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7S91 Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S91-7S97 I. Modules transdisciplinaires Module 8 : Immunopathologie, réaction inflammatoire L Item n o 116 : Dermatoses bulleuses auto-immunes es dermatoses bulleuses auto-immunes constituent un groupe hétérogène de maladies à la fois très diver- ses, peu fréquentes et de pronostic variable, parfois péjoratif. Elles sont secondaires à des altérations de diffé- rents constituants de la peau : l’épiderme, la jonction dermo- épidermique (JDE) ou le derme superficiel. Ces altérations résultent d’une réaction autoimmune et ont pour consé- quence clinique la formation de bulles cutanées ou des mu- queuses externes. La diversité des dermatoses bulleuses autoimmunes impose une enquête clinique, anatomopatho- logique et immunopathologique. PHYSIOPATHOLOGIE La cohésion de la peau, en particulier de l’épiderme, est assu- rée par deux systèmes d’adhésion : – la cohésion de l’épiderme est principalement assurée par les desmosomes qui permettent l’adhésion des kératinocytes entre eux ; – la JDE permet d’assurer une bonne adhésion entre l’épi- derme et le derme sous-jacent ; c’est une région macromolé- culaire complexe qui comprend, de la superficie vers la profondeur : les hémidesmosomes, les filaments d’ancrage, la lame dense et les fibrilles d’ancrage. Parmi les dermatoses bulleuses auto-immunes (DBAI), on distingue, en fonction du site de clivage : – les DBAI sous-épidermiques, avec perte de l’adhésion dermo-épidermique par altération d’un composant de la JDE par des autoanticorps ; – les DBAI intraépidermiques (groupe des pemphigus) où la perte de cohésion des kératinocytes (acantholyse) est due à l’altération des desmosomes par des autoanticorps. DIAGNOSTIC POSITIF Clinique Une bulle est une collection liquidienne superficielle à conte- nu clair ou sérohématique de plusieurs millimètres de diamè- tre. Elle peut siéger sur la peau ou les muqueuses (buccale, génitale…). Il faut savoir également évoquer une dermatose bulleuse devant une érosion postbulleuse, en particulier sur les muqueuses, caractéristique par sa forme arrondie et la pré- sence d’une collerette épithéliale périphérique ou encore de- vant un vaste décollement épidermique donnant un aspect de « linge mouillé sur la peau ». Le signe de Nikolsky correspond à un décollement cutané provoqué par le frottement appuyé de la peau saine. Il traduit un décollement intraépidermique (acantholyse) au cours des pemphigus. Histologie La bulle peut résulter d’un clivage entre le derme et l’épider- me (bulle sous-épidermique) ou d’un clivage à l’intérieur de l’épiderme (bulle intraépidermique). Il existe une assez bon- ne concordance entre l’aspect clinique d’une bulle récente (moins de 12 h) et son type histologique : – en cas de clivage sous-épidermique : la bulle est tendue, à contenu clair ou parfois hématique ; – en cas de clivage intraépidermique : la bulle est flasque et fragile. Immunopathologie Le diagnostic positif d’une DBAI repose sur l’examen en im- munofluorescence directe (IFD) d’une biopsie de peau (ou de muqueuse externe) péribulleuse qui objective des dépôts Objectifs pédagogiques – Diagnostiquer une pemphigoïde bulleuse, un pemphigus. – Argumenter les principes du traitement et la surveillance au long cours.

Item n° 116 : Dermatoses bulleuses auto-immunes

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Ann Dermatol Venereol2005;132:7S91-7S97I. Modules transdisciplinaires

Module 8 : Immunopathologie, réaction inflammatoire

L

Item no 116 : Dermatoses bulleuses auto-immunes

es dermatoses bulleuses auto-immunes constituentun groupe hétérogène de maladies à la fois très diver-ses, peu fréquentes et de pronostic variable, parfois

péjoratif. Elles sont secondaires à des altérations de diffé-rents constituants de la peau : l’épiderme, la jonction dermo-épidermique (JDE) ou le derme superficiel. Ces altérationsrésultent d’une réaction autoimmune et ont pour consé-quence clinique la formation de bulles cutanées ou des mu-queuses externes. La diversité des dermatoses bulleusesautoimmunes impose une enquête clinique, anatomopatho-logique et immunopathologique.

PHYSIOPATHOLOGIE

La cohésion de la peau, en particulier de l’épiderme, est assu-rée par deux systèmes d’adhésion :

– la cohésion de l’épiderme est principalement assurée parles desmosomes qui permettent l’adhésion des kératinocytesentre eux ;

– la JDE permet d’assurer une bonne adhésion entre l’épi-derme et le derme sous-jacent ; c’est une région macromolé-culaire complexe qui comprend, de la superficie vers laprofondeur : les hémidesmosomes, les filaments d’ancrage,la lame dense et les fibrilles d’ancrage.

Parmi les dermatoses bulleuses auto-immunes (DBAI), ondistingue, en fonction du site de clivage :

– les DBAI sous-épidermiques, avec perte de l’adhésiondermo-épidermique par altération d’un composant de la JDEpar des autoanticorps ;

– les DBAI intraépidermiques (groupe des pemphigus) oùla perte de cohésion des kératinocytes (acantholyse) est due àl’altération des desmosomes par des autoanticorps.

DIAGNOSTIC POSITIF

Clinique

Une bulle est une collection liquidienne superficielle à conte-nu clair ou sérohématique de plusieurs millimètres de diamè-tre. Elle peut siéger sur la peau ou les muqueuses (buccale,génitale…). Il faut savoir également évoquer une dermatosebulleuse devant une érosion postbulleuse, en particulier surles muqueuses, caractéristique par sa forme arrondie et la pré-sence d’une collerette épithéliale périphérique ou encore de-vant un vaste décollement épidermique donnant un aspect de« linge mouillé sur la peau ». Le signe de Nikolsky correspondà un décollement cutané provoqué par le frottement appuyéde la peau saine. Il traduit un décollement intraépidermique(acantholyse) au cours des pemphigus.

Histologie

La bulle peut résulter d’un clivage entre le derme et l’épider-me (bulle sous-épidermique) ou d’un clivage à l’intérieur del’épiderme (bulle intraépidermique). Il existe une assez bon-ne concordance entre l’aspect clinique d’une bulle récente(moins de 12 h) et son type histologique :

– en cas de clivage sous-épidermique : la bulle est tendue, àcontenu clair ou parfois hématique ;

– en cas de clivage intraépidermique : la bulle est flasque etfragile.

Immunopathologie

Le diagnostic positif d’une DBAI repose sur l’examen en im-munofluorescence directe (IFD) d’une biopsie de peau (ou demuqueuse externe) péribulleuse qui objective des dépôts

Objectifs pédagogiques

– Diagnostiquer une pemphigoïde bulleuse, un pemphigus.

– Argumenter les principes du traitement et la surveillance au long cours.

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d’immunoglobulines G (IgG) et/ou de C3, in vivo, qui peuventêtre localisés :

– le long de la JDE dans les DBAI sous-épidermiques, don-nant un aspect linéaire ;

– sur la membrane des kératinocytes dans les DBAI intraé-pidermiques (pemphigus), donnant un aspect en maille de fi-let (ou en résille) ;

– au sommet des papilles dermiques dans la dermatite her-pétiforme, d’aspect granuleux.

Il est complété par l’examen du sérum en immunofluores-cence indirecte (IFI) recherchant la présence d’autoanticorpscirculants antiépiderme (anticorps anti-JDE, anticorps anti-membrane des kératinocytes).

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

D’une dermatose bulleuse

La bulle doit être distinguée :– de la vésicule, de plus petite taille (1 à 2 mm de diamètre) ;– de la pustule dont le contenu est purulent.Cependant, certaines DBAI (dermatite herpétiforme, pem-

phigoïde bulleuse) s’accompagnent volontiers de vésicules.Inversement, il peut exister des formes bulleuses de maladieshabituellement non bulleuses. C’est le cas de dermatoses vé-siculeuses comme l’herpès, le zona ou l’eczéma (formationde bulles par coalescence de vésicules), ou de vasculites né-crotico-bulleuses (bulles par nécrose de l’épiderme).

Les érosions postbulleuses doivent être différenciées desautres érosions ou ulcérations primitives (chancre, aphtes),notamment sur les muqueuses buccales ou génitales.

D’une maladie bulleuse auto-immune

Les dermatoses bulleuses non auto-immunes seront élimi-nées sur l’aspect clinique, l’évolution et surtout la négativitédes examens immunopathologiques, essentiellement l’IFDcutanée.

Chez l’adulte, on élimine :– une toxidermie bulleuse (érythème pigmenté fixe bulleux,

syndrome de Stevens-Johnson, nécrolyse épidermiquetoxique) ; elle se caractérise cliniquement par un début brutal,une rapidité d’évolution, une fréquence de l’atteinte muqueu-se et des signes généraux imposant l’hospitalisation enurgence ; l’interrogatoire recherche la prise récente de médi-caments inducteurs ;

– une porphyrie cutanée tardive : caractérisée par des bullesdes régions découvertes d’évolution cicatricielle, une fragilitécutanée, une hyperpigmentation et une hyperpilosité tem-poro-malaire ; le diagnostic repose sur le taux élevé d’uropor-phyrines dans les urines ;

– une dermatose bulleuse par agents externes : bulles decause physique (« coup de soleil », photophytodermatose ou

« dermite des prés ») ou chimique (dermite caustique, piqû-res d’insectes, etc.) dont le diagnostic repose sur l’anamnèse.

Chez l’enfant, on élimine :– une épidermolyse bulleuse héréditaire, due à des mutations

de gènes codant diverses protéines de la JDE ; elle débute gé-néralement en période néonatale et se caractérise par une fra-gilité cutanée anormale responsable de bulles siégeant auxzones de friction ou de traumatisme (extrémités, faces d’exten-sion des membres) ; le diagnostic repose sur l’aspect clinique,les antécédents familiaux, l’étude en microscopie électroniqued’une biopsie cutanée et, dans certains cas, l’identification dela mutation en cause par la biologie moléculaire ;

– une épidermolyse staphylococcique : dermatose bulleuseaiguë due à l’action d’une toxine sécrétée par certaines sou-ches de staphylocoques dorés ; elle se caractérise par un décol-lement épidermique très superficiel (sous-corné) et survientdans un contexte infectieux ;

– un érythème polymorphe bulleux : caractérisé cliniquementpar des lésions cutanées éruptives en « cocardes » ou« cibles » à disposition acrale (coudes, genoux, mains, visage),évoluant spontanément vers la guérison en 2 à 3 semaines ;les lésions muqueuses bulleuses ou érosives sont fréquentes ;il est en règle postinfectieux, survenant le plus souvent aprèsun herpès récurrent.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Il repose sur l’interrogatoire, l’aspect clinique et les examenscomplémentaires, en particulier immunopathologiques.

Interrogatoire

Il précise :– la prise de médicaments possiblement inducteurs : D-pé-

nicillamine, inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) aucours des pemphigus, diurétiques épargnant le potassium aucours de la pemphigoïde bulleuse ;

– les antécédents personnels ou familiaux de maladiesauto-immunes ;

– l’âge de début (pemphigoïde bulleuse touchant habituel-lement des sujets très âgés) ;

– les signes fonctionnels : prurit (fréquent dans la pemphi-goïde bulleuse, douleurs locales ;

– les circonstances d’apparition : grossesse pour la pemphi-goïde gravidique ;

– l’existence d’un terrain débilité devant faire craindre unretentissement important de la maladie et de son traitement.

Examen clinique

Il précisera :– l’aspect des bulles (tendues ou flasques) et leur taille ;

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Dermatoses bulleuses auto-immunes

– l’existence d’un signe de Nikolsky (évocateur de pemphigus) ;– l’état de la peau péribulleuse (saine ou érythémateuse) et

les signes cutanés associés ;– la topographie des lésions par un examen complet de la

peau et de toutes les muqueuses externes (buccale, conjoncti-vale, génitale) ;

– l’étendue des lésions (bulles, érosions), le nombre moyende nouvelles bulles quotidiennes et le degré de surinfectionlocale ;

– le retentissement sur l’état général (signes de déshydrata-tion ou d’infection systémique).

Toute forme étendue ou rapidement évolutive impose unehospitalisation en service spécialisé.

Examens complémentaires

L’interrogatoire et l’examen clinique permettent, dans la plu-part des cas, une bonne orientation diagnostique. Cependant,le diagnostic de certitude nécessite le recours à des examenscomplémentaires :

– biopsie d’une bulle intacte et récente pour examen histo-pathologique standard ;

– biopsie en peau péribulleuse pour IFD, à congeler immé-diatement dans de l’azote liquide ou à mettre dans un milieude transport spécial ;

– prélèvement sanguin pour recherche d’anticorps antiépi-derme par IFI ; cet examen permet de rechercher des anti-corps réagissant avec la JDE (anticorps antimembrane basale)ou avec la membrane des kératinocytes en précisant leur clas-se (IgG, IgA) et leur titre ;

– numération-formule sanguine à la recherche d’une éosi-nophilie (pemphigoïde bulleuse).

Dans certains cas difficiles de DBAI sous-épidermiques,d’autres examens complémentaires, qui ne sont pas réalisa-bles en routine, peuvent s’avérer nécessaires :

– immunomicroscopie électronique directe sur biopsiecutanée ;

– IFI sur peau humaine normale clivée ; cet examen réalisésur le sérum du malade permet de localiser les anticorps an-timembrane basale par rapport au clivage induit par le NaClmolaire (marquage au toit ou au plancher de la bulle) ;

– immunotransfert (synonyme : immunoblot, Western-Blot) ; cet examen étudie la réactivité du sérum du patient surles protéines extraites de peau normale ; il permet de caracté-riser les autoanticorps sériques en fonction du poids molécu-laire des antigènes reconnus ;

– enzyme linked immunoabsorbent assay (ELISA) pour distin-guer les épitopes-cibles des autoanticorps sériques.

PRINCIPALES MALADIES

DBAI sous-épidermiques

Les DBAI sous-épidermiques sont multiples et sont liées à laproduction d’auto-anticorps dirigés contre différentes protéi-nes de la JDE.

PEMPHIGOÏDE BULLEUSE

C’est la plus fréquente de toutes les DBAI. Elle touche surtoutles sujets âgés (en moyenne : 80 ans).

Signes cliniques

La maladie peut débuter par un prurit généralisé, par des pla-cards eczématiformes ou urticariens. L’éruption caractéristi-que est faite de bulles tendues, à contenu clair, souvent degrande taille, siégant sur base érythémateuse (macules et papu-les prenant parfois un aspect urticarien) (fig. 1). Le prurit est in-tense. Les lésions sont symétriques avec une prédilection pourles faces de flexion et la racine des membres, la face antéro-interne des cuisses et l’abdomen. L’atteinte muqueuse est rare.

Diagnostic

Il se fait sur les examens suivants :– numération-formule sanguine : hyperéosinophilie fréquente ;– histologie standard : bulle sous-épidermique contenant

des éosinophiles, sans acantholyse ni nécrose des kératinocy-tes, associée à un infiltrat inflammatoire dermique polymor-phe (fig. 2) ;

– IFD : dépôts linéaires d’IgG et/ou de C3 le long de lamembrane basale de l’épiderme (fig. 3) ;

– IFI standard : anticorps antimembrane basale (IgG) dans80 p. 100 des cas (titre variable non lié à la sévérité ou à l’éten-due de la maladie) ;

– IFI sur peau clivée : les anticorps se fixent au toit de lazone de clivage.

Antigènes-cibles

Par immunotransfert réalisé à partir de protéines épidermi-ques, les autoanticorps réagissent avec deux protéines del’hémidesmosome : AgPB1 (230 kD) et/ou AgPB2 (180 kD).

Évolution et traitement

La PB est une maladie grave, puisque le taux de mortalité à1 an est de 30 à 40 p. 100. Les malades décèdent principale-ment de complications infectieuses (septicémies, pneumopa-thies) ou cardiovasculaires (insuffisance cardiaque, accidentvasculaire cérébral) souvent favorisées par le traitement corti-coïde et/ou immunosuppresseur.

Le traitement comporte des mesures propres à toute mala-die bulleuse : bains antiseptiques, hydratation et nutritioncompensant les pertes hydroélectrolytiques et protéiques.

La corticothérapie générale constituait jusqu’à récemmentle traitement de référence (prednisone : 0,5 à 1 mg/kg/j suivid’une dégression progressive jusqu’à une dose d’entretien).

Des études récentes montrent qu’une forte corticothérapielocale utilisant le propionate de clobetasol (crème Dermoval40 g/j) a une efficacité similaire à la corticothérapie généraleet une meilleure tolérance. Les mesures adjuvantes à toutecorticothérapie doivent être associées. Le traitement d’atta-que est poursuivi une quinzaine de jours après le contrôle dela maladie. La corticothérapie est ensuite diminuée progres-sivement par paliers. Le traitement est poursuivi pendantune durée de 6 à 12 mois.

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Les traitements immunosuppresseurs (azathioprine, my-cophénolate mofétil) sont indiqués en cas de résistance à lacorticothérapie.

La surveillance est essentiellement clinique, portant initia-lement sur un décompte quotidien du nombre de bulles puissur une récidive éventuelle de la maladie. Rappelons l’impor-tance d’une surveillance de la tolérance du traitement corti-coïde, la morbidité et la mortalité d’origine iatrogène étantmajeures à cet âge.

PEMPHIGOÏDE GESTATIONIS (SYN. : PEMPHIGOÏDE DE LA GROSSESSE, PEMPHIGOÏDE GRAVIDIQUE)

C’est une forme très rare de pemphigoïde survenant spécifi-quement lors de la grossesse ou du post-partum, favorisée pardes modifications transitoires de l’immunité observées dansces situations. Elle débute dans le 2e ou 3e trimestre, souventà la région périombilicale, et peut récidiver lors de grossessesultérieures, parfois de manière plus précoce. Le pronostic fœ-tal est dominé par le risque de prématurité et par un petitpoids de naissance. Le traitement repose, selon la sévérité, surla corticothérapie locale ou générale.

PEMPHIGOÏDE CICATRICIELLE

Cette DBAI touche surtout le sujet âgé et est caractérisée parl’atteinte élective des muqueuses :

– buccale : gingivite érosive, stomatite bulleuse ou érosive ;– oculaire : conjonctivite synéchiante avec risque de cécité

par opacification cornéenne (fig. 4) ;– génitale : vulvite ou balanite bulleuse ou érosive.L’atteinte cutanée est inconstante (un quart des cas) avec

des érosions chroniques laissant des cicatrices dépriméesprédominant à la tête et au cou.

Diagnostic

L’IFD est analogue à celle de la pemphigoïde bulleuse. Desanticorps antimembrane basale de l’épiderme sont incons-tamment détectés par IFI. Par IFI sur peau clivée, ils se fixentau toit ou au plancher de la bulle. Par immunotransfert, ilsréagissent surtout avec l’AgPB2 (180 kD). L’immunomicros-copie électronique directe est souvent nécessaire au diagnos-tic de certitude, montrant des dépôts immuns épais dans lalamina lucida, débordant sur la lamina densa.

Traitement

Il repose en première intention sur la dapsone (Disulone) à ladose de 50 à 100 mg/j. En cas d’atteinte oculaire évolutive, letraitement repose sur l’utilisation de cyclophosphamide(Endoxan) seul ou associé à une corticothérapie générale.

DERMATITE HERPÉTIFORME

Très rare en France, la dermatite herpétiforme est une mala-die débutant chez l’adolescent ou l’adulte jeune. Elle évoluepar poussées entrecoupées de rémissions spontanées. Sa phy-siopathologie est incomplètement comprise. Elle fait interve-nir une hypersensibilité à la gliadine contenue dans le gluten,comme la maladie cœliaque qui lui est souvent associée.

Le tableau clinique est dominé par un prurit diffus, long-temps isolé. Les bulles et/ou vésicules ont une disposition sy-métrique aux coudes, genoux et fesses et se regroupent enanneau ou en médaillon.

L’histologie cutanée montre un clivage sous-épidermiqueassocié à des microabcès du derme papillaire à polynucléai-res neutrophiles et éosinophiles. L’IFD montre des dépôtsgranuleux d’IgA, en mottes, dans les papilles dermiques,sous la JDE. Des anticorps circulants antiréticuline, antien-domysium et antigliadine sont souvent retrouvés.

La DH est associée à une entéropathie au gluten, le plussouvent asymptomatique. Une biopsie du grêle montreraitune atrophie villositaire caractéristique.

L’évolution de la maladie est chronique, les poussées étantparfois provoquées par une prise excessive de gluten. Le risqueévolutif majeur mais rarissime est représenté par la survenued’un lymphome du grêle. Le traitement repose essentielle-ment sur le régime sans gluten qui est très contraignant, et surla disulone.

DERMATOSE À IgA LINÉAIRE

Son individualisation reste discutée. Elle est définie par desdépôts linéaires d’IgA sur la membrane basale de l’épidermeen IFD et un clivage sous-épidermique en histologie. Elle sur-vient à tout âge, mais en particulier chez l’enfant.

L’aspect clinique est souvent celui d’une pemphigoïde. Lesbulles de grande taille, associées à des vésicules à groupementarrondi (herpétiforme), prédominent sur la moitié inférieuredu tronc, sur les fesses, sur le périnée et sur les cuisses.

L’examen du sérum en immunotransfert montre une réac-tivité variable des anticorps contre plusieurs antigènes der-miques et épidermiques.

Chez l’adulte, il existe des formes d’évolution aiguë indui-tes par les médicaments (vancomycine).

Le traitement repose sur la disulone. L’évolution est habi-tuellement favorable en quelques semaines à quelques mois.

ÉPIDERMOLYSE BULLEUSE ACQUISE

Maladie exceptionnelle de l’adulte, elle se caractérise par desbulles mécaniques en peau saine sur les zones de frottementet les extrémités laissant des cicatrices atrophiques. Le dia-gnostic repose sur des examens immunopathologiques so-phistiqués.

DBAI intraépidermiques (pemphigus)

DÉFINITION, ÉPIDÉMIOLOGIE

Les pemphigus sont des maladies auto-immunes rares quitouchent la peau et les muqueuses. Les autoanticorps pré-sents dans les sérums des malades sont dirigés contre desconstituants du desmosome et sont responsables de l’acan-tholyse et du clivage intraépidermique. On distingue troisgrands types de pemphigus : le pemphigus vulgaire (PV) oùle clivage est suprabasal, les pemphigus superficiels (PS) où

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Dermatoses bulleuses auto-immunes

le clivage est sous-corné et le pemphigus paranéoplasique(PPN), souvent associé à une hémopathie maligne. L’associa-tion à d’autres maladies auto-immunes est possible : myas-thénie, lupus érythémateux, maladie de Gougerot-Sjögren,polyarthrite rhumatoïde, maladie de Basedow, glomérulo-néphrites.

SIGNES CLINIQUES

Le pemphigus vulgaire débute le plus souvent de façon insi-dieuse par des lésions muqueuses. L’atteinte buccale (fig. 5),faite d’érosions douloureuses, traînantes pouvant gêner l’ali-mentation, est plus fréquente que les atteintes génitale et ocu-laire. L’atteinte cutanée survient secondairement, plusieurssemaines ou plusieurs mois après les érosions muqueuses.Elle se caractérise par des bulles flasques à contenu clair, sié-geant en peau saine. Les bulles sont fragiles et laissent rapide-ment place à des érosions postbulleuses cernées par unecollerette épidermique (fig. 6). Il existe un signe de Nikolskyen peau périlésionnelle, et parfois en peau saine. Des éro-sions œsophagiennes, vaginales et rectales sont égalementpossibles. Le pemphigus végétant est une forme clinique ca-ractérisée par l’évolution végétante des lésions qui se locali-sent dans les grands plis.

Les pemphigus superficiels regroupent le pemphigus sébor-rhéique qui est une forme localisée de la maladie et le pemphi-gus foliacé sporadique ou endémique (fogo selvagem) quicorrespond à une forme disséminée. Dans le pemphigus sébor-rhéique, les bulles, très fugaces et inconstantes, sont rempla-cées par des lésions squamo-croûteuses, parfois prurigineuses,distribuées sur les zones séborrhéiques : thorax, visage, cuirchevelu, région interscapulaire (fig. 7). Il n’existe habituelle-ment pas d’atteinte muqueuse. Dans les formes sévères, le ta-bleau clinique est celui d’une érythrodermie squameuse.

Le pemphigus paranéoplasique est une forme exceptionnellede pemphigus associé à différents types de proliférations ma-lignes, notamment des hémopathies lymphoïdes.

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

Le diagnostic est confirmé par l’examen histologique d’unebulle récente (bulle intraépidermique suprabasale dans lepemphigus vulgaire, clivage dans la couche granuleuse dansles pemphigus superficiels) avec acantholyse (kératinocytesdétachés) (fig. 8).

L’étude en IFD d’une biopsie de peau péribulleuse montredes dépôts d’IgG et de C3 sur la membrane des kératinocytes,prenant un aspect en résille ou en mailles de filet (fig. 9).

L’examen du sérum en IFI montre des anticorps circulantsde classe IgC dirigés contre la surface des kératinocytes, en-core abusivement appelés « anticorps anti-substance inter-cellulaire épidermique », dont le titre est corrélé à l’activité dela maladie.

Les techniques d’immunotransfert et d’ELISA permettentde déterminer les antigènes reconnus par les autoanticorpscirculants (desmogléine 3 au cours des pemphigus vulgaires,desmogléine 1 au cours des pemphigus superficiels).

PRONOSTIC, TRAITEMENT

La mortalité se situe actuellement autour de 5 p. 100 et estprincipalement due aux complications iatrogènes.

Le traitement d’attaque est destiné à contrôler la maladie.Le traitement d’entretien à dose progressivement décroissan-te vise à maintenir la rémission complète, clinique et immu-nopathologique (disparition des anticorps circulants). Ilrepose essentiellement sur la corticothérapie générale à fortedose : prednisone (1 à 1,5 mg/kg/j). Des traitements immuno-suppresseurs, par azathioprine, cyclophosphamide ou ciclos-porine, sont parfois associés à la corticothérapie en cas derésistance au traitement corticoïde. Les doses de corticoïdessont ensuite progressivement diminuées, un traitement deplusieurs années étant souvent nécessaire. La disulone et lesdermocorticoïdes constituent une alternative thérapeutiqueintéressante dans les formes peu étendues et au cours despemphigus superficiels.

AUTRES FORMES DE PEMPHIGUS

Les pemphigus médicamenteux sont déclenchés par les médica-ments contenant un groupe thiolé tels que la D-pénicillamine,le captopril, la thiopronine, la pyrithioxine mais égalementavec d’autres substances (piroxicam, bêtabloquants, phénylbu-tazone, rifampicine). L’acantholyse peut être secondaire à l’ac-tion directe du médicament, l’IFD est alors négative et, à l’arrêtdu traitement, l’évolution est favorable. Plus souvent, le médi-cament ne fait que déclencher un pemphigus auto-immun.L’IFD montre alors un marquage de type pemphigus et il exis-te un risque d’autonomisation de la maladie malgré l’arrêt dutraitement, nécessitant le recours à la corticothérapie.

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Points clés

1. Le diagnostic des différentes maladies bulleuses auto-immunes repose sur l’examen clinique complété par l’examen histologi-que d’une biopsie cutanée et par la recherche d’anticorps antiépiderme (dirigés contre des protéines de la jonction dermo-épidermique au cours de la pemphigoïde et des jonctions interkératinocytaires au cours du pemphigus).2. Les anticorps antiépiderme fixés in vivo sont détectés par immunofluorescence directe et les anticorps sériques par immuno-fluorescence indirecte, immunotransfert ou ELISA.3. Une dermatose bulleuse étendue et/ou rapidement évolutive impose une hospitalisation en service spécialisé.4. La plus fréquente des dermatoses bulleuses auto-immunes est la pemphigoïde bulleuse : elle se traduit par un prurit et des lé-sions cutanées à type de grosses bulles tendues ; elle survient chez les sujets âgés et est à l’origine d’une importante mortalité(30 p. 100 après 1 an de traitement) et d’une lourde morbidité principalement d’origine iatrogène.5. Le pemphigus vulgaire se traduit essentiellement par des érosions muqueuses, en particulier de la muqueuse buccale, à l’origined’une dysphagie.6. Le traitement des principales maladies bulleuses auto-immunes repose principalement sur la corticothérapie locale ou générale.

Fig. 1. Pemphigoïde bulleuse : bulles tendues sur base érythémateuse (face interne de la cuisse).

Fig. 2. Pemphigoïde bulleuse : biopsie cutanée standard ; bulle sous-épidermique sans acantholyse.

Fig. 3. Pemphigoïde bulleuse : immunofluorescence directe cutanée ; dépôts linéaires d’IgG le long de la membrane basale de l’épiderme.

Fig. 4. Pemphigoïde cicatricielle : synéchies conjonctivales.

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Dermatoses bulleuses auto-immunes

Fig. 5. Pemphigus vulgaire : érosions (postbulleuses) gingivales.

Fig. 6. Pemphigus vulgaire : érosions et croûtes cutanées présternales.

Fig. 7. Pemphigus superficiel : lésions érythémato-squameuses à bordure figurée.

Fig. 8. Pemphigus vulgaire : biopsie cutanée standard ; bulle intraépidermique par décollement suprabasal avec acantholyse.

Fig. 9. Pemphigus vulgaire : immunofluorescence directe cutanée ; dépôts interkératinocytaires d’IgG.