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Le livreLucien, treize ans, sait que les vrais ennuis commencent

aux portes du collège et ne s’arrêtent pas là. Il y a toujours

un prof pour vous réveiller en plein cours et vous coller

deux heures. En permanence, il n’y a personne. Ni Basile,

son ami fidèle rebaptisé Croûton, ni Rosa Bonheur, sa

vieille copine peintre morte il y a 120 ans.

Là-bas, il n’y a que l’ennui. Et Lucien n’aime pas ça.

Comme il n’aime pas : les quatrièmes, les sixièmes, les

cinquièmes, les troisièmes…

Pour s’occuper, Lucien a l’idée de dresser la liste de

tout ce qu’il n’aime pas. Il est sonné devant l’ampleur de la

tâche. Justement, Lucien vient d’atterrir sur le menton

d’une fille. Elle s’appelle Fatou et c’est un phénomène.

Tout le monde a peur d’elle. C’est dit, Lucien ne l’aime

pas, et c’est réciproque. Fatou propose un duel : celui qui

déteste le plus de choses au monde l’emporte. Ça, Lucien

aime bien.

L’auteurJérôme Lambert est né à Nantes en 1975 et vit au-jourd’hui à Paris où il travaille à présent dans l’édition.Tout en lisant beaucoup, il traduit les auteurs qu’il aime(comme Chaim Potok et Jerry Spinelli) et écrit à son tour.Outre ses livres à l’école des loisirs, il a publié deux romansLa Mémoire neuve en 2003 et Finn Prescott en 2007 aux éditions de l’Olivier.

« Jérôme Lambert a le chic pour dire avec humour etélégance, les tourments de l’adolescence, l’embarrasde soi-même et de son corps, le sentiment, toujours,d’être comme une mouche dans un bol de lait. »

Michel Abescat, Télérama

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Jérôme Lambert

J’aime pas le lundi

Neufl’école des loisirs

11, rue de Sèvres, Paris 6e

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pour Pauline et pour Ondine, que j’aime du lundi au dimanche

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– Lemeur ! Vous dormez ?Apparemment la question s’adresse à moi.

D’ailleurs, étant donné le ton aimable sur lequelces trois mots viennent de traverser la salle commedes boulets de canon, on ne peut pas exactementparler de question. On est plus proche de la gifle.

Quoi qu’il en soit, je suis le seul à porter cenom dans cette classe de trente-quatre élèves etje ne peux pas faire semblant plus longtemps.Franchement, ça ne m’arrange pas. Je me seraisbien passé d’un réveil aussi brutal. Parce que, pourrépondre à la question du gracieux M. Pointellequi me sert de prof de SVT, eh bien, oui, je dor-mais. Et profondément en plus. Je sais que je ne suis pas en position d’exprimer mon point devue à ce moment précis, mais je le donne quandmême : je déteste être réveillé brusquement.

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Surtout pour entendre mon nom de famillehurlé par un petit caporal ventru du genre dePointelle.

– Non, non, monsieur, je réfléchissais, lui ai-jerépondu d’une voix de zombie.

On ne sait jamais, ça peut marcher.– Eh bien, allez réfléchir en salle de perma-

nence pendant deux petites heures et revenezquand ça ira mieux. Et vous passerez chez leCPE, histoire de lui faire part de vos réflexions.

Bon, ça n’a pas marché. Petit Caporal Ventrun’est pas idiot et il a du métier, de la bouteille,comme il dit. D’ailleurs il le répète souvent et àn’importe quelle occasion: « J’ai d’la bouteille, mesp’tits gars. Ne me prenez pas pour un imbécile. »

Je rassemble mes idées et mes affaires et je melève, majestueux et réveillé. L’important, c’estd’avoir l’air digne en remontant l’allée qui mèneà la porte. L’important, c’est que les copains sentent que je suis de leur côté, que j’ai tenu têteau prof, voire que c’est pas bien grave d’aller enperm’ pour ça, que je m’en fiche complètement

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et que ça m’amuse plutôt. L’important, c’estd’avoir un petit sourire au coin des lèvres pourque les copains prennent mon inconscience pourdu courage. L’important, c’est de regarder le profdans les yeux et d’entendre les copains étoufferun rire complice.

Enfin, c’est important quand on a des copains.Et je dois bien reconnaître que ce n’est pas ma

grande spécialité. Je ne suis pas seul au mondedans ce collège, attention. Je ne suis pas un casisolé qui passerait ses récréations assis en tailleursur le bitume, s’agitant silencieusement d’avanten arrière pour tenter de communiquer menta-lement avec ses amis les insectes. Mais disons queje ne suis pas non plus la nouvelle star de la cour.

J’ai un bon copain, Croûton, un héritage del’école primaire. Bien sûr, il ne s’appelle pas Croû-ton. Il s’appelle Basile. C’était le seul de la classede CP que j’aimais parmi les autres. Or les croû-tons sont les seuls ingrédients que j’aime dans lasalade César. Quand on s’est rendu compte versle CM2 que nos prénoms n’étaient plus donnésà aucun enfant depuis plus de cent cinquante ans,

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quand on a découvert que nos parents respectifsétaient atteints du même mal qui consiste à infli-ger à leur progéniture des noms préhistoriquessans se soucier de leur vie future et de leur inté-gration sociale, on a décidé de prendre les chosesen main et de rendre son surnom public. Alorsvoilà, c’est Basile qui a pris et qui est devenuCroûton. Il ne s’en est jamais plaint et c’est resté.

En matière de copains, on peut aller jusqu’àdeux si on compte Rosa. Rosa, c’est la dame quidonne son nom au collège et dont le portrait estsuspendu dans le hall d’entrée. Rosa est morte ily a cent vingt ans, on ne peut donc pas vraimentla considérer comme une copine. Pourtant je luiparle matin et soir quand je passe devant elle,c’est la moindre des choses. Elle est là tous lesjours, elle a sûrement eu une vie chouette rem-plie de choses bonnes et justes, et pour la récom-penser on donne son nom à un collège. Sympa.Ça ne donne pas envie de faire des choses biendans la vie. Sur ce tableau, elle porte une granderobe noire avec un tas de nuances incroyables

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dont je n’aurais jamais soupçonné l’existence. Du noir mat, du noir brillant, du noir gris, dunoir profond et moelleux comme du veloursqu’on croirait vrai, du noir fluide et irisé commede l’encre, ou du noir figé et texturé comme ducharbon. Et un noir encore différent pour tousles petits boutons qui ferment son corsage. Unecollerette en dentelle blanche assez rigoloteforme comme une étoile tout autour de son couet s’étale jusqu’à ses épaules, elle regarde au loincomme si elle attendait quelque chose ouquelqu’un pour la débarrasser de son ennui. Letout appuyé sur un bœuf. Oui, oui, l’animal. Sonbras droit est négligemment, mais élégammentposé à la perpendiculaire de son buste, elle tientun pinceau ou un stylo au bout des doigts, saufque là où d’habitude, dans un tableau classique,elle se serait appuyée sur un fauteuil rouge trèsélégant, un chevalet de peintre ou même unegrosse coquille Saint-Jacques dorée, eh bien, là,c’est un bœuf. Un bœuf roux et gras qui sedemande bien ce qu’il fait là et qui fixe le spec-tateur d’un air pas commode et très stupide.

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Un bœuf qui aurait pu être prof de SVT, parexemple.

Bref, Rosa est une copine, une amie person-nelle, mais je ne préfère pas l’ébruiter, histoirequ’on ne me prenne pas pour un dingue.

Même Croûton ignore tout de mon amitiéavec elle.

Voilà, on a fait le tour de mes amis, copains,proches et autres connaissances. Je sais, c’est peu,très peu, c’est un butin assez maigre pour un gar-çon de treize ans scolarisé et entouré de l’amourdes siens, mais je n’ai rien à ajouter, personned’autre à inscrire au palmarès. Pas même unchien fidèle ou un poisson rouge déprimé. Ausujet de l’amitié, je me rassure, si besoin, en pen-sant à une phrase que m’avait dite un jour madouce et bouclée baby-sitter : «Ce n’est pas unami que l’ami de tout le monde. » Contrairementà beaucoup de ces phrases d’adultes qu’on necomprend pas à l’âge de huit ans mais seulementdes années plus tard, celle-ci s’était plantée dansmon cerveau et quelque part dans ma poitrine etelle m’avait réchauffé.

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Une fois sorti de la classe de Petit CaporalVentru À Tête De Bœuf Roux, je me dirige versla salle de permanence puisque telle est ma peineà purger. Je fais un petit détour pour passerdevant Rosa, je lui dis qu’elle a de la chance dene pas avoir SVT le lundi matin à 9 heures, etque Bonheur est tout de même un nom defamille beaucoup plus agréable à entendre auréveil que Lemeur, même si ça finit pareil. Ellene réagit pas, mais je suis sûr qu’elle compatit.

Nous sommes quatre dans la salle de perma-nence et je me sens très seul au monde. Là, pourle coup, j’aimerais avoir un chien.

Je m’assois en soupirant. Je me demande ceque je vais faire de ces deux heures de videabsolu en dehors des exercices que Bœuf Ventrum’a ordonné de résoudre. Je sors machinalementun cahier et un crayon. J’essaie de dessiner Poin-telle en train de brouter dans un pré. Sa pansetombe mollement sur l’herbe, des moucheronstournent autour de son énorme postérieur, etson regard est plus abruti que jamais. Je sais, et je

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n’en suis pas fier, ce n’est pas très noble, c’est unepetite vengeance de ma part, mais c’est trèsSciences de la Vie et de la Terre comme dessinfinalement. Je suis un élève sérieux et concernéquand je m’y mets.

Malheureusement, ma petite blague nem’amuse que cinq minutes et il m’en reste centcinq à faire passer.

Je reste rêveur à contempler par les carreauxsales de la fenêtre le ciel qui est en train de sedégager, qui semble décidé à me laisser aperce-voir un peu de bleu. Je dois ressembler à un pen-seur à l’air absent et vide. Ajoutez-moi unecollerette et je serai le frère jumeau de Rosa dansson tableau.

J’aime pas le lundi.J’aime pas Pointelle ni le CPE.Pour faire court : j’aime pas le collège.C’est dit.C’est dit, c’est écrit et ça fait déjà trois lignes.

Trois lignes en une minute, c’est un bon rende-ment pour un lundi matin.

Ce n’était pourtant pas compliqué ! J’ai trouvé

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comment occuper les cent quatre minutes qu’ilme reste à passer dans cette magnifique salle dontla peinture jaunasse et sèche forme des rouleauxcraquelés aux angles du plafond : je vais dresserune liste. Une liste de tout ce que je n’aime paspuisque je suis parti sur ma lancée. Allez, au bou-lot, mon Lemeur ! Pas de quartier ni de bonssentiments.

Pour le coup, Bœuf Pansu aurait pu me met-tre au moins trois heures de colle, ça m’auraitarrangé pour une fois. Deux heures, ça ne va pasme laisser le temps de finir ma liste.

Voilà comment avait commencé ma semainede cours il y a quelques jours de cela.

Mais le pire restait à venir.

*

* *

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Une des plus grosses épreuves dans ma vie quo-tidienne (à part les endives au jambon au dîner,mais pour ça, il me faudrait six heures de collepour faire le tour du sujet et expliquer le pro-blème), un des pires moments de mon existenceest le matin. Je passe sur les étapes du réveil, dela douche, des vêtements à enfiler, du petitdéjeuner et du «Lucien, tu vas être en retard » demon père, immanquablement suivi du «Lucien,ta manche trempe dans ton bol » de ma mère.Car, pour moi, les vrais ennuis du matin com-mencent aux portes du collège.

Une première question : pourquoi tant demonde?

C’est une vraie question, je ne suis pas minis-tre et je ne lis pas les journaux, mais il y a unsérieux problème de logement des jeunes entre

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onze et quatorze ans dans ce pays. Une fois queles parents sont tranquillement partis au travailou qu’ils ont chassé leur progéniture pour resterencore plus tranquillement à la maison, eh biennous, on se retrouve à la rue. Voilà la vérité.Résultat : pagaille, hurlements et embouteillages.

Après avoir pénétré l’enceinte du bâtiment, le problème se complique, le goulot se rétrécit,et là, c’est le début de la fin. Il paraît que l’écoleexiste depuis longtemps. Tous ces problèmesdevraient donc être réglés. Pourtant, on assistechaque matin au même spectacle de bousculadedans les couloirs. C’est inimaginable ce que lecollégien moyen peut être motivé pour aller encours. On dirait qu’ils font la course. Principale-ment les garçons. Ça veut toujours être premierpartout, les garçons. Et ce sont les mêmes gar-çons qui passent leur temps à dire qu’ils détes-tent l’école, qui attendent la fin de la journée entrépignant, et qui refont la course dans l’autresens à 17 heures pour être les premiers sortis.Moi, je pense être cohérent : je n’aime pas l’écoledonc je me rends en classe d’un pas lent et rétif.

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C’est cohérent, mais c’est une mauvaise stratégie.On risque la mort par piétinement, on peutdevenir sourd, perdre un œil, des poignées decheveux, des lambeaux de vêtements et parfoismême un cartable tout entier. Pénétrer dans uncollège aux heures de pointe est une pratiqueextrême, un sport à haut risque. Le danger estpartout. Les sixièmes crient comme des sixièmes(c’est une question de développement du cer-veau, paraît-il), les cinquièmes écrasent les pieds,les mains, les visages et les sacs des sixièmes, et,tout en haut de la chaîne alimentaire, il y a lestroisièmes. Sous prétexte que dans dix mois ilsseront au lycée, les troisièmes se prennent pourles lions de la savane. Ils marchent à grandesenjambées, tapent tous les crânes à portée demain, et se permettent de faire la loi parmi lesplus jeunes. Non, vraiment, les troisièmes sontatroces. Je crois qu’ils sont plus maléfiques queles cinquièmes qui sont pourtant des fennecsfourbes et cruels.

Moi, c’est pire que tout, je suis entre lesdeux. Les quatrièmes sont un peu les hyènes du

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collège : on mange les restes. Et n’étant pas par-ticulièrement doué pour me défendre, ou tropendormi pour avoir de bons réflexes, je meretrouve invariablement ballotté entre les mursdes couloirs ou entre deux bandes de babouinsélectriques. Je préfère me plaquer dos au murdans l’escalier en attendant que le tsunami soitpassé et que tout le monde soit rentré dans saclasse.

J’aime pas les sixièmes, ni les cinquièmes,encore moins les troisièmes.

Les quatrièmes, n’en parlons pas.

Une fois seul dans les couloirs déserts, je peuxaller saluer Rosa et atteindre ma salle de classe àmon rythme. J’arrive toujours le dernier et mesprofs pensent à chaque fois que je suis en retardd’au moins dix minutes. Ça me semble très exa-géré, mais, si c’était vrai, cela représenterait àmon avis, et à l’échelle d’un cours de cinquante-cinq minutes, une marge de retard plus que raisonnable. Mais les profs sont rarement de monavis et je n’échappe pas au comité d’accueil.

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– Ah, quelle surprise ! Monsieur Lucien arriveaprès tout le monde! Monsieur Lucien avait sansdoute mieux à faire que de venir étudier desmatières qu’il déteste par-dessus tout, n’est-ce pas,monsieur Lucien?

Ça, c’est Mme Bachelet, la prof d’histoire.Toujours plus maligne que tout le monde. Toutça parce qu’elle est belle, qu’elle a des yeux depierre précieuse et une peau de pêche, elle s’ima-gine qu’elle peut tout se permettre. Ceci dit, elle est dans son droit : elle est professeur, je suisélève, mais quand même, il y a une injustice là-dedans. Tout ce que je lui demande, c’est d’arrê-ter avec ses «monsieur Lucien » à tout bout dechamp. Ça me stresse. C’est comme si elle meplantait une aiguille dans les fesses à chaque fois.Et un «monsieur Lucien » pour le retard dulundi, et un «monsieur Lucien » pour le retard dumercredi matin, un «monsieur Lucien » pour leretard groupé des deux heures du vendredi, et undernier «monsieur Lucien » pour la route. Sonseul but semble être de me coller la honte devant les copains. Enfin, devant Croûton, je veux dire.

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Désolé, madame Bachelet, je n’ai même pashonte. En général, je ne réponds rien, je baisse latête en grognant et je fonce m’installer sur machaise. Plutôt au dernier rang.

J’aime pas l’Histoire. Pas de ma faute.Je suis pas contre Mme Bachelet, mais non,

non et non, j’aime pas l’Histoire.

Bref, voilà comment habituellement les chosesse passent et me dépassent, et voilà pourquoi jedéteste le matin au collège. Il n’y a rien de drôleà rester échoué dans un couloir vide après le pas-sage de la marée humaine, accroché lamentable-ment à un portemanteau par un troisième dedeux mètres vingt (ça m’est arrivé UNE fois), oubien à finir scotché contre le menu de la cantine.Ça, c’est mon quotidien et je n’y prête même plusattention. Mais ce fameux lundi dernier, juste àla fin de la récréation du matin, au lieu de meprendre un simple cartable dans la face ou d’êtrearrêté dans mon élan par un innocent sac de sportde trois kilos, c’est sur Fatou que j’ai atterri.

Bing ! Stoppé net.

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Il faut préciser que bousculer Fatou n’est pas une très bonne idée. Même si on n’a pas faitexprès. Cette excuse enfantine ne marche pasdans le cas présent. Il faut préciser aussi que Fatouest grande, très grande, trop grande. Plus grandeque moi en tout cas. Elle a des épaules rondes desportive, une couleur différente sur chaque onglede ses mains, des perles dans les cheveux, elle faitun peu peur aux filles comme aux garçons. Etcomme les garçons sont de gros lâches, ils préfè-rent être gentils avec elle de peur qu’elle ne sefâche. Du coup tout le monde l’adore.

Sauf moi.Je ne peux pas la voir. Elle m’énerve. Elle

joue les cheftaines parce qu’elle se sait crainte parses congénères, elle use et abuse de son pouvoiret elle a une voix caverneuse, ce qui n’est pas très féminin. Je ne suis pas contre le fait quequelqu’un ait une petite cour à ses pieds unentourage de serviteurs prêts à toutes les humi-liations pour obtenir les faveurs de leur maîtreou de leur maîtresse, après tout si certaines per-sonnes trouvent du plaisir dans le fait de manger

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© 2010, l’école des loisirs, Paris, pour l’édition papier

© 2016, l’école des loisirs, Paris, pour l’édition numérique

Loi n° 49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications

destinées à la jeunesse : mai 2010

ISBN 978-2-211-2189-1 978-2-211-21898-6