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IEPF NUMÉRO 58 – 1 er TRIMESTRE 2003 INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE CHANGEMENTS CLIMATIQUES DÉVELOPPEMENT DURABLE TRANSPORT URBAIN VÉHICULES ÉLECTRIQUES PROTOCOLE DE KYOTO TRANSPORT AÉRIEN ET ENVIRONNEMENT TRANSPORTS COLLECTIFS TRANSPORT ET ÉNERGIE >

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IEPF

NUMÉRO 58 –1er TRIMESTRE 2003

INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE

CHANGEMENTS CL IMAT IQUES

DÉVELOPPEMENT DURABLE

TRANSPORT URBA IN

VÉH ICULES ÉLECTR IQUES

PROTOCOLE DE KYOTO

TRANSPORT AÉR IEN ET ENV IRONNEMENT

TRANSPORTS COLLECT I FS

TRANSPORT ET ÉNERGIE

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Numéro 581er trimestre 2003

La revue Liaison Énergie-Francophonie est publiée trimestriellement par l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie (IEPF).L’IEPF est un organe subsidiaire de l’Agenceintergouvernementale de la Francophonie, opérateur principal del’Organisation internationale de la Francophonie.

56, rue Saint-Pierre, 3e étageQuébec G1K 4A1 CanadaTéléphone: 1 (418) 692-5727Télécopie : 1 (428) 692-5644Courriel : [email protected] Internet : www.iepf.org

Directeur de la publication:El Habib Benessahraoui

Comité éditorial :Faouzia AbdoulhalikBoufeldja BenabdallahEl Habib Benessahraoui Sibi BonfilsPatrice DallaireChantal GuertinLouis-Noël JailJean-Pierre Ndoutoum

Édition et réalisation graphique:Communications Science-Impact

ISSN 0840-7827

Photos en couverture:Médiathèque Commission européenneJean Burton (transport avec âne)

Tirage:3500 exemplaires

Dépôt légal :Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Les textes et les opinions n’engagent que leurs auteurs.Les appellations, les limites, figurant sur les cartes de LEFn’impliquent de la part de l’Institut de l’énergie et del’environnement de la Francophonie aucun jugement quantau statut juridique ou autre d’un territoire quelconque, nila reconnaissance ou l’acceptation d’une limite particulière.

Prix de l’abonnement annuel (4 numéros) :40$ CAD; 28$ USD; 30€ ; 16000 CFA;380000 Dongs vietnamiens

Poste-publications – Convention No 155 7440

Imprimé au Canada

SSOOMMMMAAIIRREE TRANSPORT ET ÉNERGIE

Mot du Directeur exécutif..........................................................3El Habib Benessahraoui

Éditorial ........................................................................................4Michel Mousel

Hommage à René Yvon Brancart .............................................6

Guérir notre système de transport :diagnostics, remèdes et ordonnances...................................7Philippe Domergue

Et si le Protocole de Kyoto avait aussi des impactssur la gouvernance de nos sociétés? ..................................20Bernard Jouve

Le livre blanc de la Commission européennesur les transports : la réflexion évolue… un peu ...............25Ronan Golias et Thomas Guéret

Transport et développement durable: la problématiquedes transports terrestres en Afrique subsaharienne..........30Amakoé P.Adoléhoumé

Les services publics de transports collectifsdans les villes africaines.......................................................35Brice Duthion

Le transport urbain en Afrique de l’Ouest :le cas de Cotonou ................................................................42Ayite Marcel Baglo

Les politiques de transport urbain:le cas du Grand Beyrouth ...................................................47Adel Mourtada

Le secteur des transports et le défi des changementsclimatiques au Québec ........................................................53Martin Hotte

Interview de Jacques SAINT-MARC,secrétaire général du Groupe Interministériel«Mobilités et Véhicules Électriques» .................................60

Le transport aérien et l’environnement ..................................63OACI

Nouvelle banque de donnéesLa conclusion d’un partenariat entre l’IEPF et Hydro-Québec, visant la mise enligne de la banque de données «Énergie dans le monde », a été annoncée le20 mars dernier, Journée internationale de la Francophonie. Cette banque dedonnées regroupe de l’information sur la situation énergétique de plus de170 pays, dont tous les pays francophones et presque la totalité des pays du restedu monde, ainsi que sur les activités de 150 entreprises et organisationsinternationales.Elles est accessible sur le site Internet de l’IEPF à l’adresse suivante:http://www.iepf.org/docs/energie-monde

Le prochain numéro de Liaison Énergie-Francophonie (no 59, 2e trimestre 2003)aura pour thème «Les systèmes d’information énergétiques».

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3Transport et énergie

Le transport concerne tous les aspects dudéveloppement durable et a de profondesrépercussions tant économiques et sociales

qu’environnementales. Indispensable à la crois-sance économique et au bien-être social, il a unimpact négatif sur l’environnement en raison tantdes émissions de gaz à effet de serre, de plomb etde diverses particules qu’il génère que del’occupation des sols qu’il entraîne. Son extensionet sa densité induisent des coûts sociaux plus oumoins importants : problèmes de santé, bruit,accidents, congestion…

Le secteur du transport consomme près de lamoitié de tout le pétrole produit dans le mondeet représente 25% de la consommation mondialed’énergie commerciale. Cette consommationénergétique du secteur connaît une croissancecontinue qui s’établirait, d’ici à 2020, à unemoyenne annuelle de 1,5% dans les pays indus-trialisés et à plus de 3,5% dans les pays endéveloppement (rapport du Secrétaire général desNations Unies pour la préparation du Sommetmondial du développement durable).

Sur le plan mondial, la demande de services detransport est appelée à augmenter de façonconsidérable sous l’effet conjugué de la croissanceéconomique et de l’urbanisation, notammentdans les pays en développement, et de l’accélé-ration de la mondialisation et des échanges auniveau international. Cela place le secteur destransports en tête des enjeux du développementdurable : d’une part, face aux défis des change-ments climatiques et de la nécessité de réduire lesémissions de gaz à effet de serre, particulièrementpour le Nord ; d’autre part, et de manièreconcomitante, face aux défis de l’indispensabledéveloppement des transports et de l’organisationde la mobilité, particulièrement au Sud, dans lecadre de politiques d’aménagement du territoireet d’investissement fondés sur la durabilité et lalutte contre la pauvreté.

De nombreux obstacles devront ainsiêtre levés partout, dans le cadre depolitiques intégrées novatrices ethardies et avec l’appui d’une solidaritéinternationale agissante. De tels obsta-cles sont de nature technique, institu-tionnelle, réglementaire et financièreou parfois liés à des habitudes et àdes comportements sociaux, voiresociétaux.

Ce numéro de LEF vise à présenterquelques facettes du problèmecomplexe des transports à travers desétudes de cas et divers points de vue. Il vise aussià ouvrir quelques pistes pour un débat dontl’importance et l’ampleur s’imposent de part enpart et s’imposeront de plus en plus.

La présente livraison a bénéficié de l’appui demonsieur Michel Mousel en tant que rédacteuren chef invité. Je le remercie et remercie en luinon seulement le « spécialiste» du transport et lenégociateur avisé «des changements climatiques»,mais aussi l’acteur enthousiaste pour le dévelop-pement durable.

El Habib Benessahraoui

Directeur exécutif, Institut del’énergie et de l’environnementde la Francophonie.

MMoott dduu DDiirreecctteeuurr

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4 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Vingt lignes sur 80 pages: c’est laplace consacrée aux transportspar le plan de mise en œuvre du

sommet mondial du développementdurable de Johannesburg. Même si, ducoup, le peu qui est dit sur le sujet estdense et donc «bien senti », cela paraîtquelque peu confondant, comparative-

ment aux cris d’alarme lancéspar exemple par les auteursdes articles réunis dans cenuméro de LEF. Certes, onsait que l’ONU a choisi,plutôt que de répéter lesexercices encyclopédiquesrituels de ce genre deréunions, de concentrer lesommet sur quelques théma-tiques majeures en cohérenceavec les priorités de la Décla-ration du millénaire.Et que siles transports n’ont pas étéaffichés parmi ces priorités,

en revanche l’énergie y figurait juste après l’eau,ce qui pouvait être une manière de ne pas lesesquiver. C’est d’ailleurs – logiquement vu laspécialité du support qui nous offre l’hospitalité –notamment sous l’angle de leurs rapports avecl’énergie et l’effet de serre que les transports serontabordés ici.

Déjà, pris sous cet angle, nous verrons à quelpoint nous avons affaire à un sujet à risque: parcequ’il n’apparaît pas clairement qu’à une luciditécroissante sur les enjeux réponde toujours la miseen œuvre de moyens et de politiques à la bonnedimension. Mais les relations entre le non-développement durable et l’évolution à tous lesniveaux du système de transports sont beaucoupplus complètes et complexes. Elles ne sont pasconstituées seulement d’impacts sur l’environ-nement et l’énergie.

Tout d’abord, c’est bien la totalité des domainestouchés par le développement durable qui sont

concernés.En termes économiques par exemple,les formes prises par la mondialisation sontdirectement reflétées par l’intensification deséchanges et leur polarisation à l’échelle planétaire,et cela dans des conditions dont on ne peut direni qu’elles sont optimales ni qu’elles sont maî-trisées. Cela est encore plus vrai si l’on considèreque les habitudes de consommation qu’ellesengendrent ne sont pas non plus nécessairementcompatibles avec les préoccupations exprimées auniveau mondial – et, justement, à Johannesburg –relativement à l’équité sociale, au travail décent, àla sécurité alimentaire.

Réfléchissons un instant à l’introduction sur lesmarchés occidentaux d’une offre de produitsalimentaires toujours frais parce qu’il est devenutechniquement possible d’aller les chercher soustous les climats et de les acheminer en un tempstrès court. La demande croissante en la matièrerétablit une pression à l’orientation des agri-cultures locales vers les marchés extérieurs avecleurs exigences de productivité, au détriment desconsommations intérieures. On risque alors decontrecarrer tous les efforts pour consolider lemonde rural, limiter l’afflux de ses éléments lesplus appauvris vers les grandes concentrationsurbaines, par ailleurs en grande difficulté du faitdes coûts de leur développement anarchique,particulièrement en matière de transports.

Ce n’est là qu’un exemple des contradictions etdes cercles vicieux du non-développementdurable dans lesquels les transports sont forte-ment impliqués. Leur dérapage, en effet, est à lafois résultante d’une évolution non soutenablede nos modes de production et de consomma-tion (c’est d’ailleurs sous ce chapitre que sontinsérées les vingt lignes ci-dessus évoquées),élément constitutif de cette « insoutenabilité» etcause de son aggravation…

Pourquoi paraît-il si difficile d’aborder de front ceproblème et d’amorcer les transitions nécessairespour inverser avant qu’il ne soit trop tard lestendances suicidaires qui affectent ce domaine?

Michel MOUSEL

Michel MOUSEL a fondé, aprèsRio, l’association 4 D (Dossiers etDébats pour le DéveloppementDurable). Il a ensuite dirigé laMission Interministérielle del’Effet de Serre, structure dugouvernement français chargéeà la fois de la politique nationaleet des négociations internationa-les dans ce domaine. Il a égale-ment été chargé d’animer lacoopération entre société civileet pouvoirs publics pour la Confé-rence de Johannesburg.

ÉÉddiittoorriiaallL’urgence et le long terme

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5Transport et énergie

D’abord parce que celles-ci sont constituéesd’une pluralité d’éléments qui agissent demanière multiplicative et qu’aucune impasse nepeut être faite sur l’un quelconque de ceséléments. Multiplicative : c’est pourquoi lamontée de l’intensité des déplacements despersonnes et des marchandises tend à être expo-nentielle.Ce que j’appelle les trois plus et les troismoins :

– plus d’espace à desservir (de la planétarisationdes échanges au gigantisme urbain),

– plus de vitesse exigée,

– plus de personnes ou de marchandises à dépla-cer, sachant que cette demande de mobilitépeut être désirée (notamment comme normesociale) ou contrainte (déplacements domicile-travail),

– moins de déplacements non motorisés,

– moins de moyens collectifs parmi l’ensembledes déplacements motorisés,

– moins de prix de ces déplacements individuelsmotorisés relativement au revenu, ce quiconstitue de fait une incitation à leur emploiplus intensif (ce qui renvoie aussi à unproblème typique du développement durablequ’on ne pourra pas esquiver, celui descontradictions latentes entre niveau deconsommation et égalité d’accès à celle-ci).

Non seulement cette combinaison de facteursmultiplicatifs explique l’évolution explosive dudomaine, mais elle permet de comprendrepourquoi il n’y a pas, dans les remèdes, deraccourci qui permettrait d’agir sur l’une descauses tout en s’abstenant d’agir sur les autres.Ainsi, les progrès technologiques sont indis-pensables, par exemple pour baisser la consom-mation d’énergie et les émissions, mais l’expé-rience prouve que sans action complémentaire,ces progrès peuvent se transformer en plus devitesse, plus de poids, plus de circulation, plus dedistances parcourues…

Ainsi, le plus problématique dans la mise en œuvrede politiques de transport alternatives n’est pas detrouver les solutions – celles-ci ne manquent pas –mais d’évaluer celles qui sont possibles, d’une part,et de prendre le temps d’assurer la transition versces solutions, d’autre part.

Il est d’autant plus nécessaire d’évaluer lessolutions possibles que, comme on vient del’esquisser, l’imbrication des divers aspects duproblème est considérable : évaluation des solu-tions en elles-mêmes, évaluation des rapportsqu’elles entretiennent entre elles, évaluation deleur impact sur les divers secteurs du dévelop-pement durable, de façon à surmonter les con-tradictions (plutôt que de cultiver des mythes surdes sources d’énergie à pollution 0, procéder àdes analyses de cycle de vie complètes) et àrechercher les doubles dividendes.

Il est également indispensable de raisonner latransition en termes de durée pertinente si l’onveut sortir de la paralysie liée à la coexistenced’un sentiment d’urgence ingérable et d’unemauvaise visibilité du long terme (souvent bienplus long qu’un simple mandat électoral). C’estvrai à tous les niveaux, du local au planétaire.Mais cela demande des instruments de calcul, dedécision et de financement adaptés. Pour neprendre que l’exemple du Protocole de Kyoto,souvent cité dans ce numéro, cela suppose qu’onaille jusqu’au bout de la mise en place desinstruments qu’il implique, tant dans le change-ment de politiques des pays industrialisés quedans leur engagement à épargner aux autresd’avoir à reproduire leurs erreurs. Soyons lucides,nous en sommes encore loin.

Éditorial : L’urgence et le long terme

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Un ami de la Francophonie, René Yvon Brancart,vient de nous quitter ce 3 mars 2003.

Yvon Brancart était une personne entière,dévouée à son pays, la Côte d’Ivoire,et au secteur de l’énergie, dans lequel il a occupé maintes fonctions. Il a étéDirecteur Général des Hydrocarbures, Chef de Service de la Production à

Énergie Électrique de Côte d’Ivoire (EECI) et Conseiller du Ministre de l’Énergie.

Proche de l’IEPF, il a participé à la plupart des manifestations concernant la biomasseénergie, secteur pour lequel il avait une affection particulière parce qu’il est prochedu terroir, proche des ruraux. Depuis le lancement, début 1992, de la Baseexpérimentale et de formation régionale sur la conversion thermochimique de labiomasse d’Abidjan, et jusqu’en 1998, il a été présent à toutes les sessions. Décembre1999, il a tout donné pour l’organisation du Symposium francophone africain sur laBiomasse énergie qui a eu lieu au siège de la BAD (Banque africaine de développement),mettant à contributionquelque 250 représentants de 33 pays.En février 2002,c’est lui qui a organisé la rencontre CNRA (Centre Nationalde la Recherche Agronomique) réunissant le Directeur général adjoint, le représentant chargé de la Base, et lecomité visiteur (IEPF,ADEME) pour reprendre les pourparlers sur cette institution. Les événements que nousconnaissons dans ce pays n’ont pas arrêté son ardeur, alors qu’il a accepté de proposer ses services pour aider laCôte d’Ivoire à relancer ce Centre, et continué à prêcher pour l’accès des populations rurales à l’énergie.

René Yvon Brancart aimait aussi écrire, par exemple pour communiquer son savoir, ce qu’il savait faire, avecchaleur et brio.Rédacteur en chef invité de Liaison Énergie-Francophonie, pour son numéro 53 sur la «Coopérationénergétique», il a aussi signé plusieurs articles dans cette revue, dont quelques-uns sont rappelés ci-dessous.

Les représentants de nos pays membres auprès des Nations Unies se souviendront sans aucun doute du brillantconférencier qui est venu partager avec eux sa passion pour l’énergie et le rôle qu’elle joue dans les stratégiesnationales de développement durable.

C’est sûr,Yvon, tu nous manqueras.

6 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Quelques contributions de René Yvon BRANCART au LEF:LEF no 53, 2002, Éditorial.LEF no 41, 1998, Un Forum ouvert impossible à ignorer.LEF no 40, 1998, L’électrification rurale en Côte d’Ivoire : la volonté de partager.LEF no 38, 1998, Le renforcement des capacités dans le domaine de l’énergie.LEF no 33, 1996, La place de l’énergie dans la production agricole : Le cas de la Côte d’Ivoire.Voir le site Internet de l’IEPF: http://www.iepf.org/ressources/lef.asp

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Philippe Domergue

Philippe DOMERGUE est actuel-lement chargé de missionauprès du Président du ConseilSupérieur du Service PublicFerroviaire français rattaché auMinistre chargé des Transports.Ingénieur et économiste, ila d’abord travaillé dans unbureau d’études économiquespuis est entré à la SNCF. Il aentre autres contribué à l’éla-boration du concept de Réseaueuropéen de trains à grandevitesse, prototype des réseauxtranseuropéens.

Le système de transport de l’Union européenne est à la fois utile etmalade. Selon le livre blanc de la Commission Européenne deseptembre 2001, il représente globalement 10% du PIB et ses coûtstrès bas en font un instrument central du développementéconomique au point d’en être la variable d’ajustement. Ceci a lieuau détriment des hommes qui en assurent la bonne marche auquotidien et au détriment de l’environnement, gravement détériorépar les nuisances des transports. Celles-ci représentent aussiaujourd’hui, en Europe de l’Ouest, un coût de 10% du PIB! Il fautsoigner ce système avant que notre environnement et la qualitémême de nos transports ne se dégradent irréversiblement. Et la leçondoit être entendue par tous les pays ouest-européens aussi bien quedans le reste de l’Europe ou dans les régions en développement desautres continents, afin qu’ils ne suivent pas le même chemin maisconstruisent dès maintenant un système efficace et vivable.

Une démarche sage consisterait :

1. à prendre la température du malade en mesurant les nuisancesdes transports, qui sont autant de maladies ; mesure physiquedes émissions d’abord, évaluation monétaire des coûts externescorrespondants ensuite ;

2. à proposer des remèdes à partir des instruments de politique detransport disponibles ;

3. à établir une ordonnance en proposant la politique transport /énergie / environnement optimale pour chaque pays, tout enévitant les instruments incompatibles (comme pour lesmédicaments) et la contagion, et en tenant compte de lasituation de chaque pays.

GGuuéérriirr nnoottrree ssyyssttèèmmee ddee ttrraannssppoorrtt ::ddiiaaggnnoossttiiccss,, rreemmèèddeess eett oorrddoonnnnaanncceess

7Transport et énergie

@[email protected]

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8 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Le diagnostic :les nuisances des transportset leur évaluation

Les nuisances du système des transports sontcréées par les infrastructures, les matérielsou les déplacements des matériels sur les

infrastructures.L’encadré «Les nuisances des trans-ports» constitue une nomenclature des principales«maladies» des transports.

À partir des évaluations physiques des nuisances,on peut ainsi comparer les pollutions atmo-sphériques (y compris l’effet de serre) des poidslourds et du transport combiné et conclure queles poids lourds sont 6 à 10 fois plus polluants quele transport combiné (en incluant les pollutionsroutières des parcours terminaux) (tableau 1).

Mais pourquoi vouloir évaluer les effets externesnégatifs des transports ? La réponse est celle dumédecin qui prend la température et le pouls de

Les nuisances des transports : les effets externes négatifs1

1. Les énergies et leurs effets :

la consommation d’énergie,la pollution atmosphérique,l’effet de serre,les risques spécifiques de l’électricité : champs électromagnétiques, risque nucléaireet déchets radioactifs.

2. Le bruit et les vibrations.

3. Les effets permanents des infrastructures :

la consommation d’espace et l’effet de coupure,les obstacles à l’écoulement des eaux,les atteintes aux paysages,l’impact sur la faune et la flore.

4. La congestion des infrastructures.

5. Les atteintes à la sécurité des personnes.

6. Les rejets d’effluents : la pollution industrielle

les déchets et les impacts du cycle de vie des infrastructures, des matériels et de l’énergie,les pollutions des eaux et des sols.

1. Les nuisances ne sont pas toutes connues avec la même précision. Cela part de la simple identification, passe par l’évaluation physiquede la nuisance, l’évaluation physique des conséquences pour l’homme et l’environnement, pour aboutir à l’évaluation «monétarisée»plus ou moins précise de ces conséquences. Les nuisances les plus souvent évaluées (en gras dans l’encadré) sont l’insécurité, la congestion,la pollution atmosphérique, l’effet de serre et le bruit. Commencent à être évalués (en italique dans l’encadré) la consommation del’espace et l’effet de coupure, l’impact sur la faune et la flore, les déchets et les impacts du cycle de vie, et le risque nucléaire et les déchetsradioactifs.

son patient et qui pratique des analyses plus oumoins poussées : ce qui se mesure peut faire l’objetd’actions mesurables et donc s’améliorer. Le stade leplus achevé des mesures est la constitution d’unbarème d’évaluation des effets externes donnantdes équivalents monétaires aux conséquences deseffets externes et permettant alors de mettre enregard le coût des traitements et leurs impacts.Untel barème doit posséder les qualités suivantes:

– légitimé vis-à-vis du maximum d’acteursconcernés, à la fois les spécialistes et lesdécideurs politiques, si possible au niveau dechaque ensemble géographique pertinent pourles transports,par exemple au niveau européen:la pollution de l’air n’a pas de frontière et laliberté de déplacement est au cœur du Traitéde la Communauté Européenne;

– efficacité: le barème doit conduire aux bonnesdécisions pour réduire effectivement lesnuisances comme l’exige le Traité de la

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9Transport et énergie

Communauté Européenne (articles 2 et 6 ettitre XIX);

– caractère le plus complet et le plus différenciépossible: il doit concerner toutes les nuisances,tous les modes de transport (distinguésnotamment selon l’énergie utilisée), tous lesmilieux (ville et rase campagne, avec uneattention particulière aux zones sensibles) etpermettre des projections dans le temps pourl’évaluation des projets de transport auximpacts longs, comme la construction denouvelles infrastructures ;

– facilité d’application pour qu’il puisse êtrebien compris des responsables de sa mise enapplication; à défaut il sera soit ignoré, soit malappliqué avec, pour conséquence, des actionscontre-productives !

En résumé le barème doit être un instrument demesure pouvant servir de thermomètre fiable aumédecin prescripteur.

Il faut insister sur l’efficacité du thermomètre.Certains experts disent : «Commençons par desévaluations a minima ; puis nous ferons croître cesvaleurs ultérieurement. » Cette position estincorrecte : ne confondons pas le thermomètre,qui doit être d’emblée le plus juste possible, et letraitement qui peut effectivement être progressif.

Prenons l’exemple du choix entre deux projetsd’infrastructures, P1 et P2, susceptibles d’amé-liorer le service de transport entre deux villes.P1 et P2 ont, chacun, une valeur économique E(bilan actualisé1 des investissements, des coûts

d’entretien, des recettes, des taxes ou péages…),une valeur socio-environnementale S (bilanactualisé des nuisances) et une valeur socio-économique A (bilan actualisé des avantages,notamment en gain de temps). Le tableau 2montre que le choix du meilleur projet selon lemeilleur bilan E + S + A avec le même tauxd’actualisation peut changer selon les valeurs dubarème socio-environnemental, «a minima » ou«au bon niveau» (en supposant que ces niveauxsoient dans la proportion 1 à 2).

Guérir notre système de transport : diagnostics, remèdes et ordonnances

Tableau 1

TransportPoids lourds combiné SNCF

Rejets de polluants (maxicode (caisse deen grammes par tonne/km 15 t. utiles) 15 t. utiles)

Gaz carbonique (CO2) 72,0 7,5

Oxyde de carbone (CO) 0,32 0,05

Composés organiquesvolatils 0,18 0,02

Oxydes d’azote (NOx) 1,04 0,11

Particules 0,1 0,01

Source : Agence de l’environnement et dela maîtrise de l’énergie – ADEME.

Tableau 2

Valeur S Valeur du projet DécisionE + A + S

Projet Valeur Barème Barème au Barème Barème au Barème Barème auà choisir E + A a minima bon niveau a minima bon niveau a minima bon niveau

S min 2 fois S min

P1 85 50 100 135 185 non Projet 1

P2 100 40 80 140 180 Projet 2 non

1. À proprement parler, il s’agit de bilans différentielsentre l’évolution de la situation avec le projet etl’évolution de la situation de référence, cette dernièrecorrespondant à la meilleure évolution possible de lasituation actuelle en l’absence du projet, car rien nereste immobile.

Un autre débat récent doit être signalé sur cethème de l’efficacité. Le dernier rapport officielTransports : choix des investissements et coûts desnuisances du Commissariat Général du Plan d’avril2001 retient comme évaluation de l’effet de serreune valeur de 100€ par tonne de carbone,prochede la valeur de taxation de 500F pour l’horizon2010, référence retenue par le gouvernement dansle Plan National de Lutte contre le ChangementClimatique (PNLCC) de 1999. Lors dudeuxième bilan du PNLCC des 26-27 novembre2002, le processus de révision en forte hausse decette valeur de 100€ a été lancé avec:

– la reconnaissance de la confusion entre unevaleur de taxation à court terme, basée sur leProtocole de Kyoto, limitant à 8% à l’horizon2008-2012 l’effort de réduction des émissionsde gaz à effet de serre de l’Union européenne(et impliquant une réduction de 0% pour laFrance), et la valeur de la nuisance à long termequi doit être considérée pour toute décisionpublique portant sur des infrastructures lourdes

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10 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

durant plus de 50 ans et qui doit être fondéea minima sur l’objectif cible décidé par leParlement européen et le Conseil le 22 juillet2002 (Sixième programme d’action commu-nautaire pour l’environnement – décision1600/2002/CE), soit une réduction de 70%.Lavaleur correspondante constitue un minimumpuisque l’objectif précédent correspond à unestabilisation du stock de gaz à effet de serre à unniveau de 450 parties par million (ppm),détérioré par rapport au niveau de la référencede 1990, soit 360 ppm, alors même que la«réparation» du climat demanderait à revenir,en deçà du niveau de 1990, à un niveau serapprochant de celui de l’époque préindustrielle(280 ppm en 1750!);

– la réaffirmation claire par M.Raffarin, premierministre, se recommandant de l’engagementfort du Président de la République, à laconférence de Johannesburg d’août 2002, enfaveur du développement durable «Notremaison brûle et nous regardons ailleurs ! », d’unobjectif de réduction nécessaire de 75% pourles pays les plus développés ;

– la nécessité reconnue d’une valeur proche decelle retenue par la Commission européenneou l’Agence européenne de l’Environnementpour les évaluations de la nuisance à longterme (et non, là encore, pour une valeur detaxation à court terme aujourd’hui beaucoupplus basse !), soit plus de 5 fois la valeur de100€ aux mêmes conditions économiques.

Il serait paradoxal que partant d’un sentiment trèsnégatif des citoyens quant aux nuisances destransports («ras le bol les camions»), des écono-mistes des transports calculent des « valeursrévélées» monétaires2 de ces nuisances condui-sant à des politiques (« les camions peuventcontinuer à développer leurs trafics») contrairesaux souhaits de ces citoyens. Ne dirait-on pas,sinon, que ces économistes se trompent ettrompent leurs concitoyens?

Pour montrer concrètement ce qu’est un telbarème, nous présenterons ici celui établi en1997 par la SNCF sur la base de la meilleureétude européenne alors disponible, soit l’étudegermano-suisse Infras-IWW de 19943. Citéedans le livre vert de la Commission européennede 1996 sur la tarification efficace et équitabledes infrastructures, cette étude sert aussi de baseaux évaluations faites en 1995 et 1998 par laCEMT (Conférence européenne des Ministresdes Transports). Enfin, elle a été retenue pour lesévaluations de l’Agence européenne de l’Envi-ronnement dans ses indicateurs Transport-Environnement (TERM) présentés au Conseildes ministres des transports de l’Union euro-péenne en décembre 1999, dans le cadre del’intégration des exigences environnementalesdans la politique des transports (processus deCardiff), indicateurs réactualisés en septembre2001 sur la base de la nouvelle étude Infras-IWW de 2000 actualisant la précédente.

Le barème SNCF reprend, dans les tableaux 3, 4et 5, les coûts externes unitaires en 1997 retenusen France pour les cinq nuisances alors étudiées,en centimes d’euros de valeur 2001:

– pour les véhicules/km et les voyageurs/km entrafic de voyageurs urbain ou rase campagne,

– pour les poids lourds/km et tonnes/km entrafic de fret.

2. L’évaluation des coûts externes consiste effectivementà « monétariser » la gêne supportée sur la base de dégâtsconstatés, de réparations offertes ou de compensationsacceptées par les personnes gênées, autant de « révé-lations» des coûts implicites.

3. External Effects of Transport. Infras AG Zurichand IWW (Institute für Wirtschaftspolitik undWirtschaftsforschung), Karlsruhe, November 1994.

Tableau 3

AutocarVoiture Voiture rase Autobus rase

1997 urbain campagne urbain campagne

Insécurité 8,8 5,9 30,8 20,5

Bruit 2,0 0,5 24,3 6,1

Pollutionatmosphérique 2,1 1,0 16,1 7,6

Effet de serre 2,8 1,8 13,5 8,9

Congestion 6,7 2,6 13,4 7,9

TOTAL 22,4 11,8 98,1 51,0

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11Transport et énergie

Guérir notre système de transport : diagnostics, remèdes et ordonnances

Tableau 4

Rail Rail Rail RailVoiture Voiture rase Autobus Autocar rase électrique électrique gazole gazole

1997 urbain campagne urbain campagne Avion urbain interurbain urbain interurbain

Insécurité 7,4 2,9 1,5 1,0 0,0 0,2 0,2 0,2 0,2

Bruit 1.6 0,3 1,2 0,3 0,4 1,1 0,3 1,1 0,3

Pollutionatmosphérique 1,7 0,5 0,8 0,4 0,6 0,0 0,0 0,8 0,8

Effet de serre 2,3 0,9 0,7 0,4 1,8 0,0 0,0 1,4 1,4

Congestion 5,6 1,3 0,7 0,4 1,9 nd nd nd nd

TOTAL 18,6 5,9 4,9 2,5 4,7 1,3 0,5 3,5 2,7

Tableau 5

Rail Rail Avion Voie d’eau Poids lourd Poids lourdélectrique Fret gazole Fret Fret Fret rase campagne rase campagne

1997 Centimes par tk Centimes par tk Centimes par tk Centimes par tk Centimes par tk Centimes par véh/km

Insécurité 0,1 0,1 nd nd 0,8 11,7

Bruit 0,6 0,6 2,1 nd 0,7 9,9

Pollutionatmosphérique 0,0 0,3 3,0 0,5 0,6 8,5

Effet de serre 0,0 0,6 9,4 0,3 0,5 8,3

Congestion nd nd 9,4 nd 0,6 9,4

TOTAL 0,7 1,6 23,9 0,8 3,2 47,8

Le barème ainsi présenté ne serait pas complet sansdes indications sur l’évolution dans le temps desvaleurs unitaires précédentes. En effet, de tellesvaleurs évoluent de façon sensible, comme lemontre par exemple une rétrospective présentéepar le professeur Hansson de l’Université deLund (Suède) en 1997 (tableau 6) des valeursretenues pour l’insécurité routière en Suède surune période de 24 ans (1971-1995):

Il faut distinguer dans cette évolution:

– l’évolution physique de chaque nuisance, elle-même décomposable en deux facteurs : leprogrès technique et la pénétration de ceprogrès dans le parc de véhicules de transportou dans les infrastructures ;

– la perception sociale des nuisances, facteur quitraduit les effets du progrès des économies surles comportements, de plus en plus sensibles àl’environnement au fur et à mesure que leniveau de vie s’accroît.

Tableau 6

Année Décès Blessés graves Blessés légers

1971 2700

1976 3000 45 6

1981 3450 70 8

1986 4900 530 20

1989 6300 680 29

1992 9200 1500 38

1995 9800 1500 68

Évolution � 3,6 en 24 ans � 33 en 19 ans � 11 en 19 ans

Moyenneannuelle + 5,5% + 20,2% + 13,6%

Transport ferroviaire de marchandise.Photo: Médiathèque Commission européenne

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12 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

À partir du « thermomètre » que constitue lebarème établi en 1997 (tableau 7), la SNCF a pumesurer par exemple:

– le bilan socioéconomique de ses principauxprojets : projets TGV, autres projets voyageurs,projets fret, selon les prescriptions de la loid’orientation des transports intérieurs ;

– l’avantage apporté en France, pour l’année1997, par l’existence même du transportferroviaire par comparaison avec ce qui sepasserait en l’absence de chemin de fer :

• par son activité de transport combiné :310 millions d’€,

• par son activité « auto-train» de transportdes véhicules de ses clients voyageurs :16 millions d’€,

• par l’ensemble de son activité voyageurs :3 milliards d’€,

• par l’ensemble de son activité fret :1,1 milliard d’€,

• soit un total de 4,1 milliards d’€ pourl’ensemble des trafics ferroviaires.

Il est aussi possible de déterminer, sur la base dubarème SNCF, un véritable « compte desnuisances des transports de la Nation», c’est-à-dire un bilan global du système de transportintérieur français (tableau 8).

On pourrait d’ailleurs faire de même, àcondition, bien sûr, de connaître en détail lestrafics, pour des comptes portant sur une régiondonnée, par exemple l’Île-de-France.

Les remèdes : les instrumentspolitiques pour réduireles nuisances des transports

On peut classer ces «remèdes» en cinq catégoriespour lesquelles seront exposées des mises enœuvre concrètes.

Tableau 7 – Barème SNCF de 1997 pour l’évolution annuelle des nuisancesà l’unité/km de transport

Pollution PollutionÉvolution atmosphérique atmosphérique Effetannuelle Insécurité Bruit Trafic urbain Rase campagne de serre Congestion

Physique - 1,5% - 1% - 1,5% - 2,5% - 0,5% - 0,5%

Perception CFM/tête CFM/tête CFM/tête CFM/tête Taux CFM/têtesociale + 1% + 1% + 1% + 1% d’actualisation1

= 2,6% = 2,6% = 2,6% = 2,6% = 8% = 1,6%

Globale + 1,1% + 1,6% + 1,1% + 0% + 7,5% + 1,1%

CFM: consommation finale des ménages : tendance à long terme + 2% par an.Population : tendance à long terme + 0,4% par an.

1. L’effet de serre met en cause l’avenir même du climat mondial, « intrinsèquement rare et non reproductible». Un article de M. Boiteux, àpropos de la critique de la théorie de l’actualisation employée en France, dans la revue d’Économie Politique (no 332, septembre-octobre1976), recommande «d’accorder à ce type de bien collectif » un prix dont le taux de croissance égale au moins le taux d’actualisation, selonla méthode préconisée aussi par Hotelling.

Tableau 8 – Les coûts externes des transports par mode et par nuisanceen France (en milliards de francs)

PollutionFrance 1996 Insécurité Bruit atmosphérique Effet de serre Congestion Total % PIB

Route 208,64 47,19 56,01 75,93 135,69 523,47 6,66

Rail 1,38 3,85 0,33 0,57 nd 6,13 0,08

Avion 0,03 0,33 0,51 1,48 1,61 3,95 0,05

Voie d’eau nd nd 0,17 0,12 nd 0,29 0,00

Total 210,04 51,37 57,03 78,12 137,30 533,85

% PIB 2,67 0,65 0,73 0,99 1,75 6,79

Source : Mémoire de DEA «Transport » 1998 de M. Cluzel, sous la direction des professeurs Savy et Quinet de l’École Nationale des Pontset Chaussées et Prud’homme de l’Institut d’Urbanisme de Paris – Université Paris XII – Val de Marne.

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13Transport et énergie

Réglementations, normalisationsou accords volontaires

Les réglementations sont les outils les plustraditionnels au service des États qui mettent enœuvre les lois décidées. De plus en plus enEurope, la législation est élaborée au niveaueuropéen (Conseil et Parlement européen surinitiative de la Commission) et la mise en œuvreest directe dans le cas des règlements ou nécessiteune transposition en droit national pour lesdirectives.Relèvent de cette catégorie les normesEURO pour les moteurs des véhicules auto-mobiles qui tendent à réduire les nuisances à unedate donnée.Dans certains cas, la réglementationest élaborée au niveau mondial ; c’est le cas pourles nuisances des avions ou les caractéristiques desnavires.

Un outil voisin, plus souple mais plus incertainen termes de résultats, est l’accord volontaired’une catégorie d’acteurs économiques en vuede réduire les nuisances dans leur secteur ;l’accord AUTO-OIL signé par les constructeursautomobiles européens relève de ce type d’outilset concerne l’amélioration des caractéristiquesdes véhicules particuliers en Europe.

Fiscalité/tarificationou compensations tarifaires

À la différence de la réglementation, cettedeuxième catégorie d’instruments est d’ordreéconomique et fait appel directement auxévaluations monétaires présentées ci-dessus. Ils’agit de faire supporter une taxe aux modesproducteurs de nuisances, de façon propor-tionnée à l’évaluation de celles-ci, ou de com-penser aux modes les moins nuisants l’absence detaxe sur les modes les plus nuisants pour tendrevers une certaine harmonisation entre les modes.La taxation est plus ou moins forte et plus oumoins croissante dans le temps selon la vigueurdu « traitement» choisi pour atteindre l’objectifde réduction des nuisances. Il peut même y avoir«surtaxation» momentanée, pour une «guérison»plus rapide.

En Grande-Bretagne, le gouvernement conser-vateur a institué dès 1994, par suite d’unerecommandation de la Commission Royale pour

l’Environnement, un système de taxe croissantedans le temps, le fuel tax escalator. L’expérience esttrès intéressante puisqu’il s’agit d’une taxationfortement croissante mais dont les caracté-ristiques sont connues de tous : + 5% par andurant 15 ans depuis 1994. Il s’agit, par cet effetd’annonce, de créer une adaptation du parc desvéhicules et de leur utilisation (baisse desconsommations unitaires, achat de véhiculesmoins gourmands, déplacements plus courts etmoins nombreux), en toute transparence sur labase de cette taxe incitative.

Un deuxième exemple est la proposition du livreblanc de la Commission européenne de septembre2001 de taxer le kérosène aérien, qui est actuel-lement totalement libre de toute taxation dans lemonde entier, alors que les énergies utilisées parles modes concurrents sont taxées.

La taxation peut aussi s’appliquer aux déplace-ments eux-mêmes.C’est le cas des péages routiersou des péages urbains. C’est aussi le cas de laredevance au parcours réel et au tonnage, instituéeen Suisse pour les poids lourds en janvier 2001sur tout le réseau dans le cadre de la politique detransit alpin (sur lequel nous reviendrons plusloin) et prévue en Allemagne sur le seul réseauautoroutier pour 2003 – mais abandonnéerécemment aux Pays-Bas où elle était envisagéesur tout le réseau à l’horizon 2004.

À l’inverse,pour encourager le transfert modal versles modes les moins polluants, certains pays ontinstitué une compensation environnementale enleur faveur. La loi danoise de 1998 subventionneainsi le fret ferroviaire intérieur et la CommissionEuropéenne a clairement affirmé la légitimité decette subvention dans la mesure où:

– elle est basée sur les avantages environnemen-taux du train par rapport à la route selon lescalculs de la CEMT et du Conseil écono-mique danois ;

– elle s’applique en l’absence d’internalisationdes coûts externes à l’ensemble des modes ;

– elle s’applique sans discrimination entre lesdifférents transporteurs ferroviaires autorisésau Danemark;

Guérir notre système de transport : diagnostics, remèdes et ordonnances

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14 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

– elle est limitée au trafic intérieur dans lamesure où le transport maritime apparaîtmoins nuisant encore en trafic international4.

On peut considérer que c’est aussi la base de lasubvention française au transport combiné rail-route,même si le lien n’est pas explicité.De toutefaçon, le montant (77 M€ en 2001 et 18 en2002) est très loin de l’avantage environnementalapporté, cité ci-dessus (310 M€).

En matière de «tarification d’infrastructure», quel’on devrait plutôt appeler « taxation destransports », la Commission européenne a déjàune longue réflexion derrière elle. En 1996, ellea publié un livre vert,Vers une tarification équitableet efficace des transports, et, en 1998, le livre blancDes redevances équitables pour l’utilisation desinfrastructures. Dans le même temps, la CEMTpubliait deux rapports sur l’internalisation descoûts externes en 1995 et 1998. La Commissiona ensuite réuni un groupe à haut niveau sur lesmêmes sujets et publié un rapport en 1999.Enfin, le livre blanc La politique européenne destransports à l’horizon 2010 : l’heure des choix du12 septembre 2001 prévoit une proposition dedirective-cadre fin 2002, désormais reportée aucourant de 2003 après une éventuelle commu-nication.Un projet de directive sur la taxation del’énergie est aussi sur la table.

Politique d’investissement et definancement des investissements

Un autre «remède» est la politique des investis-sements et leur mode de financement. On a déjàvu, ci-dessus, comment l’introduction du bilanenvironnemental dans la décision d’investissementpouvait influer sur le choix des investissements sil’on retenait le critère du meilleur bilan globalactualisé des économistes. Un autre critère declassement des projets, indépendant des montantsdes investissements, est celui de la rentabilitéinterne : il s’exprime par le taux d’actualisationqui annule le bilan global du projet.

Tous les pays ne pratiquent pas cette approcheglobale. En France, la LOTI (Loi d’orientation

des transports intérieurs de 1982, modifiée àplusieurs reprises) stipule, dans son article 14, que«Les choix relatifs aux infrastructures, équipements etmatériels de transport et donnant lieu à financementpublic, en totalité ou partiellement, sont fondés surl’efficacité économique et sociale de l’opération. Ilstiennent compte des besoins des usagers, des impératifsde sécurité et de protection de l’environnement, desobjectifs du plan de la Nation et de la politiqued’aménagement du territoire, des nécessités de ladéfense, de l’évolution prévisible des flux de transportnationaux et internationaux, du coût financier et, plusgénéralement, des coûts économiques réels et des coûtssociaux, dont ceux des atteintes à l’environnement.»

La politique d’investissements ne consiste passeulement à déterminer les projets qui dégagent lameilleure rentabilité mais bien à assurer leurréalisation et, par conséquent, leur financement.Une partie de celui-ci provient des utilisateurs dechaque projet (ce qui se traduit par le «sous-bilanéconomique »), mais souvent il est difficile deboucler ainsi le financement du projet.En effet lesprojets de transports représentent des investis-sements très lourds en infrastructures et en matérielroulant (pour les transports collectifs) et la ren-tabilité des activités de transport est très faible, àl’exception de quelques projets comme le TGVParis-Lyon ou le TGV Atlantique en France.

La mise en œuvre des projets demande doncsouvent des subventions publiques que légitimed’ailleurs l’intérêt supplémentaire des projetspour la collectivité, en termes d’avantages netspour les utilisateurs (sous-bilan des avantages A)et d’avantages nets environnementaux pour lasociété (sous-bilan environnemental E). Il estalors légitime de financer les projets des modesde transport les moins nuisants par la taxation desmodes les plus nuisants.

La Suisse a montré la voie en faisant financerl’ensemble de ses projets ferroviaires, dont lestunnels alpins en cours de construction(Loetschberg et Gothard), par des taxes routièresà tous les tunnels, à hauteur de 77%, par suited’une votation populaire! L’exemple commenceà être suivi en France avec la création du «pôlealpin» de financement de projets ferroviaires dansles Alpes à partir des revenus dégagés par les

4. En général, les études existantes n’abordent pas lespollutions du trafic maritime. Les récentes catastrophesde pétroliers devraient conduire à combler cette lacune.

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15Transport et énergie

sociétés d’autoroutes alpines. Et la Commissioneuropéenne reprend cette idée dans son livreblanc de septembre 2001.

Il est à noter que les modèles de prévisionéconométriques indiquent que la variable« investissement » est la plus importante pourexpliquer la croissance du trafic d’un mode detransport donné. C’est la leçon du modèle duministère français de l’Équipement.C’est aussi laconclusion implicite à laquelle conduit la lecturedu livre blanc de la Commission, même si celle-ci favorise l’instrument de la libéralisation danstous les secteurs et a intitulé la première directivede libéralisation du chemin de fer directive« relative au développement des chemins de fercommunautaires».

Politique d’aménagementdu territoire

Sans aller jusqu’à formaliser par le calcul écono-mique le choix des investissements, certainespolitiques d’aménagement du territoire favo-risent la réalisation de tel ou tel projet detransport à tel ou tel endroit, par exemple endonnant priorité aux projets des modes detransport les moins nuisants. Il en est ainsi despolitiques urbaines visant l’arrêt de « l’étalementdes villes», phénomène pernicieux qui détériorela rentabilité des projets d’équipements collectifs,particulièrement de transports, quand l’habitat esttrop dispersé.

Les Pays-Bas pratiquent une politique d’aména-gement basé sur des zonages : sont favorisées lesimplantations d’activités ou de logements dansles zones où la qualité de la desserte par transportscollectifs, moins nuisants, est la meilleure.

De même, le protocole de transport de laConvention Alpine d’octobre 2000, ratifié parl’ensemble des pays de l’arc alpin, prévoit unepolitique systématique de transfert de la routevers le rail pour réduire les nuisances dans cettezone très sensible.

Mais ce domaine est aussi celui de l’action locale(«agendas 21 locaux» ou autres). C’est ainsi quela Loi sur l’air de 1996 a rendu obligatoire enFrance l’élaboration de plans de déplacementsurbains (PDU) pour toutes les villes de plus de100000 habitants. De même, la Loi relative à la

Solidarité et au Renouvellement Urbains (SRU)de 1999 a remplacé les plans d’occupation du sol(POS) par des plans locaux d’urbanisme (PLU),y compris les grandes orientations du Pland’aménagement et de développement durable(PADD),notamment en matière de déplacement.À l’échelle d’une ville ou d’un bassin de vie, leplan local de déplacement, qui inclut des plans decirculation et de stationnement et favorise laréduction du trafic automobile au profit desdéplacements « doux » (piétons et vélos) et destransports collectifs, s’inscrit dans ces politiquesnationales «curatives»5.

Autant ces actions locales représentent un grandespoir, autant elles doivent être menées encohérence avec des politiques globales sans êtreperverties par des intérêts égoïstes.C’est une dérivequi guette toutes les associations locales de défensede l’environnement: quel gâchis de voir un projetde transport collectif attaqué, au risque démesuréparfois de voir se développer des trafics bien plusnuisants. Ceci n’exonère absolument pas lespromoteurs de tels projets d’un effort renforcéd’insertion dans les territoires locaux et ne dispensepas les bailleurs de fonds d’accepter un renché-rissement raisonnable de ces mêmes projets.

Les marchés de «droits de polluer»ou «d’émissions négociables»

Le Protocole de Kyoto sur la réduction desémissions de gaz à effet de serre prévoit, à côtédes mesures contraignantes, le recours à l’échangede «droits de polluer » de façon à optimiser lesmesures volontaires de réduction, à l’instar demarchés déjà existants pour d’autres polluants,notamment aux États-Unis. Déjà un marchélimité à quelques industriels britanniques aouvert à Londres en avril 2002.

Dans l’Union européenne, le Protocole de Kyotoa été ratifié formellement par tous les pays avantle 14 juin 2002. La ratification progresse, auniveau mondial,malgré le refus des États-Unis etde l’Australie. La Russie et le Canada6 ont

Guérir notre système de transport : diagnostics, remèdes et ordonnances

5. Je ne peux m’empêcher de penser ici à la concertationà laquelle je participe dans ma ville de Versailles, dansle cadre d’un collectif d’associations attachées à lasécurité et à l’environnement.

6. Le Canada a, en fait, ratifié le Protocole de Kyoto endécembre 2002.

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16 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

indiqué leur intention de le signer lors de laconférence mondiale de Johannesburg «Rio +10» et le Protocole de Kyoto pourrait entrer envigueur fin 2003.

La Commission Européenne a proposé le23 octobre 2001 un projet de directive créant unmarché de droits de polluer concernant sixsecteurs de l’industrie et de l’énergie, 46% desémissions de CO2 en 2010, et 4000 à 5000installations industrielles. (À la fin de 2002, il étaitpossible que la directive soit adoptée rapidement.)

La transposition dans les législations nationalesdevrait être réalisée fin 2003, pour une ouverturedu marché européen en 2005, sous la formed’allocations gratuites aux secteurs industrielsconcernés.Des sanctions dissuasives sont prévuespour les dépassements de ces quotas : 50€ partonne de carbone, puis 100€.

La Commission prévoit l’extension de cetteproposition, en 2004, à d’autres secteurs et àd’autres gaz à effet de serre dans la perspective del’ouverture d’un marché mondial prévu en 2008par le Protocole de Kyoto. Le secteur dutransport devrait être concerné puisqu’il repré-sente une source considérable d’émissions etsurtout le secteur dont les émissions augmententle plus rapidement dans tous les pays.

Quelle ordonnancepour soigner notre systèmede transport?

Nous connaissons maintenant les remèdesdisponibles dans la «pharmacopée» des transports.Reste à écrire la bonne ordonnance: c’est l’objetde la politique des transports pour réguler lesystème transport/énergie/environnement danschaque pays.

Une ordonnance pour chaque pays

Chaque pays doit rechercher la meilleurecombinaison de remèdes – certains parlent decocktail ! – compte tenu de la situation propre deson système de transports.

La chose est loin d’être simple car les implicationsdans le système économique sont énormes tantle transport y est intrinsèquement lié.Le transport

concerne tout le système de production,d’autantplus que le principe des flux tendus a envahicelui-ci, faisant du transport la variable d’ajuste-ment de l’économie. Il concerne également la viequotidienne de tous les habitants puisque le choixdu lieu de résidence conditionne celui du modede déplacement habituel. Mais il concerne aussil’emplacement de tous les lieux de déplacementhabituels : équipements publics et, bien sûr, lieuxde travail. La politique des transports a donc pourvocation de penser « globalement » et cetteimbrication étroite avec toutes les activitéshumaines explique l’importance du secteur dutransport, rappelée ci-dessus (10% du PIBeuropéen).

Ceci explique aussi la difficulté et le peud’enthousiasme des décideurs politiques pourfaire évoluer les choses, d’autant que l’inertie dusystème est énorme et que l’échelle de temps dupolitique est particulièrement courte. Parexemple, lorsqu’on commence à parler d’uneinfrastructure de transport il faut en généralquinze ans, et parfois plus, pour l’inaugurer.C’estainsi que la première étude du TGV Médi-terranée remonte à 1984 et que ce dernier a étéinauguré en 2001.

Les remèdes plus rapides, tels que la taxation, sontaussi plus délicats en matière d’acceptabilitésociale. Les rejets existent, comme en médecine:rejet localisé pour les infrastructures, rejet généralpour les politiques plus globales, telles la taxationou la réglementation. De ce point de vue, lasubvention apparaît comme un optimum desecond rang pour les économistes et un remèdecommode pour le décideur politique!

Le tableau 9 présente une analyse, bien imparfaitesans doute, mais illustrative des principalescaractéristiques des remèdes que nous venons dedécrire.

Le poids des «maladiestransmissibles» entre pays

Si la politique des transports doit être adaptée aucontexte de chaque pays, elle doit aussi s’inscriredans le contexte plus général des grandsensembles économiques, telle l’Union euro-péenne, voire au niveau mondial.En effet, la librecirculation des biens, des personnes et des

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17Transport et énergie

services entre les pays entraîne des conséquencespour les politiques de transport nationales.

La mondialisation des économies conduit à des«maladies transmissibles», voire à des épidémiesen matière de transport, et c’est souvent le plusnuisant sur le plan environnemental qui est lemoins cher donc le plus recherché. L’harmoni-sation s’impose dans ce domaine comme dansbeaucoup d’autres politiques.

La réglementation maritime est mondiale, qu’ils’agisse de la disparition des pétroliers à coquesimple ou du contrôle des pavillons de complai-sance, même si des politiques régionales sontpossibles : les États-Unis refusent les pétroliers àcoque simple dans leurs ports et l’Unioneuropéenne a renforcé les contrôles de navires(25% de contrôles obligatoires). Le transportaérien s’est développé dès le départ sur des basesmondiales, tant pour les normes que pour lesréglementations et régimes de taxation. LaCommission européenne a proposé, dans sonlivre blanc de septembre 2001, la taxation dukérosène aérien, aujourd’hui non taxé, àl’horizon 2004. Une semaine plus tard, lesattentats du 11 septembre 2001 et les difficultésconséquentes du secteur l’ont fait renoncer àcette mesure, qui pourrait être introduite auniveau européen mais devra être étendue plus

tard au reste du monde. En ce qui concerne lestransports terrestres (routes, chemins de fer etvoies navigables), le cadre européen est pluspertinent,mais alors la distorsion par rapport auxdeux autres secteurs peut poser problème :pourquoi taxer les carburants «terrestres», et nonles carburants aériens?

Si l’harmonisation est souhaitable elle n’est pasfacile à réaliser à quinze États membres, surtoutquand le consensus est obligatoire, ce qui est lecas en matière fiscale.Les directives sur la taxationde l’énergie sont donc bloquées. La directive-cadre sur la « tarification des infrastructures »,envisagée depuis le livre vert de 1996 et annoncéepour 2002 dans le livre blanc de 2001, ne sortiraau mieux qu’en 2003 après un nouveau débat quirisque d’être difficile. Pour le moment, laCommission a évoqué l’idée de se limiter à troiscoûts externes (congestion, CO2 et insécurité).

Une politique globale exemplaire:le cas de la Suisse

La principale maladie ressentie dans les transportsen Suisse est celle du transit des camions. Elle afait l’objet d’un traitement global spécifique surla base de l’article 84 de la Constitutionhelvétique à la suite de l’initiative populaire de1994 sur la traversée des Alpes (encadré).

Guérir notre système de transport : diagnostics, remèdes et ordonnances

Tableau 9 – Caractéristiques desinstruments de politique des transports

Durée AcceptabilitéRemèdes Efficacité de préparation sociale

Normes Bonne Moyenne Moyenne

Taxation Moyenne, si elle Courte Faibleest bien annoncée

et durable

Subvention Moyenne, Courte Moyenned’exploitation si elle

est durable

Investissement Bonne Longue Bonne, et financement sauf pour lesdes projets riverains

Aménagement Bonne, Longue Moyenne audu territoire s’il s’agit niveau des

d’une politique principes, claire et durable plus faible en

réalisation

Marché Moyenne Moyenne Bonnede droitsd’émission

Article 84 – Transit alpin

«La Confédération protège les régions alpinescontre les effets négatifs du trafic de transit.Elle limite les nuisances causées par le traficde transit afin qu’elles ne portent pas atteinteaux êtres humains, aux animaux, aux plantes,ni à leurs espaces vitaux.

«Le trafic de marchandises à travers la Suissesur les axes alpins s’effectue par rail. Le Conseilfédéral prend les mesures nécessaires. Lesdérogations ne sont accordées que si ellessont inévitables. Elles doivent être préciséesdans une loi.

«La capacité des routes de transit des régionsalpines ne peut être augmentée. Les routes decontournement qui déchargent les localitésdu trafic de transit ne sont pas soumises àcette disposition.»

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18 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

La politique suisse a évolué, depuis laréglementation (interdiction des poids lourds deplus de 28 tonnes) jusqu’à des outils écono-miques combinant taxation, subvention, investis-sement et aménagement du territoire.

La Suisse donne priorité au rail : elle construitdonc de nouvelles traversées ferroviaires alpines(Loetschberg en 2007 et Gothard en 2012),aménage le réseau existant (projet Rail 2000 etprotections contre le bruit) et connecte sonréseau avec le réseau européen de trains à grandevitesse.Toutes ces infrastructures ferroviaires sontfinancées par les taxes routières (à hauteur de77%) et par des subventions publiques.

La limite réglementaire de tonnage des poidslourds (28 tonnes) est abandonnée graduellement(34 tonnes en 2001, 40 tonnes en 2005), parallè-lement à l’augmentation progressive de laRedevance sur les trafics des Poids Lourds liéeaux Prestations et aux Pollutions (RPLP). Pourle parcours type du transit alpin Bâle-Chiasso etle poids lourd type, la redevance s’accroît de 93€en 2001 à 190€ en 2005 et à 208€ en 2008.

L’objectif affiché est de diviser par deux le transitroutier,pour le faire passer de 1,3 million de poidslourds annuellement aujourd’hui à 650000 auplus tard en 2010. C’est un pari très ambitieux,d’autant qu’il est fondé sur des taxes plus lourdes,revues à la baisse sous la pression de l’UnionEuropéenne lors des discussions du traité avec laSuisse – mauvaise influence en l’occurrence!

Quel traitement pourl’Union européenne?

La politique européenne de l’environnement estinscrite dans les principes du traité de laCommunauté Européenne et dans son titre XIX.

La Communauté a pour mission de «…promou-voir un développement harmonieux équilibré etdurable… un niveau élevé de protection etd’amélioration de la qualité de l’environnement»(article 2. Les principes du Traité CE). « Lesexigences de la protection de l’environnementdoivent être intégrées dans la définition et la miseen œuvre des politiques et actions de laCommunauté visées à l’article 3, en particulierafin de promouvoir le développement durable»

(article 6. Les principes du Traité CE). Lapolitique Environnement (titre XIX, articles 174à 176) repose sur trois principes :

– principe de précaution et d’action préventive,

– principe de correction,par priorité à la source,des atteintes à l’environnement,

– principe du pollueur-payeur.

On peut souligner que la protection del’environnement doit être intégrée dans la poli-tique des transports comme dans toutes les autrespolitiques. On peut aussi remarquer que si leprincipe du pollueur-payeur est souvent évoqué,il n’est qu’un des trois principes de la politiqued’environnement et qu’il ne suffit pas de payer; ilfaut réellement corriger les atteintes à l’environnement.

Une sage politique européenne des transportspourrait comprendre les cinq types de remèdessuivant :

1. normes Euro et accords volontaires commepréalables ;

2. taxation/subvention:

– Taxe harmonisée sur les carburants (pourréduire la consommation et donc lesémissions de gaz à effet de serre) ;

– Euroredevance calculée selon les charges,les émissions et les parcours réels pour tousles véhicules et sur toutes les routes (pourréduire les autres nuisances, avec taxationmodulée, par exemple, dans les zones lesplus sensibles) ;

– Subventions compensatoires transitoiresaux modes de transport les moins nuisantstant que les deux systèmes de taxation neseront pas totalement en place ;

3. financement multimodal des investissementsau niveau national ou régional en faveur desmodes les moins nuisants, sur la base destaxations précédentes ;

4. politique active d’aménagement durable duterritoire en fonction de l’accessibilité auxsystèmes de transport les moins nuisants, avecl’objectif de combattre l’étalement urbain et lapolitique de dispersion des établissements indus-triels entraînant les flux tendus, avec priorité demise en œuvre dans les zones sensibles;

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19Transport et énergie

5. échange de droits d’émissions de gaz à effet deserre, mais limité par le recours à la régle-mentation et à la taxation.

Conclusion – Pour une politique de prévention

Les systèmes de transport des pays développéssont malades et les experts sont à leur chevetpour les guérir de façon à éviter l’étouffementpar congestion, l’asphyxie par la pollution et lesmorts et blessés de l’insécurité et à réduire lesémissions de gaz à effet de serre et les atteintes àla nature et aux paysages. La leçon doit êtreentendue non seulement dans ces pays déve-loppés mais aussi partout dans le monde, car lemodèle occidental s’impose partout,malheureu-sement, avec ses avantages mais aussi avec sesmaux, qui risquent de coûter très cher, tantl’emprise des transports et surtout du transportroutier est grande dans ce modèle de développe-ment qui n’est pas durable.

Il appartient donc aux économies de transition,notamment dans les pays d’Europe centrale etorientale, et aux économies en développementde réagir dès maintenant pour éviter les con-séquences négatives de choix mal réfléchis enmatière de transports.

Les politiques de prévention sont souvent plusefficaces que les politiques curatives. Du livreblanc de la Commission européenne, qui porteun titre significatif, La politique européenne destransports à l’horizon 2010 : l’heure des choix,retenons ces deux chiffres précités :

– une activité de transports qui représente 10%du PIB européen,

– des dégâts qui représentent aussi 10% du PIBeuropéen.

Bien sûr, on peut « faire l’autruche» et ignorer lesecond chiffre qui ne concerne pas directementle circuit économique mais représente des coûtsexternes, « collatéraux » ou inévitables dirontcertains. Malheureusement ils sont la traductionmonétaire des drames rappelés ci-dessus. Nousconnaissons tous dans notre entourage prochedes personnes qui ont été victimes d’accidents dela route.Nous souffrons tous des émanations des

pots d’échappement. Nous assistons tous à larépétition de catastrophes naturelles dont lesexperts affirment désormais qu’elles ont un lienavec le changement climatique.

Un autre monde, plus vivable, est possible sansgêner ni le développement économique ni ledéveloppement social. Construisons-le.

Guérir notre système de transport : diagnostics, remèdes et ordonnances

Pour en savoir plus

Le Ministère de l’Aménagement du Territoire etde l’Environnement de France a publié unesérie de guides sur l’évaluation environne-mentale des plans et programmes de transport:

– L’évaluation environnementale des planset programmes de transport,

– Espaces naturels non bâtis – Diagnostic etgestion écologiques,

– Opérations routières – suivi et évaluationenvironnementale,

– L’étude d’impact sur l’environnement.

Pour plus d’information:http://www.environnement.gouv.fr

Gare ferroviaire de Hambourg.Photo: Médiathèque Commission européenne

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Bernard Jouve

Bernard JOUVE est titulaire de laChaire de recherche du Canadaen étude des dynamiques terri-toriales, Université du Québec àMontréal. Il est spécialiste desquestions liées à la mondiali-sation et à la gouvernancemétropolitaine.

20 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Le développement durable constitue l’un des enjeux majeurs dusiècle qui s’ouvre devant nous. En premier lieu parce qu’il nousoblige à reconsidérer nos habitudes de consommation individuelleet collective, notre mode de production, notre rapport àl’environnement mais aussi le cadre politique dans lequel s’estconstruit l’État-nation. L’objectif de cet article est d’analyser cettedernière dimension en montrant qu’à terme, les métropoles devrontavoir davantage de responsabilités et être pleinement associées auxpolitiques publiques visant à mettre en œuvre « Kyoto ». Cettemontée en puissance des métropoles s’explique par le simple faitqu’elles concentrent une bonne part des transports, secteurcontribuant largement à l’émission des gaz à effet de serre (GES).

Pour répondre par des politiques efficaces au défi posé par l’usage de lavoiture particulière, il faudra envisager des solutions autres que techniques,comme le fut en son temps la généralisation du pot catalytique. Il

conviendra certainement de réformer les institutions métropolitaines en vue derendre compatibles et cohérents les choix faits en matière de politique detransport et d’urbanisme.En ce sens, le Protocole de Kyoto, très technique, aurades impacts majeurs sur la gouvernance de nos sociétés.

Le Protocole de Kyoto oula gouvernance globale en actes

En décembre 2002, le Canada a ratifié, non sans douleur, le Protocole de Kyoto.Il s’agit d’un pas important en vue de la mise en œuvre de cet accordinternational qui vise à réduire d’ici 10 ans la production totale de GES,considérés comme responsables des changements climatiques. Le Protocole deKyoto est issu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changementsclimatiques (CCNUCC) adoptée à l’issue du Sommet de la Terre de juin 1992à Rio de Janeiro.

Les délégués de 160 pays se sont réunis en décembre 1997 à Kyoto pourdiscuter des mesures à prendre pour contrer le réchauffement planétaire. Lesnégociations ont été difficiles,mais les participants se sont entendus pour réduire

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@[email protected]

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21Transport et énergie

les émissions de six gaz à effet de serre de 5,2%entre 2008 et 2012, par rapport aux niveaux de1990. Les trois gaz les plus importants (gazcarbonique, méthane et protoxyde d’azote) sontmesurés par rapport aux niveaux de 1990, tandisque les gaz ayant une durée de vie plus longue(hydrofluocarbures, perfluocarbones et hexa-fluorures de soufre) sont calculés par rapport auxniveaux de 1990 ou de 1995. Les États-Unisdevraient ainsi réduire leurs émissions de 7%, leCanada de 6% et l’Union européenne de 8%.LaChine, deuxième pollueur du monde, a obtenuune exemption.

L’accord doit entrer en vigueur après avoir étératifié par au moins 55 pays, dont les émissionscombinées représentent 55% du total desémissions de 1990 par les pays développés. À cetitre, la ratification de «Kyoto» par le Canada estun pas important dans la bonne direction,mêmesi les États-Unis ont fait connaître leur hostilité àtoute ratification.Pour atteindre le seuil des 55%,il faudra donc se tourner vers la Russie, grandepuissance en pleine restructuration, qui produit17,4% des GES et qui négociera très certai-nement son accord en échange de concessionscommerciales, économiques et politiques de lapart des Européens et des Canadiens qui soutien-nent le protocole.

Depuis le début des négociations, la question dela réduction des GES à l’échelle internationalemet donc aux prises les grandes puissances ets’intègre dans l’ensemble des dossiers qui struc-turent les échanges entre les nouveaux blocsgéopolitiques (Asie,Europe,Amérique). Selon unschéma très classique, et respectant en cela un desprincipes du droit international, les États sont lesseuls acteurs présents sur la scène.Ce sont eux quidéterminent s’ils s’engagent ou non dans laratification, donnant ainsi l’impression que l’undes principes cardinaux de l’ordre politiquemondial est respecté (l’ordre mondial reste lemonopole des États-nations), même après ladisparition de l’empire soviétique et l’accélérationde la mondialisation dans les années 1990.

Lorsqu’on se penche sur la phase de mise enœuvre de «Kyoto», on se rend compte cependantque la réalité est bien plus complexe.Cette imaged’un ordre international dans lequel les États sontdes acteurs omniprésents et omnipotents est en

décalage par rapport à la réalité. En effet, pourmettre en œuvre «Kyoto », les États doiventnégocier avec d’autres acteurs (politiques, écono-miques, associatifs). Et c’est ici qu’on s’aperçoitque l’ordre politique mondial (incarné par leProtocole de Kyoto) a changé. Sans pour autantaffirmer que les États n’ont plus les moyens deleurs ambitions, on ne peut que constaterl’existence de relations d’interdépendance entreles États et ces acteurs agissant à une échelleinfranationale.

La controverse autour de Kyoto au Canadaillustre parfaitement ce nouveau phénomène.Ellese développe certes dans un cadre institutionnelqui la favorise: le Canada est un État fédéral qui,à ce titre, donne un poids politique évident auxÉtats fédérés, les provinces en l’occurrence. Onpeut néanmoins affirmer, sans crainte de setromper beaucoup, que même dans les Étatsunitaires comme la France, la Grande-Bretagne,elle prendrait une ampleur comparable.Elle seraitcertainement moins médiatisée mais à n’en pasdouter les régions, les villes qui sont les plus fortesproductrices de GES – comme l’Alberta, auCanada, dont la richesse économique dépend del’exploitation pétrolière – manifesteraient leurhostilité à la ratification du protocole etdemanderaient des contreparties, des aménage-ments de la part des États.

Dans les États comme le Canada, l’Allemagne etla Suisse, la dépendance des États fédéraux parrapport aux États fédérés est la plus marquée carces derniers, du fait de la répartition descompétences juridiques entre les différents paliersde gouvernement, sont de fait impliqués dans lamise en œuvre de «Kyoto». Cela a été très clairau Canada,où le débat a opposé le gouvernementde l’Alberta, dont l’économie est largement baséesur l’industrie pétrolière, au gouvernement fédéralqui avait pris la décision de ratifier le Protocolede Kyoto. Il a donc fallu que le niveau fédérallimite ses ambitions par rapport à la réduction desémissions de GES en Alberta et reporte sur lesautres provinces, qui n’ont guère apprécié, unepartie de l’effort «national ». Cela a été notam-ment le cas au Québec qui s’est défendu enrappelant avoir depuis longtemps opté pour unepolitique énergétique non polluante reposant surl’hydroélectricité.

Et si le Protocole de Kyoto avait aussi des impactssur la gouvernance de nos sociétés?

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22 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

On le voit donc, «Kyoto » n’est pas un accordinternational comme les autres car il touche audéveloppement durable qui, par définition, n’estpas l’apanage d’un niveau de gouvernementparticulier. Pour être efficaces, les politiquessectorielles – comme celles qui touchent l’indus-trie pétrolière – devront impliquer l’ensemble desacteurs, nécessiteront des négociations, descompromis qui risquent fort de dénaturerl’ambition initiale, voire de la faire dévier de sonobjectif. Ces mécanismes de négociation sur laphase de mise en œuvre attestent la nécessitéd’un suivi très rigoureux de la part de la sociétécivile, et notamment des associations environ-nementales, sans lesquelles «Kyoto» n’existeraitpas. Ils mettent également en valeur l’importancequ’a prise la gouvernance dans la régulation dessociétés modernes.

Terme très à la mode ces derniers temps, la«gouvernance» sert à désigner une situation danslaquelle la responsabilité politique n’est plusimpartie, comme dans le passé, à un seul niveaude gouvernement, à un seul type d’acteur éta-tique. La gouvernance, c’est l’ensemble desactivités de médiation entre acteurs aux statuts etaux ressources très divers en vue de mettre enplace des politiques efficaces et cohérentes et dontles enjeux transcendent les limites administrativeset l’organisation verticale de l’État1. C’est le casdu développement durable et donc de «Kyoto».Aucun des acteurs en présence n’a le monopolede l’intérêt général en la matière, tous (État,provinces, régions, lobbies, associations environne-mentales…) disposent de ressources budgétaires,politiques, médiatiques, législatives pouvant êtreutilisées pour faciliter ou, au contraire, rendredélicate la mise en œuvre de ce protocole.Mêmesi beaucoup en font le remède miracle de sociétéspolitiques en crise, la gouvernance ne rime pasforcément avec efficacité. La coopération entreacteurs est obligatoire mais nul ne connaîtd’avance le résultat des négociations.

L’exemple de la ratification de Kyoto par leCanada en est la preuve. Une fois signé, leprotocole demande la mise en œuvre de poli-tiques partenariales, négociées. C’est cela aussi

la mondialisation, parfaitement illustrée par«Kyoto» et le développement durable : un ordrepolitique dans lequel les notions de responsabilitépolitique, d’imputabilité quant aux décisions sonten pleine recomposition, alors que le niveaunational n’est plus à même de tout centraliser etperd de sa capacité, malgré les apparences, à êtrele seul acteur légitime à l’échelle internationale.

Gouvernance métropolitaineet relationsintergouvernementales

Il faut donc des politiques innovantes, parte-nariales, incluant une pluralité d’acteurs etd’institutions. Pourtant, tel qu’il se structureactuellement, le débat politique passe sous silenceun niveau territorial essentiel : les métropoles.Ceci est d’autant plus surprenant que c’est ausein de ces espaces que se développe l’essentielde l’activité industrielle et surtout des déplace-ments. Or, on se rend compte que, d’unemanière générale en comparant entre eux lesdifférents secteurs concernés, l’émission de GESpar le secteur industriel tend à diminuer alorsque la part des transports augmente trèsfortement.Au sein de l’Union européenne, parexemple, la part des émissions totales de gazcarbonique liées aux transports est passée de 19%en 1985 à 26% en 1995. De plus, les émissionsde gaz carbonique produites par les transportsdans l’Union représentent actuellement environ3,5% des émissions totales de gaz carbonique.Toute action de réduction des émissions de cegaz implique donc une intervention sur lesémissions liées aux transports.

On peut aborder cette question sous différentsangles et avancer divers types de solutions techni-ques, comme le ferroutage,qui connaît un succèsimportant dans des pays comme la Suisse. Il fautégalement se poser la question du lien entrel’urbanisme et les politiques de transports. Si l’onaborde la question de la mise en œuvre de«Kyoto» sous cet angle, on voit alors apparaître«mécaniquement » dans le paysage la question dela place des métropoles, en tant que niveaux de

1. B. JOUVE (2003), La gouvernance urbaine en questions,Elsevier, Paris.

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23Transport et énergie

gouvernement, dans le système de décision. Eneffet, on se doute bien qu’il existe un rapportentre, d’une part, les choix politiques – ou lesnon-choix, mais cela revient au même – enmatière d’urbanisation,de maîtrise de l’étalementurbain et, d’autre part, le taux de motorisation desménages et les choix modaux de déplacementsdes ménages.

À ce titre, la forme urbaine, sa morphologie, lefonctionnement des villes ont des impacts directssur l’usage de la voiture particulière qui estencore principalement utilisée pour se rendre dudomicile au lieu de travail. La réduction de la partdu secteur des transports dans l’émission des GESpasse donc par des actionscohérentes et coordonnées entreles politiques d’urbanisme et dedéplacements.Or,de ce point devue, les innovations ne sont pasencore au rendez-vous.Certainstravaux récents sur les villeseuropéennes montrent que l’onreste dans des logiques trèscloisonnées, très sectorielles,dans lesquelles les institutionspubliques, les administrations et les gouverne-ments locaux chargés de ces deux domainescoopèrent peu, voire pas du tout. Si l’on observeune relance des politiques de transports publicsdans les métropoles européennes, pour autant,rares sont les dispositifs qui tentent de lier cesmesures avec les politiques d’urbanisme2.

En l’occurrence, les métropoles européennes (maisce constat est valable pour l’ensemble des grandesvilles) restent confrontées à des problèmes defragmentation politique et institutionnelle quiconduisent les institutions en place à agir dans dessecteurs interdépendants (transports et urbanisme)mais sur des territoires dont les limites ne serecoupent pas, selon des temporalités différentes.Les logiques et les cultures professionnellesdiffèrent également, ce qui ne facilite pas larecherche de cohérence. Si l’on adopte un pointde vue strictement fonctionnel, la configurationinstitutionnelle des métropoles rend des plusdélicates la mise en œuvre de politiques cohérentes

entre le secteur des transports et de l’urbanisme. Ilconviendrait donc de reconfigurer la scènepolitique métropolitaine pour la doter d’insti-tutions faîtières capables de générer des synergies,de caler les temporalités, de produire des politiquescohérentes sur des espaces pertinents dont leslimites coïncident avec les flux de déplacementsdes ménages.

C’est par exemple une tendance que l’on observeà Montréal avec la création, en 2001, de laCommunauté Métropolitaine de Montréal(CMM) et qui intègre dans ses champs decompétence les déplacements urbains. Enl’occurrence, une politique d’envergure visant à

mieux intégrer les logiques del’urbanisme et des déplacementsurbains devrait conduire à unemeilleure intégration des actionsmenées par cette nouvelle institutionqui regroupe 64 municipalités et2,6 millions d’habitants et inclutl’Agence Métropolitaine des Trans-ports, créée en 1995.

Jusqu’à présent, l’urbanisme et lespolitiques de déplacements urbains étaientélaborés à Montréal par des institutions différen-tes,qui s’ignoraient.Résultat,un étalement urbainque plus personne ne maîtrise et qui a des effetsdirects sur l’augmentation des flux de déplace-ments. En intégrant les transports et l’urbanismedans ses domaines de compétences juridiques, laCMM pourrait innover, choisir certaines optionslimitant l’usage de la voiture particulière et les fluxpendulaires vers le centre-ville de Montréal, quitrès classiquement et comme dans de très nom-breuses métropoles, sont des déplacements de typedomicile/travail. Cela pourrait passer, parexemple, par une politique de densification desbanlieues et de déplacement des activités écono-miques vers les zones périurbaines.

Se pose alors la question du choix de la formeurbaine à privilégier pour répondre aux objectifsde «Kyoto».Pour l’instant, on a vu dans le modèledes Edge Cities3, c’est-à-dire des villes-centres quiperdent de leur centralité au profit de pôles urbains

Et si le Protocole de Kyoto avait aussi des impactssur la gouvernance de nos sociétés?

La réduction de la part

du secteur des transports

dans l’émission des GES

passe par des actions

cohérentes et coordonnées

entre les politiques

d’urbanisme et

de déplacements.

2. B. JOUVE (sous la direction de) (2003), L’innovation enquestion : les politiques de déplacements urbains dans cinqvilles européennes, L’Harmattan, Paris.

3. J. GARREAU (1991), Edge City : Life on the NewFrontier, Doubleday, New York.

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24 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

puissants et attractifs situés en banlieue,un modèleà éviter car il est associé à la ségrégation socio-spatiale que connaissent les grandes métropoles desÉtats-Unis. Ce modèle pourrait cependant êtreenvisagé pour réduire les déplacements pendu-laires. Les études sur la question manquent et onne peut que souhaiter que dans un proche avenirdes travaux apportent des éléments de réponsepermettant d’analyser le lien entre forme urbaine,déplacements en voiture particulière et émissionsde GES. Il faut en tout cas poser la question de larégulation politique, au niveau métropolitain, dece type de problématique.

On se rend compte que la mise en œuvre duProtocole de Kyoto va bien au-delà de mesuresuniquement techniques et touche à la réorga-nisation même de la puissance publique et à laplace des métropoles dans l’ordre politiqueinterne des États. En effet, sans se risquer à unexercice de prospective trop hasardeux, on peutfacilement avancer que si l’onadopte le point de vue suggéré ici,c’est l’ensemble des relations entreles différents niveaux de gouver-nement qui seraient affectées parune telle réorganisation. Lesgouvernements locaux de base(communes, municipalités, etc.)accepteraient-ils l’émergence d’unéchelon politique métropolitainpuissant, leur imposant des poli-tiques au nom de l’intérêt généralet de l’agenda fixé par «Kyoto»?Les gouvernements régionaux (régions,provinces, cantons, Länder, etc.) supporteraient-ils de voir se constituer des métropoles politique-ment fortes et potentiellement concurrentes ?Même question pour les États, surtout en Europecar historiquement les États européens se sontconstruits, à partir de la période moderne, contrele pouvoir des villes qui auparavant étaientpolitiquement indépendantes.

D’autres questions se posent également, notam-ment celles touchant à la démocratie locale. Laconstruction d’un niveau de gouvernement

métropolitain puissant, doté de nouvelles compé-tences permettant une meilleure intégration despolitiques sectorielles, donc répondant potentiel-lement aux objectifs de «Kyoto », conduit às’interroger sur les risques de technocratisation,de limitation de la participation des citoyens auxchoix collectifs, alors que la démocratie localepose déjà problème. Là aussi se pose de nouveaula problématique de la gouvernance et de lanécessaire transparence des politiques publiques.

Lorsqu’on commence à dévider la « bobine » queconstitue le Protocole de Kyoto,on est interpellé,et à juste titre un peu inquiété, par la multiplicitédes questions qui se posent à nos sociétés,habituées à s’en remettre un peu trop facilementà la technique pour solutionner leurs problèmes.L’existence même de Kyoto atteste l’essouffle-ment d’un mode de résolution des problèmespassant uniquement par des solutions techniques.Il est donc temps d’innover,d’inventer, à la fois au

niveau global et au niveau métro-politain, pour mettre en place desinstitutions, des procédures, desmécanismes d’articulation entre cesdeux espaces interdépendants.

Il en est ainsi car l’un des prin-cipaux effets de la mondialisationest précisément de renforcer la«métropolisation », c’est-à-dire laconstitution de vastes aires urbainesinterconnectées à l’échelle globaleet qui sont les lieux essentiels deproduction d’activités économi-

ques, donc de richesses, mais aussi de nuisancesenvironnementales.C’est pourtant en agissant surl’interface entre le niveau global et le niveaumétropolitain que l’on peut espérer maîtriser, enpartie, la mondialisation et engendrer undéveloppement durable. C’est un des enjeux, etpas des moindres, de Kyoto car c’est l’ordrepolitique, centré jusqu’à présent sur l’État-nation,et le type de politique publique à mener àl’interface de l’urbanisme et des transports qui setrouve alors au cœur de la problématique.

Il est temps

d’innover, d’inventer, à

la fois au niveau global

et au niveau

métropolitain, pour mettre

en place des institutions,

des procédures, des

mécanismes d’articulation

entre ces deux espaces

interdépendants.

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Ronan Golias et Thomas Guéret

Ronan GOLIAS est actuellementchargé de l’élaboration de lapolitique de stationnement de laVille de Paris. Il était, de 1996 à2002, Urbaniste - Ingénieur auGroupement des Autorités Respon-sables de Transport (GART). À cetitre, il a effectué, pour la MissionInterministérielle à l’Effet de Serre(MIES), un rapport d’expertise« Transports et effets de serre :quels moyens d’action privilégierau niveau local et national».

Thomas GUÉRET est ingénieur desTravaux publics de l’État spécialiséen environnement, maîtrise del’énergie et effet de serre. Il estaujourd’hui Coordinateur du Pro-gramme National de Lutte contre leChangement Climatique à laMission Interministérielle de l’Effetde Serre du gouvernement françaiset, à ce titre, contribue activementà la politique nationale sur cettequestion et participe à la déléga-tion française aux Conférences desParties de la Convention climat.

Le livre blanc intitulé La Politique européenne des transports àl’horizon 2010 : l’heure des choix, élaboré par la Commissioneuropéenne et rendu public en 2001, vise à définir le cadred’action communautaire dans le domaine des transports. La sortiede ce document est passée relativement inaperçue, ce qui nous aincités à en présenter une lecture critique constructive etengageante pour les réflexions à venir.

Le livre blanc de la Commission se pose comme une réponse auxproblèmes d’environnement, notamment en termes de changementclimatique, dans la perspective du respect par l’Union européenne de ses

engagements dans le cadre du Protocole de Kyoto.Puisque les échéances de cesdeux documents concordent, on pourra naturellement s’interroger surl’adéquation des orientations choisies par l’Union avec cette première étape del’engagement des nations pour la lutte contre le changement climatique.

Compte tenu de la grande inertie du secteur des transports, liée notammentau rythme de la construction des infrastructures et à l’évolution de la répartitiongéographique des générateurs de trafic, il faudra en outre s’interroger sur leplus long terme, qui est également celui de la lutte contre le changementclimatique. Le dernier rapport du GIEC1 signale la nécessité pour les paysdéveloppés de diviser par quatre leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à2050.Or, le secteur des transports est responsable de plus du quart des émissionstotales de l’Union, ce qui signifie qu’il dépasse à lui seul aujourd’hui le niveaud’émissions que l’Union devrait respecter en 2050. Le livre blanc est-ilcompatible avec cette vision plus lointaine des émissions de gaz à effet de serre?

Maîtrise de la demande et développement durable

L’ensemble du livre blanc est basé sur l’hypothèse d’une évolution de la demandede transport semblable à celle constatée au cours des 15 dernières années.Cettehypothèse envisage un taux de croissance économique de 3% par an d’ici 2010et un taux de croissance des trafics supérieur (la croissance actuelle du trafic demarchandises se situe à 3 % de plus que la croissance du PIB).

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25Transport et énergie

1. Groupement Intergouvernemental des Experts sur l’évolution du Climat.

@[email protected]@mies.pm.gouv.fr

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26 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Peut-on concilier un tel choix dans les hypo-thèses de travail avec les objectifs à long terme dela lutte contre le changement climatique? Doit-on notamment considérer qu’une telle croissanceest inéluctable alors que des mesures visant àdiminuer la sous-tarification des transportsdevraient permettre de réduire le taux decroissance des trafics?

La sous-tarification des transports perdure notam-ment en raison de mauvaises conditions de travail,d’une mauvaise application des réglementationsou de faibles salaires (voir le transport maritimeet le transport routier des marchandises). Elle faitaussi supporter par la collectivité l’ensemble desexternalités négatives (congestions, pollutions etnuisances, accidents). Enfin, elle produit de fauxsignaux qui engagent les acteurs économiquesdans de mauvaises voies2.

Le livre blanc a raison d’affirmerque « l’intégration des coûtsexternes et d’infrastructure dans leprix des transports ne serait pascontre-productif pour la compéti-tivité européenne3 ». On peutcependant aller plus loin que laproposition du livre blanc d’allégerles taxes aux poids lourds afind’augmenter celles à l’usage desinfrastructures et s’attaquer plutôt au besoin deremise à plat intersectorielle des futures politiquesfiscales européenne et nationales dans uneperspective d’éco-fiscalité, que ce soit par ledouble dividende4 ou l’attribution sectorielle desprélèvements.

Transférer une partie des coûts des contribuables(actuels ou futurs) sur les utilisateurs peut certespermettre, et d’autant plus facilement dans uncontexte d’augmentation du trafic tous modes,un report modal en faveur des modes les pluséconomes, mais cela doit également avoir pourobjectif de réduire la demande de transport.

Autant une approche malthusienne indifférenciéepeut aller à l’encontre du libre mouvement desmarchandises et des personnes, autant il est de laresponsabilité des pouvoirs publics de maîtriserla mobilité contrainte. Que le livre blanc affichecomme premier objectif « le maintien du taux decroissance de la demande de transport5 » celasemble un dogme qui justifie les dérives, lesrecours excessifs au transport.

Pour atteindre cet objectif de maîtrise de lacroissance de la mobilité, il faut passer d’unelogique sectorielle, dans laquelle se cantonne trople livre blanc, à une logique intégrée. Il ne peuts’agir que d’une mauvaise interprétation duconcept du «développement durable», trop littéraleen quelque sorte,que de croire que son applicationaux transports passe par la poursuite à l’identiquedu développement passé. Le développement

durable, on a trop tendance à l’ou-blier, consiste d’abord à assurer notredéveloppement sans compromettrecelui des générations à venir ; à cetitre, ne pas remettre en cause lerythme de croissance des transportsest évidemment en contradictionavec les volets social et environ-nemental que comporte nécessaire-ment cet objectif.

Les nombreux exemples d’éloignement des sitesde production de matières premières, de transfor-mation, d’assemblage, de stockage et de consom-mation ne correspondant a priori à aucunelogique sont connus.Pourtant, la sous-tarificationdes transports incite à de telles évolutions, à uneconcentration à la fois industrielle et géo-graphique contraire à la recherche d’un dévelop-pement durable.

Le souci d’un aménagement du territoireéquilibré doit nous conduire à éviter les écueilsdu seul renforcement des axes déjà les pluschargés,d’une part, et du mythe de l’infrastructurede transport « désenclaveuse » et forcémentcréatrice d’une nouvelle richesse pour le territoiredesservi, d’autre part. Les réflexions européennessur les potentialités de développement localendogène doivent s’articuler avec les politiques

2. « Pour l’instant, l’entrepôt étant plus cher que letransport, on préfère diminuer l’immobilisation pouraugmenter le transport », peut-on lire en réaction aulivre blanc de M. Breau, Président de Transports etLogistique de France.

3. Page 72.4. Voir rapport du Conseil d’analyse économique sur la

fiscalité de l’environnement, juillet 97, 195 p., Docu-mentation française.

5. Un des deux objectifs poursuivis et rappelés dans lepremier paragraphe de la conclusion.

Le livre blanc doit être

l’occasion, pour l’Europe,

de reprendre à son

compte la notion de

développement durable

s’équilibrant sur

l’économique, le social et

l’environnemental.

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27Transport et énergie

sectorielles, notamment celle des transports. Desréflexions comme celle sur la nécessité deconditionner les aides européennes (notammentles fonds de développement) à une politiqued’aménagement du territoire compatible avec desobjectifs de maîtrise du trafic routier et de reportmodal n’apparaissent pas dans le livre blanc.Pourtant, le transport ne doit être qu’un outil auservice de politiques d’aménagements…

L’impression qui ressort de la lecture du livreblanc est la recherche de diverses solutions (quipeuvent être sociales, par exemple en ce quiconcerne les marchandises) pour permettre derenforcer le marché unique en diminuant lescontraintes à la libre circulation. Le livre blancdoit être l’occasion, pour l’Europe, de reprendreà son compte la notion de développementdurable s’équilibrant sur l’économique, le socialet l’environnemental.

Congestion et environnement

La structure du livre blanc semble faire de la luttecontre la congestion le moteur de l’interventioneuropéenne. Cela se justifie par un accent mislogiquement sur les grandes infrastructures, quisont également les plus chargées, par le souci defaire sauter les verrous frontaliers et par uneattention particulière à la construction d’unmarché commun et à l’efficacité économique dusystème de transport.

Il n’en demeure pas moins que la congestion àl’extérieur des grandes agglomérations est rela-tivement faible si l’on prend en compte l’ensembledes réseaux routiers interurbains, par exemple. Lacongestion est une des justifications pour agir, ellen’est pas forcément la principale.Ceci est égalementvrai pour les déplacements urbains.

En France, comme probablement dans d’autrespays, les réflexions sur la monétarisation pourl’élaboration de bilans socioéconomiques d’infra-structures6 conduisent à augmenter la valorisa-tion des coûts externes, notamment environne-mentaux (la prise en compte de l’émission decarbone, par exemple), et à poser de sérieuses

questions sur le niveau de valorisation du tempsgagné7. Ces réflexions doivent aussi mettre endoute le modèle de développement prôné auniveau européen.

Résoudre les problèmes de congestion est, bienévidemment, un objectif important. Il ne faut paspour autant se tromper de solution. La nature ahorreur du vide. Éliminer les retards des aéronefsne permettra de gagner les 6% de surconsom-mation de carburant que si les nouvelles infra-structures ou méthodes de régulation du traficn’induisent pas de nouveaux trafics.

La lutte contre le changementclimatique

Le traitement accordé au changement climatiquedans le livre blanc semble déficient. L’affirmationselon laquelle «c’est de la réussite d’un rééquili-brage entre modes de transport que dépend engrande partie le respect de nos engagementsinternationaux dans la lutte contre l’effet deserre » (p. 3) est nettement insuffisante. Desmodèles, appliqués notamment à la mobilitéquotidienne, montrent bien que ce sont aussi,d’une part, la maîtrise de la demande par d’autrespolitiques d’urbanisme, d’aménagement duterritoire et de juste tarification des transports et,d’autre part, la réduction unitaire d’émissions deCO2 de l’ensemble des véhicules thermiques quijoueront un rôle crucial.Vu les objectifs ambi-tieux (mais pourtant insuffisants pour réduire leschangements climatiques) du Protocole deKyoto, c’est évidemment sur l’ensemble de ceschamps que l’Union doit agir.

Par contre, il est vrai qu’à l’horizon de 2010 lamaîtrise de la demande n’aura pu encore produirel’ensemble de ses effets. D’où l’importance de lamise en œuvre des accords ACEA8, des accordsconnexes et de leur extension (aux véhiculesutilitaires légers, intégration des auxiliaires9, etc.),de la mise en place d’une nouvelle politique

Le livre blanc de la Commission européenne sur les transports :la réflexion évolue… un peu

6. Voir le dernier « Rapport Boiteux » (Transports : choixdes investissements et coûts des nuisances, CommissariatGénéral du Plan).

7. En urbain, la vitesse est de plus en plus à pondérer pardes notions comme la valorisation du temps detransport… En ce qui concerne les marchandises, desnotions telles que la régularité et le service sont parfoisplus importantes que le délai d’acheminement.

8. Entre UE et constructeurs automobiles et program-mant la réduction des émissions des voitures.

9. Au premier rang desquels la climatisation.

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28 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

tarifaire et de l’accélération des projets d’infra-structures pour aider au transfert modal.

Les projets d’infrastructures

L’horizon de 2010 pour le livre blanc n’est pasforcément le plus pertinent pour planifier desinfrastructures lourdes.Celles qui seront mises enservice en 2010 sont, pour la plupart, déjàdécidées. Les projets du Réseau transeuropéen(RTE) (par exemple, la liaison Lyon-Turin) neseront malheureusement, dans la majorité des cas,pas mis en service avant 2012.

Pour autant, l’ambition exprimée par le livreblanc nécessite qu’on accélère la mise enchantier. La principale condition à cela résidedans la levée rapide de ressourcesfinancières importantes pour cesprojets. La réduction des coûts desprojets d’infrastructures ferro-viaires doit également êtrerecherchée. Reparler de nouvellesinfrastructures routières pour tra-verser les Pyrénées et les Alpesrevient à fragiliser les projetsferroviaires10. On connaît les diffi-cultés décisionnelles, les délaisimportants entre la décision et la mise enservice et les difficultés de financement desprojets ferroviaires. Les projets routiers ontprouvé qu’ils pouvaient être plus facilement misen œuvre. On risque ainsi de se retrouver, defait, devant une inversion de calendrier et depriorités dangereuses pour l’objectif de transfertmodal affiché pour le franchissement de cesobstacles naturels.

Régulation et systèmeferroviaire

Il y a consensus sur l’importance de la mise enplace rapide d’une autorité de régulation dusystème ferroviaire. À terme, elle doit bien sûrêtre européenne. Mais tout dépend de la naturede la régulation : régulation de la concurrence(licences d’entreprises ferroviaires), régulationdes capacités et affectation des sillons (principes

ou arbitrages précis ?), sécurité et interopéra-bilité technique…

La notion de subsidiarité est cruciale dans lesecteur des transports. Dans le domaine ferro-viaire, la place des collectivités territoriales, etprincipalement des régions, garantit les notionsde service public, d’aménagement du territoireet de proximité dans la gestion des déplacementsde la vie quotidienne11. Il n’est pas sain que lesgestionnaires d’infrastructures décident seuls despriorités d’investissements, car ils risquent de s’entenir à ceux qui sont rapidement rentables (voirla marge de manœuvre du Réseau ferré deFrance (RFF) actuellement).

L’Europe doit mener une réflexion, bien sûr, maisaussi les États et les collectivités territoriales, chacun

dans son domaine de pertinence etselon le principe de subsidiarité. Lesystème ferroviaire étant intégré,c’est la création d’instances deconcertation qui permettra lacohérence: pour les projets d’infra-structures,mais aussi pour les sillons,la déclinaison locale d’orientationseuropéennes en matière de coûtd’usage des infrastructures, etc.

L’ouverture du réseau aux opérateurs étrangerspour le fret, en mars 2003, constituera un testd’«opérationalité» de l’ensemble.

Tarification et financement

Afficher aussi clairement la volonté de l’Unioneuropéenne de transférer la charge des coûts destransports des contribuables aux usagers par lafiscalité du carburant et la tarification de l’usagedes infrastructures est une réelle avancée.

Le livre blanc propose aux États de leurpermettre d’utiliser les surplus de recettes liés àla prise en compte des coûts externes pourfinancer des infrastructures de franchissement debarrières naturelles fragiles pour des modes de

10. Voir p. 53.

L’Europe doit mener

une réflexion, bien sûr,

mais aussi les États et les

collectivités territoriales,

chacun dans son domaine

de pertinence et selon

le principe de subsidiarité.

11. À ce titre, il est significatif que le livre blanc nementionne pas l’intérêt du maintien d’un réseauferroviaire dense et notamment du nécessairerenouveau des lignes dites secondaires. Si l’on veutoffrir une réelle solution de rechange à la route, il fautmaintenir une capillarité suffisante du réseau etalimenter les grandes lignes rentables…

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29Transport et énergie

transport plus respectueux de l’environnement,ce qui, jusqu’à aujourd’hui, se heurtait à laréglementation communautaire. Cette action,couplée au relèvement du taux de subventionpour les projets du RTE,peut accélérer de façonsignificative la mise en service de grandesinfrastructures de transport ferroviaire.

Le livre blanc est, par contre, peu clair surl’évolution de la fiscalité du carburant pour lesvoitures particulières. Considère-t-on qu’eninterurbain la voiture paye ses coûts ? Intègre-t-on dans les réflexions l’équivalent d’une taxeau carbone? Le transport routier de marchandisesverra probablement augmenter le prix des péagesd’infrastructures, mais rien ne démontre que lescoûts d’usage (carburant et péages) de la voitureen interurbain augmenteront. Or, en termesd’émissions de gaz à effet de serre comme deresponsabilité de la congestion, le traficautomobile est bien davantage responsable queles camions. Si on veut assurer unecertaine fluidité du trafic routierde marchandises, il faut agir surl’automobile, y compris en inter-urbain. La maîtrise de la circu-lation automobile urbaine pourrajustifier la mise en place de péagesdans les villes dont on sait, parailleurs, qu’ils sont difficiles àaccepter pour les citoyens.

Il faut en outre signaler que lesréflexions menées par l’Unioneuropéenne sur l’introductiond’une taxe à l’immatriculation oud’une taxe annuelle sur les véhicules, basée sur leCO2, nous forcent à nous interroger sur lasuppression par la France de la vignette auto-mobile en septembre 2000.

La croissance importante du trafic aérien justifiequ’on s’attache, pour ce mode, à rechercher unetarification prenant en compte les externalitésnégatives importantes qu’il génère. Or, leparagraphe sur la taxation du kérosène insiste surla difficulté des négociations avec l’OACI12 etpropose d’autres méthodes de renchérissementdes prix qu’on devine moins incitatives et plussujettes à pressions. Le livre blanc prévoyant par

ailleurs de nouvelles infrastructures aéroportuaires,il est très clair que les objectifs de Kyoto serontimpossibles à atteindre dans le secteur destransports s’il n’y a pas de signe fort de ratio-

nalisation du transport aérien intraet extra-communautaire.

Conclusion

Au total, le livre blanc présentecertaines avancées qu’il faut saluermais ne prend pas encore la mesuredes problèmes environnementauxqui relèvent partiellement dusecteur des transports, notammentle changement climatique. C’estd’autant plus dommage qu’aumoment de sa publication, le

troisième rapport du GIEC avait déjà été adoptéofficiellement. Or, ce rapport confirme laprésomption du changement climatique et en amême revu largement à la hausse la gravité etrenforcé l’urgence des décisions de limitation desémissions. Dans le sixième plan d’action pourl’environnement, adopté à la mi-2002, l’Unioneuropéenne a fait sienne la nécessité de réduirede 70% d’ici à 2050 ses émissions de gaz à effetde serre. Nous attendons que cette décision soitrapidement transposée en termes concrets dans lapolitique européenne des transports : uneadaptation des perspectives dressées par le livreblanc de la Commission sur les transports paraîtnécessaire à cet égard.

Le livre blanc de la Commission européenne sur les transports :la réflexion évolue… un peu

12. Organisation de l’aviation civile internationale.

Le livre blanc présente

certaines avancées qu’il

faut saluer mais ne prend

pas encore la mesure

des problèmes

environnementaux qui

relèvent partiellement

du secteur des transports,

notamment le changement

climatique.

Échangeur autoroutier.Photo: Médiathèque Commission européenne

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Amakoé P. Adoléhoumé

Délégué Général SITRASS (Soli-darité Internationale sur lesTransports et la Recherche enAfrique Sub-Saharienne).Docteur en sciences économiques(option économie des transports) etdiplômé de sciences politiques,Amakoé Adoléhoumé est chercheurau Laboratoire d’économie desTransports (Université Lyon 2) et àl’INRETS (Institut français de re-cherche sur les transports et lasécurité routière). Il assure la coordi-nation scientifique du réseauSITRASS et ses domaines de re-cherche portent principalement surl’économie des transports enAfrique subsaharienne, l’analysedes problèmes de sécurité routièreet de l’impact des politiques secto-rielles des transports en Afriquesubsaharienne.

30 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Il y a plusieurs manières d’aborder les problèmes de développe-ment. La nôtre consiste à poser que les «activités de transport ontjoué, dans le passé, un rôle éminent et qu’elles peuvent être, pourl’avenir, au cœur des grandes orientations stratégiques». Inutile derappeler ici que l’Afrique traverse une crise économique et politiquemajeure n’épargnant aucun secteur d’activité et aucun pays. Lesecteur des transports a été ainsi frappé de plein fouet parl’apparition puis l’approfondissement de cette crise économique.Si les manifestations en sont encore plus aiguës là qu’ailleurs, c’estque la crise, bénéficiant d’un terreau particulièrement propice, ysévit encore plus durement et que le secteur des transports étaittout particulièrement mal préparé à de tels événements. Aussi cesecteur est-il aujourd’hui confronté à deux enjeux majeurs : d’unepart, transporter des marchandises à des coûts moins élevés queceux qui sont actuellement pratiqués ; d’autre part, offrir auxpopulations sans cesse croissantes des villes des moyens detransport adaptés. Comprendre et saisir les logiques d’acteurs quisous-tendent ce secteur deviennent une nécessité lorsque l’on seplace dans une perspective de développement durable. C’est autourde ces deux enjeux que nous allons développer dans les lignes quisuivent la problématique des transports en Afrique subsaharienne.

Les enjeux du secteur des transports :des équipes africaines pour éclairer le débat

Malgré la faible compréhension que l’on a de l’articulation entre letransport et le développement, et à plus forte raison du dévelop-pement durable, il n’est pas question de revenir ici sur les différentes

controverses nées des positions des uns et des autres sur ce phénomène.Soulignons simplement qu’il est aujourd’hui admis que le « transport ne suffit paspour déclencher le développement, mais que les effets pervers du premier peuvent entraverle second».

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31Transport et énergie

Des équipes africaines, en collaboration avecleurs collègues françaises, ont essayé d’éclairerles décisions de ces deux enjeux en analysant eten explicitant les mécanismes de fonctionne-ment du secteur de transport des marchandiseset des transports urbains en Afrique sub-saharienne. Mais avant de regarder en détail laproblématique de ces deux enjeux, voyons cequ’est le réseau SITRASS.

Une première étude avait étéconfiée en 1987 au Laboratoired’Économie des Transports (LET–France) et à l’Institut National surles Transports et leur Sécurité(INRETS – France) quant auxcoûts du camionnage. Le constatfait à l’époque par ces deuxinstitutions était simple: en raisonde la complexité du système destransports – qui s’inscrit lui-même dans unsystème plus vaste, à savoir la société toutentière –, on ne peut en acquérir une connais-sance intime que si l’on a déjà une intimeconnaissance de la société elle-même. Que cesoit au niveau de la recherche ou de l’expertise,on ne peut déboucher sur des produits de qualitésans l’apport de chercheurs et d’experts locaux,ceux-là mêmes qui « ont, en quelque sorte, faitl’apprentissage des multiples dimensions de leur sociétédepuis leur enfance». Il y a donc là une nécessité devoir se développer en Afrique subsaharienne descapacités locales de recherche et d’expertise enéconomie des transports. La justification scien-tifique de cette nécessité constitue le fondementmême du réseau SITRASS.

Le LET et l’INRETS ont ainsi saisi l’occasiond’associer des chercheurs africains dans lesdifférents pays (Côte d’Ivoire,Cameroun et Mali)à la réalisation de cette première étude. Cettecollaboration fut singulièrement fructueuse et ilfut décidé, à l’issue des travaux, lors du séminairede présentation et de discussion des résultats, depérenniser l’opération en mettant en place unréseau de recherche. SITRASS venait de naître,avec création d’une équipe dans chacun des troispays africains.

Depuis, le réseau a grandi. Dans la mouvance deSITRASS, des équipes locales africaines se sontconstituées ici et là, des collaborations ont été

entamées, au gré des occasions, avec différentesinstitutions africaines, les dernières étantl’EAMAU (École africaine des métiers de l’archi-tecture et de l’urbanisme, à Lomé) etl’observatoire statistique AFRISTAT (Bamako).

SITRASS, c’est aujourd’hui onze équipesafricaines :ACRETAT (Congo),AIdET (Côted’Ivoire), ANRET (Niger), APCAT (Bénin),ARETRANS (Mali), ASECTRA (RCA),

ASERT (Sénégal), ATDTR(Tchad), CEDRES (BurkinaFaso), GIRET (Cameroun) etGRETAT (Togo); mais c’est aussiun ensemble de 1500 personnesqui reçoivent régulièrement lesinformations sur nos activités; c’estun noyau dur de plus de 500 par-ticipants plus actifs ; c’est enfin unesuccession de recherches et de

séminaires sur des thématiques qui permettentaujourd’hui une meilleure intelligence globaledes systèmes de transports africains et, par con-séquent, d’outils plus puissants pour en maîtriserles coûts.

Les transports de marchandises:la mise en évidence de coûtssensiblement plus élevésen Afrique qu’ailleurs

Les coûts du camionnage sont en Afriquesubsaharienne plus élevés qu’ailleurs. Dans lecadre de cette recherche sur les coûts du camion-nage menée en 1987-1988, puis d’une autre en1995-1996 dans quelques pays d’Afriquesubsaharienne, les équipes SITRASS ont mis enévidence les facteurs de coûts et de « surcoûts »liés à cette activité. Le résultat de l’enquête qui

Transport et développement durable : la problématiquedes transports terrestres en Afrique subsaharienne

Il y a une nécessité

de voir se développer

en Afrique subsaharienne

des capacités locales de

recherche et d’expertise en

économie des transports.

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a porté sur 2000 expéditions au total en 1987-1988, confirme un niveau de prix du fretparticulièrement élevé.

Comparée avec celle d’autres continents, lasituation africaine présente des coûts de transportexcessivement élevés, avec une explosion des prixet des coûts en milieu rural (rapport de 1 à 7,voire plus, entre le coût de la tonne-kilomètred’un transport international et celui d’untransport rural). Si l’on ne tient compte que dumaillon routier international, qui est bien sûr lemoins cher, l’enquête révèle un prix à la tonne-kilomètre (t-km), exprimé en francs CFA de1988, qui varie de 23,3 FCFA auMali à 29 FCFA au Togo, la Côted’Ivoire et le Cameroun occupantune situation intermédiaire, avec24,2 et 26,3 FCFA respective-ment. Pour un type de parcourscomparable, ce prix était de5 FCFA au Pakistan, selon lestravaux de J. Hine (TRL)1. Mêmeen admettant que la roupiepakistanaise (1 PKR = 21 FCFA en 1988) posaitun problème de comparabilité, il reste unedifférence considérable qui semble confirmer quele transport routier africain était le plus coûteuxdu monde. Cette observation est confirmée parune simple comparaison avec la France, pourlaquelle le problème de parité ne se pose pas.Onpeut en effet considérer que pour des trafics delongues distances, assurés avec le même type devéhicule, les prix équivalaient en France à lamoitié (12 à 13 FCFA la t-km) des prix africainsen dépit de charges salariales bien supérieures.

Mode dominant dans l’acheminement desmarchandises dans la plupart des pays, la routecoûte donc cher,et ce sont à la fois les activités liéesaux produits vivriers et celles liées au commerceinternational qui s’en trouvent affectées.

Mais la route n’est pas le seul maillon faible etcoûteux de la chaîne de transport en Afrique.L’étude menée en 1995-1996 par des chercheursde l’INRETS, en collaboration avec des équipes

SITRASS2, montre que pour une distance deuxfois moindre entre l’Europe et la côte ouest-africaine qu’entre l’Europe et l’Indonésie parexemple, l’Afrique est loin de tirer partie de sonavantage géographique : pour certains produits,le transport y est deux fois plus cher ! L’analysedu prix de la chaîne de transport du café et ducacao est significative à cet égard : 122 USDdepuis l’Indonésie, contre 226 USD depuis leCameroun vers Hambourg pour le café ;144 USD depuis l’Indonésie, contre 267 USDdepuis le Cameroun, pour le cacao, versAmsterdam.

La route y est certes pourbeaucoup dans la formation duprix du transport terrestre, mais lemaillon portuaire africain joue unrôle tout aussi considérable com-parativement aux coûts des mêmesservices facturés dans des portsconcurrents d’autres pays endéveloppement : en 1996, le coûtdu passage portuaire d’une tonne

de cacao conditionné en conteneur s’élève à47 USD au port d’Abidjan, contre 28,5 USD auport de Ujung Pandang (Indonésie)3.

Transports urbains :amplification du phénomèned’urbanisation, croissancedes besoins de transportet crise de l’offre

Nous ne présenterons pas ici l’ensemble destravaux menés par le réseau SITRASS surl’urbain. Nous citerons seulement quelques-unsdes éléments de réponse que SITRASS aapportés aux problèmes de la crise des transportsurbains dans les villes africaines, ou encore lesquestionnements soulevés.

Comparée avec celle

d’autres continents, la

situation africaine

présente des coûts de

transport excessivement

élevés, avec une

explosion des prix et des

coûts en milieu rural.

1. J. HINE (1988), Road Freight Industry Survey, NationalTransport Research Center, Islamabad, Pakistan, doc.n° 105.

2. Les équipes SITRASS du Burkina Faso, du Cameroun,du Congo, de la Côte d’Ivoire et de la RCA ont étéassociées à cette étude sur la compétitivité de la chaînede transport en Afrique subsaharienne.

3. E. GOUVERNAL, C. RIZET, «Études de lacompétitivité des chaînes de transport africaines à partirdes filières café et cacao», in Document de travail SSATPno 30(F),Transport et Commerce,Banque mondiale-CEA,Table ronde Cotonou, p. 101-130, 1997.

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33Transport et énergie

Aussi, chez SITRASS, a-t-on d’abord cherché àtirer les enseignements des politiques detransports urbains en cours pendant les années1980 (voir l’étude sur les transports collectifs àAbidjan, Bamako,Brazzaville,Conakry,Dakar etPointe Noire), à examiner plus en profondeur lescas de villes aux situations particulières, à voir sil’utilisation des deux-roues non motorisés peutconstituer un élément de réponse à la crisedes transports urbains (voir l’étude àOuagadougou/Koudougou, à Bamako/Sikasso,à Dakar/Kaolack/Ziguinchor), à venir en aide ausecteur artisanal des micro-entreprises detransports urbains afin de le rendre plus efficace,plus efficient et plus durable (voir l’étude àAbidjan, Bamako, Harare et Nairobi).

L’autre caractéristique de la crise des transportsurbains en Afrique subsaharienne est le dévelop-pement d’une offre de transport public originale,utilisant pour véhicules des cyclomoteurs ou plusprécisément des motocyclettes, d’où l’appellationgénérique de taxis-motos, avec des adaptationslocales : «zémidjans» au Bénin, «Oléyia» au Togoou encore «bend skin» au Cameroun. Le phé-nomène s’est particulièrement accentué cesdernières années, au point de constituer l’un desmodes prépondérants de déplacement dans troisvilles principales : Cotonou, Douala et Lomé.

Somme toute, si l’on se concentre sur le secteurdes transports urbains en Afrique subsaharienne,le fait marquant, au cours des années 1990, est ladisparition progressive des grandes entreprisesstructurées de transport collectif, les petitesstructures artisanales (ou informelles) ayant peuà peu occupé l’espace laissé vacant. Si à Abidjanet à Nairobi, le secteur structuré maintientencore une place non négligeable (à Abidjan lasociété de transport a cependant vu sa part demarché passer de plus de 50% à environ 25%entre 1988 et 1998), à Bamako, l’offre detransport collectif urbain est entièrement assuréepar le secteur artisanal, tandis qu’à Harare lesminibus, qui ne représentaient qu’à peine 3% del’offre de transport public en 1993, sont passés àplus de 90% en 1999.

Les dysfonctionnementsdu système de transport :quelques pistes pourun développement durable

Si la répartition modale place aujourd’hui lespetites entreprises privées de transport urbain enposition favorable, le système tel qu’il fonctionnegénère d’importantes externalités négatives :accroissement de la congestion du trafic urbain,haut niveau d’accidents, pollution atmosphé-rique, etc. Ces externalités sont la conséquencede quatre facteurs principaux:

• un secteur très atomisé reposant sur unemultitude de petites entreprises (dans les quatrevilles ci-dessus, environ 80% des propriétairesne possèdent qu’un seul véhicule);

Transport et développement durable : la problématiquedes transports terrestres en Afrique subsaharienne

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• un secteur dominé par des minibus de petitecapacité (à Abidjan, par exemple, le parc desminibus est constitué à 92,6% de véhicules de14 à 22 places, 63% si l’on ne tient compteque des véhicules de 18 places) ;

• un parc dont l’âge moyen a tendance às’accroître, notamment avec l’ouverture dumarché des véhicules d’occasion (l’âge moyendes minibus à Dakar tourne autour de 20 ans);

• des conditions de travail difficiles pour leschauffeurs.

Ces différents éléments, notamment l’accroisse-ment du parc de véhicules par l’importation devéhicules d’occasion âgés, entraînent des pro-blèmes de congestion et réduisent la vitesse decirculation, augmentant par le fait même, d’une

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34 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

part, les émissions de polluants (la consommationspécifique augmente avec le vieillissement duparc) et, d’autre part, une plus grande toxicité deces émissions, notamment pour le parc diesel. Leproblème du vieillissement du parc de véhiculesse pose tout autant dans le secteur des transportsde marchandises.

Les coûts de dysfonctionnement du système detransports urbains dans les villes africainesconfirment la pollution atmosphérique et l’effetde serre parmi les principaux enjeux environne-mentaux. C’est le cas notamment à Abidjan et àDakar. Par ailleurs, sur le plan énergétique etenvironnemental, les transports collectifs appa-raissent nettement plus efficaces que les transportsindividuels, et les grands bus constituent le modede transport le plus efficace.

Si la grande majorité des déplacements reposeainsi sur le secteur artisanal, dont les dysfonction-nements génèrent des surcoûts, il devient urgentde s’interroger sur l’appui qu’on pourraitapporter à ce secteur afin de le rendre plusefficace, plus efficient et plus durable. Lesmécanismes efficaces de renouvellement desparcs de véhicules constituent ainsi un enjeumajeur pour le secteur des transports.

Pour le sous-secteur des transports urbains, leréseau SITRASS a proposé un certain nombrede pistes dans le cadre d’une étude sur quatrevilles africaines : Abidjan, Bamako, Harare etNairobi. Les solutions proposées visent pourl’essentiel à :

• cibler les financements sur des véhicules deplus grande capacité et sur des entreprisesdotées de plusieurs véhicules ;

• favoriser les regroupements de propriétaires etde parcs de véhicules ;

• renforcer les normes de fonctionnement dusecteur dans une vision de durabilité (normesantipollution dans le contrôle technique,introduction de carburants moins polluants,etc.).

La Banque mondiale expérimente actuellementà Dakar un dispositif de ce type. L’élémentcentral en est le renouvellement du parc de «carsrapides» (les minibus locaux), mais l’objectif viséest l’amélioration des conditions de mobilité danscette ville.

Évidemment, le dispositif à mettre en place doitêtre adapté à la situation locale particulière dechaque ville.Dans une ville dominée par les deux-roues motorisés, comme Ouagadougou ouCotonou (et même dans ces deux villes desdifférences existent), les solutions à envisager neseront pas du même type qu’à Dakar, où l’on esten présence de voitures particulières et de minibusfonctionnant en grande majorité au diesel.

L’autre élément marquant du secteur destransports en Afrique subsaharienne, ces dernièresannées, est le développement du partenariatpublic-privé, en particulier dans la gestion desinfrastructures ou de grandes entreprises de trans-port (transport ferroviaire notamment). En effet,face à la pénurie des financements publics (ce quiconstitue évidemment un obstacle à la définitionet à la mise en place d’une véritable politique destransports) et au manque de ressources capablesd’assurer une maintenance suffisante des infra-structures et des matériels de transports, et, à plusforte raison, permettant de réaliser des investis-sements nécessaires, il devenait urgent de trouverdes solutions adaptées à la déliquescence dusecteur.On a ainsi procédé çà et là à des mises enconcession ou à la privatisation d’entreprisesétatiques ; la gestion de l’entretien routier,autrefois réalisée en régie, a été confiée au secteurprivé dans différents pays, avec en prime la miseen place de fonds d’entretien routiers autonomespar rapport au trésor public.

La Banque mondiale estime qu’une diminutionde 1 dollar du budget de l’entretien routier occa-sionne un accroissement de 2 à 3 dollars descoûts d’exploitation des véhicules. Les fondsroutiers se justifiaient ainsi car sur l’ensemble del’Afrique subsaharienne la Banque mondialeévalue à 1,2 milliard de dollars par an les coûtssupplémentaires liés à l’insuffisance de mainte-nance des routes.

Dans la gestion et l’exploitation des entreprisesde transport, nous pouvons citer ici l’exemple desmises en concession ferroviaires, notammentSitarail (Abidjan-Ouagadougou) et Camrail(Cameroun), qui ont constitué une réponseefficace (même si des améliorations sont toujourspossibles) au transport de marchandises sur cesdeux lignes.

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Brice Duthion

Brice DUTHION œuvre depuis1997 à la Chaire Logistique,Transport et Tourisme duConservatoire national des artset métiers de Paris, dont il estl’actuel Secrétaire général. Il estégalement membre, entreautres, du Collège français de laConférence sur les transportsurbains dans les pays endéveloppement.

Dès la fin du XIXe siècle, la notion de service public est définie enFrance, notamment pour le service postal ou les fonctionsrégaliennes traditionnelles. Il s’agit «d’égalité de traitement, decontinuité du service, d’adaptation aux mutations technologiquesmais aussi de neutralité et de transparence1». Avec la création dela Société nationale des chemins de fer (SNCF) et des compagniespubliques d’électricité et de gaz (EDF et GDF), l’idée de monopolespublics pour la fourniture des services publics est encouragée, aunom de la garantie des «missions d’intérêt général».

Même si l’on confond service public et secteur public, on peutdistinguer trois principes cardinaux aux missions de service public :l’égalité, la continuité et la mutualité. L’égalité impose l’accès de tous

au service public et interdit toute discrimination.La continuité oblige à répondrede façon continue aux besoins des clients, sans connaître d’autre interruptionque celle prévue par la réglementation (droit de grève notamment). La notionde mutualité suppose que le service public soit réactif et évolue en fonction duchangement «d’existence de l’intérêt général» ou de la modernisation.

Une définition économique du service public, notamment en matière detransport, repose sur le fait que les services publics prennent en compte desphénomènes que le marché ignore: gestion à long terme, investissements lourdsnon immédiatement rentables, préservation d’un bien rare ou précieux etgestion de l’espace. La mission « civilisatrice » de la France dans son Empirecolonial a diffusé cette lumière humaniste, cette idée d’une nécessaire présencede services publics, au service du public, dans les régions tropicales. Qu’en est-il aujourd’hui?

Une «universalité universelle»?

Il semble intéressant de tirer des expériences françaises, ou du «modèle» français,autocélébré,de service public de transport quelques enseignements qui pourraientguider la réflexion et entraîner quelques organisations particulières de ces servicespublics, notamment à destination des pays émergents. Le développement acertainement un coût.Mais il repose également, et peut-être essentiellement, sur

LLeess sseerrvviicceess ppuubblliiccssddee ttrraannssppoorrttss ccoolllleeccttiiffssddaannss lleess vviilllleess aaffrriiccaaiinneess

35Transport et énergie

1. LE MONDE, «Services publics : la France peut-elle tenir tête à Bruxelles ? », 4 juin 2002.

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36 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

une optimisation des moyens,politiques, financierset humains. Et une certaine tendance française dudéveloppement de transports publics dédiés,comme plus largement de services publicsspécialisés, ou «à la demande», peut constituer unepremière phase, un «antimodèle » aux tradition-nelles solutions miracles de nombreuses politiquesd’aide au développement.

Bâtir des services publics dans les pays émergents,en Afrique notamment, et en garantir l’accessibi-lité au plus grand nombre, cela pose le même typede questions qu’en France, où l’État tend à s’endésengager progressivement. Les questionsd’universalité et de conditions d’exploitation desservices publics de transports sont pertinentes àl’échelle de chacun des territoires concernés. Laspécialisation des services tend à être une desréponses apportées par les différents acteurs«majeurs » des services publics (politiques etéconomiques quand ils existent). Pourtant, onobserve sur tous les continents que des zones sontexclues, au moins provisoirement,de l’accessibilité à ces servicespublics. Si affirmer que deuxFrance coexistent peut paraîtreexcessif, on peut écrire et penserque deux Afrique, comme deuxBrésil ou deux Vietnam, demeu-rent et risquent de perdurer. Lesvilles des pays émergents, ou decertaines régions émergentes depays particulièrement hétérogènes, présententl’aspect d’une certaine Europe greffée sur despratiques de mobilité traditionnelles, auxquellesles pouvoirs publics sont finalement incapables defournir, en termes de transports publics, une offreadaptée.

À défaut d’universalité des transports publics, etsans doute plus largement d’universalité de toustypes de services publics, l’évolution de l’organisa-tion de ces services publics de transports collectifstémoigne, en France comme aux États-Unis ouailleurs, d’une spécialisation dont les critèresdéterminants peuvent être considérés commediscriminants.Plutôt que de revendiquer de justesmais irréalistes et inexistantes «mobilités urbainespour tous », il est indispensable de réfléchir à lanotion, incomplète, insatisfaisante mais réelle, de«mobilités urbaines pour quelques-uns».

Quels services publicsde transports pourquels espaces urbains?

Les services publics de transports sont déficientsdans les villes africaines.Déficients, voire quasimentinexistants, tant la dernière décennie a marqué ledéclin des réseaux urbains, à Abidjan ou à Kinshasapar exemple. Les déficiences des services publicsde transports collectifs dans nombre de paysémergents, notamment dans les villes africaines,poussent donc à la spécialisation de certaines lignes,quand elles existent encore.Les transports par taxiscollectifs, concurrents, mais plus souples et moinschers, y jouent le rôle, sans comparaison de tarif,de fréquence et d’organisation, du transport à lademande en France.Les mobilités dans les pays endéveloppement,ou émergents, s’inscrivent dans descontextes urbains particuliers, une histoire récente,une évolution et une expansion spatiale rapide,uneurbanisation consommatrice d’espace. Deux

notions sont également fondamen-tales: la crise urbaine et la pauvreté.Les services publics, en l’occurrenceles services publics de transports,sont aussi enjeux politiques et éco-nomiques, créateurs d’emplois etproducteurs de recettes pour lesÉtats.

Quatre faits dominants se dégagentde l’histoire des transports urbains, notamment enAfrique subsaharienne: l’appropriation récente destransports collectifs, la transition entre le régionalet l’urbain, le ramassage des fonctionnaires par lesentreprises et la dimension politique des systèmesde transports.

L’appropriation récente des transports collectifsmarque le caractère tardif de l’urbanisation, quidistingue, par exemple, l’Afrique de l’Amériquelatine. À Brazzaville, les moyens motorisés sontapparus dans les années 1950, l’histoire destransports du Congo ayant été dominéejusqu’alors par la ligne du Chemin de ferCongo-Océan (CFCO).

La transition entre l’urbain et le régional estindéterminée, les modes de transports artisanauxassurant une fonction suburbaine, par l’appro-visionnement des marchés urbains en partant de

Les services publics de

transports sont déficients

dans les villes africaines.

Déficients, voire quasiment

inexistants, tant la dernière

décennie a marqué le

déclin des réseaux urbains.

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zones périphériques de production de proximité.À Bamako, les transports urbains sont des « sous-produits» des transports interurbain et suburbain,où dominent les camionnettes bâchées, les duru-durunis (littéralement « vingt-cinq francs »),initialement des charrettes à âne utilisées par lespaysans pour transporter leurs produits desvillages voisins sur le marché de Bamako, trans-formées ensuite en transport mixte, les passagersayant été admis moyennant paiement d’un ticket.On peut citer les mêmes exemples à Cotonou,avec les zemidjan (taxis-motos) ou les vélo-kannan(évolution d’un grand panier posé sur le porte-bagages). Les systèmes de transports « transition-nels » hésitent donc entre secteur formel etsecteur informel, entre archaïsme et modernité,entre monde rural et monde urbain.

Le poids de la fonction publique alongtemps été « surdimensionné »dans l’économie des pays africains.Les services publics ont été captéspar quelques rôles particuliers,notamment le ramassage des fonc-tionnaires. Nombre d’entreprisesd’autobus sont héritières des pre-miers services de ramassage desemployés de l’administration colo-niale ; les services artisanaux se sont développésen parallèle pour assurer les autres types dedéplacement. La dualité « service public pourquelques-uns»/«service privé pour presque tous»était marquée dès l’origine. Comment passerd’une fonction dominante de transport pourquelques-uns à une fonction de transportsréellement publics, s’adressant à toute la popu-lation? Les services publics de transports urbainsn’ont jamais répondu à cette question dans lesvilles africaines. À Abidjan, les fonctionnairesreprésentent encore 13% de la clientèle des buset 19% des transports scolaires, la répartitions’élevant à 17% et 30% à Dakar, aux environs de40% à Kinshasa.

La dimension politique des systèmes de trans-ports est incontestable.D’un point de vue histo-rique, un poids politique a été acquis très tôt parce secteur des transports collectifs urbains, sourcede revenus «souterrains» pour la classe politique.La maîtrise des transports urbains revêt un aspectstratégique particulièrement important en cas de

tension dans les villes. Ils peuventconstituer un vecteur demobilisation des foules pourquelque manifestation, comme àDakar en 1962 ou à Abidjan en1990 ou 2000. Ils peuvent êtreune arme pour l’opposition, encas de grève ou d’organisation deconférences nationales, commeau Togo en 1991.

L’ère du service privé?

Après l’essor des théories planificatrices et lapériode de fort interventionnisme des États,influence des théories économiques marxistespostcoloniales, puis une période de recherche dela rentabilité et de l’efficacité, les transportsurbains en Afrique n’existent presque plus. Lesrapports de proximité, sans doute trop étroits,entre les autorités et les exploitants ont grevé lesfinances des services publics. Il est un paradoxe,dans les villes africaines, qu’on peut d’ailleursélargir à l’ensemble des villes des pays émergents:c’est le secteur privé, informel, inorganisé, quiremplit les fonctions du service public en voie dedisparition. Développement de l’artisanat, fin dumonopole des entreprises publiques, renonce-ment, dans beaucoup de cas, des services detransports calqués sur le schéma des paysdéveloppés, c’est l’intégralité de la conception desservices publics depuis les indépendances, dansles villes africaines, qui est bouleversée.

Les services publics de transports collectifsdans les villes africaines

Le Caire, Égypte.Photo: Jean Burton

Les systèmes de transports

« transitionnels » hésitent

entre secteur formel et

secteur informel, entre

archaïsme et modernité,

entre monde rural

et monde urbain.

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38 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

D’abord inavoué, le secteur artisanal, parce quespontané et répondant aux demandes nonsatisfaites, recourt essentiellement aux taxisclandestins, observés à Dakar, au Mali (lesdurunis), au Togo (les biyewo houn). Conjugué àla pression démographique, ce recours ausecteur informel et privé n’a été que toléré,mais la répartition du marché des mobilitésurbaines entre les entreprises publiques et lesecteur artisanal s’est vite inversée au profit dudernier, pour atteindre, à la fin des années 1990,

40% et 60% à Conakry, 43% et 57% à Nairobi,20% et 80% à Douala et Yaoundé, 5% et 95%à Brazzaville, et 2% et 98% à Lagos. L’initiativeprivée pour l’organisation des transports palliel’absence d’État régulateur et l’absence depouvoirs publics. Le « laisser-faire » ouvre lesportes, de fait, à la libéralisation et à la déré-glementation. Les programmes internationauxd’aide et de développement, lancés ou soutenuspar exemple par la Banque mondiale oul’Agence française de développement, sontdavantage intéressés depuis plusieurs années parl’organisation des secteurs informels que parl’aide sans fin à des services publics quin’existent plus.

Les villes africaines connaissent les phénomènesurbains observés au Brésil ou dans d’autres paysd’Amérique latine, il y a plus de vingt ans. Lessystèmes de transports à « l’occidentale » nerépondent plus à leurs besoins.L’exemple brésiliende la constitution d’un secteur privé organisé estsans doute le futur modèle des «services publics»à l’africaine.Des services publics «privés»,destinésau plus grand nombre.

Le Caire, Égypte.Photo: Jean Burton

Le développement durable en milieu urbain a-t-il un sens?

Le cas des transports urbains

Dix années après le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro et les espoirs engendrés par l’adoption quasiunanime de l’Agenda 21, les rapports entre modes de transports et environnement méritent d’êtreanalysés. Nous ne pouvons évidemment pas comparer les expériences européennes ou nord-américainesà celles des pays « émergents ». Aucune ne pourrait prétendre éclairer les questions qui demeurentessentielles et vitales à l’aménagement des régions équatoriales, comme le vaste espace amazonien, oudes régions tropicales d’Afrique. L’on sait pourtant, et l’histoire du développement économique del’Europe de l’Ouest tend à le prouver, que les moyens de transport, les infrastructures afférentes, lesflux et les mobilités engendrées ont des incidences majeures sur le phénomène dual de déstructuration-démembrement et remembrement-restructuration des espaces.

Le concept de sustainable development, incomplètement traduit par «développement durable», auxcontours parfaitement troubles et pourtant universellement célébrés, est devenu une sorte de talisman,une réponse miraculeuse aux grandes questions politiques, économiques et sociales. Le «développementdurable», comme le furent le «progrès technique», les « lois du marché» ou le «village global» en leurtemps, a-t-il un sens? On peut comprendre que la «mondialisation» de l’économie et Internet réduisentles notions de distance et de temps dans les échanges d’information. Mais le développement durablecrée-t-il un «homme nouveau» ou masque-t-il une indigence de propos et de réflexion et finalementun déficit d’initiative politique?

Les transports urbains

Parmi les services publics locaux, les transports urbains ne sont pas les plus aisés à comprendre. L’eau esteau, à l’échelle de tous les territoires. Les déchets demeurent tels, avant d’être traités et recyclés. Lestransports urbains rassemblent « l’ensemble des moyens utilisés pour déplacer personnes et marchandises

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39Transport et énergie

Les services publics de transports collectifsdans les villes africaines

dans le périmètre urbain» (Duthion, 20021). Les mobilités ont façonné les villes, comme les villes ontcertainement façonné les mobilités.

Les transports urbains ne sont apparus qu’après la Révolution industrielle. D’abord collectifs, avec leslignes de tramways tractés par des chevaux, puis électriques, les inventions du moteur à explosion, del’automobile et du camion ont bouleversé les comportements et les habitudes de déplacement,soudainement devenus plus individuels. Les transports urbains sont donc à la fois individuels et collectifs,privés et publics. Ils empruntent des infrastructures terrestres, publiques ou concédées.

L’enjeu des mobilités urbaines n’est pas négligeable : il s’agit de relier les territoires urbains, de nivelerles différences. Les services publics locaux de transports collectifs tâchent de remplir les objectifs impartisà tout service public. Ils dépendent des autorités organisatrices, les formes les plus fréquentes étant lescoopérations intercommunales, mais aussi des stratégies des entreprises exploitantes, délégataires dela mission de service public local. À ce jeu d’acteurs, auquel l’usager n’est que peu associé, on pourraajouter l’importance de l’évolution des progrès et des inventions technologiques et la place hautementsymbolique de l’accessibilité en tous points des territoires.

Les transports urbains sont donc complexes, par la multitude des facteurs qu’ils impliquent et le délicatéquilibre qu’ils nécessitent. Les politiques urbaines françaises récentes (plans de déplacements urbains,grands projets de ville, contrats de ville, zones franches, etc.) et leurs auteurs considèrent les transportspublics comme la solution miracle aux maux urbains. Le service public local de transports n’est pourtantpas providentiel.

Développement «durable», transports «soutenables»?

On a dit que les transports urbains étaient un sujet en vogue. Que dire du «développement durable»?Et que penser de l’adjectif «durable» mis à toutes les sauces, parfois qualificatif, parfois quantitatif,parfois utilisé comme adverbe. Le trop-plein, ou parfois le trop de discours vides, approche. Une ville« durable », une nature « durable », une politique « durable », une chasse « durable », gérer«durablement» les paysages, etc. Sait-on donner à ce mot une définition qui permettrait de l’appliqueret de donner un sens et un éclairage particuliers aux territoires et aux transports urbains ? Audéveloppement durable correspond «une démarche politique globale dont la finalité est de concilierla croissance économique et le progrès social sans dilapider les ressources non renouvelables et sansmettre en péril les équilibres écologiques au profit des générations futures du monde entier ». Ceprincipe de gestion globale des ressources dépasse les seuls territoires urbains. Ses grands principes, enmilieu urbain, peuvent être définis ainsi (Sauvez, 2001) :

– une adaptation interne de la ville aux besoins de son époque;– une relation harmonieuse de la ville avec son environnement naturel ;– pour chacune de ces adaptations, la vérification que ces interventions ne compromettent pas les

adaptations qui seront nécessaires demain pour les générations futures ;– les caractéristiques de ce développement, qui ne doit pas se limiter à des paramètres permettant la

survie, mais intègre aussi des paramètres qualitatifs2.

Croissance démographique, croissance économique, consommation d’espaces et d’énergies. Ces trois axesstructurent la problématique du développement «durable», ou «soutenable», à l’échelle urbaine. Lestransports, tous types confondus, consomment en France 50 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep)(dont 40 Mtep pour les seuls transports routiers) par an, soit environ 25% de la consommation totaled’énergie. Les automobiles arrivent largement «en tête» (23 Mtep), devant les transports de marchandises(16 Metp). Les véhicules à deux roues et les transports collectifs représentent 1,5 Mtep à peine3. La questionde la limitation des circulations polluantes sera nécessairement à l’ordre du jour à plus ou moins longterme, à défaut de substituer aux énergies fossiles des carburants «propres» et peu coûteux.

1. B. DUTHION, Quand les transports urbains seront «durables», Géographie et territoires d’un service public,Thèse de doctorat, 2002.

2. M. SAUVEZ, La ville et l’enjeu du développement durable, Collection des rapports officiels,La Documentation Française, Paris, 2001, 436 pages.

3. P. MERLIN et J.P. TRAISNEL, Énergie, environnement et urbanisme durable, «Que sais-je?», no 2044, PUF,1996, 128 pages.

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40 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Des recommandations en matière de déplacements urbains existent. Elles s’adressent à la fois au ministrede l’Environnement (faisabilité d’études d’impacts, aide aux mesures fiscales, création de normesnationales, signature de chartes avec des établissements à l’origine d’importants transports urbains,formulation d’indicateurs comparatifs de qualité de vie, conventionnement avec les structuresintercommunales, soutien pédagogique aux collectivités), aux autres ministères (étude d’impact de lafiscalité sur la mobilité, rendre possible le péage urbain, intégration des impacts des transports surl’environnement dans les documents d’urbanisme, instauration d’une autorité circulation-voirie-stationnement-urbanisme), aux acteurs locaux (nouvelle répartition de l’espace urbain et périurbain,lutte contre les nuisances, favoriser la concertation et les approches globales)4. Le sentimentd’impuissance est grand, dix ans après le «grand espoir de la fin du XXe siècle».

Quelles solutions «soutenables»?

Le dernier demi-siècle a marqué la rupture définitive, dans les sociétés occidentales, avec uneorganisation séculaire, d’un point de vue tant sociologique qu’économique. L’urbanisation puisl’extension périphérique sans cesse centrifuge des marges urbaines vers d’anciennes terres agricoles, latertiarisation des modes de production et l’évolution rapide d’une industrialisation «primaire» vers uneéconomie axée principalement sur des secteurs administratifs urbains ou périurbains et des complexesde production ou de consommation en marge de ces espaces ont structuré les pays d’Europe. Plus quetout empire, ce mouvement de fond a bouleversé les équilibres.

Des mouvements de marchandises comme de personnes ont précédé les décisions de planification etd’organisation des modes de transport. L’individualisation des déplacements, l’abandon des moyenstraditionnels développés en fonction des ressources naturelles ou d’un «patrimoine» millénaire (voiesd’eau, anciennes voies romaines), la multiplication des routes et des autoroutes, la part toujours accruedes poids lourds dans les dessertes, aux dépens d’un secteur ferroviaire déficitaire et spécialisé dans lagrande vitesse, ont été les évolutions majeures récentes des déplacements en France.

Si les transports occupent une place privilégiée dans la consommation des ménages français, environ15% du PIB par habitant (presque 111 milliards d’euros), deuxième poste de dépenses après le logement-chauffage-éclairage (177 milliards d’euros), il faut comprendre que les espoirs placés dans les décisionsde Rio de Janeiro ont été divers. D’abord, à l’échelle urbaine, comme l’article 13 de la DéclarationUniverselle des Droits de l’Homme et des Citoyens de 1948 l’autorise, la liberté de mouvement et dedéplacement, actée par le «droit au transport» (LOTI, 1982), a été doublée d’un «droit à respirer unair pur» (LAURE, 1996). À l’échelle des villes et des agglomérations, obligation a été faite aux collectivitéslocales responsables d’organiser des plans de déplacements urbains, dont le schéma « idéal» prévoitd’optimiser les politiques de déplacements, d’économie d’énergie et foncière. Les retards observés dansson application, malgré une tendance à élargir ce processus à toutes les agglomérations de plus de10 000 habitants (SRU, 2000), montrent que les différents acteurs, planificateurs, organisateurs etexploitants de transports « urbains » ne sont pas encore mobilisés par les principes déclarés du«développement durable». De nombreux discours reprennent l’expression, sans en déflorer l’universelet ambitieux dessein. Et la tendance, lancée par les États-Unis, à le monétariser (smart growth) rendencore plus complexe sa mise en route5.

La France, comme tous les pays «développés», est un pays majoritairement urbain. Très majoritairementmême. La population du pays est passée de 49,7 millions en 1968 à plus de 58,5 millions en 1999 (+17,7%),pendant que le poids démographique des espaces ruraux diminuait en valeur réelle, passant de 13,4(26,9% de la population) à 13,6 millions (23,2%). Cependant, hormis la région parisienne et quelquespôles urbains secondaires (de moins de un million d’habitants), la France n’est pas un pays artificialisé,contrairement à nombre de ses voisins européens, Allemagne et Benelux notamment. L’espace françaisn’est pourtant pas gigantesque; la surface de l’Amazonie représente à elle seule dix France…

La question centrale des transports, dans ce maillage urbain somme toute assez peu dense et encore tropconcentré dans le seul bassin parisien (20% de la population française, mais bien plus de la moitié desrichesses produites), demeure une source constante de questions et de décisions. Les infrastructures ont

4. M. COHEN DE LARA et D. DRON, Pour une politique soutenable des transports, Collection des rapportsofficiels, La Documentation Française, Paris, 1995, 327 pages.

5. B. DUTHION, What Are Sustainable Transports for Amazonia ? Lessons from the French Experience,SITRAMA,Amazon International Symposium on the Development of the Transportation Infrastructureand the Environment, Belem, Brésil, 2002.

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41Transport et énergie

Les services publics de transports collectifsdans les villes africaines

considérablement changé depuis 1980. Le kilométrage d’autoroutes a presque doublé, passant de 4800à 8500 kilomètres, tandis que les trois infrastructures «traditionnelles» (voies navigables, routes nationaleset voies ferrées) perdaient à la fois de leur taille et de leur importance.

Dès lors, les liaisons qui préoccupent l’État et les collectivités locales (régionales, départementales etmunicipales) résident bien dans les flux interurbains, sur de « longues» distances, à l’échelle nationale,et les flux urbains, à l’échelle locale. Les données sur les consommations d’énergie, sur la part de plusen plus importante des transports routiers dans la consommation globale (1/3 environ des 32 millionsde tep en 1973, 3/4 des quelque 50 millions actuels), sur la contribution des transports, pour plus de21 %, à l’émission de gaz à effet de serre indiquent que l’équation, pourtant connue, transportsroutiers = pollution = effet de serre est loin d’être résolue.

Quelles peuvent être alors les solutions ? Et quels sens à donner à ce « développement durable » enmilieu urbain? Beaucoup estiment qu’il faut encourager les investissements des industriels, constructeursautomobiles ou autres, en recherche et développement pour sortir du «monopole» pétrolier en matièrede carburant. Principalement destinés à des innovations soucieuses de l’environnement, ils sont estiméspar l’Institut français de l’environnement (IFEN)6 à moins de 30 millions d’euros, alors que l’industrieénergétique, essentiellement électrique, investit près de quinze fois plus dans ce secteur.

Ensuite, favoriser les solutions intermodales aux transports. L’Agence de défense de l’environnementet de maîtrise de l’énergie (ADEME)7 publie régulièrement des données relatives à « l’efficacitéénergétique» des différents modes de transport. Le secteur ferroviaire, à grande vitesse, est deux foisplus efficace que la voiture (65 passagers contre 39 par km/kep) pour le transport des personnes. Lesvoies d’eau sont près de cinq fois plus efficaces que les camions pour le transport des marchandises(127 tonnes contre 28 par km/kep). Des secteurs qui paraissaient voués à un déclin inévitable deviennentdes solutions d’avenir. La France redécouvre ses voies d’eau. Les fleuves et les canaux, notamment dansle contexte des Réseaux transeuropéens (RTE), semblent pouvoir répondre avec pertinence auxdifférentes problématiques des transports, notamment à la question de leur «durabilité».

D’autres solutions sont connues et vont sans doute être développées : la spécialisation de transportscollectifs sur l’exemple des paratransits américains, l’institution de schémas de services collectifs, encoremal définis, ou la multiplication des «agendas 21 locaux», restés à ce jour en deçà des objectifs dégagésvoilà dix ans. Ces premières idées sont-elles pour autant suffisantes?

Les transports urbains « soutenables» devraient associer les différents acteurs, à l’échelle territoriale,aux projets de gestion commune. C’est ce qu’on devrait observer lors de création de gares intermodales,par exemple, en périphérie des grandes agglomérations. La Loi sur l’air8, les plans de déplacementsurbains, rendus obligatoires par le contexte législatif français, les préoccupations communes auxtransports et à l’urbanisme, les mesures de qualité de l’air, la liste pourrait être longue de l’artilleriemise en œuvre pour répondre aux problématiques environnementales des milieux urbains. Lasuperposition des compétences, les stratégies opposées, les intérêts divergents observés et avérés, leslobbies existants (automobile, pétrole et grands Corps de l’État) augurent des difficultés tant dans lesobjectifs que dans les réalisations. Les premiers agendas 21 locaux n’ont pas été à proprement parlerde grandes réussites. À défaut d’ambition partagée, le consensus politique et économique est trouvé,le plus souvent, dans le plus petit dénominateur commun, sorte de cautère sur une jambe de bois (unepiste cyclable sur l’emprise d’une ancienne voie ferrée d’intérêt local, etc.).

On peut évoquer enfin la « durabilité » en matière de contractualisation. Un service public « durable »l’est dans les faits, puisqu’une collectivité le délègue, dans la grande majorité des cas, aux entreprisesde services pour des durées moyennes de 9 à 10 ans, et davantage si des investissements lourds sont àréaliser. Une économie « durable » est à inventer. Celle où les intérêts des usagers, des espaces et desterritoires seraient prioritaires. Celle où tous les territoires urbains, des pays occidentaux comme despays dits du « Sud », seraient égaux, face notamment à la mobilité, à l’accessibilité, à la technologie, àla liberté de choix et d’initiative.

6. IFEN, L’État de l’environnement en France, Dunod.7. ADEME, Transports, énergies, environnement, quels enjeux?, 2002, 48 pages.8. J.P. DELEAGE, Loi sur l’air, in F. RAMADE (dir.), Dictionnaire de l’écologie, Encyclopedia Universalis,

Albin Michel, Paris, 2e édition, 2001, 1 400 pages.

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Ayite Marcel Baglo

Docteur en écologie et aména-gement et professeur à l’Univer-sité d’Abomey-Calavi au Bénin,Ayite Marcel BAGLO est Directeurgénéral de l’Agence Béninoisepour l’Environnement. Il est égale-ment membre, entre autres, duConseil d’orientation de l’IEPF etdu Conseil d’administration del’Association Internationale desÉvaluations d’Impacts (IAIA) et pré-side le programme de l’UNESCOsur l’Homme et la Biosphère (MAB-UNESCO).

42 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

L’intense urbanisation que connaissent depuis les années 1970 lespays africains fait des villes africaines le cœur de leur développement.Dans ces pays, le rythme actuel de la croissance des villes perturbesérieusement la capacité des gouvernements et des autoritésmunicipales à fournir les services les plus élémentaires, comme l’eau,l’électricité, l’assainissement, le transport, etc.

Àl’instar de beaucoup de métropoles africaines en pleine croissance,Cotonou connaît d’importants problèmes liés à une gestion approxi-mative des transports urbains, à savoir :

– l’absence de transports collectifs de masse ;– une demande pour les déplacements en deux-roues (taxis-motos et motos

privées), considérés comme des facteurs d’insécurité ;– l’absence de hiérarchie du réseau routier, d’où une dissémination du trafic

dans toute la ville ;– une utilisation du réseau routier fortement tributaire du revêtement des axes;– une demande de déplacements essentiellement interne à la ville, de type radial

en direction du centre (concentration des activités génératrices de trafic);– d’importantes restrictions locales de capacité aux heures de pointe;

– une exploitation déficiente des carrefours à feux tricolores.

Ceci engendre d’importantes conséquences, telles que:

– de fréquents accidents de la circulation;– l’engorgement de la circulation;– la pollution atmosphérique avec ses impacts sur la santé des habitants.

La population urbaine (200000 habitants en 1960) atteint aujourd’hui plus de2 millions et les deux principales villes du sud,Cotonou et Porto-Novo, abritentplus de 1,5 million d’habitants, soit environ 75% de la population urbaine totale.

Cette situation a engendré des dysfonctionnements et des coûts socioécono-miques tels que la gestion de ces deux cités présente de sérieux problèmes.L’exemple le plus patent est l’organisation du transport urbain, caractérisé jusqu’àces dernières années par un laisser-faire total, entraînant d’énormes problèmesdans la gestion de la mobilité urbaine. Dans le cas de Cotonou, la structure et lamorphologie de la ville ont contribué à aggraver les difficultés en cette matière.

LLee ttrraannssppoorrtt uurrbbaaiinneenn AAffrriiqquuee ddee ll’’OOuueesstt ::llee ccaass ddee CCoottoonnoouu

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43Transport et énergie

Structure et morphologiede Cotonou

Capitale économique et principale ville duBénin,Cotonou concentre l’essentiel des équipe-ments et des administrations du pays, et abrite leport et l’aéroport. Espace de transit des échangescommerciaux avec les pays voisins du Sahel(Burkina Faso, Niger, Mali,Tchad, Cameroun),Cotonou joue un rôle de premier plan dansl’économie béninoise.

Coincé entre le lac Nokoué au nord et l’océanAtlantique au sud, Cotonou s’est développésuivant un axe ouest-est sur un cordon littoralcoupé en deux en plein cœur de la ville par lalagune de Cotonou. L’est et l’ouest de la villesont reliés par deux axes constitués par l’ancienpont au sud et le nouveau pont au nord.

Pendant les années coloniales, l’administrationfrançaise a concentré ses activités économiques etadministratives au sud de la ville, dans l’actuellezone commerciale, alors que les populations

occupent les quartiers nord, ce qui a abouti audéveloppement des voies d’orientation nord-sud,appelées «VONS» au Bénin. Mais, au fur et àmesure du développement de Cotonou,un certainnombre d’administrations et d’infrastructureséconomiques ont commencé à s’installer à l’est dela ville, à Akpakpa, où s’est implantée la zoneindustrielle.Dès lors, le mouvement est-ouest s’estdéveloppé rapidement, sur les deux seuls axesconstitués par l’ancien pont et le nouveau pont.Ces deux structures supportent des volumes detrafics très élevés et constituent les pointsnévralgiques du réseau routier de Cotonou.

L’intensité du trafic sur les ponts est d’environ132000 véhicules en circulation par jour, à l’allercomme au retour. Les échanges avec l’est, à euxseuls, sont évalués à 69600 véhicules par jourd’après les comptages effectués en mars 2001. Ilne faut donc jamais perdre de vue que le réseauroutier de Cotonou présente des charges de traficstrès élevées pour un réseau urbain et que letronçon le plus chargé reste le nouveau pont, avecdéjà, en 2001, plus de 96800 véhicules par jour.

Le transport urbain en Afrique de l’Ouest :le cas de Cotonou

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44 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

D’environ 320000 habitants qu’elle était en1979, la population de l’agglomération cotonoiseest passée à plus de 800000 habitants en 1992,soit un taux de croissance annuel d’environ 8%.Soixante-douze pour cent des Cotonois viventà l’ouest, contre 28% à l’est.

Le réseau structurant de Cotonou dispose d’envi-ron 400 kilomètres de voies urbaines, dont90 kilomètres bitumés ou pavés. Le revêtementdes voies urbaines est l’une des conditionsessentielles de leur utilisation.

Un transport urbain dominépar les engins à deux roues

Du fait de l’importation massive de véhiculesd’occasion de l’Europe, le parc automobile duBénin a connu une augmentation soutenue. En1995, on comptait déjà 75000 véhicules, enmajorité des voitures particulières et des camion-nettes d’occasion.

Lancés dans la deuxième moitié des années 1950,les taxis-autos ont joué, jusqu’en 1985, un rôlede premier plan dans le transport collectif, maisla détérioration de l’état des voies urbaines et lacrise économique des années 1985-1990 ontcontraint les taxis-autos à céder peu à peu leterrain aux taxis-motos.À ce jour,moins de 200véhicules se consacrent à cette activité.

La dégradation des voies urbaines et l’importancedu trafic ont amené une partie importante desCotonois à se tourner vers les engins motorisés àdeux roues pour se déplacer. Dès 1990, avecl’arrivée des motos d’occasion d’origine japonaiseet des taxis-motos, les engins à deux roues ontdominé le transport urbain.Environ 75000 enginsà deux roues circulaient dans la ville en 1997 et cechiffre est en augmentation quasi constante. Letaux actuel de 95 engins deux-roues pour1000 habitants de Cotonou est l’un des plus élevésde la sous-région.

Ainsi, la faillite des différentes sociétés publiquesde transport en commun, la faiblesse desinitiatives privées dans le secteur et le nombreréduit de voitures, en général d’occasion,consacrées à l’activité laissent le champ libre audéveloppement du transport urbain, assuré parles engins à deux roues appelés « zémidjan » au

Bénin et au Togo et «kabou-kabou» au Niger.Le développement de ce type de transport urbainest la conséquence d’un certain nombre defacteurs conjugués :

– l’incapacité du système de transport encommun à satisfaire la demande de mobilitédes populations ;

– le faible pouvoir d’achat des populations ;

– l’insuffisance et le mauvais état desinfrastructures routières ;

– le sous-emploi et le chômage.

Ce mode de transport répond à un besoin réelde mobilité d’une bonne frange de la populationet est déjà rentré dans les habitudes.

Le volume du parc de taxis-motos dénote bienl’ampleur de cette activité. En l’an 2000, ce parccomptait 83000 engins au Bénin. Selon les décla-rations des représentants des associations profession-nelles des taxis-motos présents à l’atelier de Lomé,il était évalué en 2002 à 160000 véhicules.

L’activité des taxis-motos sert de soupape desécurité en donnant de l’emploi aux jeunes etcontribue efficacement à la lutte contre lapauvreté des couches les plus vulnérables de lapopulation.

Le zémidjan est aujourd’hui dans Cotonou lemoyen de déplacement le plus adapté auxconditions socioéconomiques de la populationet aux conditions d’accessibilité à la majorité desquartiers non encore viabilisés.Avec le zémidjan,la prise en charge du client est automatique etle déplacement rapide, avec une desserte enporte-à-porte.

Taxis-motos à Cotonou.

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45Transport et énergie

Les conséquencesdu développementdes taxis-motos dansle transport urbain à Cotonou

Le développement rapide des taxis-motos ad’importantes conséquences sur la sécurité rou-tière, l’environnement et la santé. Les zémidjansont en effet les principaux responsables desaccidents de circulation à Cotonou.

Le mauvais état des motos et des voitures, lecomportement défaillant des conducteurs (mau-vaise maîtrise de la conduite,méconnaissance ducode de la route, surcharge, conduite en état defatigue avancée, etc.) et le mauvais état des ruessont responsables de l’insécurité sur les voiesurbaines. Selon les statistiques actuellementdisponibles, le nombre d’accidents impliquant lestaxis-motos en l’an 2000 est estimé à 888, sur untotal de 4735 accidents routiers. Ces accidentsont fait 1001 blessés et 115 tués.

Ces statistiques montrent aussi que la proportiond’accidents de taxis-motos varie entre 32 et 42%du total des accidents enregistrés dans la ville deCotonou. C’est important si l’on considère quela mobilité urbaine prend en compte aussi lespiétons, les autres véhicules à deux roues et àquatre roues, les poids lourds et le train. Il est enfinà noter que la plus grande partie des accidents destaxis-motos est réglée à l’amiable et n’est donc pasportée à la connaissance de la police.

En dehors de la sécurité, l’activité des taxis-motoset des véhicules en général présente d’énormesinconvénients pour l’environnement et la santé.

Le transport urbainresponsable de la pollutionatmosphérique, avecd’importantes répercussionssur la santé

Presque toutes les formes d’utilisation et deproduction d’énergie peuvent causer des change-ments environnementaux directement ouindirectement nuisibles à la santé de l’homme.

L’utilisation de combustibles fossiles est la princi-pale cause de pollution atmosphérique. La com-

bustion complète de ces combustibles dégage dugaz carbonique et de l’eau en même temps quecertains oxydes d’azote résultant de la fixation del’azote atmosphérique à haute température.Unecombustion incomplète se traduit par desdégagements de fumée noire constituée de finesparticules de carbone ou d’hydrocarburescomplexes, ou par la production de monoxydede carbone et de toute une série de composésorganiques partiellement oxydés.

Le secteur des transports, qui représente 20% de laconsommation totale d’énergie et 62% de lafacture pétrolière du Bénin,est l’une des principalessources de la pollution de l’air à Cotonou.

Le rapport final des travaux de Tractebel Develop-ment Engineering (2000) évalue l’émissionjournalière d’oxyde de carbone à environ83 tonnes, dont 59% générés par les véhicules àdeux roues et 41% par ceux à quatre roues àCotonou, contre 50 tonnes à Dakar et 64 àOuagadougou. Les véhicules à deux roues sontresponsables d’environ 90% des 36 tonnesd’hydroxyde de carbone émis chaque jour par lestransports urbains, contre 6 tonnes à Dakar et 34à Ouagadougou. Des prélèvements de gazeffectués aux principaux carrefours grâce à desbadges portés par des policiers donnent, pour lebenzène, des concentrations qui varient entre 280et 68, pour le toluène, entre 679 et 168 et, pour lemp xylène, entre 34 et 196. Ces mêmes gazprélevés grâce à des badges, portés par les con-ducteurs de zémidjan, donnent les concentrationssuivantes : benzène entre 251 et 91; toluène entre631 et 217; mp xylène entre 510 et 160 (L.Ayi,H.Autrup, B. Fayomi et al., 2003).

La concentration d’hydrocarbures volatils HCdépasse à certains endroits 2 000 �m/Nm3. Deplus, sur environ 10% du réseau, on constate uneconcentration trop élevée en plomb (Pb), avecun maximum de 13 �g/Nm, soit environ 6 foisplus que la valeur admise.

Il est alors évident que, le transport urbain, àCotonou, est la principale source de pollutionatmosphérique, surtout le long des artères et auxprincipaux carrefours.

Cette situation est aggravée par la qualité decarburant utilisé.En effet, la contrebande déversesur le marché béninois une quantité importante

Le transport urbain en Afrique de l’Ouest :le cas de Cotonou

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46 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

de carburants et de lubrifiants nigérians frelatés,du fait des diverses manipulations dont ils sontl’objet pendant le transport.

Avec ses conséquences sur l’environnement etl’homme, la pollution est devenue au Bénin unproblème de santé publique et des études de sonimpact sur les populations (L.Ayi, B. Fayomi etal., 2002, Impact de l’activité des taxis-motos sur lasanté) ont permis de mettre en relief les affectionssuivantes : recrudescence des pneumo-pathologies (infections respiratoires aiguës), desmaladies cardio-vasculaires (le stress intervientpour beaucoup), des affections ORL (sinusites etotites), des affections oculaires… De plus, leschiffres des résidus de plomb dans l’air àCotonou font craindre un développement dusaturnisme chez les enfants.

Outre la santé humaine, la pollution de l’air aégalement un impact sur la flore, la faune et lesmatériaux.Elle influe aussi sur le fonctionnementphysique et chimique de l’atmosphère (effet deserre, formation d’ozone, smog, etc.).

Sans modification des habitudes et du parc devéhicules, les émissions augmenteront d’une façonimportante, peu importe le polluant considéré.L’oxyde de carbone connaîtra une augmentationde 40% en 2005 et 98% en 2010. Cette hausseimpressionnante s’explique par l’accroissement dela congestion du trafic routier,probable responsabled’une plus grande émission d’oxyde de carbone.

Devant ce tableau sombre,que faire?

L’ampleur des problèmes liés au transport urbainet les impératifs d’économie d’énergie ont amenéle Bénin à s’engager dans la préparation et la miseen œuvre d’une politique nationale de mobilitéurbaine. L’objectif de cette politique est d’assurerles conditions optimales de déplacement àl’intérieur de la ville, sans pour autant créer desnuisances pour la santé et la sécurité des popu-lations.Pour atteindre cet objectif, il est impérieuxd’intégrer la mobilité dans la planification urbaine,de construire des infrastructures et des équipe-ments urbains, de réhabiliter et d’entretenir lesinfrastructures existantes et, enfin, de prévenir etde réduire les nuisances provoquées par les dépla-cements urbains.

À court terme, la promotion des transportspublics par l’adoption de mesures incitatives etl’amélioration de la voirie urbaine constituel’ossature de cette stratégie. Pour Cotonou, ellese traduit par l’adoption par le gouvernementd’un train de mesures qui se résument ainsi :

1. exonération de frais de douane pour touteacquisition à l’état neuf de minibus de18 places à l’usage du transport en commun;

2. définition de cinq lignes de bus avec abris,réparties en trois lignes à l’ouest et deux à l’est,l’ensemble ralliant le marché international deDantokpa, véritable centre névralgique de laville et nœud des cinq lignes ;

3. intervention des taxis-motos dans le systèmeen complément au transport urbain collectif.Les taxis-motos bénéficieront d’aménagementsspécifiques (pistes cyclables) pour favoriser lesdéplacements, accroître la sécurité, la capacitéet la fluidité du trafic sur les axes structurantsde la ville en reportant le trafic des deux-rouessur des axes à priorité de roues.

Conclusion

La consommation d’énergie consacrée autransport urbain est fortement liée à la densité etau choix du mode de transport. En effet, lestransports en commun, lorsqu’ils sont bienfréquentés, ont une efficacité énergétiquesupérieure à celle de l’automobile, dont le tauxd’occupation est, dans presque toutes les villes dumonde, compris entre 1,2 et 1,8 personneseulement par véhicule.C’est le cas du Bénin, oùle bilan énergétique a montré que le secteur destransports est un important consommateurd’énergie et le premier consommateur deproduits pétroliers, soit 62%, contre 15% pour lesecteur industriel et 23% pour les ménages. Letransport urbain par la même occasion est leprincipal responsable de la pollution atmo-sphérique à Cotonou et de ses conséquences surla santé et l’économie nationale. C’est pourquoila recherche de l’efficacité de l’énergie et del’efficacité dans la gestion du transport urbain aamené le Bénin à s’engager dans l’adoption et lamise en œuvre d’une politique durable demobilité urbaine.

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Adel Mourtada

Adel MOURTADA est Expert-conseil en énergie et transport,Association Libanaise pour laMaîtrise de l’Énergie et pourl’Environnement, ALMEE, etProfesseur à la Faculté de géniede l’Université libanaise.

L’augmentation du nombre de véhicules affectés au transport encommun au Liban a induit en quelques années une très forteaugmentation de l’offre de transports : il y a aujourd’hui pra-tiquement quatre fois plus de capacité qu’en 1995. On observeaussi de nombreux bus et taxis qui circulent presque vides. Lesproblèmes de la pollution de l’air liée au secteur des transportsterrestres, sont désormais au centre des préoccupations de lapopulation et du gouvernement. L’aménagement du systèmeinstitutionnel actuel pour permettre la mise en place d’une autoritéde régulation des transports collectifs est devenu indispensable.

De Beyrouth au Grand Beyrouth

Le Liban est un pays de 4,2 millions d’habitants, dont la forte populationurbaine représente 89% du total, avec un taux de croissance annuel de1,93 %. La densité absolue est de 418 habitants au km2. Depuis une

trentaine d’années, on assiste à l’étalement de Beyrouth.L’espace interurbain estde plus en plus flou. De la Beyrouth administrative on est passé au GrandBeyrouth, qui regroupe plus de 40% de la population du Liban. Les distancesde déplacements domicile-travail augmentent; le nombre de déplacements pourles activités de loisirs ou d’achats progresse, ainsi que la fréquence des livraisonsde marchandises.Cette croissance urbaine appelle un développement du réseauroutier qui entraîne deux conséquences néfastes :

– un coût économique excessif, imputable aux dépenses de voirie (constructionet entretien);

– un coût social attribuable à la dégradation de la qualité de vie, alors que le tempspassé dans les déplacements augmente exponentiellement et que le cadre de viese détériore en raison de l’évolution incontrôlée de l’urbanisation.

La voiture constitue le principal moyen de déplacement des Libanais. La voitureparticulière est la cause principale des congestions dans Beyrouth. Elle estconsommatrice d’espace quand elle roule, mais aussi quand elle est stationnée.Or, plus la population est concentrée, plus les déplacements risquent d’êtreidentiques. Le réseau de transport en commun apparaît alors comme uneréponse possible à l’accroissement des déplacements et aux problèmesd’organisation de la ville.

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47Transport et énergie

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48 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Le Plan de transportdu Grand Beyrouth

Le Plan de transport du Grand Beyrouth a étéréalisé pour le Conseil du développement et dela reconstruction (CDR) par un groupement deconsultants comprenant l’IAURIF, TeamInternational et la SOFRETU entre 1994 et1995. Son financement a été assuré par leGouvernement libanais avec le concours de laRégion Île-de-France et de l’État français. Ilrésulte d’une étude en 20 rapports qui décriventla situation en 1994 et définissent la stratégie àmoyen et long terme, ainsi que des actions d’ur-gence. Ce plan constitue un cadre de référencesur 20 ans (1995-2015) pour le développementdes transports de la région métropolitaine. Soncontenu porte sur quatre volets : le système devoirie et la gestion du trafic, le réseau de transportscollectifs, le stationnement, le fret.

Les perspectives pour les 20 années du Plan sefondent sur une augmentation modérée de lapopulation (+ 800000 habitants, soit une popu-lation totale de près de 2 millions d’habitants dansle Grand Beyrouth en 2015) et de l’emploi etprennent en compte les grands projetsd’aménagement engagés dans le programme dereconstruction (centre-ville, aéroport, port…).Le

triplement de la mobilité (5 millions de trajetsquotidiens, dont la moitié à l’intérieur duPériphérique et le tiers avec l’extérieur du GrandBeyrouth), support et conséquence du dévelop-pement économique et démographique, impliquela mise en place d’un réseau de transportperformant pour faire face aux ambitions dedéveloppement économique et social. Le plan detransport a pour objectifs d’offrir des trajets detransport collectif passant à moins de 15 minutesà pied de tous les domiciles et un accès rapide auxgrands pôles de développement. Les transportscollectifs (sans les taxis-services) assureront 26%des déplacements motorisés.

Le plan de transports collectifs s’appuie sur unearmature forte, composée d’une ligne de cheminde fer (Jounieh-Damour, 38 km), de deux lignesde métro (de 17 et 15 km) et de trois lignes debus ou de tramway en site propre (28 km).Cettearmature est indispensable à l’efficacité du réseaude transport par autobus et à la gestion du traficautomobile.Le réseau routier principal (248 km)est structuré par cinq autoroutes,dont le Périphé-rique et l’Autoroute Arabe, sept pénétrantes liéesau Périphérique et un réseau de voies rapides(23 km) et de boulevards (122 km) assurant ladesserte secondaire de l’agglomération. Les troisquarts du réseau sont déjà construits, le restecorrespond à des voies à construire.

Le Plan de transport définit trois phases de miseen œuvre: le Plan d’actions immédiates (5 ans),le Moyen terme (10 ans) et le Long terme(20 ans). Seule la première phase de ce plan a étémise en œuvre, sept ans après son approbation.La ligne de chemin de fer entre Jounieh etDamour est envisagée par le Ministère desTransports dans un projet un peu plus longreliant Jounieh à Jiyeh (transport de masse légerd’une capacité de 10000 passagers/heure, avec19 stations et une vitesse moyenne de 35 à40 km/h).Cependant, la première ligne de métroet les trois lignes d’autobus sur site propre ne fontl’objet d’aucune étude particulière préfigurantleur mise en place.

Le Beirut Urban Transportation Plan (BUTP)actuellement en cours d’exécution comprendtrois programmes d’actions pour la période2000-2004:

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49Transport et énergie

• la gestion du trafic,

• les stationnements,

• les séparateurs en milieu de chaussée (sur16 axes à proximité des intersections les pluschargées).

Les transports en communn’étant pas organisés,les habitants et les opérateurssont pénalisés

De nombreuses voies rapides urbaines ont étéconstruites ces dernières années dans le GrandBeyrouth, tandis qu’aucune infrastructure n’a étémise en service pour les transports en commun(à l’exception de la gare Charles-Hélou liée à laconstruction d’une autoroute). Dans l’ensembledes restructurations des voies il n’a été mis enservice aucune voie réservée pour les autobus.Les autobus, mais aussi les taxis, sont traités avecl’ensemble de la circulation, sans qu’on recon-naisse leurs spécificités : itinéraires imposés, arrêtspour prendre ou déposer la clientèle, terminus delignes.Les autobus ne sont pas considérés commeune solution pour demain, mais comme unecontrainte aujourd’hui.

Le gouvernement a accordé de nombreuseslicences de taxis (plaques rouges), de minibus etde bus sans tenir compte des besoins réels. Il y aaujourd’hui pratiquement quatre fois plus devéhicules de transports en commun qu’en 1995,dont la majorité sont concentrés dans le GrandBeyrouth.

Nous devons donc constater que l’offre entransports en commun (+ 400%) a augmentéplus vite que la demande (+ 150%). D’unesituation de manque, on est passé à une situationde surabondance, qui se traduit aujourd’hui par

des difficultés économiques pour tous lesopérateurs. Les rendements des bus et minibussont actuellement de l’ordre de 1,5 voyageur/km(contre 3,8 en France). Les entreprises detransports sont déficitaires et les chauffeurs detaxis doivent circuler plus de 14 heures par jourpour gagner leur vie.

Par suite de la définition du Plan de transport duGrand Beyrouth, une assistance technique a étéapportée en 1996 et 1997 à l’Office desChemins de Fer et des Transports en Commun(OCFTC) par le groupement (SYSTRA/SEMVAT/IAURIF/TEAM) pour mettre enplace les lignes de transport en commun.L’OCFTC a mis en service 27 lignes d’autobusà partir du 1er juillet 1997, desservies par200 autobus neufs.

L’OCFTC n’a pas bénéficié des ressources hu-maines et financières nécessaires pour entretenirson parc d’autobus, mettre en place la signalé-tique au sol et embarquée, se procurer les équipe-ments nécessaires à un service de qualité etmener une campagne de marketing adaptée.

Aujourd’hui, seulement 90 autobus de l’OCFTCcirculent dans le Grand Beyrouth sur 13 lignespubliques, complétées par un réseau de plus enplus dense de lignes privées.

Il n’existe pas d’autorité de régulation destinée àplanifier, organiser et contrôler la qualité duservice du système de transport public. Lacoordination des administrations concernées restefaible.Les lignes de transport se livrent donc à uneconcurrence sauvage qui déstructure l’offre detransport : concentration des moyens sur lesservices les plus rentables au détriment de ladesserte spatiale et temporelle. Il est donc urgentd’organiser l’ensemble du système de transportsen commun sur le territoire libanais afin de faireémerger de nouvelles demandes en rendant lesvéhicules disponibles là où la demande peut sedévelopper.

Les transports sont coûteux

La consommation d’énergie finale du Liban estde 4960 ktep pour l’année 2000, soit 1,34 tep/hab/an.La facture de l’énergie s’est élevée à 1285millions d’euros en 2000. Elle atteint 15% desimportations du pays. L’essence représente 38%

Les politiques de transport urbain :le cas du Grand Beyrouth

Nombre devéhicules avec une«plaque rouge» 1995 1995 2001 2001

nombre capacité nombre capacité

Taxis 10650 53250 32600 163000

Minibus 0 0 4000 48000

Bus 620 24800 2000 80000

Total 78050 291000

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50 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

des importations et le gasoil 24%. Le secteur destransports représente 45% de la consommationénergétique du pays ; il est donc le principalresponsable des émissions de gaz à effet de serreet des polluants de l’atmosphère urbaine.

L’achat des véhicules est payé en devises(41091 véhicules importés en 2000). Il en est demême pour l’énergie qu’ils consomment, et leLiban importe 97% de ses besoins énergétiques.Les routes sont difficiles à construire, donconéreuses.On rapporte 3724 accidents en 2000,pour 306 tués et 4101 blessés.

Pour les usagers, le coût du transport collectif estélevé. Il peut représenter chaque mois 54€, soit pra-tiquement 25% du SMIC (salaire minimum) (230€).

La répartition modale des déplacements mécanisés,d’après l’enquête réalisée par l’OCFTC etECOTECH Ingénierie en 2001, est estimée à68% de voitures particulières, 14,7% de taxis, 7,8%de minibus et 9,5% de bus, pour un total de1750000 déplacements mécanisés par jour.

La pollution atmosphériqueinquiète les Libanais

Malgré les récentes améliorations entourant lacirculation (nouvelles routes,meilleure gestion descarrefours et du stationnement), les habitants deBeyrouth se plaignent de la pollution atmosphé-rique et du bruit routier («on ne peut plus laisserles fenêtres ouvertes») ainsi que des conséquencessur la santé, entre autres les maladies respiratoires(la facture médicale augmente en moyenne de 11%par an depuis 1996). Cette pollution est liée auxembouteillages et à la vétusté de nombreuxvéhicules, lesquels sont peu contrôlés. Cettesituation est jugée préoccupante puisqu’unecommission parlementaire a été mise en place pourl’étudier et proposer des mesures. Une loipromulguée par le Parlement le 7 août 2001 vise àlimiter autant que possible la pollution provoquéepar un parc automobile estimé à environ un millionet demi de véhicules. La loi no 341 prévoit ainsi :

– l’interdiction d’importer des véhicules fonc-tionnant au mazout de moins de 15 places;

– l’interdiction de circulation des taxis etminibus fonctionnant au mazout depuis lemois de juillet 2002;

– la prohibition de l’essence ordinaire et lepassage à l’essence sans plomb depuis le1er juin 2002;

– le retrait de 10000 licences de taxis-services ;

– le contrôle mécanique obligatoire de toutesles voitures de plus de cinq ans, une fois l’an,depuis le 31 décembre 2001.

Mais cette loi reste insuffisante pour résoudreles problèmes de la pollution atmosphérique etdu bruit. En effet, la mesure essentielle résideraitdans l’existence d’un réseau de transport encommun performant qui permette à la majoritédes habitants de laisser leur véhicule particulierau garage.

L’Autorité organisatricedes transports

L’organisation du système des transports estd’abord l’affaire des autorités politiques du pays.Il incombe au Ministère des Travaux publics etdes Transports, qui est l’Autorité organisatrice,d’élaborer des plans d’actions permettant laconcrétisation des orientations politiques.

Il appartiendra donc à l’Autorité organisatrice dedéfinir les grandes orientations, de positionnerles réseaux de transport, d’en évaluer l’impact surl’économie, l’environnement et le développe-ment urbain et régional, d’en contrôler lesrésultats et de trouver les financements nécessairespour réaliser les infrastructures de transport.

Une Autorité de régulationest indispensable

Dans le cadre de la convention de coopérationentre l’Office des Chemins de Fer et desTransports en Commun du Liban et la RégionMidi-Pyrénées (France), un groupe d’expertslibanais et français a étudié les possibilités decréation d’une Autorité de régulation destransports en commun au Liban. Un rapportrécent (janvier 2002) présente, entre autres, lamission et les fonctions de cette Autorité.

L’Autorité de régulation des transports est unestructure technique dotée de moyens d’étudessuffisants et touchant les domaines suivants: l’urba-nisme, l’aménagement du territoire, la circulation,

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51Transport et énergie

l’économie des transports, l’organisation etl’exploitation des services, la santé et l’environne-ment, le marketing et la communication, laprévision de clientèle et la gestion des données detrafic. Elle est un organe de proposition et depréparation des dossiers. Elle a aussi une vocationd’interface avec les entreprises offrant le service.

Le rôle de l’Autorité de régulation est pri-mordial. Elle doit mettre à la disposition duMinistre des Transports, par le biais de l’Autoritéorganisatrice, tout ce qui permet:

– de décider rapidement et facilement,

– de bien connaître les besoins et leur évolution,

– de maîtriser l’évolution du système,

– de bien contrôler les entreprises.

Elle doit aussi mettre à la disposition del’entreprise de transport tout ce qui lui permetde s’organiser au mieux, de maîtriser ses coûts etd’assurer son équilibre financier.

Les transports en commun fonctionnent commeun système dans lequel chacun des élémentsn’effectue qu’une partie du service généralattendu (Schéma directeur national du transport).Par souci d’efficacité sociale et d’économie de moyens,tout le potentiel disponible (entreprises, véhi-cules, personnels) doit être mis en complé-mentarité et en cohérence.

Les orientations et décisions politiques dans ledomaine du transport, pour être opérationnelles,doivent être transcrites dans un Plan global destransports ; ce travail nécessite une compétencetechnique,des moyens particuliers et une certainesouplesse administrative dans ses interventions.

Les opérateurs se font actuellement une concurrencesauvage qui nuit à l’efficacité du service général. Lescapacités de transport mises en œuvre sontconcurrentielles plus que complémentaires. Lesopérateurs se sont montrés incapables de régulereux-mêmes leurs activités, et leur situationfinancière est délicate. Le maintien de laconcurrence actuelle est aussi dommageable pourles usagers (offre non adaptée aux besoins) ; ellepourrait le devenir pour les entreprises, et doncpour l’ensemble du système de transports (parmanque de recettes alors que la clientèle nonsatisfaite est importante).

Par ailleurs, la libre concurrence, souhaitable pourpromouvoir une bonne qualité de service, imposedes opérateurs indépendants les uns des autres.Seulun organisme neutre, donc émanant de l’État maisautonome, peut assurer un arbitrage entre lesdifférents opérateurs. De plus, face à la fragilité detoute entreprise, il est indispensable de pouvoircompter sur un organisme stable.

La mission de l’Autoritéde régulation

L’Autorité de régulation met en œuvre lesdécisions politiques relatives au secteur destransports en commun précisées dans le Schémadirecteur national du transport. Elle a unemission de régulateur.

Elle élabore le Plan global des transports,décomposable en Plans sectoriels des transports.Elle délègue la réalisation des services au moyende conventions avec les opérateurs.

Les politiques de transport urbain :le cas du Grand Beyrouth

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52 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Elle organise la coordination de tous lesprofessionnels, privés et publics, du secteur, dansdes conditions raisonnables de coût pour lacollectivité et en vue de la satisfaction des besoinsde tous les usagers.

Le Plan global des transports confronte lesbesoins en déplacements de la population (lademande) et les moyens disponibles, tant matérielsque financiers (l’offre). Il assure la cohérence entreles divers plans sectoriels, qui décrivent lesservices que doivent assurer les opérateursconventionnés.

Sa fonction de régulation

L’Autorité de régulation organiseune concurrence loyale et régulée entreles opérateurs par un système desélection contrôlé,pour assurer auxusagers un service de qualité aumeilleur prix et pour permettreaux opérateurs d’exercer leurmétier dans des conditions opti-males de rentabilité.

Elle contrôle et fait respecter lesobligations contractuelles que lesopérateurs ont acceptées enmatière de réalisation du service et de moyens àmettre en œuvre.

Elle favorise le développement de l’usage des transportsen commun par toutes mesures jugées appropriées,dans le but de faciliter la mobilité des citoyens etde diminuer le trafic général des voituresparticulières, et afin de préserver ainsi l’environ-nement (lutte contre la pollution en particulier).

Les perspectivesà moyen terme

L’expérience de la mise en œuvre du Plan detransport du Grand Beyrouth a montré la néces-sité d’aménager le système institutionnel actuelpour permettre la mise en place d’une Autoritéde régulation des transports en commun.

La Commission Parlementaire Libanaise desTravaux Publics et des Transports a approuvé, le18 avril 2002, la proposition de création d’uneAutorité de régulation des transports encommun. La transformation de l’Office desChemins de Fer et des Transports en Communen une Autorité de régulation est sérieusementenvisageable.

La Municipalité de Beyrouth devra aussi jouerun rôle important dans l’organisation destransports en commun. C’est pourquoi, dans lecadre du programme Synergie de la Commissioneuropéenne «Plan d’action régional Énergie etEnvironnement urbain dans les pays méditerra-

néens», il est envisagé de créer uneCellule de Régulation desTransports en Commun au sein dela Municipalité de Beyrouth.L’intérêt premier de cette celluleest de permettre une meilleurecoordination avec l’Autorité derégulation pour organiser aumieux le transport public afind’améliorer la circulation dans laville de Beyrouth et de réduire lapollution de l’air et les nuisancesliées au trafic routier.

Références :

Création d’une Autorité de Régulation des Transportsen Commun au Liban, rapport réalisé par laRégion Midi-Pyrénées (France) et l’Officedes Chemins de Fer et des Transports enCommun (Liban), janvier 2002.

A. MOURTADA, «Les enjeux de l’organisationdes transports urbains: analyse de l’expériencedu Grand Beyrouth», colloque La ville face auxcontraintes énergétiques et environnementales,organisé par l’IEPF, les 17, 18 et 19 septembre2001, Beyrouth (Liban).

L’expérience de la mise

en œuvre du Plan de

transport du Grand

Beyrouth a montré

la nécessité d’aménager

le système institutionnel

actuel pour permettre

la mise en place d’une

Autorité de régulation des

transports en commun.

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Martin Hotte

Martin HOTTE, coordonnateur,Équipe des changements climati-ques, Service de l’environnementet des études d’intégration aumilieu, ministère des Transportsdu Québec.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC) prévoit un réchauffement climatique important pour lesprochaines décennies. Au Québec, on anticipe une hausse moyennedes températures de 5˚C à 10˚C d’ici 2050 ainsi qu’un accroissementsans précédent des phénomènes météorologiques extrêmes.

En octobre 2000, les gouvernements du Québec et du Canadalançaient leurs plans d’actions respectifs. Le ministère desTransports du Québec (MTQ) coordonne dix mesures de réductionde gaz à effet de serre (GES) en transport du Plan d’actionquébécois 2000-2002 sur les changements climatiques (PAQCC)et assure un suivi du plan fédéral.

Le 16 décembre 2002, le gouvernement du Canada procédaitfinalement à la ratification de la Convention-cadre des Nations Uniessur les changements climatiques ou Protocole de Kyoto. L’objectifde réduction de GES du Canada est de 6 % sous le niveaud’émissions de 1990 d’ici 2008-2012. Le gouvernement du Québecappuie la mise en œuvre canadienne du Protocole de Kyoto.

L’objectif du gouvernement canadien est de conclure, d’ici la finde 2004, la négociation fédérale-provinciale relative à la mise enœuvre effective d’un plan d’action canadien de lutte auxchangements climatiques avec l’appui du Québec et des provinces.

Les changements climatiques et le Québec

Le réchauffement climatique attribuable à l’accroissement considérable desGES est un phénomène observé depuis le début de l’ère industrielle.L’utilisation massive des combustibles fossiles, charbon d’abord, puis

pétrole, gaz ensuite, est la principale cause de ce déséquilibre du climat de laplanète. En un siècle et demi, les concentrations de CO2, le principal GES, ontconnu une croissance phénoménale, passant de 275 ppm, niveau auquel ellesétaient avant 1850, à plus ou moins 360 ppm en 2000. Selon les modèlesclimatiques internationaux dont nous disposons actuellement, les concentrationsdevraient doubler d’ici 2050, ce qui les porterait à 540 ppm. C’est le scénario

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53Transport et énergie

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54 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

optimiste. Elles pourraient même tripler etatteindre 970 ppm ou quadrupler et s’éleverjusqu’à 1100 ppm, advenant l’absence de plan deréduction international de GES efficace. Lesmodèles climatiques à notre disposition ont été

conçus uniquement sur la base du scénariooptimiste (doublement du CO2). Ils ne peuventdonc nous informer sur les conséquences duscénario pessimiste, que les spécialistes appellentaussi le « scénario Bush»…

Le Québec est un des endroits où l’on émet lemoins de GES par habitant en Amérique du Nord,ce qui s’explique par la place qu’occupe chez nousl’hydroélectricité parmi les sources d’énergie.Cependant, les Nord-Américains sont parmi lesplus grands consommateurs d’énergie fossile aumonde et par conséquent les plus importantsémetteurs de GES. Les transports, l’industrie et laproduction d’énergie sont responsables de la plusgrande part de ces émissions.

Avec 5% de la population mondiale, les États-Unis sont responsables de 36% des GES émis surla planète. Le Canada, quant à lui, vient audixième rang, avec 2,3%. Les pays de l’Unioneuropéenne (CEE) comptent pour 24% desGES, l’Afrique pour 2,5% et le Moyen-Orientpour 2,6%. La Chine et l’Inde réunies, bienqu’elles comptent pour 40% de la populationmondiale, n’émettent que 11% des GES.

Historique

1827 – Première description du phénomène, par J.-B. Fournier (France).

1895 – Première analyse, par S. Arrhénius (Suède).

1873 – Fondation de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et début des premièresobservations standardisées par les services nationaux.

1957 – G. Plass (É.-U.) relance le débat sur la responsabilité de l’homme dans les changementsclimatiques ; premières mesures systématiques de CO2.

1967 – Premières prévisions sur le réchauffement climatique.

1979 – Première conférence mondiale sur le climat, organisée par l’OMM, et lancement d’unprogramme mondial de recherche.

1988 – Création du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

1992 – Première Convention-cadre sur les changements climatiques, à Rio de Janeiro ; les payssignataires s’engagent à stabiliser leurs émissions de GES au niveau de 1990 avant 2000.

1995 – Premiers plans d’action québécois et canadien de réduction des GES.

1997 – Conférence de Kyoto ; nouvel objectif de réduction des émissions de GES de 5,2% à l’échelleinternationale avant 2008-2012, pour les ramener au niveau de 1990.

2000 – Lancement des nouveaux plans d’action québécois et canadien de réduction des GES.

2001 – Signature à Bonn du Protocole de Kyoto par 178 des 189 pays de la communauté internationale,dont le Canada.

Les émissions de GES au Canada en 2000

ÉmissionsÉmissions Émissions par habitant

Provinces 1990 2000 Augmentation 2000ou territoires Mt éq CO2 Mt éq CO2 (%) (t éq CO2)

Alberta 171 223 30,4 74,1

Saskatchewan 46,9 61,8 31,8 60,5

T.N.-O. et Nunavut 1,28 1,830 43 26,8

Nouveau-Brunswick 15,9 20,2 27 26,7

Nouvelle-Écosse 19,4 21,5 10,8 22,8

Manitoba 20,3 21,4 5,4 18,7

Ontario 181 207 14,4 17,7

Yukon 0,504 0,529 5 17,3

Terre-Neuve 9,44 8,81 -6,6 16,4

Colombie-Britannique 52,7 65,9 25 16,2

Î.-P.-É. 1,96 2,15 9,7 15,6

Québec 86,1 88,3 2,3 12,3

Canada 607 726 19,6 23,6

Source : Environnement Canada et Environnement Québec.

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55Transport et énergie

Le secteur des transports et le défides changements climatiques au Québec

Les effets prévisibles deschangements climatiquesau Québec pour le XXIe siècle

Le phénomène des changements climatiquesaura des répercussions considérables sur l’en-semble des écosystèmes. Tous les secteurs del’activité humaine seront touchés à des degrésdivers. La probabilité que les changementsclimatiques aient des effets importants sur lesinfrastructures de transport est de mieux enmieux documentée.

Le «déluge » du Saguenay en 1996 et le grandverglas de 1998, qui a recouvert le sud-ouest duQuébec,ont révélé récemment la fragilité de nosinfrastructures.Les variations du niveau du Saint-Laurent et de l’Atlantique ainsi que la fréquencedes périodes de gel-dégel dans les différentesrégions du Québec vont nous affecter grande-ment, en particulier en ce qui a trait auxtransports.C’est sans compter les effets sur la santéd’un accroissement du nombre de jours de smog,en particulier dans le sud-ouest du Québec,où ilspourraient passer d’environ 5 à 50 jours par and’ici la fin du siècle. Ceci pourrait entraîner despertes considérables sur le plan économique etengendrer de graves problèmes sociaux.

Le Protocole de Kyoto

En juillet 2001, à Bonn, 178 des 189 paysmembres, à l’exclusion des États-Unis, signaientla Convention-cadre des Nations Unies sur leschangements climatiques, appelée Protocole deKyoto (1997).Le Protocole fixe, pour l’ensembledes nations participantes, des objectifs deréduction des GES de plus ou moins 6% parrapport aux niveaux d’émissions de 1990, d’ici2008-2012.Pour atteindre cet objectif, il faudraitréduire en fait les émissions canadiennes d’environ30% par année pendant les dix prochaines années.

Le Canada a ratifié le 16 décembre 2002 sonadhésion au Protocole de Kyoto et a soumis uneproposition de plan d’action afin d’atteindrel’objectif canadien de réduction des GES de 6%par rapport au niveau de 1990. Sur le planinternational, le Canada est le 99e pays à s’ajouterà la liste des nations signataires de Kyoto. Ilpermet aussi d’atteindre 41% des émissions mon-

diales totales de GES. Pour entrer en vigueur, leProtocole international de Kyoto nécessite plusde 55 pays signataires et plus de 55% desémissions mondiales de GES. L’ajout de laRussie, qui a déjà annoncé son intention deratifier Kyoto durant l’année 2003, permettraitd’atteindre 61,3% des émissions mondiales et demettre en œuvre Kyoto.

La problématique destransports dans la perspectivedu réchauffement climatique

Au Québec, le secteur des transports est leprincipal émetteur de GES. Actuellement, sacontribution est estimée à environ 38% desémissions totales et elle pourrait atteindre 45%d’ici 2021. L’augmentation la plus forte devraitse produire dans le transport des marchandises etle transport automobile.Au vu de ce diagnostic,le gouvernement du Québec devra consacrerune part importante de ses efforts à la réductiondes GES dans les transports.

Transport 38 %

Chauffage non industriel

13,5 %

Industrie 32,5 %

Agriculture 9,5 %

Déchets 6,1 %

Électricité 0,4 %

Les émissions de GESau Québec (2000)

Source : ministère de l’Environnement du Québec.

Le Québec affronte le même défi que toutes lesautres nations. Il s’agit de passer de l’èreindustrielle, où le développement était baséessentiellement sur les combustibles fossiles, àl’ère des énergies renouvelables et du dévelop-pement durable. Ce changement est déjà encours dans plusieurs secteurs, et le Québecpourrait en tirer des avantages environnementauxet économiques importants.

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L’industrie du transport au Québec repose enmajeure partie sur des secteurs autres quel’automobile. Les nouvelles technologies entransport exploiteront de plus en plus l’électricitéet l’hydrogène. Or le Québec possède unelongueur d’avance en électrotechnologie. Lepotentiel de croissance du secteur de l’électrifi-cation des transports est fort prometteur à moyenterme, que ce soit pour les trains, le tramway oule métro ; il en va de même pour le secteur desnouveaux matériaux et alliages : aluminium,magnésium, etc. Pour ce qui est de l’automobile,les manufacturiers investissent massivement dansles nouvelles technologies hybrides, de piles àcombustible ou électriques, bien qu’ils tirentl’essentiel de leur marge bénéficiaire de la ventede véhicules de plus en plus puissants eténergivores. Le gouvernement québécois étudieactuellement la possibilité d’encourager l’achatde véhicules moins polluants et entend inciter legouvernement canadien à établir des normes plussévères en matière d’efficacité énergétique.

Une attention de plus en plus grande est accordéeà la planification intégrée des transports ainsi qu’àl’aménagement du territoire et de l’environne-ment.Les récentes fusions municipales faciliterontla revitalisation des grands centres urbains. Lecadre d’aménagement et l’orientation gouverne-mentale pour la région de Montréal et le futurcadre d’aménagement de la région de Québecprévoient de nouvelles mesures pour réduirel’étalement urbain. Le gouvernement privilégiedéjà le transport en commun et le covoiturage, etessaye, dans la mesure du possible, de limiterl’utilisation de l’automobile à un seul occupantdans les milieux urbains.

Dans le transport des marchandises, il favorisel’intermodalité afin d’accroître le recours auxtransports ferroviaire et maritime,moins polluants.

Tous les enjeux devront être bien exposés à lapopulation. Les efforts en vue de modifier leshabitudes de vie seront mieux compris s’ils sontbien expliqués.Une vaste campagne de sensibili-sation permettrait de diffuser largement lesconnaissances des spécialistes sur la question.

Enfin, le gouvernement poursuivra la concer-tation avec les partenaires des différents milieuxtouchés par le défi climatique.

Les plans d’action québécoiset canadien sur leschangements climatiqueset le secteur des transports

Le Plan d’action québécois2000-2002 sur les changementsclimatiques (PAQCC)

En octobre 2000, le gouvernement du Québeclançait son plan d’action sur les changementsclimatiques.Celui-ci comporte 36 mesures visantà réduire les émissions québécoises de GES, dont12 se rapportent au secteur des transports. Ceplan est le fruit de la concertation de 12 groupesde travail interministériels, coordonnés par leComité interministériel sur les changementsclimatiques (CICC), auquel le MTQ a étéintimement associé depuis le début. Ce derniera en effet coprésidé avec le ministère del’Environnement le groupe de travail sur lestransports (GTT) durant les deux dernièresannées. Les travaux de ce groupe ont permis dedégager un certain consensus parmi lespartenaires du secteur des transports autour des36 mesures et options sectorielles pour laréduction des GES.Ces mesures ont été soumisesau CICC en août 2000 et ont ensuite été enpartie intégrées au plan d’action actuel. Le coûttotal du plan québécois est évalué à 18 millionsde dollars pour 2001-2002.

Le Plan d’action du ministèredes Transports du Québec

Le Plan d’action du Ministère sur les change-ments climatiques comporte des mesures deréduction des GES dans les transports :

– promotion et mise sur pied de «programmesemployeurs » pour le personnel des secteurspublic et privé;

– investissement majeur dans le transport encommun;

– encouragement au partage de véhicules ;

– campagne d’information et de promotion surles transports ;

– études de faisabilité sur diverses mesuresfiscales en matière de transports, une nouvelle

56 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

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57Transport et énergie

Le secteur des transports et le défides changements climatiques au Québec

formule de financement du transport encommun, la mise en place d’un programmede redevance-remise sur l’achat de véhiculeslégers neufs et sur le transport intermodalroute-rail et route-fleuve.

Le MTQ est aussi partenaire d’autres ministèresou organismes dans la mise en œuvre de septautres mesures :

– élaboration et mise en vigueur d’une directivevisant l’amélioration de 20% de l’efficacitéénergétique du parc automobile public ;

– mise sur pied d’un projet pilote de formationdes chauffeurs de camions et des exploitantsd’entreprises de camionnage;

– mise sur pied d’un programme d’inspection etd’entretien des véhicules (PIEVA) obligatoire;

– élaboration d’une politique d’aménagement duterritoire visant à réduire les GES, à laquelleseront associées les autorités municipales;

– réalisation d’un guide de sensibilisation auxpratiques d’aménagement du territoire visantla réduction des GES;

– contribution au financement de projets derecherche et développement, et de démonstra-tion, par les divers fonds ou programmesexistants, dont le Programme d’aide audéveloppement des technologies de l’énergie(PADTE);

– participation au consortium Ouranos sur laclimatologie régionale et l’adaptation auxchangements climatiques.

La mise en œuvre progressive de la plupart desmesures relevant de sa responsabilité devait êtreterminée avant le 31 mars 2003. Le potentiel deréduction des GES des mesures prévues dans leplan d’action du Ministère est estimé à 30% del’objectif fixé pour le Québec à Kyoto, lors-qu’elles auront atteint leur plein potentiel.

Le Consortium de recherchesur la modélisation régionaledu climat Ouranos

La question de l’adaptation aux effets deschangements climatiques sur les infrastructurespréoccupe de plus en plus le gouvernement duQuébec.La probabilité d’effets importants sur les

infrastructures de transport à la suite des change-ments climatiques est très bien documentée. Latempête de pluie verglaçante de 1998 et lesinondations du Saguenay, en 1996, en sont desexemples très éloquents.

Cependant, les données climatiques disponiblesactuellement sont trop générales pour êtreutilisables dans la perspective de l’adaptation desdifférentes activités stratégiques du gouvernementdu Québec aux changements climatiques.La misesur pied, au printemps 2002,du consortium Ouranossur la climatologie régionale et l’adaptation auxchangements climatiques vise justement à comblerles lacunes en la matière. Il s’agit d’un partenariatinstitutionnel regroupant plusieurs ministèresquébécois, Hydro-Québec, des universitésquébécoises et des partenaires canadiens.Ouranosréunit 125 chercheurs spécialisés dans cedomaine. Sa raison d’être est de créer un effet delevier, en regroupant les données scientifiquesindispensables aux autorités publiques qui ont àprendre des décisions en matière d’adaptation auxchangements climatiques.

Le Plan d’action 2000du gouvernement du Canadasur les changements climatiques

Il s’agit d’un plan d’action de cinq ans, qui a étéannoncé en même temps que le plan québécois,en octobre 2000. Il est le fruit d’une vasteconsultation menée auprès des gouvernementsdes provinces et des milieux socioéconomiquesconcernés. Son budget total est de 1,1 milliardde dollars canadiens pour cinq ans : 625 millionsintégrés au budget de 2000 et 500 millions àcelui de 2001. Un budget d’une centaine demillions de dollars est prévu pour cinq pro-grammes en transports :

– Efficacité des combustibles : il s’agit d’unprogramme volontaire de consommationefficace de carburant pour les véhiculesautomobiles, qui s’harmoniserait avec celui desÉtats-Unis d’ici 2010.

– Nouveaux combustibles ou Programme natio-nal sur l’éthanol de la biomasse (PNEB) :l’objectif est d’augmenter la capacité de produc-tion de l’éthanol au Canada de 750 millions delitres, soit le triple de la capacité actuelle.Grâce

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à cette mesure,environ 25% de l’approvisionne-ment total en essence au Canada pourraitcontenir 10% d’éthanol.

– Véhicules à piles à combustible : ce pro-gramme a pour objectif de concevoir uneinfrastructure de ravitaillement efficace pourles véhicules alimentés avec des piles àcombustible, qui émettent peu ou pas de GES,grâce à laquelle ces véhicules pourraientdevenir une option viable commercialement.

– Transport de marchandises : le projet vise àdévelopper l’usage des technologies et lespratiques les plus efficaces dans le transport desmarchandises : aérien, ferroviaire, maritime etroutier.

– Projet de démonstration entransport urbain: ce programmede cinq ans vise à présenter lestechnologies et stratégies entransport urbain les plus effi-caces pour réduire les émissionsde GES.

Le gouvernement canadien estimepouvoir atteindre 30% de l’objectifde Kyoto grâce à ce plan d’action.

Le Plan du Canada surles changements climatiques(version du 21 novembre 2002)

Le gouvernement du Canada avait déjà déposé,en mai 2002,une première proposition à des finsde consultation, soit le Document de discussion surla contribution du Canada à la lutte contre leschangements climatiques. Celui-ci contenait quatreoptions de réduction de GES touchant tous lessecteurs industriels et le domaine des transports.

Sur un total de 43 mesures ciblées diverses, laproposition canadienne de mai 2002 en compte15 associées au transport :

• augmentation des investissements en transporten commun;

• renouvellement du programme de démonstra-tion en transport urbain;

• augmentation du prix du stationnement dansles centres-villes de Montréal, Toronto etVancouver;

• implantation du péage sur les principalesroutes urbaines et interurbaines ;

• application plus rigoureuse des limites devitesse en vigueur à 100 km/h;

• amélioration de l’efficacité énergétique desvéhicules légers, y compris des mesures inci-tatives pour encourager l’achat de véhiculesplus efficaces et décourager l’inverse ;

• mise au rancart accélérée des véhicules légers;

• développement des technologies de l’éthanol,du biodiesel, etc.

Par la suite, le gouvernement canadien a déposédeux nouvelles versions du plan d’action sur leschangements climatiques. La dernière en titre,

celle du 21 novembre 2002,comporte des assouplissements parrapport aux versions précédentes,afin de tenir compte des revendi-cations des provinces. Elle accordeune plus large part aux objectifsvolontaires ou négociés avec lesprovinces et les partenaires.Ainsi,pour atteindre l’objectif canadiende réduction des GES de 240 mil-

lions de tonnes d’ici 2010, seul 180 des240 millions de tonnes font l’objet de proposi-tions définitives. Par ailleurs, les sommesaccordées à ce plan devraient être annoncées dansle prochain budget fédéral en février 2003.Enfin,le contenu définitif du plan canadien se préciserasuivant la conclusion du processus fédéral-provincial de négociation devant se terminer à lafin de 2004.

Les défis du secteur des transportsau Québec pour le XXIe siècle

La plupart des actions prévues dans le Pland’action québécois 2000-2002 sur les changementsclimatiques et le Plan d’action ministériel 2000-2002sur les changements climatiques sont bienamorcées et devraient porter leurs fruits d’iciquelques années. Elles sont un premier pas dansla bonne direction, mais sont loin de constituerune solution définitive. Elles ne permettront pasà elles seules d’atteindre l’objectif du Protocolede Kyoto dans les transports au Québec.

58 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Le contenu définitif du

plan canadien se précisera

suivant la conclusion

du processus fédéral-

provincial de négociation

devant se terminer

à la fin de 2004.

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59Transport et énergie

Le secteur des transports et le défides changements climatiques au Québec

D’autre part, le ministère des Transports duQuébec assure le suivi de la mise en place desmesures canadiennes de réduction des GES dansles transports afin d’en maximiser les retombéesau Québec. Il participe aussi avec ses partenairesaux discussions devant conduire à l’établissementdu cadre de gestion canadien des objectifs deréduction des GES prévus par le Protocole deKyoto. Ce processus, qui doit se conclure d’ici lafin de 2004, devrait permettre d’établir l’objectifprécis de réduction des GES dans les transportsau Québec. Le gouvernement du Québec aorganisé, du 18 au 20 février 2003, un débatpublic sur la mise en œuvre du Protocole deKyoto au Québec.

Pour limiter la croissance des émissions mon-diales à deux fois les niveaux de CO2 actuels d’ici2050, il nous faudrait dix autres Protocoles deKyoto ou un tous les cinq ans. Pour relever ledéfi, les autorités publiques devront travailler surplusieurs fronts :

1. poursuite des efforts de réduction des GESdans les transports prévus dans le cadre desplans d’action actuels et de la future stratégiede lutte contre les changements climatiques ;

2. proposition de nouvelles mesures de réductiondes GES dans les transports qui pourraient êtreincluses dans les futurs plans d’actiongouvernementaux et ministériels ;

3. participation aux recherches sur les effets deschangements climatiques sur les activitésstratégiques et les infrastructures de transport,et sur l’adaptation à ces changements afind’être en mesure de revoir les normes deconstruction et d’entretien, et de prévoir lescoûts liés aux adaptations nécessaires.

Bibliographie

David MALAKOFF, «Climate Change:ThirtyKyotos Needed to Control Warming»,RevueScience, vol. 278, 19 décembre 1997.

Plan d’action québécois 2000-2002 sur les change-ments climatiques, gouvernement du Québec,octobre 2000, 42 p.

Plan d’action ministériel 2000-2002 sur les change-ments climatiques, ministère des Transports duQuébec, janvier 2001.

Plan d’action 2000 du gouvernement du Canada surles changements climatiques, gouvernement duCanada, octobre 2000, 16 p.

Plan du Canada sur les changements climatiques,gouvernement du Canada, 21 novembre2002, 70 p.

Impact, adaptation et vulnérabilité,Groupe d’expertsintergouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC), février 2001, 56 p.

Problématique des transports et des changements climatiquesau Québec,Groupe de travail sur les transports duMécanisme québécois sur les changementsclimatiques, novembre 1999, 146 p.

Les options pour la réduction des émissions de gaz àeffet de serre (GES) dans les transports au Québec,Groupe de travail sur les transports du Comitéinterministériel québécois sur les changementsclimatiques, août 2000, 158 p.

Document d’information, mars 2001.Atelier de laconférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l’Est duCanada sur le changement climatique et lesnouvelles orientations pour le nord-est.

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Jacques SAINT-MARC, Écono-miste et Urbaniste, Universitésde Paris. De 1992 à 1994, il a étéconseiller «Transports et Dépla-cements » de la présidence del’Ademe (Agence de l’environne-ment et de la maîtrise de l’éner-gie, à temps partiel). Depuis1993, il est Secrétaire général dugroupe interministériel «Mobili-tés et Véhicules Électriques».

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Des aides financières et fiscales. Des modifications au code de la route, àla copropriété ou à la construction. En France, l’État engage unepolitique d’ensemble pour trouver de nouvelles solutions à la mobilité

urbaine avec, comme outil, des véhicules à motorisation électrique.Un systèmequi invite au changement de comportement des citoyens dans leursdéplacements en ville, à de nouvelles pratiques pour les socioprofessionnels quilivrent biens et services.

Liaison Énergie-Francophonie: Quelles sont les mesures prises parl’État pour le développement de la solution véhicules électriques etles nouveaux services de mobilité?

Jacques SAINT-MARC: Elles sont de trois ordres : financier, fiscal etréglementaire.Ainsi, en France, l’État accorde une aide de 3050€1 pour l’achatd’une voiture ou d’une camionnette électrique. Le prix facial de ce type devéhicules vient ainsi de baisser de 25%! De même pour les scooters, une aidede 510€ permet aux jeunes de découvrir un véhicule sans bruit, sans pollutionet très agréable à conduire. Ces aides sont versées par l’ADEME2.

La création de lignes d’autobus électriques est aidée dans le cadre des politiquesde plans de déplacements urbains. Électricité de France apporte également sonconcours financier et technique.

Les aides fiscales visent, elles, à inciter encore plus fortement l’utilisation, enville, de véhicules électriques (ou peu polluants) par les entreprises, lescommerçants et les artisans.Tous ces professionnels peuvent ainsi amortirexceptionnellement sur douze mois, au lieu de cinq ans, les véhicules, lesbatteries et les systèmes de charge, et ce, pour tout type de véhicules : voitures,camionnettes et scooters.

Les voitures de tourisme acquises par les sociétés sont exonérées de la taxe surles véhicules de sociétés (T.V.T.S.), soit une économie de 1130€ par an.

D’autres mesures fiscales sont laissées à l’initiative de nos départements etrégions. Des conseils généraux ont décidé l’exonération totale ou partielle dela taxe départementale. Et il en est de même pour les régions.

LLaa ppoolliittiiqquuee nnaattiioonnaalleeddee ddéévveellooppppeemmeenntt ddee nnoouuvveeaauuxx sseerrvviicceessddee mmoobbiilliittéé uurrbbaaiinnee eenn FFrraanncceeInterview de Jacques SAINT-MARC, Secrétaire général du Groupe Interministériel «Mobilités et VéhiculesÉlectriques», rencontré lors du Forum «Mobilités et Transports Avancés» organisé par Marc Gascon,Maire de Saint-Jérome, et Claude Moreau, vice-président de la région Poitou-Charentes.

1. Cette aide est portée à 3810€ lorsque l’acquisition s’accompagne de la destruction d’unvéhicule immatriculé avant le 1er janvier 1993, c’est-à-dire ne répondant plus aux premièresnormes européennes en matière de pollution.

2. Agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie.

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61Transport et énergie

LEF: À côté de ces aides financières oufiscales, quelles mesures les pouvoirs publicsprennent-ils pour favoriser le développementdu système «véhicules électriques»?

JSM: Des mesures réglementaires pour inciter etfaciliter l’utilisation : le code de la route a étécomplété pour permettre aux maires de privilégierla circulation et le stationnement des véhicules peupolluants ou électriques. Certaines villes commeNice, Paris ou La Rochelle ont ainsi institué lagratuité du stationnement pour ce type devéhicules. Ce qui correspond à un réel avantagepour les différentes professions qui doivent utiliserun véhicule pour exercer leur activité.

Autre objectif : mettre à disposition une prise decharge – une simple prise domestique deréfrigérateur3 – là où stationnent les usagers. Leurvéhicule fera le plein tout seul pendant qu’ilsvaqueront à leurs occupations.Le brancher prendune trentaine de secondes.

Aussi, le code qui régit les immeubles encopropriété a été actualisé.Cela va permettre auxassemblées de copropriétaires, dansle résidentiel comme dans lecommercial ou les bureaux,d’équiper de prises 16 ampères lesplaces de stationnement. Le codede la construction a lui aussi étéactualisé pour prévoir l’installationde telles prises sur les places destationnement des bâtiments àconstruire.

Des mesures réglementaires égale-ment pour initialiser les marchés etrespecter nos engagements inter-nationaux en matière d’effet de serre. C’est le sensde l’inscription dans le code de la route del’obligation de 20% de ce type de véhicules dans lesparcs des administrations, des collectivitésterritoriales et des sociétés nationales.

LEF: Ces mesures facilitent-elles le déve-loppement des véhicules électriques?

JSM: Depuis janvier 1996,bien des mesures ont étéprises à la lumière des enseignements tirés del’utilisation des premiers milliers de véhicules de sérieen circulation. N’a-t-il pas fallu plusieurs dizainesd’années pour mettre en place le système équivalentpour les véhicules à motorisation thermique?

L’État travaille en partenariat avec EDF, lesconstructeurs automobiles et les municipalitéspour installer ce système «véhicules électriques»dont les qualités urbaines sont incontestées :propreté, silence, fiabilité, sécurité. D’uneconduite aisée et agréable, le véhicule àmotorisation électrique est aussi d’un apportessentiel à la sécurité routière.

LEF: En quoi consiste le système «voitureen temps partagé»?

JSM: Selon les résultats d’enquêtes européennes,plus de la moitié de nos concitoyens effectuentmoins de vingt, voire quinze, kilomètres par jour,soit trois à quatre «sauts de puces» au cours de lajournée!

Pourquoi alors ne pas proposer pour cesdéplacements, nombreux et très courts, unsystème «voiture temps partagé », en continuitédes transports en commun, avec la mêmebilletique, la même carte d’accès ? En clair, aveccette seule carte, vous pourrez payer et prendre letrain, le métro, le tram, le bus et utiliser une

voiture, une camionnette ou unscooter électrique, ou un vélo –électrique ou pas – pour un quartd’heure ou deux heures. Vouspourrez utiliser plusieurs modes delocomotion tout au long d’un trajetavec le même billet, la même carte.Les spécialistes nomment cettecommodité « intermodalité».

Le même véhicule est utilisé ainsiplusieurs fois par jour par diffé-rentes personnes, comme lepropose le service Liselec à

La Rochelle. Les réactions des premiers utili-sateurs sont encourageantes; ils disposent ainsi dela souplesse d’utilisation d’une voiture et d’unecamionnette sans en avoir la propriété. À LaRochelle, donc, 500 personnes utilisent 50 voi-tures en temps partagé. C’est déjà un beaurésultat.C’est là une façon concrète et commodede concilier liberté de se déplacer et droit demieux respirer. C’est là une façon concrète delibérer les rues, les places et les avenues de nosvilles de voitures qui restent plus de trois quartsdu temps immobiles en stationnement, stérilisantun espace public nécessaire à la vie de la cité.

La politique nationale de développementde nouveaux services de mobilité urbaine en France

L’État travaille

en partenariat avec EDF,

les constructeurs

automobiles et

les municipalités pour

installer ce système

«véhicules électriques »

dont les qualités urbaines

sont incontestées.

3. Soit, en France, 230 volts et 16 ampères.

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Autre axe de développement en cours : lessystèmes de livraison mettant à profit descamionnettes électriques qui vont, aux portes dela ville, à la rencontre des poids lourds et lesdélestent de leurs colis de petite taille. Leschauffeurs de camion ne connaissent pas forcé-ment bien les nombreuses rues de toutes les villeset « tournent » souvent en gênant le flux decirculation. Ils trouvent difficilement une placede stationnement pour décharger, ce qui vientgêner encore plus la circulation.

Les chauffeurs des camionnettes non seulementconnaissent parfaitement la ville mais peuventorganiser leur livraison avec les commerçants etartisans. La livraison s’en trouve simplifiée, lacirculation fluidifiée.

LEF: Comment jugez-vous le développe-ment des véhicules électriques?

JSM: Depuis 1996, 8000 voitures et camion-nettes, quelque 2500 scooters, 50 autobus, desbennes à ordures et autres engins de voirie àmotorisation électrique ont été mis en circulation(à côté des tramways).

La France est ainsi – sans doute – le premier paysutilisateur de véhicules électriques de série. Pourles constructeurs Citroën, Peugeot et Renault,c’est un incontestable avantage sur le plan desenseignements technologiques qui révèlent unvéhicule fiable, bien adapté à la circulation enville (un véhicule électrique ne consommeaucune énergie quand il est immobilisé à un feurouge ou dans le trafic). Ces enseignementstechnologiques sont également au profit desfabricants des nouveaux équipements : batteries,électronique de commandes et de gestion,moteurs, connectique.Pour les responsables de lagestion urbaine, c’est la possibilité d’offrir uneréelle solution de remplacement pour luttercontre la pollution de l’air mais aussi celle des solset des eaux, contre le bruit, contre les accidents4.

Ainsi, chaque fois qu’une entreprise ou unecollectivité (après une nécessaire période dedécouverte et d’apprentissage des conditionsd’usage de ce nouveau type de véhicules), meten place une stratégie de diffusion de cesvéhicules, celle-ci va bon train. La Poste, aprèsavoir testé 30 véhicules électriques en 1996 et

1997, en possède aujourd’hui 600, qui assurent lacollecte et la distribution dans plusieurs dizainesde villes. Les postiers en sont très satisfaits et sontfiers de contribuer à un développementtechnologique qui témoigne du dynamisme deLa Poste, de sa participation concrète à l’enjeucollectif du développement durable. Des villescomme Bordeaux, La Rochelle et Paris enpossèdent plusieurs centaines.

Bien adaptés aux missions quotidiennes, lesvéhicules électriques trouvent rapidement leurpertinence au sein d’une flotte urbaine.Et les chefsde parcs les adoptent car outre les économiesd’énergie, ils sont moins «accidentogènes», doncentraînent moins de réparations,moins d’immobi-lisation et une meilleure prime d’assurance!

Quant à la location longue durée, ou en libreservice, elle ouvre des perspectives de service, dedéplacement ou de livraison totalement diffé-rentes de notre pratique actuelle, peu soutenablequand on l’examine sur le plan énergétique.

Rêvons d’un nouveau service : avec la même« smart carte » j’ai accès aux transports encommun, à une voiture en temps partagé pourmes déplacements quotidiens et à un véhicule« long courrier » pour les déplacements de plusde 150 km. Ce rêve est déjà dans les cartons detous ceux qui sont conscients de la nécessaire etinévitable conciliation entre déplacementsmotorisés et respect de l’environnement.

Les développements très actifs, dans tous les pays,des recherches sur les nouvelles générations debatteries, qui débouchent sur une autonomie de250 km, permettent de construire un monde dudéplacement et de la livraison à base de moteursélectriques pour les courtes et moyennesdistances, pour tout ce qui est de l’ordre duquotidien. L’industrie de l’automobile – vélo,scooter, voiture, camion, autobus, tramway – auraà sa disposition deux types de motorisation quilui permettront de continuer son développementen intégrant totalement cette notion,maintenantincontournable,du développement durable.Et cesnouveaux services de déplacements apporterontune solution à la congestion de nos villes qui estune source « inépuisable » de gaspillage éner-gétique, qu’elle soit thermique ou électrique!

4. De nombreuses villes, en France comme en Italie,prennent des dispositions interdisant l’utilisation devéhicules à moteur thermique dans les centres-villes.

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OACI

L’Organisation de l’aviation civileinternationale (OACI) est l’institu-tion spécialisée des NationsUnies créée pour promouvoir ledéveloppement sûr et ordonnéde l’aviation civile dans lemonde. Elle établit les normes etrègles internationales nécessairesà la sécurité, à la sûreté, àl’efficacité et à la régularité dutransport aérien. Elle est en outrel’instrument de coopérationentre ses 188 États contractantsdans tous les domaines de l’avia-tion civile.

Le transport aérien mondial est un moteur du développementéconomique, un catalyseur des affaires et du tourisme, et unvéhicule du développement social et culturel à travers le monde.Toutefois, comme plusieurs autres secteurs d’activité économique,il soulève des questions liées à l’environnement. Cet article revoitla stratégie adoptée par l’Organisation de l’aviation civileinternationale (OACI) en matière de protection de l’environnement,de concert avec la communauté de l’aviation civile.

Le contexte

La croissance du transport aérien

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le transport aérien a connu unecroissance soutenue, au rythme de celle de l’économie mondiale et del’évolution des technologies de l’aéronautique.

Par exemple, le trafic des vols intérieurs et internationaux réguliers est passé de27 millions de passagers en 1947 à plus de 1,6 milliard en 2002. Environ 40%,en valeur, des biens produits dans le monde sont transportés par fret aérien.Onprévoit un taux de croissance annuel à long terme de 4,3% pour le trafic depassagers mondial, alors que celui du fret sera légèrement supérieur.

Ces prévisions varieront selon les moyens adoptés pour faire face aux défis quedoit affronter l’industrie, tels la congestion des espaces aériens et des aéroports,les questions liées à l’environnement, les besoins d’investissements en capitauxcroissants et le prix du carburant. La forme et la taille que prendra l’industrieseront aussi touchées par les décisions gouvernementales, surtout celles relativesà la nature et à l’étendue de la réglementation économique des compagniesaériennes. Et, bien sûr, l’absence d’atteintes majeures à la sûreté, telle celle du11 septembre 2001 aux États-Unis.

L’environnement et l’aviation civile : un défi de taille

Le défi que doit relever l’aviation civile, en matière de protection del’environnement, touche le bruit des avions et l’impact des émissions desmoteurs, tant au sol que dans l’espace aérien. L’OACI a pour mandatd’intervenir dans ces deux secteurs à l’échelle mondiale.

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63Transport et énergie

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64 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 58

Ce travail est effectué essentiellement par leComité de la protection de l’environnement enaviation (CAEP), qui se rapporte au Conseil del’OACI.Le CAEP rassemble des experts des Étatscontractants et des observateurs d’organismesinternationaux, y compris des représentants del’industrie et d’entités environnementales. LeCAEP et les comités qui l’ont précédé se penchentsur les questions environnementales depuis 35 ans.

Le bruit des avions

La problématique

La perception du niveau sonore chez l’humainest attribuable à certains facteurs, dont l’intensité,les caractéristiques propres aux fréquences et ladurée d’exposition.Alors que le bruit du traficroutier et industriel est variable mais continu, lebruit des avions est composé d’une série d’évé-nements correspondant aux mouvements desappareils (décollages et atterrissages).

Il existe plusieurs méthodes de mesured’exposition au bruit tenant compte d’élémentsdivers, tels le nombre d’avions, leurs niveaux debruit respectifs et l’heure (le jour ou la nuit) deleurs mouvements. S’il est difficile de quantifierce bruit à l’échelle de la planète, certaines donnéesrécentes,basées sur un nouvel outil d’analyse dontse sert l’OACI, sont maintenant disponibles.

On estime à 30 millions le nombre de personnesexposées à des niveaux de bruit que plusieursÉtats qualifient de nuisance.Trois millions d’entreelles sont exposées à des niveaux plus élevés, quifont l’objet de mesures pour en atténuer l’impact.

Un résumé des effets du bruit des avions auxÉtats-Unis, pays détenant la plus grande part dumarché du transport aérien au monde, cite lemécontentement comme facteur principal.Certaines personnes, au sein d’une communautéquelconque, seront plus mécontentes qued’autres relativement au bruit, ce qui rendd’autant plus difficile la tâche de mesurer une« réaction communautaire ». L’interruption dusommeil ou de conversations est aussi souventcitée par des gens habitant près des aéroportscomme un facteur important, tandis que lestroubles auditifs sont rarement le résultat d’uneexposition au bruit des avions.

Le bruit des avions constitue pourtant unproblème majeur, qui ralentit la croissance dutransport aérien. Le Conseil international desaéroports (ACI), organisme qui représente lesinstallations aéroportuaires à l’échelle mondiale,s’est souvent prononcé sur ce point. «L’énormedifficulté associée à la construction de nouveauxaéroports, à l’élargissement d’installations exis-tantes et à l’élaboration des grilles horaires desvols, surtout la nuit, découle principalement dela pression exercée par les groupes communau-taires opposés au bruit des avions dans lesaéroports. »

Les mesures de réduction

Le concept d’une « approche équilibrée de lagestion du bruit» a été entériné par la 33e sessionde l’Assemblée de l’OACI à l’automne 2001. Ilfait appel à quatre éléments distincts, à savoir laréduction du bruit à la source (appareils plussilencieux), les restrictions d’exploitation, lesprocédures opérationnelles à moindre bruit et lagestion de l’utilisation des sols.

La réduction du bruit à la source

La majorité des actions entreprises à l’égard dubruit des avions ont porté sur la réduction dubruit à la source. C’est en 1971 que le premiervolume de l’Annexe 16 à la Convention relativeà l’Aviation civile internationale (la charte del’OACI), intitulé Bruit des aéronefs, a été entériné.Il comprend les normes liées à la certificationacoustique des aéronefs, des avions à réactionsubsoniques, des avions à hélices de petite etgrande taille et des hélicoptères. Il comprendaussi les descriptions et méthodes de mesure dubruit des appareils.

Le 2e chapitre de l’Annexe renferme les normesliées aux avions à réaction construits avant 1977,alors que le 3e chapitre présente les normes, plusexigeantes, liées aux avions d’après cette date.Quant au 4e chapitre, il expose une nouvellenorme de bruit, inférieure de 10 décibels au totalcumulatif spécifié au chapitre 3, adoptée en 2002et devant entrer en vigueur le 1er janvier 2006.

Les restrictions d’exploitation

Alors que les niveaux de bruit dans les aéroportsont diminué de façon constante grâce aux

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65Transport et énergie

nouveaux appareils, plus silencieux, le bruitdemeure un problème important, surtout dans lespays industrialisés.Ainsi, plusieurs États jugentnécessaire l’adoption de restrictions d’exploitationdes avions plus bruyants. Au début des années1980, on a mis l’accent sur les appareils plusanciens, par exemple le Boeing 707 et leMcDonnell Douglas DC-8. Plus tard, on s’esttourné vers les avions qui respectaient les normesdu chapitre 2, mais non celles du chapitre 3, parexemple les Boeing 727 et les premiers Boeing737 et McDonnell Douglas DC-9.

Bien qu’elles soient avantageuses pour ce qui atrait au bruit, les restrictions d’exploitationpeuvent avoir un impact économique considé-rable sur les compagnies aériennes, surtout dansles pays en développement. Faute de pouvoirchanger les routes des avions plus bruyants, lescompagnies aériennes doivent soit les remplacerpar des appareils plus modernes ou en rendre lesmoteurs plus silencieux à l’aide de hush-kits.Dansun cas comme dans l’autre, l’OACI joue un rôleprimordial dans l’élaboration d’une approchemondiale de l’introduction de restrictionsd’exploitation.

En ce qui a trait aux avions du chapitre 2,l’Assemblée de l’OACI, lors de sa sessionextraordinaire d’octobre 1990, a adopté àl’unanimité une résolution sur les restrictionsd’exploitation visant à équilibrer les intérêts despays en développement et ceux des paysindustrialisés. La résolution permettait aux Étatsd’amorcer le retrait graduel des avions duchapitre 2 dès le 1er avril 1995, avec pour datebutoir le 31 mars 2002 pour un retrait complet.

Depuis quelque temps, les gouvernements seconcentrent sur le remplacement des avions duchapitre 2 par des appareils du chapitre 3. Ons’inquiète toutefois de la croissance rapide del’industrie, qui pourrait entraîner une nouvelleaugmentation des niveaux de bruit. Les mesuresà prendre pour résoudre ces questions sont àl’étude à l’OACI.

Les procédures opérationnelles

Bien que les principaux moyens utilisés pourréduire le bruit à la source aient été dans ledomaine de la certification acoustique ou des

restrictions d’exploitation, d’autres mesures ontété prises pour atténuer l’impact du bruit sur lescommunautés voisines des aéroports, notammentl’exploitation à moindre bruit. Il y a plusieursfaçons d’y arriver. On choisira les procéduresappropriées selon la disposition physique etl’emplacement de l’aéroport, la sécurité de-meurant prioritaire.

L’OACI a élaboré des procédures opérationnellespour le décollage et la première montée enfonction du minimum de bruit au sol. Cesprocédures, ou d’autres propres à la situationlocale, sont utilisées dans plusieurs aéroports. Denouvelles procédures de décollage à moindrebruit sont à l’étude au CAEP.

Lors du décollage et de l’atterrissage dans deszones à population élevée, les compagniesaériennes se voient souvent attribuer prioritaire-ment l’usage de certaines pistes. Il arrive parfoisqu’un aéroport déclare une piste à sens unique oune s’en serve que pour le décollage et l’atterris-sage. La rotation dans l’utilisation des pistes, demême que des limites dans le recours auxrenverseurs de poussée contribuent aussi à laréduction du bruit dans les aéroports.

La gestion de l’utilisation des sols

La gestion de l’utilisation des sols peut s’avérerun moyen efficace de s’assurer que les activitésdes aéroports soient compatibles avec l’aviation.L’objectif principal est de réduire le plus possiblele nombre de personnes touchées par le bruit aumoyen de zones réservées à proximité desaéroports. Une bonne planification de l’utilisa-tion des sols assure que les bienfaits de la nouvellegénération d’avions ne seront pas perdus dans undéveloppement résidentiel qui se ferait trop prèsdes aéroports.

L’OACI fournit des orientations en matière degestion de l’utilisation des sols, y compris uncertain nombre d’outils servant à réduire auminimum l’incidence du bruit des avions près desaéroports.Par ailleurs, l’Organisation énumère lesméthodes de gestion et de contrôle de l’utilisationdes sols que privilégient plusieurs États.

Le transport aérien et l’environnement

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Les émissions des moteursd’avions

La problématique

Les émissions produites par les avions ont uneparticularité qui les distingue des émissions d’autrescombustibles : elles surviennent en altitude. Cecisoulève d’importantes questions liées à leur impactsur la qualité de l’air à l’échelle de la planète.

C’est en 1999, à la demande de l’OACI, qu’estpréparé le Rapport spécial sur l’aviation et l’atmo-sphère planétaire1 l’examen le plus complet menéà ce jour par le Groupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat (IPCC). Il viseparticulièrement l’industrie aéronautique, lesspécialistes de l’environnement et les instancesréglementaires.

Le rapport établit le bilan de nos connaissancesen matière d’appauvrissement de la couched’ozone.Tout laisse croire que les émissions duparc aérien subsonique actuel ne font pasproblème, mais qu’il pourrait en être autrementsi le parc comptait un grand nombre d’appareilssupersoniques.

La croissance prévue de l’industrie du transportaérien soulève certaines inquiétudes quant auxchangements climatiques et à la qualité de l’air.

Bien que les améliorations technologiques aientcontribué au ralentissement du taux de croissancedes émissions et que cette tendance soitsusceptible de se poursuivre, les émissions, defaçon globale, continueront à augmenter.

Les mesures de réduction

Le rapport de l’IPCC mentionne des moyenspour limiter les émissions des moteurs d’avions,dont des modifications dans la conception desappareils et des moteurs, le carburant, lesprocédures opérationnelles ainsi que des mesuresréglementaires et économiques. Cela dit, lerapport de l’IPCC souligne que certains facteursclés influenceront le rythme auquel les progrèstechnologiques et les politiques pourrontcontribuer à la réduction des émissions, à savoirla sécurité aérienne, les rendements opérationnelset environnementaux, les coûts et l’âge moyen desappareils, qui se situe entre 25 et 35 ans.

Le Protocole de Kyoto à la Convention-cadredes Nations Unies sur les changements clima-tiques est l’instrument qui établit les normesnationales des émissions de gaz à effet de serre.Ainsi, les objectifs visés sont à l’échelle nationale,et non internationale. L’article 2 du Protocole deKyoto confie aux États contractants de l’OACI,par le biais de l’Organisation, la responsabilité delimiter ou réduire les émissions.

Ceci a dynamisé le travail du CAEP dans ledomaine des émissions.Ce travail se divise en troisdomaines : normes et technologie, mesuresopérationnelles, et mesures fondées sur le marché.

Normes et technologie

Les normes actuelles de l’OACI, relatives audocument de certification-émissions, sontcontenues dans le volume II de l’Annexe 16. Lanorme pour les oxydes d’azote (NOx), pré-curseurs de la couche d’ozone, est cruciale.Auniveau du sol, l’ozone fait partie de la composi-tion du smog, alors qu’en altitude il devient ungaz à effet de serre.La norme pour les NOx a étéadoptée, pour la première fois, en 1981 et a étérendue plus sévère en 1993, au moment oùl’OACI diminuait de 20% les restrictionspermises pour les appareils à certification récente,avec comme date limite le 31 décembre 1999.En1998, le CAEP proposait un autre resserrement

1. Un résumé du rapport (Special Report on Aviation andthe Global Atmosphere) est publié dans les six languesofficielles des Nations Unies – anglais, arabe, chinois,espagnol, français, russe.Voir le site web www.ipcc.ch.

Aéroport de Zaventem (Belgique).Photo: Médiathèque Commission européenne

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d’environ 16% pour les appareils à certificationrécente, avec pour date limite le 31 décembre2003.Cette recommandation a été entérinée parle Conseil de l’OACI en février 1999.

Le CAEP s’intéresse aussi aux aspects techno-logiques de la conception des moteurs et descellules, dans la mesure où ils peuvent contribuerà la réduction des émissions.

Les mesures opérationnelles

L’OACI cherche à savoir comment les mesuresopérationnelles peuvent réduire les émissions degaz à effet de serre. Un moyen est la mise enœuvre de systèmes CNS/ATM (communica-tions, navigation, surveillance et gestion de traficaérien), qui permettront des vols plus directs etengendreront ainsi des diminutions de consom-mation de carburant et d’émissions. Un autremoyen est l’apport d’orientations destinées auxÉtats et à la communauté aéronautique quant auxoptions opérationnelles pouvant favoriser laréduction d’émissions. Un guide pratique en cesens sera bientôt disponible.

Les mesures fondées sur le marché

Le plus récent rapport du CAEP au Conseil del’OACI précise des options concernant l’utilisa-tion de mesures fondées sur le marché pour lalimitation ou la réduction des émissions. Il ressortdes analyses réalisées par le CAEP qu’un systèmeouvert d’échange de droits d’émissions constitueune mesure économique et efficace pour la

réduction ou la limitation à long terme desémissions de gaz carbonique provenant del’aviation civile.

À court terme les mesures volontaires pourraientconstituer un pas vers des mesures futures visantà réduire davantage les émissions. Des étudescomplémentaires et d’autres éléments d’orienta-tion sont nécessaires pour l’utilisation desprélèvements à court terme.

L’Assemblée, à sa 33e session, a d’ailleurs demandéau Conseil de poursuivre l’élaboration d’orienta-tions sur l’application de mesures fondées sur lemarché destinées aux États et visant à réduire ouà limiter les incidences environnementales desémissions des moteurs d’avions.

Perspectives

Les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont provoqué une chute du trafic aérien,avec une réduction correspondante du bruit etdes émissions des avions,particulièrement dans leszones très sensibles à ces nuisances.Au fur et àmesure que les passagers reprendront confianceet que le trafic recommencera à croître, lesquestions environnementales représenteront desdéfis de plus en plus importants. L’OACI et tousles acteurs de l’industrie du transport aérienmondial devront remplir leurs obligations àl’égard des citoyens du monde entier et fournirun système de transport aérien sûr, efficace etrespectueux de l’environnement.

Le transport aérien et l’environnement

Piste d’atterrissage,aéroport de Zaventem(Belgique).Photo: MédiathèqueCommission européenne

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