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ASTER N° 39. 2004. Nouveaux dispositifs, nouvelles rencontres avec les connaissances INRP – ASTER – Place du Pentacle – BP 17 – 69195 Saint-Fons cedex FAIRE DES SCIENCES DANS LE CADRE D’UNE COMMUNAUTÉ VIRTUELLE ÉDUCATIVE : DEVENIR APPRENTI – CHERCHEUR Didier Moreau Béatrice Lesterlin Solange Beauchesne 1. INTRODUCTION Dans le reproche universellement adressé à l’enseignement classique des sciences à l’école apparaît en premier lieu que n’a de scientifique, au mieux, que la rigueur que déploie l’enseignant pour organiser un dispositif didactique mais que du côté des apprentissages, rien n’est sollicité de ce qui cons- titue l’essence même de l’esprit scientifique : de la faculté de se poser des questions et de réfuter les réponses immédiates, de savoir inventer des modèles interprétatifs, de construire des schèmes explicatifs par le moyen de la communication au sein d’une communauté orientée vers le même but. Si l’on peut dire que l’enseignement des sciences a fortement bougé sur le plan du questionnement et de la démarche expérimen- tale, c’est parce que la recherche didactique a fait sur ce point des avancées déterminantes. En revanche, l’autre plan celui qui concerne le développe- ment de l’interprétation créatrice permettant aux élèves de développer des modèles interprétatifs et supposant dès l’abord une mise en communauté plutôt qu’une mise en Comment aider les élèves à devenir apprentis-chercheurs lors de leurs acti- vités scientifiques ? Ce travail examine les organisations pédagogiques inno- vantes que sont les communautés éducatives virtuelles, à travers l’exemple du Monde de Darwin initié par Michel Aubé de l’université de Sherbrooke. Une présentation du dispositif en cerne les intérêts didactiques et pédagogi- ques qui sont discutés dans une analyse détaillée, en termes d’apprentis- sages des élèves, relativement à un cadre socioconstructiviste dans une perspective de pédagogie du projet-élèves. Cependant, la dimension la plus novatrice est portée par le socle épistémologique des communautés éduca- tives virtuelles scientifiques, qui est identifié à travers le pragmaticisme de Charles Peirce. Cette base s’articule selon trois théories : la communauté illi- mitée de chercheurs, la fonction de l’abduction et l’interprétation de la séren- dipité. Toutes trois concourent à expliciter un nouveau groupe de compétences qui permettent aux élèves de devenir apprentis-chercheurs. Le rôle des communautés éducatives virtuelles est alors défini sur un plan éthique qui rejoint l’horizon de la « quête désintéressée » dans la recherche scientifique. l’enseignement des sciences doit s’intéresser…

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ASTER N° 39. 2004. Nouveaux dispositifs, nouvelles rencontres avec les connaissancesINRP – ASTER – Place du Pentacle – BP 17 – 69195 Saint-Fons cedex

FAIRE DES SCIENCES DANS LE CADRE D’UNE COMMUNAUTÉ VIRTUELLE ÉDUCATIVE :

DEVENIR APPRENTI – CHERCHEUR

Didier MoreauBéatrice LesterlinSolange Beauchesne

1. INTRODUCTION

Dans le reproche universellement adressé à l’enseignementclassique des sciences à l’école apparaît en premier lieu quen’a de scientifique, au mieux, que la rigueur que déploiel’enseignant pour organiser un dispositif didactique mais quedu côté des apprentissages, rien n’est sollicité de ce qui cons-titue l’essence même de l’esprit scientifique : de la faculté dese poser des questions et de réfuter les réponses immédiates,de savoir inventer des modèles interprétatifs, de construiredes schèmes explicatifs par le moyen de la communication ausein d’une communauté orientée vers le même but. Si l’onpeut dire que l’enseignement des sciences a fortement bougésur le plan du questionnement et de la démarche expérimen-tale, c’est parce que la recherche didactique a fait sur ce pointdes avancées déterminantes.

En revanche, l’autre plan – celui qui concerne le développe-ment de l’interprétation créatrice permettant aux élèves dedévelopper des modèles interprétatifs et supposant dèsl’abord une mise en communauté plutôt qu’une mise en

Comment aider les élèves à devenir apprentis-chercheurs lors de leurs acti-vités scientifiques ? Ce travail examine les organisations pédagogiques inno-vantes que sont les communautés éducatives virtuelles, à travers l’exempledu Monde de Darwin initié par Michel Aubé de l’université de Sherbrooke.Une présentation du dispositif en cerne les intérêts didactiques et pédagogi-ques qui sont discutés dans une analyse détaillée, en termes d’apprentis-sages des élèves, relativement à un cadre socioconstructiviste dans uneperspective de pédagogie du projet-élèves. Cependant, la dimension la plusnovatrice est portée par le socle épistémologique des communautés éduca-tives virtuelles scientifiques, qui est identifié à travers le pragmaticisme deCharles Peirce. Cette base s’articule selon trois théories : la communauté illi-mitée de chercheurs, la fonction de l’abduction et l’interprétation de la séren-dipité. Toutes trois concourent à expliciter un nouveau groupe decompétences qui permettent aux élèves de devenir apprentis-chercheurs. Lerôle des communautés éducatives virtuelles est alors défini sur un planéthique qui rejoint l’horizon de la « quête désintéressée » dans la recherchescientifique.

l’enseignement des sciences doit s’intéresser…

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commun – a connu des résultats moins spectaculaires. Onpeut y voir une raison principale ; en effet, autant le premierplan insiste sur la didactique comme activité du maîtreentraînant des effets sur l’activité des élèves et leurs appren-tissages, autant le second questionne l’organisation pédago-gique comme préalable à ces mêmes apprentissages. Il y a làle risque de la perte d’une pureté conquise de haute lutte parles didacticiens, dont la réussite a parfois abouti à rejeter à lapériphérie la question de la structure pédagogique des dispo-sitifs d’enseignement, ou tout au moins celle de son sens. Onpourrait également faire apparaître une seconde raison, quitient aux difficultés même d’une recherche plus herméneu-tique qu’explicative, puisqu’elle s’enquiert de la constructionde compétences interprétatives et compréhensives qu’on nesait pas encore bien mettre en évidence.Il apparaît que la relation entre la pédagogie et la didactiquedevient centrale lorsque l’on comprend que c’est une organi-sation pédagogique donnée qui permet la mise en œuvre dedispositifs didactiques qui accentuent, accélèrent ou/et favo-risent certains modes d’apprentissages que l’on a spécifique-ment identifiés et qui sont recherchés comme tels.Ainsi en est-il dans le contexte français de l’objectif du Plande rénovation de l’enseignement des sciences et de latechnologie à l’école (PRESTE) : « faire de l’élève un cher-cheur », que l’on retrouve également dans les programmes del’école primaire de 2002 et que les enseignants doiventtraduire en compétences attendues des élèves.Si l’on pense que cet objectif est pertinent pour des raisonséducatives, alors il convient de s’interroger sur la nature descompétences nécessaires aux élèves relativement à lamaîtrise de certains modes d’apprentissage. Nous proposonsde développer cet examen autour d’une organisation pédago-gique innovante et des compétences qu’elle permet de déve-lopper pour l’invention des modèles interprétatifs et de leurdiscussion en vue de l’élaboration de schèmes explicatifs etde leur validation. Cette organisation est assurément une desvoies les plus fructueuses apportées par Internet à l’école : cesont les communautés éducatives virtuelles (CEV). Cescommunautés font partie des espaces numériques de travail(ENT), tels que le Ministère vient de les définir (1) ; elles assu-rent les services pédagogiques précisés : « services de cons-truction de ressources pédagogiques interactives (classesvirtuelles) » (7.3.1). Le deuxième colloque de Guéret (juin2003), organisé par Alain Taurisson (www.pedagogies.net), aété l’occasion de faire le point sur l’intérêt pédagogique, dansl’enseignement et la formation, des CEV utilisant générale-ment ces plates-formes collaboratives.

(1) Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale, et de la Recherche : Schéma directeur des espacesnumériques de travail, BO du 20 janvier 2004.

… à la relation entre la pédagogie et la didactique

les communautés éducatives virtuelles :

des dispositifs innovants sur le plan pédagogique et didactique

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2. L’EXEMPLE DU MONDE DE DARWIN

2.1. Présentation

Le monde de Darwin est une plate-forme collaborative, quimet à profit les ressources des technologies de l’information etde la communication pour l’enseignement (TICE) pour formerles élèves à la pensée scientifique en les insérant dans unecommunauté d’experts. C’est Michel Aubé, de l’Université deSherbrooke (Canada) qui l’a initiée, à la fois comme outilpédagogique et base de recherche. Une plate-forme collabo-rative consiste en un certain nombre de salles virtuelles dontl’accès est réservé suivant des droits définis. Dans cesespaces, des documents plus ou moins élaborés peuvent êtredéposés, modifiés en ligne par d’autres contributeurs jouis-sant de droits au moins égaux. Un superviseur régule le fonc-tionnement de la plate-forme. Plusieurs groupes classespeuvent, sans se rencontrer physiquement, collaborer à unmême projet sur une même plate-forme. Michel Aubé aprésenté au Colloque de Guéret Le monde de Darwin, orientévers les SVT, et L’agora de Pythagore dont le concept originalest emprunté à la Philosophie des enfants de Lippman etorganisé autour de questions mathématiques (2). D’une manière générale, les élèves s’inscrivent, comme le fontles chercheurs adultes eux-mêmes, dans un échange signifi-catif avec d’autres chercheurs, et participent à un discoursdont il leur incombe aussi de garantir la validité. Le maîtreorganise l’environnement de sa classe pour permettre auxélèves de rentrer dans l’activité. Le point de départ de l’activitéconsiste, comme dans toute démarche scientifique authen-tique et non purement scolaire, à se poser des questions réel-lement scientifiques (et non de simple curiosité) finalisées pardes projets de recherche et à les formuler au sein de la classequi devient alors une communauté de recherche. L’enseignant stimule la formulation d’hypothèses et aide à laconstruction d’un cadre problématique. Mais la différence secreuse par rapport à d’autres dispositifs à partir de l’instant oùl’enseignant fait la présentation préalable de l’outil collaboratifet des enjeux qu’il représente : l’activité scientifique de la classedevient ainsi transparente aux élèves, puisqu’elle se trouvefinalisée dans un projet scientifique de grande importance,comme, par exemple contribuer à la préservation d’une espècebiologique, mais aussi susceptible de recevoir des étayagesdiversifiés, venus de l’extérieur ou d’autres communautés. La dévolution dont il s’agit ici dépasse largement la prise encharge d’un problème lié à une situation factuelle : elle

(2) Les sites sont consultables aux adresses suivantes : http://darwin.cyberscol.qc.ca pour Le monde deDarwin ; http://euler.cyberscol.qc.ca/pythagore pour L’agora de Pythagore (approche de la philosophiedes mathématiques pour le développement de la pensée critique). Le site du Colloque de Guéret,www.pedagogies.net, permet d’accéder aux textes des conférences et présentations.

une communauté organisée en vue d’une activité scientifique authentique…

…qui diffère d’autres dispositifs de recherche par groupes

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s’étend jusqu’à l’assomption d’une fonction sociale et scien-tifiquement reconnue : devenir apprenti-chercheur et corres-pondant scientifique (apprenti parce que correspondant). Lemaître organise la classe et la structure pour que puisseexister un débat scientifique permanent (et non limité à uneséance ponctuelle) dont l’objectif est de publier des résultatsscientifiques (qui peuvent être des reformulations plus rigou-reuses de questions) vers d’autres interlocuteurs. Ainsi lesélèves sont-ils amenés à entrer différemment dans leurs acti-vités scientifiques, parce qu’ils auront identifié préalable-ment les possibilités d’actions finalisées qu’ouvre la CEV. Ces actions finalisées auront une structure nécessairementinterdisciplinaire. Du point de vue des apprentissages,l’interdisciplinarité permet aux élèves de comprendre toutd’abord comment chaque discipline identifiée à l’école peutêtre partie prenante dans tout savoir complexe proposé àl’étude. En retour chaque discipline peut devenir outil pourproduire de nouveaux savoirs, à condition d’être à nouveauassociée dans une coopération aux autres disciplines perti-nentes pour le projet de recherche. Le projet du Monde de Darwin s’adresse aux élèves de 8-11 ans(cycle 3 de l’école élémentaire en France). Il consiste en l’adop-tion par toute une classe d’une espèce animale faisant partie dela faune régionale. Cette adoption doit faire l’objet d’une appro-bation du comité scientifique, et elle est assortie d’un engage-ment à produire sur le site Web du projet une fiche complètedécrivant l’identité et l’écologie de l’espèce. Un processus devalidation est assuré par le recours à un « conseiller scienti-fique », qui est un expert biologiste partenaire dans larecherche, ainsi qu’un processus de « révision linguistique » parun enseignant dont le rôle est de permettre la publication et lacommunication des travaux ; ils permettent d’assurer laqualité du produit final. La séparation de leurs compétencespermet réciproquement une entrée interdisciplinaire des élèvesdans le projet (3). L’engagement des élèves inclut également laresponsabilité de la mise à jour de la fiche, et celle de servird’experts pour répondre aux questions du public, ou d’autreschercheurs amenés à consulter le site. Un canevas détaillé sertde guide à la confection de la fiche qui s’insère automatique-ment dans une base de données interrogeable.« Adopter » un animal veut dire s’engager dans une démarchede recherche organisée qui consiste à effectuer une étudecohérente de cet animal, c’est-à-dire pouvant déboucher surdes actions concrètes déduites des résultats obtenus. Lechoix de l’animal résulte d’un consensus établi au sein dugroupe quant à sa pertinence, sa faisabilité et son intérêt

(3) Cette interdisciplinarité peut bien sûr être développée. Ainsi un calcul de la dispersion d’une populationsur une aire donnée pourrait introduire la notion de rareté et de risque de disparition d’une espèce etcontribuer ainsi à susciter des projets d’action de protection.

…qui permet une entrée différente dans les activités scientifiques

Le monde de Darwin appuie l’enseignement des SVT sur l’étude d’uneespèceanimale

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pour les autres groupes. C’est une adoption au sens de laresponsabilité de chercher à connaître une espèce et ainsi, decontribuer à sa préservation, si les résultats obtenus fontapparaître, par exemple, sa raréfaction.Chaque animal décrit dans la base de données du Monde deDarwin est sous la responsabilité d’un groupe unique quiassure le développement de la fiche correspondante et samise à jour. C’est ce formulaire d’adoption qui permet auconservateur du programme d’adoption d’attribuer à ungroupe donné la responsabilité exclusive d’une fiche. Parmila grande quantité des productions, nous renvoyons à celleparticulièrement aboutie concernant la salamandre macu-lée, consultable sur le site du Monde de Darwin. (4)

2.2. Analyse du Monde de Darwin

Au premier abord, Le monde de Darwin apparaît généralementaux usagers comme une diversité d’activités en sciences de lanature, mais il est aussi important de voir qu’il a été conçu surdes assises théoriques plus générales. Dans le cadre descommunautés éducatives virtuelles, les élèves utilisentInternet comme un outil social puisqu’ils mettent à la disposi-tion du monde francophone les savoirs qu’ils construisent. Ilsétablissent un lien avec le monde qui s’étend au-delà de leurhabituelle sphère environnante. Le fait de publier les résultatsde leurs travaux les responsabilise dans le sens où ils nes’autorisent pas à faire état de résultats médiocres ou peusatisfaisants pour eux. Il s’agit là d’une véritable responsabili-sation citoyenne. Ce travail développe chez les élèves le repé-rage de l’utilité des liens sociaux, à travers les interactionsindispensables dans la classe et avec le monde extérieur. Onpeut rappeler que c’est la classe entière qui a la responsabilitéde la qualité de la fiche, et que, loin d’être en compétition, leséquipes se passent mutuellement toute information intéres-sante, utilisable par une autre équipe. Les élèves sont respon-sables du développement de leurs fiches d’observation ; il nes’agit pas pour eux de se borner à rédiger une fiche, mais d’enassurer par la suite la mise à jour et de répondre aux questionsde ceux qui en prendront connaissance, un peu partout dansle monde, et ainsi d’en faire un instrument de savoir pour lesautres et un outil d’apprentissage pour eux-mêmes. Pendantces activités, il apparaît pour eux qu’un travail en équipe,nécessitant des actions de collaboration et de coopération, estla garantie d’une production de qualité. D’autre part, la miseen réseau de différentes classes et la communication avec lacommunauté scientifique sont sollicitées de sorte que lesélèves y voient une nécessité pour mener à bien leurs projets.D’ailleurs, le groupe doit communiquer par courrier électro-nique avec le conseiller scientifique et le réviseur linguistique

(4) http://darwin.cyberscol.qc.ca

l’usage d’Internet responsabilise les élèves en les reliant au monde extérieur

dans la classe la coopération est favorisée par la collaboration entre CEV d’écolesdifférentes

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pour s’assurer de leur participation dans le processus de vali-dation de la fiche. L’idée centrale de cette approche, est que lapratique scientifique est avant tout un discours (Aubé & David2003), qui, comme la langue maternelle, requiert un échangesoutenu avec les pairs. D’un point de vue épistémologique, les élèves sont impliquésdans un véritable processus de recherche et travaillentcomme le font les chercheurs dans leurs laboratoires. C’estune des finalités du dispositif explicitées par Michel Aubé(1998) qui n’est pas d’ailleurs nécessairement présente danstoutes les mises en œuvre de démarches scientifiques enclasse (Beauchesne & Moreau 2001). Nous parvenons ici aupoint de rupture qui permettrait à une CEV de dépasser lavisée de savoirs encyclopédiques, et de poursuivre la perspec-tive d’une véritable recherche qui engage ses auteurs. Unapprenti-chercheur partage ainsi avec le chercheur une atti-tude spécifique qui autorise les conditions de nouvelles ren-contres avec les connaissances. Dans ce cadre, la responsa-bilité des acteurs passe au premier plan ; toute connaissancedevenant un outil pour de nouveaux projets, il importe que sedégage explicitement la structure de cette responsabilité.S’engager, pour des élèves, dans un projet de préservationd’une espèce à partir des savoirs construits, au premier plan,biologiques, mais également dans d’autres disciplines, estune attitude correspondant à celle du chercheur soucieux deseffets que ses concepts, ses théories, ses développementstechnologiques peuvent occasionner à moyen terme. Devenirapprenti-chercheur, ce n’est pas être un scientifique dansl’action, mais un élève qui apprend à réfléchir sur les enjeuxde la recherche et de la science. Cela signifie que l’activitéscientifique dans la classe doit déboucher sur des projetsdans lesquels s’exerce une responsabilité à la fois personnelleet collective. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement. Les connaissances acquises sont construites activement parles élèves, et cette construction requiert nécessairement uneélaboration collective, non seulement dans le partage destâches de recueil et de mise en forme de l’information, maisaussi dans l’échange avec des experts – scientifiques oulinguistiques – qui assurent à travers leurs interactions laqualité du produit final. Ainsi, la formule se traduit en uneapproche coopérative de résolution de problèmes. Ce quigarantit la qualité de cette approche est que l’on parte de diffi-cultés authentiques exprimées sous forme de questions quele groupe coopératif va transformer avec l’aide du maître enproblèmes pour lesquels une solution est envisagée, alors querestent inconnus les chemins pour y accéder. Pour yparvenir, il faudra construire une « méthode pour chercher »,identifier des partenaires compétents, limiter un champd’investigation, forger des outils. Nous montrerons plus loinque la clef de cette démarche est l’abduction : le raisonne-ment qui permet de forger des hypothèses pour rendrecompte d’un phénomène inattendu.

devenir apprenti-chercheur :

se responsabiliser personnellement…

…et collectivement

les connaissances sont construites dans une approche de résolution de problèmes

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Les équipes de recherche sont organisées au sein de la classe,et les tâches sont réparties entre les équipes pour le recueildes informations permettant la résolution des problèmesidentifiés, sur chacune des rubriques que comporte la fiche.Cette organisation du travail en équipe permet aux élèves dese rendre compte qu’on ne découvre pas tout, tout seul, etqu’il est indispensable de s’appuyer sur ce que les autres ontdécouvert. Par ailleurs, l’obligation, à la fin de la fiche, deformuler quelques questions intéressantes non encore réso-lues concernant l’espèce à l’étude, comme par exemple rela-tives à la reproduction de la salamandre maculée, montrebien aux élèves qu’il y a toujours des questions sans réponseset que les hypothèses valent jusqu’au moment où elles sontinfirmées. La démarche scientifique employée ici montre queles élèves s’approprient le problème, l’appréhendent en enfaisant l’analyse de manière à identifier toutes les donnéespertinentes qu’il contient. Cette démarche implique les élèvesdans des interactions avec les pairs (travaux de groupes, inte-ractions entre groupes de différentes classes, écoles, pays, etles non-pairs, les experts chercheurs, d’autres partenairesspécialistes).

De plus, ce dispositif permet une démarche créative dans lesens où le problème final est un problème original pour lequelil n’existe aucune réponse satisfaisante connue (productionde questions non encore résolues et hypothèses des élèves).Cette approche mobilise tous les modes du raisonnementlogique : l’induction et la déduction, certes, mais commenous l’établirons plus loin, c’est l’abduction qui sera le cœurmême de la démarche.

3. APPRENTISSAGES DANS UNE COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE VIRTUELLE

Michel Aubé fait explicitement référence au socioconstruc-tivisme : « les élèves sont placés dans une situation compa-rable à celle des communautés de chercheurs scientifiquesadultes. Ils doivent construire des connaissances à partir deconnaissances antérieures, d’observations directes et desavoirs construits par d’autres chercheurs. Ils doiventnégocier entre eux et avec des experts la validité de leursinformations. Ils doivent publier les résultats de leurrecherche et ils deviennent ainsi socialement responsablesdes connaissances qu’ils construisent » (Aubé & David 2003).Le socioconstructivisme, tel que le présente Michel Aubés’appuie sur l’aspect socio-construit, donc négocié et évolutif,des théories et des modèles ; il insiste sur l’indépassablecomplexité des situations pédagogiques authentiques et surl’importance de ne pas dissocier les pratiques des représen-tations qui les sous-tendent. Ces points le relient exacte-ment, comme on le montrera, au pragmaticisme.

dans une CEVla démarche de recherche est créatrice

le modèle théorique d’apprentissage est le socioconstructivisme

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Le cadre dans lequel les apprentissages sont réalisés dansune CEV s’apparente à celui qu’organise la pédagogie duprojet-élèves. L’activité au sein d’une CEV consiste en uneréalisation concrète socialisable, et paradoxalement, c’est lavirtualité même qui est le catalyseur de son achèvement. Ony retrouve précisément les trois phases identifiées par MichelHuber (2002) : le temps de réalisation, le temps didactique etle temps pédagogique.

Le temps de réalisation est défini lors de la conception duprojet par les acteurs eux-mêmes : le calendrier planifie lestâches et oblige à prendre en compte le rythme des autrescommunautés : un temps social plus universel est alorsinstitué. La responsabilité que représente l’adoption d’uneespèce est ici concrètement partagée et vécue par chacundans le groupe : les tâches sont repérées et distribuées.

Le temps didactique s’articule bien sûr autour des connais-sances à acquérir : « les élèves doivent formuler des problè-mes, trouver des informations, les sélectionner, les comparer,les confronter et les valider. Ils doivent organiser leurs connais-sances en schémas, établir des liens entre divers aspects del’écologie de l’animal, et entre différentes espèces ; ils sontainsi incités, par leur démarche même, au raisonnement analo-gique et au transfert de leurs connaissances » (Aubé & David2003). Ces connaissances sont construites à partir de savoirstransmis par leurs correspondants identifiés : les autresélèves, l’expert scientifique et le « réviseur », expert linguisti-que, l’enseignant, et toutes les sources qui rentrent dans lacommunauté communicationnelle.

Le temps pédagogique est selon Michel Huber, la clef de voûtede la pédagogie du projet-élèves : il consiste dans la co-gestion coopérative de la recherche. Une plate-forme collabo-rative n’est pas nécessairement un outil de coopération ; ellene peut prétendre à le devenir que dans le cadre d’une péda-gogie du projet qui fera que les acteurs sont les concepteursmêmes de toute l’activité (Dewey 1947). Comme le dit Piaget(1932), la coopération suppose une parité des acteurs enga-gés dans une tâche commune pour laquelle ils se contrôlentmutuellement par la raison. Cette co-gestion coopérativedans le cadre de la CEV a des effets pédagogiques impor-tants : la valorisation personnelle des acteurs par leur recon-naissance en tant qu’apprentis-chercheurs, le renforcementdu sens des activités en classe, et singulièrement des activitésscientifiques et mathématiques, et enfin, comme on l’analy-sera en conclusion, la construction de compétences éthiquespar les élèves. D’une manière plus synthétique, on peutremarquer que cette modalité pédagogique permet de rompreavec la temporalité qu’instaure la pédagogie de la monstra-tion-transmission, dans laquelle l’élève est réduit au présentorganisé par le maître, sans qu’il lui soit possible de se proje-ter dans un avenir dont il construirait le sens (par l’anticipa-tion des compétences qu’il lui faut construire) grâce au

contrairement àla plateforme collaborative …

…les apprentissages s’inscrivent dans le cadre d’une pédagogie du projet-élèves

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recours à la métacognition et, plus généralement, à l’identifi-cation d’un cursus scolaire passé devenu tradition person-nelle à interpréter : l’élève analyse comment ses précédentsapprentissages sont sollicités dans le présent. La pédagogiedu projet-élève, et singulièrement dans la structure d’uneCEV, libère le temps de l’apprentissage et responsabilisequant à son propre destin. Mais pour que cela soit efficient, ilfaut veiller, comme on l’analysera, à ce que ce « destin » puiseson sens dans l’universalité d’un mouvement émancipateurde la raison dont la science est le milieu ; qu’en d’autrestermes, la responsabilisation ne mène pas à l’individualismed’un élève consommateur privilégié d’un service d’enseigne-ment, correspondant aux attentes sociales de sa famille.

4. ANALYSE ÉPISTÉMOLOGIQUE : LE CADRE PRAGMATICISTE

Quel est le socle épistémologique des communautés éduca-tives virtuelles telles que celles que nous venons d’analyser ?Par socle épistémologique, nous entendons la conception dela science et de son activité qui permet d’orienter une CEV versun enseignement des sciences, et à ce titre, il faut insister surcette proposition qu’il n’y a pas d’enseignement des sciencesqui soit démuni de socle épistémologique. Michel Aubéinsiste, on l’a vu, sur les théories des apprentissages quipermettent de décrire les activités des élèves. Nous voulonsmontrer pour autant que le socle épistémologique des CEV ensciences est parfaitement cohérent et permet bien, en théorie,de développer les compétences d’apprenti-chercheur visées.C’est dans le cadre de la perspective pragmaticiste de Peirce(1878) que se place résolument l’épistémologie des CEV.Cette perspective y est impliquée au moins selon trois axesque nous allons développer successivement :– une théorie de la communauté de chercheurs– une théorie de l’abduction– une théorie de la sérendipité.Mais il convient de préciser préalablement ce cadre pragmati-ciste, afin d’éviter un certain nombre de confusions habituelles.Le pragmaticisme de Peirce, comme celui de John Dewey, se dis-tingue du pragmatisme (5) plus classique de Williams James,

(5) Le pragmaticisme s’écarte du pragmatisme grâce à deux avancées majeures de la réflexion de Peirce : laconception ternaire du signe, d’une part, et l’introduction de l’abduction dans le raisonnement scientifiqued’autre part. Selon le pragmatisme de l’utilitarisme, nous construisons des signes et des représentations enfonction du bien commun ; le pragmaticisme de Peirce introduit un cadre transcendantal qui justifie que noussommes inséparables de notre activité sur notre environnement qui nous transforme autant que lui. C’est lacélèbre règle que Peirce énonça en français : « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensonspouvoir être produits par l’objet de notre conception ». Revue Philosophique, 1878-1879. La difficulté est quePeirce désigne comme « pragmatisme » sa propre démarche, c’est pour lui le pragmatisme légitime.

faire découvrir aux élèves le caractère émancipateur de la raison

s’appuyer sur une conception de l’activité scientifique :

la perspective pragmaticiste de C. S. Peirce

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par exemple, par des choix qui se sont avérés beaucoup plusféconds dans l’histoire des sciences. Peirce refuse l’idée d’unevérité transcendante, comme la métaphysique l’avait posée,qui serait accessible momentanément à un esprit humainbien préparé à la recevoir. Mais là où sa démarche devientnovatrice, c’est dans le refus qu’il fait des conséquences habi-tuelles du rejet de la métaphysique, qui place devant nousl’alternative du relativisme ou du positivisme.

Puisque aucune garantie transcendante ne peut êtreapportée quant à la validité des savoirs, ceux-ci décriventsimplement nos rapports aux choses, rapports organisés parl’action intéressée, mais ne nous donnent pas les choseselles-mêmes. Le relativisme fait des savoirs scientifiquesessentiellement des produits d’une activité sociale commeune autre mais qui tente, par un coup de force, de se fairevaloir comme étant d’une nature différente de celle des autresactivités sociales (Feyerabend, 1979).

Quant au positivisme, issu de la réflexion d’Auguste Comte,il postule que la réalité est immédiatement saisissable sousla forme de faits qu’il suffit d’analyser pour y trouver unerationalité sous-jacente. Peirce montre que le positivisme estauto-réfutant, dans la mesure où il est déjà une doctrine quiexcède largement les faits tels qu’ils se présentent (6).

La critique du relativisme est importante car elle pose un jalonessentiel qui permet d’échapper au faillibilisme « approxi-matif » : une théorie qui a passé avec succès un certainnombre de tests n’est pas dans l’attente d’en passer d’autrespour accéder à une valeur de « vérité approchée » qui seratoujours par ailleurs insuffisante. Pour Peirce, et pour desraisons fondamentales liées à la construction même del’entreprise scientifique, une hypothèse est déclarée « exacte-ment vraie » dès qu’elle peut passer avec succès des tests expé-rimentaux dans une série indéfinie, sans qu’il soit nécessaireque cette série soit effectivement conduite ; la seule expé-rience de pensée s’avère déterminante (7). Cela sera, on lemontrera, un critère de sélection des hypothèses. Cette oppo-sition du relativisme, du positivisme et du pragmaticisme n’estpas une simple curiosité de l’histoire de la philosophie : elle aune incidence très forte sur les pratiques pédagogiques quisont orientées par les représentations qu’ont les enseignantsde la nature de l’entreprise scientifique (Lesterlin 1998).

Le tableau 1 ci-contre montre la corrélation entre un socleépistémologique et une forme d’enseignement scientifique ; ilpermet d’éclairer la distinction que fait Peirce entre pragma-tisme, positivisme et pragmaticisme.

(6) Op. cit. p. 433.

(7) Ibid. p. 434.

le pragmaticisme rejette la métaphysique…

…dépasse le conflit entre relativisme et positivisme

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5. LA SCIENCE SE FAISANT : CONCEPTS FONDAMENTAUX DANS L’ŒUVRE DE PEIRCE

5.1. Structure de l’entreprise scientifique : la communauté illimitée de chercheurs

Comment conserver l’idée d’une vérité qui s’impose ration-nellement en dehors d’une garantie transcendante ? C’estdans une réappropriation de la notion de réalité que Peirceparvient à dépasser cette aporie dont l’empirisme classiquen’avait pu sortir (sauf sous la forme du scepticisme relati-viste). Contre le relativisme qui pense que la réalité est inac-cessible, contre le positivisme qui postule qu’elle nous estimmédiatement donnée, Peirce montre que la réalité estconstruite par les énoncés du langage, et que ces énoncéssont produits par des hommes qui parlent leur langue, dansla communauté humaine. « La réalité dépend de la décisionultime de la communauté. (…) Elle consiste dans l’accordauquel finirait par parvenir l’ensemble de la communauté.(…)La réalité est quelque chose qui est constitué par un événementsitué dans un futur indéfini » (8). La réalité est donc accessibledans un effort spécifique ininterrompu, mais la science estpar nature inachevable ; ce qui est une garantie contre toutetentative d’y réintroduire des énoncés dogmatiques ou méta-physiques. Il en résulte que les savoirs scientifiques sontproduits dans une démarche qui intègre nécessairement unephase de test et que, pour cette raison, ils sont faillibles car,dans le présent, ils sont toujours en attente de vérification.Mais désormais, faillible n’est plus contradictoire avec« exactement vrai ».

C’est la communauté humaine qui produit, à travers lacommunication, les théories scientifiques, et non plusl’entendement isolé du savant. Dans les activités scientifi-ques initiées par une CEV, les élèves comprennent ainsi quela vérité n’est pas une représentation cachée dans l’intellectdu maître dogmatique ou dans un repli de la nature que l’onn’a pas encore exploré. Ni dans la nature, ni dans un sujet, lavérité est dans un futur auquel ils participent déjà par leuractivité de recherche, mais qu’ils n’atteindront pas comme unbut final. L’appartenance à une CEV permet de distinguerdidactiquement vérité et procédure de vérification, horizonrationnel du savoir et résultats momentanés de la recherche.On retrouve ici cette nouvelle temporalité propre au projet derecherche scientifique. Mais il reste à comprendre commentcette communauté s’oriente effectivement dans la recherche.Toute communauté peut produire des savoirs, mais tous lessavoirs ne passent pas l’épreuve des tests : une communauté,

(8) Ibid. p. 83.

la science estune entreprise collective

les CEV permettent d’accéderau concept proprede la recherche scientifique

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pour ses intérêts propres, peut produire des savoirs surd’autres communautés, afin de les opprimer politiquementou les exploiter économiquement par exemple, et les théoriesraciales tentent toujours de se présenter comme des savoirsscientifiques. Ces théories présentent, du point de vue utili-tariste, suffisamment d’avantages pour leurs producteurspour qu’on leur épargne la phase des tests. Afin de mettre à l’abri la science de ces manipulations, Peirceimpose une exigence essentielle quant à l’orientation que sedonne une communauté dans la recherche, si elle veut queses inférences soient validées. C’est la notion de « quêtedésintéressée ». Les seules inférences valides ne peuventviser que l’universel. Ainsi chaque chercheur doit-il retran-cher ses intérêts propres et se rapporter à la totalité de lacommunauté humaine, au-delà même des intérêts du groupeauquel il appartient. Mais cela ne suffit pas, car une communauté, même la plusgénérale, ne peut viser son intérêt futur à travers sa quêtescientifique, et ce pour deux raisons. La première étantqu’elle ne s’en soucie pas : que faisons-nous effectivementdes problèmes environnementaux que nous savons léguer ànos successeurs ? Les intérêts à court terme sont plus mobi-lisateurs pour l’action. La seconde raison est moins triviale.Une communauté, dit Peirce, peut factuellement disparaître,et l’humanité elle-même. Aussi, n’est-ce pas l’intérêt généralqui fonde ce qu’Aristote appelait le « désir naturel de savoir ».Pour Peirce, il y a un fondement anthropologique qui motivechaque chercheur : c’est une exigence d’absolu, qui le pousseà produire un savoir qui le dépasse dans sa singularité. Lecalcul pascalien se révèle erroné, du point de vuepragmaticiste : « la question est unique et suprême et TOUT yest en jeu » (9). Cette exigence est vécue existentiellement dans l’espoir deréussir (on sait concrètement que c’est ce qui motive l’entréedans les apprentissages). Mais cet espoir de réussir ne peutêtre garanti ou fondé, faute d’une transcendance métaphy-sique. C’est cependant lui qui engage dans le renoncementpropre à la quête désintéressée, d’une manière qui sembleparadoxale : c’est parce que je renonce à mes intérêts propresque ma recherche de la réalité a des chances de réussir, etplus j’abandonne les conditions bornées dans lesquelles jeproduis habituellement mes opinions, pour les transformer àtravers des exigences qui me dépassent, plus mon espoir deréussir grandit. C’est là, dit Peirce, le fondement de larationalité : « …cette espérance infinie, si elle avait pour objetquelque fait déterminé, un intérêt privé, pourrait rentrer enconflit avec les résultats de la connaissance et donc avec elle-même ; mais quand son objet est d’une nature aussi vaste que

(9) Ibid. p. 106.

une communauté de chercheurs vise l’universalité…

…à travers la « quête désintéressée »

l’espoir de réussite fondé collectivement excède la subjectivité privée

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peut se révéler l’être la communauté, elle demeure toujoursune hypothèse non contredite par les faits et justifiée par celaqu’elle est indispensable pour rendre la moindre actionrationnelle » (10). C’est cette mutation profonde qui caractérise, selon nous,l’entrée dans la posture d’apprenti-chercheur à l’école. Si lesélèves rentrent légitimement dans les apprentissages pourdes motifs pragmatiques : intérêt du savoir pour soi (grandir,comprendre), ou intérêt du savoir pour les avantages sociauxqu’il procure (estime du maître, satisfaction des parents,etc.), la communauté éducative virtuelle les incite à sortirrapidement de cet horizon subjectif : la quête devient désin-téressée en ce sens qu’elle concerne au-delà des individus-élèves, même considérés dans le collectif du groupe classe,un futur visé universellement. Devenir apprenti-chercheur,c’est se frotter à l’Universel par la médiation d’une commu-nauté orientée dans la quête. Peirce oppose ainsi auxcommunautés factuelles et contingentes l’idée d’unecommunauté contrefactuelle : la communauté illimitée dechercheurs. Cette communauté est ouverte par principe : elle attendl’adhésion de nouveaux chercheurs indéfiniment renouvelés,qui ne sont pas prédéterminés par des enjeux d’intérêts depouvoir (une difficulté dont on sait qu’elle ne peut être jamaistotalement surmontée). Les productions de cette commu-nauté sont soumises à la critique des résultats à travers ladiscussion rationnelle argumentée. Ainsi, c’est son caractèreillimité qui représente la seule garantie de la validité del’entreprise scientifique, ni École, ni doctrine ésotérique, niprocédure cachée au profane. Ce caractère illimité estconcrètement réalisé par la publication des travaux et l’orga-nisation d’une libre communication autour de leurs résul-tats. Comme l’analyse Thomas Kuhn (1983), dans lacommunauté scientifique, les écoles sont des groupes quiabordent le même sujet avec des points de vue d’abordincompatibles, mais la compétition entre les écoles serésorbe rapidement par la communication professionnellequi fait qu’un des points de vue tombe nécessairement. Dansl’enseignement scolaire, les CEV permettent l’apprentissagede cette communication qui dépasse le simple cadre del’échange factuel d’informations : la communication entreapprentis-chercheurs y est conçue comme une soumissionmutuelle de contributions, qui se distingue radicalement dela publication de résultats informatifs sur de simples pagesweb.

(10) Ibid. p. 107.

la CEV permet aux élèves de sortirdu cadre utilitariste des apprentissages

elle est structurée comme une « communauté illimitée de chercheurs »

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5.2. Structure de la démarche scientifique : théorie de l’abduction

Comment agissent les chercheurs dans la communautéillimitée ? La responsabilité des membres d’un groupe scien-tifique se développe sur deux plans, selon Kuhn : la forma-tion de leurs successeurs et la poursuite d’objectifscommuns, c’est-à-dire, essentiellement le travail autour desthéories scientifiques. Il faut noter immédiatement que lescommunautés virtuelles d’enseignement permettent d’opé-rer la synthèse en formant les jeunes par la recherche. Maisc’est plutôt la question de la production des théories scienti-fiques qui est visiblement l’axe de travail déterminant desCEV, comme Le monde de Darwin. Les conceptions épistémo-logiques classiques insistent sur deux formes de raisonne-ment qui permettent de mettre en chaîne des propositions dudiscours de manière logique : la déduction et l’induction.Peirce (1971) reprend chez Aristote un troisième type de rai-sonnement et montre qu’il correspond à la démarche prag-maticiste, l’abduction : « le pragmatisme est la logique del’abduction » (11). Ce troisième type de raisonnement est cequi, dans une CEV permet l’invention des modèles interpré-tatifs : il favorise l’accès des élèves aux compétences néces-saires à la production des théories scientifiques.

Pour comprendre la valeur de l’abduction, il est nécessaire derevenir au double refus peircéen du relativisme et du positi-visme, et de l’interpréter du point de vue de cet acte scienti-fique fondamental qu’est l’observation. Pour un positiviste,l’observation est une parfaite passivité dans laquelle lephénomène est reçu et prend, par sa rationalité propre, saplace dans une chaîne de causalité : l’induction recherchealors une loi intérieure à la série des faits observés (Vergnioux2003). Pour un relativiste, au contraire, fidèle à la critique deHume, l’induction crée une série causale entre des faits isolésde manière extérieure à ces faits, grâce à l’expérience répétéede l’observation qui nous permet de les rapprocher raisonna-blement, mais sans qu’il soit possible de pénétrer la structuremême de la réalité. Comme le dit Carnap (1973), toutes leslois physiques sont inductives et ne nous disent pas autrechose qu’un phénomène P a de bonnes chances de seproduire dans un cadre donné ; elles n’ont de valeur queprédictive.

L’observation s’avère un acte très complexe selon Peirce ; nipassivité, ni activité de l’habitude, observer consiste à inter-préter une réalité donnée. D’abord la percevoir à l’aide del’analyse et ensuite y tester les suggestions interprétativesfournies par les théories disponibles (12). Mais le « d’abord et

(11) Ibid. p. 417.

(12) Ibid. p. 115.

la recherche dans la CEV met en œuvre le raisonnement par abduction…

…alors quele relativisme ne considère que l’induction …

…et aboutit au scepticisme

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ensuite » est plus de l’ordre de la description, car en réalité,dit Peirce, les deux actes sont intimement liés, dans lamesure où ils puisent leur sens l’un dans l’autre. Ce qui lesréunit n’est autre chose que la procédure de vérification.Observer, c’est véritablement interpréter en vérifiant la légiti-mité de la compréhension. Peirce prend, avant la Gestalt-theorie l’exemple des illusions d’optiques, comme celle del’escalier de Schröder. Il montre qu’elles sont explicables parle fait que chaque perception se double d’une théorie del’interprétation qui échappe d’abord au contrôle conscient dela critique rationnelle. Lorsque l’expérience est répétée, l’illu-sion disparaît parce que le pilotage de la perception par unethéorie rationnelle consciente devient possible. Il n’y a doncpas de pur jugement perceptif, et toute perception est déjà unva-et-vient interprétatif entre cette production d’hypothèseset la vérification de leur pertinence dans le phénomènedonné. Cette entrée fondamentale est, il faut le reconnaître,un divorce total avec le modèle bachelardien de l’obstacle-rupture épistémologique, qui reste, sur ce plan, commel’analyse Isabelle Stengers (1995), fidèle au positivisme. Il y abien de la démarche scientifique, avant la science instituée,et la rupture par « purification des représentations » supposeune ascèse assez étrangère à la réalité de l’histoire dessciences, comme l’a montré Bernard Joly (1998), relative-ment à la genèse de la chimie moderne.

Peirce analyse une forme logique du raisonnement qu’ilnomme « abduction ». Il s’agit d’une inférence qui a la formesuivante :

« Le fait surprenant C est observé ;Mais si A était vrai, C irait de soi.Partant, il y a des raisons de soupçonner que A est vrai.Ainsi, A ne peut être inféré abductivement, tant que soncontenu entier n’est pas déjà présent dans la prémisse“Si A était vrai, C irait de soi” » (13).

Dans l’inférence abductive, il s’agit de remonter aux causescachées d’un phénomène en produisant une théorie interpré-tative. On a vu précédemment que toute observation était unetelle abduction : pour comprendre un phénomène, il faut luidonner du sens dans un cadre hypothétique. On s’aperçoitalors de la puissance de l’abduction : « Toutes les idées de laScience lui viennent seulement par le biais de l’abduction.L’abduction consiste à étudier les faits et à concevoir unethéorie pour les expliquer. Sa seule justification est que, sinous voulons jamais comprendre en quoi que ce soit leschoses, ce doit être de cette manière » (14).

(13) Ibid. p. 425.

(14) Ibid. p. 381.

selon Peirce toute observation est interprétation

l’observation est déjà inférence abductive

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C’est d’abord une puissance heuristique. Les faits ne parlentpas d’eux-mêmes, et on connaît par exemple l’embarras desjeunes enseignants face à l’augmentation de volume de l’eauqui gèle, alors que « la chaleur dilate les corps » commesemble l’attester le mouvement de la colonne du thermo-mètre. Il faut donc toujours chercher à comprendre, avantque de vouloir expliquer. Dans la phase d’abduction, l’étayagedidactique du maître consiste à aider à la formulation d’hypo-thèses tout en anticipant sur les deux moments à venir :seront-elles testables, et par quels dispositifs accessibles (à laclasse ou à des correspondants mieux outillés ou mieuxplacés) ?C’est ensuite une puissance herméneutique. L’abductionpermet de dépasser la pure passivité devant les faits pours’engager dans leur étude ; étudier les faits, c’est d’unemanière solidaire, concevoir une théorie en vue de lescomprendre. L’abduction est ainsi une partie de la démarche scientifique,qui consiste dans la production d’hypothèses. Mais d’où leséléments constitutifs de ces hypothèses sont-ils extraits ?Pour répondre à cette question, considérons un moment lagenèse historique de l’atomisme. Les physiciens d’Ioniepensaient que la matière était auto-poïetique, c’est-à-direqu’elle pouvait produire elle-même ses propres formes, sansqu’il soit nécessaire de recourir à des causes extérieures àelle, sauf dans le cas de l’intervention humaine délibérée. Il yavait ainsi des causes cachées, parce qu’invisibles, quipouvaient rendre compte des transformations des corps. Etc’est, suivant la légende, l’observation du blé séparé en grainsaprès le battage qui leur fournit le modèle hypothétique del’atome. Si le blé en tas peut prendre toutes les formes possi-bles, c’est parce qu’il est composé de particules elles inséca-bles, capables de rouler les unes sur les autres, mais aussid’adhérer entre elles dans certaines circonstances. De mêmeen est-il de toute matière. Les physiciens ioniens sont-ilspréscientifiques ? Cette question est, à notre avis, sans objet.Ils ont construit une inférence abductive et ont du s’en tenirlà pour des raisons historiques. Mais cet exemple est paradig-matique de ce qu’est une abduction. C’est d’abord une hypo-thèse formée au sein d’une culture et d’une tradition donnée :elle emprunte à la fois des percepts propres à l’expériencefamilière et à l’observation quotidienne, et à la fois desconcepts de la langue empruntés métaphoriquement àd’autres registres référentiels : comme celui de « fluide » pourinterpréter l’électricité (Kuhn 1983) (15). Une telle hypothèse est donc toujours issue d’une Forme devie (Wittgenstein 1976) et suppose donc une culture person-nelle de plus en plus exigeante quand la Forme de vie

(15) Op. cit. p. 38-39.

l’abduction est la source de toute théoriescientifique

toute hypothèse scientifique résulte d’une inférence abductive

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s’enrichit de traditions nombreuses : l’amnésie épistémolo-gique est ici redoutable. Mais en même temps elle supposetoujours l’interdisciplinarité qui permet que des hypothèsesémises dans certains champs circulent jusqu’à d’autresdomaines où elles peuvent s’avérer fécondes. Enfin, uneabduction est une hypothèse qui doit manifester deuxqualités spécifiques : elle est formulée en l’absence de raisonslogiques de penser le contraire, elle doit être susceptible devérification expérimentale. C’est la deuxième condition quine pouvait être satisfaite dans l’hypothèse de l’atomisme.Pour la première condition, elle restait un prétendant valideface à l’explication métaphysique par les Formes. Peircedéclare qu’une bonne abduction est celle qui produit unehypothèse explicative qui accomplit sa fonction d’hypothèseen se soumettant au test de l’expérimentation. C’est ce quidistingue l’abduction scientifique de toute autre, qu’elle soitmétaphysique ou théologique. En ce sens, l’hypothèse desmatérialistes anciens n’était ni scientifique, ni préscienti-fique : elle était coupée de tout monde possible où il eût étéenvisageable de la tester. Mais, reliée à un tel monde, elletrouva ipso facto un caractère scientifique : « Comment relierles hypothèses des élèves à autre chose qu’aux conditionscontingentes de la classe et qu’au savoir personnel de sonenseignant ? » Nous pensons que les CEV, en tant qu’ellesrendent possible la communication avec des professionnelsde la recherche, autorisent cette relation.

Un dernier point important est à mettre en exergue relative-ment à la nature de l’abduction. Peirce dit en effet : « Le faitsurprenant C est observé ». Il faut bien se convaincre qu’il nes’agit pas là d’une situation-problème mais plutôt d’uneénigme. Nous ne reprendrons pas ici les travaux bien connusqui séparent nettement ces deux registres et auxquels nousrenvoyons (Fabre 1999, Timmermans 1995). Plus qu’uneface du problème, l’énigme a une structure différente.Comme l’analyse T. Kuhn (16), un problème n’a pas néces-sairement de solution ; il correspond à un résultat connuqu’il serait souhaitable d’atteindre sans que l’on sachecomment y parvenir et il vaut par l’invention des moyens,démarches et outils qu’il mobilise. En revanche, l’énigme doitobtenir une réponse par abduction : tous les éléments de laréponse y sont déjà présents ; Kuhn dira justement qu’uneénigme est un problème organisé dans un paradigme donnéqui lui assure sa résolution. C’est même là une des fonctionsmajeures d’un paradigme scientifique, de discriminer quelsproblèmes sont scientifiques ou non, trop difficiles ou non,appartenant à telle discipline plutôt qu’à telle autre. Seulel’énigme est motivante pour le chercheur, comme leremarque T. Kuhn, et Jean-Pierre Astolfi (Aster, 25) préconise

(16) Ibid. p. 62.

les hypothèses construites par abduction…

…ouvrent la voie à l’expérimentation scientifique

l’abduction permet l’organisation d’un problème sous forme d’énigme

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quant à lui qu’une situation-problème doit se présentercomme une énigme, paraissant accessible à l’élève sans qu’ilsoit nécessaire de construire a priori de nouveaux outils.Lorsque l’énigme s’avère résistante et que l’obstacle est iden-tifié, le problème peut être posé. C’est le principe de cequ’Astolfi appelle la ruse didactique, permettant la dévolutiondu problème aux élèves.

Quelle est la valeur d’une abduction ? Elle n’établit pas de loiscientifique, elle n’entraîne aucune nécessité ; c’est pour celaqu’elle a été longtemps méconnue dans la tradition didac-tique française. Peirce dit justement qu’une abductionconclut toujours à une assertion problématique (17). Or uneproposition problématique (et non assertorique ou apodic-tique) reste une proposition logique, et comme telle valide. Eneffet, analyse Peirce, il faut distinguer entre un argumentvalide et un argument fort. Un argument valide « possède laforce qu’il prétend avoir, tend vers la conclusion de la manièredont il prétend le faire » (18). En d’autres termes, un argu-ment valide peut être faible alors qu’un argument fort peutêtre invalide, c’est-à-dire ne pas parvenir à la conclusion qu’ilpromet par suite d’une inférence erronée. L’abduction estainsi une inférence logique faible parce que sa conclusion esttoujours problématique. C’est pourquoi son intérêt estailleurs : l’abduction correspond à un insight : dans lamesure où, comme on l’a vu tous les éléments de l’hypothèseétaient déjà présents, l’idée de les réunir produit l’insight (19).Cette « vision intérieure » d’une hypothèse cohérente n’a riend’une certitude : elle est par nature faillible, c’est-à-direqu’elle est en attente d’être testée. Elle est de plus collectiveparce que partagée. C’est ce que permet la communautééducative virtuelle : permettre d’échapper à l’aléatoire desintuitions subjectives pour construire par le dialogue cetinsight producteur d’hypothèses : une hypothèse n’existe que« formulée dans le langage ».

5.3. Abduction, déduction, induction : la continuité de la quête

Mais la grande fécondité de l’épistémologie peircéenne tienten ce qu’elle permet de réinterpréter dans une totalité ce quin’était considéré jusque là que comme des gestes isolés. C’estun résultat fondamental du pragmaticisme, dont J. Dewey(1997) s’inspirera pour construire son « continuum expérien-tiel », fondement scientifique de la Pédagogie du projet. Les

(17) Op. cit. p. 424.

(18) Ibid. p. 426.

(19) Il faut renoncer à traduire ce terme ; l’illumination correspond, dans notre culture philosophique àl’évidence cartésienne ou à l’intuition spinoziste, qui sont un rapport immédiat à la vérité de l’Être. Ceque critique précisément Peirce.

l’abduction produit des arguments valides

et non un argument « fort »

la CEV :dépasser les intuitions subjectives

accéder à une abduction collective

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formes classiques du raisonnement, la déduction et l’induc-tion, trouvent ainsi leur place dans la triade qui définit l’acti-vité scientifique, dont Dewey fait l’archétype de l’activitérationnelle humaine.

• La déduction

La déduction tout d’abord subit chez Peirce la critiquekantienne : elle ne produit aucun savoir, parce qu’elle n’estpas en prise avec la perception, mais réside en un certain trai-tement du donné perceptif. Elles est bien la production deschèmes explicatifs. C’est un raisonnement discursif quiconsiste en « une simple colligation des jugements perceptifsen un tout copulatif » (20) ; elle est de surcroît capabled’opérer analytiquement, sur des parties de ce tout. Ladéduction, comme l’abduction et l’induction, ne sont pas desjugements formés par un sujet, même transcendantal, cesont des inférences qui trouveront leur cohérence et leur vali-dité dans la pensée future de la communauté illimitée deschercheurs, et non dans l’évidence momentanée d’une penséesolitaire : c’est l’anticartésianisme de la perspective de Peirce,si fécond pour la pensée éthique contemporaine (Apel 1994 etHabermas 1992) (21). La Logique n’est rendue possible, pourPeirce, que par l’idée de communauté. Si l’on a vu quel’abduction produisait des hypothèses, on comprendra que la

Tableau 2. Les modes du raisonnement logique selon C.S. Peirce

Type de raisonnement

Abduction Déduction Induction

Définition Création d’hypothèses interprétant des faits inattendus

Conséquences logiques des hypothèses formulées

Vérification expérimentale ou recherche d’observations et d’informations confirmant les conséquences logiques

Exempletiré du Monde de Darwin

Fait : certaines salamandres n’ont pas de queue. Hypothèse : la queue se sépare dans des circonstances utiles à la salamandre (danger)

Intervenant pour sa protection, cette séparation ne doit être ni fatale ni nuisible à la salamandre. Donc elle peut vivre momentanément sans queue et celle-ci « repousse » (« argument valide faible »).

Recherche d’observations fortuites dans la nature (respect de l’animal : pas d’expérience risquant de mettre l’animal en danger : « argument valide faible »)Recherches sur Internet d’informations sur des observations faites par des chercheurs ou des pairs + discussion

(20) Ibid. p. 427.

(21) Ce qui permet, dans la réflexion éthique contemporaine, l’abandon des éthiques de la conviction, baséessur la conscience solitaire de l’agent moral, au profit de l’éthique de la discussion, reposant sur unecommunauté communicationnelle contrefactuelle.

continuité…

et non opposition…

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déduction ne fait qu’énoncer des lois, mais sur le mode del’apodicticité, et non plus de la problématicité. Mais quesignifie énoncer une loi ? La finalité d’une loi est de pouvoiranticiper des phénomènes contraires, si la loi s’avérait fausse(faillibilisme) ; en ce sens la déduction prépare la phase detests expérimentaux que Peirce désigne comme étant l’induc-tion. Si par exemple de nombreuses observations nous ontpermis de produire par abduction l’hypothèse que la chaleurpouvait jouer un rôle comme cause cachée de certains phéno-mènes de dilatation, par déduction nous énoncerons la loi « lachaleur dilate les corps », qui possède un caractère cette foisde nécessité logique. Cette loi permet de concevoir des phéno-mènes dans lesquels elle s’avérerait fausse : elle anticipeainsi les expériences à conduire. En quoi consiste donc ladéduction ? Pour Peirce, elle est d’abord un « contrôle de soi »,un effacement de ses désirs et croyances et c’est à ce prixqu’elle réalise le passage à l’universel : c’est la base de larationalité. Mais son rôle est purement inhibiteur, et c’estpour cela que la déduction ne produit rien. Elle ouvre lechemin à l’induction.

• L’induction

Peirce la détermine comme le test expérimental d’une hypo-thèse. La grande difficulté de l’induction est que son statutdétermine classiquement celui de nos connaissances quant àla réalité : s’agit-il de mettre un ordre dans les phénomènes oud’y trouver un ordre naturel ? Peirce prend en compte lacritique de Hume et affirme que « l’induction conclut seulementà un rapport de fréquence », mais que ce rapport n’est contenudans aucun des cas particuliers, et qu’il ne permet pasd’expliquer la production de tel fait observé (22). Elle nousapprend simplement ce à quoi nous devons nous attendre auterme de l’expérimentation. L’induction n’a de valeur quequantitative. Une expérience ne prouve rien, et le positivismeest définitivement récusé : nous avons vu qu’une hypothèseexactement vraie permet d’anticiper une série indéfinied’expériences. L’induction n’entraîne que la probabilité.

La démarche de la quête scientifique est donc la suivante :L’abduction produit des hypothèses interprétatives qui sontcolligées par déduction en lois nécessaires, lesquelles sontsoumises par induction à des tests expérimentaux par anti-cipation de phénomènes illégitimes.

Ce schéma fait de l’abduction le moment créatif de la science ;c’est lui qu’un enseignement des sciences doit mettre enexergue, avant l’inhibition nécessaire à la déduction :l’ascèse ne devrait pas être première. Comme l’écrit Peirce,

(22) Ibid. p. 427.

…entre les trois modes du raisonnement

la déduction phase du passage à l’universel

l’induction phase de vérification expérimentale

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« les éléments de tout concept entrent par la porte de la percep-tion, et sortent par la porte de l’action finalisée » (23). Ce pour-rait être la pierre de touche d’un enseignement visant àdévelopper des compétences d’apprenti-chercheur chez lesélèves.

• La sérendipité

La vérification la plus probante de la thèse de Peirce sur le rôlede l’abduction réside dans l’explication qu’elle donne auphénomène de la sérendipité. Le terme a été forgé par HoraceWalpole en 1754, à partir d’un conte persan relatant les aven-tures des princes de Sérendip. Ceux-ci se livrent lors d’unpériple à sept observations qui ne deviennent cohérentesentre elles qu’à la condition de faire l’hypothèse du passaged’un chameau possédant certaines caractéristiques parfaite-ment descriptibles. Cette abduction leur vaudra d’abordd’être soupçonnés du vol de l’animal, avant que ne soitreconnue leur sagesse… Walpole définit le sens de sa créationcomme « la découverte, par hasard et sagacité, des chosesqu’on ne cherche pas ». Le plus curieux est qu’il faudra bienattendre une centaine d’années avant que le terme ne soitréutilisé en épistémologie : en 1957, Robert Merton désigneainsi « l’observation d’une anomalie stratégique qui n’a pasété anticipée et qui peut conduire à la production d’une théorienouvelle » (Van Andel & Bourcier 2003). Il fallait, sans doute,que l’intérêt de l’épistémologie se porte sur les conditionssociologiques de l’activité du chercheur ; on releva dès lorsdes exemples innombrables de sérendipité dans l’histoire dessciences : l’invention du stéthoscope par Laennec, la décou-verte de la pénicilline par Fleming, des rayons X par Röntgenet de la radioactivité naturelle par Becquerel, etc. On sesouviendra aussi de la plus belle occasion manquée : celle del’observation d’Uranus par Galilée qui n’y vit qu’une nouvelleétoile, faute d’abduction à la hauteur… La sérendipité esttoujours un résultat de l’abduction : l’incapacité à produiredes hypothèses créatrices renvoie à l’inaptitude à chercheret à découvrir. C’est le paradoxe énoncé par Ménon àSocrate selon lequel on ne peut pas apprendre : soit on saitdéjà, et on n’apprend rien de nouveau, soit on ne sait pas, eton ne sait pas ce qu’il convient de chercher. À ce sophismeredoutable, Platon répondait par la métaphysique de laréminiscence : nous avons oublié la vérité que notre âme aentrevue, et apprendre, c’est se ressouvenir. Peirce répondpar l’abduction : nous trouvons en donnant collectivementun sens à nos expériences inattendues en formant des hypo-thèses susceptibles d’êtres vérifiées. Dans cette perspective,la sérendipité consiste à transformer l’inattendu en attented’une expérimentation.

(23) Ibid. p. 441.

la sérendipité expliquée par l’abduction

l’abduction permet de comprendre ce que nous trouvons par hasard

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6. CONCLUSION : DISPOSITIF SCIENTIFIQUE OU SCÈNE PÉDAGOGIQUE ?

Les communautés éducatives virtuelles sont de réellescommunautés et non pas des fictions pédagogiques. Ellesouvrent la communauté de la classe en la reliant effective-ment à une communauté illimitée de chercheurs, médiatiséed’abord par un expert scientifique qui valide le contenu desproductions, et qui a ici un rôle plus important que celui duparrain scientifique de La main à la Pâte. La publicité desrésultats, grâce à l’outil que représente la page Web réaliséeà partir de la plate-forme collaborative, est la deuxièmemédiation, la plus universelle : elle ouvre la possibilité de ladiscussion, de la demande de justification, comme de l’apportd’autres informations, questions ou suggestions. Et l’ouver-ture de cette possibilité, est ouverture sur l’indéfini duprocessus scientifique ; loin de disqualifier la position magis-trale, elle l’affranchit au contraire de la perception dogma-tique que peuvent en retirer les élèves, sur les modesantagonistes de la rébellion ou de la soumission : « l’opinionde l’enseignant ne vaut pas plus que la mienne » ou aucontraire : « l’enseignant a nécessairement raison (mais je nesais pas pourquoi) ».

Les communautés éducatives virtuelles sont enfin véritable-ment scientifiques. Elles permettent effectivement de savoirposer des questions et réfuter les réponses immédiates, desavoir inventer des modèles interprétatifs, et de savoir cons-truire des schèmes explicatifs. Elles ne sont pas des théâtressur lesquels des élèves joueraient à être chercheurs, sous leregard condescendant des adultes. Les experts sont formels,et Michel Aubé ne manque pas de le rappeler : les questionsauxquelles parviennent les classes sont des questions que seposent les experts eux-mêmes, des énigmes dont on nepossède pas encore la réponse. Il serait sûrement illusoire depenser que des scolaires, jeunes et non-professionnels, puis-sent construire de telles réponses, mais là n’est pas la finalitéde ces communautés, qui reste l’apprentissage.

On pourrait montrer in fine qu’un tel apprentissage possèdeune structure éthique fondamentale (Moreau 2003) quis’organise selon deux axes, horizontal et vertical :

L’axe horizontal est celui de la responsabilité solidaire vis-à-vis de ses énoncés et publications, avec comme corrélat lerejet des opinions acritiques ou invérifiables. Chacun, dansle groupe est solidaire des productions de la communauté etdevient responsable dans la communauté illimitée, apte à yfaire valoir ses droits à la discussion publique – fondement dela vie démocratique.

L’axe vertical est celui du dépassement de soi dans une quêtedésintéressée : rechercher autre chose que sa satisfactionimmédiate et bornée, prendre des risques personnels pour

les CEV sontd’authentiques communautés scientifiques

les CEV possèdent une structure éthique

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s’engager dans une aventure dont la seule gratificationattendue est de s’y oublier. Telles sont, explicitées sur le planéthique, les compétences en construction chez l’apprenti-chercheur. Pour autant, le dispositif de la CEV, pas plus qu’aucun autre,ne porte en lui la garantie de sa pertinence vis-à-vis des objec-tifs que nous avons présentés. Ce qui apparaît commetoujours déterminant, c’est la compétence de l’enseignant àinterpréter la dynamique de la communauté qu’il organise :ce qui signifie anticiper les projets possibles des élèves, lesstimuler dans une direction plus fructueuse du point de vuedes apprentissages, veiller à ce que la co-responsabilité dechacun y soit effective. Ce sont des compétences herméneu-tiques qui font le lien entre la dimension pédagogique etl’ingénierie didactique : elles garantissent qu’un dispositifd’enseignement-apprentissage (Altet 1997) prenne pied dansle réel et ne reste pas un cadre formel. C’est une conditionpour que les élèves rencontrent authentiquement les savoirsde la communauté scientifique.Les auteurs remercient Michel Aubé de leur avoir facilitél’accès à ses travaux.

Didier MOREAUProfesseur à l’IUFM de Nantes,membre du comité scientifique du colloque de Guéret

Béatrice LESTERLINProfesseur des écoles, maître-formateur,formatrice à l’IUFM de Nantes

Solange BEAUCHESNEMaître de conférences en sciences physiques,IUFM de Nantes

les CEV mobilisent les compétencesherméneutiques de l’enseignant

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