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5/14/2018 Jacques Mazier et Dominique Plihon : Une approche stock-flux de la création monétaire - slidepdf.com
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Une approche stock-flux de la création monétaire
Jacques Mazier et Dominique Plihon
Centre d’Economie de Paris-Nord
16 Mars 2012
Les analyses de la création monétaire souffrent souvent de l’absence d’un cadre
macroéconomique d’ensemble permettant d’analyser simplement les problèmes. Nous
présentons donc d’abord un cadre de comptabilité nationale simplifié en flux (tableau de
financement) et en stock (actif-passif) pour une économie fermée. L’introduction du reste du
monde pourrait se faire sans difficulté. Nous analysons ensuite les différentes modalités de
financement d’un supplément d’investissements des administrations ou des entreprises
privées ou publiques. Enfin, la question de la « monétisation » (expression qui peut prêter à
confusion) de la dette publique est discutée dans le même cadre. Cette approche nous
semble préciser les points de vue contradictoires exprimés sur ces différents points. Elle
permet d’écarter des thèses trop simplistes ou, inversement, inutilement compliquées. Elle
devrait aider à dégager les marges de manoeuvre qui existent dans ce domaine mais ne
doivent pas être surestimées.
1. Un cadre de comptabilité nationale
On raisonne pour simplifier en économie fermée. Les ménages dégagent une épargne EpM,
s’endettent (ΔLM), investissent en logement (pIM) et placent leurs actifs sous différentesformes : billets (BM), dépôts bancaires (DM), titres divers émis par les banques (TM ), actions
(peEM). Ils accumulent une richesse nette (RNM).
Les entreprises dégagent de l’autofinancement (Aut), s’endettent (ΔLE), émettent des
actions (pe ΔEE), investissent (pIE) et détiennent des billets (BE) et des dépôts (DE). On
suppose qu’elles ne détiennent pas d’actions, ni de titres divers émis par les banques. Elles
accumulent une richesse nette (RNE) qui cumulée avec les actions émises constitue les fonds
propres.
Le gouvernement dégage une épargne EpG (qui peut être négative), investit (pIG), s’endette
en émettant des bons du Trésor (ΔBT) et détient un compte du Trésor auprès de la banque
centrale (DGBC). Il accumule une richesse nette (RNG) qui peut être négative (dette publique
nette) ou positive (s’il y a une forte accumulation du capital public KG).
Les banques sont supposées ne pas avoir d’épargne. Tous leurs profits sont prélevés sous
forme d’impôts. Elles ne font pas d’investissement fixe. Elles reçoivent des dépôts (D) en
provenance des ménages et des entreprises, émettent des titres divers souscrits par les
ménages (TM), émettent des actions (peEB), prêtent aux ménages et aux entreprises (L),
achètent des bons du Trésor (BTB) et des actions émises par les entreprises et,éventuellement, d’autres banques (peEBB). Elles détiennent des réserves auprès de la
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banque centrale (RES) qui peuvent aller au-delà du montant des réserves obligatoires. Enfin,
en cas de besoin de liquidité, elles peuvent se refinancer auprès de la banque centrale (RF).
Au total, elles accumulent aussi une richesse nette (RNB) engendrée par les gains ou les
pertes en capital.
La banque centrale est supposée également ne pas avoir d’épargne. Ses profits sont prélevés
sous forme d’impôts. Elle émet les billets (B), reçoit les réserves en provenance des banques
commerciales (RES), alimente le compte du Trésor (DGBC), assure le refinancement des
banques en fonction de leurs besoins (RF) et achète sur le marché primaire ou secondaire
des bons du Trésor (BTBC). Elle n’accumule pas de richesse nette, faute d’épargne et de
gains en capital.
Au total, la richesse nette accumulée par les ménages (RNM), les entreprises (RNE), le
gouvernement (RNG) et les banques (RNB) est égal au total du capital fixe accumulé (KM+
KE+KG). L’accumulation financière ne crée en elle-même aucune richesse et n’est que la
contrepartie de l’accumulation du capital fixe.
Tableau 1 : Bilan actif-passif
Mén Entr Gouvt Banques BC Mén Entr Gouvt Banques BC
Capital KM KE KG
Billets BM BE B
Dépôts DM DE D
C Très DGBC DGBC
Réserv RES RES
Refint RF RF
Titres TM TM
Bons T BTB BTBC BT
Crédit L LM LE
Action peEM peEBB peEE peEB
Rich N RNM RNE RNG RNB 0
Tableau 2 : Tableau de financement (variations des créances et dettes ou emplois-ressources)
Mén Entr Gouvt Banques BC Mén Entr Gouvt Banques BCEparg EpM Aut EpG 0 0
Invt pIM pIE pIG
Billets ΔBM ΔBE ΔB
Dépôts ΔDM ΔDE ΔD
C Très ΔDGBC ΔDGBC
Réserv ΔRES ΔRES
Refint ΔRF ΔRF
Titres ΔTM ΔTM
Bons T ΔBTB ΔBTBC ΔBT
Crédit ΔL ΔLM ΔLE
Action peΔEM peΔEBB peΔEE peΔEB
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3
Les notions de base monétaire ou monnaie banque centrale et de diviseur monétaire se
retrouvent. La monnaie centrale (MC) est la somme des billets (B), des réserves des banques
(RES) et du compte du Trésor auprès de la banque centrale (DGBC).
MC= B+ RES + DGBC = RF + BTBC (sources de la monnaie banque centrale)
La masse monétaire (M) est la somme des billets et des dépôts1
Les réserves bancaires se composent de réserves obligatoires, fonction des dépôts pour
simplifier (RES = rD)
.
M= D+ B
Traditionnellement B= b M : les ménages et entreprises détiennent des billets dans une
proportion b de la masse monétaire M.
2
2. Le financement traditionnel des investissements des administrations
.
MC= bM + rD
MC= bM +r (M –B)
MC= [b +r(1- b) ]M
On retrouve la thèse du diviseur monétaire, où la monnaie banque centrale est obtenue à
partir d’une masse monétaire endogène M. La monnaie centrale est endogène car la banque
centrale satisfait la demande de refinancement au taux directeur qu’elle fixe (courbe d’offre
horizontale)
Le financement des programmes d’investissement peut être étudié en distinguant
investissement par les administrations (pIG) et par les entreprises publiques ou privées (pIE),
en distinguant aussi régime de crise et régime de croisière.
Le financement d’un programme supplémentaire d’investissement d’un montant δ se fait
par endettement, c’est à dire par émission de bons du Trésor pour un montant δ1 < δ car il y
a un effet multiplicateur3
1
Il s’agit de la masse monétaire étroite au sens de M1.2
Dans la réalité, les banques détiennent également des réserves excédentaires, qui ne sont pas prises encompte ici par souci de simplicité.3
Ces effets pourraient être estimés avec un modèle keynésien SFC (stock flux cohérent) de base.
de relance qui accroit les recettes et diminue le déficit public. Ces
bons du Trésor sont achetés par les banques (dans le cadre de cette économie fermée) et les
banques ajustent leurs comptes en se refinançant auprès de la banque centrale pour un
montant δ11 (δ11 < δ1 < δ car elles bénéficien t de ressources supplémentaires, par exemple
sous forme de dépôtsΔD accrus d’un montant δ 2 grâce aux effets induits, et accroissent
leurs réserves). Lorsque l’investissement des administrations est financé par endettement, il
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y a donc ex post création monétaire, à la fois création de monnaie banque centrale et de
monnaie scripturale.
Tableau 3: Financement des investissements des administrations par endettement (en flux)
Gouvt Banques BCpIG + δ
ΔD + δ2
ΔBT + δ1 ΔBTB + δ1
ΔRF + δ11 ΔRF + δ11
ΔRES + δ3 ΔRES + δ3
Mais avec un système de banques privées rien ne garantit qu’elles achètent le supplément
de bons du Trésor, si ce n’est en exigeant des taux d’intérêt plus élevés. Ceci serait encore
plus vrai en économie ouverte avec appel aux marchés internationaux. Deux solutions
existent pour atténuer ces problèmes : (1) imposer des planchers d’effets publics aux
banques4, ce que le nouveau ratio de Bâle 3 fait en partie
5
3. L’appel au financement direct par la banque centrale peut-il avoir un sens ?
; (2) renationaliser la dette
publique, c'est-à-dire moins recourir aux marchés internationaux, ce que les banques
françaises, italiennes ou allemandes font actuellement pour limiter leurs risques.
Le recours à des institutions financières ou bancaires publiques, comme cela était le cas dans
les années 1950-1970, faciliterait le financement des administrations publiques (cf le § 6 plus
loin). La reconstruction d’un tel système apparait légitime de ce point de vue. La CDC
pourrait jouer ce rôle, mais dans la limite de ses moyens actuels et de ses contraintes de
bilan, ce qui limite les marges de manoeuvre. A noter que l’augmentation du plafond du
livret A est un moyen d’accroître les marges de manœuvre de la CDC. Une autre solution
serait d’autoriser la CDC à se refinancer auprès de la BC (voir plus loin).
Oui, en théorie, la banque centrale peut créditer le compte du Trésor d’un montant δ 1 pour
assurer le financement du programme d’investissement public (décrit ici sous forme d’un
refinancement ΔRFT par la banque centrale). Il y a création monétaire ex ante liée au
programme d’investissement public. Cette pratique est contraire au cadre institutionnelactuel. Elle pourrait cependant être envisagée comme solution exceptionnelle en période de
crise car elle ne pose pas de problèmes économiques en tant que telle. Le montant
envisageable est limité au plan macroéconomique. Les investissements des administrations
ne représentent que 3% de PIB. Le programme supplémentaire ne pourrait s’élever qu’à
quelques 0.1% de PIB. Les effets inflationnistes seraient dès plus réduits dans la conjoncture
actuelle de stagnation de la croissance. Un effet négatif de la création de liquidité par la BC
pourrait cependant être d’alimenter la spéculation et l’inflation des prix d’actifs.
4
Ces planchers d’effets publics ont existé dans les années 1950 – 1960.5
Les nouveaux ratios de Bâle 3 ont accru les exigences de détention de titres publics, pour des raisons
prudentielles.
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En régime de croisière une telle solution ne peut être envisagée car la banque centrale n’a
pas pour fonction de financer ce genre de programmes et n’est pas équipée pour cela.
L’objectif n’est pas de construire une Gosbank , c’est-à-dire un système bancaire à banque
unique qui a montré ses limites dans le passé. Dans les systèmes bancaires hiérarchisés à
deux niveaux qui existent aujourd’hui dans tous les pays de la planète, avec une banquecentrale et des banques de second rang, la banque centrale est là pour refinancer les acteurs
bancaires et financiers mais n’a pas pour vocation à financer directement les acteurs non
bancaires publics ou privés. Le financement de ces derniers doit revenir aux banques dont
c’est la fonction6
Gouvt
. C’est une question d’efficacité. La solution est plutôt de réguler les
banques de second rang, d’assurer un contrôle de ces dernières, et de créer un pôle
bancaire public.
Tableau 4: Financement des investissements des administrations par la banque centrale (en
flux)
Banques BC
pIG + δ
ΔRFT + δ1 ΔRFT + δ1
ΔD + δ2
ΔRES + δ3 ΔRES + δ3
Par ailleurs, pour faciliter le financement des investissements publics, il faudrait envisager le
passage par un intermédiaire du type Caisse des dépôts, par exemple sous forme d’une
avance ΔLT d’un montant δ1. On aurait alors le montage suivant. La CDC crédite le compte
du Trésor pour financer le supplément d’investissement. En contrepartie elle se refinance
auprès de la banque centrale. Ceci est autorisé par les textes européens : l’article 123.1
stipule que les établissements publics de crédit peuvent se financer auprès de la BCE.
Tableau 5: Financement des investissements des administrations par l’intermédiaire d’une
banque type CDC (en flux)
Gouvt CDC BC
pIG + δ ΔLT + δ1 ΔLT + δ1
ΔRF + δ2 ΔRF + δ2
ΔRES + δ3 ΔRES + δ3
6 Certains ont argué que la Banque d’Angleterre a été créée (en 1694) pour faciliter le financement
de la dette publique occasionnée par la guerre menée par Guillaume III contre Jacques II et Louis XIV.
Mais à l’époque, il n’y avait pas encore de véritables banques.
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4. Une expérience historique à méditer : le financement du programme de relance
allemand en 1933-1934
Cette expérience est de sinistre mémoire car elle a permis le réarmement du régime nazi
mais le montage financier mis en place par le Dr Schacht, bien décrit par l’économiste
polonais Kalecki, est resté célèbre7
Il y a eu, d’une part, à l’étape 2 création de monnaie scripturale lorsque les banques ont fait
crédit aux entreprises et, d’autre part, création de monnaie banque centrale à travers le
refinancement à l’étape 3. Le mécanisme basé sur l’émission par l’Etat de ces bons d’offre de
travail (WSB) a été d’une grande efficacité car il reposait sur des investissements publics et la
fabrication en grande série de biens d’un type particulier (de l’armement mais pas
uniquement) que l’appareil productif allemand pouvait produire. La reprise de l’activité
économique s’est cependant heurtée à des contraintes bien analysées par Kalecki, liéesnotamment à la hausse des importations de matières premières et aux difficultés de
financement en raison de la baisse des exportations allemandes dans une Europe en crise.
Cette reprise ne s’est pas appuyée par ailleurs sur une hausse importante de la
consommation des ménages. L’emploi a progressé, le chômage fortement baissé, mais les
revenus réels par tête ont stagné et les profits explosé. Il n’en demeure pas moins qu’en
1938 l’Allemagne, pourtant pays au départ le plus touché par la crise avec les Etats-Unis,
était le seul à être vraiment sorti de la crise. Constat nauséabond, mais bien réel. Base 100
. La forte relance de la croissance en Allemagne a, pour
une large part, reposé sur un vaste programme d’investissements publics (dépenses
d’armement en particulier) financé d’une manière originale. L’Etat a émis des bons d’offre
de travail (« Work Supply Bills » WSB) avec lesquels il a payé les entreprises fournisseurs. Les
entreprises ont accepté ce mode de paiement particulier car elles pouvaient escompter ces
bons WSB auprès des banques. Le tableau 6 décompose le mécanisme.
Dans une première étape, l’Etat émet les bons WSB et finance l’accroissement δ
d’investissements publics pIG en s’endettant auprès des entreprises qui leur font crédit de
ΔWSB (+δ). Elles accroissent leur production pY de δ et versent des salaires W (en hausse de
δ’). Mais elles ne peuvent financer ces salaires (et dégager des profits Aut en hausse de δ’’)
que parce qu’elles escomptent dans une deuxième étape leurs bons WSB auprès des
banques qui leur font un créditΔL E pour un montant équivalent ( δ ). Ce crédit aux
entreprises par escompte compense le crédit effectué par celles-ci au gouvernement.
Dans une troisième étape, les banques se refinancent auprès de la banque centrale en
réescomptant les bons WSB. Les deux écritures de WSB des étapes 2 et 3 à l’actif et au passif
des banques se compensent. In fine c’est la banque centrale qui porte le financement de
l’Etat puisqu’après compensation, WSB se retrouve au passif de l’Etat et à l’actif de labanque centrale (en variation dans les tableaux ci-dessous).
7
M. Kalecki (1935) « Stimulating the business upswing in Nazi Germany”, remarquable article publiéinitialement en polonais et republié en anglais dans Collected Papers. Nos vifs remerciements à Julio Lopez
pour nous l’avoir communiqué.
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7
en 1929, la production en 1938 était de 130 en Allemagne, 104 aux USA, 117 au Royaume-
Uni et 93 en France. D’autres facteurs sont évidemment à prendre en compte, notamment la
politique de change, désastreuse dans le cas de la France.
Tableau 6 : Le financement du programme d’investissement nazi de 1933
Gouvt Entre
B&S pIg + δ pY + δ
Revenus W + δ’
Aut + δ ‘’
Aut + δ’’
Crédit Δ WSB + δ Δ WSB + δ Δ LE + δ (Δ WSB)
Banques BC
Crédit Δ L + δ (Δ WSB)
RF ΔRF + δ (Δ WSB) ΔRF + δ (Δ WSB)
5. Le financement des investissements des entreprises privées ou publiques
Un programme de nouveaux investissements (reconversion écologique par exemple) peut
être financé, en dehors de la partie autofinancée et des émissions d’actions, soit par des
prêts (ΔLE) effectués par les banques ou par une banque d’investissement publique (à créer),soit par des émissions d ‘obligations (Δp oOBE) par les entreprises, obligations souscrites par
les mêmes banques ou éventuellement les ménages. Les banques à leur tour se financent,
soit par refinancement (ΔRF) auprès de la banque centrale selon un mécanisme voisin des
cas précédents (il y a alors création monétaire endogène), soit par émission d’obligations
bancaires (ΔpoOBB) souscrites par les ménages, d’autres banques ou le reste du monde en
économie ouverte. En cas d’émission obligataire par les banques, la création monétaire
endogène précédente est de moindre ampleur.
L’effet multiplicateur lié à l’accroissement des investissements et la possibilité de refinancerleurs créances auprès de la banque centrale peuvent limiter la dégradation du bilan des
banques. On peut cependant penser qu’un programme d’investissement de grande ampleur
impose des limites au recours au crédit bancaire et au refinancement auprès de la banque
centrale. Une solution est envisageable pour dépasser les limites précédentes : créer une
Banque publique d’investissement. Cette dernière solution aurait un double avantage. En
premier lieu, celle-ci pourrait se financer à un moindre coût grâce à la garantie de l’Etat8
8En aucun cas, il ne peut s’agir d’un financement gratuit, la Banque publique d’investissement devant
constituer un capital pour fonctionner.
;
par ailleurs, cette banque pourrait se refinancer auprès de la Banque centrale dans le cadre
institutionnel actuel. En second lieu, cette Banque publique serait adaptée à la mise en
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8
œuvre d‘investissements de long terme dans le cadre d’une planification stratégique dont
l’un des objectifs serait d’accompagner la reconversion énergétique. L’actuelle Banque
européenne d’investissement (BEI) pourrait jouer ce rôle à l’échelle de l’Union européenne,
à condition d’être réformée et moins soumise aux exigences de rentabilité du marché.
Tableau 7 : Financement des investissements des entreprises (en flux)
Financement par crédit et refinancement
Entr Banques BC
pIE + δ
ΔLE + δ1 ΔLE + δ1
ΔRF + δ11 ΔRF + δ11
ΔRES ΔRES + δ11
Financement par crédit et émission d’obligations bancaires ( δ12 < δ11 )
Entr Banques BC
pIE + δ
ΔLE + δ1 ΔLE + δ1
ΔpoOBB + δ2
ΔRF + δ12 ΔRF + δ12
ΔRES ΔRES + δ12
Financement par émission d’obligations (δ13 < δ12)
Entr Banques BC
pIE + δ
ΔpoOBE + δ1 ΔpoOBE + δ3 ΔpoOBB + δ31
ΔRF + δ13 ΔRF + δ13
ΔRES ΔRES + δ13
6. Une autre expérience historique : le système de financement de l’économie
française pendant les « Trente Glorieuses »
Durant les trois décennies de l’après-guerre, l’économie française est sous un régime
d’ « économie d’endettement administré » qui a une double caractéristique : d’une part, les
deux tiers du financement externe des entreprises proviennent du crédit bancaire
(aujourd’hui cette part est descendue au dessous de 50%), et d’autre part, le système
bancaire et financier est en grande partie sous le contrôle de l’Etat. Le financement de
l’économie française a reposé sur deux rouages d’une grande efficacité : le premier rouageest le « circuit du Trésor », composé d’institutions financières spécialisées qui a permis au
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9
Trésor - banquier de l’Etat - de jouer un rôle central dans le financement de l’économie. Les
principales institutions financières publiques furent pour les collectivités locales la CAECL9
7. L’appel à la banque centrale pour un financement direct des investissements
des entreprises peut-il avoir un sens ?
,
privatisée et rachetée par Dexia (en faillite depuis 2008), et pour le financement de
l’industrie le Crédit National, privatisé et intégré à Natixis (perte de 5 milliards en 2008 sur
les subprimes) qui est la banque d’investissement du groupe BPCE.
Le deuxième rouage du système de financement a été le mécanisme de l’escompte par les
banques combiné à celui du réescompte par la Banque de France. Ce deuxième rouage
s’apparente au système de financement mis en place en Allemagne par le Dr Schacht dans
les années 1930. Dans une première étape, les entreprises contractent des créances sur
leurs clients sous forme d’effets de commerce ou de traites. Dans une deuxième étape, ces
créances sont escomptées auprès des banques qui font ainsi crédit aux entreprises (ce qui
donne lieu à de la création monétaire). Dans une troisième étape, les banques se refinancent
auprès de la Banque centrale en réescomptant ces créances. Dans ce deuxième rouage, laBanque centrale a un double rôle : d’une part, elle apporte au système bancaire la liquidité
dont celui-ci a besoin pour financer l’économie (il y a création de monnaie centrale) ; d’autre
part, la BC mène une politique « sélective » du crédit en appliquant des taux de
refinancement différenciés selon le type de crédit, en fonction des priorités définies par les
pouvoirs publics.
Oui en théorie là encore, sous forme d’un prêt ΔLBCE de la banque centrale d’un montant δ1
avec des effets multiplicateurs habituels. Ce système de financement de type « Gosbank »
est sujet aux mêmes critiques que celles présentées au § 3 ci-dessus. Il est en effet
préférable de confier le financement des entreprises à des banques, notamment à des
banques sous contrôle public. La Banque centrale n’a pas vocation à financer directement
l’économie en régime de croisière.
Tableau 8: Financement direct par la banque centrale (en flux)
Entr Banques BC
pIE + δ
ΔLBCE + δ1 ΔLBCE + δ1
ΔD + δ2
ΔRES + δ3 ΔRES + δ3
9Caisse d’Aide à l’Equipement des Collectivités Locales, privatisée en 1987 pour devenir le Crédit Local de
France (CLF).
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8. La « monétisation » de la dette publique
La politique du quantitative easing, menée à grande échelle aux Etat-Unis, s’illustre
simplement (rachat de bons du Trésor en quantité T1 par la banque centrale dans le tableau
9). En contrepartie de ces rachats, les réserves des banques se trouvent accrues de T1, ce qui
peut contribuer à débloquer le marché interbancaire ou inciter à une politique de crédit
moins restrictive ou diminuer les taux d’intérêt, mais sans garanties si les actifs des banques
sont de mauvaise qualité et si les banques doivent améliorer leur structure de bilan pour
respecter les nouvelles règles prudentielles. Cette politique du quantitative easing a des
limites car le bilan de la banque centrale devient de plus en plus déséquilibré avec un actif
alourdi par des titres de qualité incertaine. La dette publique n’est pas effacée par cette
« monétisation », mais transférée à la banque centrale.
En pratique, les résultats de cette politique aux USA ont été mitigés mais celle-ci a permis de
réduire le coût du financement. Les banques ont amélioré leurs résultats à la suite de l’aide
de la FED et de l’Etat. L’élément le plus favorable est sans doute venu de la baisse du dollar,
en partie induite par cette politique. Dans le cas européen la BCE peut racheter (et a
racheté) des titres publics des pays du Sud de l’Europe. Cette politique est nécessaire mais
ne peut être sans limites pour les raisons indiquées ci-dessus.
Tableau 9 : Quantitative easing (en stock)
Banques BC
BTB – T1 BTBC + T1
RES + T1 RES + T1
Le rachat de la dette publique par la banque centrale (pour un montant T2) avec annulation
de cette dette pourrait être illustré de la manière suivante (tableau 10). La richesse du
gouvernement RNG se trouve accrue d’autant puisque sa dette diminue. L’annulation de la
dette est compensée pour les banques par un accroissement de leurs réserves RES auprès de
la banque centrale. Le bilan de celle-ci se trouve dégradé d’autant. Sa richesse nette RNBC
devient négative puisqu’elle était supposée nulle au départ pour simplifier dans le cadre
retenu ici. Une telle dégradation n’est pas soutenable durablement.
Une piste a été proposée pour faire face à cette situation. Dans la mesure où les banques
améliorent leurs résultats en nettoyant leur bilan et aussi en se refinançant à bas taux
d’intérêt, une taxe sur les produits des banques pourrait être levée. Pour compenser la
dégradation du bilan et des comptes de la banque centrale, celle-ci pourrait transférer la
dette publique à annuler à une structure ad hoc (« bad bank ») ; cette dernière recevrait le
supplément de recettes fiscales en provenance des banques et pourrait ainsi amortir une
partie de la dette publique. Compte tenu du montant du stock de dette publique, on ne
pourrait toutefois en amortir qu’une très faible partie par cette voie, ce qui limite trèsfortement la portée de cette politique.
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Tableau 10 : Rachat de la dette publique par la banque centrale (en stock)
Gouvt Banques BC
BT – T2 BTB – T2RES + T2 RES + T2
RNG + T2 RNBC – T2
Le dernier cas examiné concernant l’annulation de la dette publique est d’en reporter les
effets sur les banques. Les pertes des banques liées à la dévalorisation de leurs actifs
viennent amputer les résultats de ces dernières (tableau 11). Ce qui peut nécessiter une
recapitalisation des banques, soit à partir de leurs profits, soit par appel au marché, soit par
une nationalisation totale ou partielle. La recapitalisation/nationalisation par l’Etat entraîne
un déficit public supplémentaire. Pour réduire le coût de cet endettement public, la banque
centrale peut racheter les titres émis par l’Etat, comme ce fut le cas au Royaume-Uni.
Tableau 11 : Annulation de la dette publique supportée par les banques
Gouvt Banques
BT- T2 BTB – T2
RNG + G2 RNB – T2
9. Conclusion
Il existe un fétichisme de la création monétaire qui accorde à celle-ci un rôle
disproportionné. Le crédit est nécessaire à l’entreprise, à côté de l’autofinancement, pour
impulser la dynamique de l’accumulation du capital et anticiper le profit. La création
monétaire est la conséquence du crédit. Elle est constatée ex post à l’issue de tout processus
multiplicateur. Il y a au demeurant une grande incertitude concernant la définition de la
monnaie. Dans notre cadre comptable simplifié nous n’avons retenu que la définition étroite
(M= D + B). Avec la financiarisation et la titrisation, la distinction entre actifs monétaires et
non monétaires est devenue plus floue et arbitraire. Le débat sur la politique économique nedoit pas se polariser sur cette idée simplificatrice du financement des dépenses publiques et
des investissements par la création monétaire.
Ce n’est que dans le cadre d’un régime de crise que les dépenses publiques peuvent être
directement financées par la Banque Centrale, avec création monétaire ex ante, ou mieux
par un intermédiaire du type CDC qui effectue des avances au Trésor. La Banque Centrale n’a
pas vocation à devenir une Gosbank ; son rôle est d’assurer le refinancement des acteurs
bancaires et financiers.
5/14/2018 Jacques Mazier et Dominique Plihon : Une approche stock-flux de la création monétaire - slidepdf.com
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L’expérience historique montre qu’il est possible de concevoir des dispositifs de financement
très différents du système actuel, dans lesquels le système bancaire, le crédit et la monnaie
sont d’avantage tournés vers l’accumulation productive et la création de richesses.
L’émission par le gouvernement allemand des années 1930 de « bons d’offre de travail » que
les entreprises acceptaient en paiement car elles pouvaient les escompter auprès des
banques, qui elles mêmes les réescomptaient auprès de la Banque Centrale, est un exemple
de montage institutionnel. Ce mécanisme a fonctionné parce que les investissements publics
correspondaient à des produits fabriqués en grande série par l’appareil productif national, ce
qui a enclenché rapidement un puissant effet multiplicateur. La rénovation des banlieues, les
équipements de transports collectifs, certains investissements d’avenir en matière
d’éducation et de recherche pourraient être considérés dans les cas français et européen
actuels comme des substituts - socialement utiles - aux dépenses d’armement allemand.
De même, l’expérience française de l’après-guerre a montré l’efficacité d’un système de
financement dirigé et tourné vers l’accumulation productive et les investissements publics.
Le dispositif de l’escompte des créances des entreprises par les banques, combiné au
réescompte des créances bancaires par la Banque de France, ainsi que le recours à une
politique sélective du crédit en faveur des investissements prioritaires à des conditions hors
marché (taux d’intérêt bonifiés), ont fortement contribué à la reconstruction et au
développement de l’économie et de la société françaises pendant l’épisode des « Trente
Glorieuses ».
Le financement des investissements des entreprises privées ou publiques ou des ménages(reconversion écologique, investissements d’avenir) peut se faire par recours au crédit
bancaire ou au crédit d’organismes de financement spécialisés, avec la possibilité pour les
banques et pour ces organismes de se refinancer auprès de la banque centrale et (ou)
d’émettre des obligations. Il y a bien création monétaire ex post dans le mécanisme
multiplicateur mais celui-ci ne joue pas un rôle central. Cette création monétaire est réduite
d’autant en cas d’émission d’obligations bancaires.
A côté du mode de financement, le problème principal est celui de la définition des
programmes d’investissements. Une question importante est le contenu en importations deces programmes, l’exemple des cellules photovoltaïques massivement importées étant le
plus connu.
La « monétisation » de la dette publique (« quantitative easing » avec rachat de bons du
Trésor et autres par la banque centrale) n’efface pas la dette. Celle-ci est simplement
transférée à la banque centrale. L’annulation pure et simple de la dette n’existe pas; il s’agit
plutôt d’un transfert des pertes liées à la dévalorisation de la dette vers les créanciers, c’est-
à-dire les ménages, les banques, ou la banque centrale. Il n’y aucun trésor caché.