22
JACQUES LE GOFF LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE ÉDITIONS DU SEUIL 25, bd Romain-Rolland, Paris XIV e Extrait de la publication

JACQUES LE GOFF - Numilogexcerpts.numilog.com/books/9782020227049.pdfde l’Antiquité naît dans le mythe au sein de la plus ancienne strate de haute culture de l’Occi-dent, la

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

JACQUES LE GOFF

LA VIEILLE EUROPEET LA NÔTRE

ÉDITIONS DU SEUIL25, bd Romain- Rolland, Paris XIV e

Extrait de la publication

ISBN

© C.H.Beck, Munich, pour les cartes

© Éditions du Seuil, juin 1994 pour la langue française

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à uneutilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite parquelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, estillicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Codepénal.

978-2-02- -112180 3

L Europe est ancienne et future à la fois. Elle areçu son nom il y a vingt-cinq siècles et pour-

tant elle est encore à l’état de projet. La vieilleEurope peut-elle répondre aux défis du mondemoderne ? Son âge est-il source de solidité oucause de fragilité ? Ses héritages la rendent-ellecapable ou incapable de s’affirmer dans la moder-nité ? En historiens, interrogeons la longuedurée.

L’Europe fait son entrée dans l’histoire par laporte de la mythologie. Fille d’Agénor, roi de Phé-nicie, elle aurait été enlevée par Zeus métamor-phosé en taureau qui la conduisit en Crète, où, deses amours avec le roi des dieux, naquit Minos.L’Europe ainsi baptisée par les géographes grecs

– 7 –

Extrait de la publication

de l’Antiquité naît dans le mythe au sein de laplus ancienne strate de haute culture de l’Occi-dent, la culture grecque. Et pourtant, la géogra-phie n’imposait pas l’individualisation d’uncontinent Europe. Le dessin de leurs côtes iden-tifie l’Afrique ou les Amériques. L’Europe n’estque la pointe de l’immense continent asiatiquequ’il faut donc appeler eurasiatique. Mais lesGrecs n’apportent pas de réponse à une questionqui deviendra et restera majeure : quelles sontles limites de l’Europe à l’Est ? Les steppes del’actuelle Russie, les hauts plateaux qui séparentl’Anatolie des vallées de l’Euphrate et du Tigresont la zone indécise où l’Europe sort de l’Asie.

Les Grecs ont pourtant une nette conscience de l’opposition entre ces deux continents et leurshabitants. Selon ses théories, qui accordent un rôledéterminant à l’influence du climat sur la naturephysique et morale des individus et des sociétés,comme le fera Montesquieu au XVIIIe siècle, Hip-pocrate, le célèbre médecin grec qui vécut à la findu Ve et au début du IVe siècle avant l’ère chré-tienne, estime que les Européens sont courageuxmais belliqueux, tandis que les Asiatiques sontsages, cultivés mais sans ressort ; les Européenstiennent à la liberté et sont prêts à se battre pour elle. Leur régime politique préféré est la

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 8 –

démocratie ; les Asiatiques acceptent aisément la servitude en échange de la prospérité et de la tranquillité, ils s’accommodent de régimes despotiques. Ce schéma idéologique qui subsis-tera jusqu’aux Lumières et au-delà (le conceptmarxiste de mode de production asiatique n’est-il pas l’héritier de la théorie du despotisme asia-tique ?) reflète la mentalité d’hommes marquéspar la lutte des cités grecques contre l’Empireperse mais offre à la naissance de la conscienceeuropéenne l’idée démocratique. Cette idée, le monde moderne la retrouve précisée et compliquée par l’histoire : les nations démocra-tiques d’aujourd’hui ont d’autres dimensionsque l’Athènes antique mais Platon et Aristote nesont-ils pas toujours des sources de la réflexioneuropéenne sur la démocratie ?

Quelques thèmes majeurs de l’histoire del’Europe sont ainsi posés dès l’Antiquité grecque.Les données géographiques toujours fondamen-tales, quoique modifiées par l’histoire politique,ne posent-elles pas toujours la même question :quelles frontières à l’Est pour l’Europe ? La civi-lisation grecque a proposé des valeurs essentiellesqui sont toujours aujourd’hui des instrumentsintellectuels et éthiques pour les Européens :l’idée de nature, l’idée de raison, l’idée de science,

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 9 –

Extrait de la publication

l’idée de liberté et surtout peut-être le concept de doute et sa pratique. L’esprit critique n’a-t-il pas été un des outils essentiels de la pensée et de l’action des Européens et ne demeure-t-il pas aujourd’hui un de ses grands atouts face auritualisme ou au fondamentalisme d’autres pen-sées qui n’ont pas su accueillir le doute métho-dique ?

L’Empire romain semble marquer un dérapagede l’Europe. Il est centré sur la Méditerranée, il englobe de larges portions de l’Afrique et del’Asie ; mais son centre, c’est l’Italie, pays euro-péanissime. Il fait mordre sa civilisation unitairesur de vastes régions : Portugal, Espagne, nord de l’Angleterre, Gaule, vallée du Rhin jusqu’àMaastricht, vallée du Danube jusqu’à Aquincumaux portes de l’actuelle Budapest. L’empreinteromaine est toujours visible dans nombre de villeseuropéennes car cette empreinte est surtouturbaine. L’Empire romain diffuse une langue qui donnera naissance à l’ensemble des languesromanes et qui demeure encore aujourd’hui, et ilfaut espérer qu’elle le demeurera longtemps, unelangue européenne de culture, le latin. Respec-tant les nations, il accorde avec l’empereur Cara-

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 10 –

Extrait de la publication

calla, au début du IIIe siècle de l’ère chrétienne, letitre, dont on est fier, de citoyen romain. Un saintPaul déjà, qui bénéficiait de ce titre, se sentait avecune égale fierté juif et romain. L’Empire romainrépand dans cette Europe qui va de l’Écosse à laSicile et de la Galice à la future Hongrie des habi-tudes que l’on retrouve toujours dans les mœurseuropéennes, qu’il s’agisse d’une haute culturefondée sur l’écrit, le livre et l’école, ou de pra-tiques quotidiennes. Les Européens consommentdu vin au-delà des régions qui le produisent, uti-lisent la pierre et la brique, en successeurs de ces maçons et de ces architectes qu’ont été lesRomains, ou encore ils font un usage public etsonore de la parole qui, dans les diverses languesde l’Europe, suscite un peu partout des orateurset s’exprime par la rhétorique.

Mais sous son apparente unité l’Empireromain a figé un grand clivage : celui qui sépareOccident latin et Orient grec.

L’Empire romain en Occident ne survécut pasà l’invasion et à l’installation des peuples, surtoutgermaniques, venus d’au-delà du limes. L’inef-ficacité de la ligne militaire de défense contre les nomades montre que toute muraille est inca-pable d’arrêter le mouvement de l’histoire et queles ensembles politiques et culturels qui s’enfer-

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 11 –

Extrait de la publication

ment derrière ces murailles ne s’en exposent quemieux au déferlement de ceux qu’elles n’ont su niaccueillir ni intégrer. L’effondrement de l’Empireromain est dû aussi à la déstructuration d’une économie monétaire à long rayon d’action, audéveloppement d’une crise urbaine, à la frag-mentation de l’économie en des régions rurali-sées, à la paupérisation des masses et à la crise des valeurs du monde païen. La préfigurationd’Europe qu’a été l’Empire romain d’Occidentrend ainsi manifeste la nécessité pour unensemble politique et culturel de garder vivantesensemble une économie et une monnaie, desvilles innovatrices, des populations échappant à la misère et des valeurs capables d’inspirer unefoi et d’éclairer l’action.

La grande nouveauté religieuse et idéologiquede l’Europe occidentale, à partir du IVe siècle, c’est le christianisme. Bientôt, il se scinde en unchristianisme latin à l’Ouest et grec à l’Est, ce quiapprofondit l’opposition entre la partie latine etla partie grecque de l’Empire romain. Ces deuxchristianismes s’éloignent toujours plus l’un de l’autre et créent une frontière culturelle delongue durée que viendront durcir des frontières

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 12 –

politiques, de la Scandinavie à la Croatie d’uncôté, englobant Baltes, Polonais, Tchèques, Slovaques, Hongrois, Slovènes, et de la Russie à la Grèce de l’autre côté. Un aspect de cette fron-tière offre aujourd’hui une image saisissante : lefossé passe entre la Croatie romaine catholique àl’Ouest et ce qui sera à l’Est la Serbie orthodoxe.Cette frontière, le schisme d’Orient la sanctionneen 1054. Il soustrait définitivement l’Églisegrecque à la papauté romaine et sépare la Chré-tienté occidentale de Byzance et du monde slaveorthodoxe. Elle va opposer deux ensembles : àl’Est, un monde byzantin fastueux, conservateurdes héritages antiques, de plus en plus affaibli par l’exploitation économique des Occidentaux,amenuisé par l’avance turque jusqu’à sa chute en 1453, un monde où le roi – le basileus – cumuleun pouvoir impérial et un pouvoir pontifical et unmonde russe hésitant entre le modèle occidentalet les attraits de l’Orient asiatique ; à l’Ouest, un monde divisé, barbarisé, mal unifié par deuxtêtes, le Pape et l’Empereur, mais qui va connaîtreun extraordinaire essor économique, politique,culturel et qui va entreprendre une expansion deplus en plus offensive, la Chrétienté latine. CetteChrétienté, c’est l’Europe médiévale. Les peuplesinstallés dans l’Empire romain forment avec les

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 13 –

populations qui y vivaient des États, placés sousl’autorité d’un chef conquérant qui prend le titrede roi et instaure une dynastie régnante : les Goths puis les Lombards en Italie, les Wisigothsen Aquitaine et en Espagne, les Francs en Gaule,les Anglo-Saxons dans une multiplicité de petitsroyaumes en Grande-Bretagne.

Ainsi se dessine une première ébauche d’Europesur un double fondement : la composante com-munautaire de la Chrétienté, modelée par la religion et la culture, et la composante plurielle desdivers royaumes fondés sur des traditions ethniques importées ou pluriculturelles anciennes(Germains et Gallo-Romains par exemple enGaule). C’est la préfiguration de l’Europe desnations, car dès ses origines l’Europe montre quel’unité peut être faite de la diversité des nations :nations et unité européennes sont liées.

Le christianisme marque d’autant mieux sonempreinte qu’elle se traduit aussi dans les insti-tutions, imposant à l’ensemble des États chré-tiens un double réseau : celui des diocèses, puisdes paroisses, et celui du monde monastique oùtriomphe au début du IXe siècle une même règle,celle de saint Benoît. Le monachisme bénédictin

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 14 –

Langue latine Langue grecque Frontières des provinces

L’Empire romain sous Auguste

Division de l’Italie en régions

I Latium-Campanie

II Apulie-Calabre

III Lucanie-Brutium

IV Samnium

V Picenum

VI

VII Étrurie

VIII Émilie

IX Ligurie

X Vénétie-Istrie

XI Tranpadane

Ombrie

I II

III

IV

VVIVII

VIIIIX

XXI

Afrique proconsulaire

PamphylieCrète

ÉgypteCyrénaïque

Lycie

Aquitaine

Sardaigne

Num

idie Sicile

Germanie inf.Belgiqu

e

Lugdunaise

Tarrasconaise

Lusitanie

Bétique

Rhétie

Pannom

ie

Illyrie Mésie

Macédoine

Achaïe

Asie

Bithynie et Pont

Galatie

Chypre

Cilicie Syrie

Phénicie

Judée

Germanie

Mauritanie

Thrace

Cappadoce

Roy.Parthe

Armén

ie

HibernieBretagne

Norique

Corse

Narbonnaise

Extrait de la publication

va dans les siècles suivants habituer les Européensà des pratiques du temps qui sous-tendent encorela gestion actuelle de nos journées. C’est d’abordle grand partage entre un temps de la prière etun temps du travail qui introduit une divisionentre ce qui demeurera et s’affirmera comme untemps du travail et ce qui évoluera vers un tempsdu repos, du loisir et de la fête. Ce sont, d’autrepart, les premiers signes sonores du temps quis’imposent à tous : la sonnerie des cloches,ancêtres de l’horloge parlante. C’est enfinl’emploi du temps des moines selon les divisionsrégulières des heures canoniques du jour et de lanuit, organisation du temps individuel et collectifqui sera relayé par un emploi du temps des bour-geois et des marchands à partir du XIVe et duXVe siècle, apprenant aux Européens les bénéficesd’une gestion rationnelle du temps, atout écono-mique et moral qui profitera à l’Europe même siles puissants (souverains, industriels, bureau-crates) abusent de leur pouvoir sur le temps.

Deux phénomènes capitaux émergent de cetteréorganisation de l’Empire romain d’Occident.

Le premier, c’est le refus d’un pouvoir théo-cratique, à la différence de l’Orient byzantin. EnOccident, à l’Église et au pape le pouvoir reli-gieux, au roi le pouvoir politique. Le précepte

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 16 –

Extrait de la publication

évangélique règle la dualité des pouvoirs :« Rendez à César ce qui est à César.» L’Europe vaéchapper au monolithisme théocratique qui aparalysé Byzance, et surtout l’Islam, après avoirfavorisé son expansion.

Le second, c’est le brassage ethnique quirésulte de la création de la Chrétienté et desroyaumes chrétiens : aux Celtes, Germains,Gallo-Romains, Anglo-Romains, Italo-Romains,Ibéro-Romains, Juifs, se mêleront Normands,Slaves, Hongrois, Arabes par des acculturationsqui annoncent ce que sera une Europe ouverteaux vagues d’immigration – une Europe de ladiversité culturelle et du métissage. Cependant,apparaît dans l’Espagne wisigothique un desmauvais démons de l’Europe, l’antisémitisme.

Un effort d’unification politique de la Chré-tienté occidentale sous forme d’un empire indé-pendant de l’Empire grec byzantin se produit à deux reprises : avec Charlemagne couronnéEmpereur à Rome en 800, avec Othon Ier lui aussicouronné par le Pape à Rome en 962. Cette résur-rection impériale donna naissance à une institu-tion plus théorique et symbolique que réelle, le« Saint-Empire romain de nation germanique »,

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 17 –

Extrait de la publication

dont Rome était la capitale idéale. Mais les pays autres que l’Allemagne s’en émancipèrentbientôt, même l’Italie dont la subordination aupouvoir impérial allemand fut le plus souventthéorique. L’Empire fut habituellement uneforme vide dans l’Europe médiévale ; se dispu-tant la suprématie du pouvoir spirituel sur lepouvoir temporel, ou inversement, le Pape etl’Empereur s’épuisèrent en vains conflits, se mar-ginalisant par rapport à la vraie évolution poli-tique de l’Europe, celle de la genèse des Étatsmodernes nationaux à partir du XIIIe siècle.

Les partages de l’Empire carolingien auIXe siècle avaient amorcé une division majeure del’Europe continentale entre la Francie occidentale(la future France) et la Francie orientale (la futureAllemagne). Mais ils avaient fait peser sur l’Italieune domination partielle par les Allemands qui, se combinant avec l’État pontifical, allait empêcherla réalisation de l’unité italienne jusqu’auXIXe siècle. Entre France et Allemagne, une zoneindécise, baptisée au départ Lotharingie, inapte àse transformer en État, allait constituer un terraind’affrontements pluriséculaires entre Français etAllemands.

Cependant, au début du VIIIe siècle, la grandevague de la conquête arabe atteint l’Europe occi-

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 18 –

dentale. Si l’implantation musulmane est faible et éphémère en Provence, plus importante etdurable mais malgré tout limitée en Sicile, elle sub-merge la plus grande partie de l’Espagne avantque, au XIIe et surtout au XIIIe siècle, les petitsroyaumes chrétiens du Nord de la péninsule, Castille, Léon, Navarre, Asturies, Galice, Aragon,ne fassent lentement, puis rapidement, reculer lesmusulmans, au cours de la Reconquista. Ce n’estqu’en 1492 que l’Espagne chrétienne, unifiée parl’union de la Castille et de l’Aragon, chassera définitivement les musulmans de leur dernièreimplantation, le petit royaume de Grenade.

L’épisode de l’Empire carolingien n’est qu’unavatar de la construction européenne, mais lesrésultats de son partage après le traité de Verdun(843) et ses rectifications accentuent la préfigu-ration d’une Europe politique lourde de succèscomme de conflits. Le couple France-Allemagnes’y précise, mais l’instable Lotharingie y introduitune pomme de discorde redoutable. L’Italie, deson côté, y figure surtout comme une proie quel’Allemagne au Moyen Age, la France à la Renais-sance, les grands États européens jusqu’auXIXe siècle guigneront pour le plus grand mal-heur de l’Europe, là aussi.

Ces traités de partage du IXe siècle mettent

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 19 –

Extrait de la publication

pourtant en lumière une donnée fondamentalede l’Europe : pointe occidentale du continent eurasiatique, les différents types de sols, d’écono-mies, de civilisations y convergent par bandes, étagées du nord au sud. Les États créés par lesCarolingiens s’efforcent d’avoir, dans un décou-page vertical, un morceau de chaque bande.Cette diversité géographico-historique, pour êtrerespectée, réclame des constructions complé-mentaires entre elles et harmonieuses qui préser-vent la personnalité et la richesse de chacun. Cela, malheureusement, ni Charlemagne, ni CharlesQuint, ni Louis XIV, ni la Révolution française, niNapoléon ne l’ont compris.

Paradoxalement, le Moyen Age, où l’Europeprend forme, est la période où le mot disparaîtpresque et où ses rares usages n’en font guèrequ’une expression géographique. Un chroniqueurdu VIIIe siècle écrit pourtant de la victoire deCharles Martel à Poitiers en 732 qu’elle a opposéaux musulmans les Européens. Mais les termes le plus souvent usités pour l’ensemble européensont Chrétienté d’une part, Occident de l’autre.

L’Europe, cependant, s’ébauchait politique-ment et culturellement dans son développementinterne et au contact d’adversaires et de concur-rents. Comme dans les conflits internes à l’Europe,

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 20 –

Extrait de la publication

on ne voit en général dans ces contacts que desaffrontements. On voit l’Islam faire de l’Espagnele prolongement du monde musulman asiatico-africain et les Turcs grignoter à partir duXVe siècle un morceau de l’Europe à son extré-mité sud-orientale. Mais il ne faut pas oublierque ces contacts eurent lieu également sous uneforme pacifique et profitèrent à l’Europe. Parl’Espagne et par la Sicile, parvinrent au MoyenAge en Europe les techniques, les sciences, laphilosophie que les Arabes avaient héritées desGrecs, des Indiens, des Iraniens, des Égyptiens,des Juifs. Ces apports permirent à l’Europe occi-dentale, qui a su les assimiler, les adapter, lesrecréer et tirer d’elle-même d’autres ressources,de réaliser son extraordinaire essor médiéval :elle dépassa ainsi la puissance et égala la civilisa-tion des grandes aires politico-culturelles chi-noise, indienne, musulmane, byzantine.

Le Moyen Age a équipé l’Europe. Il s’estmontré conquérant et novateur dans le domainede la technologie en sachant améliorer et diffuserdes techniques qui lui étaient souvent antérieures.S’il est exagéré de parler de révolution technolo-gique, il y a eu une forte accélération d’un progrès

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 21 –

Extrait de la publication

technologique très lent jusque-là. Le Moyen Agereste un monde du bois, mais il a fortement accrul’usage de la pierre et du fer. A partir du XIIIe siècle,il a commencé à exploiter des mines ou des gise-ments de fer, de plomb, de cuivre et de houille.Quant aux sources d’énergie, le phénomène essen-tiel est la diffusion considérable du moulin à eaud’abord, à la campagne comme à la ville, avec sesapplications à usage industriel (moulin à fer, à fouler, à tan, à bière, à papier, etc., et la sciehydraulique), puis du moulin à vent apparu à la findu Xe siècle. Le moulin est devenu une véritablemachine.

Les transports terrestres ont été améliorés par l’aménagement et l’entretien de routes, laconstruction de charrettes plus grandes et plussolides, l’aménagement de l’attelage des bêtes de somme, la meilleure protection des marchandset des convois commerciaux, la construction deponts et l’ouverture de voies nouvelles dont la plus célèbre a été la voie alpestre du Gothard auXIIIe siècle.

Les progrès ont été encore plus importantsdans le domaine maritime, surtout à partir du XIIIe siècle : constructions de navires de plus grand

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 22 –

Extrait de la publication

Le monde occidental aux XIIIe-XVe siècles 1204

Empire byzantinMonde musulman

Monde occidental latin

Constantinople

Extrait de la publication

tonnage (naves méditerranéennes, cogges hanséa-tiques), remplacement du gouvernail latéral parle gouvernail d’étambot plus mobile qui assureune manœuvre plus sûre, meilleure voilure (dif-fusion de la voile latine), perfectionnement del’astrolabe et des mesures astronomiques, diffu-sion de la boussole, établissement de cartes pluscorrectes. A l’aube du XVIe siècle, l’Europe a lesmoyens techniques pour découvrir et conquérirle monde. La Chine les possédait également, maiselle ne les utilisa pas. Il faut sans doute chercherles raisons de cette différence de comportementdans la culture et les mentalités, dans un moindreattachement rituel des Européens à la tradition et dans une plus grande mobilité sociale. Il estremarquable en effet que les innovations tech-nologiques semblent avoir été le fait aussi bien des communautés religieuses que des commu-nautés laïques, des seigneurs que des paysans, des communautés villageoises ou urbaines quedes individus.

Dans le domaine agricole, les progrès ont sur-tout consisté dans un plus grand usage du ferdans l’outillage, dans la diffusion de nouveaux ins-truments (la charrue à roue et à versoir dissymé-trique et la herse), dans l’utilisation d’un systèmed’attelage d’épaule ne comprimant pas la poitrine

LA VIEILLE EUROPE ET LA NÔTRE

– 24 –

Extrait de la publication

Extrait de la publication

RÉALISATION : PAO ÉDITIONS DU SEUILIMPRESSION : IMPRIMERIE HÉRISSEY À ÉVREUX

DÉPÔT LÉGAL : JUIN 1994. N° 22704 ( )

Extrait de la publication