nous avons cité plus loin le cas de la France où la parité est toujours maintenue dans les gouvernements qui se succèdent. Ce graphique nous en donne sans doute les causes. En Asie, seul l’Israël emboite le pas des pays Européens dans la surreprésentativité des femmes diplômées de formation tertiaire. Les autres pays de ce continent par contre s’approchent lentement vers la parité.

CONCLUSION

Le contexte de la mondialisation dans lequel s’engagent actuellement les sociétés modernes crée des tensions internes qui amènent les gouvernements des pays africains à ratifier certaines lois internationales sans tenir compte des particularités sociodémographiques. Nous avons soulevé ici les cas des lois relatives à la parité homme-femme qui n’ont cessé depuis un certain temps d’être améliorées et amendées à chaque nouvelle législation de notre pays la R.D.C. Cette pluie d’amendements se justifie sans doute par un souci de satisfaire les bénéficiaires qui ne cessent de faire pression sur les autorités politiques en réclamant toujours au-delà de ce qui est fait. D’où le risque d’un cycle infernal des réclamations et amendements sans tenir compte en amont de l’effectivité des lois déjà votées dans le même domaine concerné.

La présente réflexion est une exploration de cette problématique d’effectivité des lois paritaires en R.D.C en se posant pratiquement deux principales questions :

- l’ineffectivité des lois paritaires résulterait-t-elle de la mauvaise foi dans le chef des autorités politiques qui ne voudraient pas que les femmes jouissent pleinement de leurs droits civils ?

- le manque des stratégies de la part des femmes congolaises justifie-t-il l’ineffectivité de toutes ces lois paritaires ?

La première question restant posée car elle s’avérait déjà difficilement vérifiable, nous nous sommes très vite appesanti sur la seconde question pour des raisons pragmatiques.

On constate en effet que les revendications des femmes portent rarement sur leur retard en matière de scolarisation. Elles se focalisent plutôt sur les fonctions politiques et autres assimilées.

Pourtant, avons-nous remarqué, en nous référant aux statistiques du pays que la femme congolaise présentait un déficit dans l’accès au transfert de la science et de la technologie alors très nécessaire à l’auto-affirmation et la socialisation dans la vie active. Certes, les compétences féminines existent, mais restent statistiquement minoritaires pour répondre efficacement aux exigences des quotas accordés dans les institutions étatiques. Nous avons par exemple constaté, en calculant l’indice de parité entre le sexe (IPS) dans nos universités, que depuis l’année académique 2008-2009 jusqu’à l’année académique 2011-2012, aucune université du pays à Kinshasa comme dans les autres provinces n’atteignait une valeur de 0,5 (soit 5 filles sur 10 garçons). En entrant plus en profondeur, nous constatons que la fille est moins représentée dans les domaines à caractère scientifique que ceux d’autres domaines.

Pour éviter toute attitude négativiste, nous avons amené la comparaison des statistiques de l’indice de parité entre le sexe dans les universités au niveau continental. La comparaison n’a pas contredit nos prémisses. En effet, pour l’année 2010, parmi

les 14 pays de la SADC, la R.D.C se trouvait au dernier rang dans la représentativité des femmes qui atteignent l’enseignement supérieur. Par contre dans les pays tels que : Seychelles, Namibie, Mauritanie, Afrique du Sud, Botswana et Zambie ce sont les femmes qui se retrouvent majoritaires dans l’enseignement supérieur120.

Au niveau des statistiques internationales relatives à l’IPS, les femmes étaient majoritaires parmi les diplômés de la formation tertiaire. Cette tendance s’affirmait dans les pays d’Amérique et de l’Europe121.

Ainsi, suggérons-nous, les femmes congolaises devaient tout d’abord faire de la conquête du savoir une priorité avant la conquête du pouvoir. Car, on pourrait multiplier et amender des lois paritaires dans des législations successives, mais si les compétences hautement qualifiées demeurent une denrée rare dans la population féminine, tous les quotas votés en leur faveur embelliront les archives des lois congolaises sans jamais faire la preuve d’une effectivité réelle.

Toutefois, la situation décrite dans les résultats de nos recherches sur l’indice de parité entre le sexe dans les Universités est la conséquence d’une politique qui remonte à plus de 16 ans dans le passé. Car, les filles présentes à l’université au cours de l’année académique 2011-2012 viennent de la génération des filles inscrites à l’école primaire il y a 16 ans passés. Ce qui revient à dire que la lutte pour la représentation des filles dans les universités doit se préparer actuellement au niveau de l’école primaire. Comme signalés dans le texte, l’actuel gouvernement politique de notre pays devait consolider les acquis de la parité fortement avancés dans les écoles primaires122, en vue d’espérer voir les filles majoritairement représentées dans les universités au cours de 16 prochaines années académiques.

Les mécanismes que nous proposons pour consolider ces acquis sont entre autres :

- La mise à profit des avantages du processus de décentralisation afin d’accélérer le développement intégral de toutes les entités de la République et d’éviter que les indices tels que celui de parité entre les sexes en matière de l’éducation continuent à être significativement différents selon qu’il s’agit de la ville de Kinshasa ou d’autres parties du pays ; ou encore entre les milieux urbains et les milieux ruraux. La majorité des partis politiques en R.D.C sont nés et se sont développés dans les milieux frappés par des faibles taux de scolarisation de filles et surtout des taux quasi nuls de leur mise en activité économique, ces partis politiques feront très longtemps avant d’être capables de répondre aux exigences de participation de la femme aux fonctions politiques.

- L’instauration d’une sorte de discrimination positive, comme le cas en Ethiopie123, en faveur des femmes lors de sélections ou des concours d’admission des étudiants au sein des Universités. Les filles seront admises avec

120 République Démocratique du Congo, Baromètre de la SADC sur le genre et le développement, Éducation et formation. Art. 14, 2010.

121 OECD, op�cit�, p. 92.122 Ministère du Plan et Suivi de la Mise en œuvre de la Révolution de

la Modernité (MPSMRM), Ministère de la Santé Publique (MSP) et ICF International, Enquête Démographique et de Santé en République Démocratique du Congo 2013-2014, Rockville, Maryland, USA : MPSMRM, MSP et ICF International, 2014.

123 DIBBA-WADDA, Oley, Renforcer la recherche sur le genre pour améliorer l'éducation des filles et des femmes en Afrique, In Les cahiers de recherche du FAWE vol�1 , 2011.

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la même cote que celle exigée aux garçons, mais toutes les filles méritantes devraient être promues. Une telle mesure leur permettrait de rattraper le retard longtemps accumulé dans le domaine de l’éducation.

- L’octroi des bourses d’études beaucoup plus en faveur des filles. Ce serait une façon d’affaiblir les facteurs socio-économiques et culturels parmi les obstacles à la scolarisation des filles.

- Le renforcement des mesures législatives en matière de violences faites sur les femmes et surtout les mineures. Car, le mariage précoce constitue 6,3% et la grossesse 5,2% des cas d’arrêt de scolarisation des filles124.

- L’élimination de tous les obstacles économiques, financiers et socioculturels qui se posent devant nos filles.

- L’égalisation des chances filles et garçons au niveau de l’embauche et de la promotion professionnelle. Il peut s’agir de baisser même les critères en faveur des filles, tout en restant cependant objectif.

- La lutte contre les antivaleurs du genre à croire et à faire croire que les lois sur la parité offrent des faveurs indues aux femmes. Au niveau des fora des femmes, les discours sur des réclamations des faveurs devraient aussi laisser la place aux discours des revendications de l’égalité des chances et surtout en matière de scolarisation. Les femmes devraient accepter d’attendre que les conditions soient réunies pour entrer par la grande porte et non par de petites fenêtres.

Tels sont quelques mécanismes proposés pour garantir une meilleure représentation des filles au sein des Universités et Instituts facultaires dans les années à venir ; gage selon nous d’une réalisation efficace de mesures paritaires au sein des gouvernements politiques de notre pays.

124 MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE, SECONDAIRE ET PROFESSIONNEL, Rapport de l’enquête sur les enfants et adolescentes en dehors de l’école, Kinshasa, février 2013.

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INTRODUCTION

Depuis bientôt deux décennies, la RDC est reléguée si pas au dernier, à l’avant-dernier rang du classement mondial en matière de progrès du développement humain. Certes, une partie de cette période est marquée par des conflits de divers ordres (l’instabilité institutionnelle, pillage des minerais, viols et violences aux femmes,…) et à divers niveaux (national, régional et international) donc, un mode de gouvernance qui ne sait pas répondre à ses propres déficits et qui précarise la population dans sa majorité, femmes et enfants.

Selon la banque mondiale125, 47% de la population mondiale vivent dans la pauvreté et cela demeure un énorme problème non résolu à l’échelle mondiale. Plus de 65% des pauvres vivent dans des zones rurales, ce pourcentage atteint 70% en Afrique et 76% en Afrique au Sud du Sahara.

Pays de près de 80 millions d’habitants, la RDC ne déroge pas à cette situation. Tous les indicateurs socio-économiques sont au rouge et reflètent l’ampleur de la pauvreté sur l’étendue du territoire national. En effet, comme le démontre le rapport sur le développement humain 2014126, la RDC se trouve dans la quatrième et dernière catégorie, celle des pays à indice de développement humain faible. L’IDH moyen des pays de ce groupe est passé de 0,393 en 2010, à 0,493 en 2013, tandis que celui de la RDC qui était de 0,239 est monté à 0,338 sur la même période. L’IDH de la RDC reste inférieur à 0,154 points et à 0,155 respectivement entre 2010 et 2013, accusant même un petit recul sur la période considérée.

Les écrits publiés sur la question montrent que la pauvreté ne saurait être considérée comme un fait purement économique, vu que ses causes et ses effets sont très divers. Non seulement que les pauvres de la RDC manquent des ressources et de technologie, ils n’ont pas d’infrastructures qui offrent des opportunités économiques et préservent la santé. Les questions de droits de l’homme, la santé, la nutrition, les pesanteurs culturelles, les influences environnementales et les conditions politiques, sociales et historiques qui se conjuguent pour créer la pauvreté forment un cercle vicieux. Alors que, depuis la décennie pour la femme lancée par les Nations Unies en 1975, des programmes d’action ont été formulés aux conférences mondiales sur les femmes de 1985 à Nairobi et de 1995 à Beijing.

En RDC, les résolutions prises n’ont fait que renforcer la constitution de la république de1964, qui, déjà, donnait le droit de vote aux femmes127. Les ONG, les organisations de recherche tout comme les pouvoirs publics ont initié des études sur le rôle des femmes dans le développement économique dans différents domaines tout en examinant les résultats des réformes du développement et documenté les avantages et les vulnérabilités sexospécifiques afin de trouver des solutions durables.

125 BANQUE MONDIALE, 2001a. Combattre la pauvreté. Rapport sur le développement dans le monde 2000/2001. Washington D.C.

126 PNUD, Rapport national sur le développement humain de la RDC, 2014, p. 20.

127 Constitution de la république Démocratique du Congo du 1er août 1964. Moniteur congolais, 5ème année, numéro spécial du 1er août 1964.

La présente réflexion essaye de mettre en relief l’impact du microcrédit informel sur la pauvreté des femmes en RDC. Outre cette introduction, cette étude gravite autour de trois points à savoir : les femmes et la pauvreté en RDC, les pratiques culturelles en relation avec la pauvreté chez les femmes au Congo et le microcrédit comme instrument de lutte contre la pauvreté à l’épreuve de la culture locale. Une brève conclusion met un terme à la présente étude.

Les femmes et la pauvreté en RDC

Un certain nombre d’auteurs constatent que la plupart des pauvres sont des femmes, au sens numérique. En effet, déjà, à la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing en 1995, l’ONU a estimé que « la pauvreté a un visage féminin » et que 70% des pauvres du monde étaient des femmes128.

Aperçu socio-économique de la RDC

La RDC est un vaste pays au cœur de l’Afrique centrale. Sa population est estimée à 55,3 millions de personnes en 2005 et aujourd’hui, elle avoisine le 80 millions d’habitants. Son taux de croissance annuel moyen est de 3,7%. La distribution par âge de la population présente les caractéristiques classiques des pays en développement, avec une prépondérance massive des jeunes. L’âge moyen est de 23 ans, la moitié de la population a moins de 17 ans et les personnes âgées de 60 ans et plus représentent près de 4% de la population totale (tableau ci-dessous). Globalement, les femmes sont légèrement majoritaires par rapport aux hommes

Tableau 1. Caractéristiques démographiques

Kinshasa Milieu urbain

Milieu rural National

Population (%)

10.4 30.5 69.6 100

Structure par âge (%)De 0-14 ansDe 15-59 ansPlus de 60 ansTotal

39.956.04.1100

45.151.24.1100

48.247.84.1100

47.348.84.1100

Femmes (%)Migrants (%)

51.322.3

50.818.5

50.314.7

50.516.3

Source : données de l’enquête 1-2-3, 2010.

La taille moyenne des ménages est de 5,4 personnes, et moins d’un ménage sur cinq est dirigé

par une femme129, principalement parmi les ménages constitués d’une seule personne et les ménages monoparentaux. L’agglomération de Kinshasa est la quatrième province la plus peuplée du pays, 70% des Congolais vivent en milieu rural et 30% en zone urbaine. Dans l’ensemble, 20% des individus âgés de 15 ans et plus n’ont jamais fréquenté l’école primaire (tableau

128 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Égalité sociologique entre les sexes et développement humain, 1995.

129 C’est un phénomène récurent compte tenu du nombre important des femmes en RDC mais aussi, de la pratique de la polygamie et de la bureaugamie bien souvent tolérée par la société.

LES FEMMES, LA PAUVRETÉ ET LE MICROCRÉDIT INFORMEL EN RDCpar

Ingrid MULAMBA FEZA

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LA PAUVRETÉ ET LE MICROCRÉDIT INFORMEL EN RDC

1). La situation est variable selon que l’on vit en milieu urbain ou en milieu rural, les habitants du milieu urbain, et en particulier la ville de Kinshasa bénéficient davantage d’infrastructures scolaires, sanitaires, d’accès à l’emploi et aux services publics, plus que ceux du milieu rural. Ainsi, environ 90 % des personnes sont instruites dans le milieu urbain contre moins de 72% pour le milieu rural130.

I. QUELQUES CAUSES DE LA PAUVRETÉ DES FEMMES AU CONGO

Beaucoup de facteurs justifient la pauvreté des femmes en RDC. Nous en énumérons quelques-uns, qui sont aussi conséquences de la pauvreté à savoir :

• Le défaut d’accès des femmes à la scolarisation

D’une manière générale, les femmes africaines sont moins instruites que les hommes et sont donc peu qualifiées pour occuper les emplois du secteur formel.

Le coût élevé des frais scolaires, le poids du pronatalisme, le privilège accordé au garçon quant il faut opérer un choix pour la scolarisation des enfants par manque des moyens financiers suffisant sont entre autres des facteurs à la déperdition scolaire des enfants. Nonobstant, de manière générale la RDC a fait des progrès dans la scolarisation des filles au primaire. Mais ces progrès sont très faibles, passant à peine de 0,86 à 0,87 de rapport fille-garçon. On est encore loin de la parité. Cependant, il faut saluer les efforts dans certaines provinces comme la Ville de Kinshasa qui ont atteint cette parité. Cinq provinces ont atteint ou dépassé les 90% de rapport fille-garçon, tandis que les autres trainent le pas dans cette direction131. Toujours poursuit le rapport, la situation est peu encourageante pour les deux autres niveaux de l’éducation. Au niveau secondaire, le rapport indique une évolution en recul. Il passe de 0,60 en 2010 à 0,59 en 2012. Enfin, au niveau supérieur, les écarts deviennent énormes, les filles représentant à peine 48% des garçons fréquentant l’enseignement supérieur et universitaire.

La pauvreté est à la fois cause et conséquence d’un effet de l’insuffisance ou de l’inachèvement d’une école de qualité. Les femmes des ménages pauvres les plus pauvres ont souvent de familles nombreuses alors que celles qui sont instruites ont des enfants moins nombreux et en meilleure santé. Les enfants de familles pauvres ont moins de chances d’être scolarisés et de terminer leur scolarité en raison des coûts qu’impose la fréquentation de l’école. En soi, l’abandon scolaire dû à la pauvreté garantit pratiquement la perpétuation du cycle de la pauvreté132

• Les conflits armés en RDC

Les conséquences des guerres qui ont dévasté le pays ont atteint leur paroxysme. Bien sûr que les hommes sont les premiers perdants car en majorité, ils constituent les acteurs et, ce donc, les premières victimes de conflits. Néanmoins, les femmes subissent également des effets directs ou indirects en tant qu’objet de violence. Ceci ne dit pas qu’elle reste des victimes passives, mais interviennent en se substituant le rôle réservé aux hommes,

130 Ahmed Moummi., Analyse de la pauvreté en RDC, working papar, n° 112, août 2010, pp. 6-7.

131 Rapport sur le développement humain, 2014.132 Akinboade Oludele Akinloye, « Les femmes, la pauvreté et le commerce

informel en Afrique orientale et australe », Revue internationale des sciences sociales, 2005/2n° 184, p. 277-300.

comme l’a si bien noté Reysoo133 : « Les épouses, en l’absence de l’homme au foyer, doivent faire fonctionner le ménage, en générant des revenus, en assurant la subsistance, tout en dispensant des soins et le soutien affectivo-moral. Elles doivent prendre des décisions dans des domaines traditionnellement masculins et se voient obliger de se mouvoir dans des espaces étrangers ou interdits à elles en temps normal ».

Les femmes ont été lourdement affectées par les effets dévastateurs des conflits armés. Leur situation s’est considérablement dégradée et leurs droits les plus élémentaires violés. Mais le conflit a aussi permis de remettre en question la position traditionnelle des femmes, qui se sont vues confrontées à leur propre rôle au sein de la famille et de la communauté, et surtout à ses limites. Affronter les conséquences de la violence implique souvent d’assumer la fonction de soutien économique de la famille.

Les situations d’urgence sociale ont fait que beaucoup de femmes ont pris le courage d’assumer un rôle public plus important au sein de leur communauté et dans la société, en général. Ainsi, beaucoup d’entre elles ont changé leur perception d’elles- mêmes et ont affronté avec courage la violence, créant de nouveaux espaces de participation sociale et se convertissant en agents actifs non seulement du changement mais aussi de lutte contre la pauvreté.

Les femmes ont aussi cherché à affronter les conditions difficiles de leur situation en créant des structures pour le retour de la paix. Ces changements de rôles ne permettent pas aux femmes de consolider des acquis, d’être aussi professionnelles surtout dans les activités capables de favoriser leur autonomisation socio-économique.

• Le chômage

Au Congo, le taux moyen de chômage est supérieur à 50% de la population active pour les dix dernières années. Mais grâce à la conjugaison d’un certain nombre de facteurs et, notamment, à la reprise des investissements étrangers dans certains secteurs, l’économie congolaise a renoué avec une croissance positive. Cependant, cette croissance dont le moteur principal reste toujours le secteur minier, reste encore vulnérable car dépendant essentiellement des fluctuations des cours de minerais. En outre, elle n’a pas permis de créer massivement des emplois décents pour prétendre être une croissance inclusive, d’une part, et d’autre part, elle n’a pas eu non plus d’impact proportionnel sur le budget de l’État et le bien-être de la population134. Les femmes pour contourner l’implication directe de ce chômage se lancent dans des activités informelles génératrices de revenus pour résoudre tant soit peu leur misère.

• Le déficit d’accès aux services d’investissement financiers

Depuis plus de trois décennies, la microfinace a été investie par la communauté internationale comme un instrument de lutte contre la pauvreté surtout, pour la catégorie vulnérable que sont les femmes. Mais, la quasi-totalité de la littérature produite à cet effet fait remarquer que les plus démunis n’ont pas accès aux services financiers de base.

En Afrique australe, la législation des services financiers est généralement fondée sur le système patriarcal qui traite les femmes comme des mineurs et au mieux comme des femmes

133 Reysoo., cité par Mélanie GONIN., Femmes en mouvement(s). Empowerment et situations de femmes dans le conflit et le post conflit au Guatemala, Etude en développement, n° 20, p. 14.

134 Rapport sur le développement Humain, 2014, P.121.


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au foyer. Par exemple, les femmes mariées sous le régime de la communauté des biens ne peuvent pas obtenir de prêts des banques commerciales si leurs maris n’autorisent pas la banque à traiter leur demande de prêt135. Cette législation n’est pas loin des pratiques des banques en RDC, dans la mesure où, le pays souffre de l’absence d’une législation cohérente, propre au secteur et adapté au contexte socio-économique. Mais il faut reconnaître qu’un effort a été fait avec la promulgation de l’instruction 001 de la Banque Centrale de Congo et de la loi sur la microfinace qui devrait suivre l’avancée des autres instruments en révision comme le code de la famille en vue de permettre une équité en RDC.

Des impératifs sont tels que, les femmes n’arrivent toujours pas à rembourser à temps le crédit octroyé.

II. LES PRATIQUES CULTURELLES EN RELATION AVEC LA PAUVRETÉ CHEZ LES FEMMES CONGOLAISES

La RDC connait et vit une crise qui s’est cristallisée et se matérialise dans le vécu quotidien de ses populations. Celle-ci se traduit par un faible pouvoir d’achat, poussant les populations les plus démunies (femmes et jeunes) à se lancer dans les activités génératrices de revenus (formelle/informelle), à s’organiser en association et /ou mutuelles d’entraide en général, non conformes avec le code de bonne conduite en RDC, notamment :

· la pauvreté136, surtout humaine. Elle s’élève à 63,4 % en 2012137. Elle a tendance à s’accentuer, plus de la moitié de Congolais sont privés d’accès à l’eau potable et aux soins de santé de base ;

· le pronatalisme qui pousse à l’abandon des enfants communément dénommés enfants de la rue : qui est à la base actuellement de « shégue » et « kuluna » qui mette à mal la quiétude des congolais ;

· la prostitution : de plus en plus manifeste de nombreux jeunes (surtout des dames) à la recherche du paraitre et du lucre pour les unes et la survie pour les autres;

· les conflits sociaux : dans le contexte congolais, on observe plusieurs antagonismes identitaires qui ne sont qu’un frein pour le développement national,

· le développement du commerce informel : la crise de l’emploi conditionne les femmes, en plus de leur rôle traditionnel de l’épouse, de mère, de ménagère, de gardienne et d’éducatrice des enfants, à s’employer comme actrice incontournable dans la survie et la subsistance de sa famille en milieu urbain comme en milieu rural de la RDC,

· l’occupation anarchique des espaces urbains comme ruraux, transformés en champs ou marchés selon le contexte pour la recherche de la survie…

De tout ce qui précède, tous les comportements ci-haut énumérés ne peuvent que niveler par le bas la promotion des femmes congolais.

III. LE MICROCRÉDIT, INSTRUMENT DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ À L’ÉPREUVE DE LA CULTURE LOCALE AU CONGO

L’expression « microfinance » est polysémique. Il importe de noter à ce sujet que les querelles des définitions ne rentre pas

135 Akinboade Oludele Akinloye, op.cit, P. 280.136 Lire les résolutions de la conférence nationale souveraine, 1992. Le

programme triennal minimum, 1997. Le programme d’action du gouvernement 2007-2011. Le rapport sur le développement humain 2014.

137 Rapport sur le développement humain, 2014.

dans notre propos. Qu’il nous soit toutefois permis de souligner que l’objectif consiste à élargir l’accès aux services financiers afin que les populations démunies (femmes) puissent financer leurs activités génératrices de revenus, augmenter leur pouvoir d’achat et améliorer leurs conditions de vie, pour finalement s’affranchir de la pauvreté.

Aujourd’hui, la microfinance est devenue un levier incontournable pour le développement. Cette conception n’est pas nouvelle mais il importe de signaler que son élan dans le cadre des économies de développement de la fin du XXème siècle, ait été donné par Muhammad Yunus, professeur d’économie à l’Université de Chittangong, au Bengladesh, et, son appropriation par les Nations Unies comme politique de développement et de son alignement dans les objectifs du millénaire par le PNUD en 2005138.

Identifiant l’endettement comme la cause fondamentale de la misère des bangladais, Yunus, dans son étude décida de créer une banque139 consacrée aux pauvres. Cette dernière a en pour vocation de permettre aux pauvres d’échapper à l’emprise des usuriers locaux. La seule exigence est que l’emprunteur appartienne à un groupe de cinq personnes qui se surveillent mutuellement pour que chacune respecte ses engagements, sans être pour autant collectivement responsables du remboursement. Et donc, les personnes se portent mutuellement caution lorsque l’une d’entre elles faille140.

En Afrique, les premières manifestations à caractère financier populaire remonte à l’époque coloniale. Les expériences plus anciennes ont été identifiées au Ghana (1920), au Kenya et en Ouganda dès 1955. Au Burkina Faso comme au Cameroun, les premières coopératives de collecte de petite épargne et de crédit ont vu le jour au cours des années 60141, et ce, comme le note Develtere142, les puissances coloniales ont considéré les coopératives comme des instruments aptes à préparer l’incorporation des économies rurales dans le système capitaliste mondial et contribuer à la pacification des classes rurales émergentes.

En RDC, c’est le décret du Roi souverain des belges du 24 mars 1956, portant création et fonctionnement des « sociétés coopératives indigènes » qui est le soubassement et l’origine de la microfinance. Toutefois, c’est vraiment vers les années 2000 que les institutions de la microfinance étrangères arrivent sur le marché congolais (FINCA RDC, Hope International RDC, Procrédit Bank Congo), parmi elles, quelques-unes s’inspirent des mécanismes de prêts de groupe et de caution solidaire comme la Grameen Bank.

L’engouement vers ces institutions c’est que les congolais et congolaises ont compris que les services financiers de proximité qu’elles offrent concourent à l’apaisement de climat des affaires et à la stabilité politique après la mise en œuvre de réformes économiques structurelles et du programme du gouvernement qui rentre dans la ligne droite de son Document de la Stratégie

138 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2005.139 Banque qu’il appela « Grameen Bank » créée en 1984. Cette banque octroi

des microcrédits selon le système « two-two-one », c’est-à-dire on accorde le microcrédit à deux personnes, une fois remboursé, on accorde encore aux deux suivant et quand le cycle est respecté, on donne au tout dernier.

140 h t t p : / /www. r f i . f r / f i c h i e r s /MFI /Ec onomi eDev e l o pp emen t / 1487 .asp MUHAMMAD YUNUS., Vers un monde sans pauvreté, Ed J-C Lattès. 1997.

141 http://www.capafrique.org/22/10/2008. 142 DEVELTERE P., Economie sociale et développement. Les coopératives, les

mutuelles et associations dans les pays en développement, Bruxelles-Paris, De Boeck et Larcier, 1998, p. 26.

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et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP), qui s’appuie sur la promotion de la paix, de la sécurité et de la bonne gouvernance ; la prévention des conflits et le secours d’urgence et la lutte contre pauvreté à travers la dynamique communautaire143.

Cela dit, le microcrédit se présente comme une aubaine pour les populations en RDC mais les contraintes qui minent sa rentabilisation et ce, ne lui permettent pas encore de devenir un véritable levier de développement dans la mesure où les bénéficiaires se trouvant dans une catégorie dépendante, vulnérable ne s’adaptent pas à ses impératifs. D’où, nous nous focalisons sur les trois arguments majeurs dans l’opérationnalisation du développement, à savoir : les bénéficiaires de microcrédit, les institutions de microcrédits et les contingences sociales locales pour tester si les microcrédits peuvent offrir des opportunités de lutter réellement contre la pauvreté en RDC.

En République Démocratique du Congo, la crise a laissé se profiler un espace de créativité remarquable. L’ampleur de celle-ci est ainsi massive, déstructurant mais aussi fondatrice d’une proactivité sans commune mesure avec l’élan d’une société plus portée à inventer informellement des activités productrices des revenus. Tel semble être, la boussole qui guide chaque congolais à se plonger dans les pratiques informelles en refaçonnant les outils et percepts dans son moule habituel.

En effet, en commençant par le profil des bénéficiaires, de par le monde, le Congo ne déroge pas à la règle, car, près de 85% de femmes s’adonnent à la pratique de microfinance contre 15% des hommes144. Cette prédominance trouve son fondement dans les paragraphes qui suivent :

En premier lieu, les genres d’activités qui sont renforcés par les ONG : petits commerces (vente de pain, de légume, d’huile de palme, du poisson, du poulet, de la farine de manioc et de maïs, des œufs, tenue de petits restaurants de fortune, maraîchage, …) sont typiquement féminins d’après la logique locale de la division sociale du travail.

En deuxième lieu, d’un point de vue général, les filles congolaises ont accusé un grand retard dans la scolarité par rapport aux garçons. Elles ont été cantonnées jusqu’il y a peu, et cela persiste encore dans certaines contrées de la RDC, dans le rôle de mère et de ménagère. Ce retard pris explique grandement leur état d’illettrisme qui bat son plein par rapport aux garçons surtout en milieu rural.

De ce qui précède, nombre d’entre elles ne rêvent pas d’exercer des fonctions d’administration et de gestion, mais se contentent plutôt des activités qui n’exigent pas de qualifications professionnelles particulières. Cela explique aussi bien l’attrait qu’exercent les prêts octroyés par les IMF en faveur de l’entrepreneuriat féminin.

En troisième lieu, la prédominance des femmes dans ces activités libérales tient aussi au fait que de nombreux époux résistent à l’idée de voir leurs conjointes œuvrer sous la direction des chefs d’entreprises aussi bien publiques que privées, de peur que leur subordination professionnelle ne les expose à des infidélités. L’opinion est persistante à ce sujet, mais au cas où, l’homme le lui refusait, la femme s’en passe sans trop de traumatisme.

En quatrième lieu, étant donné que ces microcrédits sont octroyés sans hypothèques et tenant compte du fait qu’en général, les femmes sont moins aventurières que les hommes, elles jouissent d’une présomption de confiance auprès des IMF. Ce crédit

143 Ministère du Plan, DSCRP, RDC, 2006.144 Les résulta de notre propre enquête sur le mémoire de DES portant sur Le

microcrédit : une alternative pour le développement durable de la RDC. Ses impératifs sont-ils compatibles avec la culture locale ? UNIKIN, 2008-2009.

s’accroît encore davantage lorsqu’il s’agit d’une femme mariée avec accord de son époux, car cela traduit, à n’en point douter, un symbole de maturité et de stabilité sociales. Les données de notre enquête, soit 73,3% de notre échantillon confirment ce propos145. En outre, le degré de confiance évoqué ci-haut est également en relation avec l’âge des bénéficiaires146.

S’agissant de type d’activé exploitées par les bénéficiaires de microcrédit, il importe de souligne qu’en RDC, le crédit reçu n’est pas toujours affecté à l’activité y consacrée à l’avance. Souvent, il passe pour un autre investissement de valeur et les miettes d’argent restant peuvent souder l’activité de base.

Toujours est-il que beaucoup de femmes bénéficiaires accusent un déficit d’esprit d’inventivité, ce qui les met en difficulté dans le remboursement de crédits obtenus. Nous inscrivant dans la logique de la théorie de l’acteur, au – delà de la fonction économique, le bénéficiaire s’emploie à élargir son réseau social (membres de famille jusqu’au niveau étendu, amis, connaissances) en finançant les réciprocités sociales. D’un point de vue de la rationalité économique, l’emprise qu’exerce cet entretien de réseau n’est ni plus ni moins qu’un détournement de l’objectif de fructifier le crédit. Toutefois, d’un point de vue sociologique, misant sur la « réciprocité », autant le bénéficiaire s’emploie à fructifier le crédit reçu, autant il s’oblige de le grignoter chaque fois que le réseau social interpelle sa conscience.

Par rapport à cette vision, Goffman identifie deux facteurs qui modulent les perceptions de l’acteur social par son entourage. Il évoque les capacités d’expression de l’acteur constituées de deux formes : l’une explicite et l’autre latente. L’acteur se laisse découvrir parce que les autres peuvent retirer comme impression grâce à ses « comportements involontairement expressifs » et par ses aveux. Il faut y ajouter l’expression explicite qui est donnée pour être reçue. Il met l’accent, d’une part, sur « les restrictions apportées au contact » et, d’autre part, sur le « maintien de la distance sociale » entre l’acteur social et le public.147.

Pour clore ce débat axé sur la notion d’impact, si d’un côté, les résultats de l’analyse des données de cette étude confirment l’apport économique mitigé des microcrédits, de l’autre, il nous revient de nous prononcer sur les incidences au niveau de la mentalité des bénéficiaires. C’est par rapport à cette dimension éminemment sociologique que nous devrions nous prononcer en dernier ressort sur cette question d’impact.

Cet aspect du débat se fonde sur le principe selon lequel il faut investir sur la formation de l’homme pour assurer le développement durable. Aussi devons-nous aller jusqu’au bout de notre affirmation selon laquelle une bonne formation n’est guère synonyme de succès si l’engagement de son application n’est pas effectif et rigoureux.

Dans le prolongement de cette idée, il convient de postuler que les bénéficiaires de microcrédits, peu importe le nombre qui tire plus d’une fois, leur épingle du jeu, en sortent transformés. Ils sont donc des personnes nouvelles, surtout lorsqu’on connaît les dégâts causés par l’inversion de valeurs à Kinshasa.

Ce nouvel esprit ne saurait être nié à tous les souscripteurs de microcrédits et notre souhait est que leur nombre augmente sans cesse et que leur action fasse tâche d’huile. En définitive, d’un regard sociologique, le microcrédit est une école pour la vie

145 Ingrid Mulamba, Mémoire de DES, op. cit, P 100. 146 Idem, p. 103. 147 GOFFMAN E., Stigmate� Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit,

1963, p. 25.


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et celui qui s’essaie et s’en sort honorablement à un salut pour l’avenir.

Cependant, les efforts doivent être déployés de deux côtés. Les bénéficiaires, par exemple, doivent se convaincre que les IMF ne sont pas des institutions caritatives ou philanthropiques mais plutôt des agences financières qui sont conditionnées par un but lucratif.

Aussi, conclure une convention avec elles, signifie-t-il s’engager dans une aventure qui entraîne un dépassement de soi, un esprit d’abnégation et de rigueur planifiée de gestion. Les bénéficiaires ne doivent pas aimer une chose et son contraire en même temps, c’est–à–dire prôner un avenir prospère pour les agences de microcrédits et les pousser au même moment, à la faillite par des revendications à caractère humaniste.

Un regard même distrait sur la vie menée à Kinshasa permet d’inventorier plusieurs éléments qui ne font pas bon ménage avec la rigueur des impératifs de microcrédits.

En effet, à titre illustratif, la pratique de tontine appelée localement likelemba ne date pas d’aujourd’hui à Kinshasa. Elle peut donc servir de lit au phénomène microcrédit.

Un autre atout socio – culturel qui favorise l’implantation des agences de microcrédits informels est que le prêt est offert sur base de confiance et non sur des objets servant d’hypothèques. Ce procédé les rapproche intimement de la culture africaine qui conçoit les signatures des contrats comme le reflet d’un manque de confiance. Heureusement que les bénéficiaires de microcrédits, qui sont, en général, des femmes, demeurent encore dignes de confiance par rapport aux hommes, aux rangs desquels, on compte de nombreux aventuriers.

Pour clore la liste de principaux atouts locaux susceptibles de capitaliser les microcrédits, il importe de relever le nombre quasi infini des virtuels adhérents, la disponibilité et la rage de se battre pour la fructification du crédit. Le terrain kinois n’est donc pas miné congénitalement contre la pratique de microcrédit.

Sans vouloir récuser ces acquis, nous sommes cependant loin d’affirmer que la RDC soit un terrain de prédilection à l’exercice de microcrédits. C’est maintenant le moment d’exposer des idéologies véhiculées, des actes posés ainsi que des habitudes installées au sein de la société congolaise qui sont manifestement de nature à étouffer, à retarder ou à paralyser les effets bénéfiques que les microcrédits offrent à des pauvres évoluant sous d’autres cieux.

L’exposé qui suit n’appelle pas de commentaires de notre part ; les messages exprimés sont en eux – mêmes très expressifs. Parmi les plus marquants citons :

- le déficit de comportement économique qui se traduit, notamment, par le pronatalisme, des habitudes festives, une culture d’ostentation, l’emprise de la vieille idéologie de solidarité africaine, le déficit de l’esprit d’épargne, etc.

- la loi du moindre effort qui s’installe dans une stratégie de contournement des voies légales, c’est–à–dire des procédures établies lorsqu’on veut atteindre coûte que coûte un objectif donné ;

- le chantage sur des personnes conformistes aux engagements souscrits qui font souvent l’objet de quolibets, voire de menaces destinés à les contraindre à revoir à la baisse leur conscience morale et professionnelle en vue de la ramener au niveau de tout le monde parce que ces gens sont perçus comme des traites ;

- l’impunité qui s’installe chaque jour, libère tout instinct de perversité qui ouvre la voie aux détournements, au vol, à la criminalité, au laisser–aller ;

- le manque de culture de contrôle et d’évaluation opérationnelle, bref de management ;

- la pénurie ou rupture de stock répétitive dans l’approvisionnement liée au déficit de culture de planification ;

- le clientélisme qui donne la préférence à des membres de familles, amis et connaissances aux dépends de l’intérêt général ou des plus méritants ;

- le délestage et les coupures intempestives de l’énergie électrique causent des pertes énormes par exemple dans le commerce des vivres frais.

CONCLUSION

Un regard même distrait sur l’énumération ci-haut, du reste non exhaustive, permet de dévoiler l’étendue et le poids des pesanteurs qui justifient, dans une large mesure, les résultats mitigés en dépit des espoirs fondés sur le microcrédit en tant que moyen de lutte contre la pauvreté. Faut-il réinventer la société Congolaise pour assurer le déclic capable de rendre le microcrédit le levier qu’il faut pour le développement durable de la nation ? En définitive, il sied de mettre en perspective la pédagogie qui inspire une vulgarisation de ces nouvelles formes et/ou politiques de développement en RDC.

Étalage de fortune des activités économiques informelles

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INTRODUCTION

Considérant la dénomination expressive du pays, la « République Démocratique du Congo », on est vite enclin à penser à l’existence d’un Etat aux populations parfaitement intégrées, mieux à une Nation, compte tenu du fait que son hymne national, son emblème et surtout sa Constitution l’attestent et en révèlent la philosophie.

Dans le même ordre d’idées, son statut de membre des organisations internationales (Nations-Unies), continentales (Union Africaine), régionales (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale) et sous régionales (SADC) scellent pour ce pays le sceau d’une entité démographique et administrative bien distincte. Mais à y regarder de plus près, au-delà de tous ces attributs indéniables, la RDC nous renvoie, à travers sa quotidienneté, à une image hétéromorphique et à une base multiculturaliste sécrétant des spécificités culturelles et linguistiques que traduisent des revendications, des tensions et des exclusions identitaires qui ne se démentent pas.

Ces antagonismes inter-groupaux s’expriment de temps à autre à la manière d’un volcan en ébullition face à des enjeux jugés, selon les cas, par les uns et les autres, à tort ou à raison, majeurs et vitaux. Cette idéologie est distillée par et au sein de chaque groupe et exerce une emprise toujours vivace même dans les rangs de jeunes148. Une telle culture se transmet ainsi de génération en génération et s’enracine plus que jamais dans la conscience de chaque entité considérée. Dans ce jeu pervers, l’on constatera que la conscience nationale n’accompagne pas toujours la volonté sans cesse exprimée d’ériger dans l’espace socioculturel congolais un Etat unitaire qui mette toute la population ensemble pour son renforcement et son développement harmonieux. Pour cela, cette conscience réclame donc d’être forgée minutieusement et durablement dans l’intérêt de la communauté nationale.

Comme on le voit, cette brève réflexion se donne pour mission de restituer la portée historique de la démission des autorités tant coloniales que congolaises au travers des gouvernements qui se sont succédé dans le temps sans omettre la part de l’activisme de toute la cohorte de leaders politiques à l’esprit séparatiste, gage de leur positionnement et de leur repositionnement égocentriste.

Ainsi, pour bien étayer notre analyse, cette étude s’articule autour de trois points. Le premier circonscrit le concept d’originaire dont l’usage traduit le symbole de l’exclusion de l’autre dans un pays où la Constitution confère à chaque natif, le statut de citoyen jouissant de tous les avantages y rattachés sur l’ensemble du territoire national. Le deuxième dégage les logiques d’actions justifiant la démission des autorités politico-administratives face à leur devoir républicain de construire une conscience transtribale en RDC. Le troisième indexe les acteurs de la pérennisation de l’idéologie ethniciste et débouche sur des illustrations géopolitiques antagoniques au Congo-Kinshasa. Une brève conclusion met un terme à cette étude.

148 SHOMBA KINYAMBA S., "La jeunesse estudiantine de Kinshasa : un vain espoir pour l’unité nationale", L’Université de Kinshasa : un site académique ou une "colline" d’enjeux de lutte ?, Kinshasa, MES, 2007.

I. DE LA NOTION D’ORIGINAIRE ET DE SON CHAMP D’APPLICATION

Avant de scruter la signification du terme originaire, il nous semble utile de faire remarquer que son usage courant en RDC ne renvoie pas à la congolité mais plutôt à des spécificités internes qui évoquent l’exclusion des autres fussent-ils des Congolais à part entière.

En effet, synonyme d’indigène, d’autochtone, d’aborigène, de natif, originaire signifie dans le contexte de cette recherche, « personne dont la provenance est liée à un pays, à un lieu donné ».

Ainsi que nous l’avons annoncé d’entrée de jeu, la notion d’originaire renvoie, aujourd’hui, en RDC, moins au pays, mais plus, au terroir (lignée, clan, village, groupement, chefferie, territoire, district, province, Est ou Ouest du pays). Il s’agit ici, comme pour paraphraser Gilbert Malemba, d’un « autochtonisme »149 conférant aux descendants tous les droits de sol et autres leur légués par leurs aïeux même mythiques. Ceux-là sont tenus d’affirmer et de défendre ces droits quasi inaliénables, n’en déplaisent aux pouvoirs d’Etat, fussent-ils unitaristes.

C’est dans cet ordre d’idées que les Congolais étaient parvenus à piéger l’indépendance nationale qu’ils vont faire voler en éclats par des sécessions, des rebellions et des guerres civiles. L’identité nationale n’ayant pas réussi à être opératoire, les provinces furent conçues comme étant l’apanage de la parenté. Des groupes, se réclamant des dignes descendants des ancêtres, garants des terres, se sont octroyé l’autorité ainsi que les droits exclusifs de propriété et de gestion des entités administratives localisées sur ces terres. Plus loin, G. Malemba précise qu’au lieu que le pays soit une entité administrative gérée par l’Etat pour le compte de la nation conformément à la Constitution, il devient plutôt une entité gérée par des parentés qui se confrontent et s’affrontent150. Des expressions telles que originaire/non originaire, chez nous/ chez vous, défient le statut de citoyen congolais consacré par la Loi fondamentale.

A vrai dire, la nation intériorisée pour et par les Congolais se réfère d’abord, avant tout et fondamentalement, suivant l’étendue de l’enjeu, à telle ou telle entité précitée plutôt qu’à l’Etat-Nation. Ce qui explique déjà que la conscience nationale soit en RDC, un idéal toujours fuyant. Cet état de chose incombe aux dirigeants à qui revient la charge de sécréter l’esprit et d’encadrer la diversité culturelle en faveur de l’émergence d’un espace de vie où la méritocratie aura préséance sur le quota naturel reposant sur l’ethnicisme. C’est la matière abordée au point suivant.

II. DES LOGIQUES D’ACTION DES DIRIGEANTS

Sous cette rubrique, nous nous efforçons de dégager les soubassements qui rendent compte de la démission de différentes classes politiques qui ont eu à présider aux destinées du pays vis-à-vis de la mise en œuvre d’une nation. Commençons par le pouvoir colonial.

149 MALEMBA M. N’SAKILA G., L’identité post-tribale au Congo-Kinshasa, Kinshasa, MES, 2003, p. 39.

150 Idem, p. 44.

OBSESSION IDENTITAIRE SOUVERAINISTE ET EXCLUSIONS URBAINES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO par

Sylvain SHOMBA KINYAMBA

OBSESSION IDENTITAIRE SOUVERAINISTE ET EXCLUSIONS URBAINES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

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2.1. La période coloniale

Comme d’aucuns le savent, l’actuelle République Démocratique du Congo est la fille du traçage des frontières effectué, à Berlin, en Allemagne, en 1885. Dans cet immense territoire se trouvaient disséminées des populations organisées en sociétés segmentaires autour des doyens de lignages alors que d’autres étaient gérées sous des régimes à pouvoir autocratique (empire) ou sacré (royaume). Chaque peuple avait conscience de sa distinction et de son autonomie par rapport à d’autres. Des contacts historiques entre ces peuples sont répertoriés et l’on sait qu’ils furent tantôt coopératifs tantôt hostiles et tantôt meurtriers. Tout cela atteste, si besoin en était, de la prise de conscience de leur spécificité et de leur existence autonome. C’est dans ce contexte que fut proclamé l’Etat Indépendant du Congo dont la configuration ethnique demeure telle jusqu’à ce jour à la suite notamment de la pérennisation de l’autorité coutumière par le pouvoir moderne.

Restons encore dans le contexte colonial pour dégager les logiques du désintéressement de l’autorité coloniale vis-à-vis de l’érection de l’Etat-Nation. Comme l’écrit G. Malemba, « l’œuvre coloniale axa ses actions sur une visée essentiellement géographique, politico-administrative et surtout économique. Sur le plan culturel et idéologique, l’Etat colonial n’a pas jeté les jalons d’une nation ni favorisé l’émergence d’une société globale à base commune151 ».

D’ailleurs, il ne pouvait en être autrement, dès lors que l’on sait que « diviser pour régner » a été un des principes de base du pouvoir colonial. En outre, le contraire aurait étonné, car la promotion de la conscience nationale aurait été une arme fatale contre le règne des colons. Toutefois, pour assurer un semblant de paix nécessaire à une exploitation rentable de la colonie, durant la période coloniale, un pouvoir contraignant avait imposé la coexistence pacifique aux différents groupes ethniques, sans pour autant réussir à aplanir complètement les différends traditionnels qui les opposèrent.

En général, les populations d’alors n’étaient guère perçues comme un peuple mais plutôt comme des peuplades. En définitive, il s’est créé « un vide dans la représentation collective des prérogatives ultimes de l’Etat colonial, notamment celles de la prise en charge de la globalisation et de la formation sociale. En lieu et place de celles-ci, il y eût plutôt consolidation de la diversité des tribus et des ethnies ainsi que la différenciation des entités ». Dans cette logique, pour le colonisateur, un Mungala, un Tchokwe, un Mutetela ; n’était que Mungala, Tchokwe, Mutetela et non Congolais qui fut jadis une dénomination de figuration.

A ce propos, la révolte dénommée Révolte de Batetela à Luluabourg en constitue une révélation patente, car par le simple fait que cette action ait été menée sur instigation des commandants de souche tetela, en dépit de l’implication spontanée des troupes aux origines ethniques diverses, le pouvoir colonial n’a pas trouvé mieux que de la baptiser ainsi plutôt que révolte des troupes congolaises de Luluabourg. C’est à juste titre que Gilbert Malemba rapporte qu’à cette époque, « l’individu était même identifié suivant le pallier inférieur de la société, à savoir son clan, son village, sa tribu152 ».

151 MALEMBA M. N’SAKILA G., op�cit., p. 43.152 Idem.

2.2. La période post-coloniale

Les écrits de Samba Kaputo et de Ilunga Kabongo respectivement auteurs de Phénomène d’ethnicité et conflits ethno-politiques en Afrique noire postcoloniale et de la Problématique de l’intégration nationale nous guident dans ce débat. En guise d’introduction, il importe de souligner qu’en matière d’intégration nationale, après la décolonisation, égale pendant la colonisation. Le gouvernement congolais a perpétué l’héritage colonial en dépit de quelques velléités des principes contenues dans les textes légaux dont la constitution et au travers des slogans et projets de société de plusieurs partis politiques. Parmi les logiques marquantes d’actions ethnicistes figurent :

- L’inféodation des dirigeants à leurs communautés d’origine et assimilées. En effet, les dirigeants se retrouvent ordinairement pris en otage par les « leurs » qui se convainquent d’être aussi du pouvoir153. Ceux-ci se constituent en pouvoir parallèle, orientatif. Ils exercent une pression constante sur les frères dirigeants et se livrent au trafic d’influence.

- La garantie de fidélité et de sécurité dont ont besoin ces dirigeants pour conquérir et se maintenir au pouvoir. Cette logique fait passer la tribu pour une base ou un fief naturel du leader toujours en quête de positionnement et du repositionnement politique. Ils ne se comptent pas, ces leaders, qui profitent de cet acquis pour faire du chantage capable de satisfaire leurs désidératas.

- La subordination du pouvoir au lobbying intérieur et extérieur participe aussi au noyautage de l’unité nationale. A ce sujet, qu’il nous suffise de nous rappeler des ingérences de certaines puissances internationales à des règlements de conflits ethnico-politiques (la sécession katangaise orchestrée par la Belgique, la quête d’hégémonie tutsi pilotée par des puissances occidentales,…). Au plan interne, les chantages des provinces dites riches (Katanga, Bas-Congo,…) comme certaines organisations non gouvernementales (Eglise catholique, organisations des droits de l’homme sans oublier certains grands partis politiques de l’opposition,… font biaiser certaines décisions du gouvernement central mettant ainsi en mal la conduite de l’Etat et l’unité nationale.

- Les dividendes promises aux alliés politiques par le vainqueur d’une élection présidentielle par exemple. L’accomplissement d’une telle promesse conduit souvent à son inféodation qui engendre une répartition inégale des postes et avantages. Ce qui est nuisible à la consolidation de l’équilibre et de l’unité nationale.

- L’instauration de la politique de gestion des entités administratives par les originaires pour des raisons supposées d’efficacité liées à leur meilleure connaissance du milieu et à leur engagement à transformer durablement la contrée dont ils sont eux-mêmes natifs. Rationnelle certes, est cette politique qui, néanmoins ratifie les clivages ethniques et qui, toute proportion gardée, est loin de nous faire oublier l’administration de territoriaux autrefois basée sur une compétence et sur une expérience éprouvée. Toutefois, cette dernière fut noyautée par le régime monopartiste instauré au cours de la Deuxième République. Ce qui va servir

153 SHOMBA KINYAMBA S., "Profil et typologie des électeurs Congolais", in MES, n° 70, Kinshasa, septembre-octobre 2012.

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d’alibi pour la mise en place de l’actuelle gestion par des originaires.

- La pérennisation de l’identité ethnique au détriment de l’identité citoyenne. En effet, la carte d’identité au Congo renseigne la province, le district, le territoire, la chefferie, le groupement et le village sans que les pouvoirs publics n’en donnent explicitement la raison et cela rappelle, à tous et à chacun, que tout en étant « Congolais », on est d’abord et avant tout et l’on demeure de tel patelin. S’agit-il, alors, d’une politique délibérée ou d’une reconduction servile ou naïve de l’héritage de l’administration coloniale ? Là n’est pas notre propos qui se limite à relever cette forme d’identité nuisible à l’unité nationale. La nationalité se trouve ainsi n’être qu’une conséquence plutôt que l’essence d’une citoyenneté commune.

Une analyse politologique s’avère importante à ce niveau. En effet, à la suite de Samba Kaputo, « l’explication de l’ethnicité et conflits ethno-politiques repose d’abord et essentiellement sur les notions de crise et d’hégémonie. Les conflits ethniques qui éclatent vers la période des indépendances africaines résultent à la fois, du désir de chaque groupe d’arriver à l’hégémonie et de la crainte de l’hégémonie des autres154 ».

Partant de ce cadre général, l’auteur spécifie quelques cas particuliers qui alimentent les conflits ethno-politiques, à savoir que :

- L’accès au pouvoir d’Etat donne une emprise sur l’économie beaucoup plus que l’inverse. Au cas où les clivages socio-économiques correspondraient aux clivages ethniques, le conflit qui, au départ n’était que socio-économique finit par prendre une coloration ethno-politique. Dans ce cas de figure, l’élite appartiendrait à une souche venue d’une autre contrée et la masse serait constituée des autochtones du lieu. Autrement dit, c’est cette élite venue d’ailleurs qui détient les arènes de commandement et la masse locale ne se contente alors que de fournir une main-d’œuvre corvéable à souhait. Voilà pourquoi Ilunga Kabongo peut affirmer dans ce même ordre d’idées qu’« il est erroné d’expliquer la dynamique socio-politique en Afrique en terme de simple arithmétique tribale155».

- Au cas où ce clivage ethnique correspondrait au clivage socio-économique, la situation serait explosive, car l’élite ethnique qui est à la fois minoritaire, étrangère et se trouve en face d’une masse formée par la population locale qui possède l’avantage du nombre. Cette masse est, alors, dans le cas du Congo, ordinairement prise en charge par l’élite montante locale, tribalisée, voire surtribalisée et même tribalisante en raison des intérêts de positionnement et de repositionnement hégémoniques156.

154 SAMBA KAPUTO, Phénomène d’ethnicité et conflits ethno-politiques en Afrique noire post-coloniale, Kinshasa, Presses Universitaires du Zaïre, 1982, p. 73.

155 Idem, p.17; lire également G. AUNDU MATSANZA, Etat et partis au Congo-Kinshasa� L’ethnicité pour légitimité, Paris, L’Harmattan, 2010 ; MALEMBA N’SAKILA G., Le choix d’appartenance au clan ou à la nation et les rapports de pouvoir, in NGOIE TSHIBAMBE G. (sous-dir), Identités, ressources naturelles et conflits en République Démocratique du Congo� Défis méthodologiques et voies de sortie, Paris, L’Harmattan, 2013.

156 SAMBA KAPUTO, op� cit�, p. 97.

Il ressort de ce qui précède que les autorités publiques qui se sont succédé depuis la colonisation à nos jours ne se sont pas investies dans l’érection de la conscience nationale des populations congolaises. Celle-ci est à bâtir sur la paix, la justice et le travail consacrée en principe par la devise nationale. Cette démission est tantôt délibérée tantôt inconsciente. Pour mieux nous représenter et mesurer l’impact des antagonismes intergroupaux en RDC, il nous revient d’indexer des fossoyeurs actuels de l’unité nationale ainsi que des illustrations parmi les plus tangibles qui ont cours au sein des sociétés congolaises. C’est la matière abordée au point suivant.

III. ACTEURS ET ILLUSTRATIONS DE L’ETHNICITE

3.1. Des acteurs

Sans aucune prétention d’exhaustivité, l’observation de la société congolaise permet de distinguer trois principales catégories d’agents dont les propos, les actes et les comportements favorisent, de nos jours, la fragmentation de l’unité nationale en RDC.

3.1.1. Associations culturelles

L’expression « association culturelle » renvoie spontanément à l’idée d’un regroupement apolitique. Ce genre de regroupement se dote des statuts ouvrant à des activités de développement du terroir d’origine. Les rencontres sont habituellement agrémentées par des groupes folkloriques qui leur confèrent une identité bien spécifique. Mais, à les observer de près, on a affaire à un arbre qui cache la forêt. Ainsi que le souligne Samba Kaputo, « le rôle des associations ethniques, est de favoriser la conscientisation ethnique des groupes. L’intégration est conditionnée par la compétition politique entre différents groupes d’intérêt et par l’existence de multiples liens d’affiliation des membres157 ».

Habituellement, à l’occasion d’une nomination à un poste politique important, à la gestion d’une entreprise de portefeuille de l’Etat, à un poste de commandement militaire et autres, par exemple, le lauréat est reçu en une soirée festive par son association « culturelle ». A cette occasion, celui-ci subit une cure de lavage de cerveau, car l’intérêt et la vie du groupe en dépendent. De là, il saute donc aux yeux de quiconque qu’on est ici en présence des associations socio-politiques plutôt que culturelles tout court. Des idéologies aussi tribalisantes que celle-ci ne sont pas de nature à ménager l’unité nationale.

3.1.2. Les leaders magico-religieux

Dans ce groupe, à titre exemplatif, nous ciblons deux actions magico-religieuses qui ont nui, grandement, à la consolidation de la paix et à l’unité nationale, à savoir le Bundu dia Kongo et le mouvement enyele.

En effet, sous le couvert d’un mouvement religieux, les leaders de Bundu dia Kongo dans la province du Bas-Congo nourrissent des velléités de reconstitution de l’ancien royaume Kongo. Un autre mouvement du genre s’est manifesté dans la province de l’Equateur, avec option d’exproprier, voire d’assujettir des voisins, le groupe monzaya. Alors qu’on s’attendrait à ce que ces mouvements magico-religieux prônent la fraternité, l’amour du prochain, la paix et l’unité, leurs leaders s’en servent pour menacer celles-ci en attisant le sentiment de la haine de l’autre et le morcellement du pays en tant qu’entité incessible. Et pour qui connaît l’audience dont jouissent les pasteurs charismatiques au Congo, on a affaire là, à des menaces redoutables.

157 SAMBA KAPUTO, op� cit�, p. 97.


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3.1.3. Les acteurs politiques

La matière de cette rubrique a été, certes, abordée au point précédant, particulièrement la part des responsabilités des gouvernants. Nous y revenons pour mettre encore du relief, pour spécifier l’influence des aigris politiques et pour mettre à découvert le rôle joué par les nostalgiques et les autorités traditionnelles dans le cadre de la fragilisation de l’unité nationale en RDC.

En ce qui concerne les dirigeants au pouvoir, il importe de relever que leurs calculs et politiciens tendant à conserver le pouvoir, les prédispose à s’engager dans plusieurs cartels et à se livrer à des concessions diverses à même de porter atteinte à l’unité nationale.

S’agissant des aigris qui n’ont pas froid aux yeux, ils ont tendance à proférer des propos séparatistes et mensongers pour le besoin de leur cause. Ce qui ne manque pas de mettre les populations en émoi et même de les inciter à la révolte. Des rébellions successives sont à mettre à leur actif. Le Mouvement de Libération du Congo (MLC), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma), le Mouvement du 23 mars (M23),… constituent une illustration tangible. A cela, il faut ajouter le rôle séparatiste de la quasi-totalité des partis politiques congolais marqués par une coloration ethnique. Pensons ici, notamment à l’UDPS pour les Baluba du Kasaï (dont le leader le plus incontesté est Etienne Tshisekedi/Luba), au PALU pour les populations du Bandundu et plus spécifiquement les Bapende (avec Antoine Gizenga comme leader), au MLC pour les populations de l’Equateur et plus spécifiquement les Ngbaka et les Bangala (le leader est Jean Pierre Bemba/Ngbaka), à l’UFERI pour les populations du Katanga spécifiquement les Rund (leader Ngunz-a-Karl-I-bond).

S’agissant, enfin, des ultra égocentristes, à leur actif, s’alignent des propos et des actes d’intimidation auxquels, ces leaders de mauvais goût, chaque fois qu’ils sont en mal de positionnement, notamment, des chantages tels que : « si la préséance des intérêts de notre province ne sont pas sauvegardés au niveau national ou encore au cas où la gestion des entreprises même de portée nationale implantées dans notre province n’est pas confiée aux originaires, nous allons nous soustraire de votre République ». Pensons ici, notamment aux chantages orchestrés par quelques politiciens carriéristes du Katanga et du Bas-Congo.

En dépit de l’adoption par la RDC du système occidental de gestion de l’Etat, celle-ci n’a pas évacué le pouvoir coutumier. Deux types d’autorités coexistent et se montrent tantôt coopératifs tantôt hostiles. En effet, les chefs coutumiers dont la reconnaissance administrative symbolise des spécificités culturelles ne sont pas amorphes. Soucieux d’affirmer leur souveraineté et leur esprit parfois expansionniste vis-à-vis des régions environnantes (terres, eaux), ces autorités coutumières jouent un rôle clé qui débouche, souvent, sur des rivalités ethniques. Des incendies des villages entiers et même de morts d’hommes sont récurrents, notamment, au Bandundu, au Kasaï Oriental et à l’Equateur, etc.

Ces acteurs tant culturels, magico-religieux que politiques ont réussi à opposer et continuent d’opposer des groupes intra et intertribaux qui se regardent comme chien et chat. C’est ce que nous exposons au dernier point de la présente réflexion.

3.2. Antagonismes ethniques : quelques cas récurrents

La présentation des cas marquants d’adversité ethnique répertoriés par notre enquête en milieu congolais, se situent sur quatre paliers, à savoir : national, inter provincial, provincial et intra ethnique.

3.2.1. Au niveau national

Sous cette rubrique, les oppositions entre Congolais s’affichent d’une double façon. La première renvoie à deux points cardinaux. Est-Ouest. Ce clivage a lieu, notamment, lors de l’élection présidentielle et de la répartition des postes ministériels. A cet effet, les ministères de la Défense Nationale, Intérieure, Finances et Affaires Etrangères constituent habituellement la paume de discorde entre les deux camps. Quant à cette seconde forme d’opposition de portée nationale, elle singularise les ressortissants de l’ethnie à laquelle appartient le Président de la République qui se trouvent ainsi « jalousés », voire pris en méfiance par le reste de Congolais à l’idée que ceux-là sont les bienheureux voire des agents de renseignements et de sécurité. Les Ngbandi de l’Equateur en savent quelque chose en rapport avec le règne du Président Mobutu.

3.2.2. A Kinshasa, la capitale

Alors qu’on la croirait servir de point d’intersection naturel à tous les Congolais de quelque provenance que ce soit, la Ville de Kinshasa se présente plutôt comme un champ de bataille ethniciste. Cependant, la lutte de son appropriation n’est étonnement pas menée par ses originaires indéniables que sont les Teke-Humbu, mais plutôt par les populations qui ont, autrefois, relevé administrativement de l’ex province de Léopoldville. Il s’agit en clair, des populations qui, bien que juridiquement et administrativement réparties dans les provinces du Congo central, du Kwilu, de Maï-Ndombe et du Kwango depuis des lustres ne lâchent pas la capitale Kinshasa. Elles la tiennent politiquement parlant pour leur chasse gardée alors que leurs propres provinces constituent pour elles, un acquis revendiqué par personne.

Cet entêtement se réfère à la fois à l’ancienne appartenance à la défunte province de Léopoldville et à l’adhésion à l’idéologie de la géopolitique : Est/Ouest. A ce dernier argument, ces nostalgiques se complaisent à inclure sans vergogne Kinshasa dans ce qu’ils nomment le bloc Ouest. Ainsi, devient-il, bien sûr à coups de pression quasi naturelle de confier la gestion de Kinshasa, pourtant capitale de toute la République Démocratique du Congo, à ces pseudo-autochtones. Mais en face, les autres Congolais ne l’entendent point de cette oreille, car pour eux, Kinshasa se doit d’être cette ville neutre, mieux cosmopolite. Cet état de choses crée et alimente des frustrations, des tensions, des conflits interminables. D’où Kinshasa passe pour champ de bataille ethniciste, un terrain fertile à l’exclusion.

3.2.3. Au niveau inter provincial

- Opposition entre les luba du Kasaï et les populations du Katanga qui s’explique par l’’antagonisme né de la confrontation entre une élite minoritaire face à une masse d’autochtones composée d’une main-d’œuvre sans qualification.

- Epuration ethnique concoctée au cours de la décennie 90 et qui a abouti à l’exclusion de Kisangani, des non originaires de la Province Orientale. L’expression swahili «kila mamba na kivuko yake» (Chaque crocodile a sa rive) immortalise cette haine ethnique.

- Rivalités entre Kusu (Kambelembele) et Shi à Bukavu (cause cfr cause Luba et Katangais).

- Opposition entre Luba et Lulua à Luluabourg même raison que pour les Kusu et les Shi.

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3.2.4. Au niveau provincial

L’entité provinciale à laquelle de nombreux congolais revendiquent le statut d’originaire est loin d’être culturellement homogène et harmonieuse. C’est, à notre avis, le palier qui regorge le plus de luttes inter ethniques. Ces luttes sont, selon les cas, hégémoniques et/ou foncières (économiques). Parmi les plus opposées, l’histoire rapporte les cas ci-après :

* Province Orientale- Lendu et Hima- Topoke et Lokele

* Province du Sud Kivu- Shi et Lega- Bavira et Bafuliro - Babembe et Banyamulenge

* Province du Nord Kivu- Nande et Tutsi- Hunde et Hutu

* Province du Maniema- Kusu et Lega

* Province Bandundu- Yansi et Mbala- Yansi et Yaka- Pende et Mbala- Tende et Nunu

* Province du Bas-Congo- Yombe et Ntandu- Yombe et Vili- Ntandu et Vili

* Province du Kasaï Oriental- Luba et Tetela- Songye et Luba

* Province de l’Equateur- Equateur Nord et Equateur Sud- Mongo et Twa- Monzaya et Enyele

* Province du Katanga- Nord-Sud- Balubakat et autres ethnies provinciales (Sud).

* Province du Kasaï Occidental- Lulua et Bindji- Lulua et Kete

4.4. Au plan intra ethnique

- Tetela de la savane et ceux de la forêt (Kasaï Oriental).- Lulua de Katawa et ceux de Mutombo (Kasaï

Occidental).- Bena Tshibanda et Muntu wa Mukuna (Kasaï Oriental).- Songye de Kabinda et Songye de Lubao (Kasaï Oriental).- Shi de Kabare et Shi de Walungu.

CONCLUSION

Quelles leçons tirer de cet exposé combien saisissant au sujet des conséquences de ces velléités ethniques souverainistes sur l’unité nationale de la République Démocratique du Congo?

Le premier résultat qui saute aux yeux est que la richesse socioculturelle du Congo a été peu ou pas du tout gérée de manière responsable en termes de conscience nationale-gage de développement de tout Etat. L’Etat-Nation a, depuis la colonisation, été noyauté par des leaders et des faiseurs d’opinions aux intérêts sectaires. Ceux-ci se recrutent aussi bien de l’univers politique, religieux que culturel. Des rivalités ethniques de tous ordres foisonnent sur l’ensemble du territoire national et elles s’observent aussi bien aux niveaux nationaux, interprovincial, provincial qu’au niveau intra ethnique. A vrai dire, en RDC, la réalité de la nation renvoie plus à ces groupements à base parentale fictive qu’à un Etat bien structuré qui met ensemble tout le monde et qui domine ces velléités ethniques de tout bord et d’où qu’elles viennent.

Cependant, comme cette œuvre destructrice relève plus des idéologies et des propos sectaires des quelques leaders plutôt que des masses congolaises, la remise en question de la situation épinglée dans cette étude n’a pas encore atteint le point de non retour. La RDC a donc besoin d’une nouvelle race d’élites pour changer le gouvernail en vue de forger la conscience nationale au sein de son peuple capable de façonner le destin commun sans lequel la RDC ne saurait assurer l’érection d’une nation moderne digne au cœur de l’Afrique. Il est donc nécessaire d’assurer une éducation de qualité, une redistribution équitable de revenus nationaux et une justice équitable à tous pour libérer et rassurer tout le monde. C’est vers ce point que tous les efforts devraient être convergés en vue de faire affranchir tous et chacun de la tutelle ethnique séparatiste nuisible à l’unité nationale.

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INTRODUCTION

L’étude de l’importante et complexe question de la pauvreté dans les villes congolaises n’est pas chose aisée dans la mesure où elle se butte à un certain nombre de limites ou de contraintes à savoir : la spécificité des contextes, la rareté des données factuelles pertinentes sans oublier le sens différencié du concept de ville dans le cas congolais. Voilà qui commande une approche intégrée combinant les dynamiques sociétales, les modes de gouvernance urbaine, provinciale et nationale tout en considérant divers processus d’urbanisation, de production et d’aggravation des inégalités et de génération des violences urbaines.

En effet, il est prouvé notamment que se sont les inégalités d’ordre politiques qui exercent une forte influence sur les autres types d’inégalités socioéconomiques et partant sur les vulnérabilités et la pauvreté.

Aussi convient-il d’aller au-delà des données des DSCRP et des profils provinciaux de la pauvreté élaborés par le PNUD il y a quelques années, de façon à prendre en compte également les relations villes-campagnes ainsi que les soubassements de la superstructure culturelle.

L’ensemble des éléments d’appréhension développés ci-haut plaide donc pour l’enrichissement des outils d’analyse théorique et empirique.

Les agglomérations urbaines concernées ici, celles de Kinshasa et de MBUJIMAYI, comptent respectivement 9.373.00 habitants et 7.230.00 habitants (PNUD 2014).

Du point de vue empirique, il s’agira de se focaliser sur la pauvreté en tant que réalité vécue. Ce qui postule de la saisir à travers ses causes, ses manifestations, ses indicateurs ou ses paramètres.

On ne peut cependant clore cette brève introduction sans dire un mot sur la conceptualisation de la pauvreté. A ce propos, il est bon de reconnaitre qu’il n’existe pas de définition unanimement reconnue. Aussi son meilleur éclaircissement nécessite-t-il d’évoquer plusieurs définitions dont entre autres :

celle d’ordre monétaire qui mesure la pauvreté à partir du niveau de revenu ou de la consommation ;

celle qui privilégie les besoins essentiels à satisfaire pour ne pas être considéré comme étant pauvre ;

celle enfin d’exclusion sociale, principalement utilisée dans les pays industrialisés.

Face à cette diversité conceptuelle, le PNUD a tenté, lors du Sommet Social du Copenhague, de clarifier la notion de pauvreté en insistant sur son caractère multidimensionnel : absence de revenu et de ressources productives suffisantes, faim et malnutrition, mauvaise santé et morbidité accrue, insuffisance de logement, environnement insalubre, discrimination, inégalité et exclusion.

En 2001, les Nations Unies ont eu à considérer que la pauvreté s’assimile à toute condition dans laquelle se trouve un être humain, privé de manière durable ou chronique des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité, du pouvoir ainsi que d’autres

droits civils, culturels et socioéconomique nécessaires pour jouir d’un niveau de vie suffisant. (Comité des droits économiques socioculturels de l’ONU, 2001).

I. DIVERSES APPROCHES THÉORIQUES

I.1. Approche spatiale

Les études privilégiant l’approche spatiale tâchent de caractériser la pauvreté dans sa relation avec la configuration de l’espace urbain. Elles offrent la possibilité de saisir les inégalités et la discrimination sociale dans l’occupation de l’espace urbain. Pour la plupart, leurs démarches sont descriptives et fonctionnalistes, consistant à caractériser la dégradation des conditions sociales des populations. Elles ont pour mérite la description des conditions socio-matérielles de différents quartiers de ces deux villes. Cependant, ces théories d’analyse fonctionnaliste procèdent par le morcellement des problèmes de la pauvreté. Chaque dimension de la pauvreté pouvant être analysée sans connexion avec les autres. Il s’agit, dans cette perspective, des démarches moins outillées, incapables d’intégrer la dimension complexe du phénomène de la pauvreté. Cela dit, la lecture de la pauvreté, à Kinshasa comme à Mbuji-Mayi, par les approches ou théories fonctionnalistes se limite souvent à visualiser les problèmes, sans ressortir leurs véritables soubassements. A ce titre, elles ne parviennent pas d’envisager les possibilités réelles de lutte contre les inégalités ou les phénomènes de pauvreté décrits. Dans la ligne de ce courant d’approche spatiale, nous pouvons mentionner les études suivantes :

- Marc Pain (1984), dans « Kinshasa, la ville et la cité », tâche de nous révéler les aspects de la dégradation de la ville ancienne, le sous-équipement de la ville récente, les déséquilibres de croissance et la crise de société depuis l’année 1974. Mais il analyse aussi la pauvreté de la masse citadine à Kinshasa exprimée par les conditions difficile de la vie. (Pain M. (1984), Kinshasa la ville et la cité, Paris, Editions de l’ORSTOM, 267p.).

- René de Maximy (1984), dans son œuvre intitulée « Kinshasa, ville en suspens, dynamique de la croissance et problèmes d’urbanisme. Approche socio-politique », rend compte de la prolifération des extensions excentriques à Kinshasa, conséquentes à la combinaison de la croissance démographique, le flux migratoire et le laisser-aller dans le monde de développement de nouveaux quartiers. (René de Maximy (1984), Kinshasa, ville en suspens, Paris, Ed de l’ORSTOM, 476p.).

- Mik Missaboko, dans la même vision que Pain et de Maximy, dévoile le développement ségrégationniste de l’espace urbain à Kinshasa, marqué par le clivage, d’abord entre quartiers européens et africains, puis entre ce que les kinois appellent aujourd’hui ville et cité ou quartiers résidentiels et quartiers populaires. A ce sujet, si la ville ou les quartiers résidentiels sont les lieux d’une vie aisée, les quartiers populaires quant à eux sont marqués par une grande pauvreté. (Mk Missaboko, Kinshasa et dynamique urbaine).

- Michel Lusamba Kibayu (2008/1), analysant « la typologie des quartiers dans l’histoire du développement

APPROCHE THEORIQUE ET EMPIRIQUE A L’ETUDE DE LA PAUVRETE URBAINE EN RDC : NOTE DE REVUE DE LA LITTERATURE

parJustin KANKWENDA MBAYA, François MUKOKA NSENDA et Willy MBALANDA LAWUNDA

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de Léopoldville-Kinshasa en RDC, nous rend compte des effets de la dynamique démographique sur les ressources nécessaires à la satisfaction des besoins urbains et sur le cadre de vie. A ce propos, l’interaction entre les dynamiques démographiques, l’urbanisation et l’environnement reste marquée par la dégradation des conditions sanitaires, l’occupation spontanée et anarchique de l’espace, et donc, la dévalorisation du cadre de vie. (Lusamba Kibayu M. 2008/1, « La typologie des quartiers dans l’histoire du développement de Léopoldville-Kinshasa en ré publique Démocratique du Congo », in Territoires et Développements durables, UCL, Notes de Recherche, 70p.)

- Francis Lelo Nzuzi (2008), dans « Kinshasa, ville et environnement », rend compte des problèmes environnementaux consécutifs à la croissance spatiale et anarchique de la ville de Kinshasa. Face à l’insalubrité croissante dans les quartiers Kinshasa, l’auteur révèle les tentatives de la prise en main des quartiers populaires par leurs habitants respectifs. (Lelo Nzuzi F., (2008), Kinshasa ville et environnement, Paris, l’Hamattan, 285p.).

- Francis Lelo Nzuzi (2011), dans « Kinshasa planification et Aménagement », met en exergue la croissance anarchique de la ville de Kinshasa et la production des gigantesques quartiers pauvres qui s’y développent. (Lelo Nzuzi, F. (2011), Kinshasa planification et Aménagement, Paris, l’Harmattan 384p.).

- Mavungu Konde (2010), dans l’urbanisation et politique d’assainissement à Kinshasa/Bumbu tente de comprendre les facteurs à la base de l’insalubrité dans la commune de Bumbu, les raisons qui font que la stratégie d’assainissement mise en place ne réussit pas à éradiquer l’insalubrité. (Mavungu Konde (2010), urbanisation et politique d’assainissement à Kinshasa/Bumbu. Contribution pour une viabilisation environnementale durable, mémoire de D.E.S en sociologie, Université de Kinshasa).

I.2. Approche de type causal

Le deuxième courant d’approche raite des relations de causalité pour tenter de saisir les effets d e la pauvreté sur les conditions de vie des citadins. On peut intégrer dans cette catégorie l’approche institutionnelle ou en terme de la faillite de l’Etat. Ce modèle d’analyses est aussi fonctionnaliste et descriptive comme dans le premier cas. Les études corroborant à cette démarche ont l’avantage de mettre à nue les conséquences négatives de la pauvreté sur la vie des citadins kinois comme ceux de Mbuji-Mayi. Mais elles restent aussi limitées pour prendre en compte la dimension complexe du phénomène de la pauvreté. Dans cette perspective, nous pouvons répertorier les études suivantes :

- Le Conseil régional des ONGS de développement au Kasaï et al. (2011) présentent le visage de la pauvreté au travers les enfants qui travaillent dans les mines de diamant au Kasaï-Oriental. L’objectif de leur étude est d’attirer l’attention des décideurs et de la Communauté internationale sur le fait que les richesses naturelles ne contribuent pas réellement à l’amélioration des conditions de vie locales. Au Kasaï-Oriental, notent-ils, la présence de richesses minières a partagé l’abandon des études, la clochardisation, la prolétarisation, la prostitution précoce des filles ainsi que les violations massives des droits des enfants, dans le cadre d’une

« économie de prédation minière » (Le Conseil Régional des ONGS de Développement (CRONGD) au Kasaï-Oriental, Le Centre d’Etude et de Formation Populaire pour les Droits de l’Homme (CEFOP/DH) et le Groupe d’appui aux Exploitations des Ressources Naturelles (GAERN) (2011), sur le chemin de la mine. Quelles perspectives pour les droits de l’enfant des mines au Kasaï-Oriental).

- Dans un rapport de la Banque Mondiale sur la situation sanitaire et la pauvreté en RDC, les experts tentent d’analyser la situation sanitaire, nutritionnelle et démographique de la RDC, afin d’éclairer le gouvernement dans la définition de la stratégie de développement du secteur de la santé, spécialement dans le contexte de l’élaboration du Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSCRP). Il s’agit d’un rapport qui met en lumière la problématique de la pauvreté dans le secteur de santé en partant d’une analyse des résultats de santé, de nutrition et de population de la RDC ainsi que les progrès vers l’atteinte des objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) (Banque Mondiale (2005), santé et pauvreté en République Démocratique du Congo : analyse et cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, 13 mai).

- RDC/UNICEF, dans un rapport sur la pauvreté des enfants et disparités en RDC, tâche de rendre compte des privations dont souffrent le plus les enfants et la détermination des atouts et contraintes qui permettent de les supprimer. L’étude, ainsi menée, cherche à établir les niveaux de la pauvreté monétaire et non monétaire en RDC (RDC/UNIOCEF (2008), Pauvreté des enfants et disparités en RDC).

- Les Actes des troisièmes journées scientifiques de la Faculté des Sciences Sociales, Administratives et Politiques de l’Université de Kinshasa tentent de situer les causes de la pauvreté en RDC dans l’environnement socio-culturel et la gestion politique interne et externe qui règnent dans ce pays (FSSAP/UNIKIN, « Les Sciences sociales face à la lutte contre la pauvreté en RDC » (2006), Actes des 3ème journées de la Faculté des Sciences Sociales, Administratives et Politiques de l’Université de Kinshasa, 180p).

- Grevisse Ditend Yav, dans une publication sur l’emploi et la pauvreté en Afrique subsaharienne, porte un regard sur les causes de la pauvreté dans les pays de cette région du monde. A ce sujet, l’auteur s’appui sur une thèse partagée par d’autres chercheurs, selon laquelle, le manque de discipline collective, la mauvaise gouvernance, l’irrationalité des dirigeants qui, dans leurs conduites quotidiennes privilégient les intérêts égoïstes, au détriment des intérêts collectifs sont les principales causes de la pauvreté en Afrique au Sud du Sahara. L’impunité, la crise des valeurs morales, note-t-il, sont autant de facteurs à l’avant plan des contre-performances africaines (Grevice Ditend Yav (2006), Emploi et pauvreté en Afrique subsaharienne, Mediaspaul, 128p).

- Antoine Batamba Balembu (2007) tâche de mettre en évidence la relation existant entre corruption et pauvreté en RDC. Dans son analyse, l’auteur pense que la corruption est destructrice des services publics et réduit l’accès de la population aux services sociaux de base. Dans ce pays, note-t-il, la mauvaise rémunération


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des agents de l’Etat et l’inefficacité d’un mécanisme de régulation favorisent la corruption. Pour combattre la corruption, Batamba plaide pour la réhabilitation de l’autorité de l’Etat, de l’appareil judiciaire et la réforme de l’administration publique. (Antoine Batamba (2007), Interaction entre corruption et pauvreté en République Démocratique du Congo. Cas des conducteurs des taxis et taxis-bus, et des agents des régies financières, rapport de recherche n° 1, observatoire de Développement Humain et Social « ODH », in Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES).

- Jacques Nakamwambila Kiadiamuyika et Claudine Kabanga (2007), dans la même ligne d’analyse qu’Antoine Batamba, ont examiné l’impact de la pauvreté sur la corruption observée, sans gène, chez les policiers de roulage et les taximen dans la ville de Kinshasa. (Jacques Nakamwambila Kiadiamuyika et Claudine Kabanga Kazadi (2007), impact de la pauvreté sur la corruption chez les magistrats, les policiers de roulage et les taximen à Kinshasa, rapport de recherche n° 7, Observatoire de développement Humain et Social « ODH », in Intitut de Recherche Economiques et Sociales (IRES).

- Hortense Shidi Ihemba (2007), quant à elle, relève l’accès difficile aux soins de santé dans les quartiers périurbains de Kinshasa du fait d’une pauvreté de masse. A en croire l’auteur, dans le secteur de santé, le financement des soins de étant totalement laisser à la population pauvre, ne permet pas à cette dernière d’en avoir accès. Par conséquent, on y enregistre des taux élevés de morbidité et de mortalité. (Hortense Shidi Ihemba 2007). L’accès aux soins de santé et la pauvreté dans la zone de santé rurale de Maluku (Ville Province de Kinshasa), Rapport de recherche n° 2, observatoire de Développement Humain et Social « ODH », in institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES).

- Godefroid Sinzidi Kabuki (2007), dans une recherche consacrée à la commune urbaine de Selembao, rend compte de l’état de pauvreté liée à l’accès à l’eau dans ce quartier d’extension. Son étude met en exergue la précarité des infrastructures et services de base dans les territoires d’extensions et périurbains de la ville de Kinshasa. A l’instar de la commune de Selembao, le manque d’accès à l’eau et à l’assainissement constituent l’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés beaucoup d’autres quartiers de la ville. (Godefroid Sinzidi Kabuki (2007), Eau et pauvreté des ménages dans la ville province de Kinshasa. Cas de la commune de Selembao, Rapport de recherche n° 4, Observatoire de Développement Humain et Social « ODH », in Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES).

- Francis Lelo Nzuzi et Claudine Tshimanga Mbuyi (2004), dans une enquête publiée en 2004, décrivent les problèmes de la pauvreté dans la ville de Kinshasa, en référence avec des indicateurs précis (pourcentage de ménages dépourvus d’eau potable, d’électricité, de toilette, de système d’évacuation des eaux usées,…). (Lelo Nzuzi, F. et Tshimanga Mbuyi, Cl. (2004), pauvreté urbaine à Kinshasa, Utrecht, éd. Cordaid 167p.).

- Willy Mbalanda Lawunda, dans une recherche sur l’urbanisation et la malaria à Kinshasa, relève les pratiques sociales générées par les acteurs urbains, non

conformes aux normes urbanistiques, conditionnant la prolifération de moustiques et l’expansion à grande échelle de la maria, principalement dans les quartiers pauvres. (Mbalanda Lawunda, W. (2008), Urbanisation et malaria à Kinshasa : Essai d’une sociologie de santé publique en République Démocratique du Congo, Mémoire de D.E.S. (Inédit), FSSAP, université de Kinshasa).

- Kaba-Kaba Mika Alphin, quant à lui, rend compte de la motivation des activités paysannes à la périphérie de la ville de Kinshasa. La paysannerie, note-t-il, participe, à la fois, aux raisons économiques et socio-culturelles. Il s’agit d’un mode de vie que les migrants transposent en ville comme une dynamique réactionnelle au système urbain qui les marginalise.

- Mbaya Kankwenda et Al. (1999), dans une publication sur la lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne, examine le phénomène de pauvreté à travers l’analyse de son ampleur, de ses tendances et de ses implications fondamentales, notamment des défis qu’elle suscite à différents niveaux (Mbaya Kankwenda et al. (1999), la lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne, Ed. Economica 475p).

- PNUD/RDC, dans son Rapport National sur le Développement Humain, dévoile la mauvaise gouvernance avec comme conséquence la régression de tous les indicateurs de développement humain (difficultés d’accès aux services sociaux de base et la dégradation avancée des cadres de vie). (PNUD/RDC (2000), Rapport National sur le Développement Humain en RDC. Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP)/RDC, Rapport annuel 2005).

I.3. Approche actionniste

La troisième approche, actionniste intégrant aussi les approches de développement humain, considère les citadins victimes de la pauvreté comme des acteurs en lutte contre leurs mauvaises condition de vie. Cette démarche tente d’appréhender les initiatives individuelles ou collectives produites par ces acteurs, en tant que leurs stratégies de défense contre la pauvreté. Elle offre également l’occasion de saisir la perception qu’ont les acteurs de leurs propres situations. A Kinshasa, comme dans beaucoup de ville en Afrique subsaharienne, les analyses de la pauvreté se sont plus inspirées de l’approche définitionnelle de bien-être, cherchant à déterminer le niveau de satisfaction atteint par un individu (perception individuelle) ou en se basant sur ce que l’on estime souhaitable pour l’individu sur le plan social.

Ce courant théorique offre l’avantage de ne pas exclure les citadins pauvres dans toute démarche visant l’amélioration de leurs conditions de vie. Il s’agit, généralement, des approches participatives qui militent pour une intervention multipolaires d’acteurs en vue de résoudre un problème complexe comme la pauvreté. Ces approches sont récentes et commencent d’intégrer les démarches d’analyse de la pauvreté à Kinshasa. Dans cette perspective, nous pouvons citer les études suivantes :

- Le Document intermédiaire de réduction de la pauvreté (DSCRP-I) en RDC, dans démarche axée sur la dynamique de la population, met l’accent sur le rôle joué par les organisations communautaires de base dans la vie quotidienne des populations et surtout dans leurs activités de résistance contre la crise. Il propose que ses expériences relevant des expériences propres aux

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populations soient identifiées aux fins d’en renforcer la gestion et d’en diffuser les acquis auprès d’autres initiatives (RDC/Document intermédiaire de stratégie de réduction de la pauvreté, Kinshasa, 2002)

- Willy Mbalanda Lawunda, dans sa recherche sur les vulnérabilités spatiales à Kinshasa, rend compte des stratégies développées par les acteurs de quartiers pauvres, en tant que leurs moyens de défense contre les vulnérabilités quotidiennes dans leurs territoires de vie, dans une démarche postulant l’auto-prise en charge de la population. Son objectif était de réaliser, ensemble avec les acteurs concernés, des principales contraintes aux différents processus de transformation mis en œuvre, afin d’en arriver à suggérer quelques piste de sortie pour l’amélioration des capabilités des actions locales dans les quartiers pauvres. (Willy Mbalanda Lawunda (2013), Environnement urbain et vulnérabilités spatiales à Kinshasa. Contribution pour une gestion participative de la salubrité dans les quartiers pauvres, thèse de doctorat en sociologie, université de Kinshasa)

- Pierre Jacquemot (2011) relève le sens inventif de la vie sociale à Kinshasa, malgré la misère de la population. Pour l’auteur, l’énergie de la ville n’est pas rebelle à l’Etat. Mais l’ignore parce que ce dernier se révèle impuissant. Aujourd’hui, note-t-il, les initiatives développées par les kinois imposent de repenser la grille de lecture traditionnelle de la dynamique urbaine, en mettant en avant l’ingéniosité des ressources vitales du comment « vivre ensemble » confronté à toutes les situations hostiles. (Pierre Jacquemot (2011), « Kinshasa, la mégapole sans cesse réinventée », dans les notes de l’Institut de Relations Internationales (IRIS), novembre.

- Floribert Ntungila-Nkama (2010), dans son analyse des pratiques populaires liées à la production et à l’appropriation de l’espace en périphérie de Kinshasa, met en évidence la problématique du territoire dans le contexte marqué par le recul de l’Etat et les conditions de vie précaires. L’auteur souligne le rôle particulier des acteurs populaires comme créateurs de nouveaux lieux de vie, à la fois spécifique et exemplaires, étranges et étrangers, dans le dispositif urbain. (Ntungila-Nkama F. (2000), Pratiques Populaires liées à la production et à l’appropriation de l’espace en périphérie de la ville de Kinshasa (RD Congo), Thèse de doctorat en Sciences politiques et sociale, ULC, Presse universitaires de Louvain).

Michel Lusamba Kibayu, dans une analyse sur le portrait des quartiers populaires à Kinshasa, nous présente trois régulations foncières rivales concourant à la production de la ville de Kinshasa : une régulation formelle basée sur la législation écrite, issue des institutions (Etat et deux régulations autonomes, l’une issue des pratiques coutumières, l’autre appliquant le droit de la pratique (ou le droit intermédiaire) émanant des pratiques populaires. De ces tris formes de régulation, Michel Lusamba estime que celle exercée par les chefs coutumiers permet à toutes les couches sociales, même les plus démunies d’accéder au sol. Elle est par conséquent à la base de la production des quartiers populaires à Kinshasa (RDC) : un territoire, une identité, (En ligne), consulté le 12 janvier 2013, URL : www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/dvlp/documents/lusambakibayu.pd

Theodor trefon (dir) (2004), dans une publication collective, tend à démontrer comment, au-delà de la crise et chao qui semblent régner à Kinshasa, les kinois inventent des nouvelles formes de sociabilité pour relever la pente. (Theodore Trefon (dir) (2004), Ordre et désordre à Kinshasa. Réponses populaires à la faillite de l’Etat, dans Cahiers Africains n° 61-62, Paris, l’Harmattan, 257p.

Mbaya Mudimba et Friedhelm Streifeler tâchent de présenter la dégradation progressive de la situation économique et les stratégies de lutte développées par la population. (Mbaya mudimba et Friedhelm Streifeler (2002), Secteur informel au Congo-Kinshasa. Stratégie pour un développement endogène. Ed. Universitaires Africaines, Kinshasa.

Gertrude Mianda (1996), dans l’analyse des pratiques maraîchères à Kinshasa, démontre que les stratégies et les tactiques des maraichères élargissent le champ d’autonomie de la femme, en favorisant son inclusion dans le jeu du pouvoir. En effet, dans une société congolaise dominée par le pouvoir masculin, les maraîchères de Kinshasa réunissent de mettre les hommes à leur service et contrôlent le travail. Ce qui participe à échanger les structures de la marginalisation de la femme. (Gertrude Mianda (1996), Femmes Africaines et Pouvoir. Les maraîchères de Kinshasa, Paris, Ed. l’Harmattan).

Après avoir établi à travers ce bref inventaire l’état théorique et méthodologique de la question de la pauvreté à travers les villes de Kinshasa et de Mbuji-Mayi, il nous revient à présent de tenter la formulation des éléments de reconceptualisation d e la pauvreté et de la présentation d’une problématique d’une démarche nouvelle.

I.4. Approche par capabilité

L’approche par les capabilités introduite par Amartya Sen, dans ses réflexions sur la lutte contre la pauvreté, est une démarche d’évaluation du bien-être et de la liberté de rechercher le bien-être, en tant qu’il constitue la qualité d’existence d’une personne. Elle constitue, pour l’analyse, une nouvelle perspective par laquelle il est possible de juger raisonnablement les avantages ou désavantages d’un acteur. Ce faisant, elle est une démarche importante d’appréciation des possibilités concrètes dont disposent les acteurs. Cela dit, elle nous aidera à comprendre les capacités et les potentialités que possèdent les acteurs en situation de pauvreté.

II. APPROCHE EMPIRIQUE D’ORDRE FACTUEL OU PHÉNOMÉNOLOGIQUE

Il s’agit d’une approche qui se focalise sur les faits au regard du contexte, de la vie et des implications de la pauvreté telle qu’elle est vécue réellement par les citadins. Elle revêt l’avantage de rendre compte de l’expérience concrète de la pauvreté à travers un ensemble de manifestations et des causes, voire des moyens par lesquels les pauvres luttent pour combattre la situation de pauvreté.

II.1. Vie et manifestations de la pauvreté à Kinshasa

A Kinshasa, il est démontré que la pauvreté concerne particulièrement les ménages d’inactifs, ceux dirigés par les femmes, les chômeurs et retraités, les jeunes sans emploi. Elle se manifeste par le coût élevé des dépenses alimentaires, les faibles dépenses en santé ou en éducation (faible investissement en capital humain), le faible taux de salarisation et l’importance du secteur informel dans le contexte de stagnation économique, la précarité des conditions de vie, la malnutrition et la mortalité infantile


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(Trefon T. (dir), 2004 ; Lelo Nzuzi, F. et Tshimanga Mbuyi, Cl., 2004 ; UNICEF/RDC, 2008 ; Ahmed Moummi, 2010/112). Les causes de la pauvreté sont tributaires notamment de la taille élevée du ménage, du chômage nettement élevé, de la précarité des revenus chez les actifs, du sous emploi, des salaires précaires, ainsi que du niveau peu élevé d’instruction. On note aussi parmi les causes, l’accès limité de la population aux services sociaux de base comme l’eau et l’électricité (Shidi Ihemba, H., 2007 ; Sinzidi Kabuki, G., 2007 ; Trefon T., dir, 2004 ; Lelo Nzuzi, F. et Tshimanga Mbuyi, Cl., 2004), l’insuffisance des toilettes décentes, la précarité de l’assainissement et l’hygiène publique, l’insuffisance des infrastructures de base, la prévalence de certaines maladie comme le paludisme et les infections infantiles (Mbalanda Lawunda W., 2008 ; Mavungu Konde, 2010). L’urbanisation sans urbanisme apparait comme l’autre cause de la pauvreté à Kinshasa, suite à une carence d’aménagement de l’espace avec plusieurs conséquences fâcheuses. Vers la fin des années 1990, par exemple, pour n’évoquer qu’une seule illustration, les études réalisées avaient inventorié 723 logements détruits par les érosions alors que 403 autres étaient menacés de destruction. Ce faisant, plus de 7.230 personnes sinistrées étaient sans logement et plus de 5.000 autres étaient en instance de les perdre (Lelo Nzuzi, F. et Tshimanga Mbuyi, Cl., 2004). L’absence d’aménagement de l’espace urbain était plusieurs fois notée comme manifestation et cause de la pauvreté (Lelo Nzuzi, F., 2008, 2011 ; Lusamba Kibayu, M., 2010 ; Mbalanda Lawunda, W., 2013 ; Ntungila-Nkama F., 2010 ; Pain, M., 1984). On comptabilise aussi, parmi les causes de la pauvreté à Kinshasa, la mauvaise gouvernance et la corruption, l’absence d’une politique de redistribution des ressources par l’Etat (Batamba, A., 2007 ; Trefon, T., 2004 ; Ahmed Moummi, 2010/112).

Par rapport à toutes les autres villes du pays, Kinshasa qui a le double statut d’une province et d’une ville-capitale du pays, dispose d’un taux de pauvreté de l’ordre de 41,6% (PNUD, 2014).

Considérée en termes d’inégalités de revenus et consommation des ménages, la situation de la ville de Kinshasa se présente comme suit pour l’année 2005 (PNUD, 2014) :

Dépenses en USD par tête et par an : 31,5%Part des dépenses alimentaires : 48,8%Coefficient de GINI : 0,38%

En matière d’éducation, le taux net de scolarisation au primaire est passé de 76,3% en 2001 à 88,4% en 2002, tandis que le niveau de déperdition demeure le plus faible relativement à d’autres provinces.

Depuis l’année scolaire 2010-2011, il a été appliqué à Kinshasa la décision de la suppression des frais scolaires par les parents au niveau du cycle primaire. Malgré ces avancées, les inégalités dans le secteur existent et elles sont dues principalement au nombre fort élevé de la population kinoise, évaluée aujourd’hui à plus ou moins 10 millions d’habitants.

S’agissant de l’accès aux services de santé, il est à constater que 98,1% des femmes accouchent dans des structures bien sécurisées. La couverture vaccinale est estimée à 62,3%, alors qu’en 2013 les formations hospitalières n’accusaient que le nombre de 33 établissements, ce qui est nettement insuffisant (PNUD, 2014).

Le redoutable défi auquel se butte l’hygiène et la santé communautaires est celui de l’insalubrité et autres nuisances à l’environnement, dont les plus dangereuses sont notamment celles des excrétas, des effluents industriels, de la pollution de

l’air comme de la pollution diurne et nocturne ainsi que celle de l’émanation des déchets gazeux (Lelo Nzuzi F, 2008).

Selon certaines données disponibles, près de 55% des ménages à Kinshasa utilisaient des latrines non hygiéniques en 2007. Au cours de la même année, la production des déchets ménagers étaient de 6.300m3 /jour, alors que 34,4% seulement recourent à des modes hygiéniques d’évacuation des eaux usées. En 2006, la production des déchets solides dans les unités industrielles et commerciales se dénombrait autour de 62.697 tonnes par an (Lelo Nzuzi F, 2008).

A cause de divers déficits d’évacuation qui de nos jours persistent encore, l’on assiste à la recrudescence des maladies comme le paludisme, la verminose, la dysenterie amibienne, la bilharziose, la filariose, la typhoïde, le choléra etc.

Concernant le crucial problème du chômage, les diverses enquêtes réalisées en 2005 et en 2012 citent la ville-province de Kinshasa comme étant celle qui enregistre le taux le plus élevé, particulièrement dans les milieux des jeunes soit d’après les chiffres du BIT, respectivement de 15% et 19% contre un chômage global respectif de 49,1% et de 52%. Cela s’explique essentiellement par l’absence d’une véritable politique de l’emploi, l’inexistence des investissements productifs, le manque de planification entre formation et emploi ; mais également à cause de l’exode rural et l’afflux des réfugiés fuyant l’insécurité et les guerres qui ne cessent de ravager tout l’Est du pays. En matière de sous emploi notamment, il y a lieu de noter qu’en 2005 par exemple, le taux de sous-emploi était de 74,2%.

En 2002, en moyenne 64,5% des ménages dépensaient moins de 0,5$ par jour pour se nourrir contre 1$ par habitant et par jour en 2009. Pour ce qui est de la malnutrition aiguë elle était respectivement de l’ordre de 8,8% en 2002, du 11,3% en 2003 et 14,8% en 2008 (Lelo Nzuzi F., 2011).

Dans le domaine de la fourniture de l’eau et de l’électricité, la couverture varie quelque peu selon que l’on habite la périphérie ou le centre-ville. C’est ainsi que 6,7% des ménages disposent d’un robinet contre 79,3% des ménages qui s’approvisionnent en dehors du ménage. Il faut particulièrement déplorer des coupures et délestages, particulièrement pendant la saison sèche.

Dans l’ensemble et malgré ces délestages et coupures, Kinshasa reste plus ou moins favorisé avec une desserte de 74% des ménages en 2012 contre 59,5% en 2005 (PNUD, 2014).

Enfin, sur le plan du logement ou de l’habitat à Kinshasa, les déficits en logement sont évalués à 54,4% sur un chiffre global de 3.000.000 pour l’ensemble du pays.

A en croire le Plan National d’Action pour l’Habitat les besoins annuels en logement à Kinshasa était évalué respectivement à (Lelo Nzuzi F., 2011) :

1999-2005 : 14.619 logements ;

2005-2010 : 24.154 logements ;

2010-2015 : 33.114 logements.

Voilà qui explique l’émergence constante des bidonvilles aux appellations diverses : "Pagadjuma", "Camp luka", "Zamba TELECOM", "Ngudibaka" etc.

2.2. Contexte et faits de pauvreté à MBUJIMAYI

La ville de Mbujimayi faisant partie de la province du Kasaï-Oriental, il serait utile d’épingler rapidement quelques éléments

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du contexte socio-économique de cette province avant de se pencher sur l’état de pauvreté de son chef-lieu.

En effet, le Kasaï-Oriental est l’une des provinces les plus pauvres du pays avec une incidence de pauvreté de 62,31% (DSCRP Kasaï-Oriental, 2007).

Parmi les caractéristiques particulières de la province, il y a lieu de relever respectivement le cauchemar de l’accès à l’eau, l’existence de nombreux ravins et éboulements de la terre, les érosions, le manque des canalisations et le recours généralisé à des galeries souterraines dans l’exploitation artisanale du diamant, l’absence criante des unités de production, à l’exception de la MIBA aujourd’hui complètement à l’arrêt, ce qui pose et aggrave à même temps l’épineux problème du chômage et du sous emploi.

Les quelques facteurs énumérés ci-haut sont à la base d’une « pauvreté grandissante de la population [qui a pour origine notamment] la mauvaise gouvernance, l’attitude d’indifférence, le désordre dans la gestion des finances publiques, la baisse de la production et des investissements, la faiblesse des recettes budgétaires, la détérioration des infrastructures publiques, la dégradation des connaissances et des compétences des ressources humaines et l’effondrement de la production agricole » (CRNGD/ Kasaï-Oriental, CEFOP/DH, GAEREN, GLOBAL RIGHTS, 2011, p.9).

Pour revenir à la ville de Mbujimayi et au syndrome de sa pauvreté, celle-ci revêt à la fois des causes historiques, socio-culturelles et économiques.

Sur le plan historique, l’on sait que cette ville est née du néant ; elle s’est construite dans les années 1959 de manière spontanée autour de la concession MIBA ainsi que de sa large cité destinée au logement des cadres et travailleurs. La naissance de la ville a été favorisée par le départ massif des LUBA de Luluabourg et de ses environs, à la suite du conflit qui les opposèrent aux LULUA

Il est un fait évident qu’avec la création de la Mibeka en 1919, le diamant a pu constituer un facteur de prospérité pour toute la contrée, devenant par moment le bras séculier de l’Etat. Le tournant intervint à la suite des massacres de KATEKELAYI lesquels sont à l’origine de la libéralisation de l’exploitation minière décidée par le régime Mobutu dans les années 1982. De la capitale du diamant qu’elle était, la ville devint progressivement la capitale de l’insécurité, de la cuistrerie diamantaire et de la précarité.

Les causes d’ordre socio-culturel tiennent à la culture de l’argent facile et rapide, miroité par le culte du diamant, naguère tout aussi facile, en raison de l’influence de l’environnement minier. C’est ainsi qu’il a été constaté que l’enfant d’un diamantaire ou d’un creuseur n’éprouve d’autres aspirations que de devenir à son tour diamantaire ou creuseur. L’on assiste ainsi au bouleversement de l’équilibre au sein des communautés et des familles avec comme conséquences, entre autres, la transgression des valeurs culturelles de base, le recours aux stupéfiants, le non respect des aînés, la délinquance, la prostitution etc, toutes choses qui ne peuvent que se traduire par diverses formes de crises des mœurs et de la solidarité familiale.

Les facteurs économiques s’expliquent d’abord par la politique de libéralisation sauvage, parce que non encadrée, du diamant prônée dans les années 1982 (CRONGD/ Kasaï-Oriental, CEFOP/DH, GAEREN, GLOBAL, RIGHTS, 2011). Toujours sur le plan économique, c’est la faillite de la MIBA, la seule et unique entreprise industrielle de la province qui, à partir des années 2009, vint à sonner le glas de la pauvreté et de la crise socio-économique non seulement à Mbujimayi, mais même à

travers tout son hinterland. A cela s’ajoute l’épuisement progressif des gisements du diamant, dont l’exploitation de nos jours exige de creuser encore plus profondément que jadis. Un autre facteur que l’on peut considérer également comme une conséquence réside dans le phénomène généralisé de l’auto-construction de la ville, caractérisée par l’absence criante d’une politique de lotissement et de viabilisation des sites et des quartiers (DSCRP/ Kasaï-Oriental, 2007).

Parmi les manifestations de cette situation de pauvreté, l’on peut épingler :

la déscolarisation des enfants et surtout des filles, à cause de l’abandon de leur prise en charge par les parents. A titre d’exemple, 25,3% dont 28,1% des filles et 22,4% des garçons dans la province n’ont jamais fréquenté l’école entre l’âge de 6 et 14 ans. (DSCRP Kasaï-Oriental, 2007). Dans les zones et sites miniers des environs de la ville, la situation est encore catastrophique du fait que des parents ne voient pas la nécessité de scolariser les enfants, alors que creuser dans la mine rapporte de l’argent à la famille. Il arrive aussi que les enseignants désertent l’école au profit de la mine

la montée inexorable du chômage ;

la recrudescence du banditisme et des autres formes de violences urbaines ;

la prolifération du phénomène des enfants de la rue ;

la cherté du coût de la vie ;

le délabrement continu de la voie urbaine, ce qui rend malaisée la mobilité des citadins ;

le manque dramatique de la fourniture en eau et électricité ;

l’exode sous forme d’émigration vers d’autres contrées ou provinces telles que le Katanga ou Kinshasa.

Concernant finalement les stratégies de lutte contre la pauvreté, elle participe principalement des activités du secteur informel. A Kinshasa par exemple, on peut citer le petit commerce, les petits métiers artisanaux, le cambisme, le marché d’eau en sachet, les cireurs, les vidangeurs de poubelle et de fosse septique, les briquetiers des rues, les Kadhafi, les mamans manœuvres, les mamans bipupula, les chayeurs, les porteurs, les chargeurs, les pasteurs ambulants, les Wewa ou taxi-motocyclistes et surtout les maraîchers dont le nombre n’a fait que régresser à cause de la pression de l’habitat. Sur le site de Lukunga par exemple, leur nombre est passé de 635 à 1980 à 150 en 2009 (Lelo Nzuzi F., 2011).

A Mbujimayi, le secteur informel est dominé essentiellement par l’exploitation artisanale du diamant, le commerce à travers les grands et petits marchés de la ville, les exploitants des moulins à maïs ou à manioc, sans oublier les vendeurs des bidons d’huile de palme qui, au moyen de leurs vélos, se ravitaillent à de longues distances de 150 km voire à plus de 200 km, bravant ainsi la chaleur, la pluie, la poussière…

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INTRODUCTION

Le présent travail examine le rapport existant entre l’instabilité politique et la pauvreté en République Démocratique du Congo. D’ores et déjà, pour moi, la RDC est marquée par l’instabilité politique depuis son accession à la souveraineté nationale et internationale, une dictature non éclairée que j’assimile à une véritable instabilité conduisant à une pauvreté collective.

Dans cette étude, j’essayerai d’aborder successivement trois points importants, à savoir :

- dans un premier temps, les contours du phénomène de pauvreté en RDC ;

- dans un deuxième temps, déterminer les conditions garantissant l’efficacité des actions de lutte contre ce fléau, ce qui devrait permettre ;

- dans un troisième temps, d’évaluer les actions entreprises actuellement par différents acteurs.

I. PROBLÉMATIQUE DE LA DÉFINITION

D’entrée de jeu, il importe de noter qu’il faut éviter de confondre le terme pauvreté avec son voisin, « la misère ». Selon le Dictionnaire Quillet de la Langue Française, « La pauvreté est un nom féminin qui signifie manque de choses nécessaires à la vie » : d’où le proverbe « la pauvreté n’est pas un vice ». Même s’il ne faut pas reprocher aux gens leur pauvreté, il faut cependant noter que la pauvreté « est une mauvaise conseillère, car elle pousse parfois à des actions malhonnêtes » ; tandis que la misère est un « état malheureux qui excite la pitié : une extrême indigence, une privation du nécessaire ; peines ; difficultés ; incommodités de toutes sortes qui rendent la vie triste et malheureuse ».

La pauvreté est un mal qu’il faut absolument éradiquer car elle menace de manière critique les aspects vitaux des vies individuelles. On devrait s’inquiéter davantage d’avoir à subir le poids terrible d’une pauvreté en plaine aggravation qui fait souffrir et mourir de plus en plus de victimes innocentes de l’Hémisphère Sud. Et ceci alors qu’il n’a pas encore fini d’explorer et maîtriser des ressources nouvelles à mettre en valeur. Ainsi on devrait traiter selon le droit, le problème de pauvreté qui l’afflige. A ce sujet, il est bon de signaler une étude intitulée « Une question urgente : l’abolition légale de la pauvreté » du Sénégalais Pierre Sané. Selon cette étude, « la misère viole les droits humains. Lutter contre la misère quotidienne est une obligation éthique et civique incontournable ». Ainsi Pierre Sané plaide « pour une abolition légale de la pauvreté. La pauvreté permanente et croissante doit être traitée comme un déni de justice et les pauvres devraient bénéficier de réparations légales. Le sort de la pauvreté ne se résout pas à coups de charité ou d’aide internationale ». La pauvreté n’est pas davantage la conséquence d’un manque de confiance en soi des populations pauvres ou de leur incapacité à rivaliser au sein d’une compétition générale faite d’opportunités supposées égales. La pauvreté ne perdure pas seulement par le fait de gouvernements incompétents et corrompus qui sont insensibles au destin de leur population. Non, fondamentalement, la pauvreté n’est pas une question de niveau de vie ni même de certaines formes de conditions de vie. C’est à la fois la cause et la conséquence du

déni total ou partiel de droits humains. Parmi les cinq familles des droits humains - (i) civiques, (ii) politiques, (iii) culturels, (iv) économiques et (v) sociaux - proclamées comme inhérentes à la personne humaine par la Déclaration universelle des droits de l’homme,

- la cinquième (v) est toujours violée par la pauvreté

- la quatrième (iv) l’est de façon générale, c’est le cas souvent de

- la troisième (iii), parfois de

- la deuxième (ii) ou même de

- la première (i).

Réciproquement, la violation systématique de l’un de ces cinq droits dégénère rapidement en pauvreté. Comme cela a été reconnu lors de la Conférence internationale des droits humains à Vienne en 1993, il y a un lien organique entre pauvreté et violation des droits humains158. Il n’y a donc aucune excuse pour la pauvreté, ni morale, ni économique, ni sociale. Je voudrais dire, tant du point de vue moral, économique que social, il n’y a aucune explication possible pour justifier son émergence et tolérer sa propagation.

II. LA PAUVRETÉ EN RDCONGO

Quels arguments pourrions-nous donner à tous les parents congolais en nombre important qui perdent leurs enfants à bas âge par le fait de l’infection que l’on peut prévenir et soigner. Pourtant, face à la loi des grands nombres, ces pertes en vies humaines viennent à être banalisées, repoussant ainsi la prise de conscience collective pourtant indispensable pour garantir l’efficacité des interventions visant à éradiquer la pauvreté.

La pauvreté n’est pas un mythe en RDCongo159. Elle est une réalité. Pour s’en convaincre, il suffit de noter l’incapacité d’une large proportion des populations tant en milieu urbain qu’en milieu rural à satisfaire les besoins les plus élémentaires : alimentation, eau potable, soins médicaux, logement et habillement.

La pauvreté des populations congolaises est aussi visible dans leurs cadres de vie :

- la qualité des logements ;

- l’état dégradé des quartiers rongés par les érosions ;

- les caniveaux bouchés ;

- les déchets ménagers non collectés par les services appropriés ;

- l’état déplorable de l’infrastructure hospitalière et scolaire, etc.

158 SANE P. cité par Congo –Afrique, n° 394, Avril 2005, p. 200. 159 MUKOKO SAMBA, Lutte contre la pauvreté en République Démocratique

du Congo : Mythes et Réalités, in Odilon GAMELA NGINU (sous-dir), Lutte contre la pauvreté, la prévention des crises, le développement socio-économique et la démocratie, Edition Institut Démocratie et Leadership Politique, Kinshasa, 2002, pp. 111-124.

INSTABILITE POLITIQUE ET PAUVRETE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGOpar

Jean-Pierre LOBHO Lwa DJUGUDJUGU

INSTABILITE POLITIQUE ET PAUVRETE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

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Cette pauvreté est également perceptible à travers les phénomènes grandissants qui traduisent la destruction des cellules familiales, notamment l’accroissement dans les grandes agglomérations urbaines des enfants de rue et de la rue.

Bien que les études de mesure de la pauvreté soient encore embryonnaires en R.D. Congo, le condensé des informations statistiques de la Banque Centrale du Congo a estimé à 84,8 $ le Produit Intérieur Brut (PIB)160 par tête d’habitant pour 2004, révélant ainsi de faibles capacités de production des richesses matérielles et de satisfaction des besoins humains.

Au niveau des ménages, l’incidence de la pauvreté (quel que soit le seuil de pauvreté utilisé) se situe à des niveaux qui avoisinent 80%. Ainsi, par exemple, si l’on se réfère aux enquêtes sur la structure de la consommation des ménages réalisées par l’Institut National de la Statistique (INS) en 1985, dans cinq principales villes du pays, l’incidence de la pauvreté se situe à 74% de ménages de cadres et plus de 80% de ménages des employés.

Les enquêtes budget - consommation des ménages de Joseph Houyoux de 1969-1970, 1975 et 1986 ont permis d’ailleurs de tracer le profil historique de l’évolution de la pauvreté au niveau des ménages de Kinshasa. Ces études161 ont révélé, entre autres choses, que la structure des dépenses des ménages n’a pas changée entre 1969 et 1986, traduisant ainsi la stagnation des revenus dont les variations sont théoriquement la cause principale de la modification de cette structure.

Tableau I. Structure des dépenses de consommation des ménages kinois 1969-1986 en%

Poste 1969-1970 1975 1986alimentation 67,4 59,6 62,1logement 14,9 15,9 15,8habillement 7,3 9,3 4,7divers 10,4 15,2 17,4total 100 100 100taille moyenne des ménages 5,9 5,8 7,3

Source : UNICEF, La situation des Enfants dans le monde 2001, pp. 12-14 et pp. 32-35.

En plus, face à l’augmentation de la taille moyenne des ménages qui est passée de 6,9 en 1969-70 à 7,3 en 1986, les quantités moyennes consommées de la plupart des biens alimentaires ont diminué.

L’appauvrissement des ménages kinois s’observe également à travers la diminution des biens d’équipement. L’augmentation des appareils électroménagers (Réchaud à pétrole, Radio, Télévision, Cuisinière, Réchaud électrique, Frigo) ne peut pas voiler la diminution des biens d’équipement élémentaires que sont les chaises, les tables, les lits et les armoires.

Tableau II. Nombre moyen de biens d’équipement pour 100 ménages à Kinshasa 69-86

Bien 196-1970 1975 1986grande table 79 73 50chaise 349 326 207fauteuil/salon 207 227 89

160 Banque Centrale du Congo: Condensé des informations statistiques de ta Banque Centrale du Congo n° 53/2004- Estimation PIB par Habitant sur la base de l'Année 2000.

161 HOUYOUX J., KINAVUIDI N. et OKITO O., Budgets des ménages, Kinshasa, BEAU, 1966.

réchaud à pétrole 43 59 -lit 180 199 154matelas 168 204 153armoire 50 27 37radio 50 28 35télévision 3 9 24cuisinière, réchaud 4 10 34frigidaire 11 15 19

Source : Houyoux, Kinavuidi et Okito (1986), p.15.

D’autres études relativement plus récentes ont évalué l’incidence de la pauvreté à Kinshasa entre 61% (avec une dépense moyenne journalière par personne de 1$ comme ligne de pauvreté) à 81% (avec une consommation calorique journalière par personne de 2.960 calories comme ligne de pauvreté)162.

Une enquête sur les perceptions de la pauvreté réalisée par Berci en 1997 auprès de 1970 ménages de Kinshasa163 a révélé que près de 72% des chefs de ménages interrogés estiment leurs ménages pauvres. Les indicateurs symptomatiques de la pauvreté calculés par cette étude sont tout autant révélateurs de l’ampleur de ce phénomène. Ainsi, 58,3% des ménages ne prennent qu’un seul repas par jour : 60,4% des chefs de ménages jugent le repas principal insuffisant, tandis que 89,7% des ménages estiment qu’ils prennent difficilement ou très difficilement en charge les soins médicaux.

La pauvreté en RDC ne se définit pas comme le fait d’exclusion de quelques uns dans une collectivité riche. Il s’agit plutôt d’une pauvreté de masse qui frappe toutes les catégories socio-professionnelles164.

Les résultats de l’étude de Francis Lelo Nzuzi et Claudine Tshimanga Mbuyi165 sur la problématique urbaine à Kinshasa brossent le tableau du niveau de vie des ménages et de leurs membres dans les communes de Ngaliema et Lingwala. Ces résultats constituent une photographie du niveau de vie dans ces communes et donnent une idée sur le niveau de pauvreté des habitants. Sans que ces communes soient un échantillon représentatif de la ville de Kinshasa, tous les problèmes y vécus se rencontrent, à des échelons divers, dans d’autres municipalités de la capitale. C’est ce qui explique, en partie, pourquoi le titre de rapport à la ville de Kinshasa.

Le troisième chapitre de ce rapport étudie les caractéristiques socio-démographiques et montre que : 50% de la population des ménages enquêtés sont âgés de moins de 20 ans ; 4% de plus de 59 ans. La population est donc jeune. Parmi elle, 42% sont mariés et 17% des chefs de ménages sont des femmes.

Le quatrième chapitre décrit le cadre et la qualité de vie. Il montre que dans l’ensemble, 34% des ménages disposent, en moyenne, de 2 chambres à coucher, 31% des ménages ne disposent que d’une chambre à coucher, 54% des ménages logent 4 personnes

162 D’SOUZA, S. et al., Evaluation du niveau de pauvreté à Kinshasa : Cas de la zone de Matete, Zaïre -Afrique, n° 294, Kinshasa, 1995, pp. 219-236.

163 Enquête sur les perceptions individuelles de la pauvreté dans la ville de Kinshasa, Rapport final, Kinshasa Octobre 1997.

164 KALONJI N. et KISHIOBA N., La pauvreté dans la ville de Kinshasa : y a-t-il encore des cadres ? Note de conjoncture n° 13, IRES, Kinshasa, 1993, pp.14-18.

165 LELO NZUZI F. et TEHIMANGA MBUYI C., « Pauvreté Urbaine à Kinshasa », in Congo Afrique n'394, Kinshasa, 2005, p. 205.

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par chambre à coucher. En ce qui concerne le statut de logement, 49% sont propriétaires. S’agissant du raccordement à l’eau de la Régideso et à l’électricité de la Snel, 34% des ménages ne sont pas connectés au réseau électrique, 49% au réseau de distribution de la Régideso. A propos de l’assainissement, 55% des ménages utilisent des latrines non hygiéniques, 53% utilisent un mode d’évacuation des eaux usées qualifié, au départ, de non hygiénique et 13% jettent leurs ordures sur la voie publique.

Le cinquième chapitre étudie la vie quotidienne des ménages et leurs relations sociales. Il montre que dans 66% des cas, les chefs des ménages participent principalement dans l’organisation du budget alimentaire, 94% consomment moins de 3 repas par jour, 88% dépensent moins d’l$ /personne/jour, 11% des personnes enquêtées sont membres d’une association d’entraide, 10% ne trouvent pas quoi faire pour améliorer leurs conditions de vie, 84% ne ressentent pas la présence d’une ONG dans leur quartier.

Enfin, le sixième chapitre étudie l’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi. Les résultats indiquent que le taux de scolarisation dans les deux communes est de 42% et le taux d’accès en consultation dans les centres de santé implantés dans la commune est de 83%. En ce qui concerne la santé, 10% des ménages ont vécu le cas de la prise en otage d’un des membres du ménage pour le non paiement des frais médicaux. Les femmes de plus de 19 ans ont donné la vie, en moyenne, à 5 enfants et 53% des personnes interrogées exercent leur profession loin de leur commune, 49% ont un jardin potager dans la parcelle où ils habitent. Enfin, 70% de la population vivent des activités informelles.

Partant de l’étude de Mukoko Samba citée plus haut, si l’on estime sur la base de ces différentes indications, la proportion moyenne des ménages congolais vivant sous la ligne de la pauvreté à 75%, l’on peut déduire que 4,8 millions au moins de ménages, soit 37,5 millions au moins de congolais sont frappés par la pauvreté que la majorité d’entre eux perçoivent comme étant le manque de quelque chose.

Ce qui leur manque fondamentalement, c’est la capacité autonome de ces millions de ménages à garantir à leurs membres une vie longue, décente et informée.

Par rapport à ces trois axes qui constituent d’ailleurs les indicateurs spécifiques de la pauvreté humaine, les performances de la RDC laissent largement à désirer. Ainsi :

- la probabilité de mourir avant 40 ans est estimée à 31,7% ;

- le taux d’analphabétisme des adultes est évalué à 30,9% ;

- la population privée d’accès à l’eau potable représente 46,7% ;

- les services de santé représentent 69% de la population totale ;

- tandis que 33% (en excluant la malnutrition légère) des enfants de moins de 5 ans y souffrent de la malnutrition globale (rapport poids/âge).

III. LES CONDITIONS DE LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ EN RDC

Lutter contre la pauvreté en RDC revient à sortir plus de 35 millions de congolais de conditions déplorables de vie qui, aujourd’hui, réduisent leurs chances de vivre plus longtemps et de mener une vie décente et riche. Extirper la pauvreté lorsqu’elle

a atteint de telles proportions exige une intervention multi dimensionnelle massive et de longue durée.

3.1. Plusieurs acteurs

Une série d’acteurs sont sensés intervenir dans la lutte contre la pauvreté. Parmi les plus importants figurent : Etat, secteur privé et organisations non gouvernementales, organisations communautaires, organisations multilatérales utilisant des moyens d’intervention différenciés et œuvrant dans des sphères géographiques et sectorielles également différenciées.

Les seuls programmes macro-économiques, même s’ils permettent le retour de la croissance, seront insuffisants, car le problème revêt plusieurs facettes incrustées les unes dans les autres.

Ainsi, par exemple, la pauvreté, le chômage et les inégalités soscio-économiques ne sont pas nécessairement la même chose. En d’autres termes, le retour au travail salarié de personnes aujourd’hui au chômage ne suffit nécessairement pas pour les soustraire de la pauvreté.

Les principaux éléments d’une stratégie de lutte contre la pauvreté sont :

- la stabilité économique : efforts visant à maintenir les grands équilibres macro-économiques de manière à garantir la croissance et de faciliter le financement des programmes sociaux ;

- le développement du capital humain : éducation formelle généralisée pour les enfants d’âge scolaire, formation professionnelle pour les adultes hors d’emploi et du système éducatif, et facilitation de l’accès aux soins de santé de base y compris les soins préventifs ;

- la promotion des formes d’organisation de la collectivité qui permettent la participation de tous à la gestion de la collectivité, la transparence de cette gestion, et la création et le renforcement des capacités individuelles et communautaires. La stabilité politique implique notamment une véritable décentralisation politique, administrative, et économique et, en général, la bonne gouvernance à tous les niveaux ;

- la gestion rationnelle de l’espace national et des tissus d’habitat : politique d’aménagement du territoire, politique de développement du logement, et politique de gestion des ressources naturelles dans le but d’assurer une exploitation durable des ressources et de minimiser l’impact des activités humaines sur l’environnement ;

- la gestion des filets de sécurité pour les populations les plus vulnérables : la croissance à elle seule ne peut éliminer à la fois la pauvreté et les inégalités qui très souvent survivent à la prospérité économique.

Chaque acteur - partenaire a un rôle particulier à jouer. Plus les actions de ces différents partenaires sont complémentaires, même si parfois elles sont caractérisées par des heurts enrichissants, plus la lutte contre la pauvreté s’éloignera du monde des mythes pour se rapprocher de celui des réalités.

Le rôle déterminant de l’Etat est facilement compréhensible. Au-delà des investissements dans les infrastructures publiques et les secteurs sociaux, l’Etat doit aussi garantir que la croissance économique bénéficie aux pauvres, en particulier : les ressources foncières et les moyens de production.


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Les organisations non gouvernementales et les organisations communautaires devraient être les relais indispensables, particulièrement dans les milieux ruraux, pour accroître les capacités des populations pauvres à tirer profit des opportunités nouvelles qui résultent de l’insertion des économies nationales dans l’économie mondiale.

En effet, les milieux ruraux sont défavorisés par rapport à ces nouvelles opportunités si leur diffusion n’est laissée qu’au seul secteur privé. Les organisations non gouvernementales et les organisations communautaires à la base sont aussi des partenaires importants pour le plaidoyer en vue de la bonne gouvernance.

La contribution des partenaires étrangers doit se mesurer à la fois en termes de relations commerciales et de relations financières. Même lorsque la croissance progresse dans les pays en voie de développement, ses effets bénéfiques sur les revenus par tête d’habitant sont beaucoup plus importants dans les pays mieux insérés dans l’économique mondiale que dans les pays qui le sont moins. En plus, sans un traitement approprié de la question de la dette, il sera difficile aux pays en voie de développement de résorber la pauvreté à un rythme satisfaisant.

3.2. La lutte contre la pauvreté étendue doit être massive

Quand il s’agit de sortir des millions d’existences humaines de la pauvreté absolue, la somme des interventions des différents acteurs doit être :

- massive et non marginale,

- orientée vers les aspects vitaux de ces existences humaines et non éparpillée sur tous les aspects à la fois.

Le Sommet des Nations Unies consacré au développement social en 1995 avait fixé à tous les pays signataires de la déclaration de Copenhague, l’objectif de réduire de moitié le nombre de pauvres à l’horizon 2015. Dans le cas de la RDC, cela reviendrait à faire passer la ligne de pauvreté à, au minimum, 17 millions de congolais à l’horizon 2015. Il faut pour ce faire une croissance très forte à des taux dépassant 8% par an pendant toute la période. Or, à l’an 2004, le taux de croissance de la RDC s’élevait à 6,8%166.

3.3. La lutte contre la pauvreté doit s’inscrire dans la durée

Elle doit disposer, pour ce faire, d’un environnement politique, économique et social stable et sécurisé contre les risques inhérents aux inévitables transitions de tous ordres qui sont autant de moments de crise. Pourtant, la RDC baigne depuis de longues années dans une instabilité qui ne se prête pas du tout à la lutte contre la pauvreté.

IV. Les difficultés de la lutte contre la pauvreté en RDC

Les ménages congolais ont développé d’innombrables stratégies de survie que révèle la structure des revenus :

- L’enquête de Joseph Houyoux renseigne, par exemple, qu’en 1986 les salaires mensuels déclarés ne représentent qu’entre 33% et 47% des dépenses. La différence (67 et 53) constitue ce que l’on appelle communément le

166 Banque Centrale du Congo : Condensé des informations statistiques de la Banque Centrale du Congo n° 53/2004.

miracle congolais. Il s’agit, en effet, de la partie invisible, et non comptabilisable des revenus. En d’autres termes, non seulement que les sources de revenus sont largement diversifiées, mais aussi le nombre de membres du ménage contribuant au budget s’est accru. Les femmes et les enfants d’âge scolaire sont devenus des pourvoyeurs importants.

- Les ONG sont devenues, particulièrement depuis 1990, des partenaires importants dans la lutte contre la pauvreté. Au Colloque National de la Société Civile Congolaise organisé à Kinshasa du 16 au 20 juin 1997, sous le régime de l’AFDL, les représentants de ces organisations avaient retenu deux préoccupations principales :

- la mobilisation de la population autour des valeurs de la démocratie, des droits de l’Homme, et des devoirs du citoyen et

- la lutte contre la pauvreté.

- D’autre part, depuis 1990, l’assistance au développent de la part des bailleurs bilatéraux et multilatéraux avait pris une tendance beaucoup plus humanitaire.

- En RDC, lutter contre la pauvreté revient, avant toute chose, à s’interroger sur la volonté de réduire la pauvreté. Cette volonté procède d’une réelle prise de conscience de l’étendue du phénomène et de ses effets pernicieux sur la société tout entière.

- Dans un premier temps, il faut s’arrêter un peu sur la difficulté de traiter de la pauvreté dans un pays qui se croit et qui se dit riche. En plus, il faut également reconnaître la difficulté de lutter efficacement contre la pauvreté dans une société encore en proie à diverses transitions :

- transition dans le tortueux et pénible processus d’édification de la nation congolaise, et caractérisée par les attaques répétées contre l’identité nationale et l’intégrité du territoire national et ponctuée par les conflits interethniques ;

- transition économique, caractérisée par la résistance de certaines élites à l’option libérale de l’économie ;

- transition politique : officiellement lancée le 24 avril 1990, elle semble interminable ;

- transition sociale, caractérisée de manière aussi dramatique par le recul substantiel du taux de scolarisation et de tout le système éducatif, l’aggravation de la situation de la femme seule et du couple mère - enfant, le déclin du système de santé, et l’arrêt des progrès réalisés antérieurement en ce qui concerne l’accès aux services sociaux de base tels que l’eau potable.

Or, toutes les transitions comportent des risques à la sécurité des individus et à la stabilité des communautés entières. Toutes les transitions représentent des moments de retournement et de crise, c’est-à-dire des risques : de rupture, de polémique et de destruction des tissus matériels et sociaux exposés aux forces en présence.

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Ces moments de retournement sont donc des périodes pendant lesquelles, en l’absence de mécanismes de protection, les éléments les plus vulnérables s’effritent rapidement et se désintègrent.

En ce qui concerne le processus d’édification national, la principale question porte sur l’organisation des entités décentralisées pour à la fois :

- assurer le développement local,

- promouvoir le sentiment d’unité nationale, et

- sécuriser les populations locales. Et c’est à ce niveau de l’administration que doivent se gérer la plupart de programmes destinés aux pauvres.

La transition économique qui se dessine de temps à autre par l’adoption des politiques économiques libérales pose à son tour le problème de la prise en compte des coûts sociaux des programmes d’assainissement financier, lesquels programmes ne sont souvent pas capables de garantir une véritable relance économique.

Dans le domaine social, le pays a été frappé par le phénomène de ségrégation au cours des deux dernières décennies. La régression est observable :

- dans le secteur de l’éducation par le recul du taux de scolarisation (au cycle primaire, le taux brut de scolarisation qui se situait à environ 94% vers la fin des années 70 est passé à 76,2% en 1987-1988 et 60,7 en 1997 - 1998)167 ;

- dans le secteur de la santé par le recul de la couverture vaccinale, la réduction de l’espérance de vie à la naissance, la résurgence des maladies infectieuses autrefois éradiquées (trypanosomiase et de la lèpre), etc.

La situation est similaire dans les autres secteurs sociaux, particulièrement en ce qui concerne l’accès des populations aux services sociaux de base tels que l’eau potable ou la protection sociale.

L’une des causes principales de cet état des choses est la réduction brutale des crédits budgétaires alloués aux secteurs sociaux, lesquels crédits ont particulièrement fait les frais des programmes d’ajustement structurel des années 80.

L’absence des mécanismes de protection alors que ces différents secteurs s’ouvraient à l’initiative privée est une deuxième cause principale de ces développements négatifs dont les femmes et les jeunes filles ont été les victimes par excellence.

De ces tendances préoccupantes, nous pouvons relever les questions ci-après :

- comment la RDC peut-elle reconstituer son capital humain, à quel coût, avec quels mécanismes de partage de frais entre l’Etat et les ménages, entre le gouvernement central et les collectivités locales ?

- comment devrait-on mieux protéger les groupes vulnérables, en particulier les femmes, des conséquences négatives de la transition économique en cours ?

- que devrait-on faire de plus pour accroître le taux de couverture des services sociaux de base?

167 PNUD : Rapport National sur le Développement Hummain, 2000.

Dans le domaine politique, le processus lancé le 24 avril 1990 n’est pas encore achevé. Les questions essentielles de ce processus, à savoir les modalités d’organisation de la démocratie et du pluralisme politique, le renforcement du pouvoir du peuple sur ses dirigeants.

conclusion

Depuis plus d’une décennie, la RDC est à la recherche d’un système politique stable, susceptible de garantir une paix durable et un développement socio-économique aussi durable. En effet, le pays est affecté par plusieurs types de transition, en plus de phénomènes universels tels que la transition démographique qui apportent aussi leur lot de coûts à supporter par :

- des ménages de plus en plus démunis,

- des communautés locales de plus en plus fragiles, et

- un Etat de plus en plus dépendant.

Le gouvernement a adopté depuis le début de l’année 2002, un Document Intérimaire de Stratégies de Réduction de la Pauvreté (DSRP-I). Il faut, cependant, souligner que la pauvreté est si étendue en RDC que l’on peut s’interroger sur l’efficacité des actions de la société civile et de l’assistance humanitaire pour la réduire de manière significative.

Il ressort de cette étude que pour lutter efficacement contre la pauvreté, il faut une intervention multiforme de la part de plusieurs acteurs associés dans un contrat de partenariat.

Activités économiques informelles dans la rue

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INTRODUCTION

La question générale des inégalités, qui implique la double dimension de la pauvreté et des vulnérabilités, demeure préoccupante pour l’ensemble des villes congolaises, africaines et du tiers monde. Pour un pays comme la RDC, la meilleure saisie du syndrome de la pauvreté postule qu’elle tienne compte, à la fois, du mode de gouvernance globale ainsi que des facteurs et mécanismes qui affectent la privation par la population de son droit de jouissance du bien-être minimal (PNUD, 2015).

Dans le champ de la pauvreté, la résilience d’un individu est la résultante du processus propre à chacun par lequel sont déterminées ses possibilités d’action (Gondard-Decroix et Rousseau, 2004). L’organisation desdites possibilités dont a besoin un acteur pour anticiper et réagir de façon à se dégager d’une menace potentielle de sa vie, est largement tributaire de son environnement.

Kinshasa comme Mbuji-Mayi, pour le gros de leurs habitants, sont davantage deux espaces qui les livrent à une multitude d’incertitudes anéantissant les possibilités qu’ils tentent d’imaginer pour s’affranchir de la pauvreté. Plusieurs stratégies de lutte contre la pauvreté sont inventées au quotidien, dans ces deux villes, sans que le problème de la pauvreté ne baisse d’ampleur. A cet égard, comment expliquer la vulnérabilité récurrente des populations et le maintien d’un grand nombre parmi elles dans la pauvreté, en dépit d’une variété d’initiatives mises en œuvre par les populations démunis pour combattre la pauvreté ?

Pour tenter d’apporter une réponse à cette interrogation, notre hypothèse est que Kinshasa comme Mbuji-Mayi, en tant qu’environnements de vie, sont deux systèmes sociaux en mal d’opportunités que les citadins peuvent saisir et faire valoir pour sortir du joug de la pauvreté.

Sur le plan méthodologique, notre démarche s’appuie sur les éléments théoriques de la revue de la littérature ainsi que sur les données d’enquête récoltées dans le cadre du projet de recherche sur le triptyque urbanisation – pauvreté – violence à Kinshasa et Mbuji-Mayi. L’objectif du présent article consiste à relever les principales contraintes environnementales dont les populations de Kinshasa ou de Mbuji-Mayi n’ont aucune prise, dans leurs tentatives de lutte contre la pauvreté. Mais, il s’agit, en même temps, de démontrer à quel point le manque d’opportunités dans un environnement social peut demeurer l’une des contraintes majeures dans la lutte contre la pauvreté.

Hormis cette brève introduction, la présente réflexion comporte trois points :

- Populations et stratégies de lutte contre la pauvreté à Kinshasa – Mbuji-Mayi

- Contraintes environnementales à Kinshasa – Mbuji-Mayi- Cycle de vulnérabilité et de pauvreté

I. POPULATIONS ET STRATÉGIES DE LUTTE CONTRE DANS LES DEUX VILLES

Face à la précarité de la vie sociale à Kinshasa – Mbuji-Mayi, les citadins ne demeurent pas oisifs. La littérature nous renseigne sur ces « ingénieurs au quotidien » qui, dans ces deux villes, ne cessent

d’inventer des pratiques pour organiser leur défense contre les conditions difficiles de la vie. D’une manière générale, les moyens de défense inventés par les populations comprennent, à la fois, les stratégies de lutte individuelles et collectives, généralement dans l’ordre de l’informel.

A Kinshasa, les stratégies individuelles sont largement dominées par les activités de vente ou de petit commerce. Mais, on y enregistre également les pratiques agricoles, les activités de service et de type industriel. A ce sujet, L’Unité de lutte contre la Pauvreté du Programme des Nations Unies pour le Développement en RDC (2009) tâche d’indiquer que Kinshasa compte près de 875.500 unités de productions informelles essentiellement dans le commerce et les services. Le marché du travail kinois, note-t-elle, est dominé par le secteur informel non agricole qui fournit 65,6% des emplois, suivi de loin par l’administration publique (11,9%), le secteur privé formel (8,8%), l’agriculture (5,2% actifs occupés) et enfin les entreprises publiques (5,0%). Les stratégies collectives de lutte, quant à elles, procèdent par la création des associations. A Kinshasa, les mobilisations associatives répondent à un double défi des vulnérabilités d’ordre économique et spatial. Dans ce registre, Lelo Nzuzi rend compte du rôle important joué par la jeunesse kinoise dans les travaux d’assainissement de la ville, en dépit de la modestie de son action devant l’ampleur de la dégradation de l’espace urbain (Lelo Nzuzi, F., 2008). Mais la poussée associative, dans la capitale congolaise comme dans les autres villes de la RDC, est avant tout une donnée qui participe à la dynamique de la population citadine, face à la paupérisation massive des citadins provoquée par l’affaiblissement de l’Etat et la décomposition de la fonction publique. Dans cette optique, Giovannoni, M. et al. notent, au sujet de Kinshasa, que les populations créent des associations afin de pallier l’absence de services publics. Ces associations sont des entités créées par les kinois eux-mêmes, sur fonds propres, afin de répondre à leurs priorités spécifiques (Trefon, Th. dir, 2004).

Tout compte fait, la débrouille dans l’informel s’avère être la stratégie de défense choisie par les kinois pour tenter de relever la pente face à la vulnérabilité de leurs conditions de vie. Certes, si l’on rencontre des revenus élevés dans le secteur informel, il faut retenir que parmi la gamme d’activités mises en œuvre par les citadins, la majorité d’entre elles ne dégagent pas un revenu pertinent. A ce sujet, l’Enquête 1-2-3 réalisée en 2004-2005, tout en reconnaissant le rôle capital du secteur informel comme pourvoyeur des emplois à Kinshasa, ne manque pas de relever les conditions d’exercice précaires, la main d’œuvre non protégée et les revenus précaires (Makabu ma Nkenda, 2007). A Kinshasa, la débrouillardise pour la survie ne semble épargner aucune activité. De la vente de racines proposées dans la rue comme médicaments jusqu’à celle de la pacotille de produits manufacturés à la sauvette, plusieurs milliers des kinois, en majorité des jeunes, travaillent plus de 8 heures par jour pour un revenu dérisoire, incapable d’aider à l’amélioration de leur condition sociale.

A Mbuji-Mayi, au-delà des activités commerciales, et agricoles, les stratégies individuelles de lutte contre la pauvreté ont pour particularité, la mobilisation massive d’individus, dont les plus jeunes, dans l’extraction artisanale de diamant. Selon le Conseil Régional des ONGs de Développement (CRONGD) au Kasaï-Oriental, le Centre d’Etude et de Formation Populaire pour les Droits de l’Homme (CEFOP/DH) et le Groupe d’Appui

KINSHASA – MBUJI-MAYI, PROBLEMATIQUE DES INEGALITES, DE LA PAUVRETE ET DE LA VULNERABILITE DES CITADINS

parJustin KANKWENDA MBAYA, François MUKOKA NSENDA et Willy MBALANDA LAWUNDA

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aux Exploitants des Ressources Naturelles (GAERN), dans les mines artisanales de la ville de Mbuji-Mayi et de ses environs, des enfants se lancent dans les activités extractives dès l’âge de 9 ans. Selon le rapport d’enquête de ces organismes, la crise économique et l’incapacité de la prise en charge des enfants par les parents pauvres à Mbuji-Mayi ont entraîné des milliers d’enfants dans les mines de diamant. Situation qui est à l’origine d’énormes dommages aggravant la pauvreté. La déscolarisation des enfants, le mépris de l’agriculture, la prostitution précoce des jeunes filles, la clochardisation de la population, les violations massives des droits des enfants sont autant des effets pervers de l’activité d’extraction artisanale de diamant dans la ville de Mbuji-Mayi (CRONGD, CEFOP/DH, GAERN, 2011).

Face à la précarité des conditions sociales des populations à Kinshasa comme à Mbuji-Mayi, malgré leurs efforts pour relever la pente, il devient important de s’interroger sur les contraintes environnementales qui échappent à leur contrôle.

II. CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES À KINSHASA – MBUJI-MAYI

Toute approche, en termes de vulnérabilité, comme nous le renseigne Revet (Becerra et Peltier, 2009), doit restituer les conditions sociales, politiques, économiques et culturelles qui contribuent à produire la fragilité d’un système social. Elargir la réflexion à toutes ces dimensions environnementales permet le décloisonnement de l’analyse à la seule échelle des populations pauvres ou de leur quartier d’habitation. Le quartier pauvre, en tant que système, doit être envisagé dans ses relations avec les acteurs extérieurs à l’échelle globale de la ville, si l’on veut bien comprendre à fond les scènes des vulnérabilités des populations défavorisés qui y résident.

Dans cette perspective, les données d’enquête nous fournies par le projet de recherche sur le triptyque urbanisation – pauvreté – violence à Kinshasa et Mbuji-Mayi, constituent une piste d’indications pour l’analyse des dimensions environnementales qui se présentent comme des contraintes aux initiatives mises en œuvre par les populations de Kinshasa et Mbuji-Mayi dans la lutte contre la pauvreté.

Tableau n° 1 : Cause de la pauvreté à Kinshasa et Mbuji-Mayi

Cause de la pauvreté Ville d’enquêteKinshasa Mbuji-Mayi

Effectif % Effectif %Chômage 822 67,7 508 70,0Politique de bas salaire

146 12,0 60 8,2

Famille nombreuse 23 1,8 15 2,0Economie informelle non rentable

25 2,0 23 3,1

Parasitisme urbain 14 1,1 10 1,3Recul de la culture scolaire

18 1,4 16 2,2

Faible circulation de la monnaie

75 6,1 49 6,7

Autre à préciser 91 7,4 44 6,0Total 1214 100 725 100

Source : enquête sur le triptyque urbanisation – pauvreté – violence à Kinshasa et Mbuji-Mayi 2014

Tableau n° 2 : Inertie de la population dans la recherche de l’emploi

Raison de l’inertie Ville d’enquêteKinshasa Mbuji-Mayi

Effectif % Effectif %Inexistence d’emploi 217 23,2 266 43,6Pas d’espoir de trouver un emploi

164 17,5 106 17,3

Manque de connaissance sur les modalités de recherche d’emploi

66 7,0 31 5,0

Attentes de précédentes demandes d’emploi

33 3,5 13 2,1

Autres à préciser 452 48,4 194 31,8

Total 932 100 610 100


Tableau n°3 : Mode d’évacuation des déchets ménagers

Mode d’évacuation des déchets ménagers

Ville d’enquêteKinshasa Mbuji-Mayi

Effectif % Effectif %

Voie publique 38 3,1 62 8,5

Enfouissement dans un trou

193 15,9 399 55,2

Dans le ravin 169 13,9 120 16,6Dans une d é c h a r g e publique

277 22,8 3 0,4

Dans la rue 62 5,1 49 6,7

Par incinération 78 6,4 12 1,6

Sans réponse 12 0,9 61 8,4

Autre à préciser 383 31,6 16 2,2

Total 1212 100 722 100


Dans la ligne d’analyse de la vulnérabilité des populations à Kinshasa – Mbuji-Mayi, le tableau n°1 et n° 2 mettent en exergue les dimensions politiques et économiques des contraintes environnementales. Le tableau n° 3, quant à elle, relève la dimension spatiale de ces contraintes.

2.1. Les contraintes politiques

Lorsqu’on passe en revue les données de l’enquête reprises dans le tableau n° 1, la politique de bas salaire stigmatisée par les citadins interrogés à Kinshasa ou Mbuji-Mayi décrit le paysage d’un environnement politique qui constitue une des contraintes principales pour le bien-être de la masse salariée. En effet, la


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précarité de salaire, en RDC, est une dimension qui échappe au contrôle des employés. Les salaires dérisoires dans la ville de Kinshasa, nous le savons, est à la base de l’instabilité familiale qui rend plus vulnérable les membres les plus faibles dans la famille. Dans cette ville, plusieurs dizaines d’enfants sont accusés de sorciers ou vivent dans la rue, parce que leurs parents manquent simplement des moyens pour les contenir dans l’espace familial.

A Mbuji-Mayi, faute de disposer de moyens nécessaires pour subvenir aux besoins de base des enfants, plusieurs parents encouragent leurs enfants de tenter leur chance dans les mines de diamant. Les bavures et sévissent occasionnés par l’activité d’exploitation de diamant artisanales à Mbuji-mayi ne cessent d’alimenter les vulnérabilités parmi la population.

Les données rassemblées dans le 2ème tableau sur la situation d’emploi présage l’absence d’une bonne politique d’emplois à Kinshasa et Mbuji-Mayi.

Dans ces deux villes où la politique d’emplois est absente ou peu cohérente, où la politique salariale est décriée, parce que ne rend pas compte des besoins réels de la population, les habitants subissent les conditions de vie précaires leur imposées par l’environnement politique. Ils n’ont aucune prise dans le champ politique pour s’offrir les opportunités des emplois et l’amélioration de leurs revenus. Sur cette échelle de la vie sociale, le sort de la population est en réalité lié au dynamisme et à la vision des dirigeants politiques.

2.2. Les contraintes économiques

Les tableaux n° 1 et n° 2 mettent à nue les incertitudes de l’environnement économique à Kinshasa et Mbuji-Mayi. Les deux villes sont en pleine récession comme le démontrent les données de l’enquête. Le tarissement du marché de travail et la faible circulation de la monnaie dessinent un environnement où les citadins ont du mal à trouver un emploi. Il devient logique pour ces derniers de recourir aux activités informelles pour tenter d’organiser leur défense contre ces contraintes économiques. Mais la variété d’activités qui couvrent le champ de l’informel, comme rapporté dans le tableau n° 2, reste pour la plupart moins rentable. Pour la majorité de citadins, il s’agit des activités qui n’ont que très peu d’incidence dans l’amélioration de leurs conditions sociales.

A Kinshasa comme Mbuji-Mayi, les opportunités économiques sont très limitées au point où la débrouille reste la solution principale des citadins pour tenter de relever la pente. Une fois de plus, l’environnement économique caractérisé par la récession est une donne qui échappe au contrôle des citadins qui sont obligés, en n’importe quel prix, développer des activités informelles pour essayer de survivre. Dans la mesure où l’espace économique ne fournit que peu de chance à la réussite pour tant d’initiatives mises en œuvre, la précarité des conditions sociales ne fléchit pas avec des revenus dérisoires.

2.3. Les contraintes spatiales

Lorsqu’on prend en compte les données de l’enquête rendu par le tableau n° 3 sur les modes d’évacuation des déchets ménagers, toutes laissent présager les difficultés qui entourent l’assainissement de l’espace à Kinshasa et Mbuji-Mayi. Même si 22,8% (Tableau n° 3) de la population interrogée à Kinshasa estime évacuer leurs déchets dans les décharges publiques, il convient de rappeler que ce terme de décharge publique, à Kinshasa, signifie aussi tout endroit où les habitants d’un quartier viennent déverser leurs déchets, même si ces derniers ne sont pas, à leur tour, pris en charge par l’autorité urbaine pour les mettre hors état de nuire.

Très souvent, dans les quartiers populaires de Kinshasa, certaines décharges dites publiques forment des tas d’immondices et deviennent sources de prolifération d’insectes nuisibles ou souris, et par conséquent, de maladies liées à l’insalubrité publique. A ce propos, les notes de recherches indiquent que 89% des maladies recensées à Kinshasa sont liés à l’état d’insalubrité de l’environnement urbain (Mbalanda Lawunda W., 2008 ; PNA, 2003).

Le déficit d’assainissement à Kinshasa comme à Mbuji-Mayi est une dimension qui échappe au contrôle des citadins. Les espaces insalubres à Kinshasa, visés par les ravins plus particulièrement à Mbuji-Mayi rendent vulnérables leurs populations à une multitude de risques (sanitaire, économique, d’enclavement ou d’isolement…).

Face à toutes ces contraintes politiques, économiques et spatiales, les citadins vulnérables et pauvres n’ont que très peu de chance de sortir de l’engrenage de la vulnérabilité et de la pauvreté comme l’indiquent certaines données de l’enquête.

III. CYCLE DE VULNÉRABILITÉ ET DE PAUVRETÉ

Les données de l’enquête réunies dans le tableau n° 2 en disent beaucoup quant au désespoir de la population à se lancer à la recherche de l’emploi dans les villes de Kinshasa et Mbuji-Mayi. En outre, le caractère peu rémunérateur d’activités informelles est un autre argument qui justifie la précarité des conditions sociales dans la durée pour les citadins. Dans les deux villes, on peut constater que les besoins fondamentaux restent difficiles à satisfaire comme nous le renseigne le tableau ci-dessous :

Tableau n° 4 : Accès difficile aux besoins de base

Dépenses dont ne parviennent pas le ménage

Ville d’enquête

Kinshasa Mbuji-Mayi

Provision de vivres 571 237

Soins médicaux 414 352

Vêtements 330 363

Frais scolaires 444 367

Loyer 480 535

Transport urbain 260 218

Factures d’eau et d’électricité

366 54

Autres à préciser 64 64


Les données de l’enquête rassemblées dans le tableau n° 4 dessinent clairement l’incapacité des citadins de pouvoir mener une vie normale. Par ces différentes privations, nous pouvons lire le paysage de la pauvreté pour les individus concernés. Aussi, tout citadin ne pouvant pas subvenir à ces besoins de base et ne disposant pas d’une activité rémunératrice décente, n’a aucune chance de se dédouaner de sa situation pour sortir de risques permanents de la vie auxquels il se trouve et s’affranchir de la pauvreté. Son activité socio-économique étant dérisoire, sa condition sociale va demeurer toujours précaire. C’est ce qui rend compte du cycle de vulnérabilité et de pauvreté.

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CONCLUSION

Dans l’action de lutte contre la pauvreté, la capacité des acteurs, pour faire face aux difficultés en présence, dépend largement du potentiel de ressources que dispose en leur faveur leur milieu de vie. Ces dimensions qui dépendent de structures externes aux acteurs constituent ce que nous considérons ici comme leur environnement de vie. L’environnement pour chaque acteur ou système est formé par les différents aspects que l’acteur ou le système n’a pas de prise. Il s’agit, pour bien dire, de contraintes liées au projet que peut avoir un acteur ou un système.

A Kinshasa et Mbuji-Mayi, trois types de contrainte ont été relevées par les données de l’enquête sur le triptyque urbanisation – pauvreté – Violence dans le cadre de cette réflexion. Il s’agit des facteurs liés plus à Kinshasa ou Mbuji-Mayi en tant que systèmes vitaux des citadins, qui ne facilitent pas leurs efforts de lutte contre leur vulnérabilité ou pauvreté. Ces contraintes sont d’ordre politique, économique et spatial. Les contraintes politiques sont celles liées à l’organisation de l’espace politique par le pouvoir. Dans le cas d’espèce, on peut retenir que le déficit d’une politique d’emploi et d’une bonne politique salariale reste une dimension non contrôlable par les citadins kinois et de Mbuji-Mayi qui, de ce point de vue, les prive de toute opportunité de lutte contre la pauvreté. Quant à la contrainte économique, la récession, le tarissement du marché de l’emploi, la précarité du secteur informel constituent en eux-mêmes des limites pour l’épanouissement des activités productives des citadins. Enfin, les contraintes spatiales portent sur l’organisation de l’espace dans ces deux villes. Les insuffisances de départ, quant à l’aménagement de l’espace, porte une incidence dans la vie des citadins. C’est ainsi, les lacunes récurrentes dans l’assainissement de l’espace dans les quartiers populaires de Kinshasa ou à Mbuji-Mayi favorisent l’insalubrité publique et l’avènement des ravins que les populations n’ont pas de prise.

Tout compte fait, l’environnement de vie doit être envisagé pour mettre à la disposition des acteurs les opportunités exploitables pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Ce qui fait défaut aujourd’hui à Kinshasa et Mbuji-Mayi.

BIBLIOGRAPHIE

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Vue phénomène érosion Mbujimayi Quartier périphérique Pakadjuma-Limete

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INTRODUCTION

L’omniprésence du religieux dans la Ville de Kinshasa entraîne, entre autres, l’inflation du sacré dans la quête incessante du Transcendant. En effet, le religieux fuse de toutes parts et impose, de plus en plus, sa présence dans cette vaste métropole, à telle enseigne qu’il exerce un impact réel sur la vie sociale des adeptes venus de tous les horizons.

Parmi les éléments doctrinaux fondamentaux offerts aux prosélytes dans les Eglises dites de réveil figure la « semence ». Les pasteurs de ces communautés religieuses exploitent, abondamment, ce thème, à leur profit, dans la perspective d’une « semence matérielle» dans la vigne de leurs Eglises. Selon ces prédicateurs impénitents, ceux qui veulent une moisson abondante dans leur quête de salut holistique sont appelés à semer beaucoup, même en restant les mains vides et en s’appauvrissant progressivement.

C’est autour de cette « semence matérielle » des adeptes de ces Eglises que nous nous proposons de livrer la présente réflexion sociologique.

Elle comporte trois points. Le premier est consacré à une brève présentation des Eglises de réveil. Il fait ressortir leurs caractéristiques essentielles. Le deuxième traite de la semence matérielle telle qu’elle est conçue et vécue dans ces communautés spirituelles. Le troisième dégage la contribution de cet élément doctrinal à la paupérisation des adeptes de ces Eglises. L’exposé débouche sur une brève conclusion.

I. LES ÉGLISES DE RÉVEIL : LEURS CARACTÉRISTIQUES ESSENTIELLES

Les Eglises de réveil sont des communautés religieuses récentes en République Démocratique du Congo. Elles étaient pratiquement inexistantes jusqu’aux années 1970. Elles sont nées du mouvement néo-pentecôtiste apparu aux Etats-Unis dans les années 1960. Ce mouvement se manifesta, plus tard, comme courant d’une nouvelle spiritualité dans l’Eglise Catholique, sous la forme du « renouveau charismatique », à partir de 1966.

Il conquit Kinshasa à partir de 1992168. Il fut récupéré par des prédicateurs indépendants. Ceux-ci se sont appropriés la Bible et, dès la constitution de leurs Eglises qu’ils baptisèrent de réveil, ils se sont mis à l’interpréter librement.

Ces « nouvelles religions » mettent l’accent sur la délivrance, le combat spirituel, les intercessions, la semence matérielle, les prières intenses, les lectures bibliques fondamentalistes, les campagnes et les croisades d’évangélisation, l’adoration de type pentecôtiste, l’onction, la retraite et la récollection, le jeûne, les manifestations de l’Esprit au culte, etc. L’énumération n’est pas limitative.

Elles se présentent comme des groupes de prière ayant leur propre vision de l’homme et du monde. A leur culte vivant et dynamique, elles sont caractérisées par d’exubérantes interactions verbales. Trois types d’interlocuteurs y prennent librement la parole soit de manière ritualisée soit de façon tout-à-fait spontanée.

168 Lire à ce sujet L De SAINT MOULIN, « Les Eglises de réveil et l'environnement social, économique et politique de la fin du XX ème siècle en RDC, : relation dialectique » in L'Economie des Eglises de réveil et le développement durable en R.D.a, Fac. Cath. Kin, 2003, p.10.

Au niveau de l’instance de la parole ritualisée, l’assemblée priante sait d’avance quel interactant prendra la parole, à tel moment, et prononcera tels mots.

Les trois types d’interactants habilités à prendre la parole, lors des assemblées cultuelles, sont, naturellement, le pasteur, ses collaborateurs immédiats et, enfin, les adeptes. Le pasteur demeure l’acteur principal. A ce titre, il est une source active d’énonciation. Ses collaborateurs immédiats, les « Serviteurs de Dieu », lui viennent en aide dans la conduite des prières. Certains procèdent à des lectures bibliques, d’autres dirigent la chorale, d’autres lisent des communiqués, etc.

Enfin, la troisième catégorie d’interactants, constituée de la masse d’adeptes, les ouailles, est vivement sollicitée à participer activement au déroulement des différentes séquences cultuelles, notamment, par des réponses aux alléluias et aux amens collectifs, de manière ritualisée et spontanément. A l’instar des assemblées pentecôtistes, l’ambiance est tonutruante.

Parmi les thèmes d’encrage discursif, c’est-à-dire des catégories spécifiques d’actes de parole, comme l’observe A. Matangila Ibwa, figurent : l’appel ou l’interpellation, la salutation, la prière, l’adoration, la prédication ou le sermon, le partage de la Parole, la discussion, les témoignages divers réels ou supposés, les chants vivants et captivants, les prophéties, les scènes théâtrales et les communiqués169.

Il en résulte l’existence des pratiques langagières spécifiques qui organisent leur espace religieux. Le langage demeure, selon E. Benveniste, un moyen, pour l’homme, « d’atteindre l’autre homme, de lui transmettre ou je recevoir un message »170.

Au culte, les « Amen » graves et collectifs accentuent le prosélytisme et le dogmatisme. Ils signifient ; « ce qui vient d’être énoncé ne doit, en aucun cas, être contredit ; il doit être accepté sans condition » sur le chemin du salut intégral individuel et collectif171.

Point n’est besoin de souligner que la Bible apportée par les missionnaires étrangers, surtout protestants, demeure le livre de chevet, la source fondamentale d’inspiration religieuse. Les adeptes des Eglises de réveil se considèrent, à n’en point douter, comme faisant déjà partie du « Royaume de rachetés de Jésus de Nazareth », comme des « nés de nouveau », comme des « mis à part ». Il suffit de se reporter à ce sujet à la Radio Sango Malarnu. Il s’en dégage un certain prosélytisme et l’exclusivisme.

Outre la quête d’un salut intégral (physique, moral, social, spirituel), les fidèles des Eglises de réveil sont, constamment, à la recherche de la « vérité » à laquelle ils disent n’avoir pas pu accéder dans les Eglises-mère. Ils sont aussi en quête de guérisons, des miracles et d’une pastorale de proximité ; bref, d’une « nouvelle

169 MATANGILA IBWA A., Les enjeux de la communication dans les Eglises de réveil à Kinshasa. Essai d'analyse d'un discours religieux en milieu diglossique, thèse de doctorat en Langue et littérature française, Kinshasa, 2003-2004, p.3.

170 BENVENISTE E., Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1974, p. 91.

171 Lire à ce sujet MWEZE, « Eglises de réveil : genèse et modes opératoires » in L'Economie des Eglises de réveil et le Développement durable en R.O.C., Facultés Catholiques, Kinshasa, 2003, p.29.

HEUREUX CEUX QUI « SEMENT ». EGLISES DE REVEIL ET PAUPERISATION DES ADEPTES A KINSHASApar

Gaston MWENE BATENDE

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HEUREUX CEUX QUI « SEMENT ». EGLISES DE REVEIL ET PAUPERISATION DES ADEPTES A KINSHASA

religiosité », dans leur nouvelle situation socio-historique. Ils recherchent un nouveau style de participation liturgique plus active. Dans cette optique, ils croient avoir droit à la parole et à la liberté d’expression plus large et accordent, naturellement, une place importante à l’émotif, à l’affectif, à l’expression corporelle, à la chaleur humaine et spirituelle ainsi qu’à une ferveur religieuse hors du commun.

Toujours dans la quête du salut holistique, certaines Eglises de réveil soumettent leurs adeptes à un long jeûne obligatoire (21 jours), sans fondement spirituel solide et sans discernement, même si leur état de santé ne le permet pas. Tel est, par exemple, le cas des diabétiques qui finissent par succomber. Certains fidèles vont jusqu’à perturber leur sommeil dans des prières intenses et des lectures bibliques fondamentalistes, sans s’être reposés pendant le jour172.

Il s’en dégage une aliénation sans pareille. Comme l’observe D. Mweze, même certains universitaires respectables troquent leurs capacités intellectuelles de discernement pour le nouvel appareil doctrinal. Ainsi perdent-ils leur équilibre mental et le sens critique qui devrait, normalement, les caractériser. Ainsi assistons-nous à un dédoublement de la personnalité qui ne nous permet plus de reconnaître ces universitaires173.

Revenant aux prières intenses, disons que nous assistons, impuissants, à leur amplification dans la Ville de Kinshasa. Rares sont, de nos jours, des manifestations à caractère politique, social, culturel et économique et même scientifique qui se déroulent sans que les acteurs aient, d’abord, prié.

Le renouveau charismatique a favorisé l’émergence des Eglises de réveil, essentiellement protestantes, pentecôtistes et évangéliques d’origine extérieure. Certaines d’entre elles sont transnationales, extrémistes et expansionnistes, de par leurs campagnes et croisades d’évangélisation d’impulsion, singulièrement, américaine. Elles font flèche de tout bois en vue d’atteindre les masses populaires, d’opérer des « miracles », de susciter de folles adhésions et de propager la Bonne Nouvelle174.

Comme le relève A. Matangila, Dieu semble recruter, sans cesse, de nouveaux « fonctionnaires du sacré », surtout, dans les rangs des personnes démunies et des agents impayés de l’Administration publique.

De nombreux adeptes, dont nous ne disposons, malheureusement pas de chiffres précis, en quête de sécurité, de protection contre toutes les forces maléfiques, de paix intérieure, d’amour et d’assurance, découvrent, ainsi, sur leur chemin du salut intégral, des docteurs de la Parole de Dieu, de tout acabit, issus de toutes parts, et dont l’imagination créatrice semble fournir des éléments de réponses et des repères à leurs diverses attentes et à leurs angoisses existentielles.

Il en résulte, inévitablement, la quête obstinée et quasi désespérée de nouveaux supports de la vie, de nouveaux points d’appui et de stabilité dans une société en crise profonde, c’est-à-dire en rupture avec ses équilibres fondamentaux.

Les nouveaux conducteurs spirituels de ces Eglises jouissent d’un Crédit mobilisateur hors pair axé, essentiellement, sur la thaumaturgie qu’ils exercent avec habileté, en public, pour convaincre les masses désaxées, désorientées, et toujours en quête de nouveaux supports.

172 MWEZE D., op. cit., p. 29.173 Idem, pp. 29-30. 174 Se reporter à ce sujet à MATANGILA A., op. cit., p. 8.

Ainsi mettent-ils tout en œuvre pour trouver, dans une société en crise, des signes apocalyptiques à partir desquels ils procèdent à des troublantes révélations eschatologiques à des populations déjà fragilisées et traumatisées par les conditions existentielles angoissantes.

Dans cette perspective, ils provoquent une « hystérie religieuse » qui mobilise les masses simples et souffrantes, continuellement en quête d’une vie meilleure, d’un flot de satisfaction de leurs divers besoins socio-religieux.

Ces espaces sont considérés par les adeptes comme ceux où « on prie bien », « on chante bien », « on prêche bien », « on fait montre d’efficacité dans les prestations d’exorcisme, de délivrance ou de guérison »175.

Ceux pour qui « rien ne marchait plus dans leur vie », ces « nouvelles religions » constituent, pour eux, des lieux où ils peuvent se raccrocher et donner sens et cohérence à leur existence.

Une profonde métanoia (changement total) semble s’opérer chez certains adeptes après leur nouvelle naissance spirituelle. Ils se déterminent, alors, à vivre une religiosité accrue au sein de leurs Eglises.

Dans cette optique, ils déclarent, tout haut, qu’ils connaissent maintenant une vie stable, et la maternité que les forces maléfiques avaient bloquée. Ils disent qu’ils ont trouvé l’emploi après beaucoup d’années de chômage et que leurs projets réussissent progressivement. Ils prétendent même qu’ils reçoivent dorénavant des bénédictions divines qu’ils n’obtenaient pas auparavant176. La doctrine de la semence dont nous traitons dans le deuxième point ne vient que réconforter leurs convictions profondes à ce sujet.

II. LA SEMENCE

De prime abord, nous serions tentés de croire qu’il s’agit de l’ordre divin des choses, c’est-à-dire, mettre en terre des semences qui produisent les gerbes. Un chant religieux exalte cet ordre en ces termes : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant. On s’en va, on s’en va en pleurant, on porte les semences ; on s’en vient, on s’en vient en chantant on rapporte les gerbes ».

Le récit de la Genèse est explicite à ce propos. Ecoutons-le : « Que la terre se couvre de verdure, d’herbe qui rend féconde sa semence, d’arbres fruitiers qui, selon leur espèce, portent sur terre des fruits ayant eux-mêmes leur semence » (Genèse 1 :11 ).

Les Eglises de réveil bondissent sur ce thème, s’en emparent et l’exploitent, à outrance, dans la perspective non pas d’une semence spirituelle, mais bien d’une semence matérielle dont les uniques moissonneurs ne sont autres que les pasteurs et leurs collaborateurs immédiats. Les adeptes demeurent des semeurs continuels dans la vigne de leurs Eglises.

Du haut de leurs chaires, les pasteurs impénitents assoiffés d’argent recourent, sans vergogne, à des passages bibliques pour légitimer leur entreprise. Le passage le plus utilisé est extrait de 2 Corinthiens, 9:6. Citons-le : « Sachez-le : qui sème chichement, chichement aussi moissonnera et qui sème largement, largement aussi moissonnera ». S’appuyant sur cet extrait de ta Bible, ils exhortent leurs prosélytes à semer beaucoup pour une moisson

175 Lire à ce sujet. NYEMBWE NTITA, « Langues et prière à Kinshasa » in P. DUMONT et C. SANTODOMINGO (éds), La coexistence des langues dans l'espace francophone. Approcha macro-sociolinguistique, Actes des deuxièmes journées scientifiques du Réseau de l'A.U.F., Rabat, 25-28 sept. 1998, AUPEL-UREF, p. 218.

176 Lire à ce propos, A. MATANGILA, op. cit., p. 101.


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abondante. Semez, semez, semez, vous obtiendrez une grande récompense.

Mais qu’elle sera cette récompense? sous quelle forme sera-t-elle offerte. Elle sera matérielle et se présentera sous forme de l’obtention de l’emploi, des possibilités d’effectuer des voyages en Europe, de la réussite sociale, des maternités normales, bref, de toutes bénédictions matérielles177.

Le caractère public de la semence amène certains adeptes à verser de l’argent par contrainte. Comme le notent W. Macdonald et A. Farstad : « On peut donner et ne pas être heureux de l’avoir fait. On peut également donner sous pression d’appels (multiples) et émouvants ou parce qu’on se sent gêné devant les autres de garder fermé son porte-monnaie »178.

En demandant aux adeptes de venir semer, tour à tour, au vu et au su de toute l’Assemblée, ces conducteurs spirituels ne s’écartent-ils pas du principe biblique qui énonce : « Que chacun donne selon la décision de son cœur, sans chagrin ni contrainte, car Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Co 9 : 7). N’est-il pas indiqué de prendre librement l’engagement de donner sans l’espoir d’attendre en retour quelque chose de Dieu ?

Dans leur commentaire sur le Nouveau Testament, T. Haie et S. Thorson insistent sur les dons désintéressés et généreux en des termes qui doivent donner matière à réflexion aux semeurs et aux moissonneurs des Eglises de réveil.

« Mais, disent-ils, si nous donnons dans le but de recevoir une récompense, nous la perdons. Nous devons donner de façon désintéressée et généreusement, sans rien espérer en retour. Dans ces conditions, Dieu nous bénira certainement, dans ce monde et dans l’autre »179.

La semence telle qu’elle est prêchée par les pasteurs des Eglises de réveil et qu’elle est appliquée par les adeptes ne serait-elle pas d’un sens cohérent avec le message évangélique si elle se situait dans une perspective spirituelle, comme nous le recommande ce passage de l’Epître de Saint Paul Apôtre aux Galates. Ecoutons-le : « Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle » (Galates, 6 : 8). Ce passage biblique se passe de tout commentaire. Il est compréhensible en lui-même.

La doctrine de la semence matérielle professée par les Eglises de réveil nous mène au troisième point de notre communication. Nous y examinons sa contribution à l’appauvrissement des semeurs et à l’enrichissement sans cause des moissonneurs.

III. LA SEMENCE ET LA PAUPERISATION DES ADEPTES

Un examen attentif de la pratique de la doctrine de la semence matérielle montre que les adeptes des Eglises de réveil en sortent de plus en plus démunis. La plupart d’entre eux rentrent à la maison les poches complètement vides. Certains ne parviennent même plus à se payer les tickets de taxi-bus, sur leur chemin de retour.

Point n’est besoin d’ajouter les répercussions d’une telle situation dans la vie familiale. Lors des quêtes organisées par leurs chefs

177 Pour !a doctrine de semence, lire avec profit ; "Eglises de réveil : fondement théologique de doctrine", in L'Économie des Eglises de réveil..., pp. 51-52.

178 Se reporter à ce sujet à W. MACDONALD et A. FARSTAD, Le commentaire biblique du disciple, Nouveau Testament, Saône. J.P. BURGAT/La joie de l'Eternel, 1999, p. 766.

179 HALE T. et THORSON S., Commentaire sur le Nouveau Testament, Mame-la-Vallée, Farel, 1993, p.713.

spirituels, les adeptes ont été invités à rivaliser, à entrer en compétition, par catégories : hommes, femmes et enfants. Les pasteurs mettent sur pied diverses stratégies énonciatives et cérémoniales en vue de la maximisation des recettes des offrandes et des dîmes. Les observations de S. Shomba et G. Kuyunsa, à ce sujet, donnent matière à réflexion.

« Dans une Eglise de Kinshasa, soulignent-ils, nous avons entendu Pofficiant déclarer : Dieu n’est pas bête pour vous avoir amené à sortir de chez vous (sic) avec une somme donnée d’argent. Il savait que vous alliez au culte (...). Tout l’argent qu’il vous a fait mettre en poche, lui revient. Remettez donc tout à son ministre (...). Dans une autre Eglise, c’est la concurrence et la compétition entre groupes et individus qui a attiré notre attention. La scène consistait à obtenir des trois groupes (hommes, femmes et enfants) la somme la plus élevée. Les « mabonza » de chacun de ces groupes étant déposés dans un panier distinct, le culte est suspendu et le décompte fait est annoncé : « attention, les enfants ont donné plus d’argent que les papas et les mamans, crie le pasteur (...). Venez donc ajouter tout ce que vous avez encore sur vous ». Au rythme du tam-tam endiablé, la foule se meut et les billets de banque tombent dans les paniers. L’officiant suit la scène avec un sourire de satisfaction. Les fidèles applaudissent. Ici l’importance de la somme remise compte plus que l’intention ou le geste lui-même »180.

Des leaders spirituels malins, profitant de l’opportunité offerte par cette quête effrénée du Divin et mus par l’appât de gain, ont vite fondé des Eglises pour le gain matériel.

Dans cette optique, en leur qualité de « Serviteurs de Dieu», ils ne doivent rien manquer dans l’exercice de leurs ministères. Certains parmi eux sont devenus des hommes d’affaires, d’autres sont passés maîtres dans l’escroquerie.

Notons, par ailleurs, que le partage inégal et la mauvaise gestion de leur « manne céleste » sont souvent l’occasion d’empoignades entre conducteurs spirituels dans ces « nouvelles religions ». Il en résulte de nombreuses dissensions, II n’empêche que les adeptes continuent de semer et de s’appauvrir davantage et les chefs spirituels ne cessent de moissonner et de devenir de plus en plus riches.

CONCLUSION

L’irruption des Eglises de réveil dans la Ville de Kinshasa nous a montré les problèmes qu’elle pose au niveau des adeptes.

Dans une société traversée par une crise profonde, c’est-à-dire par une rupture des équilibres fondamentaux, des prosélytes démunis se dépouillent de peu dont ils disposent pour le mettre à la disposition de leurs chefs spirituels, qui ne se soucient pas le moins du monde de la situation déplorable qu’ils créent dans la vie sociale de leurs ouailles.

Dans leur lecture fondamentaliste de la Bible, ils prennent des passages qui traitent de la semence et les interprètent selon leur propre schéma, celui de vivre sur le dos de leurs prosélytes. Ceux-ci, dans la perspective d’obtention J’une récompense plus grande par rapport à leurs dons, acceptent, tête baissée, de tout semer. Ils vont même jusqu’à entrer en concurrence dans le versement de l’argent, renvoyant aux calendes grecques ses effets pervers sur leurs conditions existentielles.

180 Lire avec profit à ce sujet, S. SHOMBA et G. KUYUNSA, Dynamique sociale et sous-développement en République Démocratique du Congo-Kinshasa, Presses Universitaires du Congo, 2000, p. 141.

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Ces conducteurs spirituels des Eglises de réveil en tirent le maximum de profit. Ils demeurent les seuls moissonneurs du fruit des collectes organisées au nom de Dieu. Leurs prosélytes n’ont qu’à attendre, dans leur naïveté, la réalisation des

promesses d’une vie future meilleure et l’obtention d’abondantes bénédictions divines.

Culte église de réveil

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URBANISATION, PAUVRETE ET DETERIORATION DE L’ENVIRONNEMENT URBAIN A KINSHASApar

Evariste Tshishimbi Katumumonyi

INTRODUCTION

Cette étude se propose de comprendre les rapports qui existent entre trois phénomènes urbains, notamment l’urbanisation, la pauvreté et l’environnement urbain, dans la ville de Kinshasa.

L’urbanisation signifie la naissance, l’expansion et l’accroissement des villes1 ; elle revêt deux aspects, l’un quantitatif lié à l’élargissement de l’espace urbain et l’augmentation de la population urbaine (citadins), et l’autre qualitatif relatif à l’ensemble des changements qui s’opèrent dans l’environnement physique et social de la ville.

L’environnement urbain, quant à lui, se rapporte à l’univers physique et social de la ville. Il symbolise le cadre de vie urbain. La dimension physique de l’environnement urbain soulève la question de l’urbanisme, entendu comme un ensemble des mesures techniques, administratives, économiques et sociales qui permettent un développement harmonieux et rationnel de la ville. L’objectif de l’urbanisme consiste à donner à la ville un espace bien aménagé et une morphologie adaptée à ses différentes fonctions.

De manière générique, la pauvreté est comprise comme « l’ensemble des manques : impossibilité de vivre longtemps et en bonne santé, de s’instruire, d’avoir des conditions de vie décentes, de participer à la vie collective. »2 Elle se traduit par « les difficultés à satisfaire les besoins fondamentaux comme manger, se soigner, se loger, se vêtir, même prendre sa douche régulièrement. »3

A Kinshasa, la pauvreté sans cesse croissante couplée à la démographie galopante a contribué à la détérioration de l’environnement urbain perceptible notamment à travers les zones d’auto-construction qui enserrent les cités planifiées d’origine coloniale. C’est cette dialectique que cette étude tente de dénouer dans les lignes qui suivent.

Le premier point de cette étude analyse la question de la qualité de la vie à Kinshasa à ses origines. Le deuxième aborde l’aspect de la genèse de l’insalubrité et de la détérioration de l’environnement à Kinshasa. Enfin, le troisième présente les solutions classiques qu’on y propose. Une brève conclusion met un terme à la présente étude.

I. LA QUALITÉ DE LA VIE À KINSHASA À SES ORIGINES

Kinshasa voit le jour en 1881. Cette naissance est consécutive à l’implantation de la colonisation au pays et à l’administration de la société « indigène ». C’est pourquoi la ville de Kinshasa, qui deviendra en 1923 capitale du pays, prend naissance en tant que cadre administratif. Elle est dotée des infrastructures et

1 CASTELLS M., La question urbaine, Paris, Maspero, 1973, p.20.2 Tine A. « Gouvernance, lutte contre la pauvreté et développement durable

en Afrique », in http//antoinetine.ifrance.com/articles/gouvernance_lutte_contre_la _pauvreté_et_développement-durable-en _afrique.pdf.p.5. consulté le 29 août 2015 à 15 :31.

3 Missie J.P., « Regards croisés sur la pauvreté durable en Afrique », in Missie J.P (sous dir. de), Histoire et sociologie de la pauvreté en Afrique. Regards croisés sur un phénomène durable, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 9-15.

équipements collectifs qui font d’elle une ville au sens moderne du terme. Elle offre à ses habitants les conditions indispensables à toute agglomération dite urbaine, notamment : un habitat décent ; des possibilités d’emploi ; des moyens de transport adéquats et une voirie appropriés ; des loisirs acceptables.4

Cela est d’autant possible qu’à cette époque, l’administration de la ville était bien assurée. On savait contrôler les populations, l’exode rural et toute autre forme d’immigration à Kinshasa étaient bien surveillés et maîtrisés. La salubrité et l’hygiène publique étaient la mode et les contrevenants s’exposaient à des sanctions allant de simples amendes à l’emprisonnement5.

C’est l’époque où Kinshasa est appelée « Kin. la belle », Kin Kiesse (Kin la joie) », Potomoyindu « l’Europe des nègres ». On y trouvait des quartiers de luxe très célèbres et bien entretenus : Kalina (Gombe), Kintambo, Barumbu, Mont Ngaliema ; Saint Jean (Linguala), Dendale (Kasavubu), Renquin (Kalamu), Limete, Bandalungua, Ngiri-Ngiri, etc.

La voirie était parmi les meilleures de l’Afrique et même du monde ; il en était de même des écoles, des entreprises, des marchés, des espaces verts, des milieux récréatifs, des hôpitaux, bref, tout donnait envie de voir et d’admirer.

Mais cette situation va connaître son revirement à l’indépendance du pays, c’est-à-dire à partir de 1960.

II. PAUVRETÉ ET DÉTÉRIORATION DE L’ENVIRONNEMENT À KINSHASA AUJOURD’HUI

A l’époque de l’indépendance, Kinshasa connaît un rythme de croissance très accéléré. Cette situation est consécutive à l’exode rural et à l’affaiblissement du cadre administratif résultant d’une gouvernance au hasard et moins tatillonne de la ville.

De 404.620 habitants en 1960, la population de Kinshasa passe à 1.000.000 en 20056. Elle est de nos jours évaluée à environ 8.000.000 d’habitants.

Les nouveaux chefs au pouvoir ne créent pas des conditions idoines pour bien occuper ces nouveaux habitants. Ces derniers sombrent alors dans la pauvreté. En effet, 37.9% de la population kinoise (10,35% de la population totale) vivent en dessous du seuil de pauvreté selon les résultats préliminaires de l’enquête 1-2-3 de 2005. La profondeur de la pauvreté y est de 11,55% et la sévérité tourne autour de 0,05 .Près de 74% des adultes sont analphabètes (MICS2) et en conséquence l’espérance de vie à la naissance est assez faible de part les niveaux faibles de composantes de cet agrégat.

Selon l’enquête EDS 2014, 8,6% des Kinois (5,3% des femmes et 3,3% des hommes) sont sans instruction tandis que 44,0% (23,1% femmes et 20,9% hommes) n’ont pas achevé l’école primaire. Concernant l’emploi, les résultats de l’enquête EDS

4 - LEFEBVRE, H., Le droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968. - TSHISHIMBI KATUMUMONYI E., De la ville et de ses fonctions.

Remarques sur le statut de l’urbain en Afrique post coloniale, Kinshasa, L’Avenir africain, 2014.

5 CAPELLE, E., La cité indigène de Léopoldville, Léo, s.e., 1948.6 Le potentiel, « une croissance rapide pour la population de Kinshasa »

n° 3534, 2005.

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2014 indiquent que 78,1% des Kinois ne travaillent (45,8% pour les femmes et 32,3% pour les hommes). La même enquête révèle que le quotient de mortalité infantile est de 5%, celui de la mortalité juvénile est de 36% et 16% pour la mortalité néonatale.

Pour se doter d’un logement, les Kinois pauvres envahissent alors des espaces verts et autres endroits réservés à la construction des édifices publics et la croissance normale de la ville voire des sites non appropriés au logement. Se développent ainsi des zones d’auto-construction qui « représentent près de 80% de l’agglomération kinoise »7. Ces zones d’habitat spontané, sans respect des règles d’urbanisme, naissent un peu partout et défigurent la morphologie de la ville de Kinshasa. Sans moyens financiers suffisants pour construire des maisons acceptables, ces nouveaux citadins érigent des taudis et autres habitats précaires.

Quartiers périphériques d’auto-construction

Le célèbre quartier Pakadjuma aux confins de l’aéroport de Ndolo dans la commune de Limete en est un exemple emblématique8. Dans ce quartier, les taudis sont construits avec les matériaux de récupération (voire avec les écorces d’arbres) et n’offrent aucun espace suffisant pour préserver les bonnes mœurs et le développement physique et intellectuel de ceux qui y habitent. Dans ces quartiers, on ne connait pas la question des bacs à ordures ou des poubelles ; des latrines sont généralement de simples trous creusés dans le sol et couverts soit des lambeaux ou des cartons. D’autres habitants se passent de cette besogne et défèquent dans des sacs ou sachets et jettent le tout sur la chaussée ou derrière la maison ou encore sur la place publique.

7 LELO NZUZI F., Kinshasa� Planification et aménagement, Kinshasa, L’Harmattan, 2011.

8 On peut citer notamment : Kindele, Camp Luka, Pasa, Tchad, Mandela, Kinseso, Mombele, Kingabwa, Matadi-Kibala, Malweka, Maluku (Unikin).

Abris faisant usage de toilettes dans les quartiers périphériques

Ainsi, ces zones d’auto-construction présentent le visage d’une sorte de caserne où sont confinés des milliers d’exclus de l’économie moderne.9 Etant donné le caractère dérisoire de son pouvoir d’achat, et profitant du laxisme des autorités publiques, la population habitant ces zones se refugie, pour vivre , dans du provisoire, du précaire et ainsi se créent et se multiplient les activités informelles qui polluent la ville des déchets, des ordures et des débris de tout genre, dégageant un peu partout des odeurs nauséabondes et rendant la ville de plus en plus insalubre. Parmi ces activités informelles, on peut citer : les marchés pirates (wenze), les garages de fortune qui jonchent les artères et encombrent certaines parcelles d’habitation, les maçons, les menuisiers, les commerçants ambulants, les cordonniers, les coiffeurs, les soudeurs, les frigoristes, les photocopieurs, les bijoutiers, les conducteurs des véhicules et des motos, les écoles, les pharmacies, les dispensaires, les églises, les restaurants, de fortune (malewa), etc.

Les équipements collectifs routiers : collecteurs, caniveaux, égouts y font cruellement défaut. On y trouve plusieurs immondices provenant des ordures ménagères et autres déchets solides biodégradables et non biodégradables. Les routes qui traversent les zones d’auto-construction ne sont pas carrossables. Sur ces routes, se trouvent des trous que les Kinois appellent « libulu manzengele » qui impactent négativement sur la circulation routière.

9 MPIANA TSHITENGE JP, La privatisation par le bas du réseau électrique de la SNEL dans la périphérie de la ville de Kinshasa, Communication au colloque international sur la périurbanisation dans le Sud, Gembloux, 2013.

URBANISATION, PAUVRETE ET DETERIORATION DE L’ENVIRONNEMENT URBAIN A KINSHASA

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Bref, tout enlaidit considérablement la ville et l’encombre de partout. Cette insalubrité de la ville a fait dire à Julien Leperse, présentateur de l’émission télévisée « Question pour un champion » de canal France International, que Kinshasa est la ville la plus sale au monde. Les kinois d’aujourd’hui appellent – pour leur part – leur ville « Kin la poubelle », « KinKiadi ou Kin la misère ».

Ainsi, on voit bien que Kinshasa devient de plus en plus une vaste poubelle « fulu »10 et ce, malgré des bâtisses modernes qui poussent ça et là. La plupart de ses infrastructures construites à l’époque coloniale ont été détruites ou se sont usées. Les services publics et même ceux privés devant assurer l’hygiène publique sont non seulement insuffisants mais aussi dépourvus des moyens appropriés de travail.

III. DES SOLUTIONS POSSIBLES

Ces solutions proviennent surtout des pouvoirs publics à travers le gouvernement (ses différents ministères), l’Hôtel de ville de Kinshasa et les Communes. A travers le Document des stratégies de croissance et de réduction de la pauvreté et le programme gouvernemental dénommé « la révolution de la modernité », les pouvoirs publics tentent de résorber la pauvreté et de doter la ville de Kinshasa des infrastructures routières et autres équipements collectifs dignes de redorer l’image de la capitale congolaise. On trouve également quelques services spécialisés tels que : Programme National d’Assainissement (PNA) ; Office des voiries et de drainage (OVD) et quelques particuliers qui s’adonnent à l’assainissement et à l’entretien de l’hygiène publique en ville. L’Union européenne s’intéresse également à l’assainissement de la ville de Kinshasa par l’entremise de certains de ses services spécialisés.

Malheureusement, l’action entreprise demeure insuffisante, la qualité du travail et les résultats obtenus dans le domaine de l’assainissement de la ville sont précaires, l’Etat restant toujours le principal acteur. Il est dès lors nécessaire que ce domaine d’action soit décentralisé et que l’Etat encourage la participation d’autres acteurs, surtout des individus particuliers, des hommes d’affaire, des associations professionnelles, des organisations non gouvernementales (ONG), des églises et lobbies locaux, pour qu’ensemble on cherche des solutions efficaces et durables au phénomène sous examen.

CONCLUSION

Cette étude a porté sur les questions de l’urbanisation, de la pauvreté et de la détérioration de l’environnement dans la ville de Kinshasa. Nous l’avons subdivisée en trois points. Le premier a examiné la qualité de la vie à Kinshasa avant 1960 ; le deuxième a analysé la dialectique entre la pauvreté et de la détérioration de l’environnement et le troisième a présenté des moyens retenus pour résoudre cette question et aligné quelques suggestions.

En gros, Kinshasa qui était une ville modèle est devenue de nos jours une ville insalubre, cela à cause de l’augmentation excessive de sa population, de la pauvreté de sa population, de la multiplicité des activités informelles de survie et de l’affaiblissement de la gouvernance urbaine.

10 MAVUNGU KONDE, Urbanisation et politique d’assainissement à Kinshasa/Bumbu …, mémoire de D.E.A. en sociologie, Kin-Unikin, 2009-2010, p. 72.

Il est souhaitable que cette question intéresse tout le monde et que l’Etat, en sa qualité de puissance publique, prenne des mesures urgentes et nécessaires dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et de l’assainissement urbain afin de permettre à Kinshasa de redorer son blason terni.

Composition de la coordination du projet nature et acteurs de la violence, de la pauvreté et des discriminations urbaine en république démocratique du congo

Sylvain SHOMBA KINYAMBA, Coordonnateur du projet

François MUKOKA NSENDA, Coordonnateur adjoint du projet

Donatien OLELA NONGA, Conseiller scientifique du projet

Théo Macaire KAMINAR, Conseiller scientifique du projet

Dave LUFUNGULA, Secrétaire financier du projet

Zénith FONO, Secrétaire administratif du projet

Sébastien KAYEMBE, Huissier du projet

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