Jacques Ranciere Anarchique

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  • Espace dchanges pour un syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste, syndicaliste rvolutionnaire.

    8 octobre 2012

    Jacques Rancire, lanarchique Pierre Bance

    Note de lditeur

    Aprs Daniel Bensad, Alain Badiou, John Holloway, Philippe Corcuff, Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, avec cette tude sur Jacques Rancire, Pierre Bance poursuit ses lectures militantes des philosophes politiques qui dveloppent une pense radicale (http://www.autrefutur.net/_Pierre-Bance_). Non seulement on ne peut ignorer ces auteurs parce quils sont au centre du dbat, mais leurs travaux sont utiles la rflexion pour nourrir lambition de construire un autre futur. Jacques Rancire, le matre ignorant, nest-il pas le plus proche de lide libertaire, le plus sensible au projet communiste ? Il se garde pourtant den donner une esquisse pour se rfugier dans un anarchisme dmocratique avec un gouvernement anarchique, fond sur rien dautre que labsence de tout titre gouverner .

    Autre futur http://www.autrefutur.net

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    De tous les philosophes en vue dans le mouvement social, Jacques Rancire est probablement le plus radical dans ses analyses politiques, le plus proche de lide libertaire, le plus sensible au projet communiste (1). Certes le philosophe de lman-cipation est un auteur difficile mais le lecteur gagnera persvrer (2). Pour len con-vaincre, cette citation extraite dun entretien quil vient de donner La Revue des livres :

    Il y a de la politique lorsquil y a un peuple, lorsque ce peuple ne se confond pas avec sa reprsentation tatique, mais se dclare et se manifeste lui-mme en choisissant ses lieux et ses temps. On oppose toujours spontanit et organisation. Mais le premier problme est de savoir ce quon organise. Cest une chose de faire une machine pour prendre le pouvoir ou, tout le moins, quelques ministres. Cest tout autre chose dorganiser des formes dexpression autonome du peuple qui fassent droit la capacit de tous et qui se fixent dautres agendas que les agendas officiels (3).

    Jacques Rancire, sans carter toute prtention thorique, se maintient sur le terrain de la philosophie, au bord du politique ; il entend ouvrir des pistes de rflexion pour la transformation sociale et se maintenir dans ce champ. Cest au fond lattitude de la plupart des philosophes allaits au marxisme scientifique que lhistoire a fait passer de larrogance des certitudes la prudence des inquitudes. Rancire rtorque sur le fond :

    (1) N Alger en 1940, Jacques Rancire est professeur mrite de philosophie de lUniversit de Paris VIII Vincennes - Saint-Denis, luniversit de Daniel Bensad, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Flix Guattari, Jacques Lacan, Jean-Franois Lyotard pour les morts, Alain Badiou, Robert Castel, Antonio Negri pour les vivants.

    (2) Jacques Rancire se fche quand des philosophes reconnus ou des politologues avertis ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre, ce quil dit. Mais cette svrit pour les intelligents nest quune mise au point mandarinale, elle natteint pas le peuple : Jai souvent eu dans mes cours des gens de niveaux tout fait diffrents avec lide que de ma parole, chacun faisait ce quil pouvait et voulait (Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, Paris, ditions Amsterdam, 2009, 700 pages ; citation tire de Politique et esthtique , entretien ralis par Peter Hallward, Angelaki, volume 8, n 2, aot 2003, texte franais tabli par Jacques Rancire, page 326). Les ouvrages sur luvre de Jacques Rancire sont plus des exercices universitaires que des aides la lecture (Christian Ruby, LInterruption. Jacques Rancire et la politique, Paris, La Fabrique ditions, 2009, 126 pages ; Charlotte Nordmann Bourdieu/Rancire, La politique entre sociologie et philoso-phie, Paris, ditions Amsterdam, Poches , 2008, 288 pages).

    (3) Jacques Rancire, Le moment esthtique de lmancipation sociale , propos recueillis par Aliocha Wald Lasowski, La Revue des livres, n 7, septembre-octobre 2012, page 48, propos du mouvement des indigns et du printemps arabe. Rancire ajoute : Cest vrai [quils] nont pas encore pu inventer de nouvelles formes inscrivant dans la dure leur mouvement. Mais ils ont en tout cas secou les logiques de consentement qui taient devenues crasantes et rappel les conditions dun vrai mouvement populaire .

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    Au bord du politique ne veut pas dire ct du politique, mais sur les frontires o on la voit natre et mourir []. Ce que je veux apporter la politique, cest une certaine reconfiguration des donnes et des problmes (4). Par rapport la faillite des projets rvolutionnaires, je me spare aussi bien de ceux qui pensent quils ont la bonne formule pour les rvolutions de lavenir que de ceux qui disent que tout projet de transformation galitaire du monde est vou la terreur totalitaire. Je ne propose aucune formule de lavenir mais je mattache dcrire un monde ouvert aux possibles et aux capacits de tous (5).

    Il prcise la mthode :

    Il ny a pas la thorie dun ct et, de lautre ct, la pratique charge de lappliquer. Il ny a pas non plus dopposition entre la transformation du monde et son interprtation. Toute transformation interprte et toute interprtation transforme. Il y a des textes, des pratiques, des interpr-tations, des savoirs qui sarticulent les uns sur les autres et dfinissent le champ polmique dans lequel la politique construit ses mondes possibles et, sagissant de ses crits, il considre qu ils sont une contribution individuelle au travail par lequel individus et collectifs sans lgitimit sappliquent redessiner la carte du possible (6).

    Cette carte du possible nest pas celle dun modle de dmocratie parlementaire radicale, encore moins dune approche communautariste de la politique. Philosophe de la rupture de la dmocratie entendue comme support de la domination, sa critique du pouvoir conduit la primaut de lmancipation collective sur lhdonisme affinitaire.

    Avant den arriver l, pour comprendre la philosophie de Jacques Rancire, il faut remonter au temps o il tait lve lcole normale suprieure de la rue dUlm. Son professeur, Louis Althusser, trublion intellectuel au sein du Parti communiste

    (4) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Le Matre ignorant , entretien avec Mathieu Potte-Bonneville et Isabelle Saint-Sans publi dans Vacarme, n 9, automne 1999, page 4 ; citation page 120

    (5) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Jacques Rancire et la-disciplinarit , entretien avec Mireille Rossello et Marie-Aude Baronian pour louvrage Grensganger tussen disciplines. Over Jacques Rancire, Amsterdam, Valiz, 2007, texte franais tabli par Jacques Rancire ; citation page 476. Rancire crit encore : Nous assistons du ct de la gauche radicale, du radicalisme politique, un effondrement des vidences du modle stratgique, du modle qui penserait la politique comme dfi-nition dune fin et dtermination suppose scientifique et objective des moyens qui conduisent cette fin (Jacques Rancire, Politique de la msentente , entretien avec Daniel Bensad et Olivier Neveux, in Moments politiques. Interventions 1977-2009, codition La Fabrique ditions [Paris] et Lux [Montral], 2009, 232 pages ; citation page 183 ; publication dun entretien paru dans la revue Contretemps, n 22, Mai 68 , mai 2008. On trouve galement ce texte in Politiquement incorrect, entretiens du XXIe sicle, recueil des entretiens de Contretemps sous la direction de Daniel Bensad, Paris, Textuel, 2008, 384 pages ; citation page 144).

    (6) Jacques Rancire, Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcite note (5), Avant-propos, citations pages 14 et 15.

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    franais, entreprend une relecture de Marx laquelle il associe ses lves. Elle donnera lieu une publication remarque en 1965 : Lire le Capital. Dans cette uvre collective, Jacques Rancire crira sur le jeune Marx (7). Trente-cinq ans plus tard, il rsume ainsi le fil conducteur de louvrage :

    Finalement, notre science sophistique revenait toujours poser quil appartient lintellectuel ou au savant dapporter aux malheureux domins les explications vritables sur les raisons de leur domination (8).

    Peu de temps aprs, Mai 68 provoqua chez Rancire plus quune prise de conscience, un branlement : Comment se faisait-il que ces mots dordre anti-autoritaires des tudiants un peu simplistes et idologiques aient provoqu un tel bouleversement ? (9). Le choc fut dautant plus fort que les ides nouvelles sont inintelligibles pour Althusser ; il nen dmord pas, les masses, victimes de lidologie dominante, sont ignorantes de leur condition et de la ralit politique qui les oppres-se du fait mme dtre dans une pratique dagents de production. Suivant Lnine, il appartient, dit-il, au parti davant-garde et ses dirigeants clairs dveiller et de conduire la classe ouvrire de lextrieur. Rancire rompt avec le matre autiste repli sur les positions anti-gauchistes du Parti communiste (10). Les raisons de cette rup-ture constitueront le socle de sa philosophie anarchique (11).

    (7) Louis Althusser (sous la direction de), tienne Balibar, Roger Establet, Pierre Macherey, Jacques Rancire, Lire le Capital (ditions Franois Maspero, 1965), Paris, Presses universitaires de France, Quadrige , 2008, 688 pages.

    (8) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; La politique nest-elle que de la police ? , entretien ralis par Jean-Paul Monferran, LHumanit, 1er juin 1999 ; citation page 115.

    (9) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Dconstruire la logique ingalitaire , entretien film pour lexposition Comme un papier tue-mouches dans une maison de vacances ferme conue Montreuil par Pierre-Vincent Cresceri et Stphane Gatti, novembre 2008, texte revu par Jacques Rancire ; citation page 638.

    (10) Pour un temps bref, Rancire regardera du ct du maosme, une faon de prserver lhritage marxiste ; vers la version htrodoxe du maosme : la Gauche proltarienne dont lambigut idologique transperce encore dans ce propos de 2009 : La Gauche proltarienne avait beaucoup de dfauts, mais pas celui dtre une avant-garde. Elle ntait pas davantage un simple soutien. Elle se pensait comme ferment au sein des masses, crant les conditions dmergence dune vraie direction ouvrire (Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note 2 ; Construire des lieux du politique , entretien publi dans Le Sabot, outil de liaison locale sur Rennes et ses environs, n 4, mars 2009 ; citation page 669.). Le marxisme-lninisme daction directe labor et conduit principalement par des tudiants de la bourgeoisie et de la grande bourgeoisie neut que peu dcho au sein des masses proltaires. Aprs cet chec, la plupart des chefs renirent la cause du peuple et retournrent dans leur classe se convertir aux affres de la socit marchande ou aux mystres des religions monothistes. Tel ne fut pas le cas de Jacques Rancire qui radicalisa sa critique du capitalisme mais aussi du marxisme. Voir de Frdric Chateigner, DAlthusser Mao. Les Cahiers Marxistes-lninistes , Dissidences, n 8, Prochinois et maosmes en France (et dans les espaces francophones) , mai 2010, page 66.

    (11) La philosophie de Jacques Rancire est anarchique en ce sens que, comme les thories anarchistes, elle remet en cause la fatalit de lordre tabli, la lgitimit des pouvoirs, la fonctionnalit des hirarchies, le bien-fond de la dmocratie bourgeoise jusqu lutilit de ltat. Elle nest pas anarchiste en ce sens quelle ne propose pas un projet politique de la socit sans tat.

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    Lgalit des intelligences

    Pour Rancire, la mcanique avant-gardiste et dominatrice de la science mancipatrice est insupportable, contraire lide quil se fait de lmancipation (12). Il lui oppose la contingence de la politique, lhistoire nest pas crite, elle est imprvisible et, contrairement ce que dit le scientisme marxiste, il ny a pas de vri-t immanente, pas plus de droute annonce du capital que de classe prdestine, par consquent, pas de matres de la vrit (13). Parce que ni la science ni lhistoire nmancipent, il avance laxiomatique de lgalit des intelligences . Lgalit des intelligences nest pas un but, un idal atteignable grce une bonne stratgie, une bonne direction, une bonne science ou autre , cest un axiome, cest--dire un principe admis, mieux, un prsuppos vrifier (14). Mais que veut dire exactement galit des intelligences ?

    Lide nest pas que tout le monde est gal en savoir, elle est de considrer le processus dapprentissage non comme le passage de lignorance la science, mais comme un passage de quelque chose de dj connu, de dj possd, un nouveau savoir un nouvel acquis. Cest un point trs important, cette ide que lignorant sait dj quelque chose, quil a dj la capacit dapprendre et que le problme est de tirer le maximum de cette capacit en partant de lgalit (15).

    (12) Jacques Rancire, La Leon dAlthusser (Gallimard, 1974), Paris, La Fabrique ditions, 2012, 278 pages. La publication de ce livre fut notamment motive par le refus dAlthusser daccepter, lors dune rdi-tion de Lire le Capital, une prface de Rancire son texte afin dexpliquer pourquoi [il avait] de fortes critiques son gard (Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note 2 ; Dconstruire la logique ingalitaire , page 640).

    (13) propos de la philosophie politique de Rancire, Antonio Negri crit : Quand le discours de lmancipation ne repose pas sur lontologie, il devient utopie, rve individuel et laisse les choses en ltat ( Est-il possible dtre communiste sans Marx ? , Actuel Marx, n 48, Communisme ? , deuxime semestre 2010, citation page 51). Que veut dire Negri qui, dune manire gnrale, nappr-cie pas la rflexion de Rancire lequel le lui rend bien dans sa critique du multiculturalisme non dve-loppe ici ? Que Rancire est un idaliste, quil raisonne sur la politique et lmancipation en dehors des ralits, de lhistoire, de la socit, des institutions, quil abandonne le matrialisme marxiste et laisse tomber la critique de la domination.

    (14) Jacques Rancire, Les dmocraties contre la dmocratie , entretien avec ric Hazan in le recueil de textes Dmocratie, dans quel tat ?, Paris, La Fabrique ditions, 2009, 152 pages ; citation page 99.

    (15) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Lmancipation est-elle une chose du pass ? , entretien ralis par Lawrence Liang New Delhi, le 5 fvrier 2009, texte traduit par Jacques Rancire (http://kafila.org/2009/02/12/interview-with-jacques-ranciere/) ; citation page 656. Voir aussi, dans le mme ouvrage, Dconstruire la logique ingalitaire , page 650. Dans ces textes, Rancire rappelle en quoi sa vision de lducation se distingue de celle des sociologues inspirs de Pierre Bourdieu et de celle des rpublicains. Pour le sociologisme progres-siste, il faut adapter lenseignement pour gommer lingalit sociale ; pour la pense rpublicaine, au contraire, il convient de diffuser indiffremment le savoir pour ne pas stigmatiser lingalit. Dans les deux cas, se consolide une vision hirarchique du monde, une sparation entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ; et celui qui sera libr par linstruction rejoindra le camp des savants perp-tuant le systme linfini.

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    Lmancipation dun individu ne viendra pas dun transfert de savoirs, ni dun guidage, cest par la volont dun matre ignorant qui dit la volont qui est en face de trouver son chemin et donc dexercer tout seul son intelligence pour trouver ce chemin (16). Ce chemin cest celui de lmancipation.

    Lgalit des intelligences veut aussi dire quaucune aptitude, quaucun savoir ne donne des privilges, notamment le droit gouverner. Elle conditionne lgalit et se ralise dans le collectif pour dispenser des savants et des guides. Lide percute non seulement le libralisme mais aussi le marxisme, lesquels conviennent dune naturalit des places occupes dans la socit, dune identit attribue tout individu quil ne pourra contester autrement quen reproduisant le systme son avantage ; il y a des dirigeants et des dirigs, des experts et des ignorants, des gnraux et des trouffions, ce qui, chez Rancire, renvoie lide de partage du sensible qui, dans une socit ordonne, distingue le visible et le dicible de linvisible et de lindicible (17) ; il y a ceux qui ont des parts et des sans-parts (18). Dans les socits connues, la ngation du potentiel de lgalit des intelligences, tutrice de la subordination et de lordre, empche chacun de dpasser son (in)intelligence propre pour accder une capacit universelle : une capacit dire, penser, sinsurger, revendiquer et prendre sa part ; une capacit qui se concrtise sous des formes collectives (19).

    Lire de Jacques Rancire, Le Matre ignorant. Cinq leons sur lmancipation intellectuelle (Fayard, 1987), Paris, ditions 10/18, Non fiction , 2004, 240 pages. Aucun savoir na en lui-mme aucune galit pour effet. Lgalit elle-mme nest pas un effet produit ou une fin atteindre mais une prsupposition qui soppose une autre (Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note 2 ; Lactualit du Matre ignorant , entretien ralis par Andrea Benvenuto, Laurence Cornu et Patrice Vermeren, Le Tlmaque, n 27, 2005, page 21 ; citation page 410).

    (16) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Lactualit du Matre ignorant , page 412.

    (17) Jacques Rancire a dvelopp le concept de partage du sensible partir de son livre La Nuit des proltaires. Archives du rve ouvrier (Fayard, 1981), Paris, Hachette, Pluriel rfrence , 2005, 451 pages.

    (18) Le gouvernant est partie, quand il fait un discours, il est vu, il est lgitime et entendu ; le sans-papiers na rien, nest rien, quand il parle, il fait du bruit, il est inaudible, il est hors la socit. Son statut rel se rapproche du statut juridique de lesclave antique ou du serf fodal. Rancire donne, du partage du sensible, une dfinition savante : Comment dans un espace donn, on organise la perception de son monde, on relie une exprience sensible des modes dinterprta-tion intelligibles (Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note 2 ; Le territoire de la pense partage , entretien ralis par Jacques Lvy, Juliette Rennes et David Zerbig, publi sur EspacesTemps.net, 8 janvier 2007, www.espacestemps.net/document2142.html ; citation, page 573).

    (19) Jacques Rancire, Communistes sans communisme ? , in LIde du communisme. Con-frence de Londres, 2009, sous la direction dAlain Badiou et Slavoj iek, [Fcamp], Nouvelles ditions Lignes, 2010, 352 pages, intervention de Jacques Rancire, page 231 ; voir plus spcialement page 233. Intervention reprise dans in Jacques Rancire, Moments politiques. Interven-tions 1977-2009, prcit note (5), page 217. Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Le territoire de la pense partage , page 582.

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    Nos socits affirment lgalit des droits, lgalit sociale, lgalit des chances, les inscrivent dans les constitutions ; dans une socit librale, les ingalits sont des dysfonctionnements corriger, activit qui occupe une bonne part du temps gouvernemental et parlementaire. La seule ingalit accepte, celle considre comme irrparable est lingalit des intelligences, il y a des individus plus forts que dautres par dtermination de la nature ou de Dieu. Aussi, laffirmation communiste de lgalit des intelligences est une violence lordre social en permettant la remise en cause des capacits diriger par exemple. Elle dit que nimporte qui peut interrompre lordre des choses. Lordre des choses dans la reconfiguration du monde par Rancire sappelle la police contre laquelle sinsurge la politique (20).

    La police et la politique

    La police est une notion qui dpasse les seules forces de rpression pour sappliquer lensemble de lordre tabli, dcrt naturel. Le principe de la police consiste partager lhumanit entre ceux qui savent et ceux dont on dit quils manifestent simplement du mcontentement, de la fureur, de lhystrie (21). Cest une simple mise en ordre du corps social sous lautorit dune comptence qui distribue places et fonctions , recherche la stabilit et la permanence dans le comptage des parts (22) ; la police nignore pas la politique qui perturbe constamment son ordonnance-ment (23).

    La politique, ce nest pas le pouvoir commun, cest le pouvoir de nimporte qui, laffirmation de labsence de fondement du pouvoir. Cest cela lanarchie qui est au fondement de la politique et que le discours antidmocratique veut refouler derrire la vision pieuse du bien commun oppos aux apptits individuel : la politique signifie quil ny a pas de comptence qui donne droit au gouvernement des communauts. [] Il ny a pas un bien commun. La politique commence quand ce bien se trouve

    (20) Cette distinction est dveloppe par Jacques Rancire dans La Msentente. Politique et philosophie, Paris, Galile, La Philosophie en effet , 1995, 188 pages.

    (21) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; La politique nest-elle que de la police ? , page 114. galement, dans le mme ouvrage, Les mots du dissen-sus , entretien avec Davide Panagia, Diacritics, volume 30, n 2, t 2000, page 113 ; texte franais tabli par Jacques Rancire, pages 172 et suivantes, notamment page 187.

    (22) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Le nouveau discours antidmocratique , entretien ralis avec Amador Fernndez-Savater, Archipilago, cuader-nos de critica de la cultura, n 72, 2006, page 87, texte franais tabli par Jacques Rancire ; citation page 542.

    (23) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Universaliser la capacit de nimporte qui , entretien ralis avec Marina Garcs, Ral Snchez et Amador Fernndez-Savater, Archipilago, cuadernos de critica de la cultura, n 73-74, 2006, p. 70, texte revu par Jacques Rancire, voir notamment page 492. Dans le mme ouvrage, La politique nest-elle que de la police ? , page 114 ou encore, Le Matre ignorant , page 126. Chez Michel Foucault, la police est un dispositif institutionnel de contrle du pouvoir sur la vie et les corps, soit la biopolitique, cest--dire la gestion des forces tatiques (Michel Foucault, Scurit, territoire, population. Cours au Collge de France, 1977-1978, Gallimard Seuil, Hautes tudes , 2004, 436 pages ; citation page 377), dans ce cours voir, sur la police, la leon du 29 mars 1978 (page 319) et celle du 5 avril 1978 (page 341).

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    mis en litige, quand il est soustrait au monopole de ceux qui prtendent lincarner (24). Au-del dun conflit dintrt ou dopinion sous-jacent, la politique est un acte dinterruption, de drglement ou deffraction par rapport au lien social tabli (25). Elle est laffirmation dune capacit de juger et de dcider des affaires communes ou, pour parler comme Rancire : la politique consiste en laction de sujets spcifiques qui sont en surplus par rapport au compte objectif du tout de la population (26).

    Illustration dans le champ du travail. Une grve de vingt-quatre heures appele par les centrales syndicales reprsentatives avec manifestation en rang doignons est de lordre de la police ; leur place, les interlocu-teurs reconnus, syndicats et travailleurs, exercent leur droit constitution-nel. Une grve avec squestration du patron et menace sur les biens est de lordre de la politique ; les ouvriers rvolts, la partie non compri-se dans la distribution des parts, font irruption dans lespace bien ordonn de la recherche du consensus social, contestent la lgitimit de la domination de ses reprsentants institutionnels et du patronat, se rendent visibles et audibles ; ils se prvalent de lgalit pour rparer le tort dont ils sont victimes. Laction directe, dans son sens syndicaliste rvolutionnaire, est de lordre de la politique.

    Rancire nous oblige repenser la politique comme exercice de la capacit de nimporte qui et non pas comme lutte stratgique organise pour lexercice du pouvoir (27). La mthode est efficace pour affiner la critique de lordre tabli. Rancire, par exemple, analyse ainsi la lutte des classes :

    La lutte des classes nest pas une lutte entre des parties de la communaut mais entre deux formes de communaut : la communaut policire qui tend saturer le rapport des corps et des significations, des parties, des places et des destinations et la communaut politique qui rouvre les intervalles en sparant les noms de sujets et leur mode de manifestation des corps sociaux et de leurs proprits (28).

    On comprend aussi pourquoi la police rcupre en permanence la politique par restructuration des pouvoirs, rgulation des diffrends, intgration dinterlocuteurs. Le moment politique est de courte dure ; faire ce quon nest pas suppos faire, tre

    (24) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Le nouveau discours antidmocratique , page 542. Le un de bien commun est soulign par Rancire.

    (25) Christian Ruby, LInterruption. Jacques Rancire et la politique, prcit note (2), page 7.

    (26) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Les mots du dissensus , page 187.

    (27) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Dconstruire la logique ingalitaire , page 650.

    (28) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; La com-munaut comme dissentiment , entretien avec Franois Noudelman, Rue Descartes, n 42, 2003, page 87 ; citation page 316.

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    l o on nest pas suppos tre noffrent pas un tat civil tant que ne sopre pas la cassure rvolutionnaire.

    La dmocratie authentique

    La politique est intimement lie lgalit ; elles se pratiquent dans la dmocratie (29). L encore, Jacques Rancire opre une distinction : la dmocratie-tat, celle qui est ne historiquement comme une limite mise au pouvoir de la proprit nest pas la dmocratie (30), elle nest quune apparence pour lgitimer la domination nue du capital et de largent (31) au travers dun gouvernement qui prtend avoir un titre gouverner tenu de la naissance, de la richesse, de lge, ou dune comptence suppose : la science, la sagesse Les sphres dominantes nprouvent le besoin de dfendre la dmocratie pour autant que celle-ci rprime lanarchie dernire signifie par la dmocratie (32).

    La dmocratie, en effet, ne vit que par lexercice de la politique comme lentend Rancire. Quand il parle de haine de la dmocratie, il vise ceux qui, telle la gnration des nouveaux philosophes, rejettent la politique, la rduisent lexpression dintrts gostes de consommateurs avides, et se rfugient, au nom du bien commun, dans lordre et le confort de la police (33) ; il vise, plus gnralement, ceux qui, rallis au mot dordre ultra-libral, semploient gommer le fondement anarchique de la politique rvl par Mai [1968], cest--dire la manifestation de la politique comme effondrement de tout un ordre de lgitimit des dominations (34).

    La dmocratie nest ni cette forme de gouvernement qui permet loligarchie de rgner au nom du peuple, ni cette forme de socit que rgle le pouvoir de la marchandise. Elle est laction qui sans cesse

    (29) Razmig Keucheyan, Hmisphre gauche. Une cartographie des nouvelles penses critiques, Paris, ditions La Dcouverte, Zones , 2010, 318 pages, voir page 206.

    (30) Jacques Rancire, entretien in Alternative libertaire, n 167, novembre 2007.

    (31) Jacques Rancire, Politique de la msentente , in Politiquement incorrects. Entretiens du XXIe sicle, prcit note (5), pages 141 ; in Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcit note (5), page 180.

    (32) Jacques Rancire, Politique de la msentente , in Politiquement incorrects. Entretiens du XXIe sicle, prcit note (5), pages 140 ; in Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcit note (5), page 178.

    (33) Les Alain Finkielkraut, Andr Glucksmann, Bernard-Henry Lvy, Jean-Claude Milner et quelques autres rengats du maosme qui forment lavant-garde de la raction intellectuelle (Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note 2 ; Le nouveau discours antidmocratique , page 545).

    (34) Jacques Rancire, Politique de la msentente , in Politiquement incorrects. Entretiens du XXIe sicle, prcite note (5), page 139 ; in Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcit note (5), page 178. On se souvient de la diatribe de Nicolas Sarkozy et de ses faux contre Mai 68, lors de la campagne lectorale en 2007. Voir Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, [Fcamp], Nouvelles ditions Lignes, Circonstances, 4 , 2007, 158 pages, pages 48 et suivantes.

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    arrache aux gouvernements oligarchiques le monopole de la vie publique et la richesse la toute-puissance sur les vies. Elle est la puissance qui doit, aujourdhui plus que jamais, se battre contre la confusion de ces pouvoirs en une seule et mme loi de la domination (35).

    La dmocratie est le contraire du consensus qui sexprime, par exemple, dans des lections dmocratiques avec ses partis identifis, lections qui sont linverse du pouvoir du peuple (36). Elle est le domaine des sujets qui ne comptent pas, qui nexistent que par leur action politique laquelle, draisonnablement, crent une scne polmique o ils mettent en question le caractre objectif du donn et imposent la prise en considration de choses qui jusque-l ntaient pas visibles, ntait pas prises en compte (37). Ainsi sexprime lgalit de tous devant lordre inique et absurde. Laction politique et la dmocratie ont domin Mai 68 mais aussi lautomne 1995, dont Rancire donne cette description :

    ce moment, un peuple qui affirme dans la rue une certaine ide et une certaine pratique de la solidarit se distingue du peuple qui remet ses reprsentants le choix des meilleurs calculs, et les raison de lintelligence partage sopposent aux explications dun pouvoir matre dcole (38).

    Un gouvernement anarchique

    La dmocratie de Rancire nest pas le modle arrt dune nouvelle socit ; ses manifestations nincitent qu y rflchir, nen sont que les prmices. Il aime rpter cette phrase de Platon : Le pire des maux est que le pouvoir soit occup par ceux quils lont voulu , ajoutant : cest malheureusement dsormais la rgle partout (39). Rancire serait-il oppos ce quon rduise la citation : Le pire des mots est que le pouvoir soit occup . Ce nest pas sr, au moins dans un premier temps.

    Je pense la dmocratie comme un mouvement, et pas comme une forme dtat. On peut cependant tout fait imaginer linstitution de mandats lectoraux courts, non renouvelables et non cumulables, avec une large part laisse au tirage au sort. On peut parvenir un mode de dsignation du personnel gouvernant qui ne fonctionne plus sur le mode de la reproduction oligarchique. Du ct des mouvements rels,

    (35) Jacques Rancire, La Haine de la dmocratie, Paris, La Fabrique ditions, 2005, 106 pages ; citation page 105.

    (36) Jacques Rancire, lection et raison dmocratique , Le Monde, 22 mars 2007, texte publi dans Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcit note (5), page 171.

    (37) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; Les mots du dissensus , page 188. Lexemple type tant la situation des travailleurs sans papiers.

    (38) Jacques Rancire, Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcit note (5), Avant-propos, page 8.

    (39) Jacques Rancire, Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcit note (5) ; Le pire des maux est que le pouvoir soit occup par ceux qui lont voulu , page 213. Reprise dun entretien accord Serge Quadruppani pour Sin hebdo, n 27, 11 mars 2009.

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    donner naissance des forums de discussion collective et de circula-tion de linformation et de la pense dtachs de lobjectif de la prise du pouvoir, me semble capital (40).

    Il se montre encore plus institutionnel dans cet autre entretien accord, pourtant, une publication anarchiste :

    Il est certainement possible dimaginer des transformations du systme reprsentatif qui fassent droit lanarchisme dmocratique tel que je lentends. Cela implique une restriction du rle du prsident et la restitution lAssemble du pouvoir lgifrant. Cela implique surtout que lAssemble en question cesse dtre monopolise par les nota-bles, que la rotation soit effectivement assure par le non-cumul et le non-renouvellement des mandats, que les assembles qui servent caser le personnel surnumraire des partis de gouvernement cdent la place des formes de rel contrle populaire. Cela implique aussi une part reconnue dans les institutions rpublicaines au tirage au sort qui est la forme de slection authentiquement dmocratique (41).

    Serait-ce l une forme de dmocratie radicale que ne dsapprouveraient pas Ernesto Laclau ou Chantal Mouffe (42) ? Un rgime socialiste de transition vers le commu-nisme, version effective de la dgnrescence de ltat (43) ? Une rpublique pr-communisme libertaire comme des anarcho-syndicalistes lont imagin la fin de la Guerre dEspagne (44) ? La dmocratie authentique de Rancire apparat com-me un vague prlude au communisme. Plus que lchec du marxisme, cest ltude de la parole ouvrire qui lempche dopter pour un projet bien cadr, le rend hsi-tant, au moins circonspect, sur lorganisation du futur, mais non pessimiste :

    Marx a pu ridiculiser la quincaillerie thorique de Proudhon ou le syncrtisme des militants parisiens. Il na pas pu penser le but attein-dre dans dautres termes que ceux de ces artisans : communisme,

    (40) Jacques Rancire, Moments politiques. Interventions 1977-2009, prcit note (5) ; Le pire des maux est que le pouvoir soit occup par ceux qui lont voulu , page 214.

    (41) Alternative libertaire, n 167, novembre 2007. noter que cette citation est antrieure la prc-dente de 2009.

    (42) Ernesto Laclau, Chantal Mouffe, Hgmonie et stratgie socialiste. Vers une politique dmocra-tique radicale (1985), traduit de langlais par Julien Abriel, prface ldition franaise dtienne Balibar, Besanon, Les Solitaires intempestifs, Expriences philosophiques , 2009, 338 pages. Voir Pierre Bance, La dmocratie radicale de Laclau et Mouffe , Autre futur, 26 juin 2012 (http://www.autrefutur.net/La-democratie-radicale-de-Laclau). La radicalit, cest dabord une manire de changer la distribution des places et des identits, des espaces et des temps (Jacques Rancire, La Revue des livres, n 7, septembre-octobre 2012, prcit note 3, page 46).

    (43) Relire Vladimir Lnine, Ltat et la rvolution (1917), introduction de Laurent Lvy, Paris, La Fabrique ditions, 2012, 232 pages

    (44) Voir Csar M. Lorenzo, Le Mouvement anarchiste en Espagne. Pouvoir et rvolution sociale (1969, Le Seuil), Saint-Georges-dOlron, Les ditions libertaires, 2e dition revue et augmente, 2006, 560 pages, notamment pages 360 et suivantes.

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    mancipation des travailleurs, abolition du salariat, libre association de travailleurs. Il sest efforc de penser avec plus de rigueur la ncessit du renversement du pouvoir et les conditions de ce renversement. Il ne pouvait se reprsenter lavenir communiste autrement que ne le fait en 1850 le mcanicien Drevet : monde dateliers sociaux et de magasins coopratifs o, dans lgalit de tous devant le travail et le loisir, des travailleurs librement associs rgleraient leur production sur les besoins dsormais connus et reconnus de leurs frres (45).

    Sommes-nous plus avancs que Marx ? Un peu. Si lhistoire ne sest pas crite, comme il laurait voulu ou comme lauraient voulu les artisans du Faubourg-Saint-Antoine ou les ouvriers de lindustrie naissante, lide sest transmise chez ceux qui savent partager avec nimporte qui le pouvoir gal de lintelligence , elle peut susciter [] du courage, donc de la joie (46) pour conduire, enfin, au communisme, quelque chose comme une socit autonome, au sens dune socit ayant entirement explicit les fondements du pouvoir et supprim celui-ci (47) avec un gouvernement anarchique, fond sur rien dautre que labsence de tout titre gouverner (48). Pour donner vie ces abstractions communistes et mme si le futur de lmancipation peut seulement consister dans le dveloppement autonome de la sphre du commun cre par la libre association des hommes et des femmes qui mettent en acte le principe galitaire (49), toujours surgit une exigen-ce : abandonner la culture de la mfiance. Cest lactualit de Rancire.

    Dans laction politique daujourdhui, cette culture de la mfiance est le plus lourd hritage de la science marxiste. Elle se fonde sur la prsupposition de lincapacit du plus grand nombre voir et comprendre . Cest un instrument du pouvoir qui permet de disqualifier, de rprimer lenthousiasme des communistes au nom de lexprience des travailleurs et lexprience des travailleurs au nom du savoir de lavant-garde communiste . Ce jeu mortel de la double rpression a t men par

    (45) La Parole ouvrire. 1830-1851, textes choisis et prsent par Alain Faure et Jacques Rancire (1976, Union gnrale dditions), Paris, La Fabrique ditions, Utopie et libert , 2007, 342 pages, introduction de Jacques Rancire, page 19.

    (46) Jacques Rancire, La Haine de la dmocratie, prcit note (35), page 106.

    (47) Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note (2) ; La politique nest coextensive ni la vie ni ltat , entretien ralis par Nicolas Poirier, Le Philosophoire, n 13, La violence , hiver 2001 ; citation page 242. Dans cet article, Rancire critique les points de vue de Cornelius Castoriadis et dAntonio Negri sur lexplicitation du pouvoir et sur la socit sans tat dans le projet communiste.

    (48) Jacques Rancire, La Haine de la dmocratie, prcit note (35), page 48.

    (49) Jacques Rancire, Communistes sans communisme ? , in Lide du communisme. Confren-ce de Londres, 2009, prcit note (19), page 244. Philippe Corcuff pense que chez Rancire, lmancipation ne se confond pas avec certains discours trop simple sur lauto-mancipation ouvrire qui rcuserait tout lien avec un extrieur, toute htronomie (O est passe la critique sociale ? Penser le global au croisement des savoirs, Paris, La Dcouverte, Bibliothque du Mauss , 2012, 318 pages, citation page 39). Voir Pierre Bance, Lquilibration : de Proudhon Corcuff , Autre futur, 27 aot 2012 (http://www.autrefutur.net/L-equilibration-de-Proudhon-a).

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    tous les pouvoirs communistes, de la NEP la Rvolution culturelle, et elle a t intriorise par la science marxiste comme par les organisations gauchistes (50). Lhypothse de la confiance est un pralable toute tentatives syncrtistes actuelles qui souhaitent lier les ides, les expriences, les cultures marxiste, social-dmocrate et libertaire (51). Mais confiance ne veut pas dire mandat en blanc. Au contraire, elle sexprime dans le mandat impratif et sous le contrle des mandants, et ce nest pas un hasard si Rancire martle dans la Nouvelle vie ouvrire, organe de la Confdration gnrale du travail :

    La dmocratie suppose surtout lexistence dorganisations politiques qui soient autre chose que des rassemblements de candidats au pouvoir, enracines dans les mouvements sociaux, dorganisations non dpendantes des chances de lappareil dtat, et qui soient fondes sur lide dune capacit collective de rflexion et de dcision. Dfendre lide de dmocratie suppose un contrle continu du pouvoir par des organisations populaires autonomes. Il sagit de la mise en uvre dune ide de lgalit, savoir que le pouvoir de tous ne se dlgue que sous condition et sous contrle et quil doit toujours avoir ses propres formes dexpression et de reprsentation (52).

    Cette dclaration conduit Jacques Rancire un dernier avertissement, une ultime prudence pour ne pas dire une fuite habituelle du discours postmarxiste : le commu-nisme serait rejeter si, figeant la possibilit dinventer des futurs qui ne sont pas encore imaginables , il signifiait que nous savons quoi raliser comme transfor-mation globale du monde et que nous connaissons la voie pour y arriver (53).

    (50) Jacques Rancire, Communistes sans communisme ? , in Lide du communisme. Confren-ce de Londres, 2009, prcit note (19), citations pages 237 et 238. Cette bipolarit peut aussi prendre la forme suivante : la vrit, cest tantt la science, que lon oppose la conscience mystifie du proltaire, et tantt le proltariat, en tant quil incarne la vrit de ce processus social qui soutient ldifice politique (Jacques Rancire, Et tant pis pour les gens fatigus. Entretiens, prcit note 2 ; Le Matre ignorant , page 122, loccasion dune critique de la pense de Pierre Bourdieu).

    (51) De ces nombreuses tentatives depuis la Premire internationale, lintention de la Ligue commu-niste rvolutionnaire de crer le Nouveau parti anticapitaliste fut, sagissant des contemporaines, la plus intressante puisque suivi dun dbut de ralisation. Mais son chec tait contenu dans la mfiance qui navait pas quitt les trotskistes de la Ligue et qui se manifesta avec le maintien dun parti command par le centralisme dmocratique (Voir Pierre Bance, Limpasse NPA , 3 fvrier 2009, in Les paradoxes dune social-dmocratie libertaire , Autre futur, 1er dcembre 2011, note 42, http://www.autrefutur.net/Des-paradoxes-d-une-social). Dernire bouteille la mer : Pierre Bance, Pour un projet anarchiste de la convergence, Autre futur, 14 septembre 2012 (http://www.autrefutur.net/Pour-un-projet-anarchiste-de-la).

    (52) Jacques Rancire, Retour sur la dmocratie , entretien avec Isabelle Avran aprs le conflit social doctobre 2010 sur les retraites, La Nouvelle vie ouvrire, 14 janvier 2011, page 44 ; citation page 47.

    (53) Jacques Rancire, Communistes sans communisme ? , in Lide du communisme. Confren-ce de Londres, 2009, prcit note (19), citations page 245.

    Texte libre de droits avec mention de lauteur : Pierre Bance, et de la source : Autrefutur.net, site pour un Syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste & syndicaliste rvolutionnaire (www.autrefutur.net).