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DOSSIER L IMPLICATION DES SALARIÉS LES CAHIERS DE LA C OMMUNICATION I NTERNE N°13 Qu’est-ce que l’interculturel ? Le Prix AFCI 2002-2003 Évaluer son intranet ASSOCIATION FRANÇAISE DE COMMUNICATION INTERNE

IMPLICATION DES SALARIÉS · Interview de Maurice Thévenet L’encadrement intermédiaire au cœur des contradictions Pierre Labasse L’expérience d’un manager de terrain Interview

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DOSSIERL’IMPLICATION DES SALARIÉS

LES CAHIERS DE LACOMMUNICATIONINTERNE N°13

Qu’est-ce quel’interculturel ?

Le Prix AFCI 2002-2003

Évaluer son intranet

ASSOCIATION FRANÇAISEDE COMMUNICATION INTERNE

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Dossier L’implication des salariés --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- p. 2Les aléas de l’implication

Interview de Maurice Thévenet

L’encadrement intermédiaire au cœur des contradictionsPierre Labasse

L’expérience d’un manager de terrainInterview de Yann Cézanne-Bert

Prix AFCI 2002-2003, présentation des mémoires ---------------------------------------------------------------- p. 11L’humanitaire dans une carrière : une chance pour l’entreprise ?

Bénédicte Cousseau

Culte du client contre culture d'entrepriseXavier Lhomme

Communication interne et croissance externe, les enjeuxd’une politique d’intégration et de communication

Laurence Harmel

Les métiers de la communication en quête de reconnaissanceMarie-Flore Bousquet

Comprendre son lecteur pour s’en faire comprendre ----------------------------------------------- p. 20Bertrand Labasse

La communication dans les petites structures --------------------------------------------------------------------------------- p. 24Arlette Bouzon

Construire une culture commune :l’exemple de la fusion entre BNP et Paribas --------------------------------------------------------------------------------------------- p. 26

Monique Dupont Alexandre

Approche interculturelle des missions et des pratiques de communication interne --------------------------------------------------------------------------------------------- p. 29

Jacques Bonnet

Lu pour vous ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- p. 34La communication financière

Jean-Yves Léger

À quoi sert le travail ?Philippe Zarifian

Boussoles pour temps de brume Hervé Sérieyx

La chronique du net - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - p.37Les précautions à prendre pour évaluer un intranet

Philippe Olivier

Actualités ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ p.40Libres-propos sur l’actualité

Robert de Backer

Sommaire

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Communication en crise

L’ entreprise a plutôt mauvaise presse ces temps-ci. Aux effets d’une conjoncturehésitante (plans sociaux, fermetures d’établissements, etc.), s’ajoutent les suitesnéfastes de pratiques et de décisions émanant du plus haut niveau. Erreurs

catastrophiques de gestion, petits et grands patrons hors-la-loi, mensonge et illégalitéérigés en stratégie, folie des grandeurs, démagogie, corruption, c’est selon ! L’image del’entreprise n’arrête pas de se dégrader. Pire, elle se désagrège et, avec elle, la confiancesans laquelle, souvent, la communication n’est qu’une violence supplémentaire. La visionpartagée d’un horizon commun s’effrite, faute de décideurs crédibles et d’une éthique quisoit autre chose qu’un exercice de rhétorique. Faute aussi d’une volonté et d’un minimumde capacité à se faire comprendre (1). Certes, toutes les entreprises n’en meurent pas, maistoutes en sont frappées, comme dans la fable.

De nombreux managers et communicants travaillent pourtant, avec courage et conviction,à maintenir vivant le lien entre le corps social et l’institution. Ils agissent souvent dansl’urgence, sans autre guide que leurs convictions. Ce qu’ils cherchent pour cela, c’est àdévelopper la coopération quotidienne, à favoriser l’implication dans le travail.

L’implication personnelle et la coopération sont aujourd’hui un “must”. Non seulement,parce que les nouvelles techniques de travail et les organisations qu’elles génèrentl’imposent, mais aussi parce qu’elles répondent à une véritable attente de beaucoup desalariés de moins en moins sensibles à l’image et au discours… puisqu’aussi les canauxofficiels de la communication interne, hiérarchique, syndical, médiatique, fonctionnentmal et que la confiance envers l’institution se délite. Favoriser la coopération etl’implication à la base, réduire les distances entre “acteurs“ de cultures différentes devientaffaire de survie… pas seulement pour l’entreprise.

Les Cahiers traitent opportunément de ces thèmes dans le présent numéro (2). On y trouveraaussi une synthèse des quatre mémoires universitaires primés lors du prix AFCI 2002-2003de la communication interne. La première édition du prix a été une réussite. La qualitédes candidats et de leurs travaux récompense l’initiative prise par l’AFCI d’encourager des jeunes à réfléchir à la communication interne et à porter sur elle un regard neuf.

(1) voir l’article de Bertrand Labasse, p. 20(2) voir le Dossier, p. 2

Éditorial

Robert de BackerDirecteur de la rédaction

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2Les cahiers de la communication interne n° 13 - Septembre 2003

Dossier

L’ implication dans le travail (1) constitue l’objectif majeur de la communication interne.La plupart des entreprises, aujourd’hui comme hier, disent la rechercher. Mais elles

éprouvent plus de difficultés que jamais à l’obtenir, en tout cas telle qu’elles la souhaiteraient.Selon une enquête réalisée en septembre 2002 par l’IFOP pour Gallup, seuls 6 % des Françaisse sentiraient “engagés” dans leur entreprise. La situation serait encore pire chez les cadres :ils ne seraient que 3 % à se sentir impliqués (Le Point du 18 avril 2003). Les transformationssubies par les entreprises, la nécessité de réaliser des performances immédiates et les contra-dictions avec les valeurs affichées qui en ont découlé, n’y sont certainement pas étrangères.Mais deux autres raisons au moins, plus fondamentales, jouent aussi. La première est connuedepuis longtemps : c’est que l’implication ne peut venir que des personnes elles-mêmes. Elle ne se fabrique pas et il n’existe donc aucune recette pour la susciter. La seconde tient à l’hétérogénéité croissante des situations de travail et des représentations que s’en font lesintéressés. Plus personne dans l’entreprise ne vit le travail - ni n’en parle - de la mêmemanière.

Que peut alors proposer le dossier de ce numéro des Cahiers de la communication interne ?Des questions à se poser, des repères, quelques pistes d’action pour créer certaines desconditions rendant possible l’implication…

Pierre Labasse

(1) Ce thème a fait l’objet d’une présentation lors d’un dîner-débat de l’AFCI en avril 2003.

L’implication des salariés

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L’IMPLICATION DES SALARIÉS

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démarche de quelqu’un qui se reconnaît dansl’institution, entreprise ou autre, dans laquelle ilest employé, pour des raisons qui sont lessiennes. L’implication s’inscrit dans l’histoire etle cheminement de chacun, prenant les formesles plus diverses. Il y a des gens qui s’engagentdans leur travail alors que rien ne paraît le justi-fier. Ils y trouvent des sources d’intérêt et desatisfaction que les autres ne soupçonnentpas…

À quoi cela tient-il ?

Plusieurs facteurs contribuent à l’implication.J’en évoquerai cinq, qui me paraissent exercerune influence majeure. Le premier, c’est lavaleur attribuée par la personne au travail, quelque soit son contenu, comme source de réalisa-tion de soi, comme effort ou comme devoir. Lesecond, c’est le rôle joué par l’environnementimmédiat du travail : le lieu, l’entourage, l’équipe,les clients. Le troisième, c’est le produit ou l’acti-vité, lorsqu’ils ont un statut reconnu dans lasociété. Le quatrième, c’est le métier, le savoir-fairequ’il requiert, le milieu professionnel dans lequelil s’inscrit. Le cinquième enfin, c’est l’institutiondans laquelle on travaille, si l’on peut s’identifierà ses buts et à ses valeurs.

Qu’est-ce exactement que l’implication?

L’implication peut se définir comme l’investis-sement, l’engagement d’une personne dansune activité parce que celle-ci lui permet deconcilier la réalité avec l’idéal qu’elle a d’elle-même. C’est une relation que les personnes tissent avec leur expérience de travail…

À quoi reconnaît-on une personne impliquéedans son travail ?

L’implication de quelqu’un dans son travail seremarque généralement à certains signes exté-rieurs qui caractérisent son comportement. C’estpar exemple une personne qui fait systémati-quement plus que ce qui est attendu d’elle, quece soit en termes d’horaires ou de quantité detravail. Elle accorde au travail une place pré-pondérante dans sa vie. Elle y est tellementinvestie qu’elle peut aussi chercher à le faireautrement ou au-delà de ce qui est requis par sadéfinition de fonction…

En rencontre-t-on encore, à une époque où le travail est volontiers représenté comme unecontrainte ou même une souffrance qu’il fautchercher à subir le moins longtemps possible?

Oui ! Parce que l’implication est un choix personnel, effectué en toute liberté. C’est la

Les aléas de l’implication

Professeur au CNAM et à l’ESSEC, consultant international, MauriceThévenet est un spécialiste des problématiques de la culture

d’entreprise et de l’implication. Il a accepté de répondre aux questionsdes Cahiers.

Interview de Maurice Thévenet

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4Les cahiers de la communication interne n° 13 - Septembre 2003

DOSSIER

On ne peut pourtant pas dire que le contextegénéral évolue dans un sens favorable à l’implication?

Certainement. Dans la société en général, on nepeut effectivement pas dire que l’implication soitune valeur en hausse : les institutions sont encrise, l’enrichissement individuel facile par dessystèmes astucieux est à la mode, chacun souhaitetravailler le moins ou en tout cas le moins long-temps possible. Dans l’entreprise, le quotidienest fait de situations, de décisions majeures oumineures, qui ne donnent pas forcément envie des’impliquer : les nouvelles technologies rendentplus rares les contacts directs entre personnes, lacourse à la productivité continue de plus belle,le discours sur l’employabilité est évidemmentorienté vers l’extérieur, etc. Au niveau des per-sonnes enfin, la recherche d’un équilibre entrevie personnelle et vie professionnelle ne va pasautomatiquement, elle non plus, dans le sens del’implication…

Mais les entreprises en ont-elles vraiment besoin?

Impliquer les personnes dans leur travail est unvieux rêve pour la plupart d’entre elles. Rien deplus naturel pour des managers que de rêver del’engagement de tous dans la réalisation d’unbut collectif auquel eux-mêmes s’estimententièrement dévoués. C’est en tout cas plussatisfaisant pour l’esprit que le contraire…Pourtant de nombreuses activités peuvent êtrebien effectuées sans implication. C’est le caspar exemple dans des entreprises en vitesse decroisière opérant dans des secteurs stables : lerespect des règles et des procédures suffit. Ilfaut bien voir que l’implication ne génère pasautomatiquement la performance attendue :elle ne peut rien contre une stratégie peu claire,une organisation inadaptée, etc. Et même quel’excès d’implication comporte des risques: ilpeut aboutir à la destruction de l’équilibre de lapersonne, il peut aussi entraîner des agissementsanormaux contraires à l’intérêt de l’entreprise.Cela dit, il arrive évidemment que l’implicationsoit recherchée par les entreprises pour des raisons autres qu’esthétiques ou morales !

Quand par exemple?

Dans les cas qui requièrent l’engagement de lapersonne et pas seulement celui de ses connais-sances techniques. Prenez les activités de service:le client en réalité n’achète pas seulement uneprestation mais un événement qui le touche, ilfaut donc que son interlocuteur l’écoute, s’en-gage pour créer une relation, l’aide à gérer ses

émotions, bref qu’il utilise le mieux possible samarge de manœuvre pour répondre à sesattentes. Autre situation, de plus en plus générale : les nouvelles formes d’organisation.L’aplatissement des structures, la création de“business units”, la mise en place de structuresmatricielles, la multiplication des groupes de pro-jet demandent plus d’engagement de la part desacteurs : ils doivent sortir de leurs habitudes, faireau-delà de ce qui est écrit dans leurs définitionsde fonctions…

Et elles peuvent y parvenir ?

Non, puisque nul ne peut créer l’implicationchez un autre. On se trouve en face d’un doubleparadoxe : l’implication n’existe pas toujours làoù on pense la trouver, mais elle surgit là où onne l’attend pas…

Que faire alors ?

La rendre possible en réunissant les conditionsnécessaires qui sont la cohérence, la réciprocitéet l’appropriation. La cohérence s’impose parcequ’on ne peut pas s’impliquer dans une institu-tion que l’on ne comprend pas à cause des messages contradictoires qu’elle émet ou del’imprévisibilité de ses actes. La réciprocité estun principe assez évident : personne ne s’impli-quera dans une entreprise s’il n’a pas le senti-ment qu’elle s’implique vis-à-vis de lui. Cesentiment s’éprouve bien sûr à travers la rému-nération, mais aussi à travers le respect, lareconnaissance, l’écoute, toutes choses dont lahiérarchie détient les clés… L’appropriationenfin, qui est la possibilité pour la personne defaire sien son travail, de sentir qu’un événement,un produit ou un résultat lui appartient partiel-lement, qu’elle a contribué à le créer, qu’elle ena la maîtrise. Ici encore le rôle du supérieur estessentiel : il doit faire en sorte que son collabo-rateur ait le sentiment d’être totalement encharge de ce qu’il fait, tout en l’aidant lorsqu’ilen a besoin. Il y a donc, vous l’avez compris,une dimension communication importante dansl’affaire…

Propos recueillis par Pierre Labasse

Maurice Thévenetest professeur au CNAM et à l’ESSEC

et consultant international. Son dernier ouvrage, intitulé “Le plaisir de

travailler. Favoriser l’implication des personnes”, est paru aux Éditions d’Organisation en 2001

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L’IMPLICATION DES SALARIÉS

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cela paraissait réellement nécessaire que pourlui éviter le sentiment d’être court-circuité. Lesentreprises ont alors demandé aux cadres de“démultiplier” leur discours auprès de leurs col-laborateurs à l’aide des moyens divers et variésqu’elles leur fournissaient : “kits d’animation”comportant argumentaires, aides visuelles,vidéos, etc. La mission essentielle des managersen matière de communication interne a doncété de se faire sur le terrain les relais de la poli-tique menée par la direction de l’entreprise.Telle est, très résumée, la vision traditionnellede la communication interne qui a longtempsprévalu…

La proximité plus que jamaisau cœur de la communication

À supposer qu’il ait jamais correctement fonc-tionné, ce schéma n’est plus adapté à la situationactuelle. Il ne répond ni aux enjeux des entre-prises, ni aux attentes de leurs collaborateurs.Tout le monde sait - ou dit - aujourd’hui quel'efficacité de l’entreprise ne repose plus

Le schéma ancienLes grandes organisations ont eu longtemps leculte de la hiérarchie. Elles considéraient sonautorité absolue comme une condition néces-saire de la bonne exécution des tâches par descollaborateurs qui étaient réputés chercher enpermanence à faire le plus mal ou le moins possible. Instructions et consignes devaientdescendre, intangibles, d’échelon en échelondu sommet jusqu’à la base.

Les premières politiques de communicationinterne, voulues et menées par les directions, onteu pour objectif d’attacher les salariés à leursociété et de leur faire un peu oublier les rigueursdu travail quotidien. Elles étaient centrées sur laparole et les messages de l’entreprise, sur les évé-nements qu’elle organisait. Autant d’éléments quise fabriquent et pour lesquels il a bientôt existédes spécialistes qui ont été les communicantsinternes.

On a bientôt cherché à y associer l’encadre-ment intermédiaire, moins sans doute parce que

Le rôle du management intermédiaire est au centre des problématiquesde la communication interne et de l’implication des salariés. Cela

ne date pas d’hier. L’attitude et l’engagement des “encadrants”, leurinvestissement dans la relation avec leurs collaborateurs, sont considérésdepuis des années comme un facteur-clé de l’attitude de ces derniers parrapport au travail et à l’entreprise. Mais, est-ce compatible avec laconception bien ancrée qui leur assigne un rôle de courroie de trans-mission ou de relais de la direction?

L’expérience de PechineyL’encadrement intermédiaire au cœur des contradictions

Pierre Labasse

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6Les cahiers de la communication interne n° 13 - Septembre 2003

DOSSIER

comme autrefois sur la soumission relative detous à des consignes ou à des procédures déci-dées en haut lieu, mais qu'elle dépend de lavolonté de chacun de mettre en œuvre toutesses capacités dans son travail. Quant aux sala-riés, les jeunes en tout cas, pourquoi viennent-ils travailler ? Pour gagner leur vie bien sûr, maisaussi pour faire quelque chose avec d’autres,pour “s’épanouir” au sein d’un collectif et nonpour admirer des images ou s’entendre racon-ter des histoires venant d’ailleurs qui sont for-cément décalées par rapport à la réalité qu’ilsvivent…

En réalité, la communication est toujours uneaffaire de proximité : elle se nourrit des situa-tions réelles que vivent les hommes et s’enra-cine dans leur quotidien. Elle ne se développevéritablement que là où ils sont ensemble pouragir. Elle vise à la coopération. Aussi repose-t-elle d’abord sur les managers, qui sont seulsà porter quotidiennement et concrètement lesprojets de l’entreprise, seuls aussi à pouvoircréer le “lien social” nécessaire.

C’est aujourd’hui d’autant plus vrai que le dis-cours “corporate” tend à avoir de moins enmoins d’impact. Il perd de sa valeur aux yeuxdes salariés, sauf contextes particuliers tenant,par exemple, à l’existence d’un produit “noble”ou d’une marque prestigieuse. Plusieurs fac-teurs contribuent au phénomène : l’éloigne-ment du centre de décision du fait de laconcentration des firmes et de la mondialisa-tion, la fragmentation et l’anonymat du pouvoir,les virages brutaux et les changements de capimprévisibles qui font ressembler l’entreprise àun jeu de meccano dans les mains de forcesfinancières obscures et malfaisantes, etc. Bref,l’entreprise est de moins en moins une“société” humaine. Elle ne véhicule d’ailleurs,sauf exceptions, plus de projet social véritableet ses discours sur le sujet, lorsqu’elle en tientencore, sonnent souvent creux. Elle fait demoins en moins sens, quelle que soit l’imagedont elle cherche à se parer…

Le problème, c’est que, si l’image peut se “fabri-quer”, la coopération, elle, se mérite. Ce sont lesmanagers qui la construisent jour après jour,sans jamais être sûrs d’y parvenir durablement.Leur rôle est singulièrement difficile à tenir vules traditions culturelles françaises (culture decour, logique de l’honneur, etc.), qui n’inclinentpas plus aux relations contractuelles qu’à l’es-prit communautaire… Autant les délices del'image et du “paraître” sont familiers aux élitesfrançaises comme aux “masses”, autant la

recherche, toujours ingrate, de la coopérationl’est peu. Tout dirigeant, quel que soit sonniveau, est porté à exercer l'autorité soit par lacontrainte, soit par le sentiment, soit par unehabile combinaison des deux. L'explication,réputée laborieuse et peu digne d'un véritablechef, et le débat, réputé dangereux, lui répu-gnent a priori… Il est vrai que cette notion decoopération est tout aussi étrangère à la culturedes “dirigés”. La collaboration avec l’autoritéou l’institution est spontanément perçuecomme une attitude déshonorante. Jules Césaravait relevé ce trait de notre “génie” nationalavant qu’Astérix le célèbre avec le succès quel’on sait. Bref, l’habitude, c’est d’un côté deschefs qui se complaisent à “régner” par unhabile mélange de contrainte et de séduction,de l’autre des subordonnés qui, comme l’amontré Philippe d'Iribarne (1), mettent leur pointd’honneur à n’agir qu’en fonction de leurspropres critères d’appréciation des situations, àdésobéir autant qu’ils le peuvent et à élargirsans cesse leurs marges d’initiative.

Le mythe de la transparence

Il faut se garder de nourrir des illusions sur lapureté cristalline, sur la transparence supposéede la relation hiérarchique, mais avoir consciencede ses limites et rechercher son bon équilibre…Elle n’est en elle-même guère propice à l’éta-blissement d’une véritable communication.Elle est vécue le plus souvent par les intéres-sés d’abord comme un rapport de pouvoir.« Personne, a écrit Michel Crozier (2), ne commu-nique de l'information sans prendre garde aumoins intuitivement aux conséquences qui peu-vent en résulter du point de vue de sa situationde pouvoir ». Dans ce qu'il demande ouexplique avec plus ou moins de talent, le supé-rieur n'est pas perçu comme guidé par l'intérêtgénéral mais plus souvent comme cherchant àpréserver sa position. Il n'est jamais “transpa-rent”. Le subordonné, qui veut également dupouvoir, vit mal le fait d'être totalement dépen-dant de lui, de ne pouvoir connaître et com-prendre qu'à travers lui. Il cherche toujoursquelque part à lui échapper pour se ménagerdes plages d'autonomie dans son rapport à sonenvironnement et à son travail ; d'où d’ailleursl’attrait que manifestent certains salariés pour letravail de nuit…

Loin d'être un facteur de dynamisation, le “touthiérarchique” risque au contraire d'entraînerpassivité et retrait. « Je ne conçois les rapportshumains que sur le plan de l'égalité ; dès lors

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L’IMPLICATION DES SALARIÉS

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que quelqu'un s'est mis à me traiter en infé-rieure, il n'y a plus à mes yeux de rapportshumains possibles entre lui et moi, et je le traiteen supérieur, c'est-à-dire que je subis son pouvoircomme je subirais le froid ou la pluie », a notéSimone Weil (3) après son expérience du travail enusine au milieu des années 1930. La communi-cation requiert une certaine égalité. C’est lerisque que prennent deux partenaires qui se met-tent volontairement dans une situation de vulné-rabilité réciproque, renonçant l’un aux facilitésque lui donne sa position institutionnelle, l’autreau confort de la passivité ou d’une opposition deprincipe. Ils acceptent de changer leurs façons devoir, s'influençant et s'enrichissant mutuellementde manière à parvenir à une décision partagée ouà un mode de fonctionnement nouveau.

Relais, non. Médiateurs, oui…

Il faut renoncer à demander aux managersd’être des “relais”. Sauf exception, personne, entout cas dans un contexte culturel comme lenôtre, n’a jamais accepté de se faire avecenthousiasme, donc de manière intelligente, le“facteur” d’un autre. Les managers ne savent nisouhaitent le faire. Il n’y a là pour eux aucunevaleur ajoutée. Au contraire. Délivrer des mes-sages venus d’ailleurs, surtout lorsqu’ils sontdéjà connus, sans rapport ou en contradictionavec ce que les gens vivent, risque de compro-mettre l'équilibre qu'ils sont parvenus à créer ausein de leurs équipes, sans leur apporter unquelconque bénéfice. Ils ont donc naturelle-ment tendance à adopter une attitude de retrait,sinon d'opposition larvée.

On ne délivre volontiers, et donc bien, que lesmessages que l'on maîtrise parfaitement et aux-quels on adhère, soit parce qu'on en est le créa-teur, soit parce qu'on a eu les moyens de se lesapproprier et de les reformuler. « On ne se batbien que pour les causes qu'on modèle soi-mêmeet avec lesquelles on se brûle en s'identifiant », aécrit le poète René Char (4). De plus le fait d’êtrecantonnés dans un rôle de “courroies” est nonseulement dévalorisant pour les managers, mais ilpeut les pousser à accentuer les pressions, à créerdavantage de stress, voire à adopter des attitudesde harcèlement.

L’enjeu pour l’entreprise, c’est de leur donner ledroit, l’envie et les moyens d’être non des relais,mais des “facilitateurs”, des médiateurs entredes contraintes multiples, des “réducteurs decontradictions” au niveau qui est le leur etd’abord, sans les nier, entre le discours de

l’institution et ses actes. Comment parvenir àfaire comprendre (ce qui ne signifie pas faireaccepter) les décisions ou les projets de l’entre-prise, alors que tout incite à les rejeter sponta-nément ? Comment réussir à concilier lescontraintes qu’elle pose avec l’aspiration desindividus à plus de liberté. Comment leur per-mettre de mener à bien leurs projets personnels,forcément divers, tout en assurant la réalisationdes objectifs assignés ? En s’intéressant aux dif-férences individuelles, en reconnaissant leurintérêt pour l’efficacité collective, en leur per-mettant de s’exprimer, de se confronter (débat)et de se réguler, en aidant chacun à se piloterlui-même dans son travail. L'esprit d'initiative,l'implication… et le bon équilibre de la relationhiérarchique sont à ce prix. Tout cela passe parune attitude permanente d’écoute, par l’incita-tion à l’expression individuelle et collective, parsa mise en œuvre grâce à des procédures et desmoyens appropriés.

Des risques à prendre

Agissant ainsi, il est clair que la hiérarchie duterrain accepte de prendre des risques et de semettre dans des situations inconfortables. Unesensibilisation aux phénomènes de groupe, desformations aux techniques d'animation et derésolution des problèmes peuvent l’aider à lesgérer. Mais il faut aussi qu'elle connaisse etcomprenne parfaitement les projets de l’entre-prise, qu’elle dispose d’une autonomie suffisantedans l’organisation du travail, d'une certainelatitude d'appréciation des situations, d’un réelpouvoir de décision au niveau qui est le sien. Lahiérarchie du terrain doit aussi disposer d'unepossibilité d'expression vis-à-vis des échelonsd'encadrement supérieurs, qui doivent se mon-trer aussi ouverts à son égard qu'ils attendentqu'elle le soit avec le personnel placé sous saresponsabilité.

La force de l'exemple s'avère, dans l'affaire, unpuissant facteur d'incitation, tandis que l’injonc-tion paradoxale « Fais ce que je te dis, ne fais pasce que je fais », plus fréquente, joue évidemmenten sens inverse. Chacun tend à reproduire enversceux qui travaillent avec lui le style de commu-nication qu'il observe chez ceux qui sont au-dessus de lui. Il est difficile pour une directionde demander à ses managers de faire des effortsdont elle se dispense vis-à-vis d'eux. La confi-guration des structures ne facilite pas toujours leschoses. L'empilement des strates hiérarchiques,la multiplication des services fonctionnels, quiaboutissent généralement à un divorce plus ou

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8Les cahiers de la communication interne n° 13 - Septembre 2003

DOSSIER

moins prononcé entre structure formelle etstructure réelle de fonctionnement et vont depair avec une prolifération des procédures, sontautant d’obstacles sur le chemin de la coopé-ration. Plus la structure est courte, plus la marged'initiative offerte aux acteurs situés à chaqueniveau est large.

Esquisse d’un portraitdu manager “communicant”

Qu’est-ce finalement qu’un manager “commu-nicant” ? Dans un domaine par définition incer-tain, parce qu’il ressort finalement de la libertéet des convictions de chacun, il est impossiblede poser des principes intangibles. On peutcependant suggérer quelques repères découlantdes développements qui précèdent :

• Il connaît et comprend suffisamment bien sonentreprise, l’environnement dans lequel elle opère,ses contraintes, ses objectifs et ses politiques pourpouvoir aider ses collaborateurs à s’orienter etrépondre à leurs questions éventuelles.

• Il a le “savoir-faire” nécessaire dans lesdomaines de l’explication, de l’animation (desgroupes, des réunions) et de la résolution desproblèmes.

• Il dispose d’une autonomie et d’une marge demanœuvre qui lui permettent d’animer vérita-blement son équipe. Il se sent soutenu dans sonaction par sa propre hiérarchie. Ayant confianceen elle, il n’est pas inhibé par la crainte dedéplaire ou de faire une faute, mais poussé àmener des projets avec son équipe.

• Il a envie de “faire grandir” ses collabora-teurs, en stimulant leurs capacités, en les faisantparticiper, en les questionnant plutôt qu’en lesreprenant systématiquement, parce qu’il saitque cela s’inscrit dans les valeurs de son entre-prise et que c’est effectivement ce qu’elle veut.

• Il écoute chacun de ceux qui travaillent aveclui et s’intéresse à eux ; il les respecte dans leursingularité et est capable de nouer avec eux un dialogue vrai et sans formalisme. N’estimantpas disposer d’une compétence universelle, ilpense qu’il a à apprendre d’eux.

• Il est animé par des convictions, des valeurs,une éthique personnelle. Il “parie” sur lesautres, parce que, au-delà des risques d’échecsou de déceptions toujours possibles, il penseque c’est la seule attitude humainement accep-

Pierre LabassePrésident d’honneur de l’Association française

de communication interne

table, mais aussi la seule manière de progres-ser et de parvenir à un mode de fonctionne-ment optimal. Il suscite ainsi autour de lui duplaisir à travailler…

• Ses collaborateurs ont confiance en lui. Soncomportement, ses réactions leur sont prévi-sibles, compte tenu des principes qui inspirentson action et de “l’humanité” qu’ils lui recon-naissent. Cela les aide à dépasser les frictions,les désaccords inévitables. Cela leur donne surtout envie de s’impliquer, parfois de donnerle meilleur d’eux-mêmes et toujours de regar-der devant, au lieu de se perdre dans la jungledes stratégies de retrait, d’évitement et de pro-tection individuelle. Ce qui est sûr, comme toutle monde en fait l’expérience, c’est que ladéfiance, qui est le refus de prendre le risquede la rencontre, rend impossible la communi-cation. Faut-il oser la communication ? C’estbien la question…

Notes(1) La logique de l’honneur, Seuil, 1989(2) La société bloquée, Seuil, 1970(3) La condition ouvrière, Gallimard, 1951(4) Feuillets d'Hypnos, Gallimard, 1946.

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L’IMPLICATION DES SALARIÉS

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Le poste que vous occupez actuellement est-ilvotre premier poste ?

Non, j’ai débuté chez Kronenbourg en fabrica-tion. Ce qui m’a frappé en arrivant ici, àVillefranche, c’est la marge d’initiative dont jedisposais sur le choix des moyens pouratteindre mes objectifs. On ne nous demandepas de transmettre sans explications des mes-sages venant d’en haut, sur lesquels on est tou-jours plus ou moins bien armés et qui nousexposent à des retours de flamme. Quand j’aipris mon poste, j’ai commencé par observerpendant deux mois et demi sans prendre dedécisions. J’ai essayé de comprendre pourquoiles gens faisaient les choses comme ci oucomme ça, sans réagir. Je me suis gardé dedire : « Tiens, vous faites comme ci, moi je feraisplutôt comme ça… »

Pourquoi ?

Parce que je ne voulais pas les bloquer, risquer de les installer définitivement dans une posture

d’exécutants. Nous avons besoin, dans l’environ-nement actuel, de gens autonomes, capables deprendre eux-mêmes les bonnes décisions dansleur travail. Si vous faites du hiérarchique directiftraditionnel, ça marche mais vous rencontrez vitedes limites que vous ne pouvez pas franchir. Ilfaut parvenir à passer d’une autorité hiérarchiqueà une autorité reconnue. Entre les conducteurs delignes et moi, il n’y a pas d’échelon intermédiaire.Mais il existe, au sein de l’équipe, des “premiersouvriers”, qui sont des conducteurs de lignesayant du potentiel. Ils ont une position fonction-nelle de coordination de certaines actions (qua-lité, sécurité) et sont les interlocuteurs naturels deleurs collègues en cas de besoin, notammentlorsque je ne suis pas là. L’enjeu pour moi est defaire grandir mes collaborateurs.

Comment?

Par toute une palette d’actions. La structurecourte, qui ménage de vrais espaces de liberté,y contribue. La formation aussi. Nous mettonsà profit la réduction du temps de travail pour

Yann Cézanne-Bert est responsable de l’atelier exploitation/conditionnement des céréales infantiles Blédine à l’usine Bledina

à Villefranche-sur-Saône (Groupe DANONE). L’établissement emploie200 personnes et comporte quatre niveaux hiérarchiques : directeur,responsable production, responsables d’ateliers et opérateurs. Lui-même,ingénieur de formation, manage une équipe de trente opérateurs. Il nouslivre ici une part de son expérience.

L’expérience de PechineyL’expérience d’un manager de terrain

Interview de Yann Cézanne-Bert

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10Les cahiers de la communication interne n° 13 - Septembre 2003

DOSSIER L’IMPLICATION DES SALARIÉS

cela. Bledina donne à chacun la possibilité d’uti-liser ses JRTT pour participer à des formationspayées sur le thème qui l’intéresse, même s’ilest très éloigné des préoccupations de l’entre-prise. C’est un moyen pour l’entreprise commepour eux de gagner en efficacité. Il faut que celasoit admis… Mais le plus important est sansdoute la cohérence dans les politiques et lescomportements de toute la hiérarchie.

Qu’est-ce alors pour vous qu’un manager communicant ?

C’est celui qui est capable de trouver des plagescommunes entre les objectifs de l’entreprise etceux des individus! Je pense que la communica-tion est moins une affaire de capacité techniqueque d’aptitude relationnelle. Il faut reconnaîtreses collaborateurs comme des individus ayantune histoire propre et non comme une masseindifférenciée. Il faut qu’ils sentent que vous vousintéressez à eux en tant que personnes. C’est cequ’ils attendent et là-dessus on ne peut pas fairede cinéma… Ce n’est pas forcément évident.Vos patrons vous demandent d’abord d’être lesrelais de la politique générale de l’entreprise. Voscollaborateurs, eux, attendent que vous défen-diez leurs points de vue et leurs intérêts, commele font sur un autre plan les syndicats. Ils veulentque l’implication de chacun ait des retombéesconcrètes et que l’accroissement des compé-tences soit matériellement reconnu.

C’est une situation assez exposée !

Un peu. On risque évidemment de rencontrerdes difficultés de positionnement. Un managerdur, à l’ancienne, est dans une position confor-table : sa direction lui reprochera rarement defaire son boulot et ses collaborateurs n’atten-dent rien de lui ! Mais je ne pense pas que celasoit une attitude intelligente : si l’on veut avoirune autorité reconnue, il faut être capable dedire quelquefois non à son patron… et quecelui-ci l’accepte comme vous l’acceptez de voscollaborateurs. Il peut donc arriver qu’il soit pluscompliqué de communiquer avec son chefqu’avec ses subordonnés. Un manager commu-niquant, pour reprendre votre expression, c’estaussi celui qui est capable de convaincre ses supé-rieurs qu’ils ont parfois intérêt à agir autrement.

Concrètement, avec vos coéquipiers, vous vous yprenez comment?

D’abord, et ce n’est pas toujours facile, je passedu temps à les écouter, y compris lorsque jesuis pris par l’urgence, par exemple lorsqu’un

incident technique se produit. C’est dans cesmoments-là que les gens risquent d’avoir le sen-timent qu’on ne les écoute pas parce qu’onpense tout savoir. Je passe tous les jours sur leslignes. Je fais attention à mon comportement età la manière dont il peut être interprété. Je ne disjamais d’emblée : « Il faut faire autrement »,mais je m’emploie, lorsque c’est nécessaire, àconstruire la solution avec l’intéressé en discu-tant avec lui. Nous avons aussi des procéduresplus formalisées. Notamment quatre réunionsannuelles d’information et d’expression d’uneheure par équipe, pendant lesquelles nous arrê-tons les lignes : les participants pointent les dys-fonctionnements, critiquent ce qui ne va pas ; ilsy tiennent et, si par hasard elles ne sont pastenues au rythme fixé, ils les réclament. Enfinnous utilisons l’affichage pour donner les infor-mations sur le fonctionnement des lignes, laqualité, la sécurité. Mais l’affichage n’est riensans la communication directe.

Si, pour finir, vous deviez définir l’apport dumanager à la communication, vous diriez quoi ?

Pour moi, le manager est un catalyseur. Il permetqu’une interaction positive se produise. Mais ilne crée pas de valeur par lui-même. Ce sontceux qui l’entourent qui le font et lui les aide.Je dis toujours : « Ce n’est pas moi qui conduisla ligne. C’est vous. Donc c’est vous quisavez ». Finalement, communiquer c’est peut-être avant tout montrer à ceux qui travaillentavec vous qu’ils sont intelligents, qu’ils ont unevaleur individuelle qui contribue à la valeurajoutée collective.

Propos recueillis par Pierre Labasse

Yann Cézanne-Bertingénieur de l’ENSAIA de Nancy,

est responsable de l’atelierexploitation/conditionnement des céréales infantiles Blédine

à l’usine de Bledina à Villefranche-sur-Saône

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La communication internen’a pas de prix…

…N éanmoins l’AFCI a pris l’initiative de lancer un prix annuel pourrécompenser les meilleurs mémoires universitaires de fin d’études

de 2e et 3e cycles en communication interne. La première édition de ce prix, parrainéepar plusieurs entreprises, s’est tenue le 28 mars à la Cité des sciences et de l’industrieà Paris. Quatre prix ont été décernés par le jury à partir d’une première sélection dehuit mémoires sur les vingt présentés.La Rédaction des Cahiers a demandé aux lauréats de formuler les idées-clés de leurmémoire. Ce qui frappe : la diversité des thèmes traités, leur originalité, leur actualitéet la qualité des candidats.

Bénédicte Cousseau (Celsa, Paris) sort des sentiers battus en analysant le cas durecrutement par une entreprise d’un ancien volontaire d’une O.N.G. humanitaire.Ce recrutement atypique révèle comment la différence et le rapport entre compétence etcomportement sont vécus à l’intérieur de l’organisation.

Xavier Lhomme (Université Michel de Montaigne, Bordeaux III) est entré comme ouvrierà la Snecma, au Haillan. Aujourd’hui responsable de communication interne, il a réussiun long périple de formation universitaire. Le thème de son mémoire, “culte du clientcontre culture de l’entreprise”, est provocateur. Il analyse avec un franc-parler décapant,les effets de la démarche qualité sur la communication interne, les relations inter-personnelles et les relations hiérarchiques.

Laurence Harmel (Celsa, Paris) décrit le fonctionnement de la communication internedans une entité à vocation stratégique, récemment créée par un groupe international.Elle montre l’influence stratégique qu’exerce, qu’on le veuille ou non, la communi-cation interne sur la croissance externe de l’entreprise.

Marie-Flore Bousquet (Université Paris-Nord XIII) a présenté “Les métiers de la com-munication interne en quête de reconnaissance”. Il ressort de son étude que les salariésapprécient les communicants au moyen des critères de professionnalisme propres aumétier dominant de l’entreprise. En fonction de quoi, elle propose plusieurs stratégiesd’influence et de conquête de reconnaissance pour les communicants.

En créant ce prix, le conseil d’administration de l’AFCI voulait non seulementreconnaître les jeunes talents mais se laisser interpeller par eux. Récompenser desmémoires, c’est aussi savoir apprécier les questions qu’ils posent. Rendez-vous l’année prochaine.

Robert de Backer

Note : Le texte intégral et les synthèses des mémoires sont présentés sur l’extranet AFCI :www.afci.asso.fr

Prix AFCI 2002-2003Présentation des mémoires

Ont parrainé :

La Cité des sciences et de l’industrie, EDF,La Française des jeux, France Telecom, Givaudan et Stratégies.

Le jury :

• H. Sérieyx, Quaternaire,président du jury,

• F. Bossoutrot, AFPA, présidente de l’AFCI

• J-M. Charpentier, EDF-GDF services

• A. Delcayre, Stratégies• G. Gallienne, sociologue

et enseignant• T. Garnier, Renault Trucks• P. Labasse, consultant• G. Monestiez, consultante

et enseignante • M. Potel, Caisse

d’Épargne Bretagne• A. Soymié, Axa.

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12Les cahiers de la communication interne n° 13 - Septembre 2003

«Aller dans un pays pauvre, voir les problèmesque rencontrent ces gens-là, c’est drôlementimportant. On y apprend beaucoup de choses.Et tant mieux si on est capable de vivre cetteexpérience! Mais je ne peux pas en parlercomme ça à mes clients. Je suis obligé de trouverdes formules qui me permettent de valoriser ceparcours, de démontrer que cette personne a uneexpérience humaine et un système de valeursclaires. D’ailleurs, l’entreprise aussi peut avoirenvie de ça. Ce n’est pas négligeable. Une autreinconnue subsiste: quelle idée se font du mondedu travail les gens qui n’ont pas encore d’expé-rience, et dont la seule référence professionnelleest une expérience humanitaire? »

En quelques phrases, ce recruteur indépendantaborde la plupart des questions que soulève le recrutement d’un ancien de l’humanitaire :représentations et attentes du recruteur et ducandidat, compétences et valeurs dont l’entreprisepeut non seulement avoir envie mais aussi avoirbesoin. Et si nous, recruteurs, communicants,managers, portions un regard neuf sur l’expé-rience humanitaire? Trois questions se posentalors: quelle image ai-je de cette expérience sur

un CV? Sur quelles compétences pourrais-jecompter pour mon entreprise? Ne risque-t-on pasun choc culturel?

A priori et imagination : difficile d’y voir clair !

Lorsqu’il reçoit une candidature, le recruteur laconfronte à ses propres représentations, à cequ’il connaît ou imagine des différentes expé-riences au regard du poste à pourvoir. Or, lerecruteur reconnaît difficilement l’expériencehumanitaire comme étant professionnelle. Carelle est avant tout un choix résolument personnel,tellement étranger à la logique de l’entrepriseque la dimension du “travail” - objet premier dudépart - est oubliée. Elle peut aussi faire craindreun altruisme incompatible avec les contraintes del’entreprise. Difficile à “vendre”, elle suscite desréticences: le contexte de l’entreprise peine à ydonner du sens. En tant qu’homme, le recruteurdéveloppe un imaginaire foisonnant devant unetelle histoire. Face aux caricatures souvent tracéespar les médias, il a, comme tout le monde, desproches engagés dans un réseau associatif trèsouvert. Son histoire personnelle complète parfois

Bénédicte CousseauAprès une maîtrise de gestion à Dauphine (1994) et quatre ans de contrôle de gestion à la rédaction d’Europe 1, Bénédicte Cousseaupart au Cameroun, avec une ONG, sous le statut de volontaire. Pendantdix-huit mois, elle travaille sur une mission de gestion à Yaoundé. À son retour, en 2000, le DESS qu’elle suit au Celsa et dont elle sortmajor de promotion lui permet d’intégrer le groupe Pechiney : elle seretrouve alors à la croisée des deux “mondes”, celui de l’entreprise et celui de l’humanitaire. À trente ans, elle est aujourd’hui adjointe RHà l’usine Pechiney de Gardanne (Bouches-du-Rhône).

A ujourd’hui les comptables recrutent des comptables. On discutemétier, on se coopte, on se juge entre gens du même monde.

La dimension globale de l’être humain est occultée et on s’intéresse peuà ce que le candidat vaut en dehors de sa stricte compétence profession-nelle. Alors, à l’occasion d’un recrutement, comment peut-on valoriser une expérience un peu à la marge, comme celle de l’humanitaire par exemple ?

1er

PRIX

L’humanitaire dans une carrière:une chance pour l’entreprise?

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le tableau: de l’admiration toujours nuancée parun doute sur les motifs du départ.

Cet imaginaire empêche d’autant plus l’analysedes compétences que les deux interlocuteursne sont pas du même monde : l’ex-volontairerentre transformé par une aventure humainetrès forte, qu’il ne peut réduire à sa dimensionprofessionnelle sans la dégrader. Sans vraiments’accorder sur l’image qu’ils ont de cette expé-rience, pourront-ils valoriser des compétencespourtant précieuses pour l’entreprise ?

Des compétences à reconnaître

Trois fois plus diplômé que la moyenne desFrançais, le volontaire a développé de nom-breuses compétences en mission. Bien évidentssont les savoir-faire liés à l’expatriation, qu’ilssoient linguistiques, culturels et interculturels.Responsable de projet, expert-formateur,capable de désapprendre et de réapprendredans un contexte de changement, le volontairea éprouvé ses capacités d’adaptation et s’estgénéralement imposé un niveau élevé de qua-lité dans son travail. Le plus souvent, il a étéévalué, en France et sur le terrain.

Mais c’est surtout au plan comportemental queses compétences se sont affirmées : travailler etfaire travailler ensemble, être à l’écoute pourune négociation ou une concertation efficacessont les maîtres mots d’une mission humani-taire. Au plan individuel, l’isolement et laconfrontation à des réalités tout autres, souventdifficiles, parfois extrêmes, apportent unegrande maturité. D’autant plus qu’elle s’appuiesur un terrain psychologique choisi pour sa soli-dité : on ne s’expatrie pas si l’on est trop fragile !

Cependant, ces compétences sont difficiles àmesurer et à transférer. Car la logique occiden-tale mesure la compétence aux résultats, alorsque le volontaire est précisément parti dans unpays où les précarités limitent l’efficacité. Et lareconnaissance de ces compétences nécessitedes repères communs, un champ d’applicationpossible dans l’entreprise. Des similitudes géo-graphiques, sectorielles ou fonctionnelles sontalors les meilleures clés de lecture pour lerecruteur.

La question des valeurs

Au-delà des compétences, le manager peutégalement redouter qu’un salarié aux valeurstrop marquées s’implique peu dans le projet del’entreprise. Car le choix humanitaire dénotedes convictions fortes, de l’idéalisme et unevision globale de l’homme. Ces valeurs évo-luent peu et doivent donc être partagées. Lesanciens volontaires que nous avons rencontréssont, avant tout, exigeants au plan des com-portements dans l’entreprise, qu’il s’agisse durespect des personnes, de l’honnêteté ou de laconvivialité dont ils sont d’ailleurs souventmoteurs. Par ailleurs, leur relation à l’argent estplutôt ambivalente : ayant lutté contre la misèreet le sous-développement, ils sont convaincusde la nécessité de créer de la richesse. Maisl’objectif unique du profit peut être, à leursyeux, source de dérives.

Trouver un terrain d’entente

Trouver un terrain d’entente n’est pas aisé quandon vient de deux mondes qui s’ignorent. Levolontaire arrive sur le terrain de l’entreprise :c’est à lui d’en adopter les usages et les codes,comme il l’a fait en Afrique, ou ailleurs. Ce pas-sage lui demande d’intégrer son histoire dansune réalité professionnelle qui puisse être par-tagée par un manager. Utiliser le langage del’entreprise est une première étape ; il s’agitensuite de pratiquer un discours recevable parun recruteur a priori dubitatif et de rester exclu-sivement dans une perspective professionnelle.

Certaines actions peuvent être menées pourque l’entreprise bénéficie au mieux de ce vivierde compétences. Elles exigent clairvoyance etréalisme, comme pour la plupart des recrute-ments. Car l’ancien volontaire n’est pas un cas àpart. Ses souhaits s’inscrivent dans une évolutionplus générale que révèlent les nouvelles attentesdes jeunes cadres en termes d’employabilité, decontenu et de sens du travail. Dans cet univers,l’ancien volontaire se distingue seulement par unpeu plus d’idéalisme, de sensibilité à la réalité dutravail. Et alors que la presse du management titresur l’efficacité du savoir-être, il se souvient sim-plement : « Là-bas, j’ai un peu appris à être… ».

Prix AFCI 2002-2003

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idées et de leurs opinions, le réalisme disparaît etla qualité de la prise de décision se détériore.Les salariés doivent exercer un manque derespect légitime envers leurs supérieurs hié-rarchiques, le pouvoir de décider doit des-cendre jusqu'au niveau hiérarchique le plusbas afin de prendre une décision satisfaisante.La confiance est une construction volontairede l’organisme qui en attend, de façon légi-time, des résultats tangibles : l’innovation, laréactivité, et qui laisse aussi le droit à l’erreur.

Seul le dialogue permet à ces trois com-posantes de vivre positivement

En effet, la culture de l’entreprise se diffuse len-tement et son apprentissage par le nouvel arri-vant se fait trop souvent par l’accumulation desbévues plutôt que par la transmission de valeurs.D’ailleurs, comment appartenir à une entité quine s’ouvre pas à vous? Comment avoir confiance

La communication sociale en entreprise com-porte trois composantes dont le dosage et laforce intrinsèque font la particularité de chaqueorganisation.• La culture de l'entreprise comprend unemémoire et une ambition collectives mais aussiun langage, des valeurs, des rites et des mythes.Une forte culture d'entreprise renforce la perfor-mance économique en réduisant les coûts, enparticulier d'encadrement.• Le sentiment d'appartenance à l'entreprisecontribue à créer une culture cohésive et favorisel'existence d'un leadership réparti. Les salariésapprécient les entreprises qui apportent un sensà ce qu'ils font. Dans ce contexte, ils mettent leurimagination et leur créativité au service de leurtravail et ont une volonté d'engagement et deconcentration dans leurs activités.• La confiance, donnée et reçue, est essentiellepour un management efficace. Si les personnesne sont pas prêtes à discuter ouvertement de leurs

Xavier LhommeAutodidacte, Xavier Lhomme, 38 ans, a démarré sa vie professionnelle avecun BEP de conducteur d'appareils d'industrie chimique. Après avoir exercédivers métiers dans la distribution, la chimie et les chantiers navals, il estentré dans le groupe Snecma où il a été successivement collaborateurd'atelier, agent d'ordonnancement, analyste-programmeur. Après un bilan de compétences et grâce à un financement du Fongecif, il a pu suivre laformation AFPA de Technicien supérieur en communication d'entreprise.Depuis 1997, il est Chargé de Communication chez Snecma PropulsionSolide (1450 personnes au Haillan, en banlieue bordelaise), et depuis cette année, Responsable de la Communication interne. Il a présenté son mémoire dans le cadre d’un 3e cycle en sciences de l’information et de la communication à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux III.

Les entreprises qui savent motiver leur personnel se caractérisentpar des valeurs internes très élevées. C’est en s’appuyant sur des

valeurs communes et partagées que l’on peut résoudre les problèmes,changer et faire changer l'organisation et les mentalités, instaurer laqualité, évoluer et innover, faire vivre une organisation et y vivre bien.Mais il existe aussi des principes d’action qui aboutissent à détruire lacommunication, à gripper le fonctionnement interne et à détruire lecorps social.

2e

PRIX

Culte du client contre cultured'entreprise

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quand le discours des autres n’est pas sincère?Communiquer en entreprise implique de com-battre les travers, désuets mais vivaces, quiconsistent à inhiber la parole en dehors descanaux conventionnels, à réprimer la contes-tation légitime et à considérer les discussionsentre collègues comme non productives.Cela demande aussi un investissement en forma-tion, car le dialogue propice à la communicationsociale ne s’improvise pas, il demande uneméthode et l’apprentissage de cette méthode.

Trop souvent, les managers pressés aboutissent à décomposer la communication interne

Communiquer en s'appuyant sur la cultured'entreprise n'a de sens que si l'on envisage laculture telle qu'elle est et non pas telle qu'elledevrait être… Prenons quelques exemples.• Le culte du client tend à substituer aux valeursinternes, propres et partagées de l'entreprise desvaleurs externes, impersonnelles et fluctuantes.La culture partagée, qui a longtemps forgé lesentiment d’appartenance à une entreprise,devient un concept sans réel contenu dès lorsque les organisations se désintègrent et se délo-calisent au gré de logiques de compétitivité et d’économie globale, sans relation avec lessalariés eux-mêmes.• La précarité de l'emploi dans l'entreprise,quand ce n'est pas celle de l'entreprise elle-même, est liée à la stratégie actuelle des ges-tionnaires du capital, qui consiste à introduiredans l'économie et dans le travail une souplesseextrême, susceptible de synchroniser instanta-nément la production sur la consommation.Cette flexibilité entraîne une précarisation dutravail dans la mesure où elle s'accompagned'une velléité du capital de déconstruire lescompromis cristallisés dans le droit du travail etdans le droit conventionnel, de réduire le rôlerégulateur de l'État pour retrouver un rapportcapital/travail plus favorable à ses intérêts.L'insécurité croissante de l'emploi, liée à lamontée en puissance de nombreux schémas derapprochement d'entreprises, dont l'un des pre-miers effets est de rationaliser les effectifs, tendà réduire la loyauté du salarié à l'égard de sonemployeur et à limiter son implication dans untravail pour lequel il a le sentiment d'avoir demoins en moins de reconnaissance. Les salariésne sont plus prêts à gérer les conséquences

de cette rationalisation, qui tend à augmenter le nombre des heures de travail de ceux quidemeurent en poste, ou au moins à en densifierla charge, avec tous les effets pervers sur la viefamiliale et la santé.

Parfois, des dirigeants décident de reprogrammer la culture de leur entreprise

Pour ce faire, ils procèdent par greffes : un nou-veau dirigeant, une innovation technologiqueimportante, des actions de communicationinterne, un projet mobilisateur et volontariste.Ce faisant, ils espèrent pouvoir atténuer le poidsdu passé et améliorer la capacité d'adaptationde l'entreprise.Parfois même, ils font du passé… table rase. Sansse préoccuper de la culture de l'organisation, ils fixent de nouvelles références et tentent dedonner une nouvelle personnalité à l'entreprise.Cela pose à terme le problème de la cohérenceentre les stratégies mises en place et le passé del'entreprise, avec ses effets sur les comporte-ments habituels des managers, sur leur politiqueet sur l'évolution des comportements des salariésen général.

Dans ces conditions, les objectifs des dirigeantset ceux des salariés divergent de façon croissante,et leurs intérêts aussi. Quand le marché secontracte et que la direction décide en consé-quence de réduire les effectifs, le problème estpresque toujours imputable à la façon de diri-ger l’entreprise, jamais aux salariés.Alors que les salariés sont de moins en moinsnombreux, avec de plus en plus de responsa-bilités, les “grands managers” vivent un âge d'or.Situés dans une sphère de non-décision, puisqueles actionnaires se chargent de la stratégie et queles employés gèrent le côté opérationnel, ils sontde surcroît surprotégés en cas de problème.C'est ce que confirment les récentes et nom-breuses faillites de très grandes sociétésinternationales, dont les dirigeants sortentavec des indemnités ou des prises d'intérêtincommensurables alors que leurs employésse retrouvent sur le pavé et sans recours.

Prix AFCI 2002-2003

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Laurence HarmelAprès une première année universitaire écourtée, Laurence Harmel rentre à 20 ans dans la vie active. L’envie de reprendre des études ne l’a cependantjamais quittée. Elle réussit à faire valider ses acquis professionnels et décidede prendre un congé individuel de formation. Quelques mois plus tard et après quelques batailles… elle obtient une maîtrise de l’information et de la communication au Celsa ; dans le même temps, elle mettait au monde un deuxième bébé !

Un groupe, leader mondial, créait en 1999 un pôle de services des-tiné à devenir un des moteurs de sa croissance et un axe majeur

de développement (1). Constitué de quelque dix sociétés récemmentacquises, il regroupait 370 salariés, sur trois sites en France et auCanada. Quel pouvait être le rôle de la communication interne dansl’intégration de ces nouveaux salariés ? Une fois l’acquisition achevée,que se passe-t-il pour les hommes et les femmes qui doivent désormaiscollaborer ? Comment perçoivent-ils la stratégie et l’impact du Groupesur la gestion de leur entreprise ? Quel impact exerce la com’ internesur la croissance externe? Témoignage.

L’objectif du nouveau pôle était de réunir descompétences provenant d’univers différents afind’optimiser l’offre de nouveaux services. Leshommes constituant la ressource principale decette stratégie, leur rencontre et la façon dont ilsvont coopérer seront déterminantes sur la réussitedu projet. C’est pourquoi l’analyse du processusd’intégration des ressources humaines m’a semblé pertinente.Très vite, j’ai constaté la difficulté qu’avaient lessalariés à identifier les synergies possibles entreles différentes entités constituant le nouveaupôle Services. Ils réussissaient mal à se repré-senter le Pôle dans sa globalité et à faire le lienentre les entités. La vision stratégique n’était pasbien comprise par l’ensemble des acteurs.Au fur et à mesure, d’autres problèmes sontapparus : les salariés ressentaient un malaiseimportant du fait du manque d’information.

Des jeux d’acteurs se développaient pour faireface à la situation. Au terme d’une premièreannée d’activité, les résultats du Pôle Serviceslaissaient à désirer.La circulation de l’information et la compré-hension par les salariés de leur environnementapparaissaient déterminantes pour la perfor-mance de l’organisation.

La communication interne : une fonctionencore à l’état de projet

J’ai pu vérifier la place de la communicationinterne et constater qu’elle n’avait pas été intégrée dans la stratégie globale. Il n’existaitpas de plan de communication pour accompa-gner l’arrivée des nouvelles sociétés et faciliterl’intégration de leur personnel.La communication interne n’était pas la préoccu-

1er

PRIXCommunication interne etcroissance externe, les enjeux d’unepolitique d’intégration et de communication

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pation majeure de la direction. Même si celle-cidisait sa volonté de mettre en place des actions decommunication, elle ne donnait pas de véritablesmoyens au service des ressources humaines pourles réaliser.J’ai eu le sentiment que la communicationinterne au sein du Pôle était encore une fonctionà l’état de projet. À l’époque, seul un séminaired’accueil avait été organisé pour les nouveauxcollaborateurs. On m’a confié la mission d’enfaire un vrai moyen d’intégration.

Un outil apprécié : le séminaire d’intégration

Ce séminaire devait faire comprendre quelétait le rôle de chacun dans un projet global etnourrir le sentiment d’appartenance. Après uneprésentation stratégique du Pôle, l’essentiel dutemps était consacré aux différentes activités età la visite d’un site d’Air Liquide. Malgré l’atta-chement à leur société d’origine, les salariéssemblent vivement intéressés par l’approfon-dissement de leur connaissance du Groupe : lesmétiers, les sites de productions et les centresde recherche.Cette rencontre en petit nombre avait aussi pourbut de favoriser la constitution de réseaux croisésentre les différents salariés. Les participants ontapprécié ces moments d’échange. Pour certains,c’était le premier contact social et professionnelen dehors de leur propre société.Enfin, pour le DRH, c’était un moment utile pourrenforcer la motivation des salariés. À traverscette démarche, chaque individu se sentaitreconnu comme un élément important. J’aid’ailleurs constaté que les salariés qui n’avaientpas suivi ces séminaires l’interprétaient commeun manque de reconnaissance de l’entreprise àleur égard. De plus, en présentant la politique des ressources humaines du Groupe, le DRHmettait en exergue les possibilités et les moyensen matière de gestion des carrières, ce qui per-mettait d’impliquer les participants dans la durée.

Le management : un vecteur essentielde la communication

Le séminaire, très apprécié par l’ensemble desparticipants et la direction, suscitait pourtantun manque d’intérêt de la part de certainsmanagers. Toutes les raisons étaient bonnes pourne pas y participer : séminaires trop longs, pré-sence indispensable pour d’autres projets en

cours, etc. Certains ont complètement discréditétout le travail réalisé en déclarant que celan’avait aucun impact sur l’intégration de leurpersonnel.J’en conclus qu’il importe de redéfinir le rôledes managers dans la communication internecar leur formation scientifique ne les préparepas à leur rôle dans ce domaine.La communication étant d’abord une relationdans un contexte donné, les managers sont enprise directe avec les faits et les individus. C’estaussi leur rôle de faire redescendre l’information,de l’adapter, de la transposer et de lui donnerune certaine connotation.Ainsi l’information et la communication repré-sentent, sans conteste, des composantes dumanagement.

Pour conclure

Au terme de cette riche expérience, j’ai pumesurer la place encore réduite que tient lacommunication interne au sein d’un grandGroupe. Même si la direction semble “en chemin”vers une entreprise plus communicante, il restebeaucoup à faire !Dans un contexte de recherche de rentabilité,les dirigeants gagneraient à s’interroger sur des problèmes d’identité au travail, de besoind’appartenance et de facteurs de cohésion…Pourquoi ne pas envisager la communicationcomme un facteur de compétence au mêmetitre que l’innovation ou la réactivité aux évo-lutions technologiques ?

(1) Il s’agit d’Air Liquide. Le projet de l’entreprise consistait à développer des activités de services dans le domaine des nouvelles technologies de l’informationet de la communication. Le maintien du Groupe dans sa place de leader mondial reposait sur la réussite de ce nouveau projet. Ne disposant pas des compétences requises, la nouvelleentité a procédé en 2000 à une dizaine d’acquisitions ou prises de participation dans des petites sociétés spé-cialisées dans le recueil et le traitement de l’informationindustrielle. Au moment de l’étude que relate l’article, le pôle Services était constitué de 8 sociétés partenaires,d’une division d’Air Liquide et d’une équipe d’AirLiquide. Il représentait un effectif de 370 personnesréparti sur trois sites en France et au Canada. À partir d’une mission de communication interne au seindu Groupe Air Liquide - la mise en place d’un séminaired’accueil - le travail de l’auteur s’est attaché à comprendre l’impact de la communication interne sur la stratégie de croissance du Groupe.

Prix AFCI 2002-2003

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18Les cahiers de la communication interne n° 13 - Septembre 2003

Marie-Flore BousquetTitulaire d’un IUP “Communication organisationnelle et développement desressources humaines” à l’Université Paris-Nord XIII, Marie-Flore Bousquetest actuellement en DESS “Management des ressources humaines et relationd’emploi” à l’Université Panthéon Sorbonne (IAE de Paris).Ces formations effectuées par la voie de l’apprentissage (IUP et DESS) lui permettent, depuis maintenant bientôt trois ans, d’appréhender lemonde du travail au sein d’un grand groupe d’assurance français, AGF. Après avoir travaillé deux ans à la Direction de la communication, auservice Communication Interne, elle a rejoint en octobre 2002, le serviceRessources Humaines/Communication de la Direction AGF Outre-Mer.

Pourquoi aborder le problème de la reconnaissance pour des métiersdits stratégiques et incontournables, bref des métiers dans le “in”?

Parce que les individus travaillant dans les métiers de la communicationvivent une réalité bien plus complexe qu’il n’y paraît. C’est ce que révèlela recherche, menée au sein d’une grande compagnie d’assurance fran-çaise (AGF), qui visait à comprendre et analyser le problème de la recon-naissance des personnes travaillant dans la communication.

Dans l’entreprise, la communication a conquissa légitimité sur le tas. On constate son exis-tence, on en prend acte, mais elle est rarementenvisagée dans toute sa dimension straté-gique. Ses résultats sont entérinés, mais sonpublic a peu conscience du travail accomplien amont du résultat observé. D’où le malen-tendu qui fait passer les professionnels de lacommunication au mieux pour des dilettantes,au pire pour des “charlatans”. Dans l’entre-prise, comme dans la société civile, tout lemonde communique, tout le monde peut doncse permettre d’avoir un avis sur la communi-cation. Ce qui pose, par conséquent, le pro-blème de la reconnaissance des activités deceux qui travaillent dans la communication.Car ils sont en butte à une “concurrence” de lapart de ceux qui, dans l’entreprise, s’exprimenten croyant savoir communiquer.

Dilettantes, charlatans? Une légitimité à conquérir

Partant de là, chacun s’autorise à donner sonpoint de vue sur la communication, à la criti-quer, voire à en infléchir les orientations. D’oùla difficulté, pour les communicants, de conqué-rir une légitimité qui revient “naturellement” aux cadres des autres branches de l’entreprise.Certes, institutionnellement, la fonction de com-munication est reconnue dans l’entreprise, etbeaucoup connaissent l’existence de la fonction.Mais ses professionnels veulent plus qu’êtreconnus, ils aspirent à être reconnus.On observe par ailleurs, que les chercheurs sesont assez peu intéressés aux professionnels ; ilsparticipent pourtant à la construction de l’ac-cord sur l’impératif de la communication. Si lacommunication existe dans l’entreprise, celarésulte d’un travail de construction sociale et demobilisation de divers acteurs. Il importe donc de prouver sa nécessité, et le cas échéant, de la

2e

PRIX

Les métiers de la communicationen quête de reconnaissance

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confier à un corps d’experts ; ce qui suppose, dèslors, un investissement pour la légitimation desprofessionnels qui s’y consacrent et pour leuractivité.

Pourtant indispensable, la fonction estpeu reconnue. Pourquoi ?

D’une part, les dirigeants et les managers recon-naissent la nécessité de la communication,d’autre part, on observe des discours perplexes àpropos de ses professionnels. Quelle est la valeurajoutée de la communication? Quelle est laréelle expertise des professionnels de la com’ ?Comment sont-ils évalués? Autant de questionsqui remettent en cause le professionnalisme descommunicants.Dès lors, comment comprendre et analyser laconstruction sociale des identités au travail de cesprofessionnels, c’est-à-dire leurs comportements,leurs attentes et les formes de reconnaissancesqu’ils attendent ?Essayons d’y répondre en deux temps.

Correspondre aux critères de professionnalisme propres au métier de base de l’entreprise

Nous avons comparé les critères de profession-nalisme des communicants et ceux auxquels seréfèrent les professionnels de l’assurance. Cetteétape semble indispensable, dans le sens où ilest impossible d’aborder le problème de lareconnaissance, sans faire référence aux autres.Cette analyse permet d’apporter un premierniveau de réponse au problème initialementposé, à savoir les individus travaillant dans lacommunication sont-ils reconnus comme étantde vrais professionnels?

Il importe de noter que les professionnels del’assurance représentent le cœur de métier de l’entreprise. Ils constituent la population deréférence ; leurs critères de professionnalismefont donc sens pour l’ensemble des collabora-teurs. La question centrale qui se pose est desavoir si les personnes travaillant dans la com-munication accèdent à ce statut de profession-nel ? L’étude comparative s’appuie sur troispoints d’analyse essentiels : les diplômes, lespratiques de travail et les certifications. Ces troisvariables, dans la mesure où elles permettent dedéfinir ce que doit être un “bon professionnel”,

aboutissent à la mise en place d’une croyancenormative (dans le sens où la norme est unconstruit social) au sein de l’entreprise. Selonl’Encyclopédie, « la norme exerce une tellecontrainte qu’elle édicte les conduites permisesou proscrites, en vertu de valeurs communes àune société ou à un groupe ». Face à cette normeet compte tenu des spécificités propres à l’activitéde communication, nous sommes en mesurede donner une première explication à notreproblématique initiale, à savoir l’impossibilitédes communicants à rentrer dans les critères dejugements institutionnels mis en place au seindes AGF. Dès lors, se pose la question de savoircomment ceux-ci vont parvenir à se faire recon-naître auprès des salariés ? Ce questionnementsuppose de prendre en compte l’analyse des iden-tités des professionnels de la communication.

Un cercle vicieux

La deuxième étape de l’étude a consisté à bra-quer le projecteur sur les pratiques de travail descommunicants. Les idées clés qui ressortent decette analyse mettent en évidence le cercle“vicieux” dans lequel s’enferment les communi-cants. Par leurs pratiques de travail et leur systèmede reconnaissance, ils ne trouvent pas de légiti-mité par rapport à la norme qui fait sens pour lesprofessionnels de l’assurance. Or, l’activité decommunication étant par définition basée sur lesinteractions, ses professionnels se voient néces-sairement confrontés aux représentations et auxregards d’autrui. Ils veulent être reconnus par desprofessionnels dont les systèmes et les critères dereconnaissance au travail diffèrent des leurs.

Trois scénarios pour être reconnu

Bref, les professionnels de la communicationfont partie intégrante d’un système social quis’autorégule à l’intérieur de l’entreprise. Parconséquent, leur reconnaissance dépend étroi-tement des représentations des autres salariés.Pour exister dans ces conditions, trois scénariosde changement sont possiblespour la fonctioncommunication des AGF : maintenir, reproduire,innover. Le troisième apparaît le plus pertinentpour gagner la reconnaissance des autres services.Il se caractérise par la mise en place d’actionscréatives, mettant en lumière, de façon cohérente,une distinction de la communication par rapportà l’ensemble de l’entreprise.

Prix AFCI 2002-2003

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La clarté se joue à quatre niveaux

Pour comprendre comment les destinatairestraitent l’information, il faut d’abord réaliserque ce traitement n’est pas un processus homo-gène. Il est possible de s’en rendre compte trèsfacilement : lorsqu’on est, par exemple, sur lepoint de s’endormir, on peut “lire” un texte trèssimple sans en comprendre un traître mot. Onpeut donc lire sans lire. En l’occurrence, cer-tains niveaux du processus ont opéré et d’autresnon. Or, chacun de ces niveaux est déterminantpour qu’un message soit correctement reçu.

L’accessibilité La première étape de la lecture (ou de l’audition)consiste à acquérir le signal en reconnaissant des

formes graphiques ou phonétiques. C’est uneévidence, mais un texte flou ou composé encapitales est “illisible”. Il est inutile de dévelop-per ce point (1), si ce n’est pour rappeler que lemeilleur texte peut être condamné par une miseen page médiocre ou, à l’inverse, par l’inspira-tion de maquettistes ou de web-designers plussoucieux de créativité que de professionnalisme.

La facilité de lectureLe second niveau de traitement consiste à iden-tifier les mots (accès lexical) et leur rôle dans laphrase (traitement syntaxique). La majorité desrègles traditionnelles en matière de clarté secantonnent à ce stade lexico-syntaxique. Lespréceptes usuels, que l'on rencontre dans laquasi-totalité des manuels de rédaction, sont

Comprendre son lecteur pour s’en faire comprendre

Bertrand Labasse

Depuis la rhétorique antique, “l’art de communiquer” repose surun principe fondamental : l’adéquation au destinataire. En cela,

la communication s'oppose à l'expression. S'exprimer, c'est formuleressentiellement son message en fonction de ce que l'on a à dire (l'objetprime sur le lien). Communiquer, c'est formuler avant tout son messageen fonction de ceux à qui l'on s'adresse (le lien prime sur l'objet). D'oùla règle, souvent répétée et effectivement primordiale, de toujours semettre à la place de ceux à qui l'on s'adresse. Mais ce n’est pas si facile.Bien des manuels et des formateurs proposent des recettes empiriques,parfois justifiées, parfois absurdes, mais presque toujours simplistes. Orles dernières décennies de recherches en psychologie de la lecture per-mettent de mieux comprendre les processus en jeu, et donc de mieuxse faire comprendre de ses lecteurs ou, d’ailleurs, de ses auditeurs.

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d'employer de préférence des mots brefs etsimples, et de s’astreindre autant que possibleà raccourcir ses phrases. De fait, ces conseils,bien qu'ils soient surtout issus de l'expériencedes praticiens, ne manquent pas de justifica-tions psycholinguistiques ; de façon générale,les mots longs sont moins vite perçus et ont sta-tistiquement moins de chance de faire partie dulexique du destinataire. De même, les phraseslongues, qui sont forcément des phrases com-plexes (comprenant plusieurs propositions rela-tives), imposent à la fois des efforts de mémoireplus importants, une analyse syntaxique pluscompliquée et accroissent les risques d'erreurde traitement. Ainsi, les règles classiquesconstituent-elles bien un moyen de rendre sesmessages plus accessibles, à condition de nepas y voir des dogmes rigides (comme lesconseils, absurdes mais fréquents, de proscrirestrictement les phrases de plus de 24 mots oules mots de plus de trois syllabes) mais plutôtde les utiliser comme des guides, ou mieuxencore des filtres d'autocorrection à la relec-ture. D'autres préceptes empiriques vont dansle même sens, notamment ceux qui conseillentde ne pas abuser des tournures passives et desnominalisations (utilisation d'un nom à la placed'un verbe). Il est toutefois clair que ces divers préceptesinfluent sur la facilité de lecture (la lisibilité) plutôt que sur la facilité de compréhension (la clarté) : il existe des textes pénibles à lire maisfaciles à comprendre (verbeux) et, plus rarement,des textes faciles à lire mais difficiles à comprendre (ésotériques). L'intelligibilité, quiconcerne des processus cognitifs de plus hautniveau que la lisibilité, est liée à plusieurs fac-teurs, que l'on peut très sommairement résumeren deux groupes : la cohérence et la figurabilité.

La cohérence Elle permet d'identifier les relations entre lesdivers constituants du texte. Dans quellemesure le lecteur peut-il relier et assembler lesdivers éléments qui lui sont fournis ? Or lestextes sont souvent défaillants en la matière etces défaillances sont difficiles à détecter si l’au-teur n’y est pas attentif. Elles peuvent être dediverses natures. La première est de croire uni-voque une proposition en réalité très ambiguë.Une phrase comme « Il est allé avec son voisinchez son frère car il voulait lui parler » est sansdoute limpide pour celui qui l'énonce mais nepermet absolument pas à un tiers de devinerqui souhaitait parler à qui. Un autre type d'am-biguïté peut provenir de relations mal explici-tées, en raison de tournures floues (enparticulier “Ceci est associé à cela”) et, plus

encore, d'une insuffisance des marqueursnécessaires à un tiers pour suivre la logique duraisonnement (car, donc, or, mais, de plus, enrevanche, à l'inverse…). Ceux-ci sont absolu-ment indispensables pour fournir le “moded'emploi” de chaque nouvelle propositionmême si celui-ci semble évident au rédacteur :« La température a baissé : la réaction s'estralentie » peut signifier « La température a baissécar la réaction s'est ralentie » (conséquence)aussi bien que « La température a baissé, doncla réaction s'est ralentie » (cause).On ne peut être clair que si l'on est obsédé parla crainte de ne pas l'être, et si l'on s'efforced'être aussi explicite et univoque que possible.Ce qui, comme toujours, impose de s'abstrairede ce que l'on sait, et de ce que l'on est, pourse mettre à la place de son lecteur. Or celui-ciest beaucoup moins attentif et concentré que lerédacteur ne le pense. Inutile de se dire que letexte serait compréhensible si le destinatairefaisait un effort : diverses expériences ont mon-tré que, même en conditions de laboratoire(donc anormalement concentrés), les lecteursglissent sans même s’en rendre compte sur toutce qu'il ne comprennent pas immédiatement etne reviennent pas en arrière.

La figurabilité C’est la clef ultime de la compréhension. C’estaussi le point sur lequel convergent la quasi-totalité des recherches en psychologie de la lec-ture. D'un point de vue cognitif, comprendre unmessage c'est construire un modèle mental (2) del'état du monde rapporté dans ce message.C'est, en d'autres termes, se représenter - ausens propre - ce qu'il décrit. Ainsi l'expression« Je vois (ou je ne vois pas) ce que ça veut dire »est, en théorie comme en pratique, l'une deschoses les plus importantes que l'on puisse direà propos d'un texte. La construction d'unmodèle mental adéquat implique d'activer etde relier entre eux des schémas de connais-sances dont on dispose déjà et, au besoin, d'enconstruire de nouveaux. Au lieu de se deman-der stérilement « Est-ce qu'on me comprend ? »(comment le savoir ?), se demander « Peut-onse représenter ce que je dis ? » permet effective-ment de mieux maîtriser l'intelligibilité de sonmessage. Ainsi percevra-t-on, par exemple, quela présentation de la structure de l'ADNcomme une double hélice pouvait être adé-quate pour s'adresser à des fabricants d'esca-liers, mais certainement pas pour d'autrespublics. Le schéma usuel que peut activer lemot hélice (d'avion, de bateau, de ventilateur,etc.) ne permet guère de se représenter unedouble hélice s'enroulant sur elle-même…

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Les notions de modèle mental (représentationprovisoire de ce qui dit le texte) et de schémamental (structure de connaissance permanente)sont absolument capitales pour les rédacteurs,car elles substituent à l’ancienne approche lin-guistique de la compréhension une approchecognitive beaucoup plus appropriée. Dans une phrase comme « À l’imprimerie, les typo-graphes s’agitaient dans le cliquetis des lino-types », l’approche linguistique conduira à sedemander si les lecteurs connaissent le motlinotype, ce qui est sans intérêt. L’approchecognitive conduira à se demander ce que leslecteurs se représentent. Dans la mesure oùchacun peut activer un schéma d’imprimerie(plus ou moins vague, mais généralementsombre et enfumé), la majorité des lecteurs se représenteront simplement les linotypescomme des machines quelconques, et cettereprésentation floue peut parfaitement suffire.Après tout, dans un roman, les lecteurs s’abs-tiennent généralement de construire un modèleprécis des lieux, même si l’auteur s’est acharnéà décrire chaque pièce et chaque meuble. Cen’est pas parce qu’on dispose des schémasnécessaires que l’on est prêt à les activer, et cen’est pas parce qu’on ne dispose pas de cer-tains schémas que l’on ne peut pas comprendrele texte. Les schémas importants sont ceux qui permettent au lecteur de produire desinférences, c’est-à-dire d’établir les relationslogiques entre les informations fournies et decompléter celles-ci : « Les pêcheurs protestentcontre l’envoi d’un bateau » n’a aucun sens, tandis que « Les pêcheurs protestent contrel’envoi d’un aviso » en a… à condition que“aviso” active bien l’image d’un bateau deguerre.

À l’inverse, rien n'est moins habile que d'es-sayer d’expliquer tous les termes : outre que lesexplications succinctes sont souvent obscures,le lecteur n'est plus un écolier et ne peut êtreostensiblement traité comme tel. Mieux vautrenoncer ici à une notion et là se contenterd’une représentation floue (“machine” pour“linotype”), pour, plus loin, prendre le temps defaire bien représenter un concept essentiel ausujet. On connaît les trois grands outils qui peu-vent être mobilisés à cette fin, et ne le sontjamais trop : l'exemple, l'analogie et l'image(photo ou schéma). Tous jouent directement surla figuration : l'exemple en actionnant de façonconcrète, représentable, un concept abstrait ou générique ; l'analogie en permettant deconstruire un nouveau schéma par transposi-tion d'un schéma mental existant, et l'imagegraphique, comme son nom l'indique, en four-

nissant directement la représentation correcte(c'est pourquoi le vieil adage prétend qu'ellevaut mille mots). On notera au passage qu'unereprésentation ne concerne pas seulement des objets concrets : un organigramme, parexemple, permet de construire un modèlemental des rapport hiérarchiques entre des per-sonnes ou des entités, modèle qu'il serait trèsdifficile d'élaborer à partir d'une descriptiontextuelle si l'organisation en question est unpeu compliquée.

L'intérêt et la pertinence

Dans les lignes qui précèdent, on a évoquédivers points qui influent sur l'intelligibilitéd'un message, c'est-à-dire sa lisibilité (facilitéde lecture) et sa clarté (cohérence et figurabi-lité). Chacun de ces points est essentiel : si unmessage écrit ou oral (3) n'est pas simultanémentaussi lisible et clair qu'il est possible de l'être,ses chances d'être reçu diminuent d'autant.Mais dans le même temps, ces points pris iso-lément n'ont aucune utilité. En effet, on n'ajamais vu personne lire ou écouter un messagesimplement parce que celui-ci était clair. Laclef de voûte de la communication n'est pas laclarté, mais la pertinence, dont la clarté n'estque l'un des deux piliers. L'autre étant l'intérêt.Pour le comprendre, on peut s'inspirer d'uneavancée majeure des sciences cognitives, lathéorie de la pertinence de Sperber & Wilson :« Les êtres humains cherchent automatiquement,dans toute leur activité cognitive, à obtenir la per-tinence la plus grande possible, c'est-à-dire l'effetcognitif le plus grand, pour l'effort de traitementle plus faible (4). »

L'intelligibilité correspond à l'effort demandé aulecteur, l'intérêt à l'effet produit. Le problème estque, si l'on sait fort bien ce qui accroît l'effort detraitement (voir plus haut), la littérature psycho-linguistique est beaucoup plus succincte etvague en ce qui concerne l'intérêt (5). On peutcependant en retenir une distinction essen-tielle : « Certaines choses sont intrinsèquementintéressantes, comme le sexe et la violence. Toutce qui a à voir avec la sphère personnelle est, enfait, dans cette catégorie. [...] L'autre classe dechoses intéressantes sont celles qui ne sont ni tropfamilières ni trop étranges [...] Ce sont les chosesqui suscitent notre curiosité, sans être nécessaire-ment liées avec notre existence personnelle (6). »Le premier ordre de facteurs d'intérêt est de type“spontané” : il est évident en ce qui concernela santé, les risques, et plus généralement ceque le destinataire peut rapporter à lui-même.

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À cela s'ajoute une très vieille ficelle, le prin-cipe de proximité, qui veut qu'un événementgéographiquement (ou socialement) proche soitaussi ou plus intéressant qu'un événement plusimportant mais plus lointain. Le second ordre de facteurs, plus subtil etnon moins efficace, est celui des facteurs“construits”, qui reposent sur une dimensionintellectuellement motivante : un paradoxe, undéfi, un rapprochement, un aspect stimulant oucurieux, une remise en cause des connais-sances, etc. Dans les deux cas, le maître mot estcelui de “problématisation”. C'est là encoreune règle fondamentale, souvent oubliée encommunication : il est inutile d'apporter desréponses si on n'a pas amené le destinataire à se poser les questions correspondantes.L'interrogation directe n'est évidemment pas laseule méthode (ni la plus subtile) pour amenerun destinataire à vouloir connaître la suite.Créer une rupture par rapport à ce que l'oncroit savoir (« Les araignées ne sont pas desinsectes… »), susciter un déséquilibre (« La plusgrande partie de la masse de l'univers resteintrouvable »), souligner un caractère excep-tionnel (« C'est la première fois que l'on parvientà… ») ou encore recourir au style narratif(« Lorsqu'elle entreprit sa première expérience,l'équipe n'aurait jamais cru… ») sont autant demoyens d'éveiller un intérêt, de créer uneattente. Et il en est bien d'autres, que l'on nedétaillera pas ici, l'important étant d'insister surle fait qu'il est essentiel de donner d'une façonou d'une autre aux destinataires des raisons des'intéresser à ce qu'on souhaite leur dire, et demaintenir à tout prix cet intérêt. Ainsi, la pertinence est-elle le critère central dela communication : le meilleur texte ou lemeilleur discours est celui qui assure la plusgrande pertinence possible (c'est-à-dire lemoins d'efforts et le plus d'effets) en fonctiondes contraintes qu'il subit. Ces contraintes peu-vent être linguistiques (les normes syntaxiqueset stylistiques), éthiques (la vérité est générale-ment moins attrayante que l'affabulation),sociales (les usages professionnels), etc. Il nes'agit ni de les exagérer ni, à l'inverse, de pré-tendre s'en affranchir, mais bien de les ramenerà leur juste proportion et, dans ce cadre, d'êtreaussi clair et intéressant que possible, non seu-lement globalement, mais aussi pour chaqueparagraphe, voire chaque phrase.

Notes (1) Pour une présentation un peu moins sommairedes différents points résumés ici, on pourra notam-ment se reporter à : B. Labasse (1999). La lisibilitérédactionnelle : fondements et perspectives.Communication & Langages, n°121 pp. 86-103 . À qui voudrait aller plus loin, on conseillera notam-ment : J. Caron (1989). Précis de psycholinguis-tique. Paris : PUF et P. Coirier, D. Gaonac’h & J.-M. Passerault (1996). Psycholinguistique textuelle.Paris : Armand Colin.(2) Voir P. N. Johnson-Laird (1983). Mental Models.Cambridge (USA) : Cambridge University Press.Selon les auteurs, on parle aussi de “modèle de situation” (Walter Kintsch), de “représentationparticularisée” (Jean-François Richard), mais il s’agit grosso modo de la même chose.(3) À l'inverse de la tradition rhétorique, les travauxcontemporains sur l'adéquation des messages ontlargement porté sur les textes écrits, d'où desnotions comme celle de lisibilité, etc. Il n'en restepas moins que, mutatis mutandis, ces conseils sontégalement profitables à l'oral.(4) Wilson, D., & Sperber, D. (1992). Ressemblanceet communication. In D. Andler (Ed.), Introductionaux sciences cognitives (pp. 219-238). Paris :Gallimard. Voir aussi Sperber, D., & Wilson, D. (1989)La Pertinence. Paris : Éditions de minuit.(5) Pour une synthèse, voir Martins, D. (1993). Les facteurs affectifs dans la compréhension et la mémorisation des textes. Paris : PUF.(6) Kintsch, W. (1997). Comprehension ; A paradigmfor cognition. Cambridge : Cambridge universitypress, pp. 418-419 (Notre trad.)

Bertrand LabasseBertrand Labasse a encadré plusieurs

rédactions avant de se consacrer aux étudeséditoriales et à l’enseignement. Spécialiste de laméthodologie de l’information écrite (à laquelleil a notamment consacré sa thèse de doctorat),il dirige le Centre d’Études en Communication

Publique et enseigne à l’Université Lyon 1 ainsiqu’à l’École supérieure de journalisme de Lille.

Il est également professeur associé àl’Université Laval (Québec, Canada)

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Contrairement à ce que l’usage pourrait laisserpenser, l’acronyme PME est un “mot valise” ser-vant à désigner des structures très différentes entaille et en activité. Il est fréquent de définir laPME comme une structure composée de moinsde cinq cents employés, mais une récenterecommandation de la commission des commu-nautés européennes du 6 mai 2003 propose deconsidérer la PME comme une entité de moinsde deux cent cinquante personnes. Par ailleurs, lapetite entreprise comprend moins de cinquanteemployés et la micro-entreprise, moins de dix.Si le nombre d’employés demeure l’élément£le plus significatif pour distinguer une petitestructure, la palette des critères envisageablespour la définir est en fait beaucoup plus large.Le montant du chiffre d’affaires, la valeur ajoutée,le type ou le domaine d’activité peuvent égale-ment être retenus. Au-delà de ces distinctions, lespetites structures peuvent être privées, publiquesou sans but lucratif.La majorité de ces petites structures disposent demoyens relativement limités, mais bénéficient acontrario d’une certaine proximité humaine.Outre la taille, d’autres facteurs influencent leur communication, tels que l’indépendance oul’appartenance à un grand groupe, une situationlocalisée ou en réseau, le nombre de clients, levolume d’informations échangées entre lesmembres et avec l’environnement extérieur.

C’est pourquoi notre propos ne concerne passeulement les PME mais plus généralement lespetites structures, qu’elles soient ou non pro-ductives, et quel que soit leur statut juridique.De même, la communication est un termepolysémique qui mérite d’être précisé avant des’intéresser à la communication dans les petitesstructures.

La communication : un terme polysémique

Par communication, nous entendons la mise enrelation des individus les uns avec les autres et pas seulement avec des faits (information). Elleest un produit de l’entreprise quand elle résultedu choix délibéré de s’adresser à des publicsexternes (relations publiques, création d’événe-ment, publicité, promotion, marketing direct…)ou internes (journal interne, Intranet, réunions…).Mais la communication est aussi, et surtout,un processus d’interaction entre les individusqui contribue à construire de la signification.Chaque acteur pourvu de capacités cognitives,affectives et stratégiques participe à une réalitécollective co-construite. À ce titre, l’organisationest le produit de sa communication. L’individuen situation communique tant de manière verbale que non verbale. Son comportement, ses

S i la communication dans les grandes entreprises fait l’objet derecherches multiples, peu d’entre elles, à notre connaissance, s’inté-

ressent à la communication dans les petites structures. Comment, dansces dernières, la communication se caractérise-t-elle ? Quels sont sesatouts, ses points faibles et ses limites ? Est-elle très différente de celle desgrandes entreprises ou des structures éclatées de certains grandsgroupes ? Nos études et observations tentent d’apporter des réponses àces questions.

La communication dans les petites structures

Arlette Bouzon

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actions, sa manière de transmettre des informa-tions, ou de considérer ses collaborateurs sonttous porteurs de signification. En conséquence,même s’il ne parle pas, l’individu prend positionsur la situation et, de ce fait, communique.La communication est donc ce processus com-plexe dans lequel la signification des messagesn’est pas une donnée antérieure à l’interactionmais une construction culturellement marquéedépendant du déroulement du processus lui-même, dans le temps et dans l’espace.

La communication imprègne les petites structures

Quelle que soit leur taille, les entreprises passentprogressivement d’une compétition fondée surdes critères de prix et de volume à une concur-rence portant sur des critères de variété, réactivitéet innovation. Dans cette économie basée sur laconnaissance, la communication des petitesstructures devient aussi prégnante que dans celledes organisations de plus grande dimension.Notons à ce propos que l’innovation technolo-gique est de plus en plus souvent le fruit de struc-tures de taille modeste.Même si elle ne fait pas la une des médias, unepetite structure est aussi sensible à sa communi-cation auprès de ses différents partenaires(clients, fournisseurs, banques…) qu’une grandeentreprise. Les enjeux se révèlent de mêmeimportance relative. Toutefois, en raison demoyens limités qui restreignent leur accès auxmédias, les petites structures ont souvent plus dedifficultés pour se faire connaître hors de leurchamp local. Leurs actions de communicationexternes sont souvent moins nombreuses maisbeaucoup plus ciblées que celles des grandesentreprises. Cependant, par son pouvoir de diffu-sion à faible coût, Internet offre des opportunitéssusceptibles de modifier des positions acquises.Par ailleurs, compte tenu de la taille de l’effectif,un discours individuel aura plus d’effet dans unepetite structure que dans une organisation degrande taille, sauf si celui-ci émane de l’équipedirigeante.

Bien que la variété des situations s’accommodepeu d’une généralisation, la communicationapparaît intimement liée à la coopération desacteurs qui est devenue indispensable en raisondu nombre élevé d’informations et de connais-sances à manipuler et de la difficulté à structurerl’activité collective. Si les grandes entreprisescherchent à créer du lien social en mobilisant un certain nombre d’outils en interne, lespetites structures bénéficient, quant à elles,

d’une proximité de fait. Cette dernière facilitel’instauration d’un esprit de coopération dans la mesure où le climat général, impulsé notam-ment par l’équipe dirigeante, le favorise. Laproximité contribue également à une meilleurecirculation de l’information.

Le dirigeant au cœur du processus de communication

Le rôle du dirigeant s’avère prépondérant dans lespetites structures de par sa présence au quotidien.Aussi la communication va-t-elle fortementdépendre de son engagement et de ses capaci-tés d’animation. Or, il doit traiter une grandemasse d’informations, est souvent sollicité pardes tâches opérationnelles et est généralementpeu (ou pas) formé à la communication interne.Il se trouve exposé en permanence, car il n’y apas ou peu d’intermédiaires entre les salariés et lui-même.Les frontières poreuses entre les discoursinterne et externe imposent une cohérence, cequi se révèle d’autant plus difficile que les rela-tions individuelles sont multiples et qu’il existerarement une personne chargée à temps pleinde la communication. Toutefois, la gestion de laconnaissance et la circulation de l’information,liées à l’activité quotidienne, peuvent être facili-tées par divers outils de technologies de l’infor-mation et de la communication. Mais l’apporteffectif de ces outils semble très dépendant desusages et du contexte d’action. L’acquisition desconnaissances et le retour d’expérience néces-sitent la participation active des différentsacteurs concernés et leur adhésion.Dans les petites structures, la communicationintervient tant pour les faire connaître que pourpermettre la coopération entre des acteurs eninteraction. Elle repose en grande partie sur lescapacités d’animation de son dirigeant.L’observation des pratiques montre que la dimen-sion communicationnelle est souvent oubliée,voire malmenée. Nous retrouvons là un para-doxe, déjà souligné par certains chercheurs dansun autre contexte : la communication semble siomniprésente dans les organisations qu'elle ypasse souvent inaperçue.

Arlette BouzonEnseignant-chercheur en sciences de l’information

et de la communication à l’Université Paul Sabatier-Toulouse 3

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L’affirmation de Price Pritchett dans “MakingMergers work” nous a intrigués, nous qui avonsvécu depuis plus de trois ans au rythme de lafusion entre BNP et Paribas. Si nous avons ététouchés par cette phrase, n’est-ce pas pour avoir,au cours de cette grande aventure, éprouvé par-fois le sentiment d’être de “petits enfants” face àdes événements qui nous dépassaient ?Entre adhésion et résistance, entre doute etenthousiasme, retour sur l’histoire d’une fusionqui a défié la chronique et sur la manière dont ungroupe construit, au quotidien, sa culture.

Genèse d’un rapprochement non programmé

Février 1999 : Société Générale et Paribas annon-cent à grand renfort de médias leur intention deconvoler en justes noces pour créer “SG Paribas”.Fierté à la Société Générale, stupeur des colla-borateurs de Paribas, à qui leur direction généraleavait confirmé quelques jours auparavant sonintention de poursuivre son développement demanière indépendante.

Mars 1999 : contre-offensive de la BNP, qui lancecinq semaines plus tard une double OPA sur lesdeux fiancés… S’ensuit une bataille boursièremémorable, qui pendant sept mois fera la unedes journaux. Selon les camps, l’atmosphère esttrès différente : n’ayant pas encore jusqu’alorsconcrétisé de projet de croissance externeimportant, la BNP peut s’appuyer sur une opi-nion interne très demandeuse. C’est la fierté quidomine, tous sont derrière leur président.Chez Paribas, le sentiment le plus répandu estbien différent. Beaucoup se sentent abandon-nés, plusieurs cadres dirigeants n’hésitent pas à contester et, finalement, peu s’engagent à fond auprès de leur président pour soutenir leprojet SG Paribas. C’est finalement le scénario auquel peucroyaient qui sort des urnes… La BNP n’obtientpas le nombre de titres conduisant la Banque deFrance à lui laisser le contrôle de SociétéGénérale, mais elle souffle à cette dernière lecontrôle de Paribas. Parmi les collaborateurs dela BNP, le sentiment largement partagé est lafierté, en particulier la satisfaction d’avoir,grâce à une stratégie audacieuse et intelligente,

“C’est l’histoire d’un homme et d’une femme, l’un et l’autreayant des enfants d’un premier mariage… Ils sont très

amoureux et décident de se remarier. Ils peuvent être dans d’excel-lentes dispositions, cela ne signifie pas que leurs enfants le sont. Laseule chose qui compte pour eux, c’est ce qu’ils ressentent, commentils sont touchés… Si les parents ne font pas attention ou s’ils ne réagis-sent par correctement, les enfants vont tout simplement les ignorer etrésister à travers de multiples comportements d’inadaptation. Lors dela fusion de deux entreprises, les collaborateurs font la même chose”.Histoire d’une fusion réussie.

Construire une culture commune :l’exemple de la fusion entre BNP et Paribas

Monique Dupont Alexandre

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battu le concurrent souvent regardé commeplus prestigieux, plus puissant, plus efficace.Dans les rangs de Paribas, c’est l’incrédulité quil’emporte, combinée avec une certaine souf-france et beaucoup d’inquiétude : « Mais que vadevenir cette belle entreprise dont nous étions sifiers ? Et nous, là-dedans ? ». Et pour certains :« Nous qui avons contesté le projet, que va-t-iladvenir de nous ? ». Réactions qui se traduisentparfois dans les actes : en résumé, on distinguetrois attitudes :- Je suis si différent de ces gens qui viennent degagner… Je ne pourrai jamais m’entendre aveceux, je m’en vais… (1 sur 10)- Ce projet, j’y crois, je suis prêt à m’engager…(1 sur 10)- J’attends prudemment de savoir quelle serama place, et je continue à faire mon travail…(8 sur 10)Face à cet attentisme, la direction générale meten place un dispositif d’écoute et de dialogue en lien étroit avec le programme “6 jours, 6 semaines, 6 mois” qui fixe le rythme du rappro-chement. De nombreuses réunions sont organi-sées pour permettre aux 600 cadres supérieursimpliqués dans la fusion de faire part aux membresde la direction générale de leurs constats, de leurspréoccupations, du climat qu’ils constatent dansles équipes. Ainsi sont identifiés de nombreuxécueils, sont levés de nombreux freins.

Le rapprochement : un lent processus de

compréhension mutuelleL’année 2000 est l’année de la préparation durapprochement, puis de la fusion.De l’avis de tous, lors des premières rencontres,le choc des cultures est palpable : disons, en sim-plifiant beaucoup bien sûr, individualisme, éli-tisme et prééminence de l’international d’uncôté, bureaucratie et culture de banque de détailplutôt française dominante de l’autre. Les médiasinsistent sur la différence : la pure “deal bank” estopposée à la “banque relationnelle”. On parle dumariage “de la carpe et du lapin”. Chacun prendconscience de l’énormité de la tâche à accomplir.Puis, lentement, à la faveur des contacts créés àtous les niveaux, le processus de découverte réci-proque s’amorce. Dès janvier, 80 cadres diri-geants sont réunis en séminaire à Rome.Ensemble, ils choisissent les valeurs fondatricesde l’entreprise : engagement, créativité, réactivité,ambition.Le plan de communication interne du rappro-chement est mis en place : site intranet dédié,avec un forum qui permet à chacun de poser

librement ses questions ; information réactive aufur et à mesure des nominations ; newsletterspour présenter plan industriel et nouvelles orga-nisations ; rencontres de l’encadrement avec leprésident et les directeurs généraux pour faireremonter les principales difficultés, enquêtes declimat pour valider l’accueil fait à ce dispositif…En avril, 1600 managers sont réunis pour une“convention mondiale” où le projet industrielleur est présenté. Amphithéâtre immense, effetsspéciaux, qualité des discours… Les relationsentre participants manquent encore un peu dechaleur, mais l’impression voulue est créée : c’estun grand, un immense groupe financier, qui voitle jour. Et il est bien parti pour réussir son pari !Nul doute que plus nombreux, à ce moment-là,sont ceux qui commencent à y croire…

Le processus de fusion démarre concrètement.Le rapprochement des activités des deuxbanques concerne quelque 30000 personnessur les 80 000 collaborateurs, répartis dans 85 pays, que compte le futur groupe. Au prin-temps et à l’été, un nombre important de départsest observé dans la banque de financement etd’investissement à Londres, Paris, New York etTokyo. On en compte peu, en revanche, dans lesautres domaines d’activité.Le groupe se dote d’une nouvelle identitévisuelle : elle est présentée aux équipes de labanque avant son lancement public à l’occasiondu tournoi de Roland Garros au mois de mai. Lacréation officielle du groupe au plan juridiqueintervient en effet lors de l’assemblée généralequi se tient le 23 mai 2000.Les grandes transhumances continuent : du printemps à l’automne, 17 000 personnesdéménagent dans de nouveaux bâtiments et de nouveaux bureaux, le plus souvent aprèsrénovation : des chantiers titanesques pour leséquipes de logistique.À la fin de l’année, le nouveau groupe a réaliséun travail considérable : il a défini sa stratégie,son positionnement, son image. Les résultatsfinanciers sont là, voire au-delà des attentes. Lessynergies sont au rendez-vous. Le séminaire descadres dirigeants de janvier 2001 porte sur unsujet clé, la philosophie du management. Un anaprès le lancement de la fusion, on assiste bien à l’émergence d’une nouvelle culture.

À nouveau groupe, nouvelle culture ?

Nul dans le groupe n’en doute plus, en effet : rienne sera plus jamais comme avant ! BNP Paribasest un vrai groupe, reconnu comme tel au plan

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international. Partout dans les médias, la fusionest présentée comme un modèle ; des étudiantsutilisent le cas BNP Paribas comme sujet d’étude.Il se dit en interne, comme à l’extérieur de l’entreprise, que BNP Paribas, en termes derésultats, de potentiel de développement,d’image… représente bien plus que la sommedes deux anciennes maisons… La preuve en est que la culture BNP Paribas estsuffisamment forte et originale pour attirer denouveaux talents (plus de 2 500 nouveauxentrants en 2001… et quelque 100 000 candida-tures spontanées reçues chaque année !).Quelles nuances se cachent derrière ces grandstraits ? On constate parfois que les différencesétaient plus grandes entre des “métiers” au seinde l’une ou l’autre banque que dans un mêmemétier désormais réuni au sein de la banquefusionnée.La fusion a changé le rapport de forces relatif desdifférents pôles d’activité, accru la dimensioninternationale de la banque, modifié l’influencede la culture de la banque de détail.

Le “cross selling” est devenu la clé de la crois-sance interne : depuis la fusion, il n’a cessé defaire l’objet d’une communication interne sou-tenue auprès des collaborateurs, plaçant plusque jamais le client au centre de la démarche del’entreprise.

La nouvelle culture continue de se construire àpartir d’une presse interne très active qui, commele lui demandent ses lecteurs, se fait l’écho de lastratégie et du développement du groupe au planinternational ; d’un portail intranet très fréquenté(plus de 50 000 utilisateurs différents chaquesemaine), de séminaires de management dédiés,pour les cadres supérieurs, les cadres évolutifs,les jeunes à haut potentiel. Enfin, conservant ledispositif d’écoute mis en place pendant les moisde travail sur le rapprochement, la directiongénérale continue de recevoir régulièrement descadres de tous horizons pour des échanges sur laréalité du terrain.

Et si l’on demande désormais aux “enfants” dugroupe BNP Paribas si le mariage de leurs parentsBNP et Paribas est une réussite ? À une écrasantemajorité, oubliant bien des difficultés et bien desrésistances, forts des batailles menées ensemble,sans hésiter, ils répondent oui.

Monique Dupont AlexandreResponsable de communication interne

BNP/Paribas

Témoignage de Thierry Garnier, responsable communication du site de Blainville de Renault Trucks

En janvier 2001, le groupe AB Volvo acquiert 100% de Renault V.I./Mack, formant ainsi lenuméro 2 mondial du camion. « Nous avons beaucoup travaillé pour expliquer la nécessité et l'intérêt de cette intégration. Nécessité, car il y a désormais peu de place pour les “petits”constructeurs généralistes dans un secteur qui, à l'instar de l'automobile, se concentre. Intérêt grâce aux synergies industrielles, grâce à la complémentarité des gammes de camionset à celle, géographique, des marques Volvo, Renault et Mack sur leurs marchés. Avant l'accord, les équipes de Volvo et de Renault Trucks ont préparé ensemble un plan d'action et de communication pour les 100 premiers jours. Il fallait informer, rassurer, convaincre, mais aussi réussir l'intégration culturelle dans le respect des identités locales, explique Serge Kochen, responsable communication interne de Renault Trucks (ex Renault V.I.). »

Vue du terrain, la réussite réside dans la communication autour du pourquoi. « Plus les moispassaient, plus nous constations qu'il fallait revenir sans cesse sur les raisons du changement.Bien sûr nous avons informé au fil de l'eau sur l'avancement de l'intégration pendant “les 100 jours” et après. Mais, surtout, nous avons réexpliqué les enjeux, répété pourquoi on faisait cette intégration. Aujourd'hui, l'intégration est bien vécue. Si notre identité a, de fait,été bousculée, nous n'avons pas eu à résister à des tentatives d'assimilation forcée. RenaultTrucks déploie en ce moment une communication sur sa vision d'entreprise, son projet, les valeurs qui fondent son identité propre. Cette étape vient à point nommé, car plus le personnel accepte d'élargir son identité à la dimension du groupe Volvo, plus il a besoin de se raccrocher à des repères identitaires locaux clarifiés. »

Le cas de Renault Trucks : réussir l'explication des enjeux

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L'adjectif “interculturel” ne renvoie pas nécessai-rement à une dimension internationale: l'obser-vation de la vie sociale et professionnelle dans lesentreprises et les administrations nous montre quedes individus peuvent vivre des chocs de cultureset de pratiques dans un même contexte national.Le problème de l'interculturalité sera donc poséici en termes d'écarts et de convergences entredes logiques de raisonnement, de comportementet d'action, au plan interindividuel comme auplan collectif. La notion de logique (1) signifie à lafois les processus, les dynamiques sociales etcognitives en jeu et identifiables dans les pra-tiques des acteurs (manières de raisonner, de sesituer, d'intervenir), et les formes plus ou moinsstabilisées et provisoires auxquelles ces processusaboutissent (types de discours, modèles d'organi-sation, modèles de décision). L'approche socio-

cognitive des convergences et des différences culturelles proposée ici cherche donc à mettre endialogue les référents culturels attachés à descontextes nationaux ou régionaux, avec les pra-tiques de communication interne identifiablesdans différents groupes ou entreprises. On noteraque des interactions, des interinfluences de toutesnatures se développent de façon dense et soute-nue entre des univers culturels qui apparaissentaujourd'hui de moins en moins homogènes.Ainsi, de même que les musiques, les cuisines etles folklores s'interpénètrent aux quatre coins dela planète, les pratiques professionnelles, dontcelles relatives à la communication interne, nepeuvent donner lieu à une catégorisation exces-sive qui apparaîtrait erronée au regard de la com-plexification des organisations, du travail et desrelations sociales à l'échelle du monde.

L’expérience de PechineyApproche interculturelle des missions et des pratiques de communication interne

Jacques Bonnet

D e quoi parle-t-on lorsque l'on évoque la dimension interculturellede la communication interne ? À quel type de problématiques

et d'indicateurs est-il possible de se référer pour approcher la diversitédes cultures et des pratiques concernées ? En quoi la compréhensiondes différences propres aux logiques de réflexion, de comportementet d'action représentent-elles un enjeu stratégique pour l'entreprise,dans un contexte national ou international ? Quelles habiletés, quellescompétences, les acteurs de la communication interne peuvent-ilsdévelopper et déployer pour remplir leur mission d'interface au cœurde ces différences culturelles ? Les pistes tracées ici proposent derenoncer aux approches universalistes, déterministes et stéréotypées,pour engager la réflexion sur la construction d'une véritable culture del'interculturel dans laquelle la communication interne semble devoirjouer un rôle de premier plan au bénéfice de l'entreprise et de sesacteurs.

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Comprendre le maillage mouvant des pratiques

de communication interneComme le remarque Baudrillard (2), il nous fautdonc avoir recours à des modèles indéterministespour approcher l'indéterminé que constitue lemaillage mouvant et complexe des pratiquessocioprofessionnelles relatives à la communica-tion interne. La question posée sera donc finale-ment celle-ci : comment les prescripteurs et lesacteurs de la communication interne lui don-nent-ils un sens et du sens, selon quels objectifset avec quelles pratiques? Une telle approches'appuie sur la caractérisation des représentationsindividuelles et collectives de la communicationinterne en termes d'images de ses objectifs, de ses pratiques, de ses contraintes. Il s'agitégalement d'identifier les valeurs, c'est-à-direles échelles d'importance et de priorité que lesacteurs associent à cette communication interne.Le concept d'identité permet encore d'analyser lepositionnement de cette fonction et des profes-sionnels concernés dans les entreprises. Enfin, lanotion d'attribution autorise l'exploration desliens de type cause/conséquence à propos del'intervention de la communication interne et deses effets dans les organisations et selon les diffé-rents contextes culturels. Dès lors, il est possiblede recourir à différents niveaux de probléma-tiques en vue de développer une approche inter-culturelle des missions et des pratiques decommunication interne.

Quel positionnement, quel rattachement, quelle légitimité ?

Tout d'abord, l'identité de la communicationinterne, en termes d'appartenance et de posi-tionnement, semble interroger le degré d'homo-généité ou d'éclatement/diversification dont ellefait l'objet. À ce sujet, on peut se demander sicelle-ci représente un emploi partagé entre plu-sieurs intervenants de services ou départementsdifférents ou bien si elle se trouve attribuée àplein-temps à une personne ou à un service. Demême, comment est-elle positionnée entre desobjectifs de gestion de crise ou des finalités d'in-formation interne qui, à eux seuls, n'apparaissentpas suffisants pour lui conférer la légitimité etla valorisation recherchées par ses acteurs? Parailleurs, une approche interculturelle ne peutnégliger l'historicité. Ainsi, il est intéressant derapprocher l'évolution des modèles organisa-tionnels de l'histoire des divers rattachementssuccessifs que la communication interne est

susceptible de connaître dans une entreprise. Ilapparaît clairement que le développement demodèles organisationnels davantage transver-saux et matriciels confère à la communicationinterne de nouveaux rôles visant à gérer cettecomplexité croissante. Or, la question se pose desavoir si l'entreprise considère, par exemple,l'information comme disponible ou commedistribuée. De même, le degré de distance hiérarchique, dont on sait qu'il est un référentimportant pour la compréhension des modèlesorganisationnels dans les pays latins, constitue unmarqueur intéressant en termes de proxémieet de contrôle de l'incertitude. De la mêmemanière, le rapport ordre/désordre sera vécudifféremment et aura des implications variables,par exemple au plan de l'organisation des acti-vités ou lors de démarches de projets ou encoreen ce qui concerne les marges de manœuvreaccordées aux personnels. Enfin, la prédomi-nance, dans les rapports socioprofessionnels,d'une logique de l'honneur (D'Iribarne) quipeut se fonder sur l'importance accordée à l'État et à une catégorisation en statuts, corps,grades selon le modèle pyramidal judéo-chrétien “tête-corps-membres” (3) (comment nepas penser à la France ?), ou bien d'une logiquede la vertu au sein de laquelle le mérite per-sonnel constitue une valeur première (modèledavantage anglo-saxon), représente un autreélément pour une approche interculturelle.

L'articulation éventuelle, voire la fusion/confu-sion de la communication interne avec la communication externe constitue un autremarqueur intéressant. Ainsi, la communicationinterne est-elle positionnée au service dumanagement et de la stratégie de l'entrepriseou bien constitue-t-elle une variable du mar-keting, ou bien croise-t-elle ces différentesappartenances ? Quel est également son posi-tionnement au regard des ressources humaines,sachant que, par exemple, dans le contexteorganisationnel allemand, ces deux périmètresd'activités sont davantage confondus ? Ainsi,entre stratégie, fonctionnement, gestion decrise, information, accompagnement, forma-tion, RH… la communication interne se présentecomme une fonction complexe, multiréféren-tielle et multimodale. Il y a donc des culturesen mouvement et en tension au cœur de cesactivités, de ce métier d'entre les métiers qu'estla communication interne… Mais en quoi peut-on véritablement parler demétier à son propos ?

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La communication interne :un métier ?

S'il semble aujourd'hui possible de parler demétier à propos de la communication interne,c'est bien à partir de la notion d'ensemble rela-tivement homogène de savoirs professionnels.Autrement dit, ses activités paraissent en voie des'agréger autour d'une technicité combinant desdimensions interpersonnelles, informationnelles,de conception-fabrication, de stratégie, d'ac-compagnement des changements, etc.Au sein de ce paradigme en recomposition se poseune autre problématique de nature interculturelle :sur quel rapport au savoir et à l'action se fonde laculture de communication interne en vigueurdans l'entreprise ? Est-elle, par exemple, à domi-nante pragmatique comme c'est plutôt le casdans un contexte anglo-saxon ou bien davantageportée sur une philosophie de l'action et des rap-ports sociaux, comme c'est le cas en France ? Untel questionnement est à corréler avec le moded'accès aux métiers de la communication interne.Ici aussi, la diversité est de mise à travers des tra-jectoires et des parcours de professionnalisationqui empruntent à des cultures à dominante tech-nique, sociale, d'informatique documentaire,scientifique, forgée dans le cadre d'une formationinitiale spécialisée ou d'une formation continuée,etc. L'analyse des formations pouvant conduire àl'exercice d'un métier lié à la communicationinterne permet également d'identifier une incli-naison pour les sciences politiques en Italie, unedominante souvent linguistique et information-nelle dans les pays anglo-saxons, un intérêt certain pour les stratégies en France (4), uneorientation vers les ressources humaines enAllemagne, une approche résolument inter-culturelle aux Pays-Bas, tout cela, bien évidem-ment, avec des recombinaisons potentiellementfortes dans le contexte de l'harmonisation des programmes de formation et des diplômesainsi que du développement des possibilitésd'échanges offertes aux étudiants, notamment enEurope. Ainsi, à travers le développement de for-mations dédiées à la communication interne,mais aussi à travers la formalisation de plus enplus soutenue des discours et des analyses surles pratiques concernées, c'est une véritable pro-fessionnalité qui semble émerger, à la croisée dedimensions identitaires et professionnelles.

Quels terrains d'intervention ?La mission d'information et d'élaboration de sup-ports et d'outils apparaît pérennisée mais plus sou-tenue dans le monde anglo-saxon. Mais, plus

globalement, la communication interne sembleavoir entamé et consolidé un mouvement généraldepuis l'information vers la communication, c'est-à-dire, de la production des signes vers laconstruction du sens dans l'entreprise. Ce glis-sement vers une fonction davantage symboliquetente de répondre à l'accroissement de la com-plexification organisationnelle et sociale déjàévoquée ici. Dans le contexte européen, donnerdu sens (une signification) et un sens (une orien-tation) à l'action de l'entreprise devient prioritaireen termes de mission pour la communicationinterne, que ce soit vers les personnels ou lesactionnaires. La percée de la dimension sym-bolique de la communication interne s'appliqueà trois champs d'intervention. Le premierconcerne le besoin accru d'intercompréhen-sion. Par exemple, la construction d'un discourscommun ou tout au moins compatible dans leséquipes et les pôles métiers, devient primordiale,tant au plan national que dans un contexte degroupe de taille internationale. Le bouillonne-ment de signes, la surcharge informationnelle, quicaractérisent aujourd'hui le travail et les entre-prises, nécessitent également de manager l'hété-rogénéité culturelle, notamment dans un contexteoccidental marqué par le développement d'unprocessus d'individuation. Ce dernier correspondà de nouveaux comportements à travers lesquelsl'individu se montre plus distant vis-à-vis d'ambi-tions collectives, de formes de contractualisation,d'engagement. Ce serait davantage la quêted'émotion, de plaisir et de valorisation pour soi etpar soi qui marquerait ce nouveau rapport au tra-vail et à l'organisation, d'où des chocs de culturesavec d'autres acteurs, notamment ceux qui ont été formés et socialisés à l'aune du modèle de déve-loppement socio-économique propre à la secondemoitié du vingtième siècle. Un second champd'intervention porte sur les problèmes de coopé-ration. On dira très rapidement ici que face à ladifficulté de plus en plus souvent évoquée parles professionnels de “faire du collectif avec del'individualisme” (5), la communication interne setrouve fortement sollicitée pour susciter etaccompagner l'engagement des acteurs. Enfin,c'est un rôle de médiation qui se trouve fré-quemment évoqué à propos de l'intervention de la communication interne, et cela par les pro-fessionnels eux-mêmes. Il semble consister àsusciter, accompagner et évaluer les ruptures,les liens, les transitions au plan individuel et collectif. Cette fonction de relais est plus oumoins intégrée à la culture socioprofessionnellede l'entreprise. En effet, si elle constitue uneréférence fréquente dans les pays scandinaves età un degré moindre aux Pays-Bas, elle seranécessairement vécue différemment par une

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culture asiatique où la conception collectives'impose d'emblée, et avec d'autres fondements,dans les rapports socioprofessionnels.

Ainsi, parmi les terrains d'intervention de lacommunication interne qui apparaissent commeles plus émergents, figurent le pilotage du chan-gement dans une logique d'intégration desincertitudes et l'amélioration du lien social, sou-vent considéré comme un enjeu stratégiquepour l'entreprise, notamment dans les relationsgroupe/filiales. Impulser et animer des transver-salités organisationnelles et symboliques consti-tue une perspective à déclinaison variable, ellepeut renvoyer à des formes coopératives, parexemple en Italie, ou se référer à des messagesdu type “Qualité et performance” sous l'égidede modèles anglo-saxons.

Sous les modes d’intervention de la communication interne :

des référents culturelsOn le voit, le problème de l'interculturalité abordéici à travers la diversité des représentations et despratiques de communication interne, dépasse lesfrontières nationales et les découpages géogra-phiques. Approcher la dimension interculturellede la communication interne implique donc deraisonner par processus et non par les procéduresou les définitions à prétention exhaustive. Ce sontdes mouvements, des “manières de”, des jeuxdynamiques et mouvants qu'il s'agit de cerner defaçon fugace. Faute de cette distance et de cettehumilité, la réduction et la mutilation nous guet-tent… Alors, à quelles variables peut-on se référerpour entrevoir ces processus qui font l'essentiel dujeu social dans le travail et les organisations?Envisager une liste de ces processus est en soi unparadoxe au regard du faisceau d'interactionsconcerné. Il nous faut cependant des mots et surtout des problématiques pour esquisser unecompréhension de ces mouvements. C'est leparti que nous allons prendre maintenant sousforme dialogique, c'est-à-dire en mettant enrelation vivante des couples de variables signifi-catives des logiques sociales et cognitives en jeudans les rencontres, les convergences, les oppo-sitions, les recompositions, propres aux com-portements, aux activités et aux modes deraisonnement individuels et collectifs. La prise encompte de ces jeux de variables constitue sansdoute une problématique clé, à la fois pour unerecherche soucieuse de comprendre les proces-sus interculturels, et pour des professionnels inté-ressés par une meilleure efficience des méthodes,des supports et des outils de communication.

Certains couples de variablesexpliquent bien des choses

Culture de l’historicité/de l’événement... Culture de l’écrit/de l’oral...Parmi les quelques couples de variables que nouspouvons présenter rapidement ici, figure celui quimet en dialogue culture de l'historicité et culturede l'événement. Comme pour tous les couples devariables évoqués ici, il ne s'agit pas de faire unchoix volontariste et définitif entre les deux termesde la proposition, mais de raisonner à partir dudosage de leurs interactions dans un contexteculturel donné. Par exemple, cette entreprisecultive-t-elle l'image d'une continuité historique,met-elle en avant les faits, les épreuves de sonhistoire, par exemple dans son journal interne,s'appuie-t-elle sur la manière passée de surmonterles obstacles et d'impulser et de vivre les change-ments? Ou bien sa culture est-elle essentiellementancrée dans “ici et maintenant” en se tournant versune vénération du présent, par exemple en souli-gnant le moindre événement? Selon la logiqueretenue, les effets seront différents. L'essentielétant, pour les professionnels, de savoir si lamanière d'aborder et de traiter le processus histo-ricité/événement est pertinente ou non dans le casprécis de cette entreprise. Autrement dit, l'entre-prise parvient-elle à doser, combiner, articuler aumieux ces logiques différentes au regard de sasituation, de ses enjeux et de ses intérêts? Parvient-elle à faire de l'événement sans oublier fâcheuse-ment son histoire, et à recourir à un appui sur sonpassé sans se déconnecter du présent?

… Les principes et les valeurs, les processus, les procéduresQuel est le poids, en termes de représentationset de valeurs, accordé à l'écrit et au discours oraldans la culture de l'entreprise ? La logique domi-nante est-elle de nature formelle ou informelle et surtout, comment ces logiques cohabitent-elles, pour quels effets ? Ce second niveau dequestionnement peut être associé à une troisièmeinterrogation : raisonne-t-on principalement,dans cette entreprise, en termes de principes(politique, stratégie, grandes orientations), deprocessus (méthodes et démarches visant àmettre en œuvre les principes) ou de procédures(dispositifs, moyens, règles) ? Comment ces troisperspectives sont-elles combinées dans laréflexion et l'action ? On sait bien à ce sujet, quela culture de l'action est marquée en France par unappui fréquent sur des valeurs, sur des principesalors que le pragmatisme apparaît primordial dansun contexte anglo-saxon. En ce qui concerne lechangement et l'innovation, comment le rapports'établit-il entre changement de type 1 et change-

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Jacques BonnetProfesseur à l'Enesad

Directeur de recherchesLimsic/Université de Bourgogne

[email protected]

ment de type 2? Autrement dit, comment dialo-guent une logique de changement fondée sur larégulation et la redistribution, par exemple à propos des moyens, et une logique de repro-blématisation plus profonde des objectifs, desfinalités, des métiers ? Par ailleurs, le change-ment, quel qu'il soit, est-il conduit selon unelogique de transmission/introduction ou unelogique d'émergence/construction ? Aujourd'huices deux logiques s'articulent souvent dansl'entreprise japonaise alors qu'elles s'opposentfréquemment dans l'entreprise française.

Comprendre l'interculturelpour développer l'efficience

de la communication interneQuelles conclusions retirer de ce trop rapideexposé (6) à vocation exploratoire? Tout d'abord,que les problèmes interculturels concernent toutautant des chocs de logiques dans un mêmeespace national ou une même entreprise que dansun contexte international. En corollaire, la problé-matique des écarts ou des convergences culturelsimplique l'analyse et la compréhension des pro-cessus qui fondent l'imaginaire social des acteurs,leurs représentations de la réalité des échangeshumains et de l'action. Il est vain de chercher desrecettes définitives pour avoir le bon comporte-ment dans tel pays ou face à telle culture d'entre-prise. C'est une culture de l'interculturel qui est en jeu, une culture de la complexité humaine,capable de s'adapter en permanence et de renon-cer aux stéréotypes. Comprendre les processussociaux et cognitifs qui font, défont et recompo-sent les cultures, voilà bien l'enjeu à la fois socialet stratégique pour l'entreprise. Ce dernierimplique et appelle de nouvelles postures et denouvelles compétences fondées sur la pensée decomplexité. Celle-ci paraît susceptible de nousapprendre à raisonner le non fini, l'incertitude, lesinteractions, le tout et la partie VII en nous proje-tant au-delà de l'exhaustif, du fini, du certain et del'analyse qui, malgré leur intérêt, ne permettentpas, à eux seuls, de construire les nouveauxrepères sociaux et cognitifs dont nous avonsbesoin face à la complexification du travail, desorganisations et des échanges humains. Cetteprofessionnalisation vers l'interculturel nousconduit en premier lieu à un travail d'élucidationet de formalisation de nos logiques personnellesvis-à-vis du temps, du rapport individuel-collectif,des modèles de décision, bref, de ce qui consti-tue les ressorts sociaux et cognitifs de notre acti-vité, ressorts dénommés plus haut “couples devariables”. En second lieu, il s'agit de construireune capacité d'approche et de compréhension des

logiques d'autrui, et cela de manière valide, ennous basant sur des concepts et des critèreséchappant au comportementalisme et à la psy-chologisation à visée universaliste. Enfin, etc'est bien là l'essentiel de l'effort, il nous fautdévelopper, entre les dimensions rationnelles etles dimensions sensibles des activités et des rela-tions humaines, des compétences de médiation,d'intercompréhension et de coopération afin derépondre à l'enjeu de l'interculturalité : entendre,reconnaître et comprendre les différences tout enconstruisant les interactions susceptibles deréduire les distances entre les logiques des indi-vidus et des groupes. C'est sans doute cette mis-sion d'interface qui confère à la communicationinterne, et à l'intervention de ses professionnels,une véritable dimension interculturelle.

Notes (1) Bonnet R. et J., “Nouvelles logiques, nouvellescompétences des cadres et des dirigeants - Entre le rationnel et le sensible”, collectionCommunication des organisations, 259 p.,L'Harmattan, parution octobre 2003(2) Baudrillard J., “L'incertitude est-elle notre seulecertitude ?”, Le Nouvel Observateur, Les grandesquestions de la philosophie, hors série n° 32, mars 1998, p. 80-82(3) Dubar C., Tripier P., (1998) “Sociologie des professions”, Armand Colin(4) tel le DESS (futur Master) “Stratégies de commu-nication internationale” de l'Université deBourgogne(5) expression relevée lors d'entretiens semi-directifs(6) cet article reprend de façon synthétique laconférence prononcée le 22 mai 2003 lors de lajournée organisée par l’AFCI sur le thème “Les pra-tiques de communication interne dans le monde -Questionnements, débat et pistes de recherche”(7) Morin E., (1990), “Introduction à la pensée complexe”, Paris, ESF.

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La communication financière est un domainequi intéresse de près les responsables de communication interne. D’abord parcequ’elle porte sur un aspect essentiel de la viedes entreprises. Ensuite parce qu’elle s’adresseà des acteurs dont le rôle est aujourd’hui

déterminant… et dont fontsouvent partie les salariéset les actionnaires. Le livre de Jean-Yves Léger, vice-président d’Euro RSCGC&O, qui est membre de l’AFCI et nous a fait àplusieurs reprises le plaisird’intervenir dans nosrencontres, est un véritabletraité. Organisé en chapitreset paragraphes généralementcourts, il décritméthodiquement l’histoire,

le contexte, les publics, les processus et les outils de la communication financière.Aux professionnels, il apporte de trèsnombreux conseils pratiques, nourris par sa longue expérience. Pour les responsablesde communication interne, la lecture estenrichissante. Elle leur permet d’élargir leur champ de vision. Les développements sur l’entreprise et l’actionnaire, sur lamondialisation des marchés financiers et ses conséquences, sur l’assemblée générale,sur les relations avec les salariés (actionnairesou non), sont à cet égard particulièrementintéressants…

Pierre Labasse

Lu pour vous

La communicationfinancière Jean-Yves LégerÉditions Dunod, 2003

L’auteur, sociologue, veutmontrer que les conceptsde “travail” salarié et de“travailleur” qui prévalentdepuis le XVIIIe siècle,arrivent à bout de course.Ils relèvent d’uneconception qui articuledeux dimensions, letravail-fonction et letravail-exploitation. La première renvoie auxflux d’opérationssoumises au temps de l’horloge, cadrées,contrôlées, prescrites. La seconde postule que le “travailleur”s’investit en priorité contre un pouvoirhiérarchique, tant et si bien que, révolté ou opportuniste, il ne peut que subir sa condition.On constate aujourd’hui le retour en force d’un mode d’activité qu’on croyait révolu, celui des paysans ou des artisans, dont le travail s’enracine dans le savoir, lesdispositions et la compétence des individus,ce que l’auteur appelle le travail-invention.Le contexte actuel des entreprises avec sescontraintes issues de dispositifs de contrôle, de blocage, d’exclusion, diffère évidemmentde celui de l’ère pré-industrielle et artisanale.Beaucoup de salariés vivent, dès lors, undouloureux paradoxe : ils développent unecapacité d’invention et d’innovation trèssupérieure à ce qu’elle fut dans le passé, mais dans des conditions qui désorientent et désorganisent leur pouvoir. Pensons à la précarité, à l’insécurité de

À quoi sert le travail ?Philippe ZarifianÉdition La Dispute, janv. 2003

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l’emploi, à la discrimination, au manqued’implication dans les stratégies ou lesdécisions majeures, au dégoût engendré parles pratiques spéculatives et la corruption,etc. S’en suit un sentiment croissant derévolte qui s’enracine dans une souffrance au travail largement ressentie du fait desécarts entre la volonté de prise d’initiative et les blocages du contexte.

L’auteur promeut une thèse “risquée”,cohérente avec cette évolution. Le travail « est invention avant que d’être imitation oureproduction », parce qu’il est issu de lapuissance de pensée et d’action des individus.L’invention prime donc. C’était le cas déjàsous des formes taylorisées. Le travail atoujours servi à créer et à inventer, mêmemodestement, en affrontant l’inédit etl’imprévu, afin de produire de l’utilité sociale.C’est ce qui lui donne du sens.Cette quête du sens, toujours fragile, estsouvent dramatique de nos jours car elleconfronte l’individu à un double régime detemporalité, le temps spatialisé, celui de lamontre, et le temps-devenir qu’on éprouvequand on “prend son temps” pour inventer.Ces deux temporalités s’imposent… ets’opposent. « Chacun de nous tente, enpermanence, de repousser la dictature du temps spatialisé pour inventer » et, tant soit peu, créer.L’ouvrage foisonnant de Philippe Zarifian ne se lit pas en grappillant, de-ci de-là,quelques miettes de temps “spatialisé”. Il invite le lecteur à “prendre son temps” ; un fécond détour pour des praticiens souspression.

Robert de Backer

Boussoles pour temps de brumeHervé Sérieyx Édition Village Mondial

Boussoles pour temps de brume est unmessage d’espoir pour qu’en ces temps de grand flou et d’incertitude on ne laissepourtant pas « aller le monde comme il ne vapas ». Hervé Sérieyx l’écrit et le chante. Eneffet, il a écrit plus de 600 chansons au longde sa vie et en propose quelques-unes qu’ilinterprète lui-même dans un CD joint aulivre. Et il a effectivement du talent !Ce livre comprend deux parties. La première

décrit la brume et les raisons pourlesquelles elle s’étendet s’épaissit. Laseconde propose trois boussoles, troisdémarches quipermettent auxorganisations et àceux qui y travaillentde retrouver leurnord (ou au moins de travailler pour…).

La brume, on la connaît bien. Plus elle estforte, plus on perd ses repères. Ce qui nousdonne le tournis et rend l’avenir proche illisibleest que « ça bouge de partout et dans tous lessens! ». Difficile en bon cartésien de saisir lamultiplicité des changements dans tous lesdomaines et notamment les champséconomiques, techniques, géopolitiques,sociologiques… Comme le dit Edgar Morin, on y voit surtout un complexus, un “tisséensemble” de points d’interrogations ouvrantchacun sur des réponses multiples dont lescombinatoires laissent entrevoir une grandevariété de futurs possibles. Dans ce brouillardse greffe le fait l’on ne se comprend plus ou

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mal: une vingtaine de mots (progrès, sens,valeurs, liberté, égalité, fraternité, laïcité,démocratie, travail, famille, patrie, vérité,élites, autorité, hiérarchie, contrat, temps,métiers, emplois, management) sont passés de “mots repères” à “mots valises”, mots videsde sens ou ambigus. On ne peut alors s’étonnerque même en parlant la même langue, nousayons bien du mal à nous comprendre…On peut tenter de se raccrocher aux politiques,à l’État et à son administration ou bien auxsyndicats mais la « méthodologiedémocratique, dans son état actuel, semble peuapte à redonner un sens à la vie collective ». Le monde politique a perdu ses repères,l’administration est décalée, le syndicalisme est malade.Face à ce monde illisible, l’auteur est persuadéque trois boussoles peuvent nous aider à nousdiriger : rendre sa vie apprenante, rendre lesorganisations apprenantes, contribuer à notreplace à favoriser un développement vraimentdurable. Ces trois chemins ont déjà été maintesfois parcourus mais le regard de l’auteur, à la fois conceptuel et pratique, est intéressant.Il peut s’adapter à notre vie personnelle et professionnelle.

Rendre sa vie apprenante. Il s’agit d’unedécision consciente de s’enrichir tout au longde sa vie des événements et des rencontres et de vouloir avec force que cela contribue,même de façon infinitésimale, au changementdu monde. Rendre sa vie apprenante supposequelques principes clés : avoir une attituderéflexive envers sa vie (relire sans cesse ce que l’on vient de vivre pour comprendre), se remettre en cause et accepter d’être remis en cause par de vrais amis (ou des “coaches”dans les entreprises), s’enrichir du monde(disposition volontaire de l’esprit qui cherchesans cesse à affiner sa compréhension de sesenvironnements). À chacun de trouver sesoutils pour rendre sa vie apprenante.

Hervé Sérieyx décrit sa propre façon de tirerparti des leçons de sa vie et le rôle primordialqu’a joué la composition de chansons.Rendre les organisations apprenantes. Il s’agitde “passer au marbre” tous les systèmes degestion de l’organisation pour apprécier s’ilssont aussi conçus pour développer les capacitésde ceux qui les vivent. Hervé Sérieyx illustrecomment le responsable d’une organisationpeut utiliser certains mécanismes qui renvoientaux principes de la pensée complexe pour la rendre plus apprenante. En simplifiant, il s’agit de faire évoluer les organisationspour qu’elles produisent non seulement desrésultats mais aussi des acteurs plus libres,plus autonomes, plus solidaires…

Rendre le développement apprenant. Danscette dernière partie, Hervé Sérieyx proposede passer du développement durable (déjàgalvaudé?) au développement apprenant. Il s’agit « d’une approche qui conduit àprendre une décision stratégique susceptibled’influencer l’environnement futur, en tenantcompte des leçons qu’on a pu tirer dupassé ». L’auteur allie à nouveau concepts,outils et démarches pratiques.

Laurence Hurstel

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La chronique du net

Les précautions à prendre pour évaluer un intranet

Un étalonnage spécifique

Commençons par un rappel. L’évaluation est unenécessité pour progresser. Elle montre le cheminparcouru et celui qui reste à parcourir. C’est doncune mesure d’écart, qui suppose des repères intan-gibles. Sur ce premier point, l’intranet nous joueun tour : en état de relative jeunesse, son évolutionest encore si rapide au sein de l’entreprise que lescomparaisons dans le temps n’ont pas de perti-nence. Notre première recommandation seradonc d’étalonner son intranet avec celui d’autresentreprises et aussi, même si l’exercice est délicat, avec les outils traditionnels de la communicationinterne.Sur cette deuxième piste, il convient d’avanceravec prudence. Voici trois clés possibles de com-paraison entre l’intranet et un (ou plusieurs)outil(s) traditionnel(s).• L’informationQuelle est la nature des informations présentées surles différents supports ? Quelle part pour l’informa-tion “communautaire”, pour l’information métier,pour l’information stratégique ? Comment se répar-tissent les rôles et se jouent les complémentarités ?

• L’échangeQuelle interactivité est proposée ? Quelle est larichesse des échanges et la qualité des “remon-tées” selon les différents canaux ? Quel est l’atoutspécifique de l’intranet ?• L’appartenanceDans quelle mesure les collaborateurs s’appro-prient-ils les opportunités de communication quileur sont proposées ? En quoi chacune d’entre elles(dont la navigation sur intranet) est-elle porteusede l’appartenance à l’entreprise ?

Quelle que soit la clé retenue, le “focus group”semble être la modalité d’évaluation la plus appro-priée pour réaliser ce travail comparatif.

Une question de maturité

Mais avant de parler de modalités d’évaluation, ilnous faut aborder une autre question : celle de lamaturité de l’intranet et des problématiques asso-ciées. Car cette question change singulièrement la nature et les objectifs de l’évaluation. Quatreexemples :

L’intranet est aujourd’hui un outil de communication en quête denormes. Aussi la question de son évaluation est-elle épineuse : sur

quels objectifs doit-on se focaliser ? Où sont les standards de qualité ?La spécificité de l’outil entraîne-t-elle une spécificité dans son évalua-tion ? Ou au contraire une méthode propre à évaluer un outil de com-munication interne traditionnel peut-elle être mise à profit, moyennantquelques précautions, pour évaluer un intranet ?

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• L’animationC’est un mal de jeunesse pour l’intranet. Commentle faire vivre pour développer la fréquentation(d’ailleurs la question peut aussi être posée dansl’autre sens) ? Dans ce cas, l’évaluation s’intéres-sera à l’objectif d’appropriation et se centrera sur l’utilité et la satisfaction du point de vue de l’intranaute.• L’optimisationQuestion typique pour un intranet (ou tout outil decommunication interne) qui arrive à l’âge de raison.Comment gagner en efficacité ? L’évaluation seraalors centrée sur le process.• La fédérationLes intranets se sont multipliés ? L’optimisationdevient une question transversale, partagée entredes éditeurs distincts, qui doivent jouer la cohé-rence au service d’un utilisateur “partagé”.L’évaluation consistera en premier lieu à étalonnerles différents intranets afin d’en dégager les stan-dards à adopter/faire respecter pour la préparationdu futur portail.• La réorientationLa nécessité se présentera peut-être plus vite queprévu. Elle pourra être liée à une problématique degestion de contenu, de nouvelle formalisation desrôles en termes de communication, ou encore êtreconsécutive à un changement important dans l’or-ganisation de l’entreprise (fusion…). La politiqueintranet y gagnera ses galons. Son évaluationconsistera à déterminer dans quelle mesure ellecontribue ou peut contribuer à l’atteinte des objec-tifs stratégiques de l’entreprise.

L’évaluation permanente

Puisque toute communication doit être écoute aumoins autant que transmission de messages, il estbon de se souvenir que l’évaluation est consub-stantielle à l’acte de communiquer. Inversement,toute évaluation est acte de communication.

Cet autre rappel peut être résumé en une formule :l’évaluation est une posture de communicationplus qu’un poste (budgétaire) de communication.Conséquence ? “Écoutez” votre intranet !Observez de près la fréquentation, de manièrequantitative et qualitative. Pages lues, heure etdurée de connexion, participation aux forums,documents téléchargés, abonnements (et désabon-nements !) aux newsletters… autant de donnéesque vous pouvez exploiter utilement.

Par “exploitation”, nous entendons qu’il faut com-muniquer en interne sur ces résultats, auprès deswebmasters en premier lieu mais surtout auprès

des managers, qui ont besoin d’indications sur lesmodes d’information et de communication de leurscollaborateurs.

Les trois P de l’évaluation

Quelles modalités d’évaluation retenir lorsque cesobservations régulières ne suffisent plus ? C’est ceque nous allons voir maintenant en trois étapes,dites “les 3 P”. N’hésitons pas à recourir auxprocédés mnémotechniques du marketing : le P dupublic, le P du produit, le P du process.

Le Public Nous avons abordé plus haut la question du public desintranautes. Mieux connaître ce public supposed’analyser les statistiques, mais également de luiposer des questions. Pour cela, deux possibilités com-plémentaires :• Le “focus group” qualitatifUne réunion d’une à deux heures au cours delaquelle les pratiques sont décrites et expliquées,les difficultés et les attentes identifiées.L’organisation d’au moins 4 ou 5 “focus groups”(découpage par site, métier, niveau hiérar-chique…) est souvent nécessaire pour identifiertous les points clés. • Le questionnaire “on line” pousséIl peut être utile pour évaluer de manière quantita-tive les observations recueillies lors de “focusgroups”. L’administration “on line” offre des possi-bilités méthodologiques intéressantes que ne permetpas le questionnaire auto-administré. Cependant ilne permet pas (il faut s’en souvenir !) de recueillirles réponses de ceux qui ne peuvent ou ne veulentpas se connecter.Quelles que soient les modalités retenues, ilconvient d’étalonner les résultats avec des élémentsrecueillis auprès d’intranautes d’autres entreprises.Sur le sujet, une étude inter-entreprises menée il ya quelques mois propose une première référence.

Le Produit et les critèresPassons maintenant au deuxième P, celui du produitintranet lui-même. Le site peut être passé au cribled’un questionnaire complet, organisé selon quatreparties fondamentales :

• Le contenuDomaines d’information traités ? Mode de traite-ment ? Actualisation ? Rubriques ? • L’ergonomieNavigation ? Signalétique ? Équilibre multimédia ?Degré de personnalisation ? • Les fonctionnalitésOutils de recherche ? Annuaires ? Forums ?

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• L’identitéImage et messages de l’entreprise et de ses compo-santes ? Signes d’appartenance ?

L’analyse produit est un travail “en chambre” qu’ilest judicieux de confier à des experts différents. Parexemple, l’analyse “contenu” et “ergonomie” à unconcepteur rédacteur habitué au web et maîtrisantles principes d’ergonomie, celle des “fonctionnalités”à un fin connaisseur des intranets de nombreusesentreprises, celle de “l’identité” à un sémiologue ouà un directeur de création. Le regard croisé de cesexperts orientera vers une synthèse riche en termesde points forts et de points à améliorer pour le site.

Le Process et son optimisation Pour l’heure, nous avons relevé les points de satis-faction et identifié les besoins auprès des intranautes.Puis nous avons proposé à des experts de se penchersur l’objet lui-même. Il nous manque le troisième P,celui du process. Comment et par qui l’intranet est-il piloté, alimenté, administré ? Ces fonctionssont-elles organisées en processus ou leur organisa-tion résulte-t-elle de choix implicites ? Quelles sontles tâches assurées en interne et celles achetées àl’extérieur ? Dans quel contexte et par qui ces choix ont-ils été effectués ? Quelle est l’équationbudgétaire ? Comment l’innovation peut-elle êtreintégrée ? Toutes ces questions et quelques autresdoivent être étudiées à ce stade. La modalité adaptée est celle d’une série d’entretiensavec la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre(Webmestres), les contributeurs internes et externes.Là encore elle peut être utilement complétée par uncomparatif annuel inter entreprises .

Seul un process robuste dans le temps peut conduireà un produit de qualité, lui-même indispensable àl’utilité de l’intranet et à la satisfaction de l’intra-naute. Nos trois P sont donc indissociables.Les étudier simultanément offre une vision globale dela performance de l’intranet et garantit la qualité del’évaluation elle-même.

Notes(1) Intranet et salariés, IPSOS pour l’UJJEF, 2002(2) Observatoire de l’intranet Arctus SynergenceMajeure.

Philippe OlivierDirecteur-associé de Synergence Majeure

Cinq pièges à éviter

• Méconnaître les objectifs de l’évaluation.

• Ignorer les autres outils de communication interne.

• Utiliser l’intranet comme seulsupport de son évaluation.

• Évaluer ponctuellement, sans penser à l’impératifd’évaluation permanente.

• Laisser ceux qui réalisent l’intranet à l’écart de sonévaluation.

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Actualités

Libres-propos sur l’actualité

L’entreprise fait figure d’épouvantail et le travail… de supplice. Dans ces conditions que peuvent les communicants ?

Si l’entreprise a mauvaise presse, les chaînes detélévision et les radios ne sont pas en reste.L’image-choc devient l’ultime recours lorsque lacommunication interne est en panne ; aluminiumdans la rivière chez Péchiney, chantage à la pol-lution des salariés de Cellatex, enchaînement aux grilles des préfectures, déménagement chezFlodor, selon le principe qu’une forte image vautmieux que pas d’information !La confiance vis-à-vis des entreprises est grave-ment entamée. Corruption au plus haut niveau,mensonge érigé en stratégie, ruine des salariés-actionnaires, plans sociaux, violence larvée, difficulté de vivre au quotidien. À en croire un reportage récent, « la culture de la haineimprègne désormais les moindres promotionsdans la vie de bureau, des administrations, commedes affaires… » et la psychomania envahit lemonde du travail.Plus grave, l’entreprise fait peur, même à l’exté-rieur. Chez les enseignants, par exemple. lavolonté des pouvoirs publics d’appliquer àl’école le modèle entrepreneurial expliqueraitselon certains, les récents mouvements sociauxqui ont agité le monde des enseignants. Il s’agiraitpour eux de refuser la soumission de l’éducationnationale aux impératifs du marché, la “mar-chandisation du savoir”, la transformation deschefs d’établissement en “managers” et desenseignants en “techniciens de la pédagogie”,comme d’ouvrir les établissements à la concur-rence et de créer ainsi des inégalités entre les élèves. (1)

Plus généralement, c’est le travail salarié quiinquiète, qu’on l’ait perdu (chômage), qu’on enbénéficie encore durablement ou par intermit-tence (stress), ou qu’on en sorte trop tôt (retraiteanticipée). Sur ce dernier point, l’article du Mondediplomatique, intitulé “Mourir au travail” sur l’ex-plosion des maladies des retraités, séquelles de leuractivité professionnelle, fait froid dans le dos (2) !

Quoi d’étonnant dès lors, que seulement 6 % desFrançais se disent engagés dans leur entreprise, et 3 % des cadres, selon une enquête IFOP pour

Gallup (sept. 2002). On comprend que 77 % desjeunes français, interrogés dans un récent sondage,préfèrent la carrière de fonctionnaire au travail enentreprise. Bref, ceux qui tentent de maîtriser la communi-cation interne sont confrontés à des émotions età des sentiments extrêmes, peur, désarroi, déses-poir, révolte, résistances… (3) Dans ces conditions,que peuvent-ils faire ?Une première réponse surgit du côté des consul-tants : communication de proximité surmesure et coaching des managers. Rien de tel pour faireaccepter les horizons bouchés, les salaires enberne et l’incertitude que d’amener les salariés à “se sentir bien malgré tout“. (4)

Mais, pour combien de temps ? Le sentimentconfortable de soi est fugace. La pratique assiduede la sieste au travail préconisée par certains suf-fira-t-elle à l’entretenir?Plus sérieusement, la perte du sens du travail tientaussi à autre chose: « la pression du débit, l’im-possibilité de comprendre les attendus et les fina-lités… l’opacité de l’organisation engendrent uneforte difficulté à produire du sens… » (5)

Une autre voie consiste donc à rendre l’entreprisemoins opaque et l’organisation du travail suppor-table, tâche difficile dans un monde chaque jourplus “Darwinien”, champ de bataille d’uneconcurrence effrénée.Relativisons cependant, l’entreprise n’est pas seuledans la tourmente, et sachons garder l’humour: la“destruction créatrice” qui nous bouscule, permet,malgré un nombre énorme de faillites et de fusion-restructurations, de bénéficier de vols aériens à basprix et de communications téléphoniques moinschères! (6)

Robert de Backer

Notes(1) L’école n’est pas une entreprise, Christian Laval,

La découverte, Paris, 2003(2) Le Monde diplomatique, juin 2003, p.1(3) Dossier “Le travail en crise”,

Le Monde 22-23 juin 2003(4) Mo-ti-ver, Le Point, 18 avril 2003(5) Philippe Zarifian, À quoi sert le travail ?

Éd.La Dispute, janv.2004(6) Courrier international, 12-18 juin 2003, p.6

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Directeur de publicationPierre Labasse

Direction de la rédaction Robert de BackerMichel Forcet

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Secrétariat de rédactionA ÉDITORIAL©

Délégation Générale de l’AFCILaurence Hurstelc/o INergie15, avenue Victor Hugo92170 VanvesTél. : 0141 09 05 24Fax : 0141 09 05 06 Email : [email protected]

ÉditeurA ÉDITORIAL©

Tél. : 01 42 40 23 00

Dépôt légal : 3e trimestre 2003

Achevé d’imprimer

en septembre 2003

Imprimeur : Printimage - Paris

Publicationde l’Association Françaisede CommunicationInterne (AFCI)

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Créée en 1989, l’AFCI veut être un espace de rencontres, d’échanges et de réflexionssur la communication interne dans les entreprises et plus largement dans les organisations.

L’AFCI s’est donné trois missions :

◗ développer la communication interne sous toutes ses formesdans sa fonction d’appui au management auprès des entrepriseset organisations,

◗ accroître le professionnalisme de ses membres,

◗ être un lieu de rencontre, d’échanges et d’ouverture.

Dans ce but, elle propose différents services et activités :

ASSOCIATION FRANÇAISEDE COMMUNICATION INTERNE

Journées, rencontres, dîners-débatsL’AFCI organise des “journées” (9h30 à 17h30) et demi-journées (9h30 à 14h),des “rencontres”(12h30 à 14h30), et des “dîners-débats” (19h30 à 22h).Le programme de ces réunions s’ordonne autour de trois axes :◗un axe “professionnel” avec des thèmes renvoyant aux bases du métier,◗un axe “managérial” centré sur les contributions de la communication

interne au bon fonctionnement de l’entreprise,◗un axe “prospectif” portant sur des réflexions fondamentales

ou sur les grandes évolutions à venir.

AteliersLes ateliers rassemblent des membres de l’AFCI désirant réfléchir ensemble et échangersur un thème particulier pour l’approfondir. Les participants aidés par un professionnelexpérimenté définissent entre eux le contenu de ces échanges et leur mode d’organisation.

CommissionsCe sont des groupes de travail constitués à l’initiative du conseil d’administration de l’AFCI.Elles sont destinées à nourrir la réflexion de l’AFCI et à renforcer son action. Elles donnentlieu ensuite soit à une action concrète, soit à l’élaboration d’un document de synthèse.

L’université AFCI de la communication interneL’AFCI organise sous cette appellation des séminaires ouverts à un large public. Animés par des professionnels, ils initient ou perfectionnent aux méthodes et aux pratiques générales de la communication interne. Dix années de réflexion, de capitalisation et d’échange, ainsi qu’une attention portée aux problématiquescontemporaines positionnent l’AFCI et la légitiment à agir en ce domaine.

ÉditionL’AFCI publie une revue semestrielle, “Les cahiers de la communication interne”. Cette revue capitalise les réflexions issues des activités mentionnées ci-dessus.Un feuillet mensuel de liaison entre les adhérents, “La lettre de l’AFCI”fait le point sur les activités en cours et à venir.

Site AFCI : www.afci.asso.frLe site présente l’association et offre la possibilité aux adhérents de participer à des forums et échanges d’expériences.

PartenariatsDans un esprit d’ouverture et pour mieux répondre aux demandes variées de ses adhérents, l’AFCI s’efforce de tisser des liens avec d’autres associations.

ISSN : 1286-4072Prix : 13,72 €